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1 RAVIVE LE DON DE DIEU QUI EST EN TOI LETTRE DU MINISTRE GÉNÉRAL AUX JEUNES OFM UNDER TEN Salut et occasion de la lettre 1. Chers frères Under ten: “Que le Seigneur vous donne la paix!” Je vous écris cette lettre, Ravive le don de Dieu qui est en toi (cf. 2Tim 1, 6), à la veille du quatrième Chapitre des Nattes “Under ten”, pour continuer le dialogue entamé avec vous au cours de ces années de service à la Fraternité universelle en tant que Ministre général pendant les visites aux diverses Entités de l’Ordre et à travers vos messages, auxquels, dans la mesure du possible, j’essaie aujourd’hui de répondre. 2. Je considère une véritable grâce d’avoir pu participer aux trois Chapitre des Nattes Under ten célébrés jusqu’à aujourd’hui : le premier à Saint Jacques de Compostelle (Espagne) (1995), quand j’étais Ministre provincial de cette Province ; le second à Canindé (Brésil) (2001), lorsque j’étais Définiteur et Secrétaire général pour la Formation et les Études ; le troisième en Terre Sainte (2007), déjà comme Ministre général. Pour moi et pour beaucoup d’autres, à en juger par les témoignages qui me sont parvenus, ces rencontres ont été une vraie grâce à cause de ce que nous y avons partagé, réfléchi et prié, et aussi parce qu’ils ont été une occasion importante de célébrer le don de la Fraternité qui s’élargit bien au-delà des limites fort réduites de la propre Province ou Custodie. Le climat de ces rencontres a été toujours fraternel et joyeux. C’est tout ce qu’autant moi que vous tous nous espérons certainement de ce Chapitre Under ten 2012. 3. Comme je l’ai déjà fait à l’occasion du Chapitre des Nattes Under ten célébré en Terre Sainte, et comme préparation à la célébration du prochain Chapitre de 2012, je vous écris aujourd’hui cette lettre. En partant du thème que nous avons choisi pour ce Chapitre, je parlerai de notre identité à la lumière de ce que nous avons promis lors de notre profession et en tenant compte des défis qui nous viennent de la société actuelle, de telle sorte que, toujours avec les yeux fixés sur Jésus, aspicientes in Gesum (cf. He 12, 2), comme le demande le motif de notre Chapitre, « nous rejetions tout le fardeau et le péché qui sait si bien nous entourer et courions avec endurance l’épreuve qui nous est proposée » (He 12, 1). Aussi mon intention est elle simplement de raviver le don de Dieu qui est en chacun de vous, le don de la vocation à laquelle nous avons été appelés (cf. 2Tim 1, 6). Et pour y parvenir, dès maintenant, je désire vous inviter à continuer à fixer votre regard sur le Seigneur auquel vous avez livré votre vie. En me servant des mots de la Sœur Claire, je vous invite à contempler et à observer constamment le Miroir, Jésus- Christ, pour vous transformer, intérieurement et extérieurement en Lui et à devenir miroir pour les autres (cf.4LAg 15-17; 3LAg12- 13). Finalement, je vous invite à assumer avec passion « la vie selon l’Évangile de Jésus-Christ » (cf. Rnb 1, 2), et à assimiler les béatitudes à tout moment comme critère de vie. 4. J’aimerais pouvoir commenter avec chacun d’entre vous ce que je veux vous dire, mais ne pouvant pas le faire pour des raisons plus que naturelles, je vous écris cette lettre, conscient de mon obligation de « servir et administrer les odorantes paroles de mon Seigneur » (2LFid 2). « En vous baisant les pieds, comme il convient à celui qui est au service de tous (cf. LOr12), je vous demande d’accueillir bénignement mes paroles, en lisant en elles l’affection « qu’affectée par l’ardeur de la charité » je ressens pour tous et chacun d’entre vous (cf. 4LAg 37), afin que, sans éloigner votre regard de Celui « dont l’amour enivre »(cf. 4LAg10), et s’attachant à Lui avec toutes les fibres de

RAVIVE LE DON DE DIEU QUI EST EN TOIdon de Dieu qui est en chacun de vous, le don de la vocation à laquelle nous avons été appelés (cf. 2Tim 1, 6). Et pour y parvenir, dès maintenant,

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RAVIVE LE DON DE DIEU QUI EST EN TOI

LETTRE DU MINISTRE GÉNÉRAL AUX JEUNES OFM UNDER TEN Salut et occasion de la lettre

1. Chers frères Under ten: “Que le Seigneur vous donne la paix!”

Je vous écris cette lettre, Ravive le don de Dieu qui est en toi (cf. 2Tim 1, 6), à la veille du quatrième Chapitre des Nattes “Under ten”, pour continuer le dialogue entamé avec vous au cours de ces années de service à la Fraternité universelle en tant que Ministre général pendant les visites aux diverses Entités de l’Ordre et à travers vos messages, auxquels, dans la mesure du possible, j’essaie aujourd’hui de répondre.

2. Je considère une véritable grâce d’avoir pu participer aux trois Chapitre des Nattes Under ten célébrés jusqu’à aujourd’hui : le premier à Saint Jacques de Compostelle (Espagne) (1995), quand j’étais Ministre provincial de cette Province ; le second à Canindé (Brésil) (2001), lorsque j’étais Définiteur et Secrétaire général pour la Formation et les Études ; le troisième en Terre Sainte (2007), déjà comme Ministre général. Pour moi et pour beaucoup d’autres, à en juger par les témoignages qui me sont parvenus, ces rencontres ont été une vraie grâce à cause de ce que nous y avons partagé, réfléchi et prié, et aussi parce qu’ils ont été une occasion importante de célébrer le don de la Fraternité qui s’élargit bien au-delà des limites fort réduites de la propre Province ou Custodie. Le climat de ces rencontres a été toujours fraternel et joyeux. C’est tout ce qu’autant moi que vous tous nous espérons certainement de ce Chapitre Under ten 2012.

3. Comme je l’ai déjà fait à l’occasion du Chapitre des Nattes Under ten célébré en Terre

Sainte, et comme préparation à la célébration du prochain Chapitre de 2012, je vous écris aujourd’hui cette lettre. En partant du thème que nous avons choisi pour ce Chapitre, je parlerai de notre identité à la lumière de ce que nous avons promis lors de notre profession et en tenant compte des défis qui nous viennent de la société actuelle, de telle sorte que, toujours avec les yeux fixés sur Jésus, aspicientes in Gesum (cf. He 12, 2), comme le demande le motif de notre Chapitre, « nous rejetions tout le fardeau et le péché qui sait si bien nous entourer et courions avec endurance l’épreuve qui nous est proposée » (He 12, 1). Aussi mon intention est elle simplement de raviver le don de Dieu qui est en chacun de vous, le don de la vocation à laquelle nous avons été appelés (cf. 2Tim 1, 6).

Et pour y parvenir, dès maintenant, je désire vous inviter à continuer à fixer votre regard sur

le Seigneur auquel vous avez livré votre vie. En me servant des mots de la Sœur Claire, je vous invite à contempler et à observer constamment le Miroir, Jésus- Christ, pour vous transformer, intérieurement et extérieurement en Lui et à devenir miroir pour les autres (cf.4LAg 15-17; 3LAg12-13). Finalement, je vous invite à assumer avec passion « la vie selon l’Évangile de Jésus-Christ » (cf. Rnb 1, 2), et à assimiler les béatitudes à tout moment comme critère de vie. 4. J’aimerais pouvoir commenter avec chacun d’entre vous ce que je veux vous dire, mais ne pouvant pas le faire pour des raisons plus que naturelles, je vous écris cette lettre, conscient de mon obligation de « servir et administrer les odorantes paroles de mon Seigneur » (2LFid 2). « En vous baisant les pieds, comme il convient à celui qui est au service de tous (cf. LOr12), je vous demande d’accueillir bénignement mes paroles, en lisant en elles l’affection « qu’affectée par l’ardeur de la charité » je ressens pour tous et chacun d’entre vous (cf. 4LAg 37), afin que, sans éloigner votre regard de Celui « dont l’amour enivre »(cf. 4LAg10), et s’attachant à Lui avec toutes les fibres de

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votre cœur (cf. 4LAg 9), vous fassiez ce qui vous paraitra plaire au Seigneur et, ainsi que vous le pouvez, suiviez ses traces et sa pauvreté (cf. LL 3). Ce que je vous dis dans cette lettre, mes chers frères Under ten, je me le dis à moi-même et je le dis à tous les frères de l’Ordre, car nous avons tous besoin de rappeler notre propos et de tenir nos yeux, les yeux du cœur, fixés sur notre principe (cf. 2LAg 11), afin que, « d’une course rapide, d’un pas léger, sans entraves aux pieds », nous avancions joyeux et bien dispos sur « le chemin des béatitudes » (cf. 2LAg 12).

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I POINT DE DÉPART:

QUELQUES TRAITS DOMINANTS DE NOTRE SOCIÉTÉ ET CULTURE QUI PEUVENT QUESTIONNER NOTRE IDENTITÉ

« Soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui en demandent compte » (1P 3, 15)

5. Quand je parle de notre société et culture, je ne prétends pas en faire une étude complète. Ce n’est pas le propos de cette lettre, et je ne serais pas la personne compétente pour la faire. Avec mes ponctuations, et reconnaissant que je peux être assez subjectif en les faisant, bien que ce ne soit certainement pas mon intention, je veux simplement partager avec vous certains traits qui peuvent avoir de l’influence sur notre identité de consacrés et de Frères Mineurs, et vous inviter à la vigilance et au discernement, car, en observant l’influence qu’exerce la culture actuelle sur l’Église et sur tous ceux qui en font partie, nous pouvons dire que la corrélation de forces entre l’Église et la société a changé d’aspect. Face à une Église affaiblie, il existe une culture postmoderne forte et attirante qui configure pour une bonne part l’esprit et la sensibilité des croyants, conditionne leur perception des valeurs et la gestation de leurs options.

6. Les Frères Mineurs, parce qu’ils n’appartiennent pas à une autre galaxie, ne sont pas exemptés de cette influence. Il est donc nécessaire de nous mettre en garde, sans tomber dans l’obsession de ville assiégée, pour ne pas nous laisser emporter par les signes négatifs de notre société. Nous ne pouvons pas nous fermer sans plus à tout ce qui nous vient de la culture actuelle et nous ne pouvons pas être si ingénus de ne pas arriver pas à percevoir ces dangers. Notre société, comme le reconnaissait déjà Pastores dabo vobis, abrite en soi des valeurs et des contrevaleurs. Ce même document nous avertit qu’au sein des facteurs négatifs « peut se cacher une valeur qui attend d’être découverte et reconduite à sa pleine vérité » (PdE 10). Notre attitude, en tant que chrétiens et Frère Mineurs doit être, donc, disons-le encore une fois, de vigilance et de discernement pour savoir distinguer ce qui vient du Seigneur et ce qui lui est contraire (cf. VC 73). Comme saint Paul a su si bien nous le dire quand il nous invite à tout examiner et à rester avec ce qui est bon (cf. 1Th 5, 21)! Société liquide ou fluide

7. Notre société a été définie comme « une société liquide ou fluide ». Ce qui fait penser à la

« fluidité » ou la « liquidité » comme les métaphores les plus pertinentes pour comprendre la culture actuelle, définie par Bauman, comme société de l’incertitude, où presque rien ne peut se dire permanent ou bien stable et prévisible. Ce qui est maintenant, peut aussitôt ne plus être, ce qui se passe maintenant peut déjà être dépassé.

Cette société peut se caractériser par certaines constantes que je vais maintenant signaler

brièvement.

Précarité des engagements et faiblesse du sens d’appartenance 8. Dans une société « liquide et fluide », la personne vit sans racines, dans la friabilité,

l’inconsistance, l’insécurité et le provisoire des relations. Par ailleurs, pour Erickson et d’autres grands psychanalystes, une des caractéristiques des générations actuelles serait un déficit de « confiance de base » et une insécurité radicale qui ne leur permet pas de s’appuyer sur un fondement ferme et les conduit à vivre au sein d’un avenir incertain. L’insécurité qui leur est propre et la difficulté d’avoir confiance dans les autres et en l’Autre sont accouplées à ce syndrome de méfiance de base.

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Tout cela fomente la précarité des engagements, des unions et des attachements. Il en résulte

que des institutions qui jusqu’à hier étaient des points de référence comme la famille, le quartier, la communauté soient aujourd’hui, dans les mots de U. Beck, « des catégories zombies… mortes mais pourtant vivantes ». En même temps, le sens d’appartenance s’affaiblit ; ce sens d’appartenance qu’un homme de la taille de A. Maslow inclut parmi les six nécessités vitales de la personne et, comme telle, une composante importante de l’identité. On ne sait pas qui on est tandis qu’on ne sait pas à qui on appartient. Tout le monde sait que la vie parcellée et fragmentée crée une multitude de très faibles appartenances et débilite ainsi les appartenances fortes, surtout en relation aux institutions de caractère universel. Dans ces cas, l’adhésion se fait fort précaire et la confiance qu’on dépose en elles, assez fragile.

Tout cela termine aussi par tuer la passion et par noyer, à peine formulé, l’engagement, en ouvrant la voie à une sensibilité totalement gouvernée par l’affectivité : par ce qui plait à chacun, sans tenir compte du bien ou du mal, au point qu’un comportement a de la valeur parce qu’on le fait, non parce qu’il a une valeur en lui-même. Et on finit par préférer la pure spontanéité à l’authenticité. Et c’est ici que surgit le choc entre la culture actuelle et l’engagement pour toute la vie, une des dimensions auxquelles on ne peut renoncer dans notre forme de vie (cf. Rb 2, 12-13). Et nous nous demandons: Comment proposer un engagement pour toute la vie ? Comment réclamer une fidélité qui ne soit pas seulement une persévérance obstinée? Et malgré ces difficultés, grâce à Dieu, il y a beaucoup de frères qui continuent fidèles à cet engagement. Ceux qui abandonnent ne manquent certainement pas, ce qui nous fait souffrir et affaiblit l’Ordre. Il ne manque certainement pas de frères qui vivent une fidélité boiteuse ou une fidélité mécanique; des frères qui pratiquent extérieurement mais qui ont perdu la motivation et le souffle intérieur et dont la vie n’est déjà plus significative. Cependant il ne manque pas de frères qui maintiennent une solide fidélité fondamentale même si ce souffle de vie, qui les fait croître en vie évangélique, a pu s’estomper chez eux. Sans aucun doute heureusement rien de tout cela ne manque chez de nombreux frères, je dirais la majorité. Une admirable fidélité évangélique reste vivante et se caractérise par l’action de grâces, la modestie, une vie concrète et miséricordieuse. La vie franciscaine de qui professe l’Évangile comme norme de vie et se consacre continuellement à suivre le Christ pauvre et crucifié, est un chant de louange à cette fidélité comme noble aspiration et comme tâche spirituelle attentive. Dans notre culture du « contrat », la fidélité n’est pas à la mode et le monde a donc besoin de témoins de ce qui dure pour toujours. Notre société a besoin de cœurs ouverts à la grâce et qui se maintiennent fidèles à la proposition initiale. Oui, notre culture a besoin de Franciscains qui restent fidèles, malgré les difficultés qui encombre le chemin.

Crise de relation interpersonnelle

9. Comme conséquence de ce que j’ai dit auparavant, nous assistons aujourd’hui à une forte

crise de la relation interpersonnelle. Incroyablement habiles dans la complexité de la technologie, nous sommes quasi analphabètes dans les relations interpersonnelles, et au lieu de relations authentiques, on préfère et renforce des relations purement virtuelles. Le notre est un monde de relations multiples: relations brèves et sans compromis. On finit par rejeter ce qui ne vaut pas, ne sert pas, ne plait pas. Poussés par l’individualisme le plus dur, beaucoup d’hommes et de femmes, et y inclus pas mal de consacrés (ce qui reste profondément paradoxal), ne s’engagent pour rien et pour personne. Leur concept de liberté reste essentiellement mutilé: c’est de la pure liberté « de », pas de la liberté « pour ». « Jeter après usage » semble être la philosophie de nombre de nos contemporains.

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Tout cela conflue dans l’indifférence face au besoin de l’autre, et dans le manque de

responsabilité envers les autres. Nombre de nos contemporains paraissent vivre en « état d’attente » (by-standers), témoins silencieux qui viennent et écoutent, mais qui n’agissent pas, oubliant qu’aujourd’hui encore le Seigneur nous demande que nous soyons les gardiens de nos frères (cf. Gn 4, 9); que nous établissions des relations caractérisées par une vigilance réciproque, par le respect mutuel et par l’attention au bien de l’autre, à tout son bien”1. Non, nous ne sommes pas immunisés contre cette déformation ou crise de relation interpersonnelle. Il est vrai qu’il y a beaucoup de frères qui vivent pour les autres, veillent consciemment sur les autres pour découvrir leurs besoins avant qu’ils ne se manifestent. C’est ainsi qu’en fixant les autres (cf. He 10, 24), ils se rendent compte de la réalité qu’ils vivent et cultivent constamment un regard de fraternité, de solidarité, de justice, de miséricorde et de compassion. Notre tradition a toujours souligné la fraternité comme valeur fondamentale de la forme de vie que nous avons embrassée, et il en est beaucoup, je dirais la grande majorité, qui vivent avec joie le don de la fraternité et la construisent avec grand esprit de générosité et désappropriation. Ceux-ci vivent une relation saine, sans créer de dépendances ni les appuyer, avec le reste des frères et, dans leur vie quotidienne, démontrent un haut niveau de disponibilité, comme l’exige notre consécration, en acceptant les services les plus humbles de la fraternité dans un esprit d’obéissance caritative et de coresponsabilité communautaire. Sans aucun doute, parmi nous il y a des frères pour lesquels subsiste la difficulté de s’enrôler dans le projet de vie et mission de la fraternité. Parmi nous ne manquent pas ceux qui sont dominés par le désir d’être toujours les protagonistes et qui sont donc incapables de renoncer à une partie de « mon » projet, pour construire « notre » projet, un projet communautaire de vie, de relations fraternelles et de mission. Ces frères vivent une grande crise de relation interpersonnelle. Comme nous insistons, la vigilance et le discernement s’imposent si nous ne voulons pas faire partie du nombre assez consistant de consommateurs de fraternité, en lieu d’en être les constructeurs.

Culture du particulier 10. La crise de relation interpersonnelle est le fruit et conduit à son tour vers une culture du

particulier, où l’autre ne compte pas et qui connait beaucoup de manifestations, comme le culte exaspéré et souvent désespéré de son propre corps et du bien-être physique, l’individualisme extrême, la recherche effrénée de l’autoréalisation., l’exclusion sociale, la noyade dans le petit verre de notre narcissisme, et, surtout, une infinité de peurs : l’abandon, l’insécurité, la perte de sens …la crise interpersonnelle se manifeste aussi dans le fait de mendier sans cesse l’amour, l’appréciation, les éloges, l’admiration sans critique…

Et la chaine suit avec la peur de la diversité. Dans une société comme celle que nous décrivons, l’ « autre » m’embête, car il questionne le particulier, met entre parenthèses ses propres sécurités infaillibles, invite à ouvrir la fenêtre, va au dehors et écoute d’autres voix et, si cette écoute est authentique, nous oblige à changer, à se sentir pèlerins et étrangers, à vivre sans rien en propre. Et cela fait peur et, pour ce motif, consciemment ou inconsciemment, il s’agit d’annuler les différences, d’éviter les conflits et d’éliminer l’autre, en construisant un monde de solitaires accompagnés, incapables de tisser des relations solides et significatives. En même temps qu’on est victime, on est aussi l’artisan d’un vide de relations, de l’absence d’espaces communs pour être ensemble et partager un peu de vie. Dans ce contexte, il faut être vigilant pour ne pas nous enfermer dans ce qui est personnel et nous ouvrir à l’universel. Notre cloître, en tant que Frères Mineurs, c’est le monde.

1 Benoît XVI, Message pour le Carême 2012, 1.

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Tout et immédiatement

11. Un autre aspect qui parait caractériser notre société liquide est que celle-ci nous propose un style de vie caractérisé par le « tout et immédiatement ». Grâce au progrès technique, la production et la consommation se sont converties en deux grands moteurs de la vie sociale, en provoquant une dynamique qui s’est révélée insatiable: il faut produire pour consommer et consommer pour produire. Dans ce contexte de consommation grandit l’incapacité de différer la satisfaction et la tolérance de la frustration des désirs, prévisions et expectatives est très succincte.

Le « tout et aussitôt » touche en plein le monde des sens et crée un grand impact sensoriel,

d’où s’origine l’idée que l’existence est une recherche spasmodique d‘absence de préoccupation et de plaisir pour laquelle le corps est un simple instrument. Et si sentir du plaisir est en soi-même une caractéristique de l’être humain et indique une capacité positive, le problème surgit quand on s’appuie sur une motivation radicale et exclusive des actions humaines, comme cela semble être le cas aujourd’hui, qui se concentre plus sur les sensations que sur l’action elle-même.

Et c’est aussi ainsi que nous rencontrons des frères qui, à partir d’une attitude mûre et d’une option de vie sine proprio qui les immunise face à la persistante tentation de consommer, sont capables de différer les désirs et de bien gérer la frustration de ces mêmes désirs. La vie du Frère mineur est appelée aujourd’hui plus que jamais à être un modèle de vie alternatif qui produit liberté et joie et qui dénonce, avec douceur et opiniâtreté, un esprit de consommation qui produit l’insensibilité, l’esclavage et l’idolâtrie.

Indifférence, désenchantement, déclin d’une éthique de l’engagement 12. Notre société est une société profondément marquée par l’indifférence, dominée par le

désenchantement et flagellée par le déclin d’une éthique de l’engagement.

L’indifférence se note clairement en relation à Dieu, aux valeurs évangéliques et à l’autre. Dieu ne se renie pas, simplement pour beaucoup ce n’est plus un problème. Les valeurs évangéliques ne se combattent pas ouvertement, mais, simplement, un grand nombre ne les voit plus comme un chemin qui pourrait les affecter. « L’autre » est là mais on se passe de lui et pour beaucoup il compte seulement quand il est utile pour la réalisation de son propre projet.

Fruit du nihilisme positive, le syndrome de l’indifférence est encore plus pervers que

l’affirmation ou la négation, car il se revêt de tolérance, mais impose une fiction de la réalité masquée d’absolutisme du présent, et une culture du « vivre au jour le jour », qui finit par se révéler comme une dictature de ce qui existe. Et le prix que l’on paie pour se délivrer de la charge du passé c’est empêcher d’habiter l’avenir.

Le désenchantement, surtout envers les ressources techniques et scientifiques, se généralise, comme nous l’avons déjà affirmé auparavant, le désenchantement envers les idéaux , érodant la recherche d’horizons utopiques et débouchant sur le déclin d’un éthique de l’engagement, avec l’inévitable recul de la disposition à l’engagement, spécialement si celui-ci est définitif, en faveur de n’importe quel type d’engagement social, surtout en se laissant dominer par la loi du moindre effort et du laisser faire. Notre identité est en jeu

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13. J’ai parlé de désenchantement et c’est la vérité. D’autre part, sans aucun doute, la postmodernité dans laquelle nous sommes pleinement immergés a une grande capacité de séduction, exerce une fascination et est donc attirante, et se convertit pour beaucoup en évangile du moment présent qui s’appuie sur la neutralisation du passé, si ce n’est sur son oubli. Elle entraine pas mal de dangers, en voulant épargner la memoria passionis de l’histoire, elle déracine l’être humain et le convertit en un individu sans mémoire et fluctuant. Son paradigme exclusif c’est l’humanisme biaisé, à partir de la vie réelle, de la subjectivité, de l’intimité. C’est ainsi que l’homme se convertit en un centre d’interprétation de toute expérience, en critère de décision et projet de tout le réel en y incluant Dieu lui-même.

