1
actualités | surveillance 4 OptionBio | lundi 6 février 2012 | n° 466 Résistance aux antibiotiques : émergence dans la communauté et nouveaux défis pour les laboratoires de ville L es laboratoires de ville sont polyvalents. Ils réalisent un nombre limité d’examens pour le diagnostic infectieux (infections urinaires, gynécologiques, cutanées essentiellement) et l’expertise bacté- riologique n’y est pas prioritaire. En outre, tous les laboratoires de ville ou hospitaliers, travaillent dans un cadre réglementaire où s’applique la nomenclature pour des panels bien définis. Des analyses supplémentai- res seront certainement à réaliser en lien avec la résistance bactérienne, possiblement en “hors nomencla- ture”, ce qui constituera un défi. Le contexte Il est celui de l’harmonisation euro- péenne des concentrations critiques, permettant de catégoriser les sou- ches entre sensible (S), intermé- diaire (I) ou résistante (R), la ten- dance étant une nette diminution de ces concentrations pour des raisons de pharmacocinétique et pour dimi- nuer les risques au niveau thérapeu- tique. Ceci conduit à un changement de l’épidémiologie (augmentation des souches résistantes) et de la prescription favorisant le recours à des molécules de “réserve”. L’apprentissage de la détection et de la reconnaissance des mécanismes de résistance sera sans doute désin- vesti car les analyses pharmacociné- tiques et pharmacodynamiques, ainsi que les études cliniques, montrent que la diminution des concentrations critiques des céphalosporines de 3 e génération peut être considérée comme suffisante pour ne pas avoir à ré-interpréter l’antibiogramme en cas de production de bêta-lactamase à spectre étendu (BLSE). L’harmonisation européenne arrive dans un contexte où il existe une augmentation nette et parfois une complexification de la résistance aux antibiotiques au sein des espè- ces bactériennes les plus fréquem- ment responsables d’infections acquises en ville (S. aureus, E. coli, K. pneumoniae). Résistance aux antibiotiques : un vrai problème de santé publique Les autorités sanitaires demandent une surveillance de la résistance aux antibiotiques ; de fait, les microbiolo- gistes s’impliquent dans les réseaux de surveillance au moment même où les recommandations sont de ne plus s’occuper des phénotypes de résistance, via la diminution des concentrations critiques. Quels sont les défis ? Les staphylocoques résistants à la méthicilline (SARM) En réalité, staphylocoques résis- tants à la méthicilline (SARM) ne représentent pas un défi car la résis- tance à la méthicilline est détectée facilement en utilisant la céfoxitine, sans test complémentaire. Ils ne constituent pas non plus un pro- blème thérapeutique car les SARM restent sensibles à diverses molécu- les telles que les glycopeptides ou, éventuellement, les fluoroquinolones ou la rifampicine. Néanmoins, il faut penser à tester la sensibilité au liné- zolide en cas d’infection grave (coût supplémentaire). Escherichia coli résistants aux céphalosporines de 3 e génération en ville et à l’hôpital : un véritable défi Bien qu’il soit difficile d’avoir des chiffres non biaisés de la réalité de ce problème en ville, nous disposons d’une donnée en 2011 en région pari- sienne : 6 % de sujets sains porteurs d’E. coli ayant une bêta-lactamase à spectre étendu (BLSE) versus 0,6 % en 2005. Les données internationa- les de l’EARS (European Antimicrobial Resistance Surveillance) confirment ces chiffres : 5 à 10 % des E. coli res- ponsables de bactériémies en ville et à l’hôpital en 2009 étaient résistants aux céphalosporines de 3 e généra- tion (C3G). En outre, une étude de V. Jarlier effec- tuée sur un panel de 19 692 souches françaises avait montré que 19 % des E. coli résistants aux C3G dans les bactériémies étaient diagnosti- qués aux Urgences, dont presque 50 % dans les 48 premières heures : ces souches proviennent donc de la ville et non de l’hôpital. Plusieurs mécanismes de résis- tance responsables de la résis- tance aux C3G chez E. coli : quel- les molécules tester ? Les deux grands mécanismes de résistance aux β-lactamines chez E. coli sont la production de céphalosporinase chromosomique et celle de BLSE. Pour les détecter, il faut tester le céfotaxime (CTX) ainsi que la cef- tazidime (CAZ) et le céfépime (CEF) (ce dernier, souvent sensible, permet d’éviter le recours à l’imipénème). La céfoxitine (FOX) doit aussi être testée car elle permet d’identifier le mécanisme (dans le cas d’une céphalosporinase, elle est R ; dans le cas d’une BLSE, elle reste S). Le second défi est de déterminer les concentrations minimales inhibitri- ces (CMI) en cas de niveau variable de résistance aux C3G (problème de coût ?). Klebsiella : un germe entre la ville et l’hôpital À la différence d’E. coli, les bacté- riémies à Klebsiella BLSE+ sont plutôt diagnostiquées à l’hôpital (notamment en réanimation) ; tou- tefois un quart d’entre elles sont diagnostiquées dans les 48 premiè- res heures d’un séjour hospitalier et donc acquises en ville. Plusieurs mécanismes de résistance constituent un véritable défi : BLSE, β-lactamases de classe A (carbapé- némases), efflux, altération des pori- nes, β-lactamases de classe D (par exemple, OXA-48, en augmentation chez E. coli et K. pneumoniae hydro- lysant le CTX, mais pas la CAZ ni le CEF ; l’ertapénème et l’imipénème sont parfois touchés, l’ertapénème permettant de mieux détecter la résistance). Il faut donc tester sur une klebsielle, l’imipénème et l’ertépanème puis- que l’un ne répond pas pour l’autre, ainsi que le CTX, la CAZ, le CEF et la céfoxitine qui aide détecter les mécanismes de résistance par efflux et altération des porines, de plus en plus fréquents. Conclusion La résistance bactérienne sera tou- jours un défi pour les laboratoires de microbiologie, en ville et à l’hôpital et pour toute la population. Il est du devoir des microbiologistes de ne pas passer à côté des résistances qui conduisent à l’impasse théra- peutique et de participer au contrôle de la dissémination des souches multirésistantes. | ESTHER SACOUN Journaliste, Paris [email protected] Source Communication de M-H. Nicolas-Chanoine, lors du 28 e colloque IBS-CORATA, Namur, juin 2011. Référence Jarlier V, Fosse T, Philippon A. Antibio- tic susceptibility in aerobic gram-negative bacilli isolated in intensive care units in 39 French teaching hospitals (ICU study). Intensive Care Med. 1996 Oct;22(10):1057-65.

