6
213 Le praticien en anesthésie réanimation © Masson, Paris, 2006 rubrique pratique Récupération rapide en chirurgie colique : du concept à une expérience pratique Jean-Pierre Bongiovanni (photo), Isabelle Boillot Correspondance : Jean-Pierre Bongiovanni, Département d’anesthésie réanimation, Centre hospitalier Saint Joseph Saint Luc, 20 quai Claude Bernard, 69007 Lyon. [email protected] a chirurgie colique, bien que codifiée, reste grevée d’une morbidité, d’une durée moyenne de séjour (DMS) et d’un coût socio-économique élevés (1). Certaines équipes ont clairement montré qu’une prise en charge pragmatique à partir des données de « l’evidence-based medicine », réduisait l’incidence des complications médicochirurgicales (2). Ce concept audacieux, décrit par Henrik Kehlet, a été mis en pratique dans un programme de réhabilitation rapide en chirurgie colique (PRR) qui accélère la récupération fonctionnelle postopératoire et raccourci la DMS à moins de 4 jours. Cette démarche nécessite la participation active du personnel médico-soignant pour un objectif commun : amélio- rer le devenir du patient opéré. La notion d’équipe entre le binôme chirurgien/anesthésiste et l’ensemble des soignants prend ici toute sa valeur. Notre équipe a initié ce programme en 2003 et a depuis franchi toutes les étapes permettant le passage du concept à la pratique pour la chirurgie colique réglée par laparotomie. Le concept Le concept de la réhabilitation repose sur l’idée selon laquelle un ensemble de soins et de mesures qui racourcissent la convales- cence des patients post-opérés peut accélérer la récupération de l’ensemble des fonctions physiologiques qui assurent l’autonomie du patient. Un rôle essentiel mais non exclusif est joué par la prise en charge de la douleur postopératoire sans laquelle rien n’est possible. Toutefois, le contrôle de la douleur postopératoire ne suffit pas et il doit se doubler de mesures d’accompagnement qui L facilitent la récupération fonctionnelle. L’objectif est d’améliorer le confort des patients, de diminuer la morbidité postopératoire, de raccourcir la durée d’hospitalisation et finalement de faciliter la réinsertion des patients dans la vie active. En chirurgie colique, l’iléus postopératoire (IPO) joue un rôle important dans les suites postopératoires, puisqu’il détermine en grande partie la durée d’hospitalisation. Réponse physiopatholo- gique considérée comme normale après chirurgie colique, elle est en partie liée à la douleur postopératoire, au blocage de la voie parasympathique (effet prokinétique physiologique de la motricité colique) et à l’hypertonie sympathique qui majore l’effet physiolo- gique antikinétique du système sympathique. D’autres facteurs majorent l’IPO : utilisation postopératoire de morphiniques (effet dose-dépendant), hypothermie peropératoire et excès d’apport hydrosodé intraveineux (3). La réhabilitation qui, comme nous l’avons dit, est une démarche globale centrée sur une réduction efficace de la douleur postopératoire, s’attache également à contrôler l’ensemble des facteurs de l’IPO. Ce programme comporte des modalités différentes et s’oriente sur quatre axes principaux dans le cadre de la chirurgie colique : – l’information du patient ; – l’analgésie péridurale (APD) ; – l’alimentation orale précoce (AOP) ; – la mobilisation intense et précoce. Prérequis Le binôme anesthésiste/chirurgien est à l’origine du projet de réhabilitation. La mise en place de ce projet impose de bien définir les objectifs et le rôle de chacun. Le préalable à toute mise en œuvre est la rédaction d’une procédure commune à l’ensemble de l’équipe soignante. Tous les soignants doivent comprendre l’inté- rêt d’adhérer au projet et de s’approprier ses objectifs. Dans cette optique, l’information et l’éducation préalables jouent un rôle très important. Le rôle de chaque soignant (infirmière, kinésithéra- peute, aide soignant, nutritionniste, stomathérapeute) doit être précisé à chaque étape de la réhabilitation. Il s’agit en effet d’une véritable démarche de qualité dont chaque étape doit être