Ce que nous venons de dire interroge et peut conditionner notre identité. Quels aspects de

notre vie peuvent être ébranlés par ce que nous avons appelé sensibilité séductrice de la postmodernité ? Voyons en quelques uns.

L’option pour la vie Notre option vocationnelle de suivre le Christ selon la forme de vie que nous a laissée

François, est une option qui concerne l’ensemble de la personne, et faite pour toute la vie. Notre option vocationnelle en tant que Frères Mineurs se projette à partir d’une perspective qui dépasse le hic et nunc, en s’ouvrant vers un « pour toujours », basé sur la confiance en Celui pour lequel rien n’est impossible (cf. Lc 1, 37), et sur la certitude que tout est possible en Celui qui nous donne la grâce (cf. 2Tim 1, 4; Ph 4, 3). L’engagement pour toute la vie est une des dimensions fondamentales de l’existence de tout Frère Mineur, et exige une fidélité qui, loin d’être une persévérance obstinée basée sur un simple volontarisme, est l’amour qui résiste à l’usure du temps, parce que, si tu es vrai, l’amour ne passe jamais (cf. 1Cor 13, 8).

Et comme Dieu ne nous a pas donné un esprit de couardise, mais bien de force (cf. 2Tim 1, 7), notre option vocationnelle nait aussi de la confiance de pouvoir s’abstraire des données sensorielles et de s’introduire dans la recherche de la vérité, en se laissant attirer par le monde des valeurs, de ce qui est vrai, bon et beau, et transcendant le moment présent mutable et passager, pour saisir le sens de la vie et de l’amour, de la capacité d’entrer en relation et de la sexualité, jusqu’à découvrir bien au-delà des sentiment, des désirs, des passions, quelque chose de définitif et de stable, un élément qui est la source de toutes les affections et qui fait que chaque rencontre ait du sens.

Option pour Quelqu’un qui nous transcende Une autre caractéristique de notre forme de vie, c’est qu’elle est fondamentalement orientée

vers quelqu’un qui nous transcende, vers quelqu’un qui est au-dessus de nous-mêmes. En d’autres mots, notre forme de vie nous projette vers la découverte de la réalité cachée au-delà de l’immédiat, et à avoir le courage de faire une option et d’embrasser toutes les valeurs essentielles de notre identité, de telle manière que nous soyons disposés à risquer même la vie pour Celui qui nous a aimés le premier.

C’est de là qu’a du sens le renoncement qui fait partie de toute existence et donc aussi de la

vie religieuse et franciscaine. Pour ce motif celui qui n’apprend pas à renoncer s’éloigne de plus en plus de la réalité et de la possibilité d’accomplir quelque chose de sérieux et définitif dans sa vie.

Vivre à partir de la logique du don

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Notre vie n’a pas de sens à partir d’une perspective narcissiste, courbée exclusivement sur elle-même, perspective qui n’a rien à voir avec une saine auto-estime. Notre vie est pour l’Autre et pour les autres. Notre réalisation personnelle en tant que Frères Mineurs passe nécessairement par le don de soi inconditionnel, et à fonds perdu, au Seigneur et aux frères. « Je me livre de tout cœur à cette Fraternité », que nous avons promis le jour de notre profession (CCGG 5 §2). Nous avons accepté librement de vivre en attitude oblative et à partir de la logique du don, comme alternative prophétique à la logique du prix, du pouvoir et de l’avoir (cf. PdE 12). Option de vie contre-culturelle

14. Étant donné ce qui a été dit, nous devons être bien conscients que notre forme de vie,

notre option de vie comme Frères Mineurs, dans le contexte culturel dont nous avons à peine tracé quelques traits saillants, est contre-culturel. En effet, notre option de vie a la prétention, certainement une prétention évangélique, d’être une alternative à cette culture, car elle naît comme toute vie consacrée pour réaffirmer la caractéristique fondamentale de l’être humain: l’ouverture inconditionnelle à l’Autre et aux autres pour être soi-même, et la capacité de relation avec Dieu, avec les autres - ceux qui sont proches et ceux qui sont loin-, et avec les créatures.

Mais notre vie sera une alternative dans la mesure où elle sera attentive et vigilante pour ne pas être victimes de cette culture du cellophane, de l’apparence que nous critiquons avec raison, du virus subtil de l’individualisme, du « selfisme » et du narcissisme, d’une recherche obsessive de l’autoréalisation, de la spontanéité mal comprise… Notre vie, si elle veut continuer à être alternative, significative et signe lisible, en premier lieu pour nous .mêmes et ensuite pour les autres, doit être en alerte pour ne pas se laisser arracher violemment par les tendances négatives de la culture actuelle que nous avons signalées auparavant. Si nous ne voulons pas perdre des lieux et des espaces de relations et d’identification, et vivre dans une identité précaire, fragile et liquide qui sans cesse se questionne elle-même et revient sur les options qu’un jour on a faites comme définitives, cédant à un relativisme qui prétend que ce qui est aujourd’hui demain peut-être ne sera plus, nous devons vivre en attitude permanente de discernement.

Dans ce contexte d’une option de vie contre-culturelle, je réaffirme une forte conviction

personnelle : la formation permanente et initiale doit être beaucoup plus exigeante qu’elle ne l’est actuellement, ce qui ne veut pas dire qu’elles doivent être rigides, à tout le moins. Appelés à être des maîtres en humanité, notre formation, celle que nous recevons et que nous donnons, doit conjuguer l’humanité et la radicalité évangéliques. Seulement ainsi nous nous préparerons, comme il convient, à donner raison de nos options vocationnelles dans un monde comme le notre, où ces options ne sont plus valorisées et paradoxalement sont toujours actuelles.

Ce n’est pas la permissivité pour nous-mêmes et avec ceux qui frappent aux portes de nos

maisons qui nous préparera à être prophètes dans une société qui a tellement besoin de témoins prophétiques. Les temps qu’il nous est donné de vivre ne sont pas pour les peureux mais pour des hommes droits « enracinés et édifiés dans le Christ, fermes dans la Foi » (Col 2, 7), solidement plantés dans une espérance qui ne trompe pas (cf. Rm 5, 5).

Notre formation doit beaucoup travailler certains thèmes, entre autres: la confiance de base,

l’approfondissement de la foi et de l’expérience croyante, la passion pour le Seigneur et pour l’humanité, l’autodiscipline, le sens d’appartenance à l’Ordre, à l’Église, au Christ et la fidélité. Tout un défi bien sûr, mais dans la réponse que nous lui donnerons se jugera notre propre identité. Quels défis, parmi ceux signalés auparavant, crois-tu avoir le plus d’influence sur ta vie en ce moment ? Comment la société liquide dans laquelle nous vivons questionne t’elle ton identité de Frère Mineur ? Comment entends –tu répondre ces questions et à ces défis?

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Quels aspects positifs crois-tu que la « nouvelle culture » a apporté dans notre vie ? Comment la formation que nous recevons avec fidélité nous prépare t’elle à accueillir la fidélité, face à une société comme la nôtre ?

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II UN DÉFI IMPORTANT:

REVITALISER NOTRE VIE ET MISSION

POUR ÉVANGÉLISER LA POSTMODERNITÉ

“Vin nouveau dans des outres neuves” (Mt 9, 17)

15. Notre époque n’est pas un milieu hostile à l’expérience de Dieu, et n’interdit pas d’assumer l’Évangile comme Règle et vie, ainsi que nous en avons fait profession dans l’Ordre des Frères Mineurs (cf. Rb1, 1). La postmodernité est simplement une occasion diverse de vivre l’expérience de Dieu et notre condition de consacrés à la cause de l’Évangile. C’est une nouvelle manière de voir le monde et la vie qui, naturellement, a des conséquences importantes sur notre manière de vivre. Dans ce contexte, le défi principal qui se présente, et auquel il faut donner une réponse adéquate de toute urgence, c’est de revitaliser notre vie et mission comme nous l’a demandé le dernier Chapitre général de 2009(cf. PdE 31).

Cette revitalisation demande entre autres choses de mener une vie radicalement évangélique,

d’être significatifs, de communiquer du sens et de réviser notre identité de Frères Mineurs. Une vie radicalement évangélique

16. Le temps où nous vivons, « riche d’espérances, de projets et de propositions rénovatrices acheminées pour renforcer la profession des conseils évangéliques », est aussi un temps délicat et difficile comme nous le rappelait déjà Vita Consecrata (cf. VC 13). La vie religieuse, et avec elle la vie franciscaine, a besoin d’une rénovation profonde qui, à partir de la fidélité créative (cf. VC 37) au propre charisme, les amènent à répondre aussi aux signes des temps et des lieux, « des voix que l’Esprit nous lance et qui demandent une réponse » de notre part (cf. PdE 14). L’effort de revisiter l’identité propre dont je parlerai dans la troisième partie de cette lettre vise précisément cela. Dans cet engagement nous ne pouvons que partir de l’Évangile. Si toute vie religieuse comme l’affirme Benoît XVI naît de l’écoute de la Parole de Dieu (cf. VD 83), je crois que la vie franciscaine tient surtout son originalité au sein de la vie religieuse du fait qu’elle professe l’Évangile comme « Règle et vie » (Rb 1, 1).

Confrontés à la fatigue, à la routine, en y incluant l’immobilisme que nous dénonçons si souvent, si nous voulons raviver le feu qui couve sous la cendre de notre vie et mission, il ne suffit plus de faire une analyse de la situation actuelle, ni même de penser des stratégies qui visent à orienter notre avenir. Aujourd’hui, il est absolument nécessaire de partir de l’Évangile, origine de notre fraternité, de le vivre à tout moment et circonstance en ses exigences les plus radicales comme fondement de notre vie quotidienne et premier et ultime critère de nos options, aussi bien individuelles que fraternelles. En définitive, ce qui urge, c’est d’écouter et d’obéir à ce que nous demande Jésus au début de sa mission : « Convertissez-vous, c'est-à-dire, croyez à l’Évangile » (Mc 1, 15). Dans ce contexte, il est nécessaire de nous laisser habiter par l’Évangile, élément déterminant de ce que nous sommes et de ce que nous faisons. Non pas un Évangile qui soit simplement doctrine ou morale, moins encore une idéologie, mais un Évangile assumé comme forme de vie et transmis plus par la vie que par les paroles.

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Chers frères Under ten, le monde et aussi notre société postmoderne ou préchrétienne,

comme l’appellent certains, a besoin de témoins, d’évangiles vivants, comme le fut François. Nous les disciples du Christ, et encore plus ceux qui ont fait profession de vivre l’Évangile, nous sommes tous appelés à être exégèse vivante de la Parole, c'est-à-dire, du Christ lui.-même, comme nous le demande Benoît XVI (cf. VD 83). Nos contemporains ne suivront certainement pas ceux qui s’approprient l’Évangile comme une lettre morte, ceux qui « désirent seulement connaître les mots et les interpréter aux autres », mais bien ceux qui se laissent vivifier par l’esprit de la divine Écriture et « par la parole et par l’exemple » les restituent aux autres (cf. Adm 7, 3-4). C’est l’heure des témoins et aussi des maîtres, chaque fois qu’ils sont témoins (cf. EN 14). Le moment est arrivé d’accueillir l’Évangile en toute disponibilité, comme Marie, pour être ses témoins, en fraternité, face à un monde qui en de nombreuses occasions a trop de raisons de se méfier de nous. C’est votre heure! Dans la narration de l’impression des Stigmates, le Docteur séraphique nous dit qu’une fois « conclu le délai de 40 jours qu’il s’était proposé de vivre dans la solitude », François, l’ami du Christ « descendit de la montagne […] portant l’image du Crucifié » (LM XIII, 5). François n’est déjà plus seulement le héraut du grand Roi, mais l’icône vivante du Crucifié, sa reproduction et copie vivante. François est un avec le Christ. L’amant, François, s’est transformé intérieurement et extérieurement en l’Aimé, Jésus Christ. Avec raison, le Poverello est appelé alter Christus. Voilà, mes chers frères, la première forme d’évangélisation de la société où nous vivons: en étant des paraboles du Christ, ses épiphanies, ses diaphanies.

Un groupe de Grecs veut voir Jésus et Philippe sert d’intermédiaire (Jn 12, 20- 21). Aujourd’hui ils sont nombreux les hommes et les femmes, particulièrement les jeunes, qui veulent voir Jésus. Il dépend de nous, et surtout de vous les frères plus jeunes, de leur montrer Jésus à travers une vie évangélique, une existence transformée par l’amour du Christ, Évangile du Père pour l’humanité. Il dépend de nous, après avoir regardé attentivement le miroir de nous transformer en images de sa divinité (cf. 3LAg12-13). Seulement ainsi, par la parole et par les œuvres, nous pourrons rendre témoignage à sa voix et faire savoir à tous qu’il n’y a pas d’autre Tout puissant que Lui (cf. LOr 9).

Pour François, l’Évangile a un visage bien concret: Jésus Christ, le Fils de Dieu (cf. Mc 1, 1). « Entrons et demandons conseil à Jésus-Christ », dira François à qui lui demande ce que nous devons faire. Ensuite il ouvre le livre des Évangiles (cf. 2Cel 15). Dans le livre se trouve la Parole, dans les mots se cache et parle la Parole. Et étant donné que pour nous comme pour François, l’Évangile est une personne, la personne de Jésus (cf. 2Cel 15; TC 27-29; AP 10-11), il s’agit, alors, de nous identifier à Lui, de nous laisser transformer par Lui, de laisser s’enflammer en nous l’incendie de son amour, un incendie qu’on ne peut contenir, et, après avoir recherché le placet divin, de conformer toute notre vie à la sienne.

Avoir professé l’Évangile comme règle et vie signifie, donc, mettre au centre de notre vie le

Christ, faire l’expérience de l’Absolu, l’accepter comme le tout de notre vie et mission, jusqu’à dire avec François: Tu es le Tout, « le bien, tout le bien, le bien suprême », « Tu es mon tout: richesse à suffisance » (LD 3. 5), ou avec Paul: « Je considère que tout est perte en regard de ce bien suprême qu’est la connaissance de Jésus-Christ, mon Seigneur. À cause de Lui j’ai tout laissé » (Ph 3, 8ss).

D’autre part, parler d’une vie et mission qui a l’Évangile comme règle et forme de vie, c’est parler de radicalité, ou, si on préfère, d’une vie enracinée (ce que veut dire précisément radicalité) dans l’Évangile. Ni ce qui est à la mode, ni ce que font les autres ne doit être un élément de référence à l’heure de discerner et d’évaluer notre vie et mission. L’Évangile, et seulement lui, doit

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être le critère constant de discernement et d’évaluation de notre existence et de tout ce que nous faisons. Seulement ainsi nous pourrons répondre pleinement à notre vocation d’être Évangile vivant, exégèse vivante de la Parole. Assumer d’autres critères de discernement ou d’évaluation nous conduirait très vite à un style de vie marqué par la médiocrité. Et pour un Frère Mineur, la médiocrité est de l’infidélité, une grande infidélité, à la forme de vie embrassée par la profession. Que signifie pour toi d’avoir professé l’Évangile comme « règle et vie » ? Que signifie pour toi l’Évangile? Une idéologie ou une personne, la personne de Jésus? Quand tu dois faire une option importante dans ta vie, tu demandes conseil au Christ, comme l’a fait François? Te laisses-tu questionner par l’Évangile? Fréquentes-tu l’école de l’Évangile ? Quelles expériences as-tu eues dans ta vie pour incarner l’Évangile ? Quelles difficultés rencontres-tu pour y parvenir ?

Les béatitudes et notre vie de Frères Mineurs

17. Une vie dans l’optique de la radicalité évangélique ne peut pas se réduire simplement à l’observance de certains textes, ni à une série de comportements, ni à un retour aux éléments du passé. Une vie en termes de radicalité évangélique comporte d’accueillir le message de Jésus dans sa totalité, de suivre ses traces, comme le voulait le père saint François. Et c’est ici qu’entre en plein le discours sur les béatitudes et notre vie.

Comment pourrions-nous définir les Béatitudes? Les béatitudes sont comme une «espèce de portrait personnel de Jésus Christ » (VS 16). Il est le bienheureux, le saint par excellence, la plénitude de la loi. Ce que Jésus affirme, c’est qu’Il vit. D’autre part, et cela saute aux yeux, les béatitudes sont, selon les mots de H. de Lubac, certains de ces paradoxes dont est plein l’Évangile, grâce auxquels s’éveille l’esprit2. Et c’est parce que cette page de l’Évangile contraste tellement avec notre manière actuelle de penser, de voir les choses et de vivre qu’il doit par force avoir un effet de choc et c’est face à ce caractère paradoxal que ni toi ni moi ne pouvons rester neutres. Et, étant donné que comme tout homme nous sommes appelés au bonheur, et que par la profession nous avons embrassé une forme de vie qui comporte d’observer le saint Évangile, que nous sommes obligés – personne ne nous l’a imposé -, d’assumer les béatitudes comme chemin de bonheur.

Mais l’un d’entre vous pourrait se demander, que veut dire assumer les béatitudes dans sa propre vie? Je pense qu’assumer les béatitudes dans la propre vie comporte de modifier en profondeur notre manière d’exister, notre manière de penser et d’aimer, notre manière de nous comporter et d’agir. En tant que baptisés mais encore plus comme consacrés et Frères Mineurs, nous sommes appelés, en Jésus, à nous convertir en hommes nouveaux, à adopter un nouvel esprit, à acquérir un cœur nouveau. Et c’est cette nouveauté extraordinaire, surprenante, déconcertante que décrivent les Béatitudes : le sort singulier des pauvres, la joie exceptionnelle des persécutés, l’étrange force des doux, l’allégresse inexplicable des affligés, de ceux qui pleurent et sont persécutés parce que Dieu intervient en leur faveur.

Les Béatitudes pourraient se classer en trois groupes. Trois d’entre elles concernent les dispositions intérieures du disciple : les pauvres, les doux, ceux qui ont le cœur pur. Trois d’entre elles concernent l’aujourd’hui et les objectifs apostoliques: elles font référence à la faim et à la soif, aux miséricordieux et à ceux qui travaillent pour la paix. Finalement, le troisième groupe est constitué par ce qui est relatif aux conséquences de l’agir chrétien et de l’engagement apostolique, c'est-à-dire, celles qui parlent des injuriés, des persécutés et des affligés.

2 Cf. H. de Lubac, Paradojas seguido de Nuevas paradojas, PPC, Madrid 1997, 10.

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Ces trois groupes coïncident avec les trois classes de recommandations que Jésus fait à ses

disciples quand il les envoie en mission (cf. Lc 10, 1-20). La première fait référence à l’attitude de détachement et de pauvreté: n’emportez pas de bourse, ni de sac, ni de sandales. La seconde a pour objet la mission: mission de paix et de justice, quand vous entrerez dans une maison, dites d’abord : paix à cette maison. Finalement, la troisième va dans la perspective de la persécution : voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. D’autre part, le chant du Magnificat (cf. Lc 1, 46-55) et les huit signes de l’Esprit dans la Lettre aux Galates (cf. Gal 5, 22-25), offrent, chacun à leur manière, la même totalité des béatitudes, qui comme le texte des béatitudes en Matthieu et Luc, montrent des attitudes paradoxales qui s’opposent diamétralement à la philosophie et aux coutumes du monde.

Et parce que les béatitudes sont le portrait de Jésus, et parce qu’elles orientent sa vie, elles

sont aussi le portrait et englobent la vie du disciple de Jésus. Dans ce sens, les béatitudes sont une catéchèse baptismale et un bréviaire de vie chrétienne, un indicatif qui se convertit en un impératif pour qui voudrait suivre Jésus, appelé à incarner les attitudes décrites dans ce discours. Ce qui veut dire que comme Jésus le disciple est appelé à être à son tour, un signe vivant de contradiction, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, mais sagesse pour ceux qui sont appelés par Dieu (cf. 1Cor 1, 17-29; 4, 9-13).

Ce que nous avons dit du disciple s’applique à tout Frère Mineur, appelé lui aussi à suivre

les traces de Jésus (cf. 1P 2, 21), et à posséder ses sentiments (cf. Ph 2, 5). La suite du Christ dans notre vie s’accompagne d’une configuration réelle et progressive à Lui. Par ailleurs, notre vie est une option fondamentale pour le Christ et une recherche passionnée du Royaume que le Seigneur annonce et promet dans le sermon de la montagne. En tant que Frères Mineurs, citoyens du Royaume, nous sommes appelés à incarner le programme de vie que contiennent les Béatitudes, à vivre le style de vie que contient ce programme.

Comme chaque disciple, nous aussi les Frères Mineurs nous sommes appelés à faire des

Béatitudes un critère quotidien de vie, en cherchant à nous rassasier de la justice du Royaume, en étant intègres et purs de cœur, en souffrant parce que ce monde est distant de la justice mais, en sachant aussi, que Dieu changera cette situation. Comme tout disciple qui se considère comme tel, le vrai Frère Mineur restera humble devant Dieu et devant les hommes et, plein de patience se livrera aux autres sans les juger, en leur pardonnant, en les aidant et en étant médiateurs de leurs conflits. Et si cela l’amène à être persécuté, il doit se considérer béni et heureux, car il aura la vie éternelle en héritage.

La vie religieuse, et avec elle, la vie franciscaine sont impensables sans la présence des béatitudes, sans leur radicalisme, sans leur esprit. Paul VI le demandait déjà lorsqu’il affirmait que dans la vie religieuse, on a besoin « d’une vraie initiation orientée à la christianisation de l’être au plus intime, selon les béatitudes évangéliques » (ET 36).

Ce qui implique de vivre en attitude permanente de conversion, qui s’exprimera dans un changement de logique. Passer de la logique « économique » qui domine dans notre société et consiste à obtenir le plus grand bénéfice avec le plus petit effort et au moindre coût, à la logique du Royaume qui consiste à atteindre le plus d’amour, peu importe ce que cela coûte, et même la mort. Voilà la logique que nous présentent les Béatitudes: « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35; cf. Lc 14, 12-14). C’est la logique du don à fonds perdu, sans intérêt personnel et sans rechercher la manière d’être payés ou restitués.

« Bienheureux… »

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18. Le mot clé qui se répète au début de chaque béatitude et qui donne son titre au sermon

de la montagne ou de la plaine, c’est « bienheureux ». En grec makários peut se traduire par « béni, fortuné, heureux, comblé », et exprime la condition de l’homme sur qui repose la bienveillance divine, arrivant ainsi à la réalisation de ses aspirations les plus élevées. Une personne ainsi comblée est heureuse car elle se sent aimée par un amour fidèle et se rend compte que sa condition, humainement parlant malheureuse, a finalement été valorisée et exaltée.

