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ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES ENSAE ÉCOLE NORMALE SUPERIEURE Quels sont les facteurs qui influencent les projets de fécondité ? Une étude comparative entre la France et l’Italie à la lumière du contexte institutionnel Valeria Solesin Mémoire de Master 2 Recherche en Sciences Sociales Spécialité Sociologie et Statistique Année 2010/2011 Sous la direction de Michel Forsé

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ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES ENSAE ÉCOLE NORMALE SUPERIEURE

Quels sont les facteurs qui influencent les projets de fécondité ?

Une étude comparative entre la France et l’Italie à la lumière du

contexte institutionnel

Valeria Solesin

Mémoire de Master 2 Recherche en Sciences Sociales

Spécialité Sociologie et Statistique

Année 2010/2011

Sous la direction de Michel Forsé

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Ai miei genitori

che hanno sempre creduto in me

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3

Sommaire:

Avant-propos: .................................................................................................................................................. 5

Introduction: .................................................................................................................................................... 6

1. La situation démographique en Europe: ...................................................................................... 6

1.1. La fécondité dans l’Europe à 27: .................................................................................................. 6

1.2. La mortalité: .................................................................................................................................. 8

1.3. Les migrations: .............................................................................................................................. 9

1.4. Évolutions et changements dans la population de l’Europe à 27: .............................................. 10

1.5. L’État des familles, la diversification des modèles : ................................................................... 10

2. Le rôle de l’Union Européenne : ................................................................................................. 12

3. Le sujet d’analyse : France et Italie. .......................................................................................... 15

4. Présentation des chapitres et de la structure du mémoire : .................................................. 17

Chapitre 1 : .................................................................................................................................................... 19

Les politiques familiales française et italienne: Comprendre le background dans lequel les individus

agissent. .......................................................................................................................................................... 19

1. Les systèmes de protection sociale et le problème de la comparaison : .............................................. 19

2. La France : des aides à la famille importantes et des objectifs changeant dans le temps. ................... 24

2.1. L’évolution de la politique familiale : d’un objectif explicitement nataliste au problème du

chômage et de la conciliation entre les temps de vie............................................................................... 24

3. L’Italie : une politique familiale qui a du mal à décoller..................................................................... 30

3.1. La politique familiale italienne : des mesures du caractère implicite et indirect. ...................... 31

4. France et Italie: quelles différences ? .................................................................................................. 37

Chapitre 2 : .................................................................................................................................................... 42

Hypothèses de recherche et Présentation des données. .............................................................................. 42

1. Existe-t-il un lien entre la politique familiale et le taux de fécondité ? ............................................... 42

2. Les avantages d’une multiplicité d’approches : concilier analyse quantitative et qualitative. ............ 46

3. Les enquêtes : ...................................................................................................................................... 47

3.1. Gender and Generation Survey: .................................................................................................. 47

3.2. L’enquête REPRO un outil qualitative pour la compréhension des décisions reproductives. ..... 51

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Chapitre 3 : .................................................................................................................................................... 53

Désir et Intention de fécondité : attente, normes et coutumes. .................................................................. 53

Analyser les différences entre France et Italie. ........................................................................................... 53

1. La méthode quantitative : .................................................................................................................... 54

1.1. Une analyse descriptive préliminaire : ........................................................................................ 54

1.2. Désirerons-nous avoir des enfants ? Opinions et normes concernant la procréation. ................. 57

1.3. Les intentions fécondité à cout terme: tentative d’explication de l’espace social dans lequel

mûrissent les décisions concernant la reproduction. .............................................................................. 63

1.4. Quels sont facteurs qui influencent les intentions de fécondité ? ................................................ 74

2. La méthode qualitative: ....................................................................................................................... 83

2.1. Les désirs de fécondité : «On ne veut pas un enfant unique ». .................................................... 83

2.2. Les intentions de fécondité: pourquoi revoir à la baisse nos désirs ? ......................................... 84

2.3. D’autres aspects influençant la fécondité ? ................................................................................. 87

Chapitre 4: ..................................................................................................................................................... 91

Les résultats: en quoi la France et l’Italie divergent-elles? ....................................................................... 91

1. La baisse de la fécondité : un phénomène diffus avec des conséquences différentes. ........................ 91

2. Le désir de fécondité : l’influence du milieu d’origine. ...................................................................... 92

3. Les intentions de fécondité : la politique familiale « montre le bout de son nez » .............................. 93

Conclusions et perspectives de recherche : ............................................................................................... 104

Bibliographie : ............................................................................................................................................. 112

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5

Avant-propos:

L’Europe a subi ces dernières années des profondes modifications dans la structure de sa

population ; ceci semble être le résultat de différents phénomènes démographiques tels que :

l’allongement de l’espérance de vie, l’arrivée de flux migratoires de toutes les zones du monde, et la

diminution du nombre d’enfants par femmes qui a atteint un niveau très faible et au-dessous du seuil

de remplacement des générations.

En référence à ce dernier phénomène, on s’est intéressé à l’analyse de deux pays d’Europe : la

France et l’Italie. Le choix de ces deux pays réside dans le fait qu’ils divergent profondément en

matière de fécondité ; en effet, le premier pays a un des taux de fécondité les plus élevés d’Europe,

tandis que le deuxième fait partie des pays à très faible fécondité.

En outre, ces deux pays ont développé historiquement des attentions différentes envers la

problématique de la baisse de la fécondité. Alors qu’en France le soutien de l’État en direction des

familles a toujours été élevé et a coïncidé avec une politique familiale de type nataliste, en Italie

l’intervention de l’État dans la sphère familiale n’a jamais été encouragée, au profit du principe de la

subsidiarité d’inspiration catholique.

A la lumière de ces spécificités, on se prête à l’analyse des différences concernant le désir

d’enfant et les intentions de fécondité à court terme dans ces deux pays. Ainsi faisant, on veut

comprendre les différences qui existent entre la France et l’Italie en matière de comportement

reproductif tout en considérant le contexte institutionnel dans lequel les individus agissent. On estime

en effet que selon l’intervention de l’état au soutien de la maternité et de la famille on pourra avoir

des taux de fécondité sensiblement différents.

Pour mettre en place ce type d’étude on recourra à deux outils d’analyse, l’un de type quantitatif,

l’autre de type qualitatif. Dans le premier cas, on utilisera l’enquête Gender and Generation dans ses

deux versions nationales, il s’agit d’un ample projet de comparaison internationale interrogeant les

évolutions démographiques, une partie de cette enquête est dédiée à l’analyse des projets de fécondité.

Puis on complètera cette première analyse, en faisant référence au contenu d’entretiens menés en

France et en Italie dans le cadre du projet Reproductive decision analysis. Cette enquête comporte un

volet consacré à l’étude du désir et des intentions de fécondité.

Avec l’aide de ces deux instruments d’analyse on espère réussir à comprendre le processus qui

mène de la décision d’avoir un enfant à sa réalisation, et donc mettre en lumière les éléments qui

empêchent ou encouragent l’arrivée d’un enfant. La comparaison internationale, de ce point de vue,

a l’avantage de faire émerger les bonnes ou les mauvaises pratiques de chaque pays.

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Introduction:

1. La situation démographique en Europe:

Le dernier Rapport Démographique de la Commission Européenne1 de 2010 a mis en lumière

les évolutions les plus récentes concernant la situation démographique de la population en Europe.

Les habitants de l’Union Européenne ont franchi le seuil des 500 millions d’individus en 2009 malgré

la diminution de la fécondité et le vieillissement progressif de la population. Dans cette introduction

on présentera les transformations démographiques les plus récentes en Europe, en décrivant tout

particulièrement les changements que l’Europe à 27 a subi en matière de fécondité, de mortalité et de

migrations. On conclura cette partie avec la description des évolutions de la famille en abordant la

question de l’augmentation du taux d’activité professionnelle des femmes.

1.1. La fécondité dans l’Europe à 27:

En 2009 on a enregistré une légère augmentation du taux de fécondité en Europe qui a atteint

le niveau de 1,60 enfants par femme en âge d’avoir des enfants. C’est la première fois depuis la

deuxième Guerre Mondiale que le taux de fécondité fait preuve d’un infléchissement positif dans sa

courbe d’évolution. En effet le taux de fécondité totale (TFT), qui mesure le rapport entre l’effectif

des naissances et l’effectif des femmes en âge de procréer2, a diminué dans tous les pays d’Europe de

manière constante entre les années 1980 et l’année 2000, cette diminution du nombre d’enfants par

femmes a atteint un niveau significativement au-dessous du seuil de remplacement qui est estimé à

2,1 enfants par femme, c'est-à-dire le taux qui permet de maintenir la taille de la population constante

en absence de migrations.

Le début du XXIème siècle a été caractérisé par un taux de fécondité extrêmement faible dans

des pays comme la Bulgarie, la République-Tchèque, la Grèce, l’Espagne, l’Italie, la Slovénie, et qui

s’est maintenu autour de 1,3 enfants par femme, seuil qui caractérise les régimes définis de lowest-

low fertility. En 2002 l’Europe à 27 a enregistré le nombre de naissances le plus faible depuis sa

création, c'est-à-dire moins de 5 millions d’enfants nés vivants, ces effectifs sont extrêmement peu

nombreux en les comparant aux naissances de 1964 quand l’Europe a enregistré le nombre de

naissances le plus élevé avec 7,7 millions d’enfants nés vivants.

Même s’il existe de profondes différences parmi les pays d’Europe et parmi les régions

géographiques, on a assisté à un phénomène convergent dans l’évolution de la descendance finale

1 European Commission, Demography Report 2010. 2 Le principal indicateur pour calculer la fécondité est le taux de fécondité totale, cet indicateur permet de mesurer le

nombre d’enfants que chaque femme a eu au cours de sa vie féconde en tenant en compte de l’âge à l’accouchement.

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avec une contraction du nombre de naissances par femme3. En 2009, parmi les pays d’Europe qui

font prévue d’avoir des taux de fécondité autour du taux de remplacement, on peut trouver les pays

de l’Europe du Nord (Danemark, Finlande, Suède), la France, la Grande-Bretagne et la Belgique.

L’Irlande est actuellement le pays d’Europe qui a le taux conjoncturel de fécondité le plus élevé avec

2,07 enfants par femme.

A l’autre bout du panorama européen on peut trouver l’Allemagne, la Hongrie, le Portugal et la

Lituanie qui enregistrent un taux de fécondité autour de 1,3 enfant par femme.

Tableau I : taux de fécondité en Europe

Source : Eurostat (on line data code : demo_find)4. IT et EU-27 valeurs de 2008, FR: France Métropolitaine

La légère progression du taux de fécondité observé en Europe est due en partie au processus de

rattrapage qui a suivi les décisions du report de la naissance du premier enfant. En effet,

3 Alain Monnier parle d’« un modèle européen de fécondité », « La fécondité en Europe : moins d’enfants et plus tard »

dans : Populations: l’état des connaissances, Paris, La Découverte 1996. 4 http://epp.eurostat.ec.europa.eu/tgm/table.do?tab=table&plugin=1&language=fr&pcode=tsdde220.

geo\time 1980 1990 2000 2005 2009

EU27 : : : 1,51 1.60

EU25 : : : 1,52 :

BE 1.68 1,62 1,67 1,76 1,84

BG 2.05 1,82 1,26 1,32 1,57

CZ 2.08 1,9 1,14 1,28 1,49

DK 1.55 1,67 1,77 1,8 1,84

DE : : 1,38 1,34 1,36

EE : 2,05 1,38 1,5 1,62

IE 3.21 2,11 1,89 1,86 2,07

GR 2.23 1,4 1,26 1,33 1,52

ES 2.20 1,36 1,23 1,35 1,4

FR 1.95 : 1,89 1,94 2

IT 1.64 1,33 1,26 1,32 1.42

CY : 2,41 1,64 1,42 1,51

LV : : : 1,31 1,31

LT 1.99 2,03 1,39 1,27 1,55

LU 1.50 1,6 1,76 1,63 1,59

HU 1.91 1,87 1,32 1,31 1,32

MT 1.99 2,04 1,7 1,38 1,44

NL 1.60 1,62 1,72 1,71 1,79

AT 1.65 1,46 1,36 1,41 1,39

PL : 2,06 1,35 1,24 1,4

PT 2.25 1,56 1,55 1,4 1,32

RO 2.43 1,83 1,31 1,32 1,38

SI : 1,46 1,26 1,26 1,53

SK 2.32 2,09 1,3 1,25 1,41

FI 1.63 1,78 1,73 1,8 1,86

SE 1.68 2,13 1,54 1,77 1,94

UK 1.90 1,83 1,64 1,78 1,94

IS : 2,3 2,08 2,05 2,23

LI : : 1,57 1,49 1,71

NO : 1,93 1,85 1,84 1,98

CH : 1,58 1,5 1,42 1,5

ME : : : 1,6 1,85

HR : : : 1,41 1,49

MK : : 1,88 1,46 1,52

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l’augmentation de l’âge moyen des femmes à la naissance du premier enfant a causé une diminution

du taux de descendance finale en raison de la baisse de la fécondité des femmes de moins de 30 ans.

Aujourd’hui nous sommes en train d’assister à un phénomène de rattrapage de la part de ces femmes,

et lorsque le phénomène de retard des maternités aura atteint la fin de son évolution on pourra disposer

d’un TFT plus précis. Eurostat, pour remédier à cette sous-estimation du TFT a conçu un TFT ajusté

qui permet de prendre en considération de l’effet tempo, c'est-à-dire le retard des naissances. Selon

cet indicateur ajusté l’Europe à 27 a un taux de fécondité totale de 1,72 enfant par femme, pourtant

des pays comme : l’Italie, l’Espagne, la Belgique, le Danemark et la Grèce ne montrent pas de

différences significatives entre le taux de fécondité et le taux de fécondité ajusté en démontrant que

dans ces pays le processus du retard des naissances est désormais en train d’atteindre son terme.

Bien que le taux de fécondité ajusté fasse espérer une future augmentation du taux de fécondité

en Europe, on s’aperçoit qu’on est encore loin de pouvoir garantir le remplacement de la population.

Le maintien d’un faible nombre de naissances conjoint à une augmentation de l’espérance de vie ne

fait qu’aggraver le phénomène du vieillissement de la population. L’Europe devra faire face dans les

cinquante prochaines années a une forte augmentation de la population âgée 65 ans et plus. Afin

d’éclairer ce phénomène on décrira les récentes évolutions concernant l’augmentation de l’espérance

de vie à la naissance, l’allongement de la vie moyenne et l’augmentation de la qualité de vie jusqu’à

des âges très avancés.

1.2. La mortalité:

Ces cinquante dernières années, l’espérance de vie à la naissance a augmenté d’environ dix ans

pour les femmes et pour les hommes. Deux facteurs principaux ont joué un rôle de première

importance dans la croissance de l’espérance de vie moyenne : l’amélioration des conditions de vie

et l’augmentation du niveau d’éducation de la population européenne.

Le nombre de décès total est fortement influencé par la structure de la population et notamment

par la taille des cohortes atteignant la fin de leur cycle de vie. Une manière efficace pour calculer les

évolutions de la mortalité est d’analyser l’espérance de vie à la naissance, c’est ainsi que le progrès

de la science et de la médecine, et le développement socio-économique ont permis d’augmenter

significativement et progressivement l’espérance de vie. En 2009 l’âge moyen à la naissance dans

l’Europe à 27 a atteint 76,4 ans pour les hommes et 82,4 ans pour les femmes. De ce point de vue,

l’Europe à 27 peut se vanter d’avoir atteint le meilleur résultat mondial. L’augmentation de

l’espérance de vie est due tout particulièrement à l’allongement de la vie aux derniers stades de celle-

ci. En effet, selon les estimations faites par l’Eurostat, dans la plupart des pays le déclin de la mortalité

a été dû à la diminution des décès dans la tranche d’âge 60-79 ans, ce qui explique plus de 50% de

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l’augmentation de l’espérance de vie pour les hommes et les femmes. Il est alors intéressant de savoir

que depuis la fin de la deuxième Guerre Mondiale on a assisté à un rapprochement progressif de

l’espérance de vie entre les pays d’Europe et entre hommes et femmes puisqu’il s’est vérifié un

processus de rattrapage de la part des pays les moins développés vers les niveaux des pays les plus

développés. Ceci démontre qu’encore des progrès peuvent être faits et notamment afin de réduire les

écarts concernant l’espérance de vie des différentes catégories sociales. De nos jours, non seulement

les individus vivent plus longtemps et l’espérance de vie est sensiblement augmentée, mais aussi

l’espérance de vivre une vieillesse en bonne santé.

De plus, dans l’Europe à 27 on a assisté à une progressive diminution de la mortalité infantile

qui a atteint le taux de 4,3‰5 en 2009 ; toutefois il existe encore de profondes différences parmi les

pays d’Europe, alors que la Roumanie détient le résultat le plus mauvais avec un taux de mortalité

infantile de 10,1‰, la Slovénie est le pays le plus performant avec un taux de seulement 2,4‰.

1.3. Les migrations:

Les phénomènes conjoints de baisse de la fécondité et de l’allongement de la vie peuvent

entrainer de profondes répercussions dans la croissance démographique d’Europe. Alors que les

naissances diminuent et l’espérance de vie augmente, on assiste à un nouveau phénomène en Europe :

l’arrivée massive de flux migratoires de la plupart des régions du monde. Actuellement les migrations

sont la source principale de la croissance démographique de la population européenne ; en 2007

l’Europe à 27 a enregistré le flux d’entrées le plus élevé depuis le début du XXIème siècle, en moyenne

entre 2004 et 2008 la population des pays membres de l’Union Européenne a augmentée de 1,7

millions d’individus, du fait seulement des migrations entrantes.

La population de migrants qui entre en Europe est sensiblement plus jeune que la population

déjà présente dans les pays membre de l’Union Européenne. Si l’âge médian de la population entière

des États membre est, en 2008, de 40,6 ans, l’âge médian de la population migrante est de 28,4 ans6.

En termes absolus, les pays qui ont accueilli le plus d’immigrés au cours de 2008, sont l’Espagne,

l’Allemagne et la Grande-Bretagne, ces pays sont les mêmes qui ont enregistrés les plus importants

flux de sorties. En revanche, c’est le Luxembourg qui a accueilli en termes relatifs le nombre le plus

élevé d’immigrants, avec un taux de 20,6 immigrés tous les 1000 habitats.

Pour résumer on peut affirmer que depuis les années 1990, les migrations sont la source

principale de la croissance de la population de l’Europe à 27.

5 Le taux de mortalité infantile est calculé en considérant le nombre d’enfants de moins d’un an morts dans une année

donnée, multiplié par mille. 6 L’âge médian est calculé par l’Eurostat sur la base de tranches d’âge quinquennales.

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1.4. Évolutions et changements dans la population de l’Europe à 27:

Ce qu’on a présenté est un panorama démographique complexe où des phénomènes différents

contribuent à l’évolution de la structure de la population des États membres de l’Union Européenne.

La population croît tout particulièrement en raison des migrations ; en effet, l’Europe à 27 a enregistré

en 2009 une augmentation de 1,4 millions d’habitants, dont un demi-million est dû au solde naturel

(calculé en soustrayant les décès aux naissances) et quasiment un million est dû au solde migratoire

(calculé en soustrayant les émigrations aux immigrations).

On estime que depuis la moitié des années 1980 les migrations nettes ont augmentées

exponentiellement, alors que le solde naturel pour la première fois a vu des coefficients négatifs dans

certains pays membres (Allemagne, Italie, Hongrie). Étant donné que le nombre de décès est destiné

à augmenter en coïncidence avec le vieillissement de la génération du « baby-boom » et en présumant

que la fécondité restera faible dans un futur proche, on ne peut pas exclure que le solde naturel pourrai

atteindre des valeurs très faibles, voire négatives.

C’est pourquoi en 2010 la structure de la population des États membres de l’Union Européenne

apparait plutôt âgée ; alors que la population de moins de 19 ans compte seulement 21,3% de la

population européenne entière, la population âgée de 20 à 64 ans, considérée comme la population en

condition de travailler, compte 61,3%, ainsi que la population de plus de 65 ans compte 17,4 %. Il

existe néanmoins de profondes différences parmi les pays : l’Allemagne détient le record de la

population la plus âgée d’Europe, avec un taux de 20,7% individus âgés de plus de 65 ans, suivie par

l’Italie (20,2%). La population la plus jeune, au contraire, habite en Irlande, en Slovaquie et à Chypre.

1.5. L’État des familles, la diversification des modèles :

On a décrit de profonds changements dans l’état de la population des États membres de l’Union

Européenne ; sans oublier les différences qui continuent à démurer entre les pays, on a mis en lumière

des processus convergents dans tous les pays, comme le maintien d’un faible taux de fécondité et

l’allongement de la vie. L’intérêt est alors de comprendre comment les familles ont fait face à ces

évolutions, tout en tenant en compte des diverses définitions données au concept de famille autour de

l’Europe, et notamment en prenant en considération de nouveaux phénomènes tels que les unions

libres et les familles monoparentales. D’ailleurs, on a assisté à une augmentation presque générale du

pourcentage des femmes travaillant dans des activités rémunérées, selon l’objectif du Traité de

Lisbonne on aurait dû atteindre le pourcentage de 60% en 20107.

7 Le Traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1 décembre 2009.

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Au niveau général, on assiste dans l’Europe à 27 à une décroissance du taux de nuptialité8 ;

depuis 1970 le nombre de mariages a diminué de 38%. Au contraire, on a assisté à une augmentation

progressive de l’instabilité conjugale, qui prend la forme d’une augmentation du nombre des

divorces : le taux de divortialité est ainsi passé de 0,9 ‰ en 1970 à 2,1‰ en 2007. Alors qu’il demeure

de profondes différences entre pays puisque l’Italie et l’Irlande maintiennent de très faibles taux de

divortialité, au contraire en Belgique et en République-Tchèque ce phénomène est de plus grande

ampleur ; partout en Europe le nombre de divorces a augmenté sensiblement depuis les vingt

dernières années.

Un autre phénomène qui prend de plus en plus place dans l’UE est la hausse des naissances

hors mariage, le pays de l’Europe du Nord enregistrent un nombre de naissances hors mariage

supérieur au nombre de naissances célébrées dans le mariage. Ceci indique des nouveaux modèles de

vie en famille, en partielle opposition avec le modèle traditionnel de famille où les enfants naissaient

seulement dans le cadre d’une union institutionnalisée. Même dans ce cas, il existe de profondes

différences entre pays et on peut noter une sorte de clivage entre les comportements reproductifs des

pays du Nord européen et les pays méditerranéens où la quantité d’enfants nés hors mariage reste

encore très faible (en Grèce le pourcentage est de 6,6% et à Chypre de 11,7%).

On assiste également, comme déjà souligné, au recul de l’âge à la maternité. Généralement ce

mouvement est associé à l’allongement de la durée des études et à la progression de l’emploi féminin.

Paradoxalement l’indice de fécondité est plus élevé dans les pays où les femmes exercent davantage

des activités rémunérées, il semble que la fécondité en Europe est plus haute dans les pays qui ont

fait une transition à un système de genre plus égalitaire et qui ont permis aux femmes d’entrer dans

le monde du travail avec des emplois flexibles et dans un milieu domestique faiblement lié à la

formation traditionnelle de la famille et au modèle traditionnel de soin des enfants. Dans ce cadre il

est de plus en plus nécessaire pour les familles d’avoir à disposition des services collectifs et de garde

pour les enfants en bas âge, ceci pour permettre aux femmes de rester en activité, et pour permettre

une répartition plus égalitaire des rôles dans les ménages, ainsi qu’aider les familles monoparentales

dans la prise en charge des enfants.

Pour résumer ces derniers paragraphes, on peut dire qu’à partir de la fin des années 1980, on

observe dans les pays développés de l’Europe un vieillissement progressif de la population, ceci est

le résultat de phénomènes différents tels que : l’allongement progressif de l’espérance de vie de la

population et la diminution du nombre d’enfants par femme qui a atteint, dans les dernières années,

8 Le taux de nuptialité est le rapport entre le nombre de mariages célébrés dans une année donnée et la population totale,

multiplié par mille.

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un niveau significativement au-dessous du seuil de remplacement des générations. Ces

transformations démographiques qui se sont développées à partir de la fin de la Seconde Guerre

Mondiale, ont été accompagnées par de profonds changements dans la vie familiale et dans l’activité

professionnelle.

2. Le rôle de l’Union Européenne :

Dans des années récentes on a assisté à un nouvel intérêt de la part des instances

communautaires envers les questions démographiques : entre 2005 et 2007, dans trois

communications différentes, la Commission Européenne a souligné les nouveaux défis

démographiques auxquels les pays Européens devront faire face.

La première communication « Face aux changements démographiques : une nouvelle solidarité

entre générations »9 met en lumière les tendances principales à l’origine du changement

démographique, en abordant les questions du progressif allongement de la vie moyenne, de

l’augmentation de la population de plus de soixante ans et de la persistance d’une faible natalité.

L’Union Européenne s’engage alors à élaborer des politiques qui puissent contribuer à anticiper

efficacement ces changements et elle encourage les Êtas membres à prendre des mesures ciblées à

développer des formes de solidarité entre les générations. Ces mesures doivent être caractérisées par

un soutien réciproque entre générations et par un transfert des compétences et d’expérience des plus

âgés vers les plus jeunes. De plus, les instances communautaires proposent une stratégie dite du

« cycle de vie » active, c’est-à dire une approche visant à favoriser un vieillissement actif tout en

augmentant la vie en emploi et en améliorant la qualité des conditions de vie au travail. Ceci au but

de faire émerger une nouvelle organisation du travail, plus flexible et permettant aux jeunes adultes

de disposer de plus de temps à dédier à leurs enfants, et pour pouvoir ainsi concilier la vie

professionnelle et la vie familiale. En outre, les État membres sont invités à favoriser l’assistance aux

personnes très âgées (80 et plus) tout particulièrement des femmes qui notamment vivent plus

longtemps des hommes et qui, dans la plupart des cas, disposent de pensions de retraite faibles en

raison de la plus courte vie au travail et des salaires moindres.

Pour faire face aux changements démographiques l’Union Européenne s’engage dans la

poursuite de trois objectifs prioritaires : retrouver la voie de la croissance démographique, garantir un

équilibre entre générations et inventer des nouvelles transitions entre les classes d’âge en modifiant

les frontières entre activité et inactivité.

9 Commission Européenne, Communication du 16.03.2005, Libro Verde: « Una nuova solidartietà tra le generazioni di

fronte ai cambiamenti demografici ». COM (2005) 94 definitivo.

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13

Dans une deuxième communication intitulée « l’Avenir démographique de l’Europe :

transformer un défi en opportunité »10 de 2006, l’Union Européenne souligne davantage la

problématique du vieillissement de la population et invite les États membres à élaborer des réponses

réponses constructives à ce défi démographique.

Alors que les États membres seront confrontés à la problématique de l’impact du vieillissement

sur le marché du travail et sur la productivité, ainsi que sur les systèmes de protection sociale et sur

les finances publiques, l’Union Européenne propose une stratégie pour remédier à ces dangers : elle

encourage les États membres à favoriser le renouveau démographique en permettant aux couples

d’avoir les enfants qui le désirent tout en créant des conditions favorables aux familles. En effet, les

sondages en Europe mettent en évidence que dans tous les pays les personnes désirent un plus grand

nombre d’enfants que celui réalisé. De plus, elle insiste sur la nécessité de valoriser le travail : en

permettant une vie active plus longue et de qualité ; en augmentant le taux d’activité féminine ; et en

favorisant la flexibilité de l’emploi.

On s’attend à pouvoir augmenter le taux d’emploi de travailleurs de plus de 55 ans et améliorer

la santé publique pour espérer un vieillissement en bonne santé.

En ce qui concerne la problématique de la baisse de la fécondité les États membres sont invités

à créer des conditions favorables pour équilibrer la tension entre activité professionnelle et vie

familiale, alors qu’ils sont aussi encouragés, à augmenter leur productivité et leur performance, et à

valoriser les ressources de l’immigration. Cette dernière servirait à combler les besoins du marché du

travail européen ; il sera alors nécessaire de favoriser une immigration légale et qualifiée. Enfin, la

Commission s’engage à veiller sur la viabilité des finances publiques des États pour garantir une

protection sociale adéquate et pour garantir une équité entre les générations. C’est pourquoi dans la

plupart des pays d’Europe s’imposent des efforts durables de consolidation budgétaire et des réformes

permettant de réduire les déséquilibres financiers des régimes de retraites.

En mai 2007, une troisième communication « Promouvoir la solidarité entre les générations »11

annonce un nouvel intérêt vers les politiques en soutien à la famille. Même si les politiques familiales

restent des compétences exclusives des États membres, l’Union s’engage à contribuer indirectement

à la modernisation de celles-ci afin de prendre en compte le vieillissement de la population et

l’évolution des modes des vies et la diversité des formes de familles.

10 Commission Européenne, Communication du 12.10.2006, « L’Avenir démographique en Europe : transformer un

défi en opportunité ». COM(2006) 571 final. Non publiée au journal officiel. 11 Commission Européenne, Communication du 10.05.2007, « Promouvoir la solidarité entre les générations ».

COM(2007) 244 final.

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Les trois domaines des politiques familiales dans lesquels les États membres, ainsi que

les partenaires sociaux et la société civile, sont invités à agir sont : la compensation des coûts

direct en indirects liés à la famille et aux enfants, le développement de modes d’accueil pour

les enfants et des services pour les personnes âgés dépendantes, et enfin l’aménagement de

mesures favorisant des formes plus flexibles d’organisation du travail, en termes d’horaires de

travail et de congés afin de concilier la vie la vie familiale et l’activité professionnelle.

Il existe de profondes différences dans les dépenses publiques que les pays utilisent en

direction des familles, puisque certains pays membres dépensent jusqu’à 3,9% du PIB en

prestations familiales et en services de garde d’enfants, ainsi que d’autres, en utilisent seulement

0,7%. Les pays les moins performants se trouvent notamment au Sud de l’Europe alors que les

plus performants se trouvent au Nord.

L’Union Européenne encourage ainsi les États membres à aider les couples à réaliser leurs

projets familiaux, tout en favorisant l’égalité entre hommes et femmes. En effet, les enquêtes

menées par l’Eurostat ainsi que les enquêtes de l’Eurobaromètre12 mettent en lumière un net

décalage entre les souhaits des européens sur le nombre d’enfants désiré, et le nombre d’enfants

effectif ; c’est pour remédier à ces écarts que les États membres doivent promouvoir l’égalité

des chances et améliorer la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle en

permettant la participation des femmes à l’emploi. Ces types d’actions sont inscrits dans le

cadre de la stratégie de Lisbonne qui promeut aussi la lutte contre la pauvreté.

Toujours, dans le cadre du regain d’intérêt des politiques familiales et des problématiques

démographiques, la Conseil Européen a encouragé la création de l’ « Alliance européenne des

familles », sorte d’observatoire et lieu d’échange et de connaissances sur les politiques

familiales et sur les bonnes pratiques des États membres. Ainsi faisant, la Commission veut

stimuler une nouvelle coopération entre pays et partenariats sociaux pour favoriser une

meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée. A ce but il a été prévu : un groupe

à hauts niveau d’experts gouvernementaux sur les questions démographiques ; des forums et

des réseaux européens, nationaux, régionaux et locaux ; un observatoire des bonnes pratiques ;

et des dispositifs de recherche.

A la lumière des dernières évolutions démographique et de la nouvelle importance donnée

au développement des politiques familiales on s’est intéressé à analyser la situation en matière

de natalité et d’aides publiques dans deux pays en particulier : la France et l’Italie. Ceci dans le

12 Eurobaromètre n° 273 « European Social Reality ».

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15

but de montrer comment les pays membre de l’Union Européenne peuvent apprendre l’un de l’autre

les pratiques les plus vertueuses pour faire face au défi démographique. En effet, l’intérêt de la

comparaison de deux pays est de permettre une analyse approfondie et donc de saisir les différences

entre pays ou, au contraire, les phénomènes convergents. De plus, la comparaison permettra de mettre

en lumière les bonnes pratiques des pays et d’enrichir le débat autour des questions démographiques.

Dans cette introduction on veut présenter les traits principaux des deux pays concernant le taux

d’emploi féminin, le taux de fécondité et finalement aborder la question de la politique familiale et

du soutien de la part de l’État à la famille.

3. Le sujet d’analyse : France et Italie.

L’intérêt d’analyser la France et l’Italie réside essentiellement dans le fait que ces pays se

trouvent dans les deux extrêmes du comportement reproductif en Europe. Mon étude consistera à

mettre en lumière les différences et les similarités dans ces deux pays en tenant en considération les

taux de fécondité et les politiques familiales mises en place par les deux États.

Il est évident que la différence principale entre France et Italie concerne notamment le taux de

fécondité : si la France peut se vanter d’un indicateur de fécondité qui a atteint 2,0013 enfants par

femme en 201014 ; l’Italie n’a vu que récemment augmenter son taux de fécondité, en atteignant 1,42

enfants par femme en 200915.

En outre, France et Italie se distinguent pour l’importance donnée à l’institution du mariage et

au rôle de la femme dans le couple. En France, alors que depuis trente ans, on enregistre une baisse

constante des mariages célébrés, le nombre de divorces continue à augmenter, et la conséquence

directe s’exprime dans une augmentation du nombre des familles monoparentales. De plus, la plupart

des enfants naissent actuellement hors du mariage, et comme dans la majorité des pays développés,

le phénomène du report des naissances a poussé les femmes à retarder la naissance du premier enfant.

