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ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES ENSAE ÉCOLE NORMALE SUPERIEURE
Quels sont les facteurs qui influencent les projets de fécondité ?
Une étude comparative entre la France et l’Italie à la lumière du
contexte institutionnel
Valeria Solesin
Mémoire de Master 2 Recherche en Sciences Sociales
Spécialité Sociologie et Statistique
Année 2010/2011
Sous la direction de Michel Forsé
Ai miei genitori
che hanno sempre creduto in me
3
Sommaire:
Avant-propos: .................................................................................................................................................. 5
Introduction: .................................................................................................................................................... 6
1. La situation démographique en Europe: ...................................................................................... 6
1.1. La fécondité dans l’Europe à 27: .................................................................................................. 6
1.2. La mortalité: .................................................................................................................................. 8
1.3. Les migrations: .............................................................................................................................. 9
1.4. Évolutions et changements dans la population de l’Europe à 27: .............................................. 10
1.5. L’État des familles, la diversification des modèles : ................................................................... 10
2. Le rôle de l’Union Européenne : ................................................................................................. 12
3. Le sujet d’analyse : France et Italie. .......................................................................................... 15
4. Présentation des chapitres et de la structure du mémoire : .................................................. 17
Chapitre 1 : .................................................................................................................................................... 19
Les politiques familiales française et italienne: Comprendre le background dans lequel les individus
agissent. .......................................................................................................................................................... 19
1. Les systèmes de protection sociale et le problème de la comparaison : .............................................. 19
2. La France : des aides à la famille importantes et des objectifs changeant dans le temps. ................... 24
2.1. L’évolution de la politique familiale : d’un objectif explicitement nataliste au problème du
chômage et de la conciliation entre les temps de vie............................................................................... 24
3. L’Italie : une politique familiale qui a du mal à décoller..................................................................... 30
3.1. La politique familiale italienne : des mesures du caractère implicite et indirect. ...................... 31
4. France et Italie: quelles différences ? .................................................................................................. 37
Chapitre 2 : .................................................................................................................................................... 42
Hypothèses de recherche et Présentation des données. .............................................................................. 42
1. Existe-t-il un lien entre la politique familiale et le taux de fécondité ? ............................................... 42
2. Les avantages d’une multiplicité d’approches : concilier analyse quantitative et qualitative. ............ 46
3. Les enquêtes : ...................................................................................................................................... 47
3.1. Gender and Generation Survey: .................................................................................................. 47
3.2. L’enquête REPRO un outil qualitative pour la compréhension des décisions reproductives. ..... 51
Chapitre 3 : .................................................................................................................................................... 53
Désir et Intention de fécondité : attente, normes et coutumes. .................................................................. 53
Analyser les différences entre France et Italie. ........................................................................................... 53
1. La méthode quantitative : .................................................................................................................... 54
1.1. Une analyse descriptive préliminaire : ........................................................................................ 54
1.2. Désirerons-nous avoir des enfants ? Opinions et normes concernant la procréation. ................. 57
1.3. Les intentions fécondité à cout terme: tentative d’explication de l’espace social dans lequel
mûrissent les décisions concernant la reproduction. .............................................................................. 63
1.4. Quels sont facteurs qui influencent les intentions de fécondité ? ................................................ 74
2. La méthode qualitative: ....................................................................................................................... 83
2.1. Les désirs de fécondité : «On ne veut pas un enfant unique ». .................................................... 83
2.2. Les intentions de fécondité: pourquoi revoir à la baisse nos désirs ? ......................................... 84
2.3. D’autres aspects influençant la fécondité ? ................................................................................. 87
Chapitre 4: ..................................................................................................................................................... 91
Les résultats: en quoi la France et l’Italie divergent-elles? ....................................................................... 91
1. La baisse de la fécondité : un phénomène diffus avec des conséquences différentes. ........................ 91
2. Le désir de fécondité : l’influence du milieu d’origine. ...................................................................... 92
3. Les intentions de fécondité : la politique familiale « montre le bout de son nez » .............................. 93
Conclusions et perspectives de recherche : ............................................................................................... 104
Bibliographie : ............................................................................................................................................. 112
5
Avant-propos:
L’Europe a subi ces dernières années des profondes modifications dans la structure de sa
population ; ceci semble être le résultat de différents phénomènes démographiques tels que :
l’allongement de l’espérance de vie, l’arrivée de flux migratoires de toutes les zones du monde, et la
diminution du nombre d’enfants par femmes qui a atteint un niveau très faible et au-dessous du seuil
de remplacement des générations.
En référence à ce dernier phénomène, on s’est intéressé à l’analyse de deux pays d’Europe : la
France et l’Italie. Le choix de ces deux pays réside dans le fait qu’ils divergent profondément en
matière de fécondité ; en effet, le premier pays a un des taux de fécondité les plus élevés d’Europe,
tandis que le deuxième fait partie des pays à très faible fécondité.
En outre, ces deux pays ont développé historiquement des attentions différentes envers la
problématique de la baisse de la fécondité. Alors qu’en France le soutien de l’État en direction des
familles a toujours été élevé et a coïncidé avec une politique familiale de type nataliste, en Italie
l’intervention de l’État dans la sphère familiale n’a jamais été encouragée, au profit du principe de la
subsidiarité d’inspiration catholique.
A la lumière de ces spécificités, on se prête à l’analyse des différences concernant le désir
d’enfant et les intentions de fécondité à court terme dans ces deux pays. Ainsi faisant, on veut
comprendre les différences qui existent entre la France et l’Italie en matière de comportement
reproductif tout en considérant le contexte institutionnel dans lequel les individus agissent. On estime
en effet que selon l’intervention de l’état au soutien de la maternité et de la famille on pourra avoir
des taux de fécondité sensiblement différents.
Pour mettre en place ce type d’étude on recourra à deux outils d’analyse, l’un de type quantitatif,
l’autre de type qualitatif. Dans le premier cas, on utilisera l’enquête Gender and Generation dans ses
deux versions nationales, il s’agit d’un ample projet de comparaison internationale interrogeant les
évolutions démographiques, une partie de cette enquête est dédiée à l’analyse des projets de fécondité.
Puis on complètera cette première analyse, en faisant référence au contenu d’entretiens menés en
France et en Italie dans le cadre du projet Reproductive decision analysis. Cette enquête comporte un
volet consacré à l’étude du désir et des intentions de fécondité.
Avec l’aide de ces deux instruments d’analyse on espère réussir à comprendre le processus qui
mène de la décision d’avoir un enfant à sa réalisation, et donc mettre en lumière les éléments qui
empêchent ou encouragent l’arrivée d’un enfant. La comparaison internationale, de ce point de vue,
a l’avantage de faire émerger les bonnes ou les mauvaises pratiques de chaque pays.
Introduction:
1. La situation démographique en Europe:
Le dernier Rapport Démographique de la Commission Européenne1 de 2010 a mis en lumière
les évolutions les plus récentes concernant la situation démographique de la population en Europe.
Les habitants de l’Union Européenne ont franchi le seuil des 500 millions d’individus en 2009 malgré
la diminution de la fécondité et le vieillissement progressif de la population. Dans cette introduction
on présentera les transformations démographiques les plus récentes en Europe, en décrivant tout
particulièrement les changements que l’Europe à 27 a subi en matière de fécondité, de mortalité et de
migrations. On conclura cette partie avec la description des évolutions de la famille en abordant la
question de l’augmentation du taux d’activité professionnelle des femmes.
1.1. La fécondité dans l’Europe à 27:
En 2009 on a enregistré une légère augmentation du taux de fécondité en Europe qui a atteint
le niveau de 1,60 enfants par femme en âge d’avoir des enfants. C’est la première fois depuis la
deuxième Guerre Mondiale que le taux de fécondité fait preuve d’un infléchissement positif dans sa
courbe d’évolution. En effet le taux de fécondité totale (TFT), qui mesure le rapport entre l’effectif
des naissances et l’effectif des femmes en âge de procréer2, a diminué dans tous les pays d’Europe de
manière constante entre les années 1980 et l’année 2000, cette diminution du nombre d’enfants par
femmes a atteint un niveau significativement au-dessous du seuil de remplacement qui est estimé à
2,1 enfants par femme, c'est-à-dire le taux qui permet de maintenir la taille de la population constante
en absence de migrations.
Le début du XXIème siècle a été caractérisé par un taux de fécondité extrêmement faible dans
des pays comme la Bulgarie, la République-Tchèque, la Grèce, l’Espagne, l’Italie, la Slovénie, et qui
s’est maintenu autour de 1,3 enfants par femme, seuil qui caractérise les régimes définis de lowest-
low fertility. En 2002 l’Europe à 27 a enregistré le nombre de naissances le plus faible depuis sa
création, c'est-à-dire moins de 5 millions d’enfants nés vivants, ces effectifs sont extrêmement peu
nombreux en les comparant aux naissances de 1964 quand l’Europe a enregistré le nombre de
naissances le plus élevé avec 7,7 millions d’enfants nés vivants.
Même s’il existe de profondes différences parmi les pays d’Europe et parmi les régions
géographiques, on a assisté à un phénomène convergent dans l’évolution de la descendance finale
1 European Commission, Demography Report 2010. 2 Le principal indicateur pour calculer la fécondité est le taux de fécondité totale, cet indicateur permet de mesurer le
nombre d’enfants que chaque femme a eu au cours de sa vie féconde en tenant en compte de l’âge à l’accouchement.
7
avec une contraction du nombre de naissances par femme3. En 2009, parmi les pays d’Europe qui
font prévue d’avoir des taux de fécondité autour du taux de remplacement, on peut trouver les pays
de l’Europe du Nord (Danemark, Finlande, Suède), la France, la Grande-Bretagne et la Belgique.
L’Irlande est actuellement le pays d’Europe qui a le taux conjoncturel de fécondité le plus élevé avec
2,07 enfants par femme.
A l’autre bout du panorama européen on peut trouver l’Allemagne, la Hongrie, le Portugal et la
Lituanie qui enregistrent un taux de fécondité autour de 1,3 enfant par femme.
Tableau I : taux de fécondité en Europe
Source : Eurostat (on line data code : demo_find)4. IT et EU-27 valeurs de 2008, FR: France Métropolitaine
La légère progression du taux de fécondité observé en Europe est due en partie au processus de
rattrapage qui a suivi les décisions du report de la naissance du premier enfant. En effet,
3 Alain Monnier parle d’« un modèle européen de fécondité », « La fécondité en Europe : moins d’enfants et plus tard »
dans : Populations: l’état des connaissances, Paris, La Découverte 1996. 4 http://epp.eurostat.ec.europa.eu/tgm/table.do?tab=table&plugin=1&language=fr&pcode=tsdde220.
geo\time 1980 1990 2000 2005 2009
EU27 : : : 1,51 1.60
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NO : 1,93 1,85 1,84 1,98
CH : 1,58 1,5 1,42 1,5
ME : : : 1,6 1,85
HR : : : 1,41 1,49
MK : : 1,88 1,46 1,52
l’augmentation de l’âge moyen des femmes à la naissance du premier enfant a causé une diminution
du taux de descendance finale en raison de la baisse de la fécondité des femmes de moins de 30 ans.
Aujourd’hui nous sommes en train d’assister à un phénomène de rattrapage de la part de ces femmes,
et lorsque le phénomène de retard des maternités aura atteint la fin de son évolution on pourra disposer
d’un TFT plus précis. Eurostat, pour remédier à cette sous-estimation du TFT a conçu un TFT ajusté
qui permet de prendre en considération de l’effet tempo, c'est-à-dire le retard des naissances. Selon
cet indicateur ajusté l’Europe à 27 a un taux de fécondité totale de 1,72 enfant par femme, pourtant
des pays comme : l’Italie, l’Espagne, la Belgique, le Danemark et la Grèce ne montrent pas de
différences significatives entre le taux de fécondité et le taux de fécondité ajusté en démontrant que
dans ces pays le processus du retard des naissances est désormais en train d’atteindre son terme.
Bien que le taux de fécondité ajusté fasse espérer une future augmentation du taux de fécondité
en Europe, on s’aperçoit qu’on est encore loin de pouvoir garantir le remplacement de la population.
Le maintien d’un faible nombre de naissances conjoint à une augmentation de l’espérance de vie ne
fait qu’aggraver le phénomène du vieillissement de la population. L’Europe devra faire face dans les
cinquante prochaines années a une forte augmentation de la population âgée 65 ans et plus. Afin
d’éclairer ce phénomène on décrira les récentes évolutions concernant l’augmentation de l’espérance
de vie à la naissance, l’allongement de la vie moyenne et l’augmentation de la qualité de vie jusqu’à
des âges très avancés.
1.2. La mortalité:
Ces cinquante dernières années, l’espérance de vie à la naissance a augmenté d’environ dix ans
pour les femmes et pour les hommes. Deux facteurs principaux ont joué un rôle de première
importance dans la croissance de l’espérance de vie moyenne : l’amélioration des conditions de vie
et l’augmentation du niveau d’éducation de la population européenne.
Le nombre de décès total est fortement influencé par la structure de la population et notamment
par la taille des cohortes atteignant la fin de leur cycle de vie. Une manière efficace pour calculer les
évolutions de la mortalité est d’analyser l’espérance de vie à la naissance, c’est ainsi que le progrès
de la science et de la médecine, et le développement socio-économique ont permis d’augmenter
significativement et progressivement l’espérance de vie. En 2009 l’âge moyen à la naissance dans
l’Europe à 27 a atteint 76,4 ans pour les hommes et 82,4 ans pour les femmes. De ce point de vue,
l’Europe à 27 peut se vanter d’avoir atteint le meilleur résultat mondial. L’augmentation de
l’espérance de vie est due tout particulièrement à l’allongement de la vie aux derniers stades de celle-
ci. En effet, selon les estimations faites par l’Eurostat, dans la plupart des pays le déclin de la mortalité
a été dû à la diminution des décès dans la tranche d’âge 60-79 ans, ce qui explique plus de 50% de
9
l’augmentation de l’espérance de vie pour les hommes et les femmes. Il est alors intéressant de savoir
que depuis la fin de la deuxième Guerre Mondiale on a assisté à un rapprochement progressif de
l’espérance de vie entre les pays d’Europe et entre hommes et femmes puisqu’il s’est vérifié un
processus de rattrapage de la part des pays les moins développés vers les niveaux des pays les plus
développés. Ceci démontre qu’encore des progrès peuvent être faits et notamment afin de réduire les
écarts concernant l’espérance de vie des différentes catégories sociales. De nos jours, non seulement
les individus vivent plus longtemps et l’espérance de vie est sensiblement augmentée, mais aussi
l’espérance de vivre une vieillesse en bonne santé.
De plus, dans l’Europe à 27 on a assisté à une progressive diminution de la mortalité infantile
qui a atteint le taux de 4,3‰5 en 2009 ; toutefois il existe encore de profondes différences parmi les
pays d’Europe, alors que la Roumanie détient le résultat le plus mauvais avec un taux de mortalité
infantile de 10,1‰, la Slovénie est le pays le plus performant avec un taux de seulement 2,4‰.
1.3. Les migrations:
Les phénomènes conjoints de baisse de la fécondité et de l’allongement de la vie peuvent
entrainer de profondes répercussions dans la croissance démographique d’Europe. Alors que les
naissances diminuent et l’espérance de vie augmente, on assiste à un nouveau phénomène en Europe :
l’arrivée massive de flux migratoires de la plupart des régions du monde. Actuellement les migrations
sont la source principale de la croissance démographique de la population européenne ; en 2007
l’Europe à 27 a enregistré le flux d’entrées le plus élevé depuis le début du XXIème siècle, en moyenne
entre 2004 et 2008 la population des pays membres de l’Union Européenne a augmentée de 1,7
millions d’individus, du fait seulement des migrations entrantes.
La population de migrants qui entre en Europe est sensiblement plus jeune que la population
déjà présente dans les pays membre de l’Union Européenne. Si l’âge médian de la population entière
des États membre est, en 2008, de 40,6 ans, l’âge médian de la population migrante est de 28,4 ans6.
En termes absolus, les pays qui ont accueilli le plus d’immigrés au cours de 2008, sont l’Espagne,
l’Allemagne et la Grande-Bretagne, ces pays sont les mêmes qui ont enregistrés les plus importants
flux de sorties. En revanche, c’est le Luxembourg qui a accueilli en termes relatifs le nombre le plus
élevé d’immigrants, avec un taux de 20,6 immigrés tous les 1000 habitats.
Pour résumer on peut affirmer que depuis les années 1990, les migrations sont la source
principale de la croissance de la population de l’Europe à 27.
5 Le taux de mortalité infantile est calculé en considérant le nombre d’enfants de moins d’un an morts dans une année
donnée, multiplié par mille. 6 L’âge médian est calculé par l’Eurostat sur la base de tranches d’âge quinquennales.
1.4. Évolutions et changements dans la population de l’Europe à 27:
Ce qu’on a présenté est un panorama démographique complexe où des phénomènes différents
contribuent à l’évolution de la structure de la population des États membres de l’Union Européenne.
La population croît tout particulièrement en raison des migrations ; en effet, l’Europe à 27 a enregistré
en 2009 une augmentation de 1,4 millions d’habitants, dont un demi-million est dû au solde naturel
(calculé en soustrayant les décès aux naissances) et quasiment un million est dû au solde migratoire
(calculé en soustrayant les émigrations aux immigrations).
On estime que depuis la moitié des années 1980 les migrations nettes ont augmentées
exponentiellement, alors que le solde naturel pour la première fois a vu des coefficients négatifs dans
certains pays membres (Allemagne, Italie, Hongrie). Étant donné que le nombre de décès est destiné
à augmenter en coïncidence avec le vieillissement de la génération du « baby-boom » et en présumant
que la fécondité restera faible dans un futur proche, on ne peut pas exclure que le solde naturel pourrai
atteindre des valeurs très faibles, voire négatives.
C’est pourquoi en 2010 la structure de la population des États membres de l’Union Européenne
apparait plutôt âgée ; alors que la population de moins de 19 ans compte seulement 21,3% de la
population européenne entière, la population âgée de 20 à 64 ans, considérée comme la population en
condition de travailler, compte 61,3%, ainsi que la population de plus de 65 ans compte 17,4 %. Il
existe néanmoins de profondes différences parmi les pays : l’Allemagne détient le record de la
population la plus âgée d’Europe, avec un taux de 20,7% individus âgés de plus de 65 ans, suivie par
l’Italie (20,2%). La population la plus jeune, au contraire, habite en Irlande, en Slovaquie et à Chypre.
1.5. L’État des familles, la diversification des modèles :
On a décrit de profonds changements dans l’état de la population des États membres de l’Union
Européenne ; sans oublier les différences qui continuent à démurer entre les pays, on a mis en lumière
des processus convergents dans tous les pays, comme le maintien d’un faible taux de fécondité et
l’allongement de la vie. L’intérêt est alors de comprendre comment les familles ont fait face à ces
évolutions, tout en tenant en compte des diverses définitions données au concept de famille autour de
l’Europe, et notamment en prenant en considération de nouveaux phénomènes tels que les unions
libres et les familles monoparentales. D’ailleurs, on a assisté à une augmentation presque générale du
pourcentage des femmes travaillant dans des activités rémunérées, selon l’objectif du Traité de
Lisbonne on aurait dû atteindre le pourcentage de 60% en 20107.
7 Le Traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1 décembre 2009.
11
Au niveau général, on assiste dans l’Europe à 27 à une décroissance du taux de nuptialité8 ;
depuis 1970 le nombre de mariages a diminué de 38%. Au contraire, on a assisté à une augmentation
progressive de l’instabilité conjugale, qui prend la forme d’une augmentation du nombre des
divorces : le taux de divortialité est ainsi passé de 0,9 ‰ en 1970 à 2,1‰ en 2007. Alors qu’il demeure
de profondes différences entre pays puisque l’Italie et l’Irlande maintiennent de très faibles taux de
divortialité, au contraire en Belgique et en République-Tchèque ce phénomène est de plus grande
ampleur ; partout en Europe le nombre de divorces a augmenté sensiblement depuis les vingt
dernières années.
Un autre phénomène qui prend de plus en plus place dans l’UE est la hausse des naissances
hors mariage, le pays de l’Europe du Nord enregistrent un nombre de naissances hors mariage
supérieur au nombre de naissances célébrées dans le mariage. Ceci indique des nouveaux modèles de
vie en famille, en partielle opposition avec le modèle traditionnel de famille où les enfants naissaient
seulement dans le cadre d’une union institutionnalisée. Même dans ce cas, il existe de profondes
différences entre pays et on peut noter une sorte de clivage entre les comportements reproductifs des
pays du Nord européen et les pays méditerranéens où la quantité d’enfants nés hors mariage reste
encore très faible (en Grèce le pourcentage est de 6,6% et à Chypre de 11,7%).
On assiste également, comme déjà souligné, au recul de l’âge à la maternité. Généralement ce
mouvement est associé à l’allongement de la durée des études et à la progression de l’emploi féminin.
Paradoxalement l’indice de fécondité est plus élevé dans les pays où les femmes exercent davantage
des activités rémunérées, il semble que la fécondité en Europe est plus haute dans les pays qui ont
fait une transition à un système de genre plus égalitaire et qui ont permis aux femmes d’entrer dans
le monde du travail avec des emplois flexibles et dans un milieu domestique faiblement lié à la
formation traditionnelle de la famille et au modèle traditionnel de soin des enfants. Dans ce cadre il
est de plus en plus nécessaire pour les familles d’avoir à disposition des services collectifs et de garde
pour les enfants en bas âge, ceci pour permettre aux femmes de rester en activité, et pour permettre
une répartition plus égalitaire des rôles dans les ménages, ainsi qu’aider les familles monoparentales
dans la prise en charge des enfants.
Pour résumer ces derniers paragraphes, on peut dire qu’à partir de la fin des années 1980, on
observe dans les pays développés de l’Europe un vieillissement progressif de la population, ceci est
le résultat de phénomènes différents tels que : l’allongement progressif de l’espérance de vie de la
population et la diminution du nombre d’enfants par femme qui a atteint, dans les dernières années,
8 Le taux de nuptialité est le rapport entre le nombre de mariages célébrés dans une année donnée et la population totale,
multiplié par mille.
un niveau significativement au-dessous du seuil de remplacement des générations. Ces
transformations démographiques qui se sont développées à partir de la fin de la Seconde Guerre
Mondiale, ont été accompagnées par de profonds changements dans la vie familiale et dans l’activité
professionnelle.
2. Le rôle de l’Union Européenne :
Dans des années récentes on a assisté à un nouvel intérêt de la part des instances
communautaires envers les questions démographiques : entre 2005 et 2007, dans trois
communications différentes, la Commission Européenne a souligné les nouveaux défis
démographiques auxquels les pays Européens devront faire face.
La première communication « Face aux changements démographiques : une nouvelle solidarité
entre générations »9 met en lumière les tendances principales à l’origine du changement
démographique, en abordant les questions du progressif allongement de la vie moyenne, de
l’augmentation de la population de plus de soixante ans et de la persistance d’une faible natalité.
L’Union Européenne s’engage alors à élaborer des politiques qui puissent contribuer à anticiper
efficacement ces changements et elle encourage les Êtas membres à prendre des mesures ciblées à
développer des formes de solidarité entre les générations. Ces mesures doivent être caractérisées par
un soutien réciproque entre générations et par un transfert des compétences et d’expérience des plus
âgés vers les plus jeunes. De plus, les instances communautaires proposent une stratégie dite du
« cycle de vie » active, c’est-à dire une approche visant à favoriser un vieillissement actif tout en
augmentant la vie en emploi et en améliorant la qualité des conditions de vie au travail. Ceci au but
de faire émerger une nouvelle organisation du travail, plus flexible et permettant aux jeunes adultes
de disposer de plus de temps à dédier à leurs enfants, et pour pouvoir ainsi concilier la vie
professionnelle et la vie familiale. En outre, les État membres sont invités à favoriser l’assistance aux
personnes très âgées (80 et plus) tout particulièrement des femmes qui notamment vivent plus
longtemps des hommes et qui, dans la plupart des cas, disposent de pensions de retraite faibles en
raison de la plus courte vie au travail et des salaires moindres.
Pour faire face aux changements démographiques l’Union Européenne s’engage dans la
poursuite de trois objectifs prioritaires : retrouver la voie de la croissance démographique, garantir un
équilibre entre générations et inventer des nouvelles transitions entre les classes d’âge en modifiant
les frontières entre activité et inactivité.
9 Commission Européenne, Communication du 16.03.2005, Libro Verde: « Una nuova solidartietà tra le generazioni di
fronte ai cambiamenti demografici ». COM (2005) 94 definitivo.
13
Dans une deuxième communication intitulée « l’Avenir démographique de l’Europe :
transformer un défi en opportunité »10 de 2006, l’Union Européenne souligne davantage la
problématique du vieillissement de la population et invite les États membres à élaborer des réponses
réponses constructives à ce défi démographique.
Alors que les États membres seront confrontés à la problématique de l’impact du vieillissement
sur le marché du travail et sur la productivité, ainsi que sur les systèmes de protection sociale et sur
les finances publiques, l’Union Européenne propose une stratégie pour remédier à ces dangers : elle
encourage les États membres à favoriser le renouveau démographique en permettant aux couples
d’avoir les enfants qui le désirent tout en créant des conditions favorables aux familles. En effet, les
sondages en Europe mettent en évidence que dans tous les pays les personnes désirent un plus grand
nombre d’enfants que celui réalisé. De plus, elle insiste sur la nécessité de valoriser le travail : en
permettant une vie active plus longue et de qualité ; en augmentant le taux d’activité féminine ; et en
favorisant la flexibilité de l’emploi.
On s’attend à pouvoir augmenter le taux d’emploi de travailleurs de plus de 55 ans et améliorer
la santé publique pour espérer un vieillissement en bonne santé.
En ce qui concerne la problématique de la baisse de la fécondité les États membres sont invités
à créer des conditions favorables pour équilibrer la tension entre activité professionnelle et vie
familiale, alors qu’ils sont aussi encouragés, à augmenter leur productivité et leur performance, et à
valoriser les ressources de l’immigration. Cette dernière servirait à combler les besoins du marché du
travail européen ; il sera alors nécessaire de favoriser une immigration légale et qualifiée. Enfin, la
Commission s’engage à veiller sur la viabilité des finances publiques des États pour garantir une
protection sociale adéquate et pour garantir une équité entre les générations. C’est pourquoi dans la
plupart des pays d’Europe s’imposent des efforts durables de consolidation budgétaire et des réformes
permettant de réduire les déséquilibres financiers des régimes de retraites.
En mai 2007, une troisième communication « Promouvoir la solidarité entre les générations »11
annonce un nouvel intérêt vers les politiques en soutien à la famille. Même si les politiques familiales
restent des compétences exclusives des États membres, l’Union s’engage à contribuer indirectement
à la modernisation de celles-ci afin de prendre en compte le vieillissement de la population et
l’évolution des modes des vies et la diversité des formes de familles.
10 Commission Européenne, Communication du 12.10.2006, « L’Avenir démographique en Europe : transformer un
défi en opportunité ». COM(2006) 571 final. Non publiée au journal officiel. 11 Commission Européenne, Communication du 10.05.2007, « Promouvoir la solidarité entre les générations ».
COM(2007) 244 final.
Les trois domaines des politiques familiales dans lesquels les États membres, ainsi que
les partenaires sociaux et la société civile, sont invités à agir sont : la compensation des coûts
direct en indirects liés à la famille et aux enfants, le développement de modes d’accueil pour
les enfants et des services pour les personnes âgés dépendantes, et enfin l’aménagement de
mesures favorisant des formes plus flexibles d’organisation du travail, en termes d’horaires de
travail et de congés afin de concilier la vie la vie familiale et l’activité professionnelle.
Il existe de profondes différences dans les dépenses publiques que les pays utilisent en
direction des familles, puisque certains pays membres dépensent jusqu’à 3,9% du PIB en
prestations familiales et en services de garde d’enfants, ainsi que d’autres, en utilisent seulement
0,7%. Les pays les moins performants se trouvent notamment au Sud de l’Europe alors que les
plus performants se trouvent au Nord.
L’Union Européenne encourage ainsi les États membres à aider les couples à réaliser leurs
projets familiaux, tout en favorisant l’égalité entre hommes et femmes. En effet, les enquêtes
menées par l’Eurostat ainsi que les enquêtes de l’Eurobaromètre12 mettent en lumière un net
décalage entre les souhaits des européens sur le nombre d’enfants désiré, et le nombre d’enfants
effectif ; c’est pour remédier à ces écarts que les États membres doivent promouvoir l’égalité
des chances et améliorer la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle en
permettant la participation des femmes à l’emploi. Ces types d’actions sont inscrits dans le
cadre de la stratégie de Lisbonne qui promeut aussi la lutte contre la pauvreté.
Toujours, dans le cadre du regain d’intérêt des politiques familiales et des problématiques
démographiques, la Conseil Européen a encouragé la création de l’ « Alliance européenne des
familles », sorte d’observatoire et lieu d’échange et de connaissances sur les politiques
familiales et sur les bonnes pratiques des États membres. Ainsi faisant, la Commission veut
stimuler une nouvelle coopération entre pays et partenariats sociaux pour favoriser une
meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée. A ce but il a été prévu : un groupe
à hauts niveau d’experts gouvernementaux sur les questions démographiques ; des forums et
des réseaux européens, nationaux, régionaux et locaux ; un observatoire des bonnes pratiques ;
et des dispositifs de recherche.
A la lumière des dernières évolutions démographique et de la nouvelle importance donnée
au développement des politiques familiales on s’est intéressé à analyser la situation en matière
de natalité et d’aides publiques dans deux pays en particulier : la France et l’Italie. Ceci dans le
12 Eurobaromètre n° 273 « European Social Reality ».
15
but de montrer comment les pays membre de l’Union Européenne peuvent apprendre l’un de l’autre
les pratiques les plus vertueuses pour faire face au défi démographique. En effet, l’intérêt de la
comparaison de deux pays est de permettre une analyse approfondie et donc de saisir les différences
entre pays ou, au contraire, les phénomènes convergents. De plus, la comparaison permettra de mettre
en lumière les bonnes pratiques des pays et d’enrichir le débat autour des questions démographiques.
Dans cette introduction on veut présenter les traits principaux des deux pays concernant le taux
d’emploi féminin, le taux de fécondité et finalement aborder la question de la politique familiale et
du soutien de la part de l’État à la famille.
3. Le sujet d’analyse : France et Italie.
L’intérêt d’analyser la France et l’Italie réside essentiellement dans le fait que ces pays se
trouvent dans les deux extrêmes du comportement reproductif en Europe. Mon étude consistera à
mettre en lumière les différences et les similarités dans ces deux pays en tenant en considération les
taux de fécondité et les politiques familiales mises en place par les deux États.
Il est évident que la différence principale entre France et Italie concerne notamment le taux de
fécondité : si la France peut se vanter d’un indicateur de fécondité qui a atteint 2,0013 enfants par
femme en 201014 ; l’Italie n’a vu que récemment augmenter son taux de fécondité, en atteignant 1,42
enfants par femme en 200915.
En outre, France et Italie se distinguent pour l’importance donnée à l’institution du mariage et
au rôle de la femme dans le couple. En France, alors que depuis trente ans, on enregistre une baisse
constante des mariages célébrés, le nombre de divorces continue à augmenter, et la conséquence
directe s’exprime dans une augmentation du nombre des familles monoparentales. De plus, la plupart
des enfants naissent actuellement hors du mariage, et comme dans la majorité des pays développés,
le phénomène du report des naissances a poussé les femmes à retarder la naissance du premier enfant.
Ceci est dû à l’allongement de la durée des études et par conséquent au retard dans l’entrée dans le
marché du travail et dans la stabilité financière.
En Italie la situation semble différente, puisque le mariage reste l’institution au sein de laquelle
les couples choisissent d’avoir des enfants. Le nombre de mariages célébrés demeure très élevé et le
taux des divorces continue à être faible par rapport à la moyenne européenne et tout particulièrement
13 Cette donnée fait référence à la France métropolitaine. 14 G. Pison, Deux enfants par femme dans la France de 2010: la fécondité serait-elle insensible à la crise économique?,
Population & Société, n°476, mars 2011. 15 European Commission, Demography Report 2010.
par rapport à la France. Selon les chiffres de l’Insee en 2008 on compte 2,1 divorces pour 1000
habitants en France, contre seulement 0,9 en Italie.
Toutefois, en Italie comme en France, le phénomène du retard de naissance semble être
diffus puisque l’âge moyen des femmes à la première naissance est autour de 29 ans, si ce n’est
plus. Les différences entre les deux pays sont soulignées davantage si on regarde la division
tâches domestiques dans les ménages et le taux d’activité professionnelle des femmes : en
taux d’emploi féminin est nettement supérieur à celui de l’Italie, puisqu’en France 65% des
travaillent, alors qu’en Italie seulement 49,5%1617. De plus, la division des rôles au sein du foyer
familial semble beaucoup plus égalitaire en France où les deux membres du couple travaillent.
