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Faculté de Droit, des Sciences Économiques et de Gestion Master 2 Management du Tiers Secteur et des entreprises de l’ESS Année 2014/2015 Quels sont les enjeux, les processus, les facteurs de réussite et les freins d’une transmission ou d’une transformation d’entreprises saines en Scop, à travers le cas des magasins Biocoop ? MÉMOIRE DE MASTER 2 Présenté et soutenu publiquement le 4 septembre 2015 par Baptiste LAIGNEL Enseignant-conseil : Monsieur Thierry Jolivet Tuteur professionnel : Monsieur Jean-Pol Kerjean

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Page 1: Quels sont les enjeux, les processus, les facteurs de

Faculté de Droit, des Sciences Économiques et de Gestion Master 2 Management du Tiers Secteur et des entreprises de l’ESS Année 2014/2015

Quels sont les enjeux, les processus, les facteurs de réussite et les freins d’une transmission ou d’une

transformation d’entreprises saines en Scop, à travers le cas des magasins Biocoop ?

MÉMOIRE DE MASTER 2

Présenté et soutenu publiquement le 4 septembre 2015

par Baptiste LAIGNEL Enseignant-conseil : Monsieur Thierry Jolivet Tuteur professionnel : Monsieur Jean-Pol Kerjean

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Je tiens à remercier Monsieur Thierry Jolivet, pour ses conseils et sa disponibilité tout au long de l’élaboration de ce mémoire. Je remercie Monsieur Jean-Pol Kerjean pour sa bienveillance et ses conseils à l’égard de mon projet. Merci à l’ensemble des gérants de magasins Biocoop institués en Scop d’avoir bien voulu répondre à mon questionnaire et d’avoir participé à nos entretiens. Et, enfin, un grand merci à l’ensemble de l’équipe du Biocoop « Au Bourgeon Vert » de Bourges pour m’avoir fait découvrir, une nouvelle fois, les plaisirs de l’entrepreneuriat éthique et solidaire.

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SOMMAIRE

Introduction Générale page 1 Première partie : Etat des lieux théorique page 3

A) Le Réseau Biocoop page 3 I) Valeurs et principes du réseau page 3 II) Historique page 4 III) L’organisation politique du réseau page 7 IV) Des filiales qui alimentent la dynamique du réseau page 9 V) Les caractéristiques des magasins Biocoop page 10

B) Les Scop (Sociétés Coopératives et Participatives) page 14 I) A propos des coopératives en général page 14 II) Les Sociétés Coopératives et Participatives page 15

1) Définition et principes directeurs page 16 2) Origine juridique, forme et domaine d’activité page 17 3) Les associés

a) La double qualité ; les droits et les obligations page 17 b) Les types d’associés page 18

4) Les assemblées générales et les organes de direction page 19 5) Le capital social

a) Considérations générales page 21 b) Conditions de souscription page 21 c) Les catégories de parts sociales page 22

6) L’impartageabilité des réserves page 23 7) Répartition des bénéfices et imputation des pertes

a) Répartition des bénéfices page 24 b) Imputation des pertes page 25

8) La formation de capitaux propres a) Considérations générales et définitions page 26 b) Les instruments facilitant leur constitution page 26

9) Le régime fiscal page 28 10) Le contrôle page 28

Conclusion de partie page 28

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Deuxième partie : Méthodologie de l’enquête page 30

A) Recherche de données sur les biocoops en Scop page 30

B) Administration du questionnaire préalable page 30

C) L’élargissement aux composantes managériales page 32

D) Les entretiens page 32 I) Leur élaboration page 32 II) L’administration des entretiens page 36 III) Le rétro-planning page 37 IV) Population des répondants et autres entretiens téléphoniques page 37 V) Quelques indicateurs page 37

1) Statuts des Scop page 37 2) Explications des disparités régionales page 38 3) Le nombre et proportion des salariés dans les associés page 38 4) La répartition des résultats page 39

E) Les actions correctrices page 39

Conclusion de partie page 40

Troisième partie : La transformation/transmission page 41 Avertissement

A) Les enjeux de la procédure pour le réseau Biocoop page 42 I) Stopper la valorisation des entreprises page 42 II) Créer un continuum avec les salariés page 43

B) La description du processus de transmission page 44

Introduction : à propos du processus de transformation page 44 I) La prise de contact page 47 II) Établir un diagnostic de l’entreprise page 47 III) L’évaluation financière de l’entreprise page 47 IV) Susciter l’adhésion de l’équipe au projet page 49 V) Le diagnostic juridique page 50 VI) Le plan de reprise page 50 VII) La négociation et la cession page 50 VIII) Le commencement de la vie coopérative page 51

C) Les parties-prenantes du projet page 51

I) Le cédant page 52 1) Les enjeux page 52 2) Les facteurs favorisant la réussite du processus page 53

a) Les facteurs humains page 53 b) Les facteurs financiers page 55

3) Les freins page 56

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a) Les freins financiers page 56 b) Les freins psychologiques page 57

II) L’équipe salariée et le(s) successeur(s) pressenti(s) page 57

1) Les enjeux page 57 2) Les facteurs favorisant la réussite du processus page 58

a) Les facteurs institutionnels page 58 b) Les facteurs humains page 59 c) Les facteurs financiers page 62

3) Les freins page 62 a) Les freins humains page 62 b) Les freins institutionnels page 63

III) Le réseau Biocoop page 65 IV) La Confédération Générale des Scop et ses Unions Régionales page 66

1) Quels accompagnements ? page 66 2) Les formations que proposent les Unions Régionales page 67 3) Les outils financiers dont dispose la CG Scop page 68

D) Les aides et l’accompagnement d’autres acteurs page 70

I) Les organisations privés page 70 II) Les institutions publiques page 72 III) Les nouveaux dispositifs juridiques page 73

Conclusion de partie page 74 Conclusion Générale page 76 Bibliographie page 77 Annexes page 81

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Introduction Générale "Les fondateurs des coopératives de consommation à l'origine de Biocoop sont pour la plupart anonymes. Précurseurs [...] d'une décroissance volontaire, certains, issus des mouvements étudiants de 1968, sont à la recherche, parfois utopique, souvent chaotique mais toujours enthousiaste, d'un nouvel art de vivre, condition de la survie de notre planète" Hugues Toussaint, Biocoop 1986-2006 - La bio en mouvement p. 7 Au cours de son histoire, le réseau Biocoop est passé par de nombreuses phases de construction. Des premières "coops bios" à la création d'une marque de distributeur en nom propre, le réseau, fort de ses nombreux militants a réussi à devenir aujourd'hui le premier réseau de magasin de distribution de produits bios de France. Cette réussite n'est pas celle d'un grand groupe capitaliste qui a repéré dans la vente d'un certain type produit, une niche à exploiter, mais bien l'action de groupes de consommateurs recherchant "un nouveau mode d'échanges fondé sur la transparence et la relation directe avec les agriculteurs" et décidant de devenir acteurs de leur consommation; des « consom'acteurs ». Les Sociétés COopératives et Participatives sont des entreprises détenues majoritairement par leurs associé-salariés. Gardiennes de la démocratie économique, le modèle Scop est souvent, à tort, associé aujourd'hui à la reprise des entreprises en difficulté. Par ailleurs, nombre d'entreprises sont aujourd'hui reprises en Scop parce que le départ à la retraite du gérant est imminent et que les salariés préfèrent reprendre l'outil de travail afin de prendre en main leur avenir. Aujourd'hui, le marché de la vente de produits bios est en pleine expansion. Les magasins Biocoop tablent sur une croissance annuelle de leur chiffre d'affaires avoisinant les 10 à 11% en moyenne. Et la politique affichée du réseau est de proposer aux consommateurs un bio accessible pour tous. Un constat s’impose. D'un côté, les gérants des magasins s'approchent de la retraite et l'hypothèse de la cession du magasin se fait pressentir. La forte croissance de ces entreprises entraîne une valorisation forte de ces dernières lors des cessions. Le prix trop fort des entreprises pourrait avoir un impact sur les prix proposés et ainsi entretenir une "dérive élitiste" de ces magasins. D'un autre côté, les consom'acteurs sont de moins en moins militants et les consommateurs de plus en plus volatiles. Les coopératives de consommateurs éprouvent des difficultés quant à l'implication de leurs bénévoles au quotidien. Au regard des enjeux concurrentiels actuels sur ce marché, il est important de trouver une solution à ce problème de gouvernance. La transmission en Scop peut être une solution pertinente par rapport à la reprise par une tierce personne dont les finalités pourront paraître incertaines. Elle peut être également une solution dans le cas de coopératives recherchant des solutions quant à leurs problèmes de gouvernance.

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Nous allons donc nous attacher à répondre à la problématique suivante: quels sont les enjeux, les processus, les facteurs de réussite et les freins d’une transmission ou d’une transformation d'entreprises saines en Scop à travers le cas des magasins Biocoop? Pour répondre à cette problématique, nous avons choisi de réaliser un plan en trois parties. La première exposera un état des lieux historiques et organisationnels du réseau Biocoop ainsi qu'un état des lieux théorique et juridique à propos du statut Scop. La deuxième partie sera dédiée à la méthodologie de l'enquête que nous avons menée auprès des 30 magasins Biocoop constituées en Scop. Enfin, une dernière partie sera consacrée à la présentation du processus de transmission/transformation ainsi qu'à l'exposition des facteurs clés de succès et des freins afférents à cette démarche; le contenu de cette partie verra la mise en perspective des écrits universitaires au regard de l'expérience vaincue des gérants interrogés.

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Partie 1 : Etat des lieux théorique Cette première partie trouve sa justification d’une part dans la définition et la présentation du réseau Biocoop et d’autre part dans la présentation du statut des Scop. Cet état des lieux permettra de poser le cadre théorique, historique et institutionnel de ces deux phénomènes. Cette première approche est nécessaire pour la compréhension globale du processus de transmission/transformation (troisième partie). A) Le réseau Biocoop I) Valeurs et principes du réseau Le réseau Biocoop est un réseau qui s'est créé il y a presque 30 ans maintenant dans le but de redonner de la cohérence dans l'action de production, de consommation et d'entrepreneuriat collectif. Il est le leader de France de la distribution alimentaire de produits biologiques et propose des produits du commerce équitable ainsi qu'un choix très étendu d'écoproduits et de cosmétiques. La charte de 1986 dont tous les magasins sont impérativement signataires s'exprime en ces termes :

« Notre réseau de magasins Biocoop a pour objectif le développement de l'agriculture biologique dans un esprit d'équité et de coopération.

En partenariat avec les groupements de producteurs, nous créons des filières équitables fondées sur le respect de critères sociaux et écologiques exigeants.

Nous nous engageons sur la transparence de nos activités et la traçabilité de nos approvisionnements.

Présents dans les instances professionnelles, nous veillons à la qualité de l'agriculture biologique.

Nos biocoops sont des lieux d'échanges et de sensibilisation pour une consom'action responsable. »

La charte Biocoop énonce les valeurs qui orientent l'engagement des acteurs de ce réseau. Ce socle de valeur se décline plus prosaïquement selon 3 grands principes : la solidarité, la qualité et la transparence. « La solidarité :

avec les producteurs et transformateurs, en favorisant des échanges fondés sur la confiance et le respect des engagements mutuels.

avec les producteurs du sud, par le soutien à une agriculture et une distribution qui assurent leur autonomie et favorise un développement durable.

entre les biocoops, en encourageant la coopération. dans les biocoops, par des relations entre consommateurs, gérants,

administrateurs et salariés fondées sur l'échange et la participation. La qualité :

des produits alimentaires et écoproduits en encourageant les entreprises à taille humaine qui minimisent les coûts écologiques de fabrication et de distribution.

de l'acte de vente, par la formation, et la responsabilisation des salariés des magasins biocoops

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de l'acte d'achat des consommateurs, par une sensibilisation aux conditions de production et de distribution, les conduisant à une démarche globale de consom'acteurs.

La transparence :

la transparence par la communication des objectifs poursuivis, des règles de fonctionnement et des résultats obtenus afin de maintenir un climat de confiance entre tous les partenaires. »

La charte, complétée des principes qui s'y référent, « s'exprime dans l'application d'un cahier des charges garant de l'engagement des magasins Biocoop pour la planète et la santé de l'homme. »1 Ce cahier des charges est décliné en quatre conventions (distribution, gestion, sociale, écologique) qui décrivent et matérialisent les engagements "obligatoires" pris par les sociétaires magasins Biocoop dans le développement de leur activité. Cet outil présente également des recommandations supplémentaires et facultatives (ex : salaire minimal majoré de 10% par rapport au Smic). Si le réseau Biocoop est devenu aujourd'hui une entité structurée, efficiente, le numéro 1 de la distribution de produits biologique, sa dynamique a dû néanmoins, au fil des années, s'adapter aux multiples changements organisationnels, à une résistance au changement de la part de certains de ses premiers adhérents et à une concurrence qui s'accroit chaque année. II) Historique Comme on le constate souvent dans les entreprises de l'Économie Sociale et Solidaire, l'idée constitutive d'un projet émane de la volonté pour des acteurs locaux de trouver des solutions à des besoins mal-satisfaits ou insatisfaits. Dans les années 70, la méthode qui prédomine en matière de production agricole est la production dite intensive. C'est en voulant s'inscrire à rebours de cette méthode que des consommateurs et producteurs, soucieux de la qualité des produits qu'ils souhaitent consommer et de l'environnement, veulent soutenir et promouvoir une agriculture biologique. Dans un souci de cohérence avec les valeurs de l'agriculture biologique (respectueuse de l'environnement), ces derniers, décident de se réunir en coopératives (socialement responsables) et constituent des Coops. Jusqu'au milieu des années 80, de nombreux projets de soutien à l'agriculture biologique portés sous statuts coopératifs voient le jour. Toutefois, ces projets peinent à s'organiser; il n'existe pas encore d'homogénéisation des cahiers des charges bio; les exigences sont alors disparates. C'est en 1986, motivées par la mise en place d'une organisation davantage structurée, que les Coops « organisent leur première rencontre nationale au cours de laquelle la charte fondatrice de l'association Biocoop2 est établie.»3

1 Cahier des charges Biocoop mis à jour en juin 2012 2 Association loi 1901 3 Rapport d'activité 2013 du réseau Biocoop

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Durant les années 1989 à 1992, considérées comme "les années charnières" selon Hugues Toussaint4, le réseau franchit une étape supplémentaire dans sa structuration interne. Face à la réussite de la vente des produits bios, il décide de passer le cap et formule deux démarches dans le but de se structurer. D'abord, le réseau désire se projeter vers une organisation décentralisée de la distribution. Ensuite, afin de maintenir l'autonomie des magasins face aux grosses sociétés de distribution classique, le réseau souhaite créer de nouvelles centrales d'achat; en 1993, elles sont au nombre de trois5. Remarque notoire, l'Ouest de la France, par sa forte dynamique coopérative (création en 1983, en amont de la plateforme Biocap, du Groupement régional intercoop : les coopératives de consommateurs bio de l'Ouest) permet le maillage rapide et soutenu des magasins de l'Ouest de la France. L'année 1992 va être déterminante pour l'avenir de Biocoop. Quatre enjeux sont posés comme cruciaux pour l'avenir du réseau :

L'ouverture du réseau à des entreprises commerciales SARL et SARL Scop La décentralisation du réseau vers les régions (avec l'aide des six associations

régionales afférentes au réseau) Concomitamment à l'élargissement aux entreprises évoluant sous statut

commercial, il y a un besoin de faire évoluer les conventions entre acteurs du réseau pour mieux affirmer les valeurs affichées (équité, qualité, service et transparence).

Un constat est établi quant à la difficulté de situer la place que doivent occuper les salariés des biocoops dans le projet coopératif6

Toutefois, cette volonté d'organiser une décentralisation de la distribution pose deux

problèmes : « l'inexistence de liens juridiques entre les centrales et Biocoop et l'impossibilité pour l'association Biocoop de contracter » 7(du fait de son statut associatif).

Cet obstacle relevé, les discussions de la commission chargée de cet examen aboutissent à la nécessité de créer une structure juridique autonome regroupant les centrales d'achat et l'association Biocoop afin de pallier ces manques. La constitution de cette entité aura pour autre finalité de devenir un outil de gestion professionnel pour aider à la création et au développement des biocoops. En effet, malgré les éloges des nombreux articles de l'époque à l'égard du réseau mettant en valeur l'image de compétence, de confiance et de qualité des magasins, l’association Biocoop fait le constat néanmoins de l'hétérogénéité géographique de l'implantation des magasins, des carences en termes de gammes, de services aux consommateurs et des difficultés de fonctionnement. La création de cet organisme qui fusionnera toutes ces entités restera à l'état de projet jusqu'en 1999 où un premier Groupement d'Intérêt Économique verra le jour.

En 1994, Philippe Jouin alors Président de Biocoop affirme que « tout se passe comme s'il s'agissait pour les coopératives d'une prise de conscience subite de leur degré d'appartenance à un tout plus vaste : Biocoop ». A ce moment, on comprend bien que le socle commun d'actions à l'origine de l'institution de l'association et qui l'a rendu

4 TOUSSAINT Hugues, Biocoop 1986/2006 La Bio en mouvement. Biocoop. 2006, 190p 5 Biopaïs pour le Sud-Est créée en 1984; création de Biocap en 1992 qui dessert du Grand-Ouest au Sud-Ouest puis Casbo, nouvelle plateforme régionale qui voit le jour durant l'été 1993. 6 Un déséquilibre est alors constaté entre les droits des administrateurs et les devoirs des salariés (sur lesquels reposent la responsabilité du projet commercial du réseau) 7 TOUSSAINT Hugues, op. cit. p.48

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légitime aux yeux des coopératives prend soudain forme de référence : "Pour les coopératives, il s'agit en fait de devenir ... une biocoop, c'est-à-dire concilier ses propres prérogatives avec les règles collectives qui prévalent à son appartenance au groupe." A travers cette expérience transparaît la constitution embryonnaire d'une culture organisationnelle chère à toute organisation désirant se structurer et se professionnaliser.

A partir de 1995, le réseau est en plein essor, il met en place des outils de gestion et commerciaux empruntés aux savoir-faire de la distribution classique. L'arrivée sur le marché des produits bios des Grande et Moyennes Surfaces (GMS) bousculent les manières de faire des magasins Biocoop. Il apparaît dès lors nécessaire pour les dirigeants, dans un premier temps, d'incorporer des outils provenant des entreprises commerciales classiques en les passant au crible des valeurs et principes fondamentaux du réseau pour essayer d'enrayer la dynamique bourgeonnante des GMS, puis, dans un second temps, de structurer plus encore les méthodes de distribution. Pour ce faire, l'établissement des conventions de gestion et de distribution a pu favoriser une dynamique d'apprentissage dans un premier temps, puis d'exigence et d'efficacité. Par voie de conséquence, la rationalisation des pratiques affichées de Biocoop conduit à des critiques fortes aussi bien en interne qu'en externe.

En 1999, fortement portée par la volonté de la présidente Marie-Hélène Le Fur8, les représentants de l'association nationale Biocoop et de ses trois plates-formes, SA Coop Biocap, SA Coop Solepaïs et l'Union Économique et Sociale Casbo constituent l'UES Biocoop développement, coopérative à capital variable ne faisant pas appel public à l'épargne. Son objet social était de « mettre en place, animer, gérer et développer en commun un ensemble de moyens, produits, services et savoir-faire destinés à favoriser la distribution de produits biologiques et écologiques en vue du développement des activités de chacun des associés, dans le respect de la charte et du cahier des charges Biocoop. »9Outre l'aspect juridique de la définition de l'objet social, cette manifestation se révèle être la volonté d'harmoniser la politique d'achat des plates-formes dans le but de créer un effet de complémentarité inter-plateformes à destination des magasins. Cette fusion garantit une complémentarité aux services régionaux préexistants et tend à structurer les actions dans un véritable service de réseau. Malheureusement, au commencement de l'année 2000, Biocoop subit une crise de croissance qui révèle de multiples dysfonctionnements dans la gestion du jeune réseau et, en particulier, le défaut d'harmonisation de la politique commerciale des plates-formes10. La problématique principale demeure : comment harmoniser les pratiques d'un réseau (magasins, plates-formes et association mère) dont les membres souscrivent à des valeurs et principes communs (matérialisés par la charte et le cahier des charges), sans pour autant gommer les identités et pratiques spécifiques de chacun ?

En 2001, les élus de Biocoop constituent un comité de pilotage dans le but de satisfaire au mieux les intérêts de ses adhérents pendant cette période de transition. Les fédérations régionales (au nombre de quatre) statuent favorablement sur la délégation de

8 Présidente de l'association Biocoop de 1999 à 2004, qui avait pour première ambition de mener Biocoop sur le chemin de la fusion. 9 TOUSSAINT Hugues, op. cit. p.81 10 Parmi les dysfonctionnements relevés figure la désaffection des consommateurs dans leurs responsabilités de consom'acteurs. Un premier signe avant coureur de l'érosion du militantisme que l'on constate actuellement ?

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certaines de leurs compétences qui sont transférées, au cours de l'année 2001 à ce comité de pilotage. Cette instance aura notamment pour fonction l'harmonisation des catalogues, de la politique commerciale mais aussi, par exemple, la définition de la politique générale de l'association nationale ainsi que de l'UES Biocoop développement. Durant la même période, les bassins de distribution voient le jour. Ce sont des instances locales (niveau interdépartemental)11 facilitant la participation à la vie associative et ayant pour finalité de renforcer les liens de proximité entre les magasins d'une même zone géographique.

C'est en 2002, lors de l'assemblée générale extraordinaire de la SA coopérative Biocoop, que la transformation juridique devient effective. Trois ans plus tard, la fusion des entités juridiques indépendantes : Biocoop développement, Biocap, Casbo et Solepaïs parachève le processus d'harmonisation. Le but affiché étant de canaliser les énergies afin de réduire les coûts induits par la dispersion des activités et d'orienter les efforts en direction d'un même intérêt collectif. III) L'organisation politique du réseau

On distingue trois niveaux de participation politique au sein de la gouvernance du réseau : tout d'abord le niveau national où l'assemblée générale des sociétaires et le conseil d'administration de la coopérative forme le couple des institutions souveraines du réseau; ensuite le niveau régional où les maisons régionales jouent un rôle de relais; enfin, le niveau local où les 18 bassins de distribution permettent l'expression de chacun au plus près des localités. Niveau national 12 Niveau régional Niveau local 11 Nous rappelons ici que les bassins découpent les quatre "régions" Biocoop 12 Les instances élues Biocoop sont accompagnées dans leurs missions par des" magasins délégués" qui ont signé un contrat de prestation de services pour l'animation et le développement du réseau Biocoop. Un référent est le représentant spécifique de ce magasin délégué.

Conseil d'administration: 9 représentants de magasins 3 représentants de salariés, producteurs et consommateurs

Conseil

d'administration

15 référents dossiers

4 commissions produits nationales

4 grandes régions : - Grand-Ouest - Centre-Nord/Est -Sud-Ouest - Rhones-Alpes/Sud-Est

Les 350 magasins sont organisés en bassins

Conseil de maison

régionale

18 bassins

4 commissions distribution sociale et gestion

4 commissions produits régionales

4 commissions d'admission

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Au niveau national L'assemblée générale des sociétaires est l'organe souverain du réseau. Les sociétaires sont répartis en six sections dont la répartition s'effectue par rapport à la situation géographique de chacun (Les quatre grandes régions). Deux autres sections sont dédiées aux autres sociétaires coopérateurs nationaux et aux autres sociétaires non-coopérateurs. Une fois par an a lieu l'assemblée générale ordinaire ; toutefois, d'autres assemblées existent à des niveaux inférieurs localement :

Les assemblées de sections (élections des délégués, information des sociétaires) Les assemblées générales des délégués (elles disposent des mêmes prérogatives

que l'assemblée générale ordinaire). L'assemblée générale élit en son sein des représentants qui constitueront le Conseil d'Administration qui « détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en œuvre. Sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux assemblées de sociétaires et dans la limite de l'objet social, il se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent. »13. Les membres du Conseil sont au nombre de 13 et parmi eux, la place et le rôle des producteurs ont été renforcés (deux sièges parmi les 13 membres, contre une place en 2006).

Un comité d'éthique initié en 2006 est affilié au Conseil d'Administration. Il s'assure du bon fonctionnement de la démocratie, du respect des valeurs et a un droit d'alerte s'il suspecte des dérives dans la gouvernance. Il est composé de six représentants de Biocoop (gérants et employés) et de six partenaires extérieurs (producteurs, consommateurs et associations environnementales). Au niveau régional

Le réseau Biocoop est divisé en quatre grandes régions géographiques (cf. infra) et dans chaque zone on retrouve une maison régionale Biocoop. Des réunions sont organisées plusieurs fois dans l'année en assemblée de maison régionale. La maison régionale a pour missions principales :

de faciliter la politique du réseau afin que toutes les sensibilités puissent s'exprimer; que tous les acteurs, du producteurs au consommateur, puissent échanger, débattre et être force de propositions politiques et techniques;

de favoriser les échanges économiques (marchandises et services) dans le cadre du projet politique;

de dynamiser la notion de sociétariat, par une implication plus forte de chacun d'organiser l'animation régionale; de consolider le partenariat avec des producteurs associés

Chaque maison régionale est dotée d'un conseil de maison régionale. Ce dernier va

formuler des propositions pour l'ordre du jour du Conseil d'Administration, il est aussi chargé d'alerter le Conseil d'Administration en cas de défaut quant à l'application des dispositions statutaires.