Récupération rapide en chirurgie colique : du concept à une expérience pratique

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Récupération rapide en chirurgie colique : du concept à une expérience pratique

213

Le praticien en anesthésie réanimation© Masson, Paris, 2006

rubrique pratique

Récupération rapide en chirurgie colique : du concept à une expérience pratique

Jean-Pierre Bongiovanni (photo), Isabelle Boillot

Correspondance :

Jean-Pierre Bongiovanni, Département d’anesthésie réanimation, Centre hospitalier Saint Joseph Saint Luc, 20 quai Claude Bernard, 69007 [email protected]

a chirurgie colique, bien que codifiée, reste grevée d’unemorbidité, d’une durée moyenne de séjour (DMS) et d’uncoût socio-économique élevés (1). Certaines équipes ont

clairement montré qu’une prise en charge pragmatique à partir desdonnées de « l’evidence-based medicine », réduisait l’incidence descomplications médicochirurgicales (2). Ce concept audacieux, décritpar Henrik Kehlet, a été mis en pratique dans un programme deréhabilitation rapide en chirurgie colique (PRR) qui accélère larécupération fonctionnelle postopératoire et raccourci la DMS àmoins de 4 jours. Cette démarche nécessite la participation activedu personnel médico-soignant pour un objectif commun : amélio-rer le devenir du patient opéré. La notion d’équipe entre le binômechirurgien/anesthésiste et l’ensemble des soignants prend ici toutesa valeur.Notre équipe a initié ce programme en 2003 et a depuis franchitoutes les étapes permettant le passage du concept à la pratiquepour la chirurgie colique réglée par laparotomie.

Le concept

Le concept de la réhabilitation repose sur l’idée selon laquelle unensemble de soins et de mesures qui racourcissent la convales-cence des patients post-opérés peut accélérer la récupération del’ensemble des fonctions physiologiques qui assurent l’autonomiedu patient. Un rôle essentiel mais non exclusif est joué par la priseen charge de la douleur postopératoire sans laquelle rien n’estpossible. Toutefois, le contrôle de la douleur postopératoire nesuffit pas et il doit se doubler de mesures d’accompagnement qui

L

facilitent la récupération fonctionnelle. L’objectif est d’améliorerle confort des patients, de diminuer la morbidité postopératoire,de raccourcir la durée d’hospitalisation et finalement de faciliter laréinsertion des patients dans la vie active.En chirurgie colique, l’iléus postopératoire (IPO) joue un rôleimportant dans les suites postopératoires, puisqu’il détermine engrande partie la durée d’hospitalisation. Réponse physiopatholo-gique considérée comme normale après chirurgie colique, elle esten partie liée à la douleur postopératoire, au blocage de la voieparasympathique (effet prokinétique physiologique de la motricitécolique) et à l’hypertonie sympathique qui majore l’effet physiolo-gique antikinétique du système sympathique. D’autres facteursmajorent l’IPO : utilisation postopératoire de morphiniques (effetdose-dépendant), hypothermie peropératoire et excès d’apporthydrosodé intraveineux (3). La réhabilitation qui, comme nousl’avons dit, est une démarche globale centrée sur une réductionefficace de la douleur postopératoire, s’attache également àcontrôler l’ensemble des facteurs de l’IPO.Ce programme comporte des modalités différentes et s’oriente surquatre axes principaux dans le cadre de la chirurgie colique :– l’information du patient ;– l’analgésie péridurale (APD) ;– l’alimentation orale précoce (AOP) ;– la mobilisation intense et précoce.

Prérequis

Le binôme anesthésiste/chirurgien est à l’origine du projet deréhabilitation. La mise en place de ce projet impose de bien définirles objectifs et le rôle de chacun. Le préalable à toute mise enœuvre est la rédaction d’une procédure commune à l’ensemble del’équipe soignante. Tous les soignants doivent comprendre l’inté-rêt d’adhérer au projet et de s’approprier ses objectifs. Dans cetteoptique, l’information et l’éducation préalables jouent un rôle trèsimportant. Le rôle de chaque soignant (infirmière, kinésithéra-peute, aide soignant, nutritionniste, stomathérapeute) doit êtreprécisé à chaque étape de la réhabilitation. Il s’agit en effetd’une véritable démarche de qualité dont chaque étape doit être

Page 2: Récupération rapide en chirurgie colique : du concept à une expérience pratique

214

Récupération rapide en chirurgie colique : du concept à une expérience pratique

respectée : l’évaluation — l’information — la rédaction de proto-coles de soins — leur mise en œuvre et l’évaluation des résultats.