En Italie, en manque d’un contexte familiale et culturel qui favorise la conciliation entre
activité professionnelle et vie privée, la femme semble être induite à contraindre sa participation
au marché du travail18 ; toutefois, on assiste aussi à la persistance d’une faible fécondité. On
constate ainsi qu’il est beaucoup plus difficile de devenir parents en Italie qu’en France à cause
de l’absence d’un soutien institutionnel aux familles et notamment de la part de l’État.
En coïncidence avec un taux de chômage des jeunes élevé et de la présence d’emplois
précaires et atypiques surtout pour les femmes, les jeunes adultes italiens sont amenés à rester
dans la résidence parentale jusqu’à des âgés avancés. Au contraire, en France les jeunes sortent
beaucoup plus précocement du foyer familial et la division des rôles semble être moins
marquée. Il existe, d’ailleurs une politique familiale attentive aux nécessités des familles et des
jeunes couples, et les femmes françaises ont été mises dans la condition d’avoir davantage
d’enfants. Il est alors intéressant de comprendre quel type de système social a permis en France
de maintenir un indice de fécondité élevé , et au contraire quel type de système a fait que l’Italie
atteigne des niveaux de fécondité très faible et au-dessous du taux de remplacement
générationnel. L’Italie au début du XXIème siècle, faisait partie des pays à lowest-low fertility,
c'est-à-dire des pays avec un taux de fécondité au-dessous de 1,3 enfants par femme.
Ceci dit, il faut souligner que selon la classification faite par Esping-Anderson19 des
régimes d’État-providence, France et Italie appartiennent tous deux au groupe des régimes de
type conservateur. Cet auteur, qui est un des représentants majeurs de l’approche des ressources
16 European Commission, Demography Report 2010. Les femmes prises en considération ont un âge compris entre 20 ans
et 64 ans. 17 En 2005 le taux d’occupation, selon R. Rinaldi et M.C. Romano, était en France de 57,6% alors qu’en Italie était de
45,3% dans Conciliare lavoro e famiglia, una sfida quotidiana, Istituto Nazionale di Statistica, Argomenti n°33-2008,
sous la direction de R. Rinaldi et M.C. Romano. 18 Selon R. Rinaldi et M.C. Romano, les italiennes enregistrent la plus forte asymétrie dans les deux components du travail
total (rémunéré et domestique) puisque le 74% de leur temps total est dédié à la famille, dans Conciliare lavoro e famiglia,
una sfida quotidiana, Istituto Nazionale di Statistica, Argomenti n°33-2008, p.23. 19 Gᴓsta Esping-Andersen, Les Trois Mondes de l’Etats-providence, essai sur le capitalisme moderne, Le Lien Social,
Presse Universitaire de France, 2008.
17
de pouvoir20 (power resources analysis) mesure l’impact des politiques sociales dans les États-
providence grâce aux concepts de citoyenneté sociale et de stratification sociale. L’État-providence
providence de type conservateur est caractérisé par une tradition étatique, par une forte puissance de
puissance de l’Église et par une division des catégories sociales sur la base de l’appartenance
professionnelle. Ce type de régime tend à préserver les différences de statut.
Puisque dans le cadre de mon analyse cette répartition semble peu adéquate à mes interrogations
de recherche, je me référerai à d’autres types de classifications qui ont donné plus d’importance soit
au rôle joué par la solidarité, soit à la dimension de genre. De plus, il existe des théories qui prennent
en considération le régime de welfare state méditerranéen comme un régime en soi. Ces régimes
(auxquels appartiennent l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce) selon nombreux auteurs se
caractérisent par une action de type résiduelle, voire rudimentaire, et ils basent leurs politiques sur le
principe de la « subsidiarité ». Ces approches soulignent le rôle joué par l’Église dans la création des
politiques familiales qui a encouragé un modèle basé sur la responsabilité des petits groupes voire de
l’individu sur le bien-être autrui. De plus, ces régimes sont caractérisés par d’importants transferts
monétaires concernant les retraites, un système national de santé et un faible rôle de l’État et des ses
institutions dans la société. Malgré de nombreuses critiques, cette typologie de classification est de
plus en plus répandue au niveau académique. J’aurai le temps de revenir sur ce point au cours du
premier chapitre, ceci au but de mieux éclairer les différences qui existent entre France et Italie en
matière de politiques familiales. Pour cela, je proposerai une analyse des régimes d’États-providence
attentive aux relations et aux rapports de dépendances entre membres de la famille. Selon la place
donnée à la famille dans les politiques familiales il y aura des façons différentes de concevoir les
actions menées par l’État.
4. Présentation des chapitres et de la structure du mémoire :
Pour conclure l’introduction, on veut exposer la structure du mémoire et donc présenter
brièvement les chapitres qui suivront. Le mémoire présente une structure en quatre chapitres, les
premiers chapitres ont pour objectif d’éclairer les sujets d’analyse et les données sur lesquelles mon
étude porte, il s’en suit une partie centrale de méthodologie et d’analyse des données, enfin la dernière
partie est dédiée à la description des résultats obtenus et aux conclusions. Dans le premier chapitre je
présenterai les avantages de la méthode comparative, puis j’éclairerai les politiques sociales et
20 Cette approche se focalise sur l’analyse du welfare sur la base de la distribution des ressources politiques entre les
classes sociales et les groupes d’intérêt. Les différents régimes se sont développés grâce à la capacité des différents acteurs
politiques (classe ouvrière, groupes d’intérêt, partis) à concevoir et dominer la scène politique afin de répondre aux
demandes de la société.
familiales de France et Italie dans le but de présenter le background dans lequel les individus,
et plus précisément les couples, prennent leurs décisions reproductives, je ferai particulière
attention à l’étude de l’évolution historique des politiques et aux réformes induites par les
instances communautaires. Dans le deuxième chapitre, je présenterai mes hypothèses de
recherche, donc je commenterai les différences entre France et Italie en matière de
comportement reproductif ainsi que les données sur lesquelles je ferai mon analyse. L’enquête
Gender and Generation Survey m’a permis de mettre en place un travail d’analyse statistique
et les entretiens faits dans le cadre du projet REPRO m’ont permis de compléter mon analyse
avec une approche de type qualitatif. Dans le troisième chapitre suivra une partie
méthodologique et d’analyse puisque j’étudierai les données quantitatives et qualitatives, donc
je poursuivrai avec une analyse de type statistique qui consistera dans des analyses factorielles
et des régressions, puis j’étudierai les entretiens et leur contenu. Le quatrième chapitre décrira
les résultats de mon étude, j’essayerai de croiser les résultats obtenus grâces aux méthodes
qualitatives et quantitatives afin d’en mettre en lumière les convergences et les divergences.
Enfin, je conclurai en mettant en perspective les résultats avec le background où les couples
agissent, ceci me permettra de faire émerger les avantages et les désavantages des politiques
familiales de France et d’Italie. De plus, je discuterai des éventuelles conséquences du maintien
d’une faible fécondité, notamment en matière de financement des retraites et de conflits
intergénérationnels.
19
Chapitre 1 :
Les politiques familiales française et italienne: Comprendre le background dans
lequel les individus agissent.
1. Les systèmes de protection sociale et le problème de la comparaison :
Ce chapitre a pour ambition d’éclairer les régimes de protection sociale français et italien, les
différents objectifs qui sont à la base des politiques sociales ainsi que la population ciblée par ces
mesures. Il nous semble pour cela nécessaire de présenter le cadre théorique et les principes
méthodologiques dans lequel on inscrit l’analyse des politiques familiales. Il est évident que la
comparaison internationale pose toujours des problèmes au niveau méthodologique puisqu’à une
même définition ne correspond pas toujours un même concept ou une même institution, et qu’au
contraire l’histoire et les évènements politiques façonnent de manière différente les États et leurs
développements. De ce point de vue, l’analyse des systèmes de protection sociale est un domaine
extrêmement riche pour une discussion sur la méthode comparative. En ce qui concerne la
comparaison entre France et Italie on fera appel à l’approche « centré aux cas » (Case-Centered
approach), qui consiste à examiner un nombre limité de pays en recourant à l’analyse de nombreuses
variables. De plus, on fera particulièrement attention à inscrire notre analyse dans son cadre
historique, tout en essayant de cerner la complexité des événements. Cette approche n’a pas la
prétention de donner lieu à des explications générales mais elle se limite à comprendre l’unicité et la
spécificité des conditions qui ont rendu possible le développement de ces deux pays. On s’intéresse
donc à analyser les similarités dans des contextes différents ou les diversités dans des contextes
similaires. C’est pourquoi l’adjectif comparatif fait référence à une multiplicité d’unités d’analyse
(deux pays appartenant à la même aire géographique dans notre cas) sur lesquels se base la recherche
dans toutes ses phases et certainement dans la formulation des hypothèses et des questionnements qui
guideront notre recherche.
Depuis longtemps, la recherche comparée sur les systèmes de protection sociale a été divisée
selon les principes adoptés dans l’analyse : certains chercheurs ont privilégié l’étude des
monographies historiques, d’autres, une approche de type statistique fondée sur l’analyse de très
nombreux cas. Plus récemment, du fait des difficultés rencontrées par les États-providence à faire
face aux exigences de la population, et grâce à l’émergence de nouvelles sources de données, une
attention nouvelle a été donnée aux recherches sur les systèmes de protection sociale, qui se sont
efforcées de construire des classifications et des comparaisons concernant les différents régimes de
welfare.
Les chercheurs ont alors privilégié les études de cas afin de comprendre davantage les États-
providence et de pouvoir ainsi évaluer leurs possibles changements et transformations de. Parmi les
typologies les plus célèbres ont peut noter l’analyse proposée par Esping-Andersen dans les années
1990. Cet auteur, comme on l’a déjà évoqué dans l’introduction, a privilégié une analyse basée sur la
genèse des systèmes de protection sociale, sur l’étude de leurs fondements et sur les acteurs qui ont
participé à leur construction. Dans son ouvrage, Les trois mondes de l’État-providence, essai sur le
capitalisme moderne21, l’auteur analyse l’émergence des États-providence avec leurs conséquences
et leurs avantages sur le plan de la protection sociale des citoyens, ainsi que la stratification qu’ils
entraînent. Il étudie également, même si dans une moindre mesure, la place des femmes dans la
société.
Il est alors possible de repérer des régularités dans les systèmes de protection sociale qui
permettent la création de trois cas idéaux-typiques. D’abord, un État-providence de type libéral qui
se caractérise par une action limitée en direction des familles et par une faible concession d’aides et
de prestations ; son action vise les individus les plus faibles dans l’objectif de lutter contre la pauvreté,
mais elle risque en cela de stigmatiser ceux qui peuvent en bénéficier.
Ensuite, Esping-Andersen identifie un État-providence de type social-démocrate, caractérisé
par un niveau de protection sociale élevé, par une offre généreuse d’équipements et services sociaux,
et par l’accès aux droits sociaux sur une base universelle. Les objectifs de ce type de régime sont :
lutter contre les risques sociaux, garantir et promouvoir l’égalité, et redistribuer le revenu entre
citoyens. Enfin, il existe un régime d’État-providence de type « conservateur corporatiste »
comprenant les pays de matrice catholique de l’Europe continentale. Son action est caractérisée par
des mesures de protection adressées aux travailleurs, conçues sur la base d’assurances sociales. Dans
ce sens, ce modèle valorise l’emploi dans un objectif d’équité sociale tout en entrant en contradiction
avec l’existence des nombreux régimes d’assurance maladie et de retraite, qui créent des barrières
entre citoyens en fonction de leur appartenance à différentes catégories sociales et professionnelles.
Puisque ce sont les travailleurs qui bénéficient de la protection sociale, les femmes se trouvent dans
une position subalterne à l’homme, étant donné qu’elles bénéficient de ces mesures en raison de la
place de leur mari sur le marché du travail. Ce type d’action s’inscrit dans le principe de subsidiarité
profondément ancré dans la tradition catholique.
21 Gᴓsta Esping-Andersen, Les Trois Mondes de l’Etats-providence, essai sur le capitalisme moderne, Le Lien Social,
Presse Universitaire de France, 2008.
21
L’intérêt de cette classification est d’avoir établit un lien entre régimes de protection sociale et
régimes d’activité et de travail, ainsi que d’avoir introduit la notion de « démarchandisation »,
décrivant la capacité du système de protection sociale de soustraire le citoyen travailleur aux logiques
de fonctionnement du marché.
Malgré la force de cette typologie, elle ne semble pas adaptée à notre étude puisque elle
considère la France et l’Italie comme faisant partie du même régime de protection sociale. Alors que
ces pays se caractérisent toux deux par des systèmes de retraite très hétérogènes et strictement liés
aux professions, ils ne sont pas comparables sur le plan du système de santé publique, puisque l’Italie,
à la différence de la France, est caractérisée par un accès sur base universelle. De plus, les relations
familiales et les rapports de dépendances sont significativement différents dans les deux pays.
En raison de la faible attention qu’elle accorde à la question du genre et aux relations familiales,
l’analyse d’Esping-Andersen a été fortement critiquée par le courant dit « féministe » de la sociologie,
qui s’intéresse davantage au rôle spécifique de la femme dans les différents États-providence. En
effet, son étude ignore le fait que les travailleurs peuvent être hommes ou bien femmes, et qu’il existe
un travail non rémunéré réalisé au sein du foyer. Pour répondre à ces questions et pour analyser le
difficile lien entre travail rémunéré et travail non rémunéré, un nouveau tournant a été pris, permettant
l’étude de la relation entre État et famille sous un nouvel angle.
La question est alors de comprendre le rôle de l’État et des institutions, et de saisir la manière
dont les relations hommes-femmes et la division sexuée du travail sont conceptualisées dans les
différents pays en les situant par rapport aux systèmes de protection sociale. L’intérêt de cette
problématique est de reconnaître la pluralité des systèmes de protection sociale à la lumière des
différents types de relations qui existent entre l’État et la famille, et d’ajouter la composante de genre
à des études qui ignoraient cet aspect. Les critiques féministes de la classification d’Esping-Andersen
concernent essentiellement les questions de l’accès aux droits sociaux et du travail non rémunéré au
sein de la famille.
D’après cette deuxième approche, les systèmes de protection sociale sont caractérisés par les
principes qui y gouvernent les relations de genre : selon la place que la femme a eu dans la
construction des États-providence, selon la manière dont les relations entre homme et femme sont
conceptualisées dans le système de protection sociale et selon la manière dont ces relations ont été
institutionnalisées, on peut parler de régimes différents et mettre en place de nouvelles classifications.
C’est ainsi que Jane Lewis a proposé en 1992 une classification où la femme est mise au centre de
l’analyse ; il s’agit de comprendre les relations hommes-femmes du point de vue de la force et de
l’enracinement de la division sexuée des rôles familiaux. Les différents États se caractérisent alors
par un soutien différent au modèle familial traditionnel, caractérisé par la figure de l’homme
pourvoyeur de ressources (Monsieur Gagnepain, male breadwinner) et de la femme, son épouse,
pourvoyeuse de soins et de l’éducation des enfants ainsi que chargée du travail domestique. En raison
de la prégnance plus ou moins profonde du modèle de « soutien à la famille » (male breadwinner
regimes), les politiques familiales et les obligations familiales peuvent varier profondément selon les
pays. On trouve alors un modèle de soutien fort, modéré ou faible, qui permet d’apprécier : la manière
dont les femmes sont traitées dans le système de protection sociale et dans le système d’imposition ;
le niveau de développement des équipements publics et notamment les prestations sociales investies
pour la garde des enfants ; et enfin l’engagement des femmes sur le marché du travail rémunéré.
Partant de ces critères, cette approche essaie de comprendre comment les obligations sont prescrites
au sein de la famille et comment celles-ci ont été encadrées dans un système de normes et de droits.
Pour apprécier les modalités d’accès aux droits sociaux des femmes, on considère la manière dont
celles-ci ont été qualifiées dans les régimes de protection sociale : dans les pays où le soutien masculin
à la famille est fort, comme en Allemagne22, la femme se trouve dans une position de dépendance
puisque ses droits dérivent de sa position d’épouse. La France, selon cette typologie, appartient au
modèle modéré, car la femme a su promouvoir son rôle en tant que épouse, travailleuse et mère. Enfin
les pays de l’Europe du Nord sont considérés comme des modèles de faible « soutien à la famille »
puisque la femme est qualifiée économiquement et socialement en tant que travailleuse avant que
l’être en tant que mère.
Pour compléter cette tentative de classification, je voudrais revenir sur la question de la
spécificité des systèmes de protection sociale de l’Europe du Sud. Maurizio Ferrera a proposé en 1996
de repérer des traits communs aux régimes de protection sociale en vigueur en Italie, en Grèce, en
Espagne et au Portugal. Tout d’abord, on constate que dans ce type de régime la famille joue un rôle
central dans le domaine du social. Toutefois une politique familiale, considérée comme mesure
explicitement destinée aux familles, reste très peu développée. Pour cela, la solidarité entre membres
de la famille devient un instrument essentiel d’intégration des différentes sources de revenu et de lutte
contre l’exclusion et la pauvreté. De plus, la culture sociale de ces pays est imprégnée du solidarisme,
fortement influencé par l’Église, qui a des implications non négligeables en termes de différence entre
les sexes. Plus spécifiquement, Ferrera distingue sept traits principaux qui caractérisent ce type de
22 L’Italie ne fait pas partie de cette catégorie selon R. Trifiletti puisqu’« il semble que ce soit l’importance accordée
implicitement à l’économie familiale qui explique l’absence de soutien aux femmes mariées et aux mères, voire aux
enfants » (J. Lewis, Rencontres et Recherches 1999). Saraceno C. affirme que le modèle du male breadwinner a pu se
développer en Italie seulement entre les années 1950 et les années 1970 et en coïncidence avec la période d’expansion
économique. En raison du manque structurel de travail en Italie, et notamment dans les régions du Sud, le modèle de
l’homme pourvoyeur de ressources n’a jamais pu atteindre sa forme « originale et orthodoxe », puisque la femme a
toujours travaillé, et en particulier dans l’économie informelle. Cela n’a pas empêché pourtant une profonde asymétrie de
rôles entre l’homme et femme.
23
système de protection sociale : d’importants transferts monétaires qui polarisent le système du
maintien du revenu entre ceux qui sont à l’intérieur et ceux qui en sont à l’extérieur (travailleurs dans
le marché institutionnalisé vs travailleurs dans le marché irrégulier) ; une distribution déséquilibrée
des risques sociaux classiques qui s’explique par une surprotection du risque vieillesse, un sous-
développement des prestations familiales et des services aux familles, et par conséquent, un
déséquilibre démographique dans le système de protection sociale, qui peut entraîner des profonds
problèmes par rapport à la performance des systèmes de protection et à leur stabilité. Le troisième
trait concerne le système de santé qui est (au moins en principe) universel ; le quatrième concerne le
faible degré de pénétration de l’État dans la sphère de la protection sociale et, au contraire, la collision
entre institutions différentes du secteur publique et privé censés distribuer les services, tout
particulièrement dans le domaine de la santé et des services sociaux. De plus, les systèmes
méditerranéens sont caractérisés par un faible pouvoir de l’État dans la gestion des institutions de la
protection sociale et par la fragilité des institutions publiques face aux particularismes et aux pressions
partisanes, caractéristiques définies comme « particularisme institutionnel ». Enfin, ces systèmes se
distinguent par la faible efficacité des services sociaux et par une répartition très inégale des charges
financières selon les groupes professionnels à cause de la persistance d’une très vaste économie
informelle.
Si ces caractéristiques semblent définir un modèle de protection sociale en négatif, il est
cependant vrai qu’il existe une certaine similarité dans la conception normative de la protection
sociale, du fait de l’accent mis sur la famille, d’un système de compensation de revenu de type
professionnel et d’un service de santé universel. Ces traits distinguent ces pays du modèle
bismarckien pur (complètement professionnel et corporatiste) et du modèle de Beveridge
(complètement universel). A la lumière de ceci on pourrait croire à l’existence d’un modèle
proprement méditerranéen de protection sociale ; pourtant, dans le cadre de mon analyse, je me
limiterai à souligner l’importance du rôle de la famille dans ce type de régime et celle des solidarités
et des dépendances.
Malgré les problèmes de classification, on a présenté les principales typologies qui ont été
discutées au cours des deux dernières décennies dans le milieu académique. On constate d’ailleurs
qu’il est fondamentale de comprendre la place de la famille et des rapports familiaux, du travail
rémunéré et non rémunéré afin de saisir les dernières évolutions du Welfare State. Ce que nous
intéresse, loin d’affirmer la validité univoque d’une classification plutôt qu’un autre, est d’éclairer les
politiques familiales de France et Italie de manière à pouvoir tenir compte de l’apparition de nouvelles
formes familiales et conjugales.
2. La France : des aides à la famille importantes et des objectifs changeant dans
le temps.
En France, la famille a traditionnellement occupé une place de première importance dans
la création de mesures sociales et de politiques publiques. La politique familiale française s’est
construite, à ses débuts, autour du concept de familialisme, et dans un objectif nataliste
revendiqué. Au fil du temps et en raison de profonds changements ayant lieu dans la famille, la
politique familiale française a dû s’adapter aux nouvelles exigences de la société ; elle a ainsi
dû s’éloigner d’un modèle familial qui prévoyait une division fortement asymétrique des rôles
dans la famille, et au contraire, a dû favoriser un partage des tâches au sein du couple en
encourageant l’égalité entre sexes et l’entrée des femmes sur le marché du travail rémunéré.
Malgré que la politique familiale française n’a jamais explicitement remis en cause le
paradigme familialiste et ses objectifs natalistes, elle a su prendre en charge les nouvelles
situations familiales et la diversification croissante des formes de vie en couple, tout en mettant
en place de mesures directes afin de compenser les coûts liés aux enfants et en soutien de la
parentalité, ceci dans l’objectif de maintenir la cohésion sociale et de lutter contre pauvreté.
2.1. L’évolution de la politique familiale : d’un objectif explicitement nataliste au problème du
chômage et de la conciliation entre les temps de vie.
La politique familiale française, telle que nous concevons à nos jours, a été créée pour la
première fois en 1939 avec l’institution du Code de la famille (de Montalembert M. 2004).
C’est ainsi que dans un décret-loi les « allocations familiales » ont été institutionnalisées en
même temps qu’une prime pour les mères au foyer, afin d’encourager les femmes à veiller
auprès de leurs enfants. La politique française se caractérise dans ces années par des objectifs
explicitement natalistes, puisque la France avait connue une transition démographique précoce
et que les autorités publiques étaient préoccupées par la baisse de la fécondité. Les premières
mesures prises par le gouvernement visaient le redressement des courbes de fécondité et le
maintient d’une division des rôles dans la famille, ceci est le cas de l’allocation « salaire
unique » de 1941, qui était versée à tous les ménages ne percevant qu’un seul salaire
(notamment celui de l’homme). Dans la même période les associations familiales
s’institutionnalisent et deviennent les organismes représentant et défendant les intérêts des
familles : les arguments adoptés sont une reprise de la fécondité et la volonté, d’inspiration
25
familialiste, de défendre les principes éthiques de la famille en supportant un modèle male
breadwinner et traditionnel de la famille.
La famille est conçue comme la « cellule de base de la société » (Damon J. 2006) et l’Etat est
appelé à intervenir dans la société afin de préserver cette institution qui devient l’organisme au cœur
des actions de la Sécurité Sociale. A cette époque, les allocations occupent une place très importante
dans les revenus des ménages ; la logique est celle des transferts monétaires versés directement aux
familles, au point qu’au début des années 1950 « la moitié du revenu d’une famille ouvrière de trois
enfants est constituée de prestations familiales »23. En 1945, le quotient familial est institué dans le
cadre de l’impôt sur le revenu afin de prendre en compte la taille et la configuration de la famille et
donc pour privilégier les couples avec enfants. Selon le même objectif, la non-imposition des
prestations familiale est garantie et quatre nouvelles prestations sont instituées en 1946, qui
représentent 40% des dépenses de la Sécurité Sociale : les allocations familiales versées à partir du
deuxième enfant à charge ; l’allocation salaire unique ; l’allocation parentale et l’allocation de
maternité. Ces prestations couvrent une large partie de la population puisqu’elles ne sont pas soumises
à des conditions de ressources. Sont ensuite créées : les allocations logement (1948), l’allocation mère
au foyer (1955, équivalent de l’allocation de salaire unique pour les non-salariés) et l’allocation
d’éducation spécialisée, pour compenser les coûts d’un enfant handicapé ou infirme. L’objectif de
ces mesures est de réaliser une redistribution de type horizontale (en privilégiant notamment les
couples avec enfants au détriment des couples sans enfants), et son orientation reste de type nataliste.
A partir de les années 1970 et en coïncidence avec de la montée en charge de l’assurance
vieillesse, les montants financiers des prestations seront limitées, voire bloquées par la création de
politiques ciblées : certaines catégories considérées comme prioritaires (mères isolées, veuves, mères
d’enfants handicapés) deviennent la cible de ces politiques, en contredisant en partie le principe
universaliste des prestations sociales, puisque de nombreuses prestation sont ainsi soumises à des
conditions de ressources. Tel est le cas de: l’allocation orphelin (1970), de l’allocation aux mineurs
handicapés et de l’allocation aux adultes handicapés. Bien que les allocations salaire unique et mère
au foyer aient été créées en suivant un principe universaliste, elles deviennent au cours du temps
également soumises à des conditions de ressources.
En 1972, pour la première fois, et dans la volonté de faire face aux nouvelles situations
familiales une allocation pour frais de garde est instituée, ainsi que le prêt aux jeunes ménages et
l’assurance vieillesse pour les mères de famille. Les années 1970 marquent un profond changement
dans la politique familiale française : les objectifs se spécifient alors que certaines populations
deviennent prioritaires. Elle doit prendre en charge des nouveaux phénomènes afin de lutter contre
23 J. Damon, Les politiques familiales, Que sais-je, Presse Universitaire de France, 2006, p.17.
les inégalités. La nouvelle stratégie vise à réduire les inégalités verticales provenant des
différences de revenu, et plus seulement à limiter les inégalités horizontales dérivant des
différentes charges familiales. Alors que certaines allocations sont soumises à des conditions
de ressources, comme l’allocation de rentrée scolaire (1974), d’autres allocations sont élargies
et modifiées dans le but de garantir l’égalité ; c’est le cas de l’allocation orpheline et de
l’allocation éducation spécialisée qui réunit les allocations en direction des handicapés (AES,
1975). Enfin des nouvelles allocations sont instituées, tels que l’aide personnalisée au logement
(APL, 1977) et l’allocation parent isolé (API, 1976). Il ne s’agit plus seulement de compenser
les charges de famille, mais de lutter contre des phénomènes jusqu’à-là ignorés par la politique
familiale, comme la pauvreté et les inégalités. De plus, avec la crise et la montée du chômage,
le caractère socioprofessionnel du système de prestations bascule et à compter de janvier 1978,
les prestations sont intégralement généralisées et indépendantes de l’activité professionnelle et
du salaire. La famille perd ainsi son rôle charnière, et le travailleur avec sa famille voit son
importance diminuer et celle des enfants croître, quelque soit la condition des parents. La
spécialisation et le ciblage de ces dernières mesures se mêle à la nécessité de rationaliser les
choix budgétaires et les dépenses publiques. Les objectifs proprement natalistes s’adoucissent,
même si ne disparaissent pas, étant donnée l’augmentation des prestations pour les familles de
trois enfants et plus, et la création en 1978 du complément familial, qui va se substituer à
l’allocation salaire unique et à l’allocation mère au foyer, ainsi qu’à l’allocation de frais de
garde, tout en supprimant la condition d’activité professionnelle exigée auparavant.
Avec l’arrivée au gouvernement socialiste en 1981, avec François Mitterrand à la
présidence, les prestations familiales sont fortement revalorisées dans l’objectif de relancer
l’économie par une relance de la consommation. C’est pourquoi les allocations familiales sont
augmentées de 25% et les allocations logement de 50% ; ces mesures s’accompagnent par une
volonté accrue de réduire les inégalités, puisque les bénéfices du quotient familial sont
plafonnés et les efforts en faveur des familles nombreuses réduits. De plus, elles
s’accompagnent d’une volonté de réaliser des économies et de systématiser les allocations : « la
politique familiale du social devient ainsi une politique sociale de la famille » (Damon J. 2006),
avec l’ambition déclarée d’aider les familles défavorisées plutôt que de soutenir un modèle
familial. En effet, les années 1970 et 1980 marquent une période de profonds changements dans
la vie en couple et dans les rapports hommes-femmes, en raison notamment de l’augmentation
de l’activité féminine, de l’augmentation du taux de divorces, et de la fragilisation de la vie en
couple. C’est dans ces années que l’avortement a été légalisé (1975) et que les femmes ont
revendiqué une nouvelle place dans la société et une nouvelle autonomie en raison de leur entrée
27
massive sur le marché du travail. Pour cela, les mesures prises en faveur de la famille reflètent la
volonté de s’adapter aux nouvelles aspirations et aux nouveaux comportements des individus, et
notamment en ce qui concerne l’activité des femmes. Ce tournant illustre la nécessité pour les
politiques publiques de savoir faire face à la montée de l’individualisme en recourant à la notion de
parentalité et en soulignant davantage l’importance du lien parent-enfant et de la filiation comme
cible de l’action publique.
C’est pourquoi, au cours de eux dernières décennies, la politique familiale française a subi des
profondes modifications, qui ont suivi trois axes principaux : une attention accrue à la petite enfance ;
une volonté de comprendre les évolutions familiales marquées par les transformations de la
parentalité et par le besoin de concilier activité professionnelle et vie familiale ; une tendance
renforcée à respecter des contraintes budgétaires. Alors que les femmes sont de plus en plus
nombreuses dans les emplois rémunérés, et notamment dans le secteur du tertiaire et de
l’enseignement, des prestations qui accompagnent l’enfant dès sa naissance ont été créées, en
particulier des mesures finançant sa garde et le développement d’équipements d’accueil. A partir de
1976, la CAF (Caisse Nationale d’Allocations Familiales) commence à subventionner la création de
crèches ainsi que des allocations finançant la garde des enfants telles que l’allocation parentale
d’éducation (APE, 1985), qui permet aux parents de se consacrer à l’éducation des enfants en
s’arrêtant de travailler à la naissance du troisième enfant et pour une durée de 36 mois, et l’allocation
pour la garde d’enfant à domicile (AGED, 1986). Ces mesures se trouvent au carrefour entre politique
familiale et politique de l’emploi, la première a contribué à faire décroître le chômage puisqu’elle
permettait aux femmes de se retirer du marché du travail (Piketty T. 2005)24, et la deuxième a favorisé
la déclaration des emplois de service de garde en luttant notamment contre le travail au noir. Ces
mesures sont étendues avec la création en 1990 de l’aide aux familles pour l’emploi assistante
maternelle (AFEAMA), et de l’extension en 1994 du bénéfice de l’APE au deuxième enfant, et
l’augmentation du montant consacré à l’AGED. Le principe qui est alors affiché est celui du « libre
choix », c’est-à-dire de laisser la possibilité aux parents de décider du mode de garde préféré, soit en
profitant d’un long congé parental, soit en faisant appel à l’aide d’une assistante, soit encore en
recourant à un mode de garde collectif. Pour limiter l’éparpillement de toutes ces mesures, il a été
institué en 2004 la Prestation d’accueil du jeune enfant (PEJA), qui favorise le libre choix des parents
et simplifie le cadre législatif ; cette allocation prévoit une prime à la naissance (ou à l’adoption), un
complément libre choix d’activité (CLCA, qui remplace l’APE et est utilisable à partir de la première
24 Toutefois, cette mesure semble décourager les femmes peu qualifiées de rentrer sur le marché du travail dans un
deuxième moment. En outre, elle ne semble pas avoir atteint son objectif proprement nataliste puisqu’elle n’a pas fait
augmenter le nombre de naissances, mais elle a eu seulement un effet de calendrier et d’anticipation des naissances.
naissance) et un complément de libre choix de garde (CMG) qui remplace les anciennes
AFEAMA et AGED.
A côté de toutes ces prestations directes, permettant de concilier vie privée et activité
professionnelle tout en limitant les coûts liés aux enfants, les autorités publiques françaises, à
partir des années 1980, se sont engagées dans l’augmentation des places ouvertes dans les
équipements collectifs de garde enfants. La Caisse d’Allocations Familiales (CAF) a ainsi
encouragé les collectivités locales à la construction ou l’augmentation du nombre des places en
crèches. Dans ce but, en 2000 et en 2001, le Ministère de la Famille, pour répondre à une
demande croissante de garde d’enfant, a alloué 228 millions d’euros au financement des
équipements publics. Le choix de financer ces services vise à répondre aux principes d’égalité
de chances et d’universalité des droits de l’enfant. Dans ce domaine l’État est fortement légitimé
dans son action puisque les citoyens français croient que c’est son devoir de s’occuper des
enfants à partir des bas âges dans l’objectif ultime de garantir une éducation précoce et
universelle. Les autorités publiques ont aussi invité les entreprises à participer à la création
d’équipements collectifs de garde enfant en offrant des financements publics (jusqu’à 80%)
pour la constitution de crèches d’entreprise.
