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Quelle posture professionnelle pour l’enseignant
d’Éthique et culture religieuse?
Mémoire
Marjorie Paradis
Maîtrise en didactique
Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
© Marjorie Paradis, 2014
iii
RÉSUMÉ
L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme
en 2008 dans les écoles du Québec, est appelé à relever d’importants défis inhérents à son
rôle professionnel. Si un devoir de neutralité lui incombe officiellement, la posture lui
permettant d’aborder les questions relatives à la différence culturelle n’est pourtant pas
clairement définie.
C’est à la lumière d’orientations ministérielle telles que les finalités du programme
d’ÉCR et via la définition de concepts clés comme la laïcité, le relativisme et
l’universalisme que l’auteure s’emploie à préciser la posture de l’enseignant d’ÉCR. Cette
dernière propose, au terme de sa démarche, la conception de « neutralité mesurée » qui,
basée sur des considérations pratiques, vise à soutenir les enseignants dans leur pratique.
Cette perspective, s’arrimant aux visées de l’État québécois, se place en amont d’une
gestion pluraliste de la diversité et de la mise en application des valeurs communes.
v
TABLE DES MATIÈRES
Résumé ................................................................................................................................. iii
Table des matières ................................................................................................................ v
Introduction ........................................................................................................................... 1
1. Indications ministérielles et précisions théoriques ..................................................... 9
1.1 Le programme d’ÉCR : complice d’une laïcité proprement québécoise ............................ 9
A. La laïcité : de concept générique à enjeu identitaire ........................................................... 9
B. Éthique et culture religieuse : la genèse théorique d’un programme ................................ 13
C. Les visées du programme .................................................................................................. 18
1.2 La différence ..................................................................................................................... 20
A. « Quelle » différence? ....................................................................................................... 20
B. La résonnance de la différence selon les milieux .............................................................. 25
C. La conception de l’Autre ................................................................................................... 27
1.3 Le rôle professionnel de l’enseignant................................................................................ 33
A. La dimension culturelle du programme d’ÉCR ................................................................ 35
B. Le dialogue comme vecteur de vivre-ensemble ................................................................ 39
C. Le devoir de neutralité : un silence obligé? ....................................................................... 41
1.4 Les fondements théoriques antinomiques de finalités complémentaires .......................... 45
A. La reconnaissance de l’autre : un relativisme déguisé? .................................................... 48
B. L’essence universaliste de la poursuite du bien commun ................................................. 55
2. L’édification d’une posture séante à l’enseignement de la différence dans le cadre
du cours d’ÉCR ................................................................................................................... 61
2.1 L’élaboration d’un socle de valeurs partagées .................................................................. 62
A. Comment choisir? ............................................................................................................. 64
B. La citoyenneté comme assise normative ........................................................................... 66
2.2 La réflexivité ..................................................................................................................... 69
A. La raison critique .............................................................................................................. 71
B. L’authenticité .................................................................................................................... 72
C. Le défi de l’école ............................................................................................................... 73
2.3 Les finalités du programme d’ÉCR ................................................................................... 74
A. Le pluralisme : société et éducation .................................................................................. 76
vi
B. L’éducation civique ........................................................................................................... 77
2.4 La laïcité ............................................................................................................................ 80
A. Une laïcité d’intelligence ................................................................................................... 81
B. La charge de l’école au regard d’une laïcité pluraliste ...................................................... 81
2.5 Une neutralité mesurée ...................................................................................................... 82
A. L’État n’est pas neutre ....................................................................................................... 83
B. « S’abstenir n’est pas guérir » ........................................................................................... 85
C. « On est tous quelque part » .............................................................................................. 86
CONCLUSION ................................................................................................................... 89
RÉFÉRENCES ................................................................................................................... 95
ANNEXE ........................................................................................................................... 101
1
INTRODUCTION
« Agir en tant que professionnelle ou professionnel héritier, critique et interprète
d'objets de savoirs ou de culture dans l'exercice de ses fonctions »1. Ainsi peut-on lire la
première des douze compétences professionnelles que doit développer un enseignant au fil
de sa carrière. Notons d’abord que le premier des qualificatifs, « héritier », concerne
l’héritage relatif à la culture et aux objets de savoir que possède un enseignant et qui
constituent les fondements de son identité. L’enseignant devient donc courroie de
transmission de cet héritage qui marque par ailleurs inévitablement l’exercice de ses
fonctions. Dans un deuxième temps, le libellé de cette compétence professionnelle indique
qu’un enseignant doit développer un sens critique et être en mesure d’en faire un certain
usage dans l’exercice de sa profession. Notons au passage l’imprécision qui voile le sens de
cette compétence. Finalement, il est dit que l’enseignant doit agir à titre d’interprète de ces
objets de savoir et de culture, c’est-à-dire qu’il lui revient de se les approprier et d’en
dégager le caractère fondamental ainsi que la fonction pédagogique.
Ces trois épithètes – héritier, critique et interprète – se collent naturellement à
l’éducation, bien qu’ils trouvent néanmoins une résonnance singulière dans le contexte du
cours d’Éthique et culture religieuse (ÉCR). Légitimes, certes, ils revêtent toutefois l’aspect
insidieux de ce qui octroie une autonomie appréciable, mais qui en revanche ouvre la porte
à de possibles faux pas. En effet, l’enseignant d’ÉCR a entre les mains un programme qui
propose un ensemble de thématiques prescrites, mais très peu d’indications, cependant, sur
la façon de les aborder. Laissé à lui-même, l’enseignant est ainsi appelé à assumer son
triple rôle d’héritier, de critique et d’interprète sans toutefois savoir exactement ce que les
acteurs satellitaires (parents, ministère, société, direction, etc.) attendent de lui en matière
de savoir et de culture. Cela met la table à un examen critique de la position de l’enseignant
d’ÉCR que nous nous proposons d’enclencher par l’évocation de trois situations
rencontrées dans le cadre secondaire. Plus que de banales anecdotes, elles présentent des
1 Québec, Ministère de l’Éducation. La formation à l’enseignement : les orientations et les compétences
professionnelles, Québec : Gouvernement du Québec, 2001, p. 61
2
problématiques qui cristallisent certaines des impasses ou imprécisions qui seront mises en
lumière dans les prochaines pages de ce mémoire.
Dans un premier temps, jetons un regard sur ce que nous appellerons les « nouveaux
mouvements religieux » au Québec, qui figurent dans la liste des éléments de contenu
regroupés sous la thématique « Les religions au fil du temps ». Notons d’abord le flou qui
masque cet objet de savoir, notamment parce qu’à titre d’exemple susceptible d’orienter
l’enseignant, on ne peut que lire « l’origine, les caractéristiques, etc. ». Il serait en effet
exagéré de penser que ces indications puissent spécifier en quelque façon que ce soit
l’angle d’approche des nouveaux groupements religieux au Québec.
D’emblée, le choix du terme employé par l’enseignant pour aborder ce phénomène
sera largement révélateur de sa posture, autrement dit de sa propre perspective. Ainsi, de
l’emploi du mot « secte » transpire une connotation nettement péjorative, alors que
l’utilisation d’expressions telles que « nouveau mouvement religieux » pourrait, selon
certains, trahir un certain laxisme à l’égard du phénomène. Le contraste que nous désirons
établir en opposant ces deux vocables, davantage qu’un vain caprice lexical, permet de
saisir l’amplitude des potentialités sémantiques. Or, nous désirons démontrer que le simple
choix d’un mot, forcément au détriment d’autres, se veut grandement tributaire d’une
posture idéologique préalable de l’enseignant et est porteur d’un univers symbolique
parfois puissant. Plus encore, un champ lexical est un outil dans la transmission d’un
message et s’avère parfois lourd d’intentions. À ce sujet, en outre, le programme
d’enseignement pourvoit peu de détails concernant l’objectif pédagogique relatif aux
nouveaux groupements religieux au Québec, ce qui octroie une liberté quasi totale à
l’enseignant, d’une part abandonné à lui-même et qui devient garant, d’autre part, de
l’accomplissement de ses propres intentions.
Plus précisément, il a été su qu’un enseignant dépeignait le phénomène des
nouveaux groupements religieux comme n’étant rien de plus qu’un fait social et que, tout à
la fois, son collègue s’accordait la liberté d’aborder le même phénomène sous l’angle des
dangers qui lui sont inhérents. Une posture vaut-elle mieux que l’autre? Est-il acceptable
3
qu’un même élément de contenu soit porteur de messages et d’intentions aussi éloignés?
Que souhaite l’État à ce propos? Nous sommes à tout le moins d’avis que cette dichotomie
dans les positionnements symboliques des enseignants est nuisible à l’apprentissage des
élèves, au bien-être professionnel des enseignants et à la santé du cours d’ÉCR lui-même.
Certes, le choix du ton et d’un corpus de termes est à notre sens une préoccupation
justifiée et fondamentale en enseignement. Or, lorsqu’une situation d’intimidation, voire de
violence, prend racine dans l’incompréhension et la fermeture d’esprit des élèves, élaborer
une réflexion à l’égard du cours d’ÉCR dépasse la légitimité : l’exercice devient pressant.
En effet, il est du devoir de l’institution scolaire de tout mettre en œuvre afin d’enrayer le
phénomène d’intimidation au sein des écoles, dont les médias font d’ailleurs abondamment
état, et le cours d’ÉCR est susceptible de pallier les formes d’incompréhension et de
jugement qui prennent corps chez les jeunes.
Un nouvel élève – musulman – est accueilli dans une école, précédé par les
stéréotypes et commentaires désobligeants à son égard. Il encaisse les « coups » verbaux
tous plus tonitruants les uns que les autres, bien que loin d’être originaux : « maudit
terroriste », « […] il va nous tuer! », « […] on sait bien, toi dans ton pays! ». Plus encore, il
subit l’affirmation convaincue des autres élèves du lien évident entre sa religion et sa
violence intrinsèque. L’autocontrôle dont fait preuve l’élève durant la première partie de la
journée a néanmoins ses limites : la bagarre éclate en classe à la suite du commentaire qui
était « de trop ». Provocation, d’abord, réactions verbales, puis éruption des coups… Les
coups retentissants et gorgés de haine de celui qui en a assez de l’incompréhension des
autres. En même temps, les coups tout aussi violents du deuxième élève qui se défend avec
hardiesse en se félicitant de sa courageuse affirmation identitaire. Il va de soi que la
violence, quelle qu’en soit la cause, ne connaît aucune justification possible, même pas
celle de la victime d’intimidation qui ressent le besoin de réagir. Or, l’intimidation verbale
née de l’incompréhension de l’Autre, de l’étranger démonisé, apparait clairement comme la
cause de cet évènement regrettable et ayant malheureusement résonnance dans plus d’un
milieu. Cristallisant les préjugés et les craintes des élèves, la situation évoquée apparaît plus
grave encore aux vues de la fermeture subséquente de ces derniers à toute justification ou
4
explication qui aurait éventuellement permis d’abattre certains stéréotypes. Un évènement
comme celui-ci réaffirme, d’une part, la nécessité de proposer aux élèves du secondaire un
cours à propos du phénomène religieux et de la diversité culturelle. D’autre part, en
revanche, une telle situation pose un problème notoire, celui des difficultés inexorablement
engendrées par l’enseignement de la différence religieuse sur fond préalable – quoique pas
forcément généralisé – d’incompréhension.
Une situation vécue était rapportée pendant un atelier portant sur le dialogue dans le
cadre des Journées provinciales de formation continue en 2012. Il y était question du
discrédit jeté par un enseignant pendant un cours d’ÉCR sur l’animateur d’une émission à
l’horaire d’une radio dite « poubelle ». L’objectif : identifier des entraves au dialogue. Le
moyen utilisé : écouter en classe les propos de l’animateur et en faire l’analyse de façon à
en faire ressortir les procédés qui gênent le dialogue (l’appel au préjugé, la caricature, la
généralisation abusive, etc.). De cette façon, l’exercice a permis de présenter le discours de
l’animateur et les procédés réflexifs qui le sous-tendaient comme un contre-exemple dans la
pratique du dialogue puisque de nombreuses entraves y ont effectivement été décelées. À la
suite de cet exercice réalisé sur les heures de cours, un élève a même ultérieurement appelé
l’animateur pour critiquer, en onde, les lacunes intellectuelles identifiées en classe. Cet
affront, s’il est nécessaire de le préciser, n’a pas manqué de mettre le feu aux poudres de
l’animosité déjà existante de l’animateur envers le cours d’ÉCR. Somme toute, le moyen
utilisé par l’enseignant était-il fondé? Était-il acceptable qu’il personnalise ainsi un élément
de contenu, ou outrepassait-il son rôle? Par ailleurs, s’il sait qu’une opinion est infondée ou
proprement haineuse, l’enseignant est-il toujours tenu à l’impartialité?
Objectifs de recherche
Réclamant d’être abordées non pas simplement en tant qu’anecdotes, ces mises en
situation se veulent à la fois points de départ et vecteurs de légitimation de la réflexion qui
sera approfondie dans le cadre de ce mémoire. En effet, celles-ci donnent relief aux trois
compétences que doit développer l'enseignant et que nous avons évoquées d’entrée de jeu.
Premièrement, le bagage – l’héritage – socioculturel de l’enseignant et de ses élèves est au
centre des questionnements soulevés puisque le positionnement du maître à l’égard de
5
sujets tels que les nouveaux groupements religieux ou les religions méconnues sera
largement tributaire du milieu duquel il est issu. Dans un second ordre d’idée, ces mises en
situation soulèvent la question de l’esprit critique qui pose celle selon nous plus compliquée
de la mesure dans laquelle l’enseignant est appelé à l’appliquer. Finalement, elles font
appel à la démarche interprétative dans laquelle doit s’engager l’enseignant à propos des
divers faits sociaux et religieux de façon à demeurer à la fois conforme aux orientations
ministérielles et attentes extérieures, puis autonome dans l’application de son jugement
professionnel.
Au demeurant, les attentes à l’égard de l’enseignant d’ÉCR (les compétences qu’il
doit développer) et la réalité de la classe prompte à générer des situations comme celles qui
ont été dépeintes, se recoupent dans la question de la posture professionnelle. Les cas
mentionnés permettent en effet d’entrevoir l’embarras d’un enseignant d’ÉCR face à
certaines questions potentiellement inconfortables ou susceptibles de générer des
incongruités dans la pratique enseignante. Puisque l’enseignant doit d’emblée incarner les
modèles d’héritier, de critique et d’interprète, il devient tout à fait possible, voire inévitable,
que ce dernier se sente démuni quant à la posture – la « bonne » posture, s’il en est une – à
adopter devant différents objets de savoir. Loin de nous, toutefois, l’ambition de poursuivre
des fins de dénonciation, ou encore de revendications. En effet, la présente réflexion n’est
nullement une tentative de rallier quiconque à la cause enseignante, de dépeindre de
manière alarmante l’état de la profession ni de dénoncer des pratiques pédagogiques qui
rencontreraient plus ou moins maladroitement les exigences du programme d’ÉCR. Le réel
dessein de l’exercice réflexif qui s’élaborera au cours des pages à venir s’inscrit davantage
dans une approche déontologique et philosophique de l’éducation et relève principalement
de la volonté de conforter les enseignants d’ÉCR dans leur quête de sens professionnelle.
Cette préoccupation s’ouvre au demeurant sur la problématique suivante : quelle
posture professionnelle préconiser pour l’enseignement de la différence dans le cadre du
cours d’ÉCR? De fait, cette question constituera l’épicentre de nos recherches et le présent
mémoire vise à élaborer à son égard une réponse constructive et originale. Nous souhaitons
qu’en réponse à cette problématique soient présentées, dans une ultime mesure, des pistes
6
de solutions qui pourront, nous le souhaitons ardemment, enrichir la démarche
professionnelle des enseignants d’ÉCR et ainsi faciliter l’enseignement des faits religieux et
éthiques dans ce qu’il possède de complexe et de singulièrement fécond tout à la fois.
Méthodologie employée
Ainsi proposons-nous de circonscrire une posture favorable à l’enseignement de la
différence sous forme de clés d’action. Pour atteindre cet objectif, les moyens utilisés
seront de quatre ordres. Il nous faudra réaliser une étude du contexte social et identitaire
québécois via le thème de la laïcité, préciser le concept de différence, rendre compte des
orientations ministérielles qui prétendent déjà baliser la posture professionnelle de
l’enseignant d’ÉCR, puis circonscrire les cadres théoriques susceptibles d’être éclairants
pour la mise en œuvre d’une pédagogie en accord avec les exigences du programme.
Dans un premier temps, il nous incombe donc d’aborder le processus d’implantation
du programme d’ÉCR en décrivant le contexte plus large qui l’a vu naître. Le thème de la
laïcité apparaît à ce titre central puisqu’il est un vecteur identitaire fort et qu’il établit les
bases symboliques et normatives du choix québécois vis-à-vis la diversité. L’activation du
concept de laïcité au Québec sera donc abordée en tant que terrain d’implantation du
programme dont le mécanisme sera expliqué et mis en relation causale avec le phénomène
de sécularisation du Québec. Nous nous emploierons ensuite à définir la différence en tant
que concept-clé sur lequel nous entendons principalement baser notre effort d’analyse. Pour
ce faire, il conviendra de préciser l’acception du concept qui sied à nos objectifs de
recherche, représenter son activation selon les milieux sociaux, mesurer l’apport de la
conception de l’Autre à sa compréhension, puis jauger la pertinence de la tolérance comme
schème d’administration de la différence. Dans un troisième ordre d’idées, un exercice de
synthèse des orientations ministérielles à propos de la posture professionnelle de
l’enseignant d’ÉCR sera nécessaire puisqu’il permettra d’identifier un ensemble de données
déjà connues. En effet, il aurait été présomptueux de parler d’un flou déontologique sans
avoir au préalable rendu compte des paramètres déjà établis par les penseurs du
programme. Une analyse exhaustive des indications contenues dans les documents
ministériels sera réalisée à cet effet. Finalement, reconnaître l’existence de différents cadres
7
théoriques ouvrira la voie à une meilleure compréhension des assises conceptuelles et des
objectifs du programme. Ainsi dresserons-nous les contours des approches universaliste et
relativiste afin de rendre compte des dispositions philosophiques à partir desquelles il est
possible d’accueillir une variété de valeurs, de pratiques et de croyances. Cet exercice basé
sur la compréhension des prémisses qui activent ces approches permettra par ailleurs
d’identifier les potentiels pièges philosophiques qui leur sont inhérents. Cet effort de
définition deviendra à cet effet inévitable afin de rendre compte des perspectives
envisageables pour l’enseignement de la différence, aussi tenterons-nous dans un souci de
concision de les raccorder à la pratique enseignante et d’établir entre eux des liens
dynamiques et significatifs.
Essentiellement, nous nous proposons donc de réaliser une exhaustive et sélective
recension d’écrits à partir des champs de la philosophie, de l’histoire socioreligieuse du
Québec, de l’éducation, de la sociologie, de l’éthique professionnelle et des sciences des
religions. Cet exercice permettra entre autres de mettre en lumière l’abondance de la
littérature qui converge vers le programme d’ÉCR (en effet, bilans du cours, indications sur
sa mise en place, examens de ses fondements et essais pédagogiques foisonnent). La
principale difficulté inhérente à cette profusion est celle de la cohérence du discours : il sera
en effet capital de garder le cap sur les objectifs de recherche émis et de faire un usage
efficace des informations recueillies de façon à alimenter de manière constructive l’aspect
particulier de la posture enseignante en ce qui a trait à l’ÉCR. De fait, un triple effort de
concision, de cohérence et de clairvoyance devra conduire la composition de ce répertoire
littéraire afin que celle-ci tende vers l’élaboration de clés d’action efficientes.
Notons par ailleurs que cet exercice de confrontation conceptuelle ne se veut pas
spécialement une critique du programme d’ÉCR, mais plutôt une tentative de débroussailler
des zones sensibles du rôle de l’enseignant. Nous souhaitons plus précisément que les
résultats de nos recherches permettent d’ériger des balises à son éthique professionnelle.
Nonobstant la teneur théorique de nos considérations inévitablement générée par la nature
littéraire d’une méthodologie propre à la recension d’écrits, nous poursuivrons donc
globalement un objectif de concrétisation, en ce sens que nous verrons à ancrer solidement
8
le fruit de nos recherches dans la réalité pratique de l’enseignement. C’est donc avec en tête
une idée claire de la différence, à la lumière des orientations ministérielles concernant la
posture professionnelle et dans le confort procuré par l’édification d’un cadre conceptuel
convenant à l’enseignement de la différence que nous serons à même, finalement,
d’élaborer des clés d’action qui, nous l’espérons, contribueront à clarifier le rôle de
l’enseignant d’ÉCR.
Il convient en définitive de noter que l’enseignant sera au cœur de nos
préoccupations bien que l’apprentissage des élèves et l’atteinte de l’objectif du vivre-
ensemble souhaité par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) seront,
dans une ultime mesure, forcément abordés. Il demeure toutefois que globalement, c’est la
posture éthique de l’enseignant qui constituera l’épicentre de nos efforts réflexifs afin
qu’une réponse éclairante soit apportée à la problématique de départ.
9
1. INDICATIONS MINISTÉRIELLES ET PRÉCISIONS
THÉORIQUES
1.1 LE PROGRAMME D’ÉCR : COMPLICE D’UNE LAÏCITÉ
PROPREMENT QUÉBÉCOISE
Il convient à cette étape de jeter un regard sur le programme en lui-même ainsi que
sur le contexte qui l’a vu naître. Il sera de cette façon plus aisé d’en comprendre les raisons
d’être et les finalités, puis d’entrevoir les enjeux qui lui sont rattachés au vu des résultats
engendrés depuis son implantation en 2008. D’entrée de jeu, nous aborderons la question
de la laïcité pour ensuite expliquer les migrations idéologique et identitaire qui ont mené à
la création d’un programme portant sur l’éthique et l’aspect culturel du fait religieux, tout
en établissant au passage les principaux jalons de la progression du Québec à travers sa
quête éducative.
A. La laïcité : de concept générique à enjeu identitaire
Employons-nous donc dans un premier temps à dresser les contours d’un concept-
clé à la mode, certes, puis parfois même galvaudé au gré d’usages multiples utilitaires et
systématiques : la laïcité. Positive, ouverte, fermée ou restrictive sont autant de qualificatifs
qui contribuent à l’étayer, à la complexifier ou à la préciser. Pourtant, selon Solange
Lefebvre, « […] le besoin même de l’usage d’un qualificatif cherchant à positiver le
concept révèle sa nature problématique2 ». Or, cet enchevêtrement d’acceptions extensibles
de la laïcité n’est pas sans définir également les tâtonnements des Québécois dans leur
propre appropriation du concept. Ainsi le Québec se retrouve-t-il avec, dans les mains, un
mot sacoche qui laisse un arrière-goût, si l’emploi de l’expression nous est accordé, de
« patate chaude ».
2 Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). Le programme d’éthique et culture
religieuse : de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec : Presses de l’Université Laval,
2012, p. 91
10
Au Québec, en effet, un processus de métamorphose institutionnelle s’accomplit en
synchronisme avec une réflexion de fond portant sur le modèle à adopter pour
l’aménagement, à l’échelle sociale, d’un espace commun qui permettrait l’émergence d’une
culture publique se nourrissant d’un corpus de valeurs partagées3. Le modèle qui s’impose
au vu de cet idéal est la laïcité, prometteuse sur les plans social et identitaire et
représentative des mutations paradigmatiques éducatives en cours. D’une perspective
éthique, la laïcité peut être entendue au sens d’une « position universelle qui enchâsse la
reconnaissance et la cohabitation des différences4 ». Elle signifie également que les
pouvoirs religieux et politique ne sont pas liés dans un rapport d’influence. En
conséquence, l’État ne pourrait ni prescrire une religion, ni appliquer des principes au nom
d’une religion, ni tenir une position antireligieuse.
Il convient de préciser que les paramètres du cadre normatif octroyé par la laïcité
devant déterminer son degré de rigidité sont autant de variables qui établissent une
multiplicité de façons de s’approprier le concept. Comme l’indique Denis Jeffrey à ce sujet,
la laïcité est une réalité plurielle, « à l’image des modernités5 ». Il n’est donc pas suffisant,
pour une société, de s’affirmer laïque, encore faut-il qu’elle détermine le mode
d’application de ce concept polysémique. La laïcité peut en effet être entendue au sens strict
ou de façon plus permissive, selon ce que l’on entend par la prémisse de séparation entre
l’État et la religion. L’acception stricte du concept signifie globalement que la religion doit
être totalement évacuée de toutes les sphères de l’État, relayant du coup la religion à la
sphère privée exclusivement. C’est ce dont parle ironiquement Lefebvre en parlant d’une
« solution magique » qui repose sur un « refoulement du religieux dans les marges de la vie
privée6 » qui a pour résultante une atténuation superficielle des effets néfastes de la
religion. L’acception permissive de la laïcité élimine pour sa part la primauté d’une religion
sur les autres et est empreinte de neutralité et d’ouverture, ce qui déploie un espace croyant
« ouvert » exempt de jugement. Le concept d’égalité, intrinsèque à la laïcité, est entendu
3 Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). Le programme d’éthique et culture
religieuse : de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec : Presses de l’Université Laval,
2012, p. 1 4 Jeffrey dans Robert Mager (dir.). Religion et modernité au Québec. Québec : Presses de l’université Laval,
p. 254 à 262 5 Ibid.
6 Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.), op. cit., p. 89
11
différemment selon les deux acceptions. En vertu de la première, l’égalité est effective sur
la base de la fermeture à toute forme de démonstration ou de présence religieuse dans
l’espace public. Selon la seconde, l’égalité ouvre un espace à l’affirmation et à la
manifestation des convictions. La compréhension de cette même valeur fondamentale et
fondatrice des sociétés modernes démocratiques peut donc elle-même être décomposable au
point de donner lieu à des applications tout à fait variées.
Le cas québécois est à ce sujet parlant. À l’issue de la Révolution tranquille, la
société avait tacitement fait le choix d’une laïcité permissive prenant acte de la diversité et
laissant place aux manifestations religieuses multiples. Pour Jeffrey, celle-ci se porte à la
« défense du pluralisme religieux dans l’espace public contre la domination de l’une ou
l’autre des confessions religieuses7 ». Elle contraint par conséquent l’État à la neutralité sur
les affaires religieuses. Cette option n’avait toutefois pas été institutionnellement
officialisée, ce qui signifie que la laïcité n’est à ce jour définie dans aucun document d’État,
charte, texte de loi, etc., pas plus évidemment que les conditions de son application. Le
projet qui a d’abord été proposé sous le libellé de « Charte des valeurs québécoises » par le
Parti québécois en septembre 2013 avait précisément pour objectif d’ajouter une dimension
législative à ce principe. Le projet de loi déposé le 7 novembre et ayant pour titre Charte
affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre
les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodements cristallise la
compréhension qu’a le Parti québécois du principe de laïcité. Une définition correspondant
à l’acception stricte du concept, notamment en vertu de l’intention d’interdire le port de
signes religieux visibles à tous les employés de l’État. Sur la base de la neutralité de l’État,
le Parti québécois souhaite donc niveler les comportements à l’aune d’une prohibition dite
égalitaire, en d’autres mots énoncer les principes d’une bienséance religio-
comportementale. Il est aisé de constater l’écart entre cette vision de la laïcité basée sur la
neutralité des agents de l’État et celle qui infère que l’État, puisque neutre, ne doit pas
s’ingérer dans la chose religieuse. D’une égalité basée sur le libre-exercice de ses
croyances, le Québec glisserait donc vers une négation égalitaire de la religion.