Ceci est dû à l’allongement de la durée des études et par conséquent au retard dans l’entrée dans le

marché du travail et dans la stabilité financière.

En Italie la situation semble différente, puisque le mariage reste l’institution au sein de laquelle

les couples choisissent d’avoir des enfants. Le nombre de mariages célébrés demeure très élevé et le

taux des divorces continue à être faible par rapport à la moyenne européenne et tout particulièrement

13 Cette donnée fait référence à la France métropolitaine. 14 G. Pison, Deux enfants par femme dans la France de 2010: la fécondité serait-elle insensible à la crise économique?,

Population & Société, n°476, mars 2011. 15 European Commission, Demography Report 2010.

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par rapport à la France. Selon les chiffres de l’Insee en 2008 on compte 2,1 divorces pour 1000

habitants en France, contre seulement 0,9 en Italie.

Toutefois, en Italie comme en France, le phénomène du retard de naissance semble être

diffus puisque l’âge moyen des femmes à la première naissance est autour de 29 ans, si ce n’est

plus. Les différences entre les deux pays sont soulignées davantage si on regarde la division

tâches domestiques dans les ménages et le taux d’activité professionnelle des femmes : en

taux d’emploi féminin est nettement supérieur à celui de l’Italie, puisqu’en France 65% des

travaillent, alors qu’en Italie seulement 49,5%1617. De plus, la division des rôles au sein du foyer

familial semble beaucoup plus égalitaire en France où les deux membres du couple travaillent.

En Italie, en manque d’un contexte familiale et culturel qui favorise la conciliation entre

activité professionnelle et vie privée, la femme semble être induite à contraindre sa participation

au marché du travail18 ; toutefois, on assiste aussi à la persistance d’une faible fécondité. On

constate ainsi qu’il est beaucoup plus difficile de devenir parents en Italie qu’en France à cause

de l’absence d’un soutien institutionnel aux familles et notamment de la part de l’État.

En coïncidence avec un taux de chômage des jeunes élevé et de la présence d’emplois

précaires et atypiques surtout pour les femmes, les jeunes adultes italiens sont amenés à rester

dans la résidence parentale jusqu’à des âgés avancés. Au contraire, en France les jeunes sortent

beaucoup plus précocement du foyer familial et la division des rôles semble être moins

marquée. Il existe, d’ailleurs une politique familiale attentive aux nécessités des familles et des

jeunes couples, et les femmes françaises ont été mises dans la condition d’avoir davantage

d’enfants. Il est alors intéressant de comprendre quel type de système social a permis en France

de maintenir un indice de fécondité élevé , et au contraire quel type de système a fait que l’Italie

atteigne des niveaux de fécondité très faible et au-dessous du taux de remplacement

générationnel. L’Italie au début du XXIème siècle, faisait partie des pays à lowest-low fertility,

c'est-à-dire des pays avec un taux de fécondité au-dessous de 1,3 enfants par femme.

Ceci dit, il faut souligner que selon la classification faite par Esping-Anderson19 des

régimes d’État-providence, France et Italie appartiennent tous deux au groupe des régimes de

type conservateur. Cet auteur, qui est un des représentants majeurs de l’approche des ressources

16 European Commission, Demography Report 2010. Les femmes prises en considération ont un âge compris entre 20 ans

et 64 ans. 17 En 2005 le taux d’occupation, selon R. Rinaldi et M.C. Romano, était en France de 57,6% alors qu’en Italie était de

45,3% dans Conciliare lavoro e famiglia, una sfida quotidiana, Istituto Nazionale di Statistica, Argomenti n°33-2008,

sous la direction de R. Rinaldi et M.C. Romano. 18 Selon R. Rinaldi et M.C. Romano, les italiennes enregistrent la plus forte asymétrie dans les deux components du travail

total (rémunéré et domestique) puisque le 74% de leur temps total est dédié à la famille, dans Conciliare lavoro e famiglia,

una sfida quotidiana, Istituto Nazionale di Statistica, Argomenti n°33-2008, p.23. 19 Gᴓsta Esping-Andersen, Les Trois Mondes de l’Etats-providence, essai sur le capitalisme moderne, Le Lien Social,

Presse Universitaire de France, 2008.

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17

de pouvoir20 (power resources analysis) mesure l’impact des politiques sociales dans les États-

providence grâce aux concepts de citoyenneté sociale et de stratification sociale. L’État-providence

providence de type conservateur est caractérisé par une tradition étatique, par une forte puissance de

puissance de l’Église et par une division des catégories sociales sur la base de l’appartenance

professionnelle. Ce type de régime tend à préserver les différences de statut.

Puisque dans le cadre de mon analyse cette répartition semble peu adéquate à mes interrogations

de recherche, je me référerai à d’autres types de classifications qui ont donné plus d’importance soit

au rôle joué par la solidarité, soit à la dimension de genre. De plus, il existe des théories qui prennent

en considération le régime de welfare state méditerranéen comme un régime en soi. Ces régimes

(auxquels appartiennent l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce) selon nombreux auteurs se

caractérisent par une action de type résiduelle, voire rudimentaire, et ils basent leurs politiques sur le

principe de la « subsidiarité ». Ces approches soulignent le rôle joué par l’Église dans la création des

politiques familiales qui a encouragé un modèle basé sur la responsabilité des petits groupes voire de

l’individu sur le bien-être autrui. De plus, ces régimes sont caractérisés par d’importants transferts

monétaires concernant les retraites, un système national de santé et un faible rôle de l’État et des ses

institutions dans la société. Malgré de nombreuses critiques, cette typologie de classification est de

plus en plus répandue au niveau académique. J’aurai le temps de revenir sur ce point au cours du

premier chapitre, ceci au but de mieux éclairer les différences qui existent entre France et Italie en

matière de politiques familiales. Pour cela, je proposerai une analyse des régimes d’États-providence

attentive aux relations et aux rapports de dépendances entre membres de la famille. Selon la place

donnée à la famille dans les politiques familiales il y aura des façons différentes de concevoir les

actions menées par l’État.

4. Présentation des chapitres et de la structure du mémoire :

Pour conclure l’introduction, on veut exposer la structure du mémoire et donc présenter

brièvement les chapitres qui suivront. Le mémoire présente une structure en quatre chapitres, les

premiers chapitres ont pour objectif d’éclairer les sujets d’analyse et les données sur lesquelles mon

étude porte, il s’en suit une partie centrale de méthodologie et d’analyse des données, enfin la dernière

partie est dédiée à la description des résultats obtenus et aux conclusions. Dans le premier chapitre je

présenterai les avantages de la méthode comparative, puis j’éclairerai les politiques sociales et

20 Cette approche se focalise sur l’analyse du welfare sur la base de la distribution des ressources politiques entre les

classes sociales et les groupes d’intérêt. Les différents régimes se sont développés grâce à la capacité des différents acteurs

politiques (classe ouvrière, groupes d’intérêt, partis) à concevoir et dominer la scène politique afin de répondre aux

demandes de la société.

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familiales de France et Italie dans le but de présenter le background dans lequel les individus,

et plus précisément les couples, prennent leurs décisions reproductives, je ferai particulière

attention à l’étude de l’évolution historique des politiques et aux réformes induites par les

instances communautaires. Dans le deuxième chapitre, je présenterai mes hypothèses de

recherche, donc je commenterai les différences entre France et Italie en matière de

comportement reproductif ainsi que les données sur lesquelles je ferai mon analyse. L’enquête

Gender and Generation Survey m’a permis de mettre en place un travail d’analyse statistique

et les entretiens faits dans le cadre du projet REPRO m’ont permis de compléter mon analyse

avec une approche de type qualitatif. Dans le troisième chapitre suivra une partie

méthodologique et d’analyse puisque j’étudierai les données quantitatives et qualitatives, donc

je poursuivrai avec une analyse de type statistique qui consistera dans des analyses factorielles

et des régressions, puis j’étudierai les entretiens et leur contenu. Le quatrième chapitre décrira

les résultats de mon étude, j’essayerai de croiser les résultats obtenus grâces aux méthodes

qualitatives et quantitatives afin d’en mettre en lumière les convergences et les divergences.

Enfin, je conclurai en mettant en perspective les résultats avec le background où les couples

agissent, ceci me permettra de faire émerger les avantages et les désavantages des politiques

familiales de France et d’Italie. De plus, je discuterai des éventuelles conséquences du maintien

d’une faible fécondité, notamment en matière de financement des retraites et de conflits

intergénérationnels.

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19

Chapitre 1 :

Les politiques familiales française et italienne: Comprendre le background dans

lequel les individus agissent.

1. Les systèmes de protection sociale et le problème de la comparaison :

Ce chapitre a pour ambition d’éclairer les régimes de protection sociale français et italien, les

différents objectifs qui sont à la base des politiques sociales ainsi que la population ciblée par ces

mesures. Il nous semble pour cela nécessaire de présenter le cadre théorique et les principes

méthodologiques dans lequel on inscrit l’analyse des politiques familiales. Il est évident que la

comparaison internationale pose toujours des problèmes au niveau méthodologique puisqu’à une

même définition ne correspond pas toujours un même concept ou une même institution, et qu’au

contraire l’histoire et les évènements politiques façonnent de manière différente les États et leurs

développements. De ce point de vue, l’analyse des systèmes de protection sociale est un domaine

extrêmement riche pour une discussion sur la méthode comparative. En ce qui concerne la

comparaison entre France et Italie on fera appel à l’approche « centré aux cas » (Case-Centered

approach), qui consiste à examiner un nombre limité de pays en recourant à l’analyse de nombreuses

variables. De plus, on fera particulièrement attention à inscrire notre analyse dans son cadre

historique, tout en essayant de cerner la complexité des événements. Cette approche n’a pas la

prétention de donner lieu à des explications générales mais elle se limite à comprendre l’unicité et la

spécificité des conditions qui ont rendu possible le développement de ces deux pays. On s’intéresse

donc à analyser les similarités dans des contextes différents ou les diversités dans des contextes

similaires. C’est pourquoi l’adjectif comparatif fait référence à une multiplicité d’unités d’analyse

(deux pays appartenant à la même aire géographique dans notre cas) sur lesquels se base la recherche

dans toutes ses phases et certainement dans la formulation des hypothèses et des questionnements qui

guideront notre recherche.

Depuis longtemps, la recherche comparée sur les systèmes de protection sociale a été divisée

selon les principes adoptés dans l’analyse : certains chercheurs ont privilégié l’étude des

monographies historiques, d’autres, une approche de type statistique fondée sur l’analyse de très

nombreux cas. Plus récemment, du fait des difficultés rencontrées par les États-providence à faire

face aux exigences de la population, et grâce à l’émergence de nouvelles sources de données, une

attention nouvelle a été donnée aux recherches sur les systèmes de protection sociale, qui se sont

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efforcées de construire des classifications et des comparaisons concernant les différents régimes de

welfare.

Les chercheurs ont alors privilégié les études de cas afin de comprendre davantage les États-

providence et de pouvoir ainsi évaluer leurs possibles changements et transformations de. Parmi les

typologies les plus célèbres ont peut noter l’analyse proposée par Esping-Andersen dans les années

1990. Cet auteur, comme on l’a déjà évoqué dans l’introduction, a privilégié une analyse basée sur la

genèse des systèmes de protection sociale, sur l’étude de leurs fondements et sur les acteurs qui ont

participé à leur construction. Dans son ouvrage, Les trois mondes de l’État-providence, essai sur le

capitalisme moderne21, l’auteur analyse l’émergence des États-providence avec leurs conséquences

et leurs avantages sur le plan de la protection sociale des citoyens, ainsi que la stratification qu’ils

entraînent. Il étudie également, même si dans une moindre mesure, la place des femmes dans la

société.

Il est alors possible de repérer des régularités dans les systèmes de protection sociale qui

permettent la création de trois cas idéaux-typiques. D’abord, un État-providence de type libéral qui

se caractérise par une action limitée en direction des familles et par une faible concession d’aides et

de prestations ; son action vise les individus les plus faibles dans l’objectif de lutter contre la pauvreté,

mais elle risque en cela de stigmatiser ceux qui peuvent en bénéficier.

Ensuite, Esping-Andersen identifie un État-providence de type social-démocrate, caractérisé

par un niveau de protection sociale élevé, par une offre généreuse d’équipements et services sociaux,

et par l’accès aux droits sociaux sur une base universelle. Les objectifs de ce type de régime sont :

lutter contre les risques sociaux, garantir et promouvoir l’égalité, et redistribuer le revenu entre

citoyens. Enfin, il existe un régime d’État-providence de type « conservateur corporatiste »

comprenant les pays de matrice catholique de l’Europe continentale. Son action est caractérisée par

des mesures de protection adressées aux travailleurs, conçues sur la base d’assurances sociales. Dans

ce sens, ce modèle valorise l’emploi dans un objectif d’équité sociale tout en entrant en contradiction

avec l’existence des nombreux régimes d’assurance maladie et de retraite, qui créent des barrières

entre citoyens en fonction de leur appartenance à différentes catégories sociales et professionnelles.

Puisque ce sont les travailleurs qui bénéficient de la protection sociale, les femmes se trouvent dans

une position subalterne à l’homme, étant donné qu’elles bénéficient de ces mesures en raison de la

place de leur mari sur le marché du travail. Ce type d’action s’inscrit dans le principe de subsidiarité

profondément ancré dans la tradition catholique.

21 Gᴓsta Esping-Andersen, Les Trois Mondes de l’Etats-providence, essai sur le capitalisme moderne, Le Lien Social,

Presse Universitaire de France, 2008.

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21

L’intérêt de cette classification est d’avoir établit un lien entre régimes de protection sociale et

régimes d’activité et de travail, ainsi que d’avoir introduit la notion de « démarchandisation »,

décrivant la capacité du système de protection sociale de soustraire le citoyen travailleur aux logiques

de fonctionnement du marché.

Malgré la force de cette typologie, elle ne semble pas adaptée à notre étude puisque elle

considère la France et l’Italie comme faisant partie du même régime de protection sociale. Alors que

ces pays se caractérisent toux deux par des systèmes de retraite très hétérogènes et strictement liés

aux professions, ils ne sont pas comparables sur le plan du système de santé publique, puisque l’Italie,

à la différence de la France, est caractérisée par un accès sur base universelle. De plus, les relations

familiales et les rapports de dépendances sont significativement différents dans les deux pays.

En raison de la faible attention qu’elle accorde à la question du genre et aux relations familiales,

l’analyse d’Esping-Andersen a été fortement critiquée par le courant dit « féministe » de la sociologie,

qui s’intéresse davantage au rôle spécifique de la femme dans les différents États-providence. En

effet, son étude ignore le fait que les travailleurs peuvent être hommes ou bien femmes, et qu’il existe

un travail non rémunéré réalisé au sein du foyer. Pour répondre à ces questions et pour analyser le

difficile lien entre travail rémunéré et travail non rémunéré, un nouveau tournant a été pris, permettant

l’étude de la relation entre État et famille sous un nouvel angle.

La question est alors de comprendre le rôle de l’État et des institutions, et de saisir la manière

dont les relations hommes-femmes et la division sexuée du travail sont conceptualisées dans les

différents pays en les situant par rapport aux systèmes de protection sociale. L’intérêt de cette

problématique est de reconnaître la pluralité des systèmes de protection sociale à la lumière des

différents types de relations qui existent entre l’État et la famille, et d’ajouter la composante de genre

à des études qui ignoraient cet aspect. Les critiques féministes de la classification d’Esping-Andersen

concernent essentiellement les questions de l’accès aux droits sociaux et du travail non rémunéré au

sein de la famille.

D’après cette deuxième approche, les systèmes de protection sociale sont caractérisés par les

principes qui y gouvernent les relations de genre : selon la place que la femme a eu dans la

construction des États-providence, selon la manière dont les relations entre homme et femme sont

conceptualisées dans le système de protection sociale et selon la manière dont ces relations ont été

institutionnalisées, on peut parler de régimes différents et mettre en place de nouvelles classifications.

C’est ainsi que Jane Lewis a proposé en 1992 une classification où la femme est mise au centre de

l’analyse ; il s’agit de comprendre les relations hommes-femmes du point de vue de la force et de

l’enracinement de la division sexuée des rôles familiaux. Les différents États se caractérisent alors

par un soutien différent au modèle familial traditionnel, caractérisé par la figure de l’homme

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pourvoyeur de ressources (Monsieur Gagnepain, male breadwinner) et de la femme, son épouse,

pourvoyeuse de soins et de l’éducation des enfants ainsi que chargée du travail domestique. En raison

de la prégnance plus ou moins profonde du modèle de « soutien à la famille » (male breadwinner

regimes), les politiques familiales et les obligations familiales peuvent varier profondément selon les

pays. On trouve alors un modèle de soutien fort, modéré ou faible, qui permet d’apprécier : la manière

dont les femmes sont traitées dans le système de protection sociale et dans le système d’imposition ;

le niveau de développement des équipements publics et notamment les prestations sociales investies

pour la garde des enfants ; et enfin l’engagement des femmes sur le marché du travail rémunéré.

Partant de ces critères, cette approche essaie de comprendre comment les obligations sont prescrites

au sein de la famille et comment celles-ci ont été encadrées dans un système de normes et de droits.

Pour apprécier les modalités d’accès aux droits sociaux des femmes, on considère la manière dont

celles-ci ont été qualifiées dans les régimes de protection sociale : dans les pays où le soutien masculin

à la famille est fort, comme en Allemagne22, la femme se trouve dans une position de dépendance

puisque ses droits dérivent de sa position d’épouse. La France, selon cette typologie, appartient au

modèle modéré, car la femme a su promouvoir son rôle en tant que épouse, travailleuse et mère. Enfin

les pays de l’Europe du Nord sont considérés comme des modèles de faible « soutien à la famille »

puisque la femme est qualifiée économiquement et socialement en tant que travailleuse avant que

l’être en tant que mère.

Pour compléter cette tentative de classification, je voudrais revenir sur la question de la

spécificité des systèmes de protection sociale de l’Europe du Sud. Maurizio Ferrera a proposé en 1996

de repérer des traits communs aux régimes de protection sociale en vigueur en Italie, en Grèce, en

Espagne et au Portugal. Tout d’abord, on constate que dans ce type de régime la famille joue un rôle

central dans le domaine du social. Toutefois une politique familiale, considérée comme mesure

explicitement destinée aux familles, reste très peu développée. Pour cela, la solidarité entre membres

de la famille devient un instrument essentiel d’intégration des différentes sources de revenu et de lutte

contre l’exclusion et la pauvreté. De plus, la culture sociale de ces pays est imprégnée du solidarisme,

fortement influencé par l’Église, qui a des implications non négligeables en termes de différence entre

les sexes. Plus spécifiquement, Ferrera distingue sept traits principaux qui caractérisent ce type de

22 L’Italie ne fait pas partie de cette catégorie selon R. Trifiletti puisqu’« il semble que ce soit l’importance accordée

implicitement à l’économie familiale qui explique l’absence de soutien aux femmes mariées et aux mères, voire aux

enfants » (J. Lewis, Rencontres et Recherches 1999). Saraceno C. affirme que le modèle du male breadwinner a pu se

développer en Italie seulement entre les années 1950 et les années 1970 et en coïncidence avec la période d’expansion

économique. En raison du manque structurel de travail en Italie, et notamment dans les régions du Sud, le modèle de

l’homme pourvoyeur de ressources n’a jamais pu atteindre sa forme « originale et orthodoxe », puisque la femme a

toujours travaillé, et en particulier dans l’économie informelle. Cela n’a pas empêché pourtant une profonde asymétrie de

rôles entre l’homme et femme.

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23

système de protection sociale : d’importants transferts monétaires qui polarisent le système du

maintien du revenu entre ceux qui sont à l’intérieur et ceux qui en sont à l’extérieur (travailleurs dans

le marché institutionnalisé vs travailleurs dans le marché irrégulier) ; une distribution déséquilibrée

des risques sociaux classiques qui s’explique par une surprotection du risque vieillesse, un sous-

développement des prestations familiales et des services aux familles, et par conséquent, un

déséquilibre démographique dans le système de protection sociale, qui peut entraîner des profonds

problèmes par rapport à la performance des systèmes de protection et à leur stabilité. Le troisième

trait concerne le système de santé qui est (au moins en principe) universel ; le quatrième concerne le

faible degré de pénétration de l’État dans la sphère de la protection sociale et, au contraire, la collision

entre institutions différentes du secteur publique et privé censés distribuer les services, tout

particulièrement dans le domaine de la santé et des services sociaux. De plus, les systèmes

méditerranéens sont caractérisés par un faible pouvoir de l’État dans la gestion des institutions de la

protection sociale et par la fragilité des institutions publiques face aux particularismes et aux pressions

partisanes, caractéristiques définies comme « particularisme institutionnel ». Enfin, ces systèmes se

distinguent par la faible efficacité des services sociaux et par une répartition très inégale des charges

financières selon les groupes professionnels à cause de la persistance d’une très vaste économie

informelle.

Si ces caractéristiques semblent définir un modèle de protection sociale en négatif, il est

cependant vrai qu’il existe une certaine similarité dans la conception normative de la protection

sociale, du fait de l’accent mis sur la famille, d’un système de compensation de revenu de type

professionnel et d’un service de santé universel. Ces traits distinguent ces pays du modèle

bismarckien pur (complètement professionnel et corporatiste) et du modèle de Beveridge

(complètement universel). A la lumière de ceci on pourrait croire à l’existence d’un modèle

proprement méditerranéen de protection sociale ; pourtant, dans le cadre de mon analyse, je me

limiterai à souligner l’importance du rôle de la famille dans ce type de régime et celle des solidarités

et des dépendances.

Malgré les problèmes de classification, on a présenté les principales typologies qui ont été

discutées au cours des deux dernières décennies dans le milieu académique. On constate d’ailleurs

qu’il est fondamentale de comprendre la place de la famille et des rapports familiaux, du travail

rémunéré et non rémunéré afin de saisir les dernières évolutions du Welfare State. Ce que nous

intéresse, loin d’affirmer la validité univoque d’une classification plutôt qu’un autre, est d’éclairer les

politiques familiales de France et Italie de manière à pouvoir tenir compte de l’apparition de nouvelles

formes familiales et conjugales.

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2. La France : des aides à la famille importantes et des objectifs changeant dans

le temps.

En France, la famille a traditionnellement occupé une place de première importance dans

la création de mesures sociales et de politiques publiques. La politique familiale française s’est

construite, à ses débuts, autour du concept de familialisme, et dans un objectif nataliste

revendiqué. Au fil du temps et en raison de profonds changements ayant lieu dans la famille, la

politique familiale française a dû s’adapter aux nouvelles exigences de la société ; elle a ainsi

dû s’éloigner d’un modèle familial qui prévoyait une division fortement asymétrique des rôles

dans la famille, et au contraire, a dû favoriser un partage des tâches au sein du couple en

encourageant l’égalité entre sexes et l’entrée des femmes sur le marché du travail rémunéré.

Malgré que la politique familiale française n’a jamais explicitement remis en cause le

paradigme familialiste et ses objectifs natalistes, elle a su prendre en charge les nouvelles

situations familiales et la diversification croissante des formes de vie en couple, tout en mettant

en place de mesures directes afin de compenser les coûts liés aux enfants et en soutien de la

parentalité, ceci dans l’objectif de maintenir la cohésion sociale et de lutter contre pauvreté.

2.1. L’évolution de la politique familiale : d’un objectif explicitement nataliste au problème du

chômage et de la conciliation entre les temps de vie.

La politique familiale française, telle que nous concevons à nos jours, a été créée pour la

première fois en 1939 avec l’institution du Code de la famille (de Montalembert M. 2004).

C’est ainsi que dans un décret-loi les « allocations familiales » ont été institutionnalisées en

même temps qu’une prime pour les mères au foyer, afin d’encourager les femmes à veiller

auprès de leurs enfants. La politique française se caractérise dans ces années par des objectifs

explicitement natalistes, puisque la France avait connue une transition démographique précoce

et que les autorités publiques étaient préoccupées par la baisse de la fécondité. Les premières

mesures prises par le gouvernement visaient le redressement des courbes de fécondité et le

maintient d’une division des rôles dans la famille, ceci est le cas de l’allocation « salaire

unique » de 1941, qui était versée à tous les ménages ne percevant qu’un seul salaire

(notamment celui de l’homme). Dans la même période les associations familiales

s’institutionnalisent et deviennent les organismes représentant et défendant les intérêts des

familles : les arguments adoptés sont une reprise de la fécondité et la volonté, d’inspiration

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25

familialiste, de défendre les principes éthiques de la famille en supportant un modèle male

breadwinner et traditionnel de la famille.

La famille est conçue comme la « cellule de base de la société » (Damon J. 2006) et l’Etat est

appelé à intervenir dans la société afin de préserver cette institution qui devient l’organisme au cœur

des actions de la Sécurité Sociale. A cette époque, les allocations occupent une place très importante

dans les revenus des ménages ; la logique est celle des transferts monétaires versés directement aux

familles, au point qu’au début des années 1950 « la moitié du revenu d’une famille ouvrière de trois

enfants est constituée de prestations familiales »23. En 1945, le quotient familial est institué dans le

cadre de l’impôt sur le revenu afin de prendre en compte la taille et la configuration de la famille et

donc pour privilégier les couples avec enfants. Selon le même objectif, la non-imposition des

prestations familiale est garantie et quatre nouvelles prestations sont instituées en 1946, qui

représentent 40% des dépenses de la Sécurité Sociale : les allocations familiales versées à partir du

deuxième enfant à charge ; l’allocation salaire unique ; l’allocation parentale et l’allocation de

maternité. Ces prestations couvrent une large partie de la population puisqu’elles ne sont pas soumises

à des conditions de ressources. Sont ensuite créées : les allocations logement (1948), l’allocation mère

au foyer (1955, équivalent de l’allocation de salaire unique pour les non-salariés) et l’allocation

d’éducation spécialisée, pour compenser les coûts d’un enfant handicapé ou infirme. L’objectif de

ces mesures est de réaliser une redistribution de type horizontale (en privilégiant notamment les

couples avec enfants au détriment des couples sans enfants), et son orientation reste de type nataliste.

A partir de les années 1970 et en coïncidence avec de la montée en charge de l’assurance

vieillesse, les montants financiers des prestations seront limitées, voire bloquées par la création de

politiques ciblées : certaines catégories considérées comme prioritaires (mères isolées, veuves, mères

d’enfants handicapés) deviennent la cible de ces politiques, en contredisant en partie le principe

universaliste des prestations sociales, puisque de nombreuses prestation sont ainsi soumises à des

conditions de ressources. Tel est le cas de: l’allocation orphelin (1970), de l’allocation aux mineurs

handicapés et de l’allocation aux adultes handicapés. Bien que les allocations salaire unique et mère

au foyer aient été créées en suivant un principe universaliste, elles deviennent au cours du temps

également soumises à des conditions de ressources.

En 1972, pour la première fois, et dans la volonté de faire face aux nouvelles situations

familiales une allocation pour frais de garde est instituée, ainsi que le prêt aux jeunes ménages et

l’assurance vieillesse pour les mères de famille. Les années 1970 marquent un profond changement

dans la politique familiale française : les objectifs se spécifient alors que certaines populations

deviennent prioritaires. Elle doit prendre en charge des nouveaux phénomènes afin de lutter contre

23 J. Damon, Les politiques familiales, Que sais-je, Presse Universitaire de France, 2006, p.17.

Page 26: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

les inégalités. La nouvelle stratégie vise à réduire les inégalités verticales provenant des

différences de revenu, et plus seulement à limiter les inégalités horizontales dérivant des

différentes charges familiales. Alors que certaines allocations sont soumises à des conditions

de ressources, comme l’allocation de rentrée scolaire (1974), d’autres allocations sont élargies

et modifiées dans le but de garantir l’égalité ; c’est le cas de l’allocation orpheline et de

l’allocation éducation spécialisée qui réunit les allocations en direction des handicapés (AES,

1975). Enfin des nouvelles allocations sont instituées, tels que l’aide personnalisée au logement

(APL, 1977) et l’allocation parent isolé (API, 1976). Il ne s’agit plus seulement de compenser

les charges de famille, mais de lutter contre des phénomènes jusqu’à-là ignorés par la politique

familiale, comme la pauvreté et les inégalités. De plus, avec la crise et la montée du chômage,

le caractère socioprofessionnel du système de prestations bascule et à compter de janvier 1978,

les prestations sont intégralement généralisées et indépendantes de l’activité professionnelle et

du salaire. La famille perd ainsi son rôle charnière, et le travailleur avec sa famille voit son

importance diminuer et celle des enfants croître, quelque soit la condition des parents. La

spécialisation et le ciblage de ces dernières mesures se mêle à la nécessité de rationaliser les

choix budgétaires et les dépenses publiques. Les objectifs proprement natalistes s’adoucissent,

même si ne disparaissent pas, étant donnée l’augmentation des prestations pour les familles de

trois enfants et plus, et la création en 1978 du complément familial, qui va se substituer à

l’allocation salaire unique et à l’allocation mère au foyer, ainsi qu’à l’allocation de frais de

garde, tout en supprimant la condition d’activité professionnelle exigée auparavant.

Avec l’arrivée au gouvernement socialiste en 1981, avec François Mitterrand à la

présidence, les prestations familiales sont fortement revalorisées dans l’objectif de relancer

l’économie par une relance de la consommation. C’est pourquoi les allocations familiales sont

augmentées de 25% et les allocations logement de 50% ; ces mesures s’accompagnent par une

volonté accrue de réduire les inégalités, puisque les bénéfices du quotient familial sont

plafonnés et les efforts en faveur des familles nombreuses réduits. De plus, elles

s’accompagnent d’une volonté de réaliser des économies et de systématiser les allocations : « la

politique familiale du social devient ainsi une politique sociale de la famille » (Damon J. 2006),

avec l’ambition déclarée d’aider les familles défavorisées plutôt que de soutenir un modèle

familial. En effet, les années 1970 et 1980 marquent une période de profonds changements dans

la vie en couple et dans les rapports hommes-femmes, en raison notamment de l’augmentation

de l’activité féminine, de l’augmentation du taux de divorces, et de la fragilisation de la vie en

couple. C’est dans ces années que l’avortement a été légalisé (1975) et que les femmes ont

revendiqué une nouvelle place dans la société et une nouvelle autonomie en raison de leur entrée

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27

massive sur le marché du travail. Pour cela, les mesures prises en faveur de la famille reflètent la

volonté de s’adapter aux nouvelles aspirations et aux nouveaux comportements des individus, et

notamment en ce qui concerne l’activité des femmes. Ce tournant illustre la nécessité pour les

politiques publiques de savoir faire face à la montée de l’individualisme en recourant à la notion de

parentalité et en soulignant davantage l’importance du lien parent-enfant et de la filiation comme

cible de l’action publique.

C’est pourquoi, au cours de eux dernières décennies, la politique familiale française a subi des

profondes modifications, qui ont suivi trois axes principaux : une attention accrue à la petite enfance ;

une volonté de comprendre les évolutions familiales marquées par les transformations de la

parentalité et par le besoin de concilier activité professionnelle et vie familiale ; une tendance

renforcée à respecter des contraintes budgétaires. Alors que les femmes sont de plus en plus

nombreuses dans les emplois rémunérés, et notamment dans le secteur du tertiaire et de

l’enseignement, des prestations qui accompagnent l’enfant dès sa naissance ont été créées, en

particulier des mesures finançant sa garde et le développement d’équipements d’accueil. A partir de

1976, la CAF (Caisse Nationale d’Allocations Familiales) commence à subventionner la création de

crèches ainsi que des allocations finançant la garde des enfants telles que l’allocation parentale

d’éducation (APE, 1985), qui permet aux parents de se consacrer à l’éducation des enfants en

s’arrêtant de travailler à la naissance du troisième enfant et pour une durée de 36 mois, et l’allocation

pour la garde d’enfant à domicile (AGED, 1986). Ces mesures se trouvent au carrefour entre politique

familiale et politique de l’emploi, la première a contribué à faire décroître le chômage puisqu’elle

permettait aux femmes de se retirer du marché du travail (Piketty T. 2005)24, et la deuxième a favorisé

la déclaration des emplois de service de garde en luttant notamment contre le travail au noir. Ces

mesures sont étendues avec la création en 1990 de l’aide aux familles pour l’emploi assistante

maternelle (AFEAMA), et de l’extension en 1994 du bénéfice de l’APE au deuxième enfant, et

l’augmentation du montant consacré à l’AGED. Le principe qui est alors affiché est celui du « libre

choix », c’est-à-dire de laisser la possibilité aux parents de décider du mode de garde préféré, soit en

profitant d’un long congé parental, soit en faisant appel à l’aide d’une assistante, soit encore en

recourant à un mode de garde collectif. Pour limiter l’éparpillement de toutes ces mesures, il a été

institué en 2004 la Prestation d’accueil du jeune enfant (PEJA), qui favorise le libre choix des parents

et simplifie le cadre législatif ; cette allocation prévoit une prime à la naissance (ou à l’adoption), un

complément libre choix d’activité (CLCA, qui remplace l’APE et est utilisable à partir de la première

24 Toutefois, cette mesure semble décourager les femmes peu qualifiées de rentrer sur le marché du travail dans un

deuxième moment. En outre, elle ne semble pas avoir atteint son objectif proprement nataliste puisqu’elle n’a pas fait

augmenter le nombre de naissances, mais elle a eu seulement un effet de calendrier et d’anticipation des naissances.