Quels sont les rôles respectifsdes anesthésistes et des chirurgiens ?

Anesthésiste et chirurgien développent une stratégie coordonnéequi couvre l’ensemble de la période périopératoire. Il doit existerune parfaite compréhension mutuelle des procédures de chacun.

Prise en charge anesthésique et réhabilitation

La stratégie de l’équipe d’anesthésie comporte quatre mesuresessentielles :

– l’analgésie multimodale centrée sur l’analgésie péridurale ;

– la lutte contre l’hypothermie peropératoire ;

– la réduction de l’incidence des nausées et vomissements post-opératoires (NVPO) ;

– la restriction hydrique périopératoire.

Analgésie péridurale

L’administration péridurale d’anesthésiques locaux assure, plusqu’aucune autre technique, une analgésie postopératoire puis-sante et une reprise rapide du transit digestif : elle réduit l’hyper-tonie sympathique, la douleur à la mobilisation et à la toux, ainsique la consommation de morphiniques. Plusieurs études ont mon-tré de façon concordante que l’analgésie péridurale aux anesthé-siques locaux utilisée pendant au moins 48 heures, pouvait rac-courcir la durée de l’iléus. En chirurgie colique, il importe deplacer le cathéter en position thoracique moyenne ou basse (D7-D8 pour le côlon droit ; D9-D10 pour le côlon gauche) (4). L’utili-sation peropératoire du cathéter péridural reste à ce jour discutée(5). L’analgésie péridurale permet surtout de mobiliser lespatients en postopératoire, de façon indolore.

L’analgésie péridurale est au cœur du dispositif

de réhabilitation en chirurgie colique

Cette mobilisation précoce pourrait influer sur la durée de l’iléus ;elle réduit également le risque thromboembolique, la perte de lamasse musculaire (et permet de maintenir un bilan azoté positifen facilitant la reprise rapide de l’alimentation orale) et améliorela fonction respiratoire par un effet de posture (6). Dans notre pra-

tique, les patients réalisent au minimum 50 mètres de marche etrestent 2 heures au fauteuil le matin et l’après midi. Avant delever les patients, il importe de vérifier l’absence d’hypotensionorthostatique (parfois majorée par l’analgésie péridurale) et de latraiter éventuellement (étiléfrine 2 à 3 mg IV lente). Le lever et lamarche sont assistés par une infirmière ou un kinésithérapeute. Lepérimètre de marche des patients les plus alertes peut parfoisatteindre plusieurs centaines de mètres au premier jour postopé-ratoire (J1).

Analgésie péridurale et co-analgésie

Une association de paracétamol et d’anti-inflammatoires non sté-roïdiens (AINS) (en l’absence de contre-indications) réduit lesdouleurs non couvertes par l’analgésie péridurale. Les AINS favo-risent la reprise du transit et réduisent l’incidence des nausées etvomissements, par l’épargne en morphiniques qu’ils permettent(7, 8). Dans notre pratique, tous les analgésiques de niveau Isont administrés par voie orale, ce qui limite le coût et la chargede travail du personnel soignant. L’utilisation de morphiniquesest exceptionnelle et peut être évitée chez les patients bénéficiantd’une analgésie péridurale. La seule indication des morphiniquesest le traitement de la douleur après ablation du cathéter périduralau deuxième jour postopératoire. Si on ne l’anticipe pas, la dou-leur est intense, source de stress et d’insomnie. Dans notre pra-tique, les patients sont informés de l’éventualité du relais del’analgésie péridurale par un traitement associant opiacés faibles etAINS (administrés 2 heures avant l’ablation du cathéter péridural),au cas où la douleur réapparaîtrait.