Bien que toutes ces mesures visent clairement la petite enfance, les jeunes adultes aussi
ont été pris en compte par des nouvelles prestations. En effet, le départ toujours plus tardif des
jeunes du domicile parentale et les dépenses croissantes en faveur de l’éducation ont poussé les
autorités publiques à élever en 1999 au vingtième anniversaire, l’âge limite jusqu’auquel les
familles peuvent recevoir les allocations familiales. Comme on a pu le voir, aujourd’hui c’est
la petite enfance et l’adolescence, et non plus la famille, qui constituent la cible des politiques
familiales. Toutefois, à côté de ce changement d’objectif, d’autres principes ont favorisé le
développement de la politique familiale, tels que la conciliation entre vie familiale et activité
professionnelle et la responsabilisation des parents face aux besoins des enfants. La notion de
parentalité est née en réponse aux bouleversements que la famille a subis, ainsi que pour
désigner le fait d’être parent quelque soit le type d’union, et malgré les divorces ou les
séparations. Les évolutions qu’a connues la famille ont obligé les autorités publiques à faire
face à la nécessité non seulement de compenser les coûts liés aux enfants, mais aussi de
permettre aux enfants de grandir dans un environnement favorable en prenant des mesures
d’aide aux parents. L’objectif est de soutenir les parents dans leur rôle éducatif grâce à la
création de services comme la médiation familiale, le soutien scolaire ou, les centres
d’informations aux familles. De cette manière, la politique familiale s’est, en quelque sorte,
29
rapprochée d’une politique de lutte contre la délinquance juvénile et des politiques scolaires et de
sécurité. La loi du 4 mars 2002, par exemple, vise à renforcer la coparentalité et le droit de l’enfant à
être élevé par ses parents en harmonisant l’exercice de l’autorité parentale quelque soit la relation
entre les parents, avec l’objectif de protéger le mineur. De plus, la loi du 2 janvier 2004 crée un
observatoire pour lutter contre l’absentéisme scolaire. Ces mesures d’aide sociale veulent prendre en
charge les nouvelles configurations familiales et des nouveaux problèmes liés à celles-ci.
Enfin la politique familiale française a dû faire face, au cours des vingt dernières années, à la
nécessité de limiter la progression des dépenses publiques : si l’universalité du système de prestations
a été rétablie en 1999, il a pourtant été nécessaire de moduler les prestations et leur niveau en fonction
du revenu. Toutefois, la politique sociale française continue à investir énormément en direction des
familles, au point que des récentes études mettent en évidence que les frais liées à la famille et à la
politique familiale varient entre 2,7 et 4,6 % du P.I.B25.
Comme on a pu voir, la politique familiale française se distingue par la richesse des mesures
prises en faveur de la famille. Au cours des dernières années, l’accent a été mis sur la figure de l’enfant
et sur ses nécessités, alors que des nouvelles formes de responsabilité parentale ont été encouragées
avec la notion de parentalité et coparentalité. En effet, non seulement le droit à la maternité26 est
garanti par loi, mais depuis 2002 c’est aussi le cas du droit à la paternité27 et au congé parental, qui
ont été créés sous l’influence des directives européennes en faveur de l’égalité homme-femme.
Pour résumer, on peut affirmer que la politique française a beaucoup évolué au cours du temps
pour s’adapter aux exigences de la société. Si à son début cela encourageait le maintien d’un certain
modèle familial traditionnel, basé sur la figure de l’homme pourvoyeur des ressources, avec un but
explicitement démographique de soutien à la natalité, au fur et mesure elle a dû faire face à des
nouvelles exigences, telles que la montée de l’activité féminine et la revendication des femmes à une
nouvelle autonomie.
C’est pourquoi l’action publique, face à ces évolutions de la famille, au développement des
divorces et des cas de monoparentalité, a décidé modifier ses principes fortement normatifs, pour
prendre en charge les situations de fait et viser finalement à aider les familles dans leurs nouvelles
exigences. La politique familiale française a d’abord limité les dépenses nécessaires pour élever des
enfants, puis a poursuivi dans l’objectif d’augmenter l’égalité entre citoyens en mettant en place des
25 Damon J., « Le périmètre à géométrie variable de la politique familiale » De 3 à 5 points de PIB, voire plus?,
Informations sociales, 2007/3 n° 139, p. 58-64. 26 Toutes les mères enceintes ont droit à seize semaines de congé maternité, dont six avant l’accouchement et dix après la
naissance du bébé. Cette période peut être prolongée jusqu’à 26 semaines dans le cas de la naissance du troisième enfant,
d’accouchement gémellaire ou bien en raison de problèmes de santé dus à la grossesse. 27 Il s’agit de deux semaines de congé payé utilisables après la naissance de l’enfant.
politiques redistributives de type vertical ; elle a enfin favorisé l’égalité entre sexes en
permettant aux femmes de concilier vie familiale et activité professionnelle, et en créant le
nouveau concept de parentalité. Ceci a permis de « concilier les diverses aspirations
individuelles et professionnelles de parents égaux en droits à l’égard de leurs enfants »28. C’est
ainsi que l’enfant devient la condition pour créer une famille, indépendamment de son statut
juridique en tant que fils naturel, adultérin ou légitime29.
Si en France l’intervention de l’action publique a toujours été légitimée, voire encouragée
par les citoyens, elle a pris des différentes formes selon la période historique et la conjoncture
économique. Malgré les différentes conceptions de la famille et les différents principes qui ont
été affichés, la politique familiale française a su maintenir une cohérence au fil du temps. Il est
sûr qu’elle devra faire face à des nouvelles problématiques telles que le vieillissement de la
population, et il est par ailleurs très difficile d’évaluer si elle a toujours réussi dans ses objectifs,
comme par exemple favoriser la natalité et donc la fécondité. Toutefois, la politique familiale
française a favorisé une plus grande égalité au sein de la société en luttant contre la pauvreté et
en affirmant la parité des sexes et des situations familiales. La dernière et plus importante
mesure prise en ce sens a été l’institution en 1999 du Pacte Civile de Solidarité (PACS),
permettant aux couple homosexuels d’institutionnaliser leurs unions.
3. L’Italie : une politique familiale qui a du mal à décoller.
La politique familiale en Italie peut être définie comme controversée et hésitante. On sait en
effet qu’en Italie manque d’une politique sociale explicitement ciblée en direction des familles, c’est
pourquoi les mesures prises en faveur de la famille doivent être lues et comprises dans le cadre plus
large des politiques sociales en générale. Pour cela et du fait de la fragmentation des acteurs censés
les mettre en place, les objectifs ciblés semblent très souvent flous, voire contradictoires. On peut
ainsi dire que les politiques sociales pour la famille sont le résultat d’un manque qui oblige les familles
italiennes à faire face aux problèmes en développant un profond système d’aide réciproque et de
solidarité entre membres de la même famille. Ce phénomène a été renforcé par l’absence de mesures
universalistes de compensation du revenu concernant les coûts liés aux enfants.
Il existe de nombreuses explications à l’absence d’une politique explicite et cohérente tournée
vers les familles, parmi lesquelles l’interprétation qui avance que, ce manque est le résultat d’un
profond conflit de valeurs qui traverse les divisions politiques et d’une contradiction liée aux valeurs
28 Damon J., Les politiques familiales, Que sais-je, Presse Universitaire de France, 2006, p. 47. 29 Le principe d’égalité de filiation est établi en 1972
31
de la famille. De plus, l’Italie n’ayant connue de politique familiale que durant la période fasciste,
l’hostilité de la politique républicaine et la difficulté à mettre en place des mesures d’aides directes
aux familles peut être lue comme le résultat de l’héritage fasciste, et de la volonté des gouvernements
de l’après-guerre de s’affranchir du modèle qu’il avait véhiculé. Par ailleurs, à cause des problèmes
endémiques liés au marché du travail italien, tels que le chômage massif et la pauvreté, les autorités
publiques ont considéré comme prioritaires d’autres aspects de la politique sociale plutôt que les aides
en direction des familles ; ceci a toutefois favorisé la création d’un système d’aide informel basé
essentiellement sur le travail non rémunéré des femmes (mais pas seulement).
C’est à la lumière de ces caractéristiques et d’un système encore fortement asymétrique par
rapport aux rôles de genre dans la famille que doit être lue et comprise la politique familiale italienne,
ses contradictions et son incapacité à faire face aux besoins croissants des citoyens. C’est seulement
dans des années récentes, et en raison des pressions de l’Union Européenne, que l’Italie a dû mettre
en place des actions favorisant la conciliation entre vie privée et activité professionnelle vers une
division plus égalitaire des rôles à l’intérieur du couple et de manière plus générale dans la famille.
3.1. La politique familiale italienne : des mesures du caractère implicite et indirect.
En Italie, une cadre spécifique d’action en direction des familles semble faire défaut. Bien qu’il
existe des politiques sociales pour les familles, elles apparaissent comme faibles, voire inconsistantes.
Dans des années récentes, et seulement en raison de l’impulsion provenant des institutions
européennes, l’Italie a su adapter le système législatif aux exigences de conciliation des temps en
modifiant profondément les lois sur le congé parental et la maternité.
Tous les spécialistes s’accordent sur le fait que la politique de l’Italie républicaine a eu dû mal
à concevoir une politique familiale explicite et cohérente en raison du poids de l’héritage fasciste. En
effet, si on peut dater la création d’une politique familiale en Italie, on est obligé de remonter à
l’époque fasciste des années 1930-1940, quand le régime avait mis en place des actions directes
envers les familles. Le régime, a voulu par ces mesures atteindre trois objectifs particuliers : faire
remonter les courbes de fécondité ; maintenir, voire encourager une structure autoritaire et
hiérarchique de la famille basée sur la figure de l’homme/mari-travailleur ; placer la famille au cœur
de la politique fasciste en la mobilisant directement dans les objectifs et les valeurs poursuivis par le
régime (Saraceno C. 2003). Afin d’atteindre le premier objectif, le régime a institué en 1923 le congé
maternité pour toutes les femmes travailleuses salariées. En 1925, l’Opera Nazionale maternità e
infanza30 a été créée pour aider les femmes enceintes et veiller sur les enfants en bas âges. De plus,
le régime encourageait les naissances en favorisant les embauches des hommes mariés (plutôt que
30 Cette institution a survécu longtemps après la chute du régime fasciste et jusqu’aux années 1960.
des célibataires) dans les secteurs public et privé. La Cassa Nazionale per gli assegni familiari,
versait des allocations familiales aux travailleurs avec des enfants salariés de l’industrie ; ces
prestations visaient à lutter contre la pauvreté des familles nombreuses, tout en encourageant
ce modèle de famille puisque l’allocation était progressive selon le nombre d’enfants à charge.
Une prime à la naissance était prévue pour les femmes mariées et le système d’impôts
encourageait les familles nombreuses avec des détractions fiscales ; au contraire le célibat était
découragé avec l’imposition des taxes supplémentaires pour les non-mariés. Toutes ces mesures
visaient explicitement à maintenir une forte division entre les rôles, à tel point qu’il a été
longtemps interdit aux femmes, même sur bases légales, de travailler (tout particulièrement
dans le secteur public).
Dans l’Italie républicaine, le maintien de nombreuses institutions du régime fasciste a
causé de profondes contradictions dans la manière dont les rapports au sein de la famille ont été
conçus, aussi bien dans le cas du rapport homme-femme que dans celui des rapports
intergénérationnels. Ceci est particulièrement marquant si l’on considère que le Code de la
Famille, tel qui a été institué durant le régime fasciste en 1942, est resté inchangé jusqu’en
1975, année au cours de laquelle le droit de la famille a été reformé.
La réforme du droit de famille et la loi sur le divorce de 1970 constituent les principaux
changements concernant la législation sur la famille de l’après-guerre. Le droit de la famille
établit les obligations de chaque membre de la famille face aux parents, en affirmant un ample
éventail de devoirs de la part des parents et grands-parents envers les enfants et les neveux,
mais aussi les frères, puisque ils sont tenus à la solidarité économique réciproque, ainsi que les
fils vers les parents. De plus, l’égalité juridique des enfants légitimes et naturels est affirmée,
permettant de limiter les formes de discrimination et de stigmatisation sociale.
Dans le sillage du mouvement féministe des années 1970, l’avortement a été légalisé en
1978, et, comme en France, c’est dans ces années que les nouvelles exigences des femmes se
font sentir : une fois acquis le droit au travail31, elles revendiquent une nouvelle autonomie. Les
femmes ont obtenu des emplois dans le secteur des services, de l’enseignement et de la vente.
C’est ainsi qu’en 1971 la loi sur la maternité a été modifiée, permettant aux femmes
travailleuses d’être protégées davantage. Cette loi prévoyait deux périodes de congé maternité,
l’une obligatoire qui correspondait à une indemnisation de 80% du dernier salaire (100% pour
les salariées d’État et des grandes entreprises) utilisable à partir du dernier mois de grossesse et
pour une durée de trois mois ; et l’autre, facultative, d’une durée de neuf mois, c'est-à-dire
31 Les femmes ont pu avoir accès à tous les parcours professionnels en 1977 seulement avec l’approbation de la loi n°903
dite « loi de parité ».
33
jusqu’au premier anniversaire de l’enfant, qui prévoyait une indemnisation de 30% du salaire. Durant
ce congé, la mère32 avait le droit de garder son emploi et de faire valoir ce temps comme ancienneté.
Bien que des nouveaux droits aient été déclarés pour la femme dans le domaine de la protection
sociale, de profondes différences ont continué à perdurer dans l’Italie républicaine jusqu’à la reforme
des retraites et de l’assistance publique. En effet, dans la plupart des cas la femme continuait à
bénéficier des droits d’assistance seulement en raison de la position du mari sur le marché du travail.
Alors qu’en France la politique familiale s’est construite en réponse aux nouvelles exigences de la
société, en Italie, les évolutions des politiques sociales et plus spécifiquement de la politique familiale,
ont suivi les parcours de développement d’autres politiques telles que : la reforme du système fiscal;
des politiques du travail et en défense des parents travailleurs ; et enfin, dans une moindre mesure de
la politique du logement. Les mesures directes d’aides aux familles restent très limitées dans le temps
et prennent notamment la forme d’aides sous forme monétaire. Pour pouvoir éclairer de manière
systématique les évolutions de la politique sociale italienne, je veux tout d’abord présenter les acteurs
sociaux qui jouent un rôle dans sa définition. Je continuerai ensuite en présentant les mesures directes
d’aides aux familles ; le système fiscal et la proposition de loi visant à la création d’un quotient
familial ; les mesures en défense de la maternité et les politiques d’aide aux parents-travailleurs ;
enfin je conclurai avec les services sociaux et la dernière reforme sur l’assistance publique.
Il existe nombreuses institutions et différents niveaux gouvernementaux qui agissent en
direction de la famille. La famille n’a jamais bénéficié d’un ministère à part entière, selon les
gouvernements, sa prise en charge a été éparpillée entre le Ministère du Travail et des Politiques
Sociales, le Département des Affaires sociales de la Présidence du Conseil des Ministres, ou encore
le Ministère de la Justice (pour les questions d’adoption et l’assistance publique) et le Ministère de
l’Éducation et de la Recherche (pour l’enseignement) ; enfin le Ministère de l’Économie a en charge
la distribution du budget des allocations familiales (assegni per il nucleo familiare). Cette confusion
institutionnelle se mêle avec des nécessités de décentralisation, c’est pourquoi dès 1977, année de
création des Régions, une partie des services d’assistance a été déléguées aux Région : c’est les cas,
par exemple, de la Santé. Enfin, les Provincie (sorte de département) et les Comuni (Communes)
peuvent mettre en place des mesures d’aide aux citoyens, telles que : la protection en cas de maternité,
la santé, l’assistance sociale, notamment pour les enfants handicapés où dans des situations atypiques,
les aides au logement, en favorisant ainsi la création de profondes différences entre les Régions les
32 Et à partir de 1977 même le père, à condition qu’il soit légalement marié avec la mère de l’enfant, et qu’elle renonce
au droit d’utiliser le congé facultatif.
plus vertueuses et les moins vertueuses et entre citoyens selon leur localisation géographique.
A coté des ces institutions politiques, il faut souligner la création en 1995 de l’Observatoire
permanent sur la famille (Osservatorio permanente sulla famiglia) cherchant à mobiliser dans
son action les principaux représentants de l’associationnisme familial. Il existe aussi le Forum
des associations familiales (Forum delle associazioni familiari).
Comme on l’a déjà souligné, il n’existe pas en Italie de forme directe d’aide aux familles
en compensation aux coûts liés aux enfants. La seule prestation en cette direction est l’allocation
pour le ménage (assegno per il nucleo familiare, ANF) ; cette mesure n’est pas universelle
puisque seuls les travailleurs salariés, les chômeurs et les retraités peuvent en bénéficier.
Appelée jusqu’en 1988 « allocation familiale » puisque destinée à tous les travailleurs salariés
sans condition de revenu, elle est soumise à des conditions de ressources depuis cette année-là
et dépend du nombre d’individus dans le ménage et de la typologie du ménage (familles
monoparentales, avec orphelins, ou des mineurs). Il s’agit d’une mesure assistancielle qui vise
tout particulièrement les familles pauvres. Cette prestation remonte à l’époque du fascisme et
elle a été modifiée au fil du temps ; elle a d’abord été élargie à toutes les catégories de
travailleurs salariés, puis elle a été soumise à des conditions de ressources. Dans les années
1990, le manque d’adéquation de cette mesure au coût de la vie a causé une limitation de sa
valeur et une réduction implicite du nombre de bénéficiaires. Cela a obligé les autorités
publiques à la soumettre à des modifications profondes : des augmentations pour les familles
avec mineurs ont été votées, ainsi que pour les familles monoparentales33. Cette mesure a
l’inconvénient de décourager l’entrée des femmes sur le marché du travail et, en raison du faible
nombre des familles la percevant (les travailleurs autonomes en sont exclus), n’a réussi qu’en
partie à atteindre son objectif de redistribution verticale. La dernière réforme concernant les
allocations familiales remonte à 1999, quand, dans un climat de préoccupation croissante envers
les phénomènes de pauvreté et envers la question de la dénatalité, deux nouvelles allocations
pour les familles nombreuses ont été crées : il s’agit de l’allocation pour les ménages avec au
moins trois enfants mineurs (Assegno per i nuclei con almeno tre figli minori, A3F) et
l’allocation de maternité (assegno di maternità, AM). De telles prestations ont une nature
strictement assistancielle puisqu’elles s’adressent aux familles ne dépassant pas un certain seuil
de revenu. L’A3F constitue une mesure de lutte contre la pauvreté34, alors que l’AM constitue
une sorte de prime à la natalité pour les femmes qui se trouvent dans une situation qui ne leur
permet pas d’avoir un congé maternité, et notamment les femmes au foyer ou les travailleuses
33 En 2001, une famille composée de deux parents et de deux enfants dont un mineur, avec un revenu inferieur à 19.556,69
euros pouvait recevoir une allocation de 111,55 euros par mois. 34 Cette prestation n’est pas soumise à l’impôt.
35
au noir35. Les individus qui en bénéficient se trouvent tout particulièrement en Italie du Sud, où il y a
davantage des familles nombreuses et où la pauvreté est encore largement répandue.
En ce qui concerne le système fiscal en Italie, il représente une partie considérable (peut-être la
seule) des mesures visant à limiter les coûts des enfants et des membres de la famille à charge. En
effet, en Italie, depuis la reforme de 1971, c’est l’individu et non le ménage qui est imposable, il existe
donc des mesures de réduction des impôts pour les enfants mineurs (et prolongeables jusqu’à l’âge
de 26 ans pour les étudiants) et pour le/la conjoint(e). Paradoxalement, ces déductions fiscales étaient
jusqu’en 1998 beaucoup plus généreuses pour le conjoint que pour les enfants, et bien que les règles
aient été modifiées, cette distance ne s’est réduite qu’en partie. Alors que la différence entre
« enfants » et « autres membres » à charge a été effacée, ces mesures semblent encore inefficaces en
ce qui concerne la reconnaissance des coûts liés aux enfants et aux personnes dépendantes et aux
nécessités redistributives motivées par le principe de l’égalité entre individus.
Au début des années 1990, pour résoudre ces problèmes et dans la volonté déclarée de réduire
les inégalités et de reconnaitre le coût des enfants, il a été proposé de remplacer le système de
déductions fiscales en vigueur par le système du « quotient familial ». Après un long débat autour de
la question de la taxation « selon les parts » qui a duré presque une décennie, le gouvernement italien
a décidé de continuer à utiliser le système de réduction fiscale plutôt que celui du quotient familial,
en augmentant seulement les réductions d’impôts pour les enfants à charge36.
D’autres mesures en direction de la famille ont pris la forme de politiques en défense des
travailleurs et donc a priori appartenant aux politiques de l’emploi : il s’agit par exemple, de la récente
reforme du droit à la maternité et au congé parental. Si, comme on l’a dit, le congé maternité est
protégé par la loi depuis 1971, c’est seulement grâce la loi n°53 de 2000 qu’un intérêt nouveau a été
porté à la question de la conciliation entre responsabilités familiales et activité professionnelle, et vers
le rééquilibrage des obligations familiales entre hommes et femmes. Cette loi prévoit une nouvelle
protection pour les parents-travailleurs qui leur permet de bénéficier d’un congé parental et de :
flexibiliser le congé maternité obligatoire de cinq mois dans sa distribution temporelle ; autoriser de
manière indépendante le père à utiliser son congé quelque soit le statut professionnel de la mère ;
favoriser une utilisation flexible du congé optionnel d’une durée de six mois utilisable jusqu’à l’âge
de huit ans de l’enfant ; augmenter le nombre d’absences pour des raisons de maladie de l’enfant
jusqu’à l’âge de trois ans ; encourager les entreprises dans l’articulation d’horaires flexibles aidant
les parents dans la conciliation des temps à travers des « banques du temps » spécifiques. De plus, les
collectivités locales, afin de contribuer à la mise en en place de ces mesures , se sont engagées à créer
35 Cette allocation est de 258 euros utilisable les cinq mois qui suivent la naissance de l’enfant. Le revenu annuel de la
famille ne doit pas dépasser le seuil de 25.823 euros en 2001. 36 Cette mesure semble inadéquate puisqu’elle reconnaît les couts implicites liés aux enfants, mais pas les couts réels.
des systèmes de coordination des « temps des villes » qui consistent dans des plans de
régulation des services publics et privés et des transports au niveau d’horaires pour faciliter la
vie quotidienne des travailleurs.
Toujours dans l’intérêt de concilier les temps de vie, une attention nouvelle a été donnée
au renforcement des services collectifs de garde d’enfant, tout particulièrement pour les enfants
en bas âge. Toutefois, les services en direction de l’enfance restent un domaine encore peu
légitime, puisque les équipements collectifs de garde d’enfant en Italie étaient utilisés davantage
par les enfants se trouvant dans des situations atypiques (familles monoparentales, orphelins)
en contribuant à la stigmatisation des ces institutions. Alors que les équipements publics sont
caractérisés par un profond manque au niveau des places et par des coûts encore trop élevés, un
important service de garde est toujours accompli par les grands-parents. S’il existe un besoin
de services collectifs pour l’accueil des enfants, il s’exprime de manière hétérogène selon les
régions, et notamment selon le taux d’activité des femmes qui varie profondément du Nord au
Sud. Pour remédier au manque de ces services, et pour combler les besoins concernant la
pauvreté, la toxicomanie ou bien la non-autosuffisance, la loi 328 de 2001 jette les bases pour
une profonde réforme des systèmes sociaux et de l’assistance publique. Alors que l’État
s’engage dans une forme d’intervention nouvelle, son action reste encore peu légitime dans ces
domaines, et tout particulièrement en ce qui concerne la garde des enfants en bas âge. Les débats
développés récemment illustrent les diverses façons d’évaluer qui doit prendre en charge cette
couche de la population. Certains affirment que c’est à l’État de veiller sur les enfants, dans
l’objectif de promouvoir l’égalité de chances ; d’autres estiment que c’est la mère ou plus
généralement la famille qui doit s’en occuper. Sans entrer dans la spécificité du débat,
soulignons que nombreuses familles ne veulent pas déléguer leur rôle éducatif à des instituts
collectifs, même au risque qu’un des deux parents (la femme notamment) doive perdre son
poste de travail. La récente réforme, tout en créant des nouvelles attentes quant au
développement des services sociaux, ne fait que promouvoir à nouveau le principe de
subsidiarité, en déléguant une partie des charges normalement de compétence étatique aux
familles ou plus généralement aux association familiales ou groupes bénévoles.
Pour conclure, je voudrais présenter brièvement comment dans les années récentes en
Italie on est arrivé à reconnaître le rôle du travail familial en instituant le Fondo mutualità
pensioni per le persone che svolgono lavori di cura non retribuiti, c'est-à-dire en promouvant
une pension de retraite pour les individus ayant travaillé exclusivement au foyer. De plus, en
1999, des assurances ont été créées pour protéger les femmes au foyer des infortunes
domestiques ; leur inscription est sur base volontaire mais contribue à sensibiliser les individus
37
sur l’importance du travail familial et des responsabilités domestiques. Ces mesures, même si elles
apparaissent peu efficaces en termes de résultats, contribuent à la défense d’une catégorie qui a
longtemps été exposée davantage au risque de la pauvreté, et qui reste quand même subordonnée au
rôle de ceux qui se trouvent dans une position active et formelle37 dans le marché du travail.
Enfin, je conclurai ce paragraphe en discutant l’absence d’une mesure de minima social en
Italie : ce type de prestation existe seulement en défense des invalides et des personnes âgées. Il s’agit
de l’allocation d’invalidité civile pour les premiers et de la pension sociale pour les deuxièmes. A
coté de ceux-ci, il existe une mesure pour l’accompagnement des handicapés (considérés très souvent
comme invalides) qui leur a permis d’être intégrés dans les écoles publiques à partir des années 1970.
En ce qui concerne une mesure universelle de lutte à la pauvreté, il n’existe pas en Italie de prestation
en soutien au revenu pour ceux qui en sont démunis. Ce n’est qu’à l’occasion de la loi de finances de
1998 qu’un revenu d’instance ultime (Reddito minimo di inserimento) a été crée de manière
expérimentale dans 39 Communes italiennes. Cette tentative n’a durée que quatre ans, le temps de
dépenser les fonds qui lui avaient été destinés ; lors du deuxième financement, le Ministère des
Politiques Sociales s’est opposé à cette mesure en soulignant la possibilité de recourir à ce moyen
seulement dans le cadre d’actions régionales et localement ciblées. De cette manière, on ne peut
qu’augmenter la fragmentation et l’hétérogénéité des politiques sociales, en contribuant à favoriser,
au lieu que limiter, les inégalités en Italie.
4. France et Italie: quelles différences ?
On a essayé au cours des paragraphes précédents de fournir une image exhaustive concernant
les politiques familiales en France et en Italie. Les deux pays, dans les années récentes, ont dû mettre
en place des nouvelles mesures de tutelle en direction des parents travailleurs en leur accordant non
seulement un congé maternité, mais aussi un congé paternité et un congé parental. Ces mesures
reflètent les directives de l’Union Européenne qui encourageaient les pays membre à organiser le
marché du travail de manière flexible, dans la volonté de réussir à concilier les temps de vie et donc
la vie privée et la vie professionnelle. Les congés français et italiens apparaissent plutôt semblables
dans les objectifs : protéger les parents travailleurs, les soutenir dans leur rôle de parents-éducateurs,
flexibiliser les horaires de travail et encourager une division des rôles plus égalitaire au sein de la
famille.
37 Il faut toujours souligner que les femmes ne travaillant pas dans le marché formel ont pu pour autant travailler dans le
marché informel. Dans ce segment du marché, on ne peut pas cumuler les droits à la retraite, et on risque pour cela une
forte exposition à la pauvreté pendant la vieillesse.
La France se caractérise par des congés longs et plutôt bien payés ; toutefois comme en
Italie, le congé parental semble continuer à être une prérogative des femmes : les familles
préfèrent en effet renoncer au salaire le plus faible dans la période de congé38, et notamment
celui des femmes. Ceci empêche d’atteindre les objectifs d’égalités affichés par ces mesures
puisque le travail de soin semble encore faire partie des devoirs des femmes.
En ce qui concerne les équipements publics de garde enfants qui, avec les congés
constituent un élément essentiel des stratégies de conciliation, France et Italie ne font pas preuve
des mêmes capacités : la France se caractérise par un offre de services pour les enfants de moins
de deux ans plutôt ample atteignant presque 40% du besoin39. Au contraire, en Italie, les
services collectifs de garde d’enfants ne couvrent que 6% des enfants en âge d’en avoir besoin,
et avec de fortes différences selon les régions. La faible diffusion de ces services, comme on a
déjà souligné, est due en partie à l’opinion, répandue plus qu’ailleurs, que les enfants
grandissent mieux dans un milieu familial.
Tableau I : Taux de couverture et horaires d’ouverture des services publics pour l’enfance, selon l’âge des enfants
âge 0-2 âge 3-6
Couverture en %
horaire d'ouverture (par jour)
Couverture en % horaire d'ouverture
(par jour)
Italie 6,0 9,0 87,0 8,0
Autriche 10,0 7,0 70,0 6,0
Belgique 30,0 9,0 99,0 7,0
Danemark 55,0 10,5 90,0 10,5
Finlande 23,0 10,0 42,0 10,0
France 39,0 10,0 87,0 8,0
Allemagne 9,0 10,0 73,0 6,0
Grèce 3,0 9,0 48,0 4,0
Irlande 2,0 9,0 50,0 4,0
Luxembourg 3,0 9,0 76,0 5,0
Pays Bas 2,0 10,0 66,0 7,0
Portugal 12,0 7,0 72,0 5,0
Espagne 5,0 5,0 77,0 5,0
Suède 40,0 11,0 72,0 11,0
Royaume Uni 2,0 8,0 60,0 5,0
Source : De Henau et al. (2006) dans « Conciliare lavoro e famiglia » sous la direction de
Rinaldi R. et Romano M.C. (2008)
En regardant de plus près les allocations versées aux familles, dans les deux pays leur
efficacité en termes d’effet de redistribution au sein de la société a été démontrée. La France,
38 En Italie ce congé est payé à 30% du salaire, alors qu’en France il n’est pas payé ; pourtant les familles peuvent
bénéficier de l’APE, qui est calculée sur la base des enfants déjà eus et sur la base des années de travail au même poste. 39 Ce pourcentage néglige la partie du besoin qui est absorbée par les autres formes de garde d’enfant, tels que les
assistantes maternelles, la garde d’enfant au domicile, ainsi que l’APE qui permet à la mère de rester près de son enfant
jusqu’à son troisième anniversaire.
39
fait de ce point de vue preuve d’une claire attention vers la problématique de la lutte contre la pauvreté
et envers une redistribution des ressources motivées par le principe d’égalité entre citoyens. En effet,
la France dépense au moins 2,7% de son P.I.B. en mesures de soutien aux familles, tandis que l’Italie
n’en dépense que 1 %. Ce qui est le plus frappant en Italie, c’est la persistance des fortes différences
entre le Nord et le Sud, et notamment en ce qui concerne la pauvreté, le chômage, et les conditions
de vie. Le processus de décentralisation, de ce point de vue, ne pourra qu’augmenter les différences
en opposants régions vertueuse et attentives aux exigences de la société et régions incapables de faire
face aux demandes des citoyens.
Tableau II : les dépenses de la politique familiale en Europe (2003)
Dans Damon J., « Le périmètre à géométrie variable de la politique familiale » De 3 à 5 points de PIB, voire
plus?, Informations sociales, 2007/3 n° 139.
Si dans des années récentes les deux pays ont basé leur action en direction des familles sur la
problématique de la conciliation entre famille et travail, je voudrais souligner davantage comment en
France, pour faire face aux nouvelles requêtes de la société, les autorités publiques ont dû s’affranchir
d’une définition univoque et normative de la famille, pour au contraire, reconnaître toutes les
situations de fait et donner une égale dignité à toutes types d’union. Ceci a été fait dans l’objectif de
protéger le mineur, et pour reconnaître et limiter les problèmes liées à la montée des divorces et des
séparations. En Italie, on est encore loin d’accepter différents types d’union pour protéger les mineurs
et les catégories les moins favorisées, tels que les familles monoparentales, et même dans le milieu
académique, de nombreux chercheurs s’affrontent pour déterminer quel type de famille il faut
encourager, quel autre il faut au contraire décourager ou considérer comme déviant. Loin de vouloir
affirmer la priorité d’un modèle sur un autre, je crois que la politique familiale italienne devrait
être plus attentive aux exigences des citoyens plutôt que d’imposer une définition normative
sur la manière dont il faut vivre les propres relations personnelles. Ceci semble encore plus
nécessaire si on regarde le taux de fécondité italien, qui, depuis une vingtaine d’année, a atteint
un niveau parmi les plus faibles en Europe, bien que les italiens démontrent encore, d’après les
enquêtes, un fort désir de parentalité. C’est sur ces questions plutôt que sur la définition de
famille que j’invite à réfléchir les autorités publiques.