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naissance) et un complément de libre choix de garde (CMG) qui remplace les anciennes

AFEAMA et AGED.

A côté de toutes ces prestations directes, permettant de concilier vie privée et activité

professionnelle tout en limitant les coûts liés aux enfants, les autorités publiques françaises, à

partir des années 1980, se sont engagées dans l’augmentation des places ouvertes dans les

équipements collectifs de garde enfants. La Caisse d’Allocations Familiales (CAF) a ainsi

encouragé les collectivités locales à la construction ou l’augmentation du nombre des places en

crèches. Dans ce but, en 2000 et en 2001, le Ministère de la Famille, pour répondre à une

demande croissante de garde d’enfant, a alloué 228 millions d’euros au financement des

équipements publics. Le choix de financer ces services vise à répondre aux principes d’égalité

de chances et d’universalité des droits de l’enfant. Dans ce domaine l’État est fortement légitimé

dans son action puisque les citoyens français croient que c’est son devoir de s’occuper des

enfants à partir des bas âges dans l’objectif ultime de garantir une éducation précoce et

universelle. Les autorités publiques ont aussi invité les entreprises à participer à la création

d’équipements collectifs de garde enfant en offrant des financements publics (jusqu’à 80%)

pour la constitution de crèches d’entreprise.

Bien que toutes ces mesures visent clairement la petite enfance, les jeunes adultes aussi

ont été pris en compte par des nouvelles prestations. En effet, le départ toujours plus tardif des

jeunes du domicile parentale et les dépenses croissantes en faveur de l’éducation ont poussé les

autorités publiques à élever en 1999 au vingtième anniversaire, l’âge limite jusqu’auquel les

familles peuvent recevoir les allocations familiales. Comme on a pu le voir, aujourd’hui c’est

la petite enfance et l’adolescence, et non plus la famille, qui constituent la cible des politiques

familiales. Toutefois, à côté de ce changement d’objectif, d’autres principes ont favorisé le

développement de la politique familiale, tels que la conciliation entre vie familiale et activité

professionnelle et la responsabilisation des parents face aux besoins des enfants. La notion de

parentalité est née en réponse aux bouleversements que la famille a subis, ainsi que pour

désigner le fait d’être parent quelque soit le type d’union, et malgré les divorces ou les

séparations. Les évolutions qu’a connues la famille ont obligé les autorités publiques à faire

face à la nécessité non seulement de compenser les coûts liés aux enfants, mais aussi de

permettre aux enfants de grandir dans un environnement favorable en prenant des mesures

d’aide aux parents. L’objectif est de soutenir les parents dans leur rôle éducatif grâce à la

création de services comme la médiation familiale, le soutien scolaire ou, les centres

d’informations aux familles. De cette manière, la politique familiale s’est, en quelque sorte,

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29

rapprochée d’une politique de lutte contre la délinquance juvénile et des politiques scolaires et de

sécurité. La loi du 4 mars 2002, par exemple, vise à renforcer la coparentalité et le droit de l’enfant à

être élevé par ses parents en harmonisant l’exercice de l’autorité parentale quelque soit la relation

entre les parents, avec l’objectif de protéger le mineur. De plus, la loi du 2 janvier 2004 crée un

observatoire pour lutter contre l’absentéisme scolaire. Ces mesures d’aide sociale veulent prendre en

charge les nouvelles configurations familiales et des nouveaux problèmes liés à celles-ci.

Enfin la politique familiale française a dû faire face, au cours des vingt dernières années, à la

nécessité de limiter la progression des dépenses publiques : si l’universalité du système de prestations

a été rétablie en 1999, il a pourtant été nécessaire de moduler les prestations et leur niveau en fonction

du revenu. Toutefois, la politique sociale française continue à investir énormément en direction des

familles, au point que des récentes études mettent en évidence que les frais liées à la famille et à la

politique familiale varient entre 2,7 et 4,6 % du P.I.B25.

Comme on a pu voir, la politique familiale française se distingue par la richesse des mesures

prises en faveur de la famille. Au cours des dernières années, l’accent a été mis sur la figure de l’enfant

et sur ses nécessités, alors que des nouvelles formes de responsabilité parentale ont été encouragées

avec la notion de parentalité et coparentalité. En effet, non seulement le droit à la maternité26 est

garanti par loi, mais depuis 2002 c’est aussi le cas du droit à la paternité27 et au congé parental, qui

ont été créés sous l’influence des directives européennes en faveur de l’égalité homme-femme.

Pour résumer, on peut affirmer que la politique française a beaucoup évolué au cours du temps

pour s’adapter aux exigences de la société. Si à son début cela encourageait le maintien d’un certain

modèle familial traditionnel, basé sur la figure de l’homme pourvoyeur des ressources, avec un but

explicitement démographique de soutien à la natalité, au fur et mesure elle a dû faire face à des

nouvelles exigences, telles que la montée de l’activité féminine et la revendication des femmes à une

nouvelle autonomie.

C’est pourquoi l’action publique, face à ces évolutions de la famille, au développement des

divorces et des cas de monoparentalité, a décidé modifier ses principes fortement normatifs, pour

prendre en charge les situations de fait et viser finalement à aider les familles dans leurs nouvelles

exigences. La politique familiale française a d’abord limité les dépenses nécessaires pour élever des

enfants, puis a poursuivi dans l’objectif d’augmenter l’égalité entre citoyens en mettant en place des

25 Damon J., « Le périmètre à géométrie variable de la politique familiale » De 3 à 5 points de PIB, voire plus?,

Informations sociales, 2007/3 n° 139, p. 58-64. 26 Toutes les mères enceintes ont droit à seize semaines de congé maternité, dont six avant l’accouchement et dix après la

naissance du bébé. Cette période peut être prolongée jusqu’à 26 semaines dans le cas de la naissance du troisième enfant,

d’accouchement gémellaire ou bien en raison de problèmes de santé dus à la grossesse. 27 Il s’agit de deux semaines de congé payé utilisables après la naissance de l’enfant.

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politiques redistributives de type vertical ; elle a enfin favorisé l’égalité entre sexes en

permettant aux femmes de concilier vie familiale et activité professionnelle, et en créant le

nouveau concept de parentalité. Ceci a permis de « concilier les diverses aspirations

individuelles et professionnelles de parents égaux en droits à l’égard de leurs enfants »28. C’est

ainsi que l’enfant devient la condition pour créer une famille, indépendamment de son statut

juridique en tant que fils naturel, adultérin ou légitime29.

Si en France l’intervention de l’action publique a toujours été légitimée, voire encouragée

par les citoyens, elle a pris des différentes formes selon la période historique et la conjoncture

économique. Malgré les différentes conceptions de la famille et les différents principes qui ont

été affichés, la politique familiale française a su maintenir une cohérence au fil du temps. Il est

sûr qu’elle devra faire face à des nouvelles problématiques telles que le vieillissement de la

population, et il est par ailleurs très difficile d’évaluer si elle a toujours réussi dans ses objectifs,

comme par exemple favoriser la natalité et donc la fécondité. Toutefois, la politique familiale

française a favorisé une plus grande égalité au sein de la société en luttant contre la pauvreté et

en affirmant la parité des sexes et des situations familiales. La dernière et plus importante

mesure prise en ce sens a été l’institution en 1999 du Pacte Civile de Solidarité (PACS),

permettant aux couple homosexuels d’institutionnaliser leurs unions.

3. L’Italie : une politique familiale qui a du mal à décoller.

La politique familiale en Italie peut être définie comme controversée et hésitante. On sait en

effet qu’en Italie manque d’une politique sociale explicitement ciblée en direction des familles, c’est

pourquoi les mesures prises en faveur de la famille doivent être lues et comprises dans le cadre plus

large des politiques sociales en générale. Pour cela et du fait de la fragmentation des acteurs censés

les mettre en place, les objectifs ciblés semblent très souvent flous, voire contradictoires. On peut

ainsi dire que les politiques sociales pour la famille sont le résultat d’un manque qui oblige les familles

italiennes à faire face aux problèmes en développant un profond système d’aide réciproque et de

solidarité entre membres de la même famille. Ce phénomène a été renforcé par l’absence de mesures

universalistes de compensation du revenu concernant les coûts liés aux enfants.

Il existe de nombreuses explications à l’absence d’une politique explicite et cohérente tournée

vers les familles, parmi lesquelles l’interprétation qui avance que, ce manque est le résultat d’un

profond conflit de valeurs qui traverse les divisions politiques et d’une contradiction liée aux valeurs

28 Damon J., Les politiques familiales, Que sais-je, Presse Universitaire de France, 2006, p. 47. 29 Le principe d’égalité de filiation est établi en 1972

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31

de la famille. De plus, l’Italie n’ayant connue de politique familiale que durant la période fasciste,

l’hostilité de la politique républicaine et la difficulté à mettre en place des mesures d’aides directes

aux familles peut être lue comme le résultat de l’héritage fasciste, et de la volonté des gouvernements

de l’après-guerre de s’affranchir du modèle qu’il avait véhiculé. Par ailleurs, à cause des problèmes

endémiques liés au marché du travail italien, tels que le chômage massif et la pauvreté, les autorités

publiques ont considéré comme prioritaires d’autres aspects de la politique sociale plutôt que les aides

en direction des familles ; ceci a toutefois favorisé la création d’un système d’aide informel basé

essentiellement sur le travail non rémunéré des femmes (mais pas seulement).

C’est à la lumière de ces caractéristiques et d’un système encore fortement asymétrique par

rapport aux rôles de genre dans la famille que doit être lue et comprise la politique familiale italienne,

ses contradictions et son incapacité à faire face aux besoins croissants des citoyens. C’est seulement

dans des années récentes, et en raison des pressions de l’Union Européenne, que l’Italie a dû mettre

en place des actions favorisant la conciliation entre vie privée et activité professionnelle vers une

division plus égalitaire des rôles à l’intérieur du couple et de manière plus générale dans la famille.

3.1. La politique familiale italienne : des mesures du caractère implicite et indirect.

En Italie, une cadre spécifique d’action en direction des familles semble faire défaut. Bien qu’il

existe des politiques sociales pour les familles, elles apparaissent comme faibles, voire inconsistantes.

Dans des années récentes, et seulement en raison de l’impulsion provenant des institutions

européennes, l’Italie a su adapter le système législatif aux exigences de conciliation des temps en

modifiant profondément les lois sur le congé parental et la maternité.

Tous les spécialistes s’accordent sur le fait que la politique de l’Italie républicaine a eu dû mal

à concevoir une politique familiale explicite et cohérente en raison du poids de l’héritage fasciste. En

effet, si on peut dater la création d’une politique familiale en Italie, on est obligé de remonter à

l’époque fasciste des années 1930-1940, quand le régime avait mis en place des actions directes

envers les familles. Le régime, a voulu par ces mesures atteindre trois objectifs particuliers : faire

remonter les courbes de fécondité ; maintenir, voire encourager une structure autoritaire et

hiérarchique de la famille basée sur la figure de l’homme/mari-travailleur ; placer la famille au cœur

de la politique fasciste en la mobilisant directement dans les objectifs et les valeurs poursuivis par le

régime (Saraceno C. 2003). Afin d’atteindre le premier objectif, le régime a institué en 1923 le congé

maternité pour toutes les femmes travailleuses salariées. En 1925, l’Opera Nazionale maternità e

infanza30 a été créée pour aider les femmes enceintes et veiller sur les enfants en bas âges. De plus,

le régime encourageait les naissances en favorisant les embauches des hommes mariés (plutôt que

30 Cette institution a survécu longtemps après la chute du régime fasciste et jusqu’aux années 1960.

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des célibataires) dans les secteurs public et privé. La Cassa Nazionale per gli assegni familiari,

versait des allocations familiales aux travailleurs avec des enfants salariés de l’industrie ; ces

prestations visaient à lutter contre la pauvreté des familles nombreuses, tout en encourageant

ce modèle de famille puisque l’allocation était progressive selon le nombre d’enfants à charge.

Une prime à la naissance était prévue pour les femmes mariées et le système d’impôts

encourageait les familles nombreuses avec des détractions fiscales ; au contraire le célibat était

découragé avec l’imposition des taxes supplémentaires pour les non-mariés. Toutes ces mesures

visaient explicitement à maintenir une forte division entre les rôles, à tel point qu’il a été

longtemps interdit aux femmes, même sur bases légales, de travailler (tout particulièrement

dans le secteur public).

Dans l’Italie républicaine, le maintien de nombreuses institutions du régime fasciste a

causé de profondes contradictions dans la manière dont les rapports au sein de la famille ont été

conçus, aussi bien dans le cas du rapport homme-femme que dans celui des rapports

intergénérationnels. Ceci est particulièrement marquant si l’on considère que le Code de la

Famille, tel qui a été institué durant le régime fasciste en 1942, est resté inchangé jusqu’en

1975, année au cours de laquelle le droit de la famille a été reformé.

La réforme du droit de famille et la loi sur le divorce de 1970 constituent les principaux

changements concernant la législation sur la famille de l’après-guerre. Le droit de la famille

établit les obligations de chaque membre de la famille face aux parents, en affirmant un ample

éventail de devoirs de la part des parents et grands-parents envers les enfants et les neveux,

mais aussi les frères, puisque ils sont tenus à la solidarité économique réciproque, ainsi que les

fils vers les parents. De plus, l’égalité juridique des enfants légitimes et naturels est affirmée,

permettant de limiter les formes de discrimination et de stigmatisation sociale.

Dans le sillage du mouvement féministe des années 1970, l’avortement a été légalisé en

1978, et, comme en France, c’est dans ces années que les nouvelles exigences des femmes se

font sentir : une fois acquis le droit au travail31, elles revendiquent une nouvelle autonomie. Les

femmes ont obtenu des emplois dans le secteur des services, de l’enseignement et de la vente.

C’est ainsi qu’en 1971 la loi sur la maternité a été modifiée, permettant aux femmes

travailleuses d’être protégées davantage. Cette loi prévoyait deux périodes de congé maternité,

l’une obligatoire qui correspondait à une indemnisation de 80% du dernier salaire (100% pour

les salariées d’État et des grandes entreprises) utilisable à partir du dernier mois de grossesse et

pour une durée de trois mois ; et l’autre, facultative, d’une durée de neuf mois, c'est-à-dire

31 Les femmes ont pu avoir accès à tous les parcours professionnels en 1977 seulement avec l’approbation de la loi n°903

dite « loi de parité ».

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33

jusqu’au premier anniversaire de l’enfant, qui prévoyait une indemnisation de 30% du salaire. Durant

ce congé, la mère32 avait le droit de garder son emploi et de faire valoir ce temps comme ancienneté.

Bien que des nouveaux droits aient été déclarés pour la femme dans le domaine de la protection

sociale, de profondes différences ont continué à perdurer dans l’Italie républicaine jusqu’à la reforme

des retraites et de l’assistance publique. En effet, dans la plupart des cas la femme continuait à

bénéficier des droits d’assistance seulement en raison de la position du mari sur le marché du travail.

Alors qu’en France la politique familiale s’est construite en réponse aux nouvelles exigences de la

société, en Italie, les évolutions des politiques sociales et plus spécifiquement de la politique familiale,

ont suivi les parcours de développement d’autres politiques telles que : la reforme du système fiscal;

des politiques du travail et en défense des parents travailleurs ; et enfin, dans une moindre mesure de

la politique du logement. Les mesures directes d’aides aux familles restent très limitées dans le temps

et prennent notamment la forme d’aides sous forme monétaire. Pour pouvoir éclairer de manière

systématique les évolutions de la politique sociale italienne, je veux tout d’abord présenter les acteurs

sociaux qui jouent un rôle dans sa définition. Je continuerai ensuite en présentant les mesures directes

d’aides aux familles ; le système fiscal et la proposition de loi visant à la création d’un quotient

familial ; les mesures en défense de la maternité et les politiques d’aide aux parents-travailleurs ;

enfin je conclurai avec les services sociaux et la dernière reforme sur l’assistance publique.

Il existe nombreuses institutions et différents niveaux gouvernementaux qui agissent en

direction de la famille. La famille n’a jamais bénéficié d’un ministère à part entière, selon les

gouvernements, sa prise en charge a été éparpillée entre le Ministère du Travail et des Politiques

Sociales, le Département des Affaires sociales de la Présidence du Conseil des Ministres, ou encore

le Ministère de la Justice (pour les questions d’adoption et l’assistance publique) et le Ministère de

l’Éducation et de la Recherche (pour l’enseignement) ; enfin le Ministère de l’Économie a en charge

la distribution du budget des allocations familiales (assegni per il nucleo familiare). Cette confusion

institutionnelle se mêle avec des nécessités de décentralisation, c’est pourquoi dès 1977, année de

création des Régions, une partie des services d’assistance a été déléguées aux Région : c’est les cas,

par exemple, de la Santé. Enfin, les Provincie (sorte de département) et les Comuni (Communes)

peuvent mettre en place des mesures d’aide aux citoyens, telles que : la protection en cas de maternité,

la santé, l’assistance sociale, notamment pour les enfants handicapés où dans des situations atypiques,

les aides au logement, en favorisant ainsi la création de profondes différences entre les Régions les

32 Et à partir de 1977 même le père, à condition qu’il soit légalement marié avec la mère de l’enfant, et qu’elle renonce

au droit d’utiliser le congé facultatif.

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plus vertueuses et les moins vertueuses et entre citoyens selon leur localisation géographique.

A coté des ces institutions politiques, il faut souligner la création en 1995 de l’Observatoire

permanent sur la famille (Osservatorio permanente sulla famiglia) cherchant à mobiliser dans

son action les principaux représentants de l’associationnisme familial. Il existe aussi le Forum

des associations familiales (Forum delle associazioni familiari).

Comme on l’a déjà souligné, il n’existe pas en Italie de forme directe d’aide aux familles

en compensation aux coûts liés aux enfants. La seule prestation en cette direction est l’allocation

pour le ménage (assegno per il nucleo familiare, ANF) ; cette mesure n’est pas universelle

puisque seuls les travailleurs salariés, les chômeurs et les retraités peuvent en bénéficier.

Appelée jusqu’en 1988 « allocation familiale » puisque destinée à tous les travailleurs salariés

sans condition de revenu, elle est soumise à des conditions de ressources depuis cette année-là

et dépend du nombre d’individus dans le ménage et de la typologie du ménage (familles

monoparentales, avec orphelins, ou des mineurs). Il s’agit d’une mesure assistancielle qui vise

tout particulièrement les familles pauvres. Cette prestation remonte à l’époque du fascisme et

elle a été modifiée au fil du temps ; elle a d’abord été élargie à toutes les catégories de

travailleurs salariés, puis elle a été soumise à des conditions de ressources. Dans les années

1990, le manque d’adéquation de cette mesure au coût de la vie a causé une limitation de sa

valeur et une réduction implicite du nombre de bénéficiaires. Cela a obligé les autorités

publiques à la soumettre à des modifications profondes : des augmentations pour les familles

avec mineurs ont été votées, ainsi que pour les familles monoparentales33. Cette mesure a

l’inconvénient de décourager l’entrée des femmes sur le marché du travail et, en raison du faible

nombre des familles la percevant (les travailleurs autonomes en sont exclus), n’a réussi qu’en

partie à atteindre son objectif de redistribution verticale. La dernière réforme concernant les

allocations familiales remonte à 1999, quand, dans un climat de préoccupation croissante envers

les phénomènes de pauvreté et envers la question de la dénatalité, deux nouvelles allocations

pour les familles nombreuses ont été crées : il s’agit de l’allocation pour les ménages avec au

moins trois enfants mineurs (Assegno per i nuclei con almeno tre figli minori, A3F) et

l’allocation de maternité (assegno di maternità, AM). De telles prestations ont une nature

strictement assistancielle puisqu’elles s’adressent aux familles ne dépassant pas un certain seuil

de revenu. L’A3F constitue une mesure de lutte contre la pauvreté34, alors que l’AM constitue

une sorte de prime à la natalité pour les femmes qui se trouvent dans une situation qui ne leur

permet pas d’avoir un congé maternité, et notamment les femmes au foyer ou les travailleuses

33 En 2001, une famille composée de deux parents et de deux enfants dont un mineur, avec un revenu inferieur à 19.556,69

euros pouvait recevoir une allocation de 111,55 euros par mois. 34 Cette prestation n’est pas soumise à l’impôt.

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35

au noir35. Les individus qui en bénéficient se trouvent tout particulièrement en Italie du Sud, où il y a

davantage des familles nombreuses et où la pauvreté est encore largement répandue.

En ce qui concerne le système fiscal en Italie, il représente une partie considérable (peut-être la

seule) des mesures visant à limiter les coûts des enfants et des membres de la famille à charge. En

effet, en Italie, depuis la reforme de 1971, c’est l’individu et non le ménage qui est imposable, il existe

donc des mesures de réduction des impôts pour les enfants mineurs (et prolongeables jusqu’à l’âge

de 26 ans pour les étudiants) et pour le/la conjoint(e). Paradoxalement, ces déductions fiscales étaient

jusqu’en 1998 beaucoup plus généreuses pour le conjoint que pour les enfants, et bien que les règles

aient été modifiées, cette distance ne s’est réduite qu’en partie. Alors que la différence entre

« enfants » et « autres membres » à charge a été effacée, ces mesures semblent encore inefficaces en

ce qui concerne la reconnaissance des coûts liés aux enfants et aux personnes dépendantes et aux

nécessités redistributives motivées par le principe de l’égalité entre individus.

Au début des années 1990, pour résoudre ces problèmes et dans la volonté déclarée de réduire

les inégalités et de reconnaitre le coût des enfants, il a été proposé de remplacer le système de

déductions fiscales en vigueur par le système du « quotient familial ». Après un long débat autour de

la question de la taxation « selon les parts » qui a duré presque une décennie, le gouvernement italien

a décidé de continuer à utiliser le système de réduction fiscale plutôt que celui du quotient familial,

en augmentant seulement les réductions d’impôts pour les enfants à charge36.

D’autres mesures en direction de la famille ont pris la forme de politiques en défense des

travailleurs et donc a priori appartenant aux politiques de l’emploi : il s’agit par exemple, de la récente

reforme du droit à la maternité et au congé parental. Si, comme on l’a dit, le congé maternité est

protégé par la loi depuis 1971, c’est seulement grâce la loi n°53 de 2000 qu’un intérêt nouveau a été

porté à la question de la conciliation entre responsabilités familiales et activité professionnelle, et vers

le rééquilibrage des obligations familiales entre hommes et femmes. Cette loi prévoit une nouvelle

protection pour les parents-travailleurs qui leur permet de bénéficier d’un congé parental et de :

flexibiliser le congé maternité obligatoire de cinq mois dans sa distribution temporelle ; autoriser de

manière indépendante le père à utiliser son congé quelque soit le statut professionnel de la mère ;

favoriser une utilisation flexible du congé optionnel d’une durée de six mois utilisable jusqu’à l’âge

de huit ans de l’enfant ; augmenter le nombre d’absences pour des raisons de maladie de l’enfant

jusqu’à l’âge de trois ans ; encourager les entreprises dans l’articulation d’horaires flexibles aidant

les parents dans la conciliation des temps à travers des « banques du temps » spécifiques. De plus, les

collectivités locales, afin de contribuer à la mise en en place de ces mesures , se sont engagées à créer

35 Cette allocation est de 258 euros utilisable les cinq mois qui suivent la naissance de l’enfant. Le revenu annuel de la

famille ne doit pas dépasser le seuil de 25.823 euros en 2001. 36 Cette mesure semble inadéquate puisqu’elle reconnaît les couts implicites liés aux enfants, mais pas les couts réels.

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des systèmes de coordination des « temps des villes » qui consistent dans des plans de

régulation des services publics et privés et des transports au niveau d’horaires pour faciliter la

vie quotidienne des travailleurs.

Toujours dans l’intérêt de concilier les temps de vie, une attention nouvelle a été donnée

au renforcement des services collectifs de garde d’enfant, tout particulièrement pour les enfants

en bas âge. Toutefois, les services en direction de l’enfance restent un domaine encore peu

légitime, puisque les équipements collectifs de garde d’enfant en Italie étaient utilisés davantage

par les enfants se trouvant dans des situations atypiques (familles monoparentales, orphelins)

en contribuant à la stigmatisation des ces institutions. Alors que les équipements publics sont

caractérisés par un profond manque au niveau des places et par des coûts encore trop élevés, un

important service de garde est toujours accompli par les grands-parents. S’il existe un besoin

de services collectifs pour l’accueil des enfants, il s’exprime de manière hétérogène selon les

régions, et notamment selon le taux d’activité des femmes qui varie profondément du Nord au

Sud. Pour remédier au manque de ces services, et pour combler les besoins concernant la

pauvreté, la toxicomanie ou bien la non-autosuffisance, la loi 328 de 2001 jette les bases pour

une profonde réforme des systèmes sociaux et de l’assistance publique. Alors que l’État

s’engage dans une forme d’intervention nouvelle, son action reste encore peu légitime dans ces

domaines, et tout particulièrement en ce qui concerne la garde des enfants en bas âge. Les débats

développés récemment illustrent les diverses façons d’évaluer qui doit prendre en charge cette

couche de la population. Certains affirment que c’est à l’État de veiller sur les enfants, dans

l’objectif de promouvoir l’égalité de chances ; d’autres estiment que c’est la mère ou plus

généralement la famille qui doit s’en occuper. Sans entrer dans la spécificité du débat,

soulignons que nombreuses familles ne veulent pas déléguer leur rôle éducatif à des instituts

collectifs, même au risque qu’un des deux parents (la femme notamment) doive perdre son

poste de travail. La récente réforme, tout en créant des nouvelles attentes quant au

développement des services sociaux, ne fait que promouvoir à nouveau le principe de

subsidiarité, en déléguant une partie des charges normalement de compétence étatique aux

familles ou plus généralement aux association familiales ou groupes bénévoles.

Pour conclure, je voudrais présenter brièvement comment dans les années récentes en

Italie on est arrivé à reconnaître le rôle du travail familial en instituant le Fondo mutualità

pensioni per le persone che svolgono lavori di cura non retribuiti, c'est-à-dire en promouvant

une pension de retraite pour les individus ayant travaillé exclusivement au foyer. De plus, en

1999, des assurances ont été créées pour protéger les femmes au foyer des infortunes

domestiques ; leur inscription est sur base volontaire mais contribue à sensibiliser les individus

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37

sur l’importance du travail familial et des responsabilités domestiques. Ces mesures, même si elles

apparaissent peu efficaces en termes de résultats, contribuent à la défense d’une catégorie qui a

longtemps été exposée davantage au risque de la pauvreté, et qui reste quand même subordonnée au

rôle de ceux qui se trouvent dans une position active et formelle37 dans le marché du travail.

Enfin, je conclurai ce paragraphe en discutant l’absence d’une mesure de minima social en

Italie : ce type de prestation existe seulement en défense des invalides et des personnes âgées. Il s’agit

de l’allocation d’invalidité civile pour les premiers et de la pension sociale pour les deuxièmes. A

coté de ceux-ci, il existe une mesure pour l’accompagnement des handicapés (considérés très souvent

comme invalides) qui leur a permis d’être intégrés dans les écoles publiques à partir des années 1970.

En ce qui concerne une mesure universelle de lutte à la pauvreté, il n’existe pas en Italie de prestation

en soutien au revenu pour ceux qui en sont démunis. Ce n’est qu’à l’occasion de la loi de finances de

1998 qu’un revenu d’instance ultime (Reddito minimo di inserimento) a été crée de manière

expérimentale dans 39 Communes italiennes. Cette tentative n’a durée que quatre ans, le temps de

dépenser les fonds qui lui avaient été destinés ; lors du deuxième financement, le Ministère des

Politiques Sociales s’est opposé à cette mesure en soulignant la possibilité de recourir à ce moyen

seulement dans le cadre d’actions régionales et localement ciblées. De cette manière, on ne peut

qu’augmenter la fragmentation et l’hétérogénéité des politiques sociales, en contribuant à favoriser,

au lieu que limiter, les inégalités en Italie.

4. France et Italie: quelles différences ?

On a essayé au cours des paragraphes précédents de fournir une image exhaustive concernant

les politiques familiales en France et en Italie. Les deux pays, dans les années récentes, ont dû mettre

en place des nouvelles mesures de tutelle en direction des parents travailleurs en leur accordant non

seulement un congé maternité, mais aussi un congé paternité et un congé parental. Ces mesures

reflètent les directives de l’Union Européenne qui encourageaient les pays membre à organiser le

marché du travail de manière flexible, dans la volonté de réussir à concilier les temps de vie et donc

la vie privée et la vie professionnelle. Les congés français et italiens apparaissent plutôt semblables

dans les objectifs : protéger les parents travailleurs, les soutenir dans leur rôle de parents-éducateurs,

flexibiliser les horaires de travail et encourager une division des rôles plus égalitaire au sein de la

famille.

37 Il faut toujours souligner que les femmes ne travaillant pas dans le marché formel ont pu pour autant travailler dans le

marché informel. Dans ce segment du marché, on ne peut pas cumuler les droits à la retraite, et on risque pour cela une

forte exposition à la pauvreté pendant la vieillesse.

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La France se caractérise par des congés longs et plutôt bien payés ; toutefois comme en

Italie, le congé parental semble continuer à être une prérogative des femmes : les familles

préfèrent en effet renoncer au salaire le plus faible dans la période de congé38, et notamment

celui des femmes. Ceci empêche d’atteindre les objectifs d’égalités affichés par ces mesures

puisque le travail de soin semble encore faire partie des devoirs des femmes.

En ce qui concerne les équipements publics de garde enfants qui, avec les congés

constituent un élément essentiel des stratégies de conciliation, France et Italie ne font pas preuve

des mêmes capacités : la France se caractérise par un offre de services pour les enfants de moins

de deux ans plutôt ample atteignant presque 40% du besoin39. Au contraire, en Italie, les

services collectifs de garde d’enfants ne couvrent que 6% des enfants en âge d’en avoir besoin,

et avec de fortes différences selon les régions. La faible diffusion de ces services, comme on a

déjà souligné, est due en partie à l’opinion, répandue plus qu’ailleurs, que les enfants

grandissent mieux dans un milieu familial.

Tableau I : Taux de couverture et horaires d’ouverture des services publics pour l’enfance, selon l’âge des enfants

âge 0-2 âge 3-6

Couverture en %

horaire d'ouverture (par jour)

Couverture en % horaire d'ouverture

(par jour)

Italie 6,0 9,0 87,0 8,0

Autriche 10,0 7,0 70,0 6,0

Belgique 30,0 9,0 99,0 7,0

Danemark 55,0 10,5 90,0 10,5

Finlande 23,0 10,0 42,0 10,0

France 39,0 10,0 87,0 8,0

Allemagne 9,0 10,0 73,0 6,0

Grèce 3,0 9,0 48,0 4,0

Irlande 2,0 9,0 50,0 4,0

Luxembourg 3,0 9,0 76,0 5,0

Pays Bas 2,0 10,0 66,0 7,0

Portugal 12,0 7,0 72,0 5,0

Espagne 5,0 5,0 77,0 5,0

Suède 40,0 11,0 72,0 11,0

Royaume Uni 2,0 8,0 60,0 5,0

Source : De Henau et al. (2006) dans « Conciliare lavoro e famiglia » sous la direction de

Rinaldi R. et Romano M.C. (2008)

En regardant de plus près les allocations versées aux familles, dans les deux pays leur

efficacité en termes d’effet de redistribution au sein de la société a été démontrée. La France,

38 En Italie ce congé est payé à 30% du salaire, alors qu’en France il n’est pas payé ; pourtant les familles peuvent

bénéficier de l’APE, qui est calculée sur la base des enfants déjà eus et sur la base des années de travail au même poste. 39 Ce pourcentage néglige la partie du besoin qui est absorbée par les autres formes de garde d’enfant, tels que les

assistantes maternelles, la garde d’enfant au domicile, ainsi que l’APE qui permet à la mère de rester près de son enfant

jusqu’à son troisième anniversaire.

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fait de ce point de vue preuve d’une claire attention vers la problématique de la lutte contre la pauvreté

et envers une redistribution des ressources motivées par le principe d’égalité entre citoyens. En effet,

la France dépense au moins 2,7% de son P.I.B. en mesures de soutien aux familles, tandis que l’Italie

n’en dépense que 1 %. Ce qui est le plus frappant en Italie, c’est la persistance des fortes différences

entre le Nord et le Sud, et notamment en ce qui concerne la pauvreté, le chômage, et les conditions

de vie. Le processus de décentralisation, de ce point de vue, ne pourra qu’augmenter les différences

en opposants régions vertueuse et attentives aux exigences de la société et régions incapables de faire

face aux demandes des citoyens.

Tableau II : les dépenses de la politique familiale en Europe (2003)

Dans Damon J., « Le périmètre à géométrie variable de la politique familiale » De 3 à 5 points de PIB, voire

plus?, Informations sociales, 2007/3 n° 139.