Impact de l’analgésie péridurale dans un programme de réhabilitation

Carli et coll. ont comparé deux groupes de patients bénéficiantd’un même programme de réhabilitation après chirurgie colique,mais qui différaient par le type d’analgésie (analgésie intravei-neuse auto contrôlée par morphine dans un groupe contre analgé-sie péridurale dans l’autre). La réduction des scores de douleur àla mobilisation et de fatigue était significativement plus marquéedans le groupe analgésie péridurale. Dans ce même groupe, l’acti-vité physique (marche et fauteuil), la prise orale calorico-azotée,la capacité à l’effort et les scores de qualité de vie à la troisième etsixième semaines postopératoires étaient supérieurs (9).

Linda Basse et coll. ont comparé deux groupes de patients opérés dechirurgie colique et bénéficiant d’une analgésie péridurale. L’un desgroupes suivait un programme de réhabilitation active tandis que laprise en charge postopératoire était « classique » dans l’autre groupe.Dans le groupe programme de réhabilitation, la reprise du transit a été

Page 3: Récupération rapide en chirurgie colique : du concept à une expérience pratique

215

Jean-Pierre Bongiovanni, Isabelle Boillot

plus précoce (2 j contre 4,5 j), et le taux de complications et la duréemoyenne de séjour ont été significativement diminués (2 j contre 8 j)(10). Ainsi, l’intérêt d’une analgésie péridurale sans réhabilitationsemble modeste, en dehors de l’effet analgésique (11). Cependant,une hospitalisation trop brève conduit à un taux de réadmission élevé(20 % dans l’étude de Linda basse) ce qui nous a fait proposer auxpatients un projet de départ à J4.

L’analgésie péridurale dans notre pratique

Le cathéter péridural est mis en place 30 à 45 minutes avantl’induction anesthésique. On injecte progressivement une solutionde ropivacaïne à 5 mg/ml, en titrant les volumes jusqu’a obtenirune anesthésie de niveau D4 (entre 10 et 15 ml sont nécessaires).En raison du risque d’hypotension, le cathéter péridural n’est pasutilisé en peropératoire chez les coronariens et les hypertendussévères et si la chirurgie est à risque hémorragique. Trente minu-tes avant la fin de l’intervention (fermeture cutanée), on injecte15 à 20 ml d’une solution de ropivacaïne à 2 mg/ml par bolus de5 ml. En salle de soins post-interventionnels, une solution deropivacaïne à 1 mg/ml et de péthidine à 1 mg/ml est administréeà un débit continu (4 à 6 ml/h) avec addition de bolus autocontrôlés (4 à 6 ml toutes les 20 minutes).

Réduction de l’incidence des nausées et vomissements postopératoires (NVPO)

Les NVPO sont parmi les complications postopératoires les plus fré-quentes, débordant parfois au delà du premier jour postopératoire(12). Il faut toujours les prévenir et les traiter. La réduction desNVPO s’inscrit dans le cadre d’une approche multimodale qui associe :– une ventilation brève au masque facial, en limitant les pressionsd’insufflation lors de l’induction anesthésique, pour éviter touteinflation gastrique ;– l’éviction du protoxyde d’azote ;– une prophylaxie antiémétique systématique (sétron) ;– la réduction de l’usage postopératoire des morphiniques.Dans notre pratique postopératoire, on administre systématique-ment de l’ondansétron par voie IV, à raison de 4 mg toutes les6 heures pendant 24 heures, puis selon les besoins.

Lutte contre l’hypothermie

Andrea Kurz et coll. (13), ont comparé un groupe de patients hypo-thermiques à la fin de l’intervention (34,7 °C) à un groupe main-tenu en normothermie (36,6 °C). Dans le groupe hypothermique, ladurée moyenne de séjour était supérieure, avec un pourcentaged’infections postopératoires (abcès de parois) multiplié par 3 et unereprise alimentaire orale efficace plus tardive. Le réchauffement

périopératoire est donc indispensable mais il peut être rendu difficilepar la position « double abord » lors de la chirurgie colique gauche.Dans notre pratique, le réchauffement est initié en préopératoire(ce qui évite l’hypothermie de redistribution après induction anes-thésique). Il utilise classiquement un système actif par air pulsé.Son intérêt est d’autant plus important que l’installation du patient(côlon gauche) réduit les surfaces disponibles. En peropératoire,le réchauffement est maintenu. Le passage en circuit fermé estrapide après induction anesthésique et la température interne estmonitorée en routine.