7 Jeffrey dans Robert Mager (dir.), op. cit.
12
Au Québec s’inscrivent des défenseurs d’une laïcité « ouverte égalitaire formelle »
dans la mouvance de Micheline Milot alors que Yvan Lamonde se fait porte-étendard d’une
frange prônant une laïcité plus restrictive8. Or, c’est dans le rapport Proulx que le modèle
laïc québécois s’était finalement dessiné dans une perspective d’ouverture. La proposition
de ce cadre normatif apparaissait alors comme le terreau pour la mise en œuvre de
l’enseignement culturel du fait religieux souhaité par le Groupe de travail sur la place de la
religion à l’école9. Cette laïcité ouverte, bien que témoin d’un processus de sécularisation
enclenché depuis 1960, n’était pas caractérisée par l’éviction de la religion : elle était celle
de sa multiplication et, parallèlement, de l’individualisation de la quête de sens10
. Parce
qu’elle était basée non pas sur le « refus du religieux ou de la conviction », mais sur
l’« accueil de la différence dans un monde de respect et de droit11
», elle pouvait tout aussi
bien être qualifiée de laïcité positive, de collaboration, de neutralité ou de dialogue.
Or, notons que la récente résolution prise par le Parti québécois de redéfinir les
valeurs partagées au Québec vise précisément à raffiner les contours de ce type de laïcité.
En effet, d’abord présenté sous l’éloquent nom de Charte de la laïcité, ce projet a ensuite
été soumis à la population dans une forme plus globalisante, à savoir en tant que Charte des
valeurs québécoises. Ce document visant à « clarifier le contrat social12
» se divise en deux
volets, le premier portant sur une gestion plus stricte des accommodements religieux, et le
second sur la neutralité de l’État. Définie par l’équipe Marois comme étant un mode
d’organisation de l’État basé sur la séparation des religions et de l’État, la neutralité sur le
plan religieux et l’égalité entre les citoyens, la laïcité serait désormais inscrite dans la
Charte québécoise des droits et libertés13
. La définition émise n’a certes rien de réellement
original, si ce n’est que l’un de ses moteurs d’application serait l’interdiction du port de
signes religieux visibles pour tous les travailleurs de la fonction publique. C’est en effet
8 Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). op. cit., p. 85
9 Ibid.
10 Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). op. cit., p. 2
11 Georges Leroux. Éthique, culture religieuse, dialogue : arguments pour un programme, Saint-Laurent,
Québec : Fides, 2007, p. 14 12
Gouvernement du Québec. Nos valeurs, [En ligne] http://www.nosvaleurs.gouv.qc.ca/fr#neutralite (page
consultée le 12 septembre 2013) 13
Ibid.
13
cette dernière restriction qui laisse entrevoir le souhait du gouvernement de s’approprier
une acception plus restrictive du principe de laïcité.
Quoiqu’il en soit, c’est au croisement de la sécularisation de la société avec le choix
d’une laïcisation ouverte de l’école publique caractéristique de l’ère pré-Marois que naissait
le programme d’ÉCR en 2008, dont le fondement paradigmatique était le résultat d’une
entière révision du schème éducatif antérieur. Du discours intérieur qui assurait autrefois la
transmission d’un savoir religieux unique, on a migré vers un discours à propos de la chose
religieuse. En effet, c’est face à une propre redéfinition sur le plan de l’identité,
conséquence d’une poussée du pluriel entre autres, que le besoin d’adopter une approche
scientifique permettant d’aborder la réalité de la diversité est apparu. C’est cet impératif
que décrit Mireille Estivalèzes en affirmant que c’est dans « la tension entre le soi, l’autre
et le nous que le programme ÉCR doit être compris […]14
».
B. Éthique et culture religieuse : la genèse théorique d’un programme
Effectuons donc la genèse d’un programme issu de préoccupations portant sur
l’aspect confessionnel des institutions scolaires et de considérations pour le droit
fondamental du respect des libertés de conscience et de religion. Bien que pleinement
conscients de l’apport significatif de la Révolution tranquille et du Rapport Proulx à
l’évolution des structures scolaires québécoises, nous faisons sciemment le choix d’établir
en 199315
le préambule du processus qui donnera lieu à l’implantation du cours d’ÉCR,
alors que le Conseil supérieur de l’éducation présidé par Robert Bisaillon, désireux
d’inscrire l’enseignement dans le contexte du déverrouillage confessionnel, proposait
d’explorer « la piste d’un enseignement, à la fois moral et religieux, de type culturel à ceux
qui le désirent16
». La contribution subséquente de différents groupes de travail sera
nécessaire pour que la démarche enclenchée aboutisse finalement à la création du
programme d’ÉCR, mais il était alors déjà possible d’entrevoir les éléments qui
constitueraient le socle et la substance même du cours tel qu’il est connu et actuellement
14
Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). op. cit., p. 6 15
Pour une représentation complète du processus, consulter l’Annexe. 16
Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis. Les défis de la formation à l’éthique et à la culture religieuse, Québec :
Les Presses de l’Université Laval, 2008, p. 8
14
dispensé. En effet, à la fois les dimensions morale et religieuse sont-elles présentes (elles
subiront par la suite, il va de soi, des mutations sur le plan paradigmatique), en plus d’une
perspective culturelle, réel élément de nouveauté évoquant les changements socioculturels
marquant le Québec moderne. L’appellation « culture religieuse » démontre elle-même une
détermination à s’éloigner d’un enseignement confessionnel de la religion pour se
rapprocher davantage, à l’intérieur d’un « cadre conceptuel emprunté à l’anthropologie et à
l’histoire des religions17
», d’un enseignement de type culturel des religions ou du fait
religieux.
Trois ans après l’enclenchement de cette démarche réflexive marquée par
l’exploration de besoins relatifs à un enseignement culturel du fait religieux, soit en 1996,
la Commission des États généraux sur l’Éducation est mise sur pied. Toujours conduite par
Robert Bisaillon, on y verra se radicaliser la suggestion émise par le Conseil supérieur. Dès
lors, le déverrouillage du système confessionnel doit passer par la laïcisation complète des
institutions scolaires, des établissements et des enseignants18
. La déconfessionnalisation des
commissions scolaires est donc décrétée en 1997 et pavera la voie à celle subséquente de
l’ensemble des structures éducatives gouvernementales et des écoles publiques. On met
également en lumière l’importance d’élaborer des contenus d’apprentissage relatifs au
phénomène religieux, puis d’accomplir une restructuration des curriculums.
C’est dans cette perspective de mutations curriculaires que s’enclenche une
démarche institutionnelle sous la tutelle ministérielle de Pauline Marois munie d’une ferme
résolution de « gérer les attentes religieuses dans la perspective d’une société pluraliste
ouverte, dans le sens d’une démarche progressive et dans le respect de l’histoire et de la
culture québécoises19
». Alors que le choix de la confession étudiée demeure possible, on se
questionne sérieusement sur la pertinence que revêtirait l’intégration dans les écoles d’un
programme unique visant une formation au sujet du phénomène religieux. C’est par la suite
en 1999 que ces considérations seront soumises au Groupe de travail sur la place de la
17
Nancy Bouchard. Éthique et culture religieuse à l’école, Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2006,
p. 9 18
Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis op. cit. 19
Ibid.
15
religion à l’école, présidé par Jean-Pierre Proulx, duquel émergera en 2000 la conclusion
suivante :
La religion peut avoir une place à l’école, comme contribution à l’éducation intégrale
de l’enfant, dans la mesure où son aménagement respecte la norme de l’égalité
fondamentale des citoyens et qu’elle favorise l’atteinte des buts qui sont nécessaires à
la formation des citoyens et à la construction du lien social20
.
Au demeurant, le groupe de travail se prononce en faveur de la laïcisation des institutions
publiques et de la mise sur pied d’un enseignement culturel des religions. C’est finalement
pour donner suite aux recommandations du Groupe de travail sur la place de la religion à
l’école qu’un comité chargé d’examiner la question du phénomène religieux est formé. En
vue de l’instauration d’un programme arrimé aux préoccupations soulevées par celui-ci, le
comité élabore un corpus de principes directeurs permettant d’agir à titre de référents. Selon
le principe dominant, le programme doit s’adresser « à tous les élèves, quelles que soient
leurs options et celles de leurs parents sur le plan religieux21
», prémisse issue du respect de
la liberté de conscience et de religion de chacun et de la reconnaissance de l’égalité de tous
les élèves22
. L’idéal d’égalité est donc omniprésent tout autant, il va de soi, que l’ambition
d’évacuer toute forme de discrimination basée sur la culture ou la religion. La nature même
de ce principe déloge de facto tout enseignement confessionnel visant à entretenir une
idéologie particulière et à encourager quiconque à s’engager singulièrement dans une
confession ou à adhérer à un courant de pensée plutôt qu’à un autre23
. Des principes
secondaires émanent du précepte principal énoncé et portent sur divers aspects ou
dispositions à mettre en place pour une intégration positive de ce dernier. On parle d’abord
d’emprunter et d’appliquer la perspective propre aux sciences humaines, de rendre compte
de la diversité des courants de pensée (religieux ou séculiers), de souligner l’importance de
la tradition chrétienne au sein du programme, de considérer le pluralisme dans la société
québécoise et, enfin, d’accorder une attention au développement cognitif des élèves et à la
diversité possible des intérêts. En concordance avec l’idée de base évoquée précédemment,
ces principes directeurs de second plan véhiculent tout à la fois des indications concernant
20
Ministère de l’Éducation (Micheline Milot et Jean-Pierre Proulx). Les attentes sociales à l’égard de la
religion à l’école publique (Rapport de recherche), Gouvernement du Québec, 1999, p. 200 21
Comité sur l’éducation au phénomène religieux. L’enseignement culturel des religions : principes
directeurs et conditions d’implantation, Gouvernement du Québec, 1999, p. 8 22
Ibid. 23
Ibid.
16
la finalité du futur programme, les contenus d’apprentissage souhaités et les moyens à
privilégier.
Aussi le Groupe de travail s’approprie-t-il l’ensemble de ces recommandations
émises par le Comité sur l’éducation au phénomène religieux et les intègre à sa démarche.
Ces préoccupations le mènent au final à se prononcer en faveur de l’option qui s’avère
selon lui la plus souhaitable au regard de la mise sur pied d’un nouveau programme
d’enseignement, visant à offrir à tous les élèves un « enseignement de type culturel en lieu
et place des enseignements confessionnels24
». En effet, cette option apparaît aux yeux du
Groupe de travail plus valable que les deux autres propositions envisagées, c’est-à-dire de
préconiser un système d’option entre des enseignements de type confessionnel ou culturel,
ou d’éliminer simplement l’enseignement religieux au profit d’un enseignement moral.
Selon les membres du groupe, c’est celle qui au demeurant présente le plus d’avantages sur
le plan social.
Son rapport achevé, le Groupe de travail transmet ses recommandations au ministre
de l’Éducation pour que celles-ci soient débattues publiquement. On remarque alors un net
consensus en faveur de la déconfessionnalisation du système scolaire global, mais on note
qu’il en est autrement à propos des recommandations concernant la mise sur pied d’un
programme d’enseignement culturel des religions. Le ministre de l’Éducation de l’époque,
François Legault, opte alors pour une « démarche progressive qui respecte l’évolution des
mentalités et des milieux25
». Il convient de préciser que le ministre signale que
concrètement, le primaire et le premier cycle du secondaire ne seront pas immédiatement
touchés par les modifications curriculaires relatives à l’enseignement des religions, mais
qu’un cours obligatoire d’enseignement culturel des religions remplacera le régime
d’option au deuxième cycle du secondaire. Également, des modifications notoires seront
apportées à la Loi sur l’instruction publique (loi 118) et subséquemment aux chartes
québécoise et canadienne en ce qui a trait à l’égalité quant à la liberté de religion et de
conscience.
24
Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis op. cit., p. 12 25
Ministère de l’Éducation. Dans les écoles publiques du Québec : une réponse à la diversité des attentes
morales et religieuses, Gouvernement du Québec, 2000, p. 5
17
En 2005, le Conseil supérieur de l’éducation promulgue un avis selon lequel il serait
souhaitable que le ministère de l’Éducation rende effectives les recommandations
prononcées précédemment annonçant les modalités d’une réforme de l’enseignement
confessionnel de la religion ainsi que les moyens prévus pour la mettre en œuvre. En
réaction à cette exhortation, le Ministère de l’Éducation réagit rapidement en avisant la
population de la création d’un nouveau programme d’ÉCR qui doit entrer en vigueur à
compter de l’automne 2008 et qui repose sur quatre grands préceptes, soient la continuité
des apprentissages, leur enracinement dans la réalité et la culture des jeunes du Québec, le
respect de la liberté de conscience et de religion et la préoccupation du vivre-ensemble26
.
La stratégie envisagée est d’implanter les apprentissages dans la réalité immédiate de
l’élève de manière à ce qu’il s’approprie des éléments du fait religieux qui le concernent,
pour qu’il soit, dans une ultime mesure, enclin à laisser « élargir ses horizons27
». On
souhaite plus précisément qu’il soit attentif au patrimoine qui est le sien et aux valeurs qui
marquent sa société, autant qu’aux apports de l’implantation de religions issues des
courants d’immigration. À cet effet, des précisions sont apportées à l’intérieur du document
d’information relatif à la mise en place du programme d’ÉCR à propos de la posture qu’un
enseignant doit adopter afin que les préoccupations soulevées soient honorées.
Globalement, celui-ci doit se montrer vigilant quant au respect des valeurs, des croyances et
des convictions familiales que chaque élève transporte inévitablement en classe. Pour ce
faire, dit-on, l’enseignant est appelé à imprégner sa pratique d’objectivité et d’impartialité
professionnelle.
Au regard des principes énoncés, il va de soi en effet que l’enseignant d’ÉCR ne
doit en aucune manière agir lui-même en tant que porteur et diffuseur de croyances ou de
valeurs. Or, si le respect des convictions familiales et l’impartialité de l’enseignant
semblent constituer le socle éthique du programme, comment réagir lorsque les idées
familiales véhiculées par le biais des élèves en classe sont empreintes de violence, de
discrimination ou de racisme? Comment accepter l’inacceptable? Dans quelle mesure des
26
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. La mise en place d’un programme d’éthique et de culture
religieuse : une orientation d’avenir pour tous les jeunes du Québec, Gouvernement du Québec, 2005, p. 5 27
Ibid.
18
convictions basées sur le rejet d’autrui doivent-elles être respectées? Ces questionnements
font le pont entre la problématique qui a été formulée d’entrée de jeu à propos de
l’enseignement de la différence religieuse et les fondements du programme.
C. Les visées du programme
Avant même de penser entrevoir les enjeux relatifs à la mise en place du programme
d’ÉCR, il nous apparaît incontournable de jauger les potentialités qu’il renferme quant au
cheminement de la société québécoise sur le plan identitaire autant que culturel. Passage
obligé, une redéfinition des curriculums scolaires porteuse de visions et d’ambitions
renouvelées était inévitable au regard des mutations sociales marquant le Québec tout
comme l’ensemble des métropoles caractérisées par le phénomène d’hétérogénéisation
culturelle. À ce sujet, Nancy Bouchard propose une esquisse de l’état actuel de la société
québécoise en parlant des tensions et des défis que présente la coexistence désormais
inéluctable des cultures dans une « société pluraliste traversée par les phénomènes de
métissage culturel et de mondialisation28
». Au vu de ce diagnostic, Bouchard soutient que
la connaissance des références religieuses comme agents de structuration des identités
devient essentielle, plus précisément parle-t-elle à cet égard d’une exigence éthique, voire
d’une exigence citoyenne29
. En d’autres mots, connaître les éléments constitutifs de notre
héritage culturel est nécessaire, tout autant que l’est l’ouverture aux éléments qui forgent le
patrimoine culturel à venir. Ainsi la religion dépasse-t-elle l’individualité pour devenir au
demeurant un enjeu collectif, ce qui s’impose en tant que principe-clé en vue de la pleine
compréhension des orientations du programme d’ÉCR. Bouchard aborde cet impératif en
soulignant qu’il nous faut « établir un cadre de pensée favorisant l’intelligence des
convictions et la volonté de coexistence au sein de la Cité30
», revendications qui prennent
corps dans les dispositions activées par l’intégration du cours à la formation des jeunes
Québécois.
Or, les documents officiels relatifs à la mise en place du programme ne manquent
pas de préciser ces orientations ministérielles et de justifier la démarche entamée. Plus
28
Nancy Bouchard op. cit., p. 11 29
Ibid. 30
Ibid.
19
précisément, la finalité initiale du programme d’ÉCR est l’atteinte du vivre-ensemble, et
c’est vers elle que convergent les autres orientations. « Favoriser le vivre-ensemble », ainsi
se définit donc l’ultime défi du programme, mené par des enseignants qui seront les porte-
étendards de cette ambition qu’ils devront s’approprier pour qu’elle devienne une
préoccupation professionnelle si importante qu’elle agira à titre de principe directeur dans
leur pratique. À cet effet, le Comité sur les affaires religieuses précise que le rôle de
l’enseignant doit en être un de passeur de culture religieuse (et non de religion au sens de
confession)31
de manière à guider ses élèves dans un espace de découverte, de curiosité et
d’intérêt pour la différence. Il doit les amener, en somme, à dépasser l’incompréhension et
le jugement pour qu’ils deviennent, progressivement, en mesure de s’approprier la réalité
sociale qui est la leur et d’évoluer positivement dans le cadre de la pluriethnicité.
Ainsi la réputation du cours est-elle à refaire : dangereux aux yeux de certains
parents et ennuyeux à ceux des élèves, l’image du cours est blessée par le précédent
programme d’enseignement moral et religieux qui assurait, à travers un discours de
l’intérieur, l’évolution de l’enfant dans la foi. Il appert donc capital de refonder l’image du
programme en insistant sur l’angle culturel sous lequel est abordé le fait religieux. Ce
dernier a toutefois mauvaise presse auprès des parents catholiques qui auraient souhaité le
maintien d’un enseignement à la foi et qui entretiennent une peur face à l’effet dit
« kaléidoscope32
» du cours, puis auprès des mouvements laïcs, tenants d’une laïcité ferme,
qui voudraient à l’opposé voir disparaître toute empreinte religieuse du cursus scolaire des
élèves. Ces deux groupements aux visions diamétralement opposées se rallient
paradoxalement au sein d’une coalition qu’Estivalèzes qualifie d’« hétéroclite33
» dont la
revendication serait ironiquement à la fois moins et davantage de religion à l’école.
L’observation primaire de ce phénomène semble mettre en lumière l’existence de deux
modèles scolaires dans le champ des convictions, à savoir l’enseignement confessionnel ou
le silence complet, desquels la délibération démocratique est évacuée34
. Pourtant, pallier
31
Comité sur les affaires religieuses. Le programme d’éthique et culture religieuse : avis à la ministre de
l’Éducation, du Loisir et du Sport, Gouvernement du Québec, 2007, p. 12 32
Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 17 33
Ibid. 34
Guay et Jutras dans Fernand Ouellet (dir.) Quelle formation pour l’éducation à la religion? Québec : Les
Presses de l’Université Laval, 2005, p. 15
20
aux problèmes créés par l’enseignement confessionnel par le vide n’apparaît certainement
pas comme la solution, comme l’indique Régis Debray : « […] la relégation du fait
religieux hors des enceintes de la transmission rationnelle […] favorise la pathologie du
terrain au lieu de l’assainir35
». Il serait donc souhaitable que l’approche épistémologique du
fait religieux soit portée à la perception de l’ensemble de la population de façon à ce l’on
soit en mesure de saisir la différence entre croyance et savoir36
, distinction fondamentale
qui schématise le passage entre le révolu cours d’enseignement religieux et le présent
programme d’ÉCR.
1.2 LA DIFFÉRENCE
La problématique formulée dans la partie précédente est articulée autour de la
question de la différence, vocable qui renvoie largement à l’idée de reconnaissance de
l’Autre telle que proposée par les auteurs du programme d’ÉCR et qui est la substance
même des sociétés plurielles. Nous préciserons donc d’abord l’acception de la différence
qui sied à notre problématique de recherche, nous en élaborerons ensuite une définition
congruente, puis nous établirons l’apport du contexte social à la représentation de ce
concept avant de démontrer que la compréhension de la différence est indissociable de la
conception que nous avons de l’Autre. Nous aborderons en dernier lieu l’idée de tolérance
comme étant une épine au pied de l’éducation à la différence.
A. « Quelle » différence?
Il importe d’abord de rendre compte de la nature composite du concept de
différence. En effet, elle n’est pas exclusivement culturelle ou religieuse, bien que l’on
réfère souvent a priori à cette acception, comme le signalait Miguel Simao Andrade dans le
cadre de sa conférence La tolérance : sens, pertinence et limites d’une notion
35
Régis Debray. L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque : rapport au ministre de l’Éducation
nationale, Paris : Odile Jacob (Scéren), p. 26 36
Dominique Borne et Jean-Paul Willaime. Enseigner les faits religieux : quels enjeux? Paris : Armand
Collin, 2007, p. 123
21
problématique37
. Elle s’incarne plutôt de façons variées et apparaît comme une notion aussi
complexe que peut l’être celle de l’identité humaine. Aussi Dominique Leydet établit-elle à
l’intérieur d’une démarche typologique trois catégories de groupes portant le sceau de la
différence et généralement caractérisés par des revendications collectives : les groupes
historiquement désavantagés (gais, femmes, handicapés, etc.), les groupes d’immigrants et
les minorités nationales (communautés historiques)38
. Ces spécificités, ou multiples
« façons d’être humain », agissent certainement comme des particules identitaires
fondatrices ou constitutives. Comme l’indique ironiquement Strauss à ce titre, si la
différence est en chacun, l’ennemi est partout, donc la concurrence, générale39
.
Si les particularités physiques, sociales, culturelles, identitaires ou idéologiques sont
autant de types de différences qui méritent d’être examinées, il convient toutefois, dans le
cadre de notre travail, d’éviter de les traiter de front pour plutôt circonscrire la question de
façon à faciliter l’émergence de considérations éducatives pratiques. Ainsi, dans le but
d’effectuer un exercice réflexif qui se limite au spectre des systèmes de valeurs, nous
entendons traiter essentiellement de la diversité éthique et des spécificités religieuses, axes
qui prennent corps au sein d’une perspective globale de différence culturelle. Nous nous
attarderons donc plus précisément au constat de la différence culturelle dans les sociétés
complexes hétérogènes marquées, comme l’indique Jacqueline Costa-Lascoux, par le
multiculturalisme40
.
La désignation de cet aspect de la différence comme pierre angulaire de nos
recherches est explicable par trois considérations. D’abord, la typologie élaborée par
Leydet nous a menés à rejeter, en tant qu’objet d’étude, la catégorie des groupes
historiquement désavantagés, puisque la reconnaissance des droits de ces groupes de
personnes n’est plus négociable et fait consensus. Les deux autres catégories, les
37 Miguel Simao Andrade. « La tolérance : sens, pertinence et limites d’une notion problématique » dans le
cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse, 2012 38
Leydet dans Daniel M. Weinstock (dir.). Le défi du pluralisme, Montréal : Département de philosophie
(UQAM), 1993, p. 116 39
Michel Meyer. Petite métaphysique de la différence : religion, art et société, Paris : Livre de Poche, 2000,
p. 120 40
Costa-Lacoux dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité :
diversité des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 54-55
22
immigrants et les minorités nationales, pour leur part indissociables d’univers symboliques
multiples et complexes se superposant à un système de valeur déjà établi, émettent des
revendications qui méritent en contrepartie d’être examinées avec une nuance prometteuse
sur le plan pédagogique. Ensuite, parce que résolument d’actualité, la différence culturelle
est la substance même d’une société plurielle et marque de nombreux débats récents (tels
que celui relatif aux accommodements raisonnables) qui alimentent par ailleurs un vif
phénomène de polarisation de l’opinion publique. Enfin, en raison des passions qu’elle
engendre, la différence culturelle joue un rôle de premier plan dans la cristallisation des
revendications identitaires des peuples qu’elle concerne. En effet, soupeser la différence
culturelle nous mène naturellement sur la piste des normes et des valeurs assumées par les
individus, de leurs mœurs et de leurs coutumes, puis de leur identité. Luc Vigneault
soutient à cet égard que « […] l’univers des convictions constitue le fondement des valeurs
qui orientent l’action41
. » Ces fondements, qu’il qualifie de « convictionnels », rassemblent
les préférences morales et politiques d’un individu et sont souvent tributaires de ses
conceptions religieuses. C’est en somme au contact de ces éléments, réels moteurs
axiologiques, que la différence culturelle devient un objet sensible tant à l’échelle sociale
que dans l’environnement scolaire.
Or, la question de la différence possède, selon la compréhension que nous en avons,
deux applications principales, à savoir la revendication de celle-ci (émise par le groupe ou
l’individu qui la porte) et la réaction qu’elle provoque chez le groupe majoritaire qui la
reçoit (à ce propos, nous aborderons plus loin la typologie établie par Lüsebrink). Cette
double activation de la différence est entre autres susceptible de donner lieu à la plainte
d’une société d’accueil craignant que son intégrité ne soit menacée ou à divers mouvements
mis en place par des groupes culturels réclamant la reconnaissance de leurs droits. Dans les
deux cas, la différence apparaît indissociable d’un mécanisme d’affirmation.
Aussi convient-il de noter, pour être à même de comprendre le rapport de l’un à la
culture de l’Autre, que la construction faite d’une culture et de ses représentants par le
41
Vigneault dans Fernand Ouellet (dir.) Quelle formation pour l’éducation à la religion? Québec : Les
Presses de l’Université Laval, 2005, p. 181
23
premier est déterminée par une superposition de transferts sur les plans discursif et
symbolique42
. Cela revient à dire que la représentation que l’un construit de la culture de
l’Autre est unilatérale, c’est-à-dire qu’elle est élaborée à partir du point de vue émanant du
soi qui est à la fois basé sur le vécu et des présomptions à propos des objets de culture qu’il
évalue. Pour cette raison, la culture est paradoxalement souvent mobilisée comme un
élément clé de la suppression de toute communication interculturelle43
. Il convient à cet
effet de noter que Michel Oriol propose, afin de délier cette situation cul-de-sac, de recourir
aux valeurs, de réhabiliter l’éthique et d’approfondir la connaissance des faits d’ordre
interculturel afin de protéger la spécificité de la culture, valeur selon lui fondamentale44
. À
cet égard, Fernand Ouellet mentionne le rôle central joué par les mouvements
multiculturels au regard de la légitimation de la diversité, qu’il s’agisse de diversité
ethnoculturelle ou religieuse, ou d’une diversité basée sur les objets de différenciation
cités45
.
Employons-nous maintenant à définir l’épicentre de notre problématique, à savoir la
question de la différence culturelle. La littérature proposant des considérations
philosophiques ou sociales à propos de ce sujet abonde, ce qui pose le piège de la profusion
sémantique, voire de la généralité. L’exercice de définition de la différence nous oriente
d’abord de manière spontanée sur des pistes lexicales comme la diversité, l’altérité, le
particularisme et la spécificité. Pour André Brassard, la notion de diversité s’exprime par
des réalités diverses qui sont en relation les unes avec les autres46
. Cette perspective, bien
qu’incomplète selon nous, présente néanmoins la conception utile selon laquelle il doit y
avoir relation entre plus d’un individu pour qu’il y ait présence de différence. En effet, la
différence ne peut être affirmée comme telle que si l’objet dont il est question se trouve
dans un contexte de rapport ou de comparaison. On peut simplifier cette idée en affirmant
qu’une réalité n’est pas une différence si elle est vécue dans un milieu qui la considère
42
Lüsebrink dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité :
diversité des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 89 43
Oriol dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité : diversité
des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 3 44
Ibid., p. 3-4 45
Fernand Ouellet. Les défis du pluralisme en éducation : essais sur la formation intellectuelle, Québec : Les
Presses de l’Université Laval / Paris : L’Harmattan, 2002, p. 85 46
Brassard dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité :
diversité des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 315
24
comme une norme. Ainsi peut-on déjà affirmer que la différence est une conception relative
et changeante. Elle ne correspond pas à un caractère absolu ni à un a priori. Au contraire,
elle est corrélative au milieu, ce qui nous pousse à dire qu’il existe autant de différences
que de milieux, d’individus et de perceptions.