En France, bien qu’il soit très difficile d’évaluer l’impact de la politique familiale sur la
fécondité, c’est grâce à des aides importantes pour les familles que la fécondité a pu se maintenir
à un niveau élevé malgré la diversification des formes familiales, l’augmentation des naissances
hors mariage et la progression de l’activité féminine.
Puisqu’aujourd’hui, le lien entre activité féminine et fécondité semble être positif, en
Italie c’est peut-être le manque d’aides généreuses de la part des pouvoir publics qui obliges les
femmes à restreindre leur nombre d’enfants. Ceci est particulièrement vrai en Italie du Nord où
le modèle de la femme travailleuse avec un seul enfant est largement répandu. De plus, en Italie,
le phénomène des démissions des femmes enceintes a été récemment dénoncé ; il se trouve en
effet que nombreuses femmes soient obligées au moment de l’embauche de signer une lettre de
démission « en blanc » que les patrons utilisent si elles tombent enceintes. Des recherches ont
estimé que la quantité des femmes obligées aux démissions a atteint le chiffre de 14.000 en
199840.
Pour conclure, je voudrais revenir sur la question de la classification. A la lumière des
différences qu’on a soulignées il nous semble peu pertinent de regrouper France et Italie dans
la même typologie d’État-providence. Puisque mon travail n’a pas pour ambition de créer une
classification des systèmes de protection sociale en Europe, je suis amenée à mettre davantage
l’accent sur les différences entre ces deux pays, plutôt que sur les similarités, ceci dans le but
de comprendre comment les choix en matière de fécondité se créent et se développent dans le
deux pays.
Dans les chapitres qui suivront, on mettra davantage l’accent sur les désirs et les intentions
de fécondité des jeunes couples en France et Italie. Alors qu’on analysera les facteurs qui
influencent les choix de fécondité, on étudiera avec une attention particulière, la relation entre
travail et désir de maternité, dans but final de comprendre les différences qui existent entre la
France et l’Italie, et notamment en ce qui concerne norme, valeurs, et attentes. L’approche
40 Brienza G., Famiglia e Politiche familiari in Italia, Carocci Editore, Roma, 2001, p.74.
41
qu’on propose est attentive aux rapports, aux relations et aux dépendances au sein de la famille,
puisqu’on veut comprendre comment la famille est définie dans l’actuation des politiques sociales et
sociales et comment les obligations entre membres de la famille s’articulent avec l’action de l’état et
l’état et ses objectifs.
Chapitre 2 :
Hypothèses de recherche et Présentation des données.
Au cours de l’introduction et du premier chapitre, on a mis en évidence la situation
démographique en Europe, en faisant particulièrement attention à la description de deux pays :
la France et l’Italie. Dans ce deuxième chapitre on présentera les hypothèses de recherche et les
questions et les problématiques qui motivent ce travail d’étude. Ensuite, on présentera les
données sur lesquelles on conduira le travail d’analyse.
1. Existe-t-il un lien entre la politique familiale et le taux de fécondité ?
Au cours des chapitres précédents on a décrit les différences qui existent entre la France et
Italie. Tout d’abord, on a étudié la situation démographique et analysé les différences en matière de
fécondité et de comportements reproductifs, puis on a présenté les deux systèmes de protection sociale
en analysant les politiques familiales et les mesures d’aides aux familles.
A la lumière des différences entre les deux pays, on est amené à réfléchir sur un éventuel lien
entre la politique familiale et le taux de fécondité. Si cette hypothèse était vérifiée, on pourrait estimer
que les différences entre la France et l’Italie en matière de fécondité dérivent l’inégale importance
donnée par les états aux aides et aux soutiens financiers en faveur des familles. Alors que la France a
créé un système d’allocation et de services qui aide les familles à maintenir un bon revenu et qui
permet ainsi aux parents d’avoir d’autant d’enfants qu’ils le désirent, en Italie l’absence d’une
politique familiale avec des objectifs clairs et des mesures directes d’aides aux familles amène les
individus à revenir sur leurs choix reproductifs en limitant ainsi le nombre d’enfants réalisés.
Cette hypothèse semble plausible, pourtant il est très difficile d’évaluer l’impact des politiques
sociales et notamment des politiques familiales sur le comportement réel des individus, et il est encore
plus difficile d’affirmer l’existence d’un lien direct entre la politique familiale et le taux de fécondité.
Toutefois, les chercheurs s’accordent sur le fait que les politiques d’aides aux familles ont un
impact sur le taux de fécondité, mais que l’effet reste limité et difficile à mesurer. De plus, les
chercheurs estiment que la comparaison internationale est le meilleur contexte pour étudier dans
quelle mesure les différentes circonstances politiques permettent de comprendre les différences en
termes de fécondité, ses variations et sa tendance au niveau macro. La performance de la politique
familiale d’un pays comme la France pourrait alors être comprise uniquement par la comparaison
avec la politique familiale d’un autre pays, l’Italie dans notre cas. Toutefois, il faut veiller à ne pas
43
créer des liens de causalité entre la politique familiale et la fécondité, puisque, comme le dit
clairement Damon (Damon 2006), un pays comme l’Irlande connaît un taux de fécondité encore plus
élevé que la France, alors que les aides en direction des familles dans ce pays restent très faibles. Ceci
étant on comprend qu’il y a d’autres facteurs, à côté des aides financières, qui peuvent influencer la
fécondité, comme les valeurs et les normes, les traditions et les attentes liées à la procréation.
Dans un article récent, O. Thévenon et A.H. Gauthier41 débattent des difficultés d’évaluation
de l’impact des politiques familiales sur la fécondité, et selon ces auteurs une des difficultés
principales réside dans le fait que la politique familiale est composée de nombreuses mesures et que
celle-ci peuvent donc avoir des effets différents et difficilement calculables. Par exemple, il semble
que les mesures d’aide à la conciliation de la vie de famille et de l’emploi aient eu des effets positifs
en ce qui concerne le maintien des taux de fécondité. En effet, alors qu’il y a vingt-ans le lien entre
l’emploi féminin et la fécondité était clairement négatif, de nos jours il semble positif, puisque dans
les pays d’Europe où l’on enregistre les taux d’emploi féminin les plus élevés, on constate que la
fécondité s’est maintenue à un niveau élevé, aux alentours du taux de remplacement des générations
(il s’agit notamment des pays d’Europe du Nord). Les transferts financiers42 n’ont pas eu les mêmes
résultats et bien qu’ils permettent de limiter profondément les coûts directs et indirects liés au fait
d’élever des enfants, leur effet sur la fécondité semble très limité. En revanche, ces mesures ont un
effet sur le calendrier des naissances et influencent donc la fécondité mais uniquement dans la mesure
où les naissances sont anticipées, elles ne semblent pas avoir d’effets profonds sur l’ampleur de la
descendance finale.
D’autres mesures, comme les allocations versées à la naissance, semblent avoir un effet sur
l’intention d’avoir des enfants et sur la décision de ne pas interrompre une grossesse, puisqu’elles
réduisent sensiblement les coûts directs liés à la naissance. Enfin, les prestations en direction des
familles et les transferts financiers semblent avoir des effets différents selon les catégories sociales et
selon la taille de la famille. Par exemple, en France les mesures encourageant la fécondité égale ou
supérieure au rang trois semblent affecter davantage les familles à faible revenu et les femmes peu
qualifiées. S’il existe un lien entre politique familiale et fécondité il est aussi difficile d’évaluer sur
quel rang de naissance il agit, alors que certaines mesures peuvent encourager les femmes à avoir un
premier enfant, cela ne veut pas dire que les naissances de rang deux ou plus soient pour autant
encouragées.
41 Thévenon O., A.H. Gauthier, Variation de la fécondité dans les pays développés : disparité et influences des politiques
d’aides aux familles, Politiques Sociales et familiales, juin 2010. 42 Il s’agit de : prestations d’aide social indexées à la présence d’enfant, d’avantages fiscaux, d’aides prenant en charge
une partie des coûts de l’éducation, des allocations.
En raison de l’hétérogénéité des mesures d’aides aux familles et en raison de la difficulté à
calculer les conséquences sur la fécondité, on ne peut pas créer un lien causal entre politique familiale
et taux de fécondité. Toutefois, on peut considérer que la présence d’aides et leur stabilité dans le
temps, accompagnée d’une cohérence dans les principes et dans les objectifs qui motivent les
mesures, ne peuvent que susciter un climat de confiance envers le futur. Ce climat favoriserait ainsi
la prise de décisions concernant la reproduction en aidant les couples à avoir le nombre souhaités
d’enfants, il serait alors possible pour les familles de se projeter dans l’avenir puisque leur
environnement global favorise l’arrivée des enfants. Dans ce type d’environnement les jeunes couples
pourront ainsi prendre aisément des décisions concernant les choix reproductifs.
Pour résumer, on fait l’hypothèse qu’une politique familiale généreuse a le pouvoir de créer les
conditions nécessaires pour soutenir les intentions reproductives en permettant que les désirs de
fécondité et les souhaits concernant le nombre d’enfants puissent être exaucés.
Si cette hypothèse se vérifie, on pourrait interpréter les différences entre les taux de fécondité
en France et en Italie comme le résultat de l’incapacité des couples italiens à donner vie aux enfants
désirés en raison de l’absence d’une politique familiale qui les soutienne dans leurs attentes. Par
ailleurs, les enquêtes de l’Eurobaromètre mettent en évidence que partout en Europe les individus ont
moins d’enfants que ce qu’ils souhaitent, ce phénomène serait alors particulièrement répandu en Italie
où le taux de fécondité reste à un niveau très faible depuis deux décennies. Cela voudrait alors dire
que la politique familiale servirait à réduire l’écart entre le nombre d’enfants désirés par les individus
et le nombre d’enfants effectivement nés43, et donc à créer les conditions pour donner vie à ces
enfants44. En outre, on estime que les intentions de fécondité ne sont pas seulement motivées par des
facteurs économiques, mais que les politiques familiales, puisqu’elles s’enracinent dans le temps, ont
su promouvoir des normes concernant l’égalité hommes-femmes dans la société, ou bien des attentes
concernant la procréation.
Pour tester ces hypothèses on recourra à l’utilisation de données issues de deux grandes
enquêtes menées au niveau international : la première enquête est quantitative et elle prend le nom de
Gender and Generation Survey, alors que la deuxième enquête est de type qualitatif et fait partie
d’une ambitieux projet de recherche appelée Reproductive decision analysis (REPRO) qui comporte
plusieurs volets, dont l’un (WP5) consiste en une série d’entretiens semi-directifs. Les deux enquêtes
ont une partie dédiée à l’étude des désirs et des intentions de fécondité.
43 Testa M.R., Toulemon L., Fécondité envisagée, fécondité réalisée : un lien complexe, Population et Société, n°415,
INED, septembre 2005. 44 En faisant l’hypothèse que cette différence est négative.
45
Afin d’évaluer la justesse de mes hypothèses, tout d’abord on analysera le désir d’enfant en
France et en Italie : ce type d’étude consiste à évaluer quel est le nombre idéal d’enfants que les
individus souhaitent. Si par exemple dans les deux pays le nombre d’enfants désirés se trouve autour
de la même moyenne comment on pourra expliquer les différences de fécondité ? On pourra penser
qu’en France, l’aide fournie par la politique familiale sert à combler l’écart entre ce que les individus
désirent et leurs possibilités réelles, et qu’au contraire en Italie le manque de mesures directes cause
l’impossibilité d’avoir davantage d’enfants, puisque l’arrivée d’un enfant baisse sensiblement les
conditions de vie de la famille.
En outre, si l’opinion concernant le désir de fécondité est extrêmement différente de l’indice
conjoncturel de fécondité, on peut supposer qu’en absence d’un environnement favorable à la
réalisation de ce désir, les couples sont obligés de revoir à la baisse leurs volontés en les adaptant aux
conditions ressenties. C’est ainsi qu’en absence de mesures directes du soutien au revenu les parents
pourront être obligés de devoir choisir entre le maintien de leur niveau de vie, avoir des enfants, ou
encore donner vie à un enfant supplémentaire.
Si l’analyse des désirs de fécondité reste en quelque sorte dans le monde des idées, car il est
fort facile pour les personnes de revoir au cours de la vie, à la hausse ou à la baisse, leurs désirs en
raison de leurs conditions objectives de vie, analyser les intentions de fécondité à court terme nous
permettra de comprendre davantage la manière dont les individus interprètent le milieu dans lequel
ils vivent, ainsi que les conditions qui favorisent, ou au contraire gênent voire empêchent la réalisation
de ces intentions.
Pour évaluer si la politique familiale peut créer un environnement family friend et aider les
couples à avoir des enfants on considérera certains facteurs comme ayant un rôle fondamental dans
la formulation et dans la prise de décision, tels que : les facteurs économiques (maintien du revenu,
opinion concernant les condition économiques du ménage) la possibilité de concilier la vie de famille
et l’emploi (congés parentaux, équipement collectif de garde enfants) et d’autres facteurs tels que, la
division sexuée des rôles dans la famille qui concerne plus strictement le contexte culturel de chaque
pays, ainsi que les facteurs sociodémographiques comme la zone de résidence, l’âge et le niveau
d’étude.
Comme on l’a déjà dit, afin de pouvoir mettre en place l’analyse, on recourra à l’utilisation de
deux outils d’analyse différents, c'est-à-dire une enquête issue de la statistique publique et des
entretiens semi-directifs. Dans les paragraphes qui suivront on présentera d’abord les avantages qu’il
y a à concilier deux méthodes de recherche et puis on présentera les caractéristiques principales des
deux enquêtes (quatre enquêtes si on considère les deux versions nationales).
2. Les avantages d’une multiplicité d’approches : concilier analyse quantitative
et qualitative.
Historiquement en sciences sociales on oppose deux méthodes d’enquête : la recherche
de type quantitatif et la recherche de type qualitatif. Bien que ces deux modes de concevoir la
recherche diffèrent profondément dans les principes épistémologiques et dans les paradigmes
qui motivent la réflexion du chercheur, on peut les considérer comme deux manières
complémentaires d’analyser la société.
L’approche quantitative trouve ses origines dans le paradigme néopositiviste et elle a pour
ambition (théorique) de créer des liens de causalité entre certains phénomènes dans le but de
mettre au jour des généralisations. Au contraire, l’approche qualitative s’inspire du paradigme
interprétatif et elle a pour objectif de saisir la réalité en analysant en profondeur son sujet
d’étude qui porte notamment sur un nombre restreint de cas. Au cours de l’institutionnalisation
des disciplines des Sciences Sociales, ces deux approches se sont affrontées pour affirmer leur
légitimité et leur utilité au détriment de l’autre. Aujourd’hui la « querelle des méthodes » a
perdu de son ampleur puisque les chercheurs s’accordent sur le fait que selon les objectifs qui
motivent la recherche, il est préférable d’utiliser l’une ou l’autre méthode.
Dans le cadre de mon travail de recherche je commencerai mon analyse en recourant à
l’utilisation de la méthode quantitative : cela me permettra de comprendre les facteurs macro
qui déterminent les intentions de fécondité et le désir d’enfant. A partir de ces résultats on aura
des éléments pour donner vie à des généralisations et on pourra ainsi comprendre les règles de
fonctionnement général qui opposent les comportements reproductifs en France à ceux en Italie.
Dans cette partie d’analyse on veut créer des explications plausibles pour comprendre le
phénomène de la baisse de la fécondité et donc pouvoir évaluer la validité de mes hypothèses
de recherche.
Toutefois l’analyse quantitative, à mon avis, a l’inconvénient de priver l’individu de sa
personnalité puisqu’elle met de côté la possibilité de saisir la complexité des individus et de
leur raisonnement. Pour remédier à ce manque, et pour rendre mon analyse plus « humaine et
vivante » j’ai décidé de compléter mon étude de type statistique en recourant à l’approche
qualitative. La partie quantitative, sur laquelle repose l’essentiel de mon analyse, me permettra
d’éclairer sur les facteurs marco qui déterminent l’action humaine et me permettra de
comprendre le contexte spécifique des deux pays, alors que l’analyse de type qualitative
m’aidera à saisir les processus individuels qui amènent aux décisions concernant la fécondité
47
et les choix reproductifs. L’analyse du contenu des entretiens me permettra ainsi de repérer le
processus de négociation et de renégociation qui mène à la décision d’avoir des enfants.
Si les données quantitatives servent à comprendre la réalité, les données qualitatives aident le
chercheur à interpréter la réalité puisqu’on peut disposer de l’opinion concrète des individus étudiés.
Tandis que mon ambition est de donner vie à la généralisation, je me trouve limitée dans la possibilité
d’analyser en profondeur les individus, c’est pour combler ce manque que j’utiliserai des extraits
d’entretiens afin d’éclairer davantage sur les décisions reproductives ainsi que sur l’éventuel lien
entre la politique familiale et le taux de fécondité.
3. Les enquêtes :
3.1. Gender and Generation Survey:
La Commission économique des Nations unies pour l’Europe (Unece) en partenariat avec la
Population Activity Unit a lancé en 2000 un programme de comparaison internationale. Ce projet qui
porte le nom de Gender and Generation Program a l’ambition de saisir les évolutions
démographiques en analysant des thèmes tels que la vie en couple, la maternité, la fécondité, les
rapports intergénérationnels, les rapports de genre, l’emploi et la retraite. Le principal instrument
d’analyse à disposition du projet est l’enquête Gender and Generation Survey (GGS) dont le
questionnaire apparait comme très riche et ambitieux et dont les objectifs sont multiples. La
spécificité de cette enquête réside dans le fait que : elle prévoit des données en panel ; l’apport de
plusieurs disciplines puisque son questionnement concerne des dimensions à la fois démographiques,
sociologiques, économiques, psychologiques politiques, ainsi qu’épidémiologiques ; et elle utilise
référence à l’approche « cycle de vie » en privilégiant une perspective genrée et intergénérationnelle.
Ce programme naît du sillage de l’enquête « Family and Fertily Survey » mis en place à partir
de la fin des années 1980 et jusqu’en 1999 dans 24 pays développés. Partant de l’enseignement fourni
par cette première enquête, les créateurs du projet GGS ont voulu souligner davantage le caractère
comparatif de la recherche et pour cela la coordination entre pays a été renforcée. De plus, une base
de données contextuelle a été prévue pour permettre une plus large compréhension de
l’environnement dans lequel les personnes agissent, c'est-à-dire l’influence du contexte national sur
le comportement individuel.
Dans sa version idéale, comme prévue par les chercheurs travaillant sur le projet, l’échantillon
doit prévoir un même nombre d’hommes et de femmes âgés de 18 à 79 ans, ceci dans le but de
favoriser une analyse en perspective intergénérationnelle et de genre. En outre, l’enquête GGS a été
imaginée en panel, puisque les mêmes individus devraient être interrogés à trois reprises et à trois ans
de distance.
Le questionnaire principal (appelé Core Questionnaire) comprend spécifiquement des parties
consacrées : au ménage, aux enfants, aux conjoints, à l’organisation du ménage, de la vie en couple,
des parents et du foyer parental, à la fécondité, à la santé et au bien-être, à l’activité et au revenu du
répondant et du conjoint, aux biens du ménage et aux héritages, aux valeurs et aux attitudes, et enfin
une partie concernant la passation du questionnaire. A côté de ce questionnement déjà très ample, il
peut y avoir un module optionnel concernant : la nationalité et l’ethnicité, l’histoire conjugale, les
intentions de rompre l’union actuelle, le logement. Enfin, les données contextuelles comptent plus de
200 variables au sujet du marché du travail, du chômage, des indicateurs démographiques généraux,
des indicateurs économiques généraux, du système de retraite, des services pour la petite enfance, du
marché du logement, du système éducatif, du système de santé, etc. Le questionnaire prévoit des
questions prospectives et rétrospectives et il a été conçu pour être administré en face à face.
Alors que cette enquête naît avec de profondes ambitions, elle doit faire face à des contraintes
et à des limites qui empêchent une comparaison parfaitement complète des données au niveau
international. En effet, bien que l’Unece coordonne le projet au niveau international, elle n’a pas en
charge le financement des enquêtes au niveau national, c’est aux pays faisant partie du projet de
devoir récupérer les fonds nécessaires à sa mise en place. De ce fait et en raison des contraintes
budgétaires, les pays ont décidé d’insérer cette enquête dans le cadre d’enquêtes nationales soit en
n’utilisant que certaines questions, soit en modifiant l’ordre du questionnaire. En faisant ainsi, il
ressort que les définitions des concepts à la base du questionnement ne sont pas exactement équivalent
au niveau international et national, par exemple le concept de couple peut différer sensiblement d’un
pays à l’autre. Les profondes approximations que cet ample projet subit au niveau national, restent
compréhensibles dans la mesure où il est très improbable de pouvoir imposer la même enquête à tous
les états alors que le financement reste à leur charge, il peut alors parfois arriver que les définitions
nationales et les intérêts nationaux entrent en conflit avec les orientations et les objectifs
internationaux.
Dans cette perspective on s’est intéressé à la façon dont la France et l’Italie ont donné vie à
cette enquête, à la mesure dans laquelle ont respecté les directives internationales et à qui a financé
les enquêtes au niveau national.
49
3.1.1. France : Étude des relations familiales intergénérationnelle, une enquête largement
comparable qui tient compte des spécificités nationales.
En France l’enquête Gender and Generation Survey a été réalisée par l’Insee et l’Ined pour la
première fois en 2005 et elle a pris le nom d’Étude des relations familiales et intergénérationnelle.
La France avec ses chercheurs a participé à la conception du Core questionnaire, et l’Ined s’est
engagé pour permettre la meilleure comparabilité possible questionnaire national au niveau
international. Toutefois des aménagements inévitables ont dû être faits dans cette enquête, pour
permettre sa contextualisation au niveau national. Ceci étant le questionnaire français reste le plus
fidèle possible au questionnaire originel rédigé en anglais.
Comme prévu au niveau international, la France a interrogé une même proportion d’hommes
et des femmes âgés de 18 à 79 ans45, et elle a réussi à obtenir plus de 10000 répondants, chiffre
indispensable compte tenu des ambitions longitudinales de l’enquête, permettant ainsi le suivi des
enquêtés sur trois vagues. Ces individus ont été récupérés à partir d’un échantillon d’environ 18.000
« fiches-adresse » extraites de l’échantillon maître du Recensement de la Population.
De plus en France, comme prévu, les différentes vagues auront lieu à trois ans de distance l’une
de l’autre, cet espace temporaire permettant à certains événements de la vie de se manifester, sans
pour autant que les enquêtés encourent un risque de perte de mémoire.
Les plus profonds changements qui ont dû être faits au questionnaire français consistent à
l’ajoute de questions filtres avant certaines batteries des questions concernant des populations
spécifiques. Par exemple, les questions sur la division des tâches domestiques, prévues initialement
pour tout le monde, ont été posées en France seulement aux individus en couple. La nécessité de
limiter le questionnement sur certains thèmes bien qu’elle semble cohérente et logique est due
essentiellement à des contraintes budgétaires. La collecte de la première vague de l’enquête a été
réalisée en dix semaines, entre le 26 septembre et le 3 décembre 2005, grâce à la participation de 552
enquêteurs. Les questionnaires ont tous été réalisés en face-à-face. Dans cette phase de travail d’autres
organismes de recherche ont pris part au financement de la collecte, tels que : l’Agence Nationale de
la recherche, la Caisse Nationale d’allocations familiales, la Caisse Nationale Vieillesse, le Conseil
d’Orientation de retraites, la Direction de la recherche, des études et des statistiques, et la Direction
de recherche des études, de l’évaluation et des statistiques. L’enquête ERFI a obtenu le label d’intérêt
général et de qualité statistique sans caractère obligatoire.
45 Les femmes sont en légère majorité puisque la population française compte plus de femmes que d’hommes.
3.1.2. Italie : Famiglia e Soggetti Sociali, une enquête extrêmement ambitieuse, mais peu
attentive aux directives internationales.
En Italie, à la différence de la France l’enquête Gender and Generation Survey a été inclue dans
une enquête nationale de grande ampleur portant sur : les structures familiales, les travailleurs qui
font navette (pendolari) les réseaux familiaux et de parentaux, les réseaux d’aide informelle, les aides
reçues dans des situations critiques, la garde des enfants, la vie en couple, le mariage, la sortie du
foyer parental et le cycle de vie, la permanence des jeunes adultes en famille, les caractéristiques et
les opinions sur certains aspects de la vie quotidienne, les carrières, la recherche d’emploi, les
interruption du travail, la mobilité sociale, et les intentions pour le futur46. Cette enquête prend le nom
de Famiglia e Soggetti Sociali et elle est mise en place depuis 1993 dans le cadre du cycle d’enquêtes
Indagini Multiscopo sulle Famiglie, elle s’organise en cycle quinquennaux. En raison de la
multiplicité des objectifs et de l’ampleur du questionnement, elle apparait comme profondément
différente du questionnaire tel qu’il a été conçu au niveau international.
La première différence réside dans le fait qu’il n’est pas prévu qu’un seul questionnaire mais
quatre, et que ces questionnaires sont administrés de manière différente : selon le cas il peut s’agir du
questionnaire azur et vert l’entretien se déroule alors en face-à-face, ou au contraire les questionnaires
blanc et orange doivent être complétés par l’enquêté lui-même. De plus, selon les questionnaires, la
population ciblée change et elle peut concerner soit les individus de plus de15 ans, soit ceux de plus
de 18 ans, soit ceux de plus de 25 ans, ou bien les femmes en couple mariées ou en union libre.
Comme l’enquête est très ambitieuse dans ses objectifs, l’échantillon enquêté est également très
important : en 2003, 19.227 ménages ont été interrogés soit 49.541 individus. L’échantillon comprend
autant de femmes que d’hommes en considérant la structure de la population italienne.
Alors que la France a décidé de suivre pas à pas les directives internationales, l’Italie a préféré
introduire certaines des questions prévues dans le questionnaire du GGS dans le cadre d’une enquête
nationale. En cela l’enquête italienne est seulement partiellement comparable avec l’enquête
internationale de plus ou moins de 30%. Etant donné que les modalités d’administration changent et
que dans certains cas la population ciblée aussi, il n’a pas toujours été possible de respecter les
définitions internationales à la base de certains concepts comme le couple, la famille, ou le ménage.
Malgré les différences et les difficultés au niveau de comparaison, l’enquête Famiglia e Soggetti
Sociali apparaît extrêmement complexe et complète puisqu’elle analyse en profondeur de très
nombreux aspects de la vie quotidienne, du travail, et des aides informelles. Elle essaie aussi de saisir
les nouvelles formes de vie en famille et ses évolutions dans le temps.
46Indagine Multiscopo sulle Famiglie e Soggetti Sociali 2003, Documentazione tecnica e descrizione del file standard,
ISTAT.
51
L’institut de recherche qui finance l’enquête est l’ISTAT, Institut National de Statistique, ainsi
que les Universités « La Sapienza » de Rome et « Bocconi » de Milan, ont participé à la création du
Core questionnaire. Dans le cas de l’Italie, il est fort probable que des questions de budget et d’intérêt
national ont été prioritaires sur la nécessité de comparaison internationale. En outre, alors que pour
la France j’ai eu à disposition les données harmonisées au niveau international, pour l’Italie ces
données ne sont pas encore prêtes et pour cela j’ai dû utiliser les données nationales, son code et ses
définitions. Cet inconvénient a crée des difficultés supplémentaires à mon travail de comparaison.
3.2. L’enquête REPRO un outil qualitative pour la compréhension des décisions
reproductives.
L’enquête qualitative à laquelle on fait référence, a été réalisée dans le cadre du réseau REPRO
financé par la commission européenne, ses objectifs principaux sont la compréhension des intentions
de fécondité et les conditions pour leur réalisation.
L’approche qualitative sur les déterminants de l’entrée en parentalité est particulièrement
intéressante pour comprendre les facteurs qui déterminent les choix reproductifs au niveau individuel.
Les éléments fournis par ces entretiens nous permettent de compléter l’analyse de type statistique tout
en donnant à la recherche un côté plus humain et plus vivant puisque on dispose de l’opinion d’à peu
près quatre-vingts individus en âge fécond. L’approche qualitative permet ainsi d’interroger les
éléments qui interviennent dans la décision et les intentions de fécondité, tels que les attentes, les
normes, les traditions, les valeurs et les conditions relatives à l’entrée dans la parentalité, le milieu et
la taille de la famille de provenance, tout en fournissant des éléments sur le processus de décision lui-
même, c'est-à-dire en éclairant ses phases, les obstacles rencontrés et les priorités établie. Alors que
l’analyse de type quantitatif a l’avantage de mettre en lumière les processus au niveau macro, l’étude
du contenu des entretiens nous permet d’éclairer davantage sur les opinions personnelles des
individus, leurs sentiments, leur façon de voir et ressentir le monde et la réalité qui l’entoure.
La France et l’Italie avec quatre autres pays, ont pris part au projet REPRO, en donnant vie à
des entretiens biographiques semi-directifs sur la base d’une même grille de référence. En Italie, les
entretiens ont été faits en 2005-2006 dans le cadre d’une enquête de plus grande ampleur Explain
Low Fertility in Italy (ELFI) financée par le National Institute of Child Health and Human
Development (R01 HD048715) et National Science Foundation, et dirigée par Laura Bernardi avec
la participation de l’Institut de recherche démographique Max Planck.
Dans le cadre de cette enquête, 349 individus et leurs conjoints ou partenaires ont été interrogés
dans quatre villes italiennes, Bologne et Padoue appartenant à l’Italie du Nord, Naples et Cagliari
appartenant à l’Italie du Sud. On ne fera référence qu’aux entretiens de Naples qui comptent un
échantillon de 55 individus dont 45 femmes et 10 de leurs conjoints.
En France, les entretiens ont été réitérés en 2006-2007 et le travail de recherche a été
dirigé par l’Institut National d’Études Démographiques. Les entretiens se sont déroulés à
Poitiers, qui est une ville de taille moyenne au centre-ouest de la France. Dans les deux pays,
les individus d’éducation moyenne et supérieure apparaissent surreprésentés par rapport à ceux
ayant un faible niveau d’étude47.
Les entretiens se prêtent à une comparaison plus complète puisque ils analysent les même
thèmes tels que : les trajectoires professionnelles, la vie conjugale, le comportement
reproductif, la contraception, l’histoire familiale, les représentations des rôles de genre, la
division des tâches domestiques, ainsi que les représentations liées à la maternité, les conditions
pour avoir des enfants, l’évolution des intentions de fécondité et les préférences sur les modes
de garde pour les enfants. Tous les entretiens ont été retranscrits et les noms des interviewés
ont été modifiés. Dans les deux pays, les individus de l’échantillon ont été contactés grâce au
système d’échantillonnage à boule de neige. En France cela a été possible grâce à
l’intermédiaire du site internet « Copains d’avant » qui a permis de joindre d’anciennes
camarades de classe. En Italie les interviewés ont été contacté grâce à l’aide des centres de
planning familial48.
Alors que ces entretiens ont été conçus pour être les plus comparables possibles, les villes
où les entretiens ont été mis en place différent sensiblement pour la taille et pour les conditions
et les modes de vie. Bien que les deux villes se trouvent à proximité de la capitale et subissent
en cela son influence, elles ne comptent pas le même nombre d’habitants. Poitiers est une ville
moyenne de 91.901 habitants49 alors que Naples compte près d’un million d’habitants. De plus,
Naples en raison de son histoire apparait comme une ville sui generis, où le taux d’activité
féminine reste encore faible et où les modes de vie traditionnels sont toujours fortement ancrés
dans la société. Malgré ces limites, les entretiens nous permettront d’approfondir davantage le
questionnement autour des décisions reproductives et du désir d’enfant, ils nous serviront
comme outil supplémentaire à l’analyse de type statistique.
47 Alors que j’ai eu à disposition les entretiens italiens dans leur intégralité, je n’ai pas obtenu l’autorisation pour travailler
sur les entretiens français. Pour cette raison, dans le cadre de l’analyse des entretiens français, je ferai référence aux
articles rédigés par les auteures de la recherche, il s’agit d’articles publiés ou à paraitre. 48 Consultori Familiari. 49 http://www.poitiers.fr/
53
Chapitre 3 :
Désir et Intention de fécondité : attente, normes et coutumes.
Analyser les différences entre France et Italie.
France et Italie se caractérisent, comme on l’a mis en lumière dans les chapitres précédents, par
des interventions publiques en direction des familles profondément différentes. Alors qu’en France
les individus peuvent compter sur une aide financière généreuse, en cas de maternité ou pour
permettre aux enfants de grandir dans un environnement favorable, les autorités publiques italiennes
semblent loin de pouvoir satisfaire les exigences d’une population qui est parmi les moins fécondes
d’Europe.
