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Résoudre son transfert
Par Michelle Larivey , psychologue
Cet article est tiré du magazine électronique
" La lettre du psy"
Volume 6, No 2c: Février 2002
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articles |
Table des matières
Introduction
A. Les résistances à la résolution du transfert
B. Qu’est-ce que résoudre un transfert?
Ce n’est pas
La résolution du transfert
C. Les étapes de résolution du transfert
Reconnaître la présence du transfert (en prendre conscience)
Identifier le besoin
Exprimer les reproches
Distinguer la demande du besoin
Exprimer le besoin au bon interlocuteur
Pendre le besoin en charge
D. Comment faire
Conclusion
Vous pouvez aussi voir:
Vos questions liées à cet article et nos réponses !
Introduction
Dans “Homo affectivité” nous avons vu comment deux
transferts dont l’enjeu est le droit à l’existence, peuvent
prendre des formes très différentes dans la vie des personnes
qui les vivent. Chaque personne a une histoire unique et une
manière originale de la vivre. Il est impossible de prédire
exactement la démarche de résolution du transfert pour chaque
individu. Mais nous pouvons expliquer en quoi elle consiste et
comment elle se déroule typiquement. C’est l’objet du présent
article.
Dès le début d’une relation amoureuse, on peut identifier un
besoin affectif important qui en est l’enjeu central. Ce besoin
est toujours de nature transférentielle. Que la relation réponde
ou non à ce besoin, elle peut toujours servir de terrain pour
résoudre le transfert.
La résolution du transfert est une démarche simple, mais elle
semble bien complexe à celui qui n’en connaît pas bien les
étapes ou ne possède pas les habiletés nécessaires. En fait,
c’est la démarche de développement personnel qui suscite le
plus de résistances après celle du renversement du déni
existentiel. Mais la personne qui le veut vraiment peut se servir
abondamment des situations de la vie de tous les jours pour
parvenir à sa résolution. Qu’elle bénéficie ou non de l’aide d’un
psychothérapeute, une partie importante de la résolution doit
se dérouler dans le contexte des relations qui tissent sa vie
quotidienne.
A. Les résistances à la résolution du transfert
Nous sommes constamment à la recherche de situations
interpersonnelles qui nous permettent de compléter les
expériences laissées autrefois en plan. (Voir: “Le transfert dans
les relations”.) Pourtant, nous entreprenons rarement de régler
ces transferts. Au contraire, tôt dans la relation nous reprenons
les comportements et les attitudes qui ont contribué autrefois à
l’impasse dans laquelle nous sommes aujourd’hui. (Voir: “Aux
sources du transfert”.)
Pourquoi en est-il ainsi? Pourquoi allons-nous jusqu’à répéter le
même scénario d’une relation amoureuse à l’autre?
C’est d’abord par habitude que nous agissons de cette façon.
Cette manière de faire est ancrée en nous parce que nous la
répétons depuis notre tendre enfance. Mais il y a aussi une
question de familiarité: nous sommes porté à demeurer dans ce
que nous connaissons bien.
Si je suis quelqu’un qui tente de faire des exploits depuis
toujours afin d’impressionner mes parents, je connais tous les
rouages et les subtilités de cette tactique. Le recours à ce
moyen pour conquérir le coeur de mon entourage et de mes
amants est très facile pour moi. De la même manière, si je me
suis toujours fait aimer en voyant au bien-être de l’autre, c’est
ce moyen qui deviendra mon atout pour me faire aimer par un
conjoint, mes employés ou mes enfants.
L’habitude et la familiarité conduisent rapidement à
l’automatisme. C’est ainsi que ces comportements deviendront
comme des réflexes bien ancrés en nous.
J’ai même l’impression qu’ils font partie de ma personnalité. Un
peu plus et je croirai qu’ils sont innés ou même inscrits dans
mes gênes. (Car il se peut que je me reconnaisse dans mes
parents dont j’ai copié certains comportements.)
Mais il y a une autre raison qui explique la stagnation dans des
relations transférentielles. Nos comportements stéréotypés
servent de mécanismes de défense contre la vulnérabilité.
Comme nous le verrons plus loin, le travail de résolution du
transfert est exigeant de plusieurs façons au plan émotionnel.