En outre, Costa-Lascoux présente la différence comme un synonyme d’altérité ou
en tant qu’expression plus radicale d’un particularisme47
. Cette définition évoque la
relativité de cette notion, mais soulève aussi l’idée que cette dernière, pour être considérée
comme telle, doit être exprimée de façon radicale. Cette perspective suggère toutefois que
la différence jette les bases de l’identité d’un individu ou d’un groupe d’individus. Or, une
particularité physique, une coutume, une façon de s’exprimer, etc. ne caractérisent pas
l’intégralité d’un être, mais n’en définissent qu’une partie. Comme aime l’indiquer Amin
Maalouf à ce propos, l’identité est une construction aux multiples facettes et les facteurs
d’appartenance d’un individu qui la composent sont des réalités mouvantes qui
s’additionnent. En ce sens Maalouf ne s’éloigne-t-il pas de la perspective hégélienne qui
suggère que « penser la différence comme interne à l’identité, c’est en effet penser le
mouvement même de la vie48
», cette dernière n’étant elle-même saisissable qu’à travers la
multiplicité des choses de la nature, selon Héraclite.
Enfin, Oriol définit ainsi la différence : « façon originale d’être humain dont chaque
groupe porte la capacité, modelée par son histoire séculaire49
». Ces références au
« groupe » et à l’« histoire séculaire » renvoient exclusivement à l’aspect culturel de la
différence. Cette définition nous apparaît donc opérante, bien que comme susmentionné,
nous assumions que la différence ne soit pas uniquement culturelle. La formule qu’emploie
l’auteur, cette « façon originale d’être humain », est par ailleurs congruente puisqu’elle
s’écarte d’une acception négative de la différence. Porteuse d’une représentation
résolument positive, elle s’inscrit dans un esprit de recherches éducatives au regard de
l’enseignement de la différence et nous apparaît nettement plus constructive. Elle met
également en relief le paradoxe humain des différences individuelles faisant de chaque
47
Costa-Lascoux dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). op. cit., p. 55 48
Françoise Dastur. Philosophie et différence, Chatou : Les Éditions de la Transparence, 2004, p. 62 49
Oriol dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). op. cit., p. 3
25
individu un être autonome et singulier bien qu’appartenant à une commune identité
humaine.
À la lumière de ces considérations, nous nous permettons donc de proposer une
définition de la différence, que nous souhaitons penser en tant que conception relative à la
diversité des manières d’être humain. Cette représentation convient à l’esprit dans lequel
nous souhaitons penser la différence d’entrée de jeu, l’examiner par la suite à travers le
prisme de l’enseignement d’ÉCR et, finalement, être à même de circonscrire un mode sous
lequel l’enseignant peut l’aborder en classe. Reconnaître d’emblée la relativité de la
question de la différence et admettre qu’il existe effectivement une pluralité de façons de
s’inscrire dans l’humanité sont des postures qui, nous le croyons, favorisent la recherche de
solution plutôt que d’alimenter un discours infertile basé en premier lieu sur les
dissimilitudes patentes.
B. La résonnance de la différence selon les milieux
Par ailleurs, il va de soi que parler de la différence ne trouve pas le même écho dans
tous les contextes. En effet, il n’est possible de faire allusion à ce qui est différent qu’en
rapport à un ensemble d’éléments qui, ensemble, constituent le commun ou, pour employer
les termes de Guy Bourgeault et Linda Pietrantonio, un « univers symbolique dominé par le
majoritaire50
». Ainsi aborderons-nous le différent comme étant ce qui ne correspond pas au
majoritaire, ce qui peut de prime abord paraître marginal. Or, de manière à pouvoir user de
termes tels que « majorité » ou « homogénéité », une description du contexte type qui nous
intéresse particulièrement apparaît incontournable pour une pleine compréhension des
considérations à venir. En effet, poser le problème de l’enseignement de la différence
culturelle à Montréal, par exemple, aurait une tout autre résultante que de réaliser l’exercice
aux vues du reste du Québec. À ce propos, le Québec apparaît à Ouellet scindé en deux sur
le plan de la culture : d’une part, la métropole montréalaise marquée par une diversité
ethnoculturelle confirmée, d’autre part, les régions desquelles elle est pratiquement absente.
L’homogénéité culturelle étant dans le premier cas inexistante, l’altérité religieuse le
50
Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé. Pluralisme, citoyenneté
& éducation, Montréal/Paris : L’Harmattan, 1996, p. 239
26
devient pour ainsi dire tout autant, ou du moins elle en vient à constituer la norme. En
revanche, au sein d’un milieu qui demeure peu – quoique de plus en plus – marqué par
l’immigration et le phénomène de diversification culturelle, la présence de l’Autre apparaît
nettement plus confondante et marginale. C’est donc dire que la différence est une réalité
constituée dans le cadre de rapports sociaux spécifiques51
et qu’elle est aussi immatérielle
que contingente.
Or, spécifions qu’aucune société n’étant réellement imperméable aux mouvements
migratoires, la région de Québec est bien loin d’échapper au phénomène de prolifération
culturelle caractéristique de la grande majorité des métropoles occidentales, ou à ce que
Michel Maffesoli qualifie d’« irrépressible poussée du pluriel dans nos sociétés52
». Non
seulement l’auteur s’exprime-t-il en ces termes pour souligner que l’hétérogénéisation des
sociétés apparaît en soi comme une source de tensions inéluctables contribuant à un
dynamisme culturel, mais également – et surtout – pour démontrer qu’elle agira en tant que
matrice des valeurs sociales à venir et comme source certaine d’enjeux capitaux
prochains53
. Il nous paraît à cet égard essentiel de garder en tête, tout au long de nos
recherches, que le contexte social qui accueille nos réflexions, à savoir le Québec excluant
la région de Montréal, est en évolution constante du point de vue de la diversité ethnique et
que, de ce fait, notre référent n’est pas résolument immuable. En fait, c’est peut-être même
aux vues de mutations annoncées et pressenties qu’aborder un sujet tel que l’enseignement
de la différence sera à même de prendre corps et de devenir d’autant plus significatif.
Notons par ailleurs que le milieu homogène auquel nous renvoyons plus exactement
est celui d’une société marquée dans une très large mesure par la tradition judéo-chrétienne.
En effet, s’il est utile de le rappeler, le Québec est précédé d’un passé colonial grandement
marqué par la présence catholique, et plus tard protestante, ayant contribué à l’édification
de sa société. Longtemps arrimé aux desseins de l’Église, le Québec est donc demeuré
imprégné de l’esprit clérical pendant les décennies suivantes avant de s’en émanciper, si
51
Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé, op. cit. 52
Michel Maffesoli. Le temps des tribus : le déclin de l'individualisme dans les sociétés de masse, Paris : La
Table ronde, 2000, p. 187 53
Ibid., p. 188
27
l’emploi du terme nous est accordé. Forte de maintes mutations sociales ayant entre autres
choses transfiguré le système d’éducation au Québec, la sphère publique en est venue à se
désunir complètement du domaine spirituel. L’essentiel, en ce qui a trait à ce très court
survol du passé clérical du Québec, est de saisir que l’empreinte judéo-chrétienne constitue
beaucoup plus que des souvenirs et des traditions vaguement honorées. Elle est au cœur de
ce que certains à l’instar de Mathieu Bock-Côté et Joëlle Quérin appellent l’identité
nationale, de ce que d’autres encore évoquent en parlant d’un héritage collectif, d’un
patrimoine sacré.
Au sein d’un contexte ancré dans d’aussi solides bases judéo-chrétiennes, côtoyer
l’étranger, celui qui est issu d’un milieu dissemblable, qui est possiblement précédé d’un
passé dissonant et qui transporte avec lui des mœurs distinctes, peut intriguer, déranger,
voire choquer l’élève qui, de fait, a toujours été entouré d’une conformité somme toute
confortable. Ainsi placer les élèves devant le fait de la nouveauté religieuse par le biais de
l’enseignement, dans ce contexte, devient-il un exercice complexe. Loin de nous
évidemment la volonté de prétendre qu’évoluer dans un milieu marqué de facto par la
pluriethnicité est facilitant pour l’enseignement de la différence. Au contraire, la réalité
scolaire montréalaise est d’emblée indissociable des obstacles et contraintes inhérentes à la
confrontation nécessaire des cultures comme l’exaspération ou l’accumulation de
frustrations liées à une cohabitation obligée. En revanche, ne pas connaître l’expérience de
la diversité culturelle et religieuse au quotidien rend au demeurant improbable – du moins
inhabituelle – l’ouverture spontanée de brèches entre les cultures.
C. La conception de l’Autre
La réception de la différence culturelle par un individu est par ailleurs très
largement tributaire de la représentation qu’il se fait de l’Autre. En effet, comme
l’indiquent Guylaine Bellerose et Marguerite Lavallée, « […] ce que l’on étudie avant tout,
c’est le regard d’un Nous sur l’Autre, cet Autre étant étranger au Nous54
». Ce regard posé
sur autrui est le premier pas du processus via lequel un individu franchit l’expérience de
54
Bellerose et Lavallée dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et
altérité : diversité des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 133
28
l’altérité, processus qui peut être plus ou moins marqué par le concept proprement freudien
de « l’inquiétante étrangeté » de l’Autre55
. À ce propos, Hans-Jürgen Lüsebrink indique que
la construction d’une conception de l’Autre pose problème puisqu’elle est solidement
ancrée dans le rapport dialectique entre l’identité collective et les formes de perception de
l’altérité56
. Maffesoli utilise pour sa part le terme de « tiers » pour qualifier l’étranger dont
la présence engendre une hétérogénéité comme phénomène social marquant les sociétés
postmodernes.
Or, la représentation de l’Autre peut se construire selon l’un ou l’autre des trois
dispositifs anthropologiques inventoriés par Lüsebrink, à savoir la fascination de l’Autre, la
négation de l’Autre et la connaissance de l’Autre57
. La première posture manque de
profondeur, alors que la seconde est propice à générer des comportements tels que le
racisme, la discrimination et la xénophobie. La disposition menant à connaître l’Autre
apparaît donc assez spontanément comme la posture à favoriser, notamment dans le cadre
du cours d’ÉCR et au regard de l’éducation à la différence, plutôt que l’activation de la
prémisse républicaine d’intégration selon laquelle l’éradication de la différence est la
condition préalable à la cohésion sociale58
.
Ce que la catégorisation établie par Lüsebrink met à tout le moins en lumière, c’est
l’inéluctable croissance de la différence dans la société postmoderne et le besoin naissant
de la gérer adéquatement. Quelles que soient les attitudes qu’elle génère, elle apparaît
comme un état de fait, une réalité au regard de laquelle les sociétés sont amenées à
s’adapter, surtout au vu des divers mouvements migratoires et des processus de
globalisation inhérents à la modernité. De plus, considérant que la « crise de l’identité dans
la matrice culturelle moderne59
» force à redéfinir le rapport des sociétés à la culture et à
l’ethnicité, les formes d’exclusion et de racisme apparaissent comme des problèmes de fond
symptomatiques d’un état de fait. Ces incarnations de l’exclusion, nous le pensons, ne
prennent pas racine dans l’existence de la différence en elle-même, mais dans la crispation
55
Oriol dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 6 56
Lüsebrink dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 79 57
Ibid., p. 80-81 58
Jocelyn Maclure et Charles Taylor, Laïcité et liberté de conscience, Montréal : Boréal, 2010, p. 44 59
Lüsebrink dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 306
29
identitaire des sociétés d’accueil et dans les stratégies qu’elles déploient – ou non – pour
l’administrer. Comme le mentionne Michel Meyer, « […] les pratiques prouvaient la
différence, et faute de pouvoir la comprendre, les hommes les nations ne purent
l’accepter60
». Oriol, pour sa part, appréhende la violence et l’intolérance comme étant des
effets directs de l’affirmation de sentiments d’appartenance « trop exclusifs et trop
valorisés61
». Il affirme qu’il ne s’agit plus de spécifier scientifiquement les différences
entre groupes humains, mais de comprendre comment « se tracent et s’enchevêtrent les
frontières dessinées par les sujets individuels ou collectifs ». C’est d’ailleurs ce qui pousse
l’auteur à parler d’identités culturelles et non de cultures62
. Maalouf dénonce lui cette
dimension tribale de la posture identitaire qui incite à l’intolérance, à la domination et à la
partialité.
Enfin, l’intolérance, ou ce « manque de respect pour les pratiques et les convictions
d’autrui63
», introduit par corollaire son opposé, c’est-à-dire l’idée de tolérance (dont la
définition est par ailleurs absente des manuels scolaires d’ÉCR64
). La tolérance peut être
entendue comme « la capacité de réserver son jugement sur les convictions d’une personne
afin d’éviter de brimer sa dignité et de briser le lien social65
». Jocelyn Maclure, lors de sa
conférence intitulée Justice et tolérance donnée dans le cadre des Journées provinciales de
formation continue en éthique et culture religieuse, disait que la tolérance est cette aptitude
à « l’autocontrainte face à quelque chose que l’on désapprouve66
». La tolérance se présente
donc comme l’un des modes d’entrée en relation avec l’Autre, toutefois il n’est pas certain
que de penser la différence sous cet angle soit un réflexe réellement utile pour en assurer
une gestion positive. En effet, le sens primaire du terme tolérance, dans sa définition latine
(« tolerare »), renvoie à une représentation foncièrement négative qui engage à supporter
une pratique, un comportement ou un individu qui ne tient pas dans le cadre normatif
accepté. Afin de démontrer le sens péjoratif de cette acception, Miguel Simao Andrade
60
Michel Meyer op. cit., p. 8 61
Oriol dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 9 62
Ibid., p. 8 63
La fondation de la tolérance, Intolérance, [En ligne], http://www.fondationtolerance.com/#!3/63/50 64
Miguel Simao Andrade. « La tolérance : sens, pertinence et limites d’une notion problématique » dans le
cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse, 2012 65
Jeffrey dans Robert Mager (dir.), op. cit. 66
Jocelyn Maclure. « Justice et tolérance » dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en
éthique et culture religieuse, 22 novembre, Québec
30
posait ironiquement, lors de sa conférence La tolérance : sens, pertinence et limites d’une
notion problématique67
, la question suivante : « Aimons-nous d’ailleurs être supporté? ».
Au regard de ces considérations sémantiques, on pourrait à juste titre affirmer que le
concept de tolérance est relatif à un rapport inégalitaire de domination basé sur
l’élémentaire concession faite à l’erreur, et non sur une attitude de franc respect de l’Autre,
de sa pratique ou de sa vision du monde68
. En d’autres mots, tolérer la différence serait
synonyme, dans cet esprit, d’accepter d’en subir les effets négatifs. À titre anecdotique,
mentionnons que la Fondation de la tolérance à laquelle Andrade contribue à titre de
chercheur a d’ailleurs dernièrement pris la décision, sur la base d’une réflexion à propos de
la pertinence du mot « tolérance », de renommer l’organisme. Ainsi, l’équipe a fait sienne
l’expression Ensemble pour le respect de la diversité, selon elle davantage représentative
de leur action réelle au sein de la collectivité.
La tolérance de la différence de l’Autre comme moyen d’affirmer une volonté de
s’ouvrir à lui apparaît selon Bourgeault et Pietrantonio comme la manifestation d’une
« étonnante naïveté du majoritaire ». Il s’agirait donc d’une ambition inopérante puisqu’elle
constitue en fait l’activation de deux postures naturellement antagonistes : l’ouverture et
l’enfermement69
. Aussi Costa-Lascoux indique-t-elle que le droit à la différence représente
une fausse reconnaissance de la pluralité culturelle, une forme subtile de rejet de l’Autre, en
d’autres mots, un euphémisme ne permettant pas de s’engager dans une voie positive de
dialogue et de cohabitation70
. Toujours selon Andrade, la tolérance ne constituerait donc
pas un droit fondamental, mais plutôt une place concédée à l’étranger par l’acteur du
majoritaire, qui clame et alimente du coup sa propre supériorité grâce à la mainmise qu’il a
sur l’univers symbolique. De ce fait, la notion ne contribuerait en rien à lutter contre les
inégalités et c’est pourquoi, faisant référence à Georges Leroux, Andrade affirme que la
tolérance est une vertu trop minimale. Elle porterait en elle une vision fondamentalement
négative de la différence, d’autant plus si elle est exprimée par une majorité71
. Le
développement inverse de cette idée est également concevable : la revendication du
67
Miguel Simao Andrade op cit. 68
Ibid. 69
Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé op. cit., p. 246 70
Costa-Lascoux dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 58 71
Leydet dans Daniel M. Weinstock (dir.) op. cit., p. 107
31
« droit » à la différence apparaîtrait comme une antinomie et représenterait, selon
Bourgeault et Pietrantonio, un « acte d’allégeance au référent72
». Or, peut-être gagnerions-
nous à bonifier cette approche basée sur l’indulgence pour s’employer à réellement changer
les rapports interculturels de manière à retirer les bienfaits d’un vivre-ensemble consenti.
Pour cette raison, Goethe affirmait dans ses Maximes et réflexions que « la tolérance ne
devrait être qu’un état transitoire. Elle doit mener au respect. Tolérer, c’est offenser ».
Concrètement, la désapprobation formulée à l’égard du port du voile musulman via
le projet de loi proposé par le Parti québécois découvre les limites du principe de tolérance.
De fait, la pratique était tolérée au Québec. En effet, bien qu’une certaine frange de la
société la désapprouvait en vertu de principes tels que l’égalité entre les sexes ou
l’émancipation religieuse, l’État et les individus s’autocontraignaient, et ce faisant aucune
disposition légale notoire n’avait jusqu’alors été prise pour la restreindre. Or, en exprimant
le souhait de le contingenter, le gouvernement Marois a tendu une perche à la dénonciation
du port du voile et à l’indignation face à ce symbole religieux. Manifestement, la
compréhension de cette pratique demeure partielle, puisque sont souvent omis ses fonctions
identitaires ou spirituelles et le fait qu’elle est constitutive d’une éthique de vie globale. On
tolérait donc ce signe religieux proportionnellement à la compréhension que l’on en avait,
mais la potentialité qu’une forme de marginalisation de cette pratique soit légiférée a
également eu pour effet d’ouvrir un espace à l’expression de sa condamnation.
Un rappel au réalisme s’impose toutefois : comme le souligne Maclure,
l’autocontrainte, déjà, est une disposition estimable. Force est en effet de rendre à la
tolérance l’exploit d’avoir pacifié l’Europe à une époque où l’intolérance religieuse a
déchiré le continent73
. Si elle est une vertu trop minimale, elle vaut tout de même mieux
que la violence. Or, souhaitons-nous amener les jeunes à « tolérer » la culture de l’Autre,
seulement, ou voudrions-nous plutôt les guider dans une pleine reconnaissance de celle-ci?
Ce questionnement dépassant à notre sens largement l’élémentaire tâtonnement lexical nous
apparaît fondamental puisqu’il est susceptible d’orienter l’enseignant dans son
72
Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé op. cit., p. 239 73
Jocelyn Maclure, op cit.
32
enseignement de la différence à l’école. Le choix de terme à employer constitue, en somme,
un but à atteindre, un objectif à l’égard de la conception de l’Autre. Ainsi, il faudrait
troquer l’emploi du mot « tolérance » qui renvoie à la clémence, voire à la magnanimité,
pour l’usage d’un corpus lexical orienté davantage vers les gains possibles relatifs à la
reconnaissance de l’Autre et reflétant mieux l’esprit pluraliste dont il sera question
ultérieurement.
Pour notre part, l’emploi du vocable « reconnaissance » (faisant référence à l’une
des deux finalités du programme d’ÉCR, la Reconnaissance de l’Autre) nous apparaît
adéquat puisqu’exempt de l’idée de la complaisance, il est au contraire porteur de lucidité
face à la différence et prometteur sur le plan de l’intégration. C’est en reconnaissant sa
valeur que la société acquerra l’audace de surpasser l’accommodement stérile afin de
l’exploiter en tant que richesse identitaire et sociale. Privilégier une « reconnaissance
raisonnable » des différences serait ainsi, selon Maclure et Charles Taylor, garant du
développement d’un sentiment d’appartenance et d’identification dans les sociétés
plurielles74
. Pourtant, il va de soi que dans l’optique de l’atteinte de cette visée, un travail
de fond reste à faire : établir un socle de valeurs communes, favoriser la connaissance
religieuse, dynamiser une affirmation identitaire, actualiser l’accomplissement du jugement
éthique et délier certains préjugés apparaissent comme quelques-unes des tâches, bien que
colossales, indispensables à la reconnaissance de la différence et qui doit passer, nous le
pensons, par une éducation de fond sur les questions religieuses et éthiques. En effet,
comme l’indique Diane L. More, « l’inculture religieuse est souvent un facteur qui
contribue à créer un climat favorable à l’émergence incontrôlée de certaines formes
d’intolérance et de déformation de la réalité75
. » Denise Bombardier soutenait pour sa part,
dans le cadre d’un article paru dans la revue Virage, que « les gens de ces générations sont
devenus des handicapés culturels76
». Notons enfin que Bombardier et More abondent
74
Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit. 75
More dans Mireille Eztivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). Le programme d’éthique et culture religieuse :
de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec : Presses de l’Université Laval, 2012, p.
114-115 76
Pascale Sauvé. « Les repères culturels religieux : Un élément important pour la formation des jeunes » dans
Virage : instruire, socialiser, qualifier ensemble, 2004, volume 6, no 5
33
exactement dans le même sens en reliant d’emblée cette lacune culturelle patente à une
carence quant à la connaissance du religieux.
1.3 LE RÔLE PROFESSIONNEL DE L’ENSEIGNANT
Certes, les ambitions rattachées à la mise en place du cours d’ÉCR sont
prometteuses au regard de la question du vivre-ensemble. En effet, mener les élèves, futurs
citoyens, à complexifier leur rapport à la culture et à ouvrir leurs horizons s’instituent en
visées garantes d’une société empathique à la différence et empreinte de rapports de
réciprocité humaine. Or, il appert que l’intégration du programme ne s’effectue pas à ce
jour de façon entièrement harmonieuse. En effet, une série d’expérimentations et une
importante campagne de promotion ont accompagné son implantation ainsi, il va de soi,
qu’un vent de contestation au sein de la population et des différents intervenants concernés.
Toutefois, il n’était pas question, pour le MELS, de reculer : la reconnaissance de l’autre et
la poursuite du bien commun sont des finalités qu’il ne faut pas quitter des yeux, et tous les
efforts doivent, dorénavant et compte tenu des enjeux sociaux nouveaux, tendre vers la
réalisation de ces idéaux. Aussi le rôle de l’enseignant qui se voit accorder la responsabilité
de guider les élèves à travers ce processus apparaît-il important, voire primordial, au regard
des visées formulées. De ce fait, il s’avère utile d’examiner les paramètres de la prise en
charge de cette responsabilité qui apparaît par ailleurs comme la clé de voûte de la réussite
du programme et de la promesse de sa pérennité. Plus précisément, la posture que doit
adopter l’enseignant d’ÉCR s’impose comme un élément clé de sa viabilité puisque celle-ci
agit à titre de mortier permettant d’unir les contenus de formation, les compétences à
développer ainsi que l’évaluation des apprentissages.
Or, la posture professionnelle a fait l’objet de spéculations et d’interprétations au
sujet des indications pourvues par les auteurs du programme. Ce phénomène
d’appropriation, normal puisque rattaché aux convictions et à l’identité enseignante, est
aussi fondamental puisqu’il constitue un enjeu notoire dans la question de l’éthique
professionnelle des enseignants. Par ailleurs, nous ne pouvons passer sous silence que la
34
question de la posture professionnelle n’est pas sans apporter de l’eau au moulin des
détracteurs du programme qui, à l’instar de Guy Durand, mettent en lumière le manque de
précision, voire les contradictions, qui masquent le rôle réel de l’enseignant77
. Il nous
apparaît au demeurant essentiel de rendre compte des orientations ministérielles à ce propos
via un examen des indications relatives à la posture enseignante formulées par les auteurs
du programme. Cet exercice permettra de jauger la mesure dans laquelle les enseignants
sont libres d’agir et de s’approprier leur propre rôle.
Notons, dans un premier temps, que les documents fournis par le MELS, à savoir les
programmes d’enseignement primaire et secondaire à proprement parler ainsi que La mise
en place d’un programme d’éthique et de culture religieuse : une orientation d’avenir pour
tous les jeunes du Québec sont fertiles et procurent sur le sujet des indications assez
précises. Le préambule du programme contient à titre d’exemple une partie intitulée
Exigences nouvelles liées à la posture professionnelle dans laquelle sont présentées les
responsabilités de l’enseignant d’ÉCR. À la douzième page du programme, deux parties
sont également consacrées au rôle de l’enseignant et à sa posture professionnelle. L’examen
de ces documents officiels, déjà, permet de cerner les orientations globales du programme.
Ainsi les principales fonctions de l’enseignant émergent-elles, pouvant être rassemblées de
façon à être présentées sous trois désignations génériques que nous jugeons éloquentes.
Dans un premier temps, l’enseignant d’ÉCR est un passeur culturel. Il doit, dans un second
ordre d’idée, agir à titre d’accompagnateur et de vecteur de dialogue. Il est enfin détenteur
d’un devoir de réserve. Ces trois fonctions de l’enseignant seront approfondies dans les
pages qui suivent et seront examinées à la lumière de la perspective de divers penseurs.
Nous verrons, précisons-le, à laisser émerger les discours dissonants qui permettent de
mettre en perspective les principes énoncés dans les documents ministériels officiels.
77
Guy Durand. Le cours d’ECR : au-delà des apparences, Montréal : Guérin, 2009, p. 79
35
A. La dimension culturelle du programme d’ÉCR
Le premier rôle qui incombe à l’enseignant est amarré à la dimension culturelle du
programme d’ÉCR puisqu’il est en effet appelé à agir à titre d’héritier d’objets de culture78
.
Plus précisément, l’enseignant joue auprès de ses élèves « le rôle de passeur culturel, c’est-
à-dire de celui qui jette des ponts entre le passé, le présent et le futur, notamment en ce qui
a trait à la culture québécoise79
». Mentionnons qu’ici, culture n’est pas entendue au sens
strict d’objets issus de la littérature, du cinéma, des arts de la scène, etc. La culture, à
travers le prisme de l’éducation, possède le sens plus large de culture humaine, que ce soit
relativement aux préoccupations proprement éthiques ou aux manifestations du religieux.
Pour reprendre les mots de Paul Inchauspé, « ce monde auquel il faut les préparer est un
monde culturel80
». Cette culture at large, c’est également celle qui relève des modes de vie
et de l’environnement immédiats, puis de la prise en compte de la diversité possible de ces
derniers. De fait, l’éducation vise donc l’élargissement de la culture. Ainsi l’enseignant
doit-il professer dans le sens de la prolifération culturelle que ce soit dans l’espace qu’offre
le volet éthique du programme qu’en regard de la culture religieuse. Il est voulu que l’élève
dépasse ses préoccupations initiales, l’a priori connu, en développant des outils lui
permettant de s’engager dans une appréhension plus globale des manifestations humaines.
Aussi Mireille Estivalèzes indique-t-elle pour sa part, dans son texte Former à la culture
religieuse : de quelques défis et difficultés, que l’enseignant est « tenu […] d’aider les
élèves à développer de nouveaux rapports à eux-mêmes, à autrui et au monde81
». La
stratégie envisagée est d’implanter les apprentissages dans la réalité immédiate de l’élève
de manière à ce que celui-ci s’approprie des objets de culture qui le concernent, pour qu’il
soit, dans une ultime mesure, enclin à laisser « élargir ses horizons82
».
78
Estivalèzes dans Jacques Cherblanc et Dany Rondeau (dir.). La formation à l’éthique et à la culture
religieuse : un modèle d’implantation de programme, Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2010, p.
