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Orbis Litterarum (1973), XXVIII, 235-292 Qu’est-ce qu’une situation dramatique ? Etude sur les notions 6l6mentaires d’une description de textes dramatiques Steen Jamen, Copenhague Le probl2me La question cCQu’est-ce qu’une situation dramatique?, est le titre du premier chapitre de l’ouvrage maintenant classique d‘Etienne Souriau Les deun cent mille situations dramatiques. La rkponse de Souriau est la suivante: c’est la figure structurale dessinbe, dans un moment donnb de l’action, par un systkme de forces;-par le syseme des forces prbsentes au microcosme, centre stellaire de l’univers th&tral; et incarnkes, subies ou animk par les principaux personnages de ce moment de I’action (. . .) ces forces sont des fonctions drama- tiques. (E. Souriau: Les deun cent mille situations dramatiques, Pans 1950, p. 55). Selon cette conception, l’cleuvre dramatique est fondte sur un syst&me de fonctions dramatiques qui se rkalise a travers des situations dramatiques momentankes, donc successives, et l’aide des personnages pr6sents dans chacune de ces situations. Souriau ne parle pas du dCcor ici. Les analyses de l’ouvrage de Souriau ont surtout pour but d’Ctablir l’inventaire des fonctions dramatiques et de prCciser les &gles de formation des systhes de forces. Malgr6 le titre de I’ouvrage, ce n’est pas des situa- tions - telles qu’elles ont CtC dCfinies ci-dessus - mais des systhes drama- tiques que traite l’ouvrage. Souriau emploie bien le mot de situation, mais la plupart du temps cornme synonyme de tMme, de <<situation initiale, ou de principe dkterminant plus gCnCral, de systkme; ainsi c’est du systkme et non pas des situations qu’il est question dans le passage que voici: (A l’origime j’ai entrepris I’btude qui va suivre en commempnt une analyse des Six personnages en quete d’autezu de Piandello. Les problemma que j’ai rmcmtr6s m’mt paru tels qu’il m’a sembl6 n6cessaiTe d’essayer de les r6soudre sur me base plus g6rale. -Arne Schnack, Knud Togeby et Anniik Wewer mt bien voulu reliie le texte dam une premiere n5dactim; je les remercie tous pour leurs nombreuses suggestions et leurs questions di€fkiles.)

Qu'est-ce qu'une situation dramatique? Etude sur les notions élémentaires d'une description de textes dramatiques

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Orbis Litterarum (1973), XXVIII, 235-292

Qu’est-ce qu’une situation dramatique ? Etude sur les notions 6l6mentai res d’une description de textes dramatiques Steen Jamen, Copenhague

Le probl2me La question cCQu’est-ce qu’une situation dramatique?, est le titre du premier chapitre de l’ouvrage maintenant classique d‘Etienne Souriau Les deun cent mille situations dramatiques. La rkponse de Souriau est la suivante:

c’est la figure structurale dessinbe, dans un moment donnb de l’action, par un systkme de forces;-par le syseme des forces prbsentes au microcosme, centre stellaire de l’univers th&tral; et incarnkes, subies ou a n i m k par les principaux personnages de ce moment de I’action (. . .) ces forces sont des fonctions drama- tiques. (E. Souriau: Les deun cent mille situations dramatiques, Pans 1950, p. 55).

Selon cette conception, l’cleuvre dramatique est fondte sur un syst&me de fonctions dramatiques qui se rkalise a travers des situations dramatiques momentankes, donc successives, et l’aide des personnages pr6sents dans chacune de ces situations. Souriau ne parle pas du dCcor ici.

Les analyses de l’ouvrage de Souriau ont surtout pour but d’Ctablir l’inventaire des fonctions dramatiques et de prCciser les &gles de formation des systhes de forces. Malgr6 le titre de I’ouvrage, ce n’est pas des situa- tions - telles qu’elles ont CtC dCfinies ci-dessus - mais des systhes drama- tiques que traite l’ouvrage. Souriau emploie bien le mot de situation, mais la plupart du temps cornme synonyme de tMme, de <<situation initiale, ou de principe dkterminant plus gCnCral, de systkme; ainsi c’est du systkme et non pas des situations qu’il est question dans le passage que voici:

(A l’origime j’ai entrepris I’btude qui va suivre en commempnt une analyse des Six personnages en quete d’autezu de Piandello. Les problemma que j’ai rmcmtr6s m’mt paru tels qu’il m’a sembl6 n6cessaiTe d’essayer de les r6soudre sur m e base plus g6rale . -Arne Schnack, Knud Togeby et Anniik Wewer mt bien voulu reliie le texte dam une premiere n5dactim; je les remercie tous pour leurs nombreuses suggestions et leurs questions di€fkiles.)

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. . . notre intention ne saurait Btre d’6num6rer deux cent mille situations. I1 suffit qu’il (c’est-%-dire le lecteur) sache d6jja le principe de leurs structures: une force thhatique (. . .) trapnt dans la vie plurale de quelques Btres un sillon, un COU-

rant, A partir duquel s’engendrent des tourbillons, des spirales de forces oil tous ces 6tres sont entrafn6s en actions, rkactions, courants, contrecourants, dessinant une figure dynamique oil ils se heurtent ou se froissent les uns les autres, selon une sorte de chorkgraphie morale, qui est l’essence de l’action th6iltrale (p. 183).

En outre, Souriau ne s’intkresse pas spkcialement aux ceuvres littCraires qu’on est, d‘habitude, convenu d‘appeler dramatiques, mais de toute d u a - tion humaine, - au sens large - susceptible d’Ctre analysCe a l’aide de sa thkorie; ainsi celle par exemple que dCcrit le rCcit biblique du thhme de la Tentation (p. 149) ou celle du Pari de Pascal (p. 275).

I1 me Semble qu’on risque de cette faqon d’introduire une confusion entre les notions de c<dramatique>> et de aon-dramatique>> et entre les notions de <<situation, et de ccsystkme,. Cela est d‘autant plus Ctonnant que la prkface de l’ouvrage est t&s Claire sur ce point. Souriau y dit qu’il veut

n’apercevoir dans le thkiltre qu’une sorte de succession de problkmes d’kchecs, dont les personnages sont les pions; ne voir dam l’action dramatique qu’un kalbidoscope de situations. (p. 5 ) Notre but a CtC: 1” de discerner par analyse les grandes afonctions dramaturgiques, sur lesquel- 1e-s repose la dynamique thatrale; 2“ d’btudier morphologiquement leurs principales combinaisons; 3” de rechercher les raisons des propri6t6s eststcthiques, si diverses et si van&, de ces combinaisons (que sont les <situations,); 4” d’observer comment ces situations s’enchafnent, ou par quels renversements elles se modiient, et comment ces modifications animent et avancent l’action thatrale. (p. 6)

A mon avis, il y aura B, avec quelques petites modifications, une excellente description de ce que pourra &re une analyse dramaturgique. Mais le risque dont j’ai parlk, et que j’ai cru voir dans l’ouvrage de Souriau, fait que I’analyse que je propose se distingue de celle de Souriau sur deux points importants: elle est plus spicifique en ce sens que je ne m’intbresse qu’d une certaine sorte d’ceuvres littkraires, c’est-&-dire & ce qui caractkrise les ceuvres appelkes dramatiques par opposition a autre chose, en particulier B d‘autres ceuvres littiraires.

De plus elle se place autrement par rapport & cette ceuvre dramatique en ce sens que je ne me demande pas tellement comment un auteur p u t arranger tel ou tel sujet pour le rendre apte B la prksentation thCbtrale, mais bien plus comment on pourrait Btablir une base acceptable et prkcise a la

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description des ceuvres dramatiques que nous connaissons et de celles dont nous pourrons faire connaissance un jour.

Dans le present travail, je retiens de la thCorie de Souriau d’abord l’id6e que la situation peut &re consid6rCe comme une unit6 que ne change pas et qu’on peut placer par rapport ?i d’autres situations, et puis celle que l’ceuvre dramatique peut &re consid6rCe comme une succession de situa- tions oh ce qui change c’est la structure d’une situation

La question de Souriau ccQu’est-ce qu’une situation dramatique?, pose alors pour moi, le problkme de savoir comment s’ttablit cette crunicitCn de la situation dramatique et comment on peut la ddimiter dans l’ceuvre dramatique. Bref: Sur quels ClCments et sur quels procCdCs se fondera un dkcoupage d‘une aeuvre dramatique en situations dramatiques?

Dans la premikre moitik du prCsent travail, j’essaie de relever et je discute les notions qui sont nicessaires pour une dCfinition de la situation dramatique telle que je la conqois. Ce sera une discussion gCnCrale portant sur les ClCments qui constituent une partie de la forme dramatique. Dans la seconde moiti6 je discute et j’essaie de rCsoudre certains problkmes pour la description de textes dramatiques, soulevCs par la dCfinition de la situa- tion dramatique que je propose.

On verra que je pa le presque exclusivement de ce qu’on pourrait appeler la ccforme extCrieureD de l’ceuvre dramatique. I1 y a P, B mon avis, un point de dkpart pour l’analyse de textes dramatiques, mais un point de dbpart qu’il faut avoir bien discut6, bien Cclairci, bien dCtermin6 avant de pouvoir continuer. Je pense qu’on peut faire ici une analogie avec l’analyse lin- guistique.

I1 est 1Cgitime de dire, je crois, que la linguistique en tant que science- c’est-it-dire en tant qu’ttude cohdrente, prCcise (ou nondquivoque) et com- minicable des langues-n’a pu 6voluer qu’B partir de travaux consacr6s avant tout A l’btude des sons, de l’aspect phonbtique, de la langue (dans un premier temps, des travaux de Grimm et de Rask au dCbut du XIXe sihcle; dans un second temps, plus p& de nous, des travaux de Saussure et de Troubetskoi) .

On peut aujourd‘hui rejeter en quelque sorte de telles Ctudes linguistiques et leurs conceptions thCoriques comme insuffisantes; mais il me semble difficile d’imaginer les nouvelles thCories - gCnCratives, transformation- nelles, translinguistiques, etc. - sans la base apportCe par les travaux en question. C’est pourquoi il ne me semble pas d6nuC d‘intCr6t de consacrer,

une autre.

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aujourd’hui, un certain effort des aspects dits extkrieurs des diffkrentes formes de textes litttraires.

l’ttude des problkmes que pose une ttude

Prkmisses gknkrales La solution d’un probl6me se fonde toujours sur un certain nombre de prk- misses postultes. Je comprends par lh un ensemble relativement restreint de notions qui caractkrisent le choix d’une certaine conception fondamen- tale de la problkmatique a analyser. Ces notions sont postulkes en ce sens qu’elles ne sont pas discuttes ici; leur validitk peut - et doit - &re discutke dans un autre contexte, ou bien par rapport a une probltmatique difftrente ou plus large (philosophique, sociale, idkologique ou autre) ou bien par rapport aux solutions qu’elles permettent de proposer. J’ai prtftrt esquisser une telle discussion B la fin seulement du prtsent travail. Mais je pense qu’il sera quand-meme utile de commencer par expliciter brikvement mes prC- misses, meme si elles peuvent paraitre assez banales. Je fais une distinction entre prtmisses gkntrales et prtmisses specifiques.

Je me propose de rtpondre ii la question que je me suis poste - <<Qu’est- ce qu’une situation dramatique?,, - en essayant de formuler un modkle thkotique de la probltmatique & analyser; la question concerne un dktail dans cette problkmatique.

Le mod6le thkorique, tel que je le con$ois ici, et la dkfinition de la situa- tion dramatique qui doit en faire partie, seront construits en vue de nous fournir des outils analytiques que nous pourrons utiliser dans la description de ce qu’on a l’habitude d’appeler ccceuvre dramatique,, c’est-&-dire dans la description de textes ou de spectacles dramatiques concrets et individuels.

Cela implique une distinction entre un modhle thtorique et des phkne mhes observables. Par un phtnomhne observable je comprends quelque chose-un texte ou un spectacle, tventuellement une partie de l’un ou de l’autre - auquel plusieurs personnes peuvent se rtftrer et se rtfCrer comme a une chose qui est la meme pour toutes. Par mod6le thtorique je comprends un ensemble cohtrent et structurk de notions abstraites et prt cises.

Entre le mo&le thtorique et les phknom2nes observables (dont le mod6le est dit Qtre le modde), il y a & la fois un rapport d’abstraction allant des phknomknes au m&le et un rapport de rkalisation allant du modhle aux phtnomknes. Je veux dire par que pour que le mod6le puisse &re dit un modkle des phknomhnes, il faut qu’il y ait entre ces deux rapports une im-

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plication rCciproque: le modkle doit Ctre Ctabli B partir d‘une observation de phknomknes, et les phCnomGnes ne pourront Ctre relevCs - observCs - qu’k l’aide d‘un modele, ne serait-il que t+s sommaire. Il en rCsulte, dans la construction du modhle, une sorte de va-et-vient

entre phCnomenes et modkle, oh quelques phtnomenes et l’embryon d‘un modkle d6limitent le nombre et l’eswe de phCnomhes & observer, oh ceux-ci servent de fondement B la construction d’un modkle plus ClaborC, et 0i.1 un modkle ne pourra Ctre dit adCquat par rapport B des phCnom6nes B dCcrire que si I’on peut dire que ces phCnomknes rCalisent Ies notions du m d l e . Ainsi un modkle thCorique est une hypothese qui pourra toujours &re modifiCe suivant son plus ou moins d‘utilitk pratique dans la description de phinomknes observables.

Aux notions d‘C1Cments et de relations que comprend le modkle thCorique on peut alors demander deux choses: d’abord qu’elles soient assez ghzntrules pour qu’elles puissent Ctre mises en rapport de faqon prCcise avec plusieurs ensembles distincts de phCnomhes observables; ensuite qu’elles soient for- mulCes de telle manihre qu’on puisse ZocaZiser et identifier de faqon prtcise les phCnom&nes observables avec lesquels les ClCments ou les relations du m&le thCorique sont mises en rapport.

Le m&Ie n’est pas B proprement parler un modkle des phCnomknes observables, mais d’une certaine problkmatique concernant ces phCnomhnes; c’est le modhle d’un aspect de l’ensemble de phhnomenes B dCcrire. Ce dernier est toujours un ensemble hCtCrogkne et infini; l’aspect est posC comme homogkne et provisoirement fini, sans quoi le modkle ne pourrait Qtre cohkrent, structure et prCcis.

Ici, j’appellerai cet aspect l’aspect dramatique. On pourra parler d’aspect dramatique comme d‘une notion t&s gen6ralishe - tendant B Qtre univer- selle-ou comme d’une structure particulEre propre a un texte ou B un spectacle donne. Le rapport entre les deux notions que d6notent ces deux acceptions du terme n’est pas-pour ce qui m’interesse ici- tr5s different du rapport d’abstraction/rCalisation entre le modkle thCorique et les phenno- mbes observables. Mais afin d’avoir des termes prhcis et nuanchs, je parle- rai, lorsque cela sera utile ou nhcessaire, de rCalisation lorsqu’on passe de l’aspect dramatique gCn6ralisC B l’aspect dramatique particulier d’une euvre donnCe, et de manifestation lorsqu’on passe de l’aspect dramatique particu- lier (ou de ces ClCments) aux phtnomknes observables d‘un texte ou d‘un spectacle donne.

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Parmi les prCmisses gCnCrales, il faut indiquer enfin que je congois ici le rapport entre un modhle thCorique Ctabli et un texte ou un spectacle concret et individuel de telle manikre que le modhle est applique au texte ou spectacle dCcrire. Par la je veux dire qu’il y a, dans l’analyse d’un texte ou d‘un spectacle donn6, <centre>> le modkle thCorique Ctabli et le texte ou spectacle donnC, une opCration - une application - qui consiste B trouver - ou B poser hypothktiquement - le <<joint>> qui permet d‘6tablir une telle relation entre le modkle et ce texte-ci que l’analyse respecte le m&le thkorique et aboutit a une description satisfaisante du texte ou spectacle en question. La description sera satisfaisante dans la mesure ob elle pourra Ctre discutCe en tant que description de ce texte-ci, et dans la mesure oh elle semble relever des traits qui peuvent caracteriser le texte.

Prbmisses spbcifiques Le modkle que je me propose d‘Ctablir est celui de I’aspect dramatique dans ce qu’on appelle d‘habitude ccceuvre dramatique,.

La notion d‘ceuvre dramatique comporte deux caradres que je retiens ici mmme principaux et distincts: d‘une part celui d’avoir une forme qui permet a l’ceuvre dramatique de se prksenter soit comme un texte i?i lire soit comme un spectacle ilt voir et a entendre; d‘autre part celui d’avoir une forme qui fait que l’ceuvre dramatique se prksente comme un tout achevC et plus ou mains structurt.

On peut dire aussi qu’il y a dans l’ceuvre dramatique quelque chose qui fait qu’on la reconnait c o m e (une ceuvre) dramatique et quelque chose qui fait qu’on la reconnait c o m e une ceuvre (dramatique).

Dans le modkle thtorique de I’aspect dramatique je fais correspondre B chacun de ces deux caractkres un <<plan>> dans l’ceuvre dramatique, et ensuite a chacun de ces <<plans>> un niveau dans l’analyse des ceuvres drama- tiques: un niveau de segmentation et un niveau d’intdgration.

Auparavant (6. ccEsquisse d‘une thCorie de la forme dramatique, in Langcrges 12, Paris 1968)’ j’ai Ctabli cette distinction entre deux plans dans l’ceuvre dramatique en analogie avec la distinction expression-contenu ou signifiant-signifid dans l’objet de l’analyse linguistique, et j’ai donc vu dans le premier plan l’ensemble des ccmoyens d’expression~ propre aux genres dramatiques, et dans le second les composants de <<la vision du monde, propre tt l’euvre en question. Dans une certaine mesure cette analogie peut toujours Qtre utile, mais comme on peut encore B l’intkrieur de chacun des

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plans ttablir des dichotomies expression-contenu (tel nom propre - tel per- sonnage, tel personnage - telle fonction dramatique), il semble plus adtquat de voir - avec cette analogie - une strie de plans qui peuvent, chacun, &re soit expression soit contenu suivant les plans avec Iesquels on les met en rapport. Et je pr6f6re alors, B la suite des travaux de Barthes (Introduction B l’analyse structurale du rtcit in Communication 8, Paris 1966) et de Ge- not (Analyse structurelle de cd‘inocchim, Florence 1970)’ concevoir la distinction entre deux plans dans l’ceuvre dramatique wmme like B une distinction entre deux niveaux de description; chacun de ces deux niveaux est caract6ris6 par ce qui est (pos6 comme) le but de la description au niveau en question. Pour ce qui est de l’analyse qui m’inttresse ici, je fais une dis- tinction entre (la partie de) la description qui doit segmenter le texte ou le spectacle en mitts, et (la partie de) la description qui doit intkgrer ces unit& dans un tout, et je parlerai alors d‘un niveau de la segmentation et d’un niveau de l’intkgration.

Vus en rapport avec le mod6le thtorique, je conqois les deux niveaux comme non seulement distincts, mais aussi indtpendants l’un de l’autre, en ce sens qu’il y a pour chaque niveau un ensemble de principes de descrip- tion propre B ce niveau.

Vus en rapport avec I’analyse d‘un texte ou d’un spectacle donnt, je mn$ois les deux niveaux mmme distincts, mais liCs l’un h l’autre, en ce sens qu’il doit y avoir, dans cette analyse, une unit6 qui r6sulte de la description au niveau de la segmentation et qui peut servir d‘unit6 de base pour la description au niveau de l‘intkgration.

