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34 AMC pratique n°224 janvier 2014 © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés SÉRIE INHIBITION PLAQUETTAIRE ET SCA L. Bonello 1 , M. Laine 1 , O. Ronsin 2 , F. Paganelli 1 1 Département de cardiologie, Hôpital universitaire Nord, Marseille 2 Service d’endocrinologie, Hôpital universitaire Nord, Marseille [email protected] Résistance aux antiagrégants plaquettaires : où en est-on en pratique ? Les plaquettes jouent un rôle déterminant dans la genèse du thrombus coronaire impliqué dans le syndrome coronaire aigu et dans les thromboses de stent. En consé- quence, la bithérapie antiagrégante s’est imposée comme un élément clé de la prise en charge de patients présentant un syndrome coronaire aigu ou bénéficiant d’une angioplastie coronaire [1, 2]. L’aspirine et le clopidogrel ont un rôle complémen- taire dans le blocage de l’activation plaquet- taire respectivement en inhibant la synthèse de thromboxane A2 et en bloquant le récep- teur P2Y12 à l’ADP. Cependant, le développement des tests plaquettaires permettant d’évaluer l’effica- cité biologique des antiagrégants plaquet- taires (AAP) a mis en évidence une variabilité d’efficacité biologique. Depuis le début des années 2000, des études observationnelles ont démontré le rôle clé joué par cette variabilité biologique dans la survenue de récidives ischémiques sous bithérapie [3]. La persistance d’une réactivité plaquettaire élevée sous traitement par clopidogrel en particulier a été incriminée dans la survenue d’échec thérapeutique. En parallèle, des données récentes suggèrent que cette même réactivité plaquettaire joue un rôle dans la survenue d’événements hémorra- giques [4]. La réactivité plaquettaire sous traitement joue donc un rôle clé dans la balance risque ischémique/risque hémorra- gique. Ce concept est indirectement confirmé par les études récentes portant sur de nouveaux antiagrégants plaquettaires le prasugrel et le ticagrelor. L’objectif de cette revue est de faire un point rapide sur la réactivité plaquettaire et son utilité clinique potentielle. Résistance au clopidogrel Le clopidogrel est une pro-drogue dont le métabolisme hépatique permet la généra- tion de métabolites actifs qui bloquent de façon irréversible le récepteur P2Y12 à l’ADP. Ce blocage s’oppose à la phase d’amplifica- tion de l’agrégation plaquettaire. Des données biologiques ont montré que le clopidogrel induit une inhibition plaquet- taire très inégale d’un individu à un autre et ce quel que soit le test utilisé. Certains patients présentent un blocage quasi complet de cette voie d’agrégation plaquet- taire aux doses usuelles quand d’autres n’ont quasiment aucune action détectable [3]. De nombreuses études observationnelles ont démontré qu’il existe une corrélation forte entre réactivité plaquettaire sous clopidogrel et la survenue d’événements cardiovasculaires majeurs : décès cardiovas- culaire, thrombose de stent ou infarctus du myocarde. De nombreux tests d’agrégation plaquettaire sont disponibles pour mesurer l’efficacité biologique et clinique des bloqueurs du P2Y12 parmi lesquels le VerifyNow PRU, le VASP et le Multiplate sont les mieux validés. Les résultats de ces tests prédisent la survenue des événements thrombotiques au cours du suivi. La repro-

Résistance aux antiagrégants plaquettaires : où en est-on en pratique ?

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34 AMC pratique � n°224 � janvier 2014© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

SÉRIE INHIBITION PLAQUETTAIRE ET SCA

L. Bonello1, M. Laine1, O. Ronsin2, F. Paganelli1

1 Département de cardiologie, Hôpital universitaire Nord, Marseille2 Service d’endocrinologie, Hôpital universitaire Nord, [email protected]

Résistance aux antiagrégants plaquettaires : où en est-on en pratique ?