166 79
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier cycle
et du deuxième cycle du secondaire, Québec : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2008, p. 12 80
Paul Inchauspé. Pour l’école : lettres à des enseignants sur les réformes des programmes, Montréal : Liber,
2007, p. 40 81
Mireille Estivalèzes dans Jacques Cherblanc et Dany Rondeau (dir.) op. cit., p.166 82
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. La mise en place d’un programme d’éthique et de culture
religieuse : une orientation d’avenir pour tous les jeunes du Québec, op. cit., p. 5
36
Cette finalité que l’on qualifiera d’ouverture dynamique au monde correspond au
rapport que l’élève sera en mesure d’établir, du moins est-ce espéré, entre les valeurs et la
culture qui lui sont propres, qui forment d’emblée son patrimoine, et celles qui ne sont pas
siennes, mais qui le concernent néanmoins grâce au lien invisible de l’humanité.
L’éducation, dans cette perspective, vise à mener les élèves à enrichir leur culture première
en visant du coup l’émergence d’une seconde. Aussi Fernand Dumont perçoit-il plus
précisément ce lien comme celui qui existe entre culture comme milieu et culture comme
horizon, au regard desquelles une médiation doit s’effectuer par l’édification d’un rapport
dynamique83
. Denis Simard définit ainsi ce rapport culturel : il s’agit de la « prise de
distance à l’égard de la culture première puis [de l’] élaboration d’une culture seconde84
».
Il souligne, dans la perspective d’une approche culturelle de l’enseignement, que la culture
doit être envisagée comme un « processus dynamique à travers lequel l’individu entre en
relation avec lui-même et les autres85
» et non pas simplement comme un ensemble d’objets
constitués. De fait, c’est la prise de conscience de l’existence de ces deux sphères
culturelles qui annonce l’établissement d’un rapport réflexif via lequel la culture devient,
plus qu’un ensemble d’objets, le moteur de l’ouverture dynamique dont parlait Estivalèzes.
Les perspectives d’ouverture aux objets de culture seconde et d’appropriation d’une
culture-horizon, pour réinvestir les schèmes des auteurs cités précédemment, offrent un
cadre théorique opérant à la question de l’enseignement de la différence. En effet, c’est
lorsque confronté à des objets culturels qui ne s’inscrivent pas dans son environnement
immédiat que l’élève fait connaissance avec la différence. Ici, l’emploi du terme
« confronté » est important et délibéré puisque c’est effectivement généralement dans une
disposition spontanée de surprise, de curiosité, voire de choc, que l’élève entre d’abord en
relation avec l’altérité constituée de ces objets issus d’une culture qui ne lui est pas de
prime abord familière et qui peut même être considérée comme une menace. C’est en
s’engageant dans un dialogue à propos de ces derniers par le biais de questionnements,
d’efforts de compréhension, de comparaisons et de divers autres processus intellectuels
83
F. Dumont. (1971) « Le rôle du maître : aujourd’hui et demain ». Action pédagogique, 17, pp. 49-61. 84
D. Simard, E. Falardeau, J. Émery.-B. et H. Côté. « En amont d’une approche culturelle de l’enseignement :
le rapport à la culture ». Dans Revue des sciences de l’éducation (pp. 287 - 304), 2007, volume 33, no 2. 85
Ibid.
37
qu’il sera à même de se les approprier et de les intégrer à ce qu’il pourra désormais
qualifier de culture actualisée (culture seconde). Il convient en contrepartie de noter que
s’approprier un objet de culture n’implique pas nécessairement d’y adhérer, encore moins
de l’aimer. Il s’agit plutôt d’entrer en relation avec celui-ci en établissant un rapport réflexif
avec lui.
Or, la Faculté de théologie de l’université de Montréal, dans son mémoire présenté à
la Commission de l’éducation de l’Assemblée nationale, met en relief l’importance de
maintenir, voire d’alimenter, les référents identitaires culturels des québécois pour l’atteinte
d’une implication saine dans un dialogue interculturel probant et positif. Le collectif insiste,
il va de soi, sur le patrimoine catholique agissant comme mortier social, et prône de ce fait
sa protection et le maintien de son statut privilégié. À cet effet, conserver un horizon
religieux propre apparaît pour les auteurs garant d’un positionnement positif dans le
pluralisme symbolique caractérisé par une recomposition culturelle humanitaire globale. Il
est donc essentiel que les jeunes soient dotés d’outil pour gérer leur patrimoine, mais
également les patrimoines divers. Pour Louis Rousseau, l’école joue un rôle fondamental et
« matriciel » dans cette refonte culturelle commune86
. Cette analyse identitaire dépasse
selon nous largement le cadre de ce mémoire, mais elle permet néanmoins de justifier la
prépondérance du contenu relatif à la tradition judéo-chrétienne dans le programme d’ÉCR.
L’enseignant d’ÉCR, au demeurant, apparaît comme un gardien des objets de
savoirs culturels relatifs au fait religieux et à la pensée humaine et est affecté du mandat de
la transmettre aux élèves en la rendant accessible et intelligible. L’école s’institue donc en
lieu de transmission culturelle, comme le souligne Inchauspé, ce qui pose le postulat
d’enseignants passeurs culturels et éveilleurs d’esprits87
. Manifester une compréhension du
religieux et Réfléchir sur des questions éthiques, par leur composante et les attentes de fin
de cycle qui leur sont reliées, constituent des compétences à développer qui promettent
d’agir chez l’élève comme moyens d’établir cette relation au monde culturel pendant son
86
Louis Rousseau dans « Contribuer à la construction d’une culture publique commune qui tient compte de la
diversité » (table ronde) dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et culture
religieuse, 2013 87
Paul Inchauspé, op. cit.
38
parcours scolaire et, dans une plus large mesure, tout au long de son existence citoyenne.
Or, déployer un rapport significatif entre la culture première de l’élève et une culture
seconde qu’il sera amené à s’approprier au fil de sa formation apparaît comme un vecteur
du vivre-ensemble et va nettement dans le sens des orientations du ministère à propos du
programme d’ÉCR.
Force est toutefois de constater que tous les enseignants ne portent pas le même
regard sur les objets de culture humaine, aussi n’abordent-ils pas les éléments de contenu
en employant le même ton. Un exemple révélateur est celui qui a été soulevé en
introduction à propos de la façon de traiter les nouveaux mouvements religieux au Québec.
Alors qu’un premier enseignant appuyait sa leçon sur le vocable « secte » et s’employait
principalement à lever le voile sur les dangers inhérents à l’action de leaders mal
intentionnés, le second présentait ces groupements religieux comme des faits sociaux qui
marquent la société contemporaine et qui existent avec leur diversité de pratiques, leur
contexte de création et la tendance au prosélytisme qui leur est parfois reprochée. Cette
dichotomie met à tout le moins en lumière le fait que la compétence culturelle est
susceptible de créer un flou pédagogique et peut induire un décalage éducatif parmi les
élèves d’une même école et d’un même niveau. Nous sommes d’avis que cet écart est
symptomatique d’une certaine lacune dans le programme et peut s’avérer nuisible pour
l’intégrité du cours lui-même.
À l’aune de cette situation, il apparaît évident que les connaissances ne suffisent pas
pour l’atteinte des idéaux relatifs à la culture fixés par les penseurs du programme et
qu’elles ne sont pas les seuls éléments constitutifs d’une posture professionnelle. Comme
l’indiquait Marie-Paule Deslauniers lors de la conférence donnée dans le cadre du 5e forum
Éthique et culture religieuse, « C’est l’attitude de l’enseignant qui est la plus
déterminante88
». Il va donc de soi de s’intéresser désormais au rôle d’accompagnateur qui
incombe à l’enseignant.
88
Marie-Paule Deslauniers. « Comment être un passeur culturel tout en évitant le piège du nous… et les
autres » dans le cadre du 5e forum Éthique et culture religieuse, 2009
39
B. Le dialogue comme vecteur de vivre-ensemble
Si la prise en charge du cours d’ÉCR requiert, de la part des enseignants,
l’édification d’un rapport dynamique à la culture humaine, elle prend aussi ancrage dans
l’attitude du maître qui doit s’instituer en « accompagnateur » vis-à-vis ses élèves. Comme
consignée dans le paragraphe relatif au rôle de l’enseignant d’ÉCR dans le programme de
formation, la première responsabilité de ce dernier est « d’accompagner et de guider ses
élèves dans leur réflexion éthique, dans leur compréhension du phénomène religieux et
dans leur pratique du dialogue89
». Les auteurs du programme s’emploient à préciser cette
perspective d’accompagnement dans la section Rôle professionnel du programme de
formation : « […] dans ce cours, l’enseignant est un guide pour les élèves. Il les aide à
passer de la simple expression d’opinions à la clarification de points de vue et à leur
analyse90
». S’inscrivant franchement dans l’esprit du renouveau pédagogique global au
Québec, cette idée d’enseignant-guide est capitale et marque un virage paradigmatique
notoire quant au champ d’action du pédagogue, surtout vis-à-vis la question religieuse. En
effet, l’enseignant n’est plus une courroie de transmission de connaissances brutes, mais un
accompagnateur dans l’appropriation d’attitudes et de comportements. Aussi ne doit-il pas
avoir le « monopole des réponses91
», du moins est-ce ce qu’avancent les auteurs du
programme de formation. Leroux soutient de son côté que les élèves doivent percevoir que
même leur enseignant ne peut « se reposer sur une vérité définitive92
». Watters simplifie
pour sa part cette idée en affirmant à l’intention des parents : « Bref, il [l’enseignant
d’ÉCR] n’a pas à penser pour eux93
. »
Si l’enseignant entretient des opinions à propos de questions relatives à l’éthique ou
à la culture religieuse, corollaires inévitables de l’exercice d’un sens critique propre, il ne
doit pas, en contrepartie, les exposer. Il lui est plutôt demandé d’accompagner les élèves
dans leur appropriation des éléments de contenu ainsi que dans leur recherche de réponses
quant aux questionnements soulevés en stimulant « le développement d’un sens critique qui
89
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier cycle
et du deuxième cycle du secondaire, op cit. p. 12 90
Ibid. 91
Ibid. 92
Georges Leroux. « Le rôle de l’enseignant dans le programme ÉCR » dans Vivre le primaire (p. 48), 2008,
volume 21, numéro 4. 93
Denis Watters. Petit guide ECR-101 : [éthique et culture religieuse], Québec : Denis Watters consultants,
2008, p. 26
40
aide les élèves à comprendre que toutes les opinions n’ont pas la même valeur94
. » Il les
escorte en quelque sorte dans leur développement d’outils intellectuels tels la curiosité,
l’esprit critique et l’ouverture. Or, qu’il nous soit permis de nous questionner, à l’instar de
Jean-François Roussel de la faculté de théologie de l’université de Montréal, sur la
cohérence de ce mécanisme pédagogique : que l’on demande à l’enseignant « d’amener
l’élève à entrer dans un registre de réflexion tout en se l’interdisant lui-même95
» constitue
une position en soi intenable. L’auteur soutient que « Ce que l’on demande aux élèves
devrait être accompli par l’enseignant en premier lieu96
». Nous y reviendrons dans la partie
portant sur la neutralité de l’enseignant.
En plus d’agir à titre de guide pour ses élèves en les soutenant dans leurs
apprentissages, l’enseignant est appelé à aménager un espace de dialogue en classe. En
effet, il est souhaité qu’il « s’efforce de créer un climat propice à un authentique dialogue
entre les membres de la communauté d’apprentissage qu’est la classe97
. » De cette façon,
les élèves seront à même de développer la compétence « dialogue », mortier liant les deux
compétences du programme (Réfléchir sur des questions éthiques et Manifester une
compréhension du phénomène religieux) ainsi que pierre angulaire de l’atteinte du vivre-
ensemble98
. L’objectif : ouvrir les élèves à la diversité des valeurs, des croyances et des
cultures. Les outils : la curiosité, le questionnement et le discernement. L’enseignant doit
donc laisser toute la place aux questions et accueillir les positionnements intellectuels de
ses élèves. Pour Robert Jackson, la condition nécessaire à cette réalisation est ce qu’il
appelle l’« ouverture épistémologique » renvoyant à la sensibilité et à l’ouverture positive à
l’égard de la différence99
. Estivalèzes parle pour sa part d’écoute mutuelle et de respect100
.
94
Denis Watters. Petit guide ECR-101 : [éthique et culture religieuse], op. cit. 95
Roussel dans Solange Lefebvre (dir.). Religion et identités dans l’école québécoise : comment clarifier les
enjeux, Québec : Fides, 2000, p. 76-77 96
Ibid. 97
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier cycle
et du deuxième cycle du secondaire, op. cit. 98
Réfléchir sur des questions éthiques et Manifester une compréhension du phénomène religieux ont été
établis comme les deux compétences maîtresses du programme d’ÉCR. Le dialogue n’est donc plus considéré
comme une compétence à proprement parler, mais comme un outil pour le développement des volets « culture
religieuse » et « éthique ». 99
Jackson dans Fernand Ouellet. Quelle formation pour l’éducation à la religion?, Québec : Les Presses de
l’Université Laval, 2005, p. 136 100
Estivalèzes dans Jacques Cherblanc et Dany Rondeau (dir.) op. cit., p. 166
41
Ainsi le pédagogue est-il appelé à établir un espace dans lequel les élèves ne se sentiront ni
jugés, ni malaisés d’articuler un point de vue critique. Or, l’enseignant étant un modèle
pour ses élèves, il est à souhaiter que son attitude d’ouverture et d’écoute apparaisse
manifeste dans la classe et que les élèves eux-mêmes se l’approprient afin de se positionner
à leur tour dans le cadre de dialogues positifs et constructifs.
En somme, il s’avère capital pour l’enseignant d’ÉCR de promouvoir un certain
nombre de valeurs afin de rendre possible un réel dialogue au sein de sa classe. C’est là que
son rôle professionnel d’accompagnateur devient, à notre sens, le plus riche, mais aussi le
plus complexe. Ainsi l’ouverture à la diversité, le respect des convictions, la reconnaissance
de soi et des autres et la recherche du bien commun101
s’imposent-ils comme des valeurs
fondamentales qui doivent faire autorité dans la classe pour, enfin, devenir norme à
l’échelle sociale. Or, l’avènement du respect des convictions et de l’ouverture à la diversité
signifie-t-il que tous les positionnements intellectuels se valent? Le fait que l’enseignant
n’ait pas le monopole des réponses veut-il dire qu’il ne détient pas l’autorité requise pour
accueillir défavorablement une position irrespectueuse qui porterait atteinte à la dignité
humaine? Voilà des préoccupations qui nous orientent vers la question des devoirs de
réserve et de neutralité de l’enseignant d’ÉCR.
C. Le devoir de neutralité : un silence obligé?
Le dernier volet du rôle professionnel de l’enseignant d’ÉCR qu’il nous sera donné
d’aborder, celui du devoir de réserve, est sans doute le plus sensible puisqu’il renvoie à des
questions telles que le jugement professionnel et l’intégrité enseignante. Employons-nous
donc à jauger, de façon à dresser les contours d’une posture professionnelle bienséante à
l’égard de questions relatives à la différence, la force du lien qui devrait unir la neutralité et
le mutisme de l’enseignant à propos de ses convictions.
Il importe de le mentionner au passage, la question de la neutralité est surtout
épineuse au regard des sujets relatifs à la religion. En effet, comme le souligne Leroux, le
101
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier
cycle et du deuxième cycle du secondaire, op cit. [préambule]
42
volet culture religieuse du programme requiert un effort d’abstention plus rigoureux que sa
sphère éthique102
. Cet impératif spécifique est pour l’essentiel tributaire du fait que la
religion rassemble, par son caractère expérientiel, un ensemble de questions sensibles et
émotives, autant pour l’enseignant que pour les élèves issus de milieux familiaux
diversifiés103
. En effet, plusieurs auteurs abondent dans le sens de Solange Lefebvre, par
exemple, qui admet d’emblée l’aspect explosif de la question religieuse, ou dans celui de
Corinne Bonafoux qui compte la religion au nombre des questions socialement vives
(QSV). Cette dernière reconnaît son potentiel polémique à ce qu’elle cristallise une tension
entre les approches croyante et savante, relève de l’intime et excite l’affirmation
identitaire104
. À cet effet, Watters indique que le programme d’ÉCR « touche à des valeurs
et à des convictions qui peuvent être chères aux parents105
», ce qui doit inciter l’enseignant
à aborder les éléments de contenu avec précaution et circonspection afin de ne pas heurter
les sensibilités familiales.
D’entrée de jeu, il est spécifié dans le préambule du programme de formation que
l’enseignant d’ÉCR doit agir dans le sens d’un impératif professionnel relatif à la réserve et
au respect. Aussi celui-ci ne doit-il pas « faire valoir ses croyances ni ses points de vue106
».
Dans un souci de simplification, Watters précise que les indications ministérielles
l’astreignent à « ne pas exprimer ce qu’il pense ni ce qu’il croit personnellement107
», et ce
de façon à ne pas faire interférer ses propres valeurs dans le traitement des questions
soulevées en classe. Une lecture intransigeante de cette prescription professionnelle nous
mènerait à la conclusion que l’enseignant d’ÉCR doit s’ignorer et faire fi des valeurs qui
sous-tendent sa pédagogie, son professionnalisme et son adhésion aux principes
démocratiques. Nous sommes néanmoins d’avis qu’une interprétation pondérée du devoir
de réserve serait souhaitable puisqu’elle engagerait l’enseignant sur la voie de la distance
critique et de la retenue mesurée. Il s’agirait pour l’enseignant d’établir un écart réfléchi
102
Georges Leroux op. cit., p. 48 103
Dominique Borne et Jean-Paul Willaime op. cit., p. 45 104
Corinne Bonafoux,« Enseigner le fait religieux et no les religions : analyse d’un débat en pays de laïcité »
dans le cadre du colloque Enseigner les religions : regards et apports de l’histoire, 2012 105
Denis Watters op. cit., p. 25 106
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier
cycle et du deuxième cycle du secondaire, op cit. [préambule] 107
Denis Watters op. cit., p. 25
43
entre ses convictions, lesquelles relèvent de son propre système de référence108
, et les
éléments de contenu à l’étude.
Jeffrey pose à cet effet une question fondamentale : « Quel est le véritable sens de la
réserve professionnelle?109
» S’agit-il essentiellement de taire ses propres convictions, ou
convient-il que l’enseignant se montre tout à fait impartial devant toute question épineuse?
Plus qu’un simple tâtonnement rhétorique, cette interrogation est capitale dans la mesure où
son issue est susceptible d’orienter l’enseignant dans l’exercice de sa profession, de teinter
son attitude en classe et d’influencer les attentes extérieures à son égard. Qui plus est, cette
préoccupation est fondamentale puisqu’elle est relative à son intégrité et à la nature de son
rôle. Jeffrey pose encore la question de la limite de ce devoir de réserve110
. Dans quelle
mesure un enseignant est-il contraint à traiter le fait religieux ou éthique dans une
perspective de neutralité? Comment aborder des pratiques telles que l’excision des femmes,
par exemple, ou la lapidation? Y a-t-il des situations où le jugement de l’enseignant devrait
être pris en considération et agir à titre de référent, ou doit-il être en tout temps et à tout
prix ignoré? Une question telle que le port du voile intégral doit-elle être traitée de la même
façon que l’holocauste, par exemple? S’il ne fait aucun doute pour nous que ce dernier doit
absolument être abordé sous l’angle du viol des droits individuels et en tant que drame
humain, il n’en est pas de même pour le premier objet d’étude. Pourtant, le port du voile
intégral pourrait être présenté comme le symbole d’une inégalité entre les hommes femmes
et en tant qu’outil de soumission. Or, il serait très malaisé, pour un enseignant, de se
positionner clairement sur cette question, alors que demeurer neutre sur la question de
l’holocauste serait, à l’opposé, résolument inapproprié. Comment, donc, évaluer le degré de
consensus moral inhérent à chaque question soulevée en classe? Cette imprécision sera
déliée dans les parties ultérieures et nous nous emploierons à établir un processus réflexif
que nous espérons fonctionnel et aidant.
108
Estivalèzes dans Jacques Cherblanc et Dany Rondeau (dir.) op. cit., p. 167 109
Jeffrey dans M’hammed Mellouki (dir.) Promesses et ratés de la réforme de l’Éducation au Québec,
Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2010, p. 246 110
Ibid.
44
Le principe de jugement professionnel s’avère pour le moment éclairant. Tel qu’il
nous est en effet donné de le lire dans les pages du programme de formation, l’enseignant
est appelé à faire preuve d’un « jugement professionnel empreint d’objectivité et
d’impartialité111
». Dans le sens de cet impératif, Luc Bégin met en lumière, dans le cadre
du cinquième forum Éthique et culture religieuse, l’influence naturelle qu’exerce
l’enseignant, à titre de personne référence, sur ses élèves. Aussi précise-t-il que celui-ci
« interfère inévitablement dans le processus d’élaboration du point de vue des jeunes112
».
Ce pouvoir intellectuel que possède l’enseignant, renforcé par la nature sensible des
questions relatives à l’éthique et à la culture religieuse, nous place inévitablement devant le
péril de l’endoctrinement. En effet, si le programme indique à l’enseignant, nous l’avons
vu, de s’abstenir de promouvoir son opinion, il signale qu’il est parallèlement appelé à
entrer en dialogue avec ses élèves. Or, Leroux énonce que le dialogue, outil fondamental
dans l’éducation à l’éthique et à la culture religieuse, ne doit pas devenir un instrument de
propagande113
. Pour Reboul, encore, c’est dans l’accompagnement relativement au
développement de la pensée et du pouvoir d’examiner, de comprendre et de juger que
réside la distinction essentielle entre l’enseignement et l’endoctrinement114
. Aussi les
valeurs, repères et croyances doivent-ils être abordés en classe en tant qu’« objets de savoir
et de culture » et non pas comme des « prétextes pour guider la conscience des élèves »115
.
C’est sur cette délicate et sensible ligne qui existe entre dialogue et endoctrinement que se
tient, dans une position d’équilibre possiblement précaire, l’enseignant d’ÉCR. Si celui-ci
est effectivement appelé à être neutre dans l’exercice de son enseignement, on peut se
demander si cela doit nécessairement se traduire en mutisme de sa part.
Plus qu’une question théorique, cette tension est celle qui existe entre neutralité et
engagement116
et qui est vécue par l’enseignant d’ÉCR qui aborde avec ses élèves des
éléments de contenu parfois sensibles. « Et vous, qu’en pensez-vous? »; « Et vous, y
croyez-vous? » : Les élèves alimentent en général une grande curiosité à l’égard des
111
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier
cycle et du deuxième cycle du secondaire, op cit. p. 12 112
Bégin dans A. MacKay. « 6e forum Éthique et culture religieuse : conclure pour mieux continuer » dans
Virage : instruire, socialiser, qualifier ensemble, 2009, volume 11, no 4 113
Georges Leroux op. cit., p. 47 114
Olivier Reboul. L’endoctrinement, Paris : Presses universitaires de France, 1977, p. 110 115
Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis op. cit., p. 135 116
Georges Leroux op. cit., p. 49
45
convictions de leur enseignant, déchiré entre son devoir de neutralité et un potentiel devoir
de s’engager sur la voie du dialogue. En d’autres mots, l’enseignant a-t-il le droit de
s’impliquer dans le dialogue auquel est accordé tant de valeur? Or, comme le suggère
Leroux, si l’enseignant s’emploie résolument à cacher ses convictions, n’y a-t-il pas un
danger que cela soit perçu comme une carence sur le plan de la prise de position117
? Son
authenticité ne se trouve-t-elle pas dans un tel cas compromise? Pour l’auteur, neutralité ne
doit donc pas être confondue avec inexistence de conviction. Il ajoute avec grande lucidité
que « cet équilibre est le plus délicat de tous, et la majorité des enseignants le
compromettent d’instinct118
». En ce sens, André Lacroix, lors du cinquième forum Éthique
et culture religieuse, secoue l’idée de la neutralité en soutenant que l’« on doit assumer
notre opinion, sans l’imposer; on ne doit pas s’effacer ». L’attitude à préconiser, pour
Leroux, émergerait finalement de l’alliage entre une franchise rigoureuse et un respect
absolu de la croyance en contexte119
. Cela permettrait à l’enseignant d’être à même de tenir
une position authentique qui respecte par ailleurs les impératifs du programme.
À l’aune de ces considérations et tentatives d’éclaircissement en ce qui a trait à la
posture de l’enseignant d’ÉCR, force nous est d’admettre le manque de clarté que certains
auteurs, à l’instar de Jeffrey, dépeignent. D’autres encore, et nous citerons Guy Durand à
cet effet, mettent carrément en lumière les dangers qui émergent du flou épistémologique
qui voile le programme d’ÉCR.
1.4 LES FONDEMENTS THÉORIQUES ANTINOMIQUES DE FINALITÉS
COMPLÉMENTAIRES
La question de l’impartialité ne se pose pas uniquement au regard de la pratique
enseignante, mais possède également une dimension plus large : l’École. L’éducation porte
en effet des finalités propres et la façon de l’actualiser reflète les préoccupations de la
société qui la voit naître. Les savoirs transmis, le choix des éléments de contenu, les modes
117
Georges Leroux op. cit., p. 48 118
Ibid. 119
Ibid.
46
de transmission et le type d’organisation scolaire sont autant d’indicateurs sur les
orientations de l’École. Ainsi, il est légitime de percevoir l’implantation du programme
d’ÉCR comme un acte réactif à une suite de mutations sociales et d’affirmer que celui-ci
constituait une innovation éducationnelle porteuse d’ambitions avouées en matière de
gestion de la diversité. De même, l’organisation des objets de savoir n’était pas impartiale,
pas plus que le choix de proclamer le dialogue compétence reine de la formation des élèves
en ÉCR. Le but confessé relatif à la mise sur pied de ce programme et à ces choix
pédagogiques tient en deux finalités formulées, omniprésentes et maintes fois répétées : la
reconnaissance de l’Autre et la poursuite du bien commun. Ces dernières incarnent les
ambitions philosophiques relatives à la mise en place du programme et sont porteuses d’une
promesse d’architecture sociale qui sied à la réalité identitaire québécoise moderne. On
peut en effet se permettre d’imaginer que ces deux visées puissent établir les bases d’une
société civique en dotant les futurs citoyens de comportements propices à bâtir un vivre-
ensemble à partir des ingrédients qui composent le Québec contemporain. Qui plus est, les
auteurs du programme recommandent que ces finalités soient utilisées comme des balises et
des cadres de référence pour les enseignants d’ÉCR. L’ensemble des entreprises
pédagogiques de ces derniers doit en effet converger vers ces deux résolutions, aussi
doivent-ils agir en tant que porte-étendard de cette ambition bipartite. Il est manifeste, donc,
que ces finalités sont le mortier du programme d’ÉCR et contribuent à en ériger une
compréhension sensible ainsi qu’à le mettre en œuvre.
Or, il apparaît que l’adéquation de la reconnaissance de l’autre et de la poursuite du
bien commun présente, sur le plan philosophique, une certaine dichotomie que Leroux
laisse entrevoir alors qu’il souligne « […] la connaissance de la particularité, qui fonde la
diversité, et la recherche de l’harmonie commune qui se trouve à la base de la
démocratie120
». Il serait toutefois malhonnête d’attribuer à Leroux une critique du
programme à cet égard, aussi parle-t-il plutôt en termes d’« intime réciprocité » et
d’« équilibre » entre ces deux principes, présentant plutôt le défi absolu que présente le
programme d’ÉCR. Nous récupérons tout de même cette adéquation, à laquelle nous
120
Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). Le programme d’éthique et culture
religieuse : de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec : Presses de l’Université Laval,
2012, p. 134
47
reconnaissons, à l’instar de Bruce Maxwell lors de sa conférence La « reconnaissance de
l’autre » et la « poursuite du bien commun » dans le cadre d’une journée provinciale de
formation continue pour l’AQÉCR, une antinomie symbolique. Les fondements
philosophiques du programme renfermeraient une bipolarité préliminaire, contradiction que
relevait Sivane Hirsch lors des Journées provinciales de formation continue en affirmant
juxtaposant deux rôles de l’école, à savoir celle d’aménager une place significative à la
différence tout en misant sur une intégration des nouveaux arrivants et leur participation à
une culture commune121
. Plus précisément, de la reconnaissance de l’autre émane une
apologie de la différence alors que, parallèlement, la poursuite du bien commun sous-tend
la recherche d’un dénominateur civique commun propice à générer une harmonie sociale.