Chacun des deux niveaux peut comprendre plusieurs op6rations distinctes et partielles, mais elles ont toutes pour but respectivement la segmentation du texte ou du spectacle en unit& (6ventuellement en unit& d’unitts) et l’intbgration de ces unites dans un tout structure et acheve.

C’est la distinction entre deux niveaux de description qui a m h e une distinction entre deux plans dans l’ceuvre dramatique.

Tel que j’ai post le problkme de dtfinir ce que c’est qu’une situation dramatique, c’est un probkme qu’on rencontre ou qui appartient au niveau de la segmentation, et ce qui suit ne prtsentera qu’une partie du mod6le thiorique de l’aspect dramatique, celle B 6tablir pour le plan qui correspond it ce niveau. De temps en temps, si c’est ntcessaire, je parlerai des rapports entre ce plan et l’autre plan de l’ceuvre dramatique.

J’ajoute que pour ce qui regarde les principes propres B la description au

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niveau de l’intigration, je m’en tiens encure B ceux que j’ai esquiss6s dans l’article de Langages 12 (pp. 84-89): les situations d‘une pikce dramatique - qui sont 6tablies par la description au niveau de la segmentation - forment une succession de situations et un ensemble de situations; entre les situa- tions il y a diffirentes relations; la description au niveau de l’intigration a pour but d‘examiner comment les situations de la pikce, B l’aide de ces rela- tions, sont intCgr6es dans des systkmes de situations ou des chaines de situa- tions.

Ce qu’on appelle d‘habitude ceuvre dramatique peut se pr6senter 21 notre observation de deux fasons: sous forme d‘un texte Ccrit ou sous forme d’un spectacle. I1 s’agit lli de deux ensembles de phinomknes qui d’une part sont diffkrents, et entre lesquels on peut d‘autre part Btablir un rapport de cor- respondance.

11s sont diffhents parce qu’ils ne sont pas compos6s de ph6nodnes d‘un meme ordre sensoriel ou perceptif: le texte 6crit est form6 de ph6nomknes linguistiques - et de ces phknomknes seulement - qui ngus sont toujours prisentis successivement, tandis que le spectacle outre ces ph6nomknes comprend aussi des phCnom&nes sciniques et a la possibilit6 d‘une pr6senta- tion h la fois successive et simultanie.

Pour ce qui est de la diffirence ‘linguistique vs scknique’ il me suffit ici, pour la pricker, de renvoyer a une d6finition que donne le sens commun ou la science linguistique: les ph6nomknes linguistiques sont des signes appartenant B une langue naturelle; et j’entendrai alors par phinomknes sckniques tous les effets non-linguistiques qu’on peut observer dans un spectacle: effets visuels, auditifs ou autres; le spectacle n’est pas ici limit6 aux mises en sdne du th6iitre traditionnel, il y a aussi le spectacle radio- diffus6 par exemple.

La diff6rence ‘successif vs simultan6’ est relev6e par Souriau, mais pour caractiriser la diffirence entre le thefitre et la peinture:

L’oeuvre picturale aussi a sa durke: nu1 contact instantank de 1’8me avec le tableau. Mais pendant ce temps, le jeu est presque libre. Je contemple A mon grk; le peintre dirige savamment ma contemplation, mais sans la contraindre, sans la minuter. (Souriau: op. cit., p. 17).

Dans les deux cas on observe les phknombes l’un a p e l’autre, on ne peut pas les voir tous B la fois; mais dans la prisentation successive l’observateur

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est obligC de les regarder dans un ordre que lui impose la prCsentation, tandis que dans la prksentation simultanCe chaque observateur peut choisir l'ordre dans lequel il regardera les phCnomknes qui lui seront prCsentCs. Dans le texte Ccrit l a signes de la langue naturelle qu'utilise le texte ne peuvent Ctre prbentb que l'un apks l'autre, et le lecteur, l'observateur, est bien obligC de suivre l'ordre dans lequel le texte prCsente ces signes, s'il veut comprendre le texte; dans le spectacle plusieurs acteurs, ou un acteur et des Cltments difftrents du decor peuvent nous Ctre prCsentCs tous

la fois. Pour ce qui est du rapport de correspondance qui p u t lier un texte Ccrit

et un spectacle, il s'agit Ei d'un phCnomkne qui doit Ctre prCcis6, ou dCter- mink d'une autre fason.

Je dirai que si un texte Bcrit et un spectacle sont dits prCsenter la meme ceuvre dramatique (ou les memes fragments d'une ceuvre dramatique), il doit exister quelque chose de commun aux deux ensembles de phCnombnes de sorte que les deux sont des manifestations kgalement adkquates de ce quelque chose. Ce quelque chose est l'aspect dramatique et je dirai qu'il est manifest6 par le texte Ccrit et/ou le spectacle.

L'aspect dramatique d'une certaine ceuvre dramatique peut se manifester dans plusieurs textes Bcrits diffkrents: manuscrit, Cdition imprimCe, ma- nuscrit des archives d'un thCiItre, et dans plusieurs spectacles diffCrents: diverses mises en sdne. Je ne consi&re ici que la diffkrence texte Ccrit vs spectacle; le texte lu (parlC, enregistrk sur bande) prCsente un problbme particulier que je n'aborderai pas maintenant: on pourra y voir un rntlange du texte Ccrit et du spectacle. Cela compliquerait inutilement, je crois, l'Ctablissement d'un modkle thCorique que de prendre en considkration ce cas aussi - qui par contre, une fois le modkle Btabli, se laissera probablement dCcrire plus facilement.

La notion d'aspect dramatique ne sera donc employCe que dans les cas oh l'on peut dire ceci: un texte Ccrit manifeste un aspect dramatique si et seulement s'il existe un spectacle correspondant (c'est-&-dire un spectacle qui est une manifestation Cgalement adequate) - et inversement. La notation cctexte/spectacleD utilisBe dans ce qui suit est une consCquence de cette limitation. Le cctexte/spectacle>> est un reprksentant de l'ensemble des mani- festations textuelles et thetrales d'une ceuvre dramatique (ou d'un frag- ment d'une euvre dramatique). Le cctexte/spectaclex n'est pas le texte avec les reprCsentations scCniques qu'il est possible d'en direr,; il n'est pas non

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plus la representation scCnique qui est le <<but> du texte dramatique, c<digne de ce nom,.

Ce rapport entre le texte et le spectacle peut Stre consid6x-6 de deux manihs. On peut y voir un postulat concernant ce que nous sommes tous convenus d’appeler acaeuvres dramatiques, et les relations entre le ccc6t6>> littbraire et le c<c6tC>> thatral de celles-ci; le postulat n’accepte ni la concep- tion qui fait ou du texte ou du spectacle un ph6nomhe subordorm6 a l’autre (6. Veinstein: La mise en sc2ne th&trale, Paris 1955; une grande partie de cet ouvrage discute le problbme de savoir lequel des deux est subordonn6 B l’autre), ni la conception qui fait des d e w les manifestations de deux euvres - ou de deux types d’ceuvres - n6cessairement diffkrentes (cf. In- garden: Dm Ziterarische Kunstwerk, Tubingen 1960, p. 337 s~.).

Mais on peut y voir aussi une prbcision des conditions dans lesquelles on trouvera un certain c<quelque chose,, et la d6finition de ce Ecquelque chose,, que j’ai choisi de d6nommer ccaspect dramatique,.

I1 y a pour moi des deux dans ce qui prkdde, du postulat et de la simple dbfinition. Une discussion du bien fond6 du postulat n’est pas, B mon avis, ntcessaire B ce moment de l’analyse, de la construction du modble. I1 me suffit de dire qu’il s’agit d’une dbfinition qui pr6cise de quels phCnombnes, c’est-&-dire de quels textes et de quels spectacles, j’ai l’intention de traiter, et de quel point de me, a savoir d’un point de vue qui lorsqu’il s’agit d‘un spectacle n’oublie pas le texte 6crit B travers lequel on peut connaitre aussi la piace, et lorsqu’il s’agit d‘un texte 6cnt tient compte aussi de la mise en s&ne a laquelle il peut donner lieu. (Cf. aussi la conclusion de 1’6tude de Maurice Descotes: Le drame romantique, Pans 1955, p. 347: crL‘6tude de la crCation du drame romantique prouve surabondamment que, dans le domaine dramatique, il n’est pas d’analyse Zittkraire possible qui ne tienne largement compte du r6le jou6 par les comCdiens>).

Rbplique et Rbgie Le modhle theorique de l’aspect dramatique comprend un ensemble organis6 d‘ClCments abstraits; le modkle doit nous permettre de rendre compte des phknomhnes observables de diffCrents textes/spectacles en tant que rCalisations ou manifestations sp6cifiques de l’aspect dramatique.

La premihre distinction B op6rer parmi ces ClBments abstraits est celle entre les Cl6ments qui se manifestent B l’aide de phCnomknes linguistiques qu’il s’agisse du texte ou du spectacle, et les 6lBments qui se manifestent de

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manibre Cgalement adkquate l’aide de phknomknes linguistiques dans le texte et

Les premiers ClCments forment la catkgorie de la Rkpplique, et les seconds celle de la Rkgie; et toutes les deux comprennent donc des klCments ab- straits appartenant a I’aspect dramatique.

Cette distinction m’amkne ensuite a formuler une hypothkse (ou dCfini- tion) qui dira qu’un ensemble de phCnom&nes, un texte ou un spectacle, pourra Qtre qualifib de dramatique si et seulement si tous les phknomhes peuvent Qtre dCcrits c o m e des manifestations d’Clkments appartenant l’une ou a l’autre des deux catkgories, la RCplique ou la RCgie.

Une telle dkfinition aura pour conskquence une distinction entre textes/ spectacles dramatiques et textes ou spectacles non-dramatiques qui peut Qtre utile lorsqu’on cherche a prtciser avec quels traits on pourra carac- tBriser l’aspect dramatique et ses manifestations: on aura intC&t a pouvoir exclure de l’ensemble des phCnomknes dont il faudra tenir compte, les textes ou les spectacles non-dramatiques aussi t6t que possible dans l’analyse.

Ainsi seront qualifiks de non-dramatiques des romans lorsque certaines de leurs parties (descriptions, rCflexions d’auteur par exemple) ne peuvent pas se manifester aussi et de manikre kgalement adCquate dans un spectacle, ni l’aide des msmes phknomknes linguistiques ni a l’aide de phknomknes sckniques. De meme pour des opCras ou des ballets qui contiennent des ClCments de musique ou de danse qui ne peuvent pas se manifester aussi de manikre Cgalement adkquate dans un texte.

I1 n’y a la rien qui wit contraire a un emploi habitue1 du terme de drama- tique. On pevt dire que la dCfinition du terme correspond a une sorte de <<normalisation, des textes dits dramatiques, normalisation qui intervient parfois lorsqu’on passe d’un manuscript a 1’Cdition imprimCe ou lorsqu’on adapte tel ou tel roman pour le thCitre; on trouve dans ces textes une distinction dam les formes typographiques qui cdincide avec la distinction entre RCplique et Rkgie. I1 ne semble pas qu’une telle normalisation ait toujours kt6 <<effective, (cf. les textes dans Gustave Cohen (Cd.): La <ccumkdie>> laline en France au XZZe sikccle, Paris 1931)’ mais elle semble bien 1’9tre aujourd’hui.

Dautre part la distinction dramatique vs non-dramatique correspond a l’opposition qu’exprime implicitement Jean-Louis Barrault lorsqu’il dit :

l’aide de phknomknes scCniques dans le spectacle.

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246 Steen Jansen

Le style de l’abbaye de ThClkme doit Cviter le pi2ge du ballet. Maintenir le jeu drarnatique, qui, peu h peu, est soulev6 par le rythme et les chants. Aucune gra- h i t6 gestuelle. (Rubelais, Paris 1968, p. 84; c’est moi qui souligne.)

Certains ClCments, mCme s’ils sont du thCitre, ne sont pas dramatiques. Enfin on pourra dire tout simplement que lorsque je dis ici d‘un texte ou d’un spectacle qu’il est non-dramatique, cela revient B dire qu’il ne pourra pas Qtre dCcrit de mani&re satisfaisante a l’aide du m&le de I’aspect drama- tique que je propose.

Les Cltments de la RCgie peuvent se manifester dans un texte par un minimum d’indications: un nom ou une indication de lieu, et, avant chaque rkplique, un nom de personne; mais il faut qu’il y ait ce minimum pour qu’on puisse appeler un texte dramatique.

Pour un texte o i ~ l’on ne trouve pas ce minimum (textes mkdievaux, par exemple), il doit Ctre possible de ccnormaliser>> le texte en m e de lui donner une forme dramatique-et en mCme temps, bien sar, d’avancer des argu- ments en faveur d’une telle normalisation - si l’on veut montrer qu’il s’agit d’un texte dramatique.

Probablement il n’y a pas de grande diffkrence entre le fait de dire qu’il doit Ctre possible de mormaliser>> le texte et le fait de dire qu’il doit Ctre possible d’ccutiliser, le texte dans une reprksentation; c’est l’une ou l’autre possibilitk qu’on discute lorsqu’on se demande si un texte est dramatique ou non, puisqu’on en revient toujours a discuter les e&kments narratifs, du texte en question, soit leur importance, soit la possibilitk d’en faire ou des indications sckniques (descriptions de lieu, de personnage, de jeux de scCne, etc.) ou des rCpliques cites par un jongleur ou un meneur de jeu (cf. Cohen: op. cit., pp. XII-XV; y sont discutks aussi, en passant, Le cuurtois d‘drras et Aucmsin et Niculette-le dernier comme un texte dramatique possible).

Souvent on fait des rkpliques d’une pikce dramatique la partie non seule- ment principale, mais aussi constitutive, en ce sens qu’on considkre <la masse des rCpliques>> c o m e I’Clkment, commun au texte et au spectacle, qui peut et doit Ctre rtalisk sckniquement par le spectacle, tandis que les indications scCniques du texte sont, ou bien nuisibles - parce que l’auteur y limite de fqon illkgitime la libertC du metteur en sdne -, ou bien inutiles - p a c e que le metteur en s&ne n’a pas a en tenir compte ou doit Ctre renseignk suffisamment par ce que disent les rkpliques.

Contrairement a cette conception de la place et de la fonction des rk- pliques dans l’ceuvre dramatique, je dirai que les Clkments de la RCplique

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Qu’est-ce qu’une situation dramatique? 247

se placent comme les Clkments de la Rkgie dans l’ceuvre dramatique, et les uns par rapport aux autres. I1 est vrai que dans notre tradition occidentale, ce sont les ripliques qui, apparemment, passent le plus souvent cctelles quellesx du texte au spectacle; pourtant il est - d‘apks ce qu’on m’a dit - t k s rare qu’un metteur en &ne ne fasse pas de coupures dans les rkpliques d‘un texte (ccil est tout fait lkgitime de faire des coupures dans un texte dramatique, B condition - expresskment - que le public ne s’en aperqoive pas.), et il a ou prend donc une libertk par rapport aux rkpliques autant que par rapport aux indications scCniques.

Dautre part, on pourra voir dam la cccammedia dell’arte, un exemple oh ce sont les ClCments de la RCgie qui passent cctels quelsn - autant qu’il est possible - du texte, du cccanavaw, au spectacle (surtout les personnages- types, les ccTipi fissb, et certains cclazzi>>, bouts de dialogues ou de mono- logues, etc., dont il existe un rkpertoire), tandis que les rkpliques sont plus clairement qu’ailleurs des variantes qui manifestent diffkremment les 616- ments (abstraits) de la Rkplique de la pikce en question; c’est le ccsujet>> de celleci qui les dktermine, ou plus exactement les ccsujets>> des diffkrentes situations de la pikce tels que la description au niveau de l’intkgration pourra relever ces ccsujets>>; la cccommedia dell’arte,, s’appelle aussi cccom- media a soggeton (Cf. les documents rassemblCs dans Petraccone: La com- media dell’arte, Naples 1927).

Meme si l’on arrive a Ctablir une dkfinition aussi rigoureuse que possible et une distinction precise entre les notions de ccdramatique>> et de ccnon- dramatiques>>, cela n’emp&hera pas, bien sOr, qu’il y ait des textes ou des spectacles qui seront difficiles B placer par rapport B cette distinction; 6. <<En encadrant au titre de notre recueil le mot cccomCdie>> dam des guillemets de prudence, je respecte les droits de l’opinion contraire, qui est d‘ailleurs souvent celle de mes propres collaborateurs>> (Cohen: op. cit.,

Mais parfois il s’agit de cas-limites qui peuvent inciter a essayer de prCciser ou de modifier l’hypothkse initiale afin de la rendre plus adbquate. Voici deux exemples: Acte sans paroles de Beckett est habituellement tenu pour dramatique; mais cette pikce prksente un problkme parce qu’il est impossible de la distinguer d’un ballet. Ce problkme m’amkne alors a pr6ciser qu’un texte/spectacle n’est dramatique que si les deux catkgories y sont manifestkes, toutes les deux et rien que ces deux. Cette prkision fera d’Acte sans paroles une pikce non-dramatique puisqu’on n’y trouve mani-

P- XV).

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248 Steen Jansen

festt aucun tltment de la Rtplique. Le terme de pr6-dramatique (ballet ou autre chose) lui conviendrait peutCtre: cela correspondrait B sa place <<typo- logique, dans la production de Beckett; et d’autre part le terme, applique a cette pike, sera en accord avec cette conception du thtgtre (ob Barrault insiste encore une fois sur la difftrence thCitra1 vs dramatique):

Le point de dipart du thatre, c’est un &re humain plac6 dans un espace-et non pas un texte. (. . .) Le texte a certainement une grande importance, mais il y a une toute autre chronologie dans le procBs de criation au thatre: d’abord une situation avec des changements et des mouvements dans la situation; ensuite la parole, plastique, sculptie. (Compte rendu d’un siminaire B Odin Teatret, dans le journal danois Information, le 2314 1970; ma traduction).

Pour prkparer un euf dur de Ionesco (Thkdtre, Paris 1954 et suiv. t IVY p. 231) peut illustrer un cas probltmatique d‘un autre type. c‘est un mono- logue qui pla& ailleurs que dans un recueil de <<thCfitre>> aurait plutdt 6t6 qualifiC de @me en prose. Le problkme ici n’est pas tant que le texte ne mentionne pas de dtcor ou de personnage, ne manifeste pas, dans le texte, d’6lCment appartenant B la Rtgie (je reviendrai sur ce problkme), mais que le mondoque se prtsente, dans le texte au moins, c o m e un seul tout indi- visible-entre autre chose parce qu’il n’y a pas de distinction manifestte entre R6plique et R6gie. Un tel texte/spectacle ne pourra pas &re dtcrit ici, parce que-et c’est cela que l’exemple m’amkne a pr6ciser ici-le modhle est c o n y pour la description d’ensembles de phCnom&nes, et ne pourra pas &re appliqut ii un phtnomkne qui est pos6, ou se pr6sente comme indi- visible et/ou isol6.

En d‘autres termes je dirai que, si l’analyse, au niveau de la segmentation, ne p u t pas dtcouper un textelspectacle donnt en plusieurs unitts, ou le placer comme unit6 dans un texte/spectacle dramatique plus ttendu, ce texte/spectacle sera tenu pour inalysable, ou - si l’on veut - pour a-drama- tique. Cela sera valable aussi pour des extraits - tels monologues de Phkdre ou de Thtramkne-dont on ne pourra dire s’il sont dramatiques ou non tant qu’on ne les place dans un contexte plus large.

