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Peuples de Pusine et théâtres de Thistoire RAPPORT POUR LA MISSION DU PATRIMOINE ETHNOLOGIQUE Jean-Marc LEVERATTO Équipe de Recherche en Anthropologie et Sociologie de l'Expertise UNIVERSITE DE METZ FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

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Peuples de Pusine et théâtres de Thistoire

RAPPORT POUR LA MISSION DU PATRIMOINE

ETHNOLOGIQUE

Jean-Marc LEVERATTO

Équipe de Recherche en Anthropologie et Sociologie de l'Expertise

UNIVERSITE DE METZ FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

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Une ethnologie de la production d'histoire industrielle en Lorraine :

Le cas de l'ARESSLI par

Jean-Marc Leveratto

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SOMMAIRE

Présentation 4

1. La genèse de l'ARESSLI 6 * Un nom connu, un ouvrage très apprécié 6 * L'homme de la situation 8 * Des personnes sensibles à l'histoire industrielle de la région 11

2. Les membres de l'association 13 2.1 La composition de la liste 14 2.2. Un contexte favorable 24

* Le Musée du Fer 24 * Le réseau « inter-fer » 28 * Le marché de l'histoire locale 33

2.3. Le recrutement actuel de l'ARESSLI. 37 * L'image actuelle de l'ARESSLI 38 * Une "jeune" société d'histoire 39 * Des chercheurs "militants" 41

3. Le travail de l'association 44 3.1. Les activités de l'ARESSLI 45

* Les manifestations publiques de l'ARESSLI 45 * Les groupes de travail 49 * Un nouveau lieu commun 51

3.2. La genèse de l'histoire industrielle en Lorraine 54 * La production locale d'histoire à Metz 56 * La production d'histoire industrielle à Nancy 60 * Les hommes du fer 65

Conclusion 70

Documents cités 75 ANNEXE 1 Photocopie du courrier d'invitation à la réunion fondatrice de l'ARESSLI, avec la liste des invités 77 ANNEXE2 Feuille d'informations n° 1 de l'ARESSLI, avec la présentation des chercheurs des réseaux de l'association 80 ANNEXE 3 Plaquette de présentation de l'ARESSLI 81 ANNEXE4 Le Cercle pour la promotion de l'Histoire de Joeuf (Meurthe-et-Moselle) 83 ANNEXE5 Expertise historique et entreprise culturelle : les nouvelles fêtes locales en Lorraine 108

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Présentation

Ce texte propose une synthèse provisoire d'un travail d'observation des formes contemporaines de production d'histoire locale en Lorraine.

L'investissement affectif très important qu'a suscité l'histoire industrielle de la Lorraine, depuis la fin des années 70, nous a conduit a centrer notre observation sur toutes les pratiques d'écriture de l'histoire régionale justifiées explicitement par une volonté de conservation et de valorisation des traces de sa grandeur industrielle récente.

L'association dont nous avons choisi d'explorer l'histoire, pour mieux comprendre le sens et les enjeux de cette production d'histoire locale contemporaine, présente des caractéristiques singulières par rapport à la multitude des associations d'histoire locale qui ont fleuri sur les ruines de la sidérurgie lorraine1.

L'Association de Recherche et d'Études en Sciences Sociales sur la

Lorraine Industrielle est une association régionale d'histoire, qui manifeste dans son recrutement et dans ses objectifs une volonté de rapprochement supérieure à celle qui a motivé la création, dans les communes frappées par la restructuration des sites sidérurgiques, d'associations locales d'histoire industrielle. Ces associations représentent, pour la plupart, la cristallisation d'anciennes solidarités villageoises ou d'ateliers, souvent intriquées du fait de la proximité immédiate, dans les vallées sidérurgiques lorraines, de l'usine et des logements du personnel. A l'inverse, l'ARESSLI s'affirme comme une initiative novatrice de fédération de tous les amateurs d'histoire concernés, quel que soit leur identité sociale et professionnelle,

1 Les Archives Lorraines, Bulletin de liaison et d'information des services d'archives implantées en Lorraine, propose, dans son n° 2, Avril 1990, pp. 39-65, une typologie intéressante des associations « à visée historique », créées en Lorraine depuis le XVIII ème siècle.

Le premier type est celui des associations héritées du siècle des Lumières, comme l'Académie Stanislas de Nancy et l'Académie Nationale de Metz.

Le second type est représenté par les associations du XIX ème siècle qui « sont à la fois le produit de l'organisation de la recherche historique en France et de la réaction de la province contre la capitale ».

Le troisième type d'associations, qui apparaît dans les années 1970-1980, est lié à la préoccupation contemporaine de la sauvegarde du patrimoine; « Depuis 1980... rien qu'en Moselle une vingtaine d'associations dites de sauvegarde du patrimoine ont vu le jour dans cette dernière décennie. Elles se constituent le plus souvent autour d'un espace restreint — petit pays, village, monument —, d'un personnage célèbre, d'une activité menacée, à l'instar des Centres de Culture, Scientifique et Technique qui sont de même essence »

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par le passé industriel de la Lorraine et désireux de coopérer dans l'intérêt de l'ensemble de la Région.

Elle se distingue également de ces associations par une ambition intellectuelle supérieure. Alors que les associations locales s'inscrivent généralement dans la simple perspective d'une préservation, sur la base d'une compétence historique locale, de la mémoire sidérurgique du lieu auquel elles se rattachent, l'ARESSLI se veut un moyen de valorisation scientifique de l'histoire industrielle de la Lorraine toute entière. La fédération, à l'échelle de la région, de toutes les compétences historiques investies actuellement dans l'écriture de l'histoire industrielle, qu'il s'agisse d'un savoir-faire d'historien universitaire ou d'une compétence d'historien "du dimanche", est ce qui justifie, selon elle, cette ambition2. L'échange d'informations et le partage des savoir-faire, en autorisant une meilleure organisation du travail d'archivage et une gestion intelligente des ressources disponibles, ne peuvent qu'entraîner, en effet, une augmentation de la qualité scientifique globale des travaux des historiens régionaux.

Cette conjonction d'un esprit régionaliste et d'une ambition scientifique font de l'ARESSLI un objet exemplaire de la modernité culturelle et justifie notre volonté de réaliser une étude approfondie des conditions de sa création et de ses modalités actuelles de fonctionnement. Le mode de production scientifique innovant que s'efforce de promouvoir cette association, en même temps qu'il l'oppose significativement aux sociétés d'histoire traditionnelles, la rapproche d'une manière troublante de certains laboratoires de recherche universitaire, pour lesquels l'utilisation de la compétence des acteurs observés constituent dorénavant un moyen d'améliorer la qualité scientifique de leur production. Son étude offre ainsi l'occasion d'évaluer non seulement les effets de la vulgarisation de

2 Ce projet de fédération l'inscrit, malgré le caractère innovant que revendique l'ARESSLI, dans une continuité historique, puisqu'elle représente, si l'on en croit la typologie proposées par les Archives Lorraines, qui ne font pas mention de l'ARESSLI dans leur description des sociétés d'histoire locale de la Lor ra ine , un exemple de réinterprétation d'une association du second type, pour l'adapter à un contexte culturel et politique nouveau. En effet, elle partage avec ce type d'association historique le souci d'articuler, pour le Bien de la Science, le travail de historien savant et le loisir de l'historien amateur, et celui d'établir un réseau de correspondants permettant d'assurer une meilleure connaissance, et par là-même une meilleure visibilité, de la particularité régionale. Ceci éclaire partiellement le rapprochement passager, elleS ont eu pendant quelques années le même président, observable, entre l'ARESSLI et la grande société traditionnelle d'histoire locale que constitue la Société d'Histoire et d'Archéologie delà Lorraine, créée au XIX ème siècle et que l'on présentera plus loin.

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l'histoire scientifique stir le grand public, mais aussi les limites inhérentes à la réduction critique de la connaissance des acteurs ordinaires, et de la coupure épistémologique qu'elle instaure entre l'histoire savante et l'histoire profane.

1. La genèse de PARESSLI

L'ARESSLI est née officiellement en 1987, à la suite d'une réunion organisée le 8 février 1986 au Musée du Fer de Jarville, à Nancy3.

L'invitation, adressée à toutes les personnes intéressées par l'étude de « l'histoire sociale lorraine (mines de fer, sidérurgie, charbon, textile) »4, était signée de la main de Serge Bonnet, sociologue au CNRS et historien local. L'analyse du texte de l'invitation nous permet immédiatement d'entreprendre une explication du succès de cette réunion, qui a entraîné la création de l'ARESSLL et du sens de cette création pour les personnes qui ont participé à la réunion.

* Un nom connu, un ouvrage très apprécié

Le père Bonnet — il s'agit en effet d'un père dominicain — est déjà doté, lorsqu'il signe cette invitation, d'un grand prestige intellectuel dans la région, où il est reconnu comme un pionnier de l'histoire industrielle. Son ouvrage consacré à la vie quotidienne des mineurs et des sidérurgistes lorrains depuis la fin du XLX ème siècle, L'homme du fer, d'abord publié à compte d'auteur, a remporté un grand succès dans les milieux dont il restitue l'histoire. Bon nombre de familles ouvrières, qui peuvent y retrouver des témoignages sur la vie de leurs aïeuls, ou des souvenirs d'une histoire récente, mais dont les acteurs et les lieux commencent à disparaître, possèdent un des tomes de cet ouvrage dans leur bibliothèque, ou l'ont offert en cadeau à ceux de leurs enfants attachés affectivement à leur origine ouvrière. Réédité par les Presses Universitaire de Nancy et les Éditions Serpenoise, une maison d'édition dépendant du Républicain Lorrain, le grand quotidien régional de la Lorraine de l'Est, il a bénéficié incontestablement de l'émotion qu'a suscité dans l'opinion publique régionale la fermeture, à partir de 1978, de la plupart des usines

3 Cf. Annexe 3, la plaquette de présentation. 4 Cf. Annexe 1, la photocopie in extenso de ce courrier. La collecte des documents a été intégralement effectuée par Fabrice Montebello.

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sidérurgiques lorraine. Cette situation lui a permis de toucher une population bien plus large que les cerdes d'érudits locaux, en même temps qu'elle stimulait son auteur à mener à bien son projet. Les quatre tomes prévus, et qui ont finalement été réalisés, couvrent la totalité de l'histoire de la sidérurgie lorraine au XX ème siècle, et constituent aujourd'hui une somme incontournable pour quiconque s'intéresse à l'histoire au présent de cette région.

Si Serge Bonnet, à l'époque où il adresse son invitation, n'est pas encore devenue la célébrité régionale que les municipalités lorraines ne manquent pas de solliciter pour qu'il honore de sa présence le vernissage d'une exposition, ou la présentation d'un ouvrage sur le passé industriel de leur commune5, il possède déjà cependant un prestige intellectuel important. La qualité historique de ses travaux est, en effet, admise aussi bien par les historiens de l'Université que par les militants syndicaux ou politiques de la région, passionnés de l'histoire ouvrière, à laquelle ils consacrent leurs loisirs ou leur retraite. Pour les premiers, sa formation universitaire, son statut de chercheur au CNRS, et l'orientation de ses publications, garantissent, bien qu'il se définisse comme lui-même comme un « historien local », l'intérêt académique de ses travaux. Pour les seconds, dont beaucoup ont collaboré au travail de collecte des archives et à la réalisation des entretiens qu'a exigé la réalisation du premier tome de L'Homme de Fer, sa curiosité à l'égard d'oubliés de la grande Histoire, et sa volonté de rendre justice au travail d'une population ouvrière locale qui a fait, dans l'obscurité, la grandeur de l'économie française actuelle, apporte une preuve de l'originalité scientifique de ses travaux et de leur utilité locale. Dans un contexte culturel où se développe la revendication scientifique de nouvelles manières de « faire l'histoire », et la réhabilitation de l'histoire événementielle, en tant qu'écriture de histoire « par le bas », le nom de Serge Bonnet est, localement, un objet d'accord intellectuel entre des cercles de chercheurs que séparent tant la profession de leurs membres, que le sens politique de leur vocation d'historien.

Le prestige intellectuel du nom de Serge Bonnet, et sa capacité à servir d'instrument d'accord entre des chercheurs professionnels et des amateurs d'histoire locale, expliquent incontestablement pour une grande part la réussite de cette réunion, et le consensus que va rencontrer la présentation d'un programme d'action innovant en matière d'organisation de la

5 Cf. Annexe 4, la revue de l'association observée par Richard Lioger présente l'un de ces événements.

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recherche historique. Mais il ne suffit pas à rendre compte du sens de la création de l'ARESSLI. D'abord, ce que confirment les organisateurs de cette réunion6, parce que Serge Bonnet est moins le créateur de l'ARESSLI qu'un personnalité régionale qui a prêté son autorité intellectuelle et morale pour assurer la réussite d'une idée auquel il tenait depuis longtemps, idée issue de ses contacts avec les passionnés d'histoire sociale de la région. Ensuite, parce que ce projet n'a pas été mise en oeuvre par Serge Bonnet, à l'époque déjà diminué par l'âge et la maladie, mais par les organisateurs de la réunion, et notamment par Francis Dechassey, qui vient alors d'être nommé professeur de sociologie à l'Université de Nancy H.

* L'homme de la situation

L'importance stratégique de la fonction assumée par Francis Dechassey dans l'ARESSLI jusqu'à son départ en 89, fonction qu'il acceptée avant même la tenue delà réunion, puisque l'invitation le désigne comme « Responsable du financement et de la diffusion », oblige à lui accorder un responsabilité particulière dans la création de l'ARESSLI. C'est par son intermédiaire, en effet, que l'association fondée uniquement au départ sur la bonne volonté des participants, a pu trouver les ressources financières que nécessitait la concrétisation de son existence pour le public local.

A la différence de Serge Bonnet, Francis Dechassey est peu connu des érudits locaux comme de ses collègues historiens universitaires. Ce qu'il met au service de l'ARESSLI, outre son titre professionnel, est d'abord son expérience personnelle, liée à une carrière universitaire atypique.

Bien que son recrutement par le département de sociologie soit très récent, Francis Dechassey exerce depuis longtemps une fonction d'enseignement à l'Université. Mais sa carrière universitaire est originale, puisqu'il l'a réalisée essentiellement au sein du Centre Universitaire de Coopération Économique et Sociale de l'Université de Nancy I.

Organisme universitaire de formation professionnelle continue, le CUCES est issu de la réorganisation de l'Association du Centre de Coopération Économique et Sociale (ACUCES) de Nancy, fondée à l'initiative de Bertrand Schwarz, à la fin des années 60. Anticipant sur la nécessité de la formation professionnelle continue des salariés, qu'entérinera la loi de 1971, cette association a connu une rayonnement exceptionnel. Reconnue nationalement comme un lieu d'expérimentation

Une partie des entretiens réalisés sera jointe au rapport final.

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pédagogique, elle a largement contribué à l'élaboration et à la diffusion en France de la pédagogie des adultes, et à sa constitution en compétence professionnelle. Le CUCES, rattaché à l'Université de Nancy I, est une création nécessitée par le refus du législateur de continuer à accorder u n financement public à une association assurant, du fait de son rayonnement, d'importantes prestations de service pour des entreprises privées françaises et étrangères. C'est ce qui explique la singularité de cet organisme universitaire.

La longue expérience de formateur d'adultes acquise par Francis Dechassey au sein du CUCES, avant qu'une opportunité — un départ en retraite sans que la succession de l'enseignant n'ait été assurée — ne lui permette de valoriser une thèse de philosophie déjà ancienne, et d'accéder à un poste classique d'enseignant universitaire est importante à considérer pour comprendre son investissement dans la création et le développement de l'ARESSLI. Le CUCES, en effet, se caractérise par un esprit "social" hérité de son fondateur Bertrand Schwarz, qui incline son personnel à défendre toutes les formes de compromis entre le développement personnel des individus et l'amélioration de la rentabilité économique de l'entreprise. Une éthique du travail, qui assimile la connaissance scientifique à u n travail, et le respect du travailleur, dont le savoir-faire pratique doit guider la conception du programme de formation qui lui est destiné, disposent ainsi Francis Dechassey à innover dans sa nouvelle fonction. Son implication dans la création et le fonctionnement de l'ARESSLI n'est pas separable, en ce sens, de l'organisation, dès son arrivée dans le département de sociologie, d'un nouveau D.E.A de sociologie, intitulé Travail et

formation, et de la mise en oeuvre d'un travail de recherche sur la reconversion des ouvriers de l'usine sidérurgique de Pompey, frappée par la restructuration.

Son altérité par rapport au groupe des enseignants universitaires classiques — il ne donne pas l'image d'un mandarin mais d'un bricoleur intellectuel, brillant, sympathique, et doté d'une grande humanité7 — jointe à son éthique personnelle — il est porteur d'une conception du savoir qui rend justice à l'expérience des individus — lui ont sans aucun doute permis d'assurer une fonction de médiation entre des personnes très différentes, et que leur passion pour l'histoire locale séparaient tout autant qu'elle les rapprochaient, aussi bien du fait de leur spécialisation, de leurs options

7 Entretien avec Guy Arnauld, sociologue à l'IRTS de Lorraine, qui faisait partie de la première promotion (1986) du D.E.A.Travail et Formation

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politiques, que de leur vision personnelle de l'histoire. Il n'est pas en effet porteur d'un programme de recherche historique bien défini, n'a pas d'ambition professionnelle reconnue (il doit son accession à un poste de Professeur de sociologie, comme nous l'avons déjà dit, à un concours de circonstances), est un partisan convaincu de la recherche-action (qu'il a pratiqué au CUCES) ce qui rend acceptable la direction qui lui est attribuée, de facto, des futures activités de l'association. Outre le prestige du titre universitaire qu'il met au service de l'association, il possède, du fait de son expérience antérieure au CUCES, le savoir-faire de gestion de projets de recherche-action et l'expérience de démarchage de financements publics, nécessaires à la réalisation effective du programme de l'association. Homme d'action, il met son dynamisme au service de la reconnaissance de l'ARESSLI par les institutions universitaires locales et, surtout, par l'administration culturelle de l'État, qui accepte rapidement de soutenir son activité. Il permet également à l'ARESSLI de bénéficier symboliquement d'une adresse universitaire, celle de l'Institut de Sociologie de l'Université de Nancy II dont elle peut sembler, de l'extérieur, faire partie, en même temps que d'un lieu de permanence8.

Ce n'est donc pas - seulement son extériorité évidente au monde traditionnel de l'Université qui fait reconnaître en Francis Dechassey l'homme de la situation, et le dote des qualités nécessaires à la fonction qu'il va occuper dans la création de l'association. C'est également son extériorité vis-à-vis du monde de l'histoire locale, qui constitue non seulement une garantie de son désintéressement, mais une stimulation pour les personnes à dépasser leur intérêt particulier pour s'investir dans un projet de valorisation de l'histoire industrielle de la région.

Francis Dechassey est, en effet, étranger à la région. Originaire du Jura, où il a conservé une résidence familiale, et où il retournera enseigner avant son départ en retraite, il est, comme beaucoup d'intellectuels humanistes qui sont restés, du fait de leur origine familiale, éloignés du monde de l'industrie sidérurgique, sensible à la grandeur particulière de cette activité humaine. Cette sensibilité, en même temps qu'elle le rend sympathique aux passionnés de l'histoire industrielle locale, les motive à s'investir personnellement dans un projet qui excède la satisfaction de leur intérêt

8 Cf Annexe 3, la plaquette de présentation. A partir de 1991, l'association se dote d'une seconde adresse, celle de la Mission Histoire Industrielle des Archives Départementales de la Moselle, où Françoise Birck a obtenu un poste de chercheur, sur un contrat à durée déterminée.

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* Des personnes sensibles à l'histoire industrielle de la région

La mobilisation affective des personnes par la grandeur culturelle de la Lorraine que l'activité de l'ARESSLI permettrait de dégager est bien attestée par Françoise Birck, à laquelle le texte de l'invitation attribue implicitement la fonction de coordinatrice , et qui assure encore ce rôle aujourd'hui. Elle confirme, en effet, dans une conversation à bâtons rompus, avoir été touchée par le respect de Francis Dechassey pour la Lorraine industrielle, et sensible à la justification que ce respect lui apportait de son attachement affectif aux personnes qu'elle avaient côtoyées dans son enfance.

Cette anecdote nous donne accès à une meilleure compréhension de ce qui a rendu possible le regroupement de personnes très hétérogènes, appartenant à des cercles sociaux très différents, et dont beaucoup sont dotés de caractéristiques inattendues pour des membres actifs d'une société d'histoire locale, et a fortiori d'une société d'histoire industrielle. Cette particularité est très sensible dans le cas d'Anne-Marie Blanc, qui ne possède pas le capital scolaire et universitaire généralement attendu d'une femme qui s'investit dans une société d'histoire locale9, et que son identité féminine éloigne objectivement d'une participation active à une société d'histoire industrielle. L'activité littéraire qui justifie sa participation à la création de l'ARESSLI rend bien compte, de ce point de vue, du sens affectif que ses membres confèrent à l'existence de l'association. C'est sans nul doute son souci de faire reconnaître la grandeur de toutes les personnes qui ont fait la Lorraine actuelle, qu'atteste la mise en récit de son enfance dans une famille ouvrière de la sidérurgie, qui justifie sa participation à l'ARESSLI.

Ce désir de rendre visible les qualités humaines des ouvriers lorrains, qualités méconnues du fait d'une perception traditionnelle de l'activité industrielle, et notamment de la mine et de la sidérurgie, comme une activité inhumaine doit être souligné, en tant que fondement affectif d 'un projet de mise en réseau des collectifs et des individus intéressés par l'histoire industrielle de la Lorraine10. Il soutient l'investissement

9 Elle était, avant de devenir un auteur de romans régionalistes, une femme au foyer, très investie dans l'activité des Ames Vaillantes, une organisation de la jeunesse catholique. 10 L'avertissement du tome 2 de l'Homme du Fer, publié en 1977, exprime bien cette sensibilité, puisqu'il fixe comme objectif à son entreprise de « faire

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personnel des individus dans l'association et constitue un principe de rapprochement entre ses membres capable de neutraliser les tensions que ne peut que faire surgir l'objectivation de leur amour de l'histoire. Il rend en effet possible l'association de ces individus dans un projet collectif de qualification de la région, en lui donnant la valeur d'un travail d'humanisation de son image industrielle acceptable par tous. La volonté de réparer l'injustice que constitue l'image d'usines dépeuplées de leurs ouvriers par les experts, et dont les licenciements attestent de l'efficacité, est ainsi rendue compatible avec la volonté de dépassement du manque de sdentificité d'une histoire sans archives, et qui fait par là-même le lit de représentations négatives et infondées de la construction économique de la région. Par ce biais, la méfiance du militant vis-à-vis de l'historien savant et le devoir professionnel de vigilance épistémologique peuvent s'accommoder dans un effort commun de valorisation d'une région mal connue, qui donne de l'intérêt à la mémoire familiale des individus aussi bien qu'au dépouillement systématique des états-civils, aux souvenirs personnels de l'atelier qu'à l'analyse longitudinale des cohortes d'ouvriers de fabrication recrutés par les usines lorraines. C'est cet accommodement qui explique la stabilisation de l'ARESSLI, de même que les caractéristiques de son activité.

La création de l'ARESSLI sur la base d'un "devoir d'histoire", qui permet de concilier l'idée d'un devoir de mémoire, d'une dette que certaines personnes se reconnaissent par rapport à ceux qu'ils ont connus et aimés, et de la relation naturelle de service que son intégration personnelle dans la région impose à celui qui fait de l'histoire sa profession, éclaire la nature particulière de l'ARESSLI. Elle reste encore aujourd'hui plus u n cadre d'échanges ponctuels entre les individus, qui confirment par des réunions irrégulières, mais jusqu'aujourd'hui toujours renouvelées, la passion qu'ils partagent pour la même chose, qu'un lieu de production régulière d'études sur l'histoire industrielle. Certes cette association a organisé et continue à organiser des manifestations annuelles, journées d'études et colloques. Mais elle n'a, en effet, publié à ce jour aucune revue, aucun ouvrage collectif ni aucun travail de recherche collective, à l'exception d'une bibliographie dont nous reparlerons. Que la liste de personnes, dont les noms sont portés sur l'invitation, n 'ait produit à de jour qu'une liste de titres d'ouvrages intéressant les membres de l'association

mieux connaître l'intelligence, le courage et la peine d'hommes proches de nous et cependant trop souvent ignorés ou mésestimés, in Serge Bonnet, L'homme defer, Metz, S.M.E.I, 1977, tome 2, p. 10.

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l'exception d'une bibliographie dont nous reparlerons. Que la liste de personnes, dont les noms sont portés sur l'invitation, n'ait produit à de jour qu'une liste de titres d'ouvrages intéressant les membres de l'association donne la mesure à la fois de la nécessité que ses membres reconnaissent à son existence, en même temps que leur difficulté à lui donner une consistance collective. Les travaux des membres de l'ARESSLI sont en effet des travaux individuels, publiés en nom propre, et qui les valorisent personnellement11.

Les personnes qui ont fait et continuent de faire l'ARESSLI manifestent ainsi l'originalité de cette association, conforme à u n projet innovant qui la distingue d'une société d'histoire locale traditionnelle, et la rapproche d'un groupe de recherche universitaire travaillant sans contrats de recherche. Cohérent avec le refus d'imposer aux acteurs locaux la soumission à un modèle de scientificité, et la volonté de faire communiquer et de valoriser toutes les initiatives contribuant au développement de l'histoire industrielle de la Lorraine, le fonctionnement de l'ARESSLI s'avère cependant fonctionnel avec la diversité des personnes qui la composent, et le sens différent qu'elles attribuent au travail de l'historien. Ce sens différent qui fait la richesse de l'ARESSLI lorsqu'on se situe au plan des personnes et de leur bonne volonté collective, fait sa "difficulté d'être" lorsqu'on se situe au plan des objets auxquels ils s'attachent.

Si le portrait de ces personnes permet de confirmer le dévouement à l'histoire industrielle de la région qui autorise leur rapprochement affectif, l'étude des objets sur lesquels ils fondent leur vocation intellectuelle oblige, au contraire, à reconnaître les tensions inhérentes à la valorisation de ces objets. Il en va ainsi, notamment, de la simple publication individuelle par les membres de l'ARESSLI de leurs travaux, qui conduit généralement à réinterroger la valeur de la réparation effectuée ou du service rendu par l'auteur, puisqu'il tire objectivement profit d'une cause commune. Après avoir proposé, au moyen de portraits de personnes exemplaires de la diversité du recrutement de cette association, une typologie des membres de l'ARESSLI, nous tenterons une analyse des tensions intellectuelles que fait surgir, localement, l'hétérogénéité des objets qu'ils s'efforcent de rendre visible.

11 Ce qui ne va pas sans produire des tensions entre les personnes, dont nous préciserons le sens.

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2. Les membres de Tassociation

La liste des individus dont la familiarité personnelle avec l'histoire sociale de la région justifiait l'invitation12 ne représente pas, évidemment, la liste des membres actuels de l'association. Mais sa lecture est intéressante parce qu'elle est le résultat d'un effort d'identification, par les organisateurs de la réunion, des personnes qui apparaissaient, d'un point de vue local, intéressées par la production d'histoire industrielle. En d'autres termes, cette liste représente un moyen d'information très précieux pour l'ethnologue, car elle est un des outils que les acteurs ont utilisés pour produire un contexte social favorable à la réalisation de leur projet de création d'une association d'historiens locaux spécialisée dans l'étude de « l'histoire sociale lorraine ».

Outre qu'elle nous donne les noms d'individus qui méritent, du point de vue des organisateurs de la réunion, d'être intégrés dans la communauté des producteurs d'« histoire sociale lorraine », elle nous propose un état des lieux, dressé par ces organisateurs, des compétences historiques alors disponibles dans la région et capables, selon eux, d'assurer la réussite du projet de l'association. Cette liste facilite donc la compréhension par l'ethnologue du contexte favorable à la création de l'association, tel qu'il a été interprété et utilisé par les organisateurs. En la joignant à l'invitation, ils convertissaient, en effet, les noms des personnes invitées en autant de motifs, pour chaque invité, de participer à cette réunion.

2.1 La composition de la liste

La liste frappe immédiatement par la diversité des invités, considérés du point de vue de leur statut professionnel, de leur position sociale, de leur âge et de leur sensibilité politique et religieuse. Elle conjugue ainsi des noms d'historiens universitaires et d'érudits locaux, d'experts en gestion des entreprises et de militants syndicalistes, d'ex-communistes, d'élus socialistes et de responsables catholiques. Ce qui sert manifestement de critère de composition de la liste, c'est la contribution que les individus sélectionnés peuvent apporter au développement de l'histoire industrielle de la région, du fait de leurs qualités personnelles.

On relève ainsi :

12 Nous joignons cette liste en Annexe 1

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— Les noms de professeurs d'histoire de l'université de Nancy IL

Il s'agit de professeurs d'histoire contemporaine — MM. Barrai, Roth et Viard — invités bien que leurs publications scientifiques ne justifient pas leur participation à la réunion. M. Barrai est un spécialiste des « agrariens » du XDC ème siècle, M. Roth concentre ses recherches sur l'histoire de l'annexion de l'Alsace-Lorraine et de la guerre de 1870. us ne participeront donc pas à la réunion, moins par mépris que par respect d'une spécialité qui n'est pas la leur. Même si leurs travaux portent sur l'histoire de la Lorraine, ils ne se sentent pas autorisés, du point de vue d'une éthique du savant, à parler de « l'histoire sociale » contemporaine » de la région. Mais leur invitation concrétise les rapports d'estime mutuelle qu'ils entretiennent avec Serge Bonnet us reconnaissent la qualité scientifique de ses travaux, et lui confient leurs étudiants de maîtrise qui travaillent sur la sociologie politique et religieuse de la Lorraine, parce qu'ils le considèrent comme u n spécialiste de cette question13. La présence de leurs noms sur la liste indique aux connaisseurs de la littérature scientifique sur l'histoire de la région l'autorité acquise dans le monde universitaire local par Serge Bonnet, et la volonté des organisateurs de la réunion d'un rapprochement intellectuel avec l'Université14.

— Les noms d'enseignants d'histoire de lycée et de collège.

Il s'agit d'enseignants qui se consacrent pendant leur loisir à une recherche universitaire sur l'histoire contemporaine de la région. Le cas le plus représentatif est celui de M. Delmas. Il est professeur au collège de Jarny. D'abord simple certifié d'histoire-géographie, il a réussi l'agrégation par concours interne. Inscrit en thèse d'État d'histoire ancien régime, il a entrepris une étude approfondie de l'immigration étrangère en Lorraine, qui vise à établir de véritable données scientifiques sur cette question. Son projet est de faire, sur le modèle de la démographie historique, une étude précise des mouvements migratoires, en s'appuyant sur une somme de

13 Cette information est confirmée par Fabrice Montebello, qui a soutenu sa maîtrise d'histoire contemporaine à l'Université de Nancy II en 1989. 14 Le département d'histoire de l'Université de Nancy II est perçu à cet époque comme un département très conservateur, et qui favorise une histoire très traditionnelle (entretien avec Agnès Bragard, alors étudiante dans le département). La volonté de rapprochement qu'exprime la liste, qui apparaît très étonnante, s'explique, comme on va le voir, par l'actualité politique lorraine.

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monographies locales pointilleuses. Sérieux et exigeant, il mènera à bien ce projet très ambitieux ( Il vient de soutenir sa thèse en 1998, à l'Université de Metz, sous la présidence de Gérard Noiriel).

Étranger à la région, issu d'une famille pied-noir, il s'est marié à la fille d'un ancien cadre de la sidérurgie, et est devenu un amoureux de la région. Il est le responsable très actif, depuis 1987, d'une association d'histoire locale, le Centre d' études historiques du Jarnisy. H adhérera à l'ARESSLI, dont il est toujours, ainsi que l'association qu'il dirige, membre actif. Il est, à l'intérieur de l'ARESSLI, le principal animateur du groupe « immigration ». Ancien militant de Lutte Ouvrière, M. Delmas rapproche ainsi sa vocation professionnelle d'un engagement politique qui l'attache affectivement à son objet d'étude. Ces caractéristiques personnelles le disposent à apprécier la présence sur la liste, à côté des noms de professeurs d'université, de nom de militants syndicalistes de la région.

— Les noms de militants syndicalistes estimés

Ayant pour certains d'entre eux participé à la recherche de Serge Bonnet sur L'homme du fer, les militants syndicalistes dont les noms figurent sur la liste justifient cette appellation parce qu'ils ont été responsables syndicaux et ont voué leur existence à l'amélioration de la condition ouvrière. Des différences apparaissent entre eux du point de vue du rapport qu'ils entretiennent avec la pratique de l'histoire.

* Les collectionneurs

Leur dévouement personnel à une cause dont ils ont éprouvé, au contact d'autres militants, la valeur humaine s'est traduit, chez certains d'entre eux, par un attachement à tous les objets qui témoignent d'une sensibilité collective à cette cause, et un désir d'assurer leur conservation.

Le cas le plus exemplaire est celui de M. Boudot, ancien cheminot, et retraité lorsqu'il participe à la réunion. Sa biographie militante est impressionnante. Délégué C.G.T., administrateur de 4 caisses de Sécurité Sociale de la Meurthe et Moselle, créateur de la J.O.C. et de la C.F.T.C en Lorraine au temps du Front Populaire, dirigeant du Mouvement Populaire des Familles, une association catholique qu'il crée après la seconde guerre mondiale à Longwy, il a été un des animateurs des grèves victorieuses qui

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s'y sont déroulées en 1948. Pur représentant d'un gauche catholique15, il n 'a jamais adhéré au communisme, mais a appartenu aux Mouvement Républicain Populaire, et était second, derrière l'Abbé Pierre, sur la liste présentée par cette formation aux législatives de 1951, en Meurthe-et-Moselle. Il deviendra ultérieurement membre du P.S.U. puis du P.S.

Sa collaboration intellectuelle au travail historique de Serge Bonnet ne se justifie pas par ses capacités d'écriture. Il n'a pratiquement rien écrit en termes de littérature scientifique, sinon des notes de recherche personnelle. Mais il a accumulé, dans sa maison, des ressources d'une importance exceptionnelle pour un chercheur intéressé par l'histoire sociale de la Lorraine. M. Boudot a tout sa vie durant été un infatigable collectionneur de la mémoire ouvrière locale dans ses moindres aspects : compte-rendu de CE d'entreprises, de réunions syndicales, de réunions d'organisations politiques, correspondances, photographies, témoignages, mémoires universitaires, tracts, revues politiques, brochures syndicales, ect... Il s'agit d'un fonds d'archives énorme, qui a justifié une émission télévisée dans la série célèbre des "Chefs-d'oeuvre en péril", et son transfert, après sa mort, aux archives départementales où il est actuellement conservé. Serge Bonnet, grand ami de Boudot et légataire de ses archives, en contrôle cependant l'accès, et attribue avec parcimonie les autorisations de consulter ce fonds exceptionnel. Tous les historiens ayant publié des ouvrages sur la mémoire ouvrière de la région se sont appuyés sur ce fonds (à commencer par Bonnet lui-même), qu'il s'agisse d'ouvrages de portée régionale ou de recherches universitaires, tel l'ouvrage de Gérard Noiriel16, et les nombreux travaux des étudiants des universités de Nancy consacrés au passé ouvrier de la région17.

15 Proche des prêtres ouvriers de la région, il a toujours contesté, au nom de son engagement, les orientations des autorités ecclésiastiques. Il est parfaitement représentatif d'une forme de "narodnikisme" local, d'une volonté d'aller au peuple qui le conduit à abandonner un poste de permanent du MPF pour "s'établir" O.S. à l'usine de la Providence à Rehon pendant près de 20 ans. 16 Gérard Noiriel, Longwy, immigrés et prolétaires, 1880-1980, Paris, P.U.F., 1984. 17 On peut citer comme exemple récent, parmi la pléthore de maîtrises d'histoire contemporaine produites sur la Lorraine industrielle, celle de Pascal Basse, L'italianité du Parti Communiste dans le bassin sidérurgique de Longwy : de la reconstruction du pays à celle du Parti, Essai d'histoire orale, Université de Nancy II, 1992.