13 Article 23 des statuts de Biocoop SA

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Enfin, les assemblées de maison régionale réunissent périodiquement (trois à quatre fois par an) l'ensemble des sociétaires établis dans leur périmètre géographique. Au niveau local

Un bassin est une zone géographique qui regroupe les sociétaires Biocoop de

proximité. Le périmètre géographique est défini par les assemblées plénières régionales. Chaque trimestre, les magasins se réunissent en réunions de bassin pour débattre et émettre des propositions sur les thèmes qui leur sont proposés par le conseil de maison régionale. IV) Des filiales qui alimentent la dynamique du réseau

La SA coopérative Biocoop détient le capital de trois sociétés : la société de transport Biocoop (SASU) qui assure les livraisons des

marchandises vers l'ensemble des magasins du réseau et effectue les ramassages chez les producteurs et les enlèvements chez les fournisseurs partenaires.

la société Biocoop restauration (SAS), a pour finalité la confection de repas dans le cadre d'une restauration collective hors foyer. La société œuvre à la

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construction de filières courtes, favorisant ainsi l'emploi de produits de qualité ajouté aux savoir-faire du réseau.

la société Défibio (SAS) est un fonds d'investissement au service du développement de la filière bio.

Nous allons nous intéresser plus particulièrement aux actions et au fonctionnement

de la SAS Défibio qui peut constituer un outil essentiel dans la perspective d'organiser une politique de transmission/transformation des entreprise saines coopératives ou SARL classiques en Scop, ainsi que plus généralement, de moderniser l'ensemble de la filière bio.

Défibio émerge d'un constat des administrateurs en 2008 soulignant que pour poursuivre le développement du réseau, il faut un outil qui permette de faciliter le développement en parallèle des maillons de la production et de la transformation. La bonne santé financière du réseau doit être un levier afin de faciliter l'investissement des partenaires en amont du réseau. En aval, il faut donner les outils et les garanties aux magasins sociétaires afin de faciliter le maillage du territoire et favoriser la reprise de magasins.

Défibio intervient sous forme de prise de parts au capital et de compte courant14 d'associé, avec une période de remboursement s'échelonnant de 7 à 10 ans. Il s'agit donc d'investissements de moyen terme, orientés vers le co-développement et non vers le « profit immédiat ». Actuellement, le montant des investissements s'établit à environ deux millions d'euros qui proviennent pour moitié de fonds propres de la SA Biocoop, pour moitié d'un contrat de développement participatif d'OSEO (Banque Public d'Investissement). En plus de cette participation financière, la SAS souhaite participer à l'évolution des projets qu'elle finance en étant associée aux orientations et en impliquant le réseau Biocoop dans les projets soutenus par l'entreprise. V) Les caractéristiques des magasins Biocoop

L'archétype d'un magasin Biocoop est le suivant : 1 800 000€ de chiffres d'affaires La surface au sol d'un magasin est d'environ 270 m² Le nombre d'équivalents temps plein est évalué à sept ; ce qui représente entre

10 et 11 salariés La hiérarchie salariée interne

La convention collective15 reconnaît et classe les emplois salariés de la manière suivante:

Employés (employés polyvalents ; pouvant prendre le poste également de second de rayon) ;

Agents de maîtrise (Responsables de rayon) ; Cadres (Responsables de magasin) ;

14 Nous définirons le fonctionnement d'un tel instrument financier dans la prochaine sous-partie. 15 Celle du commerce de détail des fruits et légumes, épicerie et produits laitiers.

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Quant aux gérants (ceux de SARL classiques particulièrement), il est difficile de les

séparer de leur emploi de responsable de magasin. La dimension de ces entreprises ne justifie et ne rend pas soutenable financièrement la création d’un poste de responsable de magasin pour un salarié.

Au sein des magasins, si on peut constater une hiérarchie clairement définie selon les strates présentées ci-dessus, on remarque néanmoins que lorsque les clients s’adressent aux salariés sur des questions assez techniques ne relevant pas de leur rayon, ceux-ci vont essayer au mieux de répondre à la requête qui leur est demandée plutôt que de solliciter systématiquement le responsable de rayon idoine. En filigrane, on observe, plus que dans n’importe quelle grande surface de distribution, une convergence des efforts dans l’exécution des tâches des salariés œuvrant à la réalisation de « l’œuvre commune » (Mucchielli, 2002 cité par Trividic G., 2013).

A l’intérieur des magasins, dans la majeure partie des cas, chaque salarié se sent le constituant d’une équipe (pas plus de 12 à 13 salariés) dans laquelle chaque rayon possède un fonctionnement qui lui est propre. En effet, l’ingérence des gérants est minimale, la confiance y est bien plus la norme que l’exception. On peut caractériser le fonctionnement de l’équipe salariée comme un ensemble de petits groupes interdépendants et plus ou moins autonomes. Le management pratiqué par les gérants et les responsables de rayons peut être assez contrasté d’un magasin à un autre. Oscillant entre le management paternaliste autoritaire et la complète autogestion (un management coopératif total), le management le plus pratiqué reste toutefois un « management participatif avancé »16. Un management axé principalement sur la participation des salariés

Dans une étude de Claire Lamine réalisée en 2014, celle-ci explique que les gérants de SARL classiques déclarent impliquer leurs salariés dans la stratégie et la communication de l'organisation. La taille relativement petite des magasins facilite des interactions nombreuses entre les salariés ; « C’est bien la qualité des liens entre les individus qui fait l’organisation. »17 Ces interactions, entre le gérant, les responsables de rayon et autres employés favorisent la création de sens dans le travail au sein de la structure. Accentué par la nature des produits que ces magasins vendent, ce « processus continu de création du sens au travail » (Weick, 1979 ; cité dans Jacquet, 2013) contribue à créer une cohérence dans l’agir des salariés. Cette démarche les inclut dans un apprentissage permanent et une mutualisation continue des connaissances sur les produits qu’ils vendent ensemble.

Ce « management participatif avancé » permet de laisser libre cours à une certaine créativité pour les agents de maîtrise qui définiront, parfois eux-mêmes, leur assortiment qui caractérisera l’identité de la structure. En d’autres termes, comme les 16 Ce qualificatif sous-entend que bien souvent les gérants laissent une grande liberté de décision aux responsables de rayon sur les producteurs locaux qu’ils souhaitent référencer ou déréférencer par exemple. Ce management, allant au-delà de la simple constitution de cercles de qualité ou de groupes de travail recherchant à relever les dysfonctionnements internes aux rayons, souhaite apporter une marge de manœuvre aux agents de maîtrise. 17 JACQUET S. (2013), « Du management participatif... au management coopératif : coopérer pour construire et donner du sens au management », CREG, p.4

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magasins Biocoop favorisent le développement d’un approvisionnement en produits locaux et sont très ancrés localement, cette liberté laissée aux responsables de rayon concourra à la singularité du magasin et à la création de sa culture organisationnelle propre. La sociologie des magasins

On dénombre environ 313 raisons sociales représentants 357 magasins (chiffres 2014). Si on peut légitimement dire que la SA coopérative Biocoop a toujours vivement encouragé l'adhésion de ses adhérents aux statuts et pratiques coopératifs, la répartition des modèles juridiques est néanmoins aujourd'hui assez contrastée. Sur l'ensemble des magasins, 59 seulement sont des coopératives (soit à peu près 19%) et 30 des Scop (soit 9,5% du total des magasins). On peut mettre en évidence ici le nombre relativement bas des magasins institués en Scop pour un réseau qui promeut l'engagement coopératif. En revanche, l'entrepreneuriat sous forme de SARL classique s'élève à 209 magasins (soit environ les 2/3 des magasins). Ce nombre important nous sensibilise à l'enjeu déterminant et imminent d'informer les détenteurs majoritaires de parts des magasins sur la transmission possible de leur SARL classique en ScopARL par exemple.

Devant ce constat, certains sont critiques à l'endroit de l'entrepreneuriat sous SARL classique. Ils considèrent que ce type d'entrepreneuriat favorise la dissolution des valeurs coopératives du mouvement dans l'entrepreneuriat individuel (donnant le pouvoir au détenteur du plus grand nombre de parts sociales). Pourtant, concernant le management effectivement exercé au quotidien dans ces organisations, il est souvent fait état d'une pratique participative de la prise de décision sur le plan opérationnel. Les gérants font appel à leurs salariés pour rester dans cette dynamique cohérente.

Le faible nombre de représentants du monde des Scop au sein de ce réseau peut trouver son origine dans la volonté des développeurs de préférer constituer des SARL classiques lors de la création de l'activité afin de voir si la cohésion entre les acteurs existe a posteriori. Si tel est le cas, le projet de passer en Scop prend alors une dimension tout autre car il prendra appui sur l'expérience commune du groupe de salariés au sein de l'organisation. Ceci explique dés lors le faible taux de création de Scop ex-nihilo (17 en valeur absolue soit 5,4% de l'ensemble des raisons sociales). Le manque de participation des consommateurs

A l'origine, le consommateur des biocoops avait une démarche militante se considérant et étant considéré comme un véritable consom'acteur. Les premiers magasins Biocoop créés étaient par conséquent sous forme de coopératives (de consommateurs ou simplement des coopératives loi de 1947), gouvernées par les consommateurs eux-mêmes désirant s'investir au-delà du simple geste commercial. Cet investissement relevait du bénévolat. En effet, un poste de gérant ou de membre du conseil d'administration ne donne pas droit à un salaire et à un statut sécurisé. Cette activité peut-être assimilée à une activité politique.

Depuis le début des années 90, comme anticipant la perte d'investissement en temps et en énergie des militants, Biocoop avait décidé d'ouvrir la possibilité de développer l'activité de distribution de produit bios sous statuts classiques. En 2015, les chiffres sont éloquents, seulement 30 coopératives de consommateurs subsistent

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aujourd'hui. En revanche, ces dernières sont les plus grandes en termes de taille, de nombre d'équivalent temps plein (ETP).

Quant à ces phénomènes nous formulons cinq constats : Nous constatons une érosion du consom'acteur, beaucoup plus volatile, il ne

ressent pas le désir de s'investir dans la gouvernance d'une organisation de distribution de produits bios militante. « Les coopératives ou associations de consommateurs, quant à elles, témoignent pour certaines de difficultés à maintenir dans le temps l'implication de leurs membres. »18

Le statut de coopérative de consommation n'est, par conséquent, plus approprié au vu du nouveau comportement des consommateurs. Si bien que celles qui subsistent aujourd'hui sont les mieux tenues politiquement. Les bénévoles dirigeants sont, dans certains cas, présents depuis l'origine de la création de l'organisation.

La gouvernance des coopératives de consommateurs fait aujourd'hui l'objet de controverses. La gérance, parfois exercée par le responsable du magasin (qui possède la double qualité de salarié et d’associé) ne donne plus beaucoup de sens à l'engagement bénévole des consommateurs.

Sur les 30 magasins Biocoop institués en Scop, sept d'entre eux sont des coopératives de consommateurs dont les statuts ont été mutés en Scop. Ces transformations sont la conséquence, pour leurs acteurs salariés, de l'éloignement trop important des gérants bénévoles de la sphère professionnelle de l'organisation. Ce manque de professionnalisme des gouvernants remettait en question le devenir économique et sociale de la structure. Leur nécessaire transformation structurelle (en Scop ou en Scic) était inéluctable.

Que vont devenir les plus grosses coopératives de consommateurs lorsque leurs gérants historiques laisseront leurs places? Doivent-ils garder leurs statuts ou changer pour le statut Scop ou Scic ?

Nous allons désormais présenter les particularités du statut des Scop.

18 LAMINE C., HealthyGroth. Développement des filières bios, des réseaux et des initiatives; quelle maintien de la confiance et l'intégrité dans la croissance de la bio? Projet européen, programme Core Organic, 2013-2015. Synthèse de l'étude de cas Biocoop. Novembre 2014. p. 4

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B) les SCOP (Sociétés COopératives et Participatives) : Après avoir présenté l'histoire et le fonctionnement du réseau, la présentation suivante du statut des Scop est orientée en fonction des caractéristiques propres aux magasins Biocoop. Dans un premier temps, nous allons rappeler les principes et les valeurs fondamentaux inhérentes aux coopératives. Dans un second temps, nous présenterons le modèle des Scop. I) A propos des Coopératives en général Le but de cette sous-partie est simplement une définition des termes généraux ainsi qu'une présentation superficielle des valeurs et principes coopératifs. Quelques définitions : On entend par coopérative : « une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d'une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement »19. Dans les textes juridiques français, c'est la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant sur le statut de la coopération qui détermine l'objet social des coopératives. Elle propose trois objets essentiels liés aux coopératives : « 1. De réduire, au bénéfice de leurs membres et par l'effort commun de ceux-ci, le prix de revient et, le cas échéant, le prix de vente de certains produits ou de certains services, en assumant les fonctions des entrepreneurs ou intermédiaires dont la rémunération grèverait ce prix de revient; 2. D'améliorer la qualité marchande des produits fournis à leurs membres ou de ceux produits par ces derniers et livrés aux consommateurs. 3. Et plus généralement de contribuer à la satisfaction des besoins et à la promotion des activités économiques et sociales de leurs membres ainsi qu'à leur formation. »20 La définition de l'ACI (Alliance Coopérative Internationale), est fondée sur l'essence des coopératives. De son côté, le premier article de la loi de 1947 expose les différents objets primordiaux de l'entrepreneuriat en coopérative. Les deux premiers objets semblent faire référence plus particulièrement à la question de la suppression des intermédiaires (volonté propre aux coopératives de consommations par exemple) et ainsi permettre aux coopérateurs d'avoir une plus grande liberté quant au choix et à la qualité des produits vendus. En revanche, c'est le troisième objet qui pourrait davantage correspondre à l’objectif des Scop. Dans ce cas, les « membres » (ou, pourrait-on dire, associés) des Scop sont essentiellement des salariés. Enfin, il est fait référence ici à la formation des membres de la société coopérative sous-tendant ici la fonction d'éducation populaire des coopératives.

19 Déclaration sur l'identité coopérative internationale. ACI. 1995 20 Article 1 de la loi n°47-1775 du 10 septembre 1947 portant sur le statut de la coopération.

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Un socle commun de valeurs et de principes : L'Alliance Coopérative Internationale fait état de cinq valeurs que sont « la prise en charge et la responsabilité personnelles et mutuelles, la démocratie, l'égalité, l'équité et la solidarité. Fidèles à l'esprit des fondateurs, les membres des coopératives adhèrent à une éthique fondée sur l'honnêteté, la transparence, la responsabilité sociale et l'altruisme »21

Les principes coopératifs énoncés dans la Déclaration sur l’identité internationale des coopératives (Alliance coopérative internationale, 1995) constituent les lignes directrices qui permettent aux coopératives de mettre leurs valeurs en pratique :

Adhésion volontaire et ouverte à tous ; Pouvoir démocratique exercé par les membres ; Participation économique des membres ; Autonomie et indépendance ; Le rôle de d’éducation, de formation et d’information des coopératives ; Coopération entre les coopératives ; Engagement vers la communauté.

Il existe différentes familles de coopératives qui répondent chacune d'entre elles aux besoins de leurs adhérents. On compte près de 20 textes spécifiques aux différentes formes coopératives. On peut évoquer notamment (liste non exhaustive) les coopératives d'utilisateurs ou d'usagers (coopératives scolaires, coopératives de consommation, coopératives d'habitation HLM, les copropriétés coopératives), les coopératives d'entreprises, les coopératives agricoles, les coopératives d'épargne et de crédit et enfin les coopératives de travail ou plus communément nommées Scop. Après avoir rappelé succinctement les définitions, les valeurs et les caractéristiques générales du modèle coopératif, nous allons désormais nous intéresser aux Scop et à leurs singularités. Nous avons voulu développer certains points qui nous paraissent remarquables; ces choix ayant été décidés au regard des enjeux liés directement à la structure des entreprises du réseau Biocoop. II) Les Sociétés Coopératives et Participatives Dans la présentation que nous avons réalisée des Scop, nous nous sommes arrêté aux caractéristiques pertinentes propres aux magasins Biocoop. Par conséquent nous n'avons pas porté attention sur les modalités relatives aux SA Scop. De plus, au regard des réponses à notre étude, nous n'avons pas souhaité trop approfondir certains mécanismes (financiers, ...) qui n'étaient pas ou peu utilisés par les interrogés. 21 Article 1 de la loi n°47-1775 du 10 septembre 1947 Op. cit.

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1) Définition et principes directeurs « Les sociétés coopératives ouvrières de production sont formées par des travailleurs de toutes catégories ou qualifications professionnelles, associés pour exercer en commun leurs professions dans une entreprise qu'ils gèrent directement ou par l'intermédiaire de mandataires désignés par eux et en leur sein. »22 Cette entrée en matière par la loi de 1978 détermine le cadre juridique dans lequel évoluent les Scop actuellement. En dehors des nombreux aspects juridiques relevant de ces coopératives, l'entrepreneuriat salarié évolue avec des principes qui leur sont spécifiques. Voici trois principes centraux conditionnant l'action en Scop: Le principe d'autogestion et la « double qualité »: Le principe d'autogestion souligne que le pouvoir appartient majoritairement aux salariés. Le principe de la "double qualité" quant à elle, confère un double statut, celui d'associé et de salarié à chaque membre coopérateur. Toutefois, la double qualité ne s'applique pas à tous les associés de la coopérative. Les associés extérieurs notamment, qui partageront le financement, la responsabilité, le pouvoir et les résultats, restent en dehors de l'activité de production de l'entreprise par exemple. Dans une autre situation, le "simple salarié" qui participe à la création de richesse de l'entreprise, ne sera pas considéré comme un coopérateur. La gestion démocratique : La gestion démocratique est ce qui est communément illustré par l'équation "un associé = une voix". Cela signifie que le poids des votes en assemblée n'est pas déterminé au prorata du nombre de parts sociales dont chacun dispose, mais bien sur le fait que chaque associé possède une voix quel que soit le capital qu'il détient. Cette voix donne le droit d'élire ou de révoquer le gérant qui définira les enjeux opérationnels de la structure; elle donne également le droit, de participer à l'élaboration de la stratégie de l'entreprise. Par ailleurs, les salariés-associés disposent d'au minimum 65% des voix. Les associés extérieurs, quand les statuts de l'organisation le prévoient, ne sont pas soumis à ce même principe et peuvent voter proportionnellement au capital qu'ils détiennent, mais ce, dans la limite de 35% des voix.23 La liberté d'adhésion : tout salarié, à l'approche d'une assemblée générale annuelle, peut poser sa candidature pour devenir sociétaire. Sa candidature est soumise à l'acceptation des associés qui sont en majorité des salariés. Leur décision, ne doit-faire l'objet d'aucune discrimination pour des motifs de sexe, de rang social, de race, d'engagement politique... Cette liberté d'adhésion peut-être complétée par le principe « de la porte ouverte », principe qui n'oblige pas financièrement les salariés lors de leur volonté de passage à la qualité d'associés (hormis les conditions notifiées dans les statuts, conditions qui sont élaborées à la discrétion des associés). 22 Article 1 de la loi 78-763 du 19 juillet 1978 portant sur le statut des sociétés coopératives ouvrières de production 23 Alternatives économiques, Comment entreprendre autrement. Les Sociétés Coopératives Ouvrières de Production. 2008

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2) Origine juridique, forme et domaine d'activité La loi du 24 juillet 186724 (titre III) qui instaure la variabilité du capital (qui induit la non négociabilité des parts sociales), la structuration personnaliste de la forme de société, la limitation de la responsabilité des associés au montant du capital souscrit et a reconnu l'impartageabilité des réserves, est considérée comme une loi constitutive du régime juridique des Scop. Il faut comprendre que dans le droit coopératif, la loi n°47-1775 du 10 septembre 1947 portant sur les statuts de la coopération demeure la loi structurante de l'entrepreneuriat coopératif. La loi n°78-763 du 19 juillet 1978 portant statut des sociétés coopératives ouvrières de production est une évolution de la loi constitutive de 1947. La loi de 1978 vient dès lors compléter, modifier mais non abroger le texte constitutif de 1947. Depuis 2003 et la loi Dutreil, les SARL peuvent se constituer à partir d'un euro. Dans le cadre du régime des SARL, le nombre d'associés minimum requis est de deux. Le droit coopératif prévoit également un minimum de deux salariés à la création de la structure (avec un capital minimum de 30€ soit 2x15€). Elles sont dirigées par un ou plusieurs gérants. A partir de 21 associés, elles ont pour obligation de constituer un conseil de surveillance. Les Scop peuvent passer à tout moment de la forme SARL à la forme SA si le nombre d'associés devient trop important sans avoir pour obligation de créer une nouvelle entité juridique. Les Scop sont présentes dans tous les domaines d'activité (particulièrement dans celui du bâtiment, des services, de la production agricole, ...). 3) Les associés a) La double qualité; les droits et les obligations Le principe de double qualité signifie que les associés dans les Scop doivent être, au moins pour la majorité, des salariés de l'entreprise. L'entreprise constitue en ce sens (ESPAGNE F., 2001) « l'instrument de réalisation de la finalité institutionnelle de la société » découlant de la volonté des salariés de faire ensemble une activité dont la nature aura, elle aussi, été imaginée ensemble. Les associés doivent, par conséquent, participer à la réalisation de l'objet social de l'organisation par leur activité de « prestation de travail ». Aussi, on comprend bien ici que les différents associés de la Scop doivent partager une vision globale commune de la finalité de leur activité. Si les intérêts étaient divergents, l'objet social ne pourrait-être réalisé et la coopérative n'aurait plus de raison d'exister. On peut soutenir alors (Espagne F., 2001, p7) que la double qualité « correspond à deux relations contractuelles distinctes : contrat de société (par lequel les associés sont unis) et, dans le cas des Scop, contrat de prestation de travail (qui trouve sa source dans le contrat de travail). »25 Elle ne confond donc pas les deux contrats dans un seul. 24 « élaborée pour répondre en 1867 à la requête des coopérateurs eux-mêmes, qui refusaient le projet de loi spécifique préparé à leur intention parce qu'il leur paraissait limiter leur liberté, elle constitue à cet égard le premier statut coopératif français. » (Espagne F., 2012, p.22) 25 ESPAGNE F. (2001), « Le statut légal des coopératives ouvrières de production (SCOP) en France », CG SCOP, p. 7

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Si cette notion paraît fondamentale et globalement admise pour l'ensemble de ceux qui pratiquent le droit coopératif, elle est néanmoins difficile à mettre en pratique. Les associés des Scop, comme dans chaque société de droit commun, sont responsables financièrement à concurrence de leur apport. En conséquence, leur patrimoine privé est protégé si l'entreprise venait à faire défaut. Les conditions de l'entrée dans le sociétariat sont définies dans les statuts de la coopérative. En effet, ces conditions vont être variables d'une entreprise à une autre, si bien que, certaines organisations peuvent ne pas obliger les nouveaux salariés à souscrire des parts sociales dans un temps imparti. Dans ce cas, les salariés ont toute liberté de proposer ou non leur candidature au sociétariat. Ce que l'on appelle « l'exclusivisme » (le fait que tous les "usagers" - salariés - de la coopérative deviennent associés), qui était un principe assez fort dans les coopératives constituées avant la loi de 1978, n'est plus de rigueur et, dans certains cas, n'est même plus souhaitable. En outre, une relation forte existe entre la qualité d'associé, lorsqu'elle a été acquise, et la qualité de salarié de sorte que la démission du statut de salarié entrainera simultanément la perte de la qualité d'associé et vice versa, la perte de la qualité d'associé provoquera la perte du contrat de travail. b) Les types d'associés On peut distinguer quatre types d'associés :

Les associés travailleurs (ou associés salariés) : ils ont pour vocation de contrôler la société (ils doivent détenir impérativement plus de 50% du capital26 de l'entreprise et plus de 65% des droits de vote). L'admission d'un salarié dans l'équipe des sociétaires est prononcée par l'assemblée générale à la majorité simple (51% des voix). Par ailleurs, les statuts déterminant les conditions d'entrée, d'autres situations peuvent être prises en compte. L'Union Régionale des Scop utilise le qualificatif de co-entrepreneur pour définir et nommer le statut de ces associés. Ce terme ne nous parait pas approprié car il exprime le fait que tous les associés salariés devraient-être des entrepreneurs. Ce terme est pour nous marqué par l'idéologie de la CG Scop qui souhaiterait que chaque associé-salarié soit un "entrepreneur"27. Si dans la théorie, chaque associé salarié doit tendre à devenir un véritable acteur de la stratégie de leur entreprise, on constate cependant dans la pratique qu'il est en réalité difficile pour l'ensemble de ces salariés associés de tendre vers cet idéal. Pour maintenir la cohérence de nos propos, nous emploierons les termes associés-salariés pour définir ce statut, ces derniers étant moins connotés idéologiquement.

Les associés anciens travailleurs : ce sont des personnes qui, bien souvent, ont pris leur retraite, car comme nous l'avons cité auparavant, la cessation d’activité, comme la démission, aboutit strictement à la rupture du lien envers la société. Puisqu’il n’a pas démissionné de son statut de salarié, il garde son statut d’associé. Le statut de celui-ci lui confère les mêmes droits qu'un associé

26 Hors dispositif d'amorçage que nous analyserons par ailleurs 27 Co-entrepreneur : Les salariés associés de Scop sont co-entrepreneurs de leur propre entreprise dans laquelle ils investissent collectivement pour exercer en commun leur métier (lexique présent sur le site de la CG Scop).

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coopérateur. Il est compté avec les associés travailleurs dans le calcul des droits de vote et dans le calcul du capital.

Les associés extérieurs : la loi autorise, voire encourage (loi de 1992 dite de modernisation des coopératives), la prise de parts de personnes physiques ou morales extérieures à la Scop (non salariées). Cette présence est limitée à la détention d'au plus 49% du capital et n'excédera pas 65% des droits de vote.

Les groupes de coopératives : Une Scop mère peut participer au capital de Scop fille dans la limite de 50% du capital total de cette dernière. Nous ne développerons pas outre mesure ce système car il n'a pas pour le moment d'existence au sein du réseau Biocoop.