Au lieu de qualifier un texte/spectacle de non-dramatique, on pourra dans d’autres cas optrer une distinction dans le texte ou dans le spectacle entre les traits qui sont pertinents et ceux qui ne le sont pas pour une description de l’aspect dramatique du textelspectacle en question.

Ainsi, lorsqu’on trouve dam un spectacle une chanson ou une danse (les deux dans Le mriage de Figaro par exemple), elle ne sera relevee que

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Qu’esf-ce qu’une situation dramatique? 249

comme une rCplique ou un mouvement A c6tC d‘autres rbpliques ou d‘autres mouvements; les traits qui caractCrisent sa forme musicale ou la chorC- graphie n’intkressent pas la description de l’aspect dramatique. UltCrieure- ment on notera peutdtre la diffCrence rCplique chantCe vs rkplique parlCe comme on peut noter la diffdrence voix grinqante vs voix douce, mais comme quelque chose qui intCresse seulement la manifestation qu’est le spectacle. De la m6me fqon, on trouve parfois dans le texte de certaines pikces des

indications scCniques qui ne sont pas c<dramatiquement>> pertinentes (ou ne le sont que de fqon t r k indirecte ou redondante). I1 y a par exemple, dans Henri ZV de Pirandello, certaines phrases de la longue description qui ac- compagne I’entrCe, peu aprk le dCbut, de Tito Belcredi, Matilde Spina, Frida et le docteur (cf. Pirandello: Thk&fre, Paris 1950, t I, p. 155; pour ce qui m’intCresse ici le texte franqais n’est pas diffCrent du texte italien):

. . . Tito Belcredi, qu’en upparence personne, pas plus elle que les autres, n’u jam& pris au skrieux. Ce que Tito Belcredi est en rkulitt pour elle, lui seul le sait bien . . . I1 seruit plein de vivacitC si sa souple agilitC . . . ne semblait enfer- mCe . . ., etc. (c’est moi qui souligne).

Cela resemble beaucoup plus a des descriptions de roman qu’a des indica- tions scCniques.

Au dCbut de La canfatrice chauve de Ionesco, certaines des rCp6titions de l’adjectif ccanglais~ ne sont pas pertinentes du point de vue qui m’in- teresse ici: <Un long moment de silence anglais . . . La pendule . . . frappe dix-sept coups anglaiw (Ionesco: ThGfre, t I, p. 19).

Dune fqon gCnCrale, on dira, pour ce qui est du texte, que le titre, la pr6face (1’6ventuel d6dicace) et la liste des <<dramatis personae, ne sont pas B considdrer comme faisant partie de la manifestation de l’aspect drama- tique du texte/spectacle.

I1 arrive qu’il wit difficile de dCcider si telle partie d‘un texte appartient ou non 5 la manifestation de l’aspect dramatique: des ClCments qui sont nCcessaires pour qu’on puisse parler de texte/spectacle dramatique peuvent se manifester dans ces parties seulement; c’est le cas par exemple pour l’in- dication du lieu, qui, dans le texte de la plupart des trag6dies classiques, se trouve seulement B la fin de la liste des personnages et non ailleurs. Mais I’ClCment qu’introduit cette indication du texte est manifest6 dans toutes les parties de la trag6die dans le spectacle, qui est l’autre prCsentation-Cgale-

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ment adCquate - de la meme tragbdie. Pour Ctre tout a fait rigourem, il faudrait au fond reprendre, dans le texte aussi, l’indication du lieu au debut de chaque acte - comme le font le texte des drames de Victor Hugo, par exemple.

Le m8me problkme peut se prdsenter lorsqu’il s’agit du spectacle. Vdci un exemple.

Dans son livre sur Molikre, Jacques Guicharnaud consacre, pour chacune des trois pikces qu’il analyse, un chapitre intitulk <<Avant la pihe,. Dans le premier de ceux-ci, il Ccrit:

Avant que le rideau se h e , le spectateur a en mains le programme. I1 y trouve le titre, le genre auquel appartient la pi&ce, les noms des personnages, le lieu de l’action. Ces renseignements sont 6videmment dkjG la pike. Le spectacle com- mence au moment oh je lis dans le programme: aTartuffe, ou l’lrnposteur, com6die en cinq actes en vers de Molikre,. (Jacques Guicharnaud Moli2re une aventure thkijtrale, Pans 1963, p. 19).

I1 se peut que le spectacle thCitra1 commence li~; mais selon la conception que je prCsente ici, le textelspectacle de Tartuffe ne pourra commencer qu’au moment oh il y aura une manifestation d‘6ltments de la RCplique et 8616- ments de la RCgie - et cela n’est pas encore le cas lorsque je commence a lire le programme.

Dans tous ces exemples, il s’agit de traits qui se trouvant dans l’une des prBsentations, n’y manifestent pas des ClCments qui peuvent se manifester de manikre Bgalement adCquate dans l’autre prCsentation, diff6rente et correspondante, du meme texte/spectacle.

En disant que de semblables traits (et parties) ne sont pas pertinents pour une description de l’aspect dramatique, je ne dis pas qu’il sont d6nuCs d’intC&t. 11s intkresseront par exemple une description du texte ou du spectacle en tant que fait stylistique par exemple. Pour La cantatrice chauve, on pourra ainsi remarquer que l’emploi de l’adjectif <<‘anglais>> que j’ai relev6 est un moyen d’exprimer l’ironie, mais un moyen qui n’ap- partient qu’au texte; il en est de meme pour les indications <<SC&NJ3 I>>, <<sceNE II>> . . .

J’ai appris qu’il existe une mise en s c h e rCcente de cette piece oh toute la partie initiale du texte est lue au dCbut du spectacle pendant que la &ne reste dans le noir. Je di~iai lA7 qu’on a fait alors de cette partie du texte une rCpliqueprologue, dite par un personnageconfCrencier, telle qu’on en trouve au d6but #Esther ou de La rksistible ascension d’drturo Ui. Le metteur en

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Qu’est-ce qu’une situation dramatique? 251

sdne du spectacle a dQ penser que l’ironie (et autre chose) exprimCe dans cette partie du texte Ccrit ttait si importante - et n’Ctait pas suffisamment explicite dans les autres manifestations des ClCments de la RCgie ou de ceux de la RCplique - qu’il fallait faire de cette partie du texte m e rkplique, s’il voulait prCsenter sur la sdne sa conception de la pikce. Reste a savoir si cela en fait la manifestation d‘une autre pikce que celle reprCsentCe a la Huchette il y a quinze ans; je pense que non. Je me demande Cgalement si ce metteur en sdne a fait des indications <<SC&NE I>>, <<SCXNE II,, etc. du texte des rkpliques aussi, dites par le personnage-confkrencier.

Inversement, la presence normale dans un texte dramatique de certaines parties peut faire de leur absence meme un trait <<intCressant>>, mais qui n’a rien a faire avec une description de l’aspect dramatique de l’ceuvre en question. Ainsi la premi4re phrase de la pike polonaise Le classeur de Tadeusz R6iewics est d c i il n’y a pas de liste des personnages>> (Polsk intro- duktion, Copenhague 1964, p. 127).

J’ai fond6 la distinction entre les deux catCgories, la RCplique et la RCgie, sur des diffkrences entre des ph6nomknes observables dans Ia manifestation de ces CatCgories. Un tel procCd6 risque facilement d‘aboutir une tautologie qui pourrait avoir pour constquence que la catkgorisation change avec les diffCrents phCnom4nes qu’on se propose de dtcrire au lieu de rester le fonde ment commun A des descriptions diffkrentes de phknomknes particuliers. Je vais essayer - par un exemple: celui de l’emploi de textes Ccrits dans le spectacle-de montrer que des phCnomknes en soi-ou en apparence- semblables peuvent manifester des ClCments appartenant a des CatCgories diffkrentes, et qu’on n’aboutit pas necessairement a une tautologie.

Dans certains spectacles on prksente sur la sdne des textes Ccrits. C‘est le cas dans les pikes conme M2re Courage et ses enfants et La rbtible ascension d’drturo Ui de Brecht, dans des pikces qui se passent dans une rue ou dans une gare, oh il y a diffkrents pancartes, noms de rue, enseignes, affiches, etc.; ainsi l’acte IV de Siegfried de Giraudoux.

Dans le premier cas, les textes kcrits sont des manifestations d’C1Cments appartenant B la RCplique, parce que ce sont P, dans le texte et dans le spectacle, des phCnomknes linguistiques: on ne pourrait changer les mots, les signes, du texte Ccrit sans changer la fonction de celui-ci dans la pBce, ou dans l’aspect dramatique. Dans le dernier cas, par contre, il s’agit, dans le spectacle, de phknom4nes scdniques: les mots peuvent changer (%Sortie, en c<Salle d‘attente,, c<Sens unique, en <<An& d’autobus>>), ou le texte Ccrit

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pourrait Qtre remplad par autre chose (silhouette d’un train par exemple) sans que soit changCe la fonction de cet ClCment dans la pikce; ce sont des manifestations d’Cl6ment.s appartenant B la RCgie.

Dans une pikce policikre - je n’en ai pas d’exemples presents B l’espnt - on pourrait avoir sur la sdne une affiche avec c<RecherchC pour . . .s et le nom et la photo de l’un des personnages. Dans ce cas, l’affiche doit Qtre considCrCe comme la manifestation d‘une rCplique, si le renseignement qu’elle fournit n’est pas donnC autrement. Mais souvent le texte Bcrit de l’affiche est aussi lu B haute voix par l’un des personnages, comme le fait par exemple le crieur A la fin du premier acte de CromweZZ. Alors le texte Ccnt de l’affiche est un Clkment pour ainsi dire redondant; l’affiche elle- meme - lue, mais qui n’a pas besoin d’avoir un texte lisible - est la mani- festation d‘un Clement de la RCgie, semblable par exemple B une lettre rque et lue par un personnage (cf. Lorenzaccio V, 2: la proclamation des Huit lue par L o r e m ; Bajazet IV, 1: la lettre de Bajazet, et IVY 3: la lettre d’Amurat - toutes les deux lues par Atalide).

Ainsi le texte Ccrit dans un spectacle peut &re la manifestation soit d’ClC- ments appartenant B la RBplique soit d‘C1Cments appartenant B la RCgie:; cela dCpend des rapports entre le texte Ccrit et les manifestations d‘autres Clements dans le textelspectacle donn6.

Personnage et Dkcor A I’intCrieur de la catkgorie de la RCgie on peut opCrer une autre distinction qui s’appuie sur le rapport qui existe, qui peut se manifester, entre les 616- ments de cette catkgorie et les ClCments de la RCplique.

Parmi les ClCments appartenant a la RCgie on peut isoler un groupe comprenant des BlCments qui sont dans un rapport d‘implication riciproque avec les ClCments de la RCplique, de telle fwon que pour chacun des 616- ments dans l’un des groupes il y ait au moins un ClCment correspondant dans l’autre groupe. Cela veut dire que, dans un texte/spectacle donnC, l’un ne se manifeste pas sans l’autre.

Les 6lCments qu’on peut isoler ainsi forment la sous-cat6gorie du Per- sonnage; le r a t e des ClCments de la RCgie forment la sous-catkgorie du Dkcor.

Le Personnage. J’entends donc par Personnage et DCcor des catdgories d’Cl6ments abstraits; ainsi le personnage de tel textelspectacle dramatique

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Qu’est-ce qu’une situation dramatique? 253

n’est pas en premier lieu une personne humaine qui dit un certain nombre de phrases.

Le personnage est un ClCment appartenant a la RCgie; il se manifeste dans le texte a l’aide de signes linguistiques (souvent des noms propres) auxquels on donne habituellement une certaine forme typographique distinctive; et il se manifeste dans le spectacle le plus souvent l’aide de personnes humaines, mais parfois autrement: la radio au dCbut des Mains sales de Sartre, le magnetophone dans La dernhe bunde de Beckett (je pense qu’une telle interpretation ou application donne la description la plus satisfaisante de la pikce), un point lumineux sur un fond noir pour le spectre au dCbut de Hamlet dans une mise en &ne de Gaston Baty.

l’aide du rapport d’implication rkciproque entre la catCgorie du Personnage et celle de la RkpIique qu’on dCtermine, dans un texte/spectacle donnC, les ClCments de la premikre catkgorie: il ne peut y avoir de person- nage sans replique et inversement.

Les textes projetes sur Ccran dans les pi&ces de Brecht, dont j’ai fait des manifestations de repliques, sont par consCquent aussi des manifestations de personnages. Aussi trouvet-on dans certaines mises en sdne ce texte 6crit sur un Bcran remplacC par un texte dit par un haut-parleur. (Et d’ailleurs on pourra probablement, au niveau de l’intkgration, dans l’analyse d’une suite de pitxes comme M&re Courage et ses enfants, La rhistible ascension d’drturo Ui et Le cercle de craie caucasien attribuer une fonction analogue dans l’aspect dramatique au personnage-Ccran dans la premi&re, au person- nage-conferencier dans la seconde (ou l’on trouve aussi un personnagedcran mais qui ne semble pas avoir la meme fonction que le personnage-6cran de la premi6re pike) et au personnage-narrateur dans la derni6re).

Dans Tueur sans gages, Ionesco donne, lorsque doit apparaitre le tueur (t 11, p. 162), une longue description de celui-ci: sa taille, ses dtements, sa place sur la d n e , etc. A la f in ?¶ ajoute: ccune autre possibilit6: pas de Tueur. On n’entend que son ricanement. BCrenger parle seul dans l’ombre,. Mais qu’on voie le Tueur sur la sdne ou qu’on ne le voie pas est peutQtre mobs important, pour dkider s’il est k en tant que personnage, que de savoir si son ricanement peur Ctre dit la manifestation d’une rCplique ou non. Si oui il faut dire qu’il y a un personnage present a d t C de BCrenger. Je ne vais pas discuter le problkme plus en details ici, mais dire seulement que le ricanement pourra probablement &re considCr6 comme analogue au cri de Rosette vers la fin #On ne badine pas uvec l’amour (les deux peuvent Stre

C‘est

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254 Steen Junsen

consid6r6s comme des interjections (?)), et au son du cor a la fin de Hernuni (dont Hernani et Don Gomez ont fait l'tquivalent d'un signe linguistique B la fin de l'acte 111).

Un problkme diff6rent se pose avec la lettre rque et lue par un person- nage, dont j'ai par16 plus haut, la lettre d'Amurat dans Bujuzet par exemple. Est-ce que le texte lu de la lettre fait partie seulement de la r6plique du per- sonnage qui lit la lettre? ou est-ce qu'il forme une r6plique distincte de celle du personnage?

A premiere vue, le texte lu semble avoir la meme fonction, les memes rapports avec les autres 616ments de l'aspect dramatique qu'a par exemple le texte dit par la radio dans Les mains sales. Dans ce cas ce serait une rCplique distincte, et la lettre manifesterait par conkquent un personnage pr6sent et distinct des autres personnages, aussi de celui qui lit la lettre.

Mais une telle interprktation de l'emploi de la lettre, surtout si on la g6n6- ralise, rend difficile la d6militation du groupe d'Cl6ments appartenant B la cat6gorie du Personnage: si Amurat est consid6rC comme un personnage (et la lettre come ce qui le manifeste), il sera difficile de distinguer entre le personnage, Mithridate dans Mithridute, et la personne dont on parle ou de qui on rapporte indirectement les paroles: Hector dans Andromuque ou le soleil dans Ph2dre. I1 faudra se demander aussi si la lecture par Marguerite de la lettre $Armand, dans La dame aux cumklias 11, 7, fait c<entrer celui-ci sur la sdne, pendant la lecture; et s'il y a deux Ruy Blas dans la sdne de Ruy BZas (V, 2) oh la reine lit devant Ruy Blas la lettre que celui-ci a Bcrite au premier acte.

Cela semble indiquer qu'il vaut mieux attribuer le texte lu au personnage qui le lit, et cunsid6rer la lettre rque et lue par un personnage comme un trait analogue $i l'emploi du recit, de la cedescription du haut du mur,, du compte rendu de ce qu'un autre a dit (Le Cid I, 1 par exemple); l'emploi de tels traits peut, sans manifester en soi des 616ments distincts appartenant ii l'aspect dramatique, caractdriser la forme ou la manifestation de ces 616- ments dans un texte/spectacle donne. S'il n'y a pas de rkplique, il n'y a pas de personnage. Par cons6quent je ne

parlerai pas de personnages lorsqu'on verra dans un texte/spectacle donn6 des gardes, des suivantes, des foules, etc. auxquels le texte/spectacle n'at- tribue pas de r6pliques.

Ce sont l& des manifestations d'616ments appartenant au DBcor. Cela ne veut pas dire que ces 616ments soient secondaires; ils peuvent t&s bien ccjouer

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Qu’est-ce qu’une situation drumutique? 255

un r6le important>>. Ainsi le petit gargon des Six personnes en qu&te d’auteur de Pirandello: il n’a aucune rCplique au cours de la pikce, mais il dCtermine de fagon dCcisive le dCnouement. Au niveau de l’intkgration dans l’analyse de cette pikce il sera peutCtre pertinent de relever la diffdrence, voire 1’0p- position, entre les deux enfants - qui sont des ClCments du dCcor - et Mme Pace - qui est un personnage.

Cette constation peut paraitre banale, mais il en rCsulte quand-meme que c’est seulement aprks avoir lu ou analysC tout le texte/spectacle donnC, d‘un bout l’autre, qu’on peut dCcider que tel ClCment appartient au dCcor et non pas aux personnages.

Parfois des personnages - qui ont donc des rCpliques B certains moments - sont prCsents ailleurs dans le meme texte/spectacle sans avoir de rkpliques. Ainsi NCron dans Britunnicus 11, 6: le plus important ici n’est peutdtre pas de remarquer que NCron est cachC, ou invisible, mais qu’il est prCsent sans avoir de r6plique; aussi a-t-on pu faire une mise en &ne de Britunnicus oii NCron dans cette s&ne est visible et se trouve sur le devant de la sdne tandis qu’on entend le dialogue entre Junie et Britannicus sans les voir. C‘est encore plus souvent ainsi pour les confidents de la tragCdie classique; Phcenix dans Andromaque IV, 5.

Dans l’analyse de ce qui est considCr6 comme un meme textelspectacle donnC, il semble inutile de faire d’un tel ClCment un personnage lh et un ClBment du dCcor ici; il vaut mieux le considCrer comme un personnage qui dans certaines parties du texte/spectacle n’a pas de rkpliques - un peu c o m e tel personnage a l’intCrieur de la m6me partie du texte/spectacle se tait lorsque tel autre parle.

La conception du personnage ccmuet par moments, correspondra par ailleurs au fait qu’un confident, ou un personnage semblable, qui ne parle pas a la possibilitk de montrer ensuite s’il a CcoutC, et d’utiliser ce qu’il a entendu-comme le fait Phcenix dans la sdne IV, 6 d‘dndrumaque-pos- sibilitC que n’a ni le garde muet, ni une chaise. S’il m’a paru utile et nCcessaire d‘Ctablir le rapport d’implication r6ci-

proque entre la RCplique et le Personnage, c’est d’une part pour pouvoir Btablir une distinction aussi pr6cise que possible entre personnage et 616- ments du d6cor d‘un texte/spectacle donnC, et d’autre part pour ne pas avoir B classer dans le meme groupe des phCnom6nes ayant des fonctions aussi diffkrentes que, d’un &tC, Andromaque, Oreste, Hermione, Phkdre, Hip- polyte et ThCsCe et, de l’autre, Troie, Hector, Astynax, le Soleil et Neptune.