Les plaquettes jouent un rôle déterminant dans la genèse du thrombus coronaire impliqué dans le syndrome coronaire aigu et dans les thromboses de stent. En consé-quence, la bithérapie antiagrégante s’est imposée comme un élément clé de la prise en charge de patients présentant un syndrome coronaire aigu ou bénéficiant d’une angioplastie coronaire [1, 2]. L’aspirine et le clopidogrel ont un rôle complémen-taire dans le blocage de l’activation plaquet-taire respectivement en inhibant la synthèse de thromboxane A2 et en bloquant le récep-teur P2Y12 à l’ADP.Cependant, le développement des tests plaquettaires permettant d’évaluer l’effica-cité biologique des antiagrégants plaquet-taires (AAP) a mis en évidence une variabilité d’efficacité biologique. Depuis le début des années 2000, des études observationnelles ont démontré le rôle clé joué par cette variabilité biologique dans la survenue de récidives ischémiques sous bithérapie [3]. La persistance d’une réactivité plaquettaire élevée sous traitement par clopidogrel en particulier a été incriminée dans la survenue d’échec thérapeutique. En parallèle, des données récentes suggèrent que cette même réactivité plaquettaire joue un rôle dans la survenue d’événements hémorra-giques [4]. La réactivité plaquettaire sous traitement joue donc un rôle clé dans la balance risque ischémique/risque hémorra-gique. Ce concept est indirectement confirmé par les études récentes portant sur de nouveaux antiagrégants plaquettaires le

prasugrel et le ticagrelor. L’objectif de cette revue est de faire un point rapide sur la réactivité plaquettaire et son utilité clinique potentielle.

Résistance au clopidogrel

Le clopidogrel est une pro-drogue dont le métabolisme hépatique permet la généra-tion de métabolites actifs qui bloquent de façon irréversible le récepteur P2Y12 à l’ADP. Ce blocage s’oppose à la phase d’amplifica-tion de l’agrégation plaquettaire. Des données biologiques ont montré que le clopidogrel induit une inhibition plaquet-taire très inégale d’un individu à un autre et ce quel que soit le test utilisé. Certains patients présentent un blocage quasi complet de cette voie d’agrégation plaquet-taire aux doses usuelles quand d’autres n’ont quasiment aucune action détectable [3].De nombreuses études observationnelles ont démontré qu’il existe une corrélation forte entre réactivité plaquettaire sous clopidogrel et la survenue d’événements cardiovasculaires majeurs : décès cardiovas-culaire, thrombose de stent ou infarctus du myocarde. De nombreux tests d’agrégation plaquettaire sont disponibles pour mesurer l’efficacité biologique et clinique des bloqueurs du P2Y12 parmi lesquels le VerifyNow PRU, le VASP et le Multiplate sont les mieux validés. Les résultats de ces tests prédisent la survenue des événements thrombotiques au cours du suivi. La repro-

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L. Bonello1, M. Laine1, O. Ronsin2, F. Paganelli1 SÉRIE INHIBITION PLAQUETTAIRE ET SCA

Données de réactivité plaquettaire

Des études observationnelles se sont intéres-sées à la réactivité plaquettaire sous prasu-grel et ticagrelor.

Prasugrel

Des études récentes ont montré que malgré sa supériorité biologique par rapport au clopidogrel, il existe bien des patients présentant une réactivité plaquettaire élevée sous prasugrel. En fonction du test et du seuil utilisés, les taux varient de 5 à 20 % [5]. Dans la sous-étude biologique de TRITON TIMI 38, ce taux était de l’ordre de 20 %. Une étude observationnelle multicen-trique et prospective a suggéré un lien signi-ficatif entre événements ischémiques, hémorragiques et réactivité plaquettaire sous prasugrel en utilisant le VASP index [9].Ces données concordent avec le fait que le prasugrel et le clopidogrel ont des métabo-lites similaires et que leurs propriétés ne diffèrent que par la quantité de métabolites générés.Le lien entre réactivité plaquettaire et événements chez les patients sous prasugrel reste à confirmer, peu d’études ayant porté jusqu’ici sur le sujet.