En raison de ces différences, on se demande alors quelle est la norme concernant le désir de
fécondité dans les deux pays. En outre, on est porté à s’interroger sur les éventuelles caractéristiques
des deux populations enquêtées : quel est le profil des femmes en âge de procréer ? Quels sont les
facteurs qui déterminent une intention positive au sujet de la reproduction ?
Pour répondre à toutes ces questions, on veut dans un premier moment conduire une analyse
descriptive des caractéristiques des individus arrivés à la fin de leur vie féconde, ceci dans l’objectif
de souligner davantage les différences concernant le nombre d’enfants eu par les personnes qui au
moment des enquêtes étaient âgées cinquante ans et plus. Cela me permettra de mettre en évidence la
progressive diminution du nombre d’enfants au fil du temps dans les deux pays.
Une fois complétée l’analyse proprement descriptive, on se plongera dans l’analyse du désir de
fécondité et des intentions de fécondité à court terme. On adoptera dans l’étude des intentions, une
perspective de genre puisqu’on analysera séparément la population féminine et la population
masculine des deux pays. De cette façon, on présentera les principales caractéristiques de ces
différentes populations, et donc les facteurs qui rendent les comportements reproductifs similaires ou
bien dissimilaires dans les deux pays.
On mettra en place dans cette partie d’analyse quatre Analyses des Correspondances Multiples
(ACM), puis on complétera l’analyse des intentions de fécondité en adoptant une perspective de
« couple », c'est-à-dire en analysant seulement les individus en âge fécond et en couple. On se servira,
comme outil d’analyse statistique, de la régression, ceci dans le but de mettre en évidence l’impact
propre de chaque variable étudiée sur les intentions de fécondité et comprendre ainsi, les facteurs qui
encouragent ou découragent l’arrivée d’un enfant à court terme.
Dans la seconde partie du chapitre, on complétera l’analyse en se référant au contenu des
entretiens menés en France et en Italie dans le cadre de l’enquête qualitative REPRO. Cette partie me
permettra de présenter certains facteurs explicatifs des intentions de fécondité restés inexplorés
au cours de l’analyse quantitative.
1. La méthode quantitative :
1.1. Une analyse descriptive préliminaire :
En Europe, le phénomène de la baisse de la fécondité a atteint des niveaux très
significatifs à partir des années 1980. Alors que dans tous les pays on a enregistré ce type de
tendance, on s’aperçoit que chaque État membre de l’Union Européenne a gardé ses
spécificités. A cet égard, France et Italie se caractérisent par des taux de fécondité sensiblement
différents : le premier pays fait preuve d’un maintien d’un taux de fécondité supérieur à deux
enfants par femmes, en revanche, l’Italie maintient un taux de fécondité très faible bien qu’il
ait augmenté légèrement dans des années très récentes, et en coïncidence au progressif
rattrapage du phénomène du retard des naissances.
Pour vérifier la justesse des affirmations concernant la progressive baisse de la fécondité,
on s’apprête à analyser le comportement reproductif des femmes françaises et italiennes
arrivées à la fin de leur vie féconde. Il s’agit des générations qui avaient plus de 50 ans au
moment des enquêtes. On a décidé de comparer trois classes d’âge (femmes âgées de 50 à 59
ans, de 60 à 69 ans et de 70 ans et plus) de manière à pouvoir souligner clairement la tendance
progressive au fil du temps.
Tableau I : Nombre d’enfants par femme ayant atteint la fin de leur vie féconde (valeurs en pourcentage).
Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.
Échantillon : Femmes âgées de plus de 50 ans. Effectifs 10268 Italie, 2464 France.
On peut voir, à partir de ces deux graphiques, un mouvement démographique plutôt
similaire dans les deux pays. En France et en Italie, les personnes âgés de 70 ans montrent une
fécondité élevée, puisque les femmes ayant trois enfants et plus atteignent respectivement 44
0
10
20
30
40
50
0 1 2 3 et plus
Italie
50-59
60-69
70 et plus
0
10
20
30
40
50
0 1 2 3 et plus
France
50-59
60-69
70 et plus
55
% et 35%. La même génération toutefois, présente le pourcentage le plus élevé de femmes n’ayant
pas eu d’enfants, on pourra expliquer cette particularité en faisant l’hypothèse que cette tranche d’âge
a subi une limitation de la descendance finale en raison de la Deuxième Guerre Mondiale. Cela a
causé une augmentation du nombre de célibataires et par conséquent une augmentation des femmes
n’ayant pas eu d’enfants.
En ce qui concerne les femmes qui ont eu un seul enfant, il ne semble pas que le phénomène ait
une ampleur différente dans les deux pays, on constate par ailleurs une légère progression de l’enfant
unique dans les générations les plus jeunes, donc des femmes appartenant à la tranche d’âge de 50 à
59 ans. Ce qui est le plus évident est la progression au cours du temps des femmes ayant deux enfants :
en Italie ce type de comportement reproductif semble être la norme, les femmes avec deux enfants
sont passées de moins de 30% pour la génération des 70 ans et plus, à plus de 40% pour la génération
des femmes des moins de 60 ans. En France, bien que pour la classe d’âge de 50 à 59 ans le mode est
deux enfants, les femmes ayant trois enfants et plus sont encore nombreuses et elles comptent plus de
27% de l’échantillon générationnel, contre seulement 24% des collègues italiennes.
Pour confirmer la tendance générale en Europe, les femmes de France et d’Italie semblent avoir
diminué le nombre d’enfants eu depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Par ailleurs, on a mis
en lumière une progressive diminution des enfants de rang trois et supérieurs ; toutefois on note aussi
des différences dans les deux pays, puisque l’ensemble des femmes françaises semblent, par rapport
aux femmes italiennes, avoir davantage trois d’enfants ou plus. De plus, en France plus qu’en Italie,
les enfants de rang quatre ont diminué fortement en passant de 24% pour la génération âgée de plus
de 70 ans, à 9% pour la génération âgée de 50 à 59 ans. En Italie, parmi les femmes les plus âgées
seulement 17% ont eu plus de trois enfants, alors que seulement 7% parmi les femmes les plus jeunes.
En regardant de manière générale ces trois classes d’âge, on peut s’apercevoir tout de même
que la fécondité s’est maintenue élevée dans les deux pays : en Italie le nombre moyen d’enfants
atteint 1,99, tandis qu’en France il est de 2,05. Ce résultat semble surprenant tout particulièrement
dans le cas de l’Italie, puisque son taux de fécondité est actuellement extrêmement faible et en-
dessous du taux de remplacement générationnel.
Alors que les femmes italiennes et françaises ayant atteint la fin de leur âge fécond semblent
avoir eu un comportement reproductif plutôt similaire, on note de plus profondes différences à partir
de la tranche d’âge qui avait, au moment des enquêtes, entre 45 ans et 54 ans. C’est dans cette tranche
d’âge que le phénomène de la baisse de la fécondité semble montrer une tendance sensiblement
différente dans les deux pays. On a décidé de retenir cette classe d’âge puisqu’elle a l’avantage
d’éclairer la population qui vient de terminer sa vie féconde ou qui va bientôt la terminer et donc a
priori qui a déjà réalisé la plupart de sa descendance finale.
On peut voir clairement comme dans les deux pays, dans des années plus récentes, la norme
des deux enfants par femme s’est largement affirmée au détriment d’une fécondité plus élevée qui
était encore fréquente voire encouragée dans les générations précédentes.
Tableau II : Nombre d’enfants par femme ayant atteint la fin de leur vie féconde (valeurs en pourcentage).
Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.
Échantillon : Femmes âgées de 45 à 54 ans. Effectifs 3526 Italie, 1074 France.
Malgré les similarités, on peut remarquer qu’en Italie les femmes ayant une faible fécondité (un
seul enfant) sont nombreuses (22%) et plus nombreuses que les femmes françaises (19%). Alors que
la norme se stabilise autour de deux enfants par femmes dans les deux pays, ce sont les comportements
reproductifs les plus « extrêmes » qui marquent les différences les plus profondes. En effet, en France
les femmes qui ont plus de trois enfants restent nombreuses et aux alentour de 27% ; ce pourcentage
semble être identique à celui de la classe d’âge de 50 à 59 ans analysée dans le paragraphe précédent.
Au contraire, les femmes italiennes ayant eu trois enfants ou plus semblent avoir perdu presque
7 % en 5 ans, cette valeur était de 24% pour les femmes âgées de 50 à 59 ans au moment de l’enquête,
et elle tombe à moins de 21% pour les femmes âgées de 45 ans à 54 ans. Ce constat démontre qu’en
Italie la tendance de la baisse de la fécondité apparaît comme un phénomène plus tardif et plus
profond, et il semble coïncider avec la montée d’un autre phénomène : l’augmentation du travail
féminin rémunéré qui notamment a progressé plus lentement en Italie qu’en France.
Par ailleurs, on enregistre dans les deux pays une diminution du nombre d’enfants moyen par
femme, en France ce taux se stabilise autour de 1,9, alors qu’en Italie la chute prend une plus grande
ampleur puisqu’il atteint moins de 1,8 enfants par femme.
0,00
5,00
10,00
15,00
20,00
25,00
30,00
35,00
40,00
45,00
50,00
0 1 2 3 et plus
Italie
France
57
Cette analyse préliminaire, malgré sa simplicité permet de saisir le phénomène de la progressive
diminution du nombre d’enfants par femme. Alors que l’analyse de la descendance finale démontre
que la norme des deux enfants s’est affirmée au fil du temps, on se demande si la même chose vaut
pour le nombre idéal d’enfants désiré par les hommes et les femmes italiennes en âge de procréer.
Est-ce qu’il existe un comportement reproductif considéré comme préférable ? Quelle est le nombre
d’enfants désiré en moyenne ?
Dans le paragraphe qui suit on essayera de répondre à ces questions. On veut, tout d’abord,
présenter les questions concernant le désir d’enfants, telles qu’elles ont été posées dans les deux
questionnaires nationaux. On discutera ensuite de certains problèmes méthodologiques liés au
questionnement et aux limites de la comparaison internationale.
1.2. Désirerons-nous avoir des enfants ? Opinions et normes concernant la
procréation.
Des nos jours, en raison de la capacité des individus à maîtriser leur propre fécondité grâce à
un usage de plus en plus répandu des moyens de contraception, les choix reproductifs semblent être,
plus que dans le passé, une action volontaire et intentionnelle. Les experts pour cela retiennent que la
reproduction est liée principalement à deux aspects de la vie personnelle : le désir et les intentions de
fécondité. Le désir mesure les attentes liées à la procréation, c'est-à-dire le nombre d’enfants que
chaque individu voudrait, au niveau théorique ou idéal, au cours de sa vie. Ce désir est l’expression
d’une opinion générale et générique concernant la reproduction et elle permet de comparer les
préférences reproductives des individus appartenant à deux pays différents au-delà des
caractéristiques personnelles. En effet, on demande aux enquêtés d’exprimer une opinion concernant
le nombre d’enfants idéal indépendamment des opportunités ou des limites personnelles.
Alors que le désir de fécondité est une notion de quelque manière liée au monde des idées, les
intentions reproductives mesurent plus précisément la volonté concernant la reproduction. Ces deux
indicateurs sont particulièrement intéressants s’ils sont analysés de manière conjointe : étudier le désir
de fécondité peut éclairer les attentes liées à la procréation, tandis qu’analyser les intentions de
fécondité permet de comprendre quelle partie de ces attentes reste finalement irréalisée.
Dans le cadre des enquêtes GGS, on a pu analyser le désir d’enfants à partir d’une question
posée respectivement dans les deux questionnaires nationaux. Malgré la volonté de comparaison, ces
deux questions apparaissent formulées de manière légèrement différente dans les deux pays.
En Italie, la question est ainsi posée :« Quanti figli vorrebbe avere nell’arco della sua
vita ? (Includa anche i figli eventualmente già avuti)50 ». Alors qu’en France elle est exprimée:
« Vous personnellement, combien d’enfants avez-vous l’intention d’avoir (en plus de ceux que
vous avez déjà et éventuellement de celui que vous attendez actuellement ? ». Dans le
questionnaire original, rédigé en anglais, la question était « How many (more) children in total
do you intend to have ? ». Bien que cette question se prête à analyser les désirs de fécondité,
elle apparait un peu contradictoire dans sa version originelle et française puisqu’elle utilise la
parole intention. Si c’est l’opinion concernant les attentes sur la reproduction qui veut être
interrogée, la question comme elle a été formulée en Italie semble la plus appropriée. En effet,
dans ce cas, on utilise le verbe « vouloir » en donnant à ce questionnement un aspect plus idéal
et lié aux opinions plus qu’aux capacités personnelles. De plus, dans la version française, cette
question à l’inconvénient de ne pas laisser le répondant affirmer de ne pas vouloir d’enfants au
cours de sa vie, en élevant erronément le nombre moyen d’enfants désirés par les enquêtés. En
outre, comme justement il a été affirmé par Régnier-Loilier A. et Vignoli D. (Régnier-Loilier
A. et Vignoli D. 2009) cette question a la limite de comparer, et donc confondre, les désirs et
les situations de fait, c'est-à-dire de mettre sur le même plan les enfants déjà eus avec les enfants
désirés en comparant implicitement la fécondité réalisée avec la fécondité idéale. Or, cette
question estime que tous les enfants eus sont désirés et que les individus ne peuvent pas revoir
à la hausse ou à la baisse leurs intentions de fécondité au cours de leur vie, et donc que les désirs
ne changent pas sur la base du nombre d’enfants réalisés51.
Bien qu’elle ne soit pas privée de biais, cette question conserve sa charge informative
puisqu’elle permet d’interroger l’opinion de femmes et d’hommes appartenant à des cohortes
différentes, on pourra ainsi étudier la descendance finale à la lumière des désirs de fécondité.
Si ces deux indicateurs apparaissent profondément différents on est porté à croire qu’une large
partie des désirs restent irréalisés. Si cela était le cas, il serait important de comprendre quels
sont les facteurs qui empêchent la réalisation du nombre désiré d’enfants et, au contraire, quel
est le rôle joué par la politiques familiale dans la réalisation des attentes liées à la procréation.
Permet-t-elle de rapprocher les écarts entre le désir d’enfants et la fécondité réalisée ?
Dans un premier temps, on analyse distinctement le désir des hommes et des femmes pour
voir s’il existe des éventuelles différences liées aux sexes.
50 Combien d’enfants voulez-vous avoir au cours de votre vie? (Inclure aussi les enfants déjà éventuellement eus). 51 Régnier-Loilier A. et Vignoli D. portent comme exemple le fait qu’une femme ayant trois enfants difficilement pourra
affirmer que le nombre d’enfants désiré soit deux, puisque cette question pose comme limite inferieure le nombre
d’enfants déjà eu.
59
En regardant le graphique, on s’aperçoit tout de suite que dans les deux pays la plupart des
individus désirent deux enfants. Cela peut être considéré la norme en France comme en Italie et elle
reflète largement le comportement réel des individus qu’on a analysé ci-dessus. Donc on peut retenir
qu’avoir deux enfants est non seulement le comportement considéré comme normal, mais aussi que
désirer deux enfants est l’opinion la plus répandue parmi la population âgée de 18 à 49 ans. Il est
alors évident que dans les deux pays la référence symbolique (Régnier-Loilier A. et Vignoli D. 2009)
en matière de comportement reproductif est la même.
Tableau III : Nombre d’enfants désiré pour hommes et femmes âgés de 18 à 49 ans (valeurs en pourcentage).
Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.
Échantillon : Femmes et hommes âgées de 18 à 49 ans.
Effectifs Hommes 9558 IT, 1055 FR. Femmes 9908 IT, 986 FR.
De plus, en France comme en Italie, les individus qui désirent un seul enfant restent la minorité.
Il semble, à partir de nos estimations, que dans le premier pays désirer un enfant unique est plus
répandu. Les italiens et les italiennes désirent plus souvent deux enfants, alors que les français et les
françaises expriment davantage le désir de vouloir trois enfants voire plus ; là se situe la principale
différence entre les populations de ces deux États. En Italie, la norme de deux enfants est largement
dominante à la fois dans les faits (44% des femmes) et dans les opinions (autour de 60%), tandis que
la population française non seulement désire plus souvent une famille nombreuse (autour de 30%),
mais elle semble aussi réussir plus souvent à réaliser ce désir (27%)52.
Maintenant, on regarde de plus près les différences qui existent entre les sexes : en France, les
femmes désirent plus souvent un enfant unique par rapport aux hommes ; deux enfants sont désirés
52 Cette comparaison prend en considération des individus appartenant à des cohortes différentes et pour cela peut cacher
un petit biais dû au fait que les individus ayant atteint la fin de leur âge fécond probablement auraient désiré un plus grand
nombre d’enfants.
0
10
20
30
40
50
60
70
1 2 3
Hommes
Italie
France
0
10
20
30
40
50
60
70
1 2 3
Femmes
Italie
France
également par les deux sexes et pour un pourcentage d’à peu près 44% ; enfin, les hommes plus que
les femmes désirent trois enfants ou plus.
En Italie comme en France, ce sont les femmes qui désirent plus souvent un seul enfant, par
contre elles désirent moins souvent deux enfants par rapport aux hommes, à la faveur d’une fécondité
plus élevée de trois enfants ou plus. A partir de ces estimations, et en considérant que cette variable
ne tient pas compte des individus qui ne désirèrent pas avoir des enfants, la fécondité désirée semble
être plutôt élevée dans les deux pays (au-dessus de deux enfants par individus). Toutefois, même au
niveau des opinions, la population française fait preuve de la volonté d’un plus grand nombre
d’enfants par rapport à la population italienne (2,20 contre 2,08). En France, les hommes semblent
désirer davantage d’enfants (2,25) par rapport aux femmes (2,15), alors qu’en Italie hommes et
femmes désirent le même nombre d’enfants (2,08).
Étant donné que les différences entre France et Italie en matière de comportement et d’opinion
reproductif résident essentiellement dans le passage d’une fécondité de rang deux à une fécondité de
rang supérieur, on veut explorer quels sont les facteurs macro sociologiques qui influencent le désir
de fécondité dans les deux pays. En effet, en partant du présupposé qu’en France comme en Italie la
norme est de désirer deux enfants, on veut savoir quelles sont, dans les deux pays, les caractéristiques
sociales qui influencent un désir de fécondité faible ou élevé. Pour ainsi faire, on a recouru à
l’utilisation une régression de type logistique multinomiale ; cela permet de comprendre les facteurs
qui discriminent le désir d’un seul enfant par rapport à celui de trois enfants et plus, en considérant
comme référence le fait de vouloir deux enfants. A la lumière du fait que l’analyse descriptive
présentée n’a pas fait émerger des profondes différences de genre, on considérera femmes et hommes
comme un même ensemble et on soulignera davantage les différences existantes entre les deux pays.
61
Régression logistique multinomiale I: Facteurs explicatifs du désir d’un seul enfant par rapport à trois enfants et plus (modalité de référence : désir de deux enfants).
Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.
Échantillon : Femmes et hommes âgées de 18 à 49 ans.
Grâce à cette régression, on s’apprête à enquêter sur les facteurs qui opposent les individus
qui désirent un seul enfant contre les individus qui désirent une famille nombreuse. On a décidé
d’utiliser des caractéristiques primaires53 (lieu de résidence, âge, nombre de frères et de sœurs) pour
tester l’importance du milieu d’origine dans la création de représentations et d’opinions, puis on a
considéré l’éducation comme variable de type culturel.
Les variables utilisées dans cette étude semblent être sensiblement plus significatives dans le
cas de l’Italie plutôt que de la France. Dans le premier pays on peut affirmer que la fécondité de la
famille d’origine, calculée en tenant compte du nombre de frères et sœurs, a un fort impact sur les
53 Pour primaires, je considère les caractéristiques personnelles et individuelles de chaque personne comme le sexe, le
lieu de naissance, le nombre de frères et des sœurs, c'est-à-dire toutes les caractéristiques n’ayant pas été choisies.
1 seul enfants désiré 3 enfants et plus désirés
Italie France Italie France
Variables B Signif. B Signif. B Signif. B Signif.
Constante 0,424 0 -0,276 0,577 -2,388 0 0,739 0,106
Nombre enfants NB_ENF -1,288 0 1,125 0 0,881 0 0,791 0
Éducation Faible 0,555 0 0,234 0,261 0,179 0,027 -0,345 0,069
Moyenne 0,289 0 0,122 0,38 -0,230 0 -0,283 0,018
Supérieure 0 0b . 0 0b .
Macro Régions Nord 0,623 0 -0,006 0,966 -0,157 0 -0,112 0,364
Centre/
Ile de FR 0,619 0 -0,164 0,355 -,0323 0 0,137 0,367
Sud 0 0b . 0 0b .
Frères et Sœurs 0 0,643 0 0,27 0,264 -0,370 0 -0,827 0,001
1 0,230 0 -0,284 0,084 -0,335 0 -0,683 0
2 0,179 0 0,078 0,636 -0,089 0,081 -0,296 0,035
3 et plus 0 0b . 0 0b .
Classes d'âge 18-24 -2,576 0 -1,889 0 1,686 0 -0,608 0,167
25-34 -2,181 0 -0,972 0,036 1,017 0 -1,304 0,003
35-44 -0,771 0 -0,14 0,767 0,128 0,028 -1,01 0,024
44-49 0 0b . 0 0b .
Sexe Hommes -0,360 0 -0,111 0,387 0,088 0.020 0,23 0,037
Femmes 0 0b . 0 0 0b .
opinions concernant la reproduction. Non seulement les individus provenant d’une famille nombreuse
désirent plus souvent avoir trois enfants ou plus, mais aussi les individus n’ayant pas de frères ou en
ayant un seul, désirent avec une plus grande probabilité un seul enfant. Aussi, les régions d’origine
ont une profonde importance dans la distinction des individus désirant un seul enfant ou une famille
nombreuse, au Nord les personnes veulent un seul enfant, alors qu’au Sud ils en veulent trois ou plus.
En outre, les hommes désirent des familles nombreuses beaucoup plus souvent que leurs conjointes.
En ce qui concerne l’éducation, cette variable semble avoir un effet ambigu puisque les
personnes interrogées ayant un faible niveau d’étude démontrent vouloir aussi bien un seul enfant
qu’une famille nombreuse. Cela peut être en partie expliqué par le fait qu’il existe un effet de structure
de la population puisqu’on n’a pris en considération que la population qui est âgée de 18 ans à 49 ans.
Cette population apparaît moyennement plus cultivée que la population italienne prise dans son
ensemble. L’âge, n’est pas toujours significatif, mais il apparaît que les tranches d’âges les plus jeunes
désirent davantage avoir deux enfants au détriment d’en avoir un seul.
Le cas de la France, peut sembler plus complexe ; toutefois je suis portée à croire que le
manque de signification statistique de certaines variables soit imputable au fait qu’en Italie plus qu’en
France il existe et perdure des comportements reproductifs différents et parfois opposés. En France,
la région d’origine ne semble avoir aucune importance sur le désir d’enfants, cela démontre qu’il
n’existe pas des comportements reproductifs ancrés au niveau régional et, au contraire, qu’en France
les personnes semblent partager un même modèle reproductif. Les variables mesurant le niveau
d’éducation et le nombre de frères et de sœurs n’ont pas de signification dans le cas du désir d’un seul
enfant, alors qu’elles deviennent importantes dans le cas de désirer une famille nombreuse. En effet,
ceux qui n’ont pas de frères et sœurs désirent moins souvent une famille nombreuse, tandis que les
individus avec un niveau d’études élevé semblent désirer un plus grand nombre d’enfants par rapport
à la norme de deux enfants. En fin, les individus les plus âgés désirent davantage une famille
nombreuse par rapport aux générations les plus jeunes.
Par ailleurs, en France comme en Italie, ce sont les hommes qui désirent le plus souvent une
famille nombreuse ; on peut penser que les femmes le désirent moins fréquemment puisque le travail
des soins est encore inégalement réparti au sein de la famille, et donc un enfant supplémentaire
signifierait pour la femme une plus grande charge de travail.
Pour conclure ce paragraphe sur le désir d’enfant, il est intéressant de savoir qu’en Italie ce
sont les femmes qui travaillent qui désirent le plus souvent un seul enfant. En France, ceci n’est pas
le cas, puisque ce sont davantage les femmes au foyer qui désirent un seul enfant. Toutefois cette
catégorie se caractérise par une opinion ambigüe sur la reproduction, elles désirent aussi bien une
63
famille nombreuse ou un seul enfant. Enfin, en Italie ce sont notamment les femmes au foyer qui
désirent davantage des familles nombreuses. Par ailleurs, il faut souligner qu’alors qu’en France les
femmes se déclarant au foyer sont très peu nombreuses, en Italie elles restent une partie considérable
de la population.
1.3. Les intentions fécondité à cout terme: tentative d’explication de l’espace social dans lequel
mûrissent les décisions concernant la reproduction.
Dans ce paragraphe on étudiera les intentions de fécondité à court terme des populations
féminine et masculine de France et Italie âgées de 18 ans à 49 ans au moment de l’enquête.
La question sur les intentions de fécondité, à la différence de la question concernant les désirs
de fécondité, ne présente aucune nuance dans sa formulation au niveau du questionnement national.
Elle est formulée « Souhaitez-vous avoir un enfant dans les trois années à venir ? » et présente quatre
possibles modalités de réponse : « Non », « probablement pas », « Oui probablement » et « Oui »,
dans la version française il était aussi possible de répondre « Je ne sais pas ». Dans le cadre de mon
étude j’ai décidé de recoder la variable et de la rendre dichotomique puisque mon but est d’analyser
l’opposition entre les personnes voulant avoir des enfants dans les trois prochaines années par rapport
à celles ne le voulant pas. Pour ce faire, on voudrait comprendre l’espace social dans lequel les
individus prennent leurs décisions concernant la reproduction et pour cela je recourrai à l’utilisation
de l’outil statistique de l’Analyse des Correspondances Multiples (ACM). Cet instrument d’analyse
me permettra de dégager les principales logiques de fonctionnement de l’espace social en France et
en Italie et de saisir quels facteurs jouent un rôle fondamental dans la formulation des intentions de
fécondité. Cette étude portera distinctement sur les hommes et sur les femmes.
Comme je l’ai déjà souligné, les intentions de fécondité, plus que les désirs, nous aident à
comprendre la réelle volonté des individus enquêtés concernant la reproduction. Alors que dans le
cas du désir on a recouru à l’analyse de l’opinion, dans le cas des intentions on pourra analyser plus
précisément le comportement et donc les actions réelles de la population interrogée.
Une première analyse nous permet de noter qu’en France comme en Italie, une partie très
minoritaire de la population enquêtée a le projet d’avoir des enfants dans les trois années qui suivent
l’enquête.
Tableau IV : Intention d’avoir un enfant dans les trois années à venir pour hommes et femmes âgés de 18 à 49 ans (valeurs en pourcentage).
Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.
Échantillon : Femmes et hommes âgées de 18 à 49 ans. Effectifs 21242 Italie, 4885 France.
Au niveau général, en Italie plus qu’en France les individus n’ont pas l’intention d’avoir des
enfants à court terme (75% contre 72%). En outre, dans les deux pays ce sont plus souvent les hommes
que les femmes qui veulent des enfants.
Selon les experts, les intentions de fécondité négatives plutôt que les intentions positives
peuvent être un bon indicateur pour prédire le comportement de la population enquêtée et ainsi sa
descendance finale. Au contraire, les intentions positives créent un biais dans les estimations de la
fécondité réalisée puisqu’elles surestiment les capacités et les possibilités individuelles. De plus, on
sait que très souvent les intentions positives des femmes et des hommes en âge fécond peuvent rester
irréalisées à cause de très nombreux facteurs contingents de la vie (rupture du couple, infécondité,
décès). En effet, on sait qu’il existe de nombreux éléments qui déterminent les intentions de
fécondité : dans notre étude exploratoire on s’apprête à analyser tout particulièrement les
caractéristiques biologiques et primaires (âge, nombre d’enfants déjà eu, nombre de frères et de
sœurs), culturelles (niveau d’études), géographiques (zone de résidence), la place des individus sur le
marché du travail, et des variables analysant la répartition des rôles de genre dans la famille
(satisfaction pour la division des tâches domestiques), ainsi que des variables interrogeant l’opinion
sur les facteurs déterminants les intentions de fécondité (perception sur la façon dont la situation
économique et le travail peuvent influencer les choix reproductifs).
Grâce à l’utilisation de ces variables on veut réussir à comprendre l’espace social dans lequel
les enquêtés prennent leurs décisions concernant les intentions reproductives. En outre, on veut voir
s’il existe des facteurs profondément différents qui contribuent à la prise de décision en France et en
Italie, ou bien si dans les deux pays les éléments qui déterminent les choix reproductifs sont
semblables et résumables en peu d’aspects.
L’analyse des Correspondance Multiple (ACM) de ce point de vue a l’avantage de réussir à
synthétiser un très grand nombre d’informations dans un petit nombre de dimensions. On poursuivra
cette partie suivant une analyse par genre, on commencera par les hommes et on terminera par les
0 20 40 60 80
France
Italie
Hommes
Positive
Négative
0 20 40 60 80
France
Italie
Femmes
Positive
Négative
65
femmes ; les analyses sont distinctes pour les deux pays (pour cela on présentera quatre ACM) ; on a
considéré la population d’âge compris entre 18ans et 49 ans.
a. Analyse des données sur la population masculine :
France : en référence à la population masculine française (Fig. 1) on peut noter que parmi les
modalités qui donnent la majeure contribution aux axes, on trouve des caractéristiques telles que l’état
civil, les caractéristiques biologiques, les intentions de fécondité ainsi que la place occupée sur le
marché du travail.
On résume l’information de la première dimension en affirmant qu’elle oppose essentiellement
les hommes sur la base de leur propre état civil (marié, célibataire, en union libre) et sur la base des
intentions de fécondité à partir des caractéristiques démographiques (âge, nombre d’enfants, nombre
de frères et de sœurs). La deuxième dimension met en opposition les individus en référence à leur
place dans le monde du travail et notamment par rapport à la condition active, inactive ou d’étudiant.
Ces deux premiers axes résument essentiellement le 66% de la variance totale.
En regardant de plus près le graphique, on peut penser de le partager en deux secteurs : l’un
caractérisé par des hommes ayant des intentions de fécondité plutôt positives, qui se trouvent dans
une position active sur le marché du travail et qui estiment que l’emploi, comme la situation
économique, n’influencent pas profondément le choix d’avoir des enfants. Ce secteur est composé
essentiellement par des individus en couple mariés ou en union libre. Il s’agit des tranches d’âges les
plus fécondes, mais à l’exclusion de la catégorie la plus jeune (mineurs de 25 ans). Cette population
a souvent déjà au moins un enfant.
Le deuxième secteur est caractérisé par des jeunes étudiants qui ont des intentions de fécondité
négative à court terme, cela probablement en raison du jeune âge et aussi de la situation encore
précaire sur le marche de l’emploi. Dans ce même secteur se trouvent des travailleurs faisant leurs
premières expériences de travail et ayant des emplois à temps partiel ou des contrats à durée
déterminée. Ces individus sont célibataires et considèrent que l’emploi comme le travail ont un rôle
important dans les projets concernant la reproduction. Les inactifs, dans ce graphique, apparaissent
comme des individus à la marge, voire atypiques.
Figura 1: Analyse des correspondances multiples. Population masculine française.
67
Italie : en référence au graphique sur la population masculine italienne (Fig.2), on peut voir des
similarités et des différences par rapport aux voisins français. On note que le premier axe, comme en
France, oppose les hommes sur la base de l’état civil, notamment entre les hommes mariés et les
célibataires54, et sur la base des intentions de fécondité. Ces deux facteurs, comme dans le cas de la
France, sont influencés par les caractéristiques démographiques (âgé, nombre d’enfants, et nombre
de frères et sœurs). Toutefois, en Italie plus qu’en France, la présence d’enfants en bas âge55 et le lieu
de résidence semblent avoir un poids majeur dans la contribution au premier axe.
La deuxième dimension, comme dans le cas de la France, crée une opposition entre les hommes
selon la place qui occupent sur le marché du travail, donc entre ceux qui ont un emploi stable, qui se
trouvent dans une position active, et ceux qui sont étudiants, ou qui se trouvent pour des raisons
différentes en-dehors du marché du travail.
L’opposition existe aussi en ce qui concerne les intentions de fécondité, il y a des hommes en
couple qui désirent avoir des enfants, alors que les étudiants et les inactifs semblent ne pas vouloir
avoir d’enfants dans le futur proche. Ces derniers sont généralement plus âgés que leurs collègues
français. En outre, la division géographique entre Nord, Centre et Sud assume plus d’importance en
Italie du fait que le deuxième axe résume essentiellement l’information concernant la place occupée
par les interviewés sur le marché de l’emploi ; on sait que dans la partie méridionale du pays les
problèmes liés au manque d’emploi sont beaucoup plus profonds. Les deux premiers axes résument
le 78% de la variance totale.
Les deux analyses mettent en évidence qu’en France comme en Italie, le fait d’être en couple
et certaines caractéristiques démographiques comme l’âge, jouent un rôle essentiel dans la
détermination des intentions de fécondité. Alors que la fécondité se maintient sensiblement différente
dans les deux pays, l’espace social dans lequel les individus agissent et prennent leurs décisions ne
semble pas être profondément différent.