Dans les Béatitudes, Jésus parle à tout candidat au bonheur, et aussi à chacun de nous, à

chacun de vous, mes chers jeunes frères. Le Maître parle à notre cœur inquiet, à notre soif d’amour, à notre besoin de bonheur, au besoin qui habite au plus intime de notre cœur d’être reconnus dans notre identité la plus authentique, aimés par pure affection, totale et belle, qui dure pour toujours. Chers frères: je vous invite à vous situer, même si pour de brefs moments, au pied de la montagne, où parle Jésus, selon la version de Matthieu, que nous suivrons dans un bref commentaire. Là, très près du lac de Galilée, cette même Parole de Dieu qui résonna sur le Sinaï pour donner à Moïse la Loi écrite, est celle qui se fait entendre à nouveau en Jésus sur la « montagne », avec une grande différence : alors que la Loi ancienne était écrite sur des pierres, la Loi nouvelle est inscrite dans le cœur de l’homme. Des lèvres de Jésus nous écoutons :

Bienheureux les pauvres (cf. Mt 5, 3; Lc 6, 20), ceux qui laissent tout pour Jésus (cf. Lc 5, 11), et optent pour ne pas compter, pour être des mendiants de Dieu, des mendiants de sens. Dans la logique franciscaine, la pauvreté radicale s’exprime dans le vivre sine proprio, vivre libres de n’importe quel lien : libres par rapport à soi-même, sachant que l’on vaut ce que l’on est devant Dieu et rien de plus (cf. Adm 19, 1-2); libres par rapport à Dieu, en restituant au Seigneur Dieu tout ce que l’on reçoit (cf. Adm 18, 2), et se glorifie seulement des ses faiblesses (cf. Adm 5, 8); libres par rapport aux autres, sans s’exalter pour ce que Dieu dit et fait à travers lui, pour ce qu’il dit et fait à travers les autres, et qui n’exige pas de donner aux autres ce qu’il n’est pas disposé à donner lui-même (cf. Adm 8, 3; 11, 2-4; 17, 1-2), libres par rapport aux choses, en les méprisant et en restant libre de ce qui emprisonne (cf. Adm 16, 2). Le riche se considère fortuné parce qu’il peut se réjouir de ce qu’il possède. Les pauvres, comme François d’Assise, boivent le bonheur d’une autre source : de ce Dieu en qui ils ont confiance. Le pauvre c’est celui qui, en s’appuyant sur Dieu, s’abandonne entre ses mains. Le pauvre, c’est celui qui est tellement pauvre, tellement pauvre qu’il n’a que Dieu.

Bienheureux les doux (cf. Mt 5, 4), ceux qui vainquent le mal avec le bien, les humbles devant Dieu, les patients et bienveillants avec les gens (cf. Col 3, 12-14). Voilà la véritable douceur. Face à la dureté et à l’autojustification pharisaïque, le doux est humble face à Dieu, car il est conscient de son péché, devient tendresse, consolation et force pour ces autres dont il supporte les peines (cf. Adm 18, 1). Appelés à être doux, nous Frères Mineurs nous voulons suivre le Seigneur doux et humble de cœur (cf. Mt 11, 29). Le Frère Mineur qui est doux face au très haut, tout puissant et bon Seigneur, se demande comme François ce qu’il doit être; et auprès des autres, il ne s’impose pas, il est maître de lui, et il est toujours disposé à s’abaisser et à s’humilier (cf. Adm 10, 3; 22, 2).

Bienheureux ceux qui pleurent (cf. Mt 5, 5; Lc 6, 21), ceux qui partagent les joies et les tristesses, les angoisses et les espérances de nos frères les hommes. Et non seulement les partagent mais aussi : se com-passionnent. Les Frères Mineurs, conscients que notre vocation est de suivre le Christ (cf. 1P 2, 21; Rnb 22, 2: Adm 6, 1-2), à qui nous désirons ardemment appartenir, veulent s’ouvrir aux souffrances et aux espérances des hommes et du monde, parmi lesquels notre consécration évangélique se greffe, dans le but d’être nous-mêmes la consolation de ceux qui pleurent, et ainsi un signe particulier de la présence de Dieu.

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Bienheureux les affamés et les assoiffés (cf. Mt 5, 6; Lc 6, 21). Affamés et assoiffés de Dieu, du Dieu vivant et vrai (1Th 1, 9), nous voulons être des Frères Mineurs durant toute notre vie. Affamés et assoiffés de justice pour ceux qui sont lésés dans leurs droits par une situation sociale injuste. Affamés et assoiffés d’une justice qui n’est pas celle des pharisiens, tissée non pas sur la d’observances et de rites (cf. Mt 5, 30), mais bien d’une justice qui consiste à aimer les ennemis, à faire le bien à ceux qui nous haïssent, à bénir ceux qui nous maudissent, à prier pour ceux qui nous maltraitent (cf. Lc 6, 27s), en montrant à tous son amour par les œuvres (cf. Jac 2, 18), (cf. Adm 9, 4). Affamés et assoiffés d’une justice qui est fraternité universelle, amour sans mesure pour nos frères, peu importe leur aspect: amis ou ennemis, de chez nous et étrangers, proches ou lointains, riches ou pauvres.

Bienheureux les miséricordieux (cf. Mt 5, 7), ceux qui ont des entrailles de miséricorde et agissent avec tendresse maternelle, comme agit Dieu lui-même (cf. Lc 6, 36), ceux qui ne s’affligent pas de l’injustice subie (cf. Adm 9, 2; 10, 1); ceux qui pardonnent toujours sans s‘ériger en juges ; ceux qui ne nient pas leur miséricorde à ceux qui la demandent et qui l’offrent à ceux qui ne la demandent pas (cf. LMin 7ss); ceux qui suivant l’exemple du Christ (cf. He 4, 15), ne posent aucune condition pour avoir compassion des faiblesses d’autrui. Dans le Seigneur, nous les Frères Mineurs nous expérimentons la miséricorde que Dieu nous montre. Du Christ nous apprenons à être miséricordieux.

Bienheureux ceux qui ont le cœur pur (cf. Mt 5, 8; Adm 16), ceux qui adhèrent intérieurement et sans condition à la volonté du Seigneur (cf. Ps 24, 4), ceux qui comme Marie disent en vérité: « Je suis la servante du Seigneur, qu’il advienne en moi selon ta Parole » (Lc 1, 38), et ceux qui, comme François, une fois écouté l’évangile de la mission, le mettent immédiatement en pratique (cf. 1Cel 22). Ils ont le cœur pur ceux qui ne retournent pas au vomissement de leur volonté propre (cf. Adm 3, 10), ni ne s’en approprient (cf. Adm 2, 3), sinon que par la parole et l’exemple mettent en pratique la volonté du Seigneur (cf. Adm 7, 4); et ceux qui ne cessent d’adorer le Seigneur vivant et vrai avec un cœur et un esprit purs (Adm 16, 2). Étant donné que nous avons promis d’observer fidèlement l’Évangile (cf. Rb 1,1), nous les Frères Mineurs nous pouvons dire que cette béatitude est la base de toutes les autres.

Bienheureux les artisans de paix (cf. Mt 5, 9), les constructeurs de fraternité, ceux qui

travaillent sans s’épuiser afin que tous se sentent et se respectent comme des frères, ceux qui vivent pleinement réconciliés avec eux-mêmes, avec autrui et avec Dieu; ceux qui mettent leur confiance non pas dans la guerre, mais dans le dialogue et le respect de la justice et dans le pardon inconditionnel; ceux qui se reconnaissent et reconnaissent les autres comme des enfants d’un seul et unique Père; ceux qui « en tout ce qu’ils souffrent dans ce siècle, à cause de l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ, conservent la paix dans l’esprit et le cœur » (Adm 15).

Bienheureux les persécutés pour la justice (cf. Mt 5, 10; 1P 3, 14; 4, 2-19), ceux qui, à cause

de leur amour pour le Père et pour les frères, combattent le mal sous toutes ses formes; ceux qui sont persécutés à cause de leur foi dans le Christ et de leur fidélité; ceux qui ne regardent pas en arrière après avoir mis la main à la charrue (cf. Rb 2, 12-13). Chers frères: voici notre programme de vie: faire de Jésus notre vie et notre règle de vie : voilà la bonne nouvelle que nous apportée Jésus, que les sages ne peuvent comprendre mais que l’Esprit donne à entendre aux pauvres et aux simples, comme François (Cf. Mt 11, 25). Voilà notre manière de vivre et d’annoncer ce que nous vivons, comme l’a fait la fraternité franciscaine dès ses origines (cf. PdE 7). Relire une fois encore le texte des Béatitudes :

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Comment te sens-tu face au programme de vie que nous offre Jésus dans le sermon de la montagne ? Quels aspects découvres-tu qui sont en consonance avec ce sermon, et quels aspects dois-tu travailler pour que les Béatitudes soient un critère de ton être et ton agir? Comment intégrer de plus en plus les béatitudes dans ta vie ? Être significatifs, communiquer du sens 19. Nous touchons ici, mes chers frères, un aspect fondamental de notre vie: le besoin d’être significatifs, c'est-à-dire, de produire du sens, de communiquer du sens.

Si notre vie est en crise ce ne sera pas parce que nous diminuons ou parce qu’augmente notre moyenne d’âge, mais c’est parce que parfois nous devenons insignifiants. Si c’était vrai, ce serait un signe clair de notre décadence. Contre ce que nous pensons souvent et ce que pensent beaucoup, la décadence de la vie religieuse et de la vie franciscaine ne réside pas dans la diminution numérique, mais dans la terrible possibilité que le sel –le sel de notre vie - , perde sa saveur et que la lumière – la lumière de notre forme de vie-, reste cachée (cf. Mt 5, 13-16).

Il est clair que lorsque nous parlons du besoin d’être porteurs de sens, nous insistons sur la

signification évangélique, celle qui renvoie à l’Évangile selon la forme de vie que nous a laissée le père et frère François. D’autre part, l’interrogation sur le sens se greffe sur la capacité d’être un langage de témoignage qui détecte les questions de l’homme sur soi-même et sur le sens ultime de son existence.

D’autre part, parler de sens c’est parler de signes qui soient visibles, crédibles, éloquents et,

dans notre cas, franciscains. Le signe est valable s’il est clair, éloquent et transparent. De même notre vie. Mais attention: la significativité disparait et fait disparaitre les valeurs quand on pense seulement à renforcer l’extérieur, les formes, les œuvres, et on oublie les racines, l’essentiel, les ciments de notre vie et mission. Il est évident que nous avons besoin de signes extérieurs, comme peut l’être l’habit – le signe ou est visible ou il n’existe pas – mais il doit être en même temps, crédible et éloquent, et cela ne sera possible que s’il est accompagné et expliqué par la vie. Et non pas par n’importe quelle vie mais par une existence qui réponde aux exigences de la forme de vie embrassée lors de notre profession3, une existence qui renvoie à l’Essentiel que nous voulons annoncer par la vie et la parole. Un signe extérieur ne servirait à rien si notre vie contredisait ce que ce signe signifie en lui-même.

Vivre dans l’obéissance, sans rien en propre et dans la chasteté

20. Un des éléments qui peuvent donner plus de sens à notre vie, en plus des autres que nous

verrons en parlant de notre identité, ce sont les vœux. Ces vœux, vécus comme il faut, et par celui à qui a été donnée la grâce de les comprendre (cf. Mt 19, 11), non seulement, conduisent à la plénitude de la vie, mais sont aussi prophétie en acte, comme le fut la vie de certains prophètes (cf. Jr 16, 1ss). Pour ce motif, on ne peut les considérer une propriété privée. Les vœux doivent se vivre de telle forme qu’ils soient des signes lisibles pour l’homme et la femme d’aujourd’hui et, ainsi, puissent contribuer positivement à l’évangélisation de notre société postmoderne. Dans ce contexte, il faut vivre les vœux comme liberté de, du caractère dominateur de la passion, et comme liberté pour, pour aimer Dieu et les autres, spécialement les exclus, ceux qui souffrent, ne sont pas aimés, et cela sans limites, car l’amour authentique, comme dirait saint Augustin, n’a comme limite de ne pas en avoir.

3 Cf. LG, 44.

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Nous lamentons l’éloignement progressif de notre société des valeurs évangéliques et de l’esclavage des choses dont souffre l’homme d’aujourd’hui, de celui du sexe et de l’égocentrisme, mais nous reconnaissions que tout cela est possible à cause des personnes qui devraient garantir à ce monde et à cette société un certain supplément de spiritualité, capables d’empêcher ce processus, ne le font pas: ou parce que nous ne sommes pas convaincus, ou parce que nous avons honte de le faire, ou parce que nous le faisons partiellement et d’une manière peu convaincante ou peu compréhensible. Quelle est la raison ultime des vœux? La vie consacrée, aussi la notre, est, comme dirait J. B. Metz, passion pour Dieu. La passion pour Dieu est contagieuse et contamine l’homme, de telle sorte que la vie consacrée n’est rien d’autre qu’une recherche passionnée de Dieu comme réponse à sa recherche passionnée de l’homme. Cette passion des consacrés nait de notre relation personnelle avec Jésus. Ce n’est qu’à partir de cette passion pour Dieu, de mettre Dieu à la première place, qu’on peut comprendre nos vœux, comme éléments constitutifs de la vie consacrée, et la subordination des passions à la passion pour Dieu. Ainsi, le vœu de chasteté dirige notre passion pour le plaisir vers ce qui est la beauté ; le vœu de vivre sine proprio oriente notre passion pour l’avoir vers tout ce qui est notre richesse à suffisance; le vœu d’obéissance guide et éduque notre passion pour le pouvoir vers ce qui est l’humilité. Ainsi nous pouvons dire avec François que Lui seul est le bien, tout le bien, le bien suprême, Deus meus et Omnia (cf. LD 4. 5). Ainsi donc, les vœux ne sont pas une répression de la passion, ni ne peuvent être vécus comme une répression. Il est évident que les vœux ne nous posent pas de limite, mais il s’agit d’une limitation libératrice de la passion. Même si cela a quelque chose à voir avec la passion, il ne s’agit que du caractère prédominant de la passion. Les vœux pour qu’ils soient significatifs dans le monde d’aujourd’hui, doivent se comprendre et se vivre comme un moyen d’orientation de notre existence vers la passion pour Dieu et la passion de Dieu pour nous, et, à partir de là, la passion pour les autres. Les vœux veulent libérer nos passions de son aspect agressif afin que nous puissions vivre en plénitude la Loi et les Prophètes: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces » (Dt. 6, 5), et ton prochain comme toi-même (cf. Mt 22, 39), et, ainsi, orienter toute notre vie vers Dieu et vers les autres. Pour ce motif, les vœux sont, comme argumentait déjà saint Augustin, une manière de vivre ressuscités, dans la perspective de la résurrection et de l’éternité, une anticipation de la vie à venir. C’est ainsi que les vœux peuvent se comprendre et se vivre comme un potentiel de liberté pour s’ouvrir au toi, et être, ainsi, authentiquement soi-même dans des dimensions stratégiques comme celles liées à la vie affective, au sens d’autonomie et de liberté, à l’instinct de possession. Pensés et vécus ainsi, les vœux ne sont qu’un simple chemin de perfection personnelle, sans volonté de construire de nouvelles relations, délivrées de la manie de possession (sans rien en propre), de la séduction (chasteté) et de la compétence (obéissance), et pouvoir ainsi construire une nouvelle humanité. Dans cette perspective, se consacrer à Dieu par les trois vœux ne signifie pas seulement vivre une forte relation à Dieu, centre du véritable amour (chasteté), richesse à suffisance (sans rien en propre), premier et ultime critère d’action (obéissance), mais aussi vivre avec le Christ pauvre-chaste-obéissant, et, en même temps, engendrer une nouvelle relation avec autrui. C’est ainsi que les vœux créent et disposent à la fraternité et, par après à la vie de relation, la vie fraternelle se convertit en thermomètre de notre vie des vœux. Ceux-ci doivent permettre le passage de la communauté à la fraternité ou communion de vie, de la relation anonyme à l’accueil de chacun comme un don du Seigneur (cf. Test 14), de la compagnie à l’amitié libre et libératrice. Dans ce cadre, l’obéissance sera obéissance fraternelle, fruit de la recherche commune de la volonté

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du Père, la vie d’obéissance sera obéissance fraternelle, fruit de la recherche commune de la volonté du Père ; la vie sans rien en propre se manifestera dans la solidarité et le partage des biens matériels et des biens de l’esprit et la chasteté sera un amour désintéressé, gratuit pour les autres, afin que l’obéissance aux ministres, au sans rien en propre en tant qu’essentialité dans les biens, et à la chasteté comme vie en continence ne coûte rien à l’individu. Les vœux vécus à l’horizon de la liberté de vie évangélique sont donc un signe face au monde et à la société actuelle. Lorsque celle-ci met ses biens en sûreté, se complait dans le plaisir et opte pour la réalisation dans un projet personnel, le consacré, le Frère Mineur met sa sécurité dans le Seigneur, son regard se fixe sur la suite des traces de Jésus et sa réalisation personnelle sur le projet évangélique et sur la forme de vie franciscaine.

Tout pour Dieu, tout pour les autres, en élargissant la tente de notre cœur (cf. Is 54, 1-3), nous commençons une recherche de Dieu qui ne s’achèvera jamais: « notre cœur est inquiet aussi longtemps qu’il ne repose pas en toi », comme le dit Augustin4. Voilà la vraie itinérance du cœur, la plus haute expression de notre pauvreté: être éternellement mendiants de sens. Dans cette recherche, il y a la rencontre et le renoncement (cf. Ph 3, 7-9), mais il y a surtout la passion et la joie; une joie que personne ne peut nous ravir (cf. Jn 16, 22), une joie pour le trésor retrouvé, ce qui justifie d’avoir tout vendu (cf. Mt 13, 44-52) et qui justifie tout renoncement. Il est tellement grand et beau que nous l’ayons trouvé… ! Il est si grand et beau de nous savoir pensés, créés et aimés par Dieu (cf. LegCl 46), que nous ne cesserons jamais de rendre grâces au Père des miséricordes (cf. 2Cor 1, 3) pour la vocation à laquelle nous a appelés et que « notre bienheureux père François, vrai amant et imitateur » du Seigneur » nous a montrée par la parole et par l’exemple » (cf. TestCl 5)! Que te manque t’il ou qu’as-tu de trop dans ta vie pour qu’elle ait une signification évangélique ? Tu renvoies ta vie quotidienne à l’Essentiel? Parlant de vocation : peut-on dire que ta vie est contagieuse? Comment vis-tu les vœux ? Quelles difficultés trouves-tu à les vivre à la lumière de ce que nous avons dit?

Passion pour le Christ, passion pour l’humanité

21. C’est la passion pour le Christ et la passion pour l’humanité qui fait que notre vie est réellement significative et répond à sa mission prophétique. Seulement ainsi notre vie s’ouvrira à l’espérance parce qu’elle sera vécue avec passion dans le présent (cf. NMI 1). La passion, mes chers frères, est un des signes les plus éloquents, visibles et crédibles que peut offrir notre vie. C’est comme le feu qui contamine de chaleur et dont nous ne pouvons pas permettre avec responsabilité qu’il s’éteigne ou que diminue son intensité. Perdre la passion, ce serait comme perdre l’âme de notre vie.

Mais la passion nait d’une rencontre, de la séduction que produit en nous une personne, d’une « affection qui affecte » (4LAg 11), d’une conquête du cœur: « Tu m’as séduit Seigneur et je me suis laissé séduire » (Jr 20, 7). Retournons pour quelques instants à l’expérience de François sur l’Alverne. Le mystère des Stigmates est avant tout un mystère d’amour. L’amant s’identifie avec l’Aimé, l’amoureux. François rencontre l’Aimé, le Christ pauvre et crucifié. Le mendiant de sens et de plénitude par excellence, le Poverello, découvre chez le Christ l’amour –tu es l’amour, dira François dans les Louanges du Dieu très haut (LD, 4). En plus, François découvre chez le Crucifié l’excès d’amour qui le fait crier sans cesse: L’amour n’est pas aimé, l’amour n’est pas aimé, parce que, comme le dit Nikos Kazanzakis, en commentant cet épisode, Dieu est le jamais assez.

4 Cf. Saint Agustin, Confessions, I, 1, 1.

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La Sœur Claire dans son Testament appelle François vrai amant du Christ (TestCl 5) et le Docteur séraphique le cite comme ami du Christ (LM XIII, 3). Voilà ce qu’est précisément François. Un amant et donc, un ami du Christ, jusqu’à s’identifier totalement à Lui et pouvoir dire avec Paul: « Je porte sur mon corps les stigmates du Christ » (Gal 6, 17), et aussi: « Je vis mais ce n’est pas moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal 2, 20). L’amant ouvre un espace pour l’Aimé, tout l’espace que peut ouvrir un homme dans son cœur pour la personne aimée, jusqu’à s’identifier, se transformer et s’y configurer pleinement. Après l’expérience de l’Alverne, le cœur ne lui appartient déjà plus mais est occupé par LUI, qui se convertit en TOUT pour François : « Tu es le tout », pourra confesser le Poverello (LD 3). Deus meus et omnia. Avec raison, saint Bonaventure quand il parle de l’amour de François le présente comme un amour passionné. Dans notre vie, Dieu est tout ou n’est rien. Il ne partage pas d’autel avec les idoles. Notre Dieu est un Dieu « jaloux » (cf. Os 2, 4ss).

Comme je l’ai déjà dit, le problème n’est pas la fragilité ou les nombres qui diminuent, mais la médiocrité. Le vrai défi, c’est de prendre conscience de la pauvreté de sa propre vie et de réveiller le désir d’une vie vécue en plénitude dans la logique de la donation, comme alternative à la logique de l’efficacité, du pouvoir et du gain qui semble être la logique qui domine de nos jours. Oui, ce dont nous devons avoir vraiment peur, et même ce qui doit nous faire paniquer, ce n’est pas la faiblesse mais bien la médiocrité. Mes chers frères: le pire quoi pourrait nous arriver dans la vie, c’est de perdre la passion pour le Seigneur, car alors nous aurions peu de passion pour l’humanité. Le contraire de la passion, c’est l’apathie, la résignation, la routine, c’est l’égocentrisme. Si ces situations se produisaient, notre vie perdrait son sens pour nous et pour ceux qui nous observent. Et alors, il ne resterait que trois solutions: abandonner l’Ordre, mener une vie marquée par la médiocrité ou retourner au premier amour (cf. Os 2, 9). Dans ce cas, il s’agirait d’une suite purifiée, peut-être moins poétique, mais réelle et certainement spirituellement plus mûre.

L’abandon serait la solution la plus facile, mais, si quelqu’un a été appelé à suivre Jésus au

plus près comme Frère Mineur, abandonner serait simplement une fuite en avant et une trahison du Seigneur. Ce serait abandonner le Seigneur, « source d’eau vive » et aller à la recherche d’eau dans des citernes fêlées qui ne peuvent contenir de l’eau (cf. Jr 2, 13). La médiocrité, ce serait d’opter pour une vie sans vie, comme l’Église de Laodicée (cf. Ap 34, 15-16), pour une vie sans couleur qui surgit de la propre identité (cf. Rb 1, 1-2), et sans saveur, c'est-à-dire, sans aucun sens (Mt 5, 13). Pour nous qui avons été appelés à « observer fidèlement le saint Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ » (Rb 1, 1) il n’y a qu’une sortie : cesser de nous adorer nous-mêmes et récupérer la passion pour le premier amour : la passion qui nous a poussés à abandonner les filets qui nous offraient la sécurité (cf. Mt 5, 20), à tout laisser pour suivre Jésus-Christ (cf. Lc 5, 11).

