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2006 – 52/1 REVUE D’ÉTUDES AUGUSTINIENNES ET PATRISTIQUES Publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique © Institut d’Études Augustiniennes

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  • 2006 52/1

    REVUE DTUDES

    AUGUSTINIENNES ET PATRISTIQUES

    Publi avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique

    Institut dtudes Augustiniennes

  • SOMMAIRE

    Paul-Augustin DEPROOST, In memoriam R. P. Maurice Testard (1922-2006)........ I-III

    tienne DECREPT, La perscution oublie des chrtiens dAntioche sous Trajan et le martyre dIgnace dAntioche............................................................................

    1-29

    M. Benedetta ZORZI, Metodio dOlimpo, un autore minore?................................. 31-56

    Sbastien MORLET, Lintroduction de lHistoire ecclsiastique dEusbe de Csare (I, II-IV) : tude gntique, littraire et rhtorique......................................

    57-95

    Yvette DUVAL, Sur la gense des libelli miraculorum............................................. 97-112 Martine DULAEY, Recherches sur les LXXXIII Diverses Questions dAugustin (1). Questions 44 et 58-60........................................................................................

    113-142

    Anne-Isabelle BOUTON-TOUBOULIC, Dire lordre cach. Les discours sur lordre chez saint Augustin...................................................................................................

    143-166

    Jacques ELFASSI, Les Synonyma dIsidore de Sville : un manuel de grammaire ou de morale ? La rception mdivale de luvre..................................................

    167-198

    Comptes rendus bibliographiques............................................................................ 199-242

    COMIT DE DIRECTION

    Jean-Claude FREDOUILLE, Franois DOLBEAU, Georges FOLLIET, Jacques FONTAINE, Claude LEPELLEY, Andr WARTELLE ()

    CONSEIL SCIENTIFIQUE

    Irena BACKUS (Genve), Jean-Denis BERGER, Isabelle BRUNETIRE, Catherine BROC, Gilbert DAHAN, Martine DULAEY, Yves-Marie DUVAL, Allan D. FITZGERALD (Rome),

    Sylvie LABARRE, Alain LE BOULLUEC, Goulven MADEC, Pierre PETITMENGIN, Herv SAVON, Franz-Bernhard STAMMKTTER (Bochum), Brian STOCK (Toronto)

    Administrateur : Jean-Denis BERGER

    Les manuscrits doivent tre envoys Jean-Denis BERGER, lInstitut dtudes Augustiniennes, 3, rue de lAbbaye, 75006 PARIS.

    DIFFUSION EXCLUSIVE

    BREPOLS PUBLISHERS Begijnhof 67. B-2300 TURNHOUT (Belgique) tlphone : 00 32 14 44 80 20 tlcopie : 00 32 14 42 89 19 e-mail : [email protected] www.brepols.net Prix de labonnement : 80 TTC Fascicules spars : 45

    Comptes bancaires

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  • Revue dtudes augustiniennes et patristiques, 52 (2006), I-III.

    In memoriamR. P. Maurice Testard

    (1922-2006)

    Le Rvrend Pre Maurice Testard est dcd le samedi 28 janvier 2006 lge de 84 ans, aprs une vie tout entire consacre la recherche de la vritcomme prtre et comme savant. Aprs son admission dans la congrgation delOratoire de France, le Pre Testard a commenc sa carrire acadmique laFacult des Lettres de lInstitut catholique de Paris en 1948 avant dobtenir letitre de Professeur titulaire en 1957. Ses annes de formation ont t sanction-nes par la Licence s Lettres et le Diplme dtudes Suprieures; elles ontgalement t marques par la frquentation assidue des cours donns lcolepratique des hautes tudes et au Collge de France par des matres aussi illustresque Pierre Courcelle, Alfred Ernout ou Alphonse Dain. Docteur dtat de laSorbonne en 1958, le Pre Testard a dfendu les deux volumes rglementairesde sa thse en un temps o seul, de fait, le Doctorat dtat soutenu en Sorbonnehabilitait occuper un poste dans lenseignement suprieur franais. Publiedans la collection des tudes Augustiniennes, dont elle constitue les tomes 5 et 6de la srie Antiquit, cette thse a marqu un jalon dcisif dans la connais-sance que nous pouvons avoir de linfluence de la pense et de luvre deCicron sur saint Augustin, deux auteurs qui continueront dhabiter priodique-ment les cours et les recherches du Pre Testard, jusqu ses derniers travaux,parus dans quatre livraisons conscutives de la Revue des tudes latines, sur lesconsonances de la pense de Cicron avec la tradition chrtienne, et notammentaugustinienne. Ce doctorat a t couronn par lAcadmie franaise qui lui adcern le Prix Tessonire en 1959. Distinction trs parcimonieusementconsentie un ecclsiastique par la Rpublique franaise, le Pre Testard estinscrit sur la liste daptitude lenseignement suprieur dtat en 1964. En1967, le Pre Testard a t appel lUniversit catholique de Louvain pour yenseigner lexplication dauteurs latins, lhistoire de la littrature latine et lalecture de textes latins chrtiens jusqu son admission lmritat en 1987.

    Article crit par Paul-Augustin Deproost Institut dtudes Augustiniennes

  • PAUL-AUGUSTIN DEPROOSTII

    Cicron et saint Augustin! Les travaux scientifiques du Pre Testardsinscrivent rsolument dans cette nouvelle perspective des recherches surlAntiquit, qui a pris le parti de ne renier aucune des composantes littraires ouculturelles de la latinit antique. tudis, relus ou contests par les chrtiens, lesmonuments de la littrature latine classique reoivent une nouvelle lgitimit aucur dun dbat tour tour passionnel, raidi et finalement serein entre antiquitet christianisme, qui a fait lobjet dune part majeure de la production scienti-fique et de lenseignement du Pre Testard. Ses publications sont nombreuses etil faudra un jour en faire linventaire. Elles explicitent toutes, des degrsdivers, cet enracinement profond et fidle du christianisme latin dans le mondeantique, qui a permis lglise romaine du premier millnaire de diffuser le pluslargement possible le message vanglique travers une langue de cultureporteuse de hautes valeurs humaines et spirituelles. Les deux ditions critiquesque le Pre Testard a publies dans la Collection des Universits de Franceillustrent parfaitement lintrt quil a port la confrontation diversifie entrele monde paen et le monde chrtien: dans le prolongement des trois livres duDe officiis de Cicron, ldition du trait correspondant de saint Ambroise, demme titre et galement en trois livres, a fait valoir tout la fois les contacts etles ruptures entre les morales antique et chrtienne. Ces publications majeuresont t prcdes des habituels travaux dapproche sur la tradition manuscrite, lacomposition et les genres littraires dont relvent ces uvres. Il serait trop longde les voquer ici dans leur dtail, mais il suffira aux lecteurs des Recherchesaugustiniennes et patristiques de relire le long article du Pre Testard surquelques mthodes de travail de saint Ambroise dans le De officiis (t. 24,1989) pour comprendre quelles taient les mthodes de travail du savant lui-mme quand il abordait ltude et lexplication dun texte ancien; en pralable la ncessaire technicit et aux exigences de lanalyse que requiert le mtier dephilologue, le Pre Testard mettait toujours en avant une profonde sympathiepour ses auteurs, grce laquelle il entrait en rsonance avec une pense dabordsurgie du grain de la vie avant dtre un abstrait objet dtude. Et cettecomplicit valait pour tous les auteurs dont il sapprochait, paens ou chrtiens,potes ou historiens, philosophes ou thologiens, de Lucrce Juvencus, delhumanisme cicronien la spiritualit des Pres de lglise. divers momentsde sa carrire, les collgues du Pre Testard lui ont manifest leur estime enlappelant diverses responsabilits au sein de socits savantes; il prsidanotamment la Socit des tudes latines en 1974. Il a toujours exerc cesmandats avec un dvouement et une discrtion exemplaires, non sans appeler la fermet ou la rsistance lorsquelles simposaient. Sa familiarit avecluvre de Cicron lui a mrit dobtenir un hommage remarqu lors duColloque Prsence de Cicron qui sest tenu Azay-le-Ferron en 1982. plusieurs reprises, le Pre Testard a aussi t appel participer activement lorganisation de grandes manifestations scientifiques, telles que les congrs dela Fdration internationale des tudes classiques ou les Congrs quinquennauxde lAssociation Guillaume Bud, au Bureau de laquelle il a longtemps sigcomme secrtaire gnral adjoint. Un mot suffirait rsumer la carrire et la vie

  • IN MEMORIAM R. P. MAURICE TESTARD III

    du Pre Testard: fideliter, dans sa double acception fidlement etfermement. Fidlit ses matres, qui a perptu la tradition de la philologiefranaise ponctue par les uvres de Louis Havet, Alphonse Dain ou JulesMarouzeau. Fidlit une mthode de travail, toujours soucieuse de respecter letexte et son histoire, la pense profonde dun auteur travers une critiquephilologique serre, dont Pierre Courcelle lui a donn lexemple. Fidlit lavertu dexigence, qui ne sautorisait aucune concession la mdiocrit ou linjustice. Fidlit ses tudiants, quil a dcline au superlatif dans la ddicacedun de ses derniers ouvrages sur la littrature et la vie des Chrtiens latinsdes premiers sicles: Carissimis discipulis fidelissime. Fidlit, enfin, unevocation sacerdotale qui la amen exercer parmi ses collgues et ses tudiantsun ministre discret, mais toujours disponible et attentif aux joies, aux inqui-tudes ou aux souffrances de chacun; aprs son admission lmritat, il a, dureste, t appel poursuivre ce ministre la paroisse parisienne de Saint-Eustache o il a rendu, pendant plusieurs annes, de prcieux services litur-giques et pastoraux. Affaibli par une sant fragile, le Pre Testard stait retir Saint-Brieuc o il sest teint dans la paix et la discrtion, entour de laffectionde ses proches, pour dcouvrir enfin, la suite de saint Augustin, le visage decette Vrit quil a tant aime et recherche. Ceux qui lont bien connu conser-veront du Pre Testard le souvenir dun prtre et dun homme de conviction, quia su dfendre les valeurs de lintelligence avec tendresse et gnrosit pour aiderles hommes progresser en sagesse et mieux connatre le mystre qui leshabite. Carissimo magistro fidelissime!1

    Paul-Augustin DEPROOST

    1. Cette notice est une version lgrement remanie et augmente dune chronique publie

    dans le premier fascicule du tome 101 (2006) de la Revue dhistoire ecclsiastique. Jeremercie mon collgue, le Professeur Jean-Pierre Delville, de mavoir autoris reprendre cetexte ici.

  • Revue dtudes augustiniennes et patristiques, 52 (2006), 1-29.

    La perscution oubliedes chrtiens dAntioche sous Trajan

    et le martyre dIgnace dAntioche

    Parmi les problmes auxquels se heurte la recherche patristique, celui de ladatation du corpus pistolaire attribu Ignace dAntioche1 figure en bonneplace.

    La version non-interpole des sept lettres mentionnes par Eusbe, gnrale-ment considre comme authentique2, ne fournit pas dindications permettant de

    1.Le corpus pistolaire ignatien est form de 3 collections successives dont chacune apass pour la seule authentique: la Recension Longue (RL), la Recension Moyenne (RM) et laRecension Brve (S). RL comprend les 7 lettres mentionnes par Eusbe (HE III, 36, 5-11): Lettres aux phsiens; aux Magnsiens; aux Tralliens; aux Romains; aux Philadel-phiens; aux Smyrniens et Polycarpe. Ces 7 lettres ont fait lobjet, la fin du IVes., de nom-breuses additions et de quelques suppressions; elles ont reu le nom de Lettres interpoles.Entre les Lettres interpoles, lauteur du recueil a insr, deux par deux, 6 Lettres supposesou fictives, dont Eusbe ne fait pas mention, ceci de manire dissimuler leur caractre apo-cryphe: les Lettres de Marie de Cassobole Ignace; dIgnace Marie de Cassobole; auxTarsiens; aux Antiochiens; Hron, diacre dAntioche et aux Philippiens. RL est reprsen-te par 2 versions, une latine (l) et une grecque (g). La version latine a t redcouverte lapremire, laube du XVes.; ldition princeps a t procure en 1498 par Lefvre dtaples.La version grecque a t publie soixante ans plus tard, en 1558, par Valentin Hartung, ditPaceus, puis par Andr Gesner, en 1560, mais sur un ms. diffrent, aujourdhui perdu. RMcomprend les 7 lettres mentionnes par Eusbe; elles ne sont pas interpoles et leur texte estplus court que celui de RL; elles sont suivies par les Lettres supposes. RM est reprsentepar 5 versions: latine (L); grecque (G); armnienne (A); syriaque (Sf) et copte (C). Ldi-tion princeps de L a t procure en 1644 par J. Ussher et celle de G par Isaac Voss, en 1646.