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Steen Jamen 256

Ces derniers ne sont pas des personnages, tel que j'entends ce mot ici, et cela ne peut que nuire B la prCcision de la description que de les traiter comme s'ils l'ktaient de la m8me f q o n que les premiers. Cf. aussi les listes des personnages dans les textes des tragCdies classiques, qui tiennent bien compte de cette distinction. C'est seulement dans des programmes plus modernes qu'on nomme par exemple Astyanax dans la liste des person- nages d'dndromaque.

Le Dtcor. Lorsqu'il faut dtfinir la catCgorie du Dtcor et en dkterminer les ClCments, il ne semble pas possible de procCder de la m8me fqon que pour les personnages: il est difficile de voir quels pourraient &re le rapport et la catkgorie qui serviraient it dCterminer les ClCments du DCcor.

En attendant qu'on trouve un moyen appropriC qui permette de dCfinir le DCcor de faGon plus prCcise, je ne vois pas d'autre solution que de d6ter- miner l'C1Cment du DCcor comme un ClCment qui appartient B la RCgie sans &re un personnage; c'est-&-dire qu'il faut que l'C1Cment du DCcor se mani- feste dans le texte a l'aide d'un phCnom6ne linguistique et dans le spectacle ii l'aide d'un phCnomkne scCnique, et que cet ClCment ne soit pas relic a une rkplique.

C'est ce rapport entre les manifestations que j'ai dCja utilisC en discutant la diff6rence entre les textes projetCs sur Ccran dans les pikces de Brecht et les inscriptions sur pancartes dans Siegfried de Giraudoux. Le rapport sera de meme Q la base d'une discussion du ccricanement>> dans Tueur sans gages: si celui-ci n'est pas une rCplique, il est la manifestation d'un ClCment du DCcor.

Cela m'am&ne B rappeler que parmi les phCnomknes sdniques qui peuvent manifester des ClCments appartenant au DCcor on trouvera non seulement des effets visuels mais aussi des effets auditifs, par exemple dans une pBce radiophonique c o m e Le salon de Z'automobile de Ionesco (t IV, p. 195). Il faut aussi prCvoir des cas oh des mouvements manifestent des ClCments du DCcor, cf., B propos des mises en sdne de War,

. . . un acteur sugghre, par un mouvement, le changement du d6cor: ainsi, dans Lorenzaccio, G6rard Philippe tournait 16g&rement la t&e, en gravissant une marche, pour faire comprendre qu'il passait d'une place publique au palais d'Alexandre. (Paul Surer: Le thMtre frun~uis contemporain, Paris 1964, p. 321).

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Qu’est-ce qu’une situation dramatique? 257

Le dkcor d’un texte/spectacle donne! peut parfois semblC caractkrisk par l’absence de phCnomknes qui le manifestent. I1 faut distinguer deux cas diffkrents.

Dans certains texteslspectacles c’est le phCnomkne meme &<<absence>> ou de <<vide, qui manifeste le dCcor. Ainsi au dCbut du Tueur sans gages ob le texte porte <<Pas de dCcor. Sdne vide au lever du rideam. La pi&= se distingue par lA de Pour prkparer un mf dur, oh, mais seulement dans le texte, il n’y a pas de manifestation du dtcor du tout. La sdne vide pourrait etre aussi le dkcor pour le prologue dans les pikces qui en ont: la premikre ccsdne, #Esther par exemple, en cela op@e B la premikre sdne des Plaideurs (avec un monologue analogue B certains Cgards au prologue #Esther), oh le dCcor est une rue (cf. l’avant-dernier vers du monologue). Le <<vide>> pourrait aussi Qtre le decor dans certaines d n e s d’A quoi revent les jeunes filles de Musset (cf. une Ctude sur cette pikce que j’ai publike dans Orbis litterarum, Vol. XXI, p. 229s’ Copenhague 1966).

Nous avons ZI faire ZI un tout autre cas, lorsque c’est le texte seulement qui, en apparence, ne manifeste pas de dCcor. A y voir de plus PI&, le decor y est quand-meme manifestt-ou indiquk-,mais ou bien de faqon tds beve ou sommaire, comme dans les tragCdies classiques avec l’indication du lieu B la fin de la liste des personnages, ou bien de fqon indirecte, B travers les rCpliques, c o m e c’est souvent le cas dans les pikces de la Renaissance. Cf.

. . . Gamier n’a marque ni ici ni ailleurs le lieu de la s&ne. Le premier acte se passe dans le ch%teau de l’Empereur, ce Louvre dont il sera par16 au v. 1466. (Robert Gamier: Bradamante; 6d. Marcel Hervier, Paris 1949, p. 9 note.)

et Stage-Director: Shakespeare seldom directs the stagemanager. (. . .) How are the scenes described in Hamlet? Playgoer: My copy shows a clear description. It has aAct I, scene i. Elsinore. A platform before the Castle,. StageDirectoy: You are looking at a late edition with additions by a certain Mr. Malone, but Shakespeare wrote nothing of the kind. His words are aActus primus. Scoena prima., (Gordon Craig: The Art of the Theatre, cit6 d’aprh Eric Bentley (6d.): The Theory of rhe modern Stage, Penguin Books 1968, pp. 121-122).

Que Gordon Craig attache ici une telle importance au texte seul - pourvu que ce soit celui de Shakespeare lui-mQme-peut apparaitre curieux; qu’il tire - et d’autres aussi - des conclusions de cette absence d‘indications

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258 Steen Jansen

directes du decor en faveur de la libertC du metteur en s&ne, ne m’intCresse pas ici.

Catdgories et inventaires Les trois catCgories de la RCplique, du Personnage et du DCcor &ant dtfinies, il se pose un autre problkme, celui d’esquisser selon quels principes on pourra Ctablir pour un textelspectacle donnC l’inventaire des ClCments compris dans chacune des catkgories.

Dans ce qui p r C d e j’ai essay6 de voir comment on pourra caractCnser chacune des trois catCgories et comment on pourra dCcider si tel ClCment appartient a l’une ou 5 l’autre.

l’intCrieur de chacune des catCgories - combien d’unitCs distinctes il faudra relever et lesquelles.

Si le texte/spectacle est ccdonnC>> il est aussi ccachevC>>, en ce sens que l’aspect dramatique doit comprendre un nombre fini et CnumCrable d’ClC- ments dont on doit alors pouvoir dresser l’inventaire. C‘est l’aspect drama- tique tel qu’on a choisi de le dCfinir qui comprend un nombre fini d’ClC- ments, et non pas le texte/spectacle; une modification de la definition pourra donc aussi entrainer un changement dans le nombre d‘C1Cments pour un textelspectacle donn6, ce qui ne l’empikhe pas d’etre fini pour une dCfhition choisie.

Si I’on s’appuie sur le rapport entre les catigories de la RCplique et du Personnage, il ne semble pas trop difficile d‘Ctablir l’inventaire des rkpliques et des personnages d‘un textelspectacle donn6.

Dans un ensemble de manifestations d’C1Cments appartenant a la cat& gorie du Personnage on releve plusieurs UnitCs distinctes - c’est-a-dire plusieurs personnages diffkrents - lorsque les manifestations (dans le texte Ccrit ou dans le spectacle sur sdne) sont distinctes et lorsque des rkpliques distinctes sont attribuCes a l’une et a l’autre de ces manifestations. Si l’une ou l’autre de ces conditions n’est pas remplie, on ne peut pas distinguer plusieurs personnages: plusieurs rkpliques distinctes peuvent Ctre attribuCes B une seule et meme manifestation, donc 21 un seul personnage; et B plusieurs manifestations distinctes (un groupe de personnes: le chaeur dans Esther ou dans On ne badine pus avec Pamour) peut &re attribuCe Une meme rkplique, ce qui fera de cet ensemble de manifestations la manifestation d‘un seul personnage.

Ici il s’agit de voir-pour un textelspectacle donnC et

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Qu’est-ce qu’une situation dramatique? 259

Dans un ensemble de manifestations d’61Cments appartenant a la cat& gone de la RCplique on relkve plusieurs unit& distinctes - c’est-&-dire plusieurs rkpliques diffkrentes - lorsque les manifestations sont attribuees B des manifestations distinctes de personnage ou lorsque des manifestations attribuCes B une meme manifestation de personnage sont sCparCes les unes des autres par une ou plusieurs manifestations de rCpliques attribuCes a une ou plusieurs autres manifestations de personnage.

FormdCe ainsi, la relation entre l’ktablissement de l’un et de l’autre des inventaires sera tds Ctroite. Dans la grande majorit6 des cas cela ne semble pas crCer de problkmes lorsqu’on doit dkterminer le nombre de rkpliques et de pemnnages dans un texte/spectacle donnC. (On peut s’imaginer un cas oa il y aura un problkme: si, dans un textelspectacle donn6, des rCpliques al, as, a, . . et bl, b, b, . . d‘un couple de personnages A et B se distribuent de surte B former toujours un couple a,+b,, dans cet ordre, il sera difficile de montrer que ce couple de rCplique(s) ne manifeste pas une seule rCplique et que l’ensemble A + B ne manifeste pas un seul personnage-qui (change, toujours au milieu de ses rkpliques).

(On aurait pu concevoir l’unitk de la Rkplique d’une autre f q o n et adopter un autre principe pour 1’6tablissement de l’inventaire de cette cat& gone. Ce principe aurait eu pour but de tenir compte aussi du fait que ce qui, selon le premier principe, sera relev6 comme une seule rkplique dite par un personnage s’adresse parfois, successivement ou non, a plusieurs per- sonnages diffhrents. Si c’est le cas, le principe devrait permettre de relever autant d’unitCs distinctes qu’il y a de persunnages distincts auxquels la rC- plique s’adresse. Parfois, mais rarement, il arrive qu’on fasse ainsi dans le texte, par exemple dans la tragCdie classique lorsqu’on passe d‘une &ne

une autre pendant qu’un personnage parle (cf. Polyeucte: Pauline et 111, 1-2, Polyeucte et IV, 2-3, FClix et V, 1-2). Si un tel pnncipe n’est pour- tant pas adopt6 ici, c’est qu’il paraft encore t&s difficile de trouver un moyen qui pennette en pratique, opCrationnellement et sans arbitraire, de delimiter de telles unit&). Il semble beaucoup plus difficile d‘esquisser un principe selon lequel on

Ctablira l’inventaire des ClCments appartenant B la categorie du mcor dans un textelspectacle donnC. Le problkme est ici le suivant: Comment relever par quels 6lCments du

decor la difference entre le premier et le second acte de Ruy BZm se distingue de la diffdrence entre le premier et le second acte de Phadre, mais

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sans qu’on soit aussi obligk par l& de considkrer deux mises en s&ne dif- fkrentes (a& la TNPn et <<A la Comkdie Franqaise>> par exemple) d’un mCme Ruy BZas mmme les manifestations de deux aspects dramatiques particuliers et diffkrents? Souvent le probleme est formulk comme un problkme qui con- cerne seulement le texte; cf.

Mlle Souriau se demande ensuite quelle est l’importance des indications de dCcors Ccrites par l’auteur de la pi&ce. Victor Hugo multiplie ces indications dont bien des metteurs en sdne ne tiennent nu1 compte. Pour M . Villiers, l’ir- respect, dans ce cas, est parfois un devoir. Trop souvent, I’auteur exige un dCcor ou un jeu dangereux pour sa pike; certaines de ses minuties sont Cgarantes. AU contraire, certains termes g6nCraux (ccun h i s s , aune rue,) wnt une Ctonnante suggestion d’espaces, qui Cclaire le metteur en scene. (Revue dEsthttique. 1970, no 1, p. 107-108).

Une solution provisoire serait de dire qu’il y a deux sortes d’elkments du dtcor: d’une part les tlkments qui sont liks aux personnages, qui font partie du comportement de l’un ou de plusieurs de ceux-ci, et d’autre part les Cltments qui, liks au cadre dans lequel sont plads les personnages, servent, en s’opposant, a distinguer le dkcor d’un autre dkcur.

Ainsi on notera dans les longues descriptions chez Victor Hugo (ou dans une mise en &ne ccsurchargke.ea), celle du dkbut de Ruy BZus par exemple, d‘une part les klkments qui sont rendus nkcessaires dans la suite par les rkpliques (rarement par les indications sckniques seules): une fenetre, deux portes, un fauteuil, une table, ccce qu’il faut pour kcrire,, etc., d’autre part les tlkments qui sont nkcessaires pour distinguer le dkcor de l’acte I des dtcors des actes suivants ‘salle’ (vs ‘chambre’ (actes II, IV et V)) ‘de rCcep- tion’ (vs ‘de conseil’ (acte 111)). (Ensuite la ‘chambre’ de l’acte deux est ‘connue’ (vs ‘sec&te’ (actes IV et V)) et la ‘chambre secr&e’ de I’acte IV est ‘du matin’ (vs ‘du soir’ (acte V))).

Ces elements du decor peuvent se manifester diffkremment, avec plus ou moins de details; mais ces details et ces diffkrences appartiennent & la mani- festation, et ne seront pas notes mmme des unitks distinctes - des 6lkments diffkrents appartenant

Ce principe pour l’etablissement de l’inventaire de la catkgorie du DCcor d’un texte/spectacle donne implique que tel klement qui n’est pas lie au(x) personnage(s) ne peut Ctre specific5 que dans les cas oii le dkcor en question s’oppose a un autre decor - c’est-&-dire que si le texte/spectacle donne fait

la cattgorie du Decor.

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Qu’est-ce qu’une situation dramatique? 261

partie d‘un (ensemble de) texte(s)/spectacle(s) plus large, ou bien comme acte ou sdne d’une pikce ou bien comme pikce parmi d’autres pikces.

Mais il parft utile de pouvoir dire que la catCgorie du dCcor comprend toujours au moins un Clement de ceux qui ne sont pas liCs au(x) person- nage(s), et que celUi-ci, s’il est seul, n’a pas besoin d‘Qtre spkcifik-ou o p p d a d’autres dkcors; il suffit qu’il soit distinct des ClCments des autres catkgories, du Personnage et de la RCplique. C‘est ce qu’on dit souvent lorsqu’il s’agit des tragkdies classiques.

Ajoutons, pour terminer ceci, que les indications scCniques ne servent pas seulement a manifester des ClCments appartenant a la RCgie. Souvent elles renseignent sur les personnages ou les ClCments du dCcor d’une autre faqon, sur les rapports entre eux, leur comportement, apparence, fqon de dire les rkpliques, mouvement, etc., Mais les indications scCniques fonctionnent alors, dans l’ensemble des manifestations de l’aspect dramatique, de la meme faqon que les phknomknes linguistiques (les signifiants/signifiCs) B l’intkrieur des rkpliques: en principe, elles ne disent pas quels sont les unit& et les Clkments de l’aspect dramatique, mais quelles sont les relations entre ceux- ci. C‘est pourquoi ces indications scbniques seront CtudiCes au niveau de l’intkgration, et non pas au niveau de la segmentation.

Lorsque certaines de ces indications sckniques ou certains de ces phCno- dries linguistiques des rCpliques servent manifester 1’ClCment a fonction dkmarcative - dont je parlerai plus loin - et que cet ClCment et ses ma& festations sont examinks au niveau de la segmentation, il n’y a pas D de contradiction. Comme on verra, cet ClCment sera en effet dktennink, pour une pikce dramatique donnCe, en fonction de la description, au niveau de la segmentation et au niveau de I’intCgration, et il sera examink au premier niveau parce qu’on y Ctudiera la segmentation qu’il permet d‘op6rer dans la pikce en question.

Successions et groupes Pour rendre compte des phhomknes linguistiques et scCniques des mani- festations de l’aspect dramatique, j’ai Ctabli diffCrentes catCgories d’C1C- ments; pour pouvoir rendre compte des prCsentations successive et simul- tanke, je vais distinguer entre deux sortes de combinaisons d’6lCments que manifestent ces prksentations.

On peut dire que les ClCments de l’aspect dramatique forment une combi- naison grou@e, ou un groupe, s’ils se manifestent par des ph6nomhes qui

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entrent dans une prksentation simultanke dans le spectacle et dans une prC- sentation successive dans le texte; ils forment une combmaison linCaire, ou une succession, s'ils se manifestent par des phenomknes qui dans le texte et dans le spectacle entrent dans une m2me presentation successive.

Dans les deux cas, les 616ments qui entrent dans une combinaison forment, dans l'aspect dramatique particulier d'un textelspectacle donnC, un ensemble d'C1Cments. La succession et le groupe se distinguent par ceci: lorsque les ClCments entrent dans une succession, ils se placent les uns par rapport aux autres dans un m8me ordre dCterminC qui ne change pas si l'on passe d'une manifestation ou d'une presentation h l'autre; lorsqu'ils entrent dans un groupe, ils se placent dans un ordre non-d6terminC.

Le plus souvent - du moins en ce qui concerne les texteslspectacles ap- partenant B la tradition littkraire et thC&trale midentale - il y a une telle correspondance entre les combinaisons et les catCgories de l'aspect drama- tique que ce sont les ClCments appartenant h la RCplique qui entrent dans des successions et les ClCments appartenant B la RCgie qui entrent dans des groupes. Ainsi en est-il par exemple presque toujours des tragCdies de Racine, oiI les ripliques entrent dans, ou forment, une succession, et les per- sonnages et les ClCments du dCcor entrent dans, ou forment, des groupes.

Cette correspondance me para?t tr6s importante, et je m'en servirai par la suite pour dCfinir la situation dramatique.

Mais il faut pourtant remarquer que cette correspondance, bien que t k s frCquente, n'est pas obligatoire. On trouve des cas oh l'on doit dire qu'un 61Cment qui appartient B la RCplique ne se place pas dans un ordre dCtermink par rapport aux autres ClCments qui l'ccentourent>>; cela arrive par exemple lorsqu'il y a des interjections dites simultaniment (ccils crient ccAaah!>> en m8me temps, le meurtrier et la victime,; La LeGon, t I, p. 89); il y en a un exemple plus clair dans Les mamelles de Tirbsias d'Apollinaire:

. . . le peuple de Zanzibar place une pancarte de chaque &id de la sdne) Pancarte pour Presto: Comme il perdait au Zanzibar Monsieur Presto a perdu son pan Puisque nous sommes B Paris

Pancarte pour Lacouf: Monsieur Lacouf n'a rien gagnt Puisque la sdne se passe B Paris Autant que la Seine passe B Pans. (Apollinaire: (Euvres pottiques, i d . de la Pltiade, Paris 1956, p. 890).

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Qdest-ce qu’une situation dramatique? 263

Le peuple de Zanzibar est le personnage et les deux textes Ccrits sont deux repliques.

Un cas plus douteux, dont il faudra discuter en comparant les diffCrentes mises en sdne de la pike, est celui des Chaises de Ionesco, ou les deux vieux par moments parlent chacun de leur cdtC, et oh on peut se demander si leurs rCpliques se placent les unes par rapport aux autres dans un ordre determine (par exemple t I, pp. 164-165).

Plus souvent c’est un Cltment appartenant a la Rkgie qui se place par rapport a d‘autres ClCments dans un ordre dCterminC, donc dans une suc- cession; ainsi par exemple l’alc6ve qui appardt et dispardt au premier acte d‘Henri ZZZ et su cour d’Alexandre Dumas, ou les Cclairs qui permettent Triboulet de reconnaitre sa fille, qu’il vient de faire tuer (Le roi s’umuse V, 4). Cf. aussi la description suivante:

Une des d n e s les plus intkressantes, tant du point de w e cinkmatographique que du point de w e de la technique du jeu, fut celle du radio-tklkgraphiste dans l’acte de l’h6tel. LA j’associais l’annonce faite par haut-parleur, le texte dit par l’acteur et l’image cinkmatographique. ll fallait que le film fit, comme on le dit aujour-d’hui, usynchronisk, avec ces d e n termes, la longueur des phrases devait &re chronomktrke et les sequences du film dkcoupkes en conskquence. L‘image cinkmatographique lktaitl constituCe par la radiographie d’un cceur battant . . . (Erwin Piscator: Le thMtre politique, Pans 1962, p. 159).