54 Les données que j’avais à disposition ne m’ont pas permis de savoir combien d’hommes étaient en union libre (la
question était posée seulement aux femmes). Toutefois, les femmes ayant déclaré d’être en union libre sont seulement
348 (sur 11186 enquêtées) et je suis amenée à croire que la proportion est semblable pour les hommes (et négligeable par
rapport au nombre de mariés). 55Les enfants en bas âge, ont moins de trois ans en France, alors qu’en ont moins de cinq en Italie.
Figura 2: Analyse des correspondances multiples. Population masculine italienne.
69
b. Analyse des données sur la population féminine :
En ce qui concerne l’analyse de la population féminine de France et d’Italie, la compréhension
de l’organisation de l’espace social semble être plus complexe puisque les deux populations semblent
s’y projeter de manière différente. Alors que pour la population masculine le fait d’être en couple,
l’âge et la place des individus sur le marché du travail résumaient l’essentiel de la variance, pour les
femmes l’analyse est plus difficile car la femme dans les deux pays n’a pas le même rôle à l’égard de
l’emploi et du travail domestiques.
France : en regardant le graphique de référence à la population féminine française (Fig.3) on
peut s’apercevoir que certaines des modalités qui contribuent davantage aux axes sont les mêmes
qu’on a déjà analysé dans le cas de la population masculine. Toutefois, si pour les hommes le premier
axe discriminait la condition civile et les intentions de fécondité sur la base des caractéristiques
démographique, dans le cas des femmes françaises, le premier axe décrit les caractéristiques qui
déterminent socialement le rôle de la femme, c’est-à dire l’activité, puis l’état civil et l’âge. Ce sont
ces caractéristiques à modeler les intentions de fécondité.
Le deuxième axe semble résumer essentiellement les éléments qui caractérisent la femme en
activité, il s’agit de qualités liées au travail, telles que la possibilité de bénéficier d’horaires flexibles,
d’être satisfaite par le poste et de savoir qu’il est stable dans le temps. En France, la population
féminine semble se trouver autour du barycentre du graphique à l’exception de certaines modalités
extrêmes, comme le fait d’être inactive (étudiante ou chômeuse) et célibataire. Les deux premières
dimensions expliquent le 69 % de la variance totale.
Figura 3: Analyse des correspondances multiples. Population féminine française.
71
Italie : en ce qui concerne la population féminine italienne et en référence à son graphique
(Fig.4), elle me semble le cas plus intéressant à être analysé. En effet, alors que cette analyse de
données présente des similarités avec le cas français correspondant, elle présente aussi des spécificités
données par la particularité de la structure de la population italienne. On se réfère notamment au rôle
de la femme sur le marché du travail et aux différences qui perdurent à cet égard entre les régions.
La lecture du graphique semble plus compliquée que dans le cas de la population féminine
française, puisque différents facteurs concernant des aspects différents de la vie se mélangent dans la
contribution aux axes. Le premier axe résume essentiellement les informations concernant, l’activité,
l’état civil et l’âge. Toutefois, plus qu’en France, les différences de genre liées à la division du travail
domestique semblent significatives ; c’est dans le croisement de ces aspects que se créent les
intentions de fécondité. Le deuxième axe semble opposer les femmes en activités aux autres, tout en
créant une hiérarchie entre les emplois plus protégés par la loi (flexibilité dans les horaires,
satisfaction pour le travail, stabilité dans le temps) et ceux qui le sont moins.
Pour résumer, on pourrait dire que le premier axe décrit essentiellement les aspects personnels
de la vie, intention de fécondité comprise, alors que le deuxième axe décrit les caractéristiques de la
femme au niveau public et professionnel. Les deux premiers axes résument 89% de la variance totale.
Dans le cas de l’analyse de la population féminine italienne, plus que dans le cas de la
population féminine française, il semble possible de distinguer dans le graphique des secteurs ayant
des caractéristiques différentes.
On peut noter dans la figure essentiellement trois populations différentes ; une première
distinction existe entres les femmes en activité et les autres, ces premières ont des intentions de
fécondité positives et se trouvent dans la période la plus féconde de leur vie. Un deuxième groupe est
formé par les femmes au foyer qui généralement ne désirent pas avoir d’enfants du fait qu’elles en
ont déjà eus. Elles sont plutôt en accord avec leurs maris sur la division du travail domestique puisque
elles dédient leur temps uniquement à cette activité. Plus on s’approche du secteur des femmes en
activités plus l’accord pour la division des tâches domestiques semble basculer. Enfin, on retrouve
un secteur caractérisé par des femmes jeunes, étudiantes, non prêtes à avoir des enfants, du fait de
leur jeune âge ou du fait qu’elles se trouvent dans des positions très précaires sur le marché du travail.
L’interprétation des intentions de fécondité est assez compliquée, mais semble opposer
essentiellement une population jeune et encore trop jeune pour désirer des enfants à court terme et
une population plus vieille avec des enfants souvent en bas âge, par rapport une population se trouvant
dans la période la plus féconde de la vie et en emploi.
En regardant avec attention le graphique, on s’aperçoit qu’il assume la forme particulière de
l’effet Guttman, typique des situations où il existe un principe de hiérarchie sociale qui est décrit,
dans ce cas, selon l’opposition femmes en activité professionnelle/femmes au foyer et selon l’âge et
la localisation géographique des enquêtées.
Pour conclure cette analyse des données, on peut affirmer qu’à la base des choix reproductifs
des italiens et français se trouvent des facteurs tels que la composante biologique (âge, sexe, nombre
d’enfants, nombre de frères et sœurs) et les éléments culturels et économiques. En outre, on a pu
constater que le fait d’être en couple est extrêmement important pour évaluer concrètement les
intentions de fécondité à court terme. En effet, la réalisation de ces intentions est le résultat de la
volonté positive de l’homme, de la femme et de la rencontre de ces deux intentions.
Bien qu’elle soit extrêmement intéressante pour comprendre l’organisation de l’espace social,
l’analyse exploratoire qu’on a présentée ne permet pas d’évaluer l’impact de chaque variable dans la
construction et la modélisation des intentions de fécondité. Pour cela je m’apprête, dans la partie qui
suit, à évaluer l’impact propre à un certains nombre de variables sur les intentions de fécondité à court
terme. Je me servirai ainsi de l’utilisation d’un modèle de régression logistique et je ferai référence à
la population âgée de 18 ans à 49 ans en couple. Je considérerai distinctement hommes et femmes.
73
Figura 4: Analyse des correspondances multiples. Population féminine italienne.
1.4. Quels sont facteurs qui influencent les intentions de fécondité ?
Dans le paragraphe qui suit on veut évaluer l’impact de certaines variables sur l’intention
d’avoir des enfants à court terme. En référence à mes hypothèses de recherche et en tenant compte
des éléments qui sont ressortis de l’analyse exploratoire, je m’apprête à analyser l’importance de
certains facteurs dans l’explication de la volonté d’avoir des enfants.
Alors que l’analyse exploratoire a mis en lumière que le fait d’être ou pas en couple a un rôle
de première importance dans la distinction de sous-groupes sociaux au sein de la population ; dans
cette partie on veut évaluer l’importance des facteurs économiques, de genre et liés à l’emploi, dans
la formation des intentions de fécondité. Ces variables ont été considérées avec d’autres variables de
type démographique qui ont servi à la fois comme instrument de contrôle et d’explication des
intentions de fécondité à court terme. En effet, les facteurs sociodémographiques, tels que l’âge, le
nombre d’enfants et la région de provenance, me permettent d’évaluer s’il existe un modèle spécifique
de reproduction propre à chaque pays et éventuellement à chaque région.
Je commencerai avec l’analyse de la population masculine, puis j’analyserai la population
féminine, enfin j’étudierai seulement les femmes ayant un emploi.
75
Les hommes :
Régression logistique multinomiale II: Facteurs explicatifs de l’intention positive de fécondité dans les trois ans. (Population masculine)
Italie France
Intention de fécondité dans le trois ans
B Signif. B Signif.
Avoir un enfant dépend:
Constante -4,194 ,000 -3,550 ,000
de la situation économique
Non ,263 ,019 ,335 ,204
Oui 0 . 0 .
du travail Non -,022 ,856 ,330 ,231
Oui 0 . 0 .
du travail de la conjointe
Non ,223 ,029 ,408 ,098
Oui 0 . 0 .
Nombre d'enfants
0 4,580 ,000 2,889 ,000
1 2,631 ,000 2,105 ,000
2 ,260 ,232 ,134 ,651
3 et plus 0 . 0 .
Enfants < 5 ans Non -1,152 ,000 -1,487 ,000
Oui 0 . 0 .
Tranche d’âge 18-24 ,162 ,766 1,331 ,006
25-34 2,782 ,000 2,089 ,000
35-44 1,963 ,000 ,718 ,035
45-49 0 . 0 .
Macro Régions Nord -,523 ,000 ,080 ,677
Centre/Ile de FR -,432 ,001 ,580 ,030
Sud 0 . 0 .
Typologie du Couple
Marié 0 . ,291 ,138
Union libre * * 0 .
* données manquantes pour l’Italie.
Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.
Échantillon : Hommes âgées de 18 à 49 ans en couple.
En observant le tableau, on peut noter que l’âge joue un rôle fondamental dans la modélisation
des intentions de fécondité dans les deux pays. Les hommes âgés moins de 45 ans ont très souvent
l’intention d’avoir des enfants à court terme. En référence aux deux pays, les individus français
semblent avoir des intentions plus précoces que les italiens, en effet la tranche d’âge 18 -25 ans dans
ce deuxième pays semble perdre sa signification statistique. On peut expliquer cette particularité à
l’aide de deux éléments : les individus de moins de 25 ans se déclarant en couple en Italie sont très
peu nombreux ; en outre la sortie de plus en plus tardive du foyer familial tend à empêcher la
formulation des intentions positives de fécondité parmi les individus qui viennent d’atteindre l’âge
adulte56. Pour cela, alors que les français déclarent vouloir davantage d’enfants entre 18 ans et 34 ans,
les italiens déclarent en vouloir entre 25 ans et 44 ans. Toujours en regardant les variables
démographiques, le fait de ne pas avoir d’enfants semble encourager fortement l’arrivée d’un
nouveau-né. De plus, le fait d’avoir des enfants en bas âge à la maison semble encourager l’arrivée
d’un enfant supplémentaire, ce qui indique que normalement les individus préfèrent avoir des enfants
rapprochés dans le temps.
En ce qui concerne les facteurs économiques et liés à l’emploi, France et Italie semblent montrer
les différences les plus profondes : pour les hommes français la situation économique ne semble pas
expliquer les intentions de fécondité et le même constat vaut pour le travail. Au contraire, le travail
de la conjointe semble avoir une plus grande signification dans la décision d’avoir un enfant : si le
travail de la partenaire n’influence pas l’arrivée d’un enfant, les hommes ont davantage l’intention
d’avoir des enfants. Enfin, pour le cas de la France, le fait d’être en union libre ou être marié57 n’a
pas d’impact sur la décision concernant les choix reproductifs.
En Italie, alors que le travail ne semble pas avoir d’importance dans la maturation des intentions
de fécondité, la situation économique et le travail de la conjointe deviennent un important indicateur
des intentions à court terme. En effet, en Italie plus qu’en France, en absence d’aides compensant les
coûts des enfants, les familles doivent évaluer attentivement l’impact d’une naissance supplémentaire
sur les conditions objectives du ménage, puisque l’arrivée d’un enfant peut détériorer sensiblement
les conditions de vie.
Le travail de la partenaire semble être important soit parce que la femme a en charge le soin des
enfants et donc son activité professionnelle empêche le plein accomplissement de son rôle de mère,
soit parce que la famille nécessite d’un salaire supplémentaire pour limiter les conséquences de
l’arrivée d’un enfant. Dans les deux cas, la décision d’avoir des enfants semble plus complexe en
Italie plutôt qu’en France ; je reviendrai sur ces constatations au cours de l’analyse de la population
féminine.
En Italie, à la différence de la France, perdurent des modèles reproductifs distincts et
hétérogènes selon les régions : les régions de l’Italie du Sud montrent une plus profonde intention
d’avoir des enfants à court terme par rapport aux régions de l’Italie du Centre et du Nord. En France,
seulement en Ile de France et en coïncidence d’une population moyennement plus jeune du reste de
la France, les hommes veulent davantage avoir des enfants.
56 En France les jeunes hommes peuvent bénéficier de prestations sociales comme l’allocation logement, ce qui leur
permet de gagner l’autonomie résidentielle. 57 Données manquantes pour l’Italie.
77
Bien qu’il s’agissait d’un élément déterminant dans la compréhension de l’organisation de
l’espace social, dans cette analyse je n’ai pas pris en considération la variable concernant le rôle sur
le marché du travail, qui s’avère être négligeable du fait que les individus âgés de 18 à 49 ans en
couple sont quasiment tous en activité.
Les femmes :
Maintenant, on va mener la même étude que ci-dessus sur la population féminine. Dans le cas
des femmes on a considérée si elles étaient en activité, inactives, au foyer ou étudiantes ; en effet, on
a estimé que des importantes différences entre les deux pays peuvent émerger notamment en raison
des différents taux d’activités féminins de France et d’Italie58. De ce fait, on veut voir si des
spécificités ressortent concernant le lien entre le rôle de la femme dans le marché du travail et les
intentions de fécondité à court terme.
Régression logistique multinomiale III: Facteurs explicatifs de l’intention de fécondité positive dans les trois ans. (Population féminine)
Italie France
Intention de fécondité dans les trois ans
B Signif. B Signif.
Avoir un enfant dépend:
Constante -6,790 ,000 -7,039 ,000
de la situation économique
Non ,380 ,000 ,206 ,304
Oui 0 . 0 .
du travail du conjoint
Non -,137 ,186 ,301 ,194
Oui 0 . 0 .
Nombre d'enfants
0 5,003 ,000 3,924 ,000
1 2,914 ,000 3,086 ,000
2 ,542 ,018 1,069 ,000
3 et plus 0 . 0 .
Enfants < 5 ans Non -1,144 ,000 -,874 ,000
Oui 0 . 0 .
Tranche d’âge 18-24 4,304 ,000 3,337 ,000
25-34 4,495 ,000 3,886 ,000
35-44 3,189 ,000 2,503 ,000
45-49 0 . 0 .
Macro Régions Nord -,361 ,000 ,203 ,219
Centre/Ile de FR -,424 ,001 ,478 ,028
Sud 0 . 0 .
Typologie du Couple
Marié ,293 ,067 ,329 ,058
Union libre 0 . 0 .
Activité En emploi ,244 ,551 ,748 ,032
Inactive ,372 ,401 ,984 ,018
Femme au foyer ,370 ,369 1,240 ,004
Étudiante 0 . 0 .
Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.
58 Dans le cas des enquêtes GGS j’ai calculé qu’en France parmi les femmes en couple âgées de 18 à 49 ans, 77,3% est
en activité, 9,2% est inactive, 10,7% est une femme au foyer et 2,8% est étudiante (échantillon de 1935 personnes). En
Italie les pourcentages sont profondément différents puisque seulement 54,8% des femmes est en activité, 5,3% est
inactive, 39,2 % est une femme au foyer et 0,7% est une étudiante (échantillon de 6479 personnes).
79
Échantillon : Femmes âgées de 18 à 49 ans en couple.
On commence l’explication de la régression à partir des variables démographiques : en France
comme en Italie, l’âge semble avoir un impact déterminant dans les intentions de fécondité, tout
particulièrement chez la population âgée de 18 ans à 34 ans qui semble, dans l’absolu, la plus
intéressée à avoir des enfants à court terme. Les femmes plus que les hommes veulent avoir des
enfants plus précocement. Comme dans le cas de la population masculine, le fait d’avoir des enfants
en bas âge dans le ménage encourage l’arrivée d’un enfant supplémentaire. En outre, le fait d’être
mariée plutôt qu’en union libre encourage les femmes françaises comme les femmes italiennes à avoir
des enfants à court terme. Les régions ont toujours une signification importante en Italie où les
femmes méridionales veulent davantage avoir des enfants par rapport aux collègues du Nord et du
Centre. En France, comme dans le cas des hommes, cette variable est significative seulement pour
l’Ile de France où la population est plus jeune et donc plus intéressée à avoir des enfants.
En regardant les variables concernant la situation économique et la place sur le marché du
travail, on s’aperçoit que les femmes italiennes, comme leurs conjoints, estiment que la situation
économique pèse sur les choix reproductifs. Les femmes déclarant que la décision d’avoir un enfant
ne dépend pas de la situation économique désirent davantage un enfant dans le futur proche. Cette
variable n’est pas significative dans le cas français. De plus, il semble que le travail du conjoint n’a
pas d’influence sur la décision d’avoir un enfant puisque cette variable n’est pas significative ni dans
le cas de la France que de l’Italie ; a priori on aurait dit le contraire, tout particulièrement en sachant
qu’une partie de la population enquêtée se trouve en dehors du marché du travail.
Enfin, la variable concernant l’activité est significative en France où les femmes au foyer
semblent avoir une plus forte intention à avoir des enfants à court terme. Cette variable perd en
signification dans le cas de l’Italie où les différences concernant les intentions reproductives sont
expliquées davantage par d’autres variables (ex. zone de résidence). Par ailleurs, comme déjà souligné
dans le cas du désir d’enfants, en France plus qu’en Italie les femmes au foyer semblent avoir un
comportement reproductif spécifique, ceci en raison du fait qu’elles sont très peu nombreuses dans
les catégories d’âge les plus jeunes.
Pour conclure cette tentative d’explication des facteurs influençant les intentions de fécondité,
on veut analyser davantage la situation des femmes qui travaillent. L’importance de comprendre les
éléments qui encouragent l’arrivée d’un enfant dans cette tranche de population sert à pouvoir mettre
en place des mesures d’aide aux femmes qui ont un emploi, notamment en créant des situations
favorables à la conciliation entre activité professionnelle et vie privée.
Régression logistique multinomiale IV: Facteurs explicatifs de l’intention positive de fécondité dans les trois ans. (Population féminine en emploi)
Italie France
Intention de fécondité dans les trois ans
B Signif. B Signif.
Positive Constante -4,651 ,000 -5,782 ,000
Contrat Indéterminé -,230 ,188 -,111 ,674
Déterminé 0 . 0 .
Durée Temps plein ,244 ,072 ,645 ,001
Temps partiel 0 . 0 .
L'employeur accorde des congés pour
raisons personnelle
Non -,071 ,600 ,071 ,683
Oui 0 . 0 .
Avoir un enfant dépendu du
travail Non ,455 ,002 ,976 ,000
Oui 0 . 0 .
Avoir un enfant dépendu du
travail du conjoint
Non -,454 ,002 ,199 ,511
Oui 0 . 0 .
Avoir un enfant dépendu de la
situation économique
Non ,291 ,053 ,011 ,965
Oui 0 . 0 .
Satisfaite de la division de
taches domestiques
Non -,243 ,101 ,127 ,628
Oui 0 . 0 .
Tranches d'âge 18-24 4,029 ,000 4,740 ,000
25-34 4,574 ,000 4,213 ,000
35-44 2,569 ,000 2,334 ,001
45-49 0 . 0 .
Présence d'enfants
Non 2,366 ,000 1,406 ,000
Oui 0 . 0 .
Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.
Échantillon : Femmes âgées de 18 à 49 ans en couple et en emploi.
81
On a considéré comme variables explicatives des intentions de fécondité des éléments en lien
avec l’emploi et la situation économique, et comme variables de contrôle, la présence d’enfants dans
le ménage et l’âge de la femme au moment de l’enquête.
On note dans ce cas, comme dans le cas précédent, que les femmes âgées de 18 à 34 ans sont
les plus intentionnées à avoir des enfants, les françaises toutefois tendent à les vouloir plus tôt que
leurs collègues italiennes. De plus, la présence d’enfants dans le foyer semble décourager l’intention
d’avoir d’autres enfants, ceci est plutôt compréhensible du moment qu’on n’a pas considéré
séparément le nombre d’enfants déjà eu.
Le premier aspect qui nous a marqué est qu’en France, comme en Italie, non seulement la
décision d’avoir un enfant dépend du travail, mais aussi du fait d’avoir un contrat à durée
indéterminée. Les autres variables semblent saisir davantage les éléments caractérisant la prise de
décision en Italie puisque les mêmes variables perdent leur signification dans le cas de la France.
Dans les deux pays, le fait que l’employeur accorde des congés pour des raisons personnelles,
ainsi que le fait de pouvoir bénéficier d’un horaire réduit de travail59 (temps partiel) ne semble pas
avoir d’importance sur la décision d’avoir un enfant.
Enfin, en Italie, l’arrivée d’un enfant dépend du travail de l’enquêtée, de celui du conjoint, et
de la situation économique. Les femmes considérant important leur propre travail et la situation
économique, désirent moins souvent avoir des enfants, alors que les femmes considérant que le travail
du mari influence la décision d’avoir des enfants en veulent dans le court terme. Ces facteurs montrent
clairement qu’en Italie, plus qu’en France, les éléments garantissant un bon niveau de vie (salaires
des deux conjoints) et la situation économique influencent profondément les intentions de fécondité.
De plus, en Italie où les asymétries de genre semblent encore profondes, la satisfaction pour la
division des tâches domestiques semble influencer positivement l’intention d’avoir un enfant à court
terme. La même variable n’est pas significative dans le cas de la France.
A la lumière de ce qu’on vient de dire, on peut décrire deux images plutôt opposées des facteurs
déterminant les intentions reproductives dans les deux pays. Alors qu’en France seulement le travail
semble influencer la décision d’avoir un enfant, en Italie à cet aspect il faut ajouter la composante
économique, le travail du conjoint et la division du travail domestique. En somme, en Italie plus qu’en
France il semble difficile d’avoir des enfants.
59 J’aurais cru le contraire du moment que nombreux auteurs (Rinaldi R., Romano M.C. 2008) mettent en évidence la
praticité du temps partiel comme mesure de conciliation entre travail et vie familiale.
Pour conclure brièvement cette partie, je voudrais mettre en évidence les différences entre la
France et l’Italie concernant les intentions de fécondité à court terme et selon la fécondité déjà
réalisée. Je considère dans cette analyse, les hommes et les femmes âgés de 18 à 49 ans, quelle que
soit l’état civil (célibataire, union libre, marié).
Tableau III : Intention de fécondité selon le nombre d’enfants déjà eu, hommes et femmes âgés de 18 à 49 ans (valeurs en pourcentage).
Source : Analyse à partir des données ISTAT, GGS-FSS Italie 2003 et INED-INSEE, GGS-ERFI 2005.
Échantillon : Femmes et hommes âgées de 18 à 49 ans. Effectifs 5349 Italie, 1361 France.
On peut noter qu’en France on a systématiquement l’intention d’avoir plus d’enfants qu’en
Italie. Tandis que les italiens et les italiennes se montrent très prédisposés à avoir au moins un enfant,
ils ont du mal à en avoir trois ou davantage, ceci malgré des désirs de fécondité qui restent encore
plutôt élevés. La norme de deux enfants est confirmée, même dans le cas des intentions, puisqu’en
France comme en Italie, les hommes et les femmes ayant un seul enfant ont l’intention d’en avoir un
deuxième à court terme.
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
0 1 2 3 et plus
Italie
France
83
2. La méthode qualitative:
On a analysé les désirs et les intentions de fécondité en France et en Italie en recourant aux
instruments d’analyse statistique, maintenant on propose de compléter ce type d’analyse grâce à l’aide
de la méthode qualitative. Je m’apprête à présenter les résultats issus de l’analyse du contenu des
entretiens menés dans le cadre de l’enquête REPRO. Cette étude m’a permis de mettre davantage en
lumière certains aspects restés inexplorés au cours de l’analyse statistique et m’a notamment permis
de comprendre le contexte institutionnel dans lequel les individus prennent leurs décisions concernant
la reproduction.
2.1. Les désirs de fécondité : «On ne veut pas un enfant unique ».
L’étude du désir de fécondité, mise en place au cours de l’analyse des enquêtes GGS, a
démontré qu’en France comme en Italie les individus désirent au moins deux enfants. Bien que cela
soit considéré comme étant la norme dans les deux pays, on note qu’en France plus qu’en Italie les
individus désirent des familles nombreuses et que fréquemment ils arrivent à concrétiser leurs désirs.
En revanche en Italie, même si le nombre de personnes souhaitant avoir trois enfants ou plus
reste considérables, très peu d’individus parviennent à exaucer cette attente.
L’étude du contenu des entretiens, sous cet aspect, m’a permis de comprendre le parcours de
négociation et de renégociation qui amène finalement à la réalisation des enfants désirés et m’a donc
permis de mieux comprendre les intentions de fécondité.
Les entretiens : En regardant les deux pays, les répondants affirment généralement que le
nombre d’enfants idéal se trouve autour des deux enfants. Toutefois, plus que dans le cas de l’analyse
de type quantitatif, on est informé du fait que les individus veulent très souvent trois enfants ou
davantage, mais que des différents obstacles empêchent la réalisation de leurs souhaits.
En effet, il semble y avoir un profond décalage, surtout dans l’échantillon italien, entre le
nombre souhaité d’enfants, et le nombre d’enfants que les répondants prévoient réellement de mettre
au monde. Dans le cas de l’Italie, les arguments utilisés pour justifier l’incapacité d’avoir les enfants
désirés reposent essentiellement sur des problèmes de type économique et financier, en France cet
aspect émerge beaucoup moins souvent et d’autres aspects priment comme l’âge, le manque du temps,
la volonté de rester au travail. On reviendra sur cet aspect au cours de l’analyse des intentions de
fécondité à court terme.
En ce qui concerne la possibilité d’avoir un seul enfant, les répondants des deux échantillons
s’opposent avec force au modèle de la famille avec un enfant unique, en France aucun interviewé ne
déclare vouloir un seul enfant, alors qu’en Italie un seul couple affirme prendre en considération cette
possibilité, mais plutôt pour des problèmes de fécondité et liés à l’âge que par une réelle volonté. Les
motivations adoptées pour critiquer ce modèle sont : « C’est triste pour l’enfant », « c’est une forme
d’égoïsme de la part des parents », « il va s’ennuyer ». Souvent les répondants estiment aussi qu’un
enfant unique risque d’un côté d’être gâté et capricieux, et de l’autre de subir la pression des parents.
Pour remédier à ces éventuels problèmes les interviewés soutiennent davantage le modèle de la
famille nombreuse et les thèmes adoptés pour défendre une large progéniture sont « c’est bien les
familles nombreuses », « c’est une belle chose, parce que c’est gai». Par exemple, Valeria répondantes
italienne dit :
« Avoir des frères ou des sœurs c’est important parce que, même si on se dispute c’est le sang de ton
sang et on peut compter sur eux pour un avis, surtout quand les parents seront morts »60 En outre, les entretiens italiens, soulignent un lien évident entre la fécondité de la famille
d’origine et le nombre d’enfants désirés, parmi les personnes qui veulent avoir trois enfants ou plus,
beaucoup sont nées et ont grandi dans des familles nombreuses avec deux ou trois frères et sœurs.
Sous cet aspect, les souvenirs liés à l’enfance semblent avoir un poids considérable dans la formation
des attentes liées à la procréation. Le vocabulaire employé fait référence à la solidarité, à la
réciprocité, à l’entente.
Tous les répondants de France et d’Italie expriment le désir de vouloir au moins un enfant au
cours de leur vie, quelle que soit la condition économique et l’investissement pour le travail ou la
famille. Avoir des enfants est ainsi considéré comme une étape fondamentale dans la vie, à laquelle
personne ne veut renoncer.
Enfin, plus que dans le cas de l’analyse des enquêtes, les entretiens mettent en lumière le fait
que les répondants désirent beaucoup d’enfants, toutefois déjà au niveau d’opinion ils savent que ce
ne sera pas possible d’avoir les enfants désirés, cette impossibilité émerge tout particulièrement dans
le cas des couples italiens puisque la différence qui existe entre le nombre idéal d’enfants et les
intentions réelles de fécondité est particulièrement marquée.
2.2. Les intentions de fécondité: pourquoi revoir à la baisse nos désirs ?
60 Je me suis occupée de la traduction de l’italien au français.
85
Les intentions de fécondité à court terme, sont dans les deux échantillons particulièrement
ressenties. Dans le cas de l’Italie, de nombreuses femmes sont enceintes61, alors que dans le cas de la
France nombreux sont les répondants qui affirment être en train de planifier l’arrivée d’un enfant (ou
d’un enfant supplémentaire). Toutefois, ces intentions sont ressenties assez différemment par les
individus, il y en a certains qui ont planifié et décidé l’arrivée d’un enfant, d’autres au contraire se
montrent moins soucieux de savoir quand l’enfant arrivera, et attendent ce moment comme un fait
naturel qui doit survenir de manière spontanée.
Ces deux façons d’attendre l’arrivée d’un enfant montrent qu’en France comme en Italie, le fait
d’être en couple est un requis essentiel pour pouvoir décider de mettre au monde un enfant. Pour cela,
les répondants n’étant pas en couple démontrent une profonde incapacité à projeter dans le futur leurs
attentes.
En regardant de plus près le nombre d’enfants que les individus veulent avoir au cours de leur
vie, on peut noter des différences entre l’échantillon italien et l’échantillon français. Pour ce qui
concerne le panorama italien, il en ressort une image très claire: les individus de Naples désirent très
souvent une large progéniture mais ils savent également qu’ils ne réussiront pas à avoir le nombre
d’enfants désiré, les raisons les plus souvent mises en avant sont des problèmes de caractère financier
et économique et liés aux coûts des enfants. Mariella, répondante italienne, motive la décision de ne
pas avoir un troisième enfant en affirmant :
« [Il me manque] une solidité économique qui me permette d’avoir une très grande maison avec des larges
espaces, une belle voiture, une voiture seulement pour moi, pour avoir … c’est-à dire c’est le discours
économique »
Dans le cas de la France, les préoccupations concernant les facteurs économiques semblent
avoir moins de poids dans la décision d’avoir des enfants, ce qui émerge plutôt est l’importance de
l’entente du couple, le fait de partager des sentiments et des émotions, ainsi que d’avoir des intérêts
en commun. Ariane dit :
« Si les parents arrivent à rester ensemble à travers les épreuves, et il y en a toujours, et rester unis, c’est
quand même une vie plus solide avec des parents qui s’entendent et qui restent unis le plus longtemps possible.
Je pense que pour les enfants c’est pas mal pour démarrer la vie »62
Alors que le couple est considéré comme un élément fondamental dans les deux pays, en Italie
la situation se complique du fait que de nombreux individus estiment préférable d’avoir des enfants
dans le cadre du mariage. En effet, la plupart des répondants affirment avoir décidé de se marier avant
61 Cela est dû à la méthode utilisée : les répondantes ont été contactées grâce à l’aide des centres de planning familial. 62 Brachet S., Letablier M.T., Salles A., Devenir parents en France et Allemagne : normes, valeurs, attentes, Politiques
familiales et sociales, n°100, juin 2010.
ou en coïncidence avec la décision d’avoir un enfant, et cela pour garantir à l’enfant de pouvoir
grandir dans un environnement stable, durable et institutionnalisé. D’autres motivations sont
adoptées, telles que l’éducation catholique aux valeurs de la famille et des enfants, ou bien de la
protection juridique qui dérive du fait d’être un enfant légitime.
Pour ceux qui ont décidé de ne pas agir comme la tradition le prescrit, le poids de leur décision
semble être lourd ; Pia par exemple affirme avoir peur d’annoncer à sa famille qu’elle est enceinte
car elle n’est pas mariée avec son conjoint. Dans l’échantillon italien, il y a des couples cohabitant,
mais même dans ce cas, la cohabitation est vécue comme une phase préliminaire, ou comme une
« période d’essai» avant d’institutionnaliser l’union par le mariage. Natalina dit :
« Ça me fait plaisir que [mon conjoint] y pense [au mariage] et il veuille qu’on se marie lorsqu’on en aura la
possibilité, je me rends compte que c’est indispensable surtout pour la petite »
En France, le mariage et la naissance des enfants dans le cadre de cette institution semble avoir
largement perdu sont importance. Élise par exemple affirme :
« Ce qui est important pour moi, c’est d’être bien dans le couple, le mariage c’est pas indispensable pour moi.
Pour moi, avoir des enfants c’est un engagement plus fort que se marier. On peut rester ensemble sans entre
marié… ça me dérange pas ! Voilà »63
Pour résumer il semble qu’en Italie, la décision d’avoir un enfant suive un parcours plutôt
traditionnel comprenant la mise en couple et par l’officialisation de l’union, l’arrivée des enfants est
conçue seulement dans un deuxième moment. De plus, en Italie la vie et son cycle sont vus beaucoup
plus souvent qu’en France comme un parcours à étapes, d’abord la mise en couple, le mariage, la
nécessité de faire des expériences et d’avoir un travail bien rémunéré pour atteindre finalement un
certain statut économique (maison, voiture, habillement) qui permet de pouvoir avoir des enfants. En
France, cette succession d’étapes est moins linéaire et les répondants acceptent davantage des
parcours improvisés et faits d’aller-retour. Cette différence laisse une marge de manœuvre plus ample
aux couples français, alors que pour les italiens l’arrivée des enfants est considérée comme l’étape
ultime d’un parcours long et très souvent difficile.