Résistance aux antibiotiques: émergence dans la communauté et nouveaux défis pour les laboratoires de ville

Embed Size (px)

Citation preview

actualités | surveillance

4 OptionBio | lundi 6 février 2012 | n° 466

Résistance aux antibiotiques : émergence dans la communauté et nouveaux défis pour les laboratoires de ville

Les laboratoires de ville sont polyvalents. Ils réalisent un nombre limité d’examens pour

le diagnostic infectieux (infections urinaires, gynécologiques, cutanées essentiellement) et l’expertise bacté-riologique n’y est pas prioritaire.En outre, tous les laboratoires de ville ou hospitaliers, travaillent dans un cadre réglementaire où s’applique la nomenclature pour des panels bien définis. Des analyses supplémentai-res seront certainement à réaliser en lien avec la résistance bactérienne, possiblement en “hors nomencla-ture”, ce qui constituera un défi.

Le contexteIl est celui de l’harmonisation euro-péenne des concentrations critiques, permettant de catégoriser les sou-ches entre sensible (S), intermé-diaire (I) ou résistante (R), la ten-dance étant une nette diminution de ces concentrations pour des raisons de pharmacocinétique et pour dimi-nuer les risques au niveau thérapeu-tique. Ceci conduit à un changement de l’épidémiologie (augmentation des souches résistantes) et de la prescription favorisant le recours à des molécules de “réserve”.L’apprentissage de la détection et de la reconnaissance des mécanismes de résistance sera sans doute désin-vesti car les analyses pharmacociné-tiques et pharmacodynamiques, ainsi que les études cliniques, montrent que la diminution des concentrations critiques des céphalosporines de 3e génération peut être considérée comme suffisante pour ne pas avoir à ré-interpréter l’antibio gramme en cas de production de bêta-lactamase à spectre étendu (BLSE).L’harmonisation européenne arrive dans un contexte où il existe une augmentation nette et parfois une

complexification de la résistance aux antibiotiques au sein des espè-ces bactériennes les plus fréquem-ment responsables d’infections acquises en ville (S. aureus, E. coli, K. pneumoniae).

Résistance aux antibiotiques : un vrai problème de santé publiqueLes autorités sanitaires demandent une surveillance de la résistance aux antibiotiques ; de fait, les microbiolo-gistes s’impliquent dans les réseaux de surveillance au moment même où les recommandations sont de ne plus s’occuper des phénotypes de résistance, via la diminution des concentrations critiques.