Ticagrelor

Le ticagrelor est disponible depuis moins de temps. Le nombre d’études portant sur cette drogue est donc réduit. Les données de la sous-étude plaquettaire de PLATO suggèrent que le taux de mauvais répondeurs au ticagrelor serait très limité, inférieur à 10 % [6]. Dans un registre multicentrique observa-tionnel portant sur des patients en SCA traités par angioplastie, nous avons observé un taux de mauvais répondeur de 3,6 % en utilisant le VASP et le seuil validé pour le clopidogrel [10]. En parallèle, un grand nombre de patients présentent une réacti-vité plaquettaire très basse sous traitement. Aucune étude n’a, à ce jour, mis en évidence de lien entre réactivité plaquettaire et événements ischémiques ou hémorragiques sous ticagrelor.

ductibilité de ces données a permis d’établir un consensus sur les seuils de réactivités à atteindre pour prévenir les complications ischémiques après angioplastie à partir des courbes ROC d’événements des études observationnelles [3].Plus récemment, un lien entre réactivité plaquettaire basse sous traitement et la survenue d’événements hémorragiques est apparu. Sibbing et al. ont été les premiers à observer que les patients ayant un blocage excessif du P2Y12 avaient un risque accru d’événements hémorragiques majeurs [4]. Ces données ont été confirmées par des études plus récentes parmi lesquels l’étude ADAPT DES qui a montré sur une cohorte de plus de 8 500 patients que le niveau d’inhibi-tion de la réactivité plaquettaire prédisait les événements ischémiques et hémorra-giques en analyse multi-variée.

Les nouveaux antiagrégants plaquettaires

Le prasugrel est une thiénopyridine de troi-sième génération qui présente un métabo-lisme plus efficace que le clopidogrel permettant de générer plus de métabolites actifs. Le ticagrelor, quant à lui, est issu d’une nouvelle classe médicamenteuse : les pyrimidines. Il s’agit d’une drogue ne nécessitant aucun métabolisme pour être actif et ayant une liaison réversible au récepteur.Le prasugrel et le ticagrelor induisent une inhibition plaquettaire plus intense et plus homogène avec un délai d’action plus court que le clopidogrel [5, 6]. Ces propriétés biologiques se traduisent chez les patients pris en charge par angioplastie coronaire dans un contexte de syndrome coronaire aigu par une réduction du taux d’événe-ments thrombotiques au prix d’une augmen-tation du risque de complications hémorragiques majeures non liées à une chirurgie [7, 8]. Ces données issues des études TRITON TIMI 38 et PLATO ayant comparé ces nouveaux bloqueurs du P2Y12 au clopidogrel sont des confirmations indi-rectes du lien entre réactivité plaquettaire et événements ischémiques et hémorragiques.

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Résistance aux antiagrégants plaquettaires : où en est-on en pratique ?SÉRIE INHIBITION PLAQUETTAIRE ET SCA

Conflits d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt en relation avec cet article.

Références

[1] Clopidogrel in unstable angina to prevent Recurrent Events trial (CURE) Investigators. Effects of pretreatment with clopi-dogrel and aspirin followed by long-term therapy in patients undergoing percutaneous coronary intervention: the PCI-CURE study. Lancet 2001;358:527-33.

[2] Schömig A, Neumann FJ, Kastrati A, et al. A randomized comparison of antiplatelet and anticoagulant therapy after the placement of coronary-artery stents. N Engl J Med 1996;334:1084-9.

[3] Bonello L, Tantry US, Marcucci R, et al. Working Group on High On-Treatment Platelet Reactivity. Consensus and future direc-tions on the definition of high on-treatment platelet reactivity to adenosine diphosphate. J Am Coll Cardiol 2010;56:919-33.