Telle que la description est formulCe ici, il me parait raisonnable de con- sidCrer les images cinkmatographiques du m u r battant comme une ma& festxtion d‘ClCments appartenant au DCcor, qui pourront aussi se manifester fi l’aide de phCnomhes linguistiques dans le texte; et ces ClCments sont bien placCs dans un ordre dCtermin6 par rapport a d‘autres ClCments.

Dans certains cas, oh on a fait de certains mouvements des personnages des manifestations d’ClCments appartenant a la RCgie, ces ClCments se placent aussi dans un ordre dCterminC; par exemple les mouvements de Ph6dre dans Ph2dre I, 3 (ccElle s’assied>>) ou 11, 5 (ccAu dCfaut de ton bras pstemoi ton Bpk./Donne>>). D’une faGon plus gCnCrale, on devra faire la meme observa- tion pour les mouvements de sortie et d’entrCe des personnages, donc qu’eux aussi entrent dans une succession.

Mais cette derni2re remarque fait voir que si ces mouvements - de per- sonnages ou d’ClCments du dCcor - se trouvent & m e place dCterminCe dans une succession, c’est surtout pour marquer que le groupe d’ClCments change fi cet endroit, ou plus prCcis6ment qu’un nouveau groupe s’est Ctabli qui- en tant que groupe - su&de au groupe qui vient d‘Qtre dCfait: au groupe

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Steen Jansen 264

d‘ClCments sans l’aldve succkde le groupe d’ClCments avec l’aldve dans Henri ZZZ et sa cour; a un groupe d‘C1Cments avec le personnage A succkde un groupe d‘ClCments sans A, lorsque celui-ci sort. Cette analyse de ce que j’appelle ici des mouvements est valable pour un t&s grand nombre de cas - mais pas pour tous: il serait difficile, je pense, de l’appliquer aux exemples du Rui s ’ m u s e et de la mise en s&ne de Piscator.

Parfois un problkme particulier se pr6sente dans le texte dramatique: les mouvements en question peuvent se manifester B un endroit dans le texte qui n’est pas le meme endroit dans le spectacle, et qui ne correspond pas B leur place dans une succession, dans laquelle ils entrent pourtant. C’est le cas dans La LeGon de Ionesco: au dCbut du texte de cette pihce (t I, pp. 60-61) se trouve une description de ce que feront successivement l’klve et le professeur au cours de la pikce jusqu’k la fin. Si l’on veut faire du texte une manifestation de l’aspect dramatique de la pikce aussi adCquate que le spectacle, il faudra <<replacer>> ces indications sc6niques - a moins d’en faire des parties du texte qui ne manifestent pas ou seulement de f q o n redon- nante des Cldments appartenant B l’aspect dramatique (cf. plus haut ce qui a CtC dit de certaines parties des indications schiques du texte d’Henri ZV de Pirandello).

Comme il ressort de ce qui prickde, la dCfinition prCcise des notions de succession et de groupe, et la determination sans arbitraire de leurs mani- festations dans un texte ou un spectacle donnC, font surgir un certain nombre de problkmes; mais ils ne me paraissent pourtant pas si grands qu’ils rCdui- sent trop les avantages que ces notions peuvent offrir l’analyse. Dans une recherche de solutions B ces problkmes il sera peut4tre utile d’envisager aussi dans quelle mesure on pourra dire avec profit que la succession rCalise un ccespace temporel, et le groupe ccun espace local>>.

La situation dramatique Mon propos ici a CtC d’essayer de formuler une definition operationnelle et aussi prCcise que possible de la situation dramatique telle que je la conGois. Les notions Ctablies dans ce qui prC&de serviront d‘abord 5 cette fin.

Je dCfinirai la situation dramatique c o m e une unit6 dans l’aspect drama- tique qui combine une succession d’6lCments appartenant A la Rkplique et un groupe d’ClCments appartenant A la R6gie. Parmi ces derniers il y aura nCcessairement des ClCments appartenant a la sous-catCgorie du Personnage, puisqu’il y a des ClCments appartenant a la RCplique, et au moins un ClCment,

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Bventuellement non-sficifik, appartenant au DCcor. Le texte/spectacle dra- matique sera considirk comme une succession de situations dramatiques et de situations dramatiques seulement.

Ainsi conye, la situation dramatique est formBe par les klBments et les combinaisons discutBs jusqu’ici, et elle appartient au plan de l’ceuvre dra- matique qui correspond au niveau de la segmentation dans l’analyse de celleci.

Dans la d6finition il y a une part qui prCcise la signification qu’il faut attacher au terme de dramatique lorsque je l’emploie ici-en excluant d’autres significations possibles -, et une autre part qui pose l’hypothhe qu’il est possible d’op6rer sur tous les textes/spectacles qu’on appelle dra- matiques une division en situations dramatiques et de placer tous les 616- ments appartenant k l’aspect dramatique du texte/spectacle en question gdans, l’une ou l’autre des situations ainsi obtenues.

Dire que le textelspectacle dramatique est form6 d‘une succession de situations dramatiques ne revient pas B dire que c’est cela - et cela seule- ment - qui caractkrise I’aspect dramatique du textelspectacle. Je pense que rien n’emwhe que la situation telle qu’elle est d6finie ici, soit m i s en rela- tion avec la situation telle que la congoit Souriau, B savoir <<la figure struc- turale dessinBe, dans un moment de l’action, par un systhme de forces,; on pourra Bventuellement les considBrer alors comme les deux afaces, d‘une &me unit6.

Mais ma conception implique quand meme que l’analyse d‘un textel spectacle donnB doit commencer par considCrer celui-ci comme une succes- sion de situations dramatiques et doit relever celles-ci; sans cela, je vois dif- ficilement comment on pourra arriver ii y d6gager sans arbitraire les unit& et les 616ments qui doivent s’organiser dans l’ensemble coh6rent et structurk qu’est l’aspect dramatique.

Lorsqu’on a d6limit6 et dCtermin6 les situations d‘un textelspectacle dra- matique au niveau de la segmentation, celles-ci pourront et devront servir d‘unitis de base au niveau de l’intkgration, ou l’analyse peut et doit se proposer de les d6composer et les relier entre elles selon d’autres principes que ceux du niveau de la segmentation. I1 faut souligner que dans l’analyse acompkte, d’une oeuvre dramatique, il faut bien qu’il y ait ce rapport entre les deux niveaux - sans quoi le rCsultat de l’analyse pourrait difficilement stre satisfaisant.

Ici pourtant ce n’est pas les probkmes concernant le rapport entre les

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deux niveaux dans l’analyse - ou entre les deux plans de l’aspect drama- tique - qui m’intkresse; je me prCoccupe du problkme de savoir comment dklimiter et d6tennher la situation dramatique en tant qu’unitb au premier plan, c’est-&-dire du problkme de la division du textelspectacle au niveau de la segmentation.

Dans les deux parties qui suivent, je relkverai deux problkmes particuliers pour montrer certaines cons6quences d’une telle dkfinition de la situation dramatique et du textelspectacle dramatique. Afin de faciliter la discussion de ces problcmes, j’appellerai parfois <<situation dramatique, la partie d’un texte/spectacle qui ci la fois manifeste une succession d‘ClCments appartenant a la RCplique et un groupe d‘ClCments appartenant B la RCgie. Cela ne semble pas avoir ici de consequences qui mettent en question la dCfinition m6me de la situation.

Situation dramatique et blbment ci fonction dbmarcative Si Yon peut op6rer une division du textelspectacle en situations dramatiques, il doit y avoir aussi des limites entre ces situations, c’est-a-dire des endroits oh l’on passe d’une situation B la situation suivante, et ces endroits doivent Ctre marquCs dans la manifestation du textelspectacle; sinon il serait impm- sible d’opkrer une division.

I1 sera pratique d’avoir un terme pour nommer l’ClCment qui sert B mar- quer ces limites entre les situations. I1 s’agit d’ClCments auxquels on attache Une fonction dCterminCe; je parlerai d‘C1Cments B fonction dbmarcative, et je ferai d‘abord quelques remarques gCnCrales sur cet ClCment et sur ses manifestations.

Vu la difinition de la situation, il faut s’attendre B ce qu’en g6nCral 1’616- ment fonction dCmarcative se trouve parmi les ClCments (ou soit 1% aux Clkments) appartenant B la RCgie, c’est4-dire que le passage d’une situation B la situation suivante soit identique au passage d’un groupe d‘Cl6ments de la RCgie B un autre: la fonction demarcative serait like aux changements dans le groupe des personnages ou dans le groupe des ClCments qui font partie du dtcor.

Pourtant il n’est pas exclu, thboriquement, que le passage d’une situation ti la suivante puisse-dans un texte/spectacle donn6-etre marque B l’aide d’un changement concernant les ClCments appartenant B la RCplique: ici on aurait alors le passage d‘une succession de rkpliques B une autre.

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Qu’est-ce qu’une situation dramatique? 267

Pour pouvoir dCgager de tels changements - et les ClCments fonction dkmarcative qui les marquent - il faudra que l’analyse poss&de des notions, des moyens qui lui permettent de distinguer a l’intkrieur de la catkgorie de la Rkplique entre diffkrentes sortes de rtpliques. Mais il me parait difficile aujourd’hui de trouver un fondement thCorique - gCn6ralisable - a une telle distinction a I’intCrieur de la catCgorisation dCveloppCe ci-dessus. Le problkme se prCsente dans l’analyse par exemple des pieces de Natha-

lie Sarraute: elles ont d’abord CtC Ccrites pour Ctre radiodiffudes, mais ont aussi CtC repr6sentCes dans des rCalisations thCiitrales; ainsi Le mensunge a l’OdCon (dans une mise en sdne dont je n’ai pas encore pu avoir de ren- seignements).

Dans cette pikce, neuf personnages sont prCsents, dans un dCcor non sp6- cifiC, d‘un bout a l’autre de la piece; il n’y a donc pas, apparemment, de changements dans le groupe des ClCments appartenant a la Rkgie.

Reste alors a chercher parmi les rCpliques si l’on peut trouver P un 616- ment auquel il serait possible, ou raisonnable, d’attacher la fonction dC- marcative.

A premiere vue, le texte offre plusieurs possibilitb: il y a par exemple certaines rCpliques oh un personnage en imite un autre; ces rkpliques sem- blent se diffkrencier d’une fagon relativement Claire des autres rhpliques (on se rappelle qu’il s’agit d’une piece radiophonique) et pouvoir marquer un changement dans la succession des rCpliques; mais il s’avkre qu’il est dif- ficile de dCterminer cette sorte de rCplique de manikre suffisamment prCcise pour qu’on puisse en localiser les manifestations sans arbitraire.

Mais si l’on examine alors les questions du texte, on constate d‘abord qu’elles sont rkparties d’une fwon qui correspond a la faGon dont les per- sonnages sont groupts les uns par rapport aux autres. Et puis, il est possible de faire de certaines de ces questions les manifestations d’un ClCment B fonc- tion demarcative, de telle sorte qu’il en r6sulte d’une part une segmentation assez prtcise et sans arbitraire, et d‘autre part des situations (le mot de ccsCquences, serait peutCtre plus approprii ici) qui semblent bien pouvoir servir d’unitks de base au niveau de I’intCgration. Cet CIBment a fonction dkmarcative serait une phrase interrogative placCe au dCbut d’une rCplique dite par un personnage qui n’a pas par16 depuis quelque temps - depuis au moins cinq rCpliques.

J’ai dit qu’il est possible de faire ainsi, c’est-a-dire d‘appliquer le modkle au texte du Mensonge de cette fagon, parce qu’il faudra bien sfir examiner

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Stem Jansen 268

plus en dCtail si cette segmentation possible permet d‘aboutir ou non a une description satisfaisante de la pike. (On peut remarquer dCja que cet 616- ment B fonction dkmarcative correspondrait B (ou pourrait &re bterpr6t6 comme) l’expression ou le signal de certains de ces cctropismes, auxquels Nathalie Sarraute s’int6resse; d’autre part, la segmentation qui rCsulte du choix de cet ClCment a fonction dCmarcative amknerait probablement l’ana- lyse B dire que le conflit de la pi& est plut6t un conflit entre les forts et les faibles-bien plus qu’un conflit entre le mensonge et la v6rit6; cela aussi correspondrait assez bien au th6me habitue1 des romans de Nathalie Sar- raute. Ces quelques remarques ne suffisent 6videmment pas pour montrer qu’il est raisonnable d’attacher la fonction dCmarcative B cette wrte de r6- pliques; elles en montrent seulement quelques condquences.)

De toute faGon, je pense qu’il vaut mieux ici voir dans le probleme des r6- pliques B fonction dkmarcative un problkme marginal qu’il faudra r6soudre plus tard. C‘est pourquoi je discuterai seulement dans ce qui suit des cas oh la fonction dimarcative est liCe B des changements concernant les ClCments de la RCgie.

L’616ment B fonction dcmarcative appartient (comme le personnage par exemple) B l’aspect dramatique du texte/spectacle et non pas B la manifesta- tion particulikre. I1 en rCsulte que tel 616ment B fonction dkmarcative-la sortielentrbe des personnages par exemple - peut se manifester diffkremment B I’intCrieur d’un meme texte/spectacle.

I1 le fait lcmqu’on passe du spectacle, ob 1’6ltment se manifeste par l’ap- parition/la disparition du personnage sur la sdne, au texte, oh 1’616ment peut Qtre not6 par <A sortlentre,. I1 peut le faire aussi a l’intCrieur du mQme texte: normalement la sortie/entrke des personnages est notCe, dans les textes des tragbdies classiques de Racine, ainsi <<S&ne x: A, B, C, D.D; mais dans Britannicus 11, 8 et Ph2dre IV, 6 on trouve dans le texte, respec- tivement KNARCISSE, seub et <<(ENONE$ seule,, ce qui est une autre f q o n de manifester le meme 616ment B fonction demarcative. Plus compliqu6 est le cas suivant, ob l’C1Cment est seulement not6 dans une rkplique (c’est- B-dire B travers la manifestation de la r6plique dans le texte): il s’agit de Britannicus IV, 2: le dCbut de la &ne suivante, oh la presence Burrhus est indiqu6e de manibre habituelle, montre que celui-ci a dQ Ctre prCsent pen- dant la fin de l’entretien entre NBron et Agrippine; c’est probablement le vers <Que ce meme Burrhus, qui nous vient Ccouter>> qui manifeste son entrbe. Aussi certahes Cditions (Editions sociales (Paris 1970)’ Classiques

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Bordas) placent-elles la une indication scCnique explicite; mais 1’Cdition de la PlCiade ne le fait pas.

C o m e il ressort de ce qui prCdde, je ne pens pas que le modkle theorique puisse indiquer d’avance pour tous les texteslspectacles la forme precise que peut prendre le passage d‘une situation a l’autre, c’est4-dire la forme sous laquelle l’C1Cment

Le problkme principal a rCsoudre au debut de chaque analyse sera alors de dCterminer quel est ou quels sont les ClCments a fonction demarcative dans le texte/spectacle a analyser. Cela aura lieu dans la partie de l’analyse que j’ai appelCe l’upplicution, oh le modCle thCorique est applique a un texte ou B un spectacle donnc.

D’une mani6re toute gCnCrale (et peu precise), on pourra dire qu’en pra- tique I’ClCment fonction dkmarcative doit, au moins, Ctre dCterminC de telle sorte qu’on peut en localiser les manifestations de faGon suffisamment prCcise et sans arbitraire, et de telle sorte que ces manifestations reviennent, au cours du texte/spectacle, a des intervalles relativement rkguliers. Ajoutons que cela implique aussi que l’analyse doit attacher la fonction dkmarcative au mQme Clement d’un bout a l’autre du textelspectacle: si la manifestation de tel 61Cment est utilisCe une fois pour marquer le passage d’une situation

la suivante, la manifestation de cet ClCment le fera en principe toutes les fois qu’elle sera utilisCe dans le texte/spectacle.

Si les manifestations d‘un Cl&ment a fonction dkmarcative peuvent varier, c o m e je l’ai montrC plus haut, la recherche en vue de dkterminer les endroits du textelspectacle oh cet ClCment marque le passage d’une situation B l’autre pose encore un autre problkme B l’intkrieur de chaque analyse, au niveau de la segmentation, a savoir le problkme de dCcider si tel phenomhe est ou non une manifestation de 1’ClCment.

Pour en revenir 21 l’application meme, on remarque enfin, et c’est lA peut- Qtre le plus important, que le raisonnement qui fera attacher la fonction dkmarcative B tel 616ment dans un texte/spectacle donnb, plut6t qu’B tel autre, aura pour critkre le but meme de l’analyse, savoir d’arriver B for- muler une description qui - relativement, par rapport & d’autres descriptions possibles - soit la plus satisfaisante, c’estd-dire le plus souvent la plus simple et la plus exhaustive, pour les deux plans-et autant pour I’un que pour l’autre - que j’ai distingues dans l’ceuvre dramatique.

fonction dCmarcative peut &re rCalisC.

Pour la majorit6 des aeuvres dramatiques appartenant & la tradition occi-

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Steen Jansen

dentale on peut attacher la fonction dCmarcative la sortielentrhe des per- sonnages, et les manifestations de cet Clement sont le plus souvent suffisam- ment rCguli&es et faciles h distinguer des manifestations d’autres ClCments pour que le problkme de la division d’un textelspectacle en situations ne soit pas trop difficile a rCsoudre. On remarque pourtant qu’il ne suffit pas d‘identifier situation dramatique et rcs&ne>> : la rrs&ne>> telle qu’elle est indiqu6e dans les diffkrents textes/spectacles est une unit6 si arbitrairement dtlimit6e qu’elle ne rCsulte pas d’une segmentation condquente et ne pr6- sente pas de forme gCn6ralisable.

Si l’analyse d’un textelspectacle peut attacher la fonction d6marcative a la sortielentrke des personnages, on peut dire que la situation se fonde sur le groupe des personnages rrprCsents>>, et le passage d’une situation a la situation suivante est marquC par un changement dans ce groupe.

C’est cela qui fait Ccrire Paul Michael Levitt que

the basic part (or unit) in the dramatic structure is properly called scene. As the basic unit of play construction it means simply a portion of the total play in which the stage is occupied by an unchanging group of players, that may or may not hold the stage for the duration of the play. If anything happens to change the constitution of the group (that is, the exit or entrance spoken or un- spoken of a player) a new scene commencescc. (Levitt: A structural Approach to the Analysis of Drama, Los Angelos 1966 (University Microfilms)).

Mais cette conception de la situation (du crbasic unit>>) n’est pas toujours suffisante; il y a des cas oil elle ne peut pas Ctre appliquCe au texte ou au spectacle dramatique a analyser. I1 semble qu’il soit utile de distinguer deux cas selon que le problkme concerne le spectacle seulement ou qu’il regarde et le texte et le spectacle.