4) Les assemblées générales et les organes de direction L'assemblée générale réunit l'ensemble des sociétaires ; c'est l'organe souverain de la SARL Scop. Au sens juridique, « une assemblée générale est une réunion convoquée selon une procédure particulière, où doivent être présents un nombre minimum d'associés. Cette assemblée dispose des pouvoirs énumérés par la loi, et notamment celui de révoquer à tout moment les membres du conseil d'administration (ou de conseil de surveillance ou de directoire) »28 Les autres prérogatives de l'assemblée générale sont les suivantes : l'approbation du bilan et les décisions d'affectation du résultat net, la modification des droits et des devoirs des associés, la décision d'investissement, la modification des statuts (cette résolution ne peut-être prise qu'exclusivement lors des assemblées générales extraordinaires), ... . La règle de droit de vote fondamentale est la suivante : un associé est égal à une voix. Cependant, la loi de 1992 incite les investisseurs extérieurs à entrer dans le capital des Scop. Le mécanisme incitatif mise en œuvre permet aux futurs associés extérieurs, à leur entrée dans la coopérative, de bénéficier de droits de vote proportionnels au capital détenu29 sans toutefois dépasser les 35% du total des droits de vote. La gérance et le conseil de surveillance sont les deux seuls organes de direction des Scop ARL. Ils sont tous deux composés exclusivement d'associés30. Il faut bien avoir à l'esprit qu'un associé s'expose volontairement à devenir un "gérant potentiel"31 de l'entreprise. Le gérant est le représentant légal, le mandataire social de la société. Identiquement au statut de gérant dans les SARL classiques, il est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société en toutes circonstances. Cette responsabilité est d'autant plus légitime que les gérants sont nommés par l'assemblée des associés (pour une durée n'excédant pas quatre ans mais reconductible indéfiniment). La constitution d'un conseil de surveillance (spécifique aux Scop ARL) devient une obligation légale à partir de 21 associés jusqu'au palier des 50 associés, seuil à partir duquel il est obligatoire de créer une SA. « Les membres du conseil de surveillance sont désignés par l'assemblée des associés et en son sein, pour une durée que les statuts déterminent »32. Les fonctions de gérant et de membre du conseil de surveillance sont

28 Guide juridique des Scop. p.205 29 Les conditions de mise en place d'un tel mécanisme sont fixées dans les statuts 30 Les associés salariés doivent posséder au minimum 2/3 des mandats. 31 Selon l'article 15 de la loi 78-763 "[...], tout associé peut être nommé en qualité de gérant, directeur général, membre du conseil d'administration, du directoire ou de conseil de surveillance. 32 Article 16 alinéa 2 de la loi 78-763

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incompatibles. La loi demeure muette quant à son fonctionnement au quotidien au sein de l'entreprise. « Le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société. »33 En tant qu'instance, il peut mener des investigations sur la gestion de l'entreprise. Une de ses obligations principales repose sur la rédaction et la présentation d'un rapport sur la gestion et les comptes de l'entreprise à l'assemblée des associés. Par ailleurs, si les gérants et/ou membres du conseil de surveillance sont titulaires d'un contrat de travail au sein de la Scop, ils conservent le bénéfice des protections sociales propres au statut des salariés. Il faut savoir que dans l'intégralité des biocoops évoluant en Scop, l'ensemble des gérants et cogérants sont également salariés de la coopérative. De nombreuses Scop ARL évoluent avec plusieurs gérants, on nomme cette situation, la cogérance. Dans cette situation, les cogérants peuvent être déclarés solidairement responsables envers les tiers. De plus, "le nombre de gérant est librement fixé dans les statuts [...]. « Plusieurs » ne signifie pas « une infinité ». De même, doit être bannie la pratique de certaines Scop où tous les sociétaires sont gérants."34 Dans une autre démarche, moins formelle celle-ci, favorisant la participation et l’implication des associés-salariés dans la prise de décision et la définition des objectifs stratégiques de l’entreprise, l’ensemble des associés peuvent décider la mise en place d’un comité de direction (spécifique pour les organisations de petite taille ne disposant pas d’un conseil de surveillance). La construction d’un tel outil permet la libre expression d’un « contre-pouvoir » qui devient nécessaire lorsque les dirigeants sont parfois les mêmes depuis 20 ans. Cet instrument permet d’échapper au phénomène de « dégénérescence démocratique » (Chaves et Sajardo-Moreno, 2004 ; cité dans Pasquet P., Liarte S., 2012). Un magasin Biocoop a décidé la création de ce mécanisme qui est « l’émanation des sociétaires – il n’est pas du bord des patrons »35. Il est constitué de cinq associés (les deux gérants et trois autres associés sélectionnés sur la base du tirage au sort), les trois places dédiées aux associés sont renouvelables par tiers tous les 18 mois. Ce dispositif facultatif organise la confrontation des idées entre les gérants et les représentants des associés-salariés dans la perspective de favoriser la création d’un « ajustement mutuel ». Les acteurs essaient de s’entendre entre eux selon des intérêts définis en commun. Dans un contexte organisationnel marqué par la relation d’agence36 (les associés donnent mandat à un gérant qui devra gérer les intérêts de ces derniers), il existe une asymétrie informationnelle entre le gérant et les associés. Le comité de direction permet ainsi de réduire au maximum l’effet d’asymétrie informationnelle.

33 Article 16 alinéa 5 de la loi 78-763 34 Guide juridique des Scop. p.145 35 Propos du gérant du Biocoop institué en Scop. 36

Théorie de la relation : principal (assemblée des associés) - agent (gérant ou co-gérant)

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Il tend à renforcer la responsabilisation et la « conscientisation » des acteurs de l’entreprise en faisant vivre au quotidien la démocratie directe dans un esprit de pédagogie37 et d’entrepreneuriat. Enfin, la perte de la qualité de gérant suivant « la démission, le non-renouvellement ou la révocation des fonctions de gérant et du membre du conseil de surveillance, n'ont pas pour effet de porter atteinte au contrat de travail éventuellement conclu par les intéressés avec la société. »38 5) Le capital social a) Considérations générales Le capital des coopératives ne peut être constitué que par des apports en numéraire ou en nature et il doit être supérieur à 30€ pour les SARL. Les Scop sont des sociétés à capital variable ce qui répond à quatre besoins pour les coopératives39 :

« elle donne une totale souplesse à l'entrée et à la sortie des associés, avec les apports nouveaux et les remboursements que ces mouvements impliquent ;

en autorisant le remboursement des parts aux associés qui se retirent, elle assure aux membres l'équivalent de la liquidité des titres ;

elle permet d'organiser la prise de relais progressive [...] par les réserves collectives et donc stables ;

en permettant de créer sans limite de nouvelles parts sociales, elle permet de répondre à toutes les demandes de souscription sans entraîner les plus-values qu'une offre limitée de titres de capital fixe peut provoquer. »

Les parts des associés ayant démissionné, décédé ou étant exclus sont remboursables dans un délai maximum de cinq ans. A terme, « le capital ne peut baisser au-dessous de la moitié du capital le plus élevé atteint depuis la constitution de la coopérative. »40A contrario, lorsque les statuts d'une Scop sont muets à propos des conditions de souscription des parts nouvelles, on peut en déduire que l'augmentation du capital est libre. L'associé, sauf règle contraire, a le droit à tout moment d'augmenter sa participation au capital41. b) Conditions de souscription Pour les associés salariés, les statuts peuvent les obliger à souscrire régulièrement au capital social, le prélèvement pouvant aller jusqu'à 10% des salaires (il est en pratique souvent limitée entre 5 à 6%). Une possibilité d'augmentation possible du capital, outre la souscription statutaire obligatoire, consiste, après décision de

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Nous renvoyons ici aux principes directeurs des coopératives et au rôle qu’ont ces dernières dans la formation et l’éducation de ces membres. Nous pensons par ailleurs que les coopératives sont de véritables institutions de l’éducation populaire. 38 Article 18 de la loi 78-763 39 ESPAGNE F. (2001), op. cit. p. 13 40 Guide juridique des Scop. p.360 41 Tout en sachant qu'un seul associé ne peut détenir plus de 50% du capital.

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l'assemblée générale ordinaire (AGO), à affecter au capital social une partie ou la totalité de la répartition du résultat net (notamment la rémunération de la part travail42 et celle du capital43). Quant aux associés extérieurs, il n'existe pas dans la loi de préconisation notoire si ce n'est qu'ils doivent détenir moins de 50% du capital de la coopérative. Si ce seuil venait à être franchi, cela n'aurait aucune conséquence juridique, en revanche, des conséquences fiscales seraient à déplorer (perte de la déductibilité de la part travail - ristourne coopérative, ...). c) Les catégories de parts sociales Les parts sociales ne prennent ni ne perdent de valeur44(la valeur d'une part sociale d'une Scop est fixée à sa valeur d'acquisition). Néanmoins, l'imputation des pertes peut être effectuée sur les parts sociales. Les apporteurs de capitaux ne peuvent percevoir aucune plus-value de cession au "remboursement" de leurs parts. Ces parts sont nominatives (propres à chaque associé). Depuis la loi de 1992, dans le but de faciliter l'accès à des financeurs extérieurs, les coopératives peuvent émettre :

des parts ordinaires (qui peuvent oui ou non avoir droit à un intérêt) ; des parts à avantages particuliers : qui recevront un intérêt plus élevé que les

parts ordinaires et subiront une imputation réduite en cas de pertes. Cela peut être le cas lors d'une transmission en Scop conséquemment au départ en retraite du cédant. Ce dernier, pour ne pas risquer de mettre en péril financièrement l'entreprise, souscrira, avec l'accord de l'assemblée générale des parts à avantages particuliers. Ce sont des parts avec droit de vote permettant aux salariés de gagner du temps sur le rachat total des parts du cédant. Cette opération vise à ne pas faire appel au crédit vendeur; outil qui aurait pesé sur la capacité d'endettement de l'organisation.

des parts à intérêt prioritaire : la souscription est ici réservée aux associés non-salariés ou à des tiers non-associés (il n'existe pas de droit de vote pour le porteur de ces parts hormis si l'intérêt, défini dans les statuts, n'est pas servi pendant trois ans).

d) La rémunération du capital La rémunération du capital ne tient lieu d'aucun impératif. Si les statuts prévoient un intérêt (dividende) sur le capital détenu, ce dernier ne peut excéder ni la partie des bénéfices affectée aux réserves, ni la partie des bénéfices affectée à la part travail (dévolue à l'ensemble des salariés). En d'autres termes, la répartition du résultat (après paiement de l'impôt et l'apurement de l'éventuel report à nouveau déficitaire antérieur) s'effectuerait de la manière suivante si la volonté de l'assemblée était de maximiser la rémunération de la part capital : 1/3 part travail; 1/3 réserves; 1/3 part capital (dividendes ou encore intérêts servis sur le capital). 42 Partie de la répartition dévolue aux salariés. 43 C'est à dire les intérêts servis aux parts sociales. 44 La valeur des parts sociales est fixée par les statuts. Elle est uniforme. Guide juridique des Scop. p.355

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Dans la pratique, la rémunération du capital est fiscalement coûteuse. On soulignera dans la partie qui mettra en lumière les pratiques des biocoops interrogés qu'une grande majorité d'entre eux ne rémunère pas le capital et que ceux qui le rémunèrent ne vont guère au-delà des 10%. Cependant, il existe quelques cas dans lesquels la rémunération du capital est portée à son maximum. Les associés utilisent ce mécanisme afin de rémunérer le risque et l'effort lié à l'achat de part; cette rémunération permet de créer une incitation financière pour devenir sociétaire. Le dividende constitue le seul revenu supplémentaire dû au statut d'associé-travailleur. 6) L'impartageabilité des réserves Le principe de l'impartageabilité des réserves fait partie du socle commun de principes fondamentaux liés à l'entrepreneuriat en Scop. La dotation en réserve grâce la création d'un résultat positif permet l'appropriation collective du capital (au sens large du terme et non pas du capital social) abandonnant ici le clivage sempiternel entre les propriétaires des capitaux et les travailleurs. Même si l'on peut croire que ce principe tient à des pendants idéologiques, dans la pratique, ces réserves non remboursables représentent une manne importante pour pallier le risque économique lié à la variation négative ou positive du capital social. Si ce phénomène est aujourd'hui représentatif des pratiques dominantes des Scop, il n'a effectivement été reconnu dans la doctrine des coopératives qu'à partir de l'année 1995 dans la déclaration sur l'identité coopérative confectionnée par l'Alliance Coopérative Internationale. Les Scop ont l'impossibilité d'effectuer toute incorporation des réserves en capital. Elles sont entièrement collectives et impartageables. On rappellera ici les articles des lois de 1947 et 1978 :

L'article 20 de la loi du 19/07/1978 affirme qu'en cas de liquidation, l'associé n'a droit qu'au remboursement de son capital et en aucun cas à une part du boni de liquidation.

L'article 18 de la loi du 10/08/1947 précise qu'en cas de démission ou d'exclusion, un associé ne peut avoir droit qu'au remboursement de ses parts à la valeur nominale. Les associés n'ont aucun droit ni individuel, ni collectif sur les réserves

La loi de 1992 (à laquelle les Scop ont demandé d'être exemptées de la partageabilité des réserves qu'elle autorise) remet en cause le remboursement des parts sociales à la valeur nominale. Elle autorise l'organisation de la revalorisation des parts sociales par le truchement d'un mécanisme dédié. Cela signifie que la loi autorise le remboursement des parts à une valeur supérieure à la valeur nominale (en tenant compte de l'inflation). Ce mécanisme comporte les éléments suivants45 :

« Les statuts doivent prévoir la création d'une réserve spéciale de revalorisation des parts, et l'affectation à celle-ci d'une partie des bénéfices ;

Les associés pouvant prétendre à la revalorisation sont tous ceux qui ont été présents comme associés pendant cinq ans au moins au moment de leur départ ;

45 ESPAGNE F. (2001), op. cit. p.17

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au moment du remboursement du capital, la société verse à ses associés quittant la coopérative non seulement la valeur nominale de leurs parts, mais aussi une fraction de la réserve de revalorisation, au plus égale au rapport entre le capital remboursé et le capital total ;

la revalorisation est enfin limitée, pour chaque associé, par l'application du barème de revalorisation des rentes viagères, établi annuellement par la loi du budget. »

Il n'est pas fait état dans la loi de la fraction du bénéfice qui peut être affectée à cette réserve. En revanche, cette fraction doit être inférieure ou égale à la partie des bénéfices qui peut être affectée à la rémunération du capital (pas plus d'un tiers du bénéfice). Autrement dit, la Scop peut y affecter au maximum 1/3 du bénéfice net, ce bénéfice pouvant être réparti selon la convenance des associés de l'organisation46. Ce dispositif reste toutefois très peu usité car fiscalement très coûteux (la dotation à la réserve est sujette à l'impôt sur les sociétés). 7) Répartition des bénéfices et imputation des pertes La répartition des résultats est actée en assemblée générale ordinaire. La clé de répartition peut-être de deux types :

souple (chaque année, on peut changer la structure de répartition) rigide (elle est définie fixement dans les statuts et ne pourra être modifiée que

lors d'une assemblée générale extraordinaire). a) Répartition des bénéfices La lucrativité limitée est un des principes fondateurs des organisations de l'ESS. Ce principe signifie que l'entreprise n'a pas pour finalité première la maximisation de ses bénéfices en vue de les distribuer aux apporteurs de capitaux. En revanche, la réalisation d'excédents de gestion demeure un « impératif catégorique » afin de pérenniser l'activité de la structure. « Les excédents nets de gestion sont constitués par les produits de nets de l'exercice, sous déduction des frais généraux et autres charges de la société, y compris tous amortissements et provisions, des pertes antérieures, de plus-values à long terme ayant donné lieu à constitution de réserves ainsi que des réévaluations pratiquées sur des actifs immobilisés. »47. Cela signifie que l'on ôtera du bénéfice brut : les pertes antérieures enregistrées car, tant qu'une perte est inscrite au bilan, aucune répartition du résultat ne peut être effectuée, ainsi que l'impôt sur les sociétés. Le bénéfice net pourra alors être réparti. L'excédent de gestion (bénéfice net / résultat net) est réparti de la manière suivante :

46 Répartition libre du montant entre la rémunération directe du capital (intérêt du capital / dividendes) et la revalorisation des parts (par la dotation à la réserve dédiée). 47 Article 32 et 33 de la loi 78-763. De plus, les plus values évoquées dans le texte doivent être annexées sur un autre compte de réserves exceptionnelles.

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1. (part en réserve) 15% minimum sont affectés à la constitution de la réserve légale (jusqu'à ce que celle-ci atteigne le montant le plus élevé atteint par le capital depuis la constitution de la Scop) 2. (autre part en réserve) Une partie, qui sera stipulée dans les statuts, sera affectée au fonds de développement 3. (part travail) Une dernière fraction, qui ne pourra être inférieure à 25%, sera attribuée à l'ensemble des salariés ("ristourne aux travailleurs"), associés ou non. 4. (part capital) Si les statuts prévoient (facultatif) le service d'intérêts aux parts sociales, le total de ces intérêts ne peut excéder, chaque année, ni le total des dotations aux réserves prévues (réserve légale et fonds de développement) ni le total de la "ristourne aux travailleurs". Les réserves légale et statutaire doivent représenter au minimum 16% de la répartition des excédents. Toutefois, au regard de la pratique, on constate que cette proportion est bien plus importante (entre 41 et 45%). Ces dotations sont destinées à garantir la pérennité de l'entreprise. La rémunération du capital (dividendes) culmine à 33% du bénéfice (bien que dans la pratique, on la mesure effectivement à 10%). Elle est distribuée au prorata du nombre de parts sociales que les associés ont souscrites. Cette part constitue le mécanisme incitatif par excellence pour encourager les salariés à souscrire des parts dans la coopérative. Elle permet de récompenser les apporteurs de capitaux extérieurs en reconnaissant ainsi l’aide financière qu’ils octroient à l’entreprise. Cette pratique les incite également à renouveler leur confiance envers la coopérative. « Cette année, on a augmenté la part de dividende car on voulait d’abord récompenser les associés de leur confiance et puis donner envie à d’autres salariés de franchir le pas » exprimait un gérant. Enfin, la "part travail" (participation ou « ristourne aux travailleurs ») qui est attribuée à l'ensemble des salariées est évaluée dans la pratique à environ 45% des excédents48. La part travail peut être disponible dès la fin de l'exercice comptable; un accord de participation peut être également constitué bloquant la part travail pendant cinq ans prenant la forme de compte courant d'associés bloqués et rémunérés. A noter que ces chiffres sont assez similaires avec les pratiques des magasins Biocoop établis en Scop. b) Imputation des pertes La loi de 1992 dispose que si les statuts ne comportent pas de dispositions particulières quant à l'imputation des pertes de l'entreprise, « les pertes s'imputent en priorité sur le capital. Mais les statuts peuvent prévoir que les pertes peuvent s'imputer prioritairement sur la réserve de revalorisation des parts, s'il en existe une et sur les réserves statutaires (fonds de développement) »49. Il faut comprendre ici que le principe d'impartageabilité des réserves prévaut sur le remboursement des parts à leur valeur nominale. Dans ce cas de figure, le remboursement des parts sera diminué en fonction de la proportion des pertes. En outre, cette solution peut paraître risquée car elle peut dissuader fortement les futurs apporteurs de capitaux ou bien même les associés d’augmenter leur participation au capital. 48 Seuls les salariés ayant au minimum six mois d'ancienneté peuvent en bénéficier. 49 Guide juridique des Scop. op. cit. p.360

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8) La formation de capitaux propres a) Considérations générales et définitions Comme le résume bien Danièle Demoustier dans son ouvrage sur les sociétés coopératives de production50: « La bonne volonté des hommes ne suffit pas. [...]Société commerciale privée, sa crédibilité financière est fortement fondée sur le capital social réuni par ses sociétaires ». Les Scop ont un devoir, pour pérenniser leur activité et leurs emplois d'être compétitives sur leurs marchés respectifs, d'avoir des équipements qui correspondent au développement de leur activité et de disposer d'une trésorerie suffisante pour avancer le paiement des fournisseurs et les salaires des travailleurs (conditions nécessaires pour la production de biens et/ou de services; passage incontournable avant la récolte des produits due à la vente de ces biens et services). On peut définir les capitaux propres comme la « réalité comptable « d'actifs nets » résultant de la soustraction des dettes du total des actifs. »51 Il convient toutefois de distinguer la notion de capitaux propres et celle, plus large, de fonds propres. Les fonds propres sont constitués des capitaux propres et des « autres fonds propres » (les produits d'émission de titres participatifs par exemple)52. Les capitaux propres d'une entreprise sont les ressources stables de cette dernière. Ces capitaux sont au passif du bilan (état du patrimoine de l'entreprise à un instant donné) de l'entreprise qui est l'ensemble des ressources que l'entreprise a mobilisé pour financer son activité. Les capitaux propres sont composés :

du capital social (l'ensemble des apports en capital réalisés par les sociétaires - les parts sociales),

des primes d'émission et primes assimilées, du résultat de l'exercice (ou report à nouveau, il peut être excédentaire ou

déficitaire) des subventions d'investissement des provisions réglementées de l'ensemble des réserves (pour les Scop, on compte au minimum les réserves

impartageables ainsi que le fonds de développement)

b) Les instruments et mécanismes facilitant leur constitution L'aide à la formation de capital social L'encouragement à la formation du capital social constitue un premier instrument à la création de capitaux propres. On reportera le lecteur aux différentes catégories de parts sociales (ordinaires, à avantages particuliers, à intérêt prioritaire) qui sont des incitations, le plus souvent pécuniaires, de souscrire des parts sociales en facilitant la prise d'apport d'associés (investisseurs) extérieurs. On rappelle ici qu’en sus, la loi de 1992 fait droit pour ce type d'associé de disposer de droits de vote autrement 50 DEMOUSTIER Danièle. Les coopératives de production. Paris : La Découverte. 1984, 126 p. 51 BAYO E., 2011, Les fonds propres des Scop : Enjeux et conditions de leur développement», p.98 52 BANQUE DE FRANCE – DIRECTION DES ENTREPRISES – Référentiel des Financements des Entreprises, 2010

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plus important que le traditionnel 1 associé = 1 voix. A savoir que, leur droit de vote pourra être proportionnel aux capitaux qu'ils ont engagés dans l'organisation dans la limite des 35% maximum accordés aux associés extérieurs. La transformation de la part capital et de la part travail Il s'agit donc ici de la part des excédents revenant directement aux associés au titre de l'intérêt versé aux parts qu'ils détiennent. D'une part, les associés non salariés peuvent tout à fait transformer l'intérêt servi au capital en capitaux propres. D'autre part, la part travail attribuée aux travailleurs non associés ne peut-être, quant à elle, transformée. Le Guide juridique des Scop nous informe que l' « on peut conclure que la ristourne attribuée aux travailleurs dans le cadre d'un accord de participation ne peut-être transformée en parts de capital par l'assemblée générale dans le cadre de la procédure visée par l'article 34 (de la loi de 1978) »53 Le texte du guide renchérit dans une remarque lapidaire : « Notons cependant que la pratique est en sens inverse ». On peut entendre ici que la ristourne dévolue aux salariés, seulement si ces derniers ont la qualité d'associé, peut être transformée en capitaux propres. L'accord de participation est un mécanisme presque systématiquement utilisé par les Scop comme moyen d'améliorer la formation de capitaux propres. La participation peut être bloquée pendant cinq ans en prenant la forme de comptes courants d’associé. Par ailleurs, les associés peuvent allouer (et ce pour un montant égal au total de la ristourne) une partie de cette part à la constitution d'une Provision Pour Investissement54 (PPI). La PPI est considérée comme une réserve. Son montant est déductible de l’assiette du bénéfice imposable et exonéré de l'impôt personnel sur le revenu. Nous n'évoquerons pas ici le plan épargne entreprise car il est spécifique au Scop SA et n'est donc pas utilisé par les biocoops interviewés. La création d'un instrument de marché Le titre participatif est une sorte d'obligation qui peut être émise exclusivement par les entreprises publiques, les coopératives et les banques coopératives et mutualistes. Ces titres permettent de renforcer les fonds propres des Scop, sans en modifier leur structure capitaliste. Ces titres participatifs donnent lieu à rémunération sous forme d’intérêts qui sont comptabilisés comme des charges d'exploitation et non comme une partie du bénéfice. Leur montant est librement négociable. La rémunération est pour une partie fixe et pour une autre partie proportionnelle à un indicateur de performance de l'entreprise. Ils ne sont remboursables qu'après une durée minimum de sept ans et à la seule décision de la coopérative. Ils ne sont pas considérés comme des capitaux propres mais comme des "autres fonds propres" ou "assimilés fonds propres". Leur valeur de cession est définie librement entre les parties. Enfin, son émission relève de la compétence de l'assemblée générale ordinaire pour les Scop ARL. Ils sont ouverts au public et font bénéficier à leurs acquéreurs d’une réduction de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en faveur de l'investissement dans les PME et

53 Guide juridique des Scop. op. cit. p.378 54 "Elle est dotée par les entreprises qui ont conclu des accord dérogatoires dans le cadre de la participation des salariés aux résultats de l'entreprise. Cette fraction du bénéfice échappant indirectement à l'impôt doit être utilisée au financement d'immobilisations." (Hesnault B., 1993)

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plus particulièrement dans les PME coopératives55. Néanmoins, il est à savoir que l'exonération de la cotisation foncière des entreprises (CFE)56 mise en place dans le cadre de l'entrepreneuriat sous le format Scop sera supprimée dans le cas de figure où la Scop fait un appel public à l'épargne. Nous ne parlerons pas ici des certificats coopératifs d'investissements qui ne sont supposés être utilisés que par les SA Scop. 9) Le régime fiscal Les Scop sont assujettis comme n'importe quelle société à l'impôt sur les sociétés. La part des bénéfices allouée aux salariés est toutefois déductible d'impôt. En cas d'accord de participation, le montant de la réserve de participation (compte courant d’associé bloqué) peut-être déduit également ainsi que l'hypothétique provision pour investissement (cf. infra). Ces possibilités constituent un véritable atout et permettent d'élargir le montant du résultat net. 10) Le contrôle Pour bénéficier des avantages fiscaux qui sont propres aux statuts des Scop, ces dernières doivent être enregistrées sur une liste établie annuellement par le Ministère du Travail. Cette inscription permet de vérifier la conformité de leurs statuts et de leur fonctionnement aux dispositions du statut coopératif. Dans les petites Scop ARL (moins de 20 salariés associés), la révision coopérative fait office d'instrument de contrôle de la société. C'est un audit spécifique dans lequel le mouvement coopératif, incarné par l'Union Régionale des Scop, s'assure du respect des principes des Scop. Ce dispositif est une obligation annuelle pour les entreprises ne disposant pas de commissaire aux comptes. Cet événement est propice à la rencontre entre les dirigeants et les associés des coopératives. Les réviseurs analysent les besoins et demandes des associés; grâce à leur expérience, parfois au sein même de l'activité de l'entreprise révisée, ils arrivent à apprécier l'évolution de la coopérative à l'aune de leurs semblables ainsi que « leurs perspectives de continuité, de développement et d'anticiper les difficultés »57 Conclusion de la partie : Les biocoops en Scop, au carrefour de deux militantismes

Cette première partie avait pour vocation d'introduire le cadre juridique des Scop ainsi que le cadre institutionnel du réseau Biocoop et de ses magasins. 55 Observatoire des Aides aux Entreprises 56 Anciennement appelée "taxe professionnelle" (remplacée par la contribution économique territoriale (CET), la cotisation foncière des entreprises (CFE) est une des deux composantes de la CET (avec la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)). La CFE est assise sur les valeurs locatives foncières, dont le taux est déterminé par les communes ou les EPCI. (www.service-public.fr) 57 site internet de l' UR Scop Île-de-France; Centre Orléanais; Haute-Normandie; DOM-TOM

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Nous avons pu constater que nous arrivions à un changement de paradigme à propos de la vision idéale que le réseau exprimait à l'endroit du consommateur. Avant, considéré comme un véritable militant, acteur engagé indéfectible, le consom'acteur a peu à peu perdu sa vocation. Désertant les assemblées générales, il n'est plus possible aujourd'hui, au vu des exigences concurrentielles croissantes, de garder un mode de gouvernance où des bénévoles, parfois éloignés de la réalité du terrain, ne désirent plus afficher cette étiquette d'acteur à part entière.