Sens-tu de la passion pour ta vocation ? Dans quelle mesure peux-tu dire avec le Psalmiste « Ferme est mon cœur »? Où se trouve ton cœur ? Comment nourris-tu la passion pour le Seigneur? Comment se manifeste ta passion pour l’humanité ?

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III

UNE TÂCHE URGENTE: REVISITER NOTRE IDENTITÉ DE FRÈRES MINEURS

« Jésus alla dans la montagne et il appela ceux qu’ils voulaient, et ils vinrent à lui. Et il en établit

douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher » (Mc 3, 13- 14). 22. En ces moments d’hiver et en même temps d’aridité, en ces temps difficiles et délicats (

VC 13), une tâche urgente se présente à nous: celle de revisiter notre identité en tant que Frères Mineurs (cf. PdE, mandat 2). Sans une approche renouvelée de notre identité, la fidélité ne sera plus possible, ou, à tout le moins, la fidélité créatrice (cf. VC 37).

L’Ordre, et nous tous avec lui à partir de Vatican II, a suivi un long parcours de clarification et d’actualisation de notre identité charismatique. Nos Constitutions générales sont le fruit de cet effort. Pour leur part, les derniers Chapitres généraux ainsi que le magistère des Ministres généraux, nous pont aidé à poursuivre l’approfondissement du thème de l’identité. Cependant nous nous rendons compte que cela ne suffit pas. Il est temps de passer de l’identité théorique à l’identité existentielle. De la clarté sur les éléments essentiels qu’on ne peut négocier et sans lesquels on ne peut pas parler de vie franciscaine, c'est-à-dire l’orthodoxie, nous devons passer à l’orthopraxie. Avant d’entrer dans ces éléments non négociables, je veux faire quelques précisions sur l’identité. Qui suis-je ? Voilà bien la question fondamentale dans la vie d’une personne. C’est une question ouverte et qui, pour ce motif, doit nous accompagner pendant toute notre existence, aussi comme Frères Mineurs. Par ailleurs, pour nous Franciscains cette demande est fondamentale, car c’est de la réponse que nous lui donnerons que dépendra la clarification de notre identité en tant que personnes et comme Frères Mineurs. Vous, mes chers frères under ten, vous avez fait la profession solennelle et donc une option définitive pour la forme de vie révélée par le Très haut à François et que vous avez assumée par notre profession. Cela pourrait nous amener à penser que tout est clair. Non, l’option définitive ne nous prive pas de l’effort de continuer à revisiter constamment votre identité de Frères Mineurs. Non pas pour remettre en cause l’option faite un jour pas tellement lointain, avec le cœur enflammé d’amour pour Jésus et la conviction que c’est votre vie, mais surtout pour que cette option reste toujours jeune et pour fuir la routine, la fatigue et la médiocrité. Nous pouvons donc dire que l’identité est toujours ouverte comme l’est l’individu lui-même. Tous deux sont des réalités dynamiques. Mais qu’est ce que l’identité ? Je la définirais come le sens progressif de l’être personnel à travers le temps. En d’autres termes et rappelant ce que j’ai dit sur l’obligation de revisiter constamment notre identité pour que elle soit une réalité dynamique, l’identité est continuité, est persévérance, est constance qui donne forme à nous-mêmes, mais c’est aussi l’identification avec une structure intérieure de base sans laquelle il n’est pas possible de se modeler postérieurement. Il faut ajouter à ces éléments que le sens d’appartenance à une structure externe fait aussi partie de l’identité, comme dans ce cas, notre Ordre. Par conséquent, l’identité est ce que je suis et ce que je serai au cours du temps. Comment peut-on unir ces deux éléments ? Il faut d’abord travailler à intégrer ces deux aspects. C’est le travail de la formation permanente. Avec un exemple, pris de la littérature hindoue, je m’expliquerai peut-être mieux. Prends une goute d’eau et jette-la dans la mer. La goutte disparait, mais l’eau reste. Dans notre identité certains aspects changent chaque jour, mais il y a des éléments

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fondamentaux qui doivent rester. Ce qui est valable aussi quand nous parlons de l’individu et de la vie fraternelle ou du sens d’appartenance à l’Ordre.

En d’autres termes et reprenant l’image du monde de la science, nous pouvons bien dire que l’identité est notre DNA, un acide qui se retrouve dans toutes les cellules de notre corps et qui contient les informations génétiques nécessaires pour le développement et le fonctionnement de notre organisme. Dans notre cas, parler d’identité, parler du DNA franciscain, c’est parler des éléments essentiels de notre charisme, discernés à la lumière de l’expérience spirituelle de François et de ses Écrits (cf. CCGG 1, 1-2), et c’est aussi parler des réponses que nous devons donner aux signes des temps et des lieux (cf. PdE 13. 15). Tandis que je laisse à chacun d’entre vous le deuxième aspect, je veux maintenant aborder brièvement les éléments essentiels de notre charisme, en les synthétisant en trois noyaux: la dimension contemplative, la vie fraternelle en minorité, et la mission. Avec le cœur tourné vers le Seigneur

23. Depuis longtemps, nous avons affirmé que la dimension contemplative est la priorité des priorités de notre vie de Frères Mineurs. Rien de nouveau, car nous savons très bien que François invitait constamment ses frères à avoir le cœur tourné vers le Seigneur (Rnb 22, 19) et à ce que rien ne pût arracher leur cœur de Sa présence (Cf. LAg, Rb 5, 2): « Je prie tous les frères, tant les ministres que les autres, une fois tout empêchement écarté et tout souci et toute préoccupation laissés de côté, de faire, de la meilleure manière possible, servir, honorer et adorer le Seigneur Dieu…et faisons-lui toujours une habitation et une demeure (avec l’esprit et le cœur purs) »(Rnb 22, 26-27).

Ce qui est certain, cependant, c’est que cette priorité n’est pas toujours évidente dans notre

vie. Ainsi que j’ai pu le constater dans le dialogue personnel avec de nombreux frères et durant mes visites aux diverses Entités, comme celles que font les différents Visiteurs généraux à l’occasion des Chapitres. D’autre part, un exercice très simple serait suffisant pour nous rendre compte de ce que je dis: les horaires de fraternité et les temps qu’on y prévoit pour la prière communautaire. Dans nombre de nos Entités la prière communautaire s’est réduite au minimum : la prière du matin et des vêpres, et, avec moins de fréquence, l’Eucharistie communautaire. Et que dire de la prière personnelle ? Une autre constatation à ce sujet: la prière personnelle est trop souvent complètement absente de la vie des fraternités.

Face à une telle constatation, nous devons nous questionner sérieusement sur les causes qui nous amènent à reléguer Dieu, Celui à qui nous disons être entièrement consacrés, à la deuxième ou à la troisième place. Cela ne correspond-il pas à une profonde crise de foi ?

Occupés aux œuvres de Dieu, nous courons le risque de L’oublier. Personne n’est exempté de ce danger, même pas vous, mes chers frères plus jeunes. Combien de temps avons-nous besoin pour comprendre que seulement si auparavant nous avons vu le visage de Dieu, si nous l’avons contemplé et si nous le sentons présent dans notre cœur, que nous pourrons le rencontrer dans le monde ? Quand comprendrons-nous, comme le disait Mère Thérèse de Calcutta, que nous pourons seulement trouver une réponse au « j’ai soif » du Christ sur la croix, si avant nous l’avons suivi au Gethsémani et si nous avons donné une réponse positive au « veillez avec moi » ? Quand comprendrons-nous qu’une vocation religieuse a besoin comme les poumons de l’air pour respirer, de la prière pour vivre en plénitude et plus encore, pour simplement se conserver ?

« D’abord Dieu et ensuite les œuvres suivront », disait le Cardinal Nguyen Van Thuan. Par

la profession nous devrions être spécialistes de la recherche et de la connaissance de Dieu,

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considérant tout le reste comme « une perte » et « immondice », car telle est « la sublimité de la connaissance de Jésus-Christ » (Ph 3, 7-9). L’amour du Christ devrait déterminer toutes nos actions, en leur donnant le sens le plus profond. Ce qui implique que n’importe quel autre amour doit s’intégrer dans cet unique amour.

C’est en parlant d’amour que le thème de la prière entre de plein pied, comme expression de notre relation personnelle et spéciale avec Jésus (cf. VC 14), le vrai fondement de notre vie et le seul chemin pour parvenir à une vie qui soit authentiquement contemplative. Mais pas une prière faite montre en main. La dimension contemplative exige du temps, et pas seulement du temps, mais que l’on donne de la qualité au temps consacré à la prière. Ce qui, de son côté, présuppose d’opter pour Dieu, non pas une pensée dévote à laquelle nous nous accrochons appuyer quand nous en avons besoin, car nous n’avons rien d’autre sur quoi nous appuyer sinon l’unique seul véritable appui, comme le Cardinal Nguyen Van Thuan nous le disait à partir de sa longue expérience de prison et de total isolement.

Celui qui a eu la grâce de sentir la présence du Seigneur dans sa vie ne se contentera pas d’augmenter ses connaissances à Son sujet, mais aspirera aussi ardemment à maintenir une relation d’amour avec Lui, au point d’être le centre autour duquel toutes nos forces se coagulent. Voilà la prière, voilà la dimension contemplative authentique: déplacer le centre de notre vie, qui se trouve en nous, vers Dieu, remplacer notre activité par une ouverture passive, la parole par le silence, l’écoute et l’accueil. Seulement ainsi nous répondrons à l’exigence de François d’avoir le cœur tourné vers le Seigneur, ou celle de Claire qui demandait à ses sœurs d’avoir le cœur, l’âme et l’esprit tournés vers Lui (3LAg 12- 13).

Comment cheminer dans cette direction? Entre les médiations à notre disposition pour

encourager la dimension contemplative, je vous en rappelle, mes chers frères, quelques-unes qui sont sans doute bien connues.

Vivre une saine spiritualité

24. Un des phénomènes les plus importants de nos jours c’est la soif de Dieu qui se révèle dans le monde. Même s’il y aurait beaucoup à dire sur cette soif, c’est sans nul doute un phénomène qui devrait nous faire penser. Si nous voulons répondre à cette soif nous devons nous ouvrir à une nouvelle conception de la vie religieuse et franciscaine qui sera plus spirituelle, et ainsi offrir un témoignage de la transcendance. D’autre part, nous sommes convaincus qu’un vrai renouvellement de la vie religieuse doit passer par une saine vie spirituelle. Vatican II l’avait déjà dit: la vie spirituelle apparaissait aux yeux des Pères conciliaires comme la voie maitresse du renouvellement de la vie religieuse (cf. PC 2).

Le monde d’aujourd’hui a soif de spiritualité, mais de spiritualité authentique qui nous conduise à une création incessante, nouvelle, comme la belle métaphore de Jérémie du vase brisé et recomposé nous en offre l’intuition (cf. Jr 18, 1- 6). Une spiritualité basée sur la parole de Dieu, qui est à la base de « de toute spiritualité chrétienne authentique » (cf. VD 86) et sur la liturgie. Laissons-nous modeler par la Parole et la liturgie. Seulement ainsi nous vivrons une spiritualité qui, sans tomber dans un essentialisme anhistorique, nous éloignera d’un existentialisme sans racines.

Dans ce contexte, je vous invite, mes chers frères, à travailler à une spiritualité unifiée, en

tension dynamique et de présence. Une spiritualité unifiée, qui nous fasse fils du ciel et de la terre, en profonde communion avec Dieu et sérieusement engagés avec la femme et l’homme d’aujourd’hui. Une spiritualité en tension dynamique, qui nous fasse à la fois mystiques et prophètes, qui nous permette de sentir l’irruption de Dieu au plus intime de nous-mêmes et de l’histoire, et qui nous amène à réaliser une action transformatrice dans l’histoire selon le projet de

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Dieu. Une spiritualité de présence: disciples et témoins, à la suite de Jésus et ses icônes face à un monde qui a voulu exiler Dieu.

Dit cela, ce à quoi je vous invite mes chers Under ten c’est de vivre une spiritualité

apostolique (cf. VC 74). L’élément clé de cette spiritualité c’est la déclinaison particulière de l’ agapé traduite en amour gratuit (apostolat), qui jaillit de l’amour réciproque (fraternité). Spiritualité apostolique ou « spiritualité de l’action » qui se donne dans la mesure où il y a un dialogue permanent entre contemplation et action. Il ne s’agit donc pas de vivre l’apostolat comme dispersion des énergies spirituelles et la prière comme un moment nécessaire pour recharger les batteries. Il s’agit de vivre la circularité de l’apostolat et de la prière comme deux moments d’un même processus de croissance spirituelle et de sanctification.

Ce qui a été dit suppose sans nul doute une spiritualité de communion. Le monde

d’aujourd’hui et l’Église elle-même (cf. VC 46) l’espèrent de nous: concrétiser la communion, à travers une spiritualité compréhensible et une pratique de vie bien compréhensible. Cette spiritualité nait de la conscience de la personne d’appartenir radicalement au Christ, qui se traduit toujours historiquement dans une claire appartenance à l’Église, à travers une fraternité/communauté religieuse et ecclésiale bien concrète, où chacun est appelé à vivre sa propre consécration au Seigneur.

La spiritualité de communion met à l’épreuve la vie de l’Esprit dans nos maisons et notre

sens d’appartenance aux autres qui, si cette spiritualité est adulte, conduira l’individu à se comprendre « en unité » avec autrui. Ce qui exige la liberté intérieure, car l’un doit se reconnaitre essentiel pour l’autre et vice versa. Elle met à l’épreuve notre relation avec l’Église. La spiritualité de communion conduit la personne à se comprendre seulement dans l’Église, non pas dans un sens générique, mais dans le concret et le quotidien. Nous sommes Église dans l’Église, et, pour cette raison, nous sommes avec l’Église dans le monde et pour le monde.

Ces principes fondamentaux et valables pour tous les religieux doivent se compléter dans

notre cas par un aspect qui me parait très spécifique de la spiritualité franciscaine. Si notre vocation se configure comme un chemin trinitaire, comme le montre la Lettre à tout l’Ordre, et si suivre la vie évangélique comme l’a suivie François, signifie cheminer sur la voie de la communion trinitaire qui nait de l’infusion de l’Esprit, grandit en suivant les traces du Seigneur Jésus, et parvient à la perfection dans la rencontre avec le Père, donc une spiritualité essentiellement trinitaire (cf. LOrd 62- 65). Dans cette prière apparait, en outre, ce que dans la tradition classique on a nommé la spiritualité des trois voies, et qui, actualisées grâce aux apports des sciences humaines et à la démarche personnelle de foi peuvent toutefois être aussi des indications pour vous mes chers frères under ten. Ces trois voies sont: la purification, l’illumination et l’union (cf. Rnb 23, 8). Cette dernière a comme finalité l’amour sans réserves (LOrd 28-29): « Aimons tous de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit, de toute notre puissance et toute notre force, de toute notre intelligence, de tout notre effort, de toute notre affection … » (Rnb 23, 8). Nous avons tout reçu et tout doit être restitué; nous sommes le temple de la Trinité et tout doit être illuminé par le Dieu qui nous habite. Ainsi la spiritualité débouche t’elle dans la suite radicale du Christ et répond à son objectif final: la rencontre finale avec le Père (cf. Rnb 22, 55). À son tour, de cette rencontre naît le profond sentiment de la fraternité universelle (cf. Cant).

Chers frères Under ten: rappelez-vous que la spiritualité dont l’homme d’aujourd’hui a

besoin c’est celle qui donne et témoigne de raisons d’espérer; une spiritualité visible grâce à la sainteté qui interpelle l’homme postmoderne; une spiritualité non pas autant individuelle que fraternelle, vécue non seulement comme ascèse individuelle mais surtout comme un engagement communautaire dans la réalisation de l’histoire du salut.

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Être de l’argile disponible, mes chers frères, dans les mains du potier. Entrez, à travers

François et Claire, dans le cœur trinitaire de Dieu. Prenez conscience que Dieu imprègne toute votre vie. Soyez conscients qu’il vous crée, vous soutient et vous questionne. Soyez des hommes spirituels et vous serez profondément humains.

Vivre la vie au rythme de la Parole de Dieu

25. Chaque jour, Dieu nous offre sa Parole comme pain quotidien et comme une nouvelle

manne. Elle assure l’alimentation ordinaire de tout croyant et articule son itinéraire de croissance dans la foi. Comme l’affirme Benoît XVI, « la Parole de Dieu est à la base de toute spiritualité chrétienne authentique » (VD 86).

Mes chers frères: pour que la Parole puisse répondre à ce que nous avons dit, nous considérons indispensable d’organiser sa propre journée de telle manière qu’il y ait toujours en elle un espace important pour ce qui est essentiel et central dans la vie. Un espace tellement important qu’il ne se passe pas un jour sans l’assurer, et si essentiel et central que tout le reste pivote autour de cet espace. Dans la vie d’un Frère Mineur, dans votre vie, un jour ne peut pas se passer sans lire, écouter et accueillir la Parole. Je vous prie de prêter beaucoup d’attention et d’être très exigeants pour vous-mêmes en ce domaine. On ne peut laisser passer une journée sans se laisser lire par la Parole, sans permettre à la Parole de brûler dans notre cœur, de nous interpeler, de nous juger et de nous laisser réconcilier par cette même Parole.

Voilà ce que vise la Lecture orante de la Parole : une médiation extraordinaire, consolidée par l’expérience de tant de siècles, afin de lire, contempler et confronter la Parole avec notre vie, et dont les fruits sont les fruits de l’Esprit: « amour, joie, paix, magnanimité, bienveillance, bonté, fidélité, douceur et contrôle de soi »(Gal 5, 22-23). Qu’il ne manque pas entre vous une « solide formation à la lecture orante de la Bible » (VD 86). Pratiquez-la assidûment. L’assiduité à la Lecture orante de la Parole changera vos vies et vous serez de vrais agents de communion et de fraternité (cf. VC 86).

Voilà ce que vise aussi la Liturgie des Heures, cœur battant de la journée de tout consacré, qui fait du temps une « expérience habitée » (A. Cencini), et qui fait de notre temps, fragmenté et insatiable, le temps de Dieu. La Liturgie des Heures est une forme privilégiée de l’écoute de la Parole, qui nous met, en même temps, en contact avec la grande Tradition de l’Église (VD 62). Elle nous permet de vivre la journée au rythme de la Parole. N’abandonnez pas, mes chers frères, la Liturgie des Heures. Ce serait comme gaspiller l’aliment qu’avec l’Eucharistie l’Église nous offre comme alimentation adéquate pour toute la journée.

Voilà ce que vise la récollection mensuelle et les exercices spirituels annuels, le temps consacré au travail de recueillement (R. Guardini), recueillement de la vie autour de ce qui est essentiel et central; temps qui fait aimer la Parole de Dieu et remet de l’ordre dans notre existence, en l’éloignant de la superficialité; un temps qui nourrit la vraie passion, enracinée en Jésus et qui se transforme en passion amoureuse pour la Parole qui est le Christ. Nous avons tous besoin de ces haltes sur notre chemin pour savoir où nous sommes, vers où nous allons, et c e vers quoi nous pousse l’Esprit en nous laissant illuminer et conduire par la Parole.

Voilà ce que vise la célébration de l’Eucharistie. Eucharistie et parole cheminent ensemble,

comme nous le fait comprendre l’Évangile lui-même (cf. Jn 6; Lc 24), et le réaffirme Vatican II (cf. SC 48. 51. 56; DV 21. 26). Parole et Eucharistie s’appartiennent si indissolublement qu’on ne peut comprendre l’une sans l’autre: « La Parole de Dieu se fait chair sacramentelle dans l’événement

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eucharistique » (VD 55). Un jour sans Eucharistie, si on peut la célébrer, est comme un jour au désert sans la manne.

Il faut, mes chers frères que la vie soit vécue au rythme de ces citations de la Parole. Seulement ainsi nous pourrons passer de la lecture au goût de la Parole, de la lectio à la dilectio, de l’intérêt et simple connaissance de la lettre (cf. Adm 7), à la passion et à l’amour intense et vibrant pour la Parole (cf. Ps 103. 105. 119).

Fréquentez assidument, mes chers frères, la parole, apprenez à accueillir Celui qui n’a de cesse de la prononcer, Celui qui se révèle en elle. « Apprenez à connaitre le cœur de Dieu dans les paroles de Dieu »5. Découvrez en elle le Dieu tout aimant pour vous laisser aimer par Lui. Et quand vous la lisez, rappelez-vous toujours: « C’est à moi qu’elle parle, c’est de moi qu’elle parle » (Kierkegaard). Laissez-vous envelopper par ce courant d’amour qu’est la parole et vous apprendrez à parler. Que la Parole soit pour vous une épée à deux tranchants (cf. He 4, 12); laissez-la traverser votre cœur (cf. Ac 2, 37), accueillez-la dans vos esprits, concevez-la dans vos cœurs et engendrez-la par vos œuvres et vous serez mères et frères de Jésus (cf. Lc 8, 19-21).

Esprit de la sainte prière

26. Avoir l’esprit de la sainte prière et dévotion est pour François une priorité absolue,

comme indiqué auparavant. J’ai aussi déjà noté que nous avons des difficultés à maintenir cet esprit, peut-être parce que nous n’avons pas été formés à l’esprit de la sainte oraison, mais à réciter des formules avec plus ou moins d’attention, à dire nos prières.

Dans mes contacts avec vous, vous m’avez très souvent demandé: qu’est ce que c’est prier ?

Quelqu’un m’a même demandé comment je priais. Je réponds à ces questions en me basant sur ma pauvre expérience et à partir d’un effort renouvelé jour après jour pour apprendre à prier.

Suite à ces présupposés, j’ose partager avec vous, chers frères et amis, non sans rougir, un

peu de ce qu’est pour moi la prière. Je pense que la prière c’est laisser traverser toute notre vie par une amitié qui nous illumine. Oui, parce que la prière, à mon humble avis, n’est pas autre chose que l’amitié avec l’Ami: vécue, maintenue et cultivée assidûment au long des heures, des jours, et des années. Prier, c’est se laisser planter dans la terre fertile de l’amour de Dieu pour donner les fruits qui Lui plaisent. Prier c’est l’éloquence de la foi, expression de l’adhésion personnelle au Seigneur (cf. Jac 5, 15). Prier est réponse et recherche. Réponse à ce que Dieu nous dit –notre Dieu est un Dieu qui parle et en qui le Fils s’est fait Parole-, et recherche incessante du visage de Dieu (cf. Ps 26; 63; Cant 3, 2). Prier c’est maintenir un dialogue amoureux, comme celui du Cantique des Cantiques, entre l’épouse et l’époux. Prier, c’est une dynamique de la passivité: nous ouvrir pour que l’Autre nous envahisse, permettre que l’Autre œuvre en nous, s’abandonner pour que l’Autre nous conduise. Pour ce motif, je pense qu’on ne peut pas faire de prière si on ne vit pas au cœur d’une relation d’alliance entre Dieu et soi-même.