Si dans des années récentes les deux pays ont basé leur action en direction des familles sur la

problématique de la conciliation entre famille et travail, je voudrais souligner davantage comment en

France, pour faire face aux nouvelles requêtes de la société, les autorités publiques ont dû s’affranchir

d’une définition univoque et normative de la famille, pour au contraire, reconnaître toutes les

situations de fait et donner une égale dignité à toutes types d’union. Ceci a été fait dans l’objectif de

protéger le mineur, et pour reconnaître et limiter les problèmes liées à la montée des divorces et des

séparations. En Italie, on est encore loin d’accepter différents types d’union pour protéger les mineurs

et les catégories les moins favorisées, tels que les familles monoparentales, et même dans le milieu

académique, de nombreux chercheurs s’affrontent pour déterminer quel type de famille il faut

encourager, quel autre il faut au contraire décourager ou considérer comme déviant. Loin de vouloir

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affirmer la priorité d’un modèle sur un autre, je crois que la politique familiale italienne devrait

être plus attentive aux exigences des citoyens plutôt que d’imposer une définition normative

sur la manière dont il faut vivre les propres relations personnelles. Ceci semble encore plus

nécessaire si on regarde le taux de fécondité italien, qui, depuis une vingtaine d’année, a atteint

un niveau parmi les plus faibles en Europe, bien que les italiens démontrent encore, d’après les

enquêtes, un fort désir de parentalité. C’est sur ces questions plutôt que sur la définition de

famille que j’invite à réfléchir les autorités publiques.

En France, bien qu’il soit très difficile d’évaluer l’impact de la politique familiale sur la

fécondité, c’est grâce à des aides importantes pour les familles que la fécondité a pu se maintenir

à un niveau élevé malgré la diversification des formes familiales, l’augmentation des naissances

hors mariage et la progression de l’activité féminine.

Puisqu’aujourd’hui, le lien entre activité féminine et fécondité semble être positif, en

Italie c’est peut-être le manque d’aides généreuses de la part des pouvoir publics qui obliges les

femmes à restreindre leur nombre d’enfants. Ceci est particulièrement vrai en Italie du Nord où

le modèle de la femme travailleuse avec un seul enfant est largement répandu. De plus, en Italie,

le phénomène des démissions des femmes enceintes a été récemment dénoncé ; il se trouve en

effet que nombreuses femmes soient obligées au moment de l’embauche de signer une lettre de

démission « en blanc » que les patrons utilisent si elles tombent enceintes. Des recherches ont

estimé que la quantité des femmes obligées aux démissions a atteint le chiffre de 14.000 en

199840.

Pour conclure, je voudrais revenir sur la question de la classification. A la lumière des

différences qu’on a soulignées il nous semble peu pertinent de regrouper France et Italie dans

la même typologie d’État-providence. Puisque mon travail n’a pas pour ambition de créer une

classification des systèmes de protection sociale en Europe, je suis amenée à mettre davantage

l’accent sur les différences entre ces deux pays, plutôt que sur les similarités, ceci dans le but

de comprendre comment les choix en matière de fécondité se créent et se développent dans le

deux pays.

Dans les chapitres qui suivront, on mettra davantage l’accent sur les désirs et les intentions

de fécondité des jeunes couples en France et Italie. Alors qu’on analysera les facteurs qui

influencent les choix de fécondité, on étudiera avec une attention particulière, la relation entre

travail et désir de maternité, dans but final de comprendre les différences qui existent entre la

France et l’Italie, et notamment en ce qui concerne norme, valeurs, et attentes. L’approche

40 Brienza G., Famiglia e Politiche familiari in Italia, Carocci Editore, Roma, 2001, p.74.

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41

qu’on propose est attentive aux rapports, aux relations et aux dépendances au sein de la famille,

puisqu’on veut comprendre comment la famille est définie dans l’actuation des politiques sociales et

sociales et comment les obligations entre membres de la famille s’articulent avec l’action de l’état et

l’état et ses objectifs.

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Chapitre 2 :

Hypothèses de recherche et Présentation des données.

Au cours de l’introduction et du premier chapitre, on a mis en évidence la situation

démographique en Europe, en faisant particulièrement attention à la description de deux pays :

la France et l’Italie. Dans ce deuxième chapitre on présentera les hypothèses de recherche et les

questions et les problématiques qui motivent ce travail d’étude. Ensuite, on présentera les

données sur lesquelles on conduira le travail d’analyse.

1. Existe-t-il un lien entre la politique familiale et le taux de fécondité ?

Au cours des chapitres précédents on a décrit les différences qui existent entre la France et

Italie. Tout d’abord, on a étudié la situation démographique et analysé les différences en matière de

fécondité et de comportements reproductifs, puis on a présenté les deux systèmes de protection sociale

en analysant les politiques familiales et les mesures d’aides aux familles.

A la lumière des différences entre les deux pays, on est amené à réfléchir sur un éventuel lien

entre la politique familiale et le taux de fécondité. Si cette hypothèse était vérifiée, on pourrait estimer

que les différences entre la France et l’Italie en matière de fécondité dérivent l’inégale importance

donnée par les états aux aides et aux soutiens financiers en faveur des familles. Alors que la France a

créé un système d’allocation et de services qui aide les familles à maintenir un bon revenu et qui

permet ainsi aux parents d’avoir d’autant d’enfants qu’ils le désirent, en Italie l’absence d’une

politique familiale avec des objectifs clairs et des mesures directes d’aides aux familles amène les

individus à revenir sur leurs choix reproductifs en limitant ainsi le nombre d’enfants réalisés.

Cette hypothèse semble plausible, pourtant il est très difficile d’évaluer l’impact des politiques

sociales et notamment des politiques familiales sur le comportement réel des individus, et il est encore

plus difficile d’affirmer l’existence d’un lien direct entre la politique familiale et le taux de fécondité.

Toutefois, les chercheurs s’accordent sur le fait que les politiques d’aides aux familles ont un

impact sur le taux de fécondité, mais que l’effet reste limité et difficile à mesurer. De plus, les

chercheurs estiment que la comparaison internationale est le meilleur contexte pour étudier dans

quelle mesure les différentes circonstances politiques permettent de comprendre les différences en

termes de fécondité, ses variations et sa tendance au niveau macro. La performance de la politique

familiale d’un pays comme la France pourrait alors être comprise uniquement par la comparaison

avec la politique familiale d’un autre pays, l’Italie dans notre cas. Toutefois, il faut veiller à ne pas

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43

créer des liens de causalité entre la politique familiale et la fécondité, puisque, comme le dit

clairement Damon (Damon 2006), un pays comme l’Irlande connaît un taux de fécondité encore plus

élevé que la France, alors que les aides en direction des familles dans ce pays restent très faibles. Ceci

étant on comprend qu’il y a d’autres facteurs, à côté des aides financières, qui peuvent influencer la

fécondité, comme les valeurs et les normes, les traditions et les attentes liées à la procréation.

Dans un article récent, O. Thévenon et A.H. Gauthier41 débattent des difficultés d’évaluation

de l’impact des politiques familiales sur la fécondité, et selon ces auteurs une des difficultés

principales réside dans le fait que la politique familiale est composée de nombreuses mesures et que

celle-ci peuvent donc avoir des effets différents et difficilement calculables. Par exemple, il semble

que les mesures d’aide à la conciliation de la vie de famille et de l’emploi aient eu des effets positifs

en ce qui concerne le maintien des taux de fécondité. En effet, alors qu’il y a vingt-ans le lien entre

l’emploi féminin et la fécondité était clairement négatif, de nos jours il semble positif, puisque dans

les pays d’Europe où l’on enregistre les taux d’emploi féminin les plus élevés, on constate que la

fécondité s’est maintenue à un niveau élevé, aux alentours du taux de remplacement des générations

(il s’agit notamment des pays d’Europe du Nord). Les transferts financiers42 n’ont pas eu les mêmes

résultats et bien qu’ils permettent de limiter profondément les coûts directs et indirects liés au fait

d’élever des enfants, leur effet sur la fécondité semble très limité. En revanche, ces mesures ont un

effet sur le calendrier des naissances et influencent donc la fécondité mais uniquement dans la mesure

où les naissances sont anticipées, elles ne semblent pas avoir d’effets profonds sur l’ampleur de la

descendance finale.

D’autres mesures, comme les allocations versées à la naissance, semblent avoir un effet sur

l’intention d’avoir des enfants et sur la décision de ne pas interrompre une grossesse, puisqu’elles

réduisent sensiblement les coûts directs liés à la naissance. Enfin, les prestations en direction des

familles et les transferts financiers semblent avoir des effets différents selon les catégories sociales et

selon la taille de la famille. Par exemple, en France les mesures encourageant la fécondité égale ou

supérieure au rang trois semblent affecter davantage les familles à faible revenu et les femmes peu

qualifiées. S’il existe un lien entre politique familiale et fécondité il est aussi difficile d’évaluer sur

quel rang de naissance il agit, alors que certaines mesures peuvent encourager les femmes à avoir un

premier enfant, cela ne veut pas dire que les naissances de rang deux ou plus soient pour autant

encouragées.

41 Thévenon O., A.H. Gauthier, Variation de la fécondité dans les pays développés : disparité et influences des politiques

d’aides aux familles, Politiques Sociales et familiales, juin 2010. 42 Il s’agit de : prestations d’aide social indexées à la présence d’enfant, d’avantages fiscaux, d’aides prenant en charge

une partie des coûts de l’éducation, des allocations.

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En raison de l’hétérogénéité des mesures d’aides aux familles et en raison de la difficulté à

calculer les conséquences sur la fécondité, on ne peut pas créer un lien causal entre politique familiale

et taux de fécondité. Toutefois, on peut considérer que la présence d’aides et leur stabilité dans le

temps, accompagnée d’une cohérence dans les principes et dans les objectifs qui motivent les

mesures, ne peuvent que susciter un climat de confiance envers le futur. Ce climat favoriserait ainsi

la prise de décisions concernant la reproduction en aidant les couples à avoir le nombre souhaités

d’enfants, il serait alors possible pour les familles de se projeter dans l’avenir puisque leur

environnement global favorise l’arrivée des enfants. Dans ce type d’environnement les jeunes couples

pourront ainsi prendre aisément des décisions concernant les choix reproductifs.

Pour résumer, on fait l’hypothèse qu’une politique familiale généreuse a le pouvoir de créer les

conditions nécessaires pour soutenir les intentions reproductives en permettant que les désirs de

fécondité et les souhaits concernant le nombre d’enfants puissent être exaucés.

Si cette hypothèse se vérifie, on pourrait interpréter les différences entre les taux de fécondité

en France et en Italie comme le résultat de l’incapacité des couples italiens à donner vie aux enfants

désirés en raison de l’absence d’une politique familiale qui les soutienne dans leurs attentes. Par

ailleurs, les enquêtes de l’Eurobaromètre mettent en évidence que partout en Europe les individus ont

moins d’enfants que ce qu’ils souhaitent, ce phénomène serait alors particulièrement répandu en Italie

où le taux de fécondité reste à un niveau très faible depuis deux décennies. Cela voudrait alors dire

que la politique familiale servirait à réduire l’écart entre le nombre d’enfants désirés par les individus

et le nombre d’enfants effectivement nés43, et donc à créer les conditions pour donner vie à ces

enfants44. En outre, on estime que les intentions de fécondité ne sont pas seulement motivées par des

facteurs économiques, mais que les politiques familiales, puisqu’elles s’enracinent dans le temps, ont

su promouvoir des normes concernant l’égalité hommes-femmes dans la société, ou bien des attentes

concernant la procréation.

Pour tester ces hypothèses on recourra à l’utilisation de données issues de deux grandes

enquêtes menées au niveau international : la première enquête est quantitative et elle prend le nom de

Gender and Generation Survey, alors que la deuxième enquête est de type qualitatif et fait partie

d’une ambitieux projet de recherche appelée Reproductive decision analysis (REPRO) qui comporte

plusieurs volets, dont l’un (WP5) consiste en une série d’entretiens semi-directifs. Les deux enquêtes

ont une partie dédiée à l’étude des désirs et des intentions de fécondité.

43 Testa M.R., Toulemon L., Fécondité envisagée, fécondité réalisée : un lien complexe, Population et Société, n°415,

INED, septembre 2005. 44 En faisant l’hypothèse que cette différence est négative.

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45

Afin d’évaluer la justesse de mes hypothèses, tout d’abord on analysera le désir d’enfant en

France et en Italie : ce type d’étude consiste à évaluer quel est le nombre idéal d’enfants que les

individus souhaitent. Si par exemple dans les deux pays le nombre d’enfants désirés se trouve autour

de la même moyenne comment on pourra expliquer les différences de fécondité ? On pourra penser

qu’en France, l’aide fournie par la politique familiale sert à combler l’écart entre ce que les individus

désirent et leurs possibilités réelles, et qu’au contraire en Italie le manque de mesures directes cause

l’impossibilité d’avoir davantage d’enfants, puisque l’arrivée d’un enfant baisse sensiblement les

conditions de vie de la famille.

En outre, si l’opinion concernant le désir de fécondité est extrêmement différente de l’indice

conjoncturel de fécondité, on peut supposer qu’en absence d’un environnement favorable à la

réalisation de ce désir, les couples sont obligés de revoir à la baisse leurs volontés en les adaptant aux

conditions ressenties. C’est ainsi qu’en absence de mesures directes du soutien au revenu les parents

pourront être obligés de devoir choisir entre le maintien de leur niveau de vie, avoir des enfants, ou

encore donner vie à un enfant supplémentaire.

Si l’analyse des désirs de fécondité reste en quelque sorte dans le monde des idées, car il est

fort facile pour les personnes de revoir au cours de la vie, à la hausse ou à la baisse, leurs désirs en

raison de leurs conditions objectives de vie, analyser les intentions de fécondité à court terme nous

permettra de comprendre davantage la manière dont les individus interprètent le milieu dans lequel

ils vivent, ainsi que les conditions qui favorisent, ou au contraire gênent voire empêchent la réalisation

de ces intentions.

Pour évaluer si la politique familiale peut créer un environnement family friend et aider les

couples à avoir des enfants on considérera certains facteurs comme ayant un rôle fondamental dans

la formulation et dans la prise de décision, tels que : les facteurs économiques (maintien du revenu,

opinion concernant les condition économiques du ménage) la possibilité de concilier la vie de famille

et l’emploi (congés parentaux, équipement collectif de garde enfants) et d’autres facteurs tels que, la

division sexuée des rôles dans la famille qui concerne plus strictement le contexte culturel de chaque

pays, ainsi que les facteurs sociodémographiques comme la zone de résidence, l’âge et le niveau

d’étude.

Comme on l’a déjà dit, afin de pouvoir mettre en place l’analyse, on recourra à l’utilisation de

deux outils d’analyse différents, c'est-à-dire une enquête issue de la statistique publique et des

entretiens semi-directifs. Dans les paragraphes qui suivront on présentera d’abord les avantages qu’il

y a à concilier deux méthodes de recherche et puis on présentera les caractéristiques principales des

deux enquêtes (quatre enquêtes si on considère les deux versions nationales).

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2. Les avantages d’une multiplicité d’approches : concilier analyse quantitative

et qualitative.

Historiquement en sciences sociales on oppose deux méthodes d’enquête : la recherche

de type quantitatif et la recherche de type qualitatif. Bien que ces deux modes de concevoir la

recherche diffèrent profondément dans les principes épistémologiques et dans les paradigmes

qui motivent la réflexion du chercheur, on peut les considérer comme deux manières

complémentaires d’analyser la société.

L’approche quantitative trouve ses origines dans le paradigme néopositiviste et elle a pour

ambition (théorique) de créer des liens de causalité entre certains phénomènes dans le but de

mettre au jour des généralisations. Au contraire, l’approche qualitative s’inspire du paradigme

interprétatif et elle a pour objectif de saisir la réalité en analysant en profondeur son sujet

d’étude qui porte notamment sur un nombre restreint de cas. Au cours de l’institutionnalisation

des disciplines des Sciences Sociales, ces deux approches se sont affrontées pour affirmer leur

légitimité et leur utilité au détriment de l’autre. Aujourd’hui la « querelle des méthodes » a

perdu de son ampleur puisque les chercheurs s’accordent sur le fait que selon les objectifs qui

motivent la recherche, il est préférable d’utiliser l’une ou l’autre méthode.

Dans le cadre de mon travail de recherche je commencerai mon analyse en recourant à

l’utilisation de la méthode quantitative : cela me permettra de comprendre les facteurs macro

qui déterminent les intentions de fécondité et le désir d’enfant. A partir de ces résultats on aura

des éléments pour donner vie à des généralisations et on pourra ainsi comprendre les règles de

fonctionnement général qui opposent les comportements reproductifs en France à ceux en Italie.

Dans cette partie d’analyse on veut créer des explications plausibles pour comprendre le

phénomène de la baisse de la fécondité et donc pouvoir évaluer la validité de mes hypothèses

de recherche.

Toutefois l’analyse quantitative, à mon avis, a l’inconvénient de priver l’individu de sa

personnalité puisqu’elle met de côté la possibilité de saisir la complexité des individus et de

leur raisonnement. Pour remédier à ce manque, et pour rendre mon analyse plus « humaine et

vivante » j’ai décidé de compléter mon étude de type statistique en recourant à l’approche

qualitative. La partie quantitative, sur laquelle repose l’essentiel de mon analyse, me permettra

d’éclairer sur les facteurs marco qui déterminent l’action humaine et me permettra de

comprendre le contexte spécifique des deux pays, alors que l’analyse de type qualitative

m’aidera à saisir les processus individuels qui amènent aux décisions concernant la fécondité

Page 47: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

47

et les choix reproductifs. L’analyse du contenu des entretiens me permettra ainsi de repérer le

processus de négociation et de renégociation qui mène à la décision d’avoir des enfants.

Si les données quantitatives servent à comprendre la réalité, les données qualitatives aident le

chercheur à interpréter la réalité puisqu’on peut disposer de l’opinion concrète des individus étudiés.

Tandis que mon ambition est de donner vie à la généralisation, je me trouve limitée dans la possibilité

d’analyser en profondeur les individus, c’est pour combler ce manque que j’utiliserai des extraits

d’entretiens afin d’éclairer davantage sur les décisions reproductives ainsi que sur l’éventuel lien

entre la politique familiale et le taux de fécondité.

3. Les enquêtes :

3.1. Gender and Generation Survey:

La Commission économique des Nations unies pour l’Europe (Unece) en partenariat avec la

Population Activity Unit a lancé en 2000 un programme de comparaison internationale. Ce projet qui

porte le nom de Gender and Generation Program a l’ambition de saisir les évolutions

démographiques en analysant des thèmes tels que la vie en couple, la maternité, la fécondité, les

rapports intergénérationnels, les rapports de genre, l’emploi et la retraite. Le principal instrument

d’analyse à disposition du projet est l’enquête Gender and Generation Survey (GGS) dont le

questionnaire apparait comme très riche et ambitieux et dont les objectifs sont multiples. La

spécificité de cette enquête réside dans le fait que : elle prévoit des données en panel ; l’apport de

plusieurs disciplines puisque son questionnement concerne des dimensions à la fois démographiques,

sociologiques, économiques, psychologiques politiques, ainsi qu’épidémiologiques ; et elle utilise

référence à l’approche « cycle de vie » en privilégiant une perspective genrée et intergénérationnelle.

Ce programme naît du sillage de l’enquête « Family and Fertily Survey » mis en place à partir

de la fin des années 1980 et jusqu’en 1999 dans 24 pays développés. Partant de l’enseignement fourni

par cette première enquête, les créateurs du projet GGS ont voulu souligner davantage le caractère

comparatif de la recherche et pour cela la coordination entre pays a été renforcée. De plus, une base

de données contextuelle a été prévue pour permettre une plus large compréhension de

l’environnement dans lequel les personnes agissent, c'est-à-dire l’influence du contexte national sur

le comportement individuel.

Dans sa version idéale, comme prévue par les chercheurs travaillant sur le projet, l’échantillon

doit prévoir un même nombre d’hommes et de femmes âgés de 18 à 79 ans, ceci dans le but de

favoriser une analyse en perspective intergénérationnelle et de genre. En outre, l’enquête GGS a été

imaginée en panel, puisque les mêmes individus devraient être interrogés à trois reprises et à trois ans

de distance.

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Le questionnaire principal (appelé Core Questionnaire) comprend spécifiquement des parties

consacrées : au ménage, aux enfants, aux conjoints, à l’organisation du ménage, de la vie en couple,

des parents et du foyer parental, à la fécondité, à la santé et au bien-être, à l’activité et au revenu du

répondant et du conjoint, aux biens du ménage et aux héritages, aux valeurs et aux attitudes, et enfin

une partie concernant la passation du questionnaire. A côté de ce questionnement déjà très ample, il

peut y avoir un module optionnel concernant : la nationalité et l’ethnicité, l’histoire conjugale, les

intentions de rompre l’union actuelle, le logement. Enfin, les données contextuelles comptent plus de

200 variables au sujet du marché du travail, du chômage, des indicateurs démographiques généraux,

des indicateurs économiques généraux, du système de retraite, des services pour la petite enfance, du

marché du logement, du système éducatif, du système de santé, etc. Le questionnaire prévoit des

questions prospectives et rétrospectives et il a été conçu pour être administré en face à face.

Alors que cette enquête naît avec de profondes ambitions, elle doit faire face à des contraintes

et à des limites qui empêchent une comparaison parfaitement complète des données au niveau

international. En effet, bien que l’Unece coordonne le projet au niveau international, elle n’a pas en

charge le financement des enquêtes au niveau national, c’est aux pays faisant partie du projet de

devoir récupérer les fonds nécessaires à sa mise en place. De ce fait et en raison des contraintes

budgétaires, les pays ont décidé d’insérer cette enquête dans le cadre d’enquêtes nationales soit en

n’utilisant que certaines questions, soit en modifiant l’ordre du questionnaire. En faisant ainsi, il

ressort que les définitions des concepts à la base du questionnement ne sont pas exactement équivalent

au niveau international et national, par exemple le concept de couple peut différer sensiblement d’un

pays à l’autre. Les profondes approximations que cet ample projet subit au niveau national, restent

compréhensibles dans la mesure où il est très improbable de pouvoir imposer la même enquête à tous

les états alors que le financement reste à leur charge, il peut alors parfois arriver que les définitions

nationales et les intérêts nationaux entrent en conflit avec les orientations et les objectifs

internationaux.

Dans cette perspective on s’est intéressé à la façon dont la France et l’Italie ont donné vie à

cette enquête, à la mesure dans laquelle ont respecté les directives internationales et à qui a financé

les enquêtes au niveau national.

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49

3.1.1. France : Étude des relations familiales intergénérationnelle, une enquête largement

comparable qui tient compte des spécificités nationales.

En France l’enquête Gender and Generation Survey a été réalisée par l’Insee et l’Ined pour la

première fois en 2005 et elle a pris le nom d’Étude des relations familiales et intergénérationnelle.

La France avec ses chercheurs a participé à la conception du Core questionnaire, et l’Ined s’est

engagé pour permettre la meilleure comparabilité possible questionnaire national au niveau

international. Toutefois des aménagements inévitables ont dû être faits dans cette enquête, pour

permettre sa contextualisation au niveau national. Ceci étant le questionnaire français reste le plus

fidèle possible au questionnaire originel rédigé en anglais.

Comme prévu au niveau international, la France a interrogé une même proportion d’hommes

et des femmes âgés de 18 à 79 ans45, et elle a réussi à obtenir plus de 10000 répondants, chiffre

indispensable compte tenu des ambitions longitudinales de l’enquête, permettant ainsi le suivi des

enquêtés sur trois vagues. Ces individus ont été récupérés à partir d’un échantillon d’environ 18.000

« fiches-adresse » extraites de l’échantillon maître du Recensement de la Population.

De plus en France, comme prévu, les différentes vagues auront lieu à trois ans de distance l’une

de l’autre, cet espace temporaire permettant à certains événements de la vie de se manifester, sans

pour autant que les enquêtés encourent un risque de perte de mémoire.

Les plus profonds changements qui ont dû être faits au questionnaire français consistent à

l’ajoute de questions filtres avant certaines batteries des questions concernant des populations

spécifiques. Par exemple, les questions sur la division des tâches domestiques, prévues initialement

pour tout le monde, ont été posées en France seulement aux individus en couple. La nécessité de

limiter le questionnement sur certains thèmes bien qu’elle semble cohérente et logique est due

essentiellement à des contraintes budgétaires. La collecte de la première vague de l’enquête a été

réalisée en dix semaines, entre le 26 septembre et le 3 décembre 2005, grâce à la participation de 552

enquêteurs. Les questionnaires ont tous été réalisés en face-à-face. Dans cette phase de travail d’autres

organismes de recherche ont pris part au financement de la collecte, tels que : l’Agence Nationale de

la recherche, la Caisse Nationale d’allocations familiales, la Caisse Nationale Vieillesse, le Conseil

d’Orientation de retraites, la Direction de la recherche, des études et des statistiques, et la Direction

de recherche des études, de l’évaluation et des statistiques. L’enquête ERFI a obtenu le label d’intérêt

général et de qualité statistique sans caractère obligatoire.

45 Les femmes sont en légère majorité puisque la population française compte plus de femmes que d’hommes.

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3.1.2. Italie : Famiglia e Soggetti Sociali, une enquête extrêmement ambitieuse, mais peu

attentive aux directives internationales.

En Italie, à la différence de la France l’enquête Gender and Generation Survey a été inclue dans

une enquête nationale de grande ampleur portant sur : les structures familiales, les travailleurs qui

font navette (pendolari) les réseaux familiaux et de parentaux, les réseaux d’aide informelle, les aides

reçues dans des situations critiques, la garde des enfants, la vie en couple, le mariage, la sortie du

foyer parental et le cycle de vie, la permanence des jeunes adultes en famille, les caractéristiques et

les opinions sur certains aspects de la vie quotidienne, les carrières, la recherche d’emploi, les

interruption du travail, la mobilité sociale, et les intentions pour le futur46. Cette enquête prend le nom

de Famiglia e Soggetti Sociali et elle est mise en place depuis 1993 dans le cadre du cycle d’enquêtes

Indagini Multiscopo sulle Famiglie, elle s’organise en cycle quinquennaux. En raison de la

multiplicité des objectifs et de l’ampleur du questionnement, elle apparait comme profondément

différente du questionnaire tel qu’il a été conçu au niveau international.

La première différence réside dans le fait qu’il n’est pas prévu qu’un seul questionnaire mais

quatre, et que ces questionnaires sont administrés de manière différente : selon le cas il peut s’agir du

questionnaire azur et vert l’entretien se déroule alors en face-à-face, ou au contraire les questionnaires

blanc et orange doivent être complétés par l’enquêté lui-même. De plus, selon les questionnaires, la

population ciblée change et elle peut concerner soit les individus de plus de15 ans, soit ceux de plus

de 18 ans, soit ceux de plus de 25 ans, ou bien les femmes en couple mariées ou en union libre.

Comme l’enquête est très ambitieuse dans ses objectifs, l’échantillon enquêté est également très

important : en 2003, 19.227 ménages ont été interrogés soit 49.541 individus. L’échantillon comprend

autant de femmes que d’hommes en considérant la structure de la population italienne.

Alors que la France a décidé de suivre pas à pas les directives internationales, l’Italie a préféré

introduire certaines des questions prévues dans le questionnaire du GGS dans le cadre d’une enquête

nationale. En cela l’enquête italienne est seulement partiellement comparable avec l’enquête

internationale de plus ou moins de 30%. Etant donné que les modalités d’administration changent et

que dans certains cas la population ciblée aussi, il n’a pas toujours été possible de respecter les

définitions internationales à la base de certains concepts comme le couple, la famille, ou le ménage.

Malgré les différences et les difficultés au niveau de comparaison, l’enquête Famiglia e Soggetti

Sociali apparaît extrêmement complexe et complète puisqu’elle analyse en profondeur de très

nombreux aspects de la vie quotidienne, du travail, et des aides informelles. Elle essaie aussi de saisir

les nouvelles formes de vie en famille et ses évolutions dans le temps.

46Indagine Multiscopo sulle Famiglie e Soggetti Sociali 2003, Documentazione tecnica e descrizione del file standard,

ISTAT.

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51

L’institut de recherche qui finance l’enquête est l’ISTAT, Institut National de Statistique, ainsi

que les Universités « La Sapienza » de Rome et « Bocconi » de Milan, ont participé à la création du

Core questionnaire. Dans le cas de l’Italie, il est fort probable que des questions de budget et d’intérêt

national ont été prioritaires sur la nécessité de comparaison internationale. En outre, alors que pour

la France j’ai eu à disposition les données harmonisées au niveau international, pour l’Italie ces

données ne sont pas encore prêtes et pour cela j’ai dû utiliser les données nationales, son code et ses

définitions. Cet inconvénient a crée des difficultés supplémentaires à mon travail de comparaison.

3.2. L’enquête REPRO un outil qualitative pour la compréhension des décisions

reproductives.

L’enquête qualitative à laquelle on fait référence, a été réalisée dans le cadre du réseau REPRO

financé par la commission européenne, ses objectifs principaux sont la compréhension des intentions

de fécondité et les conditions pour leur réalisation.

L’approche qualitative sur les déterminants de l’entrée en parentalité est particulièrement

intéressante pour comprendre les facteurs qui déterminent les choix reproductifs au niveau individuel.

Les éléments fournis par ces entretiens nous permettent de compléter l’analyse de type statistique tout

en donnant à la recherche un côté plus humain et plus vivant puisque on dispose de l’opinion d’à peu

près quatre-vingts individus en âge fécond. L’approche qualitative permet ainsi d’interroger les

éléments qui interviennent dans la décision et les intentions de fécondité, tels que les attentes, les

normes, les traditions, les valeurs et les conditions relatives à l’entrée dans la parentalité, le milieu et

la taille de la famille de provenance, tout en fournissant des éléments sur le processus de décision lui-

même, c'est-à-dire en éclairant ses phases, les obstacles rencontrés et les priorités établie. Alors que

l’analyse de type quantitatif a l’avantage de mettre en lumière les processus au niveau macro, l’étude

du contenu des entretiens nous permet d’éclairer davantage sur les opinions personnelles des

individus, leurs sentiments, leur façon de voir et ressentir le monde et la réalité qui l’entoure.

La France et l’Italie avec quatre autres pays, ont pris part au projet REPRO, en donnant vie à

des entretiens biographiques semi-directifs sur la base d’une même grille de référence. En Italie, les

entretiens ont été faits en 2005-2006 dans le cadre d’une enquête de plus grande ampleur Explain

Low Fertility in Italy (ELFI) financée par le National Institute of Child Health and Human

Development (R01 HD048715) et National Science Foundation, et dirigée par Laura Bernardi avec

la participation de l’Institut de recherche démographique Max Planck.

Dans le cadre de cette enquête, 349 individus et leurs conjoints ou partenaires ont été interrogés

dans quatre villes italiennes, Bologne et Padoue appartenant à l’Italie du Nord, Naples et Cagliari

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appartenant à l’Italie du Sud. On ne fera référence qu’aux entretiens de Naples qui comptent un

échantillon de 55 individus dont 45 femmes et 10 de leurs conjoints.

En France, les entretiens ont été réitérés en 2006-2007 et le travail de recherche a été

dirigé par l’Institut National d’Études Démographiques. Les entretiens se sont déroulés à

Poitiers, qui est une ville de taille moyenne au centre-ouest de la France. Dans les deux pays,

les individus d’éducation moyenne et supérieure apparaissent surreprésentés par rapport à ceux

ayant un faible niveau d’étude47.

Les entretiens se prêtent à une comparaison plus complète puisque ils analysent les même

thèmes tels que : les trajectoires professionnelles, la vie conjugale, le comportement

reproductif, la contraception, l’histoire familiale, les représentations des rôles de genre, la

division des tâches domestiques, ainsi que les représentations liées à la maternité, les conditions

pour avoir des enfants, l’évolution des intentions de fécondité et les préférences sur les modes

de garde pour les enfants. Tous les entretiens ont été retranscrits et les noms des interviewés

ont été modifiés. Dans les deux pays, les individus de l’échantillon ont été contactés grâce au

système d’échantillonnage à boule de neige. En France cela a été possible grâce à

l’intermédiaire du site internet « Copains d’avant » qui a permis de joindre d’anciennes

camarades de classe. En Italie les interviewés ont été contacté grâce à l’aide des centres de

planning familial48.

Alors que ces entretiens ont été conçus pour être les plus comparables possibles, les villes

où les entretiens ont été mis en place différent sensiblement pour la taille et pour les conditions

et les modes de vie. Bien que les deux villes se trouvent à proximité de la capitale et subissent

en cela son influence, elles ne comptent pas le même nombre d’habitants. Poitiers est une ville

moyenne de 91.901 habitants49 alors que Naples compte près d’un million d’habitants. De plus,

Naples en raison de son histoire apparait comme une ville sui generis, où le taux d’activité

féminine reste encore faible et où les modes de vie traditionnels sont toujours fortement ancrés

dans la société. Malgré ces limites, les entretiens nous permettront d’approfondir davantage le

questionnement autour des décisions reproductives et du désir d’enfant, ils nous serviront

comme outil supplémentaire à l’analyse de type statistique.

47 Alors que j’ai eu à disposition les entretiens italiens dans leur intégralité, je n’ai pas obtenu l’autorisation pour travailler

sur les entretiens français. Pour cette raison, dans le cadre de l’analyse des entretiens français, je ferai référence aux

articles rédigés par les auteures de la recherche, il s’agit d’articles publiés ou à paraitre. 48 Consultori Familiari. 49 http://www.poitiers.fr/

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53

Chapitre 3 :

Désir et Intention de fécondité : attente, normes et coutumes.