Stratégie de restriction hydrique périopératoire

Un apport hydrosodé intraveineux périopératoire excessif retardela reprise du transit. Ce fait a été initialement observé chez lechien par Mecray et coll. en 1937 (14). Plus récemment, certainesétudes ont mis en évidence une corrélation entre apport hydro-sodé périopératoire et complications postopératoires. Lobo et coll.(15), ont comparé deux protocoles de perfusion après chirurgiecolique (3 litres de soluté isotonique

versus

2 litres de solutéhypotonique (groupe restreint). Dans le groupe restreint, les résul-tats significatifs concernaient la reprise du transit (et la vidangegastrique) plus précoce (4 j contre 3 j), la durée moyenne de séjourqui était plus courte (9 j contre 6 j) et la prise de poids (3 kg contre0 kg). Le nombre de complications postopératoires a été moindredans le groupe restriction hydrosodée.Un remplissage hydrosodée peropératoire excessif a les mêmesconséquences, comme l’a montré l’étude de Nisanevitch et coll.(16) qui comparait en chirurgie digestive deux protocoles de per-fusion peropératoire (12 ml/kg/h contre 4 ml/kg/h). Dans legroupe restreint, la reprise du transit, la durée moyenne de séjouret les complications postopératoires étaient également diminuées.

La restriction des apports hydrosodés peropératoires diminue

l’incidence des complications postopératoires

Dans notre pratique, nous utilisons une perfusion de cristalloïdesperopératoire de 6 à 8 ml/kg/h. Pour limiter les hypotensionsperopératoires, l’administration des agents anesthésiques estguidée par le monitorage de l’index bispectral. Les hypotensionsartérielles sont compensées par une administration modéréed’hydroxyéthylamidon (250 à 500 ml maximum) et d’éphédrine.L’apport hydrosodé intraveineux postopératoire a été supprimé auprofit de la voie orale, mais nous maintenons des systèmes desécurité lorsque la prise orale liquide est inférieure à 500 ml sur6 heures (un litre de soluté glucosé isotonique sur 24 heures). La

Page 4: Récupération rapide en chirurgie colique : du concept à une expérience pratique

216

Récupération rapide en chirurgie colique : du concept à une expérience pratique

fonction rénale est surveillée par dosage de la créatininémie àJ1-J2-J4 et par la mesure de la diurèse quotidienne. Comme pourles études décrites ci-dessus, nous n’avons pas retrouvé dansnotre série d’effet néfaste de la restriction hydrosodée sur la fonc-tion rénale postopératoire (17).

Prise en charge chirurgicaleet réhabilitation

L’équipe chirurgicale doit limiter l’agression liée au geste techni-que, en abandonnant les pratiques délétères parfois séculairesdont l’efficacité n’a pas été démontrée. Le chirurgien doit plei-nement intégrer l’impact de sa pratique sur l’inconfort et lesdouleurs postopératoires. Il faut donc alléger la prise en chargechirurgicale en réduisant le traumatisme lié à la préparation dupatient, à la technique opératoire et aux drainages postopératoi-res. Cette stratégie, couplée à celle décrite pour l’anesthésie,prépare le patient à recevoir dans les meilleures conditions l’ali-mentation orale précoce.

Préparation colique : quels bénéfices ?

La préparation colique préopératoire était classique avant toutechirurgie colique réglée. Cependant, elle est à ce jour remise encause en raison de ses effets secondaires préopératoires délétères(intolérance, déshydratation, fatigue, insomnie). Dans notre équipe,nous ne préparons plus les patients devant être opérés du côlondroit et allégeons la préparation pour les interventions du côlongauche, la limitant à du phosphate de sodium administré la veilleà raison d’un flacon le matin et le soir.