D’abord, il nous amène à dévoiler notre intimité profonde, ce
qui nous rend forcément vulnérable. Ensuite, il nous oblige à
prendre des risques au plan affectif, en particulier celui d’être
rejeté mais aussi celui d’être jugé et blessé. De plus, le travail
de résolution du transfert entraîne des émotions intenses, chez
nous et souvent aussi chez l’interlocuteur. C’est pourquoi, par
désir de protection, nous optons pour le scénario habituel,
même s’il est porteur de frustrations et nous conduit toujours à
l’impasse. La relation est frustrante, mais nous demeurons en
sécurité, évitant l’inconnu.
Je crois que des articles comme celui-ci ne peuvent réellement
suffire pour amorcer une démarche de résolution du transfert.
La résistance au changement est trop forte lors des premières
tentatives. Mais c’est au démarrage du processus que cette
difficulté est la plus importante. Une fois le travail commencé,
les satisfactions obtenues fournissent l’énergie nécessaire pour
continuer de prendre des risques et l’emportent généralement
sur la peur.
B. Qu’est-ce que résoudre un transfert?
1. Ce n’est pas
La résolution du transfert se distingue de plusieurs autres types
de travail thérapeutique sur le même phénomène. Elle vise à
régler le problème en trouvant une réponse adéquate au
besoin.
Elle ne peut être assimilée à l’analyse du transfert dans la
mesure où celle-ci consiste essentiellement à le comprendre en
profondeur. Cette stratégie conduit à une acceptation du vécu
passé et des effets qu’il continue d’avoir sur le présent.
Elle diffère également d’une autre variante très répandue: la
simple identification du phénomène. Dans ce cas, il s’agit de
reconnaître une similarité entre le comportement présent (ou le
scénario répétitif) et le comportement passé. On s’efforce
également d’avoir conscience des enjeux sous-jacents dans ces
relations.
Enfin, résoudre le transfert ce n’est pas le neutraliser. Il ne
s’agit pas de décider rationnellement de ne plus laisser jouer
son transfert en contrôlant ses émotions ou en se retenant de
réagir.
Ainsi, un père peut se contenir afin de cacher à son fils que son
rejet lui fait le même effet dévastateur que celui de sa mère
autrefois. Bien que judicieux dans cette situation, ce contrôle ne
lui permettra jamais de résoudre ce transfert. Pour le faire, il
doit s’impliquer dans des relations où il prend le risque
d’exposer son besoin sans se retenir à cause de ses
responsabilités de père. La situation est analogue pour
l’enseignant avec son élève, le psychothérapeute avec son
client et, en général, pour toute personne en position de
pouvoir.
2. La résolution du transfert
Un transfert résolu c’est un transfert terminé: il n’existe plus.
Les indices pour s’en assurer sont différents selon la conquête
réalisée.
Pour ce qui concerne la conquête du droit à l’existence, les
signes apparaissent dans la capacité d’accueillir nos émotions
et de reconnaître nos besoins. En ce cas, nous ne contestons
plus leur existence mais les considérons plutôt comme une
expression de nous, de nos caractéristiques personnelles. Notre
vécu est devenu un aspect de notre vie avec lequel nous
sommes en contact et qui nous sert continuellement.
Pour ce qui concerne le droit d’être distinct, le transfert est
résolu si nous sommes capables d’exposer nos idées, exprimer
nos émotions, être ouvertement nous-même, en nous assumant
devant les réactions des gens. (Voir “Transfert et conquête de
l’autonomie”.) Nous sommes alors capables d’être fidèles à
nous-mêmes dans toutes les situations, même les plus
exigeantes et avec les autorités les plus haut placées.
Il ne s’agit pas de nous convaincre de notre valeur, du droit
d’être nous-même ou du fait que nous sommes extraordinaire.
Il ne s’agit pas non plus de nous raidir pour que les jugements,
les sarcasmes ou les autres réactions ne puissent nous
atteindre.
Enfin, le signe de la conquête du droit d’être sexué est la
capacité d’assumer entièrement notre sexualité devant les
personnes des deux sexes. La femme n’a pas de crainte à se
montrer sexuée devant une autre femme (rivale potentielle ou
juge de son comportement) non plus qu’en présence d’un
homme (amant potentiel ou père réprobateur). Elle peut l’être
également en présence des deux. De la même façon, l’homme
n’a pas d’inhibition à se présenter comme être sexué devant un
autre homme comme avec une femme. Il peut aussi porter sa
sexualité ouvertement en présence des deux sexes à la fois.