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*Les mémorialistes

Pour d'autres, l'effort pour rassembler et conserver les traces du passé ouvrier de la région apparaît comme un prolongement naturel de leur activité syndicale, qui les a dotés de la compétence intellectuelle et de l'autorité pratique du porte-parole de ce passé ouvrier. La conservation systématique qu'ils ont opérée de certains souvenirs de ce passé ne s'explique donc pas uniquement par la valeur affective conférée à ces témoins de la justesse de leur engagement personnel. Elle est un moyen de constituer des ressources utiles à la cause syndicale, et de continuer à la servir en passant du rôle professionnel d'organisateur d'un mouvement collectif, au rôle personnel de témoin engagé, qui apporte à l'opinion des preuves de la valeur historique de la cause à laquelle il a consacré sa vie. La conservation de traces de luttes du passé est, dans cette perspective, inséparable du projet de rendre sensible à l'opinion publique l'utilité collective de l'activité dont elles témoignent, projet que le départ en retraite ou la démission "volontaire" permettent à l'individu de réaliser. Si cette exploitation documentaire des souvenirs d'une activité syndicale n'a pas été anticipée, un contexte politique favorable à leur valorisation, joint à la maîtrise de l'écriture qu'apporte l'exercice d'une responsabilité syndicale, autorise cette métamorphose de l'acteur retraité ou démissionné en historien de l'action syndicale. Ce travail de mémorialiste se rapproche, du fait de la valorisation qu'il propose de la lutte collective, du travail d 'un publidste. Deux types exemplaires de mémorialistes sont représenté par MM. Conraud et Olmi.

M. Conraud a accumulé d'importantes archives sur la mémoire ouvrière, et notamment d'archives syndicales. Il est, en effet, reconnu comme le fondateur de la CFDT en Lorraine. Retraité, il rédigera, sous la direction de Serge Bonnet, une histoire de la CFDT et de la CFTC en Lorraine, de 1890 à 1965, Militants au travail, publié aux Presses Universitaires de Nancy18. Il produira également un Plaidoyer pour les

archives syndicales, publié par les Archives Départementales de la Moselle et le Conseil Général de la Moselle, dans lequel il propose une démarche pour le recueil, le classement, et l'exploitation des archives syndicales. Proche de Serge Bonnet avec lequel il a collaboré pour L'homme du fer, il est présent à la réunion, et adhère à l'association dont il est membre. Sa

18 Jean-Marie Conraud, 1890-1965, Militants au travail, OUT et CFIÜ dans le mouvement ouvrier lorrain, Nancy, P.U.N., 1988.

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pratique d'écriture le différencie nettement, par le rapprochement qu'il opère de sa compétence personnelle avec une compétence conventionnelle d'historien , de l'écriture militante de M. Olmi.

M. Olmi est un ancien responsable de l'Union locale C.G.T. de Longwy. Il a été un des animateurs des grèves de 1978-79, et fondateur de Radio Lorraine Coeur d'Acier, une des premières radios libres françaises, créée par la C.G.T. pour mobiliser l'opinion publique régionale. Il est "démissionné" de son poste à la C.G.T. à la suite d'un différent qui l'oppose à son organisation, laquelle refuse l'orientation généraliste de la radio et ver lui imposer une orientation strictement militante. Il milite par la suite dans le groupe Longwy 1979-1984, un des groupes animateurs des grèves de 1984 à Longwy, qui se caractérise par son ancrage à l'extrême gauche19. Dans ce cadre, il participe à la rédaction d'un ouvrage collectif d'histoire immédiate, qui vise à justifier le projet politique de Longwy 1979-1984.. Il n'est pas u n proche de Serge Bonnet, mais adhère aux activités de l'ARESSLI, auxquelles il participe épisodiquement. Son travail d'historien est donc intégré dans son action militante — il est invité au titre de représentant de l'Institut d'histoire sociale de la C.G.T. de Nancy20, ce qui trouble son identification, la visée « politique » de son écriture la distinguant de la finalité « culturelle » de celle de M. Conraud, qui justifie, on l'a vu, son subventionnement par le Conseil Général de la Moselle.

— Les noms d'érudits locaux

Le nom d'Adrien Printz nous confronte à la figure exemplaire de l'historien local, en tant qu'écrivain inlassable de l'histoire de la localité à laquelle il s'est attachée, et dont il fixe, sans exclusive aucune, tous les souvenirs qu'il estime clignes d'être mémorisés pour les générations futures. Germanophone et francophone21, autodidacte, fils de lamineur, il a été employé dans l'administration d'une entreprise sidérurgique, et est u n militant de la CFTC Historien des vallées sidérurgiques de la Fensch et de

19 Sa situation de déshérence sociale et politique, selon Fabrice Montebello qui l'a rencontré à cette époque, donne un sens particulier à sa participation aux réunions de l'ARESSLI, qui lui apportent un appui psychologique. 2 0 Cet Institut publie à l'époque une revue intitulée Passé Présent (on aura reconnu la référence à Gramsci) consacrée à la mémoire communiste (Front Populaire, grèves de 1948, Brigades internationales) de la Lorraine. 2 1 Cette précision est importante, parce qu'elle signifie qu'il a été scolarisé à dans une Lorraine encore annexée, expérience qui a favorisé beaucoup de vocations d'historien local par le décalage personnel qu'elle entraîné chez nombre d'individus.

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l'Orne, mémorialiste de la petite commune d'Uckange ou il réside, agglomération urbaine composite où s'interpénétrent les restes d'un ancien village, des séries d' habitations ouvrières et un ensemble imposant de hauts-fourneaux, il cultive donc aussi bien l'esprit de clocher et la célébration des vieilles pierres des villages lorrains, que la curiosité savante et l'étude documentaire des conditions historiques de l'industrialisation de la « vallée usinière »22 dont Uckange fait partie. Auteur de plus de quinze ouvrages, publiés à compte d'auteur, sur "son" village et "sa" vallée, il est aujourd'hui décédé. Mais sa mémoire est entretenue par son fils, et l'association Mémoire et avenir des vallées sidérurgiques de la Fensch et de

l'Orne, laquelle republie régulièrement ses ouvrages23, tous épuisés et très recherchés par les amateurs d'histoire de cette vallée.

La présence de son nom sur la liste est à la fois un hommage rendu à son action pour la connaissance historique de la région et une reconnaissance de sa contribution à « l'histoire sociale lorraine ». S'il se rapproche en effet, par certains aspects de son oeuvre, des figures traditionnelles du prêtre-historien de la paroisse ou de l'instituteur-historien de la commune, il s'assimile, par l'effort particulier qu'il a entrepris pour rendre compte de l'apparition et du développement de l'industrie sidérurgique locale, à un historien moderne du travail. L'attention qu'il porte aussi bien aux générations d'industriels et à l'évolution technologique des usines, qu'aux conditions de travail des ouvriers et à leur vie quotidienne, permettent de le considérer comme u n historien social spontané, ce que confirme sa sensibilité, perceptible lorsqu'on' lit ses ouvrages, à la grandeur du travail ouvrier.

D ne vient pas à la réunion, mais son invitation s'imposait pour affirmer l'esprit d'ouverture des organisateurs, et leur refus de défendre une orthodoxie scientifique ou militante. Sa présence sur la liste signale aux autres invités la volonté de fonder la vie de l'association future plus sur la passion partagée pour l'histoire particulière de la région, que sur une affinité professionnelle ou une conviction idéologique. Il confirme le fait qu'une pratique personnelle d'historien d'un monde industriel local est

22 Adrien Printz, La. vallée usinière, Florange, Mémoire et avenir des vallées sidérurgiques, rééd. 1985. 23 "Les amis d'Adrien Printz" est une association créÉe en 1987 qui possède un journal (1 numéro par an), a organisé 12 expositions, et propose régulièrement des sorties culturelles consacrées à la visite des hauts-lieux de la Région, ce qui donne la mesure du public important qu'elle intéresse.

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une qualité suffisante pour être jugé digne d'être membre de la communauté intellectuelle que préfigure la liste.

— Les noms d'experts de la sidérurgie lorraine

Resitués dans le contexte historique de l'invitation, certains noms manifestent le souci d'établir des liens avec des personnes qualifiées moins par leur travail d'historien, que par leur contribution à la défense du passé industriel de la région. La présence de leurs noms sur la liste signale ainsi aux invités le bien commun supérieur qui justifie le rassemblement de leurs compétences, celui d'une région engagée à son corps défendant dans une restructuration qui réinterroge sa tradition industrielle et constitue une menace pour son développement future. Le cas exemplaire est celui de M. Gendarme. Professeur à la Faculté de Droit de Nancy I, Responsable à l'Institut d'Administration des Entreprises, il a été l'un des experts de la CE.E. chargés d'étudier les problèmes de reconversion industrielle de la zone sidérurgique Chiers-Semois, et membre de la CO. D.E.R. de Lorraine. Il a publié, en 1985, à la suite de cette expertise, un ouvrage consacré à la crise de la sidérurgie lorraine, sous un titre significatif, Les coulées de l'avenir24.

On peut lui associer, bien qu'il n'ait pas assumé de fonctions d'expertise industrielle, le nom de M. Borella, professeur de droit à l'Université de Nancy I. Spécialiste des partis politiques en France en Europe, il est également un élu du Parti Socialiste, qui met toute son autorité intellectuelle au service de la défense de l'industrie sidérurgique lorraine. Leur invitation confirme que le critère objectif d'identification des individus, la pratique personnelle d'historien du monde industriel lorrain, s'articule à un critère subjectif de qualification de ces individus, leur sensibilité personnelle à l'histoire industrielle de la région, qui les constitue en défenseur d'une activité traditionnelle de la région

Outre qu'elle permet de transgresser des limites disciplinaires, des hiérarchies professionnelles et des barrières sociales, la valorisation de ce critère donne un sens concret à l'organisation de la réunion, perceptible immédiatement pour ceux qui sont familiarisés avec les noms portés sur la liste. L'intérêt pour l'étude 1'« histoire sociale lorraine » se traduit spontanément, pour les lecteurs de l'invitation, en un intérêt pour la défense du patrimoine sidérurgique lorrain, qui permet de lier travail

2 4 René Gendarme, Sidérurgie lorraine. Les coulées de l'avenir, Nancy, P.U.N., Metz, Éditions Serpenoises, 1985.

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d'historien et action culturelle, intérêt particulier du chercheur et intérêt

général de la communauté historique à laquelle il appartient.

— Les noms dl"artistes"

La valorisation du critère de la sensibilité personnelle à l'histoire de la région explique l'inscription, sur la liste, de noms de personnes exerçant u n métier d'art, ou investies dans une activité littéraire, et qui mettent leur compétence personnelle au service de la promotion de la culture industrielle régionale.

On peut ainsi reconnaître :

* Un artisan photographe, M. Verny , dont la collection de clichés personnels a servi à réaliser une partie de l'iconographie de l'Homme du Fer.

* Une romancière, Mme Blanc (dont nous avons déjà fait mention) auteur de Marie-Romaine, un « roman biographique » qui a obtenu le prix Erckmann-Chatrian en 1978, très proche de Serge Bonnet, et dont le projet est d' « écrire une "saga" des immigrés du Pays-Haut, venus d'Italie, de Pologne et d'ailleurs, pour construire avec leurs familles la Lorraine du Fer »25.

* Un instituteur, M. Gangloff, qui consacre ses loisirs à l'écriture et à la réalisation de spectacles consacrés à la mémoire collective du Bassin Houiller Lorrain.

Leur invitation confirme le souci des organisateurs d'articuler la production de connaissances historiques sur la Lorraine, et la promotion d'un imaginaire industriel de la région. Par là, la volonté qui les anime de constituer, par l'intermédiaire de l'expertise historique, une image de marque de la Lorraine, justifiant la préservation et le développement de son potentiel industriel, est confirmée. Elle autorise l'articulation d'une préoccupation scientifique et d'un intérêt artistique dans une action de représentation collective d'une communauté historique particulière, la « Lorraine industrielle » dont la réalité peut être authentifiée aussi bien par

25 Anne-Marie Blanc, Marie-Romaine, Metz, Éditions Serpenoises, 1978, rééd. 1990..

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les preuves objectives qu'apportent le dépouillement des archives, que par

les preuves subjectives que constitue le témoignage artistique.

— Les noms de "jeunes" historiens

Un certain nombre de noms inscrits sur la liste sont des noms de personnes que l'intérêt qu'ils portent à l'histoire industrielle de la région qualifie pour faire partie de la réunion, mais dont la recherche n'a pas encore de consistance pratique. Leur déclaration d'intention justifie leur invitation en même temps qu'elle garantit l'utilité intellectuelle de la réunion, les chercheurs les plus aguerris faisant bénéficier les plus "jeunes" de leur expérience. Le cas exemplaire est celui de M. Spitoni, mineur retraité, porteur d'un projet d'histoire technique de la mine dans laquelle il a travaillé. Par leur intermédiaire, l'échange d'informations prend le sens d'une aide pratique au traitement des problèmes techniques que pose la description historique d'un objet local. Il apporte en même temps une stimulation intellectuelle à le constituer en témoin d'une histoire sociale de la Lorraine, et d'éviter aussi bien le rabattement sur la simple chronique locale qui guette l'historien du dimanche, que la neutralisation de la spécificité régionale de l'objet qui caractérise l'histoire académique. Par ailleurs, leur présence personnelle manifeste l'intéressement des ouvriers à la production scientifique d'une histoire dont ils sont les acteurs.

— Les noms de personnes concernées pratiquement par l'activité des historiens régionaux

L'invitation de certaines personnes se justifie en effet, non pas le projet d'histoire sociale dont elles sont les porteurs, mais par le soutien professionnel ou personnel qu'elles apportent à la réalisation de ce projet. Il en va ainsi de M. Collin, alors directeur des Archives Départementales de la Meurthe-et-Moselle, dont la conscience professionnelle suffit à justifier l'invitation. Il en va également de ceux qui, comme Mme Richard, sont concernés par des travaux qui intéressent potentiellement le service de publication de l'Université de Nancy H, les Presses Universitaires de Nancy, dans lequel elle travaille. Mais il en va également ainsi pour les personnes que leur fonction professionnelle intéresse logiquement aux travaux portant sur l'histoire sociale de la région.

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Avec cette dernière catégorie de noms, nous sommes évidemment confrontés aux problèmes que pose toute classification. Dans la mesure, en effet, où les individus appartiennent à de collectifs, il est difficile de distinguer les raisons personnelles qui les meuvent de l'intérêt collectif auquel cette action se conforme. Il en va ainsi de toutes les personnes que nous avons identifiées, ce qui interdit de transformer les noms de la liste en des indicateurs de logiques concurrentes et incompatibles. L'invitation des professeurs d'histoire de l'Université de Nancy IL par exemple, réalise une sympathie partagée avec certains objets locaux tout autant qu'une familiarité sociale ou professionnelle qui les unit à Serge Bonnet. La spécialisation professionnelle dans l'histoire politique n'exclut pas u n intérêt personnel pour l'histoire industrielle de la région, comme le montre l'article de M. Barrai, publié en 1982 dans les Annales de l'Est, et consacré à une étude historique de l'usine de Pont-à-Mousson. De ce point de vue, il fait tout autant partie de la dernière catégorie que de la première, son invitation se justifiant aussi par le fait qu'il se sent concerné par la sidérurgie lorraine, même s'il s'éloigne, en l'étudiant, de sa spécialité.

Il importe ainsi de ne pas mésestimer la difficulté à identifier la raison de l'investissement des individus dans la production d'histoire industrielle de la lorraine, du fait des sens différents qu'ils vont lui donner selon les situations dans lesquelles ils s'engagent, et qui n'apparaissent incompatibles que si l'on privilégie le point de vue des groupes auxquels on les rattachent.

L'identification que nous venons de proposer des noms portés sur la liste ne vise donc pas à différencier des types de personnes, mais des types de situation qui les qualifient comme des individus disponibles pour réaliser un projet d'organisation de la production d'histoire industrielle de la Lorraine. Comme telle, cette identification apporte une image du contexte historique qui a favorisé la création de l'ARESSLI, par l'action conjuguée de plusieurs médiateurs entre un intérêt individuel et un intérêt collectif.

2.2. Un contexte favorable

Le lieu de la réunion nous met directement en contact avec la multiplicité des acteurs collectifs, dont les initiatives ont favorisé la création de l'ARESSLI.

* Le Musée du Fer

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Le Musée est ouvert en 1966 grâce à des subventions de l'État, de la Sidérurgie et de la Ville de Nancy.

Il n'offre pas simplement aux amateurs d'histoire locale un lieu de rencontre, mais une stimulation à collecter des archives et à produire des écrits sur l'histoire industrielle de la région. D met à leur disposition une bibliothèque importante — le musée ne devant être au départ que la « vitrine » d'un institut de recherche sur l'histoire du fer — et des personnes compétentes et disposées à soutenir leur travail, du fait de leur impossibilité « d'aller sur le terrain » faute des financements indispensables26. L'orientation scientifique du musée, qui s'intéresse à l'histoire technique du fer européen, rend en effet parfaitement acceptable, d'un point de vue à la fois promotionnel et éducatif, le soutien à des travaux d'historiens amateurs. Comme le partenariat scientifique avec des historiens confirmés et des chercheurs en sciences sociales, tel Serge Bonnet, qui se justifie par la complémentarité intellectuelle de l'histoire technique et de l'histoire sociale du fer, il permet d'étudier « l'aspect humain du fer »27 et d'intéresser plus largement le public local.

Les événements économiques et politiques de 1978 ont largement contribuent à la valorisation de ce rapprochement avec l'histoire industrielle locale, en justifiant l'intérêt d'une mise en forme régionale de tous les outils de recherche disponibles sur cette histoire, au nom du Bien Commun supérieur que représentait le fer lorrain pour tous les personnes sensibilisées à l'avenir de la région.

Une tradition nationale de recherche scientifique, l'archéologie du fer28, se trouve ainsi mise au service de la défense de la tradition industrielle de la région qu'effectuent, à partir de 1978, les élus politiques lorrains. Outre en effet l'aide technique qu'il continuera à apporter aux chercheurs, la mission pédagogique de formation du public local assumée

26 Selon la présentation faite par Anne Laumon, un des conservateurs du Musée, en 1983 in Patrimoines Culturels Locaux, « Le fer en Lorraine », n° 6, Février 1983, Publication du CRDP de Nancy, p. 58. 27 Ibid., p. 7. 28 Représentée à Nancy par Albert France-Lanord, son initiateur en France, chercheur très réputé et conservateur prestigieux, jusqu'au début des années 80 du Musée du Fer de Jarville. On sait que c'est en 1939 qu'Albert France-Lanord, alors ingénieur de formation, inaugure, avec Edouard Salin, les travaux de son future Laboratoire d'Archéologie des Métaux (créé en 1959) par des travaux sur le damas et la damasquinure, deux techniques du fer spécifiques de l'époque mérovingienne, dont Edouard Salin est alors le grand spécialiste.

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par le Musée du fer, en tant que musée républicain, le conduira à donner sa caution scientifique, dans un contexte de démantèlement, à des travaux dde défenseurs de l'histoire industrielle de la région, et à participer ainsi à la reconnaissance de l'importance culturelle de l'histoire industrielle de la Lorraine. Cette situation a favorisé, incontestablement, l'apparition et la réalisation de vocations d'historien dans d'autres cercles que celui des chercheurs universitaire ou des membres des sociétés d'histoire traditionnelles

Les stages de formation, réalisés en 1978 et 1981, par le Centre Régional de Formation Pédagogique de Nancy rendent bien observable le rôle du Musée du Fer dans la construction d'une sensibilité régionale au patrimoine sidérurgique lorrain. Inscrivant explicitement la sidérurgie lorraine dans le cadre de la formation au patrimoine culturel local que le CRDP propose aux enseignants des collèges et lycées de l'Académie, ces deux stages portent, pour le premier, sur La sidérurgie moselîane 29et, pour le second, sur Le fer en Lorraine.30. L'animation d'une journée du second stage sera entièrement prise en charge par Le Musée du Fer, de façon cohérente avec la volonté du CRDP de dépasser le niveau du département (la Moselle) et de proposer une perspective régionale sur la sidérurgie. La lecture des comptes-rendus nous informe sur le sens de cette évolution caractéristique.

Le premier stage, consécutif à l'annonce de la restructuration de la sidérurgie lorraine, porte la marque d'une réaction affective des responsables universitaires messins de ce stage face à ce qu'ils ressentent comme une situation « dramatique ». La convocation de trois personnalités locales — « enfants du pays, hommes sortis du rang, hommes engagés », spécialistes des problèmes de la sidérurgie lorraine — pour faire profiter les stagiaires de «leur expérience et de leur compétence »31, la présentation précise des caractéristiques du dispositif de production sidérurgique de la Moselle, la visite des usines d'Hayange de la Sollac, le débat public et houleux organisé dans l'amphithéâtre de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Metz rendent bien compte d'un sentiment d'urgence et d'une volonté de sensibiliser le public à l'injustice que constituerait l'application du plan sidérurgique annoncé. De ce fait, c'est plus un état des lieux de la

2 9 Patrimoines Culturels Lorrains, « La sidérurgie moselîane », n° 5, Mars 1982, Publication du CRDP de Nancy, 3 0 Patrimoines Culturels Lorrains, n° 6, op. cit. 3 1 Patrimoines Culturels Lorrains, n° 5, op. cit., p. 25.

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sidérurgie mosellane, permettant de critiquer la mesure annoncée, qu'une formation proprement dite, que ce premier stage propose aux enseignants.

Il n'en va pas de même pour le second stage. Bien que complémentaire du premier — il s'adresse aux enseignants de la Meurthe-et-Moselle, et se justifie par l'existence d'un patrimoine industriel de ce département — il valorise la dimension régionale et la qualité culturelle de son objet. S'ouvrant par une visite du Musée du Fer sous la conduite de sa conservatrice, il propose trois conférences sur Le fer en Lorraine, celle de l'archéologue France Lanord (alors toujours conservateur en chef du musée), sur « La ferronnerie et Jean Lamour »32 , celle du professeur Peltre, de l'Université de Nancy, sur « L'histoire du fer en Lorraine », celle d'Anne-Marie Blanc sur « L'homme et le fer ». L'association de ces trois conférences, en liant l'histoire de l'art, l'histoire delà technique, et l'histoire de la vie quotidienne des ouvriers, fait de la Lorraine un objet intellectuel consistant, puisqu'elle permet de lui attribuer les trois caractéristiques d'une formation historique indépendante. Elle montre la conjonction historique, en Lorraine, d'une communauté esthétique, d'une société économique et d'une réalité éthique particulière qui ont fait la Lorraine actuelle, et justifie sa considération comme une entité historique réelle, sur laquelle les individus peuvent s'appuyer pour interpréter ce qu'il voit et ce qu'ils vivent. Le compte-rendu prolonge ce travail de sensibilisation à la réalité de cette entité historique, et à l'intérêt de son étude, par les bibliographies thématiques qui lui sont jointes. Mais aussi et surtout, il constitue u n moyen de sensibilisation des stagiaires aux initiatives locales de production d'une mémoire industrielle régionale, par le recueil et la mise en circulation d'archives industrielles de la région. Le compte-rendu de ce stage présente en effet, en annexe 4, le procès-verbal, par Anne-Marie Blanc, de la « Réunion inter-fer » qui a eu lieu en 1982, sous la direction de Serge Bonnet au Musée du fer33, et qui réunissait toutes les personnes impliquées dans l'étude de la mémoire industrielle de la région. L'intégration du procès-verbal de cette réunion dans le compte-rendu du stage, dont il ne faisait pas partie, s'explique manifestement par une volonté d'informer les stagiaires intéressés par cette mémoire industrielle sur les contacts qu'ils peuvent prendre s'ils veulent approfondir leurs connaissances. Présentant les projets et travaux de chacun de ses participants, le procès-verbal indique,

32 Jean Lamour est l'artisan des grilles de fer forgé de style rococo, chefs d'oeuvre de ferronnerie, qui ornent la Place Stanislas de Nancy, construite au XVIII ème siècle et classée au patrimoine mondial de l'UNESCO. 3 3 Patrimoines Culturels Lorrains, n° 6, op. cit. p. 57.

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en effet, leur adresse personnelle. H est donc, pour nous comme pour ses destinataires, un moyen de découvrir le réseau des amateurs d'histoire industrielle de la région, dont l'existence a permis la création de l'ARESSLI et dont elle est la cristallisation juridique.

* Le réseau « inter-fer »

La lecture du procès-verbal de la « Réunion inter-fer » de 1982 nous permet immédiatement de confirmer l'importance, dans la création de l'ARRESSLI, du réseau des personnes ayant noué précédemment, pour assurer la qualité de leurs écrits sur l'histoire industrielle de la région, des contacts personnels avec Serge Bonnet. Beaucoup des personnes qui ont participé, en 1986, à la réunion "fondatrice" de l'ARESSLL étaient présentes à cette réunion de 1982 et beaucoup s'étaient déjà rencontrées lors de la première réunion « inter-fer », qui s'est déroulée, à l'initiative de Serge Bonnet en 1979. Ces deux réunions constituent donc des étapes dans le processus de rapprochement d'individus qui travaillaient isolément et ne se connaissaient pas directement, processus qui va conduire à la création de l'ARESSLL

Ces réunions ont manifestement contribué au développement d'une familiarité intellectuelle entre ces individus et à l'établissement, entre certains d'entre eux, de rapports de coopération pratique, consistant dans l'échange d'informations (sur les lieux, les personnes, les publications qui peuvent constituer des sources utilisables, en même temps que sur les "trucs" qui permettent d'économiser du temps au chercheur). Ceci explique la grande similitude entre la liste des adresses publiées dans le compte rendu de 1982, et celle de la liste jointe à l'invitation de 1986. Sont absents de la deuxième liste des chercheurs extérieurs à la Lorraine, entrés au contact avec de Bonnet à l'occasion d'une recherche entreprise dans une région éloigné de leur lieu de travail ou de résidence. Le cas typique est celui de Michel Dion, sociologue CNRS, investi en 1982 dans un projet de recherche sur le comportement des catholiques engagés dans des mouvements politiques et des associations syndicales, et qui a choisi dans une perspective comparative avec d'autres régions, d'interroger un échantillon représentatif de personnes vivant à Thionville. Venu exceptionnellement en Lorraine du fait à la fois de ses contacts professionnels et personnels avec Serge Bonnet, il n'est pas invité à la réunion de 1986. Par contre, on trouve dans cette liste le nom de chercheurs ayant quitté la région, mais conservant des

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contacts avec Serge Bonnet et certains membres du réseau qu'il a constitué, du fait de l'enracinement et de la durée de leur investissement de recherche. Le cas exemplaire est celui de Gérard Noiriel, présent à la réunion de 1982, et invité à celle de 1986, bien qu'il ait, dès 1983, quitté son poste d'enseignant de lycée à Longwy pour entrer à l'École Normale Supérieure de Fontenay-sous-Bois, où il réside dorénavant.

La création de l'ARESSLI s'explique ainsi, partiellement, par la dynamique propre du réseau de relations tissées par Serge Bonnet. L'intérêt intellectuel et l'utilité pratique de ces réunions, ressentis par les individus qui y ont participé, a justifié l'idée de leur transformation en un service permanent offert par une association, dévolue à cette fonction, et assurant la régularité de ces réunions, en supportant les charges que représentaient leur organisation et la gestion des échanges entre les membres.

Mais cette dynamique ne suffit pas à justifier la création de l'ARESSLI et le passage des événements intéressants que représentaient ces réunions — du fait de leur fonction hybride de salon intellectuel, de bourse pour

collectionneurs d'archives, et d'assemblée générale d'une société savante — en un équipement permanent et revendiquant une fonction scientifique. Le

refus exprimé par Serge Bonnet, dans son discours d'ouverture de la réunion de 1982, d'attribuer à cette réunion une visée institutionnelle ou une mission intellectuelle34 confirme la manière dont le contexte intellectuel de la reconversion sidérurgique de la région, désormais irréversible, a modifié le sens des travaux entrepris par les membres du réseau. Comme le faisait remarquer le directeur du CRDP de Nancy, en 1982, dans sa présentation du stage sur La sidérurgie mosellane, les documents rassemblés pour ce stage représentaient déjà, alors qu'à peine 3 ans venaient de s'écouler, « une vue historique et donc dépassée du problème de la sidérurgie lorraine »35. Cette accélération de l'histoire, en même temps qu'elle fait apparaître aux individus sensibilisés à l'avenir de la région le caractère dépassé de documents pourtant très récents, constitue ces documents en documents historiques, qu'il importe de conserver et d'étudier rapidement. Ce sentiment d'urgence n'est pas simplement dicté par le risque de destruction des traces matérielles d'un passé devenu historique, mais par le respect des témoins humains de ce passé historique, qui restent bien vivants, et qu'il importe de comprendre pour les aider à

3 4 Serge Bonnet souligne que la réunion est une « réunion sans lendemain, elle n'a pas comme but la création d'une nouvelle institution ou d'une revue supplémentaire », Patrimoines Culturels Lorrains, n° 6, op. cit. p. 57. 35 Patrimoines Culturels Lorrains, n° 5, op. cit. p. 1.

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s'adapter à l'évolution économique de la région. L'ambiguïté qui caractérise ce souci de protéger des hommes victimes d'une crise économique et subissent un changement radical de leur manière de vivre doit être soulignée. En même temps que ce souci des hommes donne un sens acceptable à ce qui pourrait apparaître sinon comme la satisfaction d 'un plaisir personnel de collectionneurs d'objets du passé —d'une passion anormale par l'importance qu'elle attribue à des choses inutiles et sans valeur pour la vie collective — il conduit à justifier l'intérêt documentaire pour les chercheurs de ces hommes qui portent les marques d'une culture professionnelle aujourd'hui dépassée, et à laquelle ils sont attachés.

L'association qui s'effectue par l'intermédiaire de Francis Dechassey, et que nous avons déjà soulignée, entre une tradition d'histoire sociale de la grande industrie, représentée par Serge Bonnet, et une sociologie du travail et de la formation que rend nécessaire la construction de dispositifs de reconversion des « hommes du fer », manifeste bien cette ambiguïté, en même temps que l'efficacité intellectuelle de cet arrangement disciplinaire particulier. Permettant d'assimiler, selon le mot célèbre de Pierre Bourdieu, l'histoire industrielle à une sociologie du passé utile à la reconversion économique de la région, elle autorise symétriquement la considération de la sociologie du travail comme une histoire du présent, qui garantit le respect de la culture qui fait la particularité de ces hommes, et qui les attache à la région36. Dans cette perspective, l'utilité sociale de ce qui ne serait sinon qu'une nouvelle association culturelle, sans autre justification que le plaisir commun pris par des individus à l'étude du passé de la région, peut être argumentée. Et l'expertise scientifique que constitue potentiellement u n réseau de connaisseurs très compétents de l'histoire industrielle de la région devient une justification de sa transformation en un équipement collectif de recherche. Équipement intellectuel utile aux décideurs de la région pour assurer l'adaptation la plus harmonieuse possible de la population de cette région à de nouvelles conditions économiques d'existence, il permet aux

3 6 La refonte disciplinaire qui fait l'originalité de l'ARESSLI est bien illustrée par le travail de Gérard Noiriel, qui mêle l'histoire culturelle du passé et l'histoire sociale du présent, et dont l'ouvrage sur les ouvriers de Longwy, paru en 1983, sert de référence majeure à nombre de chercheurs actuels de l'association. Les contestations, les critiques, voire les dénonciations qui accompagnent son utilisation ne pourront être étudiées que dans le rapport final. Une restitution précise du contexte intellectuel dans lequel elles s'expriment est, en effet, nécessaire pour neutraliser notre implication dans l'histoire locale, et le double piège de l'indignation partagée contre un chercheur "parisien", ou du mépris scientifique à l'égard des historiens "locaux, qui guette tout regard rapproché.

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chercheurs d'échapper, par l'intérêt public qu'il satisfait, au double danger de mondanité et de carriérisme qui contredisait, pour Serge Bonnet en 1982, l'institutionnalisation de son réseau d'amis de l'histoire du fer.

La prise en compte du rôle du réseau créé par Serge Bonnet dans la création de l'ARESSLI, par la conjonction de sa dynamique interne avec celle d'un certain contexte politique et économique, permet cependant de reconnaître un autre acteur collectif important pour la création et le développement de cette association. H s'agit de l'industrie sidérurgique locale.

* Les entreprises sidérurgiques

Bien que leur rôle ne soit pas valorisé par les membres de l'ARESSLL elles sont un élément important du contexte de sa création. Elles apportent d'abord une raison positive à sa création, car les dispositifs de reconversion qu'elles financent impliquent la mobilisation d'experts et de formateurs compétents en matière de publics ouvriers. Cette situation constitue un marché de la formation, qui intéresse directement certains membres de l'ARESSLI en termes de contrats de recherche et d'animation. Leur action s'exerce aussi négativement par la fermeture de sites qui permettent de poser, au travers du choc affectif que représente la destruction matérielle d'un paysage familier, le problème de la conservation des archives abandonnées par les entreprises. Ces documents privés, que le souci du secret des gestionnaires des grandes entreprises sidérurgiques interdisait au public de consulter ou de conserver, dans l'indifférence générale malgré les protestations des archivistes régionaux, se retrouvaient désormais, dans grand nombre de cas, sans propriétaires et offertes au tout venant. La situation se prêtait donc à la reconnaissance par le public de la nécessité de la conservation de ces archives, à la fois pour leur intérêt historique général et pour la mémoire régionale qu'elle représentait. Le problème du devenir des archives intéressant de droit aussi bien les pouvoirs publics que les collectivités locales a constitué ainsi un terrain favorable à la stabilisation de l'ARESSLI grâce à des subventions publiques, légitimées par la nécessité du recueil et de la protection de ces archives. Par ailleurs, le contexte émotionnel créé par les luttes pour la défense de la sidérurgie, et les mobilisations collectives qu'elles ont suscitées apportaient, au plan national comme au plan local, une raison de reconnaître la valeur générale de ces archives pour la collectivité. Ce contexte émotionnel

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explique comment le souci scientifique de préserver des documents administratifs exploitables par les historiens du futur a pu servir à soutenir l'invention, au sens archéologique du terme, d'archives culturelles régionales et, au delà, a favorisé la construction de monuments historiques de la sidérurgie. La création de l'Association Pour l'Étude et la Préservation du patrimoine du bassin de Longwy-Villerupt (APEP) à la fin des années 70, une association du Pays-Haut réunissant d'anciens sidérurgistes préoccupés d'enregistrer la mémoire ouvrières du Pays-Haut^ est exemplaire à la fois de l'attraction et de la mobilisation affective suscitées par les archives d'une grande entreprise sidérurgique locale, et du travail d'invention qui a permis de justifier leur conservation. Animée par David Charasse, alors jeune doctorant en sociologie, et bénéficiant du patronage scientifique de Gérard Noiriel — que sa thèse sur les ouvriers de Longwy, publiée aux P.UJF, a fait reconnaître nationalement comme un spécialiste de l'histoire de la sidérurgie lorraine — cette association se consacrera pendant deux années, à l'aide de subventions accordées par la Mission du Patrimoine, à la constitution d'archives orales de la sidérurgie du Pays-Haut37. Ces archives, constituées d'enregistrements de souvenirs d'ouvriers de l'agglomération posent aujourd'hui, comme les documents administratifs de l'entreprise Lorraine-Escaut récupérés par une autre association, le problème de leur conservation et de leur utilisation, du fait de la dissolution de fait de l'APEP. Au delà de ce travail d'invention d'archives, l'obtention, par la municipalité d'Uckange, du classement à l'inventaire des monuments historiques d'un des trois hauts-fourneaux du site industriel de cette commune, témoigne de la manière dont le souci de protéger des documents menacés de destruction constituait un contexte cognitif favorable à une entreprise de patrimonialisation. Décision prise dans l'urgence par le directeur de la DRAC de Lorraine, sensibilisé par l'ethnologue régional au caractère injustifiable, du fait du document qu'il constituait pour l'histoire de la technique sidérurgique, de la destruction du dernier haut-fourneau de Longwy, elle pose aujourd'hui le problème de sa justification. Le haut-fourneau d'Uckange ne se prête en effet à aucune exploitation muséographique, du fait des énormes investissements financiers que nécessiterait la seule ouverture du site au public.