Drainage et sondage : mythe ou réalité ?

La sonde nasogastrique est classiquement utilisée lors des colec-tomies réglées. Ses effets présumés bénéfiques sur la réductiondes NVPO et des lâchages anastomotiques n’ont pas été confirmésdans des méta-analyses récentes. L’intérêt préventif de l’aspira-tion gastrique sur les NVPO ne concerne qu’un patient sur 20 aprèscolectomie (18). De plus, l’aspiration digestive retarde la reprisealimentaire orale, favorise le reflux gastro-œsophagien, augmentele nombre de complications pulmonaires, ORL (douleur pharyn-gée, otalgie), et donc la durée moyenne de séjour (19).La société française de chirurgie digestive (SFCD) recommande dene pas drainer après chirurgie élective avec anastomose iléocolique,colocolique ou colorectale intrapéritonéale. De plus, les douleurs liéesà la position et à l’ablation des drains sont souvent intenses (20).L’analgésie péridurale thoracique n’impose pas l’usage d’une sondeurinaire au delà de la 48

e

 heure (21).

En pratique, nous n’utilisons ni sonde nasogastrique, ni drainage etretirons les sondes urinaires à J1 ou à J2 pour les patients aux anté-cédents de pathologie prostatique. Le pourcentage de sondage ité-ratif rapporté dans la littérature est faible, de l’ordre de 10 % (22).

L’incision chirurgicale

La douleur postopératoire est d’autant plus intense que l’incisionest étendue, médiane et sus-ombilicale. Le chirurgien doit limiter,si possible, la taille de l’incision et privilégier les abords transver-ses. Dans notre pratique, les colectomies droites sont abordées pardes incisions transverses sus-ombilicales et les colectomies gau-che par des abords médians.

L’alimentation orale précoce

L’alimentation orale (mastication, déglutition) stimule la motricitéintestinale. Utilisée précocement, elle peut donc concourir à réduirela durée de l’iléus postopératoire. L’alimentation orale précoce estbien tolérée dans 80 % des cas ; elle n’augmente pas l’inci-dence des complications postopératoires et accélère le retour àune alimentation orale efficace. Elle améliore les fonctions immuni-taires et diminue les complications infectieuses (7). Dans notre prati-que, l’alimentation orale est reprise le jour de l’intervention par uneprise orale liquide associant 500 ml d’eau et 200 ml d’un complémentnutritif. Le lendemain de l’intervention, l’alimentation est solide(3 repas normaux) supplémentée par un apport quotidien liquidecalorico-azoté (60 g de protides et 1 200 Kcal) soit 800 ml répartis en4 prises. L’apport hydrique intraveineux est remplacé par une priseorale minimale de 1 000 ml d’eau par jour. L’équipe soignante quan-tifie systématiquement la prise hydrique orale quotidienne.

L’intérêt des laxatifs osmotiques de type magnésium sur l’iléuspostopératoire est relatif et non démontré.

PRR et cœlioscopie

La cœlioscopie et la chirurgie mini-invasive sont des pratiques quiréduisent l’agression tissulaire et favorisent donc la récupérationfonctionnelle postopératoire. Cependant, la colectomie sous coe-lioscopie garde certaines limites (courbe d’apprentissage, duréeopératoire et taux de conversion parfois important, morbidité,coût). Le rapport de la haute autorité de santé de mars 2005 concer-nant la cœlioscopie dans la chirurgie du cancer colorectal décritcomme modestes les avantages à court terme de cette technique,comparée à la laparotomie. Les données de la littérature ne per-mettent pas de statuer sur les avantages à long terme. L. Basse

etal.

(23) a publié une étude randomisée comparant deux groupeshomogènes de patients en chirurgie colique (laparotomie

versus

Page 5: Récupération rapide en chirurgie colique : du concept à une expérience pratique

217

Jean-Pierre Bongiovanni, Isabelle Boillot

cœlioscopie) qui bénéficiaient d’un même PRR. Il n’existait pas dedifférence entre les deux groupes quant à la reprise du transit, ladurée moyenne de séjour, le taux de réadmission et de complica-tions médicochirurgicales. L’impact de la technique chirurgicalesur le devenir du patient opéré semblerait donc moindre quel’ensemble de la prise en charge périopératoire.