Sur le plan sémantique, la première, qui met l’emphase sur la connaissance de la diversité,
renvoie à la pensée relativiste, alors que la seconde, orientée vers la construction d’un socle
de valeurs partagées, relève davantage d’une posture universaliste. Dans le but de rendre
compte des moteurs philosophiques qui sous-tendent le programme d’ÉCR, nous nous
emploierons au cours des pages à venir à circonscrire ces deux positionnements. Il est
inutile de nier que cet exercice de définition se veut hautement théorique, mais il demeure
nécessaire à la compréhension des impulsions philosophiques qui ont actionné l’élaboration
du programme d’ÉCR.
Nous aborderons donc de façon juxtaposée le relativisme et l’universalisme,
auxquels nous accorderons d’abord une définition générique, pour ensuite en examiner les
fondements théoriques. Nous tenterons finalement d’explorer, grâce à une recherche par
mots-clés dans le programme d’ÉCR, la teneur philosophique du cours. Pour ce faire, nous
nous emploierons à jauger la force du lien qui unit chacune des deux finalités du
programme, la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun, aux cadres
théoriques nommés.
121
Sivane Hirsch dans « Contribuer à la construction d’une culture publique commune qui tient compte de la
diversité » dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse,
2013
48
A. La reconnaissance de l’autre : un relativisme déguisé?
Réalisons d’entrée de jeu un effort de définition en établissant le relativisme en tant
qu’approche selon laquelle les valeurs, croyances et comportements humains ne
connaissent aucune référence qui soit absolue et transcendante. Il y a d’une part le
relativisme culturel, qui soutient l’acceptabilité de toutes les pratiques culturelles associées
au contexte social dans lequel elles prennent place. D’autre part, il y a le relativisme moral
selon lequel aucun critère foncier ne permet d’établir une hiérarchisation immuable des
valeurs. Pour s’affranchir du poids que constitue cette relativité en apparence handicapante,
il est impératif que la formation d’un sens critique et le développement d’une pensée
structurée soient d’épicentre des efforts pédagogiques en ÉCR.
Ces deux acceptions du relativisme supposent-elles que tout produit de l’esprit
humain (pratique, croyance ou positionnement éthique) doit être jugé acceptable? Les
tenants de l’approche relativiste répondraient qu’il incombe à toute société d’imposer ses
propres limites et de jauger le degré d’acceptabilité d’un comportement humain selon les
référents éthiques qui lui sont spécifiques122
. En effet, le concept-clé sur lequel reposent les
arguments soutenus par les relativistes est celui de la diversité morale qui établit par
ailleurs la recevabilité d’une multiplicité de codes moraux et de modes de vie
raisonnablement envisageables123
. Par ailleurs, si les termes désignant les valeurs sont
partout les mêmes, il convient de noter que leur sens et l’importance qui leur est accordée
sont loin d’être identiques toujours et partout124
. À cet égard, Kekes soutient que « The
implication of relativism is that there cannot be a uniquely reasonable system of values125
».
Le relativisme en tant qu’approche morale n’est pas sans soulever les critiques,
parmi lesquelles la plus significative porte sur l’impasse axiologique qui lui est inhérente.
Celle-ci est explicitée dans The Morality of Pluralism alors que l’auteur soutient que si
toutes les valeurs étaient relatives, la hiérarchisation de celles-ci serait intenable et, donc, la
122
John Kekes. The Morality of Pluralism, Princeton : Princeton University Press, 1993, p. 14 123
Stoljar dans Daniel M. Weinstock (dir.). Le défi du pluralisme, Montréal : Département de philosophie
(UQAM), 1993, p. 128 124
Olivier Reboul. Les valeurs de l’éducation, Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 69 125
John Kekes op. cit., p. 8
49
résolution de conflits impossible126
. Plus précisément, comme les valeurs seraient
équivalentes en termes d’acceptabilité, aucune n’aurait en conséquence préséance sur les
autres. Aucune valeur ne remplirait donc de fonctions d’autorité ou de référent moral à
partir duquel le jugement des comportements humains ou de la recevabilité des valeurs
pourrait s’opérer. Si les référents moraux fondamentaux sont inexistants, la résolution de
conflits devient pour ainsi dire impossible. Mentionnons néanmoins que du point de vue
relativiste, il n’est pas exclu que les sociétés soient en mesure de se doter, de façon
indépendante, de codes moraux permettant d’appréhender, de structurer et de jauger les
valeurs. Ce flou symbolique contribue toutefois à alimenter la thèse de la désintégration
morale dépeinte dans The Morality of Pluralism de Kekes. En effet, ce dernier parle de la
« disintegration of morality » pour qualifier la déstructuration graduelle du monisme (idée
de l’existence d’absolus) causée par la pensée relativiste127
.
À ce sujet, le pape Benoît XVI dénonçait aussi en 2005 la « dictature du relativisme
qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son
propre ego et ses désirs128
». Ce que le chef de l’Église catholique critiquait alors, au-delà
du fait que l’intégrité des valeurs traditionnelles chrétiennes était selon lui menacée, c’est la
désintégration d’un filet moral engendré par la domination d’un mode de pensée relativiste
au détriment d’une approche universaliste qui valoriserait un corpus de valeurs partagées.
Marie McAndrew met pour sa part en relief le questionnement soutenu par Alain Touraine
quant à la légitimité du relativisme culturel au regard des fondements de la société
démocratique qui est basée sur « l’articulation complexe des droits de la personne129
».
Conformément à cette critique, la posture relativiste serait intenable au sein d’une société
de droits singulièrement marquée par la mondialisation et de massifs mouvements
d’immigration qui nécessitent l’accueil d’étrangers porteurs de cadres symboliques propres.
Exempte de référents moraux, cette perspective ne permettrait donc pas une saine gestion
126
John Kekes op. cit., p. 47 127
Ibid., p. 8 128
Le Saint-Siège. Homélie du cardinal Joseph Ratzinger lundi le 18 avril 2005, [En ligne]
http://www.vatican.va/gpii/documents/homily-pro-eligendo-pontifice_20050418_fr.html 129
McAndrew dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité :
diversité des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 287
50
des droits des citoyens et des conflits de normativités « multiples et exclusives130
»
inhérentes à leur inéluctable confrontation.
À l’aune de ces critiques, McAndrew met en doute la capacité de l’éducation
relativiste à jouer un rôle probant dans la fonction de transmission des savoirs. Elle
s’interroge plus précisément sur la « possibilité de reconstruire un savoir critique commun
prenant en compte une multiplicité de perspectives » et met en surbrillance le risque de la
dévalorisation d’une définition exclusive des curriculums131
. Ce que McAndrew décrie,
c’est en quelque sorte l’explosion de l’univers des possibles dans le champ pédagogique.
Elle craint que la consistance des savoirs transmis à l’école ne soit compromise par l’idée
partagée qu’une multiplicité de croyances, puisque relatives, est par le fait même
admissible. Cette appréhension pose de fait le problème de la transmission des savoirs et de
la raison puis soulève plus largement la question des valeurs de l’École. Cette dernière doit-
elle présenter le savoir comme un absolu, ou encore doit-elle l’exposer en tant qu’objet de
découverte changeant et variable? Les disciplines issues des sciences de la nature sont
constituées de savoirs dont l’immuabilité est tributaire du processus épistémologique dont
ils sont issus (la méthode scientifique, par exemple). À l’inverse, nous verrons
ultérieurement que l’ÉCR, résolument inscrite dans un créneau culturel et exempt
d’indicatifs clairs et directifs, permet difficilement de présenter un corpus de savoirs
fondamentaux.
À cet effet, Richard Dawkins illustre de façon imagée et virulente l’impasse
engendrée par la pensée relativiste en matière de savoirs : « Montrez-moi un relativiste
culturel dans un avion à 10 000 mètres et je vous montrerai un hypocrite. Les avions sont
construits selon des principes scientifiques et ils fonctionnent132
». Un questionnement
soulevé lors du Forum ouvert sur le dialogue en ÉCR présentait le sujet de la création du
monde comme une « patate chaude » qui relève d’emblée l’opposition d’une pensée
130
François Galichet. L’éducation à la citoyenneté, Paris : Anthopos (Diffusion Economica), 1998, p. 142-
143 131
McAndrew dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 288 132
Traduction de la citation de Richard Dawkins "Show me a cultural relativist at thirty thousand feet and I’ll
show you a hypocrite. Airplanes are built according to scientific principals and they work" tirée de Wikipédia:
l’encyclopédie libre. Le relativisme, [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Relativisme#cite_note-7
51
scientifique à une pensée croyante. Serait-il approprié que l’enseignant d’ÉCR concède un
avantage à l’hypothèse du Big Bang par rapport au schème créationniste, ou doit-il les
présenter comme équivalents? Peut-être serait-il inconfortable, en vertu de son devoir
d’impartialité, alors que l’enseignant de sciences, lui, n’aurait aucune réticence à présenter
la théorie scientifique de l’origine du monde comme étant une hypothèse faisant
pratiquement consensus. Nous verrons, en seconde partie de parcours, comment
l’enseignant d’ÉCR peut trouver une posture qui lui permette d’aborder une question
comme celle-ci avec assurance et confiance.
Or, étant donné que la qualité de l’apprentissage réalisé par un individu est
largement tributaire du sens qu’il lui octroie et de la valeur qu’il lui accorde, la question de
la relativité des savoirs apparaît centrale. Là réside en fait l’une des données que l’on doit
considérer dans l’équation du rapport au savoir puisque celui-ci représente une relation de
sens, et donc de valeur, entre un individu (ou un groupe) et les processus ou produits du
savoir133
. Cette relation de sens est centrale en ÉCR et doit être continuellement redéfinie.
Par exemple, il faut constamment déconstruire l’idée selon laquelle il suffit d’avoir une
opinion pour obtenir des points, sentiment qui est largement renforcé par des formulations
usuelles telles que « selon toi » ou « que penses-tu de?». Nous verrons en effet qu’il n’est
pas suffisant pas de formuler un point de vue pour démontrer la maîtrise d’une compétence
en ÉCR.
Notre postulat était que la première des deux finalités du programme d’ÉCR, à
savoir la reconnaissance de l’autre, est assortie à la représentation philosophique relativiste.
Afin de soutenir cette idée, il importe de voir comment se définit la finalité dans les termes
du programme. Il y est d’abord annoncé que « toutes les personnes sont égales en valeur et
en dignité134
» et que, le cas échéant, les visions du monde, attitudes et actions de ces
dernières doivent être reconnues. Il y est également signalé que cette reconnaissance doit
133
Bernard Charlot, Élisabeth Beautier et Jean-Yves Rochex. École et savoirs dans les banlieues… et ailleurs,
Paris, Éditions Bordas, 2000, p. 29 134
Québec, Ministère de l’éducation, du loisir et du sport. Programme de formation de l’école
québécoise (programme du premier cycle et du deuxième cycle du secondaire) : Éthique et culture religieuse,
op. cit., p. 2
52
pouvoir rendre possible « l’expression de valeurs et de convictions personnelles135
». Ainsi
l’idée de diversité morale est-elle intrinsèque à cette finalité du programme et sous-entend
par ailleurs la recevabilité d’une multiplicité de modes de vie. L’importance accordée à
cette prise en compte de la diversité symbolique est une réaction à l’observation du
pluralisme grandissant caractéristique des sociétés modernes également vécu par le Québec.
Les auteurs du programme ne manquent pas de souligner cet état de fait et précisent que
cette multiplication sociale provoque l’introduction d’une diversité de croyances et de
valeurs qui, complexifiant globalement l’univers symbolique québécois, introduisent le
besoin de doter les futurs citoyens d’outils permettant d’évoluer au sein de cette profusion
normative.
Les instruments de l’accomplissement de cette finalité relative à la gestion de la
diversité sont les attitudes que les élèves sont appelés à développer via le cours d’ÉCR.
Parmi celles-ci, notons la tolérance, l’ouverture, le respect et la curiosité à l’égard de la
différence136
. Ainsi l’élève est-il amené à évoluer dans un esprit d’« ouverture à la diversité
des valeurs, des croyances et des cultures137
». On souhaite à cet effet qu’il déploie des
dispositions intellectuelles d’accueil face à la différence et qu’il soit en mesure
d’appréhender la diversité avec une ouverture propice à lui permettre de reconnaître l’Autre
dans sa globalité symbolique, et d’ainsi outrepasser sa culture immédiate pour s’acclimater
à une culture plus complexe. Ce déverrouillage doit notamment s’effectuer au regard de la
culture religieuse, qui vise la prise en compte de représentations tant religieuses que
séculières et « l’exploration des univers socioculturels dans lesquels celles-ci s’enracinent
et évoluent138
».
L’organisation thématique des objets de contenu du programme d’ÉCR alimente
aussi cette impression de relativité des savoirs, par opposition à une étude comparative ou
différenciée des différentes traditions religieuses et perspectives éthiques. Le choix de cette
135
Québec, Ministère de l’éducation, du loisir et du sport. Programme de formation de l’école
québécoise (programme du premier cycle et du deuxième cycle du secondaire) : Éthique et culture religieuse,
op. cit. 136
Ibid. 137
Ibid., p. 13 138
Ibid., p. 1
53
classification n’est selon nous pas fortuite, ou du moins elle traduit les ambitions du
programme et constitue un dispositif de support à la reconnaissance de l’Autre. En effet,
l’approche thématique permet d’aborder des faits religieux ou éthiques en présentant les
diverses représentations qui en émanent. Il s’agit donc d’une approche intégrative en ce
sens qu’elle mobilise une série d’éléments de contenu issus de différentes traditions
religieuses qui alimentent la compréhension du fait à l’étude. Par exemple, l’élève est
amené à explorer les multiples façons d’envisager le divin, parmi lesquelles le dieu chrétien
figure au même titre que les diverses formes de déités propres aux autres religions. Cette
perspective thématique n’est pourtant pas sans éveiller les soupçons des détracteurs du
programme qui avancent que cette dernière présente une vision réductrice du phénomène
religieux puisque n’octroyant que des connaissances partielles, elle ne permettrait pas de
saisir la cohérence interne de chaque tradition religieuse. Guy Durand, l’un des principaux
adversaires du programme d’ÉCR, abonde dans ce sens et entrevoit les dangers reliés à ses
fondements relativistes. Il nomme à tout le moins trois principaux enjeux philosophiques
relatifs à la place du cours d’ÉCR dans le cheminement scolaire des élèves québécois, à
savoir le risque de polythéisme, la mise en œuvre d’une orientation relativiste et l’adoption
d’une vision étriquée de l’éthique139
.
En ce qui a trait d’abord au premier enjeu philosophique, Durand craint qu’adopter
une posture impartiale face au fait religieux contraigne les enseignants à présenter, voire à
mettre en valeur, une vision polythéiste de la déité au détriment de la représentation du
divin caractérisée par l’unicité à laquelle une majorité d’élèves catholiques sont
accoutumés. Plus précisément, l’auteur appréhende le fait qu’incorporé à un assortiment
spirituel polythéisé, le dieu catholique soit dévalorisé puisque soumis à un mécanisme de
généralisation et d’intégration à un ensemble d’éléments communs comparés. En
conséquence, il y aurait un risque qu’au contact de la diversité quant aux représentations
possibles du divin, l’élève se détache du dieu qui était traditionnellement sien, ce qui aurait
pour conséquence d’altérer la sphère spirituelle chez ce dernier. Cette critique pose de fait
la question plus globale du changement de cap majeur accompli sur le plan paradigmatique
dont il a été question en introduction : du discours croyant sur lequel était basé l’ancien
139
Guy Durand op. cit., p. 10
54
programme d’enseignement moral et religieux confessionnel (EMRC), nous avons migré
vers une approche socioculturelle à l’aune de laquelle la religion apparaît désormais comme
un objet d’étude scientifique. Comme l’indique Estivalèzes, la quête de sens qui était l’un
des objectifs du cours EMRC n’est plus désormais visée par le cours ÉCR. Il n’est donc
plus question que l’élève découvre ou consolide sa foi, pas plus que ce dernier n’est appelé
à développer les comportements propres à la communauté religieuse (ex. : gestes ou
prières). De ce fait, le cours d’ÉCR s’inscrit résolument dans le champ non confessionnel
en proposant une perspective extérieure plutôt qu’intérieure vis-à-vis la chose religieuse. La
dimension spirituelle est de fait évacuée et relayée aux structures d’intervention spirituelle
et communautaire mises sur pied dans la plupart des écoles primaires et secondaires du
Québec.
À la crainte formulée par Durand quant à la mise en opération de cette perspective
dite polythéiste, il appert nécessaire de rappeler qu’en pratique, le patrimoine chrétien
occupe encore un espace privilégié dans le corpus des thèmes abordés du primaire au
secondaire dans les écoles. Il est en effet prescrit de traiter des sujets relatifs au
protestantisme, au christianisme orthodoxe et au catholicisme dans une plus large
proportion que les autres traditions religieuses (le judaïsme, l’islam, les spiritualités
autochtones et les traditions religieuses orientales, par exemple). En somme, on peut
affirmer que l’on n’observe pas de dichotomie réelle entre les programmes EMRC et ÉCR
quant à la place des traditions chrétiennes dans les apprentissages des élèves, sauf sur le
plan de l’initiation à la foi. Durand appréhende ensuite le triomphe de la pensée relativiste
qui est selon lui intrinsèque au programme quant à ses structures et à ses conséquences
(quoique non pas dans ses visées avouées)140
. Il croit que le programme favorise d’emblée
le relativisme et que cette posture porte en son sein le risque que l’élève « comprenne que
tous les interlocuteurs ont raison, que toutes les religions et croyances sont légitimes141
».
L’éducation faite dans une perspective anthropologique basée sur la connaissance et la
compréhension des cultures, dans laquelle s’inscrit à juste titre le cours d’ÉCR, implique
selon Marie McAndrew le rejet des jugements de valeur et la glorification de la différence.
140
Guy Durand op. cit., p. 15 141
Ibid., p. 10
55
Ce type d’éducation serait exactement basé, donc, sur le relativisme culturel142
. C’est aussi
cette idée que soutient Durand en parlant d’une vision étriquée de l’éthique. Reliée à la
relativité des valeurs, l’adoption de cette posture serait lourde de sens et de conséquences
puisque le cours d’ÉCR est largement articulé autour du questionnement éthique. En effet,
penser le questionnement dans la perspective de la relativité des valeurs apparait comme
une solution inféconde puisqu’à partir du moment où l’on accepte que l’incarnation de
toutes les valeurs est acceptable, le questionnement n’a plus lieu d’exister.
Employons-nous maintenant à reconnaître l’essence universaliste de la poursuite du
bien commun, seconde finalité officielle du programme d’ÉCR.
B. L’essence universaliste de la poursuite du bien commun
Les tenants de l’approche universaliste soutiennent de prime abord que nous
partageons une manière fondamentalement commune d’être humain, ce qui signifie que
certains traits seraient intrinsèques à notre appartenance à l’humanité. Pour John Kekes, il
s’agit de composantes universelles, invariables et constantes143
. Or, parler de
l’universalisme n’a pas de sens réel si l’on ne s’applique pas d’abord à définir le concept-
clé d’humanité et à le présenter telle qu’il est entendu par les partisans de cette perspective.
Olivier Reboul, philosophe s’étant particulièrement intéressé à la question des valeurs en
enseignement, le définit ainsi: l’« humanité signifie non pas tant la somme des hommes que
ce qu’ils ont de commun et qui en fait des hommes, une certaine identité d’essence144
».
Pour Alain Finkielkraut, l’humanité « doit se décliner au pluriel : elle n’est rien d’autre que
la somme des particularismes qui peuplent la terre145
. » Il est évident que ceux que Reboul
appelle les « culturalistes », ceux qui s’intéressent en premier lieu aux variations
culturelles, diront que cette idée est abstraite et inopérante puisque les spécificités
culturelles sont si nombreuses et importantes qu’elles suffisent pour douter de l’existence
d’un caractère humain transcendant. Aux défenseurs de cette conception, Reboul rétorque
pourtant que « la différence essentielle n’est pas entre cette culture et cette autre, qu’elle est
142
McAndrew dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 286 143
John Kekes op. cit., p. 39 144
Olivier Reboul. op. cit., p. 89 145
Alain Finkielkraut. La défaite de la pensée, Paris : Gallimard, 1987, p. 29
56
le "fossé entre l’homme et la bête146
"». De facto, les hommes seraient donc marqués par le
sceau de l’humanité, empreinte admettant un corpus d’actions qui s’inscrivent dans le
spectre de l’acceptabilité, mais condamnant par ailleurs des comportements irrecevables
(ou bestiaux, pour réinvestir l’image de Reboul). En contrepartie de la rigidité de l’image
évoquée, il faut souligner que pour le philosophe, l’universalité humaine n’est pas un fait,
mais constitue plutôt une valeur en soi147
. En d’autres termes, il importe d’après lui de
croire que tout homme partage avec le reste des individus un dénominateur moral commun,
de reconnaître en chacun l’humanité qui le relie au reste du monde.
Cette façon d’entrevoir l’espèce humaine laisse croire à la primauté d’un corpus de
valeurs transcendantes telles que l’égalité, le respect, la liberté ou la responsabilité. Kekes
parle à cet effet d’un système de valeurs dont la mise en œuvre mènerait ni plus ni moins à
the good human life148
– une vie bonne –, idée émanant de la philosophie métaphysique de
l’unicité des choses. Est-il possible que la réalisation d’un certain nombre de principes, une
fois articulés, ouvre effectivement la porte à l’accomplissement d’une vie bonne pour tous,
sans frontières? Joseph Ho-Jou Tchao, du moins, le suggère dans Philosophie et pluralisme
via l’idée de la totalité qu’il y présente. Empruntée à plusieurs philosophies (dont la
philosophie-weltanschauung), cette prémisse traduit l’aspiration transcendante de l’Homme
à l’Absolu149
.
Ce discours sur le partage d’absolus introduit donc l’idée d’une présumée présence
d’universaux qui restreint du coup le champ de la responsabilité humaine. Ce n’est pas que
le rôle joué par l’individu dans sa propre existence soit d’emblée amoindri: il est plutôt
suggéré que l’homme possède une propension naturelle à agir instinctivement selon les
principes moraux universaux. À cet égard, Reboul souligne que les valeurs peuvent être
considérées comme universelles. Tchao fait pour sa part référence à l’idée de l’« homme-
dans-un-monde-humain-au-sein-de-l’univers150
» pour qualifier le rapport absolu entre
146
Olivier Reboul. op. cit. 147
Ibid., p. 77 148
John Kekes op. cit., p. 14 149
Tchao dans Yvon Lafrance et J. King-Farlow (dir.). Philosophie et pluralisme, collection « L’univers de la
philosophie », Montréal : Bellarmin / Paris : Desclée, 1977, p. 76 150
Ibid.
57
l’Homme et le monde, ce qui est en fait une référence explicite à l’approche proprement
nietzschéenne de la mort de Dieu. Ces perspectives prennent racine dans une philosophie
humaniste résolument caractéristique de l’Europe des Lumières et exacerbent de fait les
potentialités proprement humaines. L’approche universaliste est donc, d’une part,
largement orientée vers la nature humaine en elle-même, en d’autres termes vers une
propension naturelle à adopter les réflexes moraux propres à l’appartenance à l’humanité.
L’approche universaliste peut d’autre part être appréhendée sous l’angle des
possibilités d’actions qui relèvent, elles, du devoir de l’individu à l’égard de lui-même151
.
« Agis seulement d'après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu'elle
devienne une loi universelle152
». Ainsi l’impératif catégorique pensé par Emmanuel Kant
est-il édicté en principe fondamental propice à guider l’homme dans son jugement face aux
actions posées. La fonction universalisante de cette maxime est patente : l’acteur en
présence, soit l’individu se trouvant dans une position de décision, est lui-même indivisible
du reste de l’humanité, qui est pour sa part considérée comme une entité indivisible appelée
à devenir, plus qu’un moteur axiologique, la cible de nos actions en soi. L’impératif
catégorique dicte d’agir en fonction des lois universelles de l’humanité, de laquelle
l’individu est un élément constitutif. Ainsi l’humanité devient-elle une motivation
intrinsèque à proprement parler en ce sens qu’elle pousse l’individu à agir dans une logique
de réciprocité intégrative.
Certes, la maxime kantienne apparaît de prime abord enthousiasmante puisqu’elle
est aisément intelligible et applicable. De fait, tout individu est capable de la concevoir et
de la mettre en œuvre. Le cas échéant, toutefois, tout individu peut vouloir que sa maxime
soit universalisable. C’est d’ailleurs le problème que soulève Michel Meyer à propos de la
morale universalisable. Plus précisément, l’auteur mentionne qu’il est facilement
imaginable que le principe que l’un croit bon pour tous ne soit que l’activation de sa propre
perspective modelée par son origine, sa culture, sa religion, sa classe sociale, son histoire,
etc. Or, tous ne partagent pas le même avis sur l’universalité des codes de normativité. À ce
151
Michel Meyer op. cit., p.13 152
Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris : Livre de poche, 1993 (1785), p. 18
58
chapitre, les colonisateurs européens des 15ème
et 16ème
siècles n’avaient-ils pas la profonde
conviction que leurs principes étaient universalisables à un point tel qu’ils ont cru que
l’action à poser était de les imposer par la force aux populations soumises? Or, ceux-ci
accomplissaient précisément leur mission dans le sens de l’impératif catégorique : agis
selon une maxime que tu souhaites universelle. Peut-on dire néanmoins que les réalisations
des grands empires coloniaux étaient fondamentalement acceptables? Ce que l’on retient
pourtant de cette ère de domination coloniale est bien davantage l’assimilation morale à
laquelle étaient soumis les peuples colonisés, ce qui pose de fait le problème du
totalitarisme relié à l’approche universaliste. D’ailleurs faut-il, pour Meyer « tempérer
l’universalisme dans ce qu’il a de totalitaire153
» et rendre compte du rapport intrinsèque
entre l’universalité inconditionnelle et la haine de la différence154
. À ce sujet, les
détracteurs de l’universalisme critiquent la tendance à la domination morale et culturelle
qui est, selon eux, inhérente à une telle approche. Plus précisément, il apparaît légitime de
mettre en doute une telle posture dans la mesure où l’essence humaine dont il a été question
doit nécessairement s’articuler autour d’un socle de référents moraux, de valeurs ou
d’idéaux qui, dits « universaux », sont néanmoins arbitraires et rattachés à l’univers
symbolique de ceux qui en clament l’universalité. En d’autres mots, il serait légitime de se
questionner sur la façon de savoir ce qui est universel quand le regard que l’on porte sur le
monde est toujours relatif au contexte duquel on est issu.
L’approche de Reboul s’avère à ce sujet éclairante. Il soutient que ce qui est
considéré universel ne peut l’être que dans la mesure où ceux qui l’admettent comme tel
savent qu’il ne pourrait en être autrement155
. De fait, pour l’auteur, « une valeur, comme
toute vérité scientifique, peut être universelle sans faire pour autant l’accord unanime des
hommes156
». Cela reviendrait à dire que les peuples qui n’adhèrent pas à des valeurs
proclamées universelles se trouvent simplement dans une situation de déni ou d’ignorance.
Comment, alors, affirmer qu’une valeur est foncièrement bonne? Comment convaincre les
« ignorants »? Cette question pose par corollaire celle de la différence, qui représenterait
153
Michel Meyer op. cit., p. 8 154
Ibid., p. 14 155
Olivier Reboul op. cit., p. 77 156
Ibid.
59
dans ce contexte l’exception à une universalité définie ou comme anomalie face à une
humanité uniforme. Beaubérot indique à ce sujet que la stigmatisation est un effet de
l’universalisme abstrait républicain en ce qu’il tend à ethniciser l’autre157
. Pour reprendre
les mots de Meyer, il faudrait que soit paradoxalement érigée la différence en tant que droit
universel158
.