Auparavant tourné vers les coopératives de consommateurs, le réseau Biocoop préfère redonner aux salariés le contrôle des magasins. Étant les plus à même de juger de leurs besoins sociaux et économiques, il souhaite néanmoins que la constitution d'une Scop ait lieu suite à la réussite affirmée d'un projet monté sous un statut classique. Toutefois, le réseau Biocoop a tenté de garder sa casquette de militant. Militant du bio et militant du système coopératif, il essaye désormais de composer avec les besoins et les acteurs d'aujourd'hui. Sûrement plus nombreux mais moins engagés, les consommateurs de produits bios sont aujourd'hui des clients informés, exigeants et difficile à satisfaire.

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Partie 2 : Méthodologie de l'enquête A) Recherche de données sur les biocoops en Scop Au commencement du stage, nous souhaitions faire un mémoire qui corresponde aux enjeux de la transmission des entreprises saines en Scop, plus particulièrement dans le réseau Biocoop. Ce thème avait été décidé préalablement à l'entrée dans l'entreprise nous accueillant pour ce stage. Grâce à un fichier répertoriant l'ensemble des raisons sociales Biocoop, nous avons pu identifier et contacter l'ensemble des biocoops institués en Scop sans toutefois savoir si ces derniers étaient issus d'une transmission ou d'une transformation ou s'étaient simplement créées en Scop ex nihilo. Notre volonté, pour que notre étude ait une réelle utilité et significativité, était de contacter l'ensemble du panel (à savoir les 30 magasins) afin de connaître précisément la situation propre à chaque magasin. Par conséquent, nous avons administré un questionnaire aux 30 magasins, contenant deux parties, une partie relativement générale et courte, et une partie dédiée aux Scop ayant effectué une transformation. Les biocoops institués ex-nihilo pouvaient s'arrêter dès la fin des questions d'ordre général58. B) Administration du questionnaire préalable Nous n'avons pas désiré utiliser un logiciel libre de construction de questionnaire car, la nécessité de sa bonne prise en main et la compréhension de son fonctionnement auraient été assez coûteuses en temps. Le questionnaire a été élaboré dans le but de laisser la plus grande liberté d'expression aux biocoops questionnés. Dès lors, nous avons élaboré majoritairement des questions ouvertes permettant l'expression la plus libre au répondant. Construit tel un dialogue, nous avons voulu faciliter le travail du répondant quant à la recherche de ses réponses.

Questionnaire destiné aux biocoops constitués dès l'origine ou transformés a posteriori en SCOP.

Questions d'ordre général 1- A quelle année remonte la création de votre entreprise ? 2- Combien y a t-il de salariés présents dans votre entreprise? A combien s'évalue le nombre d'équivalent temps plein (ETP) ? Combien y avait-il de salariés lors de votre transformation en SCOP ? Combien d'ETP ? 3- Depuis quelle année votre entreprise évolue-t-elle sous statut SCOP ? / Avez-vous déjà envisagé de passer en SCOP ? Si oui, pourquoi n'y êtes-vous pas parvenu ?

58 Quelquefois, ces derniers ont continué de répondre aux autres questions spécifiquement à leur situation. Il s'agissait alors pour eux : non d'un processus de transmission mais d'un processus de création.

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Question concernant le processus de transformation en SCOP Les prémisses : 4- Quel a été l'élément déclencheur à l'origine de la décision du passage en SCOP ? 5- Quelles ont été les motivations exprimées par les salariés à l'égard de ce projet ? 6- Quels ont été les difficultés et/ou les freins ? 7- Quel(s) rôle(s) ont joué les salariés dans la prise de décision ? L'accompagnement : 8- Quelles ont été les parties prenantes associées à ce processus de transformation ? 9- En quoi le réseau Biocoop vous a-t-il soutenu lors de votre démarche ? 10- En quoi l'Union Régionale des SCOP vous a-t-elle soutenu lors de votre démarche ? 11- Concernant ces accompagnements, qu'est-ce qui, selon vous, devrait-être à modifier/à accentuer ? Le processus : 12- Pouvez-vous, en 3 ou 4 étapes succinctes, me décrire la réalisation de ce processus ? 13-En quoi ces étapes auraient-elles pu être modifiées ? 14- Quels ont été les dispositifs juridico-financiers qui vous ont permis de faciliter la transformation de votre structure ? 15- Avez-vous trouvé cette démarche efficiente ? (Les résultats sont concluants et ont été réalisés en un minimum de temps). En conclusion : 16- Si vous aviez une critique générale (positive/négative) à énoncer à propos de ce processus, quelle serait-elle ? 17- Avez-vous d'autres remarques dont vous auriez voulu me faire part ?

Suite aux premières réponses qui constituaient notre panel test, nous nous sommes aperçu que les questions étaient trop pointues :

Manque de connaissances techniques à propos du processus de transmission; Certains gérants ne figuraient pas au sein de l'entreprise lors de l'élaboration de

la démarche; Mais aussi que le particularisme était la norme plus que l'exception :

La diversité des processus de transmission et de transformation ne permettait pas de dégager une démarche commune à l'ensemble des magasins;

Les nombreuses situations statutaires à l'origine de la transformation n'observaient pas de valorisation de l'entreprise et, par conséquent, les moyens de financements utilisés pour financer le projet étaient, pour chacun des cas, de nature distincte.

Après consultation de M. Jean-Pol Kerjean, directeur technique de la SAS Défi Bio qui a suivi l'évolution de notre écrit et a été une véritable personne ressource au sein du réseau, nous avons décidé d'organiser des entretiens téléphoniques sur la base d'une trame élaborée en fonction des réponses collectées à partir du questionnaire préalable.

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C) L’élargissement aux composantes managériales Suite à ces constats, nous avons constaté qu'il allait être difficile de construire un mémoire exclusivement axé sur la transmission des biocoops en Scop, son impact aurait été peu significatif et sûrement très incomplet (sur les points juridiques et financiers). Néanmoins, il aurait trouvé sa place comme problématique pour un stage dans une Union Régionale des Scop avec à disposition des conseillers pour nous répondre sur le vif aux questions qui demandaient parfois une forte technicité. Nous souhaitions garder le sujet de la transmission en Scop dans le réseau Biocoop tout en inscrivant notre démarche dans un prisme plus large en mettant en exergue le caractère multidimensionnel d'une telle transformation et, a fortiori d'un tel engagement. Par voie de conséquence, nous avons privilégié trois dimensions à mettre en avant lors de nos entretiens et pour la réalisation de notre écrit :

la dimension juridique : qu'une transformation ou que l'entrepreneuriat en Scop sous-tend.

la dimension économique et gestionnaire : relever les facteurs essentiels de la réussite d'une Scop et, à plus forte raison, du financement de la transformation en Scop.

la dimension managériale : tous les facteurs humains (l'engagement, le management, la dynamique des associés, la question de l'entrepreneuriat) qui établissent un rapport complexe entre les membres de l'organisation dans la gestion quotidienne de ce type d'entreprise et qui sont aussi des facteurs déterminants de la réussite de la transformation en Scop.

D) Les entretiens I) Leur élaboration La difficulté d'un tel exercice réside dans le choix des questions. Or, pour poser de bonnes questions, il faut essayer a priori d'en connaître les réponses. Pour cela, nous avons dû, en un temps contraint et assez court, nous familiariser avec le statut juridique des Scop, essayé d'en comprendre toutes les spécificités. Il a fallu s'imprégner aussi du cadre entrepreneurial du réseau Biocoop, prendre connaissance de la convention collective, de l'histoire et des particularités du réseau. Voici la trame qui a orienté les entretiens destinés aux biocoops s'étant transformés en Scop. Il a été envoyé deux jours avant la date de l'entretien aux répondants pour que ces derniers puissent, en amont, préparer leurs réponses :

Trame de l'entretien relatif aux biocoops transformés : Questions générales relatives à la transformation - Sous quel statut évoluait votre entreprise avant sa reprise par les salariés ?

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- Combien avez vous d'associés au sein de votre organisation (distinguez associés salariés / associés non-salariés)? - Aujourd'hui, quelle est votre politique de répartition des excédents de gestion ? - Concernant la réalisation du processus de transmission, avez-vous donné plus d'importance aux aspects techniques et financiers (mise en place des outils financiers de haut de bilan, ...) ou aux aspects humains (motivation de l'équipe, gestion de la résistance au changement, ...) ? - Y a-t-il eu des résistances de la part des salariés lors des discussions en amont de la transmission ? - Rappelez-moi l'ensemble du processus technique (avez-vous une trace écrite de la démarche) qu'a consisté la transformation, sinon les principales étapes qui vous ont marquées? - Quelle est la place accordée à l'ancien(ne) gérant(e) aujourd'hui ? S'il(elle) est resté(e) dans l'entreprise, a-t-il(elle) réussi(e) à trouver une place au sein de l'équipe salariée (est-ce que son étiquette d'ancien(ne) gérant(e) ne porte pas préjudice aux salariés et/ou à lui(elle)-même)? - Quelles ont été les clefs de la réussite de cette transmission ? - Quels en ont été les freins ? Phase de valorisation et description des dispositifs - Comment s'est effectué le calcul de la valorisation de l'entreprise préalable à la cession des parts aux futurs salariés/associés? - Rappelez-moi le nom des dispositifs qui vous ont accompagnés durant la mise en place du statut Scop. - En quoi ont-ils répondu à vos besoins? - Pensez-vous, a posteriori, qu'un autre dispositif aurait mieux convenu à votre situation ? - Avez-vous sollicité d'autres dispositifs que ceux conduits par la CG Scop ? Si oui, vous ont-ils suggéré des pistes ou les avez-vous recherchés vous-mêmes ? Changements organisationnels, préconisations - Comment s'est passée la transition sur le plan managérial durant le changement et après ? - On dit parfois "que le fait d'entreprendre en Scop est une affaire d'équipe plus que d'individus" qu'en pensez-vous ? - Aujourd'hui, qu'est-ce qui a changé au sein de votre entreprise ? (le management, la relation entre les salariés, l'engagement de ces derniers envers a coopérative, avec les clients, avec les fournisseurs, ...) - Si on vous demandait d'intervenir dans un biocoop près de chez vous auprès des salariés qui souhaitent transformer leur entreprise en Scop, quels seraient vos conseils à l'égard de leur projet ?

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En demeurant toujours dans une dynamique de laisser la plus grande liberté aux interrogés, cette trame est constituée presque exclusivement de questions ouvertes. La finalité de cette trame consiste à aider l'intervieweur à garder le fil de l'entretien. Nous avons recensé trois principaux phénomènes pouvant impliquer une perte de temps importante lors de la conduite des entretiens :

Les digressions longues et systématiques qui sortent du périmètre du sujet et qui ne constituent pas de réels apports en connaissances.

L'appétence parfois prononcée de certains interrogés pour un sujet en particulier. Ils ont tendance à tout ramener à ce sujet et à occulter des sujets souvent pertinents.

Le manque de connaissances des interrogés à propos de questions techniques. La recherche d'informations dans ce cas relève d'une longue investigation, les questions sont beaucoup plus nombreuses (car les réponses sont de nature lapidaire - oui, non, je ne sais pas); l'intervieweur est en quête de souvenirs diffus pouvant constituer des éléments de dialogue.

L'administration des questions ci-dessus avait une durée moyenne de 20 minutes. Fort de ce constat, nous poursuivions l'entretien en sélectionnant les questions les plus pertinentes contenues dans le questionnaire propre aux biocoops institués ex-nihilo. En voici la trame :

Trame de l'entretien du questionnaire relatif aux biocoops Créés ex nihilo :

Pourquoi le statut Scop ? - Pourquoi avoir créé directement une Scop ? A-t-il été simple, à l'époque, de trouver des associés pour se lancer dans l'aventure ? - Quelle est, selon vous, la meilleure forme juridique pour créer un Biocoop ? (Coopérative de consommateurs, Scop, SARL classique, ...) - Aujourd'hui, quelle est votre politique de répartition des excédents de gestion ? Sur l'engagement des associés - Quelles sont les conditions pour devenir associé dans votre organisation ? - Quels mots choisiriez-vous pour caractériser l'engagement des associés salariés dans une Scop? Autrement dit, qu'est-ce que l'on "est en droit" d'attendre d'un associé salarié quant à son engagement envers l'assemblée des associés et l'ensemble des salariés? - Concrètement, quels outils mettez-vous en place pour diffuser les informations, prendre des décisions opérationnelles et essayer d'obtenir l'adhésion de chaque salarié/associé au quotidien ? - Est-ce que la responsabilité des sociétaires est totalement assumée au quotidien ? Avez-vous déjà rencontré des difficultés avec des salariés/associés qui n'arrivaient pas à s'engager ? - On dit parfois "que l'associé-salarié doit-être, au fond de lui-même, un entrepreneur."

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Qu'en pensez-vous ? - Quel type de management utilisez-vous? Mettez-vous en place des outils (techniques de réunion particulières, ...) - Si vous deviez juger de l'engagement des salariés-associés de votre organisation, dites-moi combien d'entre eux répartiriez-vous dans chacune des phrases suivantes:

L'associé engagé, très actif qui "sait qu'il a souvent raison" et qui cherche à imposer son avis nombre:___

L'associé engagé, très actif qui cherche avant tout la discussion et favorise l'échange au sein de l'assemblée recherchant avant tout le consensus. nombre:___

L'associé actif qui donne son avis de temps en temps (quand on lui demande) et qui rencontre des difficultés à prendre des décisions ("je préfère que les autres choisissent"). nombre:___

L'associé qui donne peu de son temps et ne prend part aux décisions que lors du vote en AG nombre:___

Sur la dynamique associé/salarié - Au quotidien, comment se réalise la dynamique salarié/associé? (j’entends par "dynamique salarié/associé" : la gestion de l'engagement de ces acteurs, ensemble, au quotidien qui "devrait-être", en théorie, plus fort que celle d'une équipe salariée classique) - On dit parfois "que le fait d'entreprendre en Scop est une affaire d'équipe plus que d'individus" Qu'en pensez-vous ? - Cette double qualité (statut) de salarié-associé n'est-elle pas difficile à vivre au quotidien? Y a-t-il une frontière imperméable entre les moments où les salariés doivent reprendre leur casquette d'associés (réunions stratégiques, AGO, ...) et les moments où ils doivent garder leur statut de "simple salarié"? Ou alors, existe-t-il une porosité entre ces 2 statuts? - Existe-t-il des commissions (ou autres outils formels ou informels) mises en place par les sociétaires au sein de votre organisation ? Mettez-vous en place (ou proposez-vous) d'autres outils participatifs au sein de l'assemblée des associés? - Concrètement, quels outils mettez-vous en place pour diffuser les informations, prendre des décisions opérationnelles et essayer d'obtenir l'adhésion de chaque salarié/associé au quotidien ? Faites-vous partager l'information aux "simples" salariés comme s'ils étaient des associés? Quelles (s) différence(s) y a-t-il entre ces deux statuts au sein de votre coopérative? - Les sociétaires ont-ils davantage un pouvoir de contrôle ou un pouvoir de décision ? A propos de la gérance - Pouvez-vous me dire combien de gérants à connu votre coopérative (SCOP) avant votre arrivée ? - Selon vous, quelles qualités doit avoir un gérant de Scop? A contrario, quels-sont les comportements à éviter pour garantir un engagement optimal des salariés/associés ?

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- Que pensez-vous du système de cogérance ? - Si on vous demandait d'intervenir dans un biocoop près de chez vous auprès des salariés qui souhaitent transformer leur entreprise en Scop, quels seraient vos conseils à l'égard de leur projet? Dans ce questionnaire, nous avons voulu introduire des phrases affirmatives (par exemple : on dit parfois "que le fait d'entreprendre en Scop est une affaire d'équipe plus que d'individus" Qu'en pensez-vous ?) afin de faire réagir le répondant. Nous avons aussi tenté de créer une typologie générale des associés salariés, basée sur le critère de l'engagement. Cette typologie avait pour vocation d'essayer de déterminer des "idéaux types" qui se dégagent généralement dans les biocoops en Scop. Si d'aucuns ont trouvé que cette typologie était tout à fait représentative du comportement des associés salariés dans leur Scop, d'autres ont, quant à eux, émis quelques réserves. En effet, il leur était impossible de les "enfermer dans des cases" car le comportement des associés dépend du sujet sur lequel ils doivent se prononcer. En outre, des sujets relatifs au financement et à la mise en place de nouveaux projets conviendront plus à des associés qui auront des compétences plus gestionnaires, tandis que d'autres associés seront plus sensibles à des questions qui relèvent de la politique sociale de l'organisation (reconfiguration des fiches métiers, création d'entretiens collectifs annuels, ...). II) L'administration des entretiens Les questionnaires qui ont été administrés ne l'ont pas été de manière linéaire et dans leur intégralité. Le nombre important de questions ne permettait pas au répondant de répondre à l'intégralité du questionnaire en se limitant au temps conventionnellement défini entre les deux parties (c'est à dire 45 minutes). Bien souvent, pour ceux qui avaient le temps de répondre à l'ensemble du questionnaire, la durée de l'entretien pouvait atteindre les 1h05 à 1h10. Rétrospectivement, au vu du temps considérable que nous avons passé à retranscrire ces entretiens, il nous paraît aujourd'hui, pour des études utilisant un panel de 20 personnes questionnées et plus, impératif de ne pas dépasser la limite des 45 minutes d'entretien. Nous avons réussi à mener 25 entretiens dont la durée moyenne s'établit à environ 47 minutes (temps minimum de 20 minutes et maximum de 73 minutes). Durant les entretiens, outre l'agilité de l'intervieweur qui doit rebondir sur chaque question en essayant de glaner le plus d'informations possibles, il a fallu essayer d'avertir le répondant quand celui-ci partait dans de trop nombreuses et longues digressions.

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III) Le rétro-planning de l'administration du questionnaire et des entretiens Envoi du questionnaire préalable 4 juin Envoi du rappel pour le retour des questionnaires 19 juin Commencement des entretiens téléphoniques 23 juin Fin des entretiens 20 juillet Commencement des retranscriptions 4 juillet Fin des retranscriptions 31 juillet IV) Population des répondants et autres entretiens téléphoniques Nous avons échangé avec M. Jean-Pol Kerjean sur la méthodologie de l'enquête et les enjeux affichés pour Biocoop relatifs à la transmission/transformation des entreprises saines Biocoop en Scop. Nous avons contacté M. Jérôme Blachère, responsable développement du service magasin au sein de la SA Biocoop. Nous avons eu des contacts réguliers (trois entretiens) avec M. Guillaume Queguiner, délégué régional Loire-Atlantique qui a pu nous renseigner et nous conseiller sur des questions techniques relatives à la transmission et aux problématiques générales auxquelles étaient souvent confrontés les délégués régionaux. Concernant le cœur du sujet de notre étude, à savoir l'entrepreneuriat en Scop, nous avons arbitrairement décidé d'interroger exclusivement les gérants des biocoops concernés. Nous avons cru bon de ne pas nous disperser en consacrant une étude exclusivement aux gérants et à leur regard sur leur structure. Dès lors, nous avons pu remarquer que sur les 25 gérants interrogés, nous avons réussi à dégager des particularités propres à chaque gérant, chacun apportant une réponse qui est la sienne, parfois sensiblement différente aux autres. Les pratiques sont vraiment très riches. Toutefois, le lecteur l'aura constaté, cinq biocoops n'ont pas participé aux entretiens. Ce qui porte le pourcentage de participants à environ 83% de la population totale.59 En outre, le Biocoop AlTerre Native de La Flêche n'a pas été représenté par son gérant mais par son ancienne gérante Mme Séverine Lebreton.60 V) Quelques indicateurs sur la population des structures interrogées 1) Statuts des Scop (ex-nihilo; transmis ou transformé) Sur l'ensemble des biocoops institués en Scop (qui constituent l'ensemble de la population de base) :

17 biocoops ont été créés ex-nihilo en Scop, cela représente 57% de la population;

6 biocoops ont été institués en Scop à la suite d'une transmission. Cela représente 20% de la population;

59 Sur les cinq biocoops qui n'ont pas participés aux entretiens, deux ont renvoyé les questionnaires préalables 60 Gérante qui fut notre maître de stage lors de notre troisième année de licence.

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7 biocoops ont été institués en Scop à la suite d'une transformation. Ce cas représente 23% de la population totale.

2) Explications des disparités régionales On constate que les magasins Biocoop sont regroupés en majorité (population de 16 magasins) dans trois régions voisines : la Bretagne, les Pays de la Loire et la Basse-Normandie qui constituent les trois régions du territoire d'action de l'Union Régionale des Scop de l'Ouest. Un délégué de l'UR Scop de l'Ouest a soutenu que cette situation était due à des causes historiques et sociétales. Par ailleurs, le nombre de Scop (tous secteurs confondus) adhérentes à l'UR Scop de l'Ouest est sensiblement plus important que dans les autres UR. Pour rester dans le cadre de Biocoop, nous rappelons que le premier groupement d'achat ainsi que les premiers magasins institués en coopératives étaient plus nombreux dans l'Ouest de la France. Ce terreau historique est amendé grâce au soutien important et permanent de l'UR et des délégués régionaux de l'Ouest. Certaines régions, comme par exemple la région Centre et Limousin, n'ont aucun représentant Biocoop institué en Scop sur leur territoire. Une étude plus précise pourrait apprécier les caractéristiques propres à ces territoires afin de comprendre les réticences ou les raisons de la méconnaissance d'un tel statut. Ces raisons dégagées, les UR des Scop de ces territoires, sur auto-saisine, pourraient mettre en place des actions correctrices de communication et d'information dédiées aux acteurs Biocoop sur leur territoire. L'UR des Scop pourrait être moteur dans la constitution d'un référentiel commun à l'ensemble des Unions Régionales permettant de combiner et de mutualiser les expériences dans le but de trouver les clefs pour l'accompagnement de ces organisations dans le réseau Biocoop. 3) Le nombre de salariés et proportion d'associés dans les salariés On évalue le nombre de salariés moyen dans un magasin Biocoop en Scop à 16 salariés, c'est 50% de plus que la moyenne des raisons sociales Biocoop dans leur ensemble. La population varie entre 5 et 40 salariés. L'entreprise disposant de 40 salariés les répartit sur trois établissements. Le nombre d'ETP moyen est évalué à 13,3. Enfin, nous avons évalué la proportion d'associé-salarié par rapport à la population totale de salariés à 55,5%. En d'autres termes, les salariés associés représentent un peu plus de la moitié des salariés des Scop. Dans les chiffres communiqués par la CG Scop, en général, 80% des salariés sont des associés de leur entreprise. Si on est encore loin d'un tel niveau dans les entreprises Biocoop, on peut considérer que ce pourcentage pourrait augmenter dans le temps. En effet, la plupart des raisons sociales Biocoop ont été instituées en Scop il y a moins de 10 ans, il faut laisser le temps aux organisations de trouver leurs marques et d'agrandir le sociétariat en fonction de l'engagement affiché des salariés.