Dans certaines mises en s&ne modernes, les acteurs restent sur la &ne pendant tout le spectacle: sous l’influence des thtories de distanciation de Brecht et des efforts en vue d’6tablir de nouveaux rapports entre l’acteur et le spectateur (d’un Grotowsky par exemple), on a pour ainsi dire aboli les limites entre ccl’espace scCnique>> et son dehors. Pourtant il n’est pas tou- jours impossible de parler ici de sorties/entrCes des personnages. On pour- rait le faire par exemple dans une mise en s&ne brechtienne de Quand nous nous re‘veillons d’entre les morts d’Ibsen, dtkrite dans Dialog, no 1 (Stock- holm 1968); l’analyse sera facilitCe ici par le fait qu’il s’agit d‘une pikce classique qui existe aussi dans d‘autres mises en &ne. Mais on pourrait

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aussi le faire dans l’analyse du xjeu dramatique,, Rabeluis de Barrault dont il n’existe, a ma connaissance, qu’une seule mise en sdne, moderne: tous les acteurs sont prCsents et visibles d’un bout a l’autre du spectacle, mais ils effectuent des ccsorties/entrCes>) dans un <<lieu central,, le dispositif en forme de croix au milieu. Enfin on peut aussi regarder la mise en sdne mCdievale de la meme manihre; au lieu d‘un seul <<lieu central>> il y a dix <<mansions, ou plus sur la sdne, et les personnages passent de l’une B l’autre de ces <<mansions>>. Ce passage est aussi une sorte de c<sortie/entrCe>> par rapport B la <<mansion, OG se passe la situation, et c’est lui qui sert d’C1Cment a fonc- tion dkmarcative; changement de <<mansion>> sera considCr6 mmme un changement du dCcor, qui s’ajoute au changement dans le groupe des per- sonnages (6. plus loin). Tels que les textes nous prksentent les pikces drama- tiques du Moyen Age, il ne semble pas impossible de remplacer le dispositif simultanC de la reprksentation mCdievale par un dispositif <<a l’italienne,, OG des ccsorties/entrCes>> et des changements de dCcor successifs marquent les passages d’une situation B la suivante dans la succession de celles-ci. Dans tous ces cas, la mise en sdne Z i dispositif simultanC peut Ctre con- sidCrte cornme une manifestation particulihre, importante en tant que telle, mais sans que sa forme sp6ciale et parfois t&s diffCrente de celle d’autres mises en sdne, dCtermine nkcessairement la forme de l’aspect dramatique du texte/spectacle en question.

I1 en va autrement dans le second cas que les quelques remarques qui prCddent pourront peutCtre aider B comprendre de manikre plus pr6cise: P il ne semble pas possible de parler seulement d’une manifestation par- ticulihre.

Il s’agit de textes/spectacles OG une division avec la sortie/entrCe des per- sonnages c o m e seul ClCment a fonction dCmarcative ne semble pas pouvoir aboutir 8 une description satisfaisante. I1 parait plus utile d’attacher la fonc- tion dkmarcative a certains mouvements des personnages.

C‘est le cas pour les Six personnages en qu&te d’auteur par exemple. Dans cette pihce les personnages restent <<sur la s&ne>> presque tout le temps et il y a t k s peu de sorties et d’entrCes. Une division qui se fonde sur celles-ci aura pour rksultat un t k s petit nombre de situations t&s inCgales du point de w e de leur Ctendue et de leur repartition dans la pi&ce; une telle division pourra difficilement aider 8 rendre compte de la forme des deux plans de l’aspect dramatique de cette pike.

Une division qui sera probablement plus acceptable, ou plus adCquate,

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pourra Ctre obtenue, si l’on dit que la fonction dkmarcative attachbe aUX changements dans le groupe des personnages, n’est plus uniquement la sortielentrke des personnages, mais un certain dkplacement de ceux-Ci, les uns par rapport aux autres; la sortielentrke ne sera qu’une forme particulihre de ce dkplacement.

Le problkme est alors de voir comment ce dkplacement peut Ctre distinguk d’autres mouvements des personnages et comment on en relkve les mani- festations.

Une solution serait de dire que la situation se fonde dans cette pikce sur un groupe de ccpersonnages-interlocuteurw et pas seulement de <<person- nages prksentsB. D’habitude on peut distinguer a un moment donne d‘un texte/spectacle entre ales personnages prksentw et des personnages non- prksentw; ici il y aura en plus a l’intkrieur du premier groupe, une distinc- tion entre des personnages-interlocuteurs>> et des personnages-spectateurs,. L’interlocuteur se caractkrise par le fait qu’une rkplique lui est adresske ou qu’il adresse - ou essaie d’adresser - une rkplique a un autre; et de mCme qu’un psonnage peut de ccnon-prksent>> devenir ccprksent>>, il peut, dans cette pike, de <<spectateur>> devenir ccinterlocuteur>>. Le dkplacement qui a une fonction dkmarcative se distinguera alors d’autres mouvements des per- sonnages en ce qu’il fait passer le personnage du r6le de spectateur au rale d’interlocuteur, ou inversement.

Le personnage-spectateur est prksent dans la situation formke autour des personnages-interlocuteurs; par lh il se distingue du personnage par exemple qui dans la pi&ce mkdievale ne se trouve pas dans la <<mansion>> ou se passe la situation, et c’est ce qui fait que le mouvement du personnage ici ne peut 2tre considkrk simplement comme une sorte de ccsortie/entrke>>.

Cette d6finition - ou caractkristique - de l’interlocuteur peut paraitre quelque peu insuffisante, parce que trop imprkcise. Le principal problkme a rksuudre est de formuler la dkfinition de telle surte que I’analyse de la pi&ce p u k e relever et discuter les manifestations du dkplacement a fonction dkmarcative dans le texte et dans le spectacle. Dans le texte ou pourrait tenir compte de trois sortes de manifestation:

certains verbes de mouvement dans les indications dniques, certains mots interpellatifs dans les rkpliques et le passage d’un &change de rkpliquew, c’est-&-dire une suite continue de deux rkpliques ou plus kchangkes entre les memes personnages, du groupe des <six personnages>> celui des ccacteurw de la pike. (Ce principe, ou ce prockdk, aura d‘ailleurs pour condquence

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de placer le directeur entre ces deux groupes, n’appartenant ni B l’un ni B l’autre.)

Dans le spectacle, les manifestations pourraient Ctre relevCes et discutdes, si l’on opkre une division de l’espace scCnique en cclieux>> diffCrents en tenant cumpte aussi de la fwon dont sont placCs les personnages en groupes rela- tivement stables; cette division Ctablie, on peut examiner les mouvements, y compris celui de prendre la parole, de chacun des personnages par rapport B ces cclieux>>. I1 semble que ce soit B un principe analogue de division de la d n e que pense le metteur en sdne Orazio Costa lorsqu’il Ccrit - B propos d‘une de ses mises en s&ne de la pike:

. . . j’ai adopt6 . . . des costumes historiques qui, datant d’bpoques diffirentes . . ., mettaient en Cvidence le dCcalage spirituel entre les deux milieux. . . . le plateau Ctait vu P travers . . . le deuxihme mur (si l’on considbre que le quatribme mur est celui qui s’ouvre pour le public normal), c’est-&-dire la paroi du fond, devant laquelle le cyclo est descendu et sur laquelle est Ccrit en grandes lettres: dCfense de fumer. L’action des rCpCtitions se dCroulait devant le public idCal absent, donc dos au public prksent; l’action des personnages, encore peu soucieux de avkre,, se dkroulait dos au public idCal, comme au fond de la sdne, en dehors de l’aire de jeu des acteurs de la Compagnie et en rCalit6 donc plus prbs du public effec- tivement prksent . . . (Le thbdtre duns le monde, vol XVI, 1967, p. 251).

Qu’il s’agisse du texte ou du spectacle, on doit aboutir B un rCsultat qui montre pour c h a w e des situations successives de la pBce, telle que la dklimite l’analyse, quel est le groupe de personnages-interloteurs sur lequel elle se fonde.

(Entre parenthkse on peut remarquer ici que si l’on accepte une telle inter- prktation de ce qu’on pourrait aussi appeler ccles moyens d’expression, de la pikw de Pirandello, il y a lh dCjh des considkrations d’une portCe plus Ctendue: comparant la pike B une tragCdie de Racine, on pourra dire qu’il s’agit dans les deux cas d’un c<drame h conversations>>; chez Racine les 616- ments appartenant B la RCgie servent B former (constituer) un seul lieu (fictif) oil les personnages viennent pour prendre part 2 la conversation en cours et d‘o~ ils disparaissent lorsqu’ils n’ont plus rien B dire; chez Piran- dello il y a un lieu analogue, mais c’est seulement un cclieu centrab, celui oil l’on parle, autour duquel les ClCments de la RCgie foment un ensemble de groupes differents; les principaux personnages se dCplacent d‘un lieu B l’autre, mais ne disparaissent presque jamais tout B fait.)

Dans les Sin personnages en q d t e d‘uuteur le mouvement qui sert d‘&-

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Steen Jansen 274

merit g fondion dkmarcative est un dkplacement (et Cf. aussi, P u r cette pikce, ce qui en est dit plus loin, B propos des c<Cpisodes muets))). Mais la fonction peut Ctre attachCe it d‘autres sortes de mouvement aussi: dans La dernikre bunde de Beckett au geste de brancher et de dCbrancher le magnk- tophone, dans I1 faut qu’une porte soit ouverte ou ferme‘e au mouvement du marquis pour se lever ou s’asseoir; pour Antigone d’houilh, cf. la descrip- tion suivante:

Dans notre texte #Antigone, la scene centrale qui oppose Antigone et CrCon dure, entre la sortie des gardes et 1’amvCe d’Ismhe, vingt-deux pages. Cest trop pour une presentation p6dagogique. Comment wuper? La notion de situa- tion va nous y aider. . . . Le changement scCnique est marqu6, . . ., par la rCgie: aCrCon se Eve, remet sa vesteB aAntigone se lkve comme une somnambule,. (Benamou: Pour une nouvelle pidagogie du texte litte‘raire, Pans 1971, p. 20). . . . I1 y a donc dans le conflit trois phases ou situations likes: 1. Confrontation Antigone-CrCon: ils sont debout. 2. CrCon domine. I1 fait asseoir Antigone. Ses rCpliques sont nettement plus longues. 3. Antigone domine. Debout, elle parle plus que CrCon. (p. 45).

Si l’on tient compte aussi de ce qui a CtC dit plus haut de la possibilitC d’at- tacber la fonction dkmarcative aux changements dans la succession des rkpliques, on pourra s’imaginer des cas-limites ou la meilleure segmentation sera celle ou le passage d’une situation (ou ccsCquence>>) a la suivante est identique au passage d‘une rCplique a la rCplique suivante. La situation, c’est alors la combinaison d’une r6plique et d‘un personnage + un dkcor.

Jusqu’ici je n’ai par16 que des exemples oh le passage d’une situation a la suivante se fait par le changement dans le groupe des personnages. Mais parmi les ClCments de la RCgie il y a aussi ceux qui appartiennent au DCcor, et ceux-ci peuvent Cgalement, bien que cela arrive moins souvent, servir d’6ltments B fonction dimarcative. I1 y a lieu de distinguer entre deux cas.

Parfois le passage d‘une situation B la suivante n’est pas marquC seulement d‘un changement dans le groupe des personnages, mais s’y ajoute un change- ment du dCcor. Deux dCcors sont diffkrents-et il y a changement pour passer de l’un A l’autre - non seulement s’ils sont dits prCsenter deux endroits diffkrents, mais aussi s’ils sont dits prCsenter le mCme endroit ?I des moments diffkrents (manifestks dans le texte par cctrois heures/mois plus tard, par exemple, dans le spectacle par des effets de lumikre ou d‘ombres).

I1 est rare que le changement de dCcor marque seul la limite entre deux situations, c’est-&dire qu’il n’y ait pas en m6me temps un changement dans le groupe des personnages, et le plus souvent le changement du dCcor ne

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S’ajOute qU’a un petit nombre de ces derniers changements; dans Lorenzac- cio, oh il y en a purtant un grand nombre, les changements du dCcor n’ac-

compagnent qu’environ un tiers des passages d’une situation la suivante. Pour le probl4me qui m’intkresse ici - la dklimitation des (ou la division

en) situations - le changement du dkcor est alors un ClCment secondaire par rapport au changement dans le groupe des personnages, qui est, dans ces cas, le seul ClCment

On pourra dire que le changement du decor a alors une autre fonction - et seulement celle-lZi -, celle d’introduire un intervalle entre deux situations contigues de sorte a Ctablir une division du texte/spectacle en parties plus grandes que les situations.

Ces parties sont le plus souvent indiquCes dans le texte par le mot ccacte,, (ou c(journCe>> (Hugo), (<tableau>> (Sartre) ou ccs&ne>> (Musset)) et dans le spectacle par l’emploi du rideau. Mais on trouve aussi des pieces oh l’indica- tion ccacte, ne correspond pas a un changement du dCcor ayant cette fonc- tion. Ainsi dans Athalie: le principe de la division en actes est liC l’utilisa- tion du chceur, et au moins entre l’acte I et l’acte 11, et entre celui-ci et l’acte 111, il ne peut pas y avoir d’intervalle.

Le plus souvent pourtant l’utilisation du rideau ou du mot ccacte,, introduit un intervalle entre deux situations contigues, et dans ce cas je dirai que le rideau ou le mot ccacte>>, aussi s’ils sont seuls, manifestent un changement du dCcor. Aussi trouve-t-on dans ces cas, des mises en sdne ou l’utilisation du rideau s’accompagne de (ou est remplacCe par) un changement des cou- lisses: c’est ce qu’ont fait Arnavon et Planchon-pour exprimer des choses diffCrentes - dans leurs mises en s&ne de Turtuffe; on I’a fait a la tClCvkion pour Andromque wmme il ressort des photos de 1’Cdition des Classiques Bordas (p. 49). Ces derniers exemples montrent qu’on pourra aller jusqu’a dire que l’utilisation ou non du changement du d6cor tel que je le congois ici n’a pas beauwup h faire avec l’unitC du lieu - qui est ou rCsulte d‘une pure convention littCraire.

Tel que le changement du dCcor est utilisC ou dCcrit dans ces exemples il semble possible de le caractkriser par l’intervalle qu’il introduit entre deux situations contigues; et si l’on en fait une caractdristique fondamentale, on trouvera lZi un moyen de distinguer entre un changement du dCcor partiel - ou le dCcor reste le meme ensemble cohCrent tout en subissant quelques modifications-et le changement du dCcor total, celui dont j’ai par16 ici. On parlera d‘un changement du dCcor partiel - meme si les modifications

fonction dkmarcative.

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Steen Jansen 276

doivent &re relativement grandes - lorsqu’il n’y a pas d’intervalle. Ainsi dans Marion de Lorme, acte V: <<Parait la litibre gigantesque du cardinal, portCe par vingt-quatre gardes ii pieds, entourke par vingt autres gardes portant des hallebardes et des torches . . . .>>; et il faudra analyser de la meme faGon le changement du dtcor Ci l’acte I1 des Six personnages en q d t e d‘auteur ob l’on construit peu B peu - mais au milieu seulement de ce qui est le dCcor des situations - le salon de la grande &ne entre le @re et la belle-fille.

Pourtant cette caracttristique du changement du dCcor n’est pas sans crier des probl&mes parce qu’il n’est pas toujours facile de dkterminer s’il y a un intervalle ou non.

Si l’on dttermine l’intervalle en disant qu’il correspond B un vide, ou mieux B un ccsaut>> dans le temps ou dans l’espace fictif qu’ttablit le textel spectacle, il faut remarquer qu’un tel ccsaut>> peut &re exprim6 aussi a l’aide du seul changement dans le groupe des personnages; ainsi a la fin de Richard 111 de Shakespeare, acte V, s&ne 3 (id. Garnier-Flammarion Texte inttgral Paris 1971, pp. 128, 129, 135-136); ou Yon saute d‘un endroit du champ de bataille A l’autre; dans une certaine mesure, c’est un saut dans le temps (aussi) qu’exprime l’apparition de Madame Pace au second acte des Six personnages en q 3 t e d’auteur.

Dautre part, certains des exemples qui suivent pour illustrer un autre emploi du changement du dCcor, montrent qu’on peut trouver des change- ments du dCcor ob il n’est pas sQr qu’il soit possible de parler d‘intervalle, si celui-ci doit correspondre B un ccsaut,.

Trouver une caractCristique satisfaisante du changement du dtcor et for- maliser la division du textelspectacle en <cactes>> qui y est like posent donc des problkmes difficiles - c o m e le fait la division du texte/spectacle en situations.

On peut attacher une importance plus ou moins grande B la premikre division, en actes, - cf.

aMy dissatisfaction with using larger elements as structural parts is simply that they are tendentiously descriptive rather than analytical. (. . .) acts and conven- tional scenes are not necessarily natural divisions. Act and scene divisions are more likely determined by the demands of staging, sitting, and cigarettes than the natural rhytms of the play,. (Levitt, op. cit. pp. 16-17).

Mais il parait plus pratique d’essayer de resoudre d‘ubord les probltmes de

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Qu’est-ce qu’une situation dramatique? 277

la seconde division, en situations, - et voir quels rCsultats on peut obtenir

C‘est un autre cas qui se prCsente lorsqu’on trouve, bien qu’assez rare- ment, des pieces oh le passage d‘une situation a une autre est marque non a l’aide d’un changement dans le groupe des personnages - celui-ci reste le m8me - mais seulement

C‘est le cas au second acte des Muuches de Sartre, oh Blectre et Oreste, de la fin du premier tableau au dCbut du second, sont passCs des montagnes a une salle du palais. De meme dans Les fuusses confidences de Marivaux, de l’acte I1 B l’acte 111, dans Les Revenants d’Ibsen, de l’acte I a l’acte 11.

Ici le changement du dCcor est d‘abord ClCment a fonction dimarcative; ensuite, il introduit un intervalle entre deux situations contigues. Dans ces pieces il y a donc deux ClCments fonction dkmarcative qui sont utilids concurremment. Comme dans ces cas le changement du dCcor est utilisC beaucoup plus rarement que le changement dans le groupe des personnages, il contribue souvent 21 mettre en relief le passage qu’il marque.

C‘est le cas dans Andromaque pour le passage de l’acte I11 a l’acte IV: ce sont les memes personnages dans 111, 8 et N, 1 - Andromaque et CCphise-, et seul le changement du dCcor que manifeste le mot c<acte>>, ou le rideau, en fait deux situations (et non une seule). C‘est le seul exemple d‘un tel emploi du changement du decor qu’on trouve dans les tragkdies de Racine. (cf. SchCrer: La dramaturgie classique en France, Paris 1964, p. 211s pour des exemples chez d‘autres auteurs; SchCrer dit aussi que selon les conventions de la dramaturgie classique, il est ccinterdit de placer les m8mes personnages de part et d’autre d‘un entr’acte,.) Il est probable que c’est cet emploi tout particulier qui contribue ii mettre

ce qui se passe dans l’intervalle entre les deux situations sur le meme plan que ce qui est reprCsentC explicitement dans les situations memes de la pikce, a la diffbrence de ce qui arrive lorsqu’il s’agit d’intervalles semblables dans d‘autres tragCdies de Racine: il n’est pas, par exemple, rare de voir des interprktations d’dndromaque qui attribuent <<la visite au tombeau d‘Hec- tor>> une place bien plus importante qu’a la conversation entre Hermione et Andromaque (111, 4); moins frCquentes sont les interprktations qui font de mgme pour des Bpisodes semblables dans d’autres tragCdies: NBron et Narcisse dCcidant ce qu’ils doivent faire, dans Britannicus IV-V; Titus devant le h a t , dans Btrtnice N-V; Briphile rCvClant son secret h Calchas, Iphigtnie N-V.

par El.

l’aide d‘un changement du dCcor.