Dans la partie précédente, nous nous sommes employés à démontrer que la pensée
relativiste était identifiable dans les fondements du programme d’ÉCR, notamment dans les
assises initiales de la reconnaissance de l’Autre comme finalité ainsi qu’au regard de
certaines attitudes que doivent développer les élèves au cours de leur parcours scolaire.
Jaugeons maintenant l’essence universaliste du programme, plus particulièrement en ce qui
a trait à la seconde finalité établie par les penseurs du programme : la poursuite du bien
commun. Celle-ci peut être comprise comme la recherche du mieux-être d’un plus grand
nombre et est largement articulée autour de l’idée de collectivité159
. Les dispositifs
imaginés en vue de la réalisation de cet idéal sont la recherche de valeurs communes, la
valorisation de projets qui favorisent le vivre-ensemble et la promotion de principes
démocratiques160. Ces actions doivent aussi tendre vers la résolution des défis qui vont de
pair avec la vie en société. Il est aisé de percevoir que ces aspirations dépassent largement
les intérêts individuels et tendent vers un bien-être citoyen transcendant établi sur la base
des règles qui régissent la vie en société et des principes qui fondent les chartes de droits161
.
C’est la santé de la société qui est visée, et c’est par la mise en œuvre des dispositions
philosophiques et morales spécifiques communes que l’accomplissement du projet est
envisageable. Le programme de formation mentionne aussi que l’avènement du vivre-
ensemble n’est possible que dans la mesure où « des personnes d’horizons
divers [s’entendent] de façon responsable », ce qui infère le dépassement des particularités
157
Beaubérot dans Laurence Loeffel. École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve d’ASCQ :
Presses universitaires du Septentrion, 2009, p.43 158
Michel Meyer op. cit., p. 16 159
Québec, Ministère de l’éducation, du loisir et du sport. Programme de formation de l’école
québécoise (programme du premier cycle et du deuxième cycle du secondaire) : Éthique et culture
religieuse, op. cit., p. 2 160
Ibid. 161
Ibid., p. 6
60
et la mise à profit de l’intuition humaine prompte à générer des comportements tels que
l’ouverture, la reconnaissance et l’empathie.
Cette finalité renvoie plus largement à la propension des sociétés à se doter d’un
code moral propre tout en insistant sur l’importance de construire un socle de valeurs
démocratiques communes. Pourtant, le programme d’ÉCR n’est pas axé sur l’éducation à
ces valeurs et comme nous le verrons dans la partie qui suit, le MELS ne fournit pas
d’indications précises à propos du cadre normatif que la société démocratique québécoise
pourrait souhaiter transcendant. L’enseignant d’ÉCR peut-il présenter la différence
culturelle sous la lentille d’un corpus de valeurs qu’il croit ou qu’il souhaiterait
universalisable? Le cas échéant, comment peut-il le faire dans un esprit professionnel de
cohésion s’il n’est pas investi d’un mandat clair à cet effet?
61
2. L’ÉDIFICATION D’UNE POSTURE SÉANTE À
L’ENSEIGNEMENT DE LA DIFFÉRENCE DANS LE
CADRE DU COURS D’ÉCR
La mise en parallèle d’indications ministérielles et de données théoriques
concernant les questions de la laïcité, de la différence, du rôle professionnel de l’enseignant
et des finalités du programme d’ÉCR mène à l’élaboration d’une réponse assez claire à la
problématique soulevée d’entrée de jeu. Rappelons qu’il était question de circonscrire une
posture professionnelle favorable à l’enseignement de la différence dans le cours d’ÉCR, à
quoi nous répondons que la clé réside dans une posture de neutralité « mesurée ». En effet,
il nous est apparu manifeste que bien que le devoir de neutralité qui incombe à l’enseignant
doive guider toutes ses interventions pédagogiques, il n’est toutefois pas attendu de lui qu’il
soit démuni d’une autorité morale directive. Comment alors pondérer cette neutralité afin
d’honorer un impératif d’impartialité sans toutefois envoyer le message que tout est
acceptable? Comment l’enseignant d’ÉCR peut-il octroyer à ses élèves l’aptitude à gérer de
façon raisonnable une multitude de référents symboliques sans lui-même démontrer qu’il
est en mesure de réaliser le même exercice? Ces interrogations démontrent l’importance
d’établir la mesure de la neutralité et lèvent le voile sur le besoin de définir davantage ce
devoir qui incombe à l’enseignant.
Or, pondérer l’application d’une neutralité doit être l’aboutissement d’un processus
jalonné par une succession d’impératifs, que nous nous proposons d’énumérer. D’abord,
nous postulons que l’édification d’un corpus de valeurs partagées constitue la phase initiale
de tout le mécanisme de mesure de la neutralité. Elle est la base de la réflexivité,
disposition cognitive qui est le second jalon du cheminement vers celle-ci. Nous entendons
la réflexivité comme le processus de filtrage de toute réflexion ancré dans une prise de
distance critique face à sa pensée. Or, cette dernière est nécessaire à la mise en œuvre d’une
éducation pluraliste qui est fondée sur un exact équilibre entre la reconnaissance de l’autre
et la poursuite du bien commun et qui nous apparaît comme un dispositif fondamental de
l’établissement d’une société laïque souhaité pour le Québec. Cette laïcité est le pari
62
d’architecture sociale dont l’enseignant doit aussi être porteur. À cet effet, il est souhaité
que ce dernier prenne conscience qu’à l’instar de l’État, il n’est pas foncièrement neutre. Là
réside selon nous le véritable sens d’une neutralité mesurée : porter le projet social et
promouvoir les valeurs communes tout en laissant émerger les différences.
2.1 L’ÉLABORATION D’UN SOCLE DE VALEURS PARTAGÉES
Établir les fondements d’une société démocratique constitue un exercice préalable,
d’une part, à la clarification d’un commun projet basé sur le vivre-ensemble et, d’autre part,
au développement de l’autonomie morale des élèves. La solidification d’un socle moral
serait donc garante de la réalisation d’idéaux humains et du projet d’architecture sociale
souhaité pour le Québec moderne. En effet, une laïcité d’ouverture qui établit la
recevabilité d’une multitude de visions du monde, la liberté des individus à se positionner
face à celles-ci et l’égalité des citoyens d’une même société doit d’abord énoncer les
principes qui permettraient d’encadrer les comportements humains. Cela revient en quelque
sorte à fixer les règles du jeu pour que chacun puisse y participer en respectant les mêmes
contraintes et en jouissant des mêmes possibilités. Sans règlements, aucun jeu équitable
n’est possible.
Au chapitre des valeurs fondamentales, nous nous sommes inspirés de la pensée
universaliste qui supposait l’existence de principes transcendants et partagés par tous les
êtres humains. Nous réinvestissons cette perspective du « dénominateur commun » afin de
l’appliquer à l’échelle de la société québécoise, avec cependant la nuance pluraliste qui
commande non pas de trouver l’élément qui relie chaque humain, mais plutôt de trancher
sur les principes dont les Québécois gagneraient à se doter afin d’établir les bases de
l’égalité entre les citoyens. L’idéal d’égalité, point d’ancrage de la démocratie, est une idée
en effet inopérante s’il n’existe pas d’accord préalable sur sa signification. L’égalité ne veut
rien dire si le principe appliqué est inconnu ou contingent. Tout pour tous ou rien pour
tous : les deux éventualités définissent une condition égalitaire qui ont par contre une
résultante diamétralement opposée. C’est le problème que pose d’ailleurs la mesure
63
proposée par le gouvernement Marois concernant le port de signes religieux ostentatoires :
sur la base de l’égalité entre tous, on souhaite retirer le droit d’afficher une allégeance
religieuse dans la sphère publique. Convenons que le contraire, c’est-à-dire d’accorder à
tous ce droit, s’inscrirait tout autant dans le giron de l’égalité ou de la neutralité envers les
individus. La problématique que révèle cette situation est celle de la pondération des droits
puisqu’en effet, accorder une plus grande importance à l’égalité entre les sexes minerait
l’égalité entre les individus et l’égalité des chances professionnelles. L’examen de cette
situation doit être empreint de circonspection et tenir compte de différentes données comme
la complexité de la fonction du voile chez la femme musulmane, ce qui permettrait par
exemple de nuancer la réflexion quant à la pertinence d’accoler le qualificatif inégalitaire à
la pratique.
Par ailleurs, conformément à la forme ouverte qui caractérisait depuis la Révolution
tranquille la laïcité québécoise, l’égalité fonde l’acceptabilité d’une multiplicité de visions
du monde et de la démonstration d’une variété de convictions religieuses. Ce leitmotiv
suggère toutefois l’importance de l’édification d’un corpus de valeurs reconnues et
partagées par l’ensemble des citoyens, et ce de façon à établir les limites de la liberté.
Comme l’indique Reboul, il est en effet essentiel que cette dernière ne génère pas une
acceptation absolue de tout comportement humain. La neutralité de l’État ne doit pas, à ce
titre, se traduire par un laxisme vis-à-vis les comportements de ses citoyens. L’école,
microcosme de l’État, doit de la même façon éviter de fermer les yeux sur l’expression de
convictions qui déborderaient du cadre de l’acceptabilité des choses. Bien que l’éducation
soit un véhicule de l’accomplissement du vivre-ensemble tel que réfléchi dans un cadre laïc
pluraliste, force est de constater que la teneur de ce cadre normatif commun est inconnu ou,
du moins, non-proclamé. On peut certes avoir une idée assez précise des principes que l’on
voudrait voir apparaître sur une liste de valeurs communes. Personne ne pourrait à ce titre
nier l’importance d’idéaux tels que la liberté ou la dignité humaine. Toutefois, aucune
mesure (hormis les chartes) ne permet de conforter qui que ce soit dans l’énonciation de
choix normatifs opérants. L’enseignant d’ÉCR, qui se voit pour sa part attribué la
responsabilité d’examiner avec ses élèves une multitude de points de vue éthiques et
d’expressions religieuses, doit cheminer à tâtons dans un univers symbolique complexe.
64
Comme l’indiquent Stéphanie Gravel et Solange Lefebvre à cet effet, le MELS « […] ne
fournit pas de liste officielle de valeurs, de principes et d’idéaux de la société démocratique
québécoise162
». Ils sont, pour l’heure, la pièce manquante du puzzle. Le puzzle de
l’éducation pluraliste. Comment l’enseignant peut-il prétendre orienter ses élèves vers le
vivre-ensemble et l’accomplissement d’une société démocratique si les bases de ces projets
ne sont pas même édictées? Les valeurs sont la matière première de la réalisation d’un tel
dessein : on peut les nommer, les expliquer et y recourir pour justifier tel ou tel
positionnement. Il est donc fondamental que ces valeurs que l’on souhaite communes au
Québec soient édictées afin qu’elles puissent remplir leur fonction directive et référentielle.
C’est pourquoi nous postulons que l’énonciation des valeurs fondatrices de notre
démocratie de droit et du lien social constituerait l’une des clés de la posture enseignante et
par corollaire de l’enseignement de la différence dans le cadre du cours d’ÉCR. Elles ne
sont rien de moins que la substance de l’objectivité qui incombe aux enseignants et de la
mesure de leur neutralité. Elles devraient en ce sens acquérir, nous le croyons, une
prépondérance leur permettant d’être consacrées comme objets de savoir en soi et d’être
ainsi affranchies de leur nature relative. Le projet de Charte des valeurs soumis par le Parti
québécois en septembre dernier aurait pu à certains égards remplir cette fonction
d’institutionnalisation axiologique, bien que sa viabilité juridique pose selon nous problème
tout autant que la légitimité de son contenu, à savoir ces valeurs choisies qui « définissent
la société québécoise et en constituent le contrat d’adhésion163
».
A. Comment choisir?
Il se dégage une piste de solution pour guider l’élaboration d’un corpus de valeurs
partagées : les limites à la liberté. Plus clairement, il faut inciter les jeunes à se positionner
afin de condamner ce qui n’est pas a priori acceptable (ce principe fait référence aux limites
de la tolérance) et à reconnaître d’emblée sa propre liberté autant que celle d’autrui.
D’ailleurs, Reboul fait de la reconnaissance de la liberté le critère fondamental de toute
éducation. Soulignons ici l’emploi du terme « reconnaissance » avant celui de « liberté »,
162
Gravel et Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). Le programme d’éthique et culture
religieuse : de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec : Presses de l’Université Laval,
2012, p. 205 163
Gouvernement du Québec. Nos valeurs, op. cit.
65
comme quoi la liberté individuelle n’est pas valable si elle n’est pas d’abord accompagnée
de la prise en compte du caractère fondamentalement libre d’autrui.
Le défi des sociétés contemporaines à cet égard est d’accepter la légitimité d’un
certain nombre de principes de base issus de diverses perspectives propres164
. Selon
Rawls165
, il faut alors que le consensus normatif s’effectue par recoupement de façon à faire
émerger les valeurs publiques qui constitueront la base de la société pluraliste. L’essentiel,
pour Maclure et Taylor, est que « les citoyens se rejoignent, à partir de leur propre
perspective, sur un ensemble de principes communs capables d’assurer la coopération
sociale166
». C’est l’idée du dénominateur commun que nous avons soulevée à quelques
reprises auparavant. Dans un langage plus savant emprunté à Leslie Green, cela revoie à
une « perspective épistémique partagée167
» et c’est ce que proposent Bourgeault et
Pietrantonio via la prise en compte du cadre établi par la majorité168
.
Déjà, des principes fondamentaux sont susceptibles de s’imposer et de constituer
une position initiale. Par exemple, l’égalité, la liberté et le respect apparaissent comme des
valeurs reines des sociétés démocratiques modernes et qui sont inviolables puisque, de
surcroît, elles sont constitutives d’un patrimoine moral collectif. Or, selon Maclure et
Taylor, c’est dans un exercice de pondération des droits concurrents que peut émerger une
seconde dimension à la définition d’un cadre normatif. Par exemple, la mesure de la liberté
d’expression est un droit individuel que nul ne saurait nier. Toutefois, si la conséquence de
sa mise en application est la violation de la dignité d’autrui, on est en droit d’affirmer que
l’exercice de ce droit est illégitime. Maclure et Taylor simplifient ce principe en affirmant
que l’on peut « légitimement restreindre l’exercice d’un droit afin de protéger les droits
d’autrui ou de permettre au pouvoir public de légiférer en fonction de l’intérêt général169
».
Le traitement des convictions et des positionnements moraux doit donc être compatible
avec les exigences de la vie en société. C’est aussi ce qu’ils nomment « les limites
164
Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 20 165
John Rawls, Libéralisme politique, Paris : Presses universitaires de France, 1995, p. 171-172 166
Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 24 167
Green dans Daniel M. Weinstock (dir.). Le défi du pluralisme, Montréal : Département de philosophie
(UQAM), 1993, 202 pages. p. 90 168
Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé (dir.) op. cit., p. 247 169
Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 133
66
raisonnables à la liberté de conscience170
». Or, Maclure affirmait lors des dernières
Journées provinciales de formation en éthique et culture religieuse que l’espace normatif
octroyé par les chartes et codes actuels permet de façon satisfaisante de réaliser les intérêts
de la majorité. En effet, les dispositions légales actuelles rendent réalisables le calibrage et
la pondération des droits concurrents171
.
Au chapitre de la définition d’un corpus de valeurs communes, il serait donc
superflu de faire table rase du patrimoine moral et constitutionnel constitué au fil du
développement des sociétés démocratiques modernes. Il apparaît donc justifié d’examiner
l’apport des chartes et codes de lois qui constituent la base de nos sociétés et de considérer
l’espace de protection qu’elles offrent aux citoyens ainsi que la préservation du lien social
qu’elles garantissent. À ce titre, Bourgeault et Pietrantonio affirment que tout le corpus des
droits de la personne doit être considéré comme inviolable. Devant un pluralisme de fait
marqué par les différences, la culture des droits de la personne apparaît donc comme une
valeur non négociable puisqu’elle balise l’intervention des institutions publiques. Aussi les
valeurs démocratiques et grands principes citoyens sont-ils souvent considérés comme des
fins, des objectifs de l’éducation. Nous les considérons plutôt comme des moyens, des
outils utilisés par les enseignants d’une part pour consolider leur posture professionnelle,
puis dans une optique d’appropriation par les élèves.
B. La citoyenneté comme assise normative
Sur le plan de la définition d’un socle de valeurs partagées, nous proposons la
constitution d’un schème normatif basé sur la dignité humaine et le civisme, qui se
rejoignent dans la valeur de réciprocité (que l’on pourrait aussi appeler le respect
réciproque). À l’instar d’Audigier, nous sommes d’avis que la citoyenneté devrait agir
comme moteur de l’édification d’un corpus de valeurs, de normes et de principes
170
Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 127 171
Jocelyn Maclure dans « Contribuer à la construction d’une culture publique commune qui tient compte de
la diversité » dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse,
2013
67
fondamentaux puisqu’elle est créatrice du lien social172. Ces valeurs partagées permettraient
aussi à chacun de prendre part à la vie démocratique de l’État et de développer une
dimension identitaire proprement citoyenne lui intimant d’« intervenir sur le commun de la
société, sur la culture publique commune173
».
En ce qui a trait d’abord à la valeur de la dignité humaine, elle renvoie globalement
à l’idée de reconnaissance et de préservation de l’intégrité physique et psychologique de
tous les individus. Pour Kant, la dignité humaine est une valeur absolue et non relative174
.
Le choix de la proclamer valeur clé repose sur le fait qu’elle est apte à restreindre les
comportements qui sont susceptibles de porter atteinte à autrui. Les chartes et codes de lois
recèlent déjà d’une série de dispositions visant à assurer la dignité humaine, aussi Maalouf
affirme-t-il qu’aucun des droits fondamentaux « ne peut être dénié à nos semblables, sous
prétexte de préserver une croyance, une pratique ancestrale ou une tradition175
». L’auteur
soutient également, et il pourrait s’agir là d’un principe extrêmement facilitant dans le
contexte de l’éducation au pluralisme, que « les traditions ne méritent d’être respectées que
dans la mesure où elles sont respectables, c’est-à-dire dans l’exacte mesure où elles
respectent les droits fondamentaux des hommes et des femmes176
». Ainsi, il deviendrait
aisé pour l’enseignant d’ÉCR de condamner des pratiques comme l’excision ou le mariage
forcé, par exemple, sans avoir à jongler avec le respect de la diversité et la loyauté envers
les valeurs démocratiques de sa société. Maclure soutient à ce propos que les droits, bien
que fondamentaux, ne sont pas pour autant absolus. Ainsi, il est possible, raisonnable et
souhaitable que les droits d’un individu ou d’un groupe d’individus soient restreints si le
respect des droits d’autrui est menacé ou encore si le bien commun est compromis. Les
droits fondamentaux constituant un système en soi et n’étant pas des absolus, c’est un
172
François Audigier. (2001). « Les contenus d’enseignement plus que jamais en question ». Dans C. Gohier
et S. Laurin (dir.), Entre culture, compétence et contenu : la formation fondamentale, un espace à redéfinir
(pp. 141-192), 2001 173
Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 138 174
Emmanuel Kant op. cit., p. 45 175
Amin Maalouf. Les identités meurtrières, Paris : Éditions Grasset, 1998, p. 124-125 176
Ibid., p. 124
68
exercice d’équilibrage et de pondération qui doit s’effectuer, et non une hiérarchisation des
droits à proprement parler177
.
La seconde valeur que nous croyons opérante et fondamentale pour la société
démocratique québécoise est le civisme. Cette dernière, pour Milot, renvoie à la distance
réflexive et à la modération dans l’expression publique de ses convictions178
. En d’autres
mots, elle charge chaque citoyen d’être ouvert aux convictions adverses sans pour autant
abandonner les siennes. Le civisme est donc basé sur l’idée que les convictions ne sont pas
a priori des barrières. Pour Milot et Daniel Weinstock, c’est ce principe qui permettrait aux
élèves de dialoguer entre eux malgré leurs différentes affiliations. Il constituerait de surcroît
le socle de réalisation de l’idéal dialogique souhaité pour la société québécoise et promu
dans le cours d’ÉCR. Pour Jeffrey, le civisme (qu’il appelle « civilité ») est un élément clé
des « postures ou des stratégies individuelles qui facilitent les rapports à autrui179 ». Pour
l’auteur, cette aptitude à la modération et à la préservation de l’espace de dialogue renvoie à
la tolérance et relève de la capacité d’un individu à « réserver son jugement sur les
convictions d’une personne afin d’éviter de brimer sa dignité et de briser le lien social180
».
Dans une classe, faire appel au civisme pourrait ainsi s’avérer extrêmement fertile et
devenir, même, un outil pédagogique utile pour un enseignant qui se retrouve devant des
élèves qui alimentent des croyances ou des opinions basées sur des préjugés et qui
brandissent la liberté d’expression comme prétexte à l’énonciation de tout jugement, aussi
intenable soit-il. D’ailleurs, nous invitons les enseignants d’ÉCR à être particulièrement
vigilants lors du traitement de la liberté d’expression. Elle est une liberté fondamentale et
un droit acquis, mais elle ne suffit pas à légitimer toute prise de position. Ainsi, en classe, il
est primordial que cette notion constitutionnelle soit nuancée et que l’affirmation de sa
primauté soit faite avec circonspection.
177
Jocelyn Maclure dans « Contribuer à la construction d’une culture publique commune qui tient compte de
la diversité », op. cit. 178
Milot dans Fernand Ouellet (dir.) Quelle formation pour l’éducation à la religion? Québec : Les Presses
de l’Université Laval, 2005, p. 97 179
Jeffrey dans Robert Mager (dir.) op. cit. 180
Ibid.
69
Les deux valeurs nommées, la dignité et le civisme, se recoupent dans celle plus
transcendante de la réciprocité, que l’on pourrait aussi appeler l’égalité de respect et qui est
assise sur la confiance mutuelle. Nous sommes d’avis que la réciprocité est apte à générer
des échanges empreints de respect et à tisser un lien social durable. Dans la classe, la mise
en application de cette valeur est susceptible d’engager les élèves et l’enseignant dans un
espace propice au dialogue. Spécifiquement dans le cadre du cours d’ÉCR, la mise en
application du principe de réciprocité promet de préparer le terrain pour le traitement des
différences éthiques et religieuses en classe avec aplomb et assurance. Luc Guay et France
Jutras affirment eux aussi l’importance de ces valeurs, dans Quelle formation pour
l’éducation à la religion?, en les citant même comme des finalités souhaitables de
l’éducation scolaire. Ainsi parlent-ils du principe de réciprocité : il s’agit « d’accorder à
autrui ce qu’il [l’enfant] désire se voir accorder à lui-même181
». Ils soulignent finalement
qu’aucune disposition constitutionnelle ou contrainte normative visant la reconnaissance de
l’identité d’autrui ou de la réciprocité n’est actuellement instituée.
2.2 LA RÉFLEXIVITÉ
La seconde clé pour l’enseignement de la différence est l’usage et la mise en valeur
de la capacité réflexive de l’humain. Établissons d’abord la réflexivité comme étant une
disposition cognitive permettant une affirmation identitaire éclairée. Elle est à la fois la
cible d’une éducation pluraliste et un moyen de son accomplissement. Quel meilleur
endroit que l’école pour aider l’individu à apprivoiser cette facette de sa propre personne,
pour l’initier une faculté intellectuelle et morale qui est prometteuse sur le plan de
l’affirmation de soi? Aider le jeune à objectiver son identité par la réflexion intérieure, c’est
le respecter dans sa capacité à s’approprier son identité citoyenne. La réflexivité, en
somme, est une condition de l’éducation civique : elle est le fait d’initier les élèves à leur
aptitude au jugement, à les responsabiliser face à leur place dans la collectivité et à les
orienter vers la découverte de principes éthiques fondamentaux. Aussi faut-il souligner que
s’exercer à la réflexivité ne doit pas systématiquement occasionner un déracinement face à
181
Guay et Jutras dans Fernand Ouellet (dir.) op. cit., p. 16
70
ses affiliations éthiques et religieuses initiales : il s’agit plutôt d’un apprentissage visant
l’appropriation d’une disposition intellectuelle propre à engendrer un positionnement
éclairé. Vigneault indique simplement à cet effet que « la distance par rapport à ses propres
convictions ne signifie pas le déni de celles-ci182
». L’enseignant doit donc favoriser chez
l’élève l’émergence d’une lucidité au sujet de ses propres opinions et le courage de les
affirmer.
Toutefois, l’un des pièges qui guettent l’enseignant d’ÉCR à cet égard est celui de la
gestion du point de vue de ses élèves. La liberté d’expression, comme nous l’avons
mentionné précédemment, apporte de l’eau au moulin de ceux qui considèrent que
l’affirmation de leur opinion est un droit sine qua non. Ce qui est effectivement le cas, sauf
si tel positionnement entrave le dialogue (cela fait référence au principe de réciprocité
évoqué précédemment). L’opinion des élèves, qu’il s’agisse de leur perspective éthique ou
de leur allégeance religieuse, n’importe pas réellement et n’a pas de poids pédagogique. Ce
qui est capital, c’est que nonobstant son affiliation, chaque élève soit en mesure de prendre
connaissance d’une diversité de repères afin d’édifier un positionnement réfléchi et justifié.
C’est cette posture d’ouverture intellectuelle que nous avons précédemment nommée
« civisme » et qui est la substance du processus cognitif global que nous définissons ici par
la réflexivité. Or, la circonspection intellectuelle souhaitée peut avoir une variété de
résultantes : elle peut s’ouvrir sur une modification du point de vue, sur un renforcement de
la position initiale ou encore sur la nuance de cette dernière. Cela n’a au final pas d’impact
réel. Ainsi, des formules telles que « Selon toi… » ou « Que penses-tu de… » réclament
selon nous d’être utilisées avec vigilance puisque si leur caractère pédagogique ne nous
apparaît pas garanti, elles peuvent même mener les enseignants à se projeter dans une
situation pénible de laquelle ils peineront à s’extraire. De la même façon, l’exécution d’un
débat en classe doit être faite avec prudence. S’il est entendu que le but de l’exercice est
d’amener les élèves à découvrir et présenter une multitude de points de vue à propos d’un
questionnement éthique, le débat peut être un instrument didactique approprié. Si les élèves
sont appelés à convaincre leurs interlocuteurs de la pertinence de leur point de vue initial,
toutefois, la cible pédagogique est ratée.
182
Vigneault dans Fernand Ouellet (dir.) op. cit., p. 183
71
A. La raison critique
L’activation de la disposition réflexive chez l’humain n’est pas possible sans la mise
en œuvre de sa raison critique. Cette dernière agit en effet comme moteur de la réflexivité
et revêt une fonction de justification symbolique en filtrant les idées reçues. Valeur reine de
la société occidentale contemporaine, elle est également la matière du projet humain dont
parlent François Audigier, Bernard Jolibert et Fernand Dumont, c’est-à-dire la suprématie
de la raison critique. Dumont parle à cet effet d’une tâche à accomplir (via l’éducation) et
voit l’hégémonie de la raison comme un horizon d’avenir183
. Audigier souligne que cette
finalité est en réalité composée d’embûches, de défis à relever et de problèmes à résoudre
qui ont pour quête d’assujettir le subjectivisme moral propre à la société moderne puis,
dans un second ordre d’idée, de combattre l’intolérance184
.
Un enjeu s’impose en somme : rendre universelle et permanente la raison critique.