Analyser les différences entre France et Italie.

France et Italie se caractérisent, comme on l’a mis en lumière dans les chapitres précédents, par

des interventions publiques en direction des familles profondément différentes. Alors qu’en France

les individus peuvent compter sur une aide financière généreuse, en cas de maternité ou pour

permettre aux enfants de grandir dans un environnement favorable, les autorités publiques italiennes

semblent loin de pouvoir satisfaire les exigences d’une population qui est parmi les moins fécondes

d’Europe.

En raison de ces différences, on se demande alors quelle est la norme concernant le désir de

fécondité dans les deux pays. En outre, on est porté à s’interroger sur les éventuelles caractéristiques

des deux populations enquêtées : quel est le profil des femmes en âge de procréer ? Quels sont les

facteurs qui déterminent une intention positive au sujet de la reproduction ?

Pour répondre à toutes ces questions, on veut dans un premier moment conduire une analyse

descriptive des caractéristiques des individus arrivés à la fin de leur vie féconde, ceci dans l’objectif

de souligner davantage les différences concernant le nombre d’enfants eu par les personnes qui au

moment des enquêtes étaient âgées cinquante ans et plus. Cela me permettra de mettre en évidence la

progressive diminution du nombre d’enfants au fil du temps dans les deux pays.

Une fois complétée l’analyse proprement descriptive, on se plongera dans l’analyse du désir de

fécondité et des intentions de fécondité à court terme. On adoptera dans l’étude des intentions, une

perspective de genre puisqu’on analysera séparément la population féminine et la population

masculine des deux pays. De cette façon, on présentera les principales caractéristiques de ces

différentes populations, et donc les facteurs qui rendent les comportements reproductifs similaires ou

bien dissimilaires dans les deux pays.

On mettra en place dans cette partie d’analyse quatre Analyses des Correspondances Multiples

(ACM), puis on complétera l’analyse des intentions de fécondité en adoptant une perspective de

« couple », c'est-à-dire en analysant seulement les individus en âge fécond et en couple. On se servira,

comme outil d’analyse statistique, de la régression, ceci dans le but de mettre en évidence l’impact

propre de chaque variable étudiée sur les intentions de fécondité et comprendre ainsi, les facteurs qui

encouragent ou découragent l’arrivée d’un enfant à court terme.

Dans la seconde partie du chapitre, on complétera l’analyse en se référant au contenu des

entretiens menés en France et en Italie dans le cadre de l’enquête qualitative REPRO. Cette partie me

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permettra de présenter certains facteurs explicatifs des intentions de fécondité restés inexplorés

au cours de l’analyse quantitative.

1. La méthode quantitative :

1.1. Une analyse descriptive préliminaire :

En Europe, le phénomène de la baisse de la fécondité a atteint des niveaux très

significatifs à partir des années 1980. Alors que dans tous les pays on a enregistré ce type de

tendance, on s’aperçoit que chaque État membre de l’Union Européenne a gardé ses

spécificités. A cet égard, France et Italie se caractérisent par des taux de fécondité sensiblement

différents : le premier pays fait preuve d’un maintien d’un taux de fécondité supérieur à deux

enfants par femmes, en revanche, l’Italie maintient un taux de fécondité très faible bien qu’il

ait augmenté légèrement dans des années très récentes, et en coïncidence au progressif

rattrapage du phénomène du retard des naissances.

Pour vérifier la justesse des affirmations concernant la progressive baisse de la fécondité,

on s’apprête à analyser le comportement reproductif des femmes françaises et italiennes

arrivées à la fin de leur vie féconde. Il s’agit des générations qui avaient plus de 50 ans au

moment des enquêtes. On a décidé de comparer trois classes d’âge (femmes âgées de 50 à 59

ans, de 60 à 69 ans et de 70 ans et plus) de manière à pouvoir souligner clairement la tendance

progressive au fil du temps.

Tableau I : Nombre d’enfants par femme ayant atteint la fin de leur vie féconde (valeurs en pourcentage).

Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.

Échantillon : Femmes âgées de plus de 50 ans. Effectifs 10268 Italie, 2464 France.

On peut voir, à partir de ces deux graphiques, un mouvement démographique plutôt

similaire dans les deux pays. En France et en Italie, les personnes âgés de 70 ans montrent une

fécondité élevée, puisque les femmes ayant trois enfants et plus atteignent respectivement 44

0

10

20

30

40

50

0 1 2 3 et plus

Italie

50-59

60-69

70 et plus

0

10

20

30

40

50

0 1 2 3 et plus

France

50-59

60-69

70 et plus

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55

% et 35%. La même génération toutefois, présente le pourcentage le plus élevé de femmes n’ayant

pas eu d’enfants, on pourra expliquer cette particularité en faisant l’hypothèse que cette tranche d’âge

a subi une limitation de la descendance finale en raison de la Deuxième Guerre Mondiale. Cela a

causé une augmentation du nombre de célibataires et par conséquent une augmentation des femmes

n’ayant pas eu d’enfants.

En ce qui concerne les femmes qui ont eu un seul enfant, il ne semble pas que le phénomène ait

une ampleur différente dans les deux pays, on constate par ailleurs une légère progression de l’enfant

unique dans les générations les plus jeunes, donc des femmes appartenant à la tranche d’âge de 50 à

59 ans. Ce qui est le plus évident est la progression au cours du temps des femmes ayant deux enfants :

en Italie ce type de comportement reproductif semble être la norme, les femmes avec deux enfants

sont passées de moins de 30% pour la génération des 70 ans et plus, à plus de 40% pour la génération

des femmes des moins de 60 ans. En France, bien que pour la classe d’âge de 50 à 59 ans le mode est

deux enfants, les femmes ayant trois enfants et plus sont encore nombreuses et elles comptent plus de

27% de l’échantillon générationnel, contre seulement 24% des collègues italiennes.

Pour confirmer la tendance générale en Europe, les femmes de France et d’Italie semblent avoir

diminué le nombre d’enfants eu depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Par ailleurs, on a mis

en lumière une progressive diminution des enfants de rang trois et supérieurs ; toutefois on note aussi

des différences dans les deux pays, puisque l’ensemble des femmes françaises semblent, par rapport

aux femmes italiennes, avoir davantage trois d’enfants ou plus. De plus, en France plus qu’en Italie,

les enfants de rang quatre ont diminué fortement en passant de 24% pour la génération âgée de plus

de 70 ans, à 9% pour la génération âgée de 50 à 59 ans. En Italie, parmi les femmes les plus âgées

seulement 17% ont eu plus de trois enfants, alors que seulement 7% parmi les femmes les plus jeunes.

En regardant de manière générale ces trois classes d’âge, on peut s’apercevoir tout de même

que la fécondité s’est maintenue élevée dans les deux pays : en Italie le nombre moyen d’enfants

atteint 1,99, tandis qu’en France il est de 2,05. Ce résultat semble surprenant tout particulièrement

dans le cas de l’Italie, puisque son taux de fécondité est actuellement extrêmement faible et en-

dessous du taux de remplacement générationnel.

Alors que les femmes italiennes et françaises ayant atteint la fin de leur âge fécond semblent

avoir eu un comportement reproductif plutôt similaire, on note de plus profondes différences à partir

de la tranche d’âge qui avait, au moment des enquêtes, entre 45 ans et 54 ans. C’est dans cette tranche

d’âge que le phénomène de la baisse de la fécondité semble montrer une tendance sensiblement

différente dans les deux pays. On a décidé de retenir cette classe d’âge puisqu’elle a l’avantage

Page 56: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

d’éclairer la population qui vient de terminer sa vie féconde ou qui va bientôt la terminer et donc a

priori qui a déjà réalisé la plupart de sa descendance finale.

On peut voir clairement comme dans les deux pays, dans des années plus récentes, la norme

des deux enfants par femme s’est largement affirmée au détriment d’une fécondité plus élevée qui

était encore fréquente voire encouragée dans les générations précédentes.

Tableau II : Nombre d’enfants par femme ayant atteint la fin de leur vie féconde (valeurs en pourcentage).

Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.

Échantillon : Femmes âgées de 45 à 54 ans. Effectifs 3526 Italie, 1074 France.

Malgré les similarités, on peut remarquer qu’en Italie les femmes ayant une faible fécondité (un

seul enfant) sont nombreuses (22%) et plus nombreuses que les femmes françaises (19%). Alors que

la norme se stabilise autour de deux enfants par femmes dans les deux pays, ce sont les comportements

reproductifs les plus « extrêmes » qui marquent les différences les plus profondes. En effet, en France

les femmes qui ont plus de trois enfants restent nombreuses et aux alentour de 27% ; ce pourcentage

semble être identique à celui de la classe d’âge de 50 à 59 ans analysée dans le paragraphe précédent.

Au contraire, les femmes italiennes ayant eu trois enfants ou plus semblent avoir perdu presque

7 % en 5 ans, cette valeur était de 24% pour les femmes âgées de 50 à 59 ans au moment de l’enquête,

et elle tombe à moins de 21% pour les femmes âgées de 45 ans à 54 ans. Ce constat démontre qu’en

Italie la tendance de la baisse de la fécondité apparaît comme un phénomène plus tardif et plus

profond, et il semble coïncider avec la montée d’un autre phénomène : l’augmentation du travail

féminin rémunéré qui notamment a progressé plus lentement en Italie qu’en France.

Par ailleurs, on enregistre dans les deux pays une diminution du nombre d’enfants moyen par

femme, en France ce taux se stabilise autour de 1,9, alors qu’en Italie la chute prend une plus grande

ampleur puisqu’il atteint moins de 1,8 enfants par femme.

0,00

5,00

10,00

15,00

20,00

25,00

30,00

35,00

40,00

45,00

50,00

0 1 2 3 et plus

Italie

France

Page 57: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

57

Cette analyse préliminaire, malgré sa simplicité permet de saisir le phénomène de la progressive

diminution du nombre d’enfants par femme. Alors que l’analyse de la descendance finale démontre

que la norme des deux enfants s’est affirmée au fil du temps, on se demande si la même chose vaut

pour le nombre idéal d’enfants désiré par les hommes et les femmes italiennes en âge de procréer.

Est-ce qu’il existe un comportement reproductif considéré comme préférable ? Quelle est le nombre

d’enfants désiré en moyenne ?

Dans le paragraphe qui suit on essayera de répondre à ces questions. On veut, tout d’abord,

présenter les questions concernant le désir d’enfants, telles qu’elles ont été posées dans les deux

questionnaires nationaux. On discutera ensuite de certains problèmes méthodologiques liés au

questionnement et aux limites de la comparaison internationale.

1.2. Désirerons-nous avoir des enfants ? Opinions et normes concernant la

procréation.

Des nos jours, en raison de la capacité des individus à maîtriser leur propre fécondité grâce à

un usage de plus en plus répandu des moyens de contraception, les choix reproductifs semblent être,

plus que dans le passé, une action volontaire et intentionnelle. Les experts pour cela retiennent que la

reproduction est liée principalement à deux aspects de la vie personnelle : le désir et les intentions de

fécondité. Le désir mesure les attentes liées à la procréation, c'est-à-dire le nombre d’enfants que

chaque individu voudrait, au niveau théorique ou idéal, au cours de sa vie. Ce désir est l’expression

d’une opinion générale et générique concernant la reproduction et elle permet de comparer les

préférences reproductives des individus appartenant à deux pays différents au-delà des

caractéristiques personnelles. En effet, on demande aux enquêtés d’exprimer une opinion concernant

le nombre d’enfants idéal indépendamment des opportunités ou des limites personnelles.

Alors que le désir de fécondité est une notion de quelque manière liée au monde des idées, les

intentions reproductives mesurent plus précisément la volonté concernant la reproduction. Ces deux

indicateurs sont particulièrement intéressants s’ils sont analysés de manière conjointe : étudier le désir

de fécondité peut éclairer les attentes liées à la procréation, tandis qu’analyser les intentions de

fécondité permet de comprendre quelle partie de ces attentes reste finalement irréalisée.

Dans le cadre des enquêtes GGS, on a pu analyser le désir d’enfants à partir d’une question

posée respectivement dans les deux questionnaires nationaux. Malgré la volonté de comparaison, ces

deux questions apparaissent formulées de manière légèrement différente dans les deux pays.

Page 58: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

En Italie, la question est ainsi posée :« Quanti figli vorrebbe avere nell’arco della sua

vita ? (Includa anche i figli eventualmente già avuti)50 ». Alors qu’en France elle est exprimée:

« Vous personnellement, combien d’enfants avez-vous l’intention d’avoir (en plus de ceux que

vous avez déjà et éventuellement de celui que vous attendez actuellement ? ». Dans le

questionnaire original, rédigé en anglais, la question était « How many (more) children in total

do you intend to have ? ». Bien que cette question se prête à analyser les désirs de fécondité,

elle apparait un peu contradictoire dans sa version originelle et française puisqu’elle utilise la

parole intention. Si c’est l’opinion concernant les attentes sur la reproduction qui veut être

interrogée, la question comme elle a été formulée en Italie semble la plus appropriée. En effet,

dans ce cas, on utilise le verbe « vouloir » en donnant à ce questionnement un aspect plus idéal

et lié aux opinions plus qu’aux capacités personnelles. De plus, dans la version française, cette

question à l’inconvénient de ne pas laisser le répondant affirmer de ne pas vouloir d’enfants au

cours de sa vie, en élevant erronément le nombre moyen d’enfants désirés par les enquêtés. En

outre, comme justement il a été affirmé par Régnier-Loilier A. et Vignoli D. (Régnier-Loilier

A. et Vignoli D. 2009) cette question a la limite de comparer, et donc confondre, les désirs et

les situations de fait, c'est-à-dire de mettre sur le même plan les enfants déjà eus avec les enfants

désirés en comparant implicitement la fécondité réalisée avec la fécondité idéale. Or, cette

question estime que tous les enfants eus sont désirés et que les individus ne peuvent pas revoir

à la hausse ou à la baisse leurs intentions de fécondité au cours de leur vie, et donc que les désirs

ne changent pas sur la base du nombre d’enfants réalisés51.

Bien qu’elle ne soit pas privée de biais, cette question conserve sa charge informative

puisqu’elle permet d’interroger l’opinion de femmes et d’hommes appartenant à des cohortes

différentes, on pourra ainsi étudier la descendance finale à la lumière des désirs de fécondité.

Si ces deux indicateurs apparaissent profondément différents on est porté à croire qu’une large

partie des désirs restent irréalisés. Si cela était le cas, il serait important de comprendre quels

sont les facteurs qui empêchent la réalisation du nombre désiré d’enfants et, au contraire, quel

est le rôle joué par la politiques familiale dans la réalisation des attentes liées à la procréation.

Permet-t-elle de rapprocher les écarts entre le désir d’enfants et la fécondité réalisée ?

Dans un premier temps, on analyse distinctement le désir des hommes et des femmes pour

voir s’il existe des éventuelles différences liées aux sexes.

50 Combien d’enfants voulez-vous avoir au cours de votre vie? (Inclure aussi les enfants déjà éventuellement eus). 51 Régnier-Loilier A. et Vignoli D. portent comme exemple le fait qu’une femme ayant trois enfants difficilement pourra

affirmer que le nombre d’enfants désiré soit deux, puisque cette question pose comme limite inferieure le nombre

d’enfants déjà eu.

Page 59: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

59

En regardant le graphique, on s’aperçoit tout de suite que dans les deux pays la plupart des

individus désirent deux enfants. Cela peut être considéré la norme en France comme en Italie et elle

reflète largement le comportement réel des individus qu’on a analysé ci-dessus. Donc on peut retenir

qu’avoir deux enfants est non seulement le comportement considéré comme normal, mais aussi que

désirer deux enfants est l’opinion la plus répandue parmi la population âgée de 18 à 49 ans. Il est

alors évident que dans les deux pays la référence symbolique (Régnier-Loilier A. et Vignoli D. 2009)

en matière de comportement reproductif est la même.

Tableau III : Nombre d’enfants désiré pour hommes et femmes âgés de 18 à 49 ans (valeurs en pourcentage).

Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.

Échantillon : Femmes et hommes âgées de 18 à 49 ans.

Effectifs Hommes 9558 IT, 1055 FR. Femmes 9908 IT, 986 FR.

De plus, en France comme en Italie, les individus qui désirent un seul enfant restent la minorité.

Il semble, à partir de nos estimations, que dans le premier pays désirer un enfant unique est plus

répandu. Les italiens et les italiennes désirent plus souvent deux enfants, alors que les français et les

françaises expriment davantage le désir de vouloir trois enfants voire plus ; là se situe la principale

différence entre les populations de ces deux États. En Italie, la norme de deux enfants est largement

dominante à la fois dans les faits (44% des femmes) et dans les opinions (autour de 60%), tandis que

la population française non seulement désire plus souvent une famille nombreuse (autour de 30%),

mais elle semble aussi réussir plus souvent à réaliser ce désir (27%)52.

Maintenant, on regarde de plus près les différences qui existent entre les sexes : en France, les

femmes désirent plus souvent un enfant unique par rapport aux hommes ; deux enfants sont désirés

52 Cette comparaison prend en considération des individus appartenant à des cohortes différentes et pour cela peut cacher

un petit biais dû au fait que les individus ayant atteint la fin de leur âge fécond probablement auraient désiré un plus grand

nombre d’enfants.

0

10

20

30

40

50

60

70

1 2 3

Hommes

Italie

France

0

10

20

30

40

50

60

70

1 2 3

Femmes

Italie

France

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également par les deux sexes et pour un pourcentage d’à peu près 44% ; enfin, les hommes plus que

les femmes désirent trois enfants ou plus.

En Italie comme en France, ce sont les femmes qui désirent plus souvent un seul enfant, par

contre elles désirent moins souvent deux enfants par rapport aux hommes, à la faveur d’une fécondité

plus élevée de trois enfants ou plus. A partir de ces estimations, et en considérant que cette variable

ne tient pas compte des individus qui ne désirèrent pas avoir des enfants, la fécondité désirée semble

être plutôt élevée dans les deux pays (au-dessus de deux enfants par individus). Toutefois, même au

niveau des opinions, la population française fait preuve de la volonté d’un plus grand nombre

d’enfants par rapport à la population italienne (2,20 contre 2,08). En France, les hommes semblent

désirer davantage d’enfants (2,25) par rapport aux femmes (2,15), alors qu’en Italie hommes et

femmes désirent le même nombre d’enfants (2,08).

Étant donné que les différences entre France et Italie en matière de comportement et d’opinion

reproductif résident essentiellement dans le passage d’une fécondité de rang deux à une fécondité de

rang supérieur, on veut explorer quels sont les facteurs macro sociologiques qui influencent le désir

de fécondité dans les deux pays. En effet, en partant du présupposé qu’en France comme en Italie la

norme est de désirer deux enfants, on veut savoir quelles sont, dans les deux pays, les caractéristiques

sociales qui influencent un désir de fécondité faible ou élevé. Pour ainsi faire, on a recouru à

l’utilisation une régression de type logistique multinomiale ; cela permet de comprendre les facteurs

qui discriminent le désir d’un seul enfant par rapport à celui de trois enfants et plus, en considérant

comme référence le fait de vouloir deux enfants. A la lumière du fait que l’analyse descriptive

présentée n’a pas fait émerger des profondes différences de genre, on considérera femmes et hommes

comme un même ensemble et on soulignera davantage les différences existantes entre les deux pays.

Page 61: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

61

Régression logistique multinomiale I: Facteurs explicatifs du désir d’un seul enfant par rapport à trois enfants et plus (modalité de référence : désir de deux enfants).

Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.

Échantillon : Femmes et hommes âgées de 18 à 49 ans.

Grâce à cette régression, on s’apprête à enquêter sur les facteurs qui opposent les individus

qui désirent un seul enfant contre les individus qui désirent une famille nombreuse. On a décidé

d’utiliser des caractéristiques primaires53 (lieu de résidence, âge, nombre de frères et de sœurs) pour

tester l’importance du milieu d’origine dans la création de représentations et d’opinions, puis on a

considéré l’éducation comme variable de type culturel.

Les variables utilisées dans cette étude semblent être sensiblement plus significatives dans le

cas de l’Italie plutôt que de la France. Dans le premier pays on peut affirmer que la fécondité de la

famille d’origine, calculée en tenant compte du nombre de frères et sœurs, a un fort impact sur les

53 Pour primaires, je considère les caractéristiques personnelles et individuelles de chaque personne comme le sexe, le

lieu de naissance, le nombre de frères et des sœurs, c'est-à-dire toutes les caractéristiques n’ayant pas été choisies.

1 seul enfants désiré 3 enfants et plus désirés

Italie France Italie France

Variables B Signif. B Signif. B Signif. B Signif.

Constante 0,424 0 -0,276 0,577 -2,388 0 0,739 0,106

Nombre enfants NB_ENF -1,288 0 1,125 0 0,881 0 0,791 0

Éducation Faible 0,555 0 0,234 0,261 0,179 0,027 -0,345 0,069

Moyenne 0,289 0 0,122 0,38 -0,230 0 -0,283 0,018

Supérieure 0 0b . 0 0b .

Macro Régions Nord 0,623 0 -0,006 0,966 -0,157 0 -0,112 0,364

Centre/

Ile de FR 0,619 0 -0,164 0,355 -,0323 0 0,137 0,367

Sud 0 0b . 0 0b .

Frères et Sœurs 0 0,643 0 0,27 0,264 -0,370 0 -0,827 0,001

1 0,230 0 -0,284 0,084 -0,335 0 -0,683 0

2 0,179 0 0,078 0,636 -0,089 0,081 -0,296 0,035

3 et plus 0 0b . 0 0b .

Classes d'âge 18-24 -2,576 0 -1,889 0 1,686 0 -0,608 0,167

25-34 -2,181 0 -0,972 0,036 1,017 0 -1,304 0,003

35-44 -0,771 0 -0,14 0,767 0,128 0,028 -1,01 0,024

44-49 0 0b . 0 0b .

Sexe Hommes -0,360 0 -0,111 0,387 0,088 0.020 0,23 0,037

Femmes 0 0b . 0 0 0b .

Page 62: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

opinions concernant la reproduction. Non seulement les individus provenant d’une famille nombreuse

désirent plus souvent avoir trois enfants ou plus, mais aussi les individus n’ayant pas de frères ou en

ayant un seul, désirent avec une plus grande probabilité un seul enfant. Aussi, les régions d’origine

ont une profonde importance dans la distinction des individus désirant un seul enfant ou une famille

nombreuse, au Nord les personnes veulent un seul enfant, alors qu’au Sud ils en veulent trois ou plus.

En outre, les hommes désirent des familles nombreuses beaucoup plus souvent que leurs conjointes.

En ce qui concerne l’éducation, cette variable semble avoir un effet ambigu puisque les

personnes interrogées ayant un faible niveau d’étude démontrent vouloir aussi bien un seul enfant

qu’une famille nombreuse. Cela peut être en partie expliqué par le fait qu’il existe un effet de structure

de la population puisqu’on n’a pris en considération que la population qui est âgée de 18 ans à 49 ans.

Cette population apparaît moyennement plus cultivée que la population italienne prise dans son

ensemble. L’âge, n’est pas toujours significatif, mais il apparaît que les tranches d’âges les plus jeunes

désirent davantage avoir deux enfants au détriment d’en avoir un seul.

Le cas de la France, peut sembler plus complexe ; toutefois je suis portée à croire que le

manque de signification statistique de certaines variables soit imputable au fait qu’en Italie plus qu’en

France il existe et perdure des comportements reproductifs différents et parfois opposés. En France,

la région d’origine ne semble avoir aucune importance sur le désir d’enfants, cela démontre qu’il

n’existe pas des comportements reproductifs ancrés au niveau régional et, au contraire, qu’en France

les personnes semblent partager un même modèle reproductif. Les variables mesurant le niveau

d’éducation et le nombre de frères et de sœurs n’ont pas de signification dans le cas du désir d’un seul

enfant, alors qu’elles deviennent importantes dans le cas de désirer une famille nombreuse. En effet,

ceux qui n’ont pas de frères et sœurs désirent moins souvent une famille nombreuse, tandis que les

individus avec un niveau d’études élevé semblent désirer un plus grand nombre d’enfants par rapport

à la norme de deux enfants. En fin, les individus les plus âgés désirent davantage une famille

nombreuse par rapport aux générations les plus jeunes.

Par ailleurs, en France comme en Italie, ce sont les hommes qui désirent le plus souvent une

famille nombreuse ; on peut penser que les femmes le désirent moins fréquemment puisque le travail

des soins est encore inégalement réparti au sein de la famille, et donc un enfant supplémentaire

signifierait pour la femme une plus grande charge de travail.

Pour conclure ce paragraphe sur le désir d’enfant, il est intéressant de savoir qu’en Italie ce

sont les femmes qui travaillent qui désirent le plus souvent un seul enfant. En France, ceci n’est pas

le cas, puisque ce sont davantage les femmes au foyer qui désirent un seul enfant. Toutefois cette

catégorie se caractérise par une opinion ambigüe sur la reproduction, elles désirent aussi bien une

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63

famille nombreuse ou un seul enfant. Enfin, en Italie ce sont notamment les femmes au foyer qui

désirent davantage des familles nombreuses. Par ailleurs, il faut souligner qu’alors qu’en France les

femmes se déclarant au foyer sont très peu nombreuses, en Italie elles restent une partie considérable

de la population.

1.3. Les intentions fécondité à cout terme: tentative d’explication de l’espace social dans lequel

mûrissent les décisions concernant la reproduction.

Dans ce paragraphe on étudiera les intentions de fécondité à court terme des populations

féminine et masculine de France et Italie âgées de 18 ans à 49 ans au moment de l’enquête.

La question sur les intentions de fécondité, à la différence de la question concernant les désirs

de fécondité, ne présente aucune nuance dans sa formulation au niveau du questionnement national.

Elle est formulée « Souhaitez-vous avoir un enfant dans les trois années à venir ? » et présente quatre

possibles modalités de réponse : « Non », « probablement pas », « Oui probablement » et « Oui »,

dans la version française il était aussi possible de répondre « Je ne sais pas ». Dans le cadre de mon

étude j’ai décidé de recoder la variable et de la rendre dichotomique puisque mon but est d’analyser

l’opposition entre les personnes voulant avoir des enfants dans les trois prochaines années par rapport

à celles ne le voulant pas. Pour ce faire, on voudrait comprendre l’espace social dans lequel les

individus prennent leurs décisions concernant la reproduction et pour cela je recourrai à l’utilisation

de l’outil statistique de l’Analyse des Correspondances Multiples (ACM). Cet instrument d’analyse

me permettra de dégager les principales logiques de fonctionnement de l’espace social en France et

en Italie et de saisir quels facteurs jouent un rôle fondamental dans la formulation des intentions de

fécondité. Cette étude portera distinctement sur les hommes et sur les femmes.

Comme je l’ai déjà souligné, les intentions de fécondité, plus que les désirs, nous aident à

comprendre la réelle volonté des individus enquêtés concernant la reproduction. Alors que dans le

cas du désir on a recouru à l’analyse de l’opinion, dans le cas des intentions on pourra analyser plus

précisément le comportement et donc les actions réelles de la population interrogée.

Une première analyse nous permet de noter qu’en France comme en Italie, une partie très

minoritaire de la population enquêtée a le projet d’avoir des enfants dans les trois années qui suivent

l’enquête.

Tableau IV : Intention d’avoir un enfant dans les trois années à venir pour hommes et femmes âgés de 18 à 49 ans (valeurs en pourcentage).

Page 64: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.

Échantillon : Femmes et hommes âgées de 18 à 49 ans. Effectifs 21242 Italie, 4885 France.

Au niveau général, en Italie plus qu’en France les individus n’ont pas l’intention d’avoir des

enfants à court terme (75% contre 72%). En outre, dans les deux pays ce sont plus souvent les hommes

que les femmes qui veulent des enfants.

Selon les experts, les intentions de fécondité négatives plutôt que les intentions positives

peuvent être un bon indicateur pour prédire le comportement de la population enquêtée et ainsi sa

descendance finale. Au contraire, les intentions positives créent un biais dans les estimations de la

fécondité réalisée puisqu’elles surestiment les capacités et les possibilités individuelles. De plus, on

sait que très souvent les intentions positives des femmes et des hommes en âge fécond peuvent rester

irréalisées à cause de très nombreux facteurs contingents de la vie (rupture du couple, infécondité,

décès). En effet, on sait qu’il existe de nombreux éléments qui déterminent les intentions de

fécondité : dans notre étude exploratoire on s’apprête à analyser tout particulièrement les

caractéristiques biologiques et primaires (âge, nombre d’enfants déjà eu, nombre de frères et de

sœurs), culturelles (niveau d’études), géographiques (zone de résidence), la place des individus sur le

marché du travail, et des variables analysant la répartition des rôles de genre dans la famille

(satisfaction pour la division des tâches domestiques), ainsi que des variables interrogeant l’opinion

sur les facteurs déterminants les intentions de fécondité (perception sur la façon dont la situation

économique et le travail peuvent influencer les choix reproductifs).

Grâce à l’utilisation de ces variables on veut réussir à comprendre l’espace social dans lequel

les enquêtés prennent leurs décisions concernant les intentions reproductives. En outre, on veut voir

s’il existe des facteurs profondément différents qui contribuent à la prise de décision en France et en

Italie, ou bien si dans les deux pays les éléments qui déterminent les choix reproductifs sont

semblables et résumables en peu d’aspects.

L’analyse des Correspondance Multiple (ACM) de ce point de vue a l’avantage de réussir à

synthétiser un très grand nombre d’informations dans un petit nombre de dimensions. On poursuivra

cette partie suivant une analyse par genre, on commencera par les hommes et on terminera par les

0 20 40 60 80

France

Italie

Hommes

Positive

Négative

0 20 40 60 80

France

Italie

Femmes

Positive

Négative

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65

femmes ; les analyses sont distinctes pour les deux pays (pour cela on présentera quatre ACM) ; on a

considéré la population d’âge compris entre 18ans et 49 ans.

a. Analyse des données sur la population masculine :

France : en référence à la population masculine française (Fig. 1) on peut noter que parmi les

modalités qui donnent la majeure contribution aux axes, on trouve des caractéristiques telles que l’état

civil, les caractéristiques biologiques, les intentions de fécondité ainsi que la place occupée sur le

marché du travail.

On résume l’information de la première dimension en affirmant qu’elle oppose essentiellement

les hommes sur la base de leur propre état civil (marié, célibataire, en union libre) et sur la base des

intentions de fécondité à partir des caractéristiques démographiques (âge, nombre d’enfants, nombre

de frères et de sœurs). La deuxième dimension met en opposition les individus en référence à leur

place dans le monde du travail et notamment par rapport à la condition active, inactive ou d’étudiant.

Ces deux premiers axes résument essentiellement le 66% de la variance totale.

En regardant de plus près le graphique, on peut penser de le partager en deux secteurs : l’un

caractérisé par des hommes ayant des intentions de fécondité plutôt positives, qui se trouvent dans

une position active sur le marché du travail et qui estiment que l’emploi, comme la situation

économique, n’influencent pas profondément le choix d’avoir des enfants. Ce secteur est composé

essentiellement par des individus en couple mariés ou en union libre. Il s’agit des tranches d’âges les

plus fécondes, mais à l’exclusion de la catégorie la plus jeune (mineurs de 25 ans). Cette population

a souvent déjà au moins un enfant.

Le deuxième secteur est caractérisé par des jeunes étudiants qui ont des intentions de fécondité

négative à court terme, cela probablement en raison du jeune âge et aussi de la situation encore

précaire sur le marche de l’emploi. Dans ce même secteur se trouvent des travailleurs faisant leurs

premières expériences de travail et ayant des emplois à temps partiel ou des contrats à durée

déterminée. Ces individus sont célibataires et considèrent que l’emploi comme le travail ont un rôle

important dans les projets concernant la reproduction. Les inactifs, dans ce graphique, apparaissent

comme des individus à la marge, voire atypiques.

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Figura 1: Analyse des correspondances multiples. Population masculine française.

Page 67: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

67

Italie : en référence au graphique sur la population masculine italienne (Fig.2), on peut voir des

similarités et des différences par rapport aux voisins français. On note que le premier axe, comme en

France, oppose les hommes sur la base de l’état civil, notamment entre les hommes mariés et les

célibataires54, et sur la base des intentions de fécondité. Ces deux facteurs, comme dans le cas de la

France, sont influencés par les caractéristiques démographiques (âgé, nombre d’enfants, et nombre

de frères et sœurs). Toutefois, en Italie plus qu’en France, la présence d’enfants en bas âge55 et le lieu

de résidence semblent avoir un poids majeur dans la contribution au premier axe.

La deuxième dimension, comme dans le cas de la France, crée une opposition entre les hommes

selon la place qui occupent sur le marché du travail, donc entre ceux qui ont un emploi stable, qui se

trouvent dans une position active, et ceux qui sont étudiants, ou qui se trouvent pour des raisons

différentes en-dehors du marché du travail.