D’autre part, précisément à cause de ce que nous avons dit, apprendre à prier est une démarche

qui se poursuit tout au long de la vie, parce que nous avons besoin de toute la vie pour passer du moi au Toi de Dieu. A ce propos, je transcris un conte qui m’a beaucoup plu. Il s’agit d’une conversation entre deux moines, l’un jeune, l’autre âgé. Le jeune dit : un jour je m’étais assis en respectueuse admiration tandis que le vieux moine répondait à nos questions. Je levai la main et je demandai : Père, parle –nous un peu de toi. De moi-même? Répondit-il. Le vieux moine après une longue pause de réflexion dit en épelant : Mon nom était …moi. Mais maintenant … il s’est

5 San Gregorio Magno, Cartas, IV-VII.

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converti en Toi 6. C’est la démarche suivie par les grands priants, comme François d’Assise, qui du moi avec lequel il commença son chemin face à l’image du Christ de saint Damien (cf. PCru), finit par se perdre dans le Toi du Seigneur Dieu unique, comme en témoignent les Louanges de Dieu Très haut qu’il composa sur l’Alverne (cf. LD). Ce qui veut dire que la prière est un grand mystère de pauvreté, étant donné que la prière termine, peu à peu, par éteindre les illusions de l’autonomie et de l’intronisation du moi.

L’orant, le véritable orant, transcende son propre moi jusqu’à obtenir que son cœur batte à

l’unisson du cœur de Dieu. Le vrai orant, c’est l’individu capable de descendre au plus intime de son moi et là de ne plus rencontrer que Dieu, de donner un saut dans la foi et l’appeler mon TOUT. C’est la grande expérience mystique de François sur le mont Alverne.

La prière est dialogue, mais c’est étrange, ce dialogue ne peut se produire sans le silence. Le silence, cet art qui s’est perdu dans notre cité bruyante, dans nos cœurs envahis de rumeurs. Et voici une autre des grandes difficultés que nous trouvons pour prier. Il nous coûte tellement de faire silence à l’intérieur et à l’extérieur de nous-mêmes. Il nous coûte d’entrer dans Son silence, dans le silence de Dieu, de nous laisser travailler par Lui et simplement murmurer : « je t’aime, pardon, merci ». C’est le silence priant qui nous modèlera. Et alors, toi et moi, comme le vieux moine de la fable nous pourrons dire : mon nom est TOI. Et ce Toi, comme pour François sera aussi le TOUT pour nous. Avec les mots du Concile, je te dis : « Entre en toi, là où Dieu t’attend » (GS 14)

Parfois j’ai entendu cette objection: si tout est prière, pourquoi nous retirer pour prier ?

Nombreuses sont les raisons qui pourraient se donner pour justifier la nécessité de la prière. En ce moment, je vous en dirai seulement une. Nous avons dit que la prière est dialogue: dialogue d’ami avec l’ami, dialogue de l’époux avec l’épouse, dialogues entre amoureux. Nous avons besoin de nous retirer pour prier parce qu’Il est l’Ami, parce que nous voulons être seuls avec la personne que nous aimons ou, mieux encore, parce que nous voulons l’aimer.

Mais à la base de tout cela il y a un aspect qu’on ne peut considérer comme allant de soi : la foi.

Sans foi, tout ce qui est dit résonne comme une « musique céleste ». La prière est une activité théologique plus que psychologique, qui présuppose la foi et en même temps la renforce. Mais qu’est ce que la foi ?

La foi, c’est croire, obéir à Dieu plus qu’aux hommes (cf. Ac 4, 19). C’est écouter et mettre en

pratique ce qu’on a entendu et, comme le fit François après avoir entendu l’Évangile de la Portioncule (cf. 1Cel 22); c’est avoir la certitude que l’Obscurité est déjà Lumière et, comme Marie, dire: « Me voici » (cf. Lc 1, 38), même si le mystère de Dieu nous dépasse ; c’est avoir confiance en Celui pour qui rien n’est impossible (cf. Lc 1, 37); c’est aller au-delà de l’orthodoxie confessionnelle, même en la supposant, pour s’abandonner dans les bras de Dieu, avoir confiance en l’aujourd’hui et accepter demain parce que, quelque soit le jour, Dieu s’y trouvera.

La foi donne sécurité face à l’incertitude, courage devant la peur, est lumière dans l’obscurité. La foi fonde ses racines dans le mystère de Dieu et fleurit dans la vie, car comme le dit déjà l’Apôtre : « une foi sans les œuvres est une foi morte » (Jac 2, 17). S’il est vrai que l’étymologie de croire est cor-dare, alors la foi c’est donner le cœur, la mettre inconditionnellement entre les mains de l’Autre. Croire c’est vraiment vivre sine proprio, Lui remettre notre existence, de telle sorte qu’Il soit l’unique Seigneur.

6 Teofane il Monaco, Fiabe dal Monastero Magico (Torino 1988).

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En tenant compte de tout cela, il convient de nous demander comment va notre foi. Nous ne devons pas penser que nous sommes de vrais croyants. Benoît XVI nous le rappelle dans le motu proprio La porte de la foi, par lequel il convoque l’année de la foi qui s’étendra du 11 octobre 2012 au 24 novembre 2013. Appelés à traverser la porte de la foi (cf. He 14, 27), nous devons percevoir la valeur de recommencer un chemin qui dure toute la vie depuis le baptême jusqu’à la visite de la sœur mort corporelle. Appelés à suivre le Christ, nous devons « découvrir à nouveau le chemin de la foi pour illuminer la joie et l’enthousiasme renouvelé de la rencontre avec le Christ », en rappelant que « la foi ne grandit et s renforce qu’en croyant ; il n’y a pas d’autre possibilité d’avoir une certitude sur sa propre vie, dans un crescendo continu, aux mains d’un amour qui s’expérimente toujours comme plus grand parce qu’il a son origine en Dieu ». 7

Je vous demande, chers frères, en vous baisant les pieds par charité qui est Dieu, que vous

n’abandonniez pas la prière aussi bien personnelle que fraternelle. Comme franciscains et religieux, nous devons nous réveiller dans le visage de Dieu. Ne pas prier pourrait produire une tragédie presque inattendue. Vous rappelez-vous l’histoire du monologue d’un prêtre alcoolique que nous raconte G. Bernanos dans le Dialogue d’un curé de campagne: « Peu à peu –dit ce prêtre -, je me suis rendu compte que j’avais abandonné la prière ». N’est-ce pas le drame de tant d’abandons ? Je vous confesse que plus d’un frère m’a fait la même confession que le prêtre alcoolique de Bernanos

La vie franciscaine doit se renouveler ou, si vous préférez, se revitaliser. Mais la vraie

rénovation et revitalisation ne viendront que de LUI. Dans notre époque postmoderne, celle du désengagement, celle de l’use et jette, celle de la pensée fragile, celle de l’observer sans voir, il est courageux d’affirmer : « …sans l’esprit de sainte oraison, il n’y aura pas de renouvellement ni de changement de la personne, encore moins des Entités ».Ce qu’écrivait Paul VI reste valable, très valable : « La fidélité à la prière ou l’abandon de cette même prière sont le paradigme de la vigueur ou du crépuscule de la vie religieuse » (ET 42). Si nous le croyions nous pourrions éliminer tellement …tant de papier, tant de discours, tant de crises, tant d’abandons. Jésus lui-même nous le dit : « Priez pour ne pas succomber à la tentation » (Lc 22, 46). Nous avons besoin de vacare Deo, de donner du temps à Dieu dans nos vies. Seulement ainsi nous serons nous-mêmes.

Ta spiritualité peut-elle se dire apostolique, unifiée, en tension dynamique et de présence, ou est

plutôt une fuite? Quelle place occupe la Parole de Dieu dans ta vie? Combien de temps occupes-tu chaque jour à

sa lecture et méditation ? Comment vis-tu l’Eucharistie quotidienne ? Comment célèbres-tu la Liturgie des Heures, la

retraite mensuelle et les Exercices spirituels annuels ? Combien de temps consacres-tu chaque jour à la prière personnelle ?

7 Benedicto XVI, La puerta de la fe, Roma 2012, 1ss.

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Vie fraternelle en minorité

27. La fraternité est une des notes caractéristiques et fondamentales de notre forme de vie, autant si nous analysons notre charisme que si nous avons sous les yeux l’idée que les gens se font de nous, du plus simple au plus érudit. Être Frère Mineur c’est se sentir Frère et se manifester comme tel. Pour ce motif, nous ne pouvons pas parler de notre identité sans parler de fraternité.

Même si au début François prétendait seulement se convertir à l’Évangile, cependant, dans la mesure où le Seigneur lui donnait des frères (cf. Test 14), il découvrit que l’Évangile ne pouvait pas se vivre ni s’annoncer seul. Le Seigneur lui avait donné des frères pour vivre et annoncer en Fraternité et comme Fraternité l’Évangile que le Seigneur lui avait révélé comme forme de vie. Pour le Poverello, la fraternité sera beaucoup plus qu’un phénomène psychosociologique. Pour le frère universel la fraternité jaillit de l’Esprit du Christ, c’est un don du Seigneur. François nous a voulus frères, frères unis dans le Christ, et fils du même Père (cf. LM 8, 6). Depuis lors, la fraternité est le lieu privilégié de notre conversion et de notre rencontre avec Dieu.

D’autre part, parler de fraternité c’est entrer dans la vision universelle du cœur de Dieu, comme le dit avec justesse M. Hubaut. François ne se contente pas de vivre la fraternité ad intra. La foi dans la paternité de Dieu le conduit à dépasser toute barrière sociale ou religieuse. Pour lui, tous sont frères/ sœurs, même la création comme telle (cf. Cant). De l’hortus conclusus on passe au cloître du monde.

La fraternité chez François est une préoccupation pour toute l’humanité (cf. 1LetF 1-3), un accueil chaleureux et simple de tous (cf. Rnb 7, 14-15), lieu où s’expérimente le pardon (cf. LMin 5-10), on vit la gratuité (cf. Adm 24), chacun s’ouvre à la diversité (cf. EP 85), la tendresse de Dieu se traduit en gestes concrets (cf. Rnb 11, 5-6). La fraternité est la première forme d’évangélisation (cf. Jn 13, 35), car c’est le « miracle » que le monde nous demande aujourd’hui, qu’il espère voir et ressent le besoin de percevoir chez nous. Être frères, enfin, c’est être passionnés par la paix et la réconciliation (cf. Test 23; 1Cel 29; AP 38; LP 84).

Construisant la vie fraternelle

28. De l’importance que François donne à la vie fraternelle se déduit l’importance que tout Frère Mineur doit donner à la vie fraternelle en communauté. À partir de cette option qui caractérise la vie de François et celle de ses Frères, il n’est pas exagéré de dire que nous devrions tous avoir cette passion: celle de créer des lieux fraternels, de construire la fraternité. Il ne me semble pas trop exagéré d’affirmer que notre première conversion est d’arriver à être chaque jour un peu plus frère de tous.

Comment cela est-il possible? La vie fraternelle en communauté comporte, en premier lieu, une vision de foi, ou ce qui est la même chose, d’accueillir l’autre comme don ou présent du Seigneur en dépassant les lois de la convivialité humaine et ses critères rigoureusement électifs-sélectifs. Seul cet acte de foi peut obtenir que nous vivions ensemble avec celui que nous n’avons pas choisi et qui ne nous a pas choisis. Seule la certitude que le Seigneur nous a réunis peut nous conduire à vivre une fraternité capable de vaincre toute différence de caractère, de race, nationalité ou culture.

La vie fraternelle en communauté implique aussi le dépassement de tout égocentrisme. Si l’homme est par sa nature relation, la tentation la plus forte est, précisément, celle de nier cette

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relation, de se fermer en soi-même, de voir l’autre comme un ennemi. Dans ce sens, la vie fraternelle en communion est une vraie forme d’expropriation, de vivre sine proprio.

La vie fraternelle est pour nous inséparable de la minorité et donc de la ferme volonté de ne pas vouloir dominer mais bien de servir. Le service est la clé qui aide à comprendre la spiritualité de François et la clé qui nous ouvre à la fraternité comme il l’a vécue et nous la propose (cf. Rb 6, 3). François fera du service mutuel, vécu dans la simplicité et dans l’humilité, un des fondements de la fraternité, et du ministère du lavement des pieds, le ministère qui nous met tous sur un pied d’égalité (cf. Adm 4). Dans le service, François découvre la sève qui nourrit les relations fraternelles selon l’Évangile. Pour le Poverello, le service est la manière franciscaine d’exercer l’autorité (cf. Rnb 10, 5-6). Dans ce contexte, se convertir à la fraternité signifie laisser graduellement d’être dominateur pour être serviteur des frères.

Le service dont nous parlons demande de connaître ses besoins. La vie fraternelle en minorité et communauté est l’endroit où chacun peut donner, recevoir, et demander avec pleine confiance (Rnb 6, 7-9). Ainsi, la fraternité a besoin de frères qui sachent donner et recevoir en même temps. Pour François, les relations humaines sont créatrices seulement si elles sont basées sur la réciprocité et la confiance.

La vie fraternelle qui a ces caractéristiques est réellement un élément prophétique. Prophétique d’abord pour soi-même car les relations fraternelles me révèlent qui je suis et me mettent face à ma propre vérité. La fraternité me fait découvrir mon péché personnel : mes manques, mes pauvretés, mes craintes d’aimer sans me replier sur moi-même. Prophétique aussi, dans notre monde fragmenté et divisé, dominé par la lutte pour le pouvoir.

Certaines médiations pour construire la fraternité

29. La première médiation que je vois pour construire la fraternité, c’est la formation

permanente. Dans ce cadre nous sommes appelés à assumer la vie ordinaire comme école de formation permanente. C’est la quotidienneté, la vie des jours ordinaires et la normalité le vrai secret de la formation et ce qui fait qu’elle se convertit en permanence. Fuir tout cela serait puéril et nous arrangerait seulement une frustration permanente.

Une autre médiation importante pour construire la fraternité, même si apparemment elle peut

sembler contradictoire, ce sont les conflits. Le conflit, assumé à partir d’une attitude de maturité, peut être un élément vraiment constructif de fraternité. Cette attitude de maturité face aux conflits passe par le dialogue. Et pour que cela soit possible demande intelligence intérieure, pour nous rendre compte que toute relation est une preuve aussi bien de ma maturité que de mon immaturité, et capacité relationnelle, en attitude d’humble écoute, pour arriver à syntoniser ce que l’autre vit.

La communication interpersonnelle est très importante pour construire la fraternité. Cela

peut se donner à trois niveaux: ce que quelqu’un fait, ce que quelqu’un pense et ce qu’il ressent. La communication dont nous parlons est bien plus qu’un simple échange d’idées ou de nouvelles. Communiquer, c’est entrer en relation directe avec « l’autre », à qui je peux appeler « tu ». Communiquer c’est rencontrer un « tu » qui me fait plus « moi »8. Une communication profonde constitue un moment de rencontre entre les personnes. Attention: il n’est pas garanti, et même beaucoup moins, que la comunication sera plus facile dans des communautés homogènes. Ce pourrait être un piège pour créer des frères semblables entre eux ou des membres qui s’auto sélectionnent pour vivre une « fraternité à la carte ». Comme fraternité franciscaine, il faut savoir

8 Cf. Martín Buber, Yo y Tú, Buenos Aires, 1974.

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grandir avec « l’autre », le « différent ». Nous rappelons que « seulement l’ensemble des dons rend épiphanique le corps entier du Seigneur » 9.

Une autre médiation importante, c’est de créer l’interdépendance: la capacité de collaborer

dans un projet commun, pour cheminer ensemble vers un même objectif. Seulement ainsi les groupes disparaîtront et on pourra donner vie à l’expérience de famille.

Une ultime médiation que je veux signaler, c’est le projet de vie et mission. Celui-ci n’a pas

comme objectif l’efficacité opérationnelle, mais de répondre au besoin d’intégrer harmonieusement l’ensemble de notre vie et d’établir une hiérarchie de valeurs qui nous guident dans l’existence de chaque jour et dans la mission. Le projet pour qu’il soit médiation au service de la construction de la fraternité doit assurer une dynamique circulaire de rétro alimentation où s’inscrivent les projets aussi bien personnels que fraternels.

Chers frères Under ten, travaillez infatigablement à la construction de la fraternité. Ne soyez

pas de simples consommateurs. Par la profession, vous vous êtes livrés de tout votre cœur à la fraternité. Cela doit beaucoup s’améliorer parmi nous, et pour y arriver j’ai besoin de vous. Nous avons besoin de vous pour construire des fraternités qui soient des oasis d’humanité et porteuses d’humanité ; des fraternités formées par des personnes de foi qui acceptent avec joie le don des frères dans leur propre réalité, des fraternités où on célèbre et manifeste la joie d’être ensemble à partir de la gratuité ; des fraternités formées par des personnes disposées à vivre de la logique du don; des fraternités avec un tel niveau de communication qu’il permette à chacun de manifester en confiance à l’autre ses besoins ; des fraternités où les relations interpersonnelles sont chaudes et authentiques, construites sur le pardon et la miséricorde ; des fraternités en discernement constant ; des fraternités où on partage la vie et l’histoire vocationnelle; des fraternités où la mission se réalise à partir d’un projet de vie et de mission élaboré par les frères…

La vie fraternelle est un trésor en vases de terre (cf. 2Cor 4, 7), que nous devons

accompagner avec délicate attention de notre part, avec un soin vraiment maternel (Spc 3. 32). La fraternité n’est pas seulement un don qui s’accueille, c’est aussi un programme. En effet, la fraternité évangélique n’existe pas encore. Il s’agit toujours d’un aspect qui reste à construire, c’est une histoire, une utopie créatrice, une tension féconde. Dans cette tâche, belle mais difficile, l’Ordre, mes chers jeunes a besoin de constructeurs de fraternités. Tu te pointes ? L’Ordre compte sur toi. Soyez, mes chers frères, des prophètes de communion et vos fraternités seront prophéties de communion. Voilà le témoignage dont a besoin le monde d’aujourd’hui. Voilà ce que nous Franciscains nous sommes appelés à offrir aux hommes et aux femmes de notre temps.

Quelle note donnerais-tu à ton sens d’appartenance à ta Fraternité, à la Province/ Custodie et à l’Ordre?

Dans quels aspects concrets peux-tu te considérer constructeur de fraternités et dans quels aspects reconnais-tu que tu es seulement consommateur de fraternité ? Comment te considèrent les frères de ta fraternité ?

Comment assumes-tu les conflits ? Que fais-tu pour améliorer la communication dans ta fraternité ?

9 CIVCSVA, Nuevas vocaciones para Europa, Roma 1997, 19.

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Porteurs du don de l’Évangile

30. Appelés à être avec Jésus, nous avons aussi été appelés à prêcher (cf. Mc 3, 14-15). François et ses premier compagnons, affirme Jacques de Vitry « Le jour, ils pénètrent dans les villes et les villages, s’adonnant à la vie active pour en gagner d’autres au Seigneur; la nuit, ils regagnent leurs ermitages ou se retirent dans un lieu solitaire pour s’adonner à la contemplation »10. C’est ainsi que la Fraternité primitive « dès les premiers jours se découvre appelée à annoncer ce qu’elle vit » (PdE 7), et manifeste par sa vie ce que Jean écrivait à propos de l’annonce de l’Évangile : ce que nous avons vu, entendu, touché, voilà ce que nous vous annonçons (cf. 1Jn 1, 1-3).

La mission est au cœur même de la vie religieuse. Le Pape nous le rappelait dans une

audience concédée au Supérieurs généraux. Benoît XVI nous disait : « La mission est la manière d’être de l’Église et, en elle, de la vie consacrée, elle fait partie de votre identité »11. Il n’y a pas de vocation sans mission. Et toute vie consacrée participe à la mission que Jésus a confiée à son Église. (cf. Mt 28, 18; Mc 16, 13).

31. Quant à nous, l’évangélisation et mission sont notre raison d’être. Jean-Paul II nous l’a

rappelé à l’occasion de la célébration du Chapitre général de 1991 quand, faisant mémoire du premier envoi de François et de ses premiers compagnons par le Pape Innocent III (cf. 1Cel 33), il nous a dit: « Je fais mien cet envoi en mission et je le répète à nouveau » 12. L’Ordre nous l’a rappelé plusieurs fois et de diverses manières ces dernières années: Nous sommes une fraternité en mission, affirmait le Chapitre général de 199113; nous sommes une fraternité contemplative en mission, réaffirmait le conseil plénier de Guadalajara14; nous sommes une fraternité appelée à restituer le don de l’Évangile, réitérait le Chapitre général de 200915; ou, comme nous le rappelait l’alors Ministre général, Fr. Fr. Herman Schalück, nous sommes une fraternité appelée à remplir la terre de l’Évangile du Christ 16.

Oui, l’Ordre des Frères Mineurs est une Fraternité missionnaire et évangélisatrice par

vocation (cf. Rnb 9. 12; CCGG 1, 1). Appelés à vivre l’Évangile, nous sommes aussi appelés à le « restituer avec créativité […], en parcourant les chemins du monde en tant que Frères Mineurs évangélisateurs avec le cœur tourné vers le Seigneur » (PdE 10). Vocation et mission ne peuvent pas se séparer : « Qui a rencontré le Christ ne peut pas le retenir pour lui-même mais il doit l’annoncer » (NMI 40). Si nous nous sentons sérieusement interpellés par Jésus-Christ, cela signifie simplement que nous ne sommes pas vraiment entrés en Jésus-Christ Si la mission évangélisatrice inter gentes et ad gentes est « l’indicateur de notre foi dans le Christ et de son amour pour nous » (RMi 11), alors cette même mission évangélisatrice sera un thermomètre infaillible de notre état de santé vocationnel. Si l’ardeur missionnaire venait à manquer chez nous notre vie laisserait facilement d’être significative du point de vue évangélique: l’itinérance se transformerait en stabilitas, la donation inconditionnelle à la restitution de l’Évangile en référence égocentrique, et la radicalité évangélique en médiocrité et embourgeoisement. Appelés à accueillir l’Évangile dans nos cœurs, et donc appelés à être évangélisés (cf. CCGG 86), nous sommes également appelés à ouvrir le cœur de l’homme au don de Dieu, à l’Esprit du Seigneur, à l’Évangile. Voilà ce en quoi consiste précisément la mission.

10 Vitry 9; cf AP 19- 20. 11 Benoît XVI, Audience aux Supérieurs généraux, 26 novembre 2010. 12 Cf. Jean Paul II, Message au Chapitre général de 1991, n. 5, Rome 1991. 13 Chapitre général 1991, L’Ordre et l’Évangélisation aujourd’hui, Rome 1991. 14 Conseil plénier de l’Ordre, Guadalajara 2001. 15 Chapitre général de l’Ordre 2009, Porteurs du don de l’Évangile, Rome 2009. 16 Hermann Schalück, ofm, Remplir la terre de l’Évangile du Christ, Rome 1996.

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32. Ayant accueilli l’appel à « garder le saint Évangile » (cf. Rnb 1, 1), et, en profonde

communion avec l’Église et sa mission, désireux de rendre présent l’Évangile qui est « esprit et vie » (cf. Jn 6, 36) sur toute la terre, nous devons être bien conscients que notre mission doit se nourrir d’une forte expérience contemplative et se vivre en fraternité. C’est là que s’enracine le noyau de notre de notre mission évangélisatrice et c’est de là que nous pouvons répondre à ce que nous demande le Père saint François: aller dans le monde entier pour que, « par la parole et en acte », vous rendiez « témoignage à sa voix » et que « vous fassiez savoir à tous qu’il n’y a de Tout puissant que Lui »( LOrd 9); c’est à partir de ces présupposés que nous pourrons remplir la terre de l’Évangile du Christ.