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4) La répartition des résultats et l'explication des clés possibles Il paraît évident si l'on énonce que, pour répartir le bénéfice, il faut préalablement en dégager un. Aussi, quelques magasins nouvellement institués ou transmis n'arrivent pas encore à dégager des bénéfices. Néanmoins, pour les autres, d'une manière générale, la répartition des excédents de gestion s'effectue avec une clé de répartition souple. Cette technique accorde une plus grande liberté aux associés quant à la rémunération des facteurs qui ont favorisé la réalisation d'un résultat positif. Dès lors, les associés rémunéreront en priorité l'ensemble des salariés s’ils ressentent qu'ils ont été particulièrement impliqués pendant l'année. Ils rémunèreront le capital pour récompenser les associés de leur prise de risque et pour inciter pécuniairement les salariés à poser leur candidature au sociétariat. Enfin, la dotation en réserve représente la vision des associés par rapport à l'avenir. Voici la répartition moyenne de l'excédent net pour chaque part :

La part travail : 41,35% La part capital : 8% La part mise en réserve (pas de distinction entre réserve impartageable et les

autres réserves) : 50,65% Les associés vont préférer, dans les premiers moments de la Scop, doter la réserve impartageable afin d'augmenter les fonds propres de l'organisation et limiter le besoin d'apport et de prise de part en capital des associés. Cependant, à moyen terme, les associés décideront d'allouer la dotation minimum en réserve légale (15%) afin de mieux pourvoir les réserves statutaires et ainsi prémunir l'entreprise du risque de report à nouveau déficitaire potentiel. Si la fraction du résultat alloué à la part capital semble assez dérisoire, nous pensons qu'il est nécessaire de créer une incitation financière au passage en tant qu'associé. E) Les freins et les actions correctrices à mettre en œuvre lors d'une prochaine étude Nous regrettons de ne pas avoir pu interroger les salariés et associés salariés sur les pratiques de leurs gérants. Nous aurions pu déterminer s'ils confirment ou infirment les propos de leurs gérants sur leur perception quant à l'application du management au sein de l'organisation. Nous aurions souhaité les entendre afin de connaître leur point de vue sur ce qu'ils entendent par les notions « d'engagement », « d'investissement humain », « de vision globale », « d'intérêt collectif ». Nous aurions désiré savoir aujourd'hui, comment ils percoivent leurs intérêts à devenir associés dans un Biocoop. Car, si les gérants sont souvent des militants qui voient dans l'"être associé" davantage des considérations humaines et politiques, les salariés voient, quant à eux, de prime abord, plus un intérêt financier. Si, en l'occurrence, ce fait était avéré, on pourrait en conclure que le seul mécanisme incitatif efficace afin de susciter l'envie d'intégrer le corps des associés serait d'augmenter la fraction du bénéfice net alloué à la part capital.

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La confrontation de leurs réponses (celles des autres associés-salariés et « simples salariés ») avec celles collectées des gérants et l'organisation d'actions dans le but de co-construire une définition commune de ces termes aurait constitué une démarche autrement plus riche. Cette action aurait visé la constitution d'un référent commun dans l'optique d'aider les porteurs de projets (futures Scop créée ex nihilo) et Scop déjà existantes dans leur politique de recrutement de futurs associés61 par exemple. Nous aurions pu aussi interroger les biocoops qui entament le processus de transformation en Scop afin de dégager les premières actions qu'ils ont mises en œuvre et évaluer à chaud leur ressenti par rapport à la mise en place et à la réalisation (en cours) de ce processus. Conclusion de la partie : La conduite des deux premières parties permettait à la fois de définir le périmètre de l'étude et présenter le statut des Scop et le réseau Biocoop, l'analyse que constitue la prochaine partie restera assez générale. Le fait que notre stage ne se soit déroulé ni dans la coopérative Biocoop SA, ni au sein d'une Union Régionale des Scop, ne permettait pas de mettre à notre disposition des experts et des situations qui auraient pu élargir notre compétence et notre capacité de compréhension des aspects techniques de la transformation ou du management. Pour remédier à ce manque de connaissances et de compétences, nous avons privilégié une approche plus globale de l'entrepreneuriat en Scop dans le réseau Biocoop. Mêlant la technicité juridique, gestionnaire et managériale, le processus de transmission/transformation est une démarche complexe caractérisée par son approche multidimensionnelle. La prochaine partie qui va suivre traitera respectivement de la transformation et de la transmission des entreprises saines en Scop au regard des enjeux mis en lumières par le réseau Biocoop.

61 Une des problématiques fondamentales est celle du recrutement. Les Scop recherchent avant tout des futurs associés et non des salariés permanents. Cette action vise à réduire l'asymétrie d'information lors de l'entretien de recrutement afin d'identifier au mieux si le futur salarié est capable, dès son arrivée dans la coopérative, de se projeter en tant que futur associé.

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Partie 3 : La transformation/transmission des magasins Biocoop en Scop : description du

processus et témoignages des gérants Dans cette partie, nous allons traiter des différentes problématiques afférentes au processus de transformation et transmission en Scop des magasins Biocoop. Dans un premier temps, nous donnerons quelques éclaircissements sur le sujet afin de taire toute ambiguïté; dans un second temps, nous évoquerons les enjeux du réseau Biocoop relatif à ce processus; puis, nous décrirons le film du processus de transmission ainsi que celui de la transformation; ensuite, nous analyserons les rôles respectifs des acteurs en mettant en perspective leurs comportements comme étant tantôt des leviers et tantôt des freins à la réussite du projet; enfin, nous évoquerons les différentes aides disponibles à destination des porteurs de projet. Introduction : Avertissement, cadre juridique et définition des termes Dans la continuité de la première partie, celle-ci a pour dessein de synthétiser l'ensemble des réponses aux entretiens ainsi que les écrits théoriques qui ont trait à la question de la transmission/transformation des entreprises saines en Scop. Avertissement :

Il existe deux cas de figure dans l'action de rachat d'une entreprise par un ou des personnes, le cas de la transmission d'une entreprise saine où le cédant potentiel a la pleine capacité de choisir le repreneur, d'une part, et celui de la transmission d'une entreprise en difficulté dans lequel le choix du repreneur n'appartient plus au cédant mais à un mandataire judiciaire, d'autre part. Dans les cas d'entreprises en difficulté faisant face à une défaillance (dépôt de bilan), le cédant peut donner un avis sur un repreneur au mandataire judiciaire ; ce dernier jugera en dernier ressort du devenir de l'entreprise et du choix du repreneur.

Nous étudierons ici plus précisément la procédure de transmission d'entreprises saines car la bonne santé des magasins du réseau Biocoop nous oblige à négliger les situations d'entreprises en difficulté. Le cadre juridique : La loi de 1978 consacre cinq articles (article 48, 49, 49 bis, 50, 51, 52) à la « transformation de société coopérative ouvrière de production d'une société existante ». Afin de poser les fondements de l'analyse de ce processus, il faut savoir que, l'article 48 précise que « la décision régulièrement prise par toute société, quelle qu'en soit la forme, de modifier ses statuts pour les adapter aux dispositions de la présente loi, n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle ». Cet article nous renseigne sur le fait que seuls les statuts de l'entreprise seront modifiés lors de cette démarche et non l'ensemble de la personnalité morale. C'est ici un point fondamental car on peut affirmer que les relations contractuelles avec les tiers interagissant avec l'entreprise ne seront pas modifiées.

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Définitions des termes : Par rigueur pour l'exposé, il convient de distinguer les deux termes que sont la « transmission » et la « transformation ». La « transmission » d'une entreprise SARL classique (il faut l'entendre strictement dans ce sens ici) saine en Scop est le processus par lequel un dirigeant transmet, en totalité ou en partie, l'outil de production à ses salariés qu'ils ont eux-mêmes contribué à construire, à façonner et à rendre prospère. Quant à la définition du terme « transformation », il désigne la transformation de statut juridique lorsque l'entreprise évolue préalablement sous statut coopératif62. Dans ce cas par exemple, il n'y a pas lieu de valoriser financièrement l'entreprise, le seul rachat du capital social suffit à effectuer le transfert de propriété.

Dans les cas de transmission (uniquement pour les SA et SARL classiques), on en distingue deux types : la transmission dite « totale » et la transmission dite « partielle ». La « transmission totale » peut-être entendue comme le processus de transfert « total » de propriété entre l'ancien gérant (cédant) et l'équipe salariée représentée par le(s) nouveau(x) gérant(s) (successeur). Ce qui signifie que l'ancien gérant sort définitivement du schéma organisationnel et décisionnel de la structure. Par ailleurs, dans les cas où le gérant propriétaire souhaite vendre son entreprise et, parallèlement, demeurer actif au sein de l'organisation, sous un statut d'associé-salarié par exemple (ou encore en tant qu'apporteur de capitaux extérieur), nous jugeons plus juste de qualifier cette action de « transmission partielle ». En d'autres termes, une transmission totale voit la passation absolue de tous les pouvoirs du dirigeant propriétaire à ses salariés; tandis que la transmission partielle confère un statut propre au cédant qui demeure un acteur à part entière de l'organisation. A) Les enjeux de la procédure pour le réseau Biocoop I) Stopper la valorisation "dangereuse" des entreprises Explication des causes et effets d'un tel mécanisme

Comme nous l'avons constaté dans la première partie63, un grand nombre de biocoops sont aujourd'hui institués en SARL classique ce qui suppose deux problématiques quant à leurs situation :

les fondateurs de biocoops sous forme de SARL classique arrivent parfois à proximité du départ en retraite, il faut par conséquent trouver des repreneurs potentiels. Les salariés, dans ce cas de figure, étant les principaux concernés par la reprise;

or, compte tenu de la croissance actuelle, de la croissance potentielle et de la bonne gestion des magasins, ceux-ci vont être valorisés à un montant qui peut parfois dépasser les capacités des salariés et de la structure elle-même à répondre à une telle exigence financière.

62 Coopérative de consommateurs ou coopérative de loi 1947 63 Suite à une décision (en 1992) qui prend acte de l'ouverture du réseau à des entreprises commerciales SARL et SARL Scop .

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Les risques attenants à cette situation, pour le réseau, sont par conséquent les suivants :

Le risque de devoir accueillir en masse des repreneurs sélectionnés plus sur leur capacité à générer un apport financier que sur leur éthique. Ce qui pose problème notamment pour les instances dirigeantes qui n'ont pas envie de constater le délitement du militantisme au sein de leur réseau;

Ces repreneurs, qui se seront endettés (ce qui n’était pas le cas des fondateurs) formuleront des attentes en termes de dividendes qui pourraient renchérir le prix du produit bio (dérive élitiste), ou alors pousser à des choix mercantiles non conformes avec l'éthique du réseau afin de maximiser la marge de leur produits64 (dérive mercantile). On constatera que ces deux conséquences sont cumulatives. Une hausse de la marge des magasins sur les produits vendus entrainera inexorablement l'augmentation des prix de vente des produits (à moins de faire pression sur les producteurs ; hypothèse insoutenable et inenvisageable pour le réseau Biocoop).

Le réseau Biocoop est un réseau qui s'est toujours inscrit dans la dynamique de

l'Économie Sociale et Solidaire (ESS) privilégiant ainsi, pour ses porteurs de projet65, l'entrepreneuriat coopératif plutôt que l'entrepreneuriat sous forme de sociétés commerciales classiques. En outre, bien que le nombre de SARL classiques (environ 66% des raisons sociales Biocoop évoluent sous ce statut) soit beaucoup plus important que le nombre de coopératives, il existe un nombre important de structures Biocoop évoluant sous un statut juridique coopératif. Or, dans le cas des transformations, les coopératives66 désirant muter en Scop, ne passent pas par l'étape de valorisation de leurs actifs. Seul le rachat des parts sociales (qui demeurent à leur valeur initiale) constitue l'étape charnière de la transmission des droits de propriété. Cette disposition facilite indéniablement le processus sur le plan juridico-financier.

Hormis les cas de transformations propres aux coopératives, les SARL classiques ont vocation, lors de la cession des parts des actionnaires, à être valorisées afin d'apporter une plus value de cession à leurs propriétaires. II) Créer un continuum avec les salariés

Le recours à une personne extérieure pour reprendre une entreprise peut constituer un "choc culturel" entre les pratiques du nouveau gérant et les pratiques du gérant (souvent fondateur) sortant. Ce choc pourrait être dû à plusieurs facteurs : la méconnaissance du territoire; la transgression, volontaire ou involontaire, des normes propres à la culture organisationnelle de l'entreprise; une vision différente voire antagoniste des pratiques managériales et commerciales internes de l'organisation (passer d'un schéma privilégiant le bien-être de l'équipe au travail à un schéma plus axé sur la réalisation d'objectifs individuels).

64 Exemple produits d’importation, produits non équitables, produits diététiques. 65 Un porteur de projet dans le réseau Biocoop signifie créateur de nouveau magasin 66 Ce qu'il faut savoir notamment des spécificités juridiques propres aux coopératives de consommateurs et aux coopératives sous l'empire de la loi de 1947, c'est que leurs mandataires sociaux sont, pour la plupart, des bénévoles qui ont en parallèle une activité professionnelle de nature assez éclectique, et parfois éloignée du monde de l'entreprise.

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Les relations67 clients/salariés sont le pilier de l'offre de service Biocoop68. Les clients viennent chercher des conseils spécifiques liés à la diététique bio, à la saisonnalité des semences; conseils dont ils n'auraient peut-être pas pu bénéficier ailleurs. Dès lors, ce lien singulier qui unit les clients et les salariés des magasins est à entretenir. "La plupart du temps, ils (les salariés Biocoop) amènent avec eux leurs propres réseaux locaux et militants qui facilitent l'ancrage du magasin dans son environnement"69. Ce que les pratiques d'un nouveau gérant pourraient bouleverser car elles ne correspondraient pas à l'attente des clients à propos de la relation qui les lient avec les salariés. Cet effet serait toutefois limité si ledit gérant avait déjà préalablement eu un rôle dans le réseau.

Les dirigeants de Biocoop SA émettent des inquiétudes à l'endroit de tierces personnes opportunistes, voyant dans la vente de produits bios plus un moyen de "faire de l'argent" que de répondre à un besoin sociétal et environnemental.

L’alternative SCOP représente, au regard des situations exposées, pour le réseau, la solution la plus sécurisante : la reprise se réalise par une équipe déjà "biocoopée" ce qui signifie que la continuité commerciale propre à un lieu et un territoire est assurée. Ce modèle doit être promu auprès des gérants concernés car, nous le présenterons par ailleurs, de nombreux dispositifs financiers facilitent la réalisation de cette procédure. B) La description du processus de transmission suivi et réalisé par les Unions Régionales des Scop (UR Scop) Un tel processus ne pouvait figurer de manière exhaustive à l'intérieur de cet écrit. Pour plus de précisions quant aux outils et aux spécificités propres à chaque phase, nous renvoyons le lecteur aux contributions de Delatte Martin ainsi qu'à Le Cocguen Coralie qui ont respectivement réalisé leurs écrits sur les étapes techniques de la transmission d'entreprises en Scop. Le succinct résumé de ce processus que nous proposons ici est mis en perspective par les données issues des entretiens avec les gérants de magasins. Introduction : à propos du processus de transformation

« Je dirai que les transformations successives : la création en association puis la transformation en coopérative et enfin en Scop pourrait constituer la suite naturelle de l’entrepreneuriat chez Biocoop. » Ces propos, tenus par une gérante, pourraient nous renseigner sur une possible « loi générale » de l’évolution du statut juridique des magasins Biocoop. Néanmoins, le manque d’occurrences ainsi que la réserve qu’ont émis d’autres gérants quant à cette assertion ne permettent pas d’en dégager une récurrence. Le processus de transformation est le processus par lequel une société coopérative (de consommateurs ou coopérative classique) se transforme en Scop. Au 67 C'est une des caractéristiques marquantes qui est observée sur les pratiques commerciales de ces commerces de détails : il y a un lien plus étroit qui est tissé entre les consommateurs et les "conseillers" des magasins Biocoop. 68 Le prix du service impactant sur le prix des produits 69 Explique Valérie Veith dans le numéro 164 du Biocoop infos de mai/juin 2015 (Biocoop infos est le journal interne du réseau Biocoop)

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sein du réseau, on constate que plus de 50% des biocoops institués aujourd’hui en Scop, n’ayant pas pour forme juridique originelle le statut Scop, étaient initialement des coopératives. Cela donne une teneur particulière à cette forme de transformation bien que les coopératives (autres que les Scop) soient aujourd’hui largement minoritaires (à peine 10% de l’ensemble des raisons sociales). Un gérant nous a confié à propos de son expérience en tant qu'élu dans un Biocoop institué en coopérative de consommateurs : "nous avions connaissance des conflits incessants générés par les différences de points de vue entre bénévoles-consommateurs et salariés en charge du bon fonctionnement de la Biocoop. Nous avons donc choisi le statut SCOP afin que les salariés soient décisionnaires pour leur entreprise et pour la pérennité de celle-ci. De plus, les ambiances lors des AG étaient lourdes et pesantes, les luttes entre acteurs étaient soutenues et parfois violentes. Il nous a paru nécessaire d'entreprendre sous un statut juridique qui maintienne à la fois l'aspect coopératif mais qui sécurise quand même la situation au niveau décisionnel." Dans la première partie, nous avons exposé les craintes du réseau quant à l'avenir du consom'acteur. En effet, aujourd'hui les consommateurs militants quittent peu à peu les instances de gouvernance des magasins sous forme de coopérative. Les causes en sont les suivantes :

L'érosion du militantisme chez les bénévoles; L'âge des militants qui souhaitent leur retrait de la vie politique de l’entreprise; La professionnalisation du secteur et des magasins qui rend difficile l'exécution

du pouvoir au sein de ces organisations; Les compétences en gestion nécessaires "désincitent" les bénévoles à s'engager

outre mesure; Le rôle des associés qui se réduit à un rôle de contrôle plus que de prise de

décision; Le mandat de gérance est un travail chronophage ne donnant droit à aucune aide

en cas de perte du siège. La prise de temps partiel de leur emploi principal pour les bénévoles n'est dès lors pas souhaitable car rien ne garantit qu'ils seront réélus à la future élection.

« La gestion et la prise de décisions des 49 coopérateurs étaient à bout de souffle. Il y avait un danger pour la survie du magasin car les décisions et la réactivité devenaient inefficaces. Les acteurs qui étaient en charge de la gouvernance étaient bénévoles et n'avaient pas de bagages assez solides sur le plan de la gestion. Le but était de proposer à l'ancienne gouvernance de passer en Scop, mais c'est eux qui ont finalement pris la décision de passer en Scop. On leur a demandé de trouver une solution pour que cela soit légitime dans la transmission, qu'ils ne se sentent pas lésés après avoir travaillé autant pour ce projet. Leur souhait a été donc de voir perdurer le côté coopératif. » Cette "défection" du consom'acteur induit des risques organisationnels importants :

Une prise de décision, dans certains cas, à 49 sociétaires est trop lourde pour garantir une réactivité sur un marché ultra-concurrentiel. Ce fonctionnement engage la survie économique de l'entreprise (dans de nombreux cas, il est nécessaire d’organiser deux assemblées générales car le quorum pour voter les résolutions n’est pas atteint);

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Le marché très concurrentiel qui encourage les dirigeants salariés à prendre les commandes de l’entreprise en dépits parfois de la bonne volonté des bénévoles;

Suite à ce phénomène de retrait de la vie politique des magasins Biocoop, le reste des associés s'organise. On assiste à une transformation de la gouvernance des structures :

Les salariés, qui peuvent être associés, sont élus au poste de gérant; En occupant la plus haute place, ils remettent en cause la capacité des bénévoles

à gérer l'organisation; La constitution d'un Conseil d'éthique (ou de surveillance) auprès du gérant

salarié permet aux bénévoles de jouer néanmoins un rôle au sein de la gouvernance.

Changer de mode de gouvernance en adoptant le schéma Scop peut être une solution :

Le passage en Scop représente une bonne alternative ; les salariés sont déjà détenteurs du mandat social;

Les changements internes en terme de management sont imperceptibles (selon les expériences relatives aux gérants interrogés);

Les salariés sont déjà sensibilisés à la démocratie et à l'ensemble des autres principes directeurs liés à l'entrepreneuriat coopératif;

La légitimité de la gérance est renforcée car élue par les salariés-associés, qui connaissent les acteurs au sein de l'assemblée qui auront les compétences de diriger l'entreprise;

Lors de la transformation en Scop, il demeurera nécessaire de laisser une place aux anciens acteurs bénévoles de l'organisation en constituant une association qui pourra devenir associée externe de la coopérative. Elle pourra disposer d'une voix pour continuer d'influer sur les décisions du ou des gérants. Cette méthode a cependant eu du mal à s’imposer dans ces contextes de transformation. Les associés bénévoles émettaient de fortes résistances à ce changement de gouvernance (leur voix était irréductible du temps de la coopérative, elle sera considérablement réduite lors de la constitution de la Scop)70.

En définitive, la transformation est une démarche "assez simple car l'entreprise existante était sous forme coopérative. Donc, on a surtout travaillé sur la motivation de l'équipe et sur l'adhésion au projet. Les principales résistances étaient de savoir comment faire la transition managériale en Scop. On s'est réuni très en amont pour construire ce projet. On a constaté que ça n’allait être seulement le bout de papier qui allait changer. Avant on était une cinquantaine de sociétaires, maintenant nous ne sommes plus que 4. Le fait d'avoir réduit le nombre à améliorer la dynamique". La solution de la Scic peut-être également une solution pour ces coopératives. Mais nous ne développerons pas dans cet écrit ses caractéristiques.

70 En effet seul le président de l’association, qui est élu par les adhérents de l’association, bénéficiera du droit de vote lors de l’assemblée générale de la Scop.

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I) La prise de contact A l'initiative de cette démarche, le porteur de projet (le cédant par exemple) ou le délégué de l'Union Régionale vont organiser une première rencontre. Pendant une période définie, des réunions vont avoir lieu entre les parties-prenantes du projet et le délégué afin de porter à la connaissance de chacun, les tenants et les aboutissants de la procédure. A l'issue de ces rencontres s'effectue un vote de positionnement dans lequel les salariés affirment ou infirment leur volonté de continuer l'aventure.

II) Établir un diagnostic de l'entreprise (mené par les délégués des UR des Scop et les développeurs de la SA Biocoop)

Le diagnostic est un outil indispensable dans l'approche évaluative de

l'entreprise. Celui-ci permet connaître son "état de santé". On en distingue deux approches : le diagnostic interne, qui mesure les forces et les faiblesses de l'entreprise quant à son organisation en interne; le diagnostic externe qui voit l'analyse de son environnement et en relève les opportunités et les menaces. Cette phase est spécifiquement réalisée à la discrétion des délégués des Unions Régionales. Le diagnostic est organisé en plusieurs étapes : - l'élaboration d'un audit social : la définition des différents postes, la qualification de chacun des salariés, la liste des organes de représentation du personnel, la place tenue par chaque salarié. Cette analyse vise la collecte d'un maximum d'informations auprès des interlocuteurs. - la réalisation d'une analyse transactionnelle71 : véritable analyse des relations sociales, elle est à la fois une "psychothérapie et une théorie de psychiatrie sociale". Elle cherche à relever et à comprendre les relations entre le(s) dirigeant(s) et les salariés; s'informer des rôles que chacun souhaite occuper à l'issue de ce projet. - La gestion du changement : Cette étape consiste, au premier chef, à réaliser un diagnostic et à poser un jugement sur la faculté dont dispose l'entreprise à changer son organisation interne (changement organisationnel) et sur les possibles effets sur son environnement (changement stratégique). Un second temps est accordé à l'identification des acteurs du changement. Un troisième temps aura pour objet la définition des objectifs du changement, la reconnaissance des clés de réussite et l'ordonnancement de son pilotage. Les multiples actions organisées à cet effet participent et renforcent l'adhésion des salariés au projet. Ils se sentent inclus dans cette dynamique et leur engagement dans la prise de décision tend à supprimer peu à peu le lien de subordination que l'on constatait avant la transmission. III) L'évaluation financière de l'entreprise Elle fait suite au diagnostic qui a défini préalablement les forces et faiblesses ainsi que les opportunités et les menaces de l'organisation. Elle a pour but d'aider à la

71 Dans son écrit, p. 34, Coralie Le Cocguen nous rappelle qu'en anglais le terme transaction désigne un échange, verbal ou non-verbal.

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formulation de l'argumentaire qui sera utilisé lors de la négociation entre le cédant et les salariés. L'analyse économique de l'organisation suit plusieurs étapes : - Diagnostic des moyens : il faut relever quels sont les moyens et les outils dont l'entreprise dispose pour l'accomplissement de son activité (Être informé de l'état de vétusté des immobilisations matérielles, immatérielles; évaluation des stocks, ...). Relever les attentes des repreneurs afin de déterminer les moyens à mettre en œuvre pour y répondre. - Diagnostic de l'activité : cela consiste en l'évaluation potentielle du marché sur lequel l'entreprise évolue. Prendre connaissance des spécificités de l'offre, de la demande, de la clientèle potentielle72. Cette démarche vise à informer les repreneurs potentiels des différentes actions correctrices qu'il convient de mettre en œuvre à l'avenir.

- Diagnostic financier : il prétend renseigner sur la rentabilité de l'entreprise et sur son avenir à court, moyen et long terme (passage au crible du bilan et du compte de résultat sur les trois dernières années minimum). Il permet d'exprimer si l'entreprise peut faire l'objet d'un plan de reprise réaliste. - Calcul du coût de l'entreprise : c'est peut-être ici l'action la plus délicate qui nécessite d'être réalisée selon des approches et par des acteurs différents73 : l'expert comptable (qui exprimera une évaluation en faveur des intérêts du cédant) de l'organisation, le service de Biocoop74 (qui aura un regard assez neutre) et le délégué de l'UR des Scop (qui soignera les intérêts des salariés).