Dans ce cas, nous ne cherchons plus à nous faire confirmer
comme être attirant sexuellement car cette conviction est
maintenant acquise. De même, nous considérons notre désir
sexuel et notre excitation comme des expressions légitimes de
notre personne. Nous jouissons de notre plaisir sexuel autant
que de notre expression comme être sexué dans nos rapports
avec les gens. Nous connaissons nos goûts en matière de
sexualité et nous sommes capables des les respecter.
Dans les trois types de transfert je parle de “conquête” car il
s’agit véritablement de liberté que nous gagnons au fil des ans.
Grâce au travail de résolution, nous reprenons possession du
pouvoir d’être qui, autrefois, dépendait de l’attitude de nos
parents et plus tard, de celle de leurs substituts.
Cette récupération ne se fait pas d’un seul coup. Nous y
parvenons grâce à une série de tentatives d’expression
authentique et en contact avec l’interlocuteur. Ce dernier peut
être le parent lui-même ou un de ses substituts. Il y en a
toujours dans notre entourage. ;-)
La résolution d’un transfert ne se passe donc pas dans notre for
intérieur. Elle se produit grâce au contact interpersonnel tout
comme l’impasse a été vécue, autrefois, dans le contact avec
notre parent.
C. Les étapes de résolution du transfert
1. Reconnaître la présence du transfert (en prendre
conscience)
Nous avons déjà vu dans le premier article de cette série quels
indices signalent la présence du transfert. Le signe le plus
évident est une réaction émotionnelle forte et disproportionnée
par rapport à la situation.
Dans l’article “Homo affectivité”, nous avons vu que Thierry est
très émotif par rapport à son professeur de physique. Lorsqu’il
rêve qu’il est son fils et lorsqu’il se trouve en sa présence il vit
des émotions intenses: immense contentement, énervement,
désir d’être remarqué. Il peut réagir fortement aux marques
d’attention mais aussi à leur absence.
Toutes ces émotions sont précieuses pour l’informer de ce qui
se passe réellement pour lui dans cette relation. Il est donc
capital qu’il les accueille et en les ressente à fond pour que
cette information se précise.
2. Identifier le besoin
Le contact avec nos émotions d’aujourd’hui dans une situation
semblable, déclenche des liens avec ce que nous avons vécu
dans des relations antérieures. Petit à petit, le manque affectif
qui nous hante se clarifie également. (Voir “La vie d’une
émotion”.)
Thierry découvre, par contraste avec ce qu’il vit à l’égard de
son père qui l’ignore presque totalement, son besoin d’être
confirmé dans son existence. Dans son cas, il s’agit du transfert
concernant le droit à l’existence. (Voir: “Transfert et droit à
l’existence” ainsi que La résolution du transfert, dans “L’Auto-
développement: psychothérapie dans la vie quotidienne”.)
3. Exprimer les reproches
La privation affective donne lieu a beaucoup de frustration,
durant plusieurs années. Celle-ci provoque de la colère qui
surgit habituellement sous forme de reproches.
S’il osait, Thierry reprocherait à son père de ne s’être jamais
intéressé à lui, à ses études et à ses activités sportives. Il lui
dirait combien il lui en veut de sa présence rarissime à ses
compétitions d’athlétisme, là où il se défonçait pour gagner
l’admiration de la foule (sans doute substitut de son père
absent).
L’émergence de reproches est inévitable lorsque nous faisons
place à nos frustrations. Il est très important de les accueillir
dans notre expérience car sans cela il sera impossible de nous
laisser aller, un jour, à l’expression du besoin. En effet, la colère
contenue dans les reproches est incompatible avec l’attitude de
vulnérabilité nécessaire à l’expression du besoin. Ces
récriminations doivent être liquidées pour avoir accès au besoin
dans toutes ses dimensions. La liste des reproches peut être
longue dans la mesure où la frustration s’est accumulée
pendant de nombreuses années.
Plusieurs personnes élèvent des objections considérables à
l’idée d’exprimer leurs reproches. Au nom du fait que leurs
parents ont fait de leur mieux (ce qui dans la plupart des cas
est indiscutable), ils choisissent de repousser leur expérience.