Dans ce contexte, il faut toujours rappeler que notre mission consiste à placer au centre la

personne de Jésus-Christ. Il ouvrira nos yeux à de nouvelles perspectives et à de nouvelles structures au service de la mission et de l’évangélisation, c’est lui qui allumera dans notre cœur le feu de l’Évangile et nous poussera à courir pour l’annoncer aux autres. Nos programmes et projets de pastorale sont nécessaires. Il faut en finir avec l’improvisation. Mais ce qui les rendra réellement efficaces c’est la suite du Christ en fraternité, dans une constante conversion à l’Évangile.

33. Cette vocation nous oblige à croiser tout type de frontières anthropologiques, culturelles,

religieuses et géographiques, et à partir de la logique du don (cf. PdE 12), nous demande d’être créatifs (cf. PdE 9), de parler un langage compréhensible qui tienne compte des codes de communication de notre monde et rende intelligible le message que nous voulons transmettre (cf. PdE 16), à ressentir de la sympathie pour notre monde (cf. PdE 7), et tenir compte de la réalité socioculturelle de nos peuples (cf. PdE 14), de telle sorte que nous puissions « incarner le message évangélique dans les divers contextes où nous vivons » (cf. PdE 16).

Le document Porteurs du don de l’Évangile nous signale, en outre, le cadre dans lequel doit

s’encadrer la nouvelle évangélisation (cf. PdE, mandat 13). Elle doit être soutenue par une forte expérience de Dieu, car elle est l’axe central de notre forme de vie; elle doit se faire à partir de et comme fraternité, le lieu de la prophétie et de l’accueil « Des paroles de notre Seigneur Jésus-Christ qui est le Verbe du Père, et des paroles de l’Esprit Saint qui sont esprit et vie » (2LetF 3; cf. Adm 7, 4); en collaboration avec la Famille franciscaine et avec les laïcs, car seulement ainsi nous serons signum fraternitatis et nous vivrons la spiritualité de communion; en privilégiant les cloîtres inhumains, les zones difficiles, à risque et proches des plus pauvres, de ceux qui souffrent le plus et des exclus, comme destinataires privilégiés de l’Évangile (cf. Lc, 4, 18-19).

À son tour, la mission qui nous a été confiée se voit interrogée par divers facteurs : la

globalisation, le pluralisme culturel et religieux, le défi de la sécularité et la fragmentation. Face à tous ces défis nous devons avoir des « inputs nouveaux et courageux » (RM 66), pour rencontrer et entreprendre, avec fantaisie et créativité (cf. PdE 9-10), en étant « des inventeurs prophétiques de nouveaux signes » (PdE 25), des chemins féconds et opportuns pour donner une réponse franciscaine, honorable et sincère, aux signes des temps et des lieux.

34. En tout cas, en parlant de mission et évangélisation dans une optique franciscaine, en ce moment de grâce qu’il nous est donné de vivre, on traite d’accorder la priorité à la qualité de vie: La mission/évangélisation « met au centre de nos préoccupations, non pas les méthodes ni les instructions, ni les structures de pastorale mais bien la qualité évangélique de notre vie »17. Outre ce qui fut dit, cette conviction comporte: d’approfondir la dimension théologique de notre vie, c’est à

17 Chapitre général 1991, L’Ordre et l’Évangélisation aujourd’hui, Rome 1991, n. 6.

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dire, d’assumer le dialogue comme un lieu propre à la mission, l’option pour les pauvres et les exclus et pour la justice, de repenser la localisation de nos présences, d’avancer sur la voie de la collaboration entre nos Entités, y inclus avec d’autres instituts, surtout avec la Famille franciscaine.

Tout un programme et toute une méthodologie, mes chers frères. Mais, continuons à nous

demander: qu’est-ce que tout cela exige?

Exigences de la mission/évangélisation 34. Synthétisant beaucoup, je dirais que ce qu’exige la mission/évangélisation, et surtout la

nouvelle évangélisation c’est, surtout, la passion pour la Parole « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile », dira Paul (1Cor 9, 16). L’évangélisation/mission n’est pas une dimension facultative, elle dépend en premier lieu de moi. Je ne peux pas être chrétien, je ne peux pas être un Frère Mineur sans évangéliser, que je sois prêtre ou frère laïc. Nous devons tous nous sentir appelés à participer activement à la mission de l’Église (cf. CCGG 83. 84). Qui a rencontré le Seigneur et a fait l’expérience du Ressuscité, ne peut garder cette expérience pour soi, mais ressent l’urgence de la communiquer et de la restituer aux autres. La mission/évangélisation parle, donc, d’une expérience intense qui qualifie la propre identité, implique le tout de la personne, et qui comporte de se sentir et de se comprendre seulement à partir de ce service. Voilà tout ce qui porte à la passion, à la découverte que dans ce ministère se cache le moi véritable, ce que je suis, ce que je suis appelé à être. Et s’il y a de la passion, alors la mission/évangélisation s’accomplira avec créativité, avec fantaisie, avec pleine consécration et générosité, en n’importe quelle étape de la vie, même dans l’infirmité et la débilité physique, même si de manière diverse, dans la vie apostolique comme dans la retraite du cloître.

Certaines conversions nécessaires

35. Une mission significative dans une optique franciscaine comporte, à mon avis, diverses

conversions :

La première mène à repenser la relation fraternité-œuvres. Nous devons le confesser : actuellement, la mission se confond très souvent avec les œuvres que nous réalisons. La fraternité, dans le meilleur des cas, est pensée comme le moteur qui fait fonctionner les œuvres et il y a beaucoup de frères qui se justifient à partir des œuvres qu’ils réalisent, malheureusement aussi parmi les plus jeunes. Mais l’approfondissement de notre charisme de Frères Mineurs, la laïcisation des activités (pensons aux hôpitaux et aux écoles) et le manque de vocations nous obligent à repenser les choses.

Quand nous parlons de mission/évangélisation, nous pensons à bien plus qu’à des activités

apostoliques. La mission/évangélisation va bien au-delà de ces œuvres. Étant donné qu’elle articule différentes dimensions de notre vie, la mission/évangélisation est appelée à être annonce de la nouveauté du Règne de Dieu. D’où la nécessité, comme déjà rappelé auparavant, d’assumer une conscience renouvelée de l’importance de notre vie pour la mission. Dans ce contexte, je suis pleinement convaincu qu’aujourd’hui nous devons partir de la fraternité pour arriver aux œuvres et non pas le contraire. Nous ne sommes pas une main d’œuvre économique, même pas pour l’Église. Nous sommes des témoins et pour ce motif notre première forme d’évangéliser, bien avant les œuvres et la parole, c’est le témoignage de notre vie (cf. CCGG 86; 89 §1), vécue en fraternité et minorité (cf. CCGG 87 §1-2; 91; 11). Ensuite, et toujours corroborée par la vie, vient la parole (cf. CCGG 89 §2; 100-110).

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Donc, pour qu’une mission soit significative, ce qu’on demande ce sont des fraternités significatives qui se présentent face au monde avec un projet partagé et un projet de vie qui réponde vraiment au projet de vie que nous avons embrassé. Si ce sont des fraternités internationales, mieux encore, car elles seront plus significatives. Dans ce contexte, je vous rappelle, mes chers frères, qu’il ne peut y avoir de place pour des individualismes. Comme nous l’a bien dit le Chapitre général de 2009, « aucun projet d’évangélisation n’est l’initiative ni le patrimoine personnel de quelqu’un ; c’est toujours la fraternité qui évangélise » (PdE 27).

Une deuxième conversion, très en rapport avec ce que nous venons de dire, c’est d’accepter de bon grade (nous convertir) la fécondité missionnaire de la pauvreté, de l’humilité et de la minorité. C’est le chemin du Fils de l’homme, de l’Incarnation, de l’abaissement de Dieu qui vient pour nous donner la vie. C’est le chemin de l’évangélisation, au moins de l’évangélisation franciscaine. François a l’intuition que le cœur de l’homme ne s’ouvre pas à la gratuité, la douceur de Dieu, avec le prestige, la force ou la puissance des médias humains, mais bien avec la puissance de l’amour offert gratuitement. Pour ce motif, la mission pour François, c’est le refus de tout pouvoir. François, c’est l’homme aux mains nues Il ne cherche pas à imposer mais à éveiller et à servir. C’est ainsi que doit être le missionnaire, l’évangélisateur franciscain : simplement un serviteur de la cause de l’Évangile au service des autres.

Une autre conversion nécessaire, c’est le rapport avec les laïcs. Le Chapitre gènèral de 2009

s’en est occupé dans le document final (cf. PdE 25-26). Les laïcs ne peuvent pas se considérer comme de simples collaborateurs ou comme ceux auxquels on confie les œuvres que nous n’arrivons pas à gérer. Les laïcs doivent se considérer comme de réels protagonistes de la mission/évangélisation. C’est ce que reconnaissait le Chapitre de 2009 en affirmant : « Le laïc est de droit un évangélisateur, non pas par une gracieuse concession ni moins encore pour suppléer à nos carences de personnel » (PdE 25). Je pense qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire pour entrer dans une vraie « conversion ecclésiologique » et vaincre, ainsi, la mentalité cléricale qui prévaut encore dans de nombreux cas, même parmi les plus jeunes. L’idée d’une mission partagée mûrit en moi, où il ne semblerait pas étrange que les frères soient au service des laïcs. Même si cela nous conduisait à moins nous affirmer à la première place, la mission/ évangélisation y gagnerait, entre autres parce que cela nous forcerait à nous ouvrir à de nouveaux langages qui rendraient compréhensible le message que nous voulons communiquer.

Une dernière conversion que je veux signaler c’est la nécessité d’habiter les frontières. Je

pense que nous devons nous arrêter sur la route et définir où nous devons être et comment y être. Au moment de répondre aux signes des lieux, le critère de donner continuité à une œuvre, pour importante qu’elle ait été, ne suffit déjà plus. Il faut reprendre consciente de notre identité de Frères Mineurs dans un contexte concret, et avoir la lucidité, l’audace, la sagesse d’adapter nos présences à ces contextes. Seulement ainsi nous pourrons répondre à la dimension prophétique de notre charisme (cf. VC 84). Come franciscains nous sommes appelés à continuer notre glorieuse histoire missionnaire en nous situant dans des lieux de frontière et d’avant-garde, comme l’ont fait nos grands missionnaires de tous les temps.

Tenant compte de la réalité sociale que vivent beaucoup de nos contemporains, nous nous

sentons interpellés à vivre comme des « mineurs parmi les mineurs » (cf. SdP 30), sans jamais oublier que « plus on vit du Christ et mieux on peut servir les autres, en arrivant aux avant-gardes de la mission et en acceptant les plus grands risques » (VC 76).

Mes chers Frères: dans le domaine de la mission, nous devons avoir le courage, et vous en

premier lieu, d’évaluer avec humilité et en toute vérité notre vie entière, nos structures et nos activités évangélisatrices pour voir si elles témoignent ou non de forme significative l’esprit des

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Béatitudes et coopèrent vraiment à la transformation du monde selon le bon vouloir de Dieu. Elle nous permettra de nous ouvrir à de nouvelles présences évangélisatrices (cf. CCGG 87 § 3; 115 §1), « avec une attention particulière aux lieux de frontière » (PdE, mandat 20), aujourd’hui plus nécessaires que jamais si nous voulons répondre aux défis qui nous viennent de notre société et de l’Église elle-même.

Nouvelles formes d’évangélisation et formation dans l’ère digitale

35. La dimension missionnaire est fortement unie à la formation, et celle-ci, à son tour, ne

peut pas échapper aux questions, exigences et provocations de l’ère digitale où elle se met en œuvre. Dans ce contexte, nous ne pouvons pas hésiter à parler de une formation adéquate aux réalités médiatiques et de notre présence dans le monde de l’internet pour mettre le monde on line au service de la mission d’évangélisation. Ce monde présente aussi sa part d’ambigüité. La technologie de la communication atteint sans cesse de nouveaux succès avec un potentiel énorme pour le bien et pour le mal. Il reviendrait à chacun de bien s’en servir et ainsi obtenir d’importants résultats dans la formation et la formation d’autrui, ou de mal s’en servir, se soumettant à la plus grande dégradation humaine et morale que l’on puisse imaginer. Et tout cela, par le simple fait de se trouver face à un écran et un clavier. L’Ordre des Frères Mineurs, engagé à porter le don de l’Évangile à tous et partout ne peut pas ne pas prendre en compte les nouveaux aréopages (cf. RM 37), pour se faire présent en eux et être capable de les évangéliser. Pour ce motif, il ne conviendrait pas de négliger les nouveaux moyens que nous avons à disposition pour l’annonce de la Parole de Dieu. Un de ces moyens, c’est le Réseau (Internet). Tandis que j’en appelle à la responsabilité de chacun sur l’usage du monde on line, je vous invite à faire fraterniser ce monde et à le mettre au service de la mission évangélisatrice, à travers la mission dans le cyberspace. Cette mission, en plus de prendre en compte un des signes des temps, pourrait répondre par des formes nouvelles à l’exigence d’évangéliser notre culture en fraternité (cf. CCGG 87, 1).

Mission inter gentes et mission ad gentes 36. Le dernier Chapitre général de 2009 s’occupa de deux aspects de la mission qu’on ne

peut séparer : la mission inter gentes et la mission ad gentes.

Nous sommes pèlerins et étrangers en ce monde (cf. 2R 6, 2), nous n’avons pas de demeure fixe. François désirait avoir « des frères bons et spirituels, qui iraient de par le monde en louant le Seigneur » (LP 83). Nous, et surtout vous les plus jeunes, vous devez vous efforcer d’appartenir à ce groupe de frères que voulait François. Pour cela, tout comme le Poverello, soyez toujours dépendants de Jésus-Christ, « chemin, vérité et vie » (Adm 1,1). Que le monde soit votre « espace claustral »18. C’est lui, dans ses diverses réalités et situations parfois contradictoires, insérées dans un espace et temps déterminés, qui constitue votre lieu privilégié de mission/évangélisation. Vous vous sentirez itinérants au cœur du monde. Ce qui vous aidera à répondre à notre vocation de missionnaires /évangélisateurs inter gentes et ad gentes.

37. Inter gentes, au milieu des gens, car vous faites partie d’une Fraternité constituée par les

« frères du peuple ». C’est surtout à vous, mes chers frères Under ten, que je répète ce que nous disait Jean-Paul II: « Allez vous qui êtes les frères du peuple au cœur des masses, à ces foules dispersées et abandonnées comme des brebis sans pasteur, celles dont Jésus avait compassion… Allez à la rencontre des hommes et des femmes de notre temps! Ne restez pas à attendre qu’ils

18 Jacques de Vitry, Historia orientalis, cap 32; SC 63.

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viennent à vous. Sortez à leur rencontre. Que l’amour vous y pousse !… Toute l’Église vous en sera gré »19.

En tant que Frères Mineurs, notre évangélisation/ mission est appelée à se réaliser sur les

sentiers de l’histoire, dans un effort constant d’écoute respectueuse, avec une « charité sans masque » envers autrui (cf. CCGG 93, 1); dans une attitude sympathie pour le monde, en projetant un regard positif sur ce monde, « comme condition pour établir un dialogue avec les hommes et les femmes d’aujourd’hui et pour les évangéliser »sans que cela signifie « s’accommoder au monde », et « suspendre le sens critique » dans son approche du monde (PdE 15); en attitude contemplative pour percevoir « les semences du Verbe » et la présence secrète de Dieu dans les diverses cultures ou religions (cf. CCGG 93, 2), collaborant « volontiers » au travail d’inculturation de l’Évangile (cf. CCGG 92, 2), comme expression du mystère de l’Incarnation (Jean Paul II), et ferme volonté, pour notre part, d’incarner le message de l’Évangile dans les divers contextes dans lesquels nous vivons Pour ce motif, dans notre rapport avec les autres, nous devons avoir l’esprit, le cœur et les mains ouvertes, avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité pour accueillir pleins de gratitude les valeurs qui jaillissent de cette incarnation (cf. VC 80). Nous devons nous décentrer de nous-mêmes, selon l’exemple de Jésus (cf. Ph 2,6-7), être moins égocentriques, moins nous angoisser pour notre avenir et plus pour le devenir de l’humanité. « La mission évangélisatrice se convertit ainsi en un chemin d’aller-retour qui comporte de donner mais aussi de recevoir dans une attitude de dialogue » (PdE 15). La maxime d’un missionnaire et évangélisateur franciscain doit être celle de Paul : se faire tout avec tous, « pour en sauver sûrement quelques uns » (1Cor 9, 22ss). C’est une forme de vivre sine proprio.

38. La mission ad gentes est la pleine expression et, d’une certaine manière, le complément

de la mission inter gentes. La mission ad gentes est une caractéristique typique de notre tradition. Croiser les frontières et aller dans le monde entier pour proclamer l’Évangile à toute créature(Mc 16, 15; cf. Lc 9, 3) fait partie de notre DNA, toujours, quand l’aller ne nait pas d’une pure initiative personnelle, mais par divine inspiration. C’est une vraie vocation dans la vocation franciscaine. Il ne s’agit pas d’une option ni pour qui la reçoit ni pour les ministres. Qui a reçu cette inspiration ne peut pas dire non, doit simplement se laisser porter par l’Esprit qui souffle où il veut, à qui il veut et comme il veut. C’est la docilité à l’Esprit qui fera croître dans le cœur des appelés la passion pour l’Évangile, et fera bouger les pieds de celui qui porte la Bonne Nouvelle (cf. Mt 28, 16-20) afin d’évangéliser bien au-delà des propres frontières. De leur côté, tous les Ministres sont obligés de discerner l’idonéité des frères qui demandent la permission d’aller à la mission ad gentes, sans la nier à ceux qui considèrent qu’ils sont aptes ni envoyer ceux qui ne le sont pas, car il sera tenu de rendre compte au Seigneur si en cela ou en d’autres choses il opérait sans discernement (cf. Rb 12, 1-2; Rnb 16, 3, 4)

Chers frères Under ten, motivés par les paroles de François (cf.LOrd 9), je vous demande

autant que je peux devant le Seigneur Dieu (cf. LCus 4), que vous cultiviez avec générosité la conscience missionnaire comme partie intégrante de la vocation franciscaine. Votre itinérance évangélique, un des notes caractéristiques de notre forme de vie, doit conférer à votre évangélisation une universalité sans frontières (Hermann Schalück). En tant que Frères Mineurs, vous ne pouvez pas vous fermer à l’éventualité de cet appel.

Le dernier Chapitre général a approuvé divers projets missionnaires: la Terre Sainte, le

Maroc, l’Afrique, l’Amazonie, l’Asie et l’Europe (cf. PdE mandats 21- 27). Grâces à Dieu au cours des derniers mois j’ai eu la joie d’envoyer quelques jeunes frères à ces projets, et aussi en Extrême Orient. Tandis que je remercie la générosité de ceux qui ont répondu avec vaillance à l’appel

19 Juan Pablo II, Discurso a los franciscanos y franciscanas empeñados en la misión al pueblo, Roma 15, XI, 1982.

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missionnaire de l’Ordre, je me dirige à vous tous aujourd’hui pour que, si le Seigneur vous le demande vous ne disiez pas non par peur, commodité ou simplement en usant comme excuse que tout le pays est terre de mission et que toutes les Entités ont besoin de personnel, surtout de jeunes. Dans ce contexte aussi vaut ce que dit l’Écriture « qu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir » (Ac 20,35). N’ayez pas peur et soyez généreux dans la restitution de l’Évangile. Laisse-vous animer pas l’Esprit, car c’est Lui « qui vous anime à aller de plus en plus loin […] vers une mission vraiment universelle » (RM 25).

Chers frères Under ten, retournons quelques instants à l’image du DNA. En suivant cet

exemple, nous savons que, quand on change la séquence du DNA, on court le risque de maladies et de dysfonctions. Ne se passe t’il pas quelque chose de semblable dans notre vie de Frères Mineurs ? Là où on renonce à une vie de communion authentique avec Dieu, on renonce au sens plénier de notre vie, il devient facile d’être victimes de n’importe quelle crise vocationnelle; quand on renonce au radicalisme de l’Évangile pour une vie commode, l’individualisme vainc l’esprit de fraternité, et l’aller inter gentes et ad gentes se change en expériences missionnaires ou en expéditions virtuelles devant l’écran de son ordinateur; au lieu de vraies expériences de voyages à la rencontre des autres, ceux qui sont proches et ceux qui sont loin, on perd sa propre identité et il est facile de rencontrer des Frères, des Fraternité, et même des Entités malades ou qui dysfonctionnent. Devant vous, chers frères Under ten, il y a la grande responsabilité d’être fidèles aux éléments constitutifs de notre DNA franciscain et à ne pas permettre que ce DNA soit modifié. C’est la responsabilité de la fidélité à la vocation/mission que vous avez reçue, car seulement ainsi se garantira un avenir franciscain qui sera sain et authentique. Comment vis-tu l’union entre vocation et mission’ Comment réponds-tu à l’exigence d’une mission inter gentes? As-tu jamais pensé à consacrer quelques années de ta vie à la mission ad gentes? Relis le mandat 13 du dernier Chapitre général et à la lumière des principes exposés là. Évalue ta mission évangélisatrice ? Quels changements devraient-ils se produire dans ton travail de mission et d’évangélisation ?

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IV AVEC LES YEUX TOURNÉS VERS L’AVENIR

Vivre le présent avec passion

pour nous ouvrir avec confiance à l’avenir (NMI 1) Soyez des sentinelles du matin, des hommes de l’aube

39. Soyez des « sentinelles du matin », mais des hommes de l’aube, appréciez chaque jour

qui commence. Il y a un risque dont vous n’êtes pas exempts vous-mêmes, mes chers frères « under ten » : le risque de vous sentir arrivés au but, renonçant à n’importe quelle dynamique de chemin constructif et formatif; le risque de vivre une routine tentante, dans une passivité commode, dans une fatigue obsessive, dans un ennui résigné. Le risque non seulement est grand, mais il est aussi grave car il peut induire le vide intérieur et la perte d’enthousiasme et de passion pour la vie religieuse et franciscaine

Il n’est pas dans mon intention de vous inviter à la recherche insatiable de ce qui est trendy, à chercher et à répondre à ce qui est à la mode. Épousez la mode et bientôt vous serez veufs. Très souvent, dans mes rencontres avec vous, je vous ai cité ce dicton oriental pour vous mettre en garde contre un look fatidique, à la mode, manquant de tout jugement critique, un regard qui se limite à une simple visibilité extérieure et qui finit par annuler toute créativité et imagination et, comme conséquence, en finit avec la jeunesse du cœur, celle qui compte réellement à l’heure de la vérité.

Avec mon invitation à être des sentinelles du matin, des hommes de l’aurore, ce que je souhaite vous dire et vous demander, comme frère plus âgé, c’est que vous viviez votre existence, peu importe l’âge, comme un commencement nouveau, permanent. Comme nous y invite le Père saint François quand peu avant de mourir il nous a demandé: commençons mes frères (cf. 1Cel 103); que chaque jour vous fassiez mémoire du premier amour (cf. Os 2, 9), de ce jour où vous avez senti que le regard du Christ se posait sur vous (cf. Lc 18, 18ss), et vous avez expérimenté un feu qui brûlait votre cœur (cf. Lc 24, 32), et que vous ne pouviez déjà plus résister à la fascination du Seigneur et pour cette raison, vous vous êtes laissés séduire (cf. Jer 19, 7).