C’est elle qui, nonobstant les différences culturelles, linguistiques et individuelles,
permettrait de « percevoir la cohérence d’une pensée commune185
», de mettre sur pied une
compétence morale partagée. En d’autres termes, comme le soutient Jolibert, « ce qui vaut
rationnellement vaut pour tous186
» et la capacité réflexive serait en fait le véritable ticket
d’appartenance à l’humanité. Maalouf parle lui aussi de cet idéal lorsqu’il affirme que nous
devons respecter la spécificité de chaque civilisation, mais « sans jamais se départir de sa
lucidité187
». Lucidité ou cohérence interne, deux termes qui évoquent la même capacité
réflexive et qui dans une ultime mesure se rapportent à la raison critique en tant qu’idéal
humain glorifié depuis les balbutiements philosophiques de l’humanité. Après tout, déjà
saint Augustin exaltait la conscience réflexive de l’Homme! Souhaiter la suprématie de la
réflexivité et de la raison critique, c’est aussi donner aux individus les clés de leur
autonomie morale et le moyen de l’accomplissement de leur nature citoyenne. Dans un État
183
Fernand Dumont (1971). « Le rôle du maître : aujourd’hui et demain » op. cit. 184
François Audigier (2001). « Les contenus d’enseignement plus que jamais en question » op. cit. 185
Bernard Jolibert. Raison et éducation : l’idée de raison dans l’histoire de la pensée éducative, Paris :
Klinskieck, 1987, p. 115-133 186
Ibid. 187
Amin Maalouf op. cit., p. 125
72
laïc, en effet, le citoyen jouit de la liberté de mener sa vie selon ses propres choix de
conscience188
. C’est en quelque sorte le contrat tacite partagé par l’ensemble des individus
avec l’État. Or, dans une perspective de vivre-ensemble, il est souhaitable que chaque
individu se prévale de ce droit tout en étant conscient qu’il est responsable de ses choix et
qu’il ne peut empiéter sur ceux d’autrui. C’est l’application d’une raison critique qui, sur ce
plan, promet de modérer les impulsions individuelles.
B. L’authenticité
Penser de façon extensive à la suprématie de la raison critique et surtout de
l’autonomie morale conduit à la question de l’authenticité. Celle-ci constitue d’ailleurs l’un
des concepts clés de l’éducation pluraliste décrite entre autres par le philosophe Taylor. Ici,
il faut percevoir l’authenticité comme étant la voie à suivre pour sa propre réalisation en
tant qu’être humain, ou comme la lucidité d’agir en étant pleinement conscient de ses
propres référents moraux. Dans les termes de Taylor, cela signifie qu’il existe « une
certaine façon d’être humain qui est la mienne189
», ce qui représente non pas seulement un
idéal, mais plus largement un impératif moral. C’est d’ailleurs en réalisant ses potentialités
que chaque individu développe son originalité et, ainsi, opère son caractère profondément
humain. L’auteur croit fermement « qu’au-delà de leurs différences il existe des propriétés,
communes ou complémentaires [aux humains], qui sont valables190
». C’est donc dire que
pour agir d’une façon qui soit authentique, chacun doit faire des choix qui sont en accord
avec les valeurs qui lui sont chères, il est tenu de faire preuve d’intégrité à l’égard de ce qui
lui semble valable et incontestable sur le plan moral, cela relevant de sa nature proprement
humaine.
C’est donc dire que l’authenticité est une conception qui vise à compenser les
risques de glissements inhérents à l’exacerbation de l’indépendance morale des individus.
Taylor est d’ailleurs lui-même conscient du danger de dépasser les standards de la raison au
profit d’une recherche individuelle de moralité. Si l’on admet que l’être humain est en effet
188
Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 31 189
Charles Taylor. Le malaise de la modernité, Paris : Éditions du Cerf, 1994, p. 37-36 190
Ibid., p. 70-71
73
détenteur d’une liberté morale intrinsèque, on est alors en droit de craindre que chaque
individu se prévale de ce droit pour assouvir son « désir immoral de faire ce qui plaît sans
interférence191
». Taylor appréhende que cette domination du subjectivisme moral dans
notre culture et la valorisation de l’épanouissement de soi puissent tendre, dans une ultime
mesure, vers l’éloignement de la raison ou de la nature des choses au profit de l’adoption de
motifs purement subjectifs et instrumentaux. Il apparaît à ce titre légitime d’imaginer que
les jeunes, par exemple, se « moquent carrément des causes qui transcendent le moi192
» et
agissent selon des intentions individuelles qui ne concordent pas avec les préceptes du
« dénominateur moral commun » établi dans une société. Cette situation est susceptible de
générer une confusion chez certains individus qui d’un côté entendent qu’ils doivent être
souverains quant à leurs choix éthiques, mais qu’ils doivent d’un autre côté agir selon des
principes démocratiques indéniables.
L’idéal d’authenticité contribue en somme à combler ce flou puisqu’il agit comme
un impératif moral à proprement parler. Il revient au rapport de réciprocité entre
l’affirmation de sa foi en l’humain et l’action loyale vis-à-vis les autres individus : elle nous
apparaît à cet égard comme le garde-fou des produits de la réflexivité.
C. Le défi de l’école
L’apport de la réflexivité à l’identité citoyenne nous mène à affirmer que favoriser
le développement de l’autonomie morale chez l’élève est une stratégie promettant de paver
la voie à un enseignement équilibré de la différence dans le cours d’ÉCR, autant que
l’initier et l’exercer à l’authenticité. C’est entre autres en provoquant des situations de
rencontre avec une pluralité de visions du monde193
que l’on peut espérer mener l’élève à
considérer une multitude de possibilités philosophiques et religieuses et à apprendre à les
recevoir avec assurance et sens critique. Devant ce défi de l’école, l’enseignant est appelé à
agir comme un accompagnateur de l’élève en stimulant sa curiosité et en l’escortant,
comme il a été dit dans la partie portant sur le rôle de l’enseignant, dans son appropriation
191
Charles Taylor op. cit., p.35 192
Ibid., p.32 193
Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 25
74
de cette disposition cognitive qu’est la réflexivité. Aussi Bourgeault et Pietrantonio parlent-
ils de cette intention relative au développement d’une indépendance morale194
via
l’autoconstruction de l’élève devant la différence. Ce dernier est appelé à s’engager dans
une relation dialogique de différenciation dont le moteur doit être la raison critique et la
réflexivité. Or, amener l’élève dans le registre de la pensée réflexive apparaît comme l’une
des visées du cours d’ÉCR, mais qu’en est-il de l’enseignant? Comment prétendre qu’il soit
apte à accompagner l’élève dans son appropriation de cette disposition cognitive s’il se
l’interdit (c’est-à-dire s’il n’exerce pas lui-même sa pensée critique lors du traitement
d’objets de savoir en classe)? Une stricte neutralité de sa part serait à cet égard intenable,
incohérente.
Il faut finalement mettre en lumière un écueil qui guette l’enseignant d’ÉCR, à
savoir celui de la confusion possible entre réflexivité et quête de sens. Cette dernière n’est
pas l’objectif du programme. En effet, l’entreprise pédagogique du cours d’ÉCR ne doit pas
être orientée vers le souhait que l’élève découvre sa foi ou trouve une série d’opinions au fil
de son parcours scolaire. Il est plutôt désiré qu’il développe un ensemble d’instruments
intellectuels (articulés autour de la réflexivité) désignés pour composer son autonomie
morale afin qu’il soit préparé, en vue de sa vie citoyenne, à organiser et régir une série de
données éthiques, religieuses, culturelles, philosophiques, identitaires, etc. qui lui seront
continuellement exposées. Il est impératif à ce titre, comme l’indique Estivalèzes en
renvoyant à Paul Ricœur, de « préparer les enfants à être de bons discutants; il faut les
initier à la problématique pluraliste des sociétés contemporaines195
». Il s’agit en somme
qu’ils déploient une disposition cognitive, et non des allégeances. Cette mise en garde
constitue du même coup une réponse aux détracteurs du programme qui craignent que le
cours d’ÉCR ne soit le terrain d’un prosélytisme religieux (ou antireligieux).
2.3 LES FINALITÉS DU PROGRAMME D’ÉCR
194
Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé (dir.) op. cit., p. 234 195
Estivalèzes dans Laurence Loeffel (dir.). École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve
d’ASCQ : Presses universitaires du Septentrion, 2009, p. 88
75
La troisième clé de l’enseignement de la différence dans le cours d’ÉCR est
l’intégrale compréhension de l’interrelation fondamentale entre les deux finalités du
programme, à savoir la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun. Elles ne
sont pas des principes indépendants, mais des vases communicants. Il importe donc que la
référence à ces finalités se fasse continuellement de front, et non pas en alternance selon la
situation ou l’élément de contenu traité. Or, nous avançons qu’ils sont des libellés
« parcourus des yeux » plutôt que réellement assimilés et mis en application. Ils constituent
des données théoriques qui ne demeurent pour l’heure que partiellement comprises, comme
le soulignait Maxwell qui, dans sa conférence intitulée La « reconnaissance de l’autre » et
la « poursuite du bien commun », présentait les finalités du programme comme « bien
connues mais peu comprises196
». Nous postulons donc que les finalités du programme
d’ÉCR sont susceptibles d’être vraiment pertinentes pour l’édification d’une posture
professionnelle pour l’enseignement de la différence dans la seule mesure où la puissance
du lien qui les unit serait consentie.
Dans les documents ministériels officiels, comme nous l’avons souligné plus tôt, il
est dit que la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun doivent agir comme
des balises, des référents pédagogiques. Toutefois, nous sommes d’avis que chacune de ces
finalités, isolées, n’a pas de poids réel. Pour être véritablement utiles, elles doivent être
comprises comme les substances d’un rapport dynamique. Ce que nous proposons ici, c’est
donc d’expliciter le lien qui unit la poursuite du bien commun et la reconnaissance de
l’autre pour présenter une conceptualisation claire de ce rapport à travers la pensée
pluraliste. Plus tôt, nous avons postulé que chacune des deux finalités renvoyait à des
cadres théoriques dichotomiques (respectivement le relativisme qui sous-tend la
reconnaissance de la différence et l’universalisme qui commande la fidélité à des valeurs
que nous souhaitons inviolables). Or, concéder le rapport intrinsèque entre ces deux visées
permet d’orienter la prise en compte de la différence dans le cadre du cours d’ÉCR et
revient à admettre leur apport à un projet commun plus grand.
196
Bruce Maxwell. « La « reconnaissance de l’autre » et la « poursuite du bien commun » » dans le cadre des
Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse, 2012
76
A. Le pluralisme : société et éducation
Cet impératif de compréhension des finalités du programme comme les deux
facettes d’un même projet, Jacques Beauchemin le pose en parlant de la reconfiguration
nécessaire de la communauté politique. Cette dernière doit selon lui être apte à « réconcilier
le projet d’un vivre-ensemble commun avec la promotion des différences197 ». Il croit à cet
égard que miser sur l’éducation au pluralisme permettrait d’unir dans un rapport de sens
l’appartenance à une nation (citoyenneté) et la diversité. Estivalèzes soutient encore que
reconnaître que la reconnaissance de la diversité n’est pas « un obstacle à une culture
commune rassembleuse et ouverte sur l’universel198
». La pensée pluraliste reconnaît en
effet une multiplicité de départ, mais ne postule pas, toutefois, que celle-ci soit
irréductible199
. Cette perspective permet donc la pleine reconnaissance d’identités
multiples, mais convient que celles-ci ne gênent pas pour autant le projet d’édification
d’une identité commune via la primauté de valeurs partagées situant les bornes de la
tolérance200
. Le pluralisme, cette « forme déterminée de rapport social à la diversité » dont
l’objectif principal est de déterminer les limites de l’ouverture à la diversité sans
compromettre la vie publique201
, est donc un mode de pensée qui sied parfaitement à notre
problématique de départ et qui alimente considérablement la question de la neutralité de
l’enseignant d’ÉCR. Plus qu’un état de fait, le pluralisme est donc une valeur en soi202
.
Jeffrey entrevoit ce rapport à la diversité sous l’angle des deux obligations civiques que
devrait revêtir la participation à la vie citoyenne, c’est-à-dire le « respect des principes de la
démocratie qui, en soutenant la laïcité, reconnaît de fait la diversité des convictions » et la
« cohabitation pacifique avec les autres, quelles que soient leurs convictions et malgré leurs
différences203».
Leroux, penseur du pluralisme au Québec, pose pour sa part la question suivante :
« Est-il utopique de penser que l’école peut et doit contribuer à l’émergence de cette culture
commune, à la fois respectueuse des individus et porteuse d’un humanisme ouvert sur
197
Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit.. p. 132 198
Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 29 199
Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 136 200
William E. Connolly. Pluralism, Durham / Londres : Duke University Press, 2005, p. 42 201
Guay et Jutras dans Fernand Ouellet (dir.) op. cit., p. 13 202
Sivane Hirsch op. cit. 203
Jeffrey dans Robert Mager (dir.) op. cit.
77
l’universel?204
» Ce questionnement contient toute la substance du projet relatif à
l’implantation du programme d’ÉCR et contient l’essence du pluralisme, c’est-à-dire du
rapport significatif qui lie la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun.
Maclure et Taylor assurent à ce chapitre que « bien vivre ensemble dans une société
diversifiée exige que l’on apprenne à trouver normal un éventail de différences
identitaires205
». Différences identitaires dont Reinaldo Matias Fleuri parle pour sa part en
termes de « légitimités contradictoires et concurrentes206
», et qui concernent une multitude
de conceptions du bien. Ainsi la pensée pluraliste infère-t-elle que l’on doit viser une
compréhension mutuelle prenant acte de la diversité culturelle, religieuse, axiologique,
idéologique, etc. Elle dépasse largement la simple tolérance : elle implique une
connaissance dynamique, un accueil intéressé. Leroux soutient à cet effet que le pluralisme
moral, donc la diversité quant aux diverses visions du monde, est la « situation naturelle de
la condition humaine207
». L’école, comme le prétend Estivalèzes, s’impose comme le lieu
par excellence de l’apprentissage de ce respect mutuel qui est la disposition intellectuelle et
philosophique caractérisée par l’ouverture calculée.
B. L’éducation civique
Cet horizon de reconnaissance mutuelle prend ancrage dans l’idéal du respect
réciproque qui est la clé de voûte de la « recherche de l’harmonie commune qui se trouve à
la base de la démocratie208
». Rechercher l’harmonie, c’est considérer l’universalité non
seulement sous l’angle de ce que les Hommes partagent, mais surtout dans la perspective
du « projet humain » auquel Jolibert fait référence comme un devoir être, un idéal et une
réflexion à accomplir sur les choix moraux que l’on souhaite établir en tant que
communauté209
. Leroux affirme en ce sens que la diversité au sein d’une société ne
constitue en rien un obstacle à l’édification d’une culture partagée. Elle représenterait au
204
Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 134 205
Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 61 206
Fleuri dans Fernand Ouellet (dir.) Quelle formation pour l’éducation à la religion? Québec : Les Presses
de l’Université Laval, 2005, p. 165 207
Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 147 208
Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 133-134 209
Bernard Jolibert, op. cit.
78
contraire un « réservoir de différences susceptibles d’enrichir les valeurs communes210
» via
un processus délibératif. Là se dessine le rapport dynamique entre les deux finalités du
programme d’ÉCR : la reconnaissance de l’autre alimente la constitution d’un vivre-
ensemble qui, basé sur l’édification d’un cadre moral partagé, permet à son tour une
reconnaissance de l’autre comme valeur initiale.
Il est entendu que la poursuite du bien commun va également de pair avec la
réalisation d’un idéal démocratique. L’éducation civique est à cet effet l’un des principaux
domaines d’application des deux finalités du programme. En d’autres mots, la culture
citoyenne est un aspect capital de l’éducation pluraliste, puisque l’on admet d’emblée que
tout individu vivant au Québec jouit du principe d’égalité qui lui donne le ticket de
participation à la vie citoyenne, et ce avec ses particularités symboliques (croyances,
pratiques, etc.). Il doit toutefois faire siennes les valeurs qui sont reconnues comme la base
de la société civique. Ainsi, la création d’un lien civique basé sur la promotion de valeurs
citoyennes est l’une des finalités sous-entendues du programme d’ÉCR, bien que la frange
« Éducation à la citoyenneté » ait été recoupée du cursus pour être intégrée au programme
d’histoire. Nous sommes d’avis que les enseignants auraient à gagner de miser sur cet idéal
en classe de façon à mettre la table à une éducation civique prometteuse pour l’architecture
sociale à refaire. Or, le projet citoyen qui est souhaitable dans un cadre pluraliste n’est pas
de type « classique » qui, dépeint par François Jacquet-Francillon, s’appuie sur un contrat
social largement articulé autour de l’idée d’essence nationale et faisant abstraction des
identités particulières211
. La représentation d’une citoyenneté qui sied à un Québec
pluraliste en est une, évidemment, de solidarité, d’humanité et de reconnaissance des
particularités où chacun, dans un cadre normatif accepté de tous, a sa place dans la
délibération sociale. Pour Leroux, respecter la liberté de conscience de chacun est à cet
effet le premier pas de la délibération démocratique212
.
210
Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 140 211
Jacquet-Francillon dans Laurence Loeffel (dir.). École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui,
Villeneuve d’ASCQ : Presses universitaires du Septentrion, 2009, p. 120 212
Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 149
79
Il est par ailleurs intéressant d’établir un parallèle entre ce mode de délibération à
l’échelle citoyenne et l’aptitude au dialogue que l’on souhaite voir développer chez les
élèves pendant leur parcours scolaire. Tous deux sont fondés sur ce que Taylor appelle la
« nature fondamentalement dialogique de l’être humain », moteur de formation identitaire
et d’interprétation du monde. Dialoguer, c’est entrer en contact avec l’Autre tout en
développant des stratégies pour le faire de manière appropriée. Avouons que c’est ce que
requiert la participation citoyenne, tout autant que ce que les élèves sont appelés à déployer
en classe lors de situations de dialogue. C’est également au croisement de la reconnaissance
de l’autre et de la poursuite du bien commun que le dialogue devient possible et fertile. Il
apparaît donc avantageux d’utiliser le dialogue en classe en visant l’acquisition par l’élève
d’une série de comportements. Parmi ceux-ci, nous souhaitons qu’il s’exerce à élaborer un
argumentaire fondé, à évacuer de son discours ce qui pourrait entraver l’échange avec
autrui et à se montrer ouvert au point de vue de son interlocuteur. Qui plus est, et cela nous
mène à la question de l’identité, la nature dialogique de l’être humain présente l’idée que
c’est à la rencontre de l’Autre que l’individu se construit, se définit puis appréhende le
monde dans lequel il vit. Là émerge la double fonction du dialogue, c’est-à-dire la
définition de soi ainsi que l’apprentissage d’une participation profitable à l’échange
citoyen.
80
2.4 LA LAÏCITÉ
Nous avons vu en début de parcours que différentes acceptions de la laïcité sont
recevables. D’une part, une définition stricte du concept infère l’évacuation totale de la
religion de la sphère publique et la négation de toute démonstration des convictions
religieuses. Dans cette perspective, les individus sont égaux sur la base de la sécularité. Une
définition permissive de la laïcité pose d’autre part le postulat qu’aucune religion ne prime
sur les autres. Cette définition déverrouille donc à l’opposé un espace croyant sur la base de
l’égalité. De surcroît, il a été mentionné en introduction que le Québec, devant un
phénomène de diversification culturelle provoqué par diverses vagues d’immigration et un
repositionnement commun par rapport à l’Église catholique, avait tacitement fait le choix
d’adopter une position d’ouverture face au phénomène religieux. En effet, son code
génétique n’était plus désormais marqué exclusivement par un héritage judéo-chrétien
monolithique, mais plutôt multiple et surtout changeant La multiplication des convictions
et, parallèlement, de l’individualisation de la quête de sens était donc le nouvel état de fait
avec lequel le Québec devait désormais composer. C’est dans le Rapport Proulx que les
contours d’une laïcité de neutralité et de dialogue, donc pluraliste, ont été tracés. Cette
perspective colle à la définition qu’en donne Jean-Paul Delahaye, à savoir celle d’une
disposition étatique qui vise à enrichir la culture générale sans porter atteinte à la liberté de
conscience, présupposant de fait la « neutralité concernant la pluralité des options
spirituelles213
». Aussi ce type de laïcité s’inscrit-il dans la perspective selon laquelle les
états démocratiques et libéraux sont appelés à « accorder un respect égal à des individus
ayant des visions du monde et des schèmes de valeurs différents214
» et à garantir à tous les
individus le choix de leurs convictions215
. Ce faisant, la laïcité ne doit en aucun cas être
perçue comme le choix en faveur ou en défaveur de la religion : elle doit être comprise
comme « la condition de la coexistence des individus » et la « manifestation tangible du
vivre-ensemble »216
.
213
Delahaye dans Laurence Loeffel. École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve d’ASCQ :
Presses universitaires du Septentrion, 2009, p. 83 214
Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 29 215
Jeffrey dans Robert Mager (dir.) op. cit. 216
Ibid.
81
A. Une laïcité d’intelligence
Considérant qu’un modèle de société basé sur l’ouverture à la diversité suppose que
le rôle de l’État n’est pas d’imposer une unique vision du monde et du bien, il apparaît
fondamental, dans l’optique du vivre-ensemble, que les citoyens soient dotés d’une
autonomie morale leur permettant de se positionner de façon réfléchie devant à une
multiplicité de visions du monde217
. C’est peut-être ce qui s’ouvrirait, pour réinvestir
l’expression de Régis Debray, sur une « laïcité d’intelligence218
». En effet, souhaiter que
tout individu demeure souverain dans ses choix va de pair avec une foi en son
indépendance réflexive. Nous avons à ce titre abordé la multiplicité des conceptions du bien
et des systèmes de valeurs qui sont parfois incompatibles, notamment via
l’approfondissement de la pensée relativiste, et avons postulé que l’Homme peut être libre
quant à ses choix, mais dans une limite « raisonnable ». C’est la base d’une vision pluraliste
qui établit la double nature de l’être humain : libre et limitée. Si le propre d’une laïcité
qualifiée d’ouverte est d’accueillir une multiplicité de convictions religieuses et de visions
du monde, l’État ne peut faire fi de l’importance de promouvoir des principes
démocratiques fondamentaux219
. En effet, ce dernier doit encourager l’allégeance à un
éventail de valeurs constitutives des régimes démocratiques capables d’agir comme des
balises et d’orienter la société vers des finalités communes. Établir les bases d’une société
démocratique et ouverte ne peut au demeurant s’effectuer sans un travail de fond portant
sur l’élaboration d’un socle de valeurs que nous souhaiterions communes.
B. La charge de l’école au regard d’une laïcité pluraliste
Affirmer que l’école est un appendice de l’appareil étatique, c’est dire qu’elle doit
être porteuse des mêmes ambitions et faire la promotion des valeurs sous-jacentes à une
laïcité de neutralité. Dans cet ordre d’idées, Loeffel affirme que la laïcité est applicable au
cadre scolaire et deviendrait le socle du contrat social220
. Tel serait pour Leroux le sens de
217
Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 19 218
Régis Debray op. cit., p. 43 219
Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p 19 220
Loeffel dans Laurence Loeffel. École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve d’ASCQ :
Presses universitaires du Septentrion, 2009, p. 100
82
la laïcité scolaire, c’est-à-dire complémentaire à celle de l’État221
. L’école contiendrait donc
la promesse de la réalisation de ce projet d’architecture sociale et en serait le moteur, ce qui
suppose par ailleurs que les enseignants, représentants de l’État, seraient appelés à agir en
tant que porte-étendards du modèle laïc établi. Cela signifie qu’il est attendu des
enseignants qu’ils fassent la promotion de l’ouverture à la diversité symbolique et du
principe d’égalité de façon à diffuser le modèle laïc pour lequel nous avons fait le pari à
l’époque du Rapport Proulx. Lorraine Derocher, lors de sa conférence intitulée Enseigner à
des élèves croyants ou comment préserver sa neutralité, soulignait que le rôle de
l’enseignant est à ce titre de représenter la société devant l’enfant222
. Celui-ci est donc
appelé à être porteur de valeurs et d’un projet. Considérant que l’État n’est pas neutre et
que l’enseignant est représentant de l’État, l’enseignant n’est donc pas absolument neutre :
il est à la fois le porte-étendard et l’artisan du projet d’architecture sociale.
Affirmer que l’État n’est pas neutre, qu’il est « prescripteur du bien commun223
»,
c’est dire que l’éducation, en somme, ne l’est pas non plus. Elle poursuit une fin, elle est un
projet en soi, le premier espace démocratique où chacun « va à la rencontre de sa liberté en
même temps qu’il fait l’épreuve des droits des autres224
». L’enseignant d’ÉCR, parce qu’il
est appelé à traiter les questions relatives aux valeurs communes et à la diversité, doit donc
à notre sens épouser ce projet et agir en tant que modèle d’application d’une laïcité
pluraliste qui laisse émerger les produits de la liberté de conscience tout en faisant la
promotion de valeurs fondamentales.
2.5 UNE NEUTRALITÉ MESURÉE
La définition d’une neutralité mesurée est le point d’arrivée d’un parcours, un
cheminement dont le coup d’envoi était l’édification d’un cadre normatif commun
établissant les valeurs que nous souhaitons inviolables. Ces dernières devaient être investies
221
Georges Leroux op. cit., p. 14 222
Lorraine Derocher. « Enseigner à des élèves croyants ou comment préserver sa neutralité » dans le cadre
des Journées provinciale de formation continue pour l’AQÉCR, 2012 223
Loeffel dans Laurence Loeffel op. cit., p. 103 224
Georges Leroux op. cit.
83
comme la substance d’une réflexivité dont nous entrevoyons une double application : son
appropriation par les élèves, puis son activation systématique par l’enseignant d’ÉCR. Faire
usage de cette disposition cognitive permettrait en effet à l’enseignant d’accéder à une
pleine compréhension du rapport intrinsèque qui unit la reconnaissance de l’autre et la
poursuite du bien commun, et d’amarrer le traitement qu’il fait de la différence à ce lien
dynamique prenant corps dans une éducation pluraliste. Le pluralisme, soit le mécanisme
d’épanouissement de la diversité dans un cadre qui permet l’actualisation du plus grand
nombre légitimait pour sa part les bases théoriques de la laïcité d’ouverture dont le Québec
a fait le choix. Admettre à tous une liberté d’opinion, de croyance et d’expression, tant
qu’elle n’entre pas en contradiction avec les droits d’autrui ou ne bafoue pas les valeurs
fondamentales établies, voilà le pari du Québec moderne que doit aussi endosser, par
ailleurs, l’enseignant d’ÉCR. Comprendre cette chaîne théorique, c’est donc admettre au
final que l’essence de la neutralité de l’enseignant d’ÉCR est calquée sur celle de l’État :
une neutralité, donc, mesurée, pondérée, calculée. Il s’agit d’une neutralité que l’on pourrait
qualifier, paradoxalement admettons-le, d’intéressée, puisque mue par une intention propre.
A. L’État n’est pas neutre
Convenons donc que l’éducation n’est neutre que dans l’exacte mesure où l’est
aussi l’État. Si nous admettons que l’État québécois est pluraliste, qu’il mise sur une laïcité
d’ouverture et qu’il est responsable de promouvoir un corpus de valeurs communes, il doit
en être de même pour l’éducation. En effet, l’école est l’un des appendices de l’État. Il en
est le miroir et un vecteur de réalisation de ses ambitions. Diane L. Moore affirme aussi en
ce sens que « le projet éducatif n’est jamais neutre225
». Or, un État laïc prône le principe de
neutralité, mais en même temps arbore un ensemble d’intentions précises qui en font,
comme l’indique Loeffel, le « prescripteur de bien commun226
». Ce qui doit être marqué
par le sceau de l’impartialité, c’est en fait le rapport entre l’État démocratique et la
religion : celui-là ne doit pas, effectivement, favoriser l’un ou l’autre des religions ou
225
More dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 121 226
Loeffel dans Laurence Loeffel (dir.). École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve
d’ASCQ : Presses universitaires du Septentrion, 2009, p. 103
84
univers symboliques227
. Par contre, l’un de ses devoirs est de s’assurer que les convictions
religieuses et éthiques puissent être vécues à l’intérieur d’un cadre qui garantit à chaque
citoyen une liberté de conscience. Il importe donc que l’enseignant d’ÉCR, tout comme
l’État, demeure neutre face aux différentes conceptions du monde et visions séculières. Il
s’agit pour Debray de « pondérer une proximité compréhensive228
» et d’établir une
distance critique entre les faits religieux ou les référents éthiques traités en classe. Or, cette
proximité compréhensive revient à la neutralité pédagogique, qui est pour Leroux une
exigence éthique fondée sur la « primauté du respect de chaque jeune comme porteur
d’identités complexes229
».