PRR et fuite anastomotique

Un programme de réhabilitation réduit l’incidence des complica-tions chirurgicales pariétales (déhiscence, infection), sans majo-rer le taux de fuite anastomotique. L’anesthésie péridurale, parson effet prokinétique, et l’alimentation orale précoce n’augmen-teraient pas l’incidence de cette complication (23, 24).

Place de l’information dans un PRR

Information du patient

L’information du patient est une étape essentielle qui débutedès les consultations préopératoires du chirurgien et du médecinanesthésiste. Elle doit permettre au patient de s’approprier le pro-jet pour devenir acteur de sa propre récupération fonctionnellepostopératoire.

Dans notre pratique, tous les patients nécessitant une colectomie parlaparotomie sont intégrés dans le programme de réhabilitation. Lescritères d’exclusion sont le refus, l’urgence, le sepsis, les troublesneurologiques (désorientation, déficit moteur), l’absence d’analgésiepéridurale, la chirurgie rectale et les maladies inflammatoires chroni-ques. L’information concernant la prise en charge postopératoire estverbale et écrite (livret spécifique). Le patient est ainsi sensibilisé àl’analgésie péridurale dès la consultation chirurgicale.

Information du personnel soignant

Chaque intervention est signalée à l’équipe soignante. Pour amé-liorer le suivi des étapes postopératoires, un protocole sous forme

de tableau est validé en sortie de bloc par le chirurgien et l’anes-thésiste. Ce support préétabli regroupe l’ensemble des prescrip-tions médicochirurgicales (analgésie, alimentation, retrait de lasonde urinaire et du cathéter péridural, etc.) ordonnancées sur les4 premiers jours postopératoires.

Réhabilitation et durée moyenne de séjour

La récupération précoce de l’autonomie du patient permet deréduire la durée moyenne de séjour en chirurgie colique, mais ilexiste souvent un délai entre patient sortant et sortie effective.Dans les travaux de Liu (4) et Carli (9), ce différentiel était respec-tivement de 5 et 3 jours. Ce temps d’attente inutile est en partielié à un manque d’anticipation de l’aval, lorsque le patient estconsidéré comme sortant. Dans notre série, la médiane despatients sortant était de 4,5 j et la durée moyenne de séjour effec-tive de 6 j (25). Cette différence était surtout liée à l’absence deréservation anticipée de place en maison de convalescence et àune date de sortie programmée le week-end. Notre organisationa donc été modifiée (réservation préopératoire de la maison deconvalescence et changement du jour opératoire).

Conclusion

La mise en œuvre pratique d’un concept de réhabilitation en chi-rurgie colique par laparotomie a été possible dans notre unité. Cerésultat, acquis grâce aux efforts multidisciplinaires, améliore laqualité des soins et accélère la récupération fonctionnelle dupatient opéré, à effectif soignant constant.

L’impact de ce concept sur la réduction de la DMS démontre sa per-tinence socio économique dans nos organisations hospitalières etexplique son succès dans la communauté médicale. Il a donc tou-tes les qualités pour fédérer médecins, soignants, administratifs etpourrait être appliqué à d’autres types de chirurgie.

Références

1. Alves A, Panis Y, Mathieu P, et al. Post-operative mortality and morbidity in french patients undergoing colorectal surgery. Arch Surg 2005;140:278-83.

2. Kehlet H, Morgensen T. Hospital stay of 2 days after open sigmoidectomy with a mul-

timodal rehabilitation programme. Br J Surg 1999;86:227-30.

3. Kehlet H, Holte K. Review of postoperative il-eus. Am J Surg 2001;182 (suppl.5A):3S-10S.

4. Liu SS, Carpenter RL, Mackey DC. Effect of perioperative analgesic technique on rate of recovery after colon surgery. Anesthesiology 1995;83:757-65.