Pour finir, en France comme en Italie les répondants n’ont pas une opinion unanime sur le « bon
moment pour avoir des enfants ». Tous affirment qu’il ne faut les avoir ni trop tôt, ni trop tard, l’âge
autour duquel les décisions se concrétisent reste pour autant la trentaine, certaines femmes parlent de
« calendrier biologique », d’autres affirment que le bon moment c’est « quand on est prête », c'est-à-
dire lorsqu’on a atteint une certaine maturité physique et mentale. Tous les répondants affirment qu’il
est préférable d’avoir des enfants proches dans le temps, pour éviter qu’ils grandissent comme « des
63 Brachet S., Letablier M.T., Salles A., Devenir parents en France et Allemagne : normes, valeurs, attentes, Politiques
familiales et sociales, n°100, juin 2010.
87
enfants uniques » et pour qu’ils puissent se tenir compagnie. Un court intervalle temporel semble
aussi plus rentable au niveau économique et il permet aux parents de s’investir davantage dans
l’éducation des enfants, il n’est pas recommandable de faire passer trop de temps entre un enfant et
l’autre parce que les parents en vieillissant perdent la force d’élever les enfants.
2.3. D’autres aspects influençant la fécondité ?
Division des rôles de genre, emploi et équipements de garde d’enfants collectif : on jette la
politique familiale par la fenêtre, mais elle rentre par la porte.
D’autres aspects qui émergent de l’analyse du contenu des entretiens et qui semblent influencer
la décision d’avoir un enfant, sont la division des rôles de genre au sein du ménage, la place de la
femme sur le marché de l’emploi et sa valorisation au sein de la société, ainsi que la disponibilité
d’équipements de garde d’enfants sur le territoire et l’opinion concernant la prise en charge des
enfants en bas-âge par la société.
On considère en premier la division des tâches domestique au sein du ménage. Une récente
enquête a mis en lumière qu’aux Pays Bas comme en Italie, le partage de tâches au sein du couple
chez les plus diplômés a un impact positif sur la fécondité (Mills M., Mencarini L., Tanturri M.L.,
Bengal K. 2008). Dans notre cas, alors qu’on ne peut pas affirmer un tel lien, on note qu’en France
la division du travail considérée dans son double aspect domestique et rémunéré est beaucoup plus
égalitaire qu’en Italie.
Les auteures des entretiens français affirment qu’en France le modèle qui combine le double
engagement des membres du couple dans la sphère domestique et dans l’activité professionnelle est
le plus répandu (Brachet S., Salles A. 2009), toutefois cette répartition reste inégale puisque souvent
la femme se retrouve avec la majorité du ménage à faire en plus de son activité professionnelle.
En Italie, les différences dans la division entre travail domestique et le travail rémunéré en
fonction du sexe sont profondément ancré, surtout lorsqu’une grossesse survient. Très souvent, les
hommes sont en emploi et les femmes s’occupent de la maison, les justifications adoptées pour
motiver cette division résident essentiellement dans la complémentarité des rôles et sur la praticité
qu’en dérive. Lorsque la femme est en emploi, les justifications ont un autre caractère, soit on
considère comme capacité « naturelle » de la femme celle de s’occuper de la maison et des enfants,
soit on demande l’aide d’un collaborateur domestique. En général personne ne s’oppose à ce modèle
asymétrique et traditionnel de soutien aux familles, par ailleurs on peut noter un intérêt plus important
de la part des pères de s’occuper des enfants plutôt que de la maison.
En outre, dans l’échantillon italien, en cas de grossesse la plupart des femmes ont décidé de
quitter leur emploi. Il s’ensuit qu’en Italie la conciliation entre emploi et vie familiale semble poser
de profonds problèmes, tout particulièrement pour les femmes se trouvant dans des emplois peu
qualifiés et précaires. Rosaria par exemple, affirme avoir été licenciée de son emploi lorsque son chef
a su qu’elle était enceinte. Non seulement les employeurs montrent une certaine réticence envers la
maternité, mais aussi de nombreuses femmes estiment aussi qu’il est préférable de ne pas être en
activité quand les enfants sont encore petits. La stratégie est alors de quitter l’emploi en attendant que
les enfants grandissent, et par la suite de rechercher un travail qui soit compatible avec le fait d’être
mère. Alessia dit :
« Les premiers 3,4 ans [l’enfant] doit rester avec la mère. C’est naturel. Je ne pense pas que je travaillerai
pendant ces années. Puis, vu que j’ai toujours travaillé, je ferai comme ma mère à fait : je recommencerai à
travailler ! Je ne pourrais pas rester à la maison toute la vie»
Même les femmes les plus instruites préfèrent rester auprès de leurs enfants au moins pour la
première année de vie du bébé, de ce point de vue, les enseignantes, les infirmières et les employées
publiques se considèrent comme de « privilégiées » du fait de pouvoir bénéficier du congé de
maternité rémunéré et par la suite du congé parental.
Au contraire, en France la majorité des femmes ne veut pas arrêter son activité professionnelle
lors de l’arrivée d’un enfant, l’emploi est pour ces femmes une source d’estime et de gratification
personnelles, souvent elles soulignent qu’après des études longues elles ne veulent pas renoncer à ce
qu’elles ont obtenu. En outre, les instruments de conciliation entre l’activité professionnelle et la vie
familiale, comme le congé de maternité et le congé parental ainsi que l’APE, semblent atteindre leurs
objectifs. Toutefois même en France où l’égalité de genre s’est affirmée davantage, le congé parental
reste la prérogative des femmes, soit parce qu’elles préfèrent rester auprès de leurs enfants pendant
les premières années de vie, soit parce qu’il est préférable de renoncer au salaire le moins rémunéré
qu’en France comme en Italie c’est encore celui de la femme.
Enfin on peut dire qu’en France l’activité des femmes, même dans la situation où elles ont des
enfants en bas-âge, est encouragée et que le contexte institutionnel apparait comme favorable à
l’arrivée des enfants. En effet Karine affirme :
« Je veux garder aussi mon activité professionnelle, et comme les deux [maternité et travail] peuvent bien se
concilier, je veux quand même garder mon emploi »64
Au contraire en Italie, non seulement les femmes préfèrent rester à veiller sur leurs enfants pour
une durée plus longue, mais aussi les institutions ne semblent pas encourager les femmes à rester en
64Brachet S., Letablier M.T., Salles A., Devenir parents en France et Allemagne : normes, valeurs, attentes, Politiques
familiales et sociales, n°100, juin 2010.
89
emploi lorsque survient une grossesse. Irina parle explicitement de l’état et du manque de soutien à
la maternité :
« L’absence de la société, disons de l’état dans le soutien, disons de la maternité. Ça vaut pour les mères ne
travaillant pas, mais surtout pour les femmes en emploi qui aiment leur travail et qui veulent progresser. Ça
c’est compliqué lorsqu’on a des enfants »
Enfin, on note aussi une considération différente dans les deux pays pour le mode de garde
d’enfants collectifs. En France, les crèches et les équipements collectifs sont vus de manière positive
et encouragés puisqu’ils permettent la socialisation des enfants. En outre, la présence de nombreux
services sur le territoire permettent aux mères en emploi de pouvoir concilier leur double rôle.
Finalement, il semble que la socialisation collective est valorisée et acceptée même pour la possibilité
de mettre en contact des enfants issus de milieux différents et donc parce qu’elle permet d’apprendre
aux enfants le respect de la diversité. Sammy dit:
« I wanted them to be with other children… and I don’t know how to say it…I wanted them to be in contact
with other people, other nationalities and not in a small neighborhood with only respectable children»65
D’autres répondants soulignent les qualités de la socialisation collective comme forme
d’éducation pour les enfants puisqu’en partageant les espaces, les jeux et les attentions de la maîtresse,
ils sont obligés d’apprendre à être patients, respectueux et gentils avec les autres.
En revanche, en Italie l’opinion concernant le mode de garde collective est plus ambigüe et
contradictoire, certains répondants affirment ne pas vouloir confier leur enfant à personne, alors que
d’autres envisagent de trouver une place dans la crèche la plus la proche de la maison. En général, les
baby-sitters sont vues avec suspicion et considérées comme étant trop jeunes et inexpérimentés pour
leur déléguer la tâche éducative. Fréquemment les mères préfèrent laisser les enfants aux grands-
mères ou à un membre de la famille et ne recourent éventuellement aux équipements collectifs
seulement qu’en l’absence de cette possibilité.
Toutefois on note des opinions différentes au sein de la population enquêtée, les femmes les
plus diplômées et en emploi sont les plus favorables aux services de garde enfant collective puisqu’ils
permettent aux enfants de se connaître et aux mères de travailler. Elles encouragent aussi le
développement des crèches d’entreprise de manière à ce que les mères des enfants puissent leur dédier
un peu d’attention pendant la journée de travail. Ces répondantes affirment qu’il y a un manque
profond de tous ces services, et que les horaires restent très limités et que les coûts sont trop élevés.
Stefania montre son désappointement en affirmant :
65 Brachet S., Rossier C., Salle A., Understanding the long term effects of family policy on fertility: The diffusion of
different family models in France and Germany, Demographic Research, Vol. 22, Article 34, p. 1057-1096, Max Planck
Institute, June 2010.
« Les crèches ne marchent par très bien. Elles sont ouvertes seulement le matin et jusqu’à 15-16h de l’après-
midi. Pour l’instant je travaille de 15h à 20h …exactement quand ces services sont fermés »
D’autre interviewées se montrent absolument opposées à l’idée de déléguer leur devoir éducatif
à des institutions et elles soulignent la possibilité pour les enfants de tomber malades ou d’être pris
en charge par des personnes incompétentes. La mère reste celle qui doit prendre en charge l’éducation
de l’enfant au moins dans ses premières années de vie. Donata pense que la mère doit rester à la
maison pour voir grandir ses enfants :
« Si on peut rester à la maison et être avec les enfants et les voir grandir jours après jours, pour moi ça c’est
la meilleure de choses, c’est positif. C’est comme ça que doivent grandir les enfants, pour moi la mère doit
rester à la maison »
Comme dans le cas de l’analyse statistique, l’analyse des entretiens met en lumière des
difficultés majeures de la part des couples italiens à réaliser les enfants désirés par rapport aux couples
français. Pour les premiers, les obstacles à l’achèvement des intentions de fécondité semblent
nombreux, parmi lesquels des problèmes de caractère économique et financier, ou bien un manque
d’aide de la part des institutions publiques. Sous cet aspect, la conciliation entre activité
professionnelle et vie familiale parait comme profondément incomplète, cela d’une part à cause du
manque de mesures aidant les femmes travaillant et d’autre part à cause de la persistance d’un modèle
familial traditionnel.
En France, le processus qui amène du désir d’enfant à sa réalisation semble moins difficile et
plus linéaire. Les couples rencontrent moins d’obstacles au cours de la prise de décision concernant
la fécondité, sinon dans les faits au moins dans les opinions.
91
Chapitre 4:
Les résultats: en quoi la France et l’Italie divergent-elles?
Au cours de ce chapitre on veut revenir sur l’analyse faite dans le chapitre précédent. On veut
souligner davantage les différences et les similarités qui existent entre la France et l’Italie tout en
croisant les résultats de l’analyse avec le contexte institutionnel dans lequel les individus agissent.
Ceci permettra de comprendre l’éventuel lien entre le désir et les intentions de fécondité, et la
politique familiale française et italienne. On évaluera dans ce chapitre la justesse des hypothèses qui
ont été présentées au cours du deuxième chapitre.
1. La baisse de la fécondité : un phénomène diffus avec des conséquences
différentes.
Dans l’introduction de cette étude, on a éclairé les différents phénomènes qui ont investi
l’Europe, on a fait particulièrement attention à la description de la baisse de la fécondité, phénomène
qui a frappé tous les pays de l’Union Européenne mais avec des spécificités et des conséquences
différentes selon l’État membre. Dans le cadre de mon analyse, j’ai évalué le phénomène de la baisse
de la fécondité en France et en Italie en recourant à l’utilisation des données des enquêtes Gender and
Generation dans les deux versions nationales.
Ce qui émerge de l’étude des deux enquêtes est une diminution, au fil des générations, des
enfants de rang trois et supérieurs ; ce phénomène, bien qu’il soit commun aux deux pays, révèle plus
important en Italie qu’en France. On a noté, en effet, qu’en Italie la baisse de la fécondité est un
phénomène à la fois plus tardif et plus marqué et qui se manifeste tout particulièrement à partir de la
génération des femmes qui avaient entre 45 ans et 54 ans au moment de l’enquête. C’est à partir de
cette génération de femmes qu’on peut voir les plus profondes différences entre la France et l’Italie ;
alors qu’en France on assiste à la persistance d’une fécondité encore élevée, puisque les femmes ayant
trois enfants ou plus sont encore nombreuses, en Italie la diminution des naissances de rang trois
limite fortement la descendance finale de cette classe d’âge. C’est ainsi que l’on voit confirmée la
tendance de la baisse de la fécondité enregistrée en Europe, tout en confirmant l’existence de
différences nationales, notamment entre la France et l’Italie. Par ailleurs, on voit s’affirmer en Italie
le modèle de famille composé par les parents et deux enfants, au détriment du modèle de la famille
nombreuse, encore présent et encouragé en France.
2. Le désir de fécondité : l’influence du milieu d’origine.
Afin d’évaluer l’existence d’un éventuel lien entre la politique familiale et le taux de fécondité,
on a recouru à l’analyse du désir de fécondité. Cet indicateur permet d’évaluer, au niveau idéal,
combien d’enfants les individus âgés de 18 à 49 ans désirent au cours de leur vie. Bien qu’il soit
extrêmement difficile d’estimer l’impact des politiques familiales sur le comportement réel des
individus, on a fait l’hypothèse qu’une politique familiale généreuse permet de rapprocher les écarts
entre le nombre d’enfants souhaités et le nombre d’enfants réellement mis au monde, puisqu’elle
permet la création d’un environnement favorable à la prise de décision concernant la reproduction.
L’étude du désir de fécondité faite à partir de l’analyse des données quantitatives et de l’analyse
du contenu des entretiens a mis en lumière qu’en France comme en Italie, les désirs de fécondité se
maintiennent à des niveaux élevés ; ceci est le cas de la France en particulier, mais aussi de l’Italie.
Ce qu’on a démontré grâce à l’analyse des entretiens, c’est que les couples italiens désirent encore de
nombreux enfants, normalement deux, mais très souvent trois, voire plus.
De ce point de vue, avoir mené conjointement une étude de type qualitatif et quantitatif m’a
permis d’éclairer davantage certains points restés inexplorés au cours de l’analyse quantitative. En
effet, l’analyse quantitative a fait émerger qu’en France et en Italie le modèle familial composé de
deux enfants est largement le plus répandu au niveau de l’opinion. Toutefois, dans les deux pays et
tout particulièrement en France, on note qu’il existe des personnes désirant une large progéniture. Le
pourcentage d’individus français désirant trois enfants ou plus est d’environ 30%, alors qu’en Italie
il est un peu supérieur à 20%.
De plus, il semble qu’il existe des facteurs influençant le désir de fécondité. On a noté, dans un
premier temps, l’influence de la fécondité de la famille d’origine dans la modélisation des attentes
concernant la fécondité. Cet élément est aussi important dans le cas de l’Italie que dans le cas de la
France. Toutefois, la régression logistique que j’ai réalisée, s’est relevée sensiblement plus
significative dans l’analyse de la population italienne que de la population française. Ces différences
peuvent être interprétées comme la persistance de différents modèles reproductifs en Italie, tandis
qu’en France il semble qu’un seul modèle soit partagé par toute la population.
Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de différences concernant la reproduction en France, mais
que probablement ces différences n’ont pas été prises en compte dans mon étude. En effet, j’ai analysé
tout particulièrement les différences existantes entre les régions géographiques et selon la fécondité
de la famille d’origine. C’est pour cela qu’en France on ne note pas l’émergence de modèles
différents, puisque au Nord comme au Sud les familles se maintiennent nombreuses.
Au contraire, en Italie les familles nombreuses restent l'apanage du Sud, puisque non seulement
les couples y désirent plus d'enfants, mais qu'en plus ils viennent eux-mêmes généralement de
93
familles plus nombreuses. En France, des modèles différents pourraient émerger en analysant de plus
près l’importance de la classe sociale d’origine calculée sur la base du niveau d’étude, du revenu et
de l’éventuel héritage de la nationalité d’origine (dans le cas où il s’agit de français issus de
l’immigration).
Alors qu’en analysant les données des enquêtes Gender and Generation on n’a pas pu
comprendre le rôle de la politique familiale dans la création des attentes concernant la reproduction,
cela semble émerger davantage dans l’analyse du contenu des entretiens. Parmi les répondants italiens
nombreux mettent en évidence le fait que, malgré un profond désir d’enfants, les conditions
matérielles empêchent la réalisation des projets de fécondité. Il se trouve que déjà au niveau des
opinions les couples italiens revoient à la baisse leurs attentes, puisqu’ils considèrent que leur
situation économique ne permet pas de réaliser les enfants souhaités. En France, l’élément
économique est souligné seulement dans très peu de cas, à la faveur d’autres facteurs comme la
solidité du couple. On reviendra sur ce point au cours de la discussion sur les résultats concernant les
intentions de fécondité.
L’analyse des entretiens, comme l’analyse des données quantitatives, a mis en lumière le rôle
du milieu d’origine dans la modélisation des attentes concernant la reproduction. En somme, au cours
de notre analyse il est émergé qu’en France comme en Italie venir d’une famille nombreuse encourage
le désir d’une large progéniture.
3. Les intentions de fécondité : la politique familiale « montre le bout de son
nez »
Dans le cadre de l’analyse des intentions de fécondité on peut noter davantage les différences
qui existent entre la France et l’Italie concernant la décision d’avoir un enfant ou un enfant
supplémentaire.
Même dans ce cas, on a pu constater qu’en Italie la norme du modèle familial composé de deux
enfants est prédominant par rapport au modèle de la famille nombreuse. En France, bien qu’avoir
deux enfants soit le comportement le plus largement répandu, en avoir davantage n’est pas considéré
comme un comportement atypique ou déviant. Sous cet aspect, l’analyse des entretiens semble
démontrer qu’en France il existe une sorte de pression sociale à concevoir. En effet, on note que pour
chaque rang de naissance, les personnes françaises ont systématiquement l’intention d’avoir plus
d’enfants que les personnes italiennes.
En faisant référence à l’étude des données menée grâce à l’utilisation de l’outil de l’ACM, on
a mis en lumière les facteurs principaux déterminant les intentions de fécondité à court terme, que ce
soit dans le cas de la population masculine de France et d’Italie, ou bien de la population féminine.
Ce type d’analyse a permis de décrire l’espace social dans lequel les individus agissent et de
comprendre que l’âge, l’état civil, ainsi que la position sur le marché du travail modèlent les intentions
de fécondité.
En effet, le fait d’être en couple, associé à une certaine maturité physique et mentale, ainsi que
le fait d’avoir confiance dans l’avenir, puisqu’on considère d’avoir atteint une certaine sécurité par
rapport à la situation économique et au poste de travail, façonnent les intentions de fécondité à court
terme. C’est dans le croisement de ces éléments que les intentions de fécondité deviennent positives.
De ce point de vue, la différence majeure entre la France et l’Italie ressort dans l’étude de la
population féminine. Alors qu’en France la femme se trouve systématiquement en activité, et à partir
de cela, créé ses attentes concernant la reproduction, en Italie ce n’est pas le fait d’être en activité qui
motive la décision d’avoir un enfant. Comme dans le cas de l’analyse du désir de fécondité, au cours
de l’analyse des données, on a pu constater qu’en l’Italie il existe deux modèles reproductifs
différents ; l’un traditionnel et ancré géographiquement dans les régions du Sud de l’Italie, qui relie
la femme aux tâches domestiques et au soin des enfants ; l’autre plus moderne, imitant les
comportements des femmes de l’Europe du Nord et Continentale, qui voit la femme en emploi après
avoir atteint un niveau d’étude élevé. Dans le cas de l’Italie, l’« émancipation » féminine est payée
au prix d’une contraction du nombre d’enfants.
En France, cette opposition semble être moindre puisque la plupart de femmes travaillent ;
toutefois, comme dans le cas de l’analyse du désir de fécondité, avoir analysé d’autres variables tenant
compte de la différence du statut social, aurait permis d’éclairer davantage l’existence de modèles
reproductifs différents en France aussi.
Cette analyse préliminaire a permis de saisir un facteur essentiel pour la compréhension des
intentions de fécondité : le fait d’être en couple joue un rôle primordial dans la maturation des
intentions de fécondité. Bien que cela puisse sembler un constat anodin, le même élément sort de
l’analyse du contenu des entretiens, où les répondants mettent clairement en évidence qu’il ne peut
pas y avoir des enfants en-dehors d’un couple qui se considère solide, stable et mûr. Ce facteur est
ainsi considéré comme fondamental ; toutefois, dans ce cas aussi, on peut noter des profondes
différences entre la France et l’Italie.
En effet, en France être en couple apparait comme le réquisit à l’intention d’avoir des enfants,
cependant c’est l’enfant « qui fait famille » (Brachet S., Letablier M.T., Salles A. 2010), c’est-à dire
que l’arrivée d’un enfant est vécue comme l’expression de la solidité du couple et comme la manière
de déclarer la force et l’intensité du sentiment entre conjoints. En revanche en Italie, c’est le mariage
95
« qui fait famille », puisque c’est après avoir institutionnalisé leur union que les personnes décident
d’avoir des enfants. Ceci on l’a rencontré dans l’analyse des entretiens, mais est confirmé du fait
qu’en Italie la plupart des naissances continuent à se produire dans le cadre du mariage ; les enfants
nés hors mariage restent encore très peu nombreux.
Cela n’est pas le cas de la France, où les enfants naissent en égale mesure dans le cadre des
couples mariés que des couples en union libre. Bien qu’en France le mariage ne semble plus être la
condition pour avoir des enfants, l’analyse des données issues de GGS mettent en évidence que les
français restent attachés à cette institution puisque 65% des répondants se montrent contraires à
l’affirmation « le mariage est un institution dépassée ». Ceci semble encore plus étonnant en sachant
qu’en Italie seulement 54,3% des répondants ont affirmé la même chose.
Ce constat pourrait être interprété en considérant qu’en Italie le mariage reste le pré-réquisit
essentiel à la formation d’une famille, alors qu’en France une famille peut se constituer en-dehors de
l’institutionnalisation formelle, sans pour autant que les couples français ne désirent, dans un
deuxième temps, officialiser leur union à travers une cérémonie.
Enfin, les intentions de fécondité sont influencées par d’autres facteurs concernant un aspect
moins culturel et plus matériel de la vie, c'est-à-dire la perception de la situation économique et de la
situation à l’égard du marché du travail. A l’aide de trois différentes régressions et de l’analyse du
contenu des entretiens, on a constaté que la situation économique et le travail influent davantage sur
les choix des couples italiens d’avoir des enfants. Comme on l’a déjà dit, en France cet élément
émerge beaucoup moins souvent.
En regardant les hommes et les femmes séparément, on s’aperçoit que la population masculine
française semble désirer plus tôt l’arrivée d’un enfant que la population masculine italienne. Du
croisement de l’analyse des données et de la régression on pourrait penser que : les hommes français
non seulement atteignent une autonomie économique avant leurs collègues italiens, mais aussi ils
terminent leurs études plus tôt et partent du foyer familial à un âge plus jeune.
Au contraire en Italie, l’autonomie résidentielle et économique semble être plus tardive, ceci
est en coïncidence avec un âge à la fin des études plus avancé et par le maintien de postes de travail
atypiques pour des durées plus longues. Par conséquent, les intentions de fécondité apparaissent plus
tardives. En outre, en Italie, le travail et la situation économique modèle davantage le choix
concernant la reproduction ; en effet, les hommes sont aussi plus inquiets par rapport à la situation à
l’égard du marché du travail de leurs conjointes. Cela peut être justifié par deux considérations : soit
la société reste fortement ancrée au modèle traditionnel de la division des rôles, et alors l’homme dont
la femme travaille a du mal à vouloir des enfants puisque sa conjointe ne pourra pas s’en occuper à
temps plein ; soit pour faire face aux problèmes économiques, l’homme encourage la femme à garder
son emploi et donc à limiter éventuellement sa fécondité. Dans les deux cas, il semble que les
obstacles à l’arrivée d’un enfant soient majeurs en Italie plutôt qu’en France.
Comme dans le cas de la population masculine, au cours de l’analyse de la population féminine,
on a constaté que seulement en Italie l’élément économique semble décourager les couples à avoir
des enfants. Par ailleurs, en France ce sont les femmes au foyer qui ont davantage l’intention d’avoir
des enfants ; cela peut être interprété comme la persistance de comportements traditionnels dans une
société fortement sécularisée, puisque seulement 10% des femmes françaises se déclarent au foyer,
alors que le pourcentage monte à presque 40% en Italie.
Enfin, en regardant seulement les femmes à la fois en couple et en activité, on comprend qu’en
France comme en Italie, le travail pèse sur la décision d’avoir un enfant. Cela peut être compris en
imaginant que dans les deux pays la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle ne semble
pas être encore complétée. Cela émerge tout particulièrement dans le cas de l’Italie : lorsqu’on se
focalise sur l’analyse des entretiens, les femmes déclarent vouloir arrêter leur activité professionnelle
quand elles tombent enceintes, soit dans le cas de congés rémunérés et protégés par la loi, soit si cela
n’est pas possible, en se retirant « momentanément » du marché du travail.
Même dans le cas de l’analyse de la population féminine en couple et en emploi, on a noté que
c’est seulement dans le cas des femmes italiennes que la situation économique semble avoir un effet
sur la décision d’avoir un enfant.
Pour conclure ce paragraphe, on peut affirmer qu’en Italie plus qu’en France les projets de
fécondité semblent être soumis à nombreux facteurs. On a constaté que l’élément qui pèse davantage
sur ce choix est la peur de ne pas pouvoir faire face économiquement à l’arrivée d’un enfant ou d’un
enfant supplémentaire. Ce facteur apparaît comme l’un des fondamentaux pour expliquer le décalage
entre les enfants désirés et les enfants réellement mis au monde. A ceci, il faut ajouter le fait de
prétendre, au moins dans le cas de la population masculine, à un travail stable et préférablement bien
rémunéré. C’est du croisement de ces facteurs, conjoints à des facteurs de type culturel, comme la
persistance d’une forte asymétrie de genre et d’une sortie tardive du foyer parental, ainsi que des
facteurs liés au marché du travail (emplois distribués de manière déséquilibrés sur le territoire,
maintien de postes précaires et atypiques jusqu’à des âges avancés, chômage), que se modélisent les
intentions de fécondité. Il semble évident que sous ces conditions les personnes italiennes arrivent à
réaliser moins d’enfants que ceux qu’ils désirent.
97
4. « Ma perché, perché perché ? »66 La politique familiale fait sont entrée !
Dans ce paragraphe, on s’apprête à analyser les résultats de l’étude à la lumière des différentes
mesures d’aide aux familles mises en place respectivement par l’État français et l’État italien. Ainsi
faisant, on veut comprendre les obstacles qui empêchent les projets de fécondité à partir de la
compréhension du contexte national dans lequel les individus agissent.
Comme on l’a déjà mis en exergue au cours des chapitres précédents, la politique familiale peut
être composée de nombreuses mesures ; dans cette études on a considéré tout particulièrement les
mesures en aides aux familles et compensant les coûts éventuels liés à l’arrivée d’un enfant, à sa prise
en charge et son éducation, ainsi que les mesures conciliant la vie familiale et l’activité
professionnelle. En outre, on a tenté de comprendre dans quelle mesure l’État s’est investi dans la
prise en charge de la population enfantine à travers l’ouverture de services de garde d’enfants
collectifs.
A côté de l’étude de ces mesures en direction des familles, on a tenté de comprendre comment
l’État français et l’État italien ont décidé d’agir dans la société, c’est-à dire quels principes ont motivé
l’action du gouvernement dans ces pays. Au cours de ce paragraphe, on veut revenir sur ces points
tout en essayant de comprendre les résultats de l’analyse à la lumière des différents contextes
nationaux. Pour cela, je tenterai de passer en revue les mesures en directions des familles, ou bien le
manque de ces mesures, pour rendre compte des obstacles qui empêchent la réalisation des intentions
de fécondité dans les deux pays. Cela pourra, en partie, expliquer le décalage plus ou moins marqué,
entre désir de fécondité et la fécondité réellement réalisée.
Parmi les difficultés que les couples rencontrent dans la prise de décision concernant la
fécondité, on a noté que le facteur économique joue un rôle de premier plan. Le pays qui semble subir
plus profondément le poids du manque des conditions matérielles pour faire face à l’arrivée d’un
enfant est sans aucun doute l’Italie. Ceci est apparu à plusieurs reprises, ce qui souligne davantage
l’importance de sentir l’environnement matériel favorable et le milieu d’habitation propice, avant de
décider d’avoir un enfant. On a constaté par ailleurs, que les problèmes économiques peuvent être
réels ou seulement dans les opinions, mais que dans les deux cas, c’est la façon dont les individus
perçoivent leur situation qui détermine les projets de fécondité. Comment motiver la plus grande
difficulté des italiens et des italiennes à réaliser les enfants désirés ? On regarde de plus près les
transferts économiques.
66 De « Il caffé della Peppina », chanson italienne pour enfants des années 1970.
Les transferts économiques : avec ce terme, je considère tout type de mesures en direction des
familles, ceci peut comprendre les allocations, les mesures en soutien du revenu, les bourses d’études,
ainsi que les déductions fiscales.
En France, on sait qu’il existe de très nombreuses mesures en direction des familles qui
soutiennent les individus tout au cours de leur vie et tout particulièrement dans le moment où ils
décident de créer une famille. On sait aussi, que ces mesures se sont longtemps inspirées de principes
natalistes et pour cela les aides en directions de familles nombreuses ont été, à certaines époques,
particulièrement généreuses. Ceci semble pouvoir expliquer pourquoi les couples français ne
considèrent pas comme un obstacle insurmontable les problèmes liés à la situation économique. Bien
qu’il puisse y avoir des problèmes matériels liés à l’arrivée d’un enfant, les individus savent pouvoir
compter sur l’aide de l’État. Cela non seulement encourage davantage les couples à avoir des enfants,
mais crée aussi un environnement favorable pour la prise de décision puisque les personnes peuvent
avoir confiance dans l’avenir.
En revanche en Italie, l’État n’a jamais réellement pris en charge les coûts liés à l’arrivée d’un
enfant et à son maintien tout au cours de sa jeunesse. Les aides directes en direction des familles
restent très peu nombreuses, très peu généreuses et soumises à des conditions restreintes, telles que
le revenu, le type d’emploi, la zone de résidence67. Sous cet aspect, la prise de décision concernant la
reproduction devient une question strictement personnelle et pour cela les individus doivent évaluer
concrètement l’arrivée d’un enfant (ou un enfant supplémentaire) et ses coûts.
Toujours en Italie, les déductions fiscales semblent prendre davantage en charge la présence
d’enfants ; toutefois même dans ce cas, elles ne sont pas assez généreuses pour compenser leurs coûts
réels (ou les coûts d’autres éventuels parents à charge).
Ce manque, non seulement n’encourage pas les projets reproductifs, mais il ne semble pas non
plus favoriser la confiance envers le futur, puisqu’en cas de problèmes les personnes italiennes ne
pourront pas compter sur l’aide de l’État. Ceci semble être une première raison pour expliquer
pourquoi les familles italiennes réalisent moins d’enfants qu’elles n’en souhaitent.
Les mesures conciliant travail et famille : d’autres aspects qui ont émergés grâce à mon
analyse son liés à l’emploi et à la place des individus sur le marché du travail. Cela semble être le cas
à la fois de la population masculine et féminine de France et d’Italie. Le travail de nos jours, non
seulement est l’instrument nécessaire pour gagner sa vie, mais il est devenu aussi une forme de
gratification pour les hommes et spécialement pour les femmes ayant atteint des niveaux d’études
élevés. Alors qu’en France, même dans ce cas, l’État a toujours participé activement à la modélisation
67 Puisque certaines mesures en direction de famille sont délivrées au niveau régional, voire communal.
99
d’un environnement favorable à la conciliation entre responsabilités différentes, et notamment entre
le soin des enfants, de la maison et du travail ; en Italie la conciliation reste encore difficile et les
rapports de genre restent très fortement asymétriques tout particulièrement dans certaines régions du
Sud. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’en France la situation soit parfaitement équilibrée, puisque
c’est la femme qui a toujours en charge la plupart du travail domestique, mais elle se trouve aussi
dans une position active sur le marché du travail, ce qui permet qu’elle puisse bénéficier d’aides en
cas de maternité et des congés rétribués.