37á' Ce travail a donné lieu à un rapport pour la Mission du Patrimoine Ethnologique, rédigé par Gérard Noiriel, intitulé Recherches sur la "culture ouvrière" dans le bassin de Longwy (1983).

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On voit bien, notamment au travers du premier exemple — David Charasse et Gérard Noiriel, ainsi que l'APEP, étaient alors membres du réseau « inter-fer » — comment les entreprises sidérurgiques locales ont, par l'intermédiaire de leurs décisions de fermeture et leurs plans de reconversion, apporté à l'ARESSLI non seulement des arguments mais des moyens de développement. Il est intéressant de souligner la manière dont certaines entreprises, dans une perspective de relations publiques, revendiquent aujourd'hui leur utilité culturelle pour la région, et leur souci du public, en constituant leurs documents administratifs en fonds d'archives mis à disposition de tous les historiens de la région38. Ces initiatives sont exemplaires, en effet, tant de la reconnaissance par les spécialistes de la gestion d'entreprise de l'intérêt de produire et d'entretenir une culture d'entreprise, que de leur volonté de promotion d'un savoir-faire régional utile à leur image de marque, promotion à laquelle l'ARESSLI a participé et dont elle a, partiellement bénéficié. Cette valorisation d'une qualité industrielle de la région, par la mobilisation d'un imaginaire historique de la sidérurgie, nous confronte au rôle important qu'a joué, dans la création et la pérennisation de l'ARESSLI, le marché de l'histoire locale.

* Le marché de l'histoire locale

Il s'agit également d'un facteur déterminant de la création de l'ARESSLI.

En tant que marché de l'édition, il justifie, en effet, aussi bien l'investissement personnel des membres de l'ARESSLI dans l'écriture d'ouvrages historiques, que l'organisation par l'association de colloques publiables, parce qu'ils intéressent potentiellement des éditeurs régionaux. On a vu la manière dont le succès editorial deL'Homme du Fer, éclaire la sympathie que suscite le Père Bonnet dans la région, indépendamment de ses qualités scientifiques de chercheur. Ce succès editorial n'est pas uniquement lié à un contexte affectif qui contribue, à partir de 1979, à faire surgir une nostalgie à l'égard d'un passé désormais définitivement révolu. Le livre de Serge Bonnet satisfait en effet la demande d'un lectorat local, constitué à la fois de retraités de l'industrie sidérurgique et minière et d'enfants de familles ouvrières auquel le sacrifice de leurs parents, dans u n

38 Le cas le plus exemplaire est le centre Espace Archives Usinor-Sacilor de Sérémange, ouvert en janvier 1991 au public. Signalons que L'ARESSLI lui « donne la parole » dans le n° 6 de sa Feuille d'Informations, Nancy, 1995.

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contexte économique favorable, a permis une promotion intellectuelle et sociale, us ont pu faire des études universitaires, et si certains ont quitté la région, beaucoup ont intégré la fonction publique ou des entreprises du tertiaire. Ce nouveau lectorat se caractérise donc à la fois par une habitude du livre et un attachement personnel à la région et constitue une demande potentielle, comme le succès du livre de Bonnet permettra de le confirmer. Reliée à une demande plus générale de livres de qualité portant sur l'histoire régionale, que confirme le succès national de certains livres d'historiens savants, destinés aux classes moyennes, et valorisant une culture régionale39, elle forme un contexte qui va stimuler, en Lorraine, le développement d'entreprises editoriales régionales.

Les Éditions Serpenoise constituent, en Lorraine, la plus importante de ces entreprises. Le développement que connaît cette maison d'édition s'explique par le poids économique et l'audience du Républicain Lorrain, le seul grand quotidien régional indépendant encore existant, qui l'a fondée à la fin des années 70. Lu par tous les foyers de la Lorraine du nord, le Républicain Lorrain représente le type même du quotidien régional traditionnel. Encore possédé et dirigé par la famille qui l'a créé, géré d'une manière paternaliste, son audience s'explique par son souci de défendre et de promouvoir le développement local, que confirme le soutien qu'il apporte aux entreprises mosellanes et aux institutions culturelles messines. Sise à Metz, cette entreprise de presse se partage en effet avec l'Est Républicain de Nancy, et les Dernières Nouvelles d'Alsace de Strasbourg, deux quotidiens dépendants désormais du groupe Hersant, le lectorat de la région Est. Cette situation met objectivement le Républicain Lorrain en concurrence économique avec l'Est Républicain, et le dispose à soutenir la bataille politique que se livre, depuis la réannexion, Metz et Nancy pour obtenir le titre de capitale de la Lorraine. Les Éditions Serpenoise ne se laisse pas du même coup réduire à une maison d'édition classique, la visée économique de cette entreprise étant difficilement separable d'une visée politique. Comme l'Association des Amis des Universités Lorraines, que préside sa propriétaire et dont l'action a permis la création et le développement de l'Université de Metz, les Éditions Serpenoise représentent, en même temps qu'un instrument de valorisation d'une identité régionale, un moyen d'affirmer le rôle culturel de la Lorraine Mosellane et de sa capitale. Une politique très volontariste de publication l'a

39 Dont le paradigme est évidemment donné Montaillou, village occitan 1294 à 1324 d'Emmanuel Le Roy Ladurie, publié par Gallimard (1975) et tiré à 130 000 exemplaires en deux ans.

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ainsi conduit à développer une offre très pléthorique, des livres de recettes régionales aux thèses universitaires, au sein de laquelle les livres de qualité sur les monuments historiques de la région, accompagné de photographies artistiques, tiennent une grande place40.

Cette situation, jointe à l'énorme succès de L'Homme de Fer, explique la publication par les Éditions Serpenoise d'ouvrages sur la sidérurgie. L'effet que cette offre de publication exerce sur la production locale d'histoire est verifiable à la fois par la constitution de l'histoire industrielle en un genre de littérature, en la diversification de ce genre, et enfin à son élaboration technique. On est ainsi passé de L'Homme du Fer, qui associe dans une visée d'histoire générale témoignages biographiques, analyse économique, étude sociologique, présentation de faits divers, chronique politique, etc., et dont chaque tome est illustré de reproductions photographiques en noir et blanc sur papier normal, à des ouvrages plus spécialisés et plus élaborés. Le roman biographique mettant en scène la vie des ouvriers, le livre de cuisine de l'immigration, l'ouvrage scientifique consacré à Patrimoine et Culture Industrielle en Lorraine41, l'évocation photographique des hauts-lieux de l'industrie minière et sidérurgique coexistent aujourd'hui au catalogue. Cette diversification s'accompagne d'une valorisation de la qualité culturelle de l'objet, les ouvrages devenant plus luxueux, leur présentation plus soignée. Les photographies deviennent de plus en plus souvent des reproductions artistiques. Il en va ainsi aussi bien des ouvrages "scientifiques" —qui présentent en sus des images d'archives des photographies réalisées spécialement pour l'ouvrage, en couleurs, grand format, et reproduites sur papier glacé — que des évocations photographiques qui se présentent souvent comme des témoignages artistiques.

Les Éditions Serpenoise ne représentent cependant qu'une voie d'accès au marché de l'édition qui a favorisé la création et le développement de l'ARESSLI. Son intérêt est qu'elles constituent un compromis entre une édition de valeur "locale", qui ne touche de fait que des personnes proches

*y Notons que la faillite récente des Presses Universitaires de Nancy met les Éditions Serpenoise en position de quasi-monopole dans la région Lorraine, compte tenu du poids économique et de l'audience que lui confère son appartenance au Républicain Lorrain. Les autres éditeurs régionaux ne peuvent en effet bénéficier qu'indirectement de la visibilité que le quotidien réserve logiquement aux ouvrages de sa propre maison d'éditions. 4 1 Anne Cook et Anne-Claire Hourte, Patrimoine et Culture Industrielle en Lorraine, DRAC de Lorraine-CCSTI du Fer et de la Métallurgie—Musée de l'Histoire du Fer, Metz, Éditions Serpenoises, 1996.

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de l'auteur, et une édition de valeur "nationale", qui intéresse de droit l'ensemble de la société française, et que permet d'authentifier le partenariat avec des autorités culturelles étatiques, comme la DRAC dans le cas de l'ouvrage sur le Patrimoine industriel . Ce compromis donne une consistance sociale et une légitimité intellectuelle à la publication de portée régionale, consistance et légitimité que renforce le succès à l'échelle nationale d'ouvrages ambitieux intellectuellement et portant sur l'histoire industrielle de la région. De ce point de vue, on peut souligner l'importance du succès de l'ouvrage de Gérard Noiriel, Longwy, immigrés et prolétaires42,

dans l'apparition et la stabilisation de vocations d'historiens de l'industrie lorraine. Cette importance certes doit être relativisée, dans la mesure où il s'agit moins d'un succès auprès du grand public, que d'une notoriété acquise par l'ouvrage dans des cercles universitaires. Mais, pour des individus informés —soit du fait de leur statut intellectuel soit du fait de leur proximité sociale avec l'objet voire des deux à la fois — de cette notoriété, l'ouvrage a certainement constitué l'écriture de l'histoire industrielle de la région en un geste exemplaire et un modèle à suivre.

Nous sommes ainsi confronté à une deuxième dimension du marché de l'histoire locale. Il ne se réduit pas en effet à un marché du livre, mais représente aussi un marché de l'expertise historique. Cette expertise historique, en tant que compétence intellectuelle, constitue un enjeu intéressant pour les individus, qui peut justifier l'investissement personnel dans l'écriture de l'histoire. Cette justification apparaît bien, par exemple, dans le cas des étudiants d'histoire enracinés dans la région, auxquels leur expérience personnelle offre à la fois une bonne raison de s'intéresser à l'histoire industrielle de la région, et une ressource intellectuelle utile à la conduite d'une recherche43. Dans un contexte universitaire qui favorise la prise en compte de la qualification locale du candidat à des fonctions d'enseignant-chercheur, dans le double sens d'une acceptation d'installation dans la localité où il doit enseigner et d'une expérience déjà acquise de

4 2 Gérard Noiriel, op. cit. Le succès obtenu par l'ouvrage a été un révélateur beaucoup d'amateurs d'histoire industrielle de la région, en leur faisant reconnaître la posssibilité d'intéresser à cet objet un public national. 4 3 C'est le cas d'un des membres de notre équipe Fabrice Montebello, qui remercie en ouverture de sa thèse d'histoire contemporaine « son père, qui ne s'est pas contenté de me transmettre son amour du cinéma américain (et au demeurant un bon sujet de thèse) mais a également facilité mon introduction auprès de ses amis ouvriers ». Sa thèse, Spectacle cinématographique et classe ouvrière, Lonwy 1944-1960, Lyon, 1997, analyse le public ouvrier de cinéma du Pays-Haut.

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l'écriture de l'histoire régionale constitue un bais stratégique pour assurer, dans la mesure du possible, un futur recrutement44. Plus généralement, et comme on l'a déjà vu pour les dispositifs de reconversion, une compétence reconnue en matière de culture industrielle de la région, et attestée par des publications historiques, constitue un moyen privilégié d'accéder, par une légère retraduction de cette compétence, aux nouveaux emplois culturels — de médiation d'animation, d'éducation — qu'exigent les dispositifs de

promotion de la culture régionale. Cette prise en compte du marché de l'histoire locale, dans le sens que

nous lui attribuons, nous servira de transition pour passer de l'étude du contexte d'apparition de l'ARESSLI à l'étude de son contexte de fonctionnement actuel, tel qu'on peut l'appréhender à travers les personnes qui participent actuellement à la vie de l'association.

2.3. Le recrutement actuel de l'ARESSLI.

Outre que certaines personnes invitées à la réunion de 1986, n'ont pas adhéré à l'ARESSLI et que d'autres l'ont quitté depuis sa création, pour des raisons souvent indépendantes de leur volonté45, l'étude du recrutement actuel de cette association achoppe sur le fait qu'il existe un fort écart, observable dans toutes les associations, entre les membres inscrits et les membres effectifs. La mesure de cet écart est rendu très difficile dans le cas de l'ARESSLI, par le fait que ses animateurs sont soucieux de confirmer l'audience de l'association, et peuvent, compte tenu de l'originalité de son projet, revendiquer l'implication personnelle de tous les membres des associations qu'elle fédère, ou dont elle est le partenaire pour certaines opérations.

Ainsi, la Feuille d'Informations n° 1, publiée en 1993 de l'ARESSLI, a proposé en 1994, une série de portraits de chercheurs sélectionnés dans les « réseaux » locaux qu'elle s'efforce d'organiser, et que rapproche un même intérêt pour l'histoire industrielle de la région46.

4 4 Signalons que Fabrice Montebello a été recruté en 1998 comme enseignant-chercheur par l'Université de Metz. 4 5 Les mutations professionnelles notamment. Notons que certaines mutations, par la promotion sociale qu'elles représentent en même temps que par le lien qu'on peut établir avec le succès editorial de la personne, comme dans le cas de Gérard Noiriel, peuvent être interprétées par certains membres de l'ARESSLI comme le résultat d'une volonté personnelle. 4 6 Nous joignons cette présentation des chercheurs de l'ARESSLI en Annexe 2.

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* L'image actuelle de l'ARESSLI

La lecture de ces portraits confirme la volonté des animateurs de l'ARESSLI de donner des preuves du dynamisme et du sérieux scientifique de l'association, en valorisant l'importance de son audience auprès des producteurs d'histoire régionale, et la compétence scientifique de ces chercheurs. Les vingt-quatre portraits proposés sont présentés comme une petite partie des personnes touchées par les activités de l'association, puisque produits « à titre d'exemple ». Leur caractérisation privilégie l'identification de leur titre universitaire, de leur vocation personnelle, ou de leur inscription disciplinaire, sur renonciation précise de leur statut professionnel, lorsqu'il ferait apparaître les limites potentielles d'une recherche réalisée pendant son loisir, pour son plaisir personnel ou pour opérer une reconversion professionnelle. L'utilisation de termes génériques comme « historien » ou « sociologue » est une manière de faire l'économie d'une description plus précise de l'activité ordinaire des individus, en même temps qu'un moyen de construire une image positive de l'association pour un public extérieur, et notamment par rapport à des subventionneurs ou à des commanditaires éventuels. Il en va de même de l'identification de l'individu par l'intermédiaire du seul intitulé de l'association dont il est membre, lorsque cet intitulé prouve le caractère original et innovant du loisir de l'individu et permet —tel l'intitulé « Atelier de mémoire ouvrière » — de lui conférer une dignité supérieure à l'exercice ordinaire du métier d'historien.

Il n'est donc pas étonnant que le regard du familier modifie, en précisant la situation effective des personnes, la première impression qu'elle procure au chercheur universitaire. Les « historiens » ou « sociologues » retrouvent leur statut, dans la classification universitaire, d'étudiants de maîtrise ou de doctorant, d'enseignant-chercheur, de chercheurs dans u n organisme public de recherche ou de chercheurs indépendants.

La liste exemplaire nous confronte ainsi à :

— 7 étudiants, dont une étudiante en maîtrise d'histoire contemporaine, 6 doctorants d'histoire contemporaine, et 1 doctorant d'ethnologie

— 1 maître de conférence de sociologie, 1 chercheur du CNRS, 1 chercheur de l'INRP et 2 chercheurs indépendants (formation : historien et sociologue)

— 3 enseignants d'histoire (collège et lycée) — 2 administrateur de CCSTI

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— 3 membres de l'Atelier de mémoire ouvrière de Neuves-Maisons — 1 organisateur du Festival de Villerupt — 1 syndicaliste, spécialiste de l'histoire syndicale — 1 Président d'une société d'histoire locale, la société d'histoire de

Longwy — 1 « muséologue à AMOM-FERLOR à Neufchef » qu'il est impossible,

par là même d'identifier précisément du point de vue de sa formation professionnelle.

* Une "jeune" société d'histoire

Cette rectification, notons-le, ne réduit pas la diversité du recrutement de l'ARESSLI, mais transforme légèrement le sens de l'investissement de certains individus, puisqu'elle fait apparaître l'intérêt de l'ARESSLI pour établir la qualité professionnelle de leur vocation. En tant que lieu de rencontre et d'échange, l'ARESSLI constitue un soutien intellectuel pour des personnes encore "jeunes" en matière de recherche universitaire, et pour lesquels la région constitue un terrain d'enquête intéressant en termes d'histoire contemporaine. Dans la mesure où la réalisation de leur projet, et sa qualité scientifique, sont conditionnés par la mobilisation d'archives encore mal identifiées, dispersées et difficiles d'accès, leur passage à l'ARESSLI se justifie, ne serait-ce qu'en termes négatifs, afin de ne négliger aucune source d'informations. Au delà d'un moyen de découverte d'archives, l'association peut justifier un investissement personnel plus important et la familiarisation avec certaines personnes faciliter l'accès du chercheur à certaines sources, en même temps qu'elle le sécurise, en lui apportant un soutien affectif et des avis utiles à la réalisation d'un travail intellectuel exigeant et angoissant.

Mais la valorisation d'une vocation professionnelle qu'autorise l'ARESSLI aux étudiants qui en sont membres ne doit pas faire disparaître la valorisation affective de cette vocation qu'elle rend possible. Si l'identification du nombre important d'étudiants qui participent aux réunions de l'ARESSLI offre une confirmation de la capacité de qualification professionnelle qu'ils lui reconnaissent, elle ne doit pas faire disparaître la réserve des historiens universitaires confirmés de la région à son égard. Un indice nous en ait donné par le fait que la seule mention d'un professeur d'Université apparaisse à l'occasion de la caractérisation d'une « étudiante » qui a entrepris « l'approche quantitative de l'immigration italienne en

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Lorraine » et qui « travaille avec M. Wahl, Université de Metz ». L'importance, neutralisée par l'utilisation de termes génériques, du nombre d'étudiants dans cet échantillon "officiel" manifeste donc à la fois la reconnaissance par les Universités de la région du pôle d'expertise constitué par l'ARESSLI, et les limites de cette reconnaissance, aucun directeur de recherche ne participant directement à son activité. Cette attitude ambivalente s'explique tant par la concurrence scientifique que constitue l'ARESSLI pour certains historiens universitaires de la région, que par u n projet innovant qui confond historiens professionnels et amateurs, et une visée politique qui la distingue des sociétés d'histoire locale dont certains de ces historiens sont les animateurs. De ce fait la "jeunesse" scientifique d'une grande partie des membres de l'ARESSLI est un bon indicateur non seulement de la jeunesse scientifique de leur objet, mais aussi de la personnalité culturelle de ses membres, qui les éloignent objectivement de l'adhésion à une tradition locale d'histoire locale. Par, à la fois, ses objets, sa vocation et son mode de fonctionnement, l'ARESSLI se distingue significativement des "grandes" sociétés d'histoire locale que constituent la Société d'Archéologie Lorraine et la Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine, distinction que sa spécialisation dans l'histoire industrielle de la Lorraine ne suffit pas à exprimer. La "nouvelle histoire" qui caractérise son projet se traduit en effet pratiquement par une sensibilité particulière de ses membres à un passé récent de la région, et par une construction généalogique du "peuple" lorrain bien différente de celle qui fait les délices des membres de ces sociétés. A l'imaginaire glorieux de la Lorraine carolingienne ou ducale, avec lesquels les monuments de ces métropoles historiques que sont Nancy et Metz permettent de communiquer, s'oppose celui d'une Lorraine sidérurgique sans autres racines historiques que des cités ouvrières perdues dans la campagne et des sites industriels aujourd'hui transformée en friches47. Si la mobilisation générale contre la restructuration a conduit à une reconnaissance unanime du caractère glorieux de ce passé, elle n'en pas pour autant combler la distance culturelle existante entre les citoyens des métropoles prestigieuses, d'un point de vue historique, que constituent les deux grandes villes lorraines, et les habitants d'une périphérie semi-urbaine qui ne possède pas, si on l'évalue du point de vue d'une culture historique classique, une tradition historique véritablement admirable. Cette distance culturelle éclaire le recrutement

47 On appréciera en ce sens l'affirmation de Serge Bonnet, « il y a des trésors dans ce peuple des cités du fer » in L'homme du fer, P.U.N.-Éditions Serpenoise 1985, tome 4, p. 527.

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géographique de l'ARESSLI, puisque, dans leur majorité, ses membres viennent de cette périphérie, qu'ils en soient originaires ou qu'ils s'y soient installés pour des raisons professionnelles. Cette distance culturelle, relayée par l'histoire politique de la région, explique également la pérennisation dans l'ARESSLI, et par l'ARESSLI, d'un militantisme syndical qui a contribué à sa formation, mais qui s'est retraduit, du fait de l'évolution du contexte politique de la région, en un militantisme culturel.

* Des chercheurs "militants"

La présentation des jeunes chercheurs de l'ARESSLI nous donne une bonne image de ce militantisme culturel, car telle est l'intention de son rédacteur. Ces chercheurs se rapprochent en effet par un intérêt commun pour la population ouvrière des bassins miniers et sidérurgiques, qu'elle soit étudiée sous l'angle des caractéristiques démographiques de ces populations, de leurs conditions de travail, de leur savoir-faire, de leur logement, de leurs cultures d'origine. Une volonté de valorisation d 'un certain type d'imaginaire culturel de la Lorraine apparaît ainsi sous-jacente à l'investissement dans les réunions de l'ARESSLI, volonté liée à une proximité personnelle avec les individus que cet imaginaire permet de qualifier positivement. Cette proximité personnelle peut facilement être confirmée dans le cas de chercheurs que nous avons rencontrés, comme Vincent Ferry ou Jean-Luc Perioli.

Vincent Ferry, né en 67, s'est formé à Nancy II sous la direction de Gilbert Meynier, professeur d'histoire contemporaine, avant de réaliser u n DEA sous la direction de Pierre Milza. Son objet de recherche, il s'intéresse spécialement aux immigrés italiens installés dans le Pays-Haut et originaires de San-Marino, est fortement lié à son expérience personnelle, sa conjointe étant originaire de cette république italienne.

Jean-Luc Perioli, né en 1960, a suivi une formation d'éducateur spécialisé à l'Institut Régional du Travail Social de Lorraine. Il a réalisé, à l'Université de Strasbourg, un mémoire d'ethnologie sur la cité ouvrière d'Hayange, lequel a donné lieu à un ouvrage édité par la municipalité de cette ville et qui a remporté un grand succès auprès du public local48. Toujours travailleur social, il a poursuit actuellement une thèse, sous la direction de Freddy Raphaël, sur les mineurs de fer, de charbon et de potasse

4 8 Jean-Luc Perioli, Le mineur de fer au quotidien : mines d'Hayange, Knutange, Imprimerie Klein, 1989.

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en Lorraine. Il est lui-même originaire d'une famille de mineurs de fer, et a passé son enfance dans la cité d'Hayange qui lui a servi de terrain d'observation.

Piero-Dominique Galloro, actuellement ingénieur d'études à l'Université de Metz, qui a soutenu en 1997 une thèse d'histoire contemporaine sur les flux de main d'oeuvre dans les usines et mines de la région, est également originaire d'une famille ouvrière italienne installée en Lorraine49.

Ces cas peuvent être rapprochés, sans grand risque d'erreur, de ceux de chercheurs dont le patronyme indique la proximité personnelle qu'ils entretiennent avec leur objet d'étude. Il en va ainsi par exemple de Marie-Louise Antinucci ou d'Yves Cardellini.

Le désir sous-jacent, chez ces jeunes chercheurs, de participer par leurs travaux universitaires à la réparation de l'injustice culturelle qu'ont subi les individus qu'ils étudient, mais dont ils ont pu éprouver personnellement l'humanité, constitue donc une motivation de leur investissement dans la construction d'une histoire industrielle régionale, et par là de leur participation aux réunions de l'ARESSLI.

Il importe cependant de ne pas réduire leur investissement à ce désir, la construction scientifique du choix de l'objet et de son mode de traitement ayant sa part dans l'engagement d'un projet de recherche déterminé. Le poids de l'institution universitaire dans cet engagement ne doit pas, en effet, être mésestimé. Variant selon la personnalité du directeur de recherche et de la discipline de référence (ethnologie, histoire ou sociologie) il peut conduire, en effet, à faire de la proximité personnelle avec l'objet, comme dans le cas de Jean-Luc Perioli, un argument de la qualité scientifique de la recherche, et de la compétence personnelle de l'étudiant qui l'entreprend, ou au contraire un obstacle épistémologique qu'il convient de dépasser par le recours à des techniques de quantification qui garantissent la valeur scientifique et la compétence professionnelle acquise par l'étudiant, comme dans le cas de Piero Galloro.

La mise en relation du profil des « étudiants-chercheurs » de l'ARESSLI avec les autres personnes qui participent actuellement aux manifestations de l'ARESSLI nous confirme donc la manière dont l'expérience quotidienne des qualités particulières d'une population industrielle de la région favorise, au delà de raisons professionnelles, la

4 9 Cette thèse faisait suite à son mémoire de maîtrise, L'immigration italienne en Moselle de 1918 à 1940 : étude du flux d'arrivée, Université de Metz, 1991.

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fréquentation de l'ARESSLI. Cette association contribue, en même temps, à l'affirmation d'une commune sympathie entre tous ceux que rapprochent intellectuellement les personnes qu'ils étudient, auxquelles ces études permettent, par l'intermédiaire de leur publication et de leur circulation, d'obtenir la visibilité et de recueillir l'admiration qui leur sont dues. Considérés du point de vue d'un regard éloigné et informé des faibles titres de légitimité scientifique des chercheurs rassemblés , 1'« approche quantitative de l'immigration italienne en Lorraine » de l'étudiant-chercheur, la recherche « sur les techniques d'exploitation du charbon » revendiquée par le responsable d'un CCSTI, l'intérêt pour « les oubliés de l'histoire » du président de la société d'histoire de Longwy, la volonté de « valoriser le gisement culturel que représentent encore aujourd'hui les immigrés et leurs enfants », les travaux sur « l'histoire syndicale », le souci de « sauvegarder les archives industrielles » peuvent donner l'impression de constituer une liste à la Prévert, qui rassemble sans discrimination de véritables projets de recherche, des passe-temps de retraités, des programmes d'action professionnelle, des projets associatifs, des mots d'ordre politique, etc... Du point de vue d'un regard rapproché, ce caractère hétéroclite est neutralisé par la relation de sympathie que manifeste directement ou indirectement la définition de chaque objet d'étude à l'égard de l'ancienne population ouvrière de la région, et de ses héritiers.

Au terme de cette première approche des membres de l'ARESSLI, on peut donc constater une réussite du projet de ses fondateurs, par la confirmation qu'elle apporte du caractère innovant de l'ARESSLI, et du contact qu'elle continue à établir régulièrement entre des historiens "amateurs et des historiens "professionnels". On note cependant une évolution significative. L'élargissement géographique manifeste de l'audience de l'ARESSLI en même temps qu'il authentifie sa vocation régionale ne se traduit pas par le renforcement de son capital scientifique, et modifie légèrement le sens de l'association de chercheurs qu'il constituait initialement. L'élargissement du réseau « inter-fer » a contribué à u n déplacement de la définition de son objet emblématique, conforme au changement intellectuel induit par l'évolution économique de la région. L'homme du fer forgé par Serge Bonnet et qui se définissait encore, en 1986,

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par ses caractéristiques sociales — il désignait une classe d'individus que le fer qu'ils manipulaient quotidiennement pour l'extraire, l'affiner ou le travailler avait soudé entre eux au delà de leur différences culturelles et de leurs divergences idéologiques — se définit dorénavant pas ses caractéristiques personnelles —il désigne une population de personnes porteuses de qualités particulières et qu'une relation vitale au fer ne suffit pas à définir. La formation universitaire de personnes enracinées, par génération ou par alliance, dans la vie de la région et qui adhèrent au projet de l'ARESSLI est responsable certainement de ce déplacement, par la réélaboration intellectuelle qu'elle a entraînée du projet d'« histoire sociale lorraine » porté par Serge Bonnet. L'Homme du Fer a représenté, en effet, à la fois un exemple et une stimulation à approfondir une approche que la visée synthétique de l'oeuvre, et l'absence de travaux antérieurs, limite nécessairement du point de l'histoire savante et de la sociologie historique. Mais ce déplacement rend compte aussi du processus de patrimonialisation d'une mémoire familiale que certains jeunes chercheurs de l'ARESSLI ont opéré au travers de leurs travaux, justifié conjointement par le désir personnel de rendre hommage à des parents ouvriers, et par un contexte politique rendant à la fois acceptable et désirable la valorisation des particularités esthétiques des individus et de l'imaginaire culturel dont ils sont les héritiers. Cette esthétisation de l'image de l'homme du fer se traduit concrètement par le passage d'une histoire sociale du fer, dans laquelle l'homme du fer reste encore proche de l'imaginaire du prolétaire au travail, à une histoire culturelle de l'industrie lorraine, dans laquelle l'homme du fer acquiert désormais le visage de l'étranger, dont l'intégration neutralise les aspects négatifs et renforce le respect.

Pour vérifier ce déplacement et en confirmer le sens," il importe d'esquisser une description des travaux de l'ARESSLI qui nous permettra de préciser les caractéristiques innovantes de cette association dans le contexte culture et scientifique de la Lorraine.

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3. Le travail de l'association

Rendre compte du travail de l'association, comme nous l 'avons souligné, ne peut se réduire à restituer le contenu des réunions d'information de l'ARESSLI, qui risque de la faire apparaître, au regard éloigné, comme une forme sans contenu, une société d'histoire qui ne produit pas d'études historiques — ces études étant publiées en leur nom propre par ses adhérents — un centre de ressources documentaires sans ressources documentaires — ces ressources étant les ressources propres des sociétés d'histoire affiliées à l'ARESSLI. Il importe en effet de comprendre le rôle que l'association joue par l'intermédiaire de ses membres dans la vie intellectuelle de la région, et la manière dont elle a contribué à la valorisation de certains objets, et à leur constitution en lieux de mémoire.

3.1. Les activités de l'ARESSLI

Une petite plaquette de présentation de l'association, éditée en 1992, lui assigne trois fonctions. L'ARESSLI articule une activité de « recherche » dont témoignent des publications, une activité d' « échange » d'informations et de communications, une activité enfin de « rencontre » que matérialisent les journées d'études, les séminaires, et les colloques qu'elle organise.

Si on les considéré du point de vue de leur visibilité, l'ordre de présentation de ces trois activités doit être renversé. L'ARESSLI apparaît en effet aux personnes qui lui sont étrangères plus comme un organisateur de rencontres scientifiques et un lieu d'échanges, deux fonctions qui se confondent partiellement, que comme un organisme de recherche. Là encore, il convient de relativiser l'image que l'association donne d'elle-même aux subventionneurs et aux décideurs auxquels elle s'adresse.

* Les manifestations publiques de l'ARESSLI

Depuis sa création, l'association organise régulièrement des rencontres qui consistent principalement dans des journées d'études. Ces petites manifestations, très nombreuses, se distinguent significativement des colloques, lesquels sont beaucoup plus rares. L'intérêt de ces journées d'études, qui expliquent leur fréquence, est leur faible coût en temps et en

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argent, et la possibilité qu'offre leur organisation de manifester l'existence de l'association et d'intéresser à sa participation les amateurs d'histoire locale des communes périphériques de la région. Ces amateurs d'histoire locale, compte tenu des caractéristiques économiques de la plupart de ces communes, possèdent une expérience personnelle facilement retraductible en termes d'histoire industrielle, qu'il s'agisse de l'industrie traditionnelle ou de la grande industrie. Les exemples donnés dans la Feuille d'Informations n° 1 permettent ainsi d'identifier des communes éloignés des grandes villes —Ventrón dans les Vosges, Longwy en Meurthe-et-Moselle, Vannes-le-Chatel en Moselle — que l'association met en relation du fait de leur attachement historique à une forme d'industrie, le textile pour Ventrón, la sidérurgie pour Longwy, le verre pour Vannes-le-Chatel bien que leur image soit, pour un public régional, très contrastée. Petites communes isolées dans un espace rural qui sert de zone de loisir (promenade, découverte, visite) aux habitants des grandes villes, Ventrón et Vannes-le-Chatel représentent un cadre de vie extrêmement contrasté avec celui qu'offre Longwy, élément d'une conurbation très étendue, le Pays-Haut, où s'interpénétrent sans ordre apparent friches industrielles, zones commerciales, autoroutes, anciens villages, espaces pavillonnaires, etc.

Les journées d'études de l'ARESSLI contribuent donc à mettre en relation, à l'échelle de la région, des individus et des collectifs isolés des foyers intellectuels traditionnels de la Lorraine, au nom du lieu commun que constitue, pour ces individus et ces groupes, l'industrie historique de la région. L'introduction du verre dans la liste des objets caractéristiques de « l'histoire sociale lorraine », qui justifiait l'invitation lancée par Serge Bonnet en 1986 aux amateurs d'histoire industrielle de la région, rend compte de cette dynamique intellectuelle inhérente à la constitution originale de l'ARESSLI. La délocalisation des activités de l'association qui, bien que sise officiellement à Nancy, organise des manifestations dans des localités périphériques est, en effet, une manière d'exploiter les ressources humaines que constitue l'association, satisfaisante à la fois pour l'association et pour ses membres résidents des localités où ces journées d'études sont organisées. L'ancrage local effectif qu'il permet à cette association régionale de démontrer a pour contrepartie la portée régionale qu'il apporte aux activités d'une association d'histoire locale. Dans les deux cas, cet ancrage local et cette portée régionale témoignent de la compétence scientifique des individus et de l'utilité collective de leur action. De ce point de vue, l'activité de l'ARESSLI contribue effectivement à la cristallisation

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sociale et à la légitimation culturelle de la réalité du patrimoine industriel lorrain, ce qui justifie sa reconnaissance et son soutien par la DRAC de Lorraine. La construction sociale qu'elle opère de ce patrimoine industriel lorrain enferme, cependant, une tension potentielle entre l'unité scientifique qu'elle permet d'attribuer à l'objet et ses particularités techniques et politiques. Le patrimoine industriel régional qu'elle fait reconnaître intellectuellement consiste effectivement en des patrimoines locaux, et des réalités industrielles très différentes, qui restent prisonniers des sens souvent incompatibles que leur confèrent leurs propriétaires effectifs, les élus locaux et régionaux, les spécialistes du tourisme régional, les populations locales, les experts scientifiques enfin. Le volontarisme scientifique de l'ARESSLI se heurte ainsi au problème des enjeux politiques et des enjeux scientifiques inhérents à la reconnaissance du patrimoine industriel lorrain, et de l'expertise scientifique qu'elle revendique.