    2.Toutefois, elle est encore loin de faire lunanimit: R. WEIJENBORG, Les LettresdIgnace dAntioche, Leiden, 1969, p. 32-42, considre que RL aurait t compose dans la2emoiti du IVe s., entre 360 et 380; les lettres non-interpoles de RM en seraient une versionabrge, tablie postrieurement. Selon J.RIUS-CAMP, The Four Authentic Letters of Ignatius,the Martyr, Rome, 1979, le corpus pistolaire ignatien serait issu dun noyau authentique,constitu par 4 lettres rdiges entre 80 et 100: les Lettres aux Romains; aux Magnsiens;aux Tralliens et aux phsiens. Selon cet auteur le floruit dIgnace se situerait dans la2emoiti du Iers. R. JOLY, Le dossier dIgnace dAntioche, Bruxelles, 1979, p.120, estime

    Article crit par tienne Decrept Institut dtudes Augustiniennes

  • TIENNE DECREPT2

    situer, quelques annes prs, lpoque laquelle elles ont t rdiges et o sesont drouls les vnements quelles rapportent: lenvoi de leur auteur Rome,pour tre livr aux fauves, et son voyage travers lAsie. Selon la ChroniquedEusbe3, le voyage dIgnace aurait eu lieu sous le rgne de Trajan, au cours dela 221eOlympiade, en 107/108, mais cette date ne fait lobjet daucun consensus.

    Les fluctuations de la datationTh. Zahn4 a plac le voyage et le martyre dIgnace entre 115 et 117;

    J.B.Lightfoot autour de 1105; cet auteur, dans la suite de son ouvrage, conclutque la mort de lvque dAntioche a eu lieu entre 100 et 1186. A.Harnack situelvnement dans les dernires annes du rgne de Trajan, entre 110 et 117, ouun peu plus tardivement, entre 117 et 1257. Dmontrant le caractre artificiel deslistes piscopales tablies par Eusbe pour les siges de Rome, Alexandrie etAntioche, Charles Munier considre quIgnace a exerc ses fonctions piscopalesautour des annes 120/1358 ou entre 110-1359. R. Schoedel, aprs avoir dabordestim que larrestation dIgnace et son envoi Rome ont pu intervenir entre100 et 13510, a largi sa fourchette11, tandis que la date de 107 tait propose par

    que RM est postrieure au Martyrium Polycarpi et quelle a t rdige vers le milieu duIIesicle. Une partie de son argumentation a t reprise par R. M. HBNER, Thesen zurEchtheit und Datierung des Sieben Briefe des Ignatius von Antiochien, ZAC, 1, 1997,p.44-72. Les Lettres non-interpoles serait une fiction forge dans les dernires dcennies duIIe s. Larticle de R. M. Hbner a suscit les rserves notamment de A.LINDEMANN, ZAC, 1,1997, p. 185-194, et de G.SCHLLGEN, Die Ignatianen als pseudepigraphisches Brief-corpus, ZAC, 2, 1998.

    3.La Chronique dEusbe place le voyage et le martyre dIgnace vers la 10/11e anne durgne de Trajan, 107/108 ap. J.-C., Chronique, d. Helm, p. 194.

    4.Th. ZAHN, Ignatius von Antiochien, Gotha, 1878, p. 60.5.J. B. LIGHTFOOT, The Apostolic Fathers, Londres, 1885, II, vol. 1, p. 30.6.Ibid., vol. 2, sect. 1, p. 30: () we shall be doing no injustice to the evidence by

    setting the probable limits between A.D. 100-118, without attempting to fit the year moreprecisely.

    7.A. HARNACK, Chronologie des Literatur bis Irenus, Leipzig, 1897, rd. 1958, p. 406.8.Ch. MUNIER, propos dIgnace dAntioche, observations sur la liste piscopale

    dAntioche, RevSR, 55, 1981, p. 131.9.ID., O en est la question dIgnace dAntioche? Bilan dun sicle de recherches, 1870-

    1988, ANRW II, 27, p. 380 et note 17.10.W. R. SCHOEDEL, Ignatius of Antioch, A Commentary on the Letters of Ignatius of

    Antioch, Philadelphia, 1985, p. 5: And it was shown that all other significant features of theworld of Ignatius were compatible with a date somewhere between (say) 100-118 C.E.

    11.ID., Polycarp of Smyrna and Ignatius, ANRW II, 27/1, 1993, p. 349: Thus thedating of Ignatius arrest and deportation to Rome is a matter of great uncertainty and could beplaced anywhere between A.D. 105 and A.D. 135.

  • LA PERSCUTION OUBLIE DES CHRTIENS DANTIOCHE 3

    Chr. Trevett12 et celle de 80, par J. Rius-Camp13. Sur Ignace et son destin,lHistoire est muette et ce silence suffit expliquer les incertitudes de ladatation.

    Pour pallier les lacunes de la trame historique, on ne dispose que du XIe livrede la Chronique de Jean Malalas et de documents auxquels leur caractrehagiographique a valu dtre ngligs par la critique: les Actes de Drosis. Cessources, condition quon ne leur demande pas plus quelles ne peuvent donner,sont susceptibles dclairer larrire-plan de la geste ignatienne. Elles conservent,en effet, la trace de traditions locales, selon lesquelles une perscution brve,violente et circonscrite Antioche, aurait clat la suite du tremblement deterre qui dtruisit la cit, le 13 dcembre 115, pendant le sjour de Trajan.

    I. LE SISME DANTIOCHE ET LE TMOIGNAGE DE MALALAS

    Jean Malalas est le premier et le seul auteur avoir tabli un rapport impliciteentre le sisme dAntioche et le martyre dIgnace. Avant danalyser sontmoignage, citons limpressionnant rcit que labrviateur de Dion Cassius,Xiphilin, a donn de la catastrophe:

    1) Le rcit de Dion CassiusTrajan se trouvait Antioche quand se produisit un violent tremblement deterre; de nombreuses cits furent ravages par le sisme mais il eut Antiocheune gravit considrable car Trajan avait tabli l ses quartiers dhiver et sonsjour avait provoqu un afflux de soldats, de citoyens venus de partout se prsen-ter devant le tribunal de lempereur, de dlgus des cits, dhommes daffaires,sans compter tous ceux qui staient dplacs pour contempler sa personne; lacatastrophe affecta toutes les nations, tous les peuples, si bien qu Antioche cefut lensemble de la terre habite sous domination romaine qui fut frappe. Il y eutde nombreux clairs, des vents violents, phnomnes qui toutefois ne laissaientpas prvoir lampleur du cataclysme. Dabord un norme rugissement retentitsoudain, suivi de secousses dune grande intensit: le sol se soulevait, les dificesbondissaient; les uns, projets dans les airs, retombaient en morceaux; les autres,ballotts et l comme par les flots, chaviraient en dispersant leurs dbris auxalentours. Poutres, tuiles, pierres, taient brises, pulvrises dans un fracasassourdissant au milieu de nuages de poussire si dense quon ne pouvait ni voir,ni parler, ni entendre. Un grand nombre dhabitants qui avaient fui leurs maisonsfurent cependant victimes du sisme: lancs en lair par les secousses, ils retom-baient en scrasant sur le sol comme si on les avait jets dans un prcipice; lesuns subirent de graves traumatismes, dautres prirent; des arbres avec leurs

    12.Chr. TREVETT, A Study of Ignatius of Antioch in Syria and Asia, Studies in the Bible

    and Early Christianity, vol. 29, Lewiston-Queenston-Lampeter, 1992, p. 9: The date of107 C.E., attested by Eusebius () seems to be a plausible date if martyrdom in Trajans timeis accepted.

    13.J. RIUS-CAMP, Indicios de una redaccion muy temprana de las cartas autenticas deIgnacio (ca. 70-90 d. C.), Augustinianum, 35/1, 1995, p. 199-214.

  • TIENNE DECREPT4

    racines jaillirent de la terre; une multitude innombrable dhabitants, abandonns lintrieur des maisons, moururent sous la pluie de dcombres ou touffs par lesboulements. Tous ceux qui restaient prisonniers par une partie du corps sous lespierres ou les poutres connurent un sort atroce, incapables de survivre ni de mou-rir sur le coup. On russit cependant en sauver un grand nombre, eu gard lamultitude des victimes; aucune ntait indemne, beaucoup dentre eux avait perduleurs jambes ou leurs bras; beaucoup souffraient de fractures du crne; dautresvomissaient du sang. En un mot, absolument aucune souffrance ne fut alorspargne ces hommes: jour et nuit le dieu continuait branler la terre tandisque les hommes demeuraient impuissants et dsarms devant lampleur de lacatastrophe. Les uns gisaient crass sous les ruines, les autres qui avaient tprotgs par lenchevtrement des poutres ou par la vote forme par lcroule-ment dune colonnade, finissaient par mourir de faim; profitant dune accalmie,un rescap eut laudace de gravir un tas de dcombres; ilentendit la voix de safemme; elle tait en vie, son bb ct delle; tous deux avaient russi survivre, la mre salimentant, elle et son enfant, de son propre lait; on poursuivitles recherches sans dcouvrir nulle trace de vie sauf un nourrisson qui ttait le seinde sa mre: elle tait morte. Ceux qui retiraient les cadavres des dcombresnprouvaient pas la moindre joie davoir survcu. Tel fut le dsastre dAntioche.Trajan russit schapper par une fentre de son palais, grce linterventiondun homme dune taille surhumaine; il neut que de lgres contusions. Lesisme continua pendant plusieurs jours et Trajan les passa en plein air danslhippodrome; le mont Casius fut secou au point que son sommet sinclina etseffondra; on crut que lboulement allait menacer la ville; ailleurs, des hauteurssaffaissrent; des sources jaillirent en abondance l o il ny avait pas deau;dautres disparurent l o elles coulaient abondamment14.

    2) Le tmoignage de Malalas: la structure du livre XIJean Malalas est un lettr dorigine antiochienne15; cest Antioche, au

    second tiers du VIe sicle quil a rdig sa chronique; celle-ci va de la Crationau rgne de Justinien; elle sinscrit dans la tradition chronographique chr-tienne, illustre par Eusbe. Jean Malalas manifeste une curiosit dantiquairepour les monuments anciens et recherche activement les documents susceptiblesde les clairer16; son intrt nest pas circonscrit Antioche, mais la grandemtropole dAsie, cosmopolite et remuante, est au centre de son uvre commeelle est au centre de sa vie. Malalas tait lun des collaborateurs du ComesOrientis, charg des affaires civiles du diocse dOrient; ses lecteurs dlection

    14.DION CASSIUS, LXVIII, 24-25, Dionis Rom. Hist., Lipsiae, 1824, t. IV, p. 328-335;

    Roman History, d. et trad. E. CARY, Loeb Classical Library, Cambridge (Mass.), HarvardUniversity, 1914.

    15.Brian CROKE, Malalas, the Man and his Work, dans Studies in John Malalas, editedby E. JEFFREYS with B. CROKE and R. SCOTT, Sydney, 1990, p.4: Perhaps he was born andeducated in Antioch or in its hinterland.