Il existe plusieurs approches permettant de valoriser une entreprise. La difficulté réside dans la monétarisation de ce qui parfois relève de l'irrationnel. En d'autres termes, pour le cédant, il s'agit d'une partie de sa vie, peut-être de l'ensemble de son activité professionnelle; pour les salariés repreneurs, le prix le plus juste correspondra à la capacité de rendement futur de l'organisation et à la soutenabilité avérée du plan de reprise. On peut distinguer entre autre trois types de méthodes :

Les méthodes dites patrimoniales (actifs-dettes; cette dimension n'intègre pas la question de la rentabilité)

Les méthodes dites de rendement (estimation de la capacité future à dégager des bénéfices)

Les méthodes dites comparatives (comparaison à d'autres entreprises du même profil)

D'autres méthodes de calcul sont utilisées par les experts (comptables, Scop et

Biocoop) privilégiant souvent une méthode cumulative (les acteurs utiliseront plusieurs méthodes afin de dégager une valeur, qui différera d'un acteur à l'autre), gage d'une plus grande objectivité.

72 Utilisation des 5 forces de Porter que sont : L'intensité concurrentielle, la menace de nouveaux entrants, le pouvoir de négociation des clients, le pouvoir de négociation des fournisseurs, la menace des produits de substitution. 73 L'utilisation d'approches plurielles apportera une plus grande justesse à la définition du prix de l'entreprise. 74 Le service gestion de Biocoop est à même de réaliser des évaluations d’entreprise; en la personne d'Alain Maury

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En résumé, on peut décomposer le scénario relatif à la transmission des parts en trois phases (nous irons au delà de la simple évaluation pour aller jusqu'au bout du cheminement de la transmission) : Premièrement, l’actionnaire majoritaire détermine le nombre de parts qu'il souhaite céder à ses 4 salariés repreneurs (tout ou partie). Par exemple, l'entreprise est à ce stade évaluée à 200 000€ et possède un capital social s'évaluant à 20 000€ (200 parts de valeur nominale de 100€). Deuxièmement, l’assemblée générale (AG) se réunit avec les 4 nouveaux salariés associés et le cédant :

La valeur de la part détenue par les associés est arrêtée (c’est le seul moment dans la vie d’une Scop où la valeur de la part peut être supérieure à sa valeur nominale) : dans le cas présent, la valeur de la part est de 1000 € (200 000€ divisé par 200 parts) ;

Le nombre de parts cédées étant déterminé à 110 (on fait le constat que plus de la moitié du capital appartient aux associés) fixant le prix de reprise à 110 000€

On décide de modifier les statuts pour les mettre en conformité avec la loi sur la coopération et sur les Scop; le statut futur du gérant est déterminé (associé salarié, associé extérieur, ...).

Dernièrement, l'assemblée générale nomme un gérant (éventuellement l'ancien, ou un autre, avec cogérance ou pas, l’AG est libre de son choix).

On constate que le problème de la valorisation portant sur le prix des parts cédées se pose uniquement en étape 1. L’évaluation de l’entreprise se fera selon des méthodes classiques mais toujours sujettes à discussions (cf. g) La négociation). Il y aura notamment une évaluation « extracomptable» de l'actif de la société (immobilier si il y en a, fonds de commerce, etc..). En définitive, les associés doivent s’entendre sur un prix de la part sociale ; sinon le projet est avorté.

Nous rappelons ici que dans le cas d'une transformation, cette étape ne s'inscrit pas dans le processus car les coopératives (d'une manière générale) n'ont pas vocation à valoriser leurs parts sociales75. Le rachat de la coopérative par les salariés prendra la forme d'un rachat simple des parts sociales à leur valeur nominale.

IV) Susciter l'adhésion de l'équipe au projet

Cette étape constitue le véritable départ de l'aventure. Les acteurs ont pris connaissance du prix de l'entreprise, de la valeur des parts et du nombre de parts cédées. Par ailleurs, ils connaissent désormais le rôle futur que désire jouer le gérant à l'issue de ce processus et ont été informés de l'identité du (des) successeur(s) pressenti(s). Chacun formule ses vœux quant à leur intégration dans le sociétariat. Le délégué régional a pour mission de susciter l'adhésion du plus grand nombre (afin de réduire les apports financiers de chaque salarié) au projet sans forcer les sceptiques qui pourraient être un réel poids dans les premiers moments de la Scop (ils demeureront, quant à eux, simples salariés). Étant donné que les équipes salariées au sein des magasins Biocoop dépassent rarement la barre des 20 salariés, l'ensemble des salariés peut participer aux réunions d'information en présence du délégué de l'Union Régionale. Ceux qui ne prendront pas

75 Néanmoins, la possibilité de constituer une réserve de valorisation du capital existe belle est bien. Sa finalité réside dans la valorisation financière des parts sociales.

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part au sociétariat seront dès lors été instruits de l'ensemble des enjeux, réduisant ainsi l'asymétrie informationnelle entre ces derniers et les repreneurs. Ce fonctionnement facilite l'émergence de la confiance organisationnelle nécessaire à la réussite du projet. V) Le diagnostic juridique

Ce dernier est indispensable. Il doit permettre aux repreneurs de prendre connaissance des différents actes et contrats touchant aux différentes fonctions de l'entreprise. VI) Le plan de reprise Cette étape consiste à vérifier le réalisme et la faisabilité des options financières retenues par les repreneurs. Les acteurs de la transmission (UR Scop et Biocoop SA) chercheront des solutions quant à la mise en œuvre des objectifs déterminés par les repreneurs concernant les ressources de l'entreprise actuelle et future de l'entreprise : la dotation en capitaux propres, emprunts, souscription de titres participatifs, ... . Les délégués régionaux de l'UR Scop s'organisent avec l'ensemble des outils financiers à leur disposition pour élaborer un plan de reprise satisfaisant au mieux les intérêts des salariés, sans pour autant léser le cédant. Un tour de table financier s'organise afin de connaître les dispositifs qui concourront à la réussite du projet (le gérant pourra communiquer son intention de mettre en place un crédit-vendeur ou un tout autre dispositif évoqué plus haut). Enfin, les salariés repreneurs passent au vote du plan de reprise et le processus commence. Différents plans doivent dès lors être mis en place :

Le montage financier (programmer les plans de remboursement dans le temps) La nature des aides financières (cf : supra) Les avantages fiscaux (mise en place de l'accord de participation, provision pour

investissements) Le montage juridique (La modification des statuts qu'induit ce processus

n'entraine pas la création d'une nouvelle personne morale) VII) La négociation et la cession La finalité de cette étape est d'aboutir à une transaction, au rachat de l'entreprise. Chaque partie est alors contrainte d'accepter de faire des concessions. Les négociations vont porter sur :

le prix les conditions de reprise les délais de reprise l'accompagnement du cédant

Le versement du prix de cession se réalisera dans l'immédiat ou par le truchement d'un différé (par exemple si le cédant met en place un crédit vendeur).

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A la cession, le nouveau capital social de la Scop est reconstitué par les apports des salariés-associés ainsi que ceux des associés-extérieurs; les capitaux permanents sont, quant à eux constitués des emprunts (compte courant associé, prêt participatif, prêt classique) et/ou des titres participatifs. Une négociation réussie est une négociation dans laquelle : -les intérêts de chaque partie ont été pris en compte de manière équilibrée; -chacune de ces dernières a reconnu et respecté l'autre. Toute la gymnastique du délégué de l'UR consiste à concilier les intérêts de chacun, tout en soignant particulièrement ceux des salariés repreneurs. VIII) Le commencement de la vie coopérative

A la suite de la mise en place du plan de reprise, il convient de définir les méthodes participant au renforcement des fonds propres (la phase de normalisation76). Nous renvoyons à la première partie de notre contribution; à la sous-partie dédiée aux capitaux propres.

Afin de sécuriser le processus, les délégués des UR Régionales encouragent les nouvelles Scop à adhérer à l'Union Régionale et à la Confédération Générale des Scop. Étant donné que les magasins sont déjà membres d'un réseau qui offre déjà de nombreuses formations techniques relatives aux connaissances métiers, le fait d'adhérer également à l'UR des Scop de leur zone géographique leur permet de bénéficier de formations riches relatives à l'entrepreneuriat et à la gestion des Scop. Ces formations permettent d'accompagner les nouveaux salariés-associés à des modules d'initiation à la vie coopérative et, pour les dirigeants, des modules de formation au management.

L'ensemble de ce processus, s'inscrivant directement dans le champ de l'Économie Sociale et Solidaire, est "un processus d'apprentissage mutuel qui naît de la coopération entre les individus au cours de la période des négociations et de la phase de transition dans le processus de transmission"77. La SA Biocoop et les Unions Régionales doivent intensifier leurs rapports dans un but commun : faciliter l'accompagnement des porteurs de projet et repreneurs. C) Les parties-prenantes du projet Selon que le processus engagé soit une transformation ou une transmission, l'implication et la nature des parties prenantes seront différentes. Dans le cas d'une transmission (SARL classique en Scop), les parties prenantes sont bien définies. On distingue d'une part, le gérant (ou cédant) qui souhaite céder tout ou partie des parts de son organisation. Et, d'autre part ses salariés (que l'on peut ici qualifier de "repreneurs") qui cherchent à racheter ce que le cédant aura déterminé vouloir céder. C'est dans ce noyau dur de salariés que doit se dégager un ou plusieurs "successeur(s) pressenti(s)" afin de prendre peu à peu la place du cédant à la gérance. Il s'agit d'un processus qui est à la fois une transmission patrimoniale et managériale. 76 Centre de ressources et d’innovations européennes sur la Reprise d'Entreprise par les Salariés en Coopérative. La reprise d'entreprise par les salariés en Scop, Guide pratique. 77 HUNTZINGER F., JOLIVET T. (2013) op. cit. p. 17

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Dans le cas d'une transformation, les parties prenantes seront le ou les gérants, les associés bénévoles et salariés et les simples salariés. Dans ce cas-ci, c'est la transmission du patrimoine qui est en jeu. Dans de nombreux cas les gérants sont aussi salariés de l'entreprise. La transmission managériale sera dès lors indolore pour l'organisation. Par ailleurs, dans les deux cas, cette démarche est étroitement menée avec les délégués des UR Scop qui sont de véritables acteurs clés avec les salariés repreneurs. Notre but est de mettre en valeur les rôles respectifs de chacun de ces acteurs au cours de ces processus78 et d'en soulever les facteurs favorisant ou freinant la réalisation du processus.

Enfin, la réussite de ces processus dépend en partie de la nécessité de relever les intérêts communs aux deux parties principales afin de susciter une commune et active participation. I) Le cédant79 1) Les enjeux

Pour cet acteur, prendre la décision de vendre est une action lourde de conséquences et difficile parfois à envisager et à formaliser. Ses conséquences peuvent être financières et psychologiques; elles sont difficiles à préparer rationnellement. Cette action de vente ne se résout pas à la mise de l'entreprise sur le marché du rachat. Un tel événement fait intervenir plusieurs sentiments qui vont conditionner sa prise de décision.

Le cédant va analyser chaque proposition formulée par des repreneurs et, si ce dernier perçoit chez un des repreneurs une attitude (jugement parfois qui relève de l'irrationnel) qu'il désapprouve, il se ravisera et attendra une autre proposition.

Dans le cas d'une reprise en Scop, il convient de constater à l'avance si la décision du cédant est sûre et irrévocable. La question de la transmission d'une PME saine peut trouver son origine principalement lorsque :

le gérant de l'entreprise est sur le point de partir en retraite et qu'il ne peut pas transmettre à une personne de sa famille;

la charge de responsabilité et de travail devient trop lourde et qu'il souhaite la partagée avec ses salariés;

Lorsque la transmission familiale n'est pas envisageable, il est difficile de recourir à une personne extérieure pour reprendre un magasin Biocoop. Ce sont des magasins avec des identités singulières (qui ont été façonnées depuis plus de 25 ans parfois), avec un ancrage local important. Un gérant qui viendrait d'un autre territoire ou 78 Nous développerons plus particulièrement les facteurs relatifs à la transmission et ferons une digression à l'intérieur des parties pour évoquer (si cela est significatif) les facteurs propres à la transformation des coopératives en Scop. 79 Ou dirigeant de la PME, propriétaire unique (rare chez les magasins biocoops) ou actionnaire majoritaire.

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qui connaîtrait mal le métier de conseiller vente Biocoop, exposerait le magasin à des risques économiques liés à des changements importants. C'est face à cette problématique que le recours à la transmission aux salariés devient une solution pertinente. Au sein du réseau Biocoop, le cédant d'un magasin est une personnalité particulière. Il a pu illustrer pendant longtemps l’archétype de l’entrepreneur schumpetérien par sa capacité à vendre des nouveaux produits sur un marché nouveau en se considérant comme le porte-parole d’une « culture déviante » ; celle qui promeut le mieux vivre ensemble, dans une vision cohérente de l’entrepreneuriat et la reconnaissance de l’ensemble des acteurs de l’écosystème de l’entreprise (prise en compte de l’ensemble des interrelations entre les producteurs, les transformateurs, les clients, les salariés et le territoire dans sa totalité).

Il est souvent le fondateur du magasin, un militant de la culture bio, qui a participé à l'évolution du réseau depuis les années 1985 à aujourd'hui. C'est en cela que ce dernier peut avoir un statut tout à fait singulier. Le cédant est le plus souvent une personne soucieuse de l'évolution de son entreprise et du sort de son personnel. Concernant les six cas de Biocoop ayant procédés à une transmission en Scop, nous avons pu constater les cas de figure suivants :

1 gérant s’est éloigné de l’entreprise juste après la transmission effective du patrimoine du magasin ;

2 cas où le gérant (dans les deux cas, une association était devenue actionnaire majoritaire de la SARL, les gérants en étaient actionnaires mais minoritaire) est resté gérant à l'issue de la transmission ;

2 cas ou le gérant est resté salarié au sein de l'organisation mais pas en tant que gérant (une d’entre elle a quitté l’entreprise peu après la transmission ;

un dernier cas que nous n'avons pas pu approcher ; En outre, on peut conclure que dans la majorité des cas le cédant reste associé-salarié au sein de l'organisation et que pour deux cas, les gérants ont gardé leur place au sein de l'organisation. La transmission aux salariés de l’organisation permet au gérant cédant de changer de statut et de diviser le poids de la gestion de l’entreprise : « Cela m'a permis de me soulager d'un poids, ça n'est plus seulement mon entreprise maintenant ». Par ailleurs, dans les cas de transformation, les gérants des coopératives ont, la plupart du temps, gardé leur place initiale au sein de l’entreprise. La confiance renouvelée des associés, nonobstant le changement substantiel de gouvernance, prouve bien que ces processus ne sont pas traumatisants pour la structure de l’entreprise. Nous décidons ici d'exposer les facteurs favorables et les freins à une telle démarche. 2) Les facteurs favorisant la réussite du processus a) Les facteurs humains Le management appliqué par le cédant

Dans les entreprises que nous avons consultées, il a été constaté que le management qui était en application avant la transformation ou transmission était un

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management caractérisé de « participatif ». Or, « le management participatif (R. Likert) facilite la gestion du changement puisqu'il cherche à développer des relations de confiance autour d'un projet d'entreprise et ce, en favorisant la communication dans les deux sens, en étant peu directif et en encourageant l'initiative. Il permet à l'entreprise d'être plus réactive en ce sens que les décisions sont prises aux échelons inférieurs, au plus près du terrain. »80

Si l'ancien gérant prenait les décisions en dernier ressort, il n'en demeure pas moins qu'il souhaitait consulter ses salariés avant de prendre des décisions : « Le fonctionnement que l'on avait avant la transmission ressemblait étroitement à celui du fonctionnement en Scop » ou encore « s'était une Scop qui s'ignorait ». On reconnaît la pratique de ce type de management par la transmission régulière et fréquente de l'information aux salariés. Il faut rassembler le triptyque caractéristique de la gestion participative « informer, consulter et mobiliser »81 les salariés, que les dirigeants de PME classiques peinent à mettre en œuvre naturellement et qui est pourtant nécessaire dans l'aboutissement d'une telle démarche. Trouver son successeur, le rôle de la confiance dans la transmission

Le cédant est celui qui a façonné l'entreprise à son image, il est a priori le mieux placé pour déterminer quel salarié ou quel couple de salariés peut être le plus à même de reprendre la gestion de l'entreprise. L'accompagnement de ce(s) personne(s) constitue un véritable atout pour garder un continuum et ne pas se retrouver face à une rupture qui pourrait être déstabilisante pour l'organisation et les tiers interagissant avec elle. Il doit savoir estimer l'incidence qu'aura son départ sur l'organisation pour permettre aux futur(s) gérant(s) de trouver des solutions pour y remédier.

Il importe à la réussite de cette démarche que le gérant cédant soit « proactif en adoptant une gestion des ressources « intrapreneuriales »82 à même de faciliter le succès du rachat de l'entreprise par les salariés »83

Le cédant est le plus à même de connaître les qualités que le(s) successeur(s) doit posséder afin de garantir la pérennité de l'entreprise. La confiance que le cédant accorde à son (ses) successeur(s) générera également la confiance des autres salariés repreneurs. Toutefois, seuls les salariés souhaitant s'engager dans le sociétariat pourront effectivement choisir le(s) futurs gérant(s). Le transfert des compétences et du savoir-faire managérial préalables

La gestion des compétences et le processus de délégation des taches à responsabilité sont des phénomènes managériaux primordiaux qui deviennent de véritables vecteurs de réussite dans la transmission. D'une manière générale, plus les salariés ont des clefs pour comprendre la gestion d'une entreprise, plus la transmission managériale s'effectuera dans des conditions optimales. Cette montée en compétence des salariés ne devient possible que si une confiance mutuelle existe entre le cédant et le(s) successeur(s).

80 GRAZIANI M. (2013), « La gestion du changement dans l'entreprise », CREG, p. 9 81 Esteve, 1997, in HUNTZINGER F., JOLIVET T. (2013), « Transmission de PME saines sous forme de Coopérative : quelle spécificité ? Etude approfondie d'un cas de réussite en France », RECMA, (n°330), p.5 82 Trouver au sein de l'organisation le ou les entrepreneurs qui prendront probablement la suite de l'entreprise 83 HUNTZINGER F., JOLIVET T. (2013) op. cit. p. 6

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La période de « règne conjoint » Parfois le déclenchement du processus se décide tardivement (18 mois avant la

transmission effective et le retrait définitif du gérant) ; il convient pour le gérant, en amont, de déléguer certaines tâches de manière progressive afin d'habituer le(s) successeur(s) et salariés repreneurs. Le cédant doit transmettre la confiance qu'il avait dans son entreprise (et par conséquent celle qu'il avait envers ses salariés) au(x) successeur(s) et à l'ensemble de l'équipe.

Après la cession effective (lors de l'assemblée générale) entraînant la modification des statuts, le cédant doit rester dans l'entreprise. Une période que l'on désigne de « règne-conjoint » (Huntzinger, Jolivet, 2013) s'instaure. Cette étape est déterminante dans le processus de transfert au(x) successeur(s) de la confiance des salariés envers l'ancien gérant.

Cette étape est aussi primordiale dans l'apprentissage des normes, des règles, du fonctionnement de la gérance pour le(s) successeur(s); on appelle ce processus d'apprentissage la « socialisation repreneuriale »84. Le maintient du gérant dans son poste

Bien plus la norme que l’exception dans le réseau Biocoop, nous avons remarqué que bien souvent le gérant en place lors de la cession demeurait au sein de l’entreprise à ce même poste après la transmission. « Le fait qu'un des propriétaires reste peut-être un frein dans certaines situations, ici, ce fait a été plutôt moteur. » Le choix du gérant de céder est parfois contraint par l’actionnaire majoritaire qui est une personne morale. Dans ce cas, la transmission managériale est tout à fait indolore.

« Dans cette situation on arrive à prendre notre temps. On s'est donné 3 à 4 ans pour mettre en place le fonctionnement en Scop avec tout ce qui en découle (le management participatif, la délégation, ...). On apprend ensemble à changer notre gouvernance pour qu'à terme cela ne soit plus moi seul qui fasse. On a se luxe de pouvoir attendre et le temps de mettre en place un véritable processus de construction participative. C'est la grosse différence avec une transmission classique. » b) Les facteurs financiers Si tous les facteurs humains (psychologiques et sociaux) sont, pour l'ensemble des biocoops interrogés, les variables à prendre en compte en premier lieu, les facteurs financiers sont tout aussi incontournables pour mener à bien le projet de transmission.

Or, quelques exemples de magasins Biocoop transmis nous enseignent que leurs gérants, propriétaires majoritaires de la SARL avant qu'elle ne passe en Scop (et qui ont été réélus lors de l'assemblée générale constitutive), ont facilité le rachat par une baisse substantielle du prix de vente. Ce schéma n’est pas systématique pour l'ensemble des transmissions futures. De plus, les magasins Biocoop, qui jouissent, rappelons-le, d'une croissance forte et d'un secteur d'activité qui admet des facilités au financement du fonds de roulement85et à la constitution de trésorerie, peuvent s'aider des disponibilités et liquidités dont elles disposent lors du rachat pour racheter une partie de l’entreprise. 84 (Boussaguet, 2005) in HUNTZINGER F., JOLIVET T. (2013) op. cit. p. 8 85 Les entreprises du secteur de la distribution paient leurs fournisseurs à 30 jours fin de mois tandis que les clients paient, quant à eux, comptant. Ces pratiques favorisent la constitution d'une trésorerie positive (passif circulant > actif circulant).

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Partant, des dispositifs financiers nombreux existent pour pallier l'absence

éventuelle de ces phénomènes facilitateurs. En effet, si la Confédération Générale des Scop met aujourd'hui en place des

dispositifs performants (cf. supra) pour le renforcement des fonds propres, le cédant peut, quant à lui, faciliter la reprise de l'entreprise en souscrivant des parts sociales à avantages particuliers86. Ces parts particulières permettent de contourner l'emploi du crédit vendeur qui est le deuxième levier que possède le gérant afin de faciliter la reprise.

Le crédit vendeur est un outil qui n'est a priori pas apprécié des experts de la gestion (experts comptables, ...) qui déconseillent fréquemment le recours à un tel procédé pour la nouvelle prise de risque qu'un tel schéma sous-temps pour le cédant. « Le cédant n'est pas une banque »87. Le crédit vendeur est l'alliance contractuelle entre le cédant et les repreneurs dans le but de pérenniser la reprise88 (dans l'optique de sauvegarder les intérêts personnels des deux parties) pour une durée déterminée. Pour le cédant, cela lui garantit la vente dans de bonnes conditions et au juste prix. Pour les repreneurs, cette prise de risque du cédant envoie un message fort aux financeurs institutionnels. Ce dispositif permet d'instaurer un climat de confiance qui favorisera la prise de risque des institutions bancaires.