La plus grande rareté des colloques et leur faible visibilité scientifique nous confrontent directement à ces enjeux. Si une actualité politique a pu favoriser, par l'ampleur des problèmes humains que posait la reconversion scientifique, l'organisation de colloques importants à la fois par leur coût et le partenariat scientifique qu'ils représentaient, il est manifeste aujourd'hui que l'ARESSLI ne dispose plus des ressources nécessaires à l'organisation de "véritables" colloques. Cette affirmation doit certes être relativisée en tenant compte de l'évolution caractéristique des pratiques universitaires, qui rend parfois acceptable aujourd'hui l'attribution du terme de "colloque" à de simples journées d'études. Mais l'absence de publications, depuis 1995, du contenu de ces colloques50 témoigne de la marginalité actuelle des manifestations organisés au niveau régional par l'ARESSLI, tant d'un point de vue "universitaire' que d'un point de vue "culturel". Elle constitue u n indice de leur faible visibilité intellectuelle et, indirectement, des faibles ressources scientifiques mobilisables aujourd'hui par l'association.

Elle réinterroge en même temps la fonction de recherche revendiquée par l'ARESSLI, les ouvrages publiés en leur nom propre par ses membres ne pouvant pas être attribués à l'association, et comptés dans ses publications. Les études réalisées par l'ARESSLI, et dont la plaquette de présentation nous donne un échantillon — études sur « les cristalliers et les verriers », sur les « entreprises et bâtiments publics », sur « l'histoire et la création des écoles d'ingénieurs », sur « le Pole Européen de Développement », sur la

Il s'agit d'un colloque portant sur la formation technique.

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« formation de l'industrie de l'habillement »51 —font donc apparaître une situation ambiguë, et bien connue aujourd'hui dans certaines associations culturelles. La forme juridique de l'ARESSLI l'autorise à gérer des contrats pour des chercheurs indépendants, auxquels elle rend service d'un point de vue administratif et fiscal, leurs travaux contribuant réciproquement à donner une consistance technique à l'association. Depuis cette présentation, il est manifeste que l'ARESSLI n'a pas dépassé ce stade, qui le distingue d'une société d'histoire traditionnelle mais interdit de l'identifier comme un organisme de recherche bien établi.

Cette situation révèle l'existence, au sein de ses membres, d'une différence, que fait disparaître la représentation publique de l'association, entre de "simples" amateurs d'histoire industrielle et des individus qui assument des positions d'expertise pour des entreprises, des administrations étatiques ou des collectivités territoriales et qui vivent partiellement de la réalisation de ces expertises. Cette différence ne se superpose exactement avec la différence entre historien amateur et historien universitaire, car elle entérine l'existence d'une nouvelle forme de professionnalisation de l'historien, alternative à l'intégration dans une fonction d'enseignant du supérieur ou de chercheur dans un organisme national de recherche. Cette forme de professionnalisation, qui le rapproche du sociologue, trouble la perception conventionnelle tant du métier d'historien que de l'amour de l'histoire locale qui dominaient jusqu'aujourd'hui en France. Convertissant une discipline scientifique en un outil d'expertise du développement régional, elle confère une valeur économique à une pratique désintéressée. Ce trouble qui fait la force de l'ARESSLI, puisqu'il manifeste sa distinction d'un organisme classique de recherche scientifique comme d'une société d'histoire traditionnelle, fait aussi sa faiblesse puisqu'il lui interdit de formaliser explicitement une visée professionnelle contradictoire avec le désintéressement personnel de ses membres. Le caractère hybride de l'association la maintient donc dans un "entre-deux" qui justifie son existence, mais entraîne une certaine marginalité de l'association, dont les activités restent extérieures à la vie universitaire comme à la culture mondaine des deux grandes villes régionales.

Cette marginalisation s'explique partiellement, comme on a commencé à l'analyser, par l'évolution de la composition de l'ARESSLI, cette association ayant perdu, peu à peu, des personnalités qui permettait d'ancrer son activité dans l'espace universitaire et dans le monde culturel

51 Cf. Annexe 3

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urbain Le départ de Francis Dechassey, la retraite intellectuelle de Serge Bonnet, la mort brutale d'Yves Le Moigne52, le départ de François Farault53, la prive aujourd'hui de relations qui lui assuraient à la fois un crédit scientifique, une respectablilité sociale et une audience culturelle dans les cercles universitaires et mondains de Metz et de Nancy. De plus, la retraduction qu'elle a été contrainte d'opérer, au fur et à mesure de l'évolution du contexte économique de la Lorraine, du sens de son activité, la fait apparaître aujourd'hui comme légèrement décalée vis-à-vis des attentes des décideurs politiques régionaux et des préoccupations des chercheurs universitaires impliqués dans l'étude de l'histoire régionale. Le mode de construction scientifique qu'elle défend de la culture régionale, et la fonction d'expertise qu'elle a revendiquée de l'emploi industriel, rende le service qu'elle propose mal ajusté à la demande d'expertises utiles au développement de l'emploi culturel que formulent de plus en plus les collectivités territoriales.

Cette analyse des manifestations organisées par l'ARESSLI fait reconnaître la difficulté de distinguer nettement l'activité de « rencontre » de l'activité d' « échange » — les journées d'études articulant localement ces deux fonctions —et de confirmer le statut de lieu de recherche qu'elle revendique, puisqu'elle n'a pas donné naissance à un collectif de chercheurs, coopérant dans la réalisation d'un programme de recherche déterminé.

Du point de vue de certains membres de l'ARESSLI, l'activité d'« échange » constitue cependant une réalité autonome par rapport aux journées d'études, et qui rapproche leur activité de la réalisation d 'un programme collectif de recherche. Des « groupes de travail » rassemblent régulièrement, en effet, certains adhérents de l'association, autour d 'un objet plus général que l'objet technique local qui justifie la journée d'étude — le verre à Vannes-le-Chatel, l'acier à Longwy, etc....— et qui leur confirme la synergie existante entre les chercheurs de l'association.

* Les groupes de travail

52 Professeur d'histoire à l'Université de Metz, il a dirigé l'association jusqu'en 1993. Par ailleurs animateur de l'Académie de Metz et président de la Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine, il a joué un rôle déterminant dans la reconnaissance de l'ARESSLI en Moselle. 5 3 Ethnologue régional de la DRAC de Lorraine, il a apporté son soutien à l'ARESSLI, et par là-même lui a permis de bénéficier de subventions'" publiques régulières.

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La première feuille d'informations del'ARESSLI, paru certainement au début de l'année 1993, présente deux groupes de travail, le groupe Immigration et le groupe Formations techniques et scientifiques, et fait mention d'un projet de création d'un groupe Archives des mines et de la

sidérurgie, qui sera créé peu après et se divisera en un groupe Anciens

Mineurs et en un groupe Sidérurgie. Ces quatre groupes existent toujours aujourd'hui, mais différent selon leur mode de fonctionnement, et la signification qu'on peut attribuer à leur activité.

Le groupe Immigration et les groupes Anciens mineurs et sidérurgie

représentent des formes d'organisation des échanges internes à l'ARESSLI, répondant à des demandes personnelles exprimées par les membres de l'association. Le groupe Formations techniques et scientifiques est le résultat d'un travail de « réactivation » par certains membres actifs, notamment Françoise Birck, d'un « réseau de formateurs et d'informateurs » que leur travail d'expertise (une exposition sur les mines de fer) leur ont permis de constituer, ce qui explique le « caractère remarquablement homogène de ce groupe »54. On doit de ce fait lui accorder un statut particulier, puisqu'il est moins représentatif que les autres groupes des adhérents de l'association, réunissant essentiellement le public "professionnel" desCCSTI.

Il diffère par là des groupes Immigration, Anciens Mineurs et Sidérurgie qui, conformément au projet initial de l'ARESSLI, permettent à des individus isolés et engagés dans une recherche sur l'histoire industrielle de la région de se rencontrer.

Au sein de ces trois groupes, le groupe Immigration, est particulièrement valorisé. Créé, en 1992, produit d'une dynamique collective suscitée par le « colloque de Villerupt », il est une « initiative appuyée par le Père Bonnet »55. Les groupes de travail Anciens Mineurs et Sidérurgie répondent, quant à eux, au souci traditionnel de l'ARESSLI de soutenir la collecte d'archives de la mémoire ouvrière et de faciliter le travail des chercheurs.

Cette situation explique certainement le statut inégal attribué aux différents groupes au sein de l'ARESSLI. Les membres interrogés s'accordent, en effet, pour souligner le dynamisme particulier du groupe Immigration. La vocation théorique de ce groupe, auquel la Feuiïfe-d'informations n° 1 confère le statut de « groupe de travail

5 4 Cf. Annexe 3 5 5 Cf. Annexe 3

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la prive aujourd'hui de relations qui lui assuraient à la fois un crédit scientifique, une respectablilité sociale et une audience culturelle dans les cercles universitaires et mondains de Metz et de Nancy. De plus, la retraduction qu'elle a été contrainte d'opérer, au fur et à mesure de l'évolution du contexte économique de la Lorraine, du sens de son activité, la fait apparaître aujourd'hui comme légèrement décalée vis-à-vis des attentes des décideurs politiques régionaux et des préoccupations des chercheurs universitaires impliqués dans l'étude de l'histoire régionale. Le mode de construction scientifique qu'elle défend de la culture régionale, et la fonction d'expertise qu'elle a revendiquée de l'emploi industriel, rende le service qu'elle propose mal ajusté à la demande d'expertises utiles au développement de l'emploi culturel que formulent de plus en plus les collectivités territoriales.

Cette analyse des manifestations organisées par l'ARESSLI fait reconnaître la difficulté de distinguer nettement l'activité de « rencontre » de l'activité d' « échange » — les journées d'études articulant localement ces deux fonctions —et de confirmer le statut de lieu de recherche qu'elle revendique, puisqu'elle n'a pas donné naissance à un collectif de chercheurs, coopérant dans la réalisation d'un programme de recherche déterminé.

Du point de vue de certains membres de l'ARESSLI, l'activité d'« échange » constitue cependant une réalité autonome par rapport aux journées d'études, et qui rapproche leur activité de la réalisation d 'un programme collectif de recherche. Des « groupes de travail » rassemblent régulièrement, en effet, certains adhérents de l'association, autour d 'un objet plus général que l'objet technique local qui justifie la journée d'étude — le verre à Vannes-le-Chatel, l'acier à Longwy, etc....— et qui leur confirme la synergie existante entre les chercheurs de l'association.

* Les groupes de travail

La première feuille d'informations de l'ARESSLI, paru certainement au début de l'année 1993, présente deux groupes de travail, le groupe Immigration et le groupe Formations techniques et scientifiques, et fait

jusqu'en 1993. Par ailleurs animateur de l'Académie de Metz et président de la Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine, il a joué un rôle déterminant dans la reconnaissance de l'ARESSLI en Moselle. 53 Ethnologue régional de la DRAC de Lorraine, il a apporté son soutien à l'ARESSLI, et par là-même lui a permis de bénéficier de subventions publiques régulières.

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mention d'un projet de création d'un groupe Archives des mines et de la sidérurgie, qui sera créé peu après et se divisera en un groupe Anciens Mineurs et en un groupe Sidérurgie. Ces quatre groupes existent toujours aujourd'hui, mais différent selon leur mode de fonctionnement, et la signification qu'on peut attribuer à leur activité.

Le groupe Immigration et les groupes Anciens mineurs et sidérurgie représentent des formes d'organisation des échanges internes à l'ARESSLI, répondant à des demandes personnelles exprimées par les membres de l'association. Le groupe Formations techniques et scientifiques est le résultat d'un travail de « réactivation » par certains membres actifs, notamment Françoise Birck, d'un « réseau de formateurs et d'informateurs » que leur travail d'expertise (une exposition sur les mines de fer) leur ont permis de constituer, ce qui explique le « caractère remarquablement homogène de ce groupe »54. On doit de ce fait lui accorder un statut particulier, puisqu'il est moins représentatif que les autres groupes des adhérents de l'association, réunissant essentiellement le public "professionnel" des CCSTL

Il diffère par là des groupes Immigration, Anciens Mineurs et Sidérurgie qui, conformément au projet initial de l'ARESSLL permettent à des individus isolés et engagés dans une recherche sur l'histoire industrielle de la région de se rencontrer.

Au sein de ces trois groupes, le groupe Immigration, est particulièrement valorisé. Créé, en 1992, produit d'une dynamique collective suscitée par le « colloque de Villerupt », il est une « initiative appuyée par le Père Bonnet »55. Les groupes de travail Anciens Mineurs et Sidérurgie répondent, quant à eux, au souci traditionnel de l'ARESSLI de soutenir la collecte d'archives de la mémoire ouvrière et de faciliter le travail des chercheurs.

Cette situation explique certainement le statut inégal attribué aux différents groupes au sein de l'ARESSLL Les membres interrogés s'accordent, en effet, pour souligner le dynamisme particulier du groupe Immigration. La vocation théorique de ce groupe, auquel la Feuille d'informations n° 1 confère le statut de « groupe de travail pluridisciplinaire », créé à l'issue d'un colloque qui a « confirmé le bien-fondé des analyses et des travaux menés par l'ARESSLI »56, n'est

54 Cf. Annexe 3 55 Cf. Annexe 3 56 Cf. Annexe 3

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pluridisciplinaire », créé à l'issue d'un colloque qui a « confirmé le bien-fondé des analyses et des travaux menés par l'ARESSLI »56, n'est certainement pas étrangère à ce dynamisme, les groupe Anciens Mineurs

etSidérurgie ne se justifiant que par la fonction pratique qu'ils remplissent. Mais, comme permet de le confirmer sa mise en relation avec les

projets de recherche déclarés par les membres de l'ARESSLI présentés dans la Feuille d'Informations n° 1, le thème de ce groupe de travail intéresse particulièrement les membres de l'association. Il est désigné explicitement ou implicitement par 9 (sur 24) de ces chercheurs comme un intérêt privilégié, 4 d'entre eux réalisant alors des enquêtes justifiées par l'importance historique de cette immigration. Le fonctionnement de ce groupe de travail a, depuis lors, confirmé l'attraction que suscite son objet, et sa pertinence pratique pour les membres de l'ARESSLI. Il est le seul des quatre groupes a avoir produit une bibliographie, et mobilise régulièrement une quinzaine d'adhérents.

Le "succès" du groupe Immigration peut être certes analysé comme l'effet de l'évolution du recrutement de l'association, un grand nombre d'étudiants intégrés par l'association l'utilisant comme un moyen de satisfaire une préoccupation universitaire en même temps qu'un désir de valorisation personnelle de leur mémoire familiale. Mais il s'agit manifestement d'un phénomène plus complexe, l'émergence au sein de l'ARESSLI de cet objet de recherche ne constituant pas uniquement un effet de l'origine culturelle de certains de ses membres, mais d'une dynamique intellectuelle régionale que cette association a contribué à produire, et qui a dépassé partiellement le projet de ses fondateurs. C'est dire, tout simplement, qu'une sensibilité personnelle de certains membres de l'ARESSLI à une immigration dont ils sont issus ne suffit pas à expliquer la possibilité de la qualification scientifique et politique de cet objet de recherche, difficilement acceptable du point de vue d'une mentalité républicaine traditionnelle. Pour la comprendre, il importe de resituer la genèse de ce nouveau lieu commun historique qu'est aujourd'hui, en France, l'immigration en Lorraine, et la manière dont il a pu devenir à la fois un moyen de qualification culturelle de la région, et des travaux qui sont consacrés à sa population "historique" d'ouvriers immigrés italiens.

* Un nouveau lieu commun

5 6 Cf. Annexe 3

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Cette compréhension exige, d'abord, de présenter l'histoire de l'histoire industrielle de la Lorraine qui justifie aux yeux de ses membres les plus actifs leur enrôlement dans l'association. Elle fait bien apparaître en effet l'originalité, du point de vue d'une tradition locale d'histoire locale, de l'objet d'étude qui réunit les membres les plus actifs de l'ARESSLL les attache à la vie de l'association, et témoigne, par la réalisation d'une bibliographie exhaustive sur l'immigration, de la consistance de la fonction de recherche que cette association revendique. L'immigration est un phénomène qui a été, en effet, très peu étudié par les sociétés d'histoire lorraine et les historiens universitaires lorrains. Mais la valorisation politique de la nouveauté de cet objet d'étude et sa conversion en cause intellectuelle, facilitée par le fait que l'immigration est devenue aujourd'hui un grand thème de débat national, ne doit pas nous conduire à méconnaître le sens pragmatique de l'émergence de cet objet de recherche au sein de l'ARESSLL

Cette émergence est d'abord une conséquence pratique de la mise en oeuvre du projet des fondateurs de l'ARESSLL et d'un effort commun de tous les membres actifs de l'association pour dépasser les limites traditionnelles imposées au travail des historiens régionaux par l'éparpillement des sites industriels, la structuration historique et politique de l'espace géographique lorrain, et les formes historiques d'organisation et de gestion de la main d'oeuvre caractéristiques des grandes entreprises industrielles lorraines. La valorisation de cet objet autorise pratiquement, en effet, à la fois le dépassement de l'échelle de la commune qui servait de référence à la plupart des amateurs d'histoire industrielle, l'unification mentale de populations séparées par la mémoire de la guerre et de l'annexion allemande, l'égalisation de la valeur d'archives très différentes — publiques et privées, écrites et orales— et prisonnières de cadres d'interprétation — mémoire familiale, politique municipale, administration nationale, économie internationale — très difficiles à articuler.

Valoriser, comme le fait aujourd'hui l'ARESSLL l'étude de l'immigration en Lorraine, revient en fait à opérer un déplacement significatif du sens pratique qu'avait pris, en Lorraine, l'étude de l'histoire industrielle de la région, de son orientation scientifique et des outils qui avait permis sa stabilisation. S'intéresser aux hommes de l'immigration industrielle permet de les utiliser, à la place du fer, comme un moyen de mise en communication de secteurs d'emploi très différents, la mine et la

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sidérurgie, objectivement séparés d'un point de vue technique, même s'ils sont liés économiquement. Ce choix autorise, par ailleurs, une unification culturelle du territoire lorrain, et la neutralisation d'une différence culturelle objectivée par la population lorraine, la Lorraine « allemande » constituant un héritage historique de l'annexion de 1871, encore efficace aujourd'hui, comme le montre les conflits qui surgissent sporadiquement entre les deux capitales historiques, Nancy et Metz. Il ouvre, enfin, la possibilité d'une "familialisation" des archives industrielles — l'histoire, par exemple, du recrutement de leur personnel par les entreprises lorraine intéressant directement toutes les familles contemporaines qui lui doivent leur enracinement —et d'une "défamilialisation" des archives de l'état-ávil —leur dépouillement confirmant immédiatement l'effet des différentes formes d'"ethnic business" pratiquées par les industriels lorrains, et l'effort d'intégration que les populations immigrées ont su leur opposer.

La fonction pratique de cet objet intellectuel qu'est l'immigration en Lorraine éclaire l'investissement scientifique qu'il a suscité de la part de certains membres de l'ARESSLI, au delà d'une volonté de commémoration familiale, difficilement acceptable d'un point de vue épistémologique. La légitimité culturelle que le traitement scientifique de cet objet permet de conférer à un imaginaire historique de l'immigré lorrain offre, en effet, au chercheur la possibilité de concilier la volonté d'acquisition d'une certaine technicité, la démonstration d'un souci éthique particulier et la recherche personnelle d'une certaine forme de satisfaction esthétique. Produire une connaissance scientifique de l'immigration ouvrière en Lorraine signifie ainsi rendre visible scientifiquement un objet mal connu, rendre les individus attachés personnellement à cette immigration sensibles à ce geste, et justifier la mobilisation intellectuelle et la valorisation esthétique d 'un imaginaire historique de l'immigration.

L'originalité du travail de l'ARESSLI ne se réduit donc pas à la mise en relation qu'elle a permis d'établir, au niveau régional, d'historiens "du dimanche" et d'historiens savants, ni au soutien qu'elle apporte au développement d'une histoire industrielle de la Lorraine. Elle participe aujourd'hui, en effet, à la promotion d'une histoire de l'immigration industrielle en Lorraine, et par là-même, à l'objectivation scientifique d 'un imaginaire culturel de la région, intéressant à la fois le regard local et le regard national porté sur cette région. Cette promotion manifeste tant une évolution de T'ARESSLI par rapport à l'histoire industrielle héritée de ses fondateurs, qu'un dépassement de limites géographiques, politiques et

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culturelles dont les études d'histoire régionales sont restées, en Lorraine, longtemps prisonnières. Pour le vérifier, il suffit de resituer l'ARESSLI dans l'histoire de la production locale d'histoire, dont elle constitue partiellement l'aboutissement.

3.2. La genèse de l'histoire industrielle en Lorraine

Comme toute production scientifique en France, la production d'histoire industrielle en Lorraine ne peut être complètement séparée du processus de construction d'une culture nationale, et de l'autonomisation qu'il a favorisée de la recherche scientifique vis-à-vis tant des besoins exprimés par les entreprises que de la demande culturelle constituée par les villes. L'action centralisatrice de l'État français, et le développement d'une organisation nationale de la recherche scientifique, en relation avec la construction d'un système d'enseignement républicain, explique ainsi partiellement le caractère paradoxal de la genèse récente de l'historiographie industrielle d'une région industrialisée depuis longtemps. Elle explique également la difficulté d'échapper à une vision centralisée de la production d'histoire, qui incite le chercheur à voir dans ce retard paradoxal la preuve de cette centralisation, et lui interdit d'en reconnaître les limites.

L'histoire de la production d'histoire locale en Lorraine nous confirme immédiatement, il est vrai, la manière dont la centralisation de la production intellectuelle structure, en France, l'investissement des individus dans l'écriture de l'histoire. Alors que l'industrie sidérurgique au bois trouvé son apogée en Lorraine au milieu du XDC ème siècle, et que le procédé de la fonte au coke confirme définitivement, à partir de 1882, la vocation sidérurgique de la région, la production locale d'histoire se focalisera majoritairement, jusqu'au lendemain de la seconde guerre mondiale, sur des études d'archéologie, qui privilégient logiquement l'étude de techniques antiques, ou médiévales. La constitution, par les habitants de la région, de l'industrie minière et sidérurgique en un objet de connaissance historique, apparaît ainsi d'abord être l'effet d'une action étatique qui transforme, à partir de 1945, le charbon d'abord, l'acier ensuite, en des enjeux vitaux pour l'économie nationale, et valorise les recherches portant sur ces objets. Selon cette perspective, l'apparition et le développement d'un intérêt local pour l'histoire industrielle n'est que la conséquence de cette action étatique, relayée par l'action de syndicats ouvriers et de partis politiques, que leur idéologie et leur intérêt politique

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disposaient à célébrer cette industrie et, à travers elle, l'importance nationale de la classe ouvrière. La lenteur de la diffusion de ce point de vue intellectuel, aggravée par les résistances des classes cultivées, suffirait à expliquer l'intérêt intellectuel tardif porté à l'histoire industrielle par la population locale, et son caractère trouble de délectation de « la beauté du mort ».

Mais cette interprétation fait fi de la fonction de production intellectuelle assurée par les villes, et la manière dont elles organisent la perception de la vie passée et présente du territoire qu'elles représentent. Par ce biais, la production locale d'histoire industrielle trouve un fondement historique dans la conscience politique que les citoyens cultivés des villes lorraines vont prendre, dès la fin du XIX ème siècle, de l'importance cruciale pour ces villes du développement de la sidérurgie. Ce fondement social et culturel de la production d'une connaissance historique qu'apportent les villes ne doit pas être oublié, car il est un principe de rapprochement sans lequel aucune relation intellectuelle n'aurait pu s'établir entre des personnes et des objets appartenant à des univers différents. Ceci apparaît bien si l'on examine le rôle de l'intellectuel étranger à la région dans le développement local récent de l'histoire industrielle de cette région, tel Serge Bonnet, que son installation professionnelle à Nancy a rapproché géographiquement, mais aussi humainement, du monde de la grande industrie sidérurgique.

Cet exemple démontre bien la nécessité de substituer au présupposé de l'opposition entre local et national, inscrite dans une certaine tradition républicaine et marxiste française, l'observation du va-et-vient entre local et national qu'opèrent les individus. La centralisation intellectuelle explique ainsi la conviction spontanée qu'il ne pouvait y avoir, en Lorraine, de véritable histoire industrielle de la cette région avant que la véritable science historique, portée par un chercheur authentique, ne soit introduite dans cette région. Ce point de vue revient à oublier le caractère hybride, à la fois local et national, de tout objet historique, qu'illustre bien, dans le cas de l'histoire industrielle de la Lorraine, le Musée du fer de Jarville, institution à la fois municipale et nationale, et L'Homme de fer de Serge Bonnet composition réussie du savoir d'un chercheur du CNRS et des archives d'un collectionneur local, ou Longwy, immigrés et prolétaires de Gérard Noiriel, articulation d'un travail sur des archives nationales et d'un savoir

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composition réussie du savoir d'un chercheur du CNRS et des archives d'un collectionneur local, ou Longwy, immigrés et -prolétaires de Gérard Noiriel, articulation d'un travail sur des archives nationales et d'un savoir indigène, qu'une riche expérience d'enseignement au Lycée de Longwy ont permis à son auteur de s'approprier57.

Il importe donc d'être attentif à restituer les formes de médiation locale, et notamment la ville, qui expliquent la genèse de la production locale d'histoire industrielle et les tensions qui l'éclairent, pour éviter la soumission de notre analyse à un modèle d'intelligibilité privilégié par certains de ces acteurs locaux, dont font partie les auteurs des ouvrages que nous citons. Examiner le rôle des villes lorraines dans la genèse de la production d'histoire industrielle locale est ainsi une manière de comprendre les enjeux particuliers de cette production, que sa reconstruction du point de vue d'une histoire nationale tend à faire disparaître.

* La production locale d'histoire à Metz

La présidente actuelle delà Société d'Histoire et d'Archéologie de la

Lorraine, héritière de la Société d'Archéologie et d'Histoire de la Moselle,

créée à Metz en 185858, a bien analysé le contexte intellectuel de la création de son ancêtre, et qui explique partiellement les caractéristiques de la production historique contemporaine de son association, qui l'a remplacé en 188359. La focalisation initiale de l'activité de l'association, conforme aux

57 Gérard Noiriel a enseigné l'histoire dans un des collèges de Longwy pendant la période historique (1978-1980) de la lutte ouvrière contre la fermeture de la sidérurgie que décrit son premier ouvrage publié, Vivre et lutter à Longwy, ouvrage d'un historien encore militant communiste. Cf. Gérard Noiriel Vivre et lutter à Longwy, François Maspéro, 1980, coll. Débats Communistes. 58 Jeanne-Marie Demarolle, « Patrimoine archéologique et société savante. L'exemple de la société d'archéologie et d'histoire de la moselle, 1858-1870 » in François Yves Le Moigne (sous la direction de)Patrimoine et Culture en Lorraine, Société d'histoire et d'archéologie de la Lorraine-Éditions Serpenoise, 1983. François-Yves Le Moigne, récemment décédé, était alors Maître-Assistant à l'Université de Metz et Président de la Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine. 59 La question des relations exactes que l'on doit établir entre les deux sociétés est extrêmement complexe. La relation de filiation que revendiquent aujourd'hui les porte-paroles de la Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine (cf. Jeanne-Marie Demarolle, op. cit, ) constitue un point épineux pour cette association initialement allemande, qui a été créée, comme on va le voir, après le Traité de Francfort, pour remplacer la Société d'Archéologie et d'Histoire de la Moselle, rapatriée en Lorraine Française. Cette société

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archéologique, des restes de la grandeur romaine de la France a ainsi profondément et durablement marqué la production intellectuelle des historiens locaux. En effet, cette orientation initiale persiste encore aujourd'hui et s'est traduite, au plan de la production d'histoire industrielle, par la constitution, au sein de cette société, d'une tradition d'étude des vestiges antiques et préhistoriques de la Lorraine. Cette tradition n'exclut aucunement un intérêt pour la technique, mais il s'agit d 'un intérêt réduit aux techniques antiques, le vestige romain le plus important offert à la curiosité intellectuelle des messins étant la portion de l'aqueduc romain qui reliait la ville à la source de Jouy-aux-Arches.

Cette situation confirme la manière dont le contexte intellectuel dans lequel ils s'inscrivent retraduit les facteurs d'intéressement des individus à la connaissance historique d'un objet local. La proximité spatiale, l'implication personnelle, la curiosité intellectuelle, ou l'engagement professionnel par lesquels ils s'attachent à cet objet rend la réalisation de leur intérêt individuel dépendante, à travers les moyens qu'ils vont utiliser pour le satisfaire, d'enjeux intellectuels et affectifs qui sont à la fois locaux et nationaux.

La naissance delà Société d'Archéologie et d'Histoire de la Moselle

démontre le rôle conjoint de la ville et de l'État dans le développement d'une organisation intellectuelle de la production de connaissances. La création de cette société est le résultat d'une émulation intellectuelle entre des villes proches, qui stimule les citoyens cultivés de Metz à se doter, en sus de son académie, d'un équipement intellectuel équivalent à celui de ses voisines, pour faire la preuve de la grandeur historique de leur cité, dans le double sens de sa gloire passée et de sa culture moderne. Elle est en même temps un moyen de faire reconnaître la place de la ville dans l'histoire de France, en intégrant la description de ses richesses antiques dans le travail d'identification du patrimoine national que soutient l'État, et qui exige la mobilisation de correspondants locaux disposés à opérer le relevé de ses richesses.

Le décalage temporel observable entre le type d'études privilégié jusqu'aujourd'hui par les membres de la Société d'Histoire et d'Archéologie

de la Lorraine — qui se substitue, à partir de 1883, à la Société d'Archéologie

et d'Histoire de la Moselle, dont elle revendique l'héritage —et la préoccupation économique majeure que devient, à partir de la fin du XIX ème siècle, l'industrie sidérurgique en Lorraine, ne s'explique pas ainsi uniquement par les caractéristiques sociales et culturelles de ses membres,

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que leur heritage familial et leur engagement professionnel ancrent dans les classes urbaines aisées, et éloignent esthétiquement d'une industrie sidérurgique et minière localisée dans des vallées rurales. Cette perspective critique fait disparaître l'appartenance des maîtres de forges à ces classes urbaines aisées, et le rapprochement culturel que l'école favorisera, à partir de la fin du XIX ème siècle, entre le personnel qualifié (ingénieurs et administrateurs) d'une industrie de plus en plus importante économiquement et influente politiquement, et les citadins membres des sociétés d'histoire locale des grandes villes lorraines, rapprochement que ces sociétés contribuent à établir par leur correspondants et leurs publications.

L'insensibilité initiale des historiens de Metz à des objets pourtant proches du territoire de leur cité, et dont les propriétaires sont des personnalités locales, n'est pas réductible au mépris intellectuel porté au travail manuel par les classes cultivées de l'époque, ni au prestige de l'archéologie. Elle s'explique partiellement par des raisons techniques de conservation. L'activité du fer bien que très ancienne dans la région, et constituant potentiellement un titre de gloire national — par le rôle décisif qu'ont joué, de la Première République à l'Empire, les "Soldats de l'Industrie" pourvoyeur des canons et munitions nécessaires à la France — n'a pas laissé de véritables vestiges archéologiques, les objets en fer ne résistant que très faiblement au temps. Elle repose également sur une culture urbaine, confirmée par une organisation administrative, qui fait obstacle à une égalisation des points de vue des habitants de la région sur le patrimoine dont elle a hérité. La proximité spatiale de l'industrie moderne est ainsi contredite par ce qui sépare la ville historique qu'est le chef-lieu de département, des agglomérations urbaines informes que font surgir les usines disséminées dans des vallées peu habitées, et qui ne peuvent prétendre, à une époque ou la concentration du capital industriel reste faible, au titre de véritables villes. Le patrimoine mosellan est ainsi d'abord le patrimoine urbain accumulé par le temps, et un patrimoine religieux, constitué en tant que tel par la Première République.

A partir de la fin du XIX ème siècle, le développement sidérurgique, en opérant une action d'unification culturelle des personnes de la ville et de celle des vallées, produit les conditions de l'apparition d'une sensibilité à l'histoire de l'industrie du fer. L'ingénieur de production, issu de grandes écoles, qu'exige la rationalisation scientifique des procédés d'extraction et d'affinage, l'administrateur, le comptable, le secrétaire, l'employé des « Grands Bureaux » qu'impose dorénavant la gestion des usines

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sidérurgiques, entrent ainsi en contact dans le cadre de leurs loisirs avec certains membres d'une bourgeoisie urbaine avec lesquels ils partagent la même qualification scolaire. Mais les effets de cette intégration sur la production locale d'histoire vont être alors neutralisés, à Metz, par des circonstances historiques particulières, qui conduiront les amateurs d'histoire de cette ville à confirmer l'orientation intellectuelle héritée de la Société d'Archéologie et d'Histoire de la Moselle.

En effet, l'intérêt porté par la Société d'Histoire et d'Archéologie de la

Lorraine aux objets antiques jusqu'à la seconde guerre mondiale ne s'explique pas uniquement parce qu'ils sont des objets romains dont l'étude avait permis, à l'époque du Second Empire, d'affirmer symétriquement la grandeur intellectuelle de la localité messine et la grandeur historique de la Lorraine qu'elle représentait. Il résulte de l'investissement affectif que font certains de ses membres, dans une Lorraine annexée à l'Allemagne depuis 1871, d'une archéologie gallo-romaine qui justifie le rattachement historique de la Lorraine allemande au territoire national dont elle vient d'être séparée. Que cet investissement présente malgré tout, du fait de la nature des richesses archéologiques lorraines, une pertinence scientifique autorise en même temps ses nouveaux membres et responsables allemands à l'utiliser comme un principe de pacification des rapports entre français et « colons » allemands cultivés. Il en va de même des vestiges médiévaux de la ville, qui permettent de concilier la mémoire d'une époque où Metz était capitale de la Lorraine française des évêchés et la conviction de l'origine allemande de l'architecture gothique60.

Ce compromis que permet de nouer, au nom de l'amour partagé du savoir, l'étude d'objets antiques et médiévaux, en même temps que l'économie industrielle de l'Empire allemand —qui stimule dans u n premier temps, pour des raisons stratégiques, le développement de la sidérurgie de la Sarre au détriment de la sidérurgie lorraine — favorisera la curieuse insensibilité qu'a manifesté la Société d'Histoire et d'Archéologie

Lorraine à l'égard de l'histoire industrielle moderne, y compris après la réannexion. Cette réannexion entraîne, en effet, une nette expansion de la sidérurgie lorraine, et confirme définitivement dans les années 30 l'importance sidérurgique de la région au plan national. Le refus des passions politiques "partisanes", suscitées par le développement local du capital sidérurgique, n'est certainement pas étrangère à cette apparente

6 0 La restauration, en 1902, de la cathédrale de Metz, et le remplacement du portail néoclassique construit par Blondel par un portail en "pur" style gothique réinventé, est un bel exemple de cette conviction.

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insensibilité des amateurs d'histoire messins à l'histoire industrielle moderne. La petite section consacré aux techniques gallo-romaines qu'inclura le musée historique de Metz, construit dans l'entre-deux guerres, ne manque pas, en effet, de célébrer l'ancienneté du savoir-faire industriel de la région. Conforme à l'esprit d'un régionalisme républicain, cette célébration autorise la naturalisation de la grandeur industrielle de la Lorraine, et écarte le danger d'une histoire industrielle moderne qu'utilise certaines organisations ouvrières pour justifier localement la lutte des classes.

L'indifférence à l'égard de l'activité industrielle moderne manifestée par les amateurs messins d'histoire ne pouvait apparaître que comme une ignorance de classe aux yeux des intellectuels ouvriers de la région, militants syndicaux et politiques que la conjonction d'une éducation républicaine, d'une adhésion au catholicisme libéral ou au communisme et d'une proximité spatiale ou professionnelle avec l'usine sidérurgique, a fait surgir dans les années 30. Cette indifférence doit être cependant relativisée par la prise en compte de la nouvelle organisation de la production intellectuelle lorraine qu'a fait surgir l'annexion allemande.

* La production d'histoire industrielle à Nancy

Si nous ayons commencé notre étude par l'observation de la production d'histoire industrielle delà Société d'Histoire et d'Archéologie Lorraine, c'est parce qu'elle nous confronte immédiatement aux enjeux contemporains de la production d'histoire locale, qui font de la Lorraine u n cas historique particulièrement intéressant.

La Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine n'est pas la seule société d'histoire qui revendique l'échelon régional. H en existe une autre. La Société d'Archéologie Lorraine, est, de fait, la première société savante d'histoire régionale créée en Lorraine, puisqu'elle a été fondée en 1849 par le baron Guerrier de Dumast, à Nancy. Son poids culturel en Lorraine est beaucoup plus grand que celui delà Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine, de Metz puisque son activité a contribué à la création de deux musées régionaux, le Musée Historique Lorrain et le Musée du Fer.

La concurrence qu'expriment ces deux appellations presqu'identiques est le résultat d'une histoire beaucoup plus ancienne que celle du XIX ème siècle. Les modalités particulières de l'intégration de la Lorraine au Royaume de France ont en effet entraîné la constitution de deux métropoles

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historiques, Nancy et Metz, qui peuvent chacune prétendre au rôle de capitale régionale, au nom de leur passé historique. L'annexion allemande de 1871 a transformé irrémédiablement une émulation intellectuelle entre deux chefs-lieux de département en une concurrence économique et politique, qui fait obstacle encore aujourd'hui à l'unification mentale de l'espace Lorrain pour ses propres habitants, et gêne le développement culturel de la région.

La fonction stratégique attribuée par l'annexion à ces deux villes — elle deviennent des centres administratifs de contrôle des zones frontalières de deux nations hostiles — a favorisé leur croissance démographique. Elle a entraîné également l'accroissement de leur puissance, mais dans des sens différents. Nancy, métropole historique devient la métropole économique de la Lorraine Française, sous l'effet à la fois du rapatriement des entreprises de l'Alsace-Lorraine annexée et d'une politique de développement sidérurgique de la Meurthe-et-Moselle61. Metz confirme sa fonction militaire de « plus grande forteresse d'Europe », en même temps qu'elle est transformée, par une politique urbaine très novatrice, en une ville-miroir de la culture allemande.

Cette situation qui contribue à rapprocher Nancy d'un esprit industriel, conduit symétriquement Metz à l'en éloigner. Le développement économique de Nancy à la fin du XDC ème siècle, dans un eontexte de revanche patriotique, dispose en effet ses citoyens cultivés à valoriser le lien industriel qui rapproche les Lorrains par l'intermédiaire d'un savoir-faire utile à la Patrie. Le développement administratif de Metz, qui fait d'elle une ville de fonctionnaires allemands, l'incline au contraire à soutenir le lien culturel qui réunit les personnes plus durablement que les critères de civilisation matérielle.

Ainsi « l'esprit de clocher » qui justifiait, avant l'annexion, l'émulation intellectuelle entre les deux métropoles historiques, se transforme-t-il après l'annexion entre une concurrence objective entre des identités culturelles différentes, la période de l'annexion ayant produit des choses dont la localisation manifeste les différences entre individus de la région, en même temps qu'elle fait obstacle à leur dépassement. Il y a, dorénavant, plus de choses modernes à Nancy qu'à Metz, alors qu'il y a plus de culture historique à Metz qu'à Nancy. Il en va ainsi des choses intellectuelles. Nancy sort de la première guerre mondiale dotée d'une

6 1 II convient en effet de réparer les pertes dues à l'expropriation des usines situées désormais en territoire allemand, et de se doter des moyens matériels de la revanche militaire.

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université moderne et de grandes écoles qui constituent désonnais sa supériorité objective sur Metz. Elle est devenue un centre de formation des élites de la science et de l'industrie, et par là-même, un lieu d'innovation culturelle et scientifique, ce qui justifie son statut de capitale de la Lorraine moderne. Cette revendication justifie symétriquement la valorisation par les cercles intellectuels messins des titres de noblesse historique de la ville, et de sa grandeur historique bien supérieure, parce que beaucoup plus ancienne, que celle de Nancy. La Société d'histoire et d'Archéologie de la

Lorraine de Metz conserve donc son nom, bien que le rattachement à la France justifierait logiquement et symboliquement qu'on la rebaptise Société d'Histoire et d'Archéologie de la Moselle, du nom de son ancêtre.

L'histoire politique et militaire de la région explique donc la sensibilité précoce des historiens de Nancy à l'histoire industrielle moderne, qu'atteste l'émergence dans les cercles intellectuels nancéiens, dès les années 30, de l'idée d'un musée du fer. Cette idée n'est pas que le résultat d'une prise de conscience locale de la vocation industrielle de la Lorraine moderne, mais l'effet du développement universitaire de Nancy, qui la relie désormais, par l'intermédiaire des enseignants et des chercheurs qui viennent enseigner à Nancy, à des préoccupations intellectuelles nationales. Ces préoccupations, qui inclinent à lier science et industrie, trouvent u n écho favorable dans une ville qui a acquis une renommée nationale et internationale par le savoir-faire de ses artisans-chefs d'entreprise, qui ont su concilier métier d'art et production industrielle62. Leur action a favorisé en effet le travail de médiation intellectuelle qu'exige le rapprochement entre un artisanat traditionnel du fer63, et les techniques de la grande production sidérurgique que le temps historique, l'espace géographique et la forme sociale de leur développement séparent radicalement.

La difficulté, malgré tout, de cette médiation doit être prise en compte pour comprendre le retard avec lequel elle se traduit concrètement, puisque ce n'est que dans les années 60 que le Musée du Fer verra le jour à Jarville. Matérialisant la construction d'une sensibilité historique locale à l'importance du travail sidérurgique pour le développement économique

62 On sait que qu'Emile Gallé a inauguré, à la fin du XIX ème siècle à Nancy, la production semi-industrielle de mobilier décoratif, qui fera la réputation internationale de l'Art Nouveau nancéien. 63 Représenté idéalement, c'est-à-dire artistiquement par Jean Lamour, ce qui explique l'importance qui lui est conférée dans la "Bataille de l'acier" qu'inaugure, selon la CGT, les luttes de 1978 contre le démantèlement de la sidérurgie..

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de la région, il manifeste également l'efficacité d'une expertise scientifique soutenue par une volonté étatique.

La Revue d'Histoire de la Sidérurgie, aujourd'hui disparue, rappelle dans un de ses numéros (Tome 4,1966, p. 77) la chronologie des initiatives qui, de 1949, date de la création par Albert France-Lanord de son laboratoire spécialisé dans l'étude de la technique du fer au Musée Historique Lorrain, à 1955, date du colloque international réunissant à Nancy « industriels, ingénieurs, sociologues, géographes, ethnographes, archéologues . et historiens... qui souhaitaient réunir leurs efforts pour étudier les problèmes que pose l'histoire du fer » ont débouché, au début des années 60, sur la création d'un Centre de recherche sur l'histoire de la sidérurgie. Ces initiatives, qui ont constitué les premiers instruments de justification scientifique de l'investissement intellectuel dans l'étude de l'histoire sidérurgique lorraine, sont inséparables de l'apparition d'une planification étatique de l'économie française, laquelle fait du dépassement du retard sidérurgique de la France par rapport à d'autres pays industrialisés un enjeu fondamental.

L'ingénieur devient alors, dans la "Nation littéraire" qu'est restée la France, l'objet d'une préoccupation intellectuelle, du fait de l'enjeu stratégique que représentent la concentration et la rationalisation de la production sidérurgique française, et les problèmes que pose la formation des spécialistes de type nouveau qu'elles requièrent64. La production d'acier spécialisé et de produits finis compétitifs interdit en effet de faire fi des problèmes humains inhérents à l'organisation traditionnelle du travail industriel; et son inadéquation partielle avec le savoir-faire ouvrier qui conditionne la réussite de cette production. Les conditions intellectuelles sont ainsi réunies d'une constitution du fer comme un objet de médiation entre les différents individus qui participent à son affinage et à l'élaboration de produits sidérurgiques conformes à des normes de qualité internationale.

Ce contexte, en élargissant le champ des compétences que requiert la domestication du fer, offre un débouché à des intellectuels dotés d'une qualification professionnelle dans le domaine des sciences humaines et sociales puisqu'il fait de la coopération un fondement de la qualité technique de la production. H rend ainsi possible la valorisation de la communauté d'intérêt que constitue l'usine sidérurgique, non seulement

6 4 On sait que les travaux de Bertrand Gilles sur l'histoire des techniques et sur les ingénieurs de la Renaissance, qui constituent aujourd'hui des ouvrages de référence, s'enracinent historiquement dans sa pratique de formation d'ingénieurs au CNAM de Nancy.

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au plan de son implantation locale, mais au plan régional de la filière dans lequel elle s'intègre, et qui met en relation des métiers interdépendants.

C'est ce qui permet de comprendre l'évolution caractéristique de l'histoire industrielle en Lorrain. A côté des sociétés d'histoire traditionnelle, qui inscrivent leurs travaux dans le cadre de la ville, apparaissent de nouvelles formes d'organisation de la production d'histoire qui se situent dans une perspective régionale, revendiquent leur participation à la communauté naturelle que représentent le fer, et contribuent par là-même à la rendre visible.

La genèse de l'histoire industrielle en Lorraine nous confirme donc son développement privilégié à Nancy, que son histoire moderne a conduit à soutenir et à valoriser l'activité sidérurgique de la Lorraine, et où s'opère, avec l'appui d'une bourgeoisie intellectuelle proche de la municipalité, une mise en relation intellectuelle des intérêts des entreprises sidérurgiques locale, d'organismes nationaux de formation scientifique et techniques (le CNAM notamment), et d'institutions de recherche (le CNRS) que concrétise la création du Musée du Fer en 1966. Cette création et la métamorphose qu'elle entraîne de la Société d'Archéologie Lorraine en association gestionnaire du Musée du Fer dégage la production d'histoire industrielle à Nancy du cadre de l'histoire traditionnelle dans lequel elle s'inscrivait65, et constitue une base technique favorable au développement de « l'histoire sociale lorraine » qu'entreprend de développer, à partir du début des années 70, le sociologue Serge Bonnet. Projet d'un homme étranger à la région, mais fortement implanté dans la région dont il est, du fait de ses travaux sur la sociologie politique et religieuse de la Lorraine, un grand connaisseur, il ne représente pas simplement la réalisation d'un intérêt purement personnel, ni l'exploitation d'une opportunité scientifique. Les contacts de Serge Bonnet avec les militants ouvriers isolés et éparpillés dans la région, qui accumulent pendant leurs loisirs des documents sur l'histoire ouvrière, et certains historiens locaux sensibles à la particularité ouvrière de la région, en même temps qu'ils lui procurent les moyens nécessaires à sa réalisation, lui font reconnaître la nécessité d'une histoire sociale du fer lorrain, à la fois pour son utilité scientifique, son intérêt pour la région, et pour l 'hommage

6 5 et que continue à perpétuer, par exemple, l'Académie Stanislas de Nancy, fondée en 1750, ou l'Académie Nationale de Metz, fondée en 1757, qui restent selon l'expression heureuse des Archives Lorraines, op. cit., p 39, des « compagnies éclairées de notables cooptés, ouvert à tous les progrès de l'esprit ».

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qu'elle permet de rendre aux hommes ordinaires qui ont fait l'industrie sidérurgique.

En effet, le Musée du fer de Nancy, dont l'édifice, réalisé en acier et en verre, par Jean Prouvé exprime la synthèse qu'il réalise entre une tradition nancéienne de l'art du fer décoratif et une tradition lorraine de production d'acier à usage industriel, ne les met pas en scène en tant que tel. Par là-même, il ne permet pas aux personnes de la région, mais aussi au public français de prendre la mesure de la région, et de la fonction d'unification qu'a joué, en Lorraine, la culture du fer. C'est cette image de la région que permettra d'établir L'Homme du Fer.

On comprend mieux, à travers cette brève esquisse, les conditions d'émergence du projet, qui prend pratiquement la forme d'une entreprise collective. Plus de cinquante personnes participeront bénévolement, en effet, à sa réalisation, sans compter celles qui apporteront leur contribution indirecte (lettres, photographies, témoignages personnels). Il s'agit, à sa manière, dans le cadre local, d'un événement intellectuel comparable à celui que représente aux USA la réalisation du Polish Peasant par Isaac Thomas et Florian Znaniecki. Sa réalisation a permis de satisfaire le "désir d'histoire" de nombre de ses participants proches du monde ouvrier qu'elle met en scène. Sa lecture a constitué pour beaucoup de personnes locales le déclencheur d'un "désir d'histoire" identique. Pour certains, il représente un instrument de travail, et une motivation pour écrire sur la Lorraine industrielle, ce qui a justifié, comme on l'a vu, leur participation à la création et au fonctionnement de l'ARESSLI. Il importe donc de préciser maintenant les caractéristiques de cet ouvrage "nancéien", si l'on désigne par là le contexte qui a favorisé son élaboration.

* Les hommes du fer

« Depuis 1958, date de mon arrivée en Lorraine, je n'ai pas cessé d'être fasciné parles hommes du fer .. L'homme du fer est un être à part. Ce qu'il tire des entrailles de la terre, ce qu'il produit avec le feu et ses outils change le devenir des sociétés, aussi bien dans leur vie quotidienne que sur les champs de bataille..", w66

Cette affirmation de Serge Bonnet constitue un analyseur idéal du mode de constitution d'un intérêt personnel pour l'histoire industrielle

6 6 Serge Bonnet, op. cit., tome 1, Nancy : P.U.N., Metz : Éditions Serpenoises, 1986, p. 9.

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moderne, et d'un certain mode d'élaboration scientifique de cette histoire. Sa comparaison avec l'oeuvre de l'archéologue Edouard Salin, reconnu officiellement comme l'inspirateur du Centre de Recherche Historique sur

la Sidérurgie de Nancy est, de ce point de vue, très intéressante. Bien qu'ayant été lui-même maître de forges, l'auteur de la "Civilisation mérovingienne" s'est très peu intéressé à la sidérurgie, auquel il n 'a consacré qu'un bref article en 1922 dans Le Pays Lorrain. Ainsi une proximité professionnelle avec la technique moderne du fer67 peut détourner un individu — Edouard Salin — d'un investissement dans son étude, alors que son éloignement professionnel de la réalité de la mise en oeuvre cette technique constitue pour un autre individu — Serge Bonnet — une raison de son investissement dans cette étude. La dimension esthétique de l'investissement intellectuel apparaît bien, dans les deux cas, le travail archéologique compensant, par les mystères auquel il ouvre, la routine technique que constitue une production industrielle, l'entrée dans le monde de l'usine sidérurgique mettant brutalement l'individu en contact avec le mystère que constitue, d'un point de vue extérieur au travail, la maîtrise routinisée d'un état extrême de la matière, sauvage et dangereux.

Cet éloignement professionnel, qui favorise l'admiration et la curiosité à l'égard de ces héros ordinaires capables de domestiquer le fer en fusion n'acquiert son efficacité intellectuelle que par l'intermédiaire d 'un rapprochement personnel. « L'ouvrage qui m' a le plus stimulé dans cette quête est un ouvrage de Robert Delavignette, Birama, paru en 1955... Il ne craint pas de rapprocher les ouvriers métallurgistes de son Chatillonais des forgerons de l'Afrique Noire. Dans un continent comme dans l'autre — n'existe-t-il pas un lien mystérieux entre l'homme et le métal qu'il travaille

? »68. Ce rapprochement personnel justifié par l'adhésion à des valeurs humanistes — et par l'estime que manifestent à l'égard du travail du fer tous ceux qui le connaissent de près ou de loin —motive l'individu à transformer le mystère en un secret possédé par ces héros ordinaires, et à témoigner du sacrifice que constitue cette routine dangereuse et obscure.

Cette manière de comprendre la fascination à l'égard des hommes du fer que confesse Serge Bonnet dans l'ouverture de son ouvrage apporte u n instrument d'interprétation, complémentaire de ceux que l'on peut tirer de sa biographie et de ses convictions politiques et religieuses, du sens de son

67 Dont il tirera d'ailleurs profit dans son étude des techniques du fer mérovingienne, comme nous l'indiquons dans la note 28 68 ibid., p. 9.

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ouvrage. Elle permet de mieux comprendre l'efficacité esthétique de la représentation intellectuelle qu'il donne du travail du fer sur le public local auquel il s'adresse. Elle est en effet légèrement décalée par rapport aux visions du travail industriel défendues alors par les militants du catholicisme social ou du communisme, dont elle propose à la fois une synthèse et un dépassement. Elle résout, de fait, un grand nombre de tensions internes à ces visions dues à leur ancrage dans des imaginaires politiques, la vision négative de l'exploitation contredisant par exemple la célébration du sacrifice consenti par l'ouvrier, ou la notion de sacrifice se conciliant difficilement avec l'éloge communiste du productivisme. A sa manière l'expression d'Homme du Fer condense ces imaginaires, en réunissant dans une même formule l'Homme d'Acier soviétique et l'Homme du "Faire" qu'est le travailleur de bonne volonté69.

La synthèse d'intérêts divergents que constitue l'ouvrage apparaît beaucoup plus importante encore si l'on considère l'utilisation qu'il fait du fer. Il est l'objet qui lie le travail de la mine, du haut-fourneau, de l'affinage, du laminage et de la métallurgie, travaux qui ont fait surgir, en Lorraine, des cultures de métier très différentes, portées par des populations étrangères différentes, et souvent reliées à des idées politiques opposées. Il attache ensemble la campagne et la ville, des "pays" éloignés, des sites éparpillées, et les détache de la Lorraine « française » et de la Lorraine « allemande » dont des traditions linguistiques attestent encore aujourd'hui l'existence. Il synthétise, en les dépassant, les « quatre images de la Lorraine » qui gênent sa compréhension par le public français70. Il rassemble, enfin, le chercheur de métier, l'ouvrier sans culture, le cadre militant, l'ancien contremaître, dans un travail collectif d'enquête scientifique.

Cette présentation de L'Homme du Fer permet de lui reconnaître une double dimension. Il constitue d'une part un argument scientifique, en même temps qu'un moyen d'étude, de l'existence d'une réalité objective, l'industrie du fer lorraine, et offre un cadre d'interprétation à l'échelle régionale du comportement des individus que l'on situe dans ce cadre. C'est ce qui explique le respect qu'ont manifesté à Serge Bonnet les personnes intéressées par la construction scientifique d'une histoire industrielle de la

6 9 Figure que mobilise Jean-Marie Conraud, lorsqu'il rappelle, en conclusion de son ouvrage Militants au travail. CFDT et CFTC dans le mouvement ouvrier lorrain que cet ouvrage témoigne « de la valeur essentielle de l'homme, donc du travailleur ». Jean-Marie Conraud, op. cit., p. 361. 7 0 Serge Bonnet, op. cit., tome 1, p. 382 à 388. Les quatre images sont « l'image villageoise », « l'image féodale », « l'image messianique », « l'image quantifiée ».

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Lorraine moderne, et dont beaucoup le considèrent comme un pionnier71. Mais il réalise aussi, d'autre part, une mise en scène des lieux de l'industrie lorraine, dans leur double dimension de lieux de travail et de lieux de vie. De ce point de vue, il présente un intérêt esthétique pour les lecteurs qui s'y retrouvent, s'y reconnaissent et reconnaissent l'image de leur proche. Le montage, au sens strict, qu'il effectue, de textes informatifs, de discours de témoins vivants, de récits anecdotiques, de reproductions de documents d'époque — lettres, journaux, tracts, affiches — de photographies d'usines, de cités, de groupes sportifs, de meetings, etc., le constitue en un moyen de valorisation d'une mémoire familiale et municipale tout autant que d'une mémoire ouvrière. Il offre donc à la fois un exemple, et une justification de l'intérêt d'une recherche et d'une conservation de documents sans valeurs et de leur transformation, par leur publication, en documents historiques72.

Cet intérêt esthétique de L'Homme du Fer qui touche, à partir du moment où ils sont enracinés dans la région aussi bien ses lecteurs universitaires que ses lecteurs "populaires" éclaire une autre dimension de l'importance locale de, qui s'est effectuée par l'intermédiaire des personnes impliquées dans ses activités. Au delà, en effet, d'une rencontre et d 'un échange entre chercheurs, elle a apporté un soutien intellectuel à la patrimonialisation de la mémoire quotidienne de communes industrielles privées d'histoire. Cette patrimonialisation, en autorisant le rapprochement des jeunes et des« anciens » de la mine ou de l'usine, delà vie des hommes du fer et de la vie des femmes du lieu, du travail et du loisir, a permis de doter rétrospectivement ces communes, dont beaucoup sont informes d 'un point de vue urbanistique, de l'identité et de la dignité culturelle d'une Cité.

Le développement de l'histoire industrielle locale, que l'ARESSLI a stimulé, est ainsi inséparable du phénomène de l'apparition de cultures municipales, auquel la recherche historique apporte des preuves d'existence de ces cultures, qui sont aussi des moyens de promotion culturelle de la Cité.

7 1 Gérard Noiriel, Compte-rendu du livre L'Homme du Fer de Serge Bonnet, Communisme, n° 15-16,1987, p. 189-193. Du fait du caractère militant de cette revue, on peut, pour donner un exemple d'un hommage paru dans une revue plus scientifique citer un autre compte rendu. Serge Verret salue dans une recension publiée par Le Mouvement Social, janvier-mars 1987, n° 138, pp. 5-20, les ouvrages « d'un historien régional, d'un sociologue de province, un peu parisien tout de même par le CNRS, un peu mondial par l'ordre des Dominicains et quelque catholicité , [ ouvrages qui sont le produit] de trente ans passées sur un terre, terre de racines, la Lorraine, à l'écoute d'un homme, l'ouvrier lorrain, deux en vérité le mineur et le sidérurgiste qui, sol et sous-sol, s'y sont enracinés... ». 7 2 Activité qui constitue la justification fondamentale du Cercle pour la promotion de l'histoire de Joeuf, étudié par Richard Lioger. Cf. Annexe 4.

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municipales, auquel la recherche historique apporte des preuves d'existence de ces cultures, qui sont aussi des moyens de promotion culturelle de la Cité. La visibilité qu'elle procure à des communes devenues pauvres, du fait de la destruction des usines, et l'intérêt économique potentiel du patrimoine local qu'elle fait apparaître, participent à l'émergence d'entreprises originales, appréhendées comme un moyen de création d'emplois culturels.

Un bon exemple de ce phénomène est donné par la création du Festival du Cinéma Italien de Villerupt. Créé par de jeunes amoureux du cinéma, que leur enracinement attache à la vie de la localité où résident leurs parents, il constitue aujourd'hui un argument majeur de la vie culturelle de cette commune, et de sa compétence cinématographique. D'abord organisé de façon purement bénévole, il s'est constitué récemment, avec le soutien de la municipalité, en entreprise culturelle qui revendique le statut d'un Pole de l'image. Cet exemple est particulièrement intéressant par la dimension incorporée du patrimoine qu'il a fait reconnaître, et qui éclaire partiellement le surgissement que nous avons constaté d'un nouveau lieu commun au sein de l'ARESSLI. C'est en effet la culture italienne des habitants de Villerupt, originaires dans leur grande majorité de l'Italie Centrale, avec laquelle ils ont conservé des liens, que les créateurs du Festival ont réussi à objectiver esthétiquement, en lui donnant la forme patrimoniale d'un amour du cinéma populaire italien. La représentation de cet attachement local à un genre de cinéma, que donne l'organisation du Festival à ses visiteurs, permet de concilier la valorisation d'une culture incorporée par les mères de famille italiennes —la cuisine domestique italienne et notamment la fameuse "pasta" — qui participent bénévolement à l'organisation du Festival73, et la valorisation d'une compétence cultivée par les cinéphiles des classes moyennes — la projection de films exemplaires de la qualité cinématographique italienne, car à la fois intellectuels par les problèmes qu'ils posent et divertissant par le traitement personnel qu'en fait le cinéaste. On comprend mieux l'évolution qui s'est opérée au sein de l'ARESSLI, du fait de l'intégration de certains de ses membres à des communautés locales soucieuses d'assurer leur existence économique et qu'ils contribuent à promouvoir en tant que communautés. De l'étude de l'homme du fer à la construction de la figure de l'immigré intégré dans la culture française, et que la reconnaissance de sa culture permet d'enrichir,

73 Et dont les raviolis et les lasagnes proposé*: par le restaurant du Festival constituent une des raisons de son attraction. Aller à Villerupt, pour les personnes de la région, signifie ainsi à la fois aller voir un film intéressant et consommer un produit gastronomique local, ce qui justifie le déplacement.

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l'évolution de l'ARESSLI témoigne du passage d'un souci de démocratisation delà culture nationale, que représente l'histoire, à un souci de valorisation d'une démocratie culturelle, que représente la mémoire locale. Ce déplacement, qui semble contredire le travail d'unification régionale de l'histoire industrielle auquel l'ARESSLI a contribué, en représente le prolongement, puisqu'il constitue une incorporation de la figure du Lorrain industrieux et attaché à sa terre d'accueil qu'était l'Homme du Fer. Pratiquement, cette incorporation résulte d'une adaptation de cette figure identitaire à une culture urbaine qui donne une valeur éthique à la valorisation esthétique de l'étranger, en tant qu'instrument d'une meilleur compréhension de soi et des autres. Cette culture urbaine, en pénétrant les communes périphériques par l'intermédiaire à la fois de la formation universitaire des jeunes générations et des modifications de la composition démographique de ces communes, permet de soutenir la création d'entreprises culturelles fondées sur la valorisation de la compétence personnelle des individus. La figure de l'Homme du Fer se fond ainsi progressivement dans celle d'un Homme de Cultures, qui constitue un argument économique et témoigne de la richesse humaine de la Lorraine comme terre de racines.

Conclusion En guise de conclusion : L'ARESSLI, des hommes du fer au médiateurs

culturels

Alors que l'identification des membres de l'ARESSLI nous a permis d'approcher les formes d'investissement personnel qui ont favorisé, au plan régional, le travail d'élaboration et de stabilisation d'un objet scientifique, la culture industrielle de la Lorraine, désormais détaché des personnes qui ont contribué à le faire reconnaître, l'analyse des activités de cette association nous confronte, au contraire, au travail de démocratisation de la compétence historique qui autorise aujourd'hui certains individus ordinaires, avec le soutien d'un public local, d'attacher cette compétence à des personnes particulières et à des lieux déterminés74.

Cet objet historique froid qu'est aujourd'hui l'histoire sidérurgique de la Lorraine, et cet espace territorial chaud que fait surgir la démocratisation

7 4 On a joint, en annexe 5, l'étude que nous avons réalisée sur la manière dont la connaissance historique est utilisée aujourd'hui pour soutenir des entreprises de patrimonialisation culturelle de certains villages lorrains.

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patrimonialisation développées par les communes périphériques de la Lorraine ne sont pas deux réalités indépendantes, témoignant de l'existence de deux manières différentes et incompatibles de faire de l'histoire, l'histoire scientifique et l'histoire locale. Elles sont, au contraire, le résultat de leur rencontre et de leur interpénétration locale, qui permet de mettre u n instrument scientifique au service de la réalisation d'une action collective, et d'utiliser cette action collective comme une preuve de la pertinence scientifique de cet instrument. C'est ce qui rend si difficile l'observation de cette réalité hybride qu'est l'ARESSLI.

L'appréhender du point de vue de la pratique scientifique de l'histoire, nous conduit à constater que son activité consiste plus dans u n "faire parler", faire parler les personnes qui s'y rencontrent, mais aussi faire parler d'elle, que dans le " faire l'histoire" attendu d'une organisation « d'études et de recherche ». Inversement, l'observer du point de vue d'une pratique traditionnelle de l'histoire locale, nous conduit à identifier des productions (rapports, publications, manifestations, organisations) rendues compatibles avec la revendication d'un point de vue scientifique par l'entrecroisement de stratégies individuelles de qualification professionnelle et de stratégies collectives de qualification culturelle de l'espace local.

L'interpénétration, par l'intermédiaire de la circulation des ouvrages et des personnes que facilite l'ARESSLI, d'une pratique professionnelle du métier d'historien et d'une pratique amateur du métier d'historien, ne peut donc se comprendre comme une simple modernisation de la fonction de certaines' société traditionnelle d'histoire, modernisation justifiée par l'engagement politique de ses adhérents. En effet, le cas de l'ARESSLI contribue localement à un renforcement de la déstabilisation des systèmes d'équivalence scientifique suscitée par la décentralisation, et à l'émergence de formes d'expertise scientifique régionale. Ces nouvelles formes d'expertise émergent du travail de recomposition des compétences qu'effectuent les individus, en s'associant pour répondre aux nouvelles demandes que stimule la décentralisation, demandes de nouveaux types de savoirs permettant aux décideurs économiques et politique locaux de mieux ajuster leurs décisions. A lui seul, le fait que l'association de producteurs d'histoire industrielle de la Lorraine se présente comme une association « d'études et de recherche en sciences sociales » est un bon indicateur de cet effort de recomposition.

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La déstabilisation des rapports traditionnels établis entre les chercheurs universitaires et le public local, à laquelle participe l'ARESSLI, désigne un enjeu beaucoup plus important que la réalisation, au sein de l'association, d'une conception humaniste du savoir ou d'une préoccupation savante de partage des savoirs, qu'exprime les termes de « pluridisáplinarité » et de « réseau » valorisée par les présentateurs de l'ARESSLI. Cette déstabilisation s'accompagne, dans l'espace local d 'un travail de redéfinition du rapport entre les chercheurs patentés, les lieux de recherche, les autorités politiques, les sources de financement, et le public.

Si notre approche permet de confirmer la présentation de soi de l'ARESSLI, par la diversité qu'elle révèle immédiatement des personnes, des lieux, des objets, des dispositifs qu'elle met en relation, elle fait disparaître également les tensions inhérentes à leur mobilisation, à la fois dans l'espace personnel que constitue l'ARESSLI et dans l'espace social régional, comme moyens de production d'une nouvelle forme de compétence. Par exemple, les étudiants qui s'intéressent à l'ARESSLI intéressent aussi leurs professeurs, qui dirigent les travaux scientifiques de ces étudiants et peuvent contester personnellement l'utilisation, voire l'appropriation illégitime, que l'ARESSLI fait de leurs travaux. Il en va de même des objets de recherche, les subventions qui leur sont attachées intéressant l'ARESSLI, mais intéressant également ceux qui, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'ARESSLI sont à la recherche de subventions.

Notre rapport final présentera une analyse des tensions qu'entraîne l'individualisation de l'activité de l'ARESSLI, du fait de la valorisation qu'elle permet d'effectuer de certaines personnes et de ce qu'ils produisent. Cette individualisation fait immédiatement surgir des dénonciations larvées ou explicites, portant notamment sur la propriété intellectuelle des objets, et de la compétence qu'ils permettent à un individu ou à un collectif de revendiquer. Est-il juste, par exemple, que certains tirent un profit personnel, en publiant un ouvrage sur l'histoire de la région, du travail collectif sur lequel il s'est appuyé pour la réaliser ? Observer ce que font les individus qui travaillent avec l'ARESSLI de ce que leur apporte l'ARESSLI, facilite donc la réactivation d'enjeux politiques et culturels particulier^ qu'une vision générale de l'association permet de neutraliser. Ces enjeux, comme l'apparition de certains noms d'organismes de rercherche nationaux, et de chercheurs reconnus scientifiquement au plan national dans notre description, le prouvent, ne peuvent se réduire à des enjeux culturels locaux, mais renvoient bien à des enjeux scientifiques généraux, ce

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qui nous impose de reéinterroger une représentation traditionnelle de la culture scientifique locale. Il n'est plus possible, en effet, dans le cas de l'ARESSLI, d'ignorer la participation historique des chercheurs scientifiques et des organismes à la réalité qu'ils observent, qui est un résultat partiel de l'action de leur prédécesseurs et dont ils font objectivement partie. Du même coup, les critiques qu'ils produisent doivent être intégré^ dans l'observation, leur action constituant des arguments pour les disputes que fait surgir localement l'étude de l'histoire industrielle de la Lorraine.

Si l'on a vérifié, en effet, l'efficacité de la médiation intellectuelle et affective que l'ARESSLI permet d'établir entre des objets et des personnes séparée^ par le temps et l'espace, cette médiation n'interdit pas aux individus et aux collectifs concernés d'entretenir ces séparations ou d'en produire d'autres, en s'appuyant sur la preuve scientifique de leur existence. Comme toute médiation, la médiation scientifique proposée par l'ARESSLI reste techniquement imparfaite. Il est manifeste, par exemple, que le mineur de charbon trouve difficilement sa place dans l'imaginaire des hommes du fer, car le procédé au coke (le mélange de minerai fer et de coke qui autorise l'obtention d'une température de fusion élevée) ne l'intègre

qu'indirectement dans le travail de la fusion. L'homme du fer est, par ailleurs, en tant que figure esthétique, plus le sidérurgiste, l'homme du haut-fourneau, que le mineur de fer ; et il est mieux représenté, au plan du savoir-faire technique, par le convertisseur que par le haut-fourneau, l'acier, et non le fer, étant l'enjeu majeur de la sidérurgie moderne. Ces petites différences qui n'apparaissent pas importantes au regard éloigné, ne comptent pas pour rien dès lors que les individus les attachent à des groupes et à des lieux. Ainsi, faire l'histoire industrielle de la Lorraine à travers celle du Pays-Haut revient à valoriser un espace géographique et, à travers lui, une population, un objet de recherche, et une certaine conception de l'expertise scientifique. L'imaginaire de l'ouvrier lorrain, immigré italien et communiste, que cette expertise légitime en est un bon exemple, puisque cet imaginaire contribue au succès du Festival de Cinéma Italien inventé par les "italiens" de Villerupt, comme un moyen de stabiliser la compétence culturelle particulière de leur Cité. Il justifie en même temps, pour certains chercheurs universitaires étrangers à la région, la constitution du Pays-Haut en un terrain scientifique d'observation d'une tradition communiste originale ou d'une tradition d'immigration particulière.

Le fait que la capacité à identifier ces petites différences puisse servir non seulement à qualifier culturellement un lieu, mais à démontrer la

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compétence scientifique de l'observateur de ce lieu nous confirme, du même coup, la nécessité de nous inclure dans l'observation.

Nous faisons, en effet, effectivement partie de l'observation que nous sommes en train de construire, dès lors que, comme d'autres acteurs universitaires dont nous avons fait mention, nous entretenons des relations avec l'association dont nous faisons l'histoire. Ces relations ne sont pas que les relations d'observateur compréhensif que met en scène la communication de Richard Lioger sur le Cercle pour la promotion de

l'histoire de Joeuf.,\me association membre del'ARESSLI (Annexe 4). Elles sont également des relations d'alliance, comme en témoigne l'Annexe 5, qui présente un article de Jean-Marc Leveratto, extrait d'une journée d'étude sur l'Identité Lorraine à laquelle participait au nom del'ARESSLI, Luc Delmas. Cette journée, organisée par l'ERASE en collaboration avec le Département d'Histoire de l'Université de Metz, était financée par le Conseil Régional pour servir, comme son titre l'indique, à promouvoir l'identité historique de la Lorraine. L'extériorité du chercheur scientifique vis-à-vis de la situation, valorisée par les deux auteurs, et qui permet à Richard Lioger de signaler que « Serge Bonnet et G. Noiriel... s'appuyèrent largement sur le tissu de militants locaux pour alimenter leurs propres travaux », fait disparaître les liens à la fois personnels et professionnels qui les attachent à la situation qui alimente leur réflexion. La prise en compte de ces liens rend bien sensible la contribution pratique, qu'apporte par sa communication, Jean-Marc Leveratto à la valorisation d'entreprises culturelles locales qui, de l'extérieur, peuvent être dénoncées pour leur artificialité.