    16. Csare de Philippe, Malalas sest procur le texte de la ptition adresse parVronique Hrode pour lrection dune statue de bronze en lhonneur de Jsus qui lavaitgurie, statue quil a eu loccasion de vnrer dans une glise de la ville (Chron. X, 12, BO239).

  • LA PERSCUTION OUBLIE DES CHRTIENS DANTIOCHE 5

    taient sans doute ses propres collgues; avec la Chronique, ils avaient leurdisposition un ouvrage dont lrudition permettait de dchiffrer le paysageurbain de la cit, den mieux comprendre les coutumes et de relier son prsent son pass.

    La premire partie du XIe livre de la Chronique est consacre au rgne deTrajan, envisag selon la perspective antiochienne qui prvaut dans le reste delouvrage.

    Encadr par le dpart de lempereur, quittant Rome pour lOrient avec sestroupes, et sa mort, brivement rapporte par le chroniqueur, le rcit est formdune succession dpisodes: les uns, de caractre militaire, relatent la prten-due occupation dAntioche par un parti perse et la rduction de la Msopotamieen province romaine, la suite des victoires de Trajan; dautres rapportent lemartyre des chrtiens de Palestine, celui dIgnace, et la mort, dans un bchercollectif, de chrtiens dAntioche, parmi lesquels Drosin17 et ses compagnes;dautres, enfin, ont un caractre tiologique et expliquent la prsence, lpoquede Malalas, de statues fminines dans des difices publics et certains riteslustratoires encore en usage, telles les fumigations de laurier et les sonneriesnocturnes de tambourins, dont il est question dans lpisode perse. La successionde ces pisodes ne suit pas la chronologie dEusbe; elle sorganise de part etdautre du sisme dAntioche, dont Malalas ne fait pas la description mais quildate avec une remarquable prcision. Dans la premire partie du rcit, celle quiprcde la datation du sisme, le chroniqueur a insr la geste des martyrs dePalestine entre lpisode de loccupation dAntioche et la victoire de Trajan surla Perse. Dans la seconde partie, consacre la reconstruction de la cit parlempereur, lattestation du martyre dIgnace se trouve, elle aussi, enchsseentre deux notices, lune consacre la statue de Calliop qui dcorait lavant-scne du thtre de Trajan, lautre aux cinq statues fminines conserves dansles thermes; cette dernire notice est elle-mme suivie par le supplice deschrtiens dAntioche et de Drosin, si bien que ces diffrents pisodes sesuccdent selon une disposition alterne.

    Malalas a organis lensemble de son rcit comme une vritable marqueteriedans laquelle le martyre des chrtiens de Palestine et celui dIgnace occupentdes emplacements symtriques, de part et dautre de la datation du sisme.

    La place privilgie ainsi rserve par le chroniqueur sa notice sur Ignace,dans le cadre de la reconstruction dAntioche, suggre que les Antiochiensmettaient la mort du martyr en relation avec la catastrophe dont leur cit avaitt victime au temps de Trajan.

    17.Le martyrologe hironymien porte: Drusina; les Actes grecs et lhomlie de Jean

    Chrysostome: Drosis.

  • TIENNE DECREPT6

    Rsum des pisodes Rfrences aux ditionsde la Chronique de

    Malalas

    Chronologie de Malalas Chronologie dEusbe

    I Trajan et ses troupes quittent Romepour lOrient.

    BO 270-273PG97, 409B - 413 A

    Douzime anne du rgnede Trajan;mois d Uperberetai'o~/(octobre).

    Cinquime anne du rgnede Trajan (102).

    II pisode militaire: occupation dAntiochepar les Perses; dbarquement de Trajan Sleucie de Pirie. Vpres antiochiennes:lempereur invite les Antiochiens massacrer les occupants et incinrer leurscadavres. Entre de Trajan Antioche par laporte de Daphn.

    BO 270PG 97, 409A-B

    Mois d Aujdhnai'o" (jan-vier).

    III Martyre volontaire des chrtiens dePalestine; le gouverneur Tiberianusannonce Trajan que les chrtiens sednoncent spontanment. Rescrit de lem-pereur interdisant tous les gouverneurs demettre les chrtiens mort.

    BO 273PG 97, 413 A-B

    107: troisime perscu-tion; martyre de Symonde Jrusalem:dixime anne du rgne deTrajan.

    IV pisode militaire: Trajan quitteAntioche et, aprs avoir vaincu lesPerses, intronise Parthemastape la placede Sanatroukios en fuite. Rduction de laMsopotamie en province romaine.

    BO 273-274PG 97, 413B - 416 A

    Seizime anne du rgnede Trajan (113).

    V Sisme dAntioche BO 275PG 97, 416 B

    Le 13 du mois dAp-pelaios, ou dcembre, lepremier jour de la semaine,aprs le chant du coq, lan164 de lre antiochienne,deux ans aprs larrive dudivin Trajan en Orient(13dcembre 115).

    Seizime anne du rgnede Trajan (113).

    VI Reconstruction de la cit: dificationde la Porte du Milieu

    BO 275PG 97, 417 A

    VII Rcit tiologique: immolation deCalliope, vierge antiochienne devant laPorte du Milieu et rection de sa statue, surle modle de la Tych dAntioche, au centredu proscenium du thtre de Trajan.

    BO 275-276PG 97, 417 A-B

    VIII Martyre dIgnace BO 276PG 97, 417 B

    tovte = lpoque dusisme (115).

    Onzime anne du rgnede Trajan (108):Ignatius quoque antio-chen ecclesiae episcopusRomam perductus bestiistraditur.

    IX Martyre volontaire des cinq chrtiennes:rcit tiologique expliquant la prsence descinq tychai dans les thermes de Trajan.

    BO 276-277PG 97, 417 B-C

    X Martyre volontaire des chrtiensdAntioche dans un brasier collectif.

    BO 277PG 97, 420 A

    XI Martyre de Drosis et de nombreusesautres vierges.

    Ibid.

    XII Construction par Trajan dun temple Artmis sur le site de Daphn; cration desprovinces de Dacie premire et seconde.Mort de Trajan.

    Ibid. Cinquime anne du rgnede Trajan (102):Trajanus victo regeDecibalo Daciam fecitprovinciam.

  • LA PERSCUTION OUBLIE DES CHRTIENS DANTIOCHE 7

    3) La prtendue occupation dAntioche par les ParthesMalalas rapporte que les Parthes18 quil appelle Perses auraient occup

    Antioche, linstigation des notables de la cit peu avant larrive de Trajan:Les Perses occuprent Antioche la Grande sans coup frir, par suite dun accordamical; ils en prirent possession au nom du roi des Perses Sanatroucis, en vertudune convention en bonne et due forme, passe avec les notables antiochiens qui,de leur propre initiative, avaient envoy une ambassade auprs du roi des Persesconclure un trait de paix et de sujtion. Le roi des Perses envoya deuxbazarmanates nomms Phourton et Gargaris, avec une importante troupe de troismille Perses. Lempereur Trajan qui venait de dbarquer Sleucie de Syrie surun vaisseau rapide, envoya aux notables et tous les citoyens dAntioche unmessage secret pour annoncer son arrive; il ajoutait: Nous savons que votreville est trs populeuse et dispose de troupes sur place, tandis que les Perses sontpar rapport vous une poigne dhommes; que chacun liquide les Perses quil achez lui; ayez confiance en ma venue, car cest pour venger les injures faites auxRomains que nous voici. ces nouvelles, les Antiochiens restrent veills et,pendant la nuit, courant sus aux Perses qui se trouvaient lintrieur de la cit, lesmassacrrent jusquau dernier; ils firent prisonniers les deux stratges perses, lesbarzamanates Phourton et Gargaris et les mirent mort; ils promenrent leurscadavres dans toute la ville en criant: cest Phourton et Gargaris quon promnepour la victoire de lempereur Trajan! Avance! Phourton! Avance! Gargaris!Pendant que le peuple promenait leurs cadavres, les Perses qui staient enfuishors de la ville mirent le feu, au cours de la mme nuit, un quartier, proche dubourg de Skeptin.

    Inform de ces vnements, lempereur Trajan loua le courage des Antio-chiens; la flotte qui transportait larme ayant abord Sleucie, lempereur etses troupes montrent au sanctuaire de Daphn, prier, rendre grce et offrir dessacrifices dans le temple dApollon. De Daphn, lempereur adressa aux Antio-chiens les directives suivantes: emporter les cadavres perses hors de la ville et lesbrler une distance suffisante; purifier toute la cit par des bchers de bois delaurier dresss de place en place ainsi quaux portes de la ville et rpandre sur lesfeuilles de laurier enflammes une grande quantit dencens; faire retentir lestambourins dans toute la ville pour loigner les esprits injustes des Perses im-mols19. Ses ordres furent excuts. Le mme empereur Trajan venant de Daphnentra Antioche de Syrie, par la porte dite Porte dOr, cest--dire la porte deDaphn; il avait sur la tte une couronne dolivier. Ctait au mois dAudynaiosou janvier, le 7, un jeudi midi. Il ordonna de faire retentir les tambourins pen-dant trente nuits conscutives et de renouveler le rituel chaque anne, en souvenirdu massacre des Perses; tel est le rcit des vnements par Domninus20.

    J. Guey a tabli quil est impossible que les Parthes aient pu semparerdAntioche sous le rgne de Trajan; lpisode relat est entirement fictif21:

    18.La source de Malalas est ici le chronographe Domninus (MALALAS, XI, 273, 413 A).19.MALALAS, XI, 272, 412C.20. MALALAS, BO 271-273, PG 97, 409 C - 413 A.21.J. GUEY, Essai sur la guerre parthique de Trajan, Bucarest, 1937, p. 48: Le rcit de

    Malalas est dailleurs tel quon y peut reconnatre tous les caractres dune lgende locale. Etcest de sa nourrice que notre auteur, qui tait dAntioche, doit tenir ici toute sa science, tant

  • TIENNE DECREPT8

    J.Gag, qui a tudi cet pisode22, estime quil ny a jamais eu sous Trajandoccupation, mme provisoire, dAntioche par les Parthes et, la diffrence deJ.Guey, considre que les instructions de Trajan nont pas t prises loccasion de quelque pidmie23, dans un but prophylactique. Il sagit, sonavis, de crmonies religieuses de lustration, clbres au lendemain du sismedAntioche et auxquelles Trajan aurait particip24. J. Gag sest attach prciser les diffrents aspects de ce rituel lustratoire, commencer par lexhi-bition des cadavres des deux chefs de la garnison perse, Gargaris et Phourton,les prtendus barzamanates; dans son article de 1953, lauteur a estim que lerle quils jouaient dans le rcit et le titre qui leur est attribu renvoient desrites de style iranien: le barasman tait un faisceau de baguettes sacres que leprtre mazden tenait dans sa main; les barzamanates sont les porteurs dubarasman25; Phourton et Gargaris taient deux dmons; au cours du rituellustratoire, chacun tait flanqu de son lustrateur spcifique, charg delexpulser et porteur du barasman26. Malalas ou sa source ont finalementce conte terrible et naf sadresse des mes simples, faciles sduire par lvocation vh-mente de scnes brutales, mais dune crdulit que ne dconcertent ni les invraisemblances, niles contradictions.

    22.J. GAG, Les Perses Antioche et les courses de lHippodrome au milieu duIIIesicle, BFS, 31, 1952-1953, p. 301-324; ID., Basileia, les csars, les rois dOrient et lesMages, Paris, 1968.

    23.J. GUEY, op. cit., p. 48: La lgende ici rapporte mle dailleurs diverses poques;toute la fin les prtendus ordres de Trajan au peuple dAntioche aprs le massacre desPerses semble faire allusion aux mesures dhygine prises loccasion sans doute dequelque pidmie terrible.

    24.J. GAG, Basileia, op. cit., p. 182: Bref, le rcit de Malalas nous parat avoir pourbase authentique le dploiement dun vaste ensemble de rites cathartiques dont la villedAntioche avait eu besoin durant le sjour de lempereur Trajan: quelle autre circonstanceimaginer que le tremblement de terre qui alors, en effet, la dvasta et lpouvanta?