40. Ce que je vous demande et attends de vous, en vous invitant à être des sentinelles du matin, hommes de l’aurore, c’est de ne pas perdre l’envie et le goût de donner continuellement à vos options de vie une nouvelle vitalité, de nouvelles motivations, un nouvel enthousiasme et une nouvelle passion. Les motivations de celui qui vend tout parce qu’il a trouvé le trésor caché (cf. Mt 13, 44). L’enthousiasme de celui qui a trouvé la monnaie perdue (cf. Lc 15, 8-10). La passion de l’amoureux qui revient embrasser l’amour de sa vie quand il pensait l’avoir perdu (cf. Cant 3, 4).

Je vous demande de ne pas céder à la tentation de la routine et du désenchantement, pour dure que soit la lutte. Soyez des hommes qui cherchent chaque matin le Seigneur (cf. Sal 62, 2). Chaque jour, d’un pas rapide et léger, sans entraves aux pieds sur le chemin (2LAg 12-13), de grand matin, courez à la rencontre de l’Aimé, et alors l’Aimé se laissera embrasser (cf. Cant 3, 1-4). Quand vous êtes assailli par la tristesse et le découragement, comme Marie Madeleine, au lever du jour, sortez à la recherche du Seigneur. Et alors vous écouterez au plus profond de votre cœur : « Pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? » Et le Seigneur lui-même voua appellera à nouveau par votre nom (cf. Jn 20, 15-16). Et votre cœur se remplira à nouveau de la paix que rien ne peut vous arracher et vous courrez vous aussi annoncer la rencontre avec le Rabonni, avec le Maître et comme les disciples vous entendrez dire : « Ne craignez pas »(cf. Mc 16, 6), ET, si pour un instant les ténèbres envahissent votre cœur, le jour renaîtra et la lumière se fera jour dans vos cœurs (2P 1, 19), et vous serez de nouveau lumière dans le Seigneur (cf. Ep 5, 8), et vous

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contemplerez avec confiance le nouveau jour qui est en train de naître, même au milieu des conflits qui déparent notre vie.

Et tout recommencera à nouveau dans vos vies, car vous aurez la force nécessaire pour contempler la réalité, la votre et celle qui vous entoure, avec un regard nouveau, avec les yeux de Dieu. Et vous tirerez votre force de vos faiblesses, l’oxygène pour donner une vie nouvelle à toutes vos potentialités, aussi celles qui à cause de la fatigue du jour et de la chaleur de la journée, se couvrent de nuages; la joie de ranimer le feu qui brûlait sous les cendres accumulées par tant de situations négatives.

Être des sentinelles du matin, des hommes de l’aube, comporte de récupérer la capacité d’étonnement et d’émerveillement pour ce qui se produit chaque jour, pour petit que cela puisse seembler, car dans le petit se cache le vraiment grand et beau (cf. Mt 13, 1-32). Ce qui veut dire découvrir la propre vocation comme semeurs, vous découvrir appelés à semer dans le sillon du présent des semences d’éternité, laissant à d’autres la joie de la récolte (cf. 1Cor 3, 6).

En vous proposant tout cela, mes chers frères, je sais bien que je vais contre la logique du tout, rapide et sans sacrifices, contre la logique de l’autoréalisation et de l’égotisme, qui dominent dans notre culture. Je sais très bien que la logique que je vous propose est une logique qui suppose un entrainement dur et pas toujours facile à supporter. Je sais bien que la logique que je vous propose est celle d’aller à contrecourant, la logique de l’Évangile, la logique des serviteurs inutiles ou des béatitudes. Une logique dure, je le sais, mais la seule essentielle pour les mendiants de sens et de plénitude. Le monde d’aujourd’hui, rappelez-vous bien, « a besoin de voir en vous des hommes qui ont cru en la Parole du Seigneur […], au point de compromettre leur vie terrestre pour témoigner la réalité de cet amour qui s’offre à tous les hommes […]. Soyez vraiment pauvres, doux, affamés de sainteté, miséricordieux, purs de cœur, ceux grâce auxquels le monde connaîtra la paix de Dieu »20. Soyez, chers frères Under ten, des hommes de l’aurore, des sentinelles du matin, des témoins du Ressuscité et vous sauverez votre vocation et votre vie se vivra dans la joie que nous donne le savoir que Dieu reste fidèle. Soyez cultivateurs des racines et chercheurs dans la nuit 41. Beaucoup affirment que la vie religieuse et aussi celle franciscaine vivent une saison d’hiver. L’hiver, à première vue, est un temps de mort: le vert de la végétation disparait, les feuilles tombent, il n’y a pas de fleurs et la saison des fruits est passée. L’hiver met à l’épreuve l’espérance qui se nourrit de l’attente patiente jusqu’à ce que retourne le printemps et que les champs se revêtent de fleurs aux quelles succéderont les fruits. Aussi dans la vie religieuse et franciscaine, l’hiver se caractérise entre autres symptômes, par le manque de vocations, avec tout ce que cela implique : inversion de la pyramide des âges avec beaucoup de frères âgés et peu de jeunes, la fermeture d’activités, la diminution de l’importance sociale qui nous venait souvent de ces œuvres, la croissance du découragement, la routine.... À ces signes d’hiver que nous les religieux nous traversons et, avec eux, les franciscains, il faut en ajouter d’autres qui certainement nous affectent comme les abandons, des hémorragies qui nous privent de certaines forces qui ne sont pas de trop, ou la lente médiocrité de vie où certains frères s’installent et pour qui la vie religieuse et franciscaine semble avoir perdu sa raison d’être. Pendant l’hiver, la tentation pourrait être de tailler les arbres et d’arracher les plantes. On ne voit rien d’autre que le tronc. Mais la mort qui semble caractériser l’hiver n’est pas ainsi. Sous l’apparente stérilité se développe un processus de revitalisation. C’est la saison où les racines

20 Paul VI, Evangelica testificatio, 53-54.

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travaillent assidûment, emmagasinant toute la force et la sève nécessaires pour jaillir dans une nouvelle vie au printemps, afin qu’en été on puisse recueillir les fruits. Par leur travail silencieux et caché, les racines permettent que la vie renaisse, parce que « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul. Mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). L’hiver, c’est le temps de la radicalité cachée, de la croissance en profondeur, du chemin, même s’il est long et douloureux, vers une vie nouvelle. L’expérience de l’hiver est celle qui me conduit à vous demander, mes chers frères, de cultiver les racines. Il nous aurait peut-être plu de vivre pendant la saison des fleurs et des fruits abondants, mais il nous revient de vivre la saison toute féconde de l’hiver. Accueillez-la comme telle, avec un sain réalisme, mais aussi avec l’espérance certaine. La tentation de jeter l’éponge, de ne pas cultiver la vie de foi, de manquer d’espérance, de renoncer à la lutte, de tomber dans la médiocrité, ou, parfois, d’abandonner, peut ne pas être éloignée de certains d’entre vous, mais céder à tout, ce serait simplement renoncer à transmettre la vie, à vivre le présent avec égoïsme, une situation qui n’aurait que peu ou rien à voir avec ce que vous avez promis le jour de votre profession: vivre sans rien en propre. Mais au-delà des apparences, l’hiver est appelé à être un kairos, une grande opportunité de croissance en profondeur, pour vous purifier et revenir à l’essentiel. À travers l’hiver que nous vivons, je suis convaincu que le Seigneur nous appelle, vous et moi, à la radicalité. Une radicalité qui ne consiste pas en gestes spectaculaires mais en un soin patient et caché des racines qui, en fin de compte, se réduit à une foi radicale dans le Christ et dans l’Évangile.

Il ne s’agit donc pas simplement de lutter pour la subsistance ou la survie. Il s’agit de vous exercer à une foi radicale et à une espérance contre toute espérance. La première, la foi radicale nous conduira à vivre en Dieu et à vivre de Dieu. Pour y parvenir, il faut cheminer à partir du Christ et revenir à l’Évangile comme forme de vie, cet élan personnel qui correspond à “la règle et vie” des frères. La seconde, l’espérance, c’est celle qui donne un sens profond à la vie. Elle court aujourd’hui le risque de se diluer dans la gestion d’un rythme quotidien simple et angoissant, dans de nombreux cas. Sans tomber dans un optimisme ingénu, nous ne pouvons pas renoncer à l’Espérance qui jaillit et s'appuie sur une promesse: « Je suis avec vous tous les jours » (Mt 28, 20). La foi radicale et l’espérance sont des sources où nous pouvons puiser de l’eau fraiche et abondante, pour travailler les racines et revitaliser notre vie, afin que l’hiver soit fécond, comme le grain enterré dans le sillon. 42. Mais en même temps, l’image de l’hiver m’en apporte une autre à l’esprit : celle de la recherche dans la nuit. Et c’est ici que surgit la figure de Nicodème, prototype de tout vrai « chercheur dans la nuit ». C’est le moment d’assumer une attitude de recherche, guidés par l’Esprit Saint, en étant conscients, sans doute, que cette recherche chemine dans la confrontation entre notre vie et la culture actuelle. Sans cette confrontation, nous courrons le risque de tomber dans la tentation de faire de l’archéologie ou simplement de fuir vers l’avant.

Beaucoup de consacrés pensent que la vie consacrée vit son moment hivernal en cette époque postmoderne. D’autres, se servant d’une expression fréquente chez saint Jean de la Croix ou chez sainte Thérèse d’Avila, préfèrent parler de la « nuit obscure » de la vie consacrée. Ils ne manquent pas ceux qui optent pour l’image biblique du chaos pour décrire le moment actuel de la vie consacrée. Et même si nous savons qu’après l’hiver vient le printemps, et l’image de la nuit obscure parle d’une crise de croissance, et celle du chaos, d’un point de vue biblique, indique une opportunité de grâce, de libération et de nouvelle création, il est certain que nous nous trouvons dans un moment où les certitudes sont limitées, et où essayer de voir dans cette nuit obscure, ou dans ces jours d’hiver et de chaos, n’est en rien facile. Et toutefois, au milieu des difficultés, il

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existe de nombreux signes que nous pouvons contempler autour de nous et qui nous offrent des motifs d’espérance, sans que cela élimine l’effort d’une évaluation sérieuse de la crise et des grands défis que cette heure lance à la vie consacrée.

Ce qui se dit sur la vie consacrée en général est valable aussi pour la vie franciscaine : signes que l’hiver est arrivé, signes de la nuit obscure que nous traversons, signes du chaos où nous sommes plongés, et signes aussi de vie, de croissance et de nouvelle création de notre vie. Dans certain secteurs les premiers sont plus puissants, dans d’autres, les seconds. Mais dans l’un et l’autre cas, nous ne pouvons pas négliger l’effort de faire une évaluation critique des réponses que nous donnons en ces moments qu’il nous est donné de vivre. Nous ne pouvons pas nous consacrer simplement à faire des pronostics apocalyptiques sur notre avenir, ni à projeter de simples exercices de survie dans des situations angoissantes et insoutenables, comme pourrait l’être la simple restructuration. Rien de tout cela ne nous amènerait à revitaliser notre forme de vie, et à contempler l’avenir dans l’espérance. Tandis que les premiers renoncent à vivre et se joignent au nombre croissant des vaincus, les seconds s’engagent à voir ailleurs et à nier la gravité du moment.

43. Tandis que la vie consacrée et la vie franciscaine elle-même paraissent privées de tant de consolations qu’elles eurent dans le passé, et que, comme conséquence, certains commencent à douter du sens et de la valeur de notre forme de vie et de son avenir, en optant pour l’abandon, nous croyons et nous voulons un avenir pour notre vie, nous qui sommes appelés à lire ce temps d’hiver que nous traversons, comme le temps de la radicalité cachée, de la croissance en profondeur, du passage, même s’il est douloureux, vers une vie nouvelle, comme une extraordinaire opportunité de croissance et de purification. Mais, comme cela se passe en hiver, il s’agit d’une croissance en profondeur, jusqu’aux racines. Pour ce motif, l’hiver a besoin d’une spiritualité de foi robuste, d’espérance active, de constances et patience à toute épreuve qui consolident notre cœur (cf. Sant 5, 8).

Ce temps d’hiver est une invitation que le Seigneur nous adresse à vivre la radicalité qui ne consiste pas en gestes spectaculaires, mais à soigner et à renforcer les racines. L’hiver n’est pas le temps où l’on essaie simplement de survivre, mais où l’on s’exerce à une spiritualité de foi robuste, d’espérance contre toute espérance, de charité passionnée et sans limites. Et pour nous, Frères Mineurs, l’hiver est le temps propice pour cheminer à partir de l’Évangile, pour nous laisser toucher et transformer par l’Évangile, pour enraciner nos vies et la vie de nos fraternités dans l’Évangile ; et ainsi, reproduire avec fidélité créative le courage et la créativité de François, comme réponse aux signes des temps qui émergent dans le monde d’aujourd’hui (cf. VC 70).

Seulement ainsi nous pourrons revitaliser le charisme et permettre qu’il se perpétue dans

l’avenir comme une grâce sans cesse renouvelée. Revitaliser notre charisme signifie appliquer l’esprit de saint François aux situations actuelles. Ce qui exige un double travail: connaître et aimer le charisme franciscain; connaître et aimer le moment actuel, sans angoisse face à l’avenir et sans nostalgie du passé.

Avec la force de l’Évangile, le charisme franciscain restera toujours jeune et nous serons

simplement ce que nous devons être : une fraternité fondée sur l’Évangile, des chrétiens qui prennent l’Évangile au sérieux. Et c’est à partir de ces présupposés que nous pouvons nous maintenir ouverts à l’espérance. Nous laisser guider par l’amour

44. Mes chers frères Under ten, que ce soit ce qui vous anime à tout moment et en toute circonstance. Amour pour Dieu et amour pour l’humanité. Passion pour Dieu et passion pour l’humanité. Que ce soit l’amour à donner raison de vos actes et de vos options de vie, et que la

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passion pour Dieu et pour les autres imprègne de jeunesse tout ce que vous faites. Convertissez-vous, selon l’expression de Johann Baptiste Metz, de la passion mystique pour Dieu à la passion politique pour l’homme. Ainsi votre vie sera vraiment significative et prophétique, car elle offrira un modèle alternatif de vie à celui qu’offre notre monde.

La vie en obéissance, sans rien en propre et en chasteté que nous avons promise le jour de notre profession, si elle est vécue par des personnes qui mènent une vie équilibrée et réalisée, sans chercher des succédanés d’aucun type, parle par elle-même d’un monde distinct, d’un mode nouveau et prophétique de vivre la propre existence. Très différente parce qu’elle ne domine pas habituellement dans notre société. Un modèle nouveau parce que tout agencé par l’amour et par la passion pour Dieu et pour les autres, particulièrement les plus défavorisés. Très prophétique parce que ceux qui la vivent sont une provocation des valeurs du Royaume qu’aucune société humaine ne peut garantir.

Après avoir dépassé, justement, une vision purement ascétique et légaliste des vœux, on met

aujourd’hui l’accent sur leur dimension prophétique: les éléments de la vie religieuse qui annoncent et dénoncent, en proposant un modèle de vie alternatif par rapport à celui qu’offre le monde car ceux qui le professent sont la « mémoire vivante de la manière d’exister et d’agir de Jésus » (VC 22). Dans une société comme la notre où on rend ouvertement un culte aux idoles du pouvoir, de l’avoir et du plaisir, les vœux dénoncent un monde et des relations basées précisément sur ces pseudo valeurs, et, parce qu’elles sont l’expression de l’amour sans limites pour Dieu, ne peuvent jamais être vécues comme des barrières mais comme des ponts qui communiquent la vie et permettent des relations interpersonnelles authentiques et profondes, parce que basées sur la gratuité.

Ainsi, le vœu d’obéissance est présenté dans Vita Consecrata en étroite relation avec la liberté, comme « chemin de progressive conquête de la vraie liberté » (VC 91), en tant qu’une invitation à tous, en premier lieu à ceux qui professent les vœux, à diriger la liberté vers tout ce qui est bon, beau et vrai. Le vœu d’obéissance a une dimension prophétique en tant qu’exercice de la liberté qui ne correspond pas au concept de liberté de la société actuelle, où on pense surtout en termes d’émancipation et d’indépendance, de liberté absolue dans l’action et la pensée.

Vivre sans rien en propre est l’expression maximale de la liberté authentique. La liberté du pauvre comme François qui n’a que Dieu et cela lui suffit, parce que Dieu est richesse à suffisance (cf. LD, 5). Vivre sans rien en propre est l’attitude évangélique qui conteste ouvertement la dictature de l’avoir, du posséder et de la pure considération de chacun qui semblent dominer de nos jours. La pauvreté évangélique, d’autre part, nous rend solidaires avec ceux qui sont pauvres à cause d’une condition de vie et une situation imposée par la société, et nous conduit à nous sentir proches. Dans Vita Consecrata, la relation entre la passion pour Dieu et la passion pour le pauvre est plus qu’évidente (VC 75). Qui opte pour la pauvreté évangélique laisse tout pour Dieu, et pour cette raison, il est tout pour les autres. Dans un monde comme le notre où on vit en fonction d’un matérialisme avide de posséder, inattentif aux exigences et souffrances des plus faibles, une vie sans rien en propre, librement assumée et joyeusement vécue, est une vraie prophétie.

Finalement, la chasteté a comme objectif de créer dans nos cœurs un espace pour la passion de Dieu. Et, entrant Dieu dans notre cœur l’humanité entière y entrera aussi, particulièrement pour ceux qui vivent les conséquences d’une option célibataire sans l’avoir faite librement; une situation de profonde solitude et de vide existentiel21. D’autre part, à travers le vœu de chasteté, nous qui le faisons nous sommes appelés à montrer qu’une vie de continence n’est pas une vie frustrante et que 21 Le célibat pour le Royaume implique la solitude, le vide et cependant, la vie d’une personne chaste et célibataire est appelée à démontrer que la chasteté et le célibat ne portent pas nécessairement au vide existentiel et à la frustration mais qu’une telle option de vie, si elle est comblée par Dieu, est une source inépuisable de joie et de don de soi.

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les relations interpersonnelles peuvent être intenses sans impliquer une relation sexuelle. Ce dernier point est extrêmement important dans un monde comme le notre où la sexualité se convertit en marchandise qui s’achète et se vend sous forme de pornographie ou est masquée d’érotisme, la privant ainsi de toute dignité humaine. En outre, le vœu de chasteté comporte une liberté qui rend la personne plus autonome et disponible. Cette disponibilité de temps et de cœur, de ceux qui font le vœu de vivre sans un tu qui ne soit pas le Tu de Dieu, permet un engagement de solidarité avec ceux qui souffrent et ceux qui sont opprimés.

Notre vie ne peut se comprendre qu’à partir de l’amour. Les vœux ont du sens si ce sont des signes du don total de soi au Seigneur. La vie fraternelle n’est possible que si en chaque frère nous découvrons un don et un cadeau du Seigneur. La mission ne s’entendra correctement que si c’est l’amour qui nous y pousse.

Chers frères Under ten: animés par l’amour, ouvrez un espace pour Dieu dans vos cœurs et

vivez vos vœux comme un acte de consécration à Dieu et de don de vous-mêmes aux frères. Un monde blessé et souvent abandonné à lui-même a besoin d’hommes, comme vous, qui l’aiment, et qui aiment toute l’humanité avec un cœur enivré de folie divine. Les exclus de ce monde ont besoin d’hommes comme vous, qui vivent leur humanité, et qui aiment les hommes et les femmes comme ils sont, qui se compromettent à porter de l’espérance et à aider pour que le monde de demain soit meilleur que le monde d’aujourd’hui, au nom de Celui qui est venu pour qu’ils aient la vie en plénitude. Le monde d’aujourd’hui a besoin de prophètes et vous êtes appelés à être ses prophètes. L’amour sans limites pour Dieu et pour le prochain ouvrira vos vies à la nouveauté et à la prophétie dont le monde a besoin. Soyez forts et vaillants: assumez votre responsabilité

45. Vous connaissez peut-être le personnage de Peter Pan, fruit de la fantaisie du dramaturge écossais J. M. Barrie. Peter Pan est un personnage qui refuse de grandir et d’assumer sa responsabilité personnelle devant la vie. C’est ce qu’à partir d’une enquête de Dan Kiley on appelle syndrome de Petar Pan, et qui consiste en ce que cet enfant ou adolescent que nous portons tous en nous soudain s’éveille. En ce moment la tentation de bercer le Peter Pan qui se cache en chacun de nous est grande, car il s’agit d’une situation privée de responsabilités et de compromis. Mais lui céder est très dangereux car finalement, elle nous installe dans une situation de tiédeur et de médiocrité qui n’a rien à voir avec la Forme de Vie que nous avons embrassée.

Vous connaissant, je crois pouvoir affirmer qu’un pourcentage très élevé désire ardemment vivre le projet de radicalité embrassé lors de notre profession. Et bien, pour ne pas être d’éternels Peter Pan ni tomber dans une léthargie spirituelle et religieuse qui supprimerait tout témoignage de sens de notre vie et mission, je crois qu’il est important de s’immerger dans une situation qui se caractérise ainsi:

Avant tout, il s’agit de maintenir très active l’attitude de mendiants de sens à laquelle nous avons déjà fait allusion au cours de cette lettre, de rechercher avec sincérité l’ultime raison de nos options de vie, de les purifier et les reformuler, selon ce qui convient à notre option d’être des Frères Mineurs. Il s’agit d’une recherche sur la vie elle-même, menée à terme avec beaucoup de lucidité et de concret, pour ne pas sombrer dans un jeu de paroles et d’auto justifications purement gratuites. Il s’agit, en définitive, de donner à nos motivations vocationnelles des fondements solides et des racines profondes.

Il faut, en outre, avoir le courage du plus comme du moins. Le premier exige d’assumer le renoncement et le sacrifice, le sens de la fidélité et de la parésie, dont nous parle saint Paul, comme expression de la confiance qui sait oser. C’est l’attitude de Pierre (cf. Lc 5, 5). Le second comporte,

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par contre, de savoir reconnaître les propres faiblesses et de détecter nos vulnérabilités. C’est l’attitude du publicain (cf. Lc 18, 13), ou celle de Pierre après le reniement (cf. Mc 14, 72). En positif, l’audace pour le plus comporte d’entrer par la porte étroite, dont nous parle Jésus (cf. Mt 7, 13), tandis que le courage du moins comporte d’être pauvres, anawin, et de vivre la dynamique des serviteurs inutiles (cf. Lc 17, 10).