Dans cette perspective, préciser les relations qui se sont établies et continuent à s'établir, à l'occasion d'événements précis, entre l'ARESSLI et d'autres collectifs, locaux, régionaux et nationaux — scientifiques (les Universités, le CNRS, la Mission du Patrimoine, le CUCES, etc.), politiques (municipalités, Conseils Généraux, Conseil régional), administratifs (Archives départementales et régionales, Drac), économiques (entreprises industrielles, organismes de formation, entreprises culturelles locale) — constitue l'objectif de notre rapport final.

Elle permettront de confirmer la manière dont l'apparition et la stabilisation de politiques culturelles régionales réinterroge^tant les limites entre les disciplines scientifiques, que les instruments de mesure de la compétence scientifique du chercheur hérités d'une histoire nationale.

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DOCUMENTS CITÉS

Archives Lorraines, Bulletin de liaison et d'information des services d'archives implantées en Lorraine, n° 2, Avril 1990. Patrimoines Culturels Locaux, « Le fer en Lorraine », n° 6, Février 1983, Publication du CRDP de Nancy. Patrimoines Culturels Lorrains, « La sidérurgie mosellane », n° 5, Mars 1982, Publication du CRDP de Nancy. Pascal Basse, L'italianitê du Parti Communiste dans le bassin sidérurgique de Longwy : de la reconstruction du -pays a celle du Parti, Essai d'histoire o rale, Université de Nancy H, 1992. Anne-Marie Blanc, Marie-Romaine, Metz, Éditions Serpenoise, 1978, rééd. 1990. Serge Bonnet, L'homme defer, Metz, S.M.E.I, 1977, tome 1 et2. Serge Bonnet, L'homme du fer, P.U.N.-Éditions Serpenoise, 1985, tome 4. Anne Cook et Anne-Claire Hourte, Patrimoine et Culture Industrille en Lorraine, DRAC de Lorraine-CCSTI du Fer et de la Métallurgie—Musée de l'Histoire du Fer, Metz, Éditions Serpenoises, 1996. Jeanne-Marie Demarolle, «Patrimoine archéologique et société savante. L'exemple de la société d'archéologie et d'histoire de la moselle, 1858-1870 » in François Yves Le Moigne (sous la direction de)Patrimoine et Culture en Lorraine, Société d'histoire et d'archéologie de la Lorraine-Éditions Serpenoise, 1983. Piero Galloro, L'immigration italienne en Moselle de 1918 à 1940 : étude du flux d'arrivée, Université de Metz, 1991. René Gendarme, Sidérurgie lorraine. Les coulées de l'avenir, Nancy, P.U.N., Metz, Éditions Serpenoise, 1985. Fabrice Montebello Spectacle cinématographique et classe ouvrière, Lonwy 1944-1960, Lyon, 1997. Gérard Noiriel Vivre et lutter à Longwy, François Maspéro, 1980, coll. Débats Communistes. Gérard Noiriel,Recherches sur la "culture ouvrière" dans le bassin de Longwy,1983, Rapport pour la Mission du Patrimoine Ethnologique. Gérard Noiriel, Longwy, immigrés et prolétaires, 1880-1980, Paris, P.U.F., 1984. Gérard Noiriel, Compte-rendu du livre L'Homme du Fer de Serge Bonnet, Communisme, n° 15-16,1987 Jean-Luc Perioli, Le mineur de fer au quotidien : mines d'Hay ange, Knutange, Imprimerie Klein, 1989.

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Adrien Printz, La vallée usinière, Florange, Mémoire et avenir des vallées sidérurgiques, rééd. 1985. Serge Verret, Recension in Le Mouvement Social, janvier-mars 1987, n° 138,

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ANNEXE 1 5 janvier 1986

Photocopie du courrier d'invitation à la réunion fondatrice de l'ARESSLI, avec la liste des invités

En 1979 , puis en 1982 , une réunion avait regroupé un

certain nombre de personnes qui s'intéressaient à l'histoire

sociale lbrraine (mines de'fer , sidérurgie , charbon , textilej.^.

Depuis 1982 , des initiatives nouvelles se sont fait jour . •

Beaucoup de ceux q-ui travaillent , isolément ou dans le cadre, d'un

institution (université , C.N.R.S. , atelier de mémoire ouvrière -,

société d'histoire locale e t c . . ) semblent désireux de se ren­

contrer .

Je propose que nous nous retrouvions le samedi 8 février

1986 à lt h 30 au Musée du fer â Jarville (M. et M.) . Etant

donné le programme chargé , prière d'être à l'heure !

Ordre du jour propos»' (il pourra être revu et corrigé en

début de séance) ;

- Tour de tabl»:- . Cir.iquo participant , en trois minutes ,

üí-r pj-út,tjfiiern t; L (íxpiiou._•:•'.! 'ses c-.-üti-t-s a : intérêts et ses

travaux achevés ou <-..-n courr. .

- Projet d'une bibliographie lorraine d'histoire sociale

(F. liirck) .

- Publications (financement , .diffusion ...) (F. de Chassey)

- Archives (F. bii'ck) .

Père Serge BONNET

Prière d'envoyer toute la correspondance relative à la réunion

à : Madame Françoise BIRCK , 9 Parc de Libremont , 5^220 -

MALZEVILLE .

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REUNION DU FER 1 FEVRIER 1986 :

BARRAL , 6 rue du Mantee > 54000 NANCY

BAUDIN Fr. , 16 F4 , rue de la Côte , 54000 Nancy

BELLEVILLE P. , Vigneulles , 57000 LORRY les HETZ

BIRCK Fr. (Mme) 9 Parc de Libremont , 54220 MALZEVILLE

BLANC A.M». (Mme) . 136 Bid de Champelle , 54600 VILLERS LES NANCY

BONNET J.M. , 25 . rue "¿arón Louis" ,"'5 000 NANCY

B0RELLA FR. Fac. de Droit , Place Carnot , 54000 NANCY

B0UD0T R. , 6 rue des Ecoles , MONTIGNY/CHIERS , 54870 CONS la Gr.

CALLÁIS Alain , 20 , rue Charles Péguy , 54140 JARVILLE

CASAROTTO J.T. 3 rue des Ecoles , 5'»88() THIL

CAZIN N. (Mir.e) , 2 , rue du Port , 5500Ü BAR LE DUC

CHAKA5SE D. , ó , Sentier ces Mensiaux , 54000 NANCY

CHASSEY F. ce , 2c , rue -jes Dominicains , 54000 NANCY

'JOLLÍN i:. , AD :••. et •<*.. , i rue de la Monnaie , 54000 NANCY

•JOLLÍN L. , GRAIÎD rAÏLLY , 5^260 LOnGUYON

COI.T-.AUD J.M. , -. , rue des I'l¡u¡U-:; , :jh>i¿0 SEICHAMP1

•JHIQi:i Lit. , In.--.ti tut du 'iVivaii , 13 Place Carnot , 5^jCC NANCY

DÈLMA3S0 (Melle? , Professur CES , 54-360 A'JDUN* LE ROMAN*

l'.'.YIL' iï:. , :••• ,' 1-..V. .:: l.uvi^i-ic: , J;'i'/Ü.C \\>¿\<"i

DELESTEE A.- , :v , rue ViJIebuis .lareall , 5">'û0 LUNEVI1LE

JELKAS L. , 4 ,'rao ue Mets , VILLE/YKOK , 54öüü JAHMY

:O'JD0UX J. , 1-7 , rue uu'Mû :•£-.: hul J-,riTe , 5^720 LEXY

¿REYFUS ::. , v , rue Molher , 75UGÍ, PARIS .

FEITE J.C. , f.\j , rout« de i.sncwy ,. '" V-.O MONT ST KARTIIÎ

FEI-.hY Cl. , lu , rue "Erwin , b710ü ."TP.ÁSLiJURG

JANGLOFF M. ; 12 , ;:ld St Joseph , b7óúC STIRIüG WENDEL

GEBLt.R J.M. , 5i , t-ia Lyaut-.ey , 54600 VILLERS LES NANCY

GEINDRE L. , 3'Jf.c-r , rue Vc Itaire , ':,Li?5^ CHAMPIGNEULLES

GENDARME , Facultó de Droit , Place Carnot , 54000 NANCY

HATZFELD K. , 4 , rue du Dr Eerhhein. , 54000 NANCY

KELLER Fr'. Acence Républicain Lorrain , 54150 BRIEY

HIEGEL , AD Moselle , Préfecture , 570G0 METZ

HISIGER R. , Insp. General de l'E.N. , BP 507 , 57701 HAYANGE

d'HOUTAUD Alph. , 34 rue A. Feriet , 54000 NANCY

HUMBERT R. et A. , 67 , rue des Vannes , 54340 POMPEY

HUMBERT-DIAZ M. (Mme) 12 , rue Albert Favelin , 54530 PAGNY7M0SELLJ

JANNIN Fr. , LES ISLETTES , 55-120 CLERMONT EN ARGONNE

JARDINE L. , I.R.P. Hanri Wallon , 06270 VILLENEUVE-LOUBET

KACAN E.~, 34'-, rue Mathias Grunewald , 68200 MULHOUSE--"

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_LACROIX_n,._,._66_J._rue. öe.Jetz_.,..3Ü5PfiLLQMfiWY=HAUT - _..

LAUMONT A¿ (Melle)-Musée du Fer , av. Général de Gaulle , BP 15

54140 JARVILLE

.LECLAIRE D. (Mme) , Ecole de 57130 VERNEVILLE

LE/MOIGNE , Académie de Metz ,20 , en Nexirue , 57000 METZ

LEVY , Maison du Fer , -57100 THIONVILLE . .

LORENZINI M. , 4 , rue J. Friedrich , L - 3469 DUDELANGE

"MÄGRINELLI J.C. et Y. , MJC , Parc Léonov , 54580 AUBOUE

MAIGRET M. , 97 , rue du Fbg des Trois Maisons , 54000 NANCY

MASSON M. , 29 avenue de Saurupt , 54600 VILLERS LES NANCY

MOINE J.M. , 6 , rue Léon Blum , 54000 NANCY

MONTLIBERT Chr. de , 7 , Square' de Liège , 5*1500 VAND0EUVRE

NOEL M. , 13 , rue de l'Avant Garde , 54340 POMPEY

NOIRIEL G. , 11 , rue Guynemer ,_ 94120 FÖNTEN AY SOUS BOIS

OLMI J. , Institut d'Kstoire Sociale CGT , 2 , rue Drouin ,

54000 NANCY

POLI Fr. (Mme) , 8 , rue de Lorraine , 54135 LEXY

PRIIITZ A. , 1 / rue de la Paix , 57ol0 SEREMANGE

RADWAN J. , lôbis", avenue Poch.95220 HERBLAY

RAMON J.--F. , Mairie de Thionville , Service Culturel , 3P 35a

57311 THIONVILLE <'

RICHARD (Melle) PUN , 25 , rue Baren Louis , 54000 NANCY.

RIDEAU (Mme) , Lorraine Photos , Place du Général Leclerc

54400 LONGWY

R0SICKI J. , 9 , rue de la Commune , 5^90 PIENNES

ROTH Fr. , Université ce Nancy II , Place Carnot , 540GU NANCY

ROUSSEL F.X. , 19 , rue de l'Oratoire ', 54000 NANCY

ROUSSELET J. , 13 Place Carnot , 54037 NANCY CEDEX

ROUX Cl. ,~2 , rue du Frère Barry ,'~54T8TTHETEXECDURT"

SALQUE J. , 24 , rue Pascal , 54190 VILLERUPT

SAUTRE G. , VIGMEULLES , 57000 LORRY LES METZ

SCHWEYER F.X. , Route de la Corniche , LE MINOU EN PLOUZANE

29290 SAINT RENAN

SPETH Th, , 8 , rue d'Algrange , 57240 NILVANGE

SPITONI N. , 7 , Quartier Pasteur , 54980 BATILLY

VERNY P. , 19 , rue St Denis , 57700 NEUFCHEF

VIARD G. , Faculté de Nancy II , Place Carnot , 54000 NANCY

YJOJCIECHOWSKI Ed. ,74 , rue Ste Hélène , 57700 HAYANGE

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ANNEXE 3

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Adhère ou renouvelle son adhésion (1) et joint un chèque bancaire ou postal (1) de 100 F à l'ordre de l'ARESSL

Le Signature

(1) Barrer la mention inutile.

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ANNEXE 4

Le Cercle pour la promotion de l'Histoire de Joeuf (Meurthe-et-Moselle) Communication de Richard Lioger au 6ème congrès de la Société

Internationale d'Ethnologie, Roofs and Rituals. Amsterdam, 1998.

S'il fallait se convaincre de l'intérêt de l'étude des sociétés historiques locales, il suffirait de citer les chiffres de Thierry Gasnier : "...sur 674 sociétés d'histoire recensés en 1975,161 avaient été créées de 1960 à 1975, contre 146 entre 1914 et I960."75. Encore, la société d'histoire que nous nous proposons d'étudier, ne figure-t-elle pas dans ce recensement, à cause de sa jeunesse (crée en 1985) et de sa taille (dix personnes). Pourtant elle constitue, dans le paysage historiographique Lorrain, un exemple parmi les nombreuses sociétés du même type; sociétés que nous qualifierions de micro-locales, qui s'attellent à écrire l'histoire d'un village, d'une commune, d'un ensemble d'usines. Au cours de notre enquête, nous en avons dénombré au moins une par commune, de cette partie de la "Lorraine post-sidérurgiste", qui englobe les deux fameuses vallées de la Fensch et de l'Orne.

Les raisons de cet enrôlement local dans l'historiographie, sont sans doute pour partie des raisons communes à l'ensemble français, telles que les examine Thierry Gasnier (op. cit.). Mais la particularité de la Lorraine, nous devrions dire, delà Moselle et du nord Meurthe-et-Moselle, du point de vue de l'histoire nationale, donne à l'étude de cette société un aspect particulier.

Adossée à la frontière allemande après l'annexion de 1870, conquise en 1914 et en 1939, lieu du développement d'un complexe sidérurgique "Français" à l'initiative des "de Wendel", site où s'établirent des milliers d'immigrés venus d'abord d'Italie, puis de Pologne et enfin d'Afrique du Nord, la commune de Joeuf — qui est l'objet de la société que nous étudions —, est un témoin exemplaire de l'histoire, politique et industrielle, de la France du XXéme siècle. Comme nous le dit son fondateur : "Il fallait en faire l'histoire, au moment où tout cela disparaît".

Mue donc par un sentiment de "nécessité historique", cette association, le C.P.H.J. (Cercle pour la Promotion de l'Histoire de Joeuf), fut créée en février 1988 par des militants politiques de gauche. Ce cercle d'historiens locaux, qui s'est donc donné pour mission de produire l'histoire de leur commune, est assez caractéristique des contradictions qui

75 Nora P. Les lieux de mémoire T.l et T.2, Paris, Gallimard, 1992.464)

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voient le jour dès que l'on prétend produire de 1' '"histoire locale",

localement.

On peut considérer grossièrement, que l'histoire produite par les associations locales, par des amateurs d'histoire76, s'oppose à l'histoire savante, faite par des professionnels, c'est-à-dire des historiens universitaires. En fait, dans la pratique, la limite entre une histoire de professionnel, et une histoire d'amateur, est plus floue que les historiens professionnels eux-mêmes veulent bien le considérer. Ne serait-ce que parce qu'au sein des associations locales, nous trouvons mélangés les uns et les autres. Dans une association locale que nous étudions par ailleurs, l'ARESSLF7, et dont fait partie le Cercle de Joeuf, on peut déjà trouver u n grand nombre d'historiens universitaires, généralement jeunes, mais aussi des enseignants du secondaire, plus âgés, mélangés à d'anciens militants syndicaux à la retraite. Les historiens les plus jeunes sont inscrits en thèse, et relèvent bien de la définition que l'on pourrait donner de l'historien professionnel, ou du moins "se professionnalisant"78.

Un des caractères discriminant de la participation aux associations locales, semble être le statut professionnel acquis, qui dissuade, à partir d 'un certain grade79, les universitaires, à se montrer trop proches de certaines associations historiques locales. Mais cette remarque n'est pas générale, puisque une importante société d'histoire locale, la Société d'Histoire et

d'Archéologie de la Lorraine, créée au milieu du XIXéme siècle, est conduite par un Professeur des Universités, et qu'il est de tradition que de nombreux universitaires en poste à l'Université de Metz y participent.

Le statut particulier dont jouit la SHAL, est certainement dû à son ancienneté et à la qualité professionnellement reconnue de sa publication80.

7 6 Au sens que B. Latour donne à ce terme c'est à dire ceux qui, par leur amour "font tenir" un projet historique, cf. Latour B., Nous n'avons jamais été moderne. Paris, La découverte, 1991,. 7 7 cf. Nora, op. cit. 7 8 Si l'on considère que le travail de recherche, est particulièrement bien illustré par l'écriture de la thèse de doctorat. 7 9 Sans doute, d'ailleurs, le premier d'entre eux étant Maître de Conférences. La coupure entre historien du second degré et historiens universitaires, étant très marquée du point de vue professionnel. La question de le recherche reste discriminante entre les deux corps. Ceux qui font de la recherche peuvent se prévaloir d'être des historiens professionnels. 8 0 Malgré tout, pour avoir assisté à sa dernière assemblée générale, et nous en être entretenu avec l'actuelle présidente, nous pouvons dire que cette qualité est maintenue au prix d'un effort constant de la part des historiens professionnels. Le discours du président allait dans ce sens : "N'oubliez pas de citer vos sources, de faire des bibliographies, de retourner au document".

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Mais cette reconnaissance professionnelle, s'est développée au cours de ce siècle, dans un milieu local, où elle tenait lieu de centre de culture "para-universitaire", (Metz ne sera doté d'une Université qu'à partir de 1972).

La création de l'Université de Metz se fera d'ailleurs, à partir d 'un "vivier" d'enseignants locaux, qui en histoire, avaient déjà des habitudes de travail avec les historiens de la SHAL, ou qui en faisaient partie. Si la socio-histoire de cette association reste à écrire, une réflexion plus générale sur l'histoire locale en Lorraine, devra s'appuyer sur une étude comparative entre la SHAL, les associations d'histoire micro-locale, et l'ARESSLL pour établir les points de comparaison, d'opposition, qui constitue cette culture de l'histoire locale de la Lorraine. Le travail que nous présentons, s'inscrivant dans un autre cadre de recherche, nous nous contenterons d'exploiter les éléments que nous connaissons sur ces autres sociétés.

L'ARESSLL qui fédère à partir de 1987, les initiatives individuelles et collectives locales, sur le thème de "l'histoire de la Lorraine industrielle", entretiendra après sa création des rapports avec le milieu universitaire, même si ceux-ci ne seront pas toujours très cordiaux. Les tensions révélant la concurrence, que les historiens peuvent se faire, comme au sein de n'importe quel groupe professionnel, sur la question de la légitimité, de la découverte, et de l'exploitation des sources81.

A travers cette polémique, et suivant la sociologie de la traduction de Callón et Latour82, on peut constater, que les arguments échangés, s'expriment les enjeux professionnels. Ceux-ci sont en partie grossis, par l'aspect militant que peut prendre chez certains historiens locaux, la production de l'histoire de leur ville, ou de leur usine; sachant que le milieu universitaire est souvent jaloux de ses prérogatives —former des chercheurs —, et même qu'il y règne déjà en son sein, une méfiance atavique vis-à-vis de la propriété intellectuelle.

Le débat entre l'histoire "objective" et l'histoire "engagée", passe par la définition de normes professionnelles comme : le travail en archives, la citation de celles-ci, et l'évocation du cadre d'autres travaux universitaires reconnus. Il est alors intéressant d'examiner où, chacun des groupes constitués, situe le point d'ancrage de sa spécificité que nous pouvons appeler dans les deux cas "professionnelles"-

8 1 Le groupe Immigration de l'ARESSLI, fut soupçonné de détourner les travaux des étudiants qui y participaient. 82 Cf. Latour, op. cit.

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Car, pour autant que les deux groupes cherchent à se différencier, -en dehors des statuts sociaux des uns et des autres-, et sachant que ces deux groupes reposent souvent l'un sur l'autre -au vu des citations qu'ils font de leurs travaux respectifs-, la mise au point d'une opposition basée sur des critères professionnels, est impossible à réaliser. En utilisant le concept de carrière professionnelle que les travaux d'Howard Becker83, ont mis en évidence à la suite de Hughes dans des champs très divers des activités humaines, on pourrait même démontrer que, tout en n'aspirant pas à devenir des historiens professionnels, les historiens du local se professionnalisent, car ils utilisent les critères listés plus haut, souvent sous l'injonction même des universitaires, us le font à la fois sur le modèle de ceux-ci, mais aussi suivant une carrière qui leur est propre en direction, non plus d'une reconnaissance universitaire (au sein d'un groupe professionnel), mais d'un public imaginé, auquel il faut rendre sa propre mémoire.

La tension inhérente à la position institutionnelle défendue d'un côté, et à la proximité des sources et du milieu local, défendue de l'autre, doit in fine, être absolument résolue, afin que les uns et les autres puissent produire, ce que nous appellerons une "histoire pacifiée". Une histoire de ce type est une des obligations des historiens du micro-local. Les universitaires, comme le prouve leur importante présence et intervention dans le champs de la publication régionale84, ne dédaignant pas de s'investir, dans ce type de production d'une histoire de proximité, c'est-à-dire faite sur des lieux très localisables, et destinée à être appropriée par le public local, qu'on peut en ce cas opposer au public professionnel.

L'un et l'autre de ces groupes se rejoignent donc, lorsqu'il s'agit "d'exploiter" les re-sources locales85.

Ces dernières étant le lieu où se retrouvent historiens professionnels et non-professionnels, à la suite de leurs carrières respectives. Nous en voulons pour preuve la présence côte à côte, dans les éditions locales les plus connues de Lorraine, les éditions Serpenoise, d'historiens universitaires, et d'autres qui répondent à notre définition de l'historien non-professionnel. Cette co-présence nous oblige aussi à considérer que, ce

83 Becker, H., Outsiders, Paris, Métailié, 1985, 247 p. 8 4 Les travaux de serge Bonnet, pour ne citer que le plus célèbre, sont publiés dans des éditions régionales, de même de ceux de nombreux universitaires. 85 II s'agit de signaler par ce jeu de mot que l'exploitation des sources locales peut être pensé comme un élément du réseau qui propose, in fine, un débouché en termes de publications locales.

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que nous appelons la production locale d'histoire doit en fait être observée finement dans ses degrés d'intégration, ou de proximité, au milieu local. On pourra se rendre compte, avec l'examen du travail du CPHJ que, tout en concurrençant les historiens professionnels dans le champs de la publication régionale, le parcours des historiens locaux les conduit quelques fois à produire, ou cautionner, une histoire qui ne répond pas aux canons professionnels, ceci au nom de leur ancrage local.

Si nous proposons d'étudier en détail le groupe d'histoire de Joeuf, c'est pour mettre en exergue les éléments qui constituent cette carrière "professionnelle" de l'historien du micro-local, hors du champs professionnel universitaire. Nous montrerons ce qui le conduit à accepter de négocier les normes professionnelles de l'historiens universitaires, et ainsi à tenir une situation que l'on pourrait appeler de compromis, si nous ne tenions pour acquis que, sa carrière ne le mène justement pas vers une reconnaissance universitaire, mais plutôt en direction d'une reconnaissance locale. Le compromis étant alors scellé avec le milieu professionnel universitaire, dans le but que celui-ci lui apporte, sinon sa caution, du moins ne dénonce pas le travail qu'il produit. Or cette situation de compromis n'est pas toujours tenable, en raison des situations locales que la production d'histoire locale oblige à gérer, c'est ce que nous montrerons en détail.

Nous nous appuierons pour ce faire, sur l'analyse croisée d'entretiens menés en 1996 avec les membres de cette association, et avec le public jovicien de la revue, et sur le dépouillement des numéros de leur revue, dont nous analyserons principalement deux numéros qui nous ont paru exemplaires de la constitution de cette carrière, et de la stratégie de cette publication locale.

La pacification de l'histoire locale au service de la constitution d'une histoire familiale commune.

Le premier acte du CPHJ fut d'éditer un ouvrage, tiré à 1000 exemplaires, intitulé Si Joeuf m'était posté. Cette publication était composée de cartes postales anciennes allant de la période de 1880 à 1914. Les deux dates, et l'objet de la publication ont un caractère symbolique. Plusieurs fois, au cours des entretiens, R. M. fondateur du Cercle, insistera sur le fait que 1882 est la date de la première coulée de l'usine de Joeuf, bâtie par les "de

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Wendel". Cette première date mérite qu'on s'y arrête quelque peu car, dans une publication récente, à visée plus ambitieuse, éditée par les archives départementales de la Moselle, intitulée : Lorraine du feu Lorraine du fer,

R.M., dans son article (pp.107 à 125), dit en note n°l : "On peut regretter, par exemple, que dans une encyclopédie publiée récemment, la date de 1876 soit avancée pour le démarrage de l'usine de Joeuf86."

D'emblée, on peut remarquer que l'enjeu de l'histoire micro-locale n'est pas de se situer "en dessous", par déférence à l'historien professionnel, mais en statut d'égalité, voire en contradiction, dans le but, comme ces historiens le disent : "...de réparer les injustices qui sont faites à l'histoire de notre commune, par des historiens qui voient ça de plus loin." (entretien avec R.M., 1996). Il reste à savoir où se situe ce point de justice, et par rapport à quels éléments il est argumenté.

1870 est, dans la mémoire collective locale, -et pas seulement elle-, le moment fondateur d'où tout semble partir. Même si la lecture de travaux récents d'historiens permet de relativiser ce point, et de considérer que l'industrialisation sur un modèle tayloriste de la Lorraine date plutôt d'après la deuxième guerre mondiale. La date de 1870 est brandie par les historiens locaux, comment date du "basculement radical" du monde rural ancien, vers le monde industriel moderne. Les travaux de Gérard Noiriel et de Serge Bonnet montre comment il faut relativiser cette date, et insiste sur la longue durée de la mutation, la coexistence, de "deux mondes", pendant de nombreuses décennies après 1870. Ces historiens nous décrivent des paysans-ouvriers encore nombreux jusqu'à la deuxième guerre, des immigrés retournant en masse chez eux, même s'il le font souvent plus de force que de gré.

La force de 1870 est aussi explicable par ce que cette date signifie dans la mémoire collective, entretenue par l'enseignement national. La reconquête de l'Alsace-Moselle après 1918, ne se comprend qu'à partir de cette date de 1870, la double annexion, -de 1914 pour les villages frontières tels que Joeuf, de 1940 pour les autres villages mosellans-, ne fait que répéter tout au long du XXéme siècle. Comme si ici, l'histoire, justement, bégayait.

Non pas d'ailleurs que les historiens aient obligatoirement participés -eux ou leur familles-, à cette histoire, mais dans leur reconstruction de celle-ci, ces dates s'imposent comme indiscutables. C'est à partir d'elles que la grande histoire (guerre-industrie) rejoint la petite, qu'ils fabriquent, et donc,

86 Nous nous permettrions de rajouter à cette polémique que, lors de la lecture de l'ouvrage de J.M. Moine, Les barons du Fer, qui est en fait une thèse d'histoire, nous avons lu la date de 1883 (Moine, 1989, p. 57).

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à laquelle, d'une certaine manière, ils participent. Ces dates sont aussi une manière de dire que "les populations locales ont plus souffert, que les autres". Les autres ? "Français de l'intérieur" comme ont dit encore souvent en Moselle, opposés aux mosellans enrôlés dans l'armée allemande dans les deux guerres. Patrons qui profitèrent de la situation, opposés aux ouvriers, petites gens qui n'en pouvaient pas87. Immigrés qu'on entassait dans des cantines, et qu'on renvoyait dès que la crise s'affirmait comme dans les années trente.

Les ressorts de l'histoire locale joue sur ce triple registre. Mosellan (donc presque allemand, en tout cas pas vraiment français -à cause du dialecte local germanophone-), et/ou immigré, mais de toute façon prolétaire.

1882 de ce point de vue est l'autre date importante, qui entre en résonance avec la première. C'est le début de l'existence industrielle de Joeuf : "La première coulée". On comprend qu'autant que la première date est inaliénable, la deuxième se doit d'être respectée, même au prix d'une polémique avec des historiens célèbres, produisant une encyclopédie. Ce qui parait un détail, vu de Metz, est en fait de première importance vu de Joeuf. Il faut donc rendre justice de cette date, car c'est le vrai début de l'histoire industrielle de la commune. Le rôle de l'historien local est de réparer cette nouvelle injustice fait au lieu de mémoire.

On repère à ce point ce qui se rejoue de la problématique de la centralité et de la périphérie que Maurice Augulhon mettait au centre de son article dans Les lieux de mémoire 88. Mais au lieu que celle-ci se fasse entre Paris et la Province, ou même au niveau des "Petites Patries" -chères à A.M. Thiesse89-, elle se joue au niveau micro-local, entre commune, usine, opposée au centre universitaire, considéré, malgré la distance, comme "encore trop loin" des préoccupations des acteurs locaux. Peut-être aussi encore trop loin de la pureté de la source historique, (le mot source étant presque à prendre au sens littéral).

87 Comme dans le film récent de B. Tavernier La vie et rien d'autre, où l'on voit le héros dénoncer, au nom de son travail de recension des morts anonymes -et donc petites gens-, la collusion entre les maîtres de forges français et allemands, pour que les offensives successives épargnent les usines. 88 Agulhon pp. 825 à 849, in Nora, op. cit., 1992 89 Thiesse, A.-M.. (1997) Us apprenaient la France, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'homme.

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On perçoit comment cette revendication de "faire l'histoire" des "petites gens lorrains", de "redonner la parole aux ouvriers", attire la problématique de l'histoire locale vers une histoire familiale, ou tout le moins "familialisée", c'est-à-dire une histoire bâtie sur le modèle des cercles d'histoire locaux : une histoire "faite en famille", pour la famille.

L'aspect militant de l'histoire que nous entr'apercevons, se double de la constitution d'un groupe, nécessairement plus restreint d'individus que lorsqu'il s'agit de faire, par exemple, l'histoire de "la classe ouvrière Lorraine", ou celle des immigrés lorrains, comme le fit en son temps Gérard Noiriel. Cette parcellisation de l'histoire, par la volonté de localiser extrêmement celle-ci, nous pousse à penser que ces historiens se situent sur le registre de la famille, même si ce registre n'est pas à confondre avec celui du lignage, ou de la généalogie.

L'acception du terme famille est ici à prendre dans un sens littéral, et l'opération qui est réalisée est additionnelle : on juxtapose des familles pour constituer une commune, une usine. Cette juxtaposition ne vaut que si, dans la production de l'histoire, chacun est capable de se relier au moins à une de ces familles, ce qui nécessite que l'on en nomme beaucoup dans les publications.

Ainsi un des ressorts de la publication des cartes postales, puis de la revue, est bien de faire en sorte que le lecteur se reconnaisse, dans ce qui lui est dit de l'histoire de sa commune. Ce qu'il ne peut pas faire la plupart du temps dans un ouvrage, ou une publication même régionale.

Une des conditions donc de la recevabilité de cette histoire locale, est de s'inscrire dans une "familialité locale", et pour que cette familialité fonctionne, il faut bien évidemment la pacifier, c'est-à-dire en gommer -ou tout le moins en lisser-, les aspérités.

La production d'une histoire locale est donc nécessairement non polémique, sinon il y a un risque que : tout le monde ne s'y reconnaisse pas. Les histoires de familles, ne doivent donc pas apparaître au grand jour, sachant qu'il s'agit aussi de faire bonne figure vis-à-vis des autres communes90.

Tous ces éléments de la production micro-locale d'histoire ne sont pas incompatibles avec le désir de professionnalité du Cercle. Mais la proximité

9 0 Au cour des entretiens, le cercle d'histoire d'Homécourt, commune jumelle de Joeuf est souvent cité en contre-exemple.

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avec les sources locales de l'histoire, constitue un danger pour la professionnalité, car il oblige, à donner des gages à certains "historiens locaux" moins engagés eux, dans un processus de professionnalisation.

La commune de Joeuf, se prête à cette reconstruction familiale sur

laquelle l'association travaille exclusivement. Elle représente :

-Le modèle du village rural Lorrain d'avant 1870 de quelques centaines d'âmes, qui se transforme en cité ouvrière. Une commune de 8000 habitants, qui en compta jusqu'à 13 000 à la période faste de la sidérurgie.

-Le développement en son sein d'une usine qui "fait vivre" la commune de Joeuf.

-L'appel massif à l'immigration que l'installation d'une telle

industrie suppose. -L'adossement à la nouvelle frontière de 1871, et la famille fondatrice,

les "de Wendel", comme l'on dit ici, qui a du batailler ferme (pendant plus de dix ans), pour obtenir des autorités allemandes et françaises la possibilité d'exploiter correctement le complexe sidérurgique qu'elle voulait y bâtir91, à proximité des fameux gisements de minette92.

La nécessité d'en faire l'histoire s'impose donc, comme nous le disait les membres du CPHJ, ne serait que pour re-donner cette histoire au moment même ou elle s'estompe, c'est-à-dire, comme chacun le sait, au moment où l'industrie sidérurgique Lorraine disparaît. L'occurrence de la disparition de la grosse industrie Lorraine, et de la visibilité des cercles d'histoire locaux, n'est sans doute pas fortuite, cette ethno-histoire de sauvegarde étant par ailleurs assez classique depuis le XIXéme siècle en

9 1 J.M.. Moine, 1989, p.61 ; R. Martinois, 1996, p.107.. La présence du Château, demeure de maître de forge du XIXéme siècle, telle qu'on peut l'imaginer caricaturalement, domine encore l'agglomération. Elle est encore extrêmement présente dans les récits actuels sur le passé sidérurgique, emblème dans ces récits, de la grandeur, et de la décadence, de cette industrie locale. 9 2 Gisement de calcaire ferrugineux oolithique qui nécessite une décarburation pour la transformation de la fonte en acier. Décarburation rendue rentable et plus rapide, après la découverte du procédé Thomas. L'arrivée de ce procédé dans la région est un enjeu historique important puisque, le reproche fait par R. M., dans son article précité, aux historiens professionnels, est d'associer la découverte du procédé (ou plutôt sa tombée dans le domaine publique) à la fondation des usines de Joeuf (1877) (Martinois op. cit. p. 107).Alors que les travaux de R.M., s'appuyant sur des documents locaux, montrent que le début de l'usine est plus tardif.

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Europe. C'est la forme que prend cette histoire, produite par des groupes nouveaux, formés d'individus militants, fortement enracinés familialement, et formés à l'histoire de manière civique par l'École Publique, et le militantisme syndical ou politique, qui retient notre attention, et nous amène à proposer une athropologie de ces groupes, dont le souci n'est pas tant d'acquérir une notabilité, que de travailler, pour l'intérêt public, civique, moral de l'histoire des petites gens.

La carte Postale comme éléments de la passion locale et de l'histoire neutre. (La familiarité au service de l'histoire locale).

L'acte fondateur de l'association, fut donc la publication d'un ouvrage de cartes postales. La carte postale, en tant qu'objet technique, donne de l'histoire une image neutre. Prises de loin, très souvent paysagistes, les cartes postales ne prêtent, d'aucune manière le flan à des polémiques. Elles sont destinées à magnifier, autant qu'à fixer, le souvenir d'un passé glorieux, d'une épopée épique, en train de se faire. Elles sont le témoignage de la grandeur industrielle et sociale de Joeuf. L'époque choisie est, comme on l'a vu, fondatrice. On voit, grâce aux images photographiques, se dérouler le passage du monde rural au monde industriel. Les cartes postales montrent d'abord le vieux village, et témoignent progressivement de la construction de l'usine et des cités ouvrières. Les personnages changent aussi sous nos yeux. Les paysans deviennent des ouvriers. L'histoire de Joeuf défile comme dans un album de famille. La volonté clairement affirmée de la part de cette association, de redonner aux gens leur propre histoire, confine à cette familiarisation de la vie sur le mode de l'expression : "Tout le monde se connaissait". Interconnaissance rurale, plaquée sur le monde industriel, que la crise aurait soit disant brisée.