    25.J. GAG, Les Perses Antioche, art. cit., p. 320: Les deux barzamanatesdAntioche doivent logiquement avoir t deux porteurs de barasman, jouant un rleessentiel dans une crmonie de lustration de caractre funraire. Il nest ncessaire, ni depenser que cette crmonie ait t rgulire une grande pidmie, une catastrophe comme letremblement de terre a pu la justifier en quelques occasions solennelles ni de la mettre enrelation avec une guerre effective contre les Parthes ou les Perses. Les cadavres, sil y en avaitde rels, ne devaient pas rigoureusement tre ceux de Perses, mais seulement faire lobjet derites persiques.

    26.J. GAG, Basileia, op. cit., p. 184-185: Le rcit de Malalas, que nous venons derduire, pour lessentiel, la description dune vaste crmonie de lustration applique laville dAntioche au lendemain du tremblement de terre, en la prsence ou sous la direction deTrajan, saccommoderait-il de la participation de lustrateurs de style mazden, lun et lautre sils taient vraiment deux! porteurs de barasman pour assurer la purification? On entendbien que si, chez Malalas, il y a deux barzamanates, etqui sont les deux chefs de la garnisonperse, cest surtout parce que deux noms, pour nous plutt de dmons, et de valeur magique,taient cris, et que, pour le chroniqueur, ils dsignaient ncessairement les deux officiersiraniens. Nous admettons que les formules dexorcisme que lon rcitait sadressaient

  • LA PERSCUTION OUBLIE DES CHRTIENS DANTIOCHE 9

    attribu aux chefs de la garnison perse les noms de ces deux dmons considrscomme tant lorigine du sisme27. Le deuxime lment du rituel a unefonction purificatrice: les feux de laurier, allums de place en place lintrieurde la ville et ses portes28. Le rcit se poursuit avec lentre, par la Porte deDaphn, de Trajan couronn dolivier. Le chroniqueur la prsente comme unelustration qui aurait suivi le massacre de la garnison prtendument perse. Cetteentre triomphale correspondrait une procession lustratoire effectue aulendemain du tremblement de terre en prsence ou sous la direction de Trajan29.Le rite du tambourin sur lequel se termine lpisode perse semble galementdorigine iranienne30 et confre au rcit de Malalas sa base authentique.

    Les Parthes nont jamais occup Antioche sous Trajan mais elle a tincendie et mise sac par les Perses en 540. Cet vnement douloureux de sonhistoire rcente a t transform par le chroniqueur en un pisode de son passqui aurait tourn sa gloire31.

    4) Le martyre volontaire des chrtiens de PalestineLe chroniqueur, dans cet pisode, commence par citer une lettre que le prfet

    de Palestine premire, Tiberianus, dconcert par lempressement des chrtiens se prsenter spontanment devant son tribunal, aurait adresse Trajan, lexemple de Pline, pour solliciter ses instructions:

    Conformment vos ordres, jai prodigu tous mes efforts pour punir et mettre mort les Galilens qui partagent la doctrine de ceux qui ont le nom de chrtiens.Ils ne cessent de se dnoncer eux-mmes pour quon les mette mort. Aussi mesuis-je fatigu les avertir de ne pas avoir laudace de prendre linitiative de sednoncer moi comme affids lasusditedoctrine; mais ils ne cessent desexposer aux poursuites. Veuillez donc me rvler et mordonner les dcisions devotre invincible puissance32.

    La source de Malalas est lpisode relat par Eusbe dans les Martyrs dePalestine33: lannonce que des chrtiens allaient tre livrs aux btes danslamphithtre de Csare de Palestine, six jeunes gens, les mains lies derrirele dos, se prsentent la rencontre du gouverneur et rclament de partager ledeux gnies spcialiss (considrs peut-tre comme responsables des mouvements de laterre?); que, pour les flchir, ou les expulser, aient t choisis deux lustrateurs spcifiquesaussi, plutt quun, resterait parfaitement admissible.

    27.Ibid., p. 208, n. 18.28. Ibid., p. 184.29. Ibid., p. 177.30. E. JEFFREYS, Studies in John Malalas, op. cit., p. 60, n. 3.31.ID., art. cit., p. 61: On a more general level there are signs that Malalas reconstructs

    legendary history in terms of events from the recent past.32.MALALAS, XI, BO 273; PG 97, 413 A-B.33.EUSBE, Mart. Pal., III, 2-4. Le chroniqueur a pu galement sinspirer de TERTULLIEN,

    AdScapulam, 5, 1.

  • TIENNE DECREPT10

    sort de leurs frres. Le gouverneur, excd, au lieu de les livrer aux fauves, lesfait dcapiter. Le martyre volontaire est apparu avec le christianisme34; lesauteurs paens y ont vu une manifestation de folie collective35; les auteurs chr-tiens36, lexception de Tertullien37, ont mis son gard de vives rserves;cependant il a perdur jusquau dbut du IVe sicle38. Il constitue un toposhagiographique que le chroniqueur a repris dans lpisode des cinq chrtiennesdes thermes de Trajan39 et dans celui des chrtiens dAntioche invits parlempereur se prcipiter volontairement dans un brasier. Trajan, en rponse la requte du prfet de Palestine, ordonne non seulement Tiberianus, maisgalement tous les autres gouverneurs de mettre fin aux perscutions:

    Trajan lui ordonna de cesser de mettre les chrtiens mort et adressa les mmesinstructions tous les autres gouverneurs: ne pas mettre mort lavenir ceuxquon disait chrtiens. Cest ainsi que les chrtiens bnficirent dun rpit40.

    5) Le sisme du 13 dcembre et la reconstruction dAntioche par TrajanLes cataclysmes naturels tant considrs dans lAntiquit comme des

    manifestations de la colre divine, les auteurs anciens font souvent mention descrmonies expiatoires destines apaiser la divinit. Celles qui auraient suivilincendie de Rome sous Nron ont t mentionnes par Tacite. Lanciengouverneur de la province dAsie, sorti de charge peu avant le tremblement deterre dAntioche, dcrit successivement, dans les chapitres 38 44 du XVe livredes Annales: les ravages de lincendie; le dbut de la reconstruction; les cr-monies expiatoires; la perscution des chrtiens. Ces quatre lments seretrouvent, dans le mme ordre, dans le dveloppement consacr par Malalas la catastrophe dAntioche: la datation du sisme (elle remplace sa description);la reconstruction; les crmonies expiatoires; la perscution des chrtiens. Antioche, les lieux publics taient dcors de nombreuses statues apotropaques,destines prvenir le retour des sinistres; aussi chroniqueur, la suite de sarelation du rituel lustratoire, a-t-il insr une notice destine expliquer loriginede plusieurs dentre elles. Loin dtre un lment adventice, cette notice contri-bue assurer la rception du rcit par des lecteurs antiochiens vivant dans lacrainte de nouvelles secousses.

    34.G. W. BOWERSOCK, Martyrdom and Rome, Cambridge, 1995, p. 20 et passim.35.Celse, apud ORIG., Contra Cels. 8, 39, 41, 55, 65.36.CLMENT DALEXANDRIE, Stromates, IV, 4, 17, 1-4 ; IV, 10, 76, 2 ; VII, 11, 66, 4.37.TERTULLIEN, Ad Scap. 5.38.Lpisode de Csare de Palestine date de 305.39.MALALAS, XI, BO 276; PG 97, 417 B.40.XI, BO 273, PG 47, 413 B. En soulignant que les chrtiens nont bnfici que dun

    court rpit, le chroniqueur manifeste un souci de cohrence, le martyre dIgnace et deschrtiens dAntioche dont il est question par la suite, risquant de paratre contredire le rescritde Trajan.

  • LA PERSCUTION OUBLIE DES CHRTIENS DANTIOCHE 11

    Malalas date la catastrophe avec prcision:Sous le rgne du mme divin Trajan, Antioche la Grande, prs de Daphn, subitlpreuve qui la frappa pour la troisime fois, le 13 du mois dApellaios, oudcembre, le premier jour de la semaine, aprs le chant ducoq, lan 164 de lreantiochienne, deux ans aprs larrive du divin Trajan en Orient41.

    Lan 164 de lre dAntioche correspond lan 115 de notre re42; il esttabli que Trajan a quitt Rome lautomne 11343 et quil a fait sa premireentre Antioche le 7 janvier 11444: le tremblement de terre a eu lieu deux ansaprs larrive de lempereur en Orient. Le 13 du mois dApellaios correspondau 13dcembre du calendrier julien. V.Grumel a dmontr que le calendrier enusage chez Eusbe et dans lglise dAntioche partir du IVe sicle est de typejulien45. Il est peu vraisemblable que Malalas lui ait prfr le calendrier tyrien.F.A.Lepper46, G. Downey47, E. Cizek48 et E. Jeffreys49 confirment la date du13dcembre 115, considre aujourdhui comme celle du sisme dAntioche.

    Bien que cette catastrophe soit pour Malalas un vnement majeur du rgnede Trajan, le chroniqueur antiochien nen fait pas la description et nen rapportepas les effets; il se contente den donner la date et consacre la suite de sa notice la reconstruction de la cit50; parmi les travaux entrepris51, il numresuccessivement: ldification dune arche monumentale, la Porte du Milieu,(Mevsh Puvlh) dont il prcise lemplacement: proximit du temple dArs, duMarch et du Parmnios; le relvement du portique de la Grande Rue52, la

    41.MALALAS, XI, 275, PG 97, col. 416 B.42.J. GUEY, op. cit., p. 96.43.Ibid., p. 39-41.44.C. DE LA BERGE, Essai sur le rgne de Trajan, Paris, 1877, p. 170 et 174, n. 4;

    J.GUEY, op. cit., p. 44.45.V. GRUMEL, Trait dtudes byzantines, I, La Chronologie, Paris, 1958, p. 174, 194 et

    215.46.F. LEPPER, Trajans Parthian War, Oxford, 1948, p. 83: One can with some confi-

    dence proceed on the assumption that the earth shook at Antioch on 13th december A.D.115.

    47.G. DOWNEY, A History of Antioch in Syria, from Seleucus to the Arab Conquest,Princeton, 1961, p. 213.

    48.E. CIZEK, Lpoque de Trajan, Paris, 1983, p. 440.49.E. JEFFREYS, op. cit., sect. 7, 6, p. 151; sect. 9, 8, p. 155.50.MALALAS, XI, BO 275-276, PG 97, 417 C - 418 B; G. DOWNEY, A History of Antioch,

    op. cit., p.215-218.51.J. LASSUS, Les portiques dAntioche, Princeton, 1972, p. 146: Les travaux com-

    mencs sans doute vers 116 ont fort bien pu ntre achevs que sous Antonin le Pieux, cest--dire aprs 138.

    52.LIBANIOS, Antiochikos, (Or. XI, 196 - 504, 8, Frster); R. MARTIN, Commentairearchologique de lAntiochikos (A. J. FESTUGIRE, Antioche paenne et chrtienne, Paris,1959). G. POCCARDI, Antioche de Syrie, pour un nouveau plan urbain de lle de lOronte

  • TIENNE DECREPT12

    construction de thermes publics et dun aqueduc de Daphn Antioche53etlachvement du thtre54. La part quil a peut-tre prise lui-mme dans lareconstruction dAntioche la suite du sisme de 526 il avait alors entretrente-cinq et quarante-cinq ans et faisait partie des bureaux du Comes Orientisexplique son intrt pour les travaux effectus au lendemain du tremblement deterre de 115. Malalas rapporte que Trajan fit placer au sommet de la Porte duMilieu, le groupe clbre reprsentant Romulus et Rmus allaits par la louve55;le chroniqueur signale, daprs Domninus, que cet emblme de la puissanceromaine avait t install prcdemment par Tibre, au-dessus de la PortedOrient56, lors de la rfection des remparts57. Que la Porte dOrient et la Portedu Milieu aient t lune et lautre dcores par la statue de la Louve allaitantRomulus et Rmus, ne signifie pas pour autant quil sagisse du mme difice58;au cours de son rcit des origines de Rome, Malalas affirme quayant consult laPythie aprs le meurtre de Rmus, Romulus fut averti par loracle davoir installer la statue de son frre sur un trne ct du sien, pour garantir lastabilit de son propre pouvoir59. Dans une cit comme Antioche, peuple destatues destination apotropaque60, le groupe emblmatique de Rome a pujouer le rle de pharmakon pour protger contre les sismes deux portesdiffrentes: la Porte dOrient, la suite du tremblement de terre du 23 mars 37

    (ville neuve), du IIIe au Ve sicle, MFRA, 106/2, 1944, p. 993-1023; B.CABOURET, Sousles portiques dAntioche, Syria, 76, 1999, p. 140: Le ramnagement de la rue monu-mentale fut entam peu aprs 115. Ces travaux furent si importants () quils nont sansdoute t achevs que sous Antonin ().