Un autre aspect important pour vivre le projet de radicalité évangélique propre à notre vie franciscaine est de nous concentrer sur l’Unique et de nous ouvrir aux autres. Trouver des espaces d’intériorité, de silence pour pouvoir plonger en soi et accueillir l’Autre et les autres. Il s’agit, donc, de travailler l’hospitalité et l’accueil fraternel et familial afin que l’Autre et les autres puissent demeurer avec nous (cf. Lc 24, 29). Il est aussi très important de dire un oui, respectueux et total, à son propre corps, d’accepter sa corporéité et sa sexualité, comme des réalités bonnes et belles qu’il faut éduquer et soigner, en tenant compte de notre condition de consacrés, appelés à vivre sans succédanés le vœu de chasteté. Il ne s’agit pas du culte du corps, auquel nous avons déjà fait référence et qui parle de narcissisme, mais de l’amour d’un corps qui se fait don. Ayant toujours présent l’appel à vivre un projet de radicalité évangélique, nous devons souligner l’exigence d’acquérir une nouvelle mentalité, qui n’est autre que la logique de l’Évangile (cf. Mt 16, 21-27), c’est-à-dire le passage de la logique de l’autoréalisation à la logique de la perte à cause de l’Évangile, le passage de la logique des résultats à la logique du service gratuit, le passage de la logique du calcul à la logique de la donation totale et sans réserves. Tout cela nous parle de mort à nous-mêmes afin de porter du fruit (cf. Jn 15, 1-8). Toutefois, un élément de plus est nécessaire : se laisser modeler, c'est-à-dire, se laisser faire par l’éternel artisan (cf. Jr 18, 1-6), comme Jésus lui-même le demandait à ses disciples (cf. Mc 1, 17), se laisser vider pour accueillir Celui qui se donne entièrement. Finalement nous pouvons signaler qu’il faut acquérir une bonne capacité « d’évaluation » au sujet des faits et des personnes à la lumière de l’Évangile, au lieu de juger les autres presque toujours pour les condamner. Le sage essaie de distinguer le froment de l’ivraie, le bon du mauvais, la couleuvre du serpent, sans se placer jamais au-dessus des autres. Mes chers frères: voici l’itinéraire de celui qui désire suivre Jésus radicalement, comme le fit François. C’est un projet vocationnel exigeant, comme l’Évangile est exigeant et comme est tout aussi exigeant le projet de vie franciscain. Un itinéraire lent et progressif qui n’admet ni coupures ni retards. Un processus qui comporte une triple conversion : l’intellectuelle, pour être réalistes sur la propre situation ; morale, pour avoir une échelle de valeurs à laquelle conformer sa propre vie quotidienne; et religieuse, pour vivre à partir de la logique du don à l’Autre et aux autres. Soyez des hommes d’écoute pour être des hommes de parole 46. C’est évident: nous vivons une full-immersion, dans une culture des médias qui informe, massifie et uniformise, mais qui très souvent manipule aussi. Vraiment, notre monde est un grand village. Un village où « il n’y a pas de temps » pour s’arrêter, réfléchir, écouter. Notre capacité de communiquer et d’écouter, avant tout nous-mêmes et ensuite les autres, est très réduite. Le notre et le votre, mes chers frères plus jeunes le savent bien, est un temps de messages SMS/MMS, et pas tellement de dialogue et d’écoute, de vraie communication personnelle.

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Et c’est précisément d’écoute que nous avons besoin et dont ont besoin les autres pour ne pas succomber sous le poids d’une solitude qui opprime et empêche de vivre le présent avec passion et le regard tourné vers l’avenir. Nous avons besoin d‘écoute pour bouger et décider avec sagesse. Nous avons besoin d’un cœur nouveau, reposé, accueillant, un cœur pour écouter (cf. Jr 31, 31-34; Ez 36, 26-28) pour trouver « le bon chemin », come dirait Jeremias, qui porte la « paix dans nos cœurs, la paix dans nos vies » (cf. Jr 6, 16). Avoir un cœur capable d’écouter c’est, en effet, le critère pour croître comme personnes et comme Frères Mineurs et ne pas succomber à la tentation d’une autosuffisance qui termine en frustration. Face à la grande responsabilité qui lui tombe dessus, Salomon demande au Seigneur : « Je ne sais pas comment me comporter…concède à ton serviteur un cœur docile » (1R 3, 7. 9). Le texte grec des LXX dit « concède à ton serviteur un cœur pour écouter ». La sagesse proverbiale de Salomon réside, précisément, dans sa capacité d’écoute. Comme Salomon, le « sage », comme Samuel, présenté par la Bible comme l’homme qui écoute (1Sam 3, 1ss), nous avons besoin d’un cœur docile, un cœur expert dans l’art de l’écoute si nous voulons vraiment dialoguer. Personnellement je crois que la capacité réduite d’écoute et dialogue se doit, entre autres facteurs, au fait qu’il nous manque la capacité de faire silence. En effet, pour dialoguer, il faut avant tout, se décentrer de soi-même, donner de l’importance à l’Autre et aux autres et à ce que l’Autre et les autres peuvent me dire. À son tour, se libérer de l’égocentrisme exige de faire silence en nous et autour de nous.

« J’ai écouté le silence » est le titre d’une œuvre du psychologue et écrivain de thèmes de spiritualité H. Nouwen écrite après une expérience sabbatique dans un monastère trappiste. « J’ai écouté le silence » est une invitation urgente que les jeunes et moins jeunes doivent écouter si nous ne voulons pas être victimes d’une « pastorale du kangourou », propre de celui qui saute constamment d’une activité à l’autre ou d’une expérience à l’autre. À propos je ne parle pas d’expérience mais bien d’expérimentation, car l’expérience exige du temps pour la préparer, la vivre et l’évaluer comme il convient.

Nous sommes entourés et immergés dans le brouhaha. Les rumeurs de tout type se sont

converties en barrières sonores de l’esprit de cette société, nous empêchant de nous écouter nous-mêmes, d’écouter Dieu et les autres. Et le pire, c’est que le silence nous fait peur, parce qu’il nous confronte à nous-mêmes, nous montre ce que nous devrions être et tout ce qui nous manque pour l’être. Et pour ce motif il est dangereux: Il nous rappelle ce que nous n’avons pas encore pu résoudre au plus intime. Il nous montre l’autre visage de nous-mêmes, auquel nous ne pouvons pas échapper, celui qu’on ne peut camoufler avec des « cosmétiques ». Le silence nous laisse seuls avec nous-mêmes. Et cela nous horrifie, et donc nous nous fuyons le silence.

Par tout ce que je viens de dire et parce que je considère que le silence est le plus grand

maître de notre vie, je suis convaincu qu’il est urgent pour tous de trouver des espaces de silence qualifié si nous voulons être accompagnés et, en même temps, si nous voulons obtenir une croissance « holistique », c'est-à-dire, de toute la personne. Il est urgent, mes chers frères, de nous éduquer à découvrir la valeur du silence22.

Naturellement, il s’agit d’un silence habité, d’un silence qui parle. Seul un silence ainsi

pourra nous aider à mieux lire les propres sentiments et émotions, ce qui existe en nous de personnel et ce qui reste dans l'ombre. Je crois qu’en ces moments pleins de bruit à l’intérieur et à l’extérieur de nous-mêmes il serait nécessaire, comme la « pluie en mai », d’arriver à savourer « l’écoute du silence ».si nous ne voulons pas être étrangers à nous-mêmes et étrangers à ce qui

22 Benoît XVI, Verbum Domini, 66.

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nous entoure. Seul le silence, en effet, nous permet de nous connaître en profondeur et d’interpréter la réalité, au-delà de ce qui se voit en surface.

Écouter, garder le silence pour parler ensuite. Le silence est l’antichambre où nous

rencontrerons le Dieu qui se fait Verbe, Parole. « Le silence intérieur et extérieur est nécessaire pour que la Parole de Dieu puisse se comprendre »23. Terminer la journée sans moments de silence habité, c’est la conclure sans la consolation d’un Dieu qui étant parole se fait Parole. Un jour sans silence est un jour sans la présence du moi authentique. Car le silence est le vide où Dieu et moi nous nous rencontrons au centre même de mon âme. Le silence non seulement nous donne accès au Dieu qui est Sérénité, mais en outre nous enseigne ce que nous devons dire, ce qui reste très important dans ce monde saturé de paroles qui sont vides.

Parce que nous voulons être des pèlerins qui cherchent infatigablement la volonté de Dieu

dans leurs vies, nous devons être vir obaudiens, des hommes qui ont les mains plaquées sur les oreilles pour résister aux ondes sonores ( c’est le sens étymologique de ob-audiens) pour ne pas être distrait ou enivré par ces signes ou ces paroles, et nous dessinent ces traces, presque imperceptibles, à travers les quelles nous pouvons entrevoir la présence d’un Dieu qui a choisi le silence de la nuit pour manifester sa Parole.

C’est, dirait saint Augustin, en faisant taire les mots qu’on peut écouter la Parole, ou mieux

encore : Verbo crescente, verba deficiunt, « quand le Verbe de Dieu grandit, les paroles de l’homme disparaissent »24. C’est aussi valable pour notre prière, si souvent pleine de paroles qui nous empêchent de rencontrer ce Dieu qui, très souvent, garde le silence (cf. Jb 42, 5).

En même temps, c’est en écoutant la Parole que nos paroles ne retourneront pas stériles vers

nous. Ce ne sont pas nos paroles qui pourront changer les cœurs. Ce sont les mots nés du silence et de l’écoute de ce qu’est la Parole qui pousseront ceux qui les écoutent à changer leurs cœurs de pierre en cœur de chair (cf. Ez 36, 26), et ensuite à suivre Celui qui, tout en étant Parole, se cache souvent sous le manteau du silence. Veille sur toi-même et sois persévérant

47. Mes chers frères, parce que je vous ai souvent écoutés et parce que c’est une sensation que, d’une manière ou d’une autre, nous pouvons tous éprouver, je sais qu’il y a des moments dans la vie où, lorsque l’on constate que notre vie quotidienne se vit loin des oasis de paix, de sérénité et de maturité dont nous avons rêvé dans le cadre de la vie religieuse et franciscaine, on peut arriver à se sentir perdu et à vivre un sentiment diffus de frustration et d’insatisfaction. Face à une telle situation, au lieu d’aspirer l’oxygène et d’avoir le courage de voler vers les espaces plus ouverts qu’offre certainement notre vie, on perd l’envie d’aller de l’avant, car le but semble inatteignable, et même s’il l’était, l’effort pour l’atteindre serait disproportionné pour notre faible et fragile humanité. Et alors nous pouvons renoncer à la recherche, à la conquête, à la lutte ; nous pouvons découvrir que le cœur a vieilli, que le pas s’est ralenti et que nous avons perdu l’envie de recommencer. Et les questions s’accumulent : ma vie dans l’Ordre a-t-elle encore du sens ? Ne me suis-je pas équivoqué en choisissant cette Forme de Vie ? Pourquoi continuer à lutter si les résultats au niveau personnel et fraternel sont aussi limités? Et la tentation peut nous venir de tout abandonner, de regarder en arrière, de suivre un sentier qui fuit notre chemin.

Si ce moment est arrivé, je vous demande ne pas capituler, de profiter de cette situation pour

remémorer le chemin parcouru. C’est précisément en rappelant le chemin parcouru qu’on peut voir 23 Benoît XVI, Audience du 14 mars 2012. 24 Saint Agustín, Sermo 288, 5. Pl 38, 1307; Sermo 120, Pl 38, 677.

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avec clarté la direction vers où nous devons nous orienter, et retrouver l’orientation nécessaire dans les moments de doute, et ne pas tomber dans ce que le Seigneur reproche à l’Église d’Éphèse: « J’ai contre toi que tu as abandonné le premier amour » (Ap 2, 4). C’est justement dans les moments de découragement et de confusion, que ces paroles fortes et en même temps riches de tendresse pourraient résonner dans notre cœur : « Courage, mon peuple, au travail ! Parce que je suis avec vous » (Ag 2, 4).

Le prophète Isaïe nous rappelle que les chemins du Seigneur ne sont pas nos chemins (cf. Is

58, 8). Ne seraient-ce pas toutes ces situations, certainement incommodes et non recherchées ni désirées, des chemins que le Seigneur met devant nous pour mettre à l’épreuve notre foi inconditionnelle en Lui ? D’autre part, ne nous a-t-il pas dit lui-même: « Entrez par la porte étroite » (Mt 7, 13)? Le chemin que nous indique Jésus, nous l’avons vu en parlant des Béatitudes et des vœux, n’est pas facile. Souvent, c’est un sentier périlleux et empierré, un raccourci qui blesse les pieds et ralentit le pas, parce « qu’étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie et peu nombreux sont ceux qui le trouvent » (Mt 7, 14). Et cependant le prophète Osée a eu déjà le courage de crier sept siècles auparavant: « Je transformerai la vallée d’Accor en une porte d’espérance »(Os 2, 17).

« Veille sur toi-même et persévère », c’est l’invitation que nous trouvons dans Tim 4, 16. La

persévérance dont on nous parle n’est pas l’obstination, fruit d’une personnalité rigide et bloquée sur ses propres schémas, mais bien la fidélité qui sait valoriser l’option de vie émise un jour, le premier amour auquel on a livré sa vie. Ça vaut la peine de retrouver ce premier amour, non pas une fois mais mille fois. Même si c’est difficile, il existe toujours la possibilité de reconvertir ce qu’il y a de moins transparent et moins convainquant dans les motivations présentes en revenant aux débuts d’une option. Il est toujours possible de repartir sur des motivations renouvelées, cohérentes et incisives, qui font partie du trésor de notre cœur. Quelqu’un nous attend, même dans les nuits obscures, quand le chemin devient infranchissable, et que parfois nous tombons au bord de la route. IL est prêt à nous prendre par la main, à nous aider à nous relever et à nous remettre en route. Il y a quelqu’un qui peut nous offrir à nouveau le baiser de vie. C’est Jésus de Nazareth, le Ressuscité. Lui seul peut faire exploser de joie un cœur triste et déçu comme celui des disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24, 13ss).

Comment juges-tu ces invitations : comme de pures utopies ou des chemins possibles pour le présent et l’avenir qui te concernent? Comment te sens-tu face à ces invitations ? Es-tu disposé à les assumer comme projet de vie ?

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Bénédiction et appel final

Chers frères Under ten: je désire conclure ce dialogue avec vous en vous invitant à alimenter sans cesse la passion pour le Seigneur. C’est là que nous jouons notre présent et notre avenir, car c’est cette passion qui nous conduira à confirmer à tout moment le propos de servir le Seigneur et de nous maintenir fidèles à ce que vous avez promis jusqu’à la mort (cf. 5LAg 14). Je sais que vous aimez Jésus. Pou Lui, moi aussi je déborde de joie et je saute d’allégresse dans le Seigneur (cf. Hab 3, 18). Ne laissez rien ni personne refroidir cet amour.

Pour cette raison, je vous répète ce que le Saint Père Benoît XVI a dit aux jeunes lors de la

dernière Journée mondiale de la Jeunesse célébrée à Madrid l’année passée : « Les paroles de Jésus doivent arriver jusqu’au cœur, s’y enraciner et parfumer toute la vie […] Écoutez vraiment les paroles du Seigneur pour qu’elles deviennent en vous esprit et vie […]. Faites-le chaque jour fréquemment, comme cela se fait avec le seul Ami qui ne trompe pas… »25 Montrez une alternative valable de vie. Construisez votre vie sur la roche qui est le Christ. L’édifier sur votre moi personnel, c’est la construire sur le sable. « Ce qui conduit à quelque chose d’aussi évanescent qu’une existence sans horizons, une liberté sans Dieu ».

Ce 4ième Chapitre des Nattes commencera sous le regard maternel de Marie et l’intercession

de Notre-Dame de Zapopan, en la ville de Guadalajara (Mexique) et se conclura sous le même regard maternel, et l’intercession de Notre-Dame de Guadalupe (Mexique). Que la « Vierge faite Église » (SalV 1) soit votre modèle d’accueil inconditionnel de la Parole (cf. Lc 1, 38), et que comme elle vous soyez capables d'être fidèles à tout moment (cf. Jn 2, 1; 19, 25; Ac 1, 14). Comme le disciple que Jésus aimait, accueillez-la dans votre vie (Jn 19, 27), et écoutez son testament avec un esprit d’obéissance renouvelé: « Faites ce qu’il vous dira ». Ce sera alors que votre eau se transformera en vin (cf. Jn 2, 5. 9-10), en vin de l’amour inconditionnel à Celui qui aujourd’hui se fait mendiant de ton oui et avec une confiance toute nouvelle te dit : « Suivez-moi et je vous ferai pêcheurs d’hommes » (Mc 1, 17). Que l’intercession maternelle de Marie, « en qui fut et se trouve la plénitude de la grâce et tout bien » (SalVM 3), vous obtienne du Seigneur la grâce d’une réponse prompte et généreuse comme celle que firent les premiers disciples (cf. Mc 1, 18-20).

Chers frères Under ten: tandis que je vous salue en Celui qui nous a rachetés et lavés en son

très précieux sang (Ap 1, 5; LOrd 5), moi, Frère José, votre frère mineur et serviteur, je vous prie et vous conjure dans la charité qui est Dieu et avec la volonté de vous baiser les pieds, de recevoir, mettre en œuvre et observer avec humilité et charité ces paroles et les autres paroles de notre Seigneur Jésus-Christ et si vous y persévérez jusqu’à la fin, que vous bénisse le Père, le Fils et le Saint Esprit ( cf. 2LFid 87-88).

Rome, 8 mai 2012, fête de sainte Marie Médiatrice.

Frère José Rodriguez Carballo, ofm Ministre général, OFM

25 Benoît XVI, JMJ, Madrid, 18 août 2011.

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SEIGNEUR JÉSUS: RESTE AVEC NOUS ! Seigneur Jésus : Sois présent sur notre chemin ! Il se fait tard, la nuit tombe, les ténèbres nous entourent, Nous sentons le poids de la solitude, et la peur nous prend à la gorge. Nous avons besoin de Toi : c’est la nuit et le chemin devient long. Nous avons besoin de Toi: Reste pour manger, la table est mise! Seigneur Jésus: Explique-nous les Écritures! Nous avons besoinde Toi pour ne pas continuer à parler des choses du passé. Nous avons besoin de Toi pour garder vivante l’espérance, Que le chemin ne se ferme pas et que la nuit ne nous domine. Nous avons besoin de Toi : sans Toi la tristesse nous empêcherait de voir l’avenir. Seigneur Jésus: Chemine avec nous! Que ton Souffle ravive le feu qui semble s’éteindre dans nos cœurs. Que ta voix soit notre compagne dans les nuits tourmentées de la vie. Que ta main amie nous relève quand nous tombons. À tout moment ravive le don de notre vocation. Seigneur Jésus: Partage notre table! Que ta Parole brûle constamment dans nos cœurs, Nous ouvre à la vérité aux heures de doute, Nous illumine aux moments d’obscurité, Nous anime et nous soutienne dans les moments de peur et de fatigue, Seigneur Jésus: Ouvre nos yeux fatigués! Que nos deux soient posés en Toi, Que nous te reconnaissions ressuscité dans la fraction du pain, Frère et compagnon dans les frères que tu nous as offerts, Indigent dans ceux qui souffrent et gisent au bord du chemin. Seigneur Jésus: Reste avec nous! Seulement ainsi nous pourrons courir vers Jérusalem dont nous nous sommes éloignés, Et là, en communion avec les frères, nous pourrons annoncer: « Le Christ est ressuscité. Oui, il est vraiment ressuscité ! ». Marie, Notre-Dame de Zapopan, Notre-Dame de Guadalupe: Quand le vin de l’amour vient à manquer dans nos vies, Comme à Cana, montre à ton Fils notre besoin. Et alors l’eau se transformera en vin, Et il y aura du vin en abondance, le vin de l’amour et le vin de la joie. Fiat, fiat. Amen, amen.

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ABREVIATIONS Écriture Ag Agée. Ap Apocalypse. Col Colossiens. 1Cor Première Corinthiens. Dt Deutéronome. Ep Ephésiens. Ez Ezéquiel. Ph Philippiens. Gal Galates. Gn Genèse. Hab Habacuc. He Hébreux. Ac Actes des Apôtres. Is Isaïe. Jb Job Jn Évangile de Jean. Jr Jérémie. Lc Évangile de Luc. Mc Évangile de Marc. Mt Évangile de Matthieu. Os Osée. 1P Première de Pierre. 2P Seconde de Pierre. Rom Romains. Ps Psaumes. 1Sam Premier Samuel. Jac Saint Jacques. 1Tm Première Timothée . 2Tm Seconde Timothée. 1Th Première Thessaloniciens. Écrits de saint François d’Assise Adm Admonitions. LD Louanges de Dieu. CSol Cantique de Frère soleil. LAnt Lettre à saint Antoine.

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LLéon Lettre à Frère Léon LMin Lettre à un Ministre LOrd Lettre à l’Ordre. 1LFid Première Lettre aux fidèles. 2LFid Seconde Lettre aux fidèles. PCru Prière devant la Croix de saint Damien. Rnb Regula non bullata. Rb Regula bullata. SalV Salutation à la Vierge. Test Testament. Autres abréviations. AP Anonyme de Pérouse. 1Cel Première Vie de Tomas de Celano. 2Cel Seconde Vie de Tomas de Celano. MP Miroir de perfection TC Légende des Trois Compagnons. 3LAg Troisième lettre de Claire à Agnès de Prague. 4LAg Quatrième lettre de Claire à Agnès de Prague. 5LAg Cinquième lettre de Claire à Agnès de Prague. LegCl Légende de Claire. LM Legenda maior de saint Bonaventure. LP Légende de Pérouse. SC Sacrum Commercium. TestCl Testament de Claire. CC.GG Constitutions générales de l’Ordre des Frères Mineurs, Roma,

2010. PdE Porteurs du don de l’Évangile, Document Chapitre général 2009. Spc Le Seigneur nous parle sur le chemin, Document Chapitre général

extraordinaire 2006. SdP Que le Seigneur vous donne la paix, Document Chapitre général 2003. EN Paul VI, Evangelii Nuntiandi, Exhortation apostolique au sujet de

l’Évangélisation dans le monde contemporain (8 décembre 1975). ET Paul VI, Evangelica Testitificatio, Exhortation apostolique sur la

rénovation de la Vie religieuse selon les enseignements du Concile (29 juin 1971).

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DV Concile Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum sur la révélation divine (18 novembre 1965).

LG Lumen Gentium, Constitution dogmatique sur l’Église du Concile Vatican II (21 novembre 1964).

GS Gaudium et spes, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps du Concile Vatican II (7 décembre 1965).

NMI Jean Paul II, Novo Millennio Ineunte, Lettre apostolique en conclusion du grand Jubilé de l’an 2000, (6 janvier 2001).

PC Perfectae Caritatis, Décret du Concile Vatican II sur la rénovation de la vie religieuse (28 octobre 1965).

SC Concile Vatican II, Constitution Sacrosanctum Concilium sur la divine Liturgie (4 décembre 1963).

Pdv Juan Pablo II, Pastores dabo vobis, Exhortation post synodale sur la formation des prêtres dans la situation actuelle, (25 mars 1992).

RMi Jean Paul II, Redemptoris Missio, Lettre encyclique sur la permanente validité du mandat missionnaire (7 décembre 1990).

VC Jean Paul II, Vita consecrata, Exhortation apostolique postsynodale sur la Vie consacrée et sa mission dans l’Église et dans le monde (25 mars 1996).

VD Benedicto XVI, Verbum Domini, Exhortation apostolique postsynodale sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église (30 septembre 2010).

VS Jean-Paul II, Veritatis Splendor, Lettre encyclique sur certaines questions fondamentales de l’Enseignement moral de l’Église, (6 août 1993).

CIVCSVA Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de

Vie apostolique. JMJ Journée Mondiale de la Jeunesse.