Quels sont les défis ?Les staphylocoques résistants à la méthicilline (SARM)En réalité, staphylocoques résis-tants à la méthicilline (SARM) ne représentent pas un défi car la résis-tance à la méthicilline est détectée facilement en utilisant la céfoxitine, sans test complémentaire. Ils ne constituent pas non plus un pro-blème thérapeutique car les SARM restent sensibles à diverses molécu-les telles que les glycopeptides ou, éventuellement, les fluoroquinolones ou la rifampicine. Néanmoins, il faut penser à tester la sensibilité au liné-zolide en cas d’infection grave (coût supplémentaire).

Escherichia coli résistants aux céphalosporines de 3e génération en ville et à l’hôpital : un véritable défiBien qu’il soit difficile d’avoir des chiffres non biaisés de la réalité de ce problème en ville, nous disposons d’une donnée en 2011 en région pari-sienne : 6 % de sujets sains porteurs

d’E. coli ayant une bêta-lactamase à spectre étendu (BLSE) versus 0,6 % en 2005. Les données internationa-les de l’EARS (European Antimicrobial Resistance Surveillance) confirment ces chiffres : 5 à 10 % des E. coli res-ponsables de bactériémies en ville et à l’hôpital en 2009 étaient résistants aux céphalosporines de 3e généra-tion (C3G).En outre, une étude de V. Jarlier effec-tuée sur un panel de 19 692 souches françaises avait montré que 19 % des E. coli résistants aux C3G dans les bactériémies étaient diagnosti-qués aux Urgences, dont presque 50 % dans les 48 premières heures : ces souches proviennent donc de la ville et non de l’hôpital.Plusieurs mécanismes de résis-tance responsables de la résis-tance aux C3G chez E. coli : quel-les molécules tester ? Les deux grands mécanismes de résistance aux β-lactamines chez E. coli sont la production de céphalosporinase chromosomique et celle de BLSE. Pour les détecter, il faut tester le céfotaxime (CTX) ainsi que la cef-tazidime (CAZ) et le céfépime (CEF) (ce dernier, souvent sensible, permet d’éviter le recours à l’imipénème). La céfoxitine (FOX) doit aussi être testée car elle permet d’identifier le mécanisme (dans le cas d’une céphalosporinase, elle est R ; dans le cas d’une BLSE, elle reste S).Le second défi est de déterminer les concentrations minimales inhibitri-ces (CMI) en cas de niveau variable de résistance aux C3G (problème de coût ?).

Klebsiella : un germe entre la ville et l’hôpitalÀ la différence d’E. coli, les bacté-riémies à Klebsiella BLSE+ sont plutôt diagnostiquées à l’hôpital

(notamment en réanimation) ; tou-tefois un quart d’entre elles sont diagnostiquées dans les 48 premiè-res heures d’un séjour hospitalier et donc acquises en ville.Plusieurs mécanismes de résistance constituent un véritable défi : BLSE, β-lactamases de classe A (carbapé-némases), efflux, altération des pori-nes, β-lactamases de classe D (par exemple, OXA-48, en augmentation chez E. coli et K. pneumoniae hydro-lysant le CTX, mais pas la CAZ ni le CEF ; l’ertapénème et l’imipénème sont parfois touchés, l’ertapénème permettant de mieux détecter la résistance).Il faut donc tester sur une klebsielle, l’imipénème et l’ertépanème puis-que l’un ne répond pas pour l’autre, ainsi que le CTX, la CAZ, le CEF et la céfoxitine qui aide détecter les mécanismes de résistance par efflux et altération des porines, de plus en plus fréquents.

ConclusionLa résistance bactérienne sera tou-jours un défi pour les laboratoires de microbiologie, en ville et à l’hôpital et pour toute la population. Il est du devoir des microbiologistes de ne pas passer à côté des résistances qui conduisent à l’impasse théra-peutique et de participer au contrôle de la dissémination des souches multirésistantes. |

ESTHER SACOUN

Journaliste, Paris

[email protected]

SourceCommunication de M-H. Nicolas-Chanoine, lors du 28e colloque IBS-CORATA, Namur, juin 2011.

RéférenceJarlier V, Fosse T, Philippon A. Antibio-tic susceptibility in aerobic gram-negative bacilli isolated in intensive care units in 39 French teaching hospitals (ICU study). Intensive Care Med. 1996 Oct;22(10):1057-65.