[4] Sibbing D, Schulz S, Braun S, et al. Antiplatelet effects of clopi-dogrel and bleeding in patients undergoing coronary stent placement. J Thromb Haemost 2010;8:250-6.

[5] TRITON-TIMI 38 Investigators. Pharmacodynamic assess-ment of platelet inhibition by prasugrel vs. clopidogrel in the TRITON-TIMI 38 trial. Eur Heart J 2009;30:1753-63.

[6] Held C, Asenblad N, Bassand JP, et al. Ticagrelor versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes undergoing coronary artery bypass surgery: results from the PLATO (Platelet Inhibition and Patient Outcomes) trial. J Am Coll Cardiol 2011;57:672-84.

[7] TRITON-TIMI 38 Investigators. Prasugrel versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med 2007;357:2001-15.

Ticagrelor et prasugrel en pratique clinique

Avec la disponibilité de ces deux molécules, l’arsenal thérapeutique dans le SCA s’est considérablement renforcé. Cependant, il n’existe pas d’études ayant comparé directe-ment ces deux molécules. Seules quelques études pharmacologiques ont suggéré une supériorité du ticagrelor sur le prasugrel dans plusieurs situations cliniques [11]. Cependant, la signification clinique de ces données phar-macologiques reste indéterminée.

Conclusion

Ainsi, il semble persister avec ces nouveaux antiagrégants plaquettaires, une certaine variabilité de réponse biologique. Un faible nombre de patients ont une réactivité plaquettaire élevée sous traitement alors qu’en même temps, un grand nombre de patients ont une inhibition extrême de celle-ci. La signification pronostique de ces données biologiques n’est pas formellement établie avec ces nouveaux médicaments mais il n’y a pas de raison de penser qu’elles diffèrent des conséquences observées avec le clopidogrel.

Perspectives

La réactivité plaquettaire est un outil inté-ressant d’évaluation des bloqueurs du récep-teur P2Y12 à l’ADP. Sa capacité à prédire les événements thrombotiques et hémorra-giques sous clopidogrel est largement démontrée. Les études visant à l’utiliser pour monitorer la réactivité plaquettaire afin d’ajuster la dose de clopidogrel ont échoué à démontrer l’intérêt de son évalua-tion. Cela est probablement lié à l’inclusion de patients à bas risque et à l’inefficacité des stratégies thérapeutiques visant à surpasser la résistance au clopidogrel. Dans l’attente d’études permettant d’évaluer de façon adéquate le monitoring des antiagré-gants plaquettaires, il peut jouer un rôle intéressant en cas de complications hémor-ragiques ou ischémiques afin de mieux cali-brer le traitement (figure 1).

Figure 1. Fenêtre et risques thérapeutiques de l'inhibition plaquettaire.

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L. Bonello1, M. Laine1, O. Ronsin2, F. Paganelli1 SÉRIE INHIBITION PLAQUETTAIRE ET SCA

[10] Laine M, Tioesca R, Berbis J. Platelet reactivity evaluated with the VASP assay following ticagrelor loading dose in acute coronary syndrome patients undergoing percutaneous coro-nary intervention. Thromb Res 2013;132:e15-18.

[11] Alexopoulos D, Xanthopoulou I, Gkizas V, et al. Randomized assessment of ticagrelor versus prasugrel antiplatelet effects in patients with ST-segment-elevation myocardial infarction. Circ Cardiovasc Interv 2012 ;5:797-804.

[8] PLATelet inhibition and patient Outcomes Investigators. Comparison of ticagrelor with clopidogrel in patients with a planned invasive strategy for acute coronary syn-dromes (PLATO): a randomized double-blind study. Lancet 2010;375:283-93.

[9] Bonello L, Mancini J, Pansieri M, et al. Relationship between post-treatment platelet reactivity and ischemic and bleeding events at 1-year follow-up in patients receiving prasugrel. J Thromb Haemost 2012;10:1999-2005.