L’opposition existe aussi en ce qui concerne les intentions de fécondité, il y a des hommes en

couple qui désirent avoir des enfants, alors que les étudiants et les inactifs semblent ne pas vouloir

avoir d’enfants dans le futur proche. Ces derniers sont généralement plus âgés que leurs collègues

français. En outre, la division géographique entre Nord, Centre et Sud assume plus d’importance en

Italie du fait que le deuxième axe résume essentiellement l’information concernant la place occupée

par les interviewés sur le marché de l’emploi ; on sait que dans la partie méridionale du pays les

problèmes liés au manque d’emploi sont beaucoup plus profonds. Les deux premiers axes résument

le 78% de la variance totale.

Les deux analyses mettent en évidence qu’en France comme en Italie, le fait d’être en couple

et certaines caractéristiques démographiques comme l’âge, jouent un rôle essentiel dans la

détermination des intentions de fécondité. Alors que la fécondité se maintient sensiblement différente

dans les deux pays, l’espace social dans lequel les individus agissent et prennent leurs décisions ne

semble pas être profondément différent.

54 Les données que j’avais à disposition ne m’ont pas permis de savoir combien d’hommes étaient en union libre (la

question était posée seulement aux femmes). Toutefois, les femmes ayant déclaré d’être en union libre sont seulement

348 (sur 11186 enquêtées) et je suis amenée à croire que la proportion est semblable pour les hommes (et négligeable par

rapport au nombre de mariés). 55Les enfants en bas âge, ont moins de trois ans en France, alors qu’en ont moins de cinq en Italie.

Page 68: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

Figura 2: Analyse des correspondances multiples. Population masculine italienne.

Page 69: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

69

b. Analyse des données sur la population féminine :

En ce qui concerne l’analyse de la population féminine de France et d’Italie, la compréhension

de l’organisation de l’espace social semble être plus complexe puisque les deux populations semblent

s’y projeter de manière différente. Alors que pour la population masculine le fait d’être en couple,

l’âge et la place des individus sur le marché du travail résumaient l’essentiel de la variance, pour les

femmes l’analyse est plus difficile car la femme dans les deux pays n’a pas le même rôle à l’égard de

l’emploi et du travail domestiques.

France : en regardant le graphique de référence à la population féminine française (Fig.3) on

peut s’apercevoir que certaines des modalités qui contribuent davantage aux axes sont les mêmes

qu’on a déjà analysé dans le cas de la population masculine. Toutefois, si pour les hommes le premier

axe discriminait la condition civile et les intentions de fécondité sur la base des caractéristiques

démographique, dans le cas des femmes françaises, le premier axe décrit les caractéristiques qui

déterminent socialement le rôle de la femme, c’est-à dire l’activité, puis l’état civil et l’âge. Ce sont

ces caractéristiques à modeler les intentions de fécondité.

Le deuxième axe semble résumer essentiellement les éléments qui caractérisent la femme en

activité, il s’agit de qualités liées au travail, telles que la possibilité de bénéficier d’horaires flexibles,

d’être satisfaite par le poste et de savoir qu’il est stable dans le temps. En France, la population

féminine semble se trouver autour du barycentre du graphique à l’exception de certaines modalités

extrêmes, comme le fait d’être inactive (étudiante ou chômeuse) et célibataire. Les deux premières

dimensions expliquent le 69 % de la variance totale.

Page 70: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

Figura 3: Analyse des correspondances multiples. Population féminine française.

Page 71: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

71

Italie : en ce qui concerne la population féminine italienne et en référence à son graphique

(Fig.4), elle me semble le cas plus intéressant à être analysé. En effet, alors que cette analyse de

données présente des similarités avec le cas français correspondant, elle présente aussi des spécificités

données par la particularité de la structure de la population italienne. On se réfère notamment au rôle

de la femme sur le marché du travail et aux différences qui perdurent à cet égard entre les régions.

La lecture du graphique semble plus compliquée que dans le cas de la population féminine

française, puisque différents facteurs concernant des aspects différents de la vie se mélangent dans la

contribution aux axes. Le premier axe résume essentiellement les informations concernant, l’activité,

l’état civil et l’âge. Toutefois, plus qu’en France, les différences de genre liées à la division du travail

domestique semblent significatives ; c’est dans le croisement de ces aspects que se créent les

intentions de fécondité. Le deuxième axe semble opposer les femmes en activités aux autres, tout en

créant une hiérarchie entre les emplois plus protégés par la loi (flexibilité dans les horaires,

satisfaction pour le travail, stabilité dans le temps) et ceux qui le sont moins.

Pour résumer, on pourrait dire que le premier axe décrit essentiellement les aspects personnels

de la vie, intention de fécondité comprise, alors que le deuxième axe décrit les caractéristiques de la

femme au niveau public et professionnel. Les deux premiers axes résument 89% de la variance totale.

Dans le cas de l’analyse de la population féminine italienne, plus que dans le cas de la

population féminine française, il semble possible de distinguer dans le graphique des secteurs ayant

des caractéristiques différentes.

On peut noter dans la figure essentiellement trois populations différentes ; une première

distinction existe entres les femmes en activité et les autres, ces premières ont des intentions de

fécondité positives et se trouvent dans la période la plus féconde de leur vie. Un deuxième groupe est

formé par les femmes au foyer qui généralement ne désirent pas avoir d’enfants du fait qu’elles en

ont déjà eus. Elles sont plutôt en accord avec leurs maris sur la division du travail domestique puisque

elles dédient leur temps uniquement à cette activité. Plus on s’approche du secteur des femmes en

activités plus l’accord pour la division des tâches domestiques semble basculer. Enfin, on retrouve

un secteur caractérisé par des femmes jeunes, étudiantes, non prêtes à avoir des enfants, du fait de

leur jeune âge ou du fait qu’elles se trouvent dans des positions très précaires sur le marché du travail.

L’interprétation des intentions de fécondité est assez compliquée, mais semble opposer

essentiellement une population jeune et encore trop jeune pour désirer des enfants à court terme et

une population plus vieille avec des enfants souvent en bas âge, par rapport une population se trouvant

dans la période la plus féconde de la vie et en emploi.

En regardant avec attention le graphique, on s’aperçoit qu’il assume la forme particulière de

l’effet Guttman, typique des situations où il existe un principe de hiérarchie sociale qui est décrit,

Page 72: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

dans ce cas, selon l’opposition femmes en activité professionnelle/femmes au foyer et selon l’âge et

la localisation géographique des enquêtées.

Pour conclure cette analyse des données, on peut affirmer qu’à la base des choix reproductifs

des italiens et français se trouvent des facteurs tels que la composante biologique (âge, sexe, nombre

d’enfants, nombre de frères et sœurs) et les éléments culturels et économiques. En outre, on a pu

constater que le fait d’être en couple est extrêmement important pour évaluer concrètement les

intentions de fécondité à court terme. En effet, la réalisation de ces intentions est le résultat de la

volonté positive de l’homme, de la femme et de la rencontre de ces deux intentions.

Bien qu’elle soit extrêmement intéressante pour comprendre l’organisation de l’espace social,

l’analyse exploratoire qu’on a présentée ne permet pas d’évaluer l’impact de chaque variable dans la

construction et la modélisation des intentions de fécondité. Pour cela je m’apprête, dans la partie qui

suit, à évaluer l’impact propre à un certains nombre de variables sur les intentions de fécondité à court

terme. Je me servirai ainsi de l’utilisation d’un modèle de régression logistique et je ferai référence à

la population âgée de 18 ans à 49 ans en couple. Je considérerai distinctement hommes et femmes.

Page 73: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

73

Figura 4: Analyse des correspondances multiples. Population féminine italienne.

Page 74: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

1.4. Quels sont facteurs qui influencent les intentions de fécondité ?

Dans le paragraphe qui suit on veut évaluer l’impact de certaines variables sur l’intention

d’avoir des enfants à court terme. En référence à mes hypothèses de recherche et en tenant compte

des éléments qui sont ressortis de l’analyse exploratoire, je m’apprête à analyser l’importance de

certains facteurs dans l’explication de la volonté d’avoir des enfants.

Alors que l’analyse exploratoire a mis en lumière que le fait d’être ou pas en couple a un rôle

de première importance dans la distinction de sous-groupes sociaux au sein de la population ; dans

cette partie on veut évaluer l’importance des facteurs économiques, de genre et liés à l’emploi, dans

la formation des intentions de fécondité. Ces variables ont été considérées avec d’autres variables de

type démographique qui ont servi à la fois comme instrument de contrôle et d’explication des

intentions de fécondité à court terme. En effet, les facteurs sociodémographiques, tels que l’âge, le

nombre d’enfants et la région de provenance, me permettent d’évaluer s’il existe un modèle spécifique

de reproduction propre à chaque pays et éventuellement à chaque région.

Je commencerai avec l’analyse de la population masculine, puis j’analyserai la population

féminine, enfin j’étudierai seulement les femmes ayant un emploi.

Page 75: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

75

Les hommes :

Régression logistique multinomiale II: Facteurs explicatifs de l’intention positive de fécondité dans les trois ans. (Population masculine)

Italie France

Intention de fécondité dans le trois ans

B Signif. B Signif.

Avoir un enfant dépend:

Constante -4,194 ,000 -3,550 ,000

de la situation économique

Non ,263 ,019 ,335 ,204

Oui 0 . 0 .

du travail Non -,022 ,856 ,330 ,231

Oui 0 . 0 .

du travail de la conjointe

Non ,223 ,029 ,408 ,098

Oui 0 . 0 .

Nombre d'enfants

0 4,580 ,000 2,889 ,000

1 2,631 ,000 2,105 ,000

2 ,260 ,232 ,134 ,651

3 et plus 0 . 0 .

Enfants < 5 ans Non -1,152 ,000 -1,487 ,000

Oui 0 . 0 .

Tranche d’âge 18-24 ,162 ,766 1,331 ,006

25-34 2,782 ,000 2,089 ,000

35-44 1,963 ,000 ,718 ,035

45-49 0 . 0 .

Macro Régions Nord -,523 ,000 ,080 ,677

Centre/Ile de FR -,432 ,001 ,580 ,030

Sud 0 . 0 .

Typologie du Couple

Marié 0 . ,291 ,138

Union libre * * 0 .

* données manquantes pour l’Italie.

Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.

Échantillon : Hommes âgées de 18 à 49 ans en couple.

En observant le tableau, on peut noter que l’âge joue un rôle fondamental dans la modélisation

des intentions de fécondité dans les deux pays. Les hommes âgés moins de 45 ans ont très souvent

l’intention d’avoir des enfants à court terme. En référence aux deux pays, les individus français

semblent avoir des intentions plus précoces que les italiens, en effet la tranche d’âge 18 -25 ans dans

ce deuxième pays semble perdre sa signification statistique. On peut expliquer cette particularité à

l’aide de deux éléments : les individus de moins de 25 ans se déclarant en couple en Italie sont très

Page 76: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

peu nombreux ; en outre la sortie de plus en plus tardive du foyer familial tend à empêcher la

formulation des intentions positives de fécondité parmi les individus qui viennent d’atteindre l’âge

adulte56. Pour cela, alors que les français déclarent vouloir davantage d’enfants entre 18 ans et 34 ans,

les italiens déclarent en vouloir entre 25 ans et 44 ans. Toujours en regardant les variables

démographiques, le fait de ne pas avoir d’enfants semble encourager fortement l’arrivée d’un

nouveau-né. De plus, le fait d’avoir des enfants en bas âge à la maison semble encourager l’arrivée

d’un enfant supplémentaire, ce qui indique que normalement les individus préfèrent avoir des enfants

rapprochés dans le temps.

En ce qui concerne les facteurs économiques et liés à l’emploi, France et Italie semblent montrer

les différences les plus profondes : pour les hommes français la situation économique ne semble pas

expliquer les intentions de fécondité et le même constat vaut pour le travail. Au contraire, le travail

de la conjointe semble avoir une plus grande signification dans la décision d’avoir un enfant : si le

travail de la partenaire n’influence pas l’arrivée d’un enfant, les hommes ont davantage l’intention

d’avoir des enfants. Enfin, pour le cas de la France, le fait d’être en union libre ou être marié57 n’a

pas d’impact sur la décision concernant les choix reproductifs.

En Italie, alors que le travail ne semble pas avoir d’importance dans la maturation des intentions

de fécondité, la situation économique et le travail de la conjointe deviennent un important indicateur

des intentions à court terme. En effet, en Italie plus qu’en France, en absence d’aides compensant les

coûts des enfants, les familles doivent évaluer attentivement l’impact d’une naissance supplémentaire

sur les conditions objectives du ménage, puisque l’arrivée d’un enfant peut détériorer sensiblement

les conditions de vie.

Le travail de la partenaire semble être important soit parce que la femme a en charge le soin des

enfants et donc son activité professionnelle empêche le plein accomplissement de son rôle de mère,

soit parce que la famille nécessite d’un salaire supplémentaire pour limiter les conséquences de

l’arrivée d’un enfant. Dans les deux cas, la décision d’avoir des enfants semble plus complexe en

Italie plutôt qu’en France ; je reviendrai sur ces constatations au cours de l’analyse de la population

féminine.

En Italie, à la différence de la France, perdurent des modèles reproductifs distincts et

hétérogènes selon les régions : les régions de l’Italie du Sud montrent une plus profonde intention

d’avoir des enfants à court terme par rapport aux régions de l’Italie du Centre et du Nord. En France,

seulement en Ile de France et en coïncidence d’une population moyennement plus jeune du reste de

la France, les hommes veulent davantage avoir des enfants.

56 En France les jeunes hommes peuvent bénéficier de prestations sociales comme l’allocation logement, ce qui leur

permet de gagner l’autonomie résidentielle. 57 Données manquantes pour l’Italie.

Page 77: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

77

Bien qu’il s’agissait d’un élément déterminant dans la compréhension de l’organisation de

l’espace social, dans cette analyse je n’ai pas pris en considération la variable concernant le rôle sur

le marché du travail, qui s’avère être négligeable du fait que les individus âgés de 18 à 49 ans en

couple sont quasiment tous en activité.

Page 78: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

Les femmes :

Maintenant, on va mener la même étude que ci-dessus sur la population féminine. Dans le cas

des femmes on a considérée si elles étaient en activité, inactives, au foyer ou étudiantes ; en effet, on

a estimé que des importantes différences entre les deux pays peuvent émerger notamment en raison

des différents taux d’activités féminins de France et d’Italie58. De ce fait, on veut voir si des

spécificités ressortent concernant le lien entre le rôle de la femme dans le marché du travail et les

intentions de fécondité à court terme.

Régression logistique multinomiale III: Facteurs explicatifs de l’intention de fécondité positive dans les trois ans. (Population féminine)

Italie France

Intention de fécondité dans les trois ans

B Signif. B Signif.

Avoir un enfant dépend:

Constante -6,790 ,000 -7,039 ,000

de la situation économique

Non ,380 ,000 ,206 ,304

Oui 0 . 0 .

du travail du conjoint

Non -,137 ,186 ,301 ,194

Oui 0 . 0 .

Nombre d'enfants

0 5,003 ,000 3,924 ,000

1 2,914 ,000 3,086 ,000

2 ,542 ,018 1,069 ,000

3 et plus 0 . 0 .

Enfants < 5 ans Non -1,144 ,000 -,874 ,000

Oui 0 . 0 .

Tranche d’âge 18-24 4,304 ,000 3,337 ,000

25-34 4,495 ,000 3,886 ,000

35-44 3,189 ,000 2,503 ,000

45-49 0 . 0 .

Macro Régions Nord -,361 ,000 ,203 ,219

Centre/Ile de FR -,424 ,001 ,478 ,028

Sud 0 . 0 .

Typologie du Couple

Marié ,293 ,067 ,329 ,058

Union libre 0 . 0 .

Activité En emploi ,244 ,551 ,748 ,032

Inactive ,372 ,401 ,984 ,018

Femme au foyer ,370 ,369 1,240 ,004

Étudiante 0 . 0 .

Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.

58 Dans le cas des enquêtes GGS j’ai calculé qu’en France parmi les femmes en couple âgées de 18 à 49 ans, 77,3% est

en activité, 9,2% est inactive, 10,7% est une femme au foyer et 2,8% est étudiante (échantillon de 1935 personnes). En

Italie les pourcentages sont profondément différents puisque seulement 54,8% des femmes est en activité, 5,3% est

inactive, 39,2 % est une femme au foyer et 0,7% est une étudiante (échantillon de 6479 personnes).

Page 79: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

79

Échantillon : Femmes âgées de 18 à 49 ans en couple.

On commence l’explication de la régression à partir des variables démographiques : en France

comme en Italie, l’âge semble avoir un impact déterminant dans les intentions de fécondité, tout

particulièrement chez la population âgée de 18 ans à 34 ans qui semble, dans l’absolu, la plus

intéressée à avoir des enfants à court terme. Les femmes plus que les hommes veulent avoir des

enfants plus précocement. Comme dans le cas de la population masculine, le fait d’avoir des enfants

en bas âge dans le ménage encourage l’arrivée d’un enfant supplémentaire. En outre, le fait d’être

mariée plutôt qu’en union libre encourage les femmes françaises comme les femmes italiennes à avoir

des enfants à court terme. Les régions ont toujours une signification importante en Italie où les

femmes méridionales veulent davantage avoir des enfants par rapport aux collègues du Nord et du

Centre. En France, comme dans le cas des hommes, cette variable est significative seulement pour

l’Ile de France où la population est plus jeune et donc plus intéressée à avoir des enfants.

En regardant les variables concernant la situation économique et la place sur le marché du

travail, on s’aperçoit que les femmes italiennes, comme leurs conjoints, estiment que la situation

économique pèse sur les choix reproductifs. Les femmes déclarant que la décision d’avoir un enfant

ne dépend pas de la situation économique désirent davantage un enfant dans le futur proche. Cette

variable n’est pas significative dans le cas français. De plus, il semble que le travail du conjoint n’a

pas d’influence sur la décision d’avoir un enfant puisque cette variable n’est pas significative ni dans

le cas de la France que de l’Italie ; a priori on aurait dit le contraire, tout particulièrement en sachant

qu’une partie de la population enquêtée se trouve en dehors du marché du travail.

Enfin, la variable concernant l’activité est significative en France où les femmes au foyer

semblent avoir une plus forte intention à avoir des enfants à court terme. Cette variable perd en

signification dans le cas de l’Italie où les différences concernant les intentions reproductives sont

expliquées davantage par d’autres variables (ex. zone de résidence). Par ailleurs, comme déjà souligné

dans le cas du désir d’enfants, en France plus qu’en Italie les femmes au foyer semblent avoir un

comportement reproductif spécifique, ceci en raison du fait qu’elles sont très peu nombreuses dans

les catégories d’âge les plus jeunes.

Pour conclure cette tentative d’explication des facteurs influençant les intentions de fécondité,

on veut analyser davantage la situation des femmes qui travaillent. L’importance de comprendre les

éléments qui encouragent l’arrivée d’un enfant dans cette tranche de population sert à pouvoir mettre

en place des mesures d’aide aux femmes qui ont un emploi, notamment en créant des situations

favorables à la conciliation entre activité professionnelle et vie privée.

Page 80: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

Régression logistique multinomiale IV: Facteurs explicatifs de l’intention positive de fécondité dans les trois ans. (Population féminine en emploi)

Italie France

Intention de fécondité dans les trois ans

B Signif. B Signif.

Positive Constante -4,651 ,000 -5,782 ,000

Contrat Indéterminé -,230 ,188 -,111 ,674

Déterminé 0 . 0 .

Durée Temps plein ,244 ,072 ,645 ,001

Temps partiel 0 . 0 .

L'employeur accorde des congés pour

raisons personnelle

Non -,071 ,600 ,071 ,683

Oui 0 . 0 .

Avoir un enfant dépendu du

travail Non ,455 ,002 ,976 ,000

Oui 0 . 0 .

Avoir un enfant dépendu du

travail du conjoint

Non -,454 ,002 ,199 ,511

Oui 0 . 0 .

Avoir un enfant dépendu de la

situation économique

Non ,291 ,053 ,011 ,965

Oui 0 . 0 .

Satisfaite de la division de

taches domestiques

Non -,243 ,101 ,127 ,628

Oui 0 . 0 .

Tranches d'âge 18-24 4,029 ,000 4,740 ,000

25-34 4,574 ,000 4,213 ,000

35-44 2,569 ,000 2,334 ,001

45-49 0 . 0 .

Présence d'enfants

Non 2,366 ,000 1,406 ,000

Oui 0 . 0 .

Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.

Échantillon : Femmes âgées de 18 à 49 ans en couple et en emploi.

Page 81: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

81

On a considéré comme variables explicatives des intentions de fécondité des éléments en lien

avec l’emploi et la situation économique, et comme variables de contrôle, la présence d’enfants dans

le ménage et l’âge de la femme au moment de l’enquête.

On note dans ce cas, comme dans le cas précédent, que les femmes âgées de 18 à 34 ans sont

les plus intentionnées à avoir des enfants, les françaises toutefois tendent à les vouloir plus tôt que

leurs collègues italiennes. De plus, la présence d’enfants dans le foyer semble décourager l’intention

d’avoir d’autres enfants, ceci est plutôt compréhensible du moment qu’on n’a pas considéré

séparément le nombre d’enfants déjà eu.

Le premier aspect qui nous a marqué est qu’en France, comme en Italie, non seulement la

décision d’avoir un enfant dépend du travail, mais aussi du fait d’avoir un contrat à durée

indéterminée. Les autres variables semblent saisir davantage les éléments caractérisant la prise de

décision en Italie puisque les mêmes variables perdent leur signification dans le cas de la France.

Dans les deux pays, le fait que l’employeur accorde des congés pour des raisons personnelles,

ainsi que le fait de pouvoir bénéficier d’un horaire réduit de travail59 (temps partiel) ne semble pas

avoir d’importance sur la décision d’avoir un enfant.

Enfin, en Italie, l’arrivée d’un enfant dépend du travail de l’enquêtée, de celui du conjoint, et

de la situation économique. Les femmes considérant important leur propre travail et la situation

économique, désirent moins souvent avoir des enfants, alors que les femmes considérant que le travail

du mari influence la décision d’avoir des enfants en veulent dans le court terme. Ces facteurs montrent

clairement qu’en Italie, plus qu’en France, les éléments garantissant un bon niveau de vie (salaires

des deux conjoints) et la situation économique influencent profondément les intentions de fécondité.

De plus, en Italie où les asymétries de genre semblent encore profondes, la satisfaction pour la

division des tâches domestiques semble influencer positivement l’intention d’avoir un enfant à court

terme. La même variable n’est pas significative dans le cas de la France.

A la lumière de ce qu’on vient de dire, on peut décrire deux images plutôt opposées des facteurs

déterminant les intentions reproductives dans les deux pays. Alors qu’en France seulement le travail

semble influencer la décision d’avoir un enfant, en Italie à cet aspect il faut ajouter la composante

économique, le travail du conjoint et la division du travail domestique. En somme, en Italie plus qu’en

France il semble difficile d’avoir des enfants.

59 J’aurais cru le contraire du moment que nombreux auteurs (Rinaldi R., Romano M.C. 2008) mettent en évidence la

praticité du temps partiel comme mesure de conciliation entre travail et vie familiale.

Page 82: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

Pour conclure brièvement cette partie, je voudrais mettre en évidence les différences entre la

France et l’Italie concernant les intentions de fécondité à court terme et selon la fécondité déjà

réalisée. Je considère dans cette analyse, les hommes et les femmes âgés de 18 à 49 ans, quelle que

soit l’état civil (célibataire, union libre, marié).

Tableau III : Intention de fécondité selon le nombre d’enfants déjà eu, hommes et femmes âgés de 18 à 49 ans (valeurs en pourcentage).

Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.

Échantillon : Femmes et hommes âgées de 18 à 49 ans. Effectifs 5349 Italie, 1361 France.

On peut noter qu’en France on a systématiquement l’intention d’avoir plus d’enfants qu’en

Italie. Tandis que les italiens et les italiennes se montrent très prédisposés à avoir au moins un enfant,

ils ont du mal à en avoir trois ou davantage, ceci malgré des désirs de fécondité qui restent encore

plutôt élevés. La norme de deux enfants est confirmée, même dans le cas des intentions, puisqu’en

France comme en Italie, les hommes et les femmes ayant un seul enfant ont l’intention d’en avoir un

deuxième à court terme.

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

0 1 2 3 et plus

Italie

France

Page 83: Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... · Quels sont les facteurs qui influencent les projets de ... l’espérance de vie, ... du taux d’activité professionnelle

83

2. La méthode qualitative:

On a analysé les désirs et les intentions de fécondité en France et en Italie en recourant aux

instruments d’analyse statistique, maintenant on propose de compléter ce type d’analyse grâce à l’aide

de la méthode qualitative. Je m’apprête à présenter les résultats issus de l’analyse du contenu des

entretiens menés dans le cadre de l’enquête REPRO. Cette étude m’a permis de mettre davantage en

lumière certains aspects restés inexplorés au cours de l’analyse statistique et m’a notamment permis

de comprendre le contexte institutionnel dans lequel les individus prennent leurs décisions concernant

la reproduction.

2.1. Les désirs de fécondité : «On ne veut pas un enfant unique ».

L’étude du désir de fécondité, mise en place au cours de l’analyse des enquêtes GGS, a

démontré qu’en France comme en Italie les individus désirent au moins deux enfants. Bien que cela

soit considéré comme étant la norme dans les deux pays, on note qu’en France plus qu’en Italie les

individus désirent des familles nombreuses et que fréquemment ils arrivent à concrétiser leurs désirs.

En revanche en Italie, même si le nombre de personnes souhaitant avoir trois enfants ou plus

reste considérables, très peu d’individus parviennent à exaucer cette attente.

L’étude du contenu des entretiens, sous cet aspect, m’a permis de comprendre le parcours de

négociation et de renégociation qui amène finalement à la réalisation des enfants désirés et m’a donc

permis de mieux comprendre les intentions de fécondité.

Les entretiens : En regardant les deux pays, les répondants affirment généralement que le

nombre d’enfants idéal se trouve autour des deux enfants. Toutefois, plus que dans le cas de l’analyse

de type quantitatif, on est informé du fait que les individus veulent très souvent trois enfants ou

davantage, mais que des différents obstacles empêchent la réalisation de leurs souhaits.

En effet, il semble y avoir un profond décalage, surtout dans l’échantillon italien, entre le

nombre souhaité d’enfants, et le nombre d’enfants que les répondants prévoient réellement de mettre

au monde. Dans le cas de l’Italie, les arguments utilisés pour justifier l’incapacité d’avoir les enfants

désirés reposent essentiellement sur des problèmes de type économique et financier, en France cet

aspect émerge beaucoup moins souvent et d’autres aspects priment comme l’âge, le manque du temps,

la volonté de rester au travail. On reviendra sur cet aspect au cours de l’analyse des intentions de

fécondité à court terme.

En ce qui concerne la possibilité d’avoir un seul enfant, les répondants des deux échantillons

s’opposent avec force au modèle de la famille avec un enfant unique, en France aucun interviewé ne

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déclare vouloir un seul enfant, alors qu’en Italie un seul couple affirme prendre en considération cette

possibilité, mais plutôt pour des problèmes de fécondité et liés à l’âge que par une réelle volonté. Les

motivations adoptées pour critiquer ce modèle sont : « C’est triste pour l’enfant », « c’est une forme

d’égoïsme de la part des parents », « il va s’ennuyer ». Souvent les répondants estiment aussi qu’un

enfant unique risque d’un côté d’être gâté et capricieux, et de l’autre de subir la pression des parents.

Pour remédier à ces éventuels problèmes les interviewés soutiennent davantage le modèle de la

famille nombreuse et les thèmes adoptés pour défendre une large progéniture sont « c’est bien les

familles nombreuses », « c’est une belle chose, parce que c’est gai». Par exemple, Valeria répondantes

italienne dit :

« Avoir des frères ou des sœurs c’est important parce que, même si on se dispute c’est le sang de ton

sang et on peut compter sur eux pour un avis, surtout quand les parents seront morts »60 En outre, les entretiens italiens, soulignent un lien évident entre la fécondité de la famille

d’origine et le nombre d’enfants désirés, parmi les personnes qui veulent avoir trois enfants ou plus,

beaucoup sont nées et ont grandi dans des familles nombreuses avec deux ou trois frères et sœurs.

Sous cet aspect, les souvenirs liés à l’enfance semblent avoir un poids considérable dans la formation

des attentes liées à la procréation. Le vocabulaire employé fait référence à la solidarité, à la

réciprocité, à l’entente.

Tous les répondants de France et d’Italie expriment le désir de vouloir au moins un enfant au

cours de leur vie, quelle que soit la condition économique et l’investissement pour le travail ou la

famille. Avoir des enfants est ainsi considéré comme une étape fondamentale dans la vie, à laquelle

personne ne veut renoncer.

Enfin, plus que dans le cas de l’analyse des enquêtes, les entretiens mettent en lumière le fait

que les répondants désirent beaucoup d’enfants, toutefois déjà au niveau d’opinion ils savent que ce

ne sera pas possible d’avoir les enfants désirés, cette impossibilité émerge tout particulièrement dans

le cas des couples italiens puisque la différence qui existe entre le nombre idéal d’enfants et les

intentions réelles de fécondité est particulièrement marquée.

2.2. Les intentions de fécondité: pourquoi revoir à la baisse nos désirs ?

60 Je me suis occupée de la traduction de l’italien au français.

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85

Les intentions de fécondité à court terme, sont dans les deux échantillons particulièrement

ressenties. Dans le cas de l’Italie, de nombreuses femmes sont enceintes61, alors que dans le cas de la

France nombreux sont les répondants qui affirment être en train de planifier l’arrivée d’un enfant (ou

d’un enfant supplémentaire). Toutefois, ces intentions sont ressenties assez différemment par les

individus, il y en a certains qui ont planifié et décidé l’arrivée d’un enfant, d’autres au contraire se

montrent moins soucieux de savoir quand l’enfant arrivera, et attendent ce moment comme un fait

naturel qui doit survenir de manière spontanée.

Ces deux façons d’attendre l’arrivée d’un enfant montrent qu’en France comme en Italie, le fait

d’être en couple est un requis essentiel pour pouvoir décider de mettre au monde un enfant. Pour cela,

les répondants n’étant pas en couple démontrent une profonde incapacité à projeter dans le futur leurs

attentes.

En regardant de plus près le nombre d’enfants que les individus veulent avoir au cours de leur

vie, on peut noter des différences entre l’échantillon italien et l’échantillon français. Pour ce qui

concerne le panorama italien, il en ressort une image très claire: les individus de Naples désirent très

souvent une large progéniture mais ils savent également qu’ils ne réussiront pas à avoir le nombre

d’enfants désiré, les raisons les plus souvent mises en avant sont des problèmes de caractère financier

et économique et liés aux coûts des enfants. Mariella, répondante italienne, motive la décision de ne

pas avoir un troisième enfant en affirmant :

« [Il me manque] une solidité économique qui me permette d’avoir une très grande maison avec des larges

espaces, une belle voiture, une voiture seulement pour moi, pour avoir … c’est-à dire c’est le discours

économique »

Dans le cas de la France, les préoccupations concernant les facteurs économiques semblent

avoir moins de poids dans la décision d’avoir des enfants, ce qui émerge plutôt est l’importance de

l’entente du couple, le fait de partager des sentiments et des émotions, ainsi que d’avoir des intérêts

en commun. Ariane dit :

« Si les parents arrivent à rester ensemble à travers les épreuves, et il y en a toujours, et rester unis, c’est

quand même une vie plus solide avec des parents qui s’entendent et qui restent unis le plus longtemps possible.

Je pense que pour les enfants c’est pas mal pour démarrer la vie »62

Alors que le couple est considéré comme un élément fondamental dans les deux pays, en Italie

la situation se complique du fait que de nombreux individus estiment préférable d’avoir des enfants

dans le cadre du mariage. En effet, la plupart des répondants affirment avoir décidé de se marier avant

61 Cela est dû à la méthode utilisée : les répondantes ont été contactées grâce à l’aide des centres de planning familial. 62 Brachet S., Letablier M.T., Salles A., Devenir parents en France et Allemagne : normes, valeurs, attentes, Politiques

familiales et sociales, n°100, juin 2010.

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ou en coïncidence avec la décision d’avoir un enfant, et cela pour garantir à l’enfant de pouvoir

grandir dans un environnement stable, durable et institutionnalisé. D’autres motivations sont

adoptées, telles que l’éducation catholique aux valeurs de la famille et des enfants, ou bien de la

protection juridique qui dérive du fait d’être un enfant légitime.

Pour ceux qui ont décidé de ne pas agir comme la tradition le prescrit, le poids de leur décision

semble être lourd ; Pia par exemple affirme avoir peur d’annoncer à sa famille qu’elle est enceinte

car elle n’est pas mariée avec son conjoint. Dans l’échantillon italien, il y a des couples cohabitant,

mais même dans ce cas, la cohabitation est vécue comme une phase préliminaire, ou comme une

« période d’essai» avant d’institutionnaliser l’union par le mariage. Natalina dit :

« Ça me fait plaisir que [mon conjoint] y pense [au mariage] et il veuille qu’on se marie lorsqu’on en aura la

possibilité, je me rends compte que c’est indispensable surtout pour la petite »

En France, le mariage et la naissance des enfants dans le cadre de cette institution semble avoir

largement perdu sont importance. Élise par exemple affirme :

« Ce qui est important pour moi, c’est d’être bien dans le couple, le mariage c’est pas indispensable pour moi.