    53.Laqueduc a t construit avant le sisme. Cf. G. DOWNEY, A History of Antioch,op.cit., p. 212, n.51.

    54.Reconstruit par Jules Csar, agrandi successivement par Agrippa et Tibre, mais restinachev. Cf. G. DOWNEY, A History of Antioch, op. cit., p.216.

    55.MALALAS, XI, 275, PG 97, 417 A.56.Eastern Gate, sur le plan de D. N. Wilbert, publi par C. R. Morey. Cf. G.POCCARDI,

    art. cit., p. 995; elle est aussi connue sous les noms de Porte de Saint Paul ou Porte deBro (ou dAlep).

    57.MALALAS, X, 235, PG 97, 361 B.58.G. DOWNEY, A History of Antioch, op. cit., Excursus 10, p. 618: It is difficult to base

    any argument on whether it would be unusual for a city such as Antioch to possess twomonumental representations of the wolf with Romulus and Remus, a symbol of great signi-fiance to the Romans; and hence it seems impossible to say that being ornamented with sucha statue shows that the Eastern Gate and the Middle Gate must be identical. There is, how-ever, good evidence for the location of these gates which shows that they were not identical.

    59.MALALAS, VII, 172, PG 97, 275 B.60.E. JEFFREYS, op. cit., p. 107-108; M.DZIELSKA, Apollonius of Tyana in Legend and

    History, Rome, 1986, p. 74: Apollonius talismans were so well known and popular inAntioch in the fourth and fifth centuries that the Church had to acquiesce in these pagancustoms.

  • LA PERSCUTION OUBLIE DES CHRTIENS DANTIOCHE 13

    av.J.-C.61 qui eut lieu une semaine aprs la mort de Tibre; la Porte du Milieu,aprs la catastrophe du13dcembre 115. Du haut de cette dernire, Romulus,Rmus et la Louve garantissaient la stabilit de la puissance romaine en Orient,qu la veille de la seconde campagne parthique, le sisme avait paru menacer.

    6) Les crmonies lustratoires: limmolation de Calliop, vierge dAntiocheSelon Malalas, Trajan offrit en sacrifice devant la Porte du Milieu, une

    vierge de belle apparence, nomme Calliop, pour purifier la cit, aprsquelle eut effectu travers la ville un parcours que le chroniqueur prsentecomme une nymphaggia (cortge de marie):

    Il offrit en sacrifice une jeune vierge de belle apparence, citoyenne dAntioche,du nom de Calliop62, en victime expiatoire pour la purification de la cit etorganisa en son honneur un cortge nuptial63.

    Poursuivant son rcit de la reconstruction dAntioche par le relvement desportiques de la Grande Rue, la construction de thermes publics et dun aqueducde Daphn Antioche, Malalas en arrive lachvement du thtre; il est nouveau question de Calliop: le chroniqueur rapporte que Trajan fit riger lastatue de la victime expiatoire dans le nymphaeum du proscenium:

    Il rigea, sur quatre colonnes, au milieu du nymphaeum du proscenium64, enlhonneur de la jeune fille quil avait gorge65, une statue en bronze dor, assiseau dessus de lOronte, comme Tych de la mme cit, couronne par les princesSeleucus et Antiochus.

    Selon cette seconde notice:1) Trajan prside la reconstruction dAntioche et accomplit les rites qui,

    selon le chroniqueur, marqurent la fondation de la cit par Sleucus.2) Comme Sleucus, il consacre la victime une statue.3) Cette statue est en bronze dor, linstar de celles des dieux.4) Elle est la rplique de la clbre Tych dAntioche par Eutychids quon

    pouvait contempler dans son temple ttrastyle66.

    61.MALALAS, X, 243, PG 97, 372 C: le deuxime sisme depuis les Macdoniens.62.Daprs le texte du chroniqueur, le nom de Calliop serait celui de la jeune fille et non

    celui de sa statue.63.MALALAS, XI, 275, PG 97, 417 A.64.Litt.: sfagiasqeivsh". Le verbe sfagiavzesqai est le terme technique utilis dans le

    cas dun sacrifice sanglant. Cf. A. HENRICHS, Human Sacrifice in Greek Religion dansEntretiens sur lAntiquit classique, t. 27: Le sacrifice dans lAntiquit, Genve, 1981,p.213 et rf. bibl. en note 1.

    65.MALALAS, XI, 275, PG 97, 417 A.66.La Tych dAntioche dans son temple quatre colonnes figure sur des monnaies

    mises sous le rgne de Trajan. Cf. J.TOYNBEE, Hadrianic School, Cambridge, 1934,p.131-133.

  • TIENNE DECREPT14

    Llve de Lysippe avait reprsent lentit divine vtue dune robe et assisesur un rocher symbolisant le mont Silpius, sur lequel elle sappuyait de la maingauche; elle tenait dans la main droite une gerbe de bl; elle tait coiffe dunecouronne de tours; ses pieds un adolescent figurait lOronte67. Sleucus etAntiochus couronnant la Tych avaient t ajouts la statue rige dans lethtre de Trajan, vraisemblablement pour rappeler que la reconstructiondAntioche la suite du sisme quivalait une nouvelle fondation et qu cetteoccasion la cit avait t place, comme ses origines, et de la manire la plussolennelle, sous le patronage de sa protectrice attitre: le rcit de Malalas sou-ligne que Calliop tait devenue elle-mme une tych. Limmolation de viergessuivie de lrection de leurs statues en forme de tychai est en effet un leitmotivde la Chronique68: tantt Malalas ne signale que limmolation de la victime,sans prciser si une statue a t rige en son honneur69; tantt il ne mentionneque sa statue, sans faire allusion son immolation70; mais le plus souvent, il faittat de lun et de lautre71. Sur dix sacrifices humains, six, selon la Chronique,auraient t accomplis par Alexandre, Sleucus, Auguste et Tibre72, soit pour

    67.G. DOWNEY, A History of Antioch, op. cit., p. 73-75 et n. 88, fournit une abondante

    bibliographie sur la Tych dEutychids.68.Liste et rfrences: E. JEFFREYS, op. cit., p. 57, n. 1.69.MALALAS II, 37, 108 B: Perse fonde Tarse sur lemplacement dAdrasum et immole

    la vierge Parthnope pour purifier le site; VIII, 192, 304 A: Alexandre fonde Alexandrie surlemplacement de Rhakotis et immole une vierge laquelle il donne le nom de Macedonia;IX, 221, 345 A: Auguste fonde Ancyre sur lemplacement dArin et immole, pour purifier lesite, une vierge laquelle il donne le nom de Gregoria; X, 235, 361 B: Tibre agrandit lethtre dAntioche et immole une vierge nomme Antigonia.

    70.MALALAS, II, 36, 105 C - 108 A: fondation dIconium par Perse; la Tych est placehors des murs et reoit le nom de son fondateur; VIII, 20I, 313 D - 316 A: Sleucus, aprsavoir dtruit la ville dAntigonia et remploy ses ruines la construction dAntioche, rige Antioche une statue de bronze en lhonneur de la Tych Antigonia. IX, 216: JulesCsarrige, Antioche, prs du temple dArs, une statue de bronze en lhonneur de la Tych deRome. XIII, 320, 480 B: Constantin offre un sacrifice non sanglant et donne la Tych deConstantinople le nom dAnthousa; cf. A. FROLOW, La ddicace de Constantinople dans latradition byzantine, RHR, 127, 1944, p. 61 et sq.

    71.MALALAS II, 31, 100 B: Tauros, lors de la fondation de Gortyne, immole une viergenomme Callinik et donne son nom une statue de bronze; V, 139, 237 A: Oreste etIphignie fondent une cit sur lemplacement de Tricomia en Palestine et lui donnent le nomde la vierge Nyssa quils ont immole et laquelle ils ont rig une statue et consacr unautel; VIII, 200, 313 C: Sleucus, loccasion du trac des murailles dAntioche, fait immo-ler par le prtre Amphion une vierge nomme Aimath et lui rige une statue de bronze; 203,318, A-B: lors de la fondation de Sleucie de Syrie, lemplacement de Mazabda, Sleucusimmole la vierge Agav et lui rige une statue; X, 268, 405, B: Anarzabe ayant t victimede sismes rpts, Zarbos immole une vierge indigne nomme Cepara et lui rige une statuede bronze.

    72.Celle de Macdonia par Alexandre, dAimath et dAgav par Sleucus, de Grgoriapar Auguste, dAntigonia par Tibre et de Calliop par Trajan.

  • LA PERSCUTION OUBLIE DES CHRTIENS DANTIOCHE 15

    protger une cit contre dventuels sismes loccasion de sa fondation73, oude la construction de remparts et ddifices publics74, soit pour la purifier, lasuite dun tremblement de terre et prvenir de nouvelles secousses75. Il ressortdu tmoignage de Malalas que limmolation de vierges, suivie de lrection deleurs statues en forme de tychai, avait pour but de renouveler la protection que laTych accordait la cit place sous son patronage; le pouvoir magique et bien-faisant qui manait de sa statue tait ractiv, lorsque de nouvelles catastrophesfrappaient la cit, par le sacrifice de jeunes vierges; celles-ci devenaient leurtour des tychai; leurs statues taient des talismans, comparables aux pharmakaqui garantissaient la cit contre les malheurs publics; elles lui assuraient uneprotection renouvele contre une recrudescence des sismes76.

    Les tmoignages littraires, archologiques et numismatiques suggrent quele culte des tychai tait plus rpandu en Syrie et notamment Antioche que dansla province dAsie. Cependant, parmi toutes les tychai recenses par JeanMalalas, Calliop est la seule dont le chroniqueur prcise quelle reut unestatue en bronze dor77; la dorure tant rserve aux statues des personnagesdivins, Calliop tait donc honore par les Antiochiens comme une desse.

    7) La transformation de Calliop en muse de lloquenceIl est souvent question de Calliop dans les discours et les lettres de Libanios;

    son tmoignage est antrieur de deux sicles celui de Malalas; il ne sagit paschez lui dune jeune vierge citoyenne dAntioche immole par Trajan, mais dela premire des neuf Muses. Calliop, la Muse, et Tych, la Desse, se partagentingalement les dvotions du clbre rhteur: la Tych, chez Libanios, exercesur les hommes un pouvoir universel; elle est une Sagesse divine; son empirestend sur les collectivits et sur les destines individuelles; les vnementsimprvus et soudains, et notamment les sismes, relvent spcialement de sajuridiction78. Libanios lui tmoigne une rvrence qui, la fin de sa vie, avec lesdceptions et les preuves de lge, ne va pas sans un certain dsenchantement79.Toutefois, si la Tych gratifie Antioche de ses dons80, cette desse universelle

    73.MALALAS, II, 31, 100 B; 36, 105 C - 108 A; 37, 108 B; V, 139, 237 A; VIII, 192,304A; 203, 328 A-B; IV, 221, 345 A.