A propos du rachat de leur entreprise, un gérant s'est exprimé à propos de la procédure de rachat (montant du rachat 360 000 €) « On a dû leur donner 200 000€ tout de suite et 160 000€ en crédit vendeur. Concernant les 160 000€, on a échelonné le paiement sur 5 ans. Concernant les apports personnels des nouveaux associés (9 associés), on a apporté chacun environ un mois de salaire donc entre 1500 et 2000 €. Pour financer le premier paiement (200 000€) on a prélevé dans la trésorerie. Il y avait beaucoup de trésorerie. Par conséquent, on n'a pas utilisé d'outil financier. »

Le troisième et dernier dispositif dont le cédant peut faire usage est celui de la location-gérance. Elle constitue un autre moyen de reprise mais qui, à notre sens, n'a pas grand chose de commun avec la cession pure. Nous considérons qu'il est impératif de contractualiser un transfert de propriété entre les parties concernées pour que les salariés soient définitivement les maîtres et seuls propriétaires de leur outil de production. 3) Les freins a) Les freins financiers La négociation

Des magasins se sont plaints du comportement des cédants qui ont souhaité valoriser l'entreprise (alors que le propriétaire majoritaire était une personnalité morale sous forme associative89) au prix du marché. « Les discussions ont duré longtemps 86 Rappel : Ce sont des parts avec droit de vote permettant aux salariés de gagner du temps sur le rachat total des parts du cédant. 87 www.apce.com propos tenus par René Poulaillon, porte-parole du réseau « Reprendre, c'est entreprendre » 88 Lors d'un rachat, les repreneurs doivent penser à garder les ressources suffisantes pour subvenir aux besoins de trésorerie et ne pas et réduire le poids de la dette sur la capacité d'endettement. 89 Il faut se souvenir ici que les associations loi 1901 sont des structures « non-lucratives ». Si leur finalité première est de réaliser leur objet social dans la limite du budget (équilibré) déterminé en vue, peut-être,

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(commencées en 2011) car on a eu du mal à se mettre d'accord sur le prix de vente. Donc, les négociations ont abouties en 2013. L'association possédait l'entièreté du capital social. Ils sont partis sur un processus de valorisation comme pour une entreprise classique comme pour n'importe quel actionnaire. Ils étaient déjà, en pratique, retirés de la gestion des magasins, c'est nous qui nous occupions de tout. Tout ce qui a été fait dans les magasins depuis cette époque, c'est le fruit du travail des salariés et des responsables des magasins. A l'époque, l'apport en capital était estimé à 50 000 F, il nous paraissait totalement incohérent que la valorisation soit effectuée comme pour une entreprise normale. »

Ce témoignage représente un défi pour les conseillers des UR Scop qui, dans ce genre de situation, doivent user de leur sens de la persuasion pour faire entendre raison au cédant ou à la personne morale cédante qui rechercherait prioritairement le gain. La peur de brader son activité

Devant la faible capacité financière des salariés, le cédant pourrait craindre de devoir brader son entreprise alors qu'elle représente une grande partie de sa vie professionnelle ainsi que de nombreux sacrifices liés au surcroit de responsabilité qu'impose le statut de gérant. L'enjeu pour le réseau est de faire comprendre aux gérants que la reprise par les salariés n'induit pas fatalement une sous-valorisation de l'entreprise qui faciliterait la reprise. c) Les freins psychologiques Le deuil du (des) cédant(s)

Un gérant nous a confié que lors du rachat de l'entreprise, « Il y a eu plutôt des résistances avec une personne cédante. Cela relève plus de l'affectif et du psychologique parce qu’elle avait participé au projet de départ. Pourtant, elle a fait une belle plus value. Elle était surtout déçue que son « bébé » s'en aille ». On comprend bien qu'une société représente pour ses actionnaires une partie de leur vie. La vente de cette dernière fait ressurgir beaucoup d'affects qu'il faut prendre en compte et comprendre afin de mettre en place des actions pour lever ces résistances90. II) L'équipe salariée et le(s) successeur(s) pressenti(s) 1) Les enjeux « La transmission en Scop implique une double participation des salariés, tant sur le plan financier, avec le rachat des parts sociales, que sur l'engagement psychologique, avec l'engagement collectif sur le long terme dans la gestion de leur entreprise, lorsqu'ils deviennent sociétaires »91 de dégager un excédent de gestion marginal (un excédent trop fort serait signe de prix trop élevé pour les usagers et remettrait en question « l'utilité sociale » de l'organisation). En cela, et c'est ici toute la nuance, elle n'observe pas le principe de « lucrativité limitée » propre aux coopératives. 90 Pour de plus nombreux détails concernant ce phénomène, nous renvoyons à la lecture de Thierno Bah (La transition cédant-repreneur, une approche par la théorie du deuil, 2009). 91 HUNTZINGER F., JOLIVET T. (2013), op. cit. p.10

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On relève plusieurs enjeux sur l'approche de la transmission aux salariés :

C'est pour eux l'opportunité de prendre en main leur avenir professionnel et faire barrage à l'arrivée d'un repreneur extérieur qui déstructurerait le bon fonctionnement de l'entreprise;

Prendre véritablement part aux décisions La mission du gérant cédant, même s’il demeure dans l’entreprise après la transmission, c’est d’exposer les atouts d’un tel processus. « Les 2 arguments qui étaient pour moi essentiels : - le projet : la création d’un petit magasin en zone rurale à forte utilité sociale, a constitué une motivation supplémentaire pour les salariés afin qu'ils s'investissent plus. - le côté opportunité : je leur ai répété plusieurs fois que c'était la chance de leur vie, ça n'est pas tous les jours où l'on se trouve dans une entreprise qui passe en Scop. Je leur ai expliqué que l'entreprise fonctionnait bien et que le risque était limité. Que c'était une vraie opportunité. » 2) Les facteurs favorisant la réussite du processus a) les facteurs institutionnels Les caractéristiques institutionnelles des entreprises

Un premier facteur, structurel celui-ci, concerne la structure salariale des magasins Biocoop. En effet, ce sont pour la plupart des petites structures (entre 6 et 8 ETP en moyenne représentant 10 à 11 salariés) facilitant en interne la transmission de l'information et la communication entre les membres de l'organisation. Ce premier facteur peut être valorisé par la signature de la charte Biocoop qui oblige contractuellement les structures à se soumettre à des normes exigeantes dont l'application sera poursuivie à la suite du processus. La culture Biocoop

Le réseau Biocoop a mis en place, au travers de sa charte, une éthique, une véritable culture du bio et de l'entrepreneuriat respectant l'écosystème de l'organisation (fournisseurs, clients consom'acteurs, salariés, autres tiers). Cette culture, partagée par l'ensemble des magasins du réseau, se traduit par un ensemble de valeurs, de normes, de rites, de croyances partagées participant à la création de structures92 mentales propres à l'ensemble des salariés et gérants du réseau renforçant ainsi leur sentiment d'appartenance à un tout (le réseau Biocoop).

Un tel système est très rare surtout dans un secteur aussi concurrentiel. Ce cadre, facilitant la réalisation du processus, peut minimiser la résistance au changement de la part des salariés. 92 Les plateformes communes, des interlocuteurs communs au sein de Biocoop SA, une politique globale commune, des outils managériaux transposables, des maisons régionales et des bassins permettant de rencontrer les biocoops voisins (benchmarking important), ...

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Une coopération entre les magasins déjà constitués en Scop et ceux qui le désirent Dans la majorité des cas, en amont de la transmission/transformation, les acteurs

consultent les biocoops géographiquement proches afin de collecter les expériences de ces derniers et de comprendre les changements tant structurels qu'opérationnels qu'induit cette démarche.

Ces échanges autour de l'entrepreneuriat en Scop est fondamental. Il permet la transmission d'informations entre salariés évoluant dans des entreprises aux traits institutionnels similaires93. Ces traits communs concours à l'institution d'un « triple lien » générateur d'une solidarité forte : le lien à un même réseau, le lien territorial et, à l'avenir, le lien à une même dynamique organisationnelle qui unit entre elles les Scop. Un système de parrainage peut être créé pour que la Scop parraine accompagne annuellement ou semestriellement les premiers pas de la Scop filleule.

D'une manière plus pratique, les repreneurs formulent souvent des inquiétudes liées aux changements opérationnels. Le rôle pour les Scop sollicitées est de juguler ces craintes et de rassurer les repreneurs en vue de la réussite du processus. Un tel partenariat semble primordial, les salariés associés des Scop voisines sont les meilleurs avocats pour plaider la cause de la reprise en Scop. b) Les facteurs humains Devenir sociétaire? S'entendre sur la bonne répartition des rôles

Devenir sociétaire ou rester salarié? Le choix peut paraître difficile lorsque les informations sont rares. Néanmoins, il convient de rappeler que l'entrée dans le sociétariat n'est pas une obligation. En revanche, il faut garder à l'esprit qu'il faut un nombre suffisant de sociétaires afin, premièrement, de répartir la charge du coût de rachat de l'entreprise (meilleure soutenabilité) ; deuxièmement, d'avoir la possibilité de mettre en place une dynamique participative et/ou coopérative des associés.

Selon un gérant de Biocoop : « Il faut bien anticiper que lors des réunions de la création du projet, on se trouve dans une dynamique égalitaire et qu'à l'AG constitutive, un gérant est élu. Cela signifie que l'on sort de cette dynamique égalitaire pour rentrer dans un fonctionnement inégalitaire ».

La répartition claire et cohérente discutée démocratiquement entre les repreneurs est une nécessité. Si des incompréhensions et des incohérences persistent, leurs conséquences pourraient porter atteinte à la pérennité du projet. Il ne faut pas par exemple que les salariés pensent qu'ils sont leur propre employeur. Rappelons que dans les Scop, les associés donnent, par voie démocratique, mandat à un(des) (co)gérant(s) qui seront en haut de la pyramide politique de l'organisation. Ils seront les décideurs en dernier ressort de l'organisation. En revanche, ces derniers pourront être révoqués s'ils emploient des méthodes que rejettent les associés.

Les associés-salariés font partie de l'assemblée qui est l'organe souverain mais pour que la démocratie soit exercée au quotidien, ils élisent un mandataire qui exercera le pouvoir à leur place. C'est comme un contrat de société (contrat social) que les associés passent avec le(s) gérant(s) et l’organisation.

93 Les acteurs partage une histoire commune, ont des sensibilités semblables, ce sont des structures de tailles semblables œuvrant dans le même secteur d'activité et sur un territoire voisin.

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Cette schizophrénie sous-jacente qu’impose le principe de double qualité des associés-salariés suppose de facto de rendre transparente et cohérente la hiérarchie salariée ainsi que la hiérarchie sociétaire pour ne pas amalgamer la fonction de chacun. L’entrepreneuriat en Scop, c’est avant tout une entreprise sur son marché qui doit assurer sa pérennité économique et sa soutenabilité financière. Dans certaines Scop, la gérance est attribuée à des salariés-associés qui n’ont pas la fonction de responsable de magasin par exemple. C'est-à-dire qu’ils possèdent la plus haute fonction politique de la structure, disposant du mandat social de l’organisation ; en revanche, leur fonction salariée, assimilée agent de maîtrise ou employé, ne leur confère pas un droit absolu sur leurs pratiques opérationnelles dans l’entreprise. Ils doivent, dès lors, se soumettre à « l’autorité » du cadre ou du supérieur hiérarchique. « Hiérarchiquement je ne suis pas forcément sous lui (responsable de magasin) donc pour moi c'est plus facile. Par contre pour le cogérant qui est responsable de secteur qui se retrouve hiérarchiquement en dessous du responsable de magasin ; pour lui, des fois c'est un petit peu plus compliqué à gérer quand il s’agit d’avoir les deux casquettes. »

Si ces considérations vont de soi lorsque l’on parle des Scop, il est difficilement appréhendable dans la réalité du quotidien et demande aux acteurs une agilité et une compréhension que seule l’adhésion pleine et entière de ces derniers au projet peut faciliter. Des salariés déjà présents, connaissant parfaitement leur outil de travail

Les salariés œuvrant au quotidien pour la réussite de leur entreprise sont les personnes les plus à même de continuer l'activité. Ils ont été formés au sein d'un réseau qui dispose d'outils performants quant à la formation (sur le cœur du métier) des employés et des agents de maîtrise. On parle dès lors d'une équipe "biocoopée". La bonne entente de l'équipe salariée, dans un esprit participatif (corollaire de la culture d'entreprise)

Cela peut paraitre évident ; la bonne entente de l'équipe favorise la transition. Il a été mis en avant par les gérants que le fait d'élaborer des réunions bien en amont de la transformation avec exclusivement les salariés permettait de bien définir les rôles ainsi que les prérogatives de chacun qu'un tel changement implique, pour que la situation managériale et humaine soit clarifiée. Une équipe salariée a mis en place par exemple d'autres moments de détente en dehors des heures de travail (repas, ...) dans le but de renforcer la cohésion de l'équipe et de mieux connaitre ceux qui vont partager la propriété de l'entreprise. "C'est plus qu'un lien de travail qui nous unit, on est comme une sorte de petite famille", nous rappelait un gérant. En filigrane, nous constatons que ce qui permet de lever les incertitudes liées au changement de l'organisation, c'est la culture de l'entreprise. Selon M. Thévenet, "La culture d'entreprise s'est imposée comme le ciment entre tous les systèmes de l'organisation ; elle devrait conduire chaque salarié à avoir le sentiment que son succès personnel passe par celui de son établissement"94.

94 GRAZIANI M. (2013), « La gestion du changement dans l'entreprise », CREG, 17 p.

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L'esprit de groupe est déterminant au sein de la structure. Plus les salariés auront eu l'habitude de participer à la prise de décision, plus il leur sera facile d'intégrer les principes et la gestion coopératifs. La participation préalable à la transmission permet de restreindre naturellement les résistances au changement.

Cet esprit participatif au sein du groupe peut être à l'origine même de la motivation par les salariés de reprendre en Scop le magasin. La création du projet émanerait ainsi de l'intérieur de l'équipe salariée (considérée ici comme une équipe entrepreneuriale). Discuter ensemble longuement à propos du statut Scop dans le but de susciter l'adhésion chez les salariés repreneurs

Il faut bien expliquer et porter à la connaissance de l'ensemble des salariés-associés, des spécificités qui relèvent de ce statut (les réserves impartageables, les instants où la démocratie est impérativement instaurée, le fait que la rémunération du capital est limitée95). Cette approche nécessite de la pédagogie, du temps et de la tolérance. La "pédagogie" et la "tolérance" permettront de faciliter l'adhésion au projet par les salariés. Quant au facteur « temps », il est totalement contingent à la décision du retrait plus ou moins rapide du cédant ; il doit permettre aux salariés repreneurs de prendre le temps de bien se familiariser avec le fonctionnement coopératif. La présence d'un ou de deux leader(s) Futur(s) (co)gérant(s) potentiel(s), cette personne doit être légitimée par les associés-salariés et le cédant. Les futurs associés-salariés doivent avoir pleinement confiance en ses capacités gestionnaires et managériales. C'est lui qui aura la charge de porter l'organisation dans les premiers moments de sa constitution. Il pourra s'entourer d'un noyau d'acteurs moteurs qui l'appuieront lors des prises de décisions stratégiques. « Le fait qu'il y avait un porteur de projet désigné qui avait cumulé du leadership depuis quelques années, cela a permis de susciter la confiance des salariés. Ca les a rassurés. Le fait de ne pas parler des freins tout de suite ça a facilité l'adhésion au projet. »

La démarche sera d’autant plus facilitée selon la capacité du couple ou futur gérant à user de pédagogie afin de faire monter en compétence la jeune équipe entrepreneuriale. Le degré de pédagogie qu’utiliseront le ou les (co)-gérants sera déterminant dans la capacité des salariés-associés à endosser le rôle d’entrepreneur. La cogérance, un modèle rassurant « C'est un bon modèle car quand on a une idée cela permet de confronter ses idées et d'avancer dans la meilleure direction. Savoir débloquer des situations beaucoup plus rapidement. » Lorsque les leaders viennent à manquer ou qu’au contraire, l’entreprise dispose de plusieurs leaders dans l’équipe des repreneurs, il sera moins périlleux pour les salariés d’user de ce modèle de gouvernance. 95 Les parts ne seront remboursées qu'à leur valeur nominale (à part si une réserve de valorisation des parts sociales a été créée en vue de valoriser le capital)

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c) Les facteurs financiers La constitution des capitaux propres et la participation des salariés

Comme nous l'avons préalablement indiqué dans la première partie, la constitution des capitaux propres s'opère assez simplement dès lors qu'un excédent de gestion est dégagé. Bien souvent les magasins Biocoop concluent un accord de participation qui bloque la participation des salariés pendant cinq ans sur des comptes courants d'associés bloqués et rémunérés. Ce mécanisme facilite la constitution de capitaux propres, réduit l'assiette fiscale sujette à l'IS (Impôt sur les Sociétés), permet un complément de rémunération pour les salariés et une exonération d'impôts sur le revenu pour celui-ci. La souscription de parts sociales

Les parts sociales des associés-salariés peuvent être souscrites via un prélèvement sur salaire (de 1% à 5% en pratique). Ce mécanisme se substitue à l'apport financier traditionnel qui contraint parfois les associés-salariés à emprunter auprès de leur banque. « Chacun des salariés-associés a investi une part égale dans la Scop ». Ce principe égalitaire permet d’éviter la création de conflits liée à l’asymétrie d’apport en capital lors de la création d’une Scop. Des clients militants pouvant se constituer partie-prenante

Les clients des biocoops peuvent apporter leurs soutiens à la démarche de transmission en souscrivant des titres participatifs. Ce financement solidaire leur permet de se constituer partie-prenantes en tant qu'investisseurs dans un projet qu'ils connaissent, entreprise chère à leur quotidien. De plus, cet outil dégagerait des intérêts (à hauteur de 6 à 7%) pour les souscripteurs, clients de l'entreprise. Enfin, la souscription de ces parts, ne donne pas droit au vote lors de l'AG. Autrement dit, les clients n'auraient pas à s'engager outre mesure dans la gestion de l'entreprise.

Toutefois, il conviendra d'être vigilent à propos de l'exonération de la Contribution Économique Territoriale qui sera annulée dès lors que l'organisation fait usage de l'appel public à l'épargne. 3) Les freins a) les freins humains Pourquoi racheter son droit à travailler ? Pour certains salariés, l'incompréhension peut venir du fait qu'ils n'ont pas "envie de payer pour travailler". Il faudra insister sur les autres droits et prérogatives qu'offre le statut d'associé et pas seulement le fait qu'un salarié, en devenant associé, assure seulement la pérennité de son emploi. De plus, dans les entreprises saines et pérennes telles que Biocoop, il n'y a pas de nécessité à « sécuriser son emploi en le rachetant » étant donné que la croissance pour ce secteur est forte et que les pratiques des consommateurs aujourd'hui (et dans un avenir à long terme) tendent à privilégier les

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produits bios aux produits conventionnels. Il devient nécessaire alors d'informer sur les droits des sociétaires et sur les gains envisageables (tant sociaux que financiers). La peur de s'investir On constate deux phénomènes relatifs à la peur des salariés :

Lorsque les salariés pensent qu'ils n'ont pas les capacités et les compétences pour reprendre l'entreprise;

La peur de ne pas avoir le bagage financier Mais ces deux modalités peuvent se réduire au phénomène plus global de la peur de s'investir davantage dans l'entreprise. Le départ précipité du gérant

Le départ du cédant dès la cession réalisée de l'entreprise représente un frein considérable. L'accompagnement (« règne conjoint ») qu'il peut apporter est souvent considéré comme un des facteurs clés de succès de la reprise par les salariés. Une expérience de ce type d'un magasin Biocoop a été relevée. Le cédant est partie précipitamment et salariés-associés et gérants se sont sentis comme démunis face à la tâche à laquelle ils n'étaient pas assez préparés. « En général, lors de transmission, le gérant accompagne ses salariés lors de la transmission. Il ne souhaitait pas voir son entreprise être reprise au quotidien. Il suivait les chiffres sans être présent physiquement. » Ils ont été presque jusqu'à regretter d'avoir choisi d'entreprendre ce processus. L'absence de leader(s) potentiels Ce facteur est fortement lié à la propension qu'a le gérant cédant de déléguer et d'appliquer un management participatif et/ou coopératif. Lorsque le gérant historique est omniprésent et omniscient, qu'il n' a pas la volonté de déléguer, il s'expose à une annihilation des vocations de futurs gérants potentiels au sein de son équipe de salariés. b) les freins institutionnels Les défauts structurels du statut des Scop

Lorsque l'on passe d'une gouvernance où seul le dirigeant est le maître à bord à une gouvernance démocratique, il faut que l'équipe se prépare en conséquence. Certains principes peuvent être perçus comme des freins par les repreneurs :

Le principe d'élection et de révocation des dirigeants : à tout moment les gérants élus peuvent être révoqués. Cette position délicate peut apporter des réticences au futur gérant à prendre le poste.

La lourdeur démocratique : prendre toutes les décisions de manière démocratique peut entrainer une certaine inertie de l'organisation. Dans les premiers moments de la vie de la Scop, la confiance des associés-salariés envers leur gérant est primordiale. Ce dernier devra souvent prendre des décisions seuls.

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Par ailleurs, le manque de connaissances des acteurs externes à l'entreprise du statut Scop peut constituer un frein à la crédibilité de la démarche. Les avocats, experts comptables et conseillers bancaires sont parfois mal informés et formulent des jugements basés sur des préjugés sans fondements. L'horizon économique incertain

Selon la situation du salarié (proche de la retraite, jeune parent), son horizon temporel sera réduit. Il privilégiera de ne pas investir (financièrement) dans le projet car il n'arrive pas à se projeter dans un futur qu'il qualifiera d'incertain et distant, nonobstant l'intérêt moral que l'entrepreneuriat en Scop peut susciter. La difficile problématique de la gestion de l'information à propos des nombreux changements qu'induit cette démarche96

Les principales résistances au changement que l'on constate dans les entreprises sont la remise en cause des cadres établis au sein de l'organisation (changement de direction et de gouvernance en l'occurrence ici). Pour pallier les risques de conflits liés à ces bouleversements institutionnels, il convient de les expliquer en toute transparence. Seulement, dès lors que la transmission d’informations techniques aux salariés devient nécessaire, il faut user de pédagogie car les niveaux de compréhension peuvent être très différents d'une personne à une autre.

Afin de prendre une décision éclairée, les repreneurs formulent un besoin d'information quant au fonctionnement d'un tel statut et d'un tel processus.

Lorsque le choix du passage en Scop commence à se faire pressentir, le mouvement de l'information s'accélère au sein de l'entreprise (recrudescence d'informations relatives au nouveau statut de Scop, au changement de la gestion stratégique de l'entreprise, aux outils de financements disponibles, ...). Ce phénomène va pousser des salariés à juger rapidement de la réussite du projet et de leur participation respective à ce dernier. Ce jugement s'exprimera par conséquent à l'aune des prénotions97 (préjugés) qu'ils formuleront : "si tout le monde est le patron ça ne va pas fonctionner"; " si on est tous égaux, alors le salaire doit être le même pour tous". Ce mécanisme que l'on appelle la "rationalité limitée" peut constituer une première entrave à l'investissement, le salarié n'est pas en mesure de traduire et de prendre en compte l'ensemble des informations qu'il reçoit. En outre, on comprend que, dans les cas exposés ci-dessus, l'information dont dispose le salarié peut être qualifiée d'imparfaite. Cette situation peut malheureusement conduire à un aléa moral pour certains associés : « 2 salariées idéalisaient la Scop. Elles désiraient fermement que tous les salaires soient identiques et ne comprenaient pas pourquoi ils étaient établis en fonction des responsabilités exercées de chacun. Elles ont fini par demander une rupture conventionnelle quelques temps après la transmission. Pourtant, nous nous étions tous mis d'accord sur les échelles de rémunération avant la transmission ».

Dans certaines Scop (en dehors du réseau), il est fait cas d'un possible mécanisme d'"opportunisme" présent au sein du sociétariat. On entend par « opportunisme », le fait qu'un salarié franchisse le cap du sociétariat afin de bénéficier 96 Nous empruntons ici à l'écrit de HUNTZINGER F., JOLIVET T. (2013) quant aux problématiques résultant des théories contractualistes (Williamson, 1986) 97 Idées préconçues par le salarié

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de tous les avantages financiers qu'induits cette qualité mais qui ne se soumet pas au "devoir d'engagement" d'un tel statut (on désigne ce phénomène dans la théorie économique : "le passager clandestin").

Dans les magasins Biocoop institués en Scop, la répartition des résultats est orientée en grande partie (moyenne 41,35%) à la part travail dévolue à l'ensemble des salariés. La part dividende est alors assez marginale (moyenne 8%) et si l'on consulte les idéaux types formulés par les gérants, on constate qu'il existe très peu d'associé passif qui pourrait être apparenté à un "opportuniste". Cela peut s'expliquer notamment par la force de la culture d'entreprise, très prégnante, qui instaure un contrôle social important à l'intérieur de l'équipe. Obligeant lesdits "passagers clandestins" à s'autocontrôler afin de rester dans l'équipe (peur d'être évincé du groupe et de devoir partir de lui-même de l'entreprise. III) Le réseau Biocoop Un réseau compétent, le n°1 de son marché, œuvrant en faveur d'une culture coopérative

C'est ici la force commune de l'ensemble des magasins. Un réseau disponible, constitué d'experts militants, à l'écoute des porteurs de projets. « Dans tous les cas de figure, le cadre coopératif de Biocoop permet aux sociétaires (dont figure les 357 magasins) de s'unir étroitement pour développer ensemble des projets »98 exprime Jérôme Blachère, responsable développement du service magasin. Les développeurs de magasins sont sensibilisés et même avertis à propos du statut des Scop.

Les processus de transmission et de transformation doivent être suivis de concert avec les services développement de Biocoop SA qui ont une connaissance très fine des enjeux concurrentiels territoriaux et des caractéristiques des magasins.

Dans le cadre de la transmission, sur auto-saisine, les développeurs peuvent aller à la rencontre des salariés et/ou des gérants (lorsque ceux-ci approchent de la retraite par exemple) afin de leur faire part du projet de transmission en Scop. Le double accompagnement des porteurs de projets en Scop

L'accompagnement des porteurs de projets en Scop est double. Ils sont d'une part suivis par les Unions Régionales des Scop et, d'autre part, par les services de Biocoop SA. D'ailleurs, Biocoop s'est beaucoup inspiré du savoir-faire des Unions Régionales pour se construire une véritable compétence dans le suivi des porteurs de projets. Ce savoir-faire commun aux deux acteurs assure aux porteurs de projet d'avoir des conseils sur mesure.

Pour Biocoop, l'accompagnement demeure le même entre un porteur de projet classique (SARL, EURL, SA) et l'accompagnement d'une Scop. La transmission en Scop donne droit à une double expertise et permettra de dégager une évaluation plus juste de la valeur de l'entreprise (afin de ne pas léser le cédant) et de dégager les perspectives à moyen terme pour rassurer les salariés et leur apporter de la crédibilité dans leurs démarches auprès des apporteurs de capitaux. La volonté de mettre en place d'un plan d'action commun avec les UR Scop

98 Cultures Bio, n°81, mai - juin 2015

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Dans le processus, les repreneurs ou porteurs de projet sollicitent en tout premier lieu les développeurs du réseau Biocoop qui vont identifier le projet et préconiser un rapprochement avec les UR Scop. En amont du projet, lorsque les salariés repreneurs expriment leur volonté manifeste d'entreprendre, les développeurs Biocoop ainsi que les délégués des UR s'entretiennent pour mieux appréhender les tenants du projet afin de dégager un discours cohérent entre eux. Un co-accompagnement s'institue.

Pendant la réalisation du projet, les développeurs de Biocoop et délégués de l'UR Scop peuvent se rassembler en l'absence des porteurs de projets afin de juger, le plus objectivement possible de son avancement. Avec leurs différents outils, financiers, relatifs au conseil, d'audit, les deux acteurs ont un rôle commun à jouer dans le développement d'un tel statut. La société Défi Bio

D'autres sociétés, telles que Défi Bio (Société Anonyme du réseau Biocoop dont nous avons fait la présentation plus en amont) peuvent apporter spécifiquement aux magasins Biocoop désirant s'instituer ou évoluant déjà en Scop, un appui précieux par le conseil et le financement. La SAS Défi Bio est un fonds d'investissement qui intervient sous forme de capital et de compte courant d'associé, avec une période de blocage suivie d'une période de remboursement, le tout allant de 7 à 10 ans.

Une des missions du fonds est de favoriser la reprise de magasins en Scop. Bergerac-Bio représente à cet effet l'exemple parfait de cette dynamique et révèle la capacité pour Défi Bio de lever des fonds afin de favoriser le recours à un financement plus classique. IV) La Confédération Générale des Scop et ses Unions Régionales

La nécessaire confiance entre les acteurs, qui est facilitée par le cadre institué par le réseau Biocoop, a été renforcée grâce à l'accompagnement des délégués régionaux Scop. Cette confiance mutuelle entre les personnes va se combiner avec la confiance organisationnelle relative à la nouvelle coopérative ou, pour les magasins qui exerçaient déjà sous statuts coopératifs, aux changements apportées en matière de gouvernance et de statuts des salariés. 1) Quels accompagnements ?