Nous nous permettons à ce titre d’affirmer, puisqu’il est entendu que l’enseignant
est le représentant de l’État, qu’il doit en être de même en classe. En effet, un certain
nombre de principes moraux doivent être établis à l’école, puisque la transmission d’un
corpus de valeurs communes va de pair avec l’idée d’État éducateur230
. Il ne s’agit donc pas
pour l’enseignant d’adopter une position de neutralité à tout prix et en toute circonstance,
comme le mentionnent Gravel et Lefebvre. Il est plutôt appelé à revêtir l’habit d’un arbitre
impartial, certes, mais faisant néanmoins la promotion d’un cadre commun de principes
fondamentaux231
. De fait, l’enseignant d’ÉCR n’est donc pas tenu au mutisme et au
laxisme : on attend plutôt de lui qu’il exclue le favoritisme pour aménager en classe un
espace d’apprentissage du respect de la différence. L’adoption d’une posture de neutralité
mesurée doit en somme passer, pour Gravel et Lefebvre, par l’intégration d’une attitude
scientifique232
. Les auteures édictent, dans Le programme d’éthique et culture religieuse :
de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, une série d’impératifs
susceptibles de pouvoir guider l’enseignant dans sa quête d’une neutralité justifiée. Parmi
ceux-ci, notons le détachement de ses intérêts personnels, l’absence d’octroi de privilèges,
l’adoption d’une posture d’observateur désintéressé, la considération pour des valeurs
227
Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 17 228
Régis Debray op. cit., p. 29 229
Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 155 230
Loeffel dans Laurence Loeffel (dir.) op. cit., 231
Gravel et Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 208 232
Ibid., p. 195
85
généralement acceptées par tous et l’absence volontaire d’influence233
. Leroux, à son tour,
prescrit pour sa part trois principes qui visent à préciser le concept de neutralité. Il parle du
refus de toute discrimination, du respect absolu de la liberté de conscience et de la priorité
du bien commun234
. Ces prescriptions mettent en lumière deux principaux axes de la
neutralité enseignante : l’accueil d’une diversité de visions du monde et la promotion de
valeurs inviolables.
B. « S’abstenir n’est pas guérir »
Pour Leroux, les grandes finalités démocratiques que sont l’égalité et la liberté
doivent prévaloir en tout temps, et si l’expression d’une conviction entravait l’un ou l’autre
de ces principes, l’enseignant aurait la responsabilité de dire qu’elle n’est pas acceptable.
D’illustres philosophes, déjà, ont pensé cette limite. Locke avisait qu’il faut tout tolérer
sauf l’intolérance, alors que Kant affirmait qu’on doit tout respecter, sauf ce qui ne respecte
pas les droits universels de la personne. Des propos discriminatoires seraient par exemple
irrecevables en classe et un enseignant aurait le devoir d’intervenir à la suite de leur
formulation. S’abstenir, comme le souligne Debray, n’est pas guérir. Il ne faut pas tolérer
l’inacceptable, mais convenons que ce leitmotiv est largement plus aisé à réciter qu’à
appliquer en classe, et cela constitue une autre difficulté qui guette l’enseignant d’ÉCR.
Celui-ci doit prendre réellement conscience que sa neutralité n’implique en aucun cas qu’il
doive se taire devant un jugement haineux. Il est impératif qu’il abandonne les formules qui
laisseraient planer un doute sur la valeur accordée à des propos discriminatoires (ex. :
« c’est ton opinion »). Il doit réagir avec aplomb et avoir l’assurance de rejeter avec fermeté
des propos racistes, par exemple, ou homophobes. Ce contexte d’intervention comporte
cependant le risque de l’incompréhension des élèves. En effet, il est très malheureusement
envisageable qu’un élève ne tienne compte que du rejet de son intervention en classe et
rapporte l’application de l’autorité de son enseignant comme une violation de sa liberté
d’expression. Le fait est que les objectifs et moyens pédagogiques rattachés au programme
d’ÉCR demeurent souvent incompris d’une large frange de la population, et que l’idée
d’avoir à justifier ses interventions peut s’avérer très lourde pour l’enseignant d’ÉCR. Or, il
233
Gravel et Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 196 234
Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 154
86
suffit de nous rappeler que cet écueil qui guette les enseignants est évitable grâce à la mise
en application du cadre de valeurs communes établi, à l’usage d’une raison critique par
l’enseignant puis à une référence continue aux deux finalités du programme d’ÉCR.
C. « On est tous quelque part »
Une dernière indication permet de considérer l’impératif de neutralité d’une façon
renouvelée ou, du moins, peu orthodoxe. Cette compréhension est celle, paradoxale, de
l’aveu de l’irréalité de la neutralité. Certains sourcilleront face aux propos d’Alain
Bouchard qui, lors de sa présentation intitulée Posture professionnelle en ÉCR et laïcité
québécoise : même défi?, postulait que « la neutralité, ça n’existe pas235
». Peut-être
devrions-nous plutôt comprendre de cette affirmation que la neutralité véritable n’existe
pas, puisque tout individu est porteur de croyances, de convictions et d’une culture, bagage
dont n’est pas dépourvu l’enseignant d’ÉCR. Il importe d’abdiquer devant l’évidence que
les individus, élèves comme enseignants, sont empreints d’une subjectivité de facto
marquée par un héritage propre. En d’autres mots, ceux de Bouchard citant Gérard Fourez,
on est tous quelque part. Ce qui importe, ce n’est donc pas de feindre que l’on est démuni
d’allégeances, mais bien d’être conscient de celles-ci. Il faut « savoir où l’on est236
». Si
l’enseignant d’ÉCR ne peut être neutre, il se doit en contrepartie d’agir avec neutralité ou
de traiter les questions abordées en classe de la façon la plus impartiale possible, c’est-à-
dire sans parti pris et s’abstenant évidemment de tout prosélytisme.
Cette perspective soulève par ailleurs l’épineuse question des signes ostentatoires
dans la fonction publique. Une femme portant le voile pourrait-elle enseigner l’ÉCR tout en
demeurant neutre? Voilà une question embarrassante à laquelle Bouchard répond par
l’affirmative. La définition de la neutralité, ou plutôt l’aveu de l’impossibilité d’être
strictement neutre, donne justement à penser qu’un individu démontrant son allégeance
religieuse serait en mesure d’exercer ses fonctions en respectant les normes relatives à sa
profession. Le cas échéant, son rôle est d’être impartial dans le traitement des questions en
235
Alain Bouchard. « Posture professionnelle en ÉCR et laïcité québécoise : même défi? » dans le cadre des
Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse, 2013 236
Ibid.
87
classe. S’il n’était pas capable de faire preuve de professionnalisme et que son jugement
s’avérait biaisé, on dirait simplement de lui qu’il est incompétent, avec ou sans signe
religieux. Du coup, un enseignant honorant parfaitement la définition péquiste en matière
de neutralité religieuse, mais étant défaillant sur le plan de son impartialité à l’égard des
questions traitées en classe serait nettement plus nocif qu’une enseignante voilée
remplissant l’ensemble des devoirs qui lui incombent. Il s’agit là d’une question de
confiance envers le personnel à l’emploi de l’état, et cela ne devrait pas relever de la
question religieuse. Il serait selon nous souhaitable que l’employeur porte un regard attentif
sur la façon dont l’enseignant accomplit ses tâches professionnelles, c’est-à-dire sur sa
compétence brute, nonobstant l’image qu’il renvoie.
Le principal avantage de penser la neutralité enseignante de cette façon est celui du
modèle positif constitué. En effet, on demande aux élèves de développer une raison critique
et un ensemble d’autres outils intellectuels permettant de porter un regard sur le monde qui
contribue au vivre-ensemble, et ce malgré leur point de vue initial ou les idées véhiculées
au sein du noyau familial. Si celui qui les accompagne dans cette quête est un individu lui-
même dépourvu de couleurs et qu’il n’est positionné nulle part, comment peut-il prétendre
être un modèle véritable? En contrepartie, nous pensons qu’un enseignant conscient de ses
convictions et honnête envers lui-même et ses élèves, mais apte à en faire abstraction pour
appréhender les faits religieux ou éthiques avec circonspection et jugement représenterait
un modèle positif à l’égard de la démarche attendue. Humaniser la neutralité et les
processus cognitifs propres à l’ÉCR, ainsi pourrait-on comprendre cette détermination à se
défaire d’une image stérile du rôle enseignant.
La contrepartie de cet avantage, il est essentiel de le mentionner, est celui des
risques de glissement. En effet, la définition de la neutralité proposée nous semble
foncièrement féconde mais nous sommes conscients qu’elle sied à un contexte idéal où la
formation des enseignants d’ÉCR serait sans faille et continue, puis dans la mesure où le
programme de formation serait suffisamment encadrant. Ainsi admettons-nous que certains
risques d’erreurs sont inhérents à cette façon ouverte d’entrevoir le devoir de neutralité de
l’enseignant d’ÉCR. Ce risque est celui de l’influence naturelle de l’enseignant sur l’élève.
88
Il serait souhaitable, il va de soi, que cette inévitable influence soit celle de la raison
critique, du jugement, de la curiosité et de l’ouverture, et non pas celle évidemment des
convictions en tant que telles.
89
CONCLUSION
À l’aune de ces considérations théoriques et pratiques, effectuons un retour sur la
problématique soulevée d’entrée de jeu. Nous souhaitions circonscrire une posture éthique
qui permettrait d’aborder la différence avec assurance et aplomb dans le cours d’ÉCR de
façon à conforter l’enseignant dans son rôle professionnel. Afin d’échafauder un cadre de
compréhension complémentaire aux indications brutes pourvues par les auteurs des
documents ministériels, quatre grands axes ont été explorés. Le processus d’adoption d’un
modèle laïc a été légitimé à la lumière des jalons chronologiques ayant rythmé l’évolution
du Québec dans son rapport avec le corps clérical, entre autres en ce qui a trait à la place
accordée à la religion dans l’éducation, processus ayant culminé avec l’implantation du
programme d’ÉCR en 2008. Le concept de différence a, dans un second ordre d’idée, lui-
même été défini comme étant la conception relative définissant la diversité des façons
d’être humain. Nous avons précisé que la différence culturelle, substance des sociétés
plurielles, relevait largement des perspectives éthiques et des affiliations religieuses, réels
moteurs identitaires des sociétés. La tolérance a également été abordée comme une attitude
curieusement insuffisante pour stimuler les relations interculturelles puisqu’elle infère un
rapport de supériorité qui ferme la porte à une réelle reconnaissance de la différence.
Troisièmement, un examen exhaustif des indications pourvues par les auteurs du
programme ministériel à propos du rôle professionnel de l’enseignant d’ÉCR a été réalisé.
Cet exercice a permis d’établir qu’à l’enseignant d’ÉCR incombe un triple rôle de passeur
culturel, d’accompagnateur dans la pratique du dialogue et de détenteur d’un devoir de
réserve. Ces trois fonctions de l’enseignant, déjà, mettaient en lumière le fait que
l’éducation à l’éthique et à la culture religieuse est porteuse d’une intention propre et que
pour cette raison le devoir de neutralité de l’enseignant ne devait pas être interprété comme
l’obligation à un mutisme. Finalement, les deux finalités officielles du programme ont été
approfondies sous l’angle de leur teneur philosophique respective a priori dichotomique.
Cet examen plutôt théorique a permis d’établir que la reconnaissance de la diversité n’entre
pas en conflit avec la poursuite du bien commun et que, se rencontrant dans la perspective
pluraliste, elles sont au contraire complémentaires.
90
L’examen de ces éléments théoriques nous a, dans la seconde partie de parcours,
permis d’élaborer un corpus de considérations pratiques visant à circonscrire une posture
favorable à l’enseignement de la différence dans le cours d’ÉCR. Nous avons ainsi tenté de
nommer au passage des clés d’action et des pièges à éviter avec en tête l’objectif de
proposer des pistes claires pour les enseignants d’ÉCR. Pour ce faire, nous avons tissé un
enchaînement de dépendances théoriques dont le premier maillon est l’édification d’un
socle de valeurs communes. C’est en effet grâce à un constant recours à des référents
normatifs collectifs que les membres d’une société peuvent s’accomplir en jouissant d’une
liberté consentie. À cet égard, la citoyenneté est apparue comme une assise normative
franchement féconde et permettant de proposer le schème tripartite dignité-civisme-
réciprocité comme cadre suffisamment restreignant, mais propice à laisser néanmoins
fleurir la liberté individuelle. Nous avons ensuite établi que ce cadre axiologique devait
constituer la base de la disposition cognitive réflexive dont la raison critique et
l’authenticité sont les moteurs. Aussi ce socle de valeurs partagées et l’appropriation d’une
réflexivité mue par ce dernier nous sont-ils apparus en soi comme des objets de savoir à
transmettre aux élèves en tant qu’héritage citoyen partagé, mais aussi comme des
instruments de la pratique enseignante, entre autres au regard de l’idéal dialogique vers
lequel doivent converger les efforts pédagogiques de l’enseignant. Cette disposition
réflexive a ensuite été dressée comme la clé de la compréhension du rapport initial entre la
reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun, deux finalités du programme
d’ÉCR opposées à première vue, mais en réalité fondamentalement amarrées par le lien
pluraliste. Le pluralisme constituerait pour cette raison le modèle permettant de soutenir
l’épanouissement de la différence dans un espace qui garantit le respect de l’intégrité de
tout individu, et serait à ce titre garant de la réalisation de l’idéal démocratique et de
l’accomplissement de la résolution laïque énoncée par la société québécoise moderne.
Celle-ci constitue le quatrième, soit l’avant-dernier élément constitutif de cette chaîne
causale. Ainsi avons-nous décrit le modèle laïc ouvert (ou pluraliste) comme étant la clé
permettant de déverrouiller un espace basé sur le principe d’égalité dans lequel la définition
identitaire individuelle peut croître sans bafouer les droits d’autrui, ce qui a dressé les
contours d’une nature humaine bipartite, c’est-à-dire libre et limitée à la fois (ce qui établit
le lien avec les finalités du programme qui concernent la reconnaissance individuelle autant
91
que la primauté du bien commun). Il a été convenu que l’école a une responsabilité vis-à-
vis ce projet laïque, ce qui nous a finalement menés vers une définition de la neutralité
enseignante. En effet, nous avons établi que l’option laïque constituait un projet porté par
l’État, et donc que ses appendices devaient aussi la promouvoir. Or, l’éducation, et
largement le cours d’ÉCR, est un espace indiqué pour jeter les bases de ce projet pluraliste.
Cela revient cependant à dire que l’enseignant qui porte cette charge n’est pas totalement
neutre dans la mesure où il est attendu de lui qu’il revête les mêmes ambitions que l’État
dont il est un émissaire. Sa neutralité doit donc être balisée ou pondérée par les principes
qui ont été édictés précédemment de façon à valoriser une société pluraliste tout en
demeurant prudent de ne pas admettre les glissements.
Ainsi avons-nous avons fait le choix du qualificatif mesuré afin de nuancer le devoir
de neutralité qui incombe à l’enseignant d’ÉCR. Une neutralité enseignante mesurée, voilà
donc le point d’arrivée de cet enchaînement qui constitue par ailleurs la réponse à la
problématique de départ. Bien que conscients que cette contribution peut paraître
négligeable vis-à-vis la vaste question de la posture enseignante, nous sommes d’avis que
c’est par le biais d’une nuance comme celle-ci que l’enseignant d’ÉCR peut réussir à
s’accomplir dans un état de confiance et cesser, enfin, d’agir à tâtons au regard de la
différence. Il n’est pas suffisant de consigner simplement dans les pages de documents
ministériels le devoir de neutralité qui lui incombe ou d’énumérer froidement les
paramètres de son rôle professionnel. Il est en effet fondamental que l’enseignant d’ÉCR
s’approprie une posture assurée lui permettant de développer un sentiment
d’accomplissement et de légitimité, d’offrir aux élèves à un enseignement qui réalise les
potentialités du programme et d’œuvrer en fonction de la survie même du cours.
Or, si l’engrenage théorique explicité apparaît cohérent, admettons toutefois que son
maillon principal devant agir comme moteur, c’est-à-dire l’édification d’un socle de valeurs
communes, est défaillant. En effet, il est toujours pour l’heure objet de moult
questionnements et substance des tergiversations identitaires du peuple québécois. Force est
à ce titre d’admettre le rôle fondamental de l’enseignant d’ÉCR qui doit s’accomplir de
92
façon à honorer le projet pluraliste et le schème d’une laïcité ouverte basée sur un ensemble
de valeurs fondamentales portant sur l’ambition d’une citoyenneté partagée.
Au-delà des pistes de réponse proposées siège en effet la nécessaire prise de
conscience par l’enseignant d’ÉCR de la portée de son action pédagogique et de la
promesse d’architecture sociale qu’elle porte. Il doit, conformément à l’objectif de
l’éducation au pluralisme, avoir conscience qu’il est un artisan du projet d’émergence d’une
culture du respect visant la liberté pour chaque individu d’affirmer son identité et de
prendre part à la vie citoyenne. Leroux soutient que l’école, et plus particulièrement le
cours d’ÉCR, offre un cadre d’autocompréhension parmi un ensemble de structures
d’appartenance complexes permettant à l’élève de devenir un citoyen autonome capable
d’outrepasser une attitude « purement hétéronome ». Il est en effet souhaité que l’élève
acquière l’aptitude à réfléchir à propos de la coprésence des identités, matière première de
la société pluraliste. Il doit être à même d’évoluer dans cet univers de convictions et de
valeurs en tant que « membre de la communauté humaine237
» détenteur d’un devoir
citoyen. Cela revient, comme l’indique Fleuri, à ébranler la « suffisance identitaire238
» en
amenant l’élève futur citoyen à revêtir une distance critique face à ses propres convictions
initiales, sans les renier toutefois, puis devant la diversité des référents éthiques et religieux
qui l’entourent. Il s’agit là de la fin proprement culturelle du programme d’ÉCR. C’est par
la réflexivité et par rapport à un cadre de valeurs partagées que l’élève sera à même de
gérer les informations symboliques présentées dans le cadre du cours et que les portes
d’une assurance cognitive vis-à-vis celles-ci lui seront ouvertes. Cette confiance
intellectuelle sera appelée à contribuer à l’édification d’une identité propre, mais
dynamique face au monde. Une identité franche prenant acte de l’Autre. Pour reprendre les
mots de Leroux, il est souhaité que l’élève soit amené à « déduire que la pluralité n’est pas
un obstacle à surmonter, mais une richesse à connaître et à intégrer dans sa vision du
monde239
». L’usage de la différence comme levier pour l’édification d’une culture
complexe, florissante et sans cesse changeante, voilà en somme la substance du rapport
dynamique dans lequel on souhaite voir s’investir les citoyens en devenir.
237
Vigneault dans Fernand Ouellet (dir.) op. cit., p. 180 238
Fleuri dans Fernand Ouellet (dir.) op. cit., p. 166 239
Georges Leroux. Éthique, culture religieuse, dialogue : arguments pour un programme, op. cit., p. 14
93
Avec un lyrisme consenti, Reboul appréhende finalement la portée morale de
l’éducation en signifiant qu’elle est de former l’Homme. Le cours d’ÉCR, nous le pensons,
a été réfléchi, échafaudé, expérimenté puis instauré à cette fin relative à la formation de
citoyens aptes à la délibération et capables de s’autodéfinir dans un univers symbolique
complexe. Il importe, compte-tenu du calibre titanesque de cette tâche, que l’enseignant
d’ÉCR soit en mesure d’entrevoir la portée de son action, l’impact irrémédiable de ses
intentions et, surtout, l’inestimable valeur des résultats espérés.
95
RÉFÉRENCES
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culture religieuse, 2013
101
ANNEXE
L’ÉVOLUTION DE LA PLACE DE LA RELIGION DANS L’ÉCOLE QUÉBÉCOISE
Date Évènement Conséquences sur le plan social
1841
1867
Première loi scolaire du nouveau gouvernement
de l’Union et amendement.
Instauration de la fonction de Surintendant à
l’Éducation.
La protestation des catholiques
conduit au droit à la dissidence.
Une autorité est instaurée en matière
d’éducation.
1867 Adoption de la Constitution canadienne faisant de
l’éducation une compétence de juridiction
provinciale.
Création du Ministère de l’Instruction publique.
Les droits des catholiques et des
protestants quant aux écoles
confessionnelles sont protégés par
l’article 93.
1869 Division structurale du système en deux secteurs
confessionnels : catholique et protestant.
1875 Abolition du Ministère de l’Instruction publique
et rétablissement de la surintendance.
L'éducation est alors confiée à
l'autorité du département de
l'Instruction publique (DIP), formé
d'un comité catholique et d'un comité
protestant.
Renforcement de l’autorité
ecclésiastique sur le champ de
l’Instruction publique.
1960 Publication de l’ouvrage Les insolences du Frère
Untel.
Cette publication est considérée
comme l’un des événements fondateurs
de la Révolution tranquille.
1961 Adoption de la Grande Charte de l’éducation. Ensemble de projets de lois visant à
inscrire l’éducation dans la
modernisation du Québec.
102
1963-
1964
Publication, sous le gouvernement Lesage, du
Rapport Parent (Rapport de la Commission royale
d’enquête sur l’enseignement dans la province de
Québec) faisant état de la situation de l’éducation
au Québec dans les années 60 et formulant les
recommandations suivantes :
1. Unification de la structure administrative
en matière d’éducation;
2. Création du Ministère de l’éducation;
3. Création des CÉGEP en remplacement
des collèges de l'époque dirigés par des
religieux;
4. Formation poussée des enseignants;
5. Opération 55 (unification des
commissions scolaires);
6. Création du Conseil supérieur de
l’éducation.
La tenue de la Commission Parent et
ses conclusions s’inscrivent dans le
contexte social propre à la Révolution
tranquille et répondent à deux
aspirations du Québec :
Entrée dans la modernité;
Démocratisation de
l’éducation.
1977 Implantation du programme d’enseignement
religieux de type culturel au Québec.
Ce programme reçoit un accueil
mitigé et son implantation est marquée
par la méfiance et la réticence.
1981 Enquête du Conseil supérieur de l’éducation sur
le vécu de la confessionnalité scolaire dans les
écoles.
On constate que les enseignants du
niveau primaire ne sont plus en
mesure d’assurer le caractère
catholique de l’école, ce qui reflète le
pluralisme de la société québécoise
ainsi que son ignorance en matière de
culture religieuse.
Le Conseil recommande « que le droit
à la liberté de religion et le principe de
non-discrimination soient respectés
comme une exigence du système
d’éducation québécois et orientent, en
conséquence, toutes les modifications
scolaires ».
103
240
Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis. Les défis de la formation à l’éthique et à la culture religieuse, p. 8 241
Ibid., p. 9
1982 Publication du Livre blanc sur la réforme de
l’éducation.
1984 Suppression du programme d’enseignement
religieux de type culturel par le Comité
catholique.
Mise en place du régime d’option.
Avènement de l’enseignement moral en
tant qu’alternative à l’enseignement
religieux catholique.
1993 Publication des propositions du Conseil supérieur
de l’éducation :
Déverrouillage confessionnel;
Exploration de « la piste d’un
enseignement, à la fois moral et religieux,
de type culturel à ceux qui le désirent240
»
Le cadre conceptuel à travers lequel
est entrevu l’enseignement religieux
est en mutation : on parle maintenant
d’enseignement des religions ou du fait
religieux.
Le débat sur la mise en place des
commissions scolaires linguistiques se
poursuit.
1995 Proposition de la déconfessionnalisation scolaire
par les membres des États généraux de
l’éducation.
On assiste à une radicalisation de la
proposition et à la conceptualisation
d’une laïcisation complète du système
scolaire.
1997 Coup d’envoi d’une démarche institutionnelle
sous la tutelle ministérielle de Pauline Marois
pour « gérer les attentes religieuses dans la
perspective d’une société pluraliste ouverte, dans
le sens d’une démarche progressive et dans le
respect de l’histoire et de la culture
québécoises241
».
Création du Groupe de travail sur la religion à
l’école.
La poursuite du système en vigueur
(régime d’options) est annoncée.
1998 Modification de l’Article 93 de la constitution
canadienne.
Les privilèges constitutionnels liés à la
confessionnalité sont éliminés.
104
242
Ministère de l’Éducation (Micheline Milot et Jean-Pierre Proulx). Les attentes sociales à l’égard de la
religion à l’école publique (Rapport de recherche), Gouvernement du Québec, 1999, p. 200 243
Ministère de l’Éducation. Dans les écoles publiques du Québec : une réponse à la diversité des attentes
morales et religieuses, Gouvernement du Québec, 2000, p. 5
1999 Création de la coalition pour la
déconfessionnalisation scolaire.
Publication du Rapport Proulx (Laïcité et
religions) par le Groupe de travail sur la religion
à l’école, qui recommande le remplacement de
l’enseignement religieux confessionnel par un
enseignement culturel des religions obligatoire
pour tous.
Transmission des recommandations du Groupe de
travail sur la religion à l’école au ministre de
l’Éducation pour qu’elles soient débattues
publiquement.
On assiste à un consensus quant à la
déconfessionnalisation des structures
supérieures de l’enseignement mais
pas à la forme que doit prendre
l’enseignement de la religion.
Émergence de la conclusion suivante :
« La religion peut avoir une place à l’école,
comme contribution à l’éducation intégrale de
l’enfant, dans la mesure où son aménagement
respecte la norme de l’égalité fondamentale des
citoyens et qu’elle favorise l’atteinte des buts
qui sont nécessaires à la formation des citoyens
et à la construction du lien social242
».
2000 Publication des orientations du Ministère de
l’éducation :
Volonté d’enclencher une « démarche
progressive respectant l’évolution des
mentalités et des milieux243
»;
Changement de perspective vis-à-vis
l’enseignement culturel de la religion.
Modifications apportées à la Loi sur l’instruction
publique (loi 118) et aux chartes québécoise et
canadienne en ce qui a trait à l’égalité face à la
liberté de religion et de conscience.
Adoption de dispositions dérogatoires pour
catholiques et protestants assurant le maintien de
leurs droits et libertés.
Le primaire et le premier cycle du
secondaire ne seront pas touchés par
les modifications curriculaires
relatives à l’enseignement des
religions (bien qu’une possibilité de
dérogation demeure), mais un cours
obligatoire d’éthique et
d’enseignement culturel des religions
remplacera le régime d’option au
deuxième cycle du secondaire.
2004 Appui du Comité sur les affaires religieuses au
programme commun d’éthique et d’éducation à la
religion.
105
244
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. La mise en place d’un programme d’éthique et de culture
religieuse : une orientation d’avenir pour tous les jeunes du Québec, Gouvernement du Québec, 2005, p. 5
2005 Échéance des clauses dérogatoires.
Création d’un nouveau programme d’Éthique et
culture religieuse par le Ministère de
l’Éducation, qui doit être effectif à compter de
l’automne 2008 et repose sur quatre grands
préceptes244
:
1. Continuité des apprentissages;
2. Enracinement des apprentissages dans la
réalité et la culture des jeunes du Québec;
3. Respect de la liberté de conscience et de
religion;
4. Préoccupation que ces apprentissages
favorisent le vivre-ensemble.
Modification à la Loi sur l’instruction publique
(loi 95) pour mettre le gouvernement à l’abri des
poursuites judiciaires.
Abolition officielle de l’enseignement
confessionnel (effective en 2008).
2006 Publication de l’avis La laïcité scolaire au
Québec : un nécessaire changement de culture
institutionnelle par le Comité sur les affaires
religieuses.
2005-
2008
Élaboration du programme d’Éthique et culture
religieuse (tests, promotion, etc.).
Contestations populaires.
2008 Implantation officielle du cours d’ÉCR.
Affaire Lavallée-Jutras pour le droit à
l’exemption portée devant la Cour suprême
(jugement à venir).