    74.MALALAS, VIII, 200, 313 C; X, 235, 361 B.75.MALALAS, X, 268, 405 B; XI, 275, 417 A.76.E. JEFFREYS, op. cit., p. 105: In the case of the tych, the magic power was conferred

    through the sacrifice of a virgin who was then represented by a statue. Dans sa recensiondes meurtres rituels qui accompagnent lrection dune tych, Malalas na recours aucun desthmes habituels aux apologistes chrtiens et adopte lattitude dtache et objective aveclaquelle il rapporte les traits curieux des institutions politiques et religieuses de Rome.

    77.MALALAS, XI, 276, PG 97, 417 B.78.J. MISSON, Recherches sur le paganisme de Libanius, Bruxelles, 1914, chap. III, p. 55.79.Ibid., p. 51.80.LIBANIOS, Orat. XI, 259 (F. I., 529, 4 sq.).

  • TIENNE DECREPT16

    nest pas considre par Libanios ni par Julien comme patronne attitre etexclusive de la cit; ce rle est tenu, chez lun comme chez lautre, par la MuseCalliop: Antioche est sa ville81; elle la obtenue en partage82.

    Lorsquau dbut de son installation dfinitive dans sa cit dorigine, le rhteursefforce de trouver un local bien situ pour y dispenser son enseignement, laprire quil adresse nest pas destine la Tych dont il pouvait apercevoir letemple depuis les colonnades de la Grande Rue, mais la Muse, dont la statue, lintrieur du thtre, restait pourtant dissimule ses yeux:

    toi, la meilleure des Muses, qui es la patronne de la ville, pour quels crimesminfliges-tu de tels chtiments? Pourquoi mavoir leurr, toi une desse?Pourquoi mavoir fait perdre ma position l-bas sans men procurer une ici? Celuiqui ma tromp prospre et sa victime est jete au rebut sous ton regardindiffrent! Javais adress de loin ces paroles la statue de la Muse depuis lacolonnade83

    Lintercession de Calliop est aussi efficace que celle dApollon et de Zeus,comme en tmoigne lavertissement que Libanios donne Thodore:

    De tout cela pense rendre grce Calliop, Apollon et Zeus, nos dieux;mais proccupe-toi ensuite daccorder la Muse et au Musagte ce qui leur estd84.

    Calliop la Muse est avec Herms, Pan, Dmter, Ars, Apollon et Zeus,lune des divinits auxquelles, selon Libanios, Julien a rendu un culte au coursde son sjour Antioche:

    La cit qui ta procur lalliance de nombreux dieux, te supplie; tu leur avaisoffert des sacrifices, tu les avais invoqus; tu avais fait campagne avec eux:Herms, Pan, Dmter, Ars, Calliop, Apollon, Zeus celui du sommet et celui dela ville, celui vers qui tu tais mont dans les hauteurs pour en revenir plein deconfiance et dont tu tais dsormais le dbiteur85.

    Sous Julien, son culte revtit un clat nouveau:Dsormais, Calliop, elle aussi, est honore comme tu le voulais, non seulementpar des courses de chars, mais par les jeux de la scne et par les sacrifices offerts la desse, dans lenceinte du thtre; elle est compltement revenue dans nosrangs si bien quune clameur triomphale slve et que, dans cette clameur, cesont des dieux quon invoque86!

    81.LIBANIOS, Orat. XX, 51 (F. II, 444, 17 sq.).82.ID., Orat. XXXI, 40 (F. III, 143, 7 sq.).83.ID., Autobiographie, Orat. I, 102-103, CUF, 1979, p. 140. Le rhteur sest install prs

    de lagora, dans la Grande Rue portique qui va de la Porte des Chrubins la PorteOrientale, tandis que le thtre est situ sur les premires pentes du Silpius.

    84.ID., Ep. 1317, 2 (F. XI, 266, 17, sq.).85.ID., Orat. XV, 79 (F. II, 152, 9 sq.).86.ID., Ep. 722, 4 (F. X, 734, 1 sq.).

  • LA PERSCUTION OUBLIE DES CHRTIENS DANTIOCHE 17

    Julien, comme Libanios, distingue la Desse Tych, de la Muse Calliop.Dans son discours Thmistius, lempereur souligne le caractre universel de lapremire:

    Je ne suis pas seul penser que la Fortune rgne absolument dans la pratiquedes affaires87.Accorde tous les hommes le bonheur dont llment capital est laconnaissance des dieux et la communaut du Peuple Romain surtoutlextirpation de la souillure de limpit et en outre la bienveillance de la Fortune,pour assurer avec lui le gouvernement de lEmpire pendant des milliers et desmilliers dannes88!

    Toutefois, Calliop et Apollon restent, aux yeux de Julien, les protecteursparticuliers dAntioche, malgr le peu de considration que les Antiochiens leurmanifestent. Le culte de Calliop rpond au paganisme pur que lempereuroppose lathisme, cest--dire au christianisme; la Muse est linspiratrice deceux qui, commencer par Julien, sefforcent de mettre nu les sophismes deszlateurs du christianisme:

    Dans votre amour pour le Christ, vous en faites le protecteur de la cit, au lieude Zeus, dApollon, de Daphn et de Calliop, elle qui a mis nu votre doctrinespcieuse (to; sovfisma)89.

    Cependant, daprs la description de Malalas, la statue de Calliop rigedans le thtre, ne correspond nullement liconographie de la Muse de llo-quence ni daucune autre; liconographie na jamais montr la Muse Calliopcouronne par Sleucus et Antiochus dune couronne murale et ayant lOronte ses pieds; nul ne lignorait et le plus illustre rhteur dAntioche, moins quequiconque. Les Antiochiens qui frquentaient le thtre et le temple de la Tychnavaient pas t sans constater, eux non plus, que la statue de Calliop, laprtendue Muse, tait la rplique de la Tych dEutychids vnre dans letemple ttrastyle. La statue du thtre ntait donc pas celle de la Muse delloquence, mais une rplique du chef-duvre dEutychids. Couronne parSleucus et Antiochus, elle attestait, nous lavons dit, que la reconstruction de lacit par Trajan quivalait une seconde fondation90. rige devant leproscenium do retentissait la voix des acteurs, des potes et des rhteurs offi-ciels, devait-elle son nom au lieu o elle avait t place? Ou bien sagissait-il,comme Malalas le suggre, dune vierge qui sappelait Calliop91? Dans tous

    87.JULIEN EMPEREUR, Discours Themistius, 5, CUF, Paris, 1963, t. II, 1re partie, p. 130.88.ID., Discours sur la Mre des dieux, 20, CUF, Paris, 1963, t. II, 1re partie, p. 130.89.ID., Misopogon 28, dans uvres compltes, t. II, 2e partie, CUF, 1964, p. 82; la

    traduction de sovfisma par cautle ne simpose pas.90. La premire fondation dAntioche par Sleucus a t marque par limmolation

    dAimath et lrection de sa statue de bronze comme Tych de la cit (MALALAS, VIII, 200,PG 97, col. 313 C).

    91.La plupart des tychai portaient un nom demprunt qui leur avait t attribu la suitede quelque circonstance particulire: le lieu o elles avaient t riges, le personnage lgen-

  • TIENNE DECREPT18

    les cas, cette tych tait un talisman, un pharmakon comme il y en avait tant Antioche, destin protger ldifice o il avait t plac.

    La tych Calliop, cause de lemplacement quelle occupait depuis deuxcent cinquante ans, avait fini par tre confondue avec la muse du mme nom.

    8) Les cinq tychai des thermes de TrajanMalalas rapporte que cinq statues fminines taient visibles de son temps dans

    les thermes difis par Trajan dans le cadre de la reconstruction dAntioche: la mme poque, lempereur retint cinq noms parmi les chrtiennesdAntioche et procda lui-mme leur interrogatoire: quelle esprance vous aincites vous offrir de vous-mmes la mort? Elles rpondirent: lespoir deressusciter, aprs que vous nous aurez mises mort, telles que nous sommes, avecnotre corps, pour une vie ternelle. Trajan ordonna de les brler, de recueillir leurscendres et de les mlanger du bronze; avec ce bronze, il fit faire des chaudires lusage des thermes quil avait construits; lorsque ces thermes furent mis ladisposition du public, chaque fois quon procdait des ablutions, on tait pris devertige, on scroulait et il fallait quitter les lieux en se faisant porter. Apprenantlincident, Trajan, la place de ces chaudires, en fit faire de nouvelles en nem-ployant que du bronze pur. Jai eu tort, dit-il, de mlanger leurs cendres au bronze,car jai pollu leau chaude. Telles furent ses propres paroles. Les chrtiens entiraient gloire et se moquaient des paens la drobe. Trajan fit refondre lespremiers rcipients et en fabriqua cinq statues en lhonneur des cinq femmes.Cest moi, dit-il, qui les ai ressuscites, comme elles lont dit elles-mmes, et nonleur Dieu. Ces statues se trouvent dans ces mmes thermes publics o on peutencore les voir92.

    La notice de Malalas est une passion pique en rduction; elle rapporte unelgende hagiographique qui explique la prsence de cinq statues fminines dansun mme lieu. Ralises en ronde bosse, elles ne reprsentaient sans doute pasdes martyres chrtiennes93, mais des tychai. Comme la statue de Calliop, ellesavaient chapp aux campagnes de destruction qui, linstigation des autorits

    daire ou historique qui en avait pris linitiative; certaines de ces dnominations semblent serapporter leur apparence et tre de vritables sobriquets. Cf. MALALAS, VIII, 200, 313 C:Aimath, form selon nous, sur le radical Haima, avec le suffixe valeur de passif th etdissimilation daspiration: la sanglante doit peut-tre son nom la couleur de sa statue;VIII, 203, 318 A-B: Agav, la brillante, sans doute allusion lclat du bronze; X, 268,405 B: Kpara, la campagnarde; IX, 221, 345 A: Gregoria, lveille. Toutefois,Calliop nest pas la Muse de la Tragdie, de la Comdie, ni de la Danse, mais de lloquenceet de la Posie pique; le thtre nest pas son domaine.

    92.MALALAS, XI, 276, PG 97, 417 B-C.93.A. GRABAR, Le premier art chrtien (200-395), Paris, 1966, p. 269: Le domaine o

    le triomphe du Christianisme sest manifest avec clat, dans un sens ngatif, est celui de lasculpture en ronde bosse et surtout de la statuaire. Le Christianisme triomphant a port uncoup mortel cet art qui, jusque-l, avait prdomin sur tous les autres dans lEmpireRomain. Cf. aussi A. MOFFAT, art. cit., p. 103: Sculpture in the round was avoided forChristian themes, it seems, with the exception of some statuettes.

  • LA PERSCUTION OUBLIE DES CHRTIENS DANTIOCHE 19

    religieuses94, avaient svi en Orient au tournant du IVe sicle et autour dAntioche.Thodose Ier et ses successeurs se proccuprent de sauvegarder la statuaireantique pour sa valeur dcorative95; les uvres les plus remarquables furentsouvent entreposes dans les thermes devenus muses96. Toutefois, lintrtartistique ntait pas la seule raison pour laquelle on les mettait labri: lacroyance au pouvoir magique des statues avait survcu au triomphe duchristianisme97, surtout Antioche o la plupart avaient t riges dans un butprophylactique. Celles qui subsistaient recevaient souvent une interprtationchrtienne98.

    Les cinq statues des thermes de Trajan taient des tychai; leur identificationpar Malalas cinq antiochiennes supplicies par le feu sur lordre de Trajan a sasource dans les Actes de Drosis, comme nous le verrons par la suite. Le motattribu lempereur, aprs lrection de leurs statues: Cest moi qui les airessuscites et non leur Dieu tait sans doute lune de ces paroles de drisionque lapologtique chrtienne se plaisait mettre dans la bouche dun tyran,mais correspondait par ailleurs aux conceptions sur lesquelles reposait le ritueldes tychai: une vierge immole pour le salut de sa cit et dont la statue debronze prennisait le sacrifice salvateur, accdait, telle Calliop, au rang dedivinit tutlaire et limmortalit.