Le premier rôle des conseillers du réseau est crucial pour lever les obstacles à la transmission/transformation et créer une dynamique positive au projet. Ils affichent un positionnement qui est clairement orienté vers les intérêts des salariés repreneurs; en vue de la négociation finale portant sur le prix et le plan de reprise, ils apportent une contre-évaluation souvent proposée par l'expert comptable du cédant99. On rajoutera ici que la SA Biocoop propose elle aussi un service d'évaluation garantissant un regard plus juste de la conjoncture et du marché de la distribution de produits bios. Ces 2 approches (UR Scop et Biocoop) peuvent être considérées comme complémentaires.

99 Propos recueillis de Guillaume Queguiner, délégué régional Loire-Atlantique

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Un gérant nous a confessé que lors du processus de valorisation de la SARL (dont les négociations ont été longues et difficiles), l'actionnaire majoritaire avait fait évaluer l'entreprise au prix du marché. L'appui de l'UR Scop pendant les négociations a encouragé le cédant à baisser son prix. Cet appui a permis de garantir une bonne soutenabilité économique pour que les repreneurs puissent assurer la reprise permettant de nouveaux investissements. Cependant, ce cas de figure n'est pas généralisable. Il n'est pas souhaitable que le cédant soit le seul à faire des efforts financiers. Ce schéma est nécessaire si la soutenabilité du plan de reprise est remise en doute. Ils accompagnent dans l’élaboration juridique des documents et notamment les statuts de la Scop. « Il faut bien se mettre d'accord sur les statuts au départ sur l'entrée des associés. Il faut bien définir les conditions à l'entrée dans la Scop. » L'accompagnement du cédant et du (des) successeur(s)

Qualifié souvent de rassurant et de grande qualité, l'accompagnement des UR Scop demeure une des modalités facilitant l'accomplissement du processus de transmission/transformation. Lorsque le cédant formule explicitement sa volonté de transmettre, le rôle du délégué de l'UR des Scop va être de les conseiller dans la finalité de "bâtir un projet cohérent de reprise"100. Ils vont être aussi les partenaires privilégiés de la transmission managériale entre le cédant et le(s) successeur(s).

L'organisation de formations spécifiquement à destination des repreneurs et des successeurs ainsi que le portage du projet de transmission constituent un bon appui qui tend à rassurer l'ensemble des parties-prenantes. 2) Les formations que proposent les Unions Régionales

La bonne gestion d'une Scop et sa prise en main réussie par les repreneurs salariés sont les conséquences d'une information complète et pertinente de ce que sont les Scop et de ce que cela induit comme changement et au quotidien et sur un plan plus stratégique. Les premières formations sont dispensées par les Unions Régionales qui ont élaboré une offre de formation pour accompagner les premiers moments des salariés coopérateurs.

Nous considérons que la formation est un maillon essentiel si ce n'est le maillon qui importe le plus dans la dynamique coopérative car des associés éclairés sur l'ensemble des aspects de l'entrepreneuriat deviennent de véritables acteurs et passeurs de la culture coopérative au sein de leur organisation.

La présentation des formations qui vont suivre provient de l'offre de formations que propose l'UR Scop de l'Ouest. Ceci ne représente pas le catalogue de l'ensemble des formations disponibles sur le territoire français. 101

Ces formations sont prises en charge par Form.coop qui est une mutualisation de moyens (des différents acteurs dans le développement du statut Scop), avec le concours d'Uniformation (qui est l'Organisme Paritaire Collecteur Agréé principal des structures de l'ESS), pour mettre en place des parcours de formation coopérative individuels ou collectifs. Ces formations sont à destination de tous les salariés (qu'ils soient nouvel 100 HUNTZINGER F., JOLIVET T. (2013) op. cit. p. 8 101 Nous n'avons pas désiré ici décrire l'ensemble des formations disponibles sur le territoire afin d'éviter "l'effet d'inventaire".

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entrant, nouvellement associé, dirigeant ou futur cadre dirigeant) souhaitant renforcer ses compétences dans la gestion d'une Scop ou d'une Scic). Le PASS (PArcours ASSociés de Scop)

Formation s'étalant sur quatre jours, elle propose aux nouveaux embauchés, futurs sociétaires ou associés installés dans la Scop, un programme de découverte des pratiques coopératives en vue de développer ses compétences coopératives par l'acquisition ou la consolidation de connaissances. Le BADGE (Bilan ADministrateurs et GÉrant de scop)

Elle propose aux administrateurs SA et aux gérants SARL (élus ou en voie de l'être) de renouveler leurs connaissances sur les Scop, s'instruire des comportements les plus efficaces dans l'exercice d'un mandat, partager leurs pratiques et s'ouvrir aux pratiques des autres. Les sujets explorés sont les suivants :

"Communication et dynamique coopérative" " Le projet d'entreprise - la stratégie de l'entreprise" "Gestion de l'entreprise" "La gouvernance d'entreprise"

Des formations diplômante en partenariat avec des universités

Diplôme d'Université Business Management Paris Dauphine Parcours de perfectionnement pour cadres dirigeants « Management et

performances coopératives » Des formations spécifiques

La maîtrise d'outils de gestion financière comme outils d'aide à la décision Préparer et animer son assemblée générale annuelle en SARL : "comment

devenir autonome sur le formalisme juridique" La participation. Un levier financier pour votre Scop : « Les atouts de la

participation pour la consolidation du sociétariat de votre Scop » 3) Les outils financiers dont dispose la CG Scop

Un des principaux freins à la reprise en Scop est le manque de fonds réunis par les apporteurs de capitaux salariés. Des solutions s'offrent aux porteurs de projet pour pallier cette difficulté. Il y a notamment les outils financiers de la Confédération Générale des Scop le plus souvent prenant la forme d'apports en quasi-fonds propres, mais l'on peut trouver aussi des aides publiques et privées de formes diverses (subventions avec/sans droit de reprise, prise de part en capital risque, apports en garantie dans le but de faciliter les emprunts auprès des institutions financières, ...). Dans de nombreux cas, les Unions Régionales connaissent bien l'ensemble des outils disponibles sur les territoires proposés par les institutions privées comme publiques.

Si nous avons pu énumérer, non-exhaustivement, les nombreux outils que l'on pourrait qualifier "d'organiques"102qui s'offrent aux coopératives pour la constitution de

102 Car ces mécanismes ne font pas appel à des tiers et sont propres aux pratiques internes de la coopérative

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leurs capitaux propres, nous allons dorénavant présenter les instruments que propose la CG Scop à destination des Scop. Socoden

« Société coopérative de développement et d'entraide », Socoden est une entreprise dédiée exclusivement au financement des projets de Scop. Elle finance en quasi-fonds propres103 les Scop en création, en développement ou en difficulté. Un partenariat étroit est conclu avec le Crédit Coopératif. Cette société est une holding financière ; cela signifie qu'elle est propriétaire majoritaire d'autres sociétés, en l'occurrence Sofiscop (garantie de prêts) et Scopinvest (financement en fonds propres et quasi-fonds propres). Elle propose deux types de prêts :

des prêts personnels qui ont pour vocation d'anticiper la formation du capital des associés (aides à la participation de la création de capitaux propres). D'une durée comprise entre trois et cinq ans, ce dispositif concerne principalement les Scop saines;

des prêts participatifs sans garantie dont le but est de financer plus particulièrement des investissements immatériels de fonds de roulement (fonds commercial, ...). Pour une durée modulable comprise entre 3 et 5 ans, ils sont rémunérés au taux de base bancaire. Ils permettent, sans demande de garantie personnelle préalable, de couvrir le besoin en fonds de roulement que les institutions bancaires hésitent à financer. C'est un prêt qui est assimilable aux fonds propres mais considérés comme des "autres fonds propres".

Socoden est aussi majoritaire dans de nombreuses sociétés qui ont des champs

d'action plus localisés. On pense à la société de capital risque Transméa (dont la création a été initiée par l'UR Scop Rhône-Alpes en partenariat avec la Région Rhône-Alpes et soutenue par le Crédit Coopératif, la MACIF, Socoden, la société financière de la Nef et la Caisse des Dépôts et Consignations) dédiée à la reprise d'entreprises par les salariés en Rhône-Alpes. Cette société est le fruit d'une collaboration plurielle faisant appel à des fonds privés mais aussi publics dans la perspective de développer un territoire en finançant des projets durables et coopératifs.

Transméa agit en souscrivant des titres participatifs auprès de futures Scop afin de participer au financement de leur projet de reprise. Garantie SOFISCOP

La garantie Sofiscop est un dispositif destiné à financer et mutualiser l'accès aux financements bancaires. C'est un instrument spécifiquement dédié pour les Scop adhérentes à la CG Scop. La prise de garantie se fait sur l'actif financé et notamment sur le rachat de fonds de commerce dans le cas de transmission d'entreprises saines. Cette garantie est octroyée afin d'éviter la demande garantie personnelle des repreneurs de la Scop. Scop'invest

103 Qui regroupent notamment les comptes courants d'associés, les obligations convertibles (titres participatifs) ou bien encore les emprunts participatifs.

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Réservé aux adhérents de la CG Scop, ce dispositif est un financement privé concourant au renfort des fonds propres des Scop en accompagnant la constitution de capitaux permanents parallèlement à l'investissement des sociétaires. Participant sous la forme de titres participatifs ou obligations convertibles104, ce dispositif intervient sur un montant minimum de 25 000 €, sur au minimum sept ans. Ces titres participatifs pourront être rachetés par les associés de la Scop ou par la Scop elle-même. D) Les aides et l'accompagnement d'acteurs publics et privés nationaux et régionaux

D'autres dispositifs territoriaux et/ou nationaux contribuent, en partenariat avec la CG Scop, au financement des projets de développement des Scop de leurs territoires. Nous en exposerons ici les principaux. Nous souhaitons faire remarquer par ailleurs que pour l'ensemble des acteurs présentés ci-dessous, une expertise du dossier sera mise en œuvre. Les deux acteurs que sont le délégué de l'UR Scop et le représentant de Biocoop SA seront les personnes ressources pour l'aide à la réalisation des dossiers de demande de financement. I) Les organisations privés Esfin Gestion

Organisme qui réunit capitaux publics et capitaux privés, Esfin Gestion est chargée de la gestion du portefeuille de l'IDES (l'Institut de Développement de l'Économie Sociale créé en 1983) qui l'a rejoint en 1998. Cet organisme est par conséquent constitué de l'IDES et d'Equisol (qui accompagne les projets de l'ESS d'Île de France en phases de "post-création", de développement ou de transmission). Son action s'inscrit dans la création de partenariats en capital investissement des entreprises de l'ESS. Les fonds de cette société accompagnent en fonds propres et quasi-fonds propres ces entreprises.

Elle apporte des fonds propres à des entreprises lors des phases de développement et de transmission en vue de créer un partenariat à long terme.

Plus particulièrement concernant l'IDES, celle-ci intervient nationalement en participant sous forme de prise de parts sociales, d'actions, de titres participatifs, d'obligations (convertibles ou non), de prêts participatifs pour une durée s'étalant entre sept et douze ans et ce, en ne demandant aucune garantie sur les actifs de l'entreprise. "On a fait appel à des titres participatifs pour 60000 €, 40 souscripteurs qui ne prennent pas part aux décisions. C'est un levier précieux. Ce sont des clients qui s'intéressaient au projet. Ca nous a donné de la force auprès des banques", nous a expliqué le gérant d'un magasin qui était satisfait de la mise en œuvre d'un tel outil. Le réseau France Active et France Initiative

France Active est un réseau associatif qui œuvre en faveur de l'emploi en finançant des entreprises socialement responsables privilégiant l'intérêt collectif par rapport à l'intérêt purement financier. Ce réseau organise son activité avec les concours

104 Ce sont des quasi-fonds propres convertibles en parts sociales au gré du souscripteur.

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de l'Europe, de la Caisse des dépôts et Consignations, de l'épargne privée, de banques privées et des collectivités territoriales.

Chaque dossier déposé est soumis à l'examen approfondi de France Active qui sécurise le financement du projet. Les porteurs du projet de reprise bénéficient des conseils et de l'aide des conseillers en financement solidaire.

Pour assurer la proximité entre les porteurs de projet et le réseau, ce réseau met en place 40 fonds territoriaux et 130 points d'accueil. Son ancrage local favorise la compréhension des enjeux économiques locaux. Le réseau propose deux instruments :

Des garanties sur emprunts bancaires (les prêts peuvent être différés, le remboursement débute au terme des deux premières années par exemple)

Des apports financiers sous forme de prêts participatifs ou en comptes courants d'associé105 (par le biais de la Société d'Investissement France Active).

La plateforme France Initiative constitue également un agrégat de fonds d'acteurs

publics et privés œuvrant pour le développement de projets de reprises d'entreprises saines en Scop. Ce réseau utilise principalement des prêts d'honneur qui sont des prêts à 0% et représentent un apport en capitaux permanents pour l'entreprise. Les Clubs d'Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l'Épargne Solidaire

Au carrefour de l'épargne de proximité, de l'épargne éthique et de l'épargne solidaire, la CIGALES est une structure de capital risque solidaire106 mobilisant l'épargne de ses membres au service de la création et du développement de petites entreprises locales et collectives (Scop et Scic, SARL, SA, associations, ...). Dans le cas du financement de Scop, les Cigales ne peuvent pas effectuer de plus-values lors de la cession de leurs titres. Les modalités d'intervention en capital risque peuvent être les suivantes :

La souscription d'actions ordinaires; La souscription de parts à intérêts prioritaires; La création de comptes courants d'associé (sous réserve de posséder au moins

5% du capital).

Des biocoops utilisent ce levier pour financer des projets comme un agrandissement ou un essaimage. Il est tout à fait envisageable d'organiser lors d'une reprise, le tour de table financier avec cet acteur.

105 Le compte courant d'associé est un mode de financement des capitaux permanents (ce sont des créances qu'un associé a envers une entreprise), il est remboursable et rémunéré, il permet à l'entreprise d'utiliser d'autres sources de financement que l'emprunt bancaire. Lorsque ces derniers sont bloqués pour une période déterminés, ils peuvent être considérés comme des fonds propres (les sommes sont comptablement enregistrées en "fonds propres", les intérêts bloqués en « autres fonds propres». Remarque : le compte courant d'associé permet de rémunérer l'associé même si la société n'a pas de résultat distribuable (contrairement aux dividendes). 106 Le capital risque est une prise de participation par un ou des investisseurs, généralement minoritaire, au capital de sociétés non-cotées. (www.apce.fr)

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Les institutions bancaires Œuvrant en étroite collaboration avec la CG Scop, le Crédit Coopératif constitue

un allier important du soutien financier des sociétés Scocoden et Scopinvest. De plus, il propose plus facilement des crédits bancaires pour financer la reprise et le développement des Scop (financement du besoin en fonds de roulement par exemple).

La Nouvelle Économie Fraternelle (NEF) est une coopérative de finances solidaires forte de 25 années d'expériences et engagée dans le financement d'initiatives à forte plus-value sociale et environnementale. Elle propose des prêts classiques d'investissement afin de financer les investissements matériels, immatériels, mobiliers, immobiliers, ... . La durée des prêts souscrits varient entre 2 et 15 ans avec un différé d'amortissement compris entre 1 et 18 mois. II) Les institutions publiques

Les collectivités publiques sont des institutions qui sont très sensibles à la reprise des entreprises par leurs salariés. Elles contribuent, au moyen d'une prise de participation au capital de sociétés de financement (type Transméa), dans le but d'appuyer les acteurs qui ont pour cœur de métier de favoriser l'exécution du processus de transmission.

L'État dispose d'un levier financier important, la Banque Public d'Investissement, qui participe au développement de projets de reprises par le phénomène d'abondement.107

Les collectivités territoriales qui ont pour compétence le développement économique, bien souvent les Conseils régionaux, peuvent participer via des subventions d'investissement sans droit de reprise. Les UR Scop sont attentifs à l'octroi de cette subvention qui peut-être un levier dans la demande de prêt classique (garantie). Voici quelques dispositifs de financement régionaux disponibles à destination des porteurs de projet de reprise d'entreprise sous statuts Scop108 :

Aide à l'émergence d'activités économiques sous statut de société coopératives (Région Champagne Ardennes)

Prime à la création, au développement et à la reprise de Scop et Scic (Région Île de France

Bretagne Capital Solidaire (BCS) - participation au capital de petites entreprises (Région Bretagne et BPI France)

Aide aux Sociétés coopératives de production (Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône)

Avance remboursable aux petites entreprises (Conseil Départemental de Haute-Vienne)

Aide à la création et au développement de sociétés coopératives de production (Conseil Départemental des Landes)

Dispositif Région Coopérative - aide à la création ou à la reprise de Scop ou de Scic (Région Haute-Normandie)

107 Par exemple, la BPI abondera à hauteur de 1 euro pour 5 euros de prêt souscrit auprès d'une institution bancaire (pour un prêt de 50 000 € la BPI apportera son soutient à hauteur de 10 000 €) 108 Institut Supérieur des Métiers : Observatoire des Aides aux Entreprises

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Capital SCOP (Région Pays de la Loire convention avec l'UR Scop de l'Ouest)

Par ailleurs, la proximité de la rédaction de cette contribution écrite avec les futures échéances électorales régionales nous invite à émettre quelques réserves quant à la continuité de la mise en place de ce type de financement. En effet, il est difficile d'évaluer quelles seront les prérogatives des nouvelles régions de 2016 et quelles incidences aura l'acte III de décentralisation sur le développement économique des territoires et, plus précisément, quel sera le montant des aides maintenues pour les exercices à venir.

III) Les nouveaux dispositifs juridiques facilitant la démarche de transmission : le droit d'information des salariés et la Scop d'amorçage

Dans le cadre de la loi Hamon du 31 juillet 2014 relative à l'Économie Sociale et

Solidaire, cinq articles sont dédiés à la question de la transmission d'entreprises109 à leurs salariés. Le droit d'information des salariés

Premièrement, il faut souligner que l'article 18 fait référence à la création d'un dispositif d'information à destination de l'ensemble des salariés afin de leur communiquer les conditions juridiques de la reprise par les salariés ainsi que les avantages et les difficultés inhérentes à un tel processus. Cette information doit être organisée au moins une fois tous les trois ans.110 Ces dispositions tendent à faciliter la reprise par les salariés lorsque le cédant n'observe pas pour finalité première la transmission à des repreneurs salariés. Deuxièmement, l'article 19 prévoit l'instauration d'un délai permettant aux salariés de présenter une offre en cas de cession d'un fonds de commerce dans les entreprises de moins de cinquante salariés. La Scop d'amorçage

La Scop d'amorçage est un outil destiné à faciliter la transmission progressive d'une société à ses salariés. Elle permet le portage d'une partie importante du capital social de l'entreprise par un associé non-salarié pendant une période de sept ans. Concernant la mise en place du dispositif de la Scop d'amorçage, un point est à rappeler à propos du rachat des parts du cédant fondateur par les salariés repreneurs. Lors du processus de transformation, une valorisation de l'entreprise est effectuée. Quasi systématiquement, « la différence entre la valeur de remboursement des titres et la valeur nominale des parts annulées est imputée sur les réserves distribuables de la société, le solde pouvant être comptabilisé pour tout ou partie à l'actif du bilan de la société dans un poste d'actifs incorporels »111

Si l'on constate que le rachat des parts du cédant devient un frein économique rédhibitoire qui risquerait de mettre en péril la réussite du processus, on peut faire appel

109 Il n'est pas question ici du processus de transformation d'une coopérative en Scop. 110 L'article 204 de la loi Macron (2015) enrichit cet article en disposant que « L’information porte également sur les orientations générales de l’entreprise relatives à la détention de son capital, notamment sur le contexte et les conditions d’une cession de celle-ci et, le cas échéant, sur le contexte et les conditions d’un changement capitalistique substantiel. » 111 Les Scop info, Actualité juridique spécial loi ESS, 29 juillet 2014.

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au dispositif de la Scop d'amorçage. Ce dispositif apporte deux dérogations aux principes de fonctionnement des Scop :

« Les associés non-coopérateurs peuvent détenir plus de 50% du capital à l'issue de la transformation en Scop est ce, pendant un délai de 7 ans. Les associés non-coopérateurs devront s'engager à céder ou à demander le remboursement de leurs titres au plus tard à l'issue de ce délai de 7 ans. » Si effectivement, les salariés seront minoritaires en capital durant cette période, ils devront, en revanche, détenir la majorité des droits de vote au sein des assemblées générales.112

« Ces associés non-salariés peuvent céder leurs parts à un salarié, majorées par un cout de détention temporaire de titres, ou en obtenir le remboursement par la société. » L'intérêt ici est d'inciter, par la voie pécuniaire, l'associé non-salarié à prendre des parts au capital tout en sachant qu'ils n'auront pas la majorité des voix lors des assemblées générales.

Ce dispositif, au même titre que le crédit-vendeur et autres souscriptions de parts

sociales particulières visent autant que possible à reporter le recours à l'intermédiation bancaire. Pendant les sept ans, les repreneurs peuvent réfléchir à une alternative tout en constituant chaque année des réserves (fonds de développement et réserve de participation) et en gardant le contrôle de leur outil de travail. Conclusion de la partie :

Au regard des enjeux économiques futurs à propos de la croissance inexorable du prix des entreprises Biocoop, des nombreux départs en retraite qui obligent à trouver une solution de reprise et au vu du nombre d’entreprise sous statut SARL et coopératifs qui peuvent envisager la transmission/transformation comme une solution alternative quant à leur gouvernance, la Scop constitue un outil pertinent capable de contenter les intérêts des cédants et des salariés repreneurs.

L'analyse des écrits théoriques combinée aux témoignages d'expériences des gérants de magasins Biocoop nous ont permis de mettre en évidence les différentes parties prenantes ainsi que les facteurs de réussite et d'échec inhérents à un tel processus. Le processus peut-être décomposé en plusieurs phases de transmission :

En amont : Le cédant doit assurer qu'il transmettra bien son entreprise à ses salariés; Le gérant cédant a commencé à inclure la participation à la prise de

décision les salariés afin qu'ils puissent détenir les informations nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de l'entreprise au départ du gérant (confiance organisationnelle);

L'équipe des salariés intéressés par le sociétariat doit se réunir afin de se mettre d'accord sur une vision commune sur le long terme et mettre à plat les incertitudes liées aux manques de connaissances du statut;

112 Il n'est pas ici fait référence à l'obligation pour les salariés de posséder 65% des droits de vote pendant cette période.

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Le délégué de l'UR Scop et le développeur de Biocoop associent leurs forces afin de rassurer les repreneurs et le cédant pour la réussite du projet;

La valorisation et le rachat de l'entreprise traduisent la transmission du

patrimoine et l'assemblée générale concrétise le changement de statut. La mise en place du plan de reprise est effective.

En aval : Le(s) nouveau (x) (co)gérant(s) sont nommés ; ils font partie de l'équipe

salariée ; leur motivation ainsi que leurs compétences sont reconnues des associés-salariés et des autres salariés;

Le cédant accompagne les associés-salariés afin de leur transmettre toute l'information dans la plus grande transparence (période de règne conjoint);

Le délégué de l'UR Scop ainsi que le représentant de Biocoop continuent le suivi de la Scop dans son quotidien.

La participation des délégués Régionaux et des développeurs Biocoop sont les principaux leviers de la réussite de ce processus. Par ailleurs, la culture organisationnelle de l'entreprise et du réseau, la disponibilité du cédant, la confiance mutuelle entre les acteurs et la désignation d’un ou de plusieurs leaders pressentis concourent également à la réalisation du processus.

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Quelques conclusions… Tout au long de cet écrit, nous avons exposé les enjeux et les processus afférents à la reprise en Scop par les salariés des magasins Biocoop institués en SARL classiques mais aussi sous statut coopératif. Au regard des écrits universitaires et des réponses des interrogés, nous avons pu constater tout d’abord que le processus de transmission/transformation avait eu des issues globalement très positives (hormis un cas qui a souffert du départ prompt de son gérant cédant) et a été salué par l'ensemble des magasins Biocoop aujourd'hui institués en Scop. Les multiples instruments techniques et financiers disponibles, l’accompagnement et le conseil de différents acteurs (réseau Biocoop, UR Scop) ainsi que l’identité des équipes entrepreneuriales des magasins contribuent de façon décisive à la réussite du projet de transmission/transformation. Si l’on peut affirmer aujourd’hui que les Scop sont des entreprises « garantes de la démocratie économique » et que le statut juridique des Scop comprend de nombreux garde-fou permettant d’échapper à tout dévoiement, il faut bien avoir à l’esprit que « les statuts ne valent pas vertu » et qu’il convient de se prémunir contre toute dérive liée à une utilisation fallacieuse d’un tel instrument. Ensuite, au vu des enjeux économiques qui touchent aujourd’hui le marché du bio, nous pensons qu’un danger réel guette la cession de ces magasins, du fait de la valorisation exponentielle de leur patrimoine, fonds de commerce, …. Par ailleurs, les nombreux entretiens réalisés avec les gérants des biocoops ne nous ont pas permis de dégager des « lois » générales, des similitudes structurelles dans les processus ; chaque transmission/transformation est bien à chaque fois une histoire singulière. Enfin, nous pensons que les biocoops doivent tendre à être des « lieux d’éducation populaire ». Plus qu’un simple outil de production, ils peuvent être des « laboratoires » dans lesquels la démocratie, la coopération et l’entreprenariat seraient des valeurs directrices. Après le retrait des « consom’acteurs » de la gouvernance des magasins institués en coopératives de consommateurs, n’y a-t-il pas un risque que le fonctionnement des biocoops en Scop échoue à atteindre un objectif essentiel de ces organisations, à savoir, la prise d’autonomie des salariés-associés ?

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