En Italie, cela est beaucoup moins le cas, puisqu’il existe encore une profonde différence de
genre concernant le taux d’activité. Les femmes sont beaucoup moins souvent en activité que les
hommes, et lorsqu’elles sont en activité elles habitent les plus souvent les régions de l’Italie du Nord,
ce qui crée des profondes inégalités entre sexes mais aussi entre femmes, puisque certaines pourrons
bénéficier du congé maternité rétribué en cas de grossesse, alors que pour d’autres la charge
conséquente à la naissance d’un enfant sera complètement un devoir de la famille, surtout du point
de vue financier.
De plus, alors qu’en France les femmes désirant rester à côté de leur enfant au cours de ses
premières années de vie, pourront le faire en bénéficiant de mesures telles que l’APE ; en Italie où les
femmes désirent davantage rester veiller auprès de leurs enfants, elles pourront bénéficier du congé
parental seulement si elles sont formellement active sur le marché du travail et de préférence dans un
emploi stable et dans le secteur public. De nombreuses mères travaillant dans postes atypiques, voire
peu protégés par la loi, se trouvent très souvent obligées de quitter leur emploi. D’autres encore
pensent qu’il est juste que les mères n’aient pas de travail pendant la période où l’enfant à moins de
trois ans, indépendamment de la possibilité de profiter d’aides pour la maternité. Elles comptent de
reprendre une activité par la suite, sans considérer pour autant que plus l’on reste au dehors du marché
plus il sera difficile d’y rentrer.
En effet, les allers-retours entre activité et inactivité pour les femmes et tout particulièrement
pour les femmes peu qualifiées, ne peuvent qu’affecter leurs carrières ainsi que la possibilité de
pouvoir bénéficier un jour de la retraite.
En France, même dans ce cas, l’État semble protéger davantage la maternité par rapport à
l’Italie, non parce qu’il existe de plus nombreuses mesures, mais pour le fait que la femme se trouve
plus fréquemment en activité, et pour cela elle est protégée par la loi en cas de grossesse. En revanche,
en Italie elle se trouve moins souvent en activité et donc rarement peut bénéficier d’aides dérivant de
son statut de travailleuse. Alors qu’en Italie les mesures en protection de la maternité existent, et il
existe aussi des mesures protégeant la maternité des femmes se trouvant au dehors du marché du
travail68, celles-ci ne semblent pas être suffisantes, ou bien elles n’arrivent pas à garantir la protection
de toutes les femmes en ayant besoin.
En ce qui concerne le taux d’activité féminine de l’Italie, on peut expliquer la profonde
différence avec celui de la France, d’un côté par la persistance d’une idéologie traditionaliste qui veut
que la femme reste liée aux tâches domestiques, et de l’autres côté par l’existence d’un profond
problème de chômage et par le maintien d’un très ample marché de travail informel et au noir.
Même sous cet aspect, il existe de profondes différences entre le Nord et le Sud de l’Italie, ce
qui cause des encore plus profondes différences entre travailleuses et mères du Nord et travailleuses
et mères du Sud.
Bien que la persistance d’un déséquilibre entre sexes semble être plus marquée en Italie, on
note que dans les situations où les familles peuvent bénéficier du congé parental, c’est toujours la
femme qui en profite, que ce soit dans le cas de la population italienne ou française.
Enfin, tandis que la conciliation entre les temps de vie reste encore partielle en France comme
en Italie, on a montré qu’encourager l’entrée des femmes sur le marché du travail en règle leur
permettrait de bénéficier davantage des mesures en soutien à la maternité.
Les services de garde d’enfants collectifs : toujours en considérant les éventuels obstacles à
l’arrivée d’un enfant, on a tenté de comprendre quel rôle peut avoir la présence de nombreux
équipements collectifs de garde d’enfant sur le territoire. On a essayé de comprendre aussi les
opinions et les attentes concernant ce type de service pour voir si l’absence de ces structures puisse
être imputable, d’une part, à un faible investissement de la part de l’État et, d’autre part, de la
persistance de mauvaises croyances à propos des modes de garde collectifs. Cet aspect on a pu
l’analyser grâce à l’étude du contenu des entretiens, lesquels ont reporté une opinion sensiblement
différente entre français et italiens.
Si en France, comme l’on a déjà mis en évidence, les services de garde d’enfants sont largement
répandus sur tout le territoire, et les personnes ayant des enfants en bas âge estiment qu’ils sont des
équipements nécessaires non seulement pour aider les parents qui travaillent à concilier leurs doubles
responsabilités, mais aussi comme instrument éducatif et de socialisation des enfants.
La construction de ce type de services, on l’a vu, a suivi le double objectif de permettre aux
parents, et tout particulièrement à la mère, de rester en emploi pendant les premières années de vie de
l’enfant, et aussi de garantir la plus ample égalité entre enfant en encourageant une éducation précoce
et universelle.
68 Assegno di maternità (AM).
101
A côté de ces services, l’État français a favorisé la création d’autres type de prestations, telles
que l’allocation de garde d’enfant à domicile et l’emploi d’une assistante maternelle ; celles-ci ont
été motivées par le principe du « libre choix » des parents, c'est-à-dire que l’État à encouragé les
parents à décider le mode de garde d’enfant préférable étant données leurs exigences, ce qui a permis
la mise en règle de postes sur le marché du travail.
En Italie, les choses apparaissent plus compliquées puisque l’opinion concernant les
équipements collectifs de garde d’enfants reste très ambigüe et très souvent contradictoire. Au cours
des entretiens, on a noté une certaine hostilité et réticence de la part des femmes à ce type de service ;
les répondantes soit déclaraient préférer laisser leurs enfants à un membre de la famille, soit
déclaraient de ne pas vouloir déléguer leur tâche éducative à un inconnu aux prix de décider de quitter
l’emploi. Comme on l’a déjà dit, il semble qu’en Italie le devoir éducatif reste une prérogative de la
femme puisque très peu de mères décident de ne pas veiller sur leurs enfants pendant leurs premières
années de vie.
A côté de ce groupe de femmes, qui est pour autant assez nombreux, on a constaté qu’il existe
une opinion beaucoup plus positive envers les services collectifs de garde d’enfant. Il s’agit d’un
groupe plus restreint moyennement plus cultivé et très souvent en activité. Ces femmes sont
favorables à l’utilisation des modes de garde d’enfants puisqu’elles croient qu’il est un instrument
éducatif et de socialisation. Toutefois, même parmi celles qui apprécient une socialisation collective
précoce, certaines se plaignent que les crèches restent très peu nombreuses en Italie et très souvent
trop chères pour pouvoir en bénéficier. De ce point de vue, on est obligé de souligner à nouveau la
répartition déséquilibrée des équipements sur le territoire italien ; alors qu’au Nord le taux de
couverture atteint dans certaines régions 20%, au Sud il atteint 2% dans le pire des cas. Cela ne peut
que faire perdurer les différences entre régions, autant dans la possibilité de profiter d’un service, que
dans le maintien des différences de genre concernant l’activité des femmes avec des enfants en bas
âge.
Ces deux facteurs semblent fortement corrélés puisque la persistance d’une mentalité
traditionnelle empêche à la femme de vouloir travailler pendant que les enfants grandissent, et alors
qu’elle désirerait travailler elle ne peut pas le faire à cause du manque des services de garde, ou par
ses coûts trop élevés. Ceci semble créer une sorte de cercle vicieux.
En ce qui concerne l’existence d’autres modes de garde d’enfants, comme des assistantes ou de
baby-sitter, d’un côté il persiste une certaine méfiance, d’un autres côté, les familles quand elles en
ont besoin, sont obligées à s’adresser au marché du travail au noir. Il n’existe pas jusqu’à présent des
mesures encourageant la régularisation des personnes aidant les familles dans les tâches de soin aux
enfants ou de la maison.
Même dans ce cas, l’État français a atteint des meilleurs résultats que l’État italien. Non
seulement il a réussi à favoriser la conciliation entre les temps de vie, et il a encouragé un modèle
égalitaire et (presque) universel de garde d’enfants, mais il a aussi réussi à créer de postes de travail,
ainsi qu’à favoriser un plus grand équilibre dans la famille concernant le soin des enfants. En Italie,
on remarque encore une fois, la persistance de profondes différences au niveau territorial concernant
les investissements pour la garde d’enfants collective, ainsi que le maintien d’une certaine hostilité
envers ce type de service, motivée en partie, par le maintien d’une mentalité encore traditionnelle.
Il faut noter que l’analyse des entretiens menés à Naples, sous cet aspect, a pu induire un certain
biais dans mon étude, puisque les modes de vie dans cette ville restent fortement traditionnelles ;
toutefois, cela représente fidèlement une partie de la population italienne qui habite notamment les
régions méridionales. En effet, on aurait pu avoir des résultats probablement différents en analysant
le contenu des entretiens de Bologne ou Padoue ;cependant, cela ne fait que confirmer le constat
qu’en Italie il continue à exister deux modèles reproductifs différents qui sont le résultat du maintien
d’une idéologie plus traditionaliste au Sud associée à un différent investissement de la part des
pouvoirs publics régionaux dans la création de mesures et de services en direction des familles.
« Le paradoxe » est alors qu’en Italie du Sud, où les modes de vie traditionnels sont encore
largement répandus, les couples ont plus souvent plus d’enfants et en désirent davantage. Au
contraire, en Italie du Nord, où les équipements collectifs sont plus présents sur les territoires et où la
femme travaille davantage, on a constaté que les couples désirent moins souvent d’avoir trois enfants
ou plus. C’est dans ces mêmes régions que les intentions de fécondité semblent être moindres. On est
alors porté à croire que dans les situations où il s’est vérifié le passage vers une société plus moderne
et plus semblable aux sociétés de l’Europe du Nord et Continentale, les couples limitent davantage
leur descendance finale, probablement en coïncidence d’une politique familiale qui reste, même dans
les régions de l’Italie du Nord, encore trop peu attentive et généreuse.
La division des tâches domestiques : enfin, un autre élément qui peut expliquer la difficulté
des couples à réaliser les enfants désirés semble reposer sur une répartition déséquilibrée des tâches
domestiques au sein de la famille. Bien que cet aspect ait déjà été examiné au cours de l’analyse des
résultats, puisqu’il est ressorti de l’analyse de la conciliation entre les temps de vie, comme de
l’analyse de l’opinion sur le mode de garde collectif ; on croit qu’il est important de le voir
singulièrement pour comprendre davantage l’action de l’État en direction des familles.
On a constaté qu’en Italie, l’insatisfaction dérivant d’une répartition des tâches domestiques
inégalitaire semble décourager les femmes en activité à avoir des enfants à court terme. De plus,
l’analyse des correspondances multiples a mis en évidence que plus on se rapproche du secteur des
103
femmes travaillant, plus le désaccord et l’insatisfaction pour la division des tâches domestiques
augmente. Cela n’est pas le cas de la France, ou la satisfaction et l’insatisfaction se situent autour de
la même population.
Bien que l’on ne croie pas qu’en France la charge domestique soit également repartie entre
homme et femmes, on peut noter qu’elle apparait plus égalitaire qu’en Italie. Cela, selon mon
interprétation, est dû au fait que la femme se trouve le plus souvent sur le marché du travail. Alors
qu’en Italie les rôles restent très séparés et ancrés dans les sexes, en France l’homme comme la femme
contribuent à l’économie du ménage et à la prise en charge de la maison. En Italie, soit les rôles
restent très fortement divisés, soit quand il existe une plus grande égalité dans l’emploi, la femme
reste celle qui doit s’occuper du travail domestique.
A la lumière de la majeure égalité entre les sexes constatée en France, on se demande en quoi
la politique familiale peut y avoir contribué. On croit que la politique familiale françaises en ayant
donné une égale responsabilité aux parents face au maintien et à l’éducation des enfants, et en ayant
légitimé la femme à entrer massivement sur le marché du travail, elle a aussi créé des normes
concernant le rapport homme-femme et tout particulièrement concernant la division du travail
domestique.
Avec cela on ne veut pas affirmer que les couples français aient atteint la plus complète égalité,
mais déjà le fait que la femme puisse profiter d’un salaire, l’enlève d’un rapport de dépendance face
au conjoint.
De ce point de vue, l’État italien avec son action a encouragé des principes ambigus face au
rapport homme-femme, de temps en temps il a encouragé l’entrée de la femme sur le marché du
travail, d’autre fois, au contraire, il a favorisé le maintien d’une conception plutôt traditionnelle de la
famille. Même dans ce cas, il semble y avoir plus d’obstacles en Italie qu’en France à l’arrivée d’un
enfant ; si la charge des enfants paraissait être seulement une prérogative de la femme, elle induirait
forcément une réduction de sa fécondité puisque l’arrivée d’un enfant supplémentaire ne ferait
qu’augmenter sa quantité de travail.
Pour résumer, on peut affirmer qu’en Italie la décision d’avoir d’enfants semble être contrainte
par de très nombreux facteurs. Les couples rencontrent de nombreux obstacles auxquels ils n’arrivent
pas à faire face en l’absence d’aide de la part de l’État. Il émerge que non seulement les mesures en
direction de familles sont encore très peu nombreuses, mais que celles-ci ne réussissent pas à créer
un environnement favorable qui puisse encourager la réalisation des enfants.
Ces difficultés, associées à la persistance d’une idéologie encore plutôt traditionnaliste et au
maintien de nombreuses différences territoriales, semblent pouvoir expliquer en partie la faiblesse du
taux de fécondité italien. En effet, on a constaté qu’au niveau idéal, tous les couples désirent au moins
deux enfants ; l’écart entre le désir de fécondité et la fécondité réellement réalisée pourrait ainsi
expliquer, sous certains aspects, le phénomène de la baisse de la fécondité en Italie.
En revanche en France, une politique sociale généreuse et attentive aux nécessités des familles
a permis de maintenir le taux de fécondité élevé, puisqu’elle a su prendre en charge les coûts liés aux
enfants. En outre, la politique familiale française a été stable dans le temps en réussissant à créer un
environnement favorable et propice; de ce fait, elle a mis les citoyens en condition d’avoir une
certaine confiance dans l’avenir.
L’État français avec son action positive, a accepté précocement différentes formes de vie
familiale ainsi que différentes manières de vivre la parentalité, ce qui a permis aux couples de pouvoir
décider comment faire « famille », tout en pouvant compter sur l’aide des pouvoir publics. Enfin,
l’État français a vivement encouragé l’articulation de la vie professionnelle et l’activité familiale
grâce à de nombreuses mesures conciliant ces deux aspects de la vie.
Au contraire, en Italie, l’État n’a pas élaboré des mesures favorisant la modélisation d’un
environnement favorable aux projets de fécondité, il n’a pas non plus créé des mesures aidant les
parents dans le soin des enfants ; mais il a préféré agir de manière passive en déléguant aux familles
les coûts de leur prise en charge, tout en continuant à imposer une notion plutôt normative sur ce qu’il
faut considérer comme famille. Les contradictions de la politique familiale italienne, ainsi que sa
faible attention envers les problèmes des familles, conjointement à de problèmes endémiques liés à
l’emploi et à l’économie du pays, arrivent à bien résumer les raisons de la faible fécondité italienne.
Pour conclure, on tient à souligner qu’on ne croit pas qu’une politique clairement nataliste
puisse être la solution à la baisse de la fécondité italienne, mais on encourage des actions positives de
la part de l’État afin de permettre aux familles de réaliser les enfants désirés.
De ce point de vue, la politique familiale française, bien qu’elle soit née avec des objectifs
natalistes explicites a réussi à se dépouiller au cours du temps de cet aspect, tout en favorisant le
maintien d’un taux élevé de fécondité, ainsi qu’en donnant la possibilité aux familles de mettre au
monde les enfants désirés.
Conclusions et perspectives de recherche :
A l’issue des résultats de la recherche, je veux revenir sur mon étude afin d’en faire un bilan,
d’en extraire les avantages et d’en comprendre les limites. Pour ainsi faire, je m’apprête, tout d’abord,
105
à parcourir à nouveau mes résultats pour évaluer leur justesse tout en considérant mes hypothèses de
recherche et les questionnements qui ont guidé mon travail d’étude.
Par la suite, je voudrais revenir sur les questions évoquées au cours de l’introduction pour
dresser un dernier panorama sur la situation démographique en Europe et pour évaluer comment la
France et l’Italie ont finalement répondu aux directives de la Commission Européenne. Dans un
deuxième moment, je voudrais évaluer brièvement les conséquences du maintien d’une faible
fécondité associé à la problématique du vieillissement de la population. Enfin, dans le dernier
paragraphe je voudrais présenter les limites et les points de force de mon travail d’analyse, ainsi que
réfléchir sur de nouvelles pistes de recherche et de nouvelles perspectives d’étude.
Un dernier regard sur les résultats : au cours de mon étude je me suis posé comme objectif
de comprendre le comportement reproductif des couples français et italiens tout en considérant « le
background » dans lequel les personnes agissent. Dans un premier temps, j’ai analysé la politique
familiale des deux pays, leur développement historique et les objectifs qui ont motivé l’action de
l’État au fil du temps. En outre, j’ai voulu étudier les politiques d’emploi pouvant affecter directement
le comportement des familles et notamment des femmes, je me réfère notamment aux mesures de
conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
La compréhension du contexte institutionnel dans lequel les individus agissent m’a permis
d’étudier plus précisément les désirs et les intentions de fécondité des couples de France et Italie.
Tout d’abord, j’ai tenté de comprendre quel est le comportement reproductif le plus encouragé, et
pour cela j’ai étudié les opinions des enquêtés, donc leurs attentes et leurs souhaits en matière de
progéniture. Cela m’a permis de savoir qu’en France comme en Italie, les personnes désirent avoir
des familles composées de deux enfants ; celle-ci est considérée comme étant la norme et la référence
symbolique dans les deux pays.
Dans un deuxième moment, j’ai essayé de décrire l’espace social dans lequel les personnes
prennent leurs décisions reproductives afin de comprendre, par la suite, quels sont les facteurs qui
influencent les intentions de fécondité. Enfin, j’ai complété la partie d’analyse en étudiant le contenu
des entretiens menés en France et en Italie dans le cadre de l’enquête REPRO ; ceci m’a permis de
saisir davantage le lien entre le contexte institutionnel dans lequel les individus agissent et leurs
intentions de fécondité à court terme.
Revenons alors sur mes résultats : il a émergé au cours de toute l’analyse qu’en Italie plus qu’en
France les couples ont du mal à réaliser les enfants qu’ils souhaiteraient avoir. L’analyse de type
quantitatif, nous a permis de démontrer que les personnes, avant de décider d’avoir des enfants, ont
besoin de se sentir dans un environnement matériel propice, ainsi que de pouvoir compter sur un
emploi stable. L’absence de ces éléments semble peser davantage sur la population italienne ; en effet,
alors que les désirs de fécondité restent élevés, les couples italiens n’arrivent pas à réaliser le nombre
d’enfants souhaité.
Ce constat nous permet d’affirmer que la politique familiale peut avoir un rôle significatif dans
la décision d’avoir des enfants, ou plus probablement, d’un enfant supplémentaire. En effet, à la
lumière de mes résultats, je suis porté à croire qu’en France la politique familiale a réussi à créer un
environnement favorable et propice qui permet aux couples de mûrir des perspectives et donc une
certaine confiance dans l’avenir. Dans cette situation, la décision de réaliser un enfant sera soumise à
moins de contraintes que dans le contexte italien où les couples expriment davantage de la crainte
envers le futur.
Toujours en regardant l’éventuel impact de la politique familiale sur le comportement des
personnes, on a été porté à réfléchir sur le rôle de la femme dans la société, ainsi que ses
responsabilités à l’égard de la famille et sa place sur le marché du travail. Mes résultats semblent
démontrer qu’en France, où l’État a mené une politique claire avec l’objectif déclaré de favoriser
l’égalité entre hommes et femmes, les femmes profitent d’une plus grande autonomie financière
comparées à leurs collègues italiennes, ce qui leur a permis de s’affranchir d’un rôle de subordination
par rapport au conjoint « pourvoyeur de ressources ». En outre, en France, l’Etat a soutenu et
encouragé la création de modes de garde d’enfants collectifs qui ont permis aux femmes, et en général
aux parents, de concilier l’activité professionnelle et la vie familiale. Ces formes d’accueil semblent
favoriser l’égalité de chances entre enfants face à l’éducation, alors qu’ils permettent aux mères de
rester en emploi pendant les premières années de vie du nouveau-né.
En Italie, la politique familiale avec ses contradictions et ses ambigüités n’a pas réussi à
s’affranchir d’une définition plutôt normative de la famille. Sous cet aspect, les responsabilités
familiales et surtout le soin des enfants en bas âge, restent la prérogative de la femme qui, cependant,
cherche à trouver une nouvelle identité en raison de sa nouvelle et croissante place dans l’emploi.
Il semble manquer en Italie une vraie reconnaissance du rôle de la femme dans son double rôle
de mère et de travailleuse ; de ce point de vue, une politique familiale explicite aurait pu rééquilibrer
les relations familiales et les rapports de dépendance qui en résultent. L’action étatique, au lieu de
promouvoir une plus grande égalité homme-femme, n’a fait que proposer à nouveau des
contradictions déjà existantes dans la société italienne : elle a en effet, a encouragé la femme à entrer
sur le marché du travail tout en continuant à déléguer aux familles le soin et l’éducation des enfants
en bas âge. Cela n’a fait que créer un profond conflit entre les attentes concernant la reproduction et
la gratification dérivant du fait d’être en emploi. Ceci peut expliquer en partie la faible fécondité
italienne.
107
A la lumière de ceci, je peux affirmer qu’il existe un lien entre la politique familiale et le taux
de fécondité, bien que cela soit de difficile de le calculer et que ses effets ne sont pas mesurables. En
effet, alors qu’en France une politique familiale généreuse et stable dans le temps, ainsi que des
mesures facilitant l’articulation entre vie familiale et activité professionnelle ont permis à la fécondité
de rester élevée, en Italie une politique familiale ambigüe et résiduelle s’inspirant du principe de la
subsidiarité mais encourageant un certain modèle de famille, n’a pas donné la possibilité aux couples
de réaliser les enfants désirés, et a maintenu de profondes asymétries entre les hommes et les femmes.
L’approche que j’avais proposé au cours du premier chapitre, attentive aux rapports, aux
relations et aux dépendances au sein de la famille m’a permis, comme je l’avais espéré, de comprendre
comment la famille est définie dans la mise en place des politiques sociales, ainsi que de comprendre
comment les obligations entre les membres de la famille s’articulent avec l’action de l’État.
Sous cet aspect, l’action active et dynamique de l’État français face aux problèmes de la famille
et des couples, a donné vie à un cercle vertueux puisque le taux de fécondité a réussi à rester élevé et
stable dans le temps. Au contraire, en Italie l’action passive et résiduelle de l’État n’a pas réussi à
promouvoir les principes d’égalité homme-femme, et a également maintenu des taux d’activité
féminine faibles, ainsi que un taux de fécondité à un niveau sensiblement en-dessous du taux de
remplacement des générations.
Enfin, en référence aux directives communautaires, la France plus que l’Italie a démontré
qu’elle était en mesures de s’adapter aux principes formulés dans les livres verts, puisqu’elle a su
encourager l’activité des femmes, l’égalité des chances entre citoyens tout en tentant de moderniser
sa politique familiale. Je m’apprête à discuter de cet aspect au cours du paragraphe suivant car ceci
me permettra d’éclairer, par la suite, les conséquences du maintien d’une faible fécondité.
Les appels de la Commission Européenne : comme on l’a mis en évidence au cours de
l’introduction, dans des récentes années les instances communautaires ont porté un nouvel intérêt aux
questions démographiques. La Commission Européenne, dans trois communications différentes, a
mis en lumière les défis démographiques auxquels les États membres sont soumis, tout en proposant
de nouvelles stratégies d’action. Les États membres ont été encouragés à une action positive visant à
la modernisation des systèmes de protection sociale pour pouvoir limiter les conséquences du
vieillissement de la population, favoriser un vieillissement en bonne santé, ainsi que pour promouvoir
une plus longue vie au travail. De plus, la Commission Européenne s’est investie pour que les couples
puissent avoir le nombre d’enfants désiré, en encourageant les États membres dans la construction de
modes de garde pour les enfants ; ceci permettrait aussi de faire augmenter le taux d’activité féminine.
Enfin, elle promeut une nouvelle solidarité entre générations pour éviter d’éventuels conflits
intergénérationnels.
En référence aux directives de la Commission européenne, on est amené à s’interroger sur la
manière dont la France et l’Italie ont essayé de répondre à ces défis démographiques. Même sous cet
aspect la France, plus de l’Italie, semble avoir tenté d’adapter son système social aux directives
communautaires, sans entrer dans le détail, mais en se limitant à regarder les aspects dont on a discuté
au cours de la recherche, la France a su promouvoir l’activité féminine, donc l’égalité homme-femme,
ainsi que la construction de modes de garde d’enfants collectifs. En revanche, en Italie, bien que des
progrès non-négligeables ont été faits depuis une dizaine d’années en matière de loi en défense des
parents-travailleurs, ainsi qu’au niveau territorial pour la construction d’équipements collectifs de
garde d’enfant, il manque une loi cadre et des actions gouvernementales harmonisant toutes les
mesures existantes dans le pays. De plus, il continue à exister de profondes asymétries hommes-
femmes concernant tout particulièrement la place sur le marché de l’emploi. Tout cela, ne peut que
causer de profondes inégalités parmi les citoyens ainsi que la persistance de profonds déséquilibres
entre les générations.
En regardant de plus près la problématique de la baisse de la fécondité en Europe, la
Commission Européenne a encouragé les États membres à prendre les mesures nécessaires pour que
les couples puissent réaliser les enfants désirés. Les conséquences du maintien d’une faible fécondité
associé au processus de vieillissement de la population ne peuvent que causer de profonds problèmes
pour les États membres. Il s’agit notamment du problème du financement des retraites, de l’explosion
des dépenses de santé, ainsi que de la diminution de la productivité du travail causée par la faible
quantité de travailleurs jeunes.
En ce qui concerne la fécondité, la faible descendance finale des femmes qui sont actuellement
en âge de procréer aura comme conséquence que, dans le futur, les femmes pouvant avoir des enfants
seront de moins en moins nombreuses.
Alors que ces questions doivent être affrontées par les États de manière systématiques, en Italie
encore une fois, les pouvoirs publics démontrent une faible capacité à trouver des solutions. En effet,
le vieillissement de la population est déjà à un état avancé, et les finances publiques ne se trouvent
pas non plus dans le meilleur des états de santé. En revanche, en France les pouvoirs publics semblent
avoir entrepris le chemin des reformes et notamment en ce qui concerne le financement des retraites.
Pour compléter ce paragraphe je voudrais souligner comme la méthode comparative et tout
particulièrement l’approche « centrée sur des cas » m’a permis d’éclairer les différences entre la
France et l’Italie. Cette manière de faire recherche, m’a donnée la possibilité de faire émerger des
aspects qui seraient restés inexplorés en faisant référence au seul contexte national. La comparaison
109
internationale est d’autant plus importante de nos jours, puisqu’on se retrouve dans un espace social
de plus en plus élargi. Comme je l’ai déjà dit, cette méthode nous permet de comprendre les bonnes
et les mauvaises pratiques des États, et pour cela peux servir aux autorités publiques comme outil afin
d’améliorer leur action et pouvoir ainsi donner des réponses positives aux requêtes des citoyens.
Grâce à mon travail de recherche j’espère avoir éclairé davantage les différences et les similarités
existant entre la France et l’Italie.
Pour aller plus loin avec la recherche, des nouvelles perspectives : dans le cadre de mon
travail de recherche je me suis intéressée tout particulièrement à analyser l’arrivée d’un enfant en
considérant l’aspect économique et les conséquences qu’il pouvait entrainer à l’égard de l’emploi. Ce
questionnement bien qu’il soit très ample, n’arrive pas à saisir la complexité du processus qui amène
de la décision d’avoir un enfant à sa réalisation. Au cours de mon travail, d’autres aspects auraient pu
être analysés. Ce que je propose alors, dans ce dernier paragraphe, c’est la formulation de nouvelles
pistes de recherche. Le travail de recherche de ce point de vue, apparaît comme une source inépuisable
d’idées.
Alors que dans mon étude j’ai tenté d’analyser l’aspect macro de l’arrivée d’un enfant, avec ses
conséquences sur le travail et la condition économique, j’ai ressenti comme nécessaire d’analyser
plus en profondeur l’aspect psychologique de la maternité, en tant que moment de création d’une
nouvelle identité pour la femme. En effet, il est intéressant de comprendre comment la femme dans
cette phase de la vie modélise et reconstruit son identité sur la base des ses nouvelles responsabilités.
Alors que dans le passé l’identité de la femme dérivait du fait d’être mère ou bien épouse, de nos
jours elle peut bénéficier de la gratification du fait d’être en emploi, ou bien d’être mère de famille.
Sous ces conditions, comment la femme peut-elle créer sa nouvelle identité ? Quels sont ses nouveaux
repères ? Comment son nouveau rôle est-il vécu ? En répondant à ce questionnement on pourrait
répondre de manière plus précise à la problématique de la baisse de la fécondité et on pourrait
davantage formuler des solutions.
Toujours en réfléchissant sur la problématique de la baisse de la fécondité, l’enquête GGS,
puisqu’elle prévoit un questionnement en panel, ne peut que nous fournir de nouvelles pistes de
recherche. L’une pourrait être d’enquêter sur les couples qui n’ont pas réussi à réaliser les intentions
de fécondité positives, déclarées trois ans auparavant. Cela permettrait de dresser le profil de ces
couples tout en considérant le contexte, leurs conditions du départ et les raisons qui ont empêché que
les intentions deviennent réelles. Ce type de recherche peut être fait en comparant des États différents
afin de comprendre les raisons et l’ampleur des attentes de fécondité restées inexaucés. Même dans
ce cas, la comparaison peut servir comme outil permettant de résoudre les problèmes grâce à
l’imitation des bonnes pratiques d’autres États.
Tous les questionnements que j’ai proposés servent à trouver des solutions à la baisse de la
fécondité, ce que l’on souhaite en effet c’est sa relance pour limiter les conséquences démographiques
du fort déséquilibre entre la population la plus jeune et la population la plus âgée ; mais aussi parce
qu’on croît qu’avoir autant d’enfants que souhaité est un droit légitime des couples.
Pour conclure, je tiens à dire qu’au cours de mon travail d’étude la plus grande difficulté que
j’ai rencontrée a été la comparaison de données quantitatives qui n’étaient pas harmonisées. Cela a
entrainé des nombreux biais dans mon analyse et en particulier cela a limité mon questionnement
sous de nombreux aspects. Par exemple, j’aurais voulu analyser davantage les opinions des couples
concernant le mode de garde d’enfants, les responsabilités de la femme au foyer, ainsi que les
dépendances entre membres d’une famille. D’ailleurs j’aurais voulu disposer des revenus et des PCS
détaillés de la population enquêtée. La non harmonisation des données italiennes m’a empêché une
comparaison complète avec les données françaises, alors que la base de données française, rédigée
en anglais, m’a crée des nombreux problèmes d’interprétation. En somme, alors que ces enquêtes ont
été prévues pour donner lieu à la plus ample comparaison, dans les faits elles apparaissent encore
comme difficiles à déchiffrer.
Malgré ces limites et les éventuels biais induits par mon interprétation et mon travail d’étude,
je suis fière d’affirmer que mes résultats trouvent confirmation dans la littérature existante, ce que je
souhaite alors c’est une relance de la fécondité en Italie, qui serait possible, si et seulement si, les
autorités publiques sont dans la mesure de compenser les coûts liés aux enfants, et créent un
environnement propice qui permettra aux jeunes d’avoir confiance dans l’avenir.
Pour terminer de manière définitive, je voudrais me référer à une citation importante de
Massimo Livi Bacci, démographe italien de renommée internationale. Dans un récent colloque, il a
affirmé qu’il existe deux aspects liés à l’arrivée d’un enfant, l’un privé, l’autre public. L’aspect public
de la maternité doit être considéré comme ayant une valeur sociale, qui ne peut pas être ignoré par les
autorités publiques, puisque la naissance des enfants est une forme de richesse pour la nation. Si la
procréation prend l’aspect d’un bien public duquel la collectivité tire des bénéfices, je ne peux
qu’exhorter l’État italien à la formulation d’une politique familiale stable dans le temps et avec des
objectifs clairs. Ceci dans le but ultime de : promouvoir l’égalité entre les citoyens et entre les sexes,
ainsi que de créer les conditions nécessaires à l’arrivée des enfants et relancer par ce moyen la
fécondité. Un plus grand dynamisme de la population italienne ne pourra que favoriser la croissance
111
de la nation, sous l’aspect du développement du capital social, de la productivité, mais aussi de la
croissance économique. J’espère qu’avec l’incitation des instances communautaires, l’Italie réussira
finalement à atteindre tous ces objectifs.
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