    9) Le rituel lustratoire des tychai selon MalalasLes notices sur Calliop et les cinq chrtiennes permettent de prciser limage

    que Malalas se faisait des crmonies clbres pour expier le sisme du13dcembre et prvenir le retour toujours redout de nouvelles secousses. Lerituel aurait comport plusieurs lments: une procession lustratoire qui auraitpris lallure dun cortge de marie (numfagwgiva); limmolation de vierges enprsence de Trajan99 et lrection de tychai dans les difices particulirement

    94.LIBANIOS, Orat. XXX pro templis.95.Cl. LEPELLEY, Le muse des statues divines, la volont de sauvegarder le patrimoine

    artistique paen lpoque thodosienne, Cahiers archologiques, 42, 1994, p. 5-15.96. St. GSELL, Promenades archologiques aux environs dAlger, Paris, 1929, cit par

    Cl.LEPELLEY, ibid., p. 11: Aux derniers temps de la domination romaine, les thermestaient devenus une sorte de muse, un asile pour les statues des dieux dchus, anciennesidoles qui ntaient plus que des objets dart.; B. CASEAU, Polemein lithois. La dsacra-lisation des espaces et des objets religieux paens durant lAntiquit tardive, Le sacr et soninscription dans lespace, Byzance et en Occident. tudes compares, d. M.KAPLAN,Paris, 2001, p. 61-123.

    97.C. MANGO, Antique Statuary and the Byzantine Beholder, DOP, 17, 1963, p. 59 sq.98.Ibid., p. 63: The superstitious re-interpretation of antique sculpture was paralleled by

    a Christian re-interpretation ().99.G. DOWNEY, A History of Antioch, op. cit., p. 216, n. 71: It is impossible of course

    that Trajan should have performed a human sacrifice of this kind. The numerous stories thatappear in Malalas of such immolation, accompanying the foundation of cities or the erectionof buildings are Christian legends designed to cast discredit on pagan practices.

  • TIENNE DECREPT20

    exposs aux tremblements de terre. La reconstruction dun difice ou dune villepriodiquement ruins par les tremblements de terre, la beaut de la victimesacrifie pour en empcher leur retour, sa qualit de citoyenne, le cortge nuptialqui lamne sur les lieux du supplice, son immolation devant la construction parles soins du constructeur, sont autant de traits quon retrouve, travers lessicles, dans le folklore des peuples de lEst mditerranen, comme en tmoignela chanson du Pont sur lArta100 o ils sont numrs dans le mme ordre quedans la notice de Malalas sur Calliop.

    10) Le martyre dIgnace et celui des chrtiens dAntiocheLa brve notice sur Ignace, entre le rcit de limmolation de Calliop et celui

    de lholocauste des cinq chrtiennes dAntioche, occupe la mme place que lanotice sur les chrtiens de Palestine entre lpisode de loccupation dAntiocheet celui de la victoire de Trajan sur la Perse:

    Le mme empereur Trajan sjournait dans la mme cit lorsquclata la colredivine; cest ce moment l que, sous le rgne de Trajan (ejpi; aujtou' tovte),saint Ignace, vque dAntioche subit son martyre; il (Trajan) stait emportcontre lui parce quil lui faisait des reproches101.

    Lexpression ejpi; aujtou' interprte dans le sens local de en prsence de,impliquerait que, contrairement aux donnes des Lettres ignatiennes ainsi qula rception littraire et liturgique des translations des reliques dIgnace, cedernier aurait subi son supplice Antioche mme; il faudrait alors expliquerpourquoi Malalas aurait t le seul auteur laffirmer; cette hypothse a tsoutenue en1860 par G.H.Volkmar102 qui, sautorisant du silence du chroni-

    100.L. SAINAN, Les rites de construction daprs la posie populaire de lEurope

    centrale, RHR, 45, 1902, p. 359 sq.101.MALALAS, XI, 276, PG 97, col. 417 B.102.G. H. VOLKMAR, Handbuch der Einleitung in die Apokryphen, Tbingen, 1860,

    p.49-55 et 121-134, a consacr une importante tude la guerre parthique dont il sest efforcde reconstituer la chronologie; il a t le premier auteur moderne considrer avec Malalasque la date du 13 dcembre 115 tait celle du sisme dAntioche: Le sisme o le consulPedo trouva la mort, la suite duquel Ignace subit son martyre, sest produit aprs la prise deBatana et la premire campagne Parthique, alors que Trajan tait revenu Antioche en vain-queur des Parthes, la fin de novembre ou de dcembre, le 13 dcembre, comme le prciseMalalas. (p. 53); il soutient quIgnace a subi son martyre non Rome, mais Antioche, unesemaine aprs le sisme, le 20 dcembre et considre galement quIgnace fut la victimedune perscution spontane laquelle Trajan ne put sopposer: Comme la suite dvne-ments gnrateurs deffroi et pleins de mystre, alors retentirent bientt les cris: Christianiad Leones!. Seuls les dieux pouvaient hurler si farouchement contre ces athes qui leurmanifestaient tant de mpris. Trajan lui-mme naurait pas t capable de retenir la colre dela populace contre les chrtiens; la perscution se droula sous ses yeux. Il se peut que, pourmettre un terme au tumulte populaire, la premire fois que lon rendit grce aux dieux pouravoir apais leur colre, on ait condamn les plus considrables ou les plus entts desdirigeants athes, ou plutt leur chef, le premier des presbytres, combattre des btes danslamphithtre et affronter des lopards (sic) une semaine aprs le sisme, le 20dcembre

  • LA PERSCUTION OUBLIE DES CHRTIENS DANTIOCHE 21

    queur sur le voyage, a estim quIgnace avait subi son supplice Antioche, le20dcembre, sept jours aprs le sisme. En fait, le tour ejpi; aujtou' a ici un senstemporel: lexpression signifie quIgnace a subi son martyre sous le rgne deTrajan103; ladverbe tovte renvoie au sisme dAntioche, point de dpart de lageste ignatienne. Le topos hagiographique de la colre de lempereur, la suitedes vifs reproches que lvque dAntioche lui aurait adresss, est emprunt auDiscours sur Babylas104 dans lequel Jean Chrysostome voque lentrevueorageuse entre un empereur infanticide et le plus clbre des successeursdIgnace. Dans lun et lautre cas, un vque dAntioche aurait t condamnpour impit envers la majest impriale et aurait pay de sa vie la parrhsiadont il aurait fait preuve.

    Linsertion de la notice dIgnace aprs la datation du sisme suggre que lemartyre du saint a commenc aprs la catastrophe105. La symtrie entre cettenotice et celle des chrtiens de Palestine met en relief le contraste entre leursassertions respectives: la premire fait tat dun dit de Trajan interdisant tousles gouverneurs de mettre les chrtiens mort; la seconde, qui semble contre-dire la prcdente, atteste quIgnace a t arrt pour avoir, par ses reproches,provoqu la colre impriale. Tension toutefois nest pas contradiction: entrelinterdiction faite par Trajan de mettre dsormais les chrtiens mort et lemartyre dIgnace, la cit a subi la colre des dieux; la politique de clmenceinaugure par lempereur, selon Malalas, se trouve suspendue Antioche, parlobligation de chtier ceux dont limpit a provoqu la catastrophe: non seule-ment leur martyre a eu lieu aprs le sisme, mais il en a t la consquence. Silstait agi ici dun topos hagiographique, le tremblement de terre aurait tprsent comme le chtiment inflig par Dieu aux perscuteurs des chrtiensdAntioche.

    La tension que nous avons observe entre la clmence dont, selon Malalas,Trajan aurait fait preuve lgard des chrtiens de son empire et sa colre contreIgnace, est plus nette encore dans lpisode qui termine le rcit de lareconstruction de la cit:

    (p. 51). Le thme, inaugur par G. H. Volkmar, dIgnace, victime dune perscutionspontane, a t repris par J.B. LIGHTFOOT, op. cit., II, vol.1, p. 32, 344.

    103.Cf. Acta Pioni, IX: ejpi; kairw`n Gordianou` ; Act. Ant. I, F. X. Funk - F. Diekamp,Patres Apostolici, II, p. 324, 1.6: ejpi; Dometiavvou, du temps de Domitien.

    104.Discours sur Babylas, Introduction, texte critique, traduction et notes par MargaretA.SCHATKIN, avec la collaboration de Ccile BLANC et Bernard GRILLET, SC 362, 1999, 33,l.9-21, p.132: Comment se fraya-t-il un passage travers les gardes du corps? Commentouvrit-il la bouche? Comment sexprima-t-il? Comment fit-il entendre ses reproches?.

    105.G. DOWNEY, Ancien Antioch, Princeton, 1963, p. 131: According to what wasevidently a local source, Ignatius was arrested and condamned at the time of the earthquakewhich took place on 13th December A.D. 115.

  • TIENNE DECREPT22

    Il (Trajan) fit prparer une fournaise et ordonna aux chrtiens qui le voulaient desy jeter; beaucoup le firent et rendirent tmoignage106.

    Linsistance sur le nombre des Antiochiens envoys au supplice par Trajan aulendemain du sisme contraste fortement avec linterdiction gnrale de mettreles chrtiens mort, formule par lempereur avant la catastrophe.

    11) Le martyre de sainte DrosinLa notice sur les chrtiens dAntioche se termine par la mention du martyre

    de sainte Drosin et des vierges ses compagnes:Cest alors que sainte Drosin et de nombreuses autres vierges rendirenttmoignage.

    Drosis est une des grandes saintes dAntioche. Sa fte tombe le 14dcembre,dans le martyrologe hironymien107 et des dates varies, dans les mnesgrecques108. Jean Chrysostome lui a consacr une homlie109 et SvredAntioche un hymne110 et deux homlies111 o il la prsente comme la proprefille de Trajan. Des Actes de Drosis nous sont galement parvenus. Son culte estancien. Daprs Jean Chrysostome, le martyrium qui abritait ses reliques etcelles dautres martyrs, tait une certaine distance dAntioche; il pourraitsagir du martyrium collectif de Romansie112, situ lextrieur de la cit, prsde la porte du mme nom, cest--dire notre avis, sur la rive droite delOronte113, proximit du champ de Mars, en face de lle, sige du pouvoirromain114, o taient difis le palais imprial et lhippodrome qui servit Trajan de refuge lors du sisme de 115. Les tombeaux que renfermait cemartyrium, dont celui de Drosin/Drosis, seraient ceux des chrtiens immols la suite de la catastrophe du 13 dcembre 115115.

    106.MALALAS, XI, 277, PG 97, 420 A.107.Acta Novembris, col. 648: In Antiochia Drusinae et sociorum ejus numero III

    Zosimi et Theodori, sanctae Lucae virginis.108.Propylaeum ad AASS novembris, 22 septembre, col. 70, l. 21; 22 mars, col. 553,

    l.11; 28 juillet, col. 853, l. 50.109.BHG 566, PG 50, 683-694.110.E. W. BROOKS, The Hymns of Severus and Others in the Syriac Version of Paul of

    Edesse, as revised by James of Edessa, PO 7, p. 621-622.111.W. WRIGHT, Catalogue of the Syriac Manuscripts in the British Museum, London,

    1870-1872, p.541-542.112.E. SOLER, Le sacr et le salut Antioche au IVe sicle aprs J.-C., Rouen, 2000,

    p.429-433. Daprs Jean Chrysostome, Flavien en personne conduisait son glise en pleri-nage sur le tombeau de la sainte (De S. Droside martyre, PG 50, 683).

    113.Carte 8.114.Le terme de Romansie est un mot compos qui signifie lle des Romains.115.La date du 14 dcembre qui apparat dans le calendrier hironymien pour la fte de

    sainte Drosis semble faire cho celle du sisme, le 13 dcembre.

  • LA PERSCUTION OUBLIE DES CHRTIENS DANTIOCHE 23

    La concision des notices de Malalas sur Ignace, sur les chrtiens dAntiocheet sur Drosin rappelle le style des mnologes. Ces notices proviendraient sansdoute du calendrier martyrial de lglise dAntioche.

    II. LES ACTES DE DROSIS

    Il existe deux versions des Actes de Drosis: une version grecque116 et uneversion syriaque117.

