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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2010) 11, 90—92 RÈGLES D’OR Règles d’or concernant l’analgésie du patient polytraumatisé Key points about analgesia for polytrauma patients Morgan Le Guen Département d’anesthésie-réanimation, hôpital Foch, 40, rue Worth, 92150 Suresnes, France Disponible sur Internet le 8 avril 2010 MOTS CLÉS Analgésie ; Polytraumatisme ; Urgence ; Agoniste morphinique ; Titration KEYWORDS Analgesia; Polytrauma; Emergency; Opioïd agonist; Titration Un polytraumatisé est défini comme étant un blessé grave porteur de plusieurs lésions traumatiques dont une au moins met en jeu le pronostic vital à court terme. La prise en charge de victimes de polytraumatisme obéit à une stratégie pour laquelle le temps est un élément déterminant. Il s’agit dans les délais les plus brefs de stabiliser, transpor- ter et diagnostiquer l’ensemble des lésions. Pour répondre à ces objectifs en limitant la morbidité, le contrôle de la douleur est impératif et fait donc l’objet de ces règles d’or. L’analgésie du patient polytraumatisé est une urgence thérapeutique [1—3] Dans ce contexte particulier, il convient de rappeler qu’« un polytraumatisé est un blessé qui souffre ». Cette douleur est généralement intense tant au repos (foyers de fractures, zones multiples de contusions ou de compression) qu’à la mobilisation même si elle consti- tue souvent une première action thérapeutique (réalignement puis immobilisation d’un foyer de fracture, mobilisation et extraction du milieu de l’accident). La douleur, source d’agitation, d’hypoxémie, d’ischémie myocardique, voire d’hypertension intracrânienne, risque par ailleurs de gêner l’examen clinique initial et générer ainsi une errance diag- nostique (cas de la contracture abdominale associée aux fractures du rachis lombaire). Le principal mécanisme physiopathologique de la douleur reste un excès de nociception, qui est parfois associé à une composante neuropathique (compression nerveuse, étirement plexique ou tronculaire). Adresse e-mail : [email protected]. 1624-5687/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.douler.2010.01.002

Règles d’or concernant l’analgésie du patient polytraumatisé

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Page 1: Règles d’or concernant l’analgésie du patient polytraumatisé

Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2010) 11, 90—92

RÈGLES D’OR

Règles d’or concernant l’analgésie du patientpolytraumatisé

Key points about analgesia for polytrauma patients

Morgan Le Guen

Département d’anesthésie-réanimation, hôpital Foch, 40, rue Worth,92150 Suresnes, France

Disponible sur Internet le 8 avril 2010

MOTS CLÉSAnalgésie ;Polytraumatisme ;Urgence ;Agonistemorphinique ;Titration

KEYWORDSAnalgesia;Polytrauma;Emergency;Opioïd agonist;Titration

Un polytraumatisé est défini comme étant un blessé grave porteur de plusieurs lésionstraumatiques dont une au moins met en jeu le pronostic vital à court terme. La priseen charge de victimes de polytraumatisme obéit à une stratégie pour laquelle le tempsest un élément déterminant. Il s’agit dans les délais les plus brefs de stabiliser, transpor-ter et diagnostiquer l’ensemble des lésions. Pour répondre à ces objectifs en limitant lamorbidité, le contrôle de la douleur est impératif et fait donc l’objet de ces règles d’or.

L’analgésie du patient polytraumatisé est une urgencethérapeutique [1—3]

Dans ce contexte particulier, il convient de rappeler qu’« un polytraumatisé est un blesséqui souffre ». Cette douleur est généralement intense tant au repos (foyers de fractures,zones multiples de contusions ou de compression) qu’à la mobilisation même si elle consti-tue souvent une première action thérapeutique (réalignement puis immobilisation d’unfoyer de fracture, mobilisation et extraction du milieu de l’accident). La douleur, sourced’agitation, d’hypoxémie, d’ischémie myocardique, voire d’hypertension intracrânienne,

risque par ailleurs de gêner l’examen clinique initial et générer ainsi une errance diag-nostique (cas de la contracture abdominale associée aux fractures du rachis lombaire).Le principal mécanisme physiopathologique de la douleur reste un excès de nociception,qui est parfois associé à une composante neuropathique (compression nerveuse, étirementplexique ou tronculaire).

Adresse e-mail : [email protected].