Reconstruisant l'histoire de cette période, les cartes postales gomment naturellement les aspérités, les tensions inhérentes à un tel bouleversement. Elles se présentent sans doute comme l'objet même du consensus sur l'histoire locale, ce que confirme incidemment les entretiens avec les membres de l'association.

"Ce livre à été tiré à 1000 exemplaires, tous épuisés au bout de quelques mois93. Puis on a édité une autre série de cartes postales sur la période 1914-1939 (en 1992, et qui s'intitule Album de famille) et là on a tiré

9 3 Le livre fut vendu 140 FF. en souscription, et 175 FF. en vente libre, principalement dans les libraires et marchands de journaux locaux. La première édition est épuisée en 3 mois !

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à 1400 exemplaires, aujourd'hui ils sont presque tous vendus. Alors on a réédité le premier livre (500 exemplaires) que les gens nous redemandaient, il est presque épuisé. A la suite de cela, les gens nous descendaient des cartes postales des greniers, et nous les donnaient pour une prochaine édition, et aussi ils nous donnaient d'autres documents, des archives personnelles. Nous avons pu mettre la main sur des documents que les historiens professionnels ne connaissent pas." (R.M., 1996)

La familiarité acquise, et les gages que le CPHJ avait donnés localement, grâce à la publication, lui permettent d'accéder plus facilement aux "documents" personnels, archives familiales, photographies, témoignages, dans la concurrence à laquelle se livrent les historiens entre eux. Celle-ci est souvent exprimée dans un but de redressement des erreurs nationales ou régionales qui sont commises, au détriment de l'unité de la commune. Mais cette concurrence est aussi un moyen de garder "sous le coude" des archives précieuses, qui ne seront divulgués aux "professionnels" que s'ils montrent un intérêt à défendre disons une certaine éthique de l'histoire locale, définie par la pratique du CPHJ. On peut dire que dans cette concurrence, que se livrent les historiens vis-à-vis de l'accès aux sources, la proximité du local permet de générer un gisement plus important, qui se situe comme une monnaie d'échange, une sorte de possibilité d'établir localement un contre-pouvoir.

Les joviciens ne s'y trompent pas, qui encouragent le travail du Cercle, en lui donnant matière à cette histoire domestique tant recherchée par les courants modernes de l'histoire anthropologique. Ainsi, loin de railler la démarche suivie par le Cercle d'Histoire de Joeuf, peut-on faire apparaître l'aspect "transactionnel" que l'histoire locale revêt nécessairement. Rappelons que cet aspect méthodologique, outre qu'il est très proche de la démarche ethnologique, a été opéré par les deux grands ancêtres locaux Noiriel et Bonnet, qui se sont appuyés de la même manière, sur des informateurs locaux, pourvoyeurs d'archives orales ou écrites. L'intérêt de l'histoire locale observée "en train de se faire", est qu'elle ne travaille pas à la purification de son discours, pour employer une terminologie latourienne94. Disons qu'elle n'a pas honte de donner, pour recevoir en échange.

Mais cette communion avec le terrain, cette volonté affichée de travailler avec les joviciens, nécessite des gages donnés à d'autres historiens

9 4 Latour, B, op. cit.

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-qu'on peut tout aussi bien qualifier de locaux-, et qui représentent une partie du public, et en tout cas des pourvoyeurs importants d'archives familiales. Cette alliance semble obligatoire, pour donner des gages de ce qu'on se situe définitivement du coté des "laissés pour compte de l'histoire". Ce travail d'échange local tend à infléchir la position professionnelle des historiens locaux, qui, comme ceux du Cercle, ont une réelle volonté de professionnalité, et les contraindre à faire place à des personnalités locales qui n'ont pas le même parcours professionnel d'historien, et pour qui, la production d'histoire locale se réduit à un acte de célébration de leur propre mémoire généalogique. Si ces personnes sont souvent fortement représentés dans les groupes de généalogistes, elles franchissent un pas supplémentaire en écrivant l'histoire de leur lignage, à partir des sources personnelle et orale, ou en développant -sur la base des maigres renseignements glanés au cours de leur recherches généalogistes-, les éléments de leur histoire familiale sur une plus longue durée. En tout cas, quelque soit leur période, ces historiens sélectionnent évidemment les "meilleurs morceaux d'histoire" de leur propre famille, suivant un travail généalogique sélectif, que certains ethnologues ont depuis longtemps mis en évidence, et opposé aux travaux, parfois un peu formaliste, de l'anthropologie structurale.

Cette reconstruction de l'histoire généalogique tire les émules de l'histoire micro-locale du coté d'une histoire mythologique de la famille, qui est très loin des canons de la professionnalité qu'ils essaient de tenir -et dont ils font preuves par ailleurs-. Cette histoire généalogique ne ressemble qu'apparemment à la volonté de familiariser l'histoire locale que nous avons décelée dans notre première partie, cette dernière n'étant elle pas incompatible avec les exigences de professionnalité.

La revue du Cercle Chroniques Joviciennes est donc le lieu ou se résout cette contradiction, à laquelle sont exposés les historiens du Cercle, aussi proposons-nous d'en examiner deux numéros significatifs, u n numéro spécial concernant la période du Front Populaire, et par opposition un numéro courant.

La revue : lieu de professionnalité, lieu de compromis

A la suite du succès, tant d'estime qu'économique, des ouvrages de cartes postales, le CPHJ s'est lancé dans l'ambitieuse tentative de publication d'une revue. Cette revue est un lieu très intéressant car elle donne la

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possibilité de se rendre compte de la production concrète d'histoire, à un autre niveau que celui de la publication, quasiment sans commentaires, des cartes postales. Elle met en jeu des textes écrits, où l'historien s'engage dans la reconstitution de sa communauté.

Ce qui caractérise en effet les membres du CPHJ, au nombre d'une dizaine à ce jour, c'est qu'ils sont tous impliqués dans cette communauté jovicienne, R. M., se décrit lui même comme un fils et petit-fils de sidérurgiste, professeur de collègue, il fut élu de gauche, pendant deux mandats, à la Mairie de Joeuf. La manière de nous présenter le groupe, n'a pas manqué d'insister sur la composition sociale et politique de ce groupe. Cette présentation met en avant le caractère militant des membres de cette association, et leur appartenance à ce que la sociologie classique appellerait "la classe moyenne" des employés et enseignants. Liés par un fort sentiment de nécessité historique, le groupe se soude autour d'une cause commune, et aussi d'une convivialité certaine et entretenue, par des activités festives communes.

La revue est fabriquée sur du matériel informatique Macintosh, qui se trouve au domicile personnel d'un des membres de l'association, électricien dans la sidérurgie locale, et qui, avec sa femme, consacrent une bonne partie de son temps de libre à la confection des numéros de la revue. L'installation domestique du matériel signale encore plus l'aspect familial et militant de cette association. Les articles sont en majorité écrits par les membres de l'association -souvent d'ailleurs sous une signature collective, au nom du CPHJ-. Ce groupe n'a guère qu'une historienne agrégée, qui pourrait être considérée comme professionnelle, et s'ouvre, comme nous le verrons, aux érudits locaux qui veulent publier leur travail.

La revue à vu le jour en 1993, elle sort trois numéros par an, de 75 pages environ -plus les numéros spéciaux qui, comme celui concernant le Front Populaire à Joeuf, possèdent 150 pages-. Cette revue appelée Chroniques Joviciennes est vendue 50 FF., -100 FF. pour les numéros spéciaux-, et s'autofinance par une vente d'au moins quatre cents exemplaires par numéro (le coût d'imprimerie d'un numéro standard est de 20 000 frs, de 35 000 frs pour un numéro spécial, le "prêts-à-clicher" étant fourni par les membres de l'association). La fidélité des abonnés, deux cents personnes, et des ventes libres est étonnant, au regard de la comparaison que nous pourrions faire sur la vente des revues de Sciences Sociales en France. N'oublions pas que le lectorat potentiel de cette revue se limite aux adultes

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parmi les 8000 personnes de la population de Joeuf. Si l'on considère le lectorat potentiel en nombre de familles, nous arrivons facilement à considérer, qu'une famille sur deux doit posséder des numéros desChroniques Joviciennes..

Ce succès est dû à l'implantation locale que nous évoquions, et au rôle qu'a pu jouer la publication des ouvrages de cartes postales, mais aussi à la qualité de la publication elle-même : très beau papier, nombreuse iconographie de qualité, et articles bien écrits. Les acheteurs locaux insistent sur la qualité d'aspect de l'ensemble des publications du CPHJ. Nous dirions que le contre-don est à la hauteur du don que certains de ces lecteurs consentent à faire à la revue, sous l'aspect de leur photos de familles, et de tel ou tel autre document d'archives en leur possession.

Professionnalité et pacification de l'histoire ; l'exemple du numéro sur le Front Populaire.

Devant notre étonnement, un des fondateurs insistait sur le fait que l'on pouvait faire une revue qui soit lue par tout le monde, quelque soit ses opinions politiques, et que la volonté du Cercle est de s'adresser, sans exclusive, à "tous les habitants de Joeuf". Le numéro spécial sur la période du Front Populaire à Joeuf, est exemplaire de ce point de vue. Il ne suscita aucune mauvaise réaction, les rédacteurs ayant pris soin d'éviter les sujets trop brûlants, et surtout ayant travaillé à présenter uniquement des "documents bruts", ayant été fournis par les uns et les autres, et "respectants les deux camps".

En examinant ce numéro et particulièrement l'éditorial, on s'aperçoit que les ingrédients qui président à l'histoire locale, sont assez précis.

Premièrement on met en équivalence les événements nationaux avec leur répercussion locale, comme le signale A.M. Thiesse dans la fabrication des "Petites patries" au XIXéme siècle, elles sont en résumés l'échos des événements nationaux95. Mais cette mise en équivalence ne va pas sans risque puisqu'un événement, tel que le Front Populaire, fut aussi le moment d'un clivage social fort, qui se répercuta souvent violemment sur un plan local. Deuxièmement il faut donc trouver un moyen d'en parler comme d'un passé commun, dépasser les contradictions qui ont pu s'y

9 5 Cf. Thiesse, A.-M, op. cit..

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exprimer. Cette volonté est essentielle à ce travail sur l'histoire, puisque cette dernière est évoquée pour construire une mémoire commune. En préambule cette pacification de l'histoire est bien exprimée dans l'éditorial : "Le souci d'objectivité et d'exhaustivité qui guide constamment notre démarche, nous a entraînés à la consultation des sources brutes : presse d'époque, archives administratives notamment." 96. Ainsi les sources sont-elles misent en avant comme garantie d'objectivité, dans la persuasion du public.

La lecture de ce numéro, commence par un article qui resitue dans le contexte national, la montée de la gauche et l'avènement du Front Populaire, notamment face à l'action française, et à Charles Maurras dont les condamnations sont reprises. Les citations de bas de page sont nombreuses et réfèrent à des travaux incontestables, René Rémond, un maîtrise d'histoire de Nancy IL etc. Puis vient une présentation de la population locale et notamment de la population immigrée, italienne pour la plupart, mais aussi polonaise, les auteurs mettent en relation le niveau national (crise), et le niveau local, n'hésitant pas à mettre en évidence que les licenciements de cette période concernent, en premier, les ouvriers immigrés, arrivés récemment.

L'abondante illustration de cette partie, faite grâce à des photographies de familles, ou d'écoles, permet alors de mettre des noms sur des personnes, noms qui n'ont de sens que pour les lecteurs locaux. Ainsi progressivement, et de manière subtile, la revue noue-t-elle le national et le micro-local. La crise nationale, et les enfants d'immigrés photographiés à l'école, ou les ouvriers pris sur le pas de leur porte. Chacun aura reconnu quelqu'un, les siens.

Le troisième article traite de la campagne politique locale proprement dite. Il montre parfois la violence des arguments échangés, mais cet article n'est pas interprété actuellement, comme si ces événements étaient déjà trop lointain, et que les querelles qui s'y déroulent, pourtant facilement assimilable au débat actuel, ne trouvaient pas d'échos chez les lecteurs que nous avons rencontrés : "C'est un autre temps, c'est pas pareil, dans cette période c'était les cocos, contre les "bourges", et puis il y avait l'URSS, on se positionnait surtout en fonction de cela.". (J.D. Abonné aux Chroniques).

Pour les plus jeunes ces événements n'ont, la plupart du temps, pas d'intérêt actuel. Cette partie politique, qu'on pourrait penser au coeur du

9 6 C.J. n° 9/10 page 1, ISSNN 1247-3022 dépôt légal : 948.

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débat est en faite accessoire pour les lecteurs des Chroniques. Au delà de l'anecdote, qui signale qu'ici c'était bien "Comme partout en France au même moment", on ne s'intéresse pas outre mesure aux termes même du débat

Puis, page 34, on nous signale que : "La vie ordinaire poursuit son cours". L'article, agrémenté de photographies de la vie associative nomme les personnes y figurant..

L'article suivant revient sur le cabinet Blum, citant même la fameuse phrase de Maurice Thorez : "(...) il faut savoir terminer une grève...". L'article n'évite pas l'affrontement des syndicats ouvriers et des syndicats chrétiens -CFTC crée en 1919, soutenues par le patronat local-. Les ingrédients mis en place, histoire nationale-histoire locale alternées, fonctionnent ainsi jusqu'à la fin de ce numéro spécial.

Ce numéro, qui certes ne plonge pas d'emblée le lecteur dans une lecture polémique, n'élude aucun des grands thèmes de l'époque, malgré cela, les lecteurs que nous avons rencontrés, ne lisent pas la relation de ces événements à la lumière des événements actuels. L'immigration qui est abordée, n'est pas assimilée avec l'immigration actuelle. Comme si, la fameuse "vertu pédagogique" de l'histoire, tellement présente dans certains discours enseignants, militants, et chez les "républicains" ou personnes de gauche, ne fonctionnait pas. L'histoire reste un passé, elles n'est pas ré interprétée dans le présent, sinon pour servir sans doute à se constituer u n "passé commun", et peut-être à pacifier certains rapports sociaux actuels.

Le numéro spécial dont nous venons de parler, est un numéro fait par les membres de l'association, avec une exigence professionnelle évidente, sans doute due au caractère délicat du sujet traité.

On y voit déjà les recettes de famillialité que nous évoquions, de pacification, et demise en équivalence du local avec le national.

Dans les autres numéros de la revue, la place est souvent faite à un autre type d'historiens locaux, qui ne sont pas membres de l'association.

Les nécessités de la production de l'histoire micro-locale : un exemple d'histoire lignagière.

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Le cas d'un numéro parmi d'autres des Chroniques Joviciennes nous semble intéressant à examiner car, à la différence de l'exigence du numéro sur le Front Populaire — entièrement rédigé par des historiens du cercle — , il fait place à un historien local, exogène au Cercle, et ne partageant visiblement pas les exigences de qualité professionnelle qui unissent les membres du cercle.

Ici la nécessité, revendiquée par les membres de l'association, de s'ouvrir au public local "pour lequel on écrit", les oblige à laisser les colonnes de la revue ouverte à ces historiens locaux qui sont eux, réellement préoccupés de faire l'histoire de leur propre famille, et non plus l'histoire familiale au sens où nous en avons parlé jusqu'ici. Ces historiens, ont une propension évidente à l'anecdote significative. Celles-ci flatte souvent les lieux communs locaux, et participe ainsi au renforcement de ce lien qui se fait, grâce à des histoires qui ont un statut plus mythologique que sérieux. Nous choisirons a l'appui de cette thèse, des exemples tirés d 'un article du numéro 11 (pp.30 à 47).

Cet article, publié sous la rubrique Document/témoignage, se veut, suivant l'éditorial de l'équipe, l'illustration de : "la vocation de notre revue à consigner et à sauvegarder des pans entiers d'une mémoire orale généralement volatile et en péril de s'effacer" (p.l). Si la prudence rédactionnelle de l'éditorial, signale bien la distance critique des auteurs de la revue, elle n'en évacue pas les contradictions entre cette histoire, et l'histoire sérieuse faite au cours du numéro précédent. Le lecteur inaverti prenant lui, l'ensemble comme étant une égale contribution à "l'Histoire de Joeuf". La contribution stratégique de cet article permettant d'attirer de "précieux confettis de mémoire" selon l'expression même de l'éditorial, dont "certains documents arrivent en retard pour illustrer un sujet précédemment traité ; il serait dommage de les enfouir à nouveau dans les archives de notre cercle" (p.l).

Cet appel à contribution, situe le travail de l'association au sein d'un échange général, entre production d'histoire et détenteurs d'archives, cet échange n'est rendu crédible qu'à la condition que les premiers s'allient les seconds au prix de concessions fortes à la professionnalité de l'histoire telle qu'elle est défini par les normes universitaires.

En tournant cette première page, on trouve une photographie de l'historien le plus connus du monde industriel Lorrain : Serge Bonnet du CNRS reçoit, sous le buste de Marianne, en présence du maire de Joeuf, des

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mains du président du Cercle, un exemplaire numéroté de l'ouvrage

fondateur des cartes postales. Ainsi dans le même numéro on trouve cette stratégie consommée,

sans laquelle, nous semble-t-il, une histoire micro-locale ne serait pas possible, à savoir l'alliance des deux personnages extrêmes de la production d'histoire : l'historien du CNRS, et l'historien de sa propre famille.

L'historien extérieur au Cercle est un ancien médecin militaire, qui "sur les instances des enfants et petits enfants" (p.30) produit un texte qui est présenté comme le regard d'un enfant de dix ans, sur l'occupation allemande entre 1914 et 1918 97. L'article commence par une anecdote curieuse. Les chiens des habitants de Joeuf, sont tous réquisitionnés par les allemands, et (nous dit l'article) "...abattus, la nourriture se faisant rare." (p.31). Une note de bas de page, que l'on doit aux responsables de la revue, donne un autre éclairage à l'anecdote : "La raison de ce massacre, qui date vraisemblablement de la fin décembre 1914, réside d'abord dans la volonté de l'occupant de lever un impôt à l'encontre des propriétaires de chiens (voir encadré ci-dessus)."

Cannibalisme de guerre, ou acte de résistance à l'allemand ? Le lecteur choisira son interprétation.

On peut se demander ce qui préside au choix de commencer un article — même témoignant de ce qu'a vécu un enfant de dix ans —> par cette histoire de chien, sinon comme l'auteur le dit plus tard, par l'attachement qu'il vouait à son propre chien. Ce début souligne bien la contradiction de la situation^ dont les notes de complément des historiens du cercle cherchent à sortir, pour ménager les deux types de conception de l'histoire qui s'opposent.

L'article se poursuit avec une anecdote de "gentil officier allemand"98, puis les bricolages quotidiens du père de l'auteur sont présentés comme des actes de résistances à l'ennemi : le père de l'écrivain, repeint les articles domestiques en bronze, pour qu'ils échappent à la réquisition allemande. L'article présente en illustration la photographie d'une pendule en bronze, celle-là même qui échappa, grâce à cette ruse, à l'ennemi. L'auteur disant en conclusion que, le Robinson représenté est : "...aujourd'hui à une place d'honneur, sur la cheminée, il est l'orgueil de mes petits enfants.".

97Joeuf étant en zone française, se retrouve, dès le début du conflit, sous l'occupation allemande. 9 8 Plus loin, p. 40, à propos d'un médecin allemand qui soigna sa mère l'auteur dit ceci : "Il y avait de bons Allemands, de bons médecins dévoués.".

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On voit que l'article s'inscrit résolument dans une histoire de lignage. Ces histoires permettent même de grandir des actes quotidiens en faits de résistance.

Mais on peut sans doute aussi tenter d'analyser cela d'une autre manière. Au cours de nos entretiens, les membres du Cercle avouèrent ne pas vouloir traiter de l'histoire récente de Joeuf, et particulièrement de la période de la seconde guerre mondiale. On sait la blessure, dans la mémoire collective française, que cette période a laissé, et la difficulté à en parler dans les familles, et ce encore aujourd'hui". Cette crainte de toucher du doigt des comportements peu glorieux vis-à-vis de l'occupant, sont plus vifs encore en Lorraine, où la présence allemande est, non seulement plus proche, mais aussi vécue sur un mode plus douloureux 10°.

Si l'on pense à cet interdit qui plane sur une production d'histoire, qui doit être celle de tout le monde, donc consensuelle, on peut peut-être expliquer les anecdotes familiales précédemment évoquées101. Elles sont une manière détournée de parler aussi de l'époque plus récente, et de montrer que la résistance et une affaire quotidienne. La volonté, que P. Burrin souligne dans son article (op. cit.), de recomposition d'une unité nationale après la guerre, existe aussi localement -après la rapide épuration-, et la production de l'histoire locale, surtout familiale, vise à reconstituer le lien social. Lien fragile qu'il est encore aujourd'hui nécessaire de réactiver sur le mode : Les Français furent tous un peu résistants, en voilà pour preuve quelques exemples.

La seule histoire collective que l'article contient, est un paragraphe de sept lignés, qui concerne la présence de prisonniers russes qui avaient remplacés les ouvriers sur le front, et dont on nous dit qu'ils mouraient de faim. Ce souvenir semble reconstitué, à partir de lectures postérieures, tant il tranche dans le style narratif du reste de l'article qui n'évoque jamais que

"Quine se leva qu'après 1970pour l'historiographie officielle selon P. Burin in Nora, 1984, p. 338-339. îoo paj- exemple avec le problème des "malgré-nous" habitants d'Alsace-Moselle enrôlés de force dans l'armée allemande, dont nous avons déjà parlé. Et aussi parce que, la réintégration nationale, des mosellans et alsaciens fut délicate, elle ne se fit pas automatiquement. Chaque individu dû aller demander sa réintégration dans la nationalité française, après la guerre. On peut faire une parallèle avec les lois actuelles qui obligent les jeunes -dont les parents sont étrangers-, nés sur le sol français, de demander la nationalité française. 101 L'historien Luc Delmas, nous suggérait récemment une autre explication de type plus psychologique, à savoir que cette période ne semble pouvoir être traité avec les acteurs, qu'à la condition d'éviter de traiter de l'implication de ceux-ci dans les événements eux-mêmes.

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des souvenirs familiaux. Les membres du cercle agrémentent d'une iconographie la thèse de la maltraitance de ces prisonniers dont on sait qu'ils furent des milliers à mourir de leur conditions de détention. Le reste de l'article étant sur le même mode nous voudrions maintenant passer à la synthèse des éléments qui nous semblent pouvoir être mis en exergue, dans le geste de production de l'histoire locale que nous avons présenté.

La production d'histoire locale, entre nécessité civique, et passion privée : la question de la professionnalité.

"L'espace local est étroitement soumis aux perceptions du centre qui l'organisent" 1Q2

A partir de cette phrase, qui relève bien les préoccupations qui furent celles des sociétés d'émulations, on peut dire que notre Cercle est le témoignage d'une volonté d'échapper à cette logique centripète, tout en s'affirmant dans une norme professionnelle.

Les associations d'histoire très localisées, sur le mode du CPHJ, ne sont plus le lieu de l'accès à une notabilité103. Elles prétendent mettre en avant, et servir un peuple lui aussi très enraciné dans des lieux, et le re­présenté dans son originalité familière, quotidienne, face à une histoire officielle qui semble toujours trop rigoriste, et surtout qui ne rendrait pas justice -à ce même peuple-, de sa participation au cours de la grande histoire, (même lorsqu'il s'agit de bricolages, comme de repeindre les objets de bronze).

Se positionnant à la fois contre une histoire locale "départementaliste"104, et le pouvoir universitaire qui règne en maître sur la production légitime de l'histoire, les historiens qui travaillent sur une unité territoriale volontairement restreinte, sont ainsi prisonniers des contradictions que cette histoire fait naître. Même si leur projet généreux, peut parfois rejoindre celui des historiens universitaires, leur ancrage leur impose de choisir — souvent de basculer — dans une histoire que nous

102 Gasnier in Nora, op. cit., p. 483. 103 Ibid. p. 482. 104 On peut qualifier sans doute la tendance des sociétés d'émulation à vocation historique suivant ce que nous avons retenu de la lecture de l'article de Thierry Gasnier (op.cit.). Mais aussi d'une certaine tendance que nous évoquions, où se rejoignent universitaires et historiens locaux, dans les publications chez les éditeurs régionaux, et qui s'éloigne de ce que nous avons appelé le micro-local (usine, commune) au profit d'une histoire plus régionale, où disparaît souvent les usages familialisant de l'histoire très localisée.

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avons appelé lignagière pour la différencier de l'histoire familiale qu'ils doivent produire pour intéresser le public local, et nouer ainsi les événements locaux qu'ils mettent à jour, avec les événements nationaux qui font la grande histoire.

La composition socio-politique des membres de notre association correspond à celle des autres associations qui, dans le bassin minier, sidérurgique, et même textile lorrain, drainent des militants syndicaux, — aissés sans objets au sortir de la crise des grandes industries dans les années soixante-dix/ quatre-vingt —, et qui décident de s'investir dans un autre type de luttes, celle liée à la mémoire des "petites gens", souvent ouvriers et immigrés105. Si cette nouvelle forme d'investissement de l'histoire se fait bien sur le mode militant, elle renonce d'une certaine manière à l'action directe, pour une action d'éducation, qui est qualifiée de "plus en profondeur". Cette action finit par se perdre, comme nous l'avons vu dans l'exemple du CPHJ, dans les nécessités du consensus local, et surtout d 'un échange local, sans lequel la matière première — les documents familiaux

— manqueraient.

Le choix de faire de "l'histoire objective", à partir des textes, de "donner à la population accès aux textes", est en fait antagonique avec ce qui semblait, au départ, la volonté des militants "passés à l'histoire", à savoir : sensibiliser les membres de leur commune à une histoire pédagogique, pour faire en sorte, suivant le dicton que "l'histoire ne se répète pas".

Tout en se situant dans la lignées des deux grands ancêtres locaux, Serge Bonnet et G. Noiriel, qui s'appuyèrent largement sur le tissu de militants locaux pour alimenter leurs propres travaux, les historiens "trop locaux", par leur enracinement, ne maintiennent plus le niveau d'exigence qui était celui des mentors auxquels ils se réfèrent. En choisissant, comme leurs inspirateurs de débuter, l'histoire locale à partir des dates évoquées, ces dates, qui sont celles de la fondation de la communauté ouvrière immigrée — mais quelle communauté puisqu'on sait que celle-ci est faite de "va et vient" au moins jusqu'en 1945 ? —, conditionnent leur manière de voir l'histoire locale comme la fin d'une période, la disparition d'un monde.

La manière caractéristique de traiter le moment fondateur, qui est l'objet même dû premier ouvrage du Cercle, amène à construire formellement un "monde rural", puis à l'éloigner de toute compréhension historique. A le présenter, comme pour l'immigration comme un monde

105 Ces militants ne sont d'ailleurs pas toujours organisés en association. D'anciens permanents syndicaux ont publiés, des textes d'histoire sociale sans l'aide d'un groupe organisé (Conraud).

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homogène, dont on ne comprend pas s'il s'oppose, ou complète, le monde industriel que le travail du CPHJ construit comme Le monde de référence.

La volonté de fonder un discours historique consensuel, qui en passe par cette série de "confortations" des divers actes fondateurs que nous avons mis en exergue, aboutit à surestimer le rôle fédérateur de l'usine, du travail, au détriment du rôle de l'école, de la vie politique et sociale par exemple. Non que ces dernières soient absentes, mais elles apparaissent dépendantes de ce monde de l'usine, comme si, en organisant la communauté ouvrière autour de l'usine, les "de Wendel" avaient triomphé — jusque dans l'écriture de l'histoire —, et qu'en dehors de leur monde il n'y avait pas d'autres éléments qui donnent sens à la vie collective. L'espace est à ce point organisé, construit, autour du lieu de travail que les autres lieux ne sont pas regrettés. On se bat pour la patrimonialisation des lieux de travail (le haut-fourneau d'Uckange), pour la conservation des cafés, des écoles, ou des autres témoins de la vie sociale, qui disparaissent tout aussi inéluctablement que les usines, sans laisser de traces. L'aboutisement de cette histoire est en fait de construire un monument à la gloire de ce monde perdu. C'est peut-être là qu'on perçoit l'aspect latent de la démarche des animateurs du Cercle. Aspect latent sans doute porté par un inconscient individuel, qui fait qu'ils participent en même temps à la célébration de leur propre généalogie — même si elle est imaginaire —, sous l'aspect couvert de la nécessité de

produire une histoire locale.

Sans faire la part trop belle à une analyse de type psychanalytique — toujours délicate lorsqu'il s'agit d'un collectif —, on peut valoriser, dans les

éléments significatis observés, ceux liés à une volonté de construire un lien social sur le type d'un lien familial :

-Le contexte très familier, dans lequel se produit cette histoire elle-même.

-La perspective paternaliste que, malgré eux, les historiens du CPHJ opère en centrant leur perspective sur l'industrie sidérurgique.

-Les divers éléments que nous rajouterons à la fin de cet article (le coté affectif de lieux de mémoire).

Tous ces points nous conduisent à envisager la pertinence de ce type d'explication, sur la production d'histoire locale que nous avons observée.

Pour en revenir à des explications - plus sociologiques, on peut peut-être dire que la contradiction —que les professionnels de l'histoire connaissent bien, et que les ethnologues ont souvent rencontrés —, consiste

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à être trop près de son objet, au risque de s'y confondre, de s'y re-trouver

piégé Historiase soi-même. Non pas que nous croyions à la nécessité d'une rupture

épistémologique, qui serait l'apanage des professionnels, sur la modèle de la science expérimentale106 -la difficulté de sérier des pratiques professionnelles historiennes, montre amplement que nous devons nous débarrasser de l'idée qu'il existe bien des mondes historiens purs et des mondes impurs d'histoire locale-, mais tout le moins, la participation à la fabrication d'une histoire si locale, engage l'historien de manière tellement personnelle -elle nous semble même corporelle-, qu'il existe sans doute u n point, au delà duquel, cette participation au groupe ne permet pas de revenir sur des positions validables d'un point de vue de la norme professionnelle. Ce point est sans doute celui des souvenirs personnels, tels qu'ils sont évoqués par notre médecin retraité, qui n'est pas tenu par les obligations professionnelles du Cercle. D'externe, son regard historique est "internalise" par le Cercle dans le processus de publication. On mesure ainsi le sentiment de dette, qu'il lui semble avoir contracté vis-à-vis du milieu local.

Quand bien même cette contradiction initiale, ne serait pas visible, la manière dont les joviciens s'approprient l'histoire du Cercle -notamment dans ses meilleures productions-, ne conduit pas à valider l'investissement militant dans l'histoire, comme étant un moment de "conscientisation des masses" pour reprendre un vocabulaire daté. L'absence d'équivalence entre une lecture de l'immigration italienne, qui connut les affres de la xénophobie, et la situation actuelle de l'immigration nord-africaine, n'engage pas à croire que l'on peut, si facilement, sans un capital culturel déterminé, retenir les "leçons de l'histoire".

La marge étroite de ces courageux producteurs de l'histoire micro­locale, se situe entre l'action militante -qu'ils n'ont par ailleurs pas toujours abandonnés-, les normes professionnelles des historiens universitaires, et la nécessité de collaborer avec la population locale -dont d'ailleurs ils font partie-.

Une des raisons, à la fois du succès des cercles d'histoire, comme celui de Joeuf, et de leur difficulté à produire une histoire problématique, tient à ce que, pour ces producteurs d'histoire locale, ce que nous appelons le local

106 Cf. Kuhn T.Ia structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983.

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n'est pas construit, il est leur vie, leur histoire lignagière. Il ne peuvent souscrire à une vision objectivante ou constructiviste de cet espace dont ils sont souvent politiquement prisonniers (au deux sens du terme politique, puisqu'ils veulent construire un espace public local, et qu'ils sont engagés dans des options politiques).

L'espace local est un vécu. C'est un rassemblement d'affect, qu'ils essaient de faire partager sur le mode de la nécessité de restitution : "Ces gens qui ont suer sang et eau dans nos usines, ces accidentés, il faut les faire revivre". Cet ancrage, déterminé par l'amour du lieu et de ses habitants, les conduit à s'enchaîner au réseau, et pas du tout, comme ils le pensent, à fonder un espace public d'histoire locale. La construction du réseau de l'histoire locale, les met au centre de la contradiction ou si l'on veut de la chaîne de traduction qu'ils sont obligés d'opérer, entre le public local, et les historiens professionnels. Même si leur carrière, les conduit à se mettre du côté des lecteurs locaux -et au delà de la collectivité qu'ils défendent-, la nécessité stratégique de ne pas perdre le contact avec les professionnels, ou du moins ceux qui détiennent la possibilité au sein de l'espace public de valider leur professionnalisme -bien exprimer dans le numéro le plus "familiale" de la revue par la présence de l'historien du CNRS-, les conduit à traduire la nécessité de travailler avec le local, que d'ailleurs les historiens professionnels comprennent très bien. Ce travail de traduction, n'est pas qu'un travail de passeur, il maintient le collectif, puisque qu'au sein de l'ARESSLI, association plus régionale, les colloques voient se côtoyer universitaires et historiens locaux. Si aucun travail de dénonciation ne se produit, c'est bien que cela permet aux uns et aux autres de trouver leur compte, nous sommes bien donc dans un collectif, au sens de la sociologie de la traduction (Callón et Latour op.àt.).

C'est au sein de ce collectif, que voit le jour un important travail de patrimonialisation de la culture industrielle Lorraine, dont la conservation du haut-fourneau d'Uckange, est un des exemples actuels107. Le CPHJ, comme de nombreux militants de cette histoire locale se donnent comme fonction de faire exister ces usines qui disparaissent, ceci par la publication de photographies de sites industriels retournés aujourd'hui à l'état de friche. Conscients de demeurer le lieu même de l'histoire, à défaut d'en fixer les traces sur le paysage. Ce travail sur la mémoire du lieu, ne se

107 DEA de Sociologie de Philippe Buiatti, Université de Metz (1996)

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comprend que par la célébration des généalogies d'ouvriers qui y ont travaillé.

Le texte qui suit, extrait de la publication de l'ARESSLI/Archives départementale et écrit par un membre d'un club d'histoire local distant de quelques kilomètres de Joeuf, est significatif de cette préoccupation des historiens locaux d'être le dernier lieu de mémoire : "En Janvier 1995, les ruines des derniers bâtiments de la mine de Marange auront été arasées.... Quand la nature aura repris ses droits, plus rien, sauf peut-être l'architecture caractéristique des cités de Ternel, ne rappellera qu'ici plusieurs générations d'hommes ont donné le meilleur d'eux-mêmes,..."108.

108 Lorraine du feu, Lorraine du Fer, Archives départementales de Moselle, 1996.

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ANNEXE 5

Expertise historique et entreprise culturelle : les nouvelles fêtes locales en Lorraine

Communication de Jean-Marc Leveratto aux Journées d'Études sur l'Identité Lorraine, ERASE et Département d'Histoire, 1997,

Université de Metz.

1. Le "village" lorrain aujourd'hui, entre rural et urbain.

Plus que d'autres régions françaises, la Lorraine a vu se développer au XIXème siècle une séparation très forte entre un monde rural traditionnel et un monde industriel et urbain, séparation favorisée par la conformation géographique du territoire, la nature de l'industrie et l'importance de l'immigration. Dans la Lorraine dite des plaines, l'industrialisation s'est faite par les vallées, au fond desquelles à partir du XVIII ° siècle s'ouvrent les galeries de mines, s'installent les grandes industries sidérurgiques, croissent les agglomérations urbaines, par opposition au plateau dominant, agricole et forestier, qui a longtemps résisté à toute forme de transformation sociale et culturelle de la vie de ses villages. Encore aujourd'hui, un visiteur contemporain de la Lorraine centrale ne peut qu'être surpris par l'importance d'un espace rural resté vierge de toute forme d'urbanisation.