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278 Stem Junsen

I1 me reste B mentionner quelques cas oh le changement du dCcor ne semble pas - B la diffCrence de tous les exemples discutb jusqu’ici - intro- duire un intervalle entre deux situations: il s’agit de pikces modernes surtout, par exemple Becket d’houilh, oil les changements du dCcor jouent un r61e important, et oh Thomas et le Roi passent parfois d‘une situation B l’autre B l’aide seulement d’un changement du decor sans qu’il semble possible de parler d’un intervalle (Cd. Livre de Poche, Paris 1968, p. 17, par exemple); de mCme pour le passage de la ccs&ne 1, a la ccdne 2, dans Une saison au Congo d’AimC CCsaire.

Mais bien qu’il y ait ces exemples ob le changement du dtcor sert d’C16ment B fonction dCmarcative, il faut souligner que dans la trks grande majorit6 les changements du dCcor jouent un rdle secondaire par rapport aux change- ments dans le groupe des personnages.

Cela explique que la situation - dans la tradition occidentale au moins - apparait d‘abord comme une ccrencontre, - une possibilith d‘interaction (y compris celle de se parler) - entre certains personnages, et que ce sont les personnages qui paraissent Ctre les unit& premikres de la pi6ce: chacun est homoghe, relativement constant, identique lui-meme d’une situation a l’autre et distinct des autres personnages; il parait avoir beaucoup plus une fonction dans la pike par rapport aux autres personnages et beaucoup moins par rapport aux ClCments du dCcor ou aux situations dont il fait partie. Aussi voit-on que presque toutes les interprktations de la tragkdie classique par exemple font des personnages les unit& constitutives de la pike et que cela a parfois pour consdquence qu’on ne distingue pas du tout entre ce qui est reprCsentC dans les situations de la pibce et ce qui ne l’est pas, mais seule- ment rapport6 d‘une faGon indirecte.

Situation dramatique et cckpisodes muetn C o m e un autre exemple des problkmes que pose la notion de situation dramatique, et son utilisation dans l’analyse d’un texte/spectacle donnC, je vais parler de ce que j’appellerai le probleme des c<Cpisodes muets,.

Pour mieux comprendre de quoi il s’agit, il sera utile de rappeler la dis- cussion plus haut, oh, en parlant des manifestations des ClCments de la RCpli- que et de la RCgie, j’ai relev6 un certain nombre de cas oh il fallait mettre B part certaines parties d’un texte ou d‘un spectacle dramatique parce qu’elles ne manifestaient pas d‘C1Cments appartenant a l’aspect dramatique.

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Qu’est-ce qu’une situation dramatique? 279

Cette discussion Pu t , pour la plupart des cas mentionnks, Stre reprise ici, mais en utilisant la notion de situation dramatique. Celle-ci est une pafie du texte/sPectaCle qUi manifeste a la fois une succession d’tlCments apparte- nant B la RCplique et un groupe d’C1Cments appartenant a la RCgie; en outre la notion implique que le texte/spectacle dramatique est une seule succession lhdaire et inhterrompue de situations dramatiques et de situations drama- tiques seulement. I1 ne peut donc y avoir de situations simultanCes, ni de parties placCes en dehors des situations (entre deux situations par exemple).

Logiquement on dira alors que, s’il est possible de dClimiter une partie dans un texte ou dans un spectacle et que cette partie ne soit pas une situa- tion dramatique (ou une partie d‘une situation dramatique), elle doit Qtre Climinte du texte/spectacle a analyser.

C‘est l’argument qu’on aurait pu utiliser en discutant le titre, la prkface, etc. d‘un texte, et les moments de lecture du programme dont parle Guichar- naud.

Parfois on trouve, dans le spectacle d’une ceuvre dramatique, de telles parties Climiner>>, qui se rapprochent beaucoup de 1’Cpisode muet. En voici un exemple.

Dans une mise en sdne de Fantasio de Musset a la ComCdie FranGaise en 1965-66, le spectacle commence avec une ccsdne muette,, ou deux fem- mes suivent, puis, immobiles, regardent dispara?tre une biere portte par quatre hommes; un instant il fait noir, puis apparait un groupe d’hommes, habillCs en courtisans, qui tchangent des rkpliques. Cette premiere ccsdne, est un <<jeu thC;tral>> sans manifestations d’C1Cments de la RCplique, et qui forme une partie distincte dans le spectacle. I1 ne constitue pas une situa- tion dramatique, et il semble difficile d‘en faire une partie d’une situa- tion dramatique; tout en appartenant a ce spectacle, ce n’est pas la mani- festation d‘une partie distincte de l’aspect dramatique de Fantasio.

(On pourra dire que la s&ne prksente - par anticipation - l’tlkment ou la relation qui se manifeste dans le textelspectacle dramatique dans YCchange de rkpliques entre la Gouvernante et Elsebeth au dCbut du second acte, OG celle-ci exprime son attachement pour le bouffon du roi, Saint-Jean (Musset; Thdtre complet, Ed. de la PlCiade, Paris 1958, p. 298). Du moment qu’une mise en d n e , un spectacle donnC, est une manifestation particulikre de I’aspect dramatique de la piece, il est aussi une interprttation particuliere du crsens, de cette pikce. Vue ainsi, on peut dire que la mise en sdne en ques- tion a pour conkquence d‘accentuer l’importance du r61e de la Gouvernante

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Steen Jansen 280

p a rapport a m autres rijles, en particulier par rapport a cehi de Fantasia; et cela n'est pas <<obligatoire>>, c'est-&-dire n'est pas dfi a la forme de l'aspect dramatique de la pi&.)

1'6limination de 1'<<6pisode mueb du textelspectacle a analyser parait encore justifit pour une autre raison- celle qu'on ne le trouve manifest6 que dans le spectacle et non pas dans le texte. Mais il y a d'autres cas oh un kpisode, semblable en apparence du moins, se manifeste aussi dans le texte et ne pourra pas Ctre 6 l i 6 ainsi. A partir de tels cas, il faut examiner si la notion de situation dramatique, et ce qu'elle implique, peut Ctre maintenue quand &me, c'est-&-dire sans qu'on aboutisse B une description peu satisfaisante du textelspectacle en question.

Ce sont ces cas qui prtsentent le probl2me que j'appelle le problkme des Bpisodes muets, et qui me parait assez important pour une description d'oeuvres dramatiques - dont l'une des deux pr6sentations tgalement ad& quates est le spectacle - pour qu'il doive Ctre discutt de la meme f q o n que le probleme de l'tltment a fonction dbmarcative.

Dans le cas de Fantasio la conclusion

Voici d'abord quelques exemples relativement simples. Dans certains texteslspectacles il se passe un moment entre l'entr6e d'un

des personnages et la premihre rtplique et ce moment est rempli d'un jeu scknique. Ainsi au dtbut de La dern2re bande de Beckett; dans la seconde version des Six personnages en q d t e d'auteur il y a le meme dtbut, mais avec cette diff6rence qu'ici il y a deux personnages: d'abord entre un premier personnage (le machiniste) qui travaille un moment, et puis entre un second personnage (le directeur) appel6 par le bruit que fait le premier, et c'est le second qui dit la premi&e rtplique. C'est c o m e l'exemple suivant, qui se trouve au milieu d'une pike:

Antoinette: Ne t'inquiete pas; demain nous serons parties toutes Ies deux. Dominique: Fais ce que tu voudras, moi je serai peut4tre partie dans une heure.

J'ai hste de sortir de cette boue. (Antoinette sort, Dominique some, puis s'assied pour bcrire. La lune, qui depuis quelques instants bclaire le jardm, se rbfl&te dans la chambre.)

Scene V Dominique, Odile

Dominique: Cette lettre pour madame Hbdouin. Odile: Tu n'y dhes pas, dkcidbment? (Porto-Riche: Tkkitre &Amour, Paris 1907, p. 489).

Dans les trois cas, il me semble raisonnable de faire appartenir la partie qu'occupe 1'6pisode muet B la situation qui suit: l'tpisode muet ici ne parait

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281 Qu’est-ce qu’une situation dramatique?

pas diffdrent du jeu scCnique (les mouvements des personnages par exemple) qui peut avoir lieu entre deux rCpliques, 6.

Hugo, ironiquement: Tu crois? (I1 hausse les 6paules. Un temps.) Que devient Louis?

ou

Hugo: . . .; je ne sais plus de qui elle Ctait. (Une auto passe sur la route, il sursaute. 11s se taisent tous les deux. L‘auto s’arrete. Claquement de portihre. On frappe.)

Olga: Qui est Ei? (Sartre: Les mains sales, premier tableau, scene un.)

Dans ces exemples, on peut dire que I’Cpisode muet entre dans une succes- sion formCe par ailleurs par les rkpliques.

Dans les exemples suivants, 1’Cpisode ne se place pas de cette f a p n par rapport aux autres 6lCments: il ne forme pas une partie distincte - qu’on peut dklimiter de ce qui prCdde et de ce qui suit - dans le spectacle.

Dabord un exemple qui se rapproche de celui de Funfasio. I1 s’agit de la mise en d n e de Tartuffe par Amavon, dont Guichamaud Ccrit ceci:

Arnavon, soucieux de rkalisme, voulait qu’on comprit les all6es et venues des personnages. I1 avait invent6 un dCwr de jardin, des carowes et des chaises B porteurs, des sdnes muettes au lointain, des jeux divers . . . . . (J. Guicharnaud, op. cit. p. 33).

I1 s’agit ici d’Cpisodes muets qui foment comme un fond sur lequel d‘autres Cpisodes, dialogub, sont pr6sentCs. Dans cet exemple, ils ne sont pas men- tionnCs dans les Cditions habituelles de Tartuffe, et on peut donc y voir des traits qui appartiennent seulement la manifestation, a une mise en sdne particuli4re. Mais souvent on trouve des Cpisodes semblables qui se mani- festent aussi bien dans le texte que dans le spectacle; ainsi la premDre sdne du Roi s’amuse:

. . . Des valets portent des plats d‘or et des vaiselles d’Cmail; des groupes de seigneurs et de dames passent et repassent. . . .

ou la seconde sdne de Lorenzaccio:

Une rue.-Le point du jour.-Plusieurs masques sortent d’une maison illu- min6e. . . .

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282 Steen Jansen

(Dans la manifestation qu’est le texte Ccrit par Emile Fabre pour sa mise en sdne B la ComCdie FranGaise, la dernikre indication donne lieu au dCvelop- pement suivant, placC au milieu de l’entretien entre l’orfkvre et le marchand de soie:

Voici le texte que disent en remontant trois personnages qui sortent du ba1.- Naturellement ce texte doit &re dit de fapon B ne pas g6ner ce qui se passe B l’avant-sckne. ldre dame: Avez-vous apergl le Cardinal Cibo. - 2dme dame: Oui, il promenait sa robe rouge dans le bal. - L’homme: I1 n’adressait la parole B personne. - ldre dame: Cet homme silencieux m’effraye. . . . (Archives de la ComCdie franpais).

Cela me semble bien montrer l’importance des Bpisodes muets.) Mais que l’kpisode muet soit mentionnC ou non dans le texte, il n’est, dans

ces cas, que la manifestation d‘un (ou de plusieurs) ClCment(s) appartenant au DCcor, Cventuellement un trait seulement de la manifestation. S’il n’y avait que ces cas, il n’y aurait probablement pas de raison de traiter de l’kpisode muet comme d’un cas spCcial; il fonctionne de la meme manikre que par exemple les portraits dans Hernani 111, 6 (et encore les Cpisodes muets sont-ils reliCs moins Ctroitement aux riipliques des personnages que ces portraits) ou que les chaises des Chaises de Ionesco.

Mais dCjja dans la seconde d n e du Roi s’amuse il n’en va pas de meme; il est difficile de dire que 1A aussi, les Cpisodes muets font simplement partie du d6cor: En voici deux extraits:

Le roi, passant avec madame de Cosd: Inhumaine!

Vous partez! Madame de Coss.4, soupirant:

Le roi: N’est-ce pas une hmte, (. . .) Vous alliez, (. . .) Briller, astre bourgeois, dans un ciel de province!

Calmez-vous!

Pour Soissons, oh mon mari m’emmkne.

Madame de Cosst:

et

M . de Gordes, s’approchant de Triboulet et lui faisant remarquer ce qui se passe au fond de la salle:

Madame de CossC. Je te gage ma foi Qu’elle laisse tomber son gant pour que le roi le ramasse.

Voici par l’autre porte

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Qu’est-ce qu’une situation dramatique? 283

Triboulet: Observons.

Madame de C d , qui voit avec dCpit les attentions du roi pour madame de Coklin, laisse en effet tomber un bouquet. Le roi quitte madame de Coislin et ramasse le bouquet de madame de CossC, avec qui il entame une conversation qui parait fort tendre.

M . de Gordes, B Triboulet:

Triboulet: L‘ai-je dit?

Admirable! (Hugo: Th6h-e complet, Cd. de la Pleiade, Paris 1963, t I, p. 1342 et p. 1344).

Ici il y a deux personnages, le roi et Mme de CossC, qui d’abord agissent en tant que tels, c’est-a-dire Cchangent des rCpliques, et puis passent au fond pour se placer dans un Cpisode muet.

Le cas p u t encore Ctre illustrC par la description suivante d’une situation dans le spectacle de la M2re Courage et ses enfants:

Mkre Courage, le cuisinier et l’aumanier commentent, en utilisant les procCd6s schweykiens, la politique de GustaveAdolphe. La largeur de la sdne et la pi- tion du chariot permettent de souligner le caract&re nettement &pare de ce ccnum6roB. L‘autre moitiC de la sdne est occupCe par Catherine, qui attire l’at- tention sur elk, pendant les silences de l’autre groupe, en se livrant B un jeu muet (elk essaie les bottes et le chapeau d’yvette). Ce jeu muet assure la transi- tion entre la sequence prCc6dente (Yvette chante) et la suivante (I’attaque des Catholiques et les prkparatifs d’Yvette pour accueillir l’ennemi). (Denis Bablet (Cd.): Les voies de la criatiun thi&rale, 2, Paris 1970, p. 25).

La diffkrence entre les exemples prCcCdents et ces derniers exemples (Le roi s’amuse et la Mare Courage) est qu’il s’agit, ici, de personnages, qui entrent dans I’kpisode muet, et non pas d’C1Cments du DCcor. D’autre part, la dif- fCrence entre la situation de la Mkre Courage et celle d‘dndrumaque IV, 5, citCe plus haut, oh Phcenix ne pa l e pas - et apparemment se place c o m e Catherine-est que Catherine, mais non pas Phcenix, forme un groupe distinct d’un groupe form6 par les autres personnages de la situation. A i d il se forme dans une situation deux groupes distincts, et du mCme coup, B l’interieur de la situation, deux parties distinctes du dCcor.

A de tels exemples il semble difficile d‘appliquer sans discussions - et modifications ou prCcisions - la notion de situation dramatique, pour la- quelle il ne doit y avoir qu’un seul groupe d’ClCments de la RCgie B l’intcrieur d‘une situation, et pas de situations simultanees dans le textelspectacle dra- matique.

Une solution h ce probl6me pourrait Stre de parler d‘un seul groupe d‘6lC-

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Steen Jansen 284

merits de la RCgie prksents dans la situation, et l’ht6rieUr de ce1le-d d’un <<centre d’intCrCt>> et g u n <centourage>>, le premier aymt c ~ m m e noyau le groupe des personnages qui parlent dans cette situation. En effet, c’est en premier lieu la rkpartition des ClCments de la RCplique qui Ctablit cette distinction entre cccentre d’intCr& et <<entourage>> : elle peut introduire une diffkrence - parfois une opposition - nette et constante d’un bout a l’autre de la situation, entre un groupe de personnages qui parlent et un groupe de personnages qui ne parlent pas (mais qui sont des personnages); B cette dif- f6rence peut s’ajouter une diffCrence - parallkle 2 i la premikre - dans le d6cor. Lorsqu’on passe de la situation a la situation suivante, la ((suite des rCpliques>> peut passer de l’un des groupes des personnages (celui autour duquel s’est form6 le cccentre d’intCr&>>) 21 l’autre, ou bien la diffCrence peut s’effacer et les deux groupes fusionner en un seul groupe parce les rCpliques sont rkparties sur l’ensemble des personnages prCsents. (Le groupe d’6lC- ments de la RCgie de cette nouvelle situation comprend les memes ClCments que le groupe de la situation prkddente, mais c o m e il est autrement form6 - ou structurk - c’est un autre groupe et donc une nouvelle situation.) Dans les deux derniers exemples que je vais citer ici on trouve toutes ces

caractkristiques prCsentes a la fois; par rapport aux exemples citCs plus haut (Le roi s‘amuse, M2re Courage; et Cgalement les Six personnages en qu&te d‘uuteur, dont j’ai par16 B propos de l’C1Cment B fonction dkmarcative) ils formeront une sorte de cas-limite, qui permettra peut4tre de mieux placer les situations dont il est question ici par rapport aux situations normales ou habituelles, qui ne prksentent pas cet emploi des Cpisodes muets et des 616- ments de la RBgie. Les deux exemples en question sont l’acte IV du Roi s’amuse et le dou-

Zihme tableau de Tambours et trompettes de Brecht. Dans les deux cas, le decor est divis6, de fqon t k s nette, en deux parties: dans le premier la g&ve et la maison de Saltabadil, et dans le second, la bibliothkque du juge Balance et la salle transformke en tribunal. I1 se forme dans les deux cas chaque moment du texte/spectacle une distinction entre Cpisode muet et Cpisode dialogue et, parallklement, entre un <<entourage>> et un cccentre d’intC&t,; les deux passent alternativement, en changeant de place,, d‘une partie du decor B l’autre.

Ici, il y a encore moins que dans les exemples prCc6dents un rapport entre 1’6pisode muet et le reste de la situation; l’Cpisode muet est reliC davantage - par l’intermkdiaire du groupe de personnages et de la partie du dCcor qui le

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Qu’est-ce qu’une situation dramatique? 285

<(portent>> - a m Cpisodes dialoguCs qui se passent avant et aprks dans le mCme groupe de personnageslla mCme partie du d6cor.

La description la plus simple de ces cas semble Ctre celle qui d’une part o@re sur le texte/spectacle une division en situations avec comme ClBments a fonction dCmarcative la sortielentrke des personnages et le passage de l’bpisode dialogut d’un groupe de personnages/une partie du dCcor l’autre (l’emploi de ce dernier doit alors Ctre gCnCralis6, et applique dans tous les endroits du texte/spectacle ou il est possible de distinguer entre plusieurs groupes de personnages/parties du dCcor), et qui d’autre part Ctablit a 1’intCrieur de chaque situation, ou cela est possible, une distinction entre un centre d’intC&t>> et un centourage>>, chacun correspondant respectivement B l’bpisode dialoguk et B 1’Cpisode muet.

A certains moments il n’y a pas d‘kpisode muet distinct d‘un Cpisode dialoguC: comme lorsque Blanche, dans la pikce de Hugo, regarde, B travers les crevasses du mur, le badinage du roi et de Maguelonne, et dans la pBce de Brecht, a la fin du tableau oh les civils des fenCtres de la bibliothkque, saluent les soldats qui partent aprks avoir CtC enr6lCs dans la salle-tribunal. La distinction <<entourage>) vs centre d’intC&b s’estompe a ces moments, ce qui fait qu’il se forme lh aussi des situations distinctes de celles qui pr6- d d e et suit.