1624-5687/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.douler.2010.01.002

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Règles d’or concernant l’analgésie du patient polytraumatis

Si le patient est conscient, l’analgésie habituellementmultimodale sera limitée à l’association paracétamol etmorphine. Les anti-inflammatoires seront à éviter comptetenu du risque de majoration du saignement en casd’intervention chirurgicale, tandis que le néfopam risqued’aggraver une tachycardie préexistante (hypovolémie sou-vent sous-estimée) ou d’abaisser le seuil épileptogène,notamment lorsque cette molécule est utilisée sans imageriede référence.

Si la victime est inconsciente, une anesthésie avec réa-lisation d’une intubation avec une induction en séquencerapide est réalisée et comprendra systématiquement desantalgiques en perfusion continue pour l’entretien.

L’échelle d’évaluation de la douleur laplus simple à utiliser chez le patientpolytraumatisé conscient en situationd’urgence est l’échelle numérique [1,4,5]

L’échelle d’évaluation de la douleur la plus simple à uti-liser chez le patient polytraumatisé conscient en situationd’urgence est l’échelle numérique. En effet, peu d’étudesont comparé les différentes échelles d’évaluation de la dou-leur. Toutefois, l’utilisation de l’échelle visuelle analogiqueest rendue difficile par l’éventuelle incapacité du patient àse mobiliser et à visualiser l’échelle (altération du champvisuel en cas de traumatisme maxillofacial) et sa réalisa-tion implique la mobilisation d’un soignant pour un tempsdonné, alors que l’évaluation numérique peut être effec-tuée simultanément à la prise en charge thérapeutiquedu polytraumatisé. Enfin, l’échelle verbale simple est unealternative. Sa limite est qu’elle demeure moins sensibleavec une étendue moindre qu’une échelle numérique.

Dans tous les cas, l’évaluation de la douleur par le soi-gnant doit intégrer les signes parasympathiques éventuelsfournis par le monitorage et l’expression faciale ou physiquedu patient. Enfin, la douleur générée par un acte invasif ouune mobilisation de membre traumatisé sera anticipée.

La modalité d’analgésie la plus rapide estla titration intraveineuse de morphine[1,6,7]

Les modalités de l’analgésie sont déterminées par le sta-tut neurologique (coma avec score de Glasgow inférieurde 8) et les éléments indiquant la gravité du patient(détresse respiratoire, hémodynamique, traumatisme cervi-cal ou maxillofacial, etc.). Si le maintien d’une ventilationest possible ou requis, la molécule de choix pour le contrôlerapide de la douleur reste la titration de morphine par admi-nistration de bolus intraveineux à intervalle régulier. Il s’agitd’atteindre progressivement la concentration plasmatiqueminimale efficace analgésique en morphine en administrant

de petits bolus (2 à 3 mg) avec un intervalle de cinq minutesentre les injections. Cette technique largement utilisée enpériode postopératoire immédiate peut être transposée auxservices d’urgence pré- et intrahospitalier à la conditiond’un monitorage continu et d’une surveillance clinique rap-

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igure 1. Représentation de la modalité de titration intravei-euse (d’après Aubrun F, Ann Fr Anesth Reanim 2009;28:e33—7).

rochée. Les modalités de la titration sont rappelées dansa figure ci-dessus (Fig. 1) et il convient de préciser que seule poids intervient dans la posologie des bolus. Par ailleurs,our assurer une sécurité d’emploi maximale de cet agent,l convient de procéder non seulement à la surveillanceégulière de l’effet obtenu mais également de disposer àroximité de l’antidote qu’est la naloxone.

Le fentanyl n’est pas recommandé, bien qu’il demeuremployé en milieu préhospitalier par un certain nombre’équipes. Cependant, aucune étude n’a été menée pourvaluer une analgésie au fentanyl comparée à la morphinen ventilation spontanée (maniabilité, effets secondaires,fficacité, etc.). Une évaluation prospective documentéeeste donc nécessaire.

L’association midazolam-morphine peut être discutée sine agitation persiste malgré une analgésie bien conduite.l convient dans ce cas de surveiller le risque de dépressionespiratoire d’origine centrale et surtout de rechercher uneutre étiologie à l’agitation (lésion intracrânienne, réten-ion aiguë d’urines, etc.).

’anesthésie locorégionale en injectionnique peut être proposée dans certaines

ndications précises [4,8,9]

’intérêt de l’anesthésie locorégionale est le maintien dea conscience tout en ayant une efficacité analgésique puis-ante. En situation d’urgence, les indications sont rares poureux raisons : la présence de traumatismes multiples et mul-isites rendant complexes la procédure d’ALR avec le risquee cumul de doses et l’absence de matériel dédié en pré-ospitalier tels que le neurostimulateur ou l’échographie.