5. Bonnet F, Marret E, Szymskiewicz O. L’asso-ciation anesthésie générale/anesthésie péri-durale a t’elle encore une place ? JEPU 2002.

6. Kelhet H. Multimodal approach to control postoperative pathophysiology and rehabili-tation. B J Anaesth 1997;78:606-17.

7. Holte K, Kehlet H. Postoperative ileus: a pre-vent event. Br J Surg 2000;87:1480-93.

Page 6: Récupération rapide en chirurgie colique : du concept à une expérience pratique

218

Récupération rapide en chirurgie colique : du concept à une expérience pratique

8. Marret E, Kurdi O, Zufferey P, Bonnet F. Ef-fects of nonsteroidal antiinflammatory drugs on patient-controlled analgesia morphine side effects: meta-analysis of randomized controlled trials. Anesthesiology 2005;102: 1249-60.

9. Carli F, Mayo N, Klubien K, et al. Epidural analgesia enhances functional exercise capacity and health-related quality of life af-ter colonic surgery. Anesthesiology 2002;97: 540-9.

10. Basse L, Thorbol JE, Lossl K, Kehlet H. Colonic surgery with accelerated rehabilitation or conventional care. Dis Colon Rectum 2004;47: 271-78.

11. Mann C, Pouzeratte Y, Boccara G, et al. Comparison of intravenous or epidural patient-controlled analgesia in the elderly after major abdominal surgery. Anesthesio-logy 2000;92:433-41.

12. Diemusch P, Laalou ZF. Nausées et vomisse-ments postopératoires. In : SFAR, ed. Confé-rences d’Actualisation de la SFAR. Paris, SFAR, Elsevier 2005.

13. Kurz A, Sessler DI, Lenhardt R. Perioperative normothermia to reduce the incidence of sur-

gical-wound infection and shorten hospitali-sation. N Engl J Med 1996;334:109-15.

14. Mecray PM, Barden RP, Ravdin IS. Nutritional edema: its effect on the gastric emptying time before and after gastric operations. Surgery 1937;1:53-6.

15. Lobo DN, Bostock KA, Neal KR, et al. Effect of salt and water balance on recovery of gas-trointestinal function after elective colonic resection: a randomised controlled trial. Lancet 2002;359:1812-8.

16. Nisanevitch V, Felsenstein I, Almogy G, et al. Effect of intraoperative fluid management on outcome after intraabdominal surgery. Anes-thesiology 2005;103:25-32.

17. Bongiovanni JP, Boillot I, Vaudoyer D, et al. Fast track colonic surgery: first experience in a French hospital care. Eur J Anaesthesiol 2005;22:A-429.

18. 18.Cheatham ML, Chapman WC, Key SP, Sawyers JL. A meta-analysis of selective versus routine nasogastric decompression after elective laparotomy. Ann Surg 1995;221: 469-78.

19. Nelson R, Tse B, Edwards S. Systematic re-view of prophylactic nasogastric decompres-

sion after abdominal operations. Br J Surg 2005;92:673-80.

20. Bongiovanni JP, Bourdain N, Chomel PY, et al. Withdrawal of surgical drains: a forgotten pain! 10 th World congress on pain, 2002;333: P329.

21. Basse L, Werner M, Kehlet H. Is urinary drai-nage necessary during continuous epidural analgesia after colonic resection? Regional Anesthesia & Pain Medicine 2000;25:498-501.

22. Basse L, Raskov H, Jakobsen DH, et al. Acce-lerated postoperative recovery programme after colonic resection improves physical performance, pulmonary function and body composition. Br J Surg 2002;89:446-53.

23. Basse L, Jakobsen DH, Bardram L, et al. Func-tional recovery after open versus laparoscopic colonic resection. A randomised, blinded study. Ann Surg 2005;241:416-23.

24. Holte K, Kehlet H. Epidural analgesia and risk of anastomotic leakage, Regional Anesthesia & Pain Medicine 2001;26:111-7.

25. Boillot I, Bongiovanni JP, Vaudoyer D, et al. Réhabilitation rapide en chirurgie colique : Résultats préliminaires. Annales de chirurgie 2004;129:5471-555.