Remarquons enfin que cette faCon de formaliser un emploi de 1’Cpisode muet se rapproche de la description des exemples analysks plus haut, B p r e pos de la ddtermination de l’C1Cment a fonction dkmarcative (par exemple dans les Six personnages en q d t e &auteur); seulement la division du dCcor en plusieurs parties distinctes est plus apparente dans les deux exemples discutCs ici. Et comme il resort de la discussion, il y a une relation Ctroite entre le problkme de 1’6pisode muet et certains des problkmes de 1’ClCment & fonction dkmarcative.

Dans ce qui prCdde, j’ai isole le problkme des Cpisodes muets pour mon- trer, a l’aide de quelques exemples, comment un Cl6ment particulier qui, B premikre vue, se place B 1’Ccart se laisse int6grer dans une description du textelspectacle c o n p c o m e une succession de situations dramatiques et de situations dramatiques seulement.

Dans une description plus cohCrente et plus rigoureuse de l’aspect drama- tique d’une pike, les Cventuels Cpisodes muets devront plut8t Ctre trait& en diffCrents endroits; c’est d’abord un phCnomkne scCnique qui peut servir B manifester diffbrents 616ments (ou relations) de l’aspect dramatique - 616-

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merits qui peuvent aussi se manifester autrement. Ce qui com~te c’est la faGon dont sont organisks ou structurCs les groupes des ClCments apparte- nant a la categorie de la Rkgie. Le texte/spectacle est form6 d’une succession de situations, et dans la

grande majorit6 des cas on passe d‘une situation a la suivante en passant d’un groupe d‘ClCments de la RCgie B l’autre. Dans la plupart de ces textes/ spectacles il n’y a, a un moment donnC, qu’un seul groupe homogkne sur {(la sckne,, et la division du textelspectacle en situations ne pose alors que rarement des problkmes. Mais on trouve aussi des texteslspectacles oh, B un moment donnC, il y a dans le groupe des ClCments de la RCgie plusieurs ensembles distincts, tous prCsents B la fois mais formCs de telle mrte que les &changes de rkpliques passent successivement d’un ensemble B l’autre.

I1 serait utile de pouvoir dire ici que les situations se forment successive- ment autour de chacun de ces sous-ensembles, et que deux groupes d’C1C- ments de la Rtgie peuvent Ctre diffkrents (et donc former deux groupes), ou bien parce qu’il y a dans l’un des ClCments qui ne sont pas dans l’autre, ou bien parce les memes ClCments sont organids de deux manikres diffCrentes (dans les exemples du Roi s’umuse et de Tambours et Trompettes, en Ctant relits de manikre diffCrente aux Clkments de la RCplique). I1 en rCsulterait des situations a forme diffdrente dont on pourrait ensuite, au niveau de l’integration, nuancer la description de sorte a avoir presque une gamme: la situation a un (seul) groupe homoghe; la situation B un groupe composC de plusieurs mus-ensembles distincts entre lesquels il y a un rapport Ctroit; la situation B plusieurs sous-ensembles distincts entre lesquels un rapport ne s’Ctablit que parce qu’ils font tous partie du meme groupe d‘une situation.

On peut, Cvidemment, trouver dans le m2me textelspectacle chacune de ces diffCrentes formes de situations reprCsentCe: des ClCments qui dans me situation se divisent pour former deux sous-ensembles distincts peuvent dans la situation suivante fusionner de sorte ii former un (seul) groupe homog&ne. En outre il faut remarquer qu’il y a des texteslspectacles o~ l’emploi d’bpisodes muets semble plut8t facultatif (Turtuffe, Lorenzuccio, Shakespeare: Richard ZZZ acte V , sdne 3) et d’autres oh la situation B plusieurs sous-ensembles distincts est obligatoire (Le roi s’amuse, Tambours et trompettes). On pourrait Ctre amen6 B dire que dans le premier cas, la situation B Bpisodes muets appartient a une manifestation seulement, et dans le second cas B l’aspect dramatique. Mais le problkme n’est pas aussi simple (cf. Lorenzuccio) et il a besoin d’Ctre BtudiC plus en dktails.

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Aucun des exemples citCs dans cette discussion de I’Cpisode muet ne me semble rendre nCcessaire une modification de la dCfinition de la situation dramatique (une unit6 qui combine une succession d‘Cl6ments appartenant B la RCplique et un groupe d‘Cltments appartenant B la RCgie); mais ils obligent B Ctre le plus attentif possible aux diffCrentes formes que peut re- v&ir 1’6lCment B fonction dkmarcative.

Qu’est-ce qu’une situation dramatique?

I1 convient peutCtre de faire observer, avant de terminer cette partie, que la situation B plusieurs sous-ensembles peut servir ri ccexprimer des contenus bien diffdrents),: la vie grouillante de la foule d‘un marchC, dans Lorenzac- cio; l’attitude diffkrente et contrastCe de deux armCes qui s’affrontent, dans Richard ZZZ; la confrontation d’un personnage avec la trahison d‘un autre personnage B l’insu de celui-ci, dans Le roi s’amuse; le brusque changement d’opion et de caractkre chez un personnage lorsqu’il passe de son poste officiel B sa vie pride, dans Tambours et trompettes.

Quelques remarques d’ordre ge‘ne‘ral J’ai essay6 dans ce qui prCdde de formuler quelques idCes concernant une partie seulement de ce qui pourrait Ctre le domaine d’une analyse de textes dramatiques. J’ai fait 1B ce que conseille de faire le groupe d‘auteurs de la Rhe‘torique gknkrale, et pour la mCme raison:

si cette discipline est le Babel que Yon a tant de fois d6nonc6, c’est que chaque stylisticien (ou presque) a eu la prbtention de fournir une explication globale du ph6nomdne de style, sans se r6soudre A morceler, prkalablment, le domaine immense qu’il s’ttait arrog6. La critique, ne pourra sortir du r6seau de rela- tions complexes oh elle s’est enfermie qu’au moment oh elle rejettera une bonne partie de ses pr6tentions. Si l’ceuvre est m e unit6 fortement individualisbe, ne peut-on la r6duire en une p rm2re dkmarche, B des 6ltments comparables? L‘homme aussi est unique et incomparable, mais sa connaissance n’a progress6 que le jour oh l’on a accept6 d‘oublier cette individualitb; (Dubois, . . .: Rhktorique gknkrale, Paris 1970, p. 146).

J’ai voulu voir s’il Ctait possible d’Ctablir un ensemble cohCrent de concepts prCcis et opCrationnels propre a rCsoudre le probkme de la segmentation d’une certaine sorte de textes - et j’ai is016 ce problkme des autres probkmes que peuvent poser les textes, faisant seulement de temps en temps des allu- sions aux consCquences Bventuelles des solutions proposkes.

Quelle que soit la description d’un problkme ou d’un texte donnC, elle ne pourra jamais rendre compte de tous les traits qui le caractkrisent. I1 me

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Steen Jansen 288

semble dors utile et 1Cgitime de choisir d'avance le problkme B rksoudre, de l'isoler, et de dklimiter de faGon aussi prCcise que possible I'aspect textuel dont on traitera.

En outre, je pense qu'un tel prockdC, ou une telle stratkgie, a plus de chances qu'une autre stratCgie d'aboutir B des rCsultats qui peuvent Qtre utilisCs dans d'autres contextes, en face d'autres problkmes totalement dif- fkrents.

I1 arrive en effet souvent que les rksultats de descriptions qui se veulent fiddes au, respectueux du, texte individuel, du texte tel quel, forment et sont considCrCs comme un tout indissoluble et qu'ils ne peuvent Ctre rejetCs ou accept& qu'en bloc. I1 en rCsulte qu'on trouve normal - et parfois meme bon - que chaque critique littCraire - ou chaque <<recherche textuelle)) - recommence toujours B zkro. Cela n'est pourtant pas trks fructueux, ni pour ce qui est des diffkrentes descriptions des textes - dont on ne tirera jamais une connaissance tant soit peu organisCe -, ni pour une solution du pro- blkme de savoir quelle pourra Ctre l'organisation la plus utile et la plus logi- que d'une Cventuelle <<science de la littkrature,.

Le problkme de la segmentation du texte est un problcme dont se prC- occupent beaucoup d'analyses littkraires:

. . . il faut d'abord decouper le recit et determiner les segments du discours narratif que l'on puisse distribuer dans un petit nombre de classes; . . . (Barthes: Introduction B l'analyse structurale du recit, Communication 8, p. 6). . . . nous nous trouvons en face d'un problame extremement important, . . . celui du dtcoupage et de l'enchafnement. Le dtcoupage a pour but de constituer des segments analysables dans leur forme, leur fonction et leurs investissements . . . (Genot: Analyse structurelle de d'inocchio,, Florence, 1970, p. 18). Un probEme mtthodologique de premBre importance et que nous avons laisst deliberkment de c6tC est celui du passage entre le texte observe et nos termes descriptifs . . . Un clivage semble s'esquisser ici entre deux tendances dans l'ana- lyse du recit: I'une, analyse propositionnelle ou dmique, tlabore ses unites; l'autre, analyse lexique, les trouve telles quelles dans le texte. (Todorov: Les transformations narratives, Pottique 3, Pans 1970, p. 330; cf. aussi Ducrot d Todorov: Dictionnaire encyclopkdique des sciences du langage, Pans 1972, pp. 280 ss).

Pour un grand nombre des idCes utilisCes dans le prCsent travail, je suis redevable B l'article de Barthes citB plus haut. Mais sur un point important j'ai cru utile de proceder d'une faGon directement opposke B celle que choisit Barthes.

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Barthes veut qu’on dktermine les segments du texte narratif h l’aide du

Qu’est-ce qu’une situation dramatique?

sens:

Selon la perspective intigrative qui a it6 dkfinie ici, I’analyse ne peut se con- tenter d‘une difinition purement distributionnelle des unitis: il faut que le sens soit d&s l’abord le crit&re de l’uniti . . . (Barthes, op. cit., p. 6).

I1 en resulte qu’en dernier lieu les segments (les sequences) sont detedn6s par cces rubriques essentiellem de <<la langue du recit qui est en nous>> (ibid, p. 14).

On peut dire que c’est cette idee que Barthes developpe dans S/Z, oh la segmentation meme du texte est presentee wmme absolument arbitraire parce que I’analyse s’interesse uniquement au signifie et non pas au signi- fiant. I1 semble bien que c’est le fait de partir du sens pour determiner les segments qui amkne Barthes & s6parer ainsi radicalement signifiant et signi- fie; seulement, il en resulte aussi & mon avis, que c<l’integration>> des seg- ments - c’est-ii-dire leurs significations par rapport B l’ensemble du texte - devient, dans S/Z , une chose aussi arbitraire, aussi depourvu de systkmati- que, de condquence, que la segmentation, quoi qu’en dise Barthes.

Les segments d’un texte donne doivent certainement Ctre determinis de telle faGon qu’ils forment des unit& tant du point de vue de leur <<forme observable, que du point de vue de leur <<signification>> ou <<fonction>> dans l’ensemble du texte.

Pourtant il semble difficile - du moins & l’heure actuelle - d’etablir des procBdBs d’analyse qui, prenant la signification comme point de depart de l’analyse ou comme critkre fondamental et Bventuellement unique de la segmentation, n’aboutissent pas B des unites dont la fois la delimitation et la signification soient arbitraires et ambigues; il ne semble pas alors utile de privildgier, comme le fait Barthes, la <<perspective int&grative>>, c’est-&-dire une perspective oh l’analyse part d’une ccmatikre dmantique, relev& ou inscrite dans le texte d’une fagon qu’il est difficile de rendre systematique. Les conskquences d‘une telle analyse apparaissent plus clairement dans S/Z que dans l’lntroduction.

Je pense qu’il vaut mieux, dans la recherche de procCdCs analytiques qui puissent relever dans un texte donnC ce qui pourrait Btre consid6rd c o m e les unit& de base de ce texte, essayer d’etablir d’abord des principes g M - ram et spkcifiques pour la segmentation du texte, ind6pendamment des

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significations possibles de ce texte; ensuite on doit examiner les segments qu’on obtient en sivant ces principes, pour voir S’ilS PeUVent &re consi- d&-& ou accept& c o m e des unit& de sens; si Cela n’est pas po~ible , il faut reprendre l’analyse en modifiant les principes - et pas seulement la segmentation, par ci par Et, du texte d a d . Il faudra par consCquent exiger que l’analyse au niveau de la segmenta-

tion - prise en elle-mCme - soit aussi systCmatique, cohirente, rigoureuse et sans Cquivoque que l’ensemble de l’analyse. C‘est pourquoi je propose de distinguer nettement dans la thCorie, entre le niveau de la segmentation et le niveau de l’intCgration, et de les mettre en rapport seulement dans l’analyse concrkte, B travers le segment, l’unit6 de base, du texte donnC.

Pour ce qui est des principes de l’analyse au niveau de l’intkgration, je renvoie B mon article dans Langages 12.

Ce n’est donc pas B l’aide du sens que je voudrais dCterminer ou dClimiter chacun des segments d‘un texte, mais l’aide de la prCsence/la non-prCsence d’un ClCment B fonction dtmarcative. I1 est vrai que cet ClCment est dCter- mink, ou choisi, au dCbut de l’analyse en fonction des ccsens, du texte, c’est- &-dire en fonction d‘une certaine idCe de ce dont une description doit rendre compte pour Ctre une description satisfaisante du texte. Mais ce qui est dBtermin6 Et, c’est un principe valable pour toute la description, et non pas chacun des segments du texte.

Dans la mesure oh un tel principe est une hypothkse concernant le texte donne, il est inhitable qu’il entre une certaine part d‘arbitraire dans le choix de ce principe. Mais le problkme n’est pas, B mon avis, de rendre la descrip- tion absolument non-arbitraire, ce qui est impossible, mais d’y rCduire l’arbi- trake, et surtout d’en arriver B pouvoir indiquer de faGon aussi prCcise que possible oil I’arbitraire entre en jeu.

En effet, la description d’un texte donne, telle que je la concois, formule une hypothkse concernant le phknomkne observable qu’est ce texte, et elle propose, explicite et communique par l2 une certaine manikre de voir-et de dCcrire - ce texte.

A moins qu’on dise B priori que toutes les manikres de voir (et de d6crire) un texte donnC sont acceptables et satisfaisantes, il doit y avoir des hypo- thkses qui peuvent Ctre cmsid6rCes comme plus valables ou plus utiles que d’autres, et il doit Ctre possible de trouver quelque chose qui permet d’expli- quer pourquoi diff Brentes hypothkses qui sont considCrCes comme ggalement valables sont diffkrentes.

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Comme I’hypothese est formulCe dans - et communiquCe par - la descrip- tion du texte donnC, on ne pourra discutkr d‘une hypothese que si l’on peut discuter de la description qui l’applique un texte.

Si l’on veut qu’une telle description puisse Ctre discutCe de fagon ration- nelle - sans recours B des jugements subjectifs et instables, momentanks - il faut que la ou les hypothkses, le texte donnC en tant que phknomkne obser- vable et les rksultats qu’on obtient en appliquant I’hypothkse au texte soient soigneusement distinguks, et il faut que les rapports entre ces trois, hypo- thbes, texte et rksultats, soient prCcis, sans arbitraire et sans Cquivoque.

Sans cela je vois difficilement comment on pourrait discuter de la valeur, ou de I’utilitC, de la description - des hypotheses, des principes et des pro- cCdCs qu’elle met en ceuvre -, c’est-a-dire, en pratique, discuter oh elle est identique et oh elle est difftrente d’une autre description, pourquoi elle l’est, et - surtout - quelles en seront les conskquences pour les descriptions B faire d‘autres textes.

Qu’est-ce qu’une situation dramatique?

Une derriere prkcision. Pour la description dont j’ai par16 ici, j’ai adopt6 un point de vue que j’appellerai celui de la lecture, pour le diffkrencier de celui de l’kcriture.

Quel que soit le point de vue d’une description, il me parait nCcessaire qu’elle accepte que le texte a d6crire existe comme un phCnomkne obser- vable, c’est-&-dire comme quelque chose que plusieurs personnes diffkrentes (ou la mCme personne dans des situations diffkrentes) peuvent identifier comme Ctant la meme chose pour tous. Sinon on aura une description de quelque chose qui ne pourra Ctre m i s en relation avec rien d’autre que cette description, et cela n’aura pas de sens, par exemple, de parler de diffkrentes descriptions d’un meme texte.

Le texte plad ainsi comme quelque chose de c<r&el>> dunt il faut tenir compte, il me semble raisonnable de concevoir deux activitks qui se ratta- chent toutes les deux au texte, 1’Ccriture et la lecture, activitCs qui sont dif- fCrentes et oh l’une ne me parait pas avoir moins d‘intkr2t que l’autre.

Les deux activitCs peuvent, toutes les deux, Ctre appelCes des productions, ou des productivit6s; ce qui les difftrencie, c’est que pour l’une - 1’Ccriture - le texte en tant que phCnomene observable est le produit de la production, et pour l’autre - la lecture - le &me texte est le matkriau de la production.

Les essais qui ont ktk faits ne me semblent pas montrer que cette diffkrence entre une Ccriture et une lecture puisse Ctre abolie sans que, du meme coup,

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on enlkve au texte son caracere de phenomhe observable. Servant tour a tour de produit et de matkriau une meme production, le texte devient une signification changeante (ou un ensemble changeant de significations changeantes) que personne ne peut ni observer, ni localiser, ni identifier.

Je ne crois pas qu’il soit necessaire, pour faire de la lecture une activitk productrice, d’identifier Bcriture et lecture. Dautant plus que vouloir les identifier me semble trop proche d’un point de vue traditionnel, mais a mon avis erronnk, celui qui veut que la bonne lecture d’un texte soit celle qUi arrive a se conformer autant que possible a YCcriture du meme texte. Pour moi, il s7agit de deux activit6s entikrement diffcrentes sans autre rapport que le texte auquel elles se rattachent - rapport aussi t r h important.

La difference entre le point de vue de l’Ccriture et celui de la lecture im- plique des conceptions toutes diffkrentes du texte, et par consequent des differences dans les hypothkses, les procCdCs analytiques, les principes de description, etc.

Si Yon adopte le premier point de vue comme base de la description d’un texte, il me semble naturel, et cela s’est rClCv6 fructueux, d’utiliser les noti- ons de generation, de transformation, d’intertextualit6, etc.; s’il s’agit de dCcrire le texte du point de vue de la lecture, il me semble plus utile de con- cevoir le texte comme une structure k interpreter, et de se servir des notions d‘Clement, de relation, de fonction, de forme, etc. avec le Sens qu’elles ont dans les analyses dites structuralistes.

Le grand problkme sera d‘Clucider le rapport entre les rksultats d‘une description d‘un texte du point de vue de 1’6criture et les rCsultats d’une description du meme texte du point de vue de la lecture. J’avancerai, pour terminer, une hypothhse disant, d’une faGon assez BlBmentaire, que le point de vue de 1’6criture aura surtout pour but de formuler des hypothhses qui expliquent pourquoi le texte est form6 ou structurC comme il l’est, et que le point de vue de la lecture aura surtout pour but de formuler des hypothkses qui disent comment le texte est form6 ou structure. I1 me semble raisonnable de penser qu’un certain nombre d‘hypothkses <<vraisemblablis6es>> concernant le dernier problkme sont ntcessaires avant qu’on puisse aborder le premier probl&me - si l’on veut avoir la chance de formuler des hypothkses tant soit peu solides B-dessus. De voir l’emploi que fait, dans la linguistique, la gram- maire g6nCrative des rksultats de l’analyse structuraliste traditionnelle, me semble Qtre une analogie assez convaincante.

Octobre 1972