Par conséquent, en préhospitalier, les blocs réalisables seimitent au bloc fémoral ou iliofacial par les techniques deepérage anatomique et de perte de résistance au franchis-ement des fascias musculaires. Le bloc distal à la chevillest également possible sans repérage.

En revanche, une fois arrivé en salle de déchoquage, laictime peut bénéficier d’une ALR de complément visantréaliser le bilan dans de meilleures conditions tout en

onservant à ce stade la possibilité d’une surveillance neuro-

ogique précise. La précaution principale tient une nouvelleois en le calcul préalable de la dose toxique d’anesthésiqueocal à ne pas dépasser en cas de blocs multiples ou en laéalisation espacée dans le temps de différents blocs.
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Dans tous les cas, la réalisation d’une ALR doit être pré-édée d’un examen neurologique le plus précis possibleour ne pas gêner l’évaluation ultérieure (déficit nerveuxériphérique non noté). Enfin, il convient de respecter lesonditions de sécurité et d’asepsie propre à la réalisation’une ALR : monitorage, matériel d’aspiration, d’intubationt de ventilation à portée de main, disposition de solution’intralipides en cas de passage systémique symptomatique.nfin, la réalisation d’une ALR ne dispense pas d’une anal-ésie multimodale.

’entretien de la sédation d’unolytraumatisé doit comporter unntalgique puissant [1]

utant la prise en charge de la douleur d’un polytraumatiséla phase initiale est une urgence thérapeutique, autant

a poursuite d’une analgésie puissante en cas de sédationst indispensable. L’objectif est ainsi de contrôler tout sti-ulus douloureux au cours du transport et du bilan initial.

ar ailleurs, il permet une adaptation correcte à la ventila-ion mécanique tout en permettant de réduire les posologies’hypnotiques dont les effets hémodynamiques peuvent êtremportants chez un patient en état de choc.

Les molécules de choix sont le sufentanil ou le fentanyln administration continue (débit massique ou à objectif deoncentration). Il existe dans cette situation une place par-iculière pour la kétamine en tant qu’agent cumulant les

aractères hypnotiques et analgésiques, notamment chez leatient en état de choc ou brûlé. La précaution d’emploioncernant cet agent reste le traumatisé crânien, compteenu d’une élévation de la pression intracrânienne (notam-ent en cas de bolus à l’induction).

[

M. Le Guen

onflit d’intérêt

’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt de quelqueature que ce soit dans l’élaboration de cet article.

éférences

1] Conférences d’experts. Modalités de la sédation et/ou del’analgésie en situation extrahospitalière. Ann Fr Anesth Reanim2000;20:fi56—62.

2] Ricard-Hibon A, Magne M, Marty J. Prise en charge de la dou-leur aiguë en médecine préhospitalière. Ann Fr Anesth Reanim1998;17:84—6.

3] Jacobi J, Fraser GL, Coursin DB, Riker RR, Fontaine D, Witt-brodt ET, et al. Critical practice guideliness for sustained useand sedatives and analgesics in critically ill adult. Crit Care Med2002;30:119—41.

4] Ricard-Hibon A, Leroy N, Magne M, Leberre A, Chollert C, MartyJ. Évaluation de la douleur aiguë en médecine préhospitalière.Ann Fr Anesth Reanim 1997;16:945—9.

5] Holdgate A, Asha S, Craig J, Thompson J. Comparison of a verbalnumeric rating scale with the visual analogue scale for measu-rement of acute pain. Emerg Med 2003;15:441—6.

6] Lvovschi V, Aubrun F, Bonnet P, Bouchara A, Bendahou M, Hum-bert B, et al. Intravenous morphine titration to treat severe painin the ED. Am J Emerg Med 2008;26:676—82.

7] Chudnofsky CR, Wright SW, Dronen SC, Borron SW, Wright MB.The safety of fentanyl use in emergency department. Ann EmergMed 1989;18:635—9.

8] Tanoubi I, Cuvillon P, Nouvellon E, Fortier LP, Drolet P, Ripart J.Case report: Bilateral femoral and sciatic regional anesthesia in

a polytraumatized patient. Can J Anaesth 2008;55(6):371—5.

9] Conférence d’experts. Pratique des anesthésies locales etlocorégionales par des médecins non spécialisés en anesthésie-réanimation, dans le cadre des urgences. Texte court, 2002www.sfar.org.