Cette surprise s'explique facilement par la prééminence à la fois symbolique et économique acquise, depuis la seconde guerre mondiale, par la Lorraine sidérurgique sur la Lorraine rurale. En effet, la fin de l'annexion allemande, la remise en cause du régionalisme républicain cher à la troisième république, enfin le développement industriel sans précédent connu par la région à l'époque des "trente glorieuses" ont successivement contribué à faire disparaître de l'imaginaire national l'imagerie du terroir lorrain célébré par Maurice Barrés109, aujourd'hui remplacée par celle des "hommes du fer".

Si l'histoire économique de la Lorraine explique partiellement le discrédit dont elle souffre d'un point de vue touristique, il importe de rappeler la manière dont sa situation géographique a contribué, depuis l'après-guerre, à entraver son développement touristique. Les caractéristiques climatiques dominantes, malheureusement confirmées

109 CF. notamment Colette Baudoche et sa description lyrique du paysage lorrain.

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régulièrement par le journal météo des télévisions nationales, mais surtout le développement des vacances de masse sont en effet responsables d'une perception négative du potentiel touristique de cette région. Cette perception négative affecte normalement toutes les régions proches des lieux de travail ( les vacances, c'est partir loin) et dépourvus des éléments naturels — mer, montagne, soleil — constituant, dans la culture actuelle des vacances110, des instruments de mesure du plaisir procuré par le lieu (choisir des vacances, c'est interroger les besoins de son corps). Le document d'information envoyé, en 1997, par l'association Ramage de l'Université de Metz, association composée majoritairement d'étudiants étrangers à la Lorraine, aux nouveaux inscrits de la MST Aménagement et Environnement,

confirme cette image touristique négative de la région. L'intérêt est que les rédacteurs du document, tout en liant cette image à l'histoire industrielle récente de la région et à ses différences géographiques avec des régions qui sont aujourd'hui des lieux traditionnels de vacances, s'efforcent de la relativiser, us effectuent cette relativisation en montrant comment le corps, habitué à d'autres climats et à d'autres paysages, peut malgré tout témoigner en faveur de la Lorraine, us attribuent ainsi, en s'appuyant sur leur propre expérience, une valeur esthétique non seulement à la campagne lorraine ( qui possède de « beaux paysages ») aux grandes villes de la région (les « paysages urbains »), mais aussi à certains sites industriels ( les « paysages "sidérurgiques" »).

« Pour ceux qui ne viennent pas de la région, vous serez agréablement surpris par la Lorraine (si, si !!). Ce n'est pas si gris (pluie) et noir (industrie) que ça ! Outre les paysages urbains et "sidérurgiques", on y trouve de beaux pays de campagne.( Bon, c'est sûr pour les bretons, y'a pas la mer ; pour les "montagnards", c'est tout plat ; et pour les gens du Sud, vous verrez, on y apprécie le moindre soleil d'une manière particulière) ».

Cet avertissement destiné à des personnes étrangères à la région confirme immédiatement le fait que l'histoire industrielle de la Lorraine a structuré fortement non seulement la vie locale mais la perception que l 'on peut en prendre de l'extérieur. Il faut garder cette situation à l'esprit dès lors que l'on s'intéresse aux villages lorrains. Si le village lorrain a servi, au temps de l'annexion, à figurer dans les manuels scolaires républicains, le

110 Viard, J. (1984) Penser les vacances, Paris, Actes Sud.

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village français par excellence, il ne correspond plus aujourd'hui à cette image dans la partie de la Lorraine la plus traversée par les voyageurs, sauf dans des localités éloignées des grandes zones urbaines et des grands axes de communication. Même dans les départements qui sont restés les plus agricoles, les villages lorrains ont vu, à partir des années 60, leur espace physique et symbolique modifié par l'arrivée de nouveaux résidents, généralement membres des classes moyennes. L'appropriation par ces nouveaux résidents de l'espace rural a entraîné une transformation de cet espace, les lotissements privés et le mitage des champs installant, selon les termes d'un historien universitaire local, « l'anarchie des banlieues à la campagne tant par les sites que par les styles adoptés » m . Toutefois, cette modification de l'espace traditionnel n'a pas eu que des conséquences négatives pour des communes, rendus exsangues par l'exode rural, et pour lesquels le renouvellement démographique était une nécessité vitale.

Outre l'amélioration et l'aménagement des services publics qu'elle a immédiatement rendue possible, l'installation de nouveaux résidents, qui a d'abord entraîné une dégradation de l'esthétique traditionnelle du village, a aussi apporté, au bout d'un certain temps, les moyens de sa préservation et même de sa restauration. En effet une fraction de ces nouveaux résidents eux-mêmes — que leur formation intellectuelle et leur «bonne volonté culturelle » rendaient sensibles à des valeurs de "tradition" et "d'authenticité" culturelle, et ce d'autant plus qu'elles pouvaient servir à améliorer la qualité de leur cadre de vie — s'est très rapidement mobilisée, avec le soutien des experts de l'État et des collectivités locales, pour défendre la "culture locale" sous son aspect esthétique. La conformité des intérêts de ces nouveaux résidents et des populations indigènes ont certainement facilité leur compréhension réciproque et leur collaboration dans le développement d'initiatives visant à revaloriser l'espace rural. La compétence spécifique dont sont porteurs les nouveaux résidents, généralement habitués — du fait de leur activité professionnelle — à organiser et à gérer des activités collectives, a aussi favorisé l'importation, dans l'espace rural, de techniques de valorisation symbolique et de modèles d'organisation empruntés au monde urbain, permettant d'articuler facilement le travail de réaménagement matériel de l'espace rural avec u n travail de promotion publique (notamment par la mobilisation conjointe

111 Gerard, C (1982) « Les villages lorrains face à l'urbanisation » in Urbanisme et architecture en Lorrain 1830-1930, Metz, Editions Serpenoises-Denoël

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des médias — télévision, journaux, expositions, spectacles, etc. —, des experts, et de l'aide étatique) de sa valeur culturelle.

Cette situation explique le caractère qui pourrait sembler paradoxal d'un mouvement de valorisation culturelle de l'espace rural lorrain représenté dans l'espace public par une élite d'origine urbaine. Cependant, il faut prendre garde à ne pas mésestimer la réalité sociologique et l'ambivalence culturelle de ce mouvement de valorisation en le réduisant à une simple volonté de distinction sociale de la part d'intellectuels "établis" à la campagne. Il s'agit d'une situation beaucoup plus complexe où s'entremêlent, de façon plus ou moins harmonieuse, des initiatives de préservation d'une mémoire collective des lieux et des activités de valorisation de leur authenticité à des fins de développement touristique, mais aussi un travail d'embellissement matériel du cadre de vie et d'organisation d'activités culturelles pour le bénéfice des habitants. Cette interpénétration interdit de ramener les tensions observables dans al fabrication de la fête au choc de deux cultures, rurale et urbaine, ou "populaire" et "savante". L'observation de ces tensions à leur source montrent en effet qu'elles sont surtout révélatrices des problèmes techniques inhérents à la représentation de l'espace local, dans la mesure où cette représentation exige un travail de traduction des caractéristiques objectives de cet espace qui le rendent intéressant pour le public (Leveratto, 1994).

L'intérêt majeur pour nous de l'étude du développement des fêtes dans la Lorraine rurale consiste justement à apporter une meilleure compréhension des problèmes de qualification d'un espace rural, dès lors qu'il existe plusieurs manières de la vivre et de le comprendre, et à la constitution d'une identité "locale", dès lors que cette identité est objectivement fragmentée et plurielle, et que tous les résidents ne sont pas disposés à revendiquer cette identité. Dans ce contexte, la fête apparaît comme une technique de mise en scène qui offre le triple intérêt d'être u n moyen de rapprochement social des membres de l'espace local, une manière de concilier la conservation de la culture du passé et la nécessaire modernisation la vie sociale, et enfin un moyen d'esthétisation de l'espace local.

2. Fête et esthétisation du lieu

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La Fête médiévale de Rodemack, petit village lorrain situé non loin de l'agglomération de Thionville, peut servir de modèle d'intelligibilité du sens du développement contemporain des fêtes dans la Lorraine actuelle112. Cette fête possède aujourd'hui en Lorraine un caractère exemplaire, du fait de son succès public. Ce succès a largement contribué à la renaissance démographique et économique de Rodemack. Alors que cette commune était menacée autrefois de désertification, elle est aujourd'hui une commune prospère et réputée dans la région pour la qualité de son cadre de vie.

Conçue d'abord comme un simple moyen de financement d'une association de sauvegarde du patrimoine historique de Rodemack, cette activité s'est progressivement développée jusqu'à devenir un dispositif touristique de Rodemack en même temps qu'un équipement permanent d'animation culturelle de ses habitants. Le succès public aidant, la fête de Rodemack a été intégrée dans l'Opération Pierres de Culture, conçue et financée par le Conseil Général, qui a oeuvré pour augmenter l'efficacité symbolique de l'événement, en recrutant des professionnels du théâtre chargés d'améliorer, en accord avec les habitants, la qualité artistique du spectacle local.

* Une entreprise culturelle originale

Le cas de Rodemack est particulièrement bien adapté pour comprendre la prolifération contemporaine des fêtes dans l'espace lorrain, prolifération que favorise conjointement la mise en œuvre de la loi de décentralisation, le développement des politiques d'aménagement du territoire, la crise de l'activité agricole et la reconnaissance de la légitimité économique et sociale de l'investissement culturel.

La plupart des fêtes qui naissent aujourd'hui en Lorraine rurale résultent en effet, comme à Rodemack, d'une volonté consciente des citoyens de créer un dispositif permettant de soutenir le développement local. Il ne s'agit donc pas de ressusciter ou d'inventer une fête dans la seul visée de satisfaire le désir de divertissement ou le besoin d'intégration des seuls habitants du "village. La fête constitue dès le départ une entreprise culturelle, organisée bénévolement par des habitants d'une commune, avec le soutien pratique de la municipalité, qui vise la réalisation d'un profit

112 Leveratto, J. M., (1994) « Les usages de la fête, fête culturelle et construction de l'identité », in J-Y Trépos, J-M Leveratto, De l'incivilité à la convivialité, Rapport de recherche pour le Plan Urbain.

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économique direct ou indirect par la mobilisation d'un public important de spectateurs de la Région. Cette entreprise mobilise généralement les associations culturelles de la commune (musique, danse folklorique, chorale, harmonie, etc), mais également des ressources humaines extérieures à la commune (associations culturelles ou professionnels du spectacle), afin de garantir le profit matériel et symbolique attendu de l'événement, selon une logique de festival. La qualité du spectacle doit en effet favoriser la découverte du village par un public régional, voire national.

Ce type d'entreprise culturelle repose d'abord sur l'investissement des personnes, du fait de la faiblesse des ressources de qualification touristique disponibles dans l'espace de la commune, c'est-à-dire du fait de l'absence d'un patrimoine naturel ou d'un héritage culturel déjà authentifié par l'historiographie nationale, et donc immédiatement valorisable. En effet outre la petitesse des ressources financières de la commune, l'inexistence sur son territoire de traces d'une grandeur culturelle identifiable par le public, qu'ils s'agissent de choses bien connues de la mémoire nationale (un édifice, un champ de bataille, un paysage, un personnage historiques célèbres), de compétences individuelles ou collectives reconnues par l'opinion publique (une compétence artistique, par exemple pour Combray, la "patrie" de Proust, mais aussi gastronomique ou religieuse, etc) contredit au départ la création ou l'intéressement d'une entreprise confiée à des professionnels de la culture. Le recours à la bonne volonté des personnes s'impose, et c'est grâce à leur dévouement et à leur engagement que ce type d'entreprise culturelle peut réussir.

La genèse de la fête médiévale de Rodemack est à cet égard caractéristique. Cette entreprise culturelle s'est d'abord développée dans le cadre d'une action bénévole de réhabilitation du bâti ancien du village, portée par des habitants soucieux de participer à l'aménagement de leur cadre de vie. L'absence d'équipement urbain et la dégradation du patrimoine immobilier de la commune, du fait de la ruine de certaines maisons, due à la mort de leurs propriétaires ou à leur abandon justifiait cette mobilisation civique. Ce souci d'embellissement du cadre de vie s'accompagnait chez ces habitants du désir de protéger le cachet historique de Rodemack. La constitution d'une association d'historiens, les Amis des

Vieilles pierres pour la Sauvegarde de Rodemack, chargée de démontrer l'intérêt historique de ses monuments et d'organiser le travail bénévole de restauration de ses remparts, a ainsi donné naissance à la fête. Moyen de

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révéler aux étrangers la beauté particulière du lieu, elle était en même temps un moyen d'augmenter les ressources financières de l'association. Elle prend au départ la forme conventionnelle d'une fête communale de plein air, rassemblement de stands d'information, de jeux, de vente, de démonstration, de restauration permettant de satisfaire petits et grands.

Ce recours spontané à une forme conventionnelle de la fête associative s'explique, comme on l'a dit, par la faiblesse des ressources culturelles dont disposait la commune. Le sens conventionnel de la fête permet en effet de se dispenser des qualifications professionnelles nécessaires à l'organisation d'un événement original, mais par là-même coûteux. Il permet de tirer profit de la compétence culturelle ordinaire des personnes, en transformant leur capacité personnelle à faire la fête en ressource technique et esthétique de l'organisation de l'événement et en utilisant le désir de faire la fête comme un moyen d'intéressement du public.

Mais l'intérêt particulier de la fête de Rodemack est la transformation que sa forme initiale, sous l'impulsion de certains des nouveaux habitants, soucieux d'améliorer la qualité culturelle de la fête pour augmenter son profit. Ces nouveaux habitants, en mobilisant leur compétence professionnelle et en s1 appuyant sur leur propre qualification culturelle — il s'agissait de membres de professions intellectuelles supérieures ou de professions intermédiaires — ont donné à la fête de Rodemack sa forme actuelle de spectacle historique, ce qui justifie l'appellation de fête médiévale. Cette forme originale a contribué au retentissement public et à la reconnaissance régionale de la fête, dont chaque édition bénéficie aujourd'hui d'une promotion importante de la part de la presse régionale. Ceci explique l'attachement de nombreux habitants de Rodemack à cette fête médiévale, qui fait aujourd'hui partie pour eux du patrimoine culturel du village, et qu'il s'attache en ce sens à préserver.

* Le spectacle historique

L'originalité de la fête médiévale de Rodemack ne lui appartient pas en propre. Il est remarquable en effet que nombre de nouvelles fêtes rurales, en Lorraine comme en France, présentent souvent des reconstitutions de scènes du passé local. Ainsi, des associations proposent régulièrement, depuis quelques années en Lorraine, le spectacle de vieux métiers113, qui

113 La fête des Vieux métiers de Mangiennes (54), qui fêtera cette année son

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peuvent inclure des reconstitutions avec des machines d'époque, d'anciennes techniques agricoles, spectacle réalisé bénévolement par des amoureux de ces vieux métiers, qui les ont parfois eux-mêmes vu pratiquer. Des techniques emblématiquej de l'activité agricole ancienne de la région sont ainsi constituées en attractions historiques, qui accroissent l'intérêt de la fête. Le Guide familier des fêtes de France 114permet de vérifier par exemple que la fête des vieux métiers constitue aujourd'hui une forme répandue de promotion esthétique de l'espace local, puisqu'elle constitue une de ses rubriques, sous le titre de « fêtes artisanales ». Ainsi, la Fête des

Britnbelles dit le guide « à l'origine une réunion gastronomique est devenue parla suite le rendez-vous des vieux métiers »115. On retrouve ici confirmation de la manière dont le développement et la diffusion du savoir ethnologique, et plus généralement des sciences humaines et sociales, informe le développement des fêtes locales. Le Guide familier des Fêtes d e

France connaît aussi une rubrique « fêtes historiques », qui permettent généralement de valoriser le lien qui unit l'histoire de la localité et l'histoire nationale. Si cette pratique, comme le confirme ce guide, est ancienne, le succès editorial que rencontre aujourd'hui nombre d'historiens professionnels ne manque pas de favoriser l'éclosion de fêtes historiques dans les régions, y compris dans les petites localités.

La fête médiévale de Rodemack propose ainsi, selon des formules artistiques qui ont varié selon les années une représentation de scènes du passé médiéval de la localité, dans laquelle les habitants figurent la population médiévale de Rodemack. Ce spectacle qui constitue le clou de la fête a pour particularité de convertir les édifices historiques de certains lieux publics de Rodemack en un décor médiéval naturel d'une représentation donnée par les habitants contemporains de Rodemack.

Là encore, la fête médiévale n'est pas totalement originale, puisque l'on retrouve le même mode de composition du spectacle, dans les fêtes organisées par des localités disposant d'un bâti historique assez ancien pour justifier ce rapprochement.

Si l'on considère les fêtes soutenues financièrement pendant par l'opération Pierres de Culture, ce qui a contribué a accentué la théâtralisation de la fête, on trouve cette mise relation du contenu du

dixième anniversaire constitue une manifestation exemplaire de ce type de reconstitution, qui attire annuellement selon ses organisateurs près de 50 000 personnes. CF. Républicain Lorrain, Vendredi 2 mai 1997, p. 22. 114 Guide familier des Fêtes de France, (1981) Paris, Editions des deux coqs d'or. 115 Ibid., p. 83.

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spectacle joué par les habitants et un ou des bâtiments emblématiques de la grandeur historique passée de la communauté locale. Ainsi, en 1993, la fête de Bitche culminait dans un spectacle historique de masse donné, à l'image du Puy du fou, devant l'énorme citadelle ; à Phalsbourg, patrie de naissance d'Erckmann, le public a pu assister, sur le lieu même de l'action historique, à la représentation du blocus de 1870 ; à Vic-sur-Seille, le spectacle, joué devant l'ancienne porte fortifiée de l'évéché, consistait dans un drame historique incluant des reconstitutions vivantes, confiées à des habitants de Vic-sur-Seille de tableaux de Georges de La Tour... La similitude du moyen de valorisation de l'identité locale utilisé dans les différents sites observés — le spectacle historique utilisant l'espace construit comme un décor réel dans lequel les habitants actuels figurent les habitants du passé — autorise une comparaison intéressante des formules esthétiques élaborées en relation avec un certain type de grandeur historique reconnue.

Ainsi, à Rodemack, c'est la valorisation d'une grandeur militaire passée du lieu, dont atteste l'importance des remparts, qui orientait généralement la production du spectacle en relation avec le projet de l'association de fonder son image de "Carcassonne Lorraine". Cette grandeur militaire, que soulignait, en 1993, dans le spectacle de Rodemack la présentation d'un scène de siège de la ville, était mise en relation à Phalsbourg avec une grandeur littéraire (celle d'Erckmann, originaire de l'endroit et auteur avec Chatrian de la chronique du siège de Phalsbourg mise en scène dans le spectacle), à Bitche avec une grandeur industrielle (des reconstitutions du travail en usine sidérurgique constituaient, avec les scènes dû siège de 1870, le clou du spectacle). A Vic-sur-Seille, c'est une grandeur artistique du lieu (Georges de la Tour est né à Vic-sur-Seille) qui était commémorée par des tableaux vivants, chargé de confirmer au spectateur, en sus de leur efficacité esthétique immédiate, l'enracinement local de cette grandeur.

Si donc les modalités de la construction du spectacle local diffère en fonction des ressources culturelles offertes par le lieu (l'importance des preuves "matérielles" et "humaines" de la grandeur culturelle de la localité) la construction du spectacle atteste du rôle de l'expertise historique locale dans la définition de son originalité. Les nouvelles fêtes rurales constituent souvent, en effet, l'aboutissement d'une production historique locale, portée par des historiens "amateurs", qui donnent des arguments de l'intérêt historique du lieu, et justifient la production du spectacle.

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* Expertise historique et expertise esthétique.

On peut mettre ainsi en relation le travail d'archives effectué par certains habitants de Rodemack pour élaborer la plaquette de présentation du village, publiée par l'association des Amis des Vieilles Pierres de

Rodemack et le contenu du spectacle historique, à la définition duquel ces historiens amateurs ont participé. Ce travail d'archives, qui a permis de relever l'importance historique de la seigneurie de Rodemack, et des titres de gloire littéraire et artistique du lieu — un dessin à la plume de Victor Hugo, réalisé lors d'un pèlerinage familial à Rodemack qu'il relate dans Le

Rhin, son père ayant organisé la résistance «héroïque » de la citadelle à l'avancée des Allemands en 1814 — a directement soutenu le processus d'élaboration de la fête. Il apportait en effet à la fois une motivation personnelle aune action d'information du public étranger à .Rodemack, des ressources de justification historique d'un effort de restauration de sa grandeur auprès de l'administration culturelle, et des ressources de représentation esthétique de cette grandeur aux visiteurs. Le texte et le dessin à la plume de Victor Hugo, en même temps qu'ils servent à fixer u n souvenir personnel, fabriquent en effet un objet spectaculaire, « un reste d'enceinte du treizième siècle, avec porte de ville entre deux tours rondes »116. En donnant à la porte de Sierck, construite en 1483, et partiellement détruite en 1944, la valeur historique et la qualité esthétique d'un fragment d'un paysage urbain moyenâgeux, l'action de Victor Hugo proposait donc à la fois un instrument de représentation et un modèle de mise en scène de la grandeur culturelle de la localité. La Porte de Sierck est devenue depuis un lieu commun à la fois physique, mental et symbolique du travail de promotion publique de Rodemack, lieu commun permettant de structurer la perception du visiteur et d'animer la visite du « bourg ». Le

116 selon les termes mêmes de Victor Hugo. La plaquette touristique diffusée par les Amis des Vieilles Pierres de Rodemack reproduit en fac-similé la page de son journal datée du 9 septembre 1971, où il décrit son pèlerinage familial à Rodemack, ainsi que le dessin à la plume qu'il a réalisé de la porte fortifiée de ce village « célèbre », que son père commandait en 1814, et où avec « une garnison de 75 hommes », il a « tenu tête à 45 000 allemands ». Le désir personnel de Victor Hugo de faire reconnaître la grandeur historique de sa famille sert ainsi, 106 ans après, aux historiens de Rodemack à justifier la grandeur historique de leur village à un public scolarisé. Le souci de commémoration familliale de Victor Hugo doit être relativisé, la pugnacité, le sens du devoir, et le talent de son père lui apportant, au moment où il se la rappelle, une confirmation de l'incompétence militaire et de la lâcheté de "Napoléon le Petit", responsable de la défaite de Sedan et de la perte de la souveraineté française sur le territoire qu'il visite.

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succès de la fête aidant, ce lieu commun a retrouvé son intégrité physique, puisque sa voûte, démontée en 1944, a été restaurée récemment.

Le spectacle historique soutenu par les recherches des historiens locaux, constitue donc une manière privilégiée de comprendre la spécificité de nouvelles fêtes rurales contemporaines. Le travail de recherche de ces historiens non seulement stimule mais alimente la mise en scène historique de l'identité locale qu'opèrent ces nouvelles fêtes rurales, en fournissant d'abord des moyens d'authentification culturelle de la grandeur historique du passé local, puis des moyens d'esthétisation de cette grandeur.

Bien entendu, la production de cette expertise historique locale est conditionnée par l'existence préalable d'objets locaux susceptibles de la fonder. Le contenu historique de la fête de Rodemack, comme celle de Vic-sur-Seille ou de Phalsbourg, se justifie donc d'abord par l'importance des vestiges du bâti ancien que ces villages ont conservés. Mais ces vestiges, dans la mesure où ils sont ignorés par l'histoire officielle ou mal identifiés, n'expliquent pas à eux seuls la genèse de ces fêtes. La construction historique savante opérée par des érudits locaux de la valeur historique de ces vestiges constitue une médiation nécessaire à la genèse de ces fêtes, en même temps qu'elle fournit des ressources au travail d'esthétisation. En démontrant que ces objets de fierté locale font partie de la grande histoire, elle soutient la motivation de certains membres de la population pour faire reconnaître à tous cette grandeur injustement ignorée du public, et informe l'activité de théâtralisation qui va permettre de la rendre visible au public.

La mise en scène de la réalité historique de ces restes a donc une aussi grande importance que leur existence matérielle. Ceci explique comment à Rodemack des bâtiments très hétérogènes du point de vue de leur date de construction, ou postérieurs à l'époque médiévale peuvent se voir attribuer la qualité d'édifices médiévaux. Ce qui pourrait apparaître comme une erreur, voire une falsification du double point de vue de la datation scientifique et de la classification architecturale d'un édifice reste justifiable si on reconnaît la volonté de conservation du passé dont il témoigne. On rencontre ici un problème classique posée par la restauration d'une œuvre d'art, qui ne contredit pas pour nous son authenticité, dès lors que l'on peut démontrer qu'elle sert à reproduire le plus fidèlement possible l'image de l'original. Les remparts de Rodemack sont d'origine médiévale, comme l'atteste le travail d'archives, même s'ils ont été reconstruits plusieurs fois depuis le Moyen-Age, de même que le centre historique de Florence, restauré et remodelé au XIXème siècle.

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De ce fait, la mise en scène de l'histoire locale qu'opèrent actuellement de nombreuses fêtes rurales en Lorraine, ne doit pas être uniquement appréhendée comme un manière de valoriser les objets dotés d'une grandeur historique grâce aux travail des nouveaux érudits locaux. Ces objets sont en effet eux-mêmes des moyens de la mise en scène, dont la présence réelle fait ressentir à un public étranger au village la qualité esthétique du spectacle proposé. Il ne s'agit donc pas seulement de tirer profit du développement d'un marché de l'histoire en pleine expansion, c'est-à-dire de la démocratisation du savoir historique observable actuellement, mais également de celui du marché du spectacle, et de la culture artistique du spectacle acquise par le public. A la différence d 'un grand nombre de fictions historiques théâtrales, cinématographiques ou télévisuelles, décors, action et acteurs peuvent être ici éprouvés physiquement comme des objets réels. Et le spectacle peut, par là-même, être apprécié de certains spectateurs pour son originalité et pour son authenticité supérieure aux spectacles historiques produits par l'industrie culturelle avec lesquels ils ont la possibilité de les comparer. Si cette affirmation peut paraître naïve aux sémiologues du théâtre et du cinéma, on sait qu'elle est pourtant confirmée pratiquement par les professionnels eux-mêmes, qui savent utiliser généralement l'efficacité spécifique des décors réels et des acteurs non professionnels, et même la systématiser. Le développement industriel du cinéma et le public des cinéphiles a fortement contribué à la légitimation esthétique de cette efficacité, du « film non-joué » ou « documentaire » de l'avant-garde soviétique au « néoréalisme » et à la « Nouvelle Vague ». L'innovation dans le théâtre contemporain se revendique de plus en plus de cette efficacité, qu'il s'agisse de « l'esthétique de la disparition », qui consiste à représenter des pièces de théâtre dans des lieux non-théâtraux, ou de la « poétique de la mémoire », qui consiste à faire jouer sur la scène des acteurs sans formation de comédien (Banu, 1987).

C'est donc bien parce qu'elle est perçue comme une représentation, qui n'hésite pas à recourir aux ressources de l'imagination historique, et aux moyens élaborés par les arts du spectacle (projecteurs, décor, costumes, scénographie, tableaux vivants, professionnels)117 que la fête est appréciée pour son authenticité. Cette authenticité désigne la qualité esthétique de la

117 Les tensions inhérentes à la mobilisation de professionnels du spectacle qui, comme les metteurs en scène de théâtre, sont contraints de revendiquer le monopole de l'expertise culturelle — et sont du même coup perçus comme des agents de dénaturation du sens local de la fête par certains acteurs locaux — sont analysées dans notre rapport d'observation sur Rodemack.

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représentation, mesurée par le sentiment de réalité des objets qu'elle produit, sentiment plus fort que dans un spectacle industriel courant. Mais elle désigne également la qualité éthique du geste par lequel les habitants s'efforce de matérialiser et de pérenniser la mémoire du lieu où ils résident. C'est dire qu'une preuve de l'authenticité culturelle de ces fêtes consiste, pour le public local, dans l'effort artistique de commémoration historique consenti par les habitants et dans l'esprit du don qu'ils manifestent en s'investissant physiquement dans le spectacle.

Conclusion :

Notre analyse éclaire, nous semble-t-il, le sens de l'auto-production de spectacles historiques qui caractérise les nouvelles fêtes "rurales" en Lorraine. Mais aussi, plus généralement, l'intérêt épistémologique de l'observation de la fête comme une situation construite par les individus, plutôt que comme une structure anthropologique atemporelle ou comme l'activité historique de groupes sociaux pré-construits en détachant les individus de leur contexte d'existence .

Notre observation confirme cette capacité des individus à mobiliser des instruments de mesure de l'action dans laquelle ils sont engagés, afin de la stabiliser et de la rendre acceptable socialement. Au delà, elle explique la difficulté du chercheur à reconnaître cette capacité, car elle est attachée à la situation. Dans le cas des fêtes étudiées, elle n'est perceptible dans le temps de l'événement que si le chercheur prend au sérieux le problème de la réussite technique de la fête, et ne refuse pas de se comporter comme u n spectateur. L'expertise historique qui garantit pour son public local et régional la qualité culturelle contemporaine de la fête locale échappe en effet au chercheur qui ne veut voir dans la fête qu'un simple tableau anthropologique, un moyen commode d'étudier la matérialisation d'une mémoire locale incorporée par les acteurs et qui s'exprime à travers eux, sans qu'ils en aient conscience. Symétriquement, l'expertise artistique, qui permet d'authentifier pour ces mêmes acteurs la qualité esthétique du spectacle local, se présente de l'extérieur, à celui qui se refuse de participer à la fête, comme une donnée historique, c'est-à-dire conyne une contrainte extérieure aux acteurs de la localité et qui s'imposent, sans qu'il le veuille, à

eux.

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représentation, mesurée par le sentiment de réalité des objets qu'elle produit, sentiment plus fort que dans un spectacle industriel courant. Mais elle désigne également la qualité éthique du geste par lequel les habitants s'efforce de matérialiser et de pérenniser la mémoire du lieu où ils résident. C'est dire qu'une preuve de l'authenticité culturelle de ces fêtes consiste, pour le public local, dans l'effort artistique de commémoration historique consenti par les habitants et dans l'esprit du don qu'ils manifestent en s'investissant physiquement dans le spectacle.

Conclusion :

Notre analyse éclaire, nous semble-t-il, le sens de l'auto-production de spectacles historiques qui caractérise les nouvelles fêtes "rurales" en Lorraine. Mais aussi, plus généralement, l'intérêt épistémologique de l'observation de la fête comme une situation construite par les individus, plutôt que comme une structure anthropologique atemporelle ou comme l'activité historique de groupes sociaux pré-construits en détachant les individus de leur contexte d'existence .

Notre observation confirme cette capacité des individus à mobiliser des instruments de mesure de l'action dans laquelle ils sont engagés, afin de la stabiliser et de la rendre acceptable socialement. Au delà, elle explique la difficulté du chercheur à reconnaître cette capacité, car elle est attachée à la situation. Dans le cas des fêtes étudiées, elle n'est perceptible dans le temps de l'événement que si le chercheur prend au sérieux le problème de la réussite technique de la fête, et ne refuse pas de se comporter comme u n spectateur. L'expertise historique qui garantit pour son public local et régional la qualité culturelle contemporaine de la fête locale échappe en effet au chercheur qui ne veut voir dans la fête qu'un simple tableau anthropologique, un moyen commode d'étudier la matérialisation d'une mémoire locale incorporée par les acteurs et qui s'exprime à travers eux, sans qu'ils en aient conscience. Symétriquement, l'expertise artistique, qui permet d'authentifier pour ces mêmes acteurs la qualité esthétique du spectacle local, se présente de l'extérieur, à celui qui se refuse de participer à la fête, comme une donnée historique, c'est-à-dire comme une contrainte extérieure aux acteurs de la localité et qui s'imposent, sans qu'il le veuille, à eux.

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Ceci contribue à dissoudre la compétence individuelle que manifestent des acteurs qui ne sont pas reconnus comme des professionnels dans une compétence culturelle collective.

Ceci contribue également à méconnaître la manière dont le corps constitue un instrument de mesure de la qualité artistique et donc de l'impossibilité de séparer la justification esthétique de l'usage de la technique artistique de sa justification éthique, que la connaissance historique permet d'argumenter. Parce que l'événement artistique engage le corps, la reconnaissance de sa valeur artistique est inséparable de celle de sa fonction de médiation sociale, dont le corps est également un instrument de mesure, comme le montrent les résultats de notre observation.

C'est cette qualité politique, au sens grec, des nouvelles fêtes locales que valorise leurs organisateurs. La pérennisation de leur réussite justifie, en effet, l'assimilation des savoir-faire qu'elles ont permis aux acteurs locaux de constituer à un art des fêtes contemporain, équivalent de celui élaboré par les cités de la Renaissance italienne pour accueillir le Prince. L'image éphémère de la ville idéale qu'il permettait alors de produire, sur la base des dessins de Vitruve, se pérennisait souvent par la transformation du décor en des constructions architecturales permanentes118. Un bon équivalent en est donné, comme nous l'avons signalé, par la porte de Sierck, dont les ruines ont été converties en décor par les premières Fêtes médiévales de Rodemack, et reconstruite à l'identique, sur la base du dessin de Victor Hugo, grâce à la reconnaissance régionale acquise par Rodemack, qui a justifiée les subventions nécessaires à cette reconstruction.

Ce rapprochement permet de confirmer la manière dont ces fêtes rurales contemporaines se différencient des fêtes qui les ont précédées. Elles servent en effet aux communes rurales à soutenir, au plan régional, leur urbanité en démontrant leur qualité culturelle par l'intermédiaire de la compétence esthétique de certains de leurs habitants. En ce qui consiste par exemple, les sites de l'Opération Pierres de Culture, la stabilisation du succès des spectacles proposés leur a ainsi permis de passer du statut démographique de « villages » (incapables du fait de leur petite taille de proposer une qualité culturelle de la vie équivalente à celle proposée par les grands centres urbains), au statut culturel de « cités » au sens courant d'une certaine qualité historique des relations sociales rapprochant' les habitants d'une même ville.

118 Chastel, A. (1995), Palladiana, Paris, Gallimard.

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Redisons pour terminer que ce travail de représentation n'a pas qu'une efficacité "imaginaire", si l'on entend par là une efficacité purement subjective119. Ainsi, la plus-value économique qu'a permis de produire le développement de la fête de Rodemack a financé, comme nous l'avons dit, la restauration matérielle des certains édifices abandonnés du village soit à l'initiative de l'association, soit à l'initiative des nouveaux habitants attirés par le charme de ce village ancien. Le repeuplement à lui-même rendu possible l'aménagement de l'espace public et la modernisation des services urbains. La renommée touristique acquise par le village constitue par ailleurs une plus-value symbolique qui a neutralisé les tensions sociales potentielles entre anciens et nouveaux résidents, du fait de leur différences de statut économique et social. Cette plus-value symbolique a ainsi apporté une réparation identitaire pour des habitants ayant vécu le processus de dégradation de la situation de Rodemack à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. Enfin une dimension importante de la fête comme événement culturel réside dans sa capacité à servir d'équipement à une sociabilité communautaire, puisqu'elle génère des activités culturelles qui, tout au long de l'année, permettent la rencontre et l'échange entre jeunes et vieux, hommes et femmes, anciens et nouveaux résidents, élus et citoyens donnant ainsi un contenu concret, même s'il est partiel (il ne concerne qu'un groupe d'habitants) instable (ce groupe se renouvelle périodiquement) et fragile (les membres du groupe n'oublie pas les désaccords politiques qui les séparent potentiellement dans la vie courante), à l'idéal communautaire revendiqué pendant le temps de la fête.

119 Duvignaud, J., (1991) Fêtes et civilisations, Arles, Actes Sud.

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