Pour moi, avoir des enfants c’est un engagement plus fort que se marier. On peut rester ensemble sans entre

marié… ça me dérange pas ! Voilà »63

Pour résumer il semble qu’en Italie, la décision d’avoir un enfant suive un parcours plutôt

traditionnel comprenant la mise en couple et par l’officialisation de l’union, l’arrivée des enfants est

conçue seulement dans un deuxième moment. De plus, en Italie la vie et son cycle sont vus beaucoup

plus souvent qu’en France comme un parcours à étapes, d’abord la mise en couple, le mariage, la

nécessité de faire des expériences et d’avoir un travail bien rémunéré pour atteindre finalement un

certain statut économique (maison, voiture, habillement) qui permet de pouvoir avoir des enfants. En

France, cette succession d’étapes est moins linéaire et les répondants acceptent davantage des

parcours improvisés et faits d’aller-retour. Cette différence laisse une marge de manœuvre plus ample

aux couples français, alors que pour les italiens l’arrivée des enfants est considérée comme l’étape

ultime d’un parcours long et très souvent difficile.

Pour finir, en France comme en Italie les répondants n’ont pas une opinion unanime sur le « bon

moment pour avoir des enfants ». Tous affirment qu’il ne faut les avoir ni trop tôt, ni trop tard, l’âge

autour duquel les décisions se concrétisent reste pour autant la trentaine, certaines femmes parlent de

« calendrier biologique », d’autres affirment que le bon moment c’est « quand on est prête », c'est-à-

dire lorsqu’on a atteint une certaine maturité physique et mentale. Tous les répondants affirment qu’il

est préférable d’avoir des enfants proches dans le temps, pour éviter qu’ils grandissent comme « des

63 Brachet S., Letablier M.T., Salles A., Devenir parents en France et Allemagne : normes, valeurs, attentes, Politiques

familiales et sociales, n°100, juin 2010.

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enfants uniques » et pour qu’ils puissent se tenir compagnie. Un court intervalle temporel semble

aussi plus rentable au niveau économique et il permet aux parents de s’investir davantage dans

l’éducation des enfants, il n’est pas recommandable de faire passer trop de temps entre un enfant et

l’autre parce que les parents en vieillissant perdent la force d’élever les enfants.

2.3. D’autres aspects influençant la fécondité ?

Division des rôles de genre, emploi et équipements de garde d’enfants collectif : on jette la

politique familiale par la fenêtre, mais elle rentre par la porte.

D’autres aspects qui émergent de l’analyse du contenu des entretiens et qui semblent influencer

la décision d’avoir un enfant, sont la division des rôles de genre au sein du ménage, la place de la

femme sur le marché de l’emploi et sa valorisation au sein de la société, ainsi que la disponibilité

d’équipements de garde d’enfants sur le territoire et l’opinion concernant la prise en charge des

enfants en bas-âge par la société.

On considère en premier la division des tâches domestique au sein du ménage. Une récente

enquête a mis en lumière qu’aux Pays Bas comme en Italie, le partage de tâches au sein du couple

chez les plus diplômés a un impact positif sur la fécondité (Mills M., Mencarini L., Tanturri M.L.,

Bengal K. 2008). Dans notre cas, alors qu’on ne peut pas affirmer un tel lien, on note qu’en France

la division du travail considérée dans son double aspect domestique et rémunéré est beaucoup plus

égalitaire qu’en Italie.

Les auteures des entretiens français affirment qu’en France le modèle qui combine le double

engagement des membres du couple dans la sphère domestique et dans l’activité professionnelle est

le plus répandu (Brachet S., Salles A. 2009), toutefois cette répartition reste inégale puisque souvent

la femme se retrouve avec la majorité du ménage à faire en plus de son activité professionnelle.

En Italie, les différences dans la division entre travail domestique et le travail rémunéré en

fonction du sexe sont profondément ancré, surtout lorsqu’une grossesse survient. Très souvent, les

hommes sont en emploi et les femmes s’occupent de la maison, les justifications adoptées pour

motiver cette division résident essentiellement dans la complémentarité des rôles et sur la praticité

qu’en dérive. Lorsque la femme est en emploi, les justifications ont un autre caractère, soit on

considère comme capacité « naturelle » de la femme celle de s’occuper de la maison et des enfants,

soit on demande l’aide d’un collaborateur domestique. En général personne ne s’oppose à ce modèle

asymétrique et traditionnel de soutien aux familles, par ailleurs on peut noter un intérêt plus important

de la part des pères de s’occuper des enfants plutôt que de la maison.

En outre, dans l’échantillon italien, en cas de grossesse la plupart des femmes ont décidé de

quitter leur emploi. Il s’ensuit qu’en Italie la conciliation entre emploi et vie familiale semble poser

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de profonds problèmes, tout particulièrement pour les femmes se trouvant dans des emplois peu

qualifiés et précaires. Rosaria par exemple, affirme avoir été licenciée de son emploi lorsque son chef

a su qu’elle était enceinte. Non seulement les employeurs montrent une certaine réticence envers la

maternité, mais aussi de nombreuses femmes estiment aussi qu’il est préférable de ne pas être en

activité quand les enfants sont encore petits. La stratégie est alors de quitter l’emploi en attendant que

les enfants grandissent, et par la suite de rechercher un travail qui soit compatible avec le fait d’être

mère. Alessia dit :

« Les premiers 3,4 ans [l’enfant] doit rester avec la mère. C’est naturel. Je ne pense pas que je travaillerai

pendant ces années. Puis, vu que j’ai toujours travaillé, je ferai comme ma mère à fait : je recommencerai à

travailler ! Je ne pourrais pas rester à la maison toute la vie»

Même les femmes les plus instruites préfèrent rester auprès de leurs enfants au moins pour la

première année de vie du bébé, de ce point de vue, les enseignantes, les infirmières et les employées

publiques se considèrent comme de « privilégiées » du fait de pouvoir bénéficier du congé de

maternité rémunéré et par la suite du congé parental.

Au contraire, en France la majorité des femmes ne veut pas arrêter son activité professionnelle

lors de l’arrivée d’un enfant, l’emploi est pour ces femmes une source d’estime et de gratification

personnelles, souvent elles soulignent qu’après des études longues elles ne veulent pas renoncer à ce

qu’elles ont obtenu. En outre, les instruments de conciliation entre l’activité professionnelle et la vie

familiale, comme le congé de maternité et le congé parental ainsi que l’APE, semblent atteindre leurs

objectifs. Toutefois même en France où l’égalité de genre s’est affirmée davantage, le congé parental

reste la prérogative des femmes, soit parce qu’elles préfèrent rester auprès de leurs enfants pendant

les premières années de vie, soit parce qu’il est préférable de renoncer au salaire le moins rémunéré

qu’en France comme en Italie c’est encore celui de la femme.

Enfin on peut dire qu’en France l’activité des femmes, même dans la situation où elles ont des

enfants en bas-âge, est encouragée et que le contexte institutionnel apparait comme favorable à

l’arrivée des enfants. En effet Karine affirme :

« Je veux garder aussi mon activité professionnelle, et comme les deux [maternité et travail] peuvent bien se

concilier, je veux quand même garder mon emploi »64

Au contraire en Italie, non seulement les femmes préfèrent rester à veiller sur leurs enfants pour

une durée plus longue, mais aussi les institutions ne semblent pas encourager les femmes à rester en

64Brachet S., Letablier M.T., Salles A., Devenir parents en France et Allemagne : normes, valeurs, attentes, Politiques

familiales et sociales, n°100, juin 2010.

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emploi lorsque survient une grossesse. Irina parle explicitement de l’état et du manque de soutien à

la maternité :

« L’absence de la société, disons de l’état dans le soutien, disons de la maternité. Ça vaut pour les mères ne

travaillant pas, mais surtout pour les femmes en emploi qui aiment leur travail et qui veulent progresser. Ça

c’est compliqué lorsqu’on a des enfants »

Enfin, on note aussi une considération différente dans les deux pays pour le mode de garde

d’enfants collectifs. En France, les crèches et les équipements collectifs sont vus de manière positive

et encouragés puisqu’ils permettent la socialisation des enfants. En outre, la présence de nombreux

services sur le territoire permettent aux mères en emploi de pouvoir concilier leur double rôle.

Finalement, il semble que la socialisation collective est valorisée et acceptée même pour la possibilité

de mettre en contact des enfants issus de milieux différents et donc parce qu’elle permet d’apprendre

aux enfants le respect de la diversité. Sammy dit:

« I wanted them to be with other children… and I don’t know how to say it…I wanted them to be in contact

with other people, other nationalities and not in a small neighborhood with only respectable children»65

D’autres répondants soulignent les qualités de la socialisation collective comme forme

d’éducation pour les enfants puisqu’en partageant les espaces, les jeux et les attentions de la maîtresse,

ils sont obligés d’apprendre à être patients, respectueux et gentils avec les autres.

En revanche, en Italie l’opinion concernant le mode de garde collective est plus ambigüe et

contradictoire, certains répondants affirment ne pas vouloir confier leur enfant à personne, alors que

d’autres envisagent de trouver une place dans la crèche la plus la proche de la maison. En général, les

baby-sitters sont vues avec suspicion et considérées comme étant trop jeunes et inexpérimentés pour

leur déléguer la tâche éducative. Fréquemment les mères préfèrent laisser les enfants aux grands-

mères ou à un membre de la famille et ne recourent éventuellement aux équipements collectifs

seulement qu’en l’absence de cette possibilité.

Toutefois on note des opinions différentes au sein de la population enquêtée, les femmes les

plus diplômées et en emploi sont les plus favorables aux services de garde enfant collective puisqu’ils

permettent aux enfants de se connaître et aux mères de travailler. Elles encouragent aussi le

développement des crèches d’entreprise de manière à ce que les mères des enfants puissent leur dédier

un peu d’attention pendant la journée de travail. Ces répondantes affirment qu’il y a un manque

profond de tous ces services, et que les horaires restent très limités et que les coûts sont trop élevés.

Stefania montre son désappointement en affirmant :

65 Brachet S., Rossier C., Salle A., Understanding the long term effects of family policy on fertility: The diffusion of

different family models in France and Germany, Demographic Research, Vol. 22, Article 34, p. 1057-1096, Max Planck

Institute, June 2010.

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« Les crèches ne marchent par très bien. Elles sont ouvertes seulement le matin et jusqu’à 15-16h de l’après-

midi. Pour l’instant je travaille de 15h à 20h …exactement quand ces services sont fermés »

D’autre interviewées se montrent absolument opposées à l’idée de déléguer leur devoir éducatif

à des institutions et elles soulignent la possibilité pour les enfants de tomber malades ou d’être pris

en charge par des personnes incompétentes. La mère reste celle qui doit prendre en charge l’éducation

de l’enfant au moins dans ses premières années de vie. Donata pense que la mère doit rester à la

maison pour voir grandir ses enfants :

« Si on peut rester à la maison et être avec les enfants et les voir grandir jours après jours, pour moi ça c’est

la meilleure de choses, c’est positif. C’est comme ça que doivent grandir les enfants, pour moi la mère doit

rester à la maison »

Comme dans le cas de l’analyse statistique, l’analyse des entretiens met en lumière des

difficultés majeures de la part des couples italiens à réaliser les enfants désirés par rapport aux couples

français. Pour les premiers, les obstacles à l’achèvement des intentions de fécondité semblent

nombreux, parmi lesquels des problèmes de caractère économique et financier, ou bien un manque

d’aide de la part des institutions publiques. Sous cet aspect, la conciliation entre activité

professionnelle et vie familiale parait comme profondément incomplète, cela d’une part à cause du

manque de mesures aidant les femmes travaillant et d’autre part à cause de la persistance d’un modèle

familial traditionnel.

En France, le processus qui amène du désir d’enfant à sa réalisation semble moins difficile et

plus linéaire. Les couples rencontrent moins d’obstacles au cours de la prise de décision concernant

la fécondité, sinon dans les faits au moins dans les opinions.

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Chapitre 4:

Les résultats: en quoi la France et l’Italie divergent-elles?

Au cours de ce chapitre on veut revenir sur l’analyse faite dans le chapitre précédent. On veut

souligner davantage les différences et les similarités qui existent entre la France et l’Italie tout en

croisant les résultats de l’analyse avec le contexte institutionnel dans lequel les individus agissent.

Ceci permettra de comprendre l’éventuel lien entre le désir et les intentions de fécondité, et la

politique familiale française et italienne. On évaluera dans ce chapitre la justesse des hypothèses qui

ont été présentées au cours du deuxième chapitre.

1. La baisse de la fécondité : un phénomène diffus avec des conséquences

différentes.

Dans l’introduction de cette étude, on a éclairé les différents phénomènes qui ont investi

l’Europe, on a fait particulièrement attention à la description de la baisse de la fécondité, phénomène

qui a frappé tous les pays de l’Union Européenne mais avec des spécificités et des conséquences

différentes selon l’État membre. Dans le cadre de mon analyse, j’ai évalué le phénomène de la baisse

de la fécondité en France et en Italie en recourant à l’utilisation des données des enquêtes Gender and

Generation dans les deux versions nationales.

Ce qui émerge de l’étude des deux enquêtes est une diminution, au fil des générations, des

enfants de rang trois et supérieurs ; ce phénomène, bien qu’il soit commun aux deux pays, révèle plus

important en Italie qu’en France. On a noté, en effet, qu’en Italie la baisse de la fécondité est un

phénomène à la fois plus tardif et plus marqué et qui se manifeste tout particulièrement à partir de la

génération des femmes qui avaient entre 45 ans et 54 ans au moment de l’enquête. C’est à partir de

cette génération de femmes qu’on peut voir les plus profondes différences entre la France et l’Italie ;

alors qu’en France on assiste à la persistance d’une fécondité encore élevée, puisque les femmes ayant

trois enfants ou plus sont encore nombreuses, en Italie la diminution des naissances de rang trois

limite fortement la descendance finale de cette classe d’âge. C’est ainsi que l’on voit confirmée la

tendance de la baisse de la fécondité enregistrée en Europe, tout en confirmant l’existence de

différences nationales, notamment entre la France et l’Italie. Par ailleurs, on voit s’affirmer en Italie

le modèle de famille composé par les parents et deux enfants, au détriment du modèle de la famille

nombreuse, encore présent et encouragé en France.

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2. Le désir de fécondité : l’influence du milieu d’origine.

Afin d’évaluer l’existence d’un éventuel lien entre la politique familiale et le taux de fécondité,

on a recouru à l’analyse du désir de fécondité. Cet indicateur permet d’évaluer, au niveau idéal,

combien d’enfants les individus âgés de 18 à 49 ans désirent au cours de leur vie. Bien qu’il soit

extrêmement difficile d’estimer l’impact des politiques familiales sur le comportement réel des

individus, on a fait l’hypothèse qu’une politique familiale généreuse permet de rapprocher les écarts

entre le nombre d’enfants souhaités et le nombre d’enfants réellement mis au monde, puisqu’elle

permet la création d’un environnement favorable à la prise de décision concernant la reproduction.

L’étude du désir de fécondité faite à partir de l’analyse des données quantitatives et de l’analyse

du contenu des entretiens a mis en lumière qu’en France comme en Italie, les désirs de fécondité se

maintiennent à des niveaux élevés ; ceci est le cas de la France en particulier, mais aussi de l’Italie.

Ce qu’on a démontré grâce à l’analyse des entretiens, c’est que les couples italiens désirent encore de

nombreux enfants, normalement deux, mais très souvent trois, voire plus.

De ce point de vue, avoir mené conjointement une étude de type qualitatif et quantitatif m’a

permis d’éclairer davantage certains points restés inexplorés au cours de l’analyse quantitative. En

effet, l’analyse quantitative a fait émerger qu’en France et en Italie le modèle familial composé de

deux enfants est largement le plus répandu au niveau de l’opinion. Toutefois, dans les deux pays et

tout particulièrement en France, on note qu’il existe des personnes désirant une large progéniture. Le

pourcentage d’individus français désirant trois enfants ou plus est d’environ 30%, alors qu’en Italie

il est un peu supérieur à 20%.

De plus, il semble qu’il existe des facteurs influençant le désir de fécondité. On a noté, dans un

premier temps, l’influence de la fécondité de la famille d’origine dans la modélisation des attentes

concernant la fécondité. Cet élément est aussi important dans le cas de l’Italie que dans le cas de la

France. Toutefois, la régression logistique que j’ai réalisée, s’est relevée sensiblement plus

significative dans l’analyse de la population italienne que de la population française. Ces différences

peuvent être interprétées comme la persistance de différents modèles reproductifs en Italie, tandis

qu’en France il semble qu’un seul modèle soit partagé par toute la population.

Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de différences concernant la reproduction en France, mais

que probablement ces différences n’ont pas été prises en compte dans mon étude. En effet, j’ai analysé

tout particulièrement les différences existantes entre les régions géographiques et selon la fécondité

de la famille d’origine. C’est pour cela qu’en France on ne note pas l’émergence de modèles

différents, puisque au Nord comme au Sud les familles se maintiennent nombreuses.

Au contraire, en Italie les familles nombreuses restent l'apanage du Sud, puisque non seulement

les couples y désirent plus d'enfants, mais qu'en plus ils viennent eux-mêmes généralement de

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familles plus nombreuses. En France, des modèles différents pourraient émerger en analysant de plus

près l’importance de la classe sociale d’origine calculée sur la base du niveau d’étude, du revenu et

de l’éventuel héritage de la nationalité d’origine (dans le cas où il s’agit de français issus de

l’immigration).

Alors qu’en analysant les données des enquêtes Gender and Generation on n’a pas pu

comprendre le rôle de la politique familiale dans la création des attentes concernant la reproduction,

cela semble émerger davantage dans l’analyse du contenu des entretiens. Parmi les répondants italiens

nombreux mettent en évidence le fait que, malgré un profond désir d’enfants, les conditions

matérielles empêchent la réalisation des projets de fécondité. Il se trouve que déjà au niveau des

opinions les couples italiens revoient à la baisse leurs attentes, puisqu’ils considèrent que leur

situation économique ne permet pas de réaliser les enfants souhaités. En France, l’élément

économique est souligné seulement dans très peu de cas, à la faveur d’autres facteurs comme la

solidité du couple. On reviendra sur ce point au cours de la discussion sur les résultats concernant les

intentions de fécondité.

L’analyse des entretiens, comme l’analyse des données quantitatives, a mis en lumière le rôle

du milieu d’origine dans la modélisation des attentes concernant la reproduction. En somme, au cours

de notre analyse il est émergé qu’en France comme en Italie venir d’une famille nombreuse encourage

le désir d’une large progéniture.

3. Les intentions de fécondité : la politique familiale « montre le bout de son

nez »

Dans le cadre de l’analyse des intentions de fécondité on peut noter davantage les différences

qui existent entre la France et l’Italie concernant la décision d’avoir un enfant ou un enfant

supplémentaire.

Même dans ce cas, on a pu constater qu’en Italie la norme du modèle familial composé de deux

enfants est prédominant par rapport au modèle de la famille nombreuse. En France, bien qu’avoir

deux enfants soit le comportement le plus largement répandu, en avoir davantage n’est pas considéré

comme un comportement atypique ou déviant. Sous cet aspect, l’analyse des entretiens semble

démontrer qu’en France il existe une sorte de pression sociale à concevoir. En effet, on note que pour

chaque rang de naissance, les personnes françaises ont systématiquement l’intention d’avoir plus

d’enfants que les personnes italiennes.

En faisant référence à l’étude des données menée grâce à l’utilisation de l’outil de l’ACM, on

a mis en lumière les facteurs principaux déterminant les intentions de fécondité à court terme, que ce

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soit dans le cas de la population masculine de France et d’Italie, ou bien de la population féminine.

Ce type d’analyse a permis de décrire l’espace social dans lequel les individus agissent et de

comprendre que l’âge, l’état civil, ainsi que la position sur le marché du travail modèlent les intentions

de fécondité.

En effet, le fait d’être en couple, associé à une certaine maturité physique et mentale, ainsi que

le fait d’avoir confiance dans l’avenir, puisqu’on considère d’avoir atteint une certaine sécurité par

rapport à la situation économique et au poste de travail, façonnent les intentions de fécondité à court

terme. C’est dans le croisement de ces éléments que les intentions de fécondité deviennent positives.

De ce point de vue, la différence majeure entre la France et l’Italie ressort dans l’étude de la

population féminine. Alors qu’en France la femme se trouve systématiquement en activité, et à partir

de cela, créé ses attentes concernant la reproduction, en Italie ce n’est pas le fait d’être en activité qui

motive la décision d’avoir un enfant. Comme dans le cas de l’analyse du désir de fécondité, au cours

de l’analyse des données, on a pu constater qu’en l’Italie il existe deux modèles reproductifs

différents ; l’un traditionnel et ancré géographiquement dans les régions du Sud de l’Italie, qui relie

la femme aux tâches domestiques et au soin des enfants ; l’autre plus moderne, imitant les

comportements des femmes de l’Europe du Nord et Continentale, qui voit la femme en emploi après

avoir atteint un niveau d’étude élevé. Dans le cas de l’Italie, l’« émancipation » féminine est payée

au prix d’une contraction du nombre d’enfants.

En France, cette opposition semble être moindre puisque la plupart de femmes travaillent ;

toutefois, comme dans le cas de l’analyse du désir de fécondité, avoir analysé d’autres variables tenant

compte de la différence du statut social, aurait permis d’éclairer davantage l’existence de modèles

reproductifs différents en France aussi.

Cette analyse préliminaire a permis de saisir un facteur essentiel pour la compréhension des

intentions de fécondité : le fait d’être en couple joue un rôle primordial dans la maturation des

intentions de fécondité. Bien que cela puisse sembler un constat anodin, le même élément sort de

l’analyse du contenu des entretiens, où les répondants mettent clairement en évidence qu’il ne peut

pas y avoir des enfants en-dehors d’un couple qui se considère solide, stable et mûr. Ce facteur est

ainsi considéré comme fondamental ; toutefois, dans ce cas aussi, on peut noter des profondes

différences entre la France et l’Italie.

En effet, en France être en couple apparait comme le réquisit à l’intention d’avoir des enfants,

cependant c’est l’enfant « qui fait famille » (Brachet S., Letablier M.T., Salles A. 2010), c’est-à dire

que l’arrivée d’un enfant est vécue comme l’expression de la solidité du couple et comme la manière

de déclarer la force et l’intensité du sentiment entre conjoints. En revanche en Italie, c’est le mariage

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« qui fait famille », puisque c’est après avoir institutionnalisé leur union que les personnes décident

d’avoir des enfants. Ceci on l’a rencontré dans l’analyse des entretiens, mais est confirmé du fait

qu’en Italie la plupart des naissances continuent à se produire dans le cadre du mariage ; les enfants

nés hors mariage restent encore très peu nombreux.

Cela n’est pas le cas de la France, où les enfants naissent en égale mesure dans le cadre des

couples mariés que des couples en union libre. Bien qu’en France le mariage ne semble plus être la

condition pour avoir des enfants, l’analyse des données issues de GGS mettent en évidence que les

français restent attachés à cette institution puisque 65% des répondants se montrent contraires à

l’affirmation « le mariage est un institution dépassée ». Ceci semble encore plus étonnant en sachant

qu’en Italie seulement 54,3% des répondants ont affirmé la même chose.

Ce constat pourrait être interprété en considérant qu’en Italie le mariage reste le pré-réquisit

essentiel à la formation d’une famille, alors qu’en France une famille peut se constituer en-dehors de

l’institutionnalisation formelle, sans pour autant que les couples français ne désirent, dans un

deuxième temps, officialiser leur union à travers une cérémonie.

Enfin, les intentions de fécondité sont influencées par d’autres facteurs concernant un aspect

moins culturel et plus matériel de la vie, c'est-à-dire la perception de la situation économique et de la

situation à l’égard du marché du travail. A l’aide de trois différentes régressions et de l’analyse du

contenu des entretiens, on a constaté que la situation économique et le travail influent davantage sur

les choix des couples italiens d’avoir des enfants. Comme on l’a déjà dit, en France cet élément

émerge beaucoup moins souvent.

En regardant les hommes et les femmes séparément, on s’aperçoit que la population masculine

française semble désirer plus tôt l’arrivée d’un enfant que la population masculine italienne. Du

croisement de l’analyse des données et de la régression on pourrait penser que : les hommes français

non seulement atteignent une autonomie économique avant leurs collègues italiens, mais aussi ils

terminent leurs études plus tôt et partent du foyer familial à un âge plus jeune.

Au contraire en Italie, l’autonomie résidentielle et économique semble être plus tardive, ceci

est en coïncidence avec un âge à la fin des études plus avancé et par le maintien de postes de travail

atypiques pour des durées plus longues. Par conséquent, les intentions de fécondité apparaissent plus

tardives. En outre, en Italie, le travail et la situation économique modèle davantage le choix

concernant la reproduction ; en effet, les hommes sont aussi plus inquiets par rapport à la situation à

l’égard du marché du travail de leurs conjointes. Cela peut être justifié par deux considérations : soit

la société reste fortement ancrée au modèle traditionnel de la division des rôles, et alors l’homme dont

la femme travaille a du mal à vouloir des enfants puisque sa conjointe ne pourra pas s’en occuper à

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temps plein ; soit pour faire face aux problèmes économiques, l’homme encourage la femme à garder

son emploi et donc à limiter éventuellement sa fécondité. Dans les deux cas, il semble que les

obstacles à l’arrivée d’un enfant soient majeurs en Italie plutôt qu’en France.

Comme dans le cas de la population masculine, au cours de l’analyse de la population féminine,

on a constaté que seulement en Italie l’élément économique semble décourager les couples à avoir

des enfants. Par ailleurs, en France ce sont les femmes au foyer qui ont davantage l’intention d’avoir

des enfants ; cela peut être interprété comme la persistance de comportements traditionnels dans une

société fortement sécularisée, puisque seulement 10% des femmes françaises se déclarent au foyer,

alors que le pourcentage monte à presque 40% en Italie.

Enfin, en regardant seulement les femmes à la fois en couple et en activité, on comprend qu’en

France comme en Italie, le travail pèse sur la décision d’avoir un enfant. Cela peut être compris en

imaginant que dans les deux pays la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle ne semble

pas être encore complétée. Cela émerge tout particulièrement dans le cas de l’Italie : lorsqu’on se

focalise sur l’analyse des entretiens, les femmes déclarent vouloir arrêter leur activité professionnelle

quand elles tombent enceintes, soit dans le cas de congés rémunérés et protégés par la loi, soit si cela

n’est pas possible, en se retirant « momentanément » du marché du travail.

Même dans le cas de l’analyse de la population féminine en couple et en emploi, on a noté que

c’est seulement dans le cas des femmes italiennes que la situation économique semble avoir un effet

sur la décision d’avoir un enfant.

Pour conclure ce paragraphe, on peut affirmer qu’en Italie plus qu’en France les projets de

fécondité semblent être soumis à nombreux facteurs. On a constaté que l’élément qui pèse davantage

sur ce choix est la peur de ne pas pouvoir faire face économiquement à l’arrivée d’un enfant ou d’un

enfant supplémentaire. Ce facteur apparaît comme l’un des fondamentaux pour expliquer le décalage

entre les enfants désirés et les enfants réellement mis au monde. A ceci, il faut ajouter le fait de

prétendre, au moins dans le cas de la population masculine, à un travail stable et préférablement bien

rémunéré. C’est du croisement de ces facteurs, conjoints à des facteurs de type culturel, comme la

persistance d’une forte asymétrie de genre et d’une sortie tardive du foyer parental, ainsi que des

facteurs liés au marché du travail (emplois distribués de manière déséquilibrés sur le territoire,

maintien de postes précaires et atypiques jusqu’à des âges avancés, chômage), que se modélisent les

intentions de fécondité. Il semble évident que sous ces conditions les personnes italiennes arrivent à

réaliser moins d’enfants que ceux qu’ils désirent.

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4. « Ma perché, perché perché ? »66 La politique familiale fait sont entrée !

Dans ce paragraphe, on s’apprête à analyser les résultats de l’étude à la lumière des différentes

mesures d’aide aux familles mises en place respectivement par l’État français et l’État italien. Ainsi

faisant, on veut comprendre les obstacles qui empêchent les projets de fécondité à partir de la

compréhension du contexte national dans lequel les individus agissent.

Comme on l’a déjà mis en exergue au cours des chapitres précédents, la politique familiale peut

être composée de nombreuses mesures ; dans cette études on a considéré tout particulièrement les

mesures en aides aux familles et compensant les coûts éventuels liés à l’arrivée d’un enfant, à sa prise

en charge et son éducation, ainsi que les mesures conciliant la vie familiale et l’activité

professionnelle. En outre, on a tenté de comprendre dans quelle mesure l’État s’est investi dans la

prise en charge de la population enfantine à travers l’ouverture de services de garde d’enfants

collectifs.

A côté de l’étude de ces mesures en direction des familles, on a tenté de comprendre comment

l’État français et l’État italien ont décidé d’agir dans la société, c’est-à dire quels principes ont motivé

l’action du gouvernement dans ces pays. Au cours de ce paragraphe, on veut revenir sur ces points

tout en essayant de comprendre les résultats de l’analyse à la lumière des différents contextes

nationaux. Pour cela, je tenterai de passer en revue les mesures en directions des familles, ou bien le

manque de ces mesures, pour rendre compte des obstacles qui empêchent la réalisation des intentions

de fécondité dans les deux pays. Cela pourra, en partie, expliquer le décalage plus ou moins marqué,

entre désir de fécondité et la fécondité réellement réalisée.

Parmi les difficultés que les couples rencontrent dans la prise de décision concernant la

fécondité, on a noté que le facteur économique joue un rôle de premier plan. Le pays qui semble subir

plus profondément le poids du manque des conditions matérielles pour faire face à l’arrivée d’un

enfant est sans aucun doute l’Italie. Ceci est apparu à plusieurs reprises, ce qui souligne davantage

l’importance de sentir l’environnement matériel favorable et le milieu d’habitation propice, avant de

décider d’avoir un enfant. On a constaté par ailleurs, que les problèmes économiques peuvent être

réels ou seulement dans les opinions, mais que dans les deux cas, c’est la façon dont les individus

perçoivent leur situation qui détermine les projets de fécondité. Comment motiver la plus grande

difficulté des italiens et des italiennes à réaliser les enfants désirés ? On regarde de plus près les

transferts économiques.

66 De « Il caffé della Peppina », chanson italienne pour enfants des années 1970.

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Les transferts économiques : avec ce terme, je considère tout type de mesures en direction des

familles, ceci peut comprendre les allocations, les mesures en soutien du revenu, les bourses d’études,

ainsi que les déductions fiscales.

En France, on sait qu’il existe de très nombreuses mesures en direction des familles qui

soutiennent les individus tout au cours de leur vie et tout particulièrement dans le moment où ils

décident de créer une famille. On sait aussi, que ces mesures se sont longtemps inspirées de principes

natalistes et pour cela les aides en directions de familles nombreuses ont été, à certaines époques,

particulièrement généreuses. Ceci semble pouvoir expliquer pourquoi les couples français ne

considèrent pas comme un obstacle insurmontable les problèmes liés à la situation économique. Bien

qu’il puisse y avoir des problèmes matériels liés à l’arrivée d’un enfant, les individus savent pouvoir

compter sur l’aide de l’État. Cela non seulement encourage davantage les couples à avoir des enfants,

mais crée aussi un environnement favorable pour la prise de décision puisque les personnes peuvent

avoir confiance dans l’avenir.

En revanche en Italie, l’État n’a jamais réellement pris en charge les coûts liés à l’arrivée d’un

enfant et à son maintien tout au cours de sa jeunesse. Les aides directes en direction des familles

restent très peu nombreuses, très peu généreuses et soumises à des conditions restreintes, telles que

le revenu, le type d’emploi, la zone de résidence67. Sous cet aspect, la prise de décision concernant la

reproduction devient une question strictement personnelle et pour cela les individus doivent évaluer

concrètement l’arrivée d’un enfant (ou un enfant supplémentaire) et ses coûts.

Toujours en Italie, les déductions fiscales semblent prendre davantage en charge la présence

d’enfants ; toutefois même dans ce cas, elles ne sont pas assez généreuses pour compenser leurs coûts

réels (ou les coûts d’autres éventuels parents à charge).

Ce manque, non seulement n’encourage pas les projets reproductifs, mais il ne semble pas non

plus favoriser la confiance envers le futur, puisqu’en cas de problèmes les personnes italiennes ne

pourront pas compter sur l’aide de l’État. Ceci semble être une première raison pour expliquer

pourquoi les familles italiennes réalisent moins d’enfants qu’elles n’en souhaitent.

Les mesures conciliant travail et famille : d’autres aspects qui ont émergés grâce à mon

analyse son liés à l’emploi et à la place des individus sur le marché du travail. Cela semble être le cas

à la fois de la population masculine et féminine de France et d’Italie. Le travail de nos jours, non

seulement est l’instrument nécessaire pour gagner sa vie, mais il est devenu aussi une forme de

gratification pour les hommes et spécialement pour les femmes ayant atteint des niveaux d’études

élevés. Alors qu’en France, même dans ce cas, l’État a toujours participé activement à la modélisation

67 Puisque certaines mesures en direction de famille sont délivrées au niveau régional, voire communal.

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d’un environnement favorable à la conciliation entre responsabilités différentes, et notamment entre

le soin des enfants, de la maison et du travail ; en Italie la conciliation reste encore difficile et les

rapports de genre restent très fortement asymétriques tout particulièrement dans certaines régions du

Sud. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’en France la situation soit parfaitement équilibrée, puisque

c’est la femme qui a toujours en charge la plupart du travail domestique, mais elle se trouve aussi

dans une position active sur le marché du travail, ce qui permet qu’elle puisse bénéficier d’aides en

cas de maternité et des congés rétribués.