    1) Les Actes grecs de sainte Drosis (traduction)Mort de Drosis, fille de lempereur Trajan. Lempereur Trajan faisait prirchaque jour ceux qui confessaient la foi chrtienne; il abandonnait leurs glo-rieuses dpouilles dans des lieux impurs et indignes. En ce temps-l, des femmeson leur donnait localement le nom de consacres (kanonikaiv)118 suivaient lescommandements de Dieu, dans un lieu dexercice spirituel (ajskhthvrion) etvaquaient sans rpit, avec dautres, la tche denduire dessences parfumes etdentourer de linges les restes des saints, quelles dposaient dans leur lieu dexer-cice. La fille de Trajan elle sappelait Drosis vint lapprendre. Tandis que lescubiculaires taient plongs dans un profond sommeil, elle dcida daller avecelles enlever le corps dun saint. Hadrien, conseiller de Trajan et prtendant deDrosis, dit Trajan: Tout puissant Seigneur, commande aux soldats de garderceux qui ont pri de mort violente, afin que nous connaissions qui drobe leurscadavres et lempereur de rpondre: Commande-le leur. Au cours de leurveille, les soldats saisirent les cinq femmes consacres en mme temps queDrosis, la fille de lempereur. De bon matin, ils la conduisirent devant Trajan.Celui-ci, la vue de Drosis, fut frapp de stupeur; il donna lordre de la mettre ensret, au cas o elle viendrait se repentir. Quant aux cinq femmes consacres,voici ce quil dcida: il fit construire un grand creuset et on les y prcipita; onversa sur elles du bronze en fusion en quantit suffisante pour mlanger leurscendres au mtal. Trajan ordonna quavec cet alliage on coult les cuves deschaudires destines aux bains publics qui venaient dtre reconstruits119; ilsdevaient en effet tre rallums et inaugurs lors de la fte des Apollonies120, pourla sant et le dlassement des idoltres qui partageaient les croyances delempereur.

    Ces ordres tant excuts et les martyres du Christ tant rduites en cendres, onfabriqua les chaudires, on alluma le bain et on proclama partout: Vous tous quites les amis de nos dieux bienveillants, venez linauguration des bains publics.Aussitt tous daccourir. Le premier qui slana, peine parvenu au seuil de la

    116.dite par H. DELEHAYE, Propylaeum ad AASS nov., Bruxelles, 1902, daprs le

    Codex Bibliothecae Nationalis Parisiensis Coislin 223. Ils figurent la date du 22 mars.117.Select Narratives of Holy Women from the Syro-antiochene or Sina Palimpsest as

    written above the Old Syriac Gospels by John the Stylite of Beth-Mari-Quanun in A.D. 778,edited by A. SMITH LEWIS, Studia Sinatica IX-X, London, 1900, 2 vol.

    118.G. W. H. LAMPE, A patristic Greek lexicon, Oxford, 1961, s. v. 4.119. Puqmevna~ tw`n calkeivwn tou` ejk kainh`~ ajnegerqevnto~ dhmosivou loutrou`.120.La fte dApollon Daphn.

  • TIENNE DECREPT24

    premire porte, scroula et rendit lme et tous les autres aprs lui. Nul ne russit franchir la premire porte des thermes. cette nouvelle, lempereur convoquales prtres de ses dieux. Dites-moi, leur demanda-t-il, que signifie cela? Y a-t-ileu magie de la part des chrtiens? Et eux de rpondre: Non, roi, mais leschaudires coules avec les restes de ces femmes consacres en sont la cause.Ordonne den fabriquer de nouvelles et tout fonctionnera normalement. Hadriendit alors lempereur: Ordonne de refondre les premires cuves de chaudires etden faonner des statues de femmes nues leffigie des cinq femmes consacreset fais-les placer, pour leur honte et leur dshonneur dans les bains publicsimpriaux. Lempereur prescrivit de le faire et cela fut fait. Quand les statuesfurent mises en place, Trajan vit en songe cinq agnelles sans tache qui paissaientdans le paradis sous la garde dun berger redoutable. Celui-ci dit lempereur:Prince inique et impie, celles dont tu as cru riger leffigie pour leur dshonneur,le beau et bon berger te les a enleves pour les placer dans un lieu o ta fille,Drosis, lagnelle sans tache, va les rejoindre. Limpie se rveilla, furieux de ceque mme aprs leur mort, les saintes femmes aient tourn ses volonts endrision. Il ordonne dallumer deux fours, dans chacune des deux parties de laville121, et dentretenir le feu tous les jours. Il fait galement placer sur les foursune inscription contenant un dcret imprial ainsi formul: Galilens qui adorezle crucifi, vitez de nombreuses tortures et vitez-nous beaucoup de travail: quechacun dentre vous se jette en toute libert dans le four de son choix. Ce dcretayant t proclam travers la ville, Drosis, lesclave de Dieu, apprenant que tousles chrtiens, pousss par leur foi et leur dsir de Dieu, se jetaient dans les fours,leva les yeux vers les cieux et dit: Matre et Seigneur Jsus-Christ, fils de Dieu,si ta volont est que je sois sauve et que jchappe la religion insense deTrajan, mon pre, aide-moi toi-mme me librer du fardeau dtre lpouse delimpie Hadrien et monter au ciel o sont les cinq observantes rgulires quimont appris te craindre. Endors mes gardiens dun profond sommeil, afin que jepuisse prendre la fuite. Sur ces mots, elle quitta son vtement princier, et sortitsans bruit, sans que personne ne sen aperut. Elle partit se jeter dans un des fours,mais elle se demandait: Comment aller Dieu, sans robe nuptiale, sans baptmeet donc en tat dimpuret? roi des rois, Seigneur Jsus-Christ, jai quitt maroyaut pour que tu mtablisses portire de ton royaume. Toi, donc, qui as tbaptis cause de nous, baptise-moi dans lEsprit Saint. Sur ces mots, elle jeta leparfum prcieux quelle avait emport de sa chambre et, se prcipitant dans un desrservoirs o se dversaient les pluies dhiver, elle procda son baptme endisant: lesclave de Dieu, Drosis, se baptise au nom du Pre, du Fils et du SaintEsprit. Elle resta l sept jours, nourrie de la nourriture des anges. Des amis duChrist la trouvrent et demeurrent auprs delle; ils apprirent de sa bouche ce quilui tait arriv. Le huitime jour, ayant pri pour que son destin saccomplt, ellesen alla rejoindre le Seigneur.

    121.La ville ancienne, fonde par Seleucos Ier Nicanor en 300 av. J.-C., sur la rive Est de

    lOronte, et lle de lOronte qui prit, sous Diocltien le nom de Ville Neuve.

  • LA PERSCUTION OUBLIE DES CHRTIENS DANTIOCHE 25

    Les Actes syriaques de sainte Drosis Rsum1) Sainte Drosis122 est la fille de Trajan. Celui-ci a lintention de construire

    Antioche un bain public lusage des paens.2) Chaque jour, il met mort trois chrtiens et laisse leurs cadavres sans

    spulture.3) Cinq moniales: trois vierges, leur mre et Sufu123, leur sur spirituelle,

    ensevelissent secrtement, chaque nuit, dans le jardin de leur couvent, les restesdes martyrs, envelopps de linges etointsdessencesparfumes. Drusis drobeun vtement prcieux appartenant son pre et, profitant du sommeil de sesgardes du corps, rejoint les moniales dans leur couvent pour les aider recueillirles reliques des saints.

    4) Inform de lenlvement des cadavres par son conseiller Hadrien, lui-mme fianc Drusina, Trajan prescrit une surveillance nocturne de la cit.Surprises en train de drober les morts, les cinq moniales sont jetes en prison,les fers aux pieds, tandis que Drusis est mise en sret. Le lendemain matin, lessoldats instruisent Trajan de leur arrestation et de la participation de sa proprefille lenlvement des cadavres. Convoqus, les gardes du corps avouent quecelle-ci a disparu de sa chambre pendant leur sommeil.

    5) Les prtres paens sont davis que les cinq moniales soient noyes danslOronte ou, pour leur honte, exposes au pilori. Hadrien propose quonconstruise un grand four, quon les y jette et quon verse sur elles du bronze enfusion pour dissoudre entirement leurs ossements. Lempereur demande auxfondeurs de statues de faonner avec cet alliage un fond de cuve car il a

    122.Les Actes syriaques de Sainte Drosis font partie dune srie de rcits hagiographiques

    consacrs plusieurs saintes. Ces rcits furent recopis, au VIIIe s., par Jean le Stylite, moinedun monastre situ prs de Kaubab dAntioche; manquant de velin, il nhsita pas sacrifier un ms. des vangiles, datant du IVe sicle; cf. A. SMITH LEWIS, op. cit., Syriac text,Preface, p. V. Lhagiographe syriaque nomme la sainte tantt Drusis, tantt Drusina, utilisantsans doute des sources diffrentes de celles utilises par lauteur des Actes grecs.

    123.Sufu est le nom syriaque de Sophie. Son martyre est commmor deux reprises dansle synaxaire arabe jacobite dit par R. BASSET: Le cinquime jour de Tout (2 septembre):en ce jour a lieu la commmoration de sainte Sophie (Soufyah). Elle frquentait lglise avecdes voisines elles qui taient chrtiennes, sous le rgne dHadrien (PO 1, p. 232). Uneseconde notice lui est consacre au trentime jour de Toubeh (25 janvier): En ce jour, mou-rurent martyres les bienheureuses vierges saintes, Pistis et Agapi, avec leur mre Sophie.Celle-ci tait dAntioche, dune famille illustre (). Quand elles eurent un peu grandi, ellealla dans la ville de Rome o elle leur apprenait honorer et craindre Dieu et les enseigne-ments de lglise. Ceci parvint jusqu lempereur de Rome, Hadrien le rebelle (PO 11,fasc. 5, p. 745). Daprs le synaxaire arabe jacobite, Sophie nest pas la sur spirituelle, maisla propre mre des trois vierges. Les martyres ne sont plus cinq mais quatre et leur supplice alieu sous Hadrien et non sous Trajan.

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    lintention dapaiser les dieux, lors de la conscration des bains publics, dans lehaut lieu dApollonia124.

    6) Sur les conseils dHadrien, lempereur invite les paens dAntioche clbrer avec lui, au dbut du mois de Tammuz125, la conscration des bainspublics de Trajan, en chantant et en formant des churs, revtus de vtementsblancs, mais tous ceux qui se rendent aux thermes, tombent morts ds quilsouvrent la premire porte. Les prtres paens rvlent que le mlange desossements au bronze en est la cause et recommandent la fabrication dunnouveau four pour purifier les bains publics. linstigation dHadrien, Trajandonne lordre de faonner les statues des cinq moniales avec le bronze qui avaitt mlang leurs ossements et de les riger dans les bains publics.

    7) Il voit alors en songe cinq brebis sous la surveillance dun berger; celui-cilui annonce quelles vont bientt tre rejointes par Drusina. sonrveil,lempereur fait construire deux fours et invite les chrtiens sy prcipiter.

    8) tant sa robe impriale, Drusina sapproche de celui qui se trouve proximit des thermes de Trajan. Rflchissant quelle nest pas baptise, elle sedirige vers le second four o elle espre que des chrtiens lui administreront lebaptme; mais ils se sont dj lancs dans la fournaise. Apercevant alors unpuits au nord du second four, elle sy jette, aprs stre enduit tout le corps dunonguent parfum. Elle survit sept jours au fond du puits. Le huitime, elle estbrle vive avec dautres croyants.

    COLLATION DES ACTES GRECS ET DES ACTES SYRIAQUES

    Comme les Actes dIgnace les Actes de Drosis sont des passions piques o lapart du lgendaire est prdominante. Nanmoins, leurs indications sur les tempset les lieux ne laissent pas davoir une valeur historique. Les versions grecque etsyriaque des Actes de Drosis prsentent la mme structure. Les principalesvariantes suggrent que les hagiographes ont eu recours