En Italie, cela est beaucoup moins le cas, puisqu’il existe encore une profonde différence de

genre concernant le taux d’activité. Les femmes sont beaucoup moins souvent en activité que les

hommes, et lorsqu’elles sont en activité elles habitent les plus souvent les régions de l’Italie du Nord,

ce qui crée des profondes inégalités entre sexes mais aussi entre femmes, puisque certaines pourrons

bénéficier du congé maternité rétribué en cas de grossesse, alors que pour d’autres la charge

conséquente à la naissance d’un enfant sera complètement un devoir de la famille, surtout du point

de vue financier.

De plus, alors qu’en France les femmes désirant rester à côté de leur enfant au cours de ses

premières années de vie, pourront le faire en bénéficiant de mesures telles que l’APE ; en Italie où les

femmes désirent davantage rester veiller auprès de leurs enfants, elles pourront bénéficier du congé

parental seulement si elles sont formellement active sur le marché du travail et de préférence dans un

emploi stable et dans le secteur public. De nombreuses mères travaillant dans postes atypiques, voire

peu protégés par la loi, se trouvent très souvent obligées de quitter leur emploi. D’autres encore

pensent qu’il est juste que les mères n’aient pas de travail pendant la période où l’enfant à moins de

trois ans, indépendamment de la possibilité de profiter d’aides pour la maternité. Elles comptent de

reprendre une activité par la suite, sans considérer pour autant que plus l’on reste au dehors du marché

plus il sera difficile d’y rentrer.

En effet, les allers-retours entre activité et inactivité pour les femmes et tout particulièrement

pour les femmes peu qualifiées, ne peuvent qu’affecter leurs carrières ainsi que la possibilité de

pouvoir bénéficier un jour de la retraite.

En France, même dans ce cas, l’État semble protéger davantage la maternité par rapport à

l’Italie, non parce qu’il existe de plus nombreuses mesures, mais pour le fait que la femme se trouve

plus fréquemment en activité, et pour cela elle est protégée par la loi en cas de grossesse. En revanche,

en Italie elle se trouve moins souvent en activité et donc rarement peut bénéficier d’aides dérivant de

son statut de travailleuse. Alors qu’en Italie les mesures en protection de la maternité existent, et il

existe aussi des mesures protégeant la maternité des femmes se trouvant au dehors du marché du

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travail68, celles-ci ne semblent pas être suffisantes, ou bien elles n’arrivent pas à garantir la protection

de toutes les femmes en ayant besoin.

En ce qui concerne le taux d’activité féminine de l’Italie, on peut expliquer la profonde

différence avec celui de la France, d’un côté par la persistance d’une idéologie traditionaliste qui veut

que la femme reste liée aux tâches domestiques, et de l’autres côté par l’existence d’un profond

problème de chômage et par le maintien d’un très ample marché de travail informel et au noir.

Même sous cet aspect, il existe de profondes différences entre le Nord et le Sud de l’Italie, ce

qui cause des encore plus profondes différences entre travailleuses et mères du Nord et travailleuses

et mères du Sud.

Bien que la persistance d’un déséquilibre entre sexes semble être plus marquée en Italie, on

note que dans les situations où les familles peuvent bénéficier du congé parental, c’est toujours la

femme qui en profite, que ce soit dans le cas de la population italienne ou française.

Enfin, tandis que la conciliation entre les temps de vie reste encore partielle en France comme

en Italie, on a montré qu’encourager l’entrée des femmes sur le marché du travail en règle leur

permettrait de bénéficier davantage des mesures en soutien à la maternité.

Les services de garde d’enfants collectifs : toujours en considérant les éventuels obstacles à

l’arrivée d’un enfant, on a tenté de comprendre quel rôle peut avoir la présence de nombreux

équipements collectifs de garde d’enfant sur le territoire. On a essayé de comprendre aussi les

opinions et les attentes concernant ce type de service pour voir si l’absence de ces structures puisse

être imputable, d’une part, à un faible investissement de la part de l’État et, d’autre part, de la

persistance de mauvaises croyances à propos des modes de garde collectifs. Cet aspect on a pu

l’analyser grâce à l’étude du contenu des entretiens, lesquels ont reporté une opinion sensiblement

différente entre français et italiens.

Si en France, comme l’on a déjà mis en évidence, les services de garde d’enfants sont largement

répandus sur tout le territoire, et les personnes ayant des enfants en bas âge estiment qu’ils sont des

équipements nécessaires non seulement pour aider les parents qui travaillent à concilier leurs doubles

responsabilités, mais aussi comme instrument éducatif et de socialisation des enfants.

La construction de ce type de services, on l’a vu, a suivi le double objectif de permettre aux

parents, et tout particulièrement à la mère, de rester en emploi pendant les premières années de vie de

l’enfant, et aussi de garantir la plus ample égalité entre enfant en encourageant une éducation précoce

et universelle.

68 Assegno di maternità (AM).

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A côté de ces services, l’État français a favorisé la création d’autres type de prestations, telles

que l’allocation de garde d’enfant à domicile et l’emploi d’une assistante maternelle ; celles-ci ont

été motivées par le principe du « libre choix » des parents, c'est-à-dire que l’État à encouragé les

parents à décider le mode de garde d’enfant préférable étant données leurs exigences, ce qui a permis

la mise en règle de postes sur le marché du travail.

En Italie, les choses apparaissent plus compliquées puisque l’opinion concernant les

équipements collectifs de garde d’enfants reste très ambigüe et très souvent contradictoire. Au cours

des entretiens, on a noté une certaine hostilité et réticence de la part des femmes à ce type de service ;

les répondantes soit déclaraient préférer laisser leurs enfants à un membre de la famille, soit

déclaraient de ne pas vouloir déléguer leur tâche éducative à un inconnu aux prix de décider de quitter

l’emploi. Comme on l’a déjà dit, il semble qu’en Italie le devoir éducatif reste une prérogative de la

femme puisque très peu de mères décident de ne pas veiller sur leurs enfants pendant leurs premières

années de vie.

A côté de ce groupe de femmes, qui est pour autant assez nombreux, on a constaté qu’il existe

une opinion beaucoup plus positive envers les services collectifs de garde d’enfant. Il s’agit d’un

groupe plus restreint moyennement plus cultivé et très souvent en activité. Ces femmes sont

favorables à l’utilisation des modes de garde d’enfants puisqu’elles croient qu’il est un instrument

éducatif et de socialisation. Toutefois, même parmi celles qui apprécient une socialisation collective

précoce, certaines se plaignent que les crèches restent très peu nombreuses en Italie et très souvent

trop chères pour pouvoir en bénéficier. De ce point de vue, on est obligé de souligner à nouveau la

répartition déséquilibrée des équipements sur le territoire italien ; alors qu’au Nord le taux de

couverture atteint dans certaines régions 20%, au Sud il atteint 2% dans le pire des cas. Cela ne peut

que faire perdurer les différences entre régions, autant dans la possibilité de profiter d’un service, que

dans le maintien des différences de genre concernant l’activité des femmes avec des enfants en bas

âge.

Ces deux facteurs semblent fortement corrélés puisque la persistance d’une mentalité

traditionnelle empêche à la femme de vouloir travailler pendant que les enfants grandissent, et alors

qu’elle désirerait travailler elle ne peut pas le faire à cause du manque des services de garde, ou par

ses coûts trop élevés. Ceci semble créer une sorte de cercle vicieux.

En ce qui concerne l’existence d’autres modes de garde d’enfants, comme des assistantes ou de

baby-sitter, d’un côté il persiste une certaine méfiance, d’un autres côté, les familles quand elles en

ont besoin, sont obligées à s’adresser au marché du travail au noir. Il n’existe pas jusqu’à présent des

mesures encourageant la régularisation des personnes aidant les familles dans les tâches de soin aux

enfants ou de la maison.

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Même dans ce cas, l’État français a atteint des meilleurs résultats que l’État italien. Non

seulement il a réussi à favoriser la conciliation entre les temps de vie, et il a encouragé un modèle

égalitaire et (presque) universel de garde d’enfants, mais il a aussi réussi à créer de postes de travail,

ainsi qu’à favoriser un plus grand équilibre dans la famille concernant le soin des enfants. En Italie,

on remarque encore une fois, la persistance de profondes différences au niveau territorial concernant

les investissements pour la garde d’enfants collective, ainsi que le maintien d’une certaine hostilité

envers ce type de service, motivée en partie, par le maintien d’une mentalité encore traditionnelle.

Il faut noter que l’analyse des entretiens menés à Naples, sous cet aspect, a pu induire un certain

biais dans mon étude, puisque les modes de vie dans cette ville restent fortement traditionnelles ;

toutefois, cela représente fidèlement une partie de la population italienne qui habite notamment les

régions méridionales. En effet, on aurait pu avoir des résultats probablement différents en analysant

le contenu des entretiens de Bologne ou Padoue ;cependant, cela ne fait que confirmer le constat

qu’en Italie il continue à exister deux modèles reproductifs différents qui sont le résultat du maintien

d’une idéologie plus traditionaliste au Sud associée à un différent investissement de la part des

pouvoirs publics régionaux dans la création de mesures et de services en direction des familles.

« Le paradoxe » est alors qu’en Italie du Sud, où les modes de vie traditionnels sont encore

largement répandus, les couples ont plus souvent plus d’enfants et en désirent davantage. Au

contraire, en Italie du Nord, où les équipements collectifs sont plus présents sur les territoires et où la

femme travaille davantage, on a constaté que les couples désirent moins souvent d’avoir trois enfants

ou plus. C’est dans ces mêmes régions que les intentions de fécondité semblent être moindres. On est

alors porté à croire que dans les situations où il s’est vérifié le passage vers une société plus moderne

et plus semblable aux sociétés de l’Europe du Nord et Continentale, les couples limitent davantage

leur descendance finale, probablement en coïncidence d’une politique familiale qui reste, même dans

les régions de l’Italie du Nord, encore trop peu attentive et généreuse.

La division des tâches domestiques : enfin, un autre élément qui peut expliquer la difficulté

des couples à réaliser les enfants désirés semble reposer sur une répartition déséquilibrée des tâches

domestiques au sein de la famille. Bien que cet aspect ait déjà été examiné au cours de l’analyse des

résultats, puisqu’il est ressorti de l’analyse de la conciliation entre les temps de vie, comme de

l’analyse de l’opinion sur le mode de garde collectif ; on croit qu’il est important de le voir

singulièrement pour comprendre davantage l’action de l’État en direction des familles.

On a constaté qu’en Italie, l’insatisfaction dérivant d’une répartition des tâches domestiques

inégalitaire semble décourager les femmes en activité à avoir des enfants à court terme. De plus,

l’analyse des correspondances multiples a mis en évidence que plus on se rapproche du secteur des

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femmes travaillant, plus le désaccord et l’insatisfaction pour la division des tâches domestiques

augmente. Cela n’est pas le cas de la France, ou la satisfaction et l’insatisfaction se situent autour de

la même population.

Bien que l’on ne croie pas qu’en France la charge domestique soit également repartie entre

homme et femmes, on peut noter qu’elle apparait plus égalitaire qu’en Italie. Cela, selon mon

interprétation, est dû au fait que la femme se trouve le plus souvent sur le marché du travail. Alors

qu’en Italie les rôles restent très séparés et ancrés dans les sexes, en France l’homme comme la femme

contribuent à l’économie du ménage et à la prise en charge de la maison. En Italie, soit les rôles

restent très fortement divisés, soit quand il existe une plus grande égalité dans l’emploi, la femme

reste celle qui doit s’occuper du travail domestique.

A la lumière de la majeure égalité entre les sexes constatée en France, on se demande en quoi

la politique familiale peut y avoir contribué. On croit que la politique familiale françaises en ayant

donné une égale responsabilité aux parents face au maintien et à l’éducation des enfants, et en ayant

légitimé la femme à entrer massivement sur le marché du travail, elle a aussi créé des normes

concernant le rapport homme-femme et tout particulièrement concernant la division du travail

domestique.

Avec cela on ne veut pas affirmer que les couples français aient atteint la plus complète égalité,

mais déjà le fait que la femme puisse profiter d’un salaire, l’enlève d’un rapport de dépendance face

au conjoint.

De ce point de vue, l’État italien avec son action a encouragé des principes ambigus face au

rapport homme-femme, de temps en temps il a encouragé l’entrée de la femme sur le marché du

travail, d’autre fois, au contraire, il a favorisé le maintien d’une conception plutôt traditionnelle de la

famille. Même dans ce cas, il semble y avoir plus d’obstacles en Italie qu’en France à l’arrivée d’un

enfant ; si la charge des enfants paraissait être seulement une prérogative de la femme, elle induirait

forcément une réduction de sa fécondité puisque l’arrivée d’un enfant supplémentaire ne ferait

qu’augmenter sa quantité de travail.

Pour résumer, on peut affirmer qu’en Italie la décision d’avoir d’enfants semble être contrainte

par de très nombreux facteurs. Les couples rencontrent de nombreux obstacles auxquels ils n’arrivent

pas à faire face en l’absence d’aide de la part de l’État. Il émerge que non seulement les mesures en

direction de familles sont encore très peu nombreuses, mais que celles-ci ne réussissent pas à créer

un environnement favorable qui puisse encourager la réalisation des enfants.

Ces difficultés, associées à la persistance d’une idéologie encore plutôt traditionnaliste et au

maintien de nombreuses différences territoriales, semblent pouvoir expliquer en partie la faiblesse du

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taux de fécondité italien. En effet, on a constaté qu’au niveau idéal, tous les couples désirent au moins

deux enfants ; l’écart entre le désir de fécondité et la fécondité réellement réalisée pourrait ainsi

expliquer, sous certains aspects, le phénomène de la baisse de la fécondité en Italie.

En revanche en France, une politique sociale généreuse et attentive aux nécessités des familles

a permis de maintenir le taux de fécondité élevé, puisqu’elle a su prendre en charge les coûts liés aux

enfants. En outre, la politique familiale française a été stable dans le temps en réussissant à créer un

environnement favorable et propice; de ce fait, elle a mis les citoyens en condition d’avoir une

certaine confiance dans l’avenir.

L’État français avec son action positive, a accepté précocement différentes formes de vie

familiale ainsi que différentes manières de vivre la parentalité, ce qui a permis aux couples de pouvoir

décider comment faire « famille », tout en pouvant compter sur l’aide des pouvoir publics. Enfin,

l’État français a vivement encouragé l’articulation de la vie professionnelle et l’activité familiale

grâce à de nombreuses mesures conciliant ces deux aspects de la vie.

Au contraire, en Italie, l’État n’a pas élaboré des mesures favorisant la modélisation d’un

environnement favorable aux projets de fécondité, il n’a pas non plus créé des mesures aidant les

parents dans le soin des enfants ; mais il a préféré agir de manière passive en déléguant aux familles

les coûts de leur prise en charge, tout en continuant à imposer une notion plutôt normative sur ce qu’il

faut considérer comme famille. Les contradictions de la politique familiale italienne, ainsi que sa

faible attention envers les problèmes des familles, conjointement à de problèmes endémiques liés à

l’emploi et à l’économie du pays, arrivent à bien résumer les raisons de la faible fécondité italienne.

Pour conclure, on tient à souligner qu’on ne croit pas qu’une politique clairement nataliste

puisse être la solution à la baisse de la fécondité italienne, mais on encourage des actions positives de

la part de l’État afin de permettre aux familles de réaliser les enfants désirés.

De ce point de vue, la politique familiale française, bien qu’elle soit née avec des objectifs

natalistes explicites a réussi à se dépouiller au cours du temps de cet aspect, tout en favorisant le

maintien d’un taux élevé de fécondité, ainsi qu’en donnant la possibilité aux familles de mettre au

monde les enfants désirés.

Conclusions et perspectives de recherche :

A l’issue des résultats de la recherche, je veux revenir sur mon étude afin d’en faire un bilan,

d’en extraire les avantages et d’en comprendre les limites. Pour ainsi faire, je m’apprête, tout d’abord,

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105

à parcourir à nouveau mes résultats pour évaluer leur justesse tout en considérant mes hypothèses de

recherche et les questionnements qui ont guidé mon travail d’étude.

Par la suite, je voudrais revenir sur les questions évoquées au cours de l’introduction pour

dresser un dernier panorama sur la situation démographique en Europe et pour évaluer comment la

France et l’Italie ont finalement répondu aux directives de la Commission Européenne. Dans un

deuxième moment, je voudrais évaluer brièvement les conséquences du maintien d’une faible

fécondité associé à la problématique du vieillissement de la population. Enfin, dans le dernier

paragraphe je voudrais présenter les limites et les points de force de mon travail d’analyse, ainsi que

réfléchir sur de nouvelles pistes de recherche et de nouvelles perspectives d’étude.

Un dernier regard sur les résultats : au cours de mon étude je me suis posé comme objectif

de comprendre le comportement reproductif des couples français et italiens tout en considérant « le

background » dans lequel les personnes agissent. Dans un premier temps, j’ai analysé la politique

familiale des deux pays, leur développement historique et les objectifs qui ont motivé l’action de

l’État au fil du temps. En outre, j’ai voulu étudier les politiques d’emploi pouvant affecter directement

le comportement des familles et notamment des femmes, je me réfère notamment aux mesures de

conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

La compréhension du contexte institutionnel dans lequel les individus agissent m’a permis

d’étudier plus précisément les désirs et les intentions de fécondité des couples de France et Italie.

Tout d’abord, j’ai tenté de comprendre quel est le comportement reproductif le plus encouragé, et

pour cela j’ai étudié les opinions des enquêtés, donc leurs attentes et leurs souhaits en matière de

progéniture. Cela m’a permis de savoir qu’en France comme en Italie, les personnes désirent avoir

des familles composées de deux enfants ; celle-ci est considérée comme étant la norme et la référence

symbolique dans les deux pays.

Dans un deuxième moment, j’ai essayé de décrire l’espace social dans lequel les personnes

prennent leurs décisions reproductives afin de comprendre, par la suite, quels sont les facteurs qui

influencent les intentions de fécondité. Enfin, j’ai complété la partie d’analyse en étudiant le contenu

des entretiens menés en France et en Italie dans le cadre de l’enquête REPRO ; ceci m’a permis de

saisir davantage le lien entre le contexte institutionnel dans lequel les individus agissent et leurs

intentions de fécondité à court terme.

Revenons alors sur mes résultats : il a émergé au cours de toute l’analyse qu’en Italie plus qu’en

France les couples ont du mal à réaliser les enfants qu’ils souhaiteraient avoir. L’analyse de type

quantitatif, nous a permis de démontrer que les personnes, avant de décider d’avoir des enfants, ont

besoin de se sentir dans un environnement matériel propice, ainsi que de pouvoir compter sur un

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emploi stable. L’absence de ces éléments semble peser davantage sur la population italienne ; en effet,

alors que les désirs de fécondité restent élevés, les couples italiens n’arrivent pas à réaliser le nombre

d’enfants souhaité.

Ce constat nous permet d’affirmer que la politique familiale peut avoir un rôle significatif dans

la décision d’avoir des enfants, ou plus probablement, d’un enfant supplémentaire. En effet, à la

lumière de mes résultats, je suis porté à croire qu’en France la politique familiale a réussi à créer un

environnement favorable et propice qui permet aux couples de mûrir des perspectives et donc une

certaine confiance dans l’avenir. Dans cette situation, la décision de réaliser un enfant sera soumise à

moins de contraintes que dans le contexte italien où les couples expriment davantage de la crainte

envers le futur.

Toujours en regardant l’éventuel impact de la politique familiale sur le comportement des

personnes, on a été porté à réfléchir sur le rôle de la femme dans la société, ainsi que ses

responsabilités à l’égard de la famille et sa place sur le marché du travail. Mes résultats semblent

démontrer qu’en France, où l’État a mené une politique claire avec l’objectif déclaré de favoriser

l’égalité entre hommes et femmes, les femmes profitent d’une plus grande autonomie financière

comparées à leurs collègues italiennes, ce qui leur a permis de s’affranchir d’un rôle de subordination

par rapport au conjoint « pourvoyeur de ressources ». En outre, en France, l’Etat a soutenu et

encouragé la création de modes de garde d’enfants collectifs qui ont permis aux femmes, et en général

aux parents, de concilier l’activité professionnelle et la vie familiale. Ces formes d’accueil semblent

favoriser l’égalité de chances entre enfants face à l’éducation, alors qu’ils permettent aux mères de

rester en emploi pendant les premières années de vie du nouveau-né.

En Italie, la politique familiale avec ses contradictions et ses ambigüités n’a pas réussi à

s’affranchir d’une définition plutôt normative de la famille. Sous cet aspect, les responsabilités

familiales et surtout le soin des enfants en bas âge, restent la prérogative de la femme qui, cependant,

cherche à trouver une nouvelle identité en raison de sa nouvelle et croissante place dans l’emploi.

Il semble manquer en Italie une vraie reconnaissance du rôle de la femme dans son double rôle

de mère et de travailleuse ; de ce point de vue, une politique familiale explicite aurait pu rééquilibrer

les relations familiales et les rapports de dépendance qui en résultent. L’action étatique, au lieu de

promouvoir une plus grande égalité homme-femme, n’a fait que proposer à nouveau des

contradictions déjà existantes dans la société italienne : elle a en effet, a encouragé la femme à entrer

sur le marché du travail tout en continuant à déléguer aux familles le soin et l’éducation des enfants

en bas âge. Cela n’a fait que créer un profond conflit entre les attentes concernant la reproduction et

la gratification dérivant du fait d’être en emploi. Ceci peut expliquer en partie la faible fécondité

italienne.

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A la lumière de ceci, je peux affirmer qu’il existe un lien entre la politique familiale et le taux

de fécondité, bien que cela soit de difficile de le calculer et que ses effets ne sont pas mesurables. En

effet, alors qu’en France une politique familiale généreuse et stable dans le temps, ainsi que des

mesures facilitant l’articulation entre vie familiale et activité professionnelle ont permis à la fécondité

de rester élevée, en Italie une politique familiale ambigüe et résiduelle s’inspirant du principe de la

subsidiarité mais encourageant un certain modèle de famille, n’a pas donné la possibilité aux couples

de réaliser les enfants désirés, et a maintenu de profondes asymétries entre les hommes et les femmes.

L’approche que j’avais proposé au cours du premier chapitre, attentive aux rapports, aux

relations et aux dépendances au sein de la famille m’a permis, comme je l’avais espéré, de comprendre

comment la famille est définie dans la mise en place des politiques sociales, ainsi que de comprendre

comment les obligations entre les membres de la famille s’articulent avec l’action de l’État.

Sous cet aspect, l’action active et dynamique de l’État français face aux problèmes de la famille

et des couples, a donné vie à un cercle vertueux puisque le taux de fécondité a réussi à rester élevé et

stable dans le temps. Au contraire, en Italie l’action passive et résiduelle de l’État n’a pas réussi à

promouvoir les principes d’égalité homme-femme, et a également maintenu des taux d’activité

féminine faibles, ainsi que un taux de fécondité à un niveau sensiblement en-dessous du taux de

remplacement des générations.

Enfin, en référence aux directives communautaires, la France plus que l’Italie a démontré

qu’elle était en mesures de s’adapter aux principes formulés dans les livres verts, puisqu’elle a su

encourager l’activité des femmes, l’égalité des chances entre citoyens tout en tentant de moderniser

sa politique familiale. Je m’apprête à discuter de cet aspect au cours du paragraphe suivant car ceci

me permettra d’éclairer, par la suite, les conséquences du maintien d’une faible fécondité.

Les appels de la Commission Européenne : comme on l’a mis en évidence au cours de

l’introduction, dans des récentes années les instances communautaires ont porté un nouvel intérêt aux

questions démographiques. La Commission Européenne, dans trois communications différentes, a

mis en lumière les défis démographiques auxquels les États membres sont soumis, tout en proposant

de nouvelles stratégies d’action. Les États membres ont été encouragés à une action positive visant à

la modernisation des systèmes de protection sociale pour pouvoir limiter les conséquences du

vieillissement de la population, favoriser un vieillissement en bonne santé, ainsi que pour promouvoir

une plus longue vie au travail. De plus, la Commission Européenne s’est investie pour que les couples

puissent avoir le nombre d’enfants désiré, en encourageant les États membres dans la construction de

modes de garde pour les enfants ; ceci permettrait aussi de faire augmenter le taux d’activité féminine.

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Enfin, elle promeut une nouvelle solidarité entre générations pour éviter d’éventuels conflits

intergénérationnels.

En référence aux directives de la Commission européenne, on est amené à s’interroger sur la

manière dont la France et l’Italie ont essayé de répondre à ces défis démographiques. Même sous cet

aspect la France, plus de l’Italie, semble avoir tenté d’adapter son système social aux directives

communautaires, sans entrer dans le détail, mais en se limitant à regarder les aspects dont on a discuté

au cours de la recherche, la France a su promouvoir l’activité féminine, donc l’égalité homme-femme,

ainsi que la construction de modes de garde d’enfants collectifs. En revanche, en Italie, bien que des

progrès non-négligeables ont été faits depuis une dizaine d’années en matière de loi en défense des

parents-travailleurs, ainsi qu’au niveau territorial pour la construction d’équipements collectifs de

garde d’enfant, il manque une loi cadre et des actions gouvernementales harmonisant toutes les

mesures existantes dans le pays. De plus, il continue à exister de profondes asymétries hommes-

femmes concernant tout particulièrement la place sur le marché de l’emploi. Tout cela, ne peut que

causer de profondes inégalités parmi les citoyens ainsi que la persistance de profonds déséquilibres

entre les générations.

En regardant de plus près la problématique de la baisse de la fécondité en Europe, la

Commission Européenne a encouragé les États membres à prendre les mesures nécessaires pour que

les couples puissent réaliser les enfants désirés. Les conséquences du maintien d’une faible fécondité

associé au processus de vieillissement de la population ne peuvent que causer de profonds problèmes

pour les États membres. Il s’agit notamment du problème du financement des retraites, de l’explosion

des dépenses de santé, ainsi que de la diminution de la productivité du travail causée par la faible

quantité de travailleurs jeunes.

En ce qui concerne la fécondité, la faible descendance finale des femmes qui sont actuellement

en âge de procréer aura comme conséquence que, dans le futur, les femmes pouvant avoir des enfants

seront de moins en moins nombreuses.

Alors que ces questions doivent être affrontées par les États de manière systématiques, en Italie

encore une fois, les pouvoirs publics démontrent une faible capacité à trouver des solutions. En effet,

le vieillissement de la population est déjà à un état avancé, et les finances publiques ne se trouvent

pas non plus dans le meilleur des états de santé. En revanche, en France les pouvoirs publics semblent

avoir entrepris le chemin des reformes et notamment en ce qui concerne le financement des retraites.

Pour compléter ce paragraphe je voudrais souligner comme la méthode comparative et tout

particulièrement l’approche « centrée sur des cas » m’a permis d’éclairer les différences entre la

France et l’Italie. Cette manière de faire recherche, m’a donnée la possibilité de faire émerger des

aspects qui seraient restés inexplorés en faisant référence au seul contexte national. La comparaison

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internationale est d’autant plus importante de nos jours, puisqu’on se retrouve dans un espace social

de plus en plus élargi. Comme je l’ai déjà dit, cette méthode nous permet de comprendre les bonnes

et les mauvaises pratiques des États, et pour cela peux servir aux autorités publiques comme outil afin

d’améliorer leur action et pouvoir ainsi donner des réponses positives aux requêtes des citoyens.

Grâce à mon travail de recherche j’espère avoir éclairé davantage les différences et les similarités

existant entre la France et l’Italie.

Pour aller plus loin avec la recherche, des nouvelles perspectives : dans le cadre de mon

travail de recherche je me suis intéressée tout particulièrement à analyser l’arrivée d’un enfant en

considérant l’aspect économique et les conséquences qu’il pouvait entrainer à l’égard de l’emploi. Ce

questionnement bien qu’il soit très ample, n’arrive pas à saisir la complexité du processus qui amène

de la décision d’avoir un enfant à sa réalisation. Au cours de mon travail, d’autres aspects auraient pu

être analysés. Ce que je propose alors, dans ce dernier paragraphe, c’est la formulation de nouvelles

pistes de recherche. Le travail de recherche de ce point de vue, apparaît comme une source inépuisable

d’idées.

Alors que dans mon étude j’ai tenté d’analyser l’aspect macro de l’arrivée d’un enfant, avec ses

conséquences sur le travail et la condition économique, j’ai ressenti comme nécessaire d’analyser

plus en profondeur l’aspect psychologique de la maternité, en tant que moment de création d’une

nouvelle identité pour la femme. En effet, il est intéressant de comprendre comment la femme dans

cette phase de la vie modélise et reconstruit son identité sur la base des ses nouvelles responsabilités.

Alors que dans le passé l’identité de la femme dérivait du fait d’être mère ou bien épouse, de nos

jours elle peut bénéficier de la gratification du fait d’être en emploi, ou bien d’être mère de famille.

Sous ces conditions, comment la femme peut-elle créer sa nouvelle identité ? Quels sont ses nouveaux

repères ? Comment son nouveau rôle est-il vécu ? En répondant à ce questionnement on pourrait

répondre de manière plus précise à la problématique de la baisse de la fécondité et on pourrait

davantage formuler des solutions.

Toujours en réfléchissant sur la problématique de la baisse de la fécondité, l’enquête GGS,

puisqu’elle prévoit un questionnement en panel, ne peut que nous fournir de nouvelles pistes de

recherche. L’une pourrait être d’enquêter sur les couples qui n’ont pas réussi à réaliser les intentions

de fécondité positives, déclarées trois ans auparavant. Cela permettrait de dresser le profil de ces

couples tout en considérant le contexte, leurs conditions du départ et les raisons qui ont empêché que

les intentions deviennent réelles. Ce type de recherche peut être fait en comparant des États différents

afin de comprendre les raisons et l’ampleur des attentes de fécondité restées inexaucés. Même dans

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ce cas, la comparaison peut servir comme outil permettant de résoudre les problèmes grâce à

l’imitation des bonnes pratiques d’autres États.

Tous les questionnements que j’ai proposés servent à trouver des solutions à la baisse de la

fécondité, ce que l’on souhaite en effet c’est sa relance pour limiter les conséquences démographiques

du fort déséquilibre entre la population la plus jeune et la population la plus âgée ; mais aussi parce

qu’on croît qu’avoir autant d’enfants que souhaité est un droit légitime des couples.

Pour conclure, je tiens à dire qu’au cours de mon travail d’étude la plus grande difficulté que

j’ai rencontrée a été la comparaison de données quantitatives qui n’étaient pas harmonisées. Cela a

entrainé des nombreux biais dans mon analyse et en particulier cela a limité mon questionnement

sous de nombreux aspects. Par exemple, j’aurais voulu analyser davantage les opinions des couples

concernant le mode de garde d’enfants, les responsabilités de la femme au foyer, ainsi que les

dépendances entre membres d’une famille. D’ailleurs j’aurais voulu disposer des revenus et des PCS

détaillés de la population enquêtée. La non harmonisation des données italiennes m’a empêché une

comparaison complète avec les données françaises, alors que la base de données française, rédigée

en anglais, m’a crée des nombreux problèmes d’interprétation. En somme, alors que ces enquêtes ont

été prévues pour donner lieu à la plus ample comparaison, dans les faits elles apparaissent encore

comme difficiles à déchiffrer.

Malgré ces limites et les éventuels biais induits par mon interprétation et mon travail d’étude,

je suis fière d’affirmer que mes résultats trouvent confirmation dans la littérature existante, ce que je

souhaite alors c’est une relance de la fécondité en Italie, qui serait possible, si et seulement si, les

autorités publiques sont dans la mesure de compenser les coûts liés aux enfants, et créent un

environnement propice qui permettra aux jeunes d’avoir confiance dans l’avenir.

Pour terminer de manière définitive, je voudrais me référer à une citation importante de

Massimo Livi Bacci, démographe italien de renommée internationale. Dans un récent colloque, il a

affirmé qu’il existe deux aspects liés à l’arrivée d’un enfant, l’un privé, l’autre public. L’aspect public

de la maternité doit être considéré comme ayant une valeur sociale, qui ne peut pas être ignoré par les

autorités publiques, puisque la naissance des enfants est une forme de richesse pour la nation. Si la

procréation prend l’aspect d’un bien public duquel la collectivité tire des bénéfices, je ne peux

qu’exhorter l’État italien à la formulation d’une politique familiale stable dans le temps et avec des

objectifs clairs. Ceci dans le but ultime de : promouvoir l’égalité entre les citoyens et entre les sexes,

ainsi que de créer les conditions nécessaires à l’arrivée des enfants et relancer par ce moyen la

fécondité. Un plus grand dynamisme de la population italienne ne pourra que favoriser la croissance

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de la nation, sous l’aspect du développement du capital social, de la productivité, mais aussi de la

croissance économique. J’espère qu’avec l’incitation des instances communautaires, l’Italie réussira

finalement à atteindre tous ces objectifs.

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