Cette rationalisation ne parvient cependant pas à éliminer le
mécontentement. Elles demeurent donc bloquées et stagnent à
cette étape de la résolution de leur transfert.
Il n’est pas nécessaire d’adresser nos reproches à notre parent
lui-même. Mais il faut trouver le moyen de les exprimer. Il
existe diverses façons de le faire. Par exemple les communiquer
à la personne avec laquelle nous sommes en transfert. Les
objections sont ici moins nombreuses même si cette solution
apparaît comme un risque. Il est aussi possible de parler à notre
parent en simulant sa présence. Dans ce cas, comme dans
l’adresse à son substitut, il est nécessaire de laisser passer
l’émotion de colère dans toute son intensité et d’exprimer la
panoplie des reproches. En d’autres mots, il faut “vider son
sac”.
Jusqu’ici, il n’est pas tellement question de plaisir, mais de
soulagement et de l’impression fort importante de nous occuper
d’un sujet capital de notre vie. Le plaisir sera lié plus
directement aux tentatives pour assouvir le besoin.
4. Distinguer la demande du besoin
Je l’ai déjà mentionné, le travail de résolution du transfert
suscite beaucoup de résistance. La principale consiste à
accepter la vulnérabilité d’être en manque par rapport à un
besoin que nous jugeons habituellement “infantile”. Il faut donc
prendre le risque de changer notre image aux yeux de
personnes dont nous désirons la reconnaissance. De l’adulte
accompli “au-dessus de ses affaires”, nous devenons par le fait
même l’adulte “ayant un besoin affectif criant”. Pour la plupart
d’entre nous, il s’agit d’une humiliation à laquelle il est très
difficile de consentir. Toutes les stratégies deviennent alors
bonnes pour éviter cette situation. Y compris la détérioration
d’une relation amoureuse pourtant prometteuse. (Voir
“humiliation”.)
Nos résistances sont actives, voire envahissantes, mais la
tendance actualisante ne renonce pas pour autant: nous
tentons, même sans le vouloir consciemment, de résoudre nos
échecs d’autrefois. (Voir “Une théorie du vivant”.) Nous ne
renonçons pas à satisfaire notre besoin, mais nous le déformons
dans l’espoir de trouver une solution moins exigeante. Nous le
traduisons en demandes de confirmations.
Dans le cadre de la quête du droit à l’existence, nous réclamons
des marques d’affection (“embrasse-moi”, “dis-moi que tu
m’aimes”, “montre-moi que tu me désires”). Nous attendons
des gestes démontrant notre importance (qu’il m’offre des
fleurs, qu’elle fasse des compromis, qu’il se sacrifie pour moi...).
Souvent ces demandes sont teintées de reproches (“il y a
longtemps que nous n’avons pas fait l’amour, “tu es distant”,
“tu ne penses qu’à toi”, “tu sais que j’aime les compliments et
tu ne m’en fais jamais”). De toute évidence, la demande est
moins compromettante que l’expression directe du besoin sous-
jacent, mais elle l’est davantage que le reproche. En effet,
accuser l’autre permet de concentrer l’attention à l’extérieur de
notre point vulnérable. C’est plus sécurisant même si cela
donne souvent lieu à des querelles. Cette tactique est
complètement stérile du point de vue de la résolution du
transfert tout comme l’est l’expression des demandes et des
attentes.
5. Exprimer le besoin au bon interlocuteur
Avec l’expression du besoin, nous approchons du point crucial
de la résolution du transfert, mais ce n’est pas encore ce qui
produira le retournement que constitue la résolution. Ce qui
produira le changement, c’est la combinaison de l’expression et
de la prise en charge du besoin. Voyons en quoi consiste ce
besoin.
Le besoin affectif
Nous avons l’habitude d’exprimer nos besoins dans des termes
qui traduisent davantage la source de satisfaction que le
besoin. Par exemple l’attention, les fleurs, le compliment ou
même l’affection, ne constitue pas le besoin en lui-même. Ce
sont des moyens par lequel notre besoin peut être comblé.
Ainsi, si je reçois l’attention d’une personne de laquelle je
l’attends, ma valeur à mes yeux est rehaussée. Si celui dont je
veux être aimé m’offre un présent, j’en conclue que j’ai une
certaine importance pour lui. En fait, mon besoin c’est ce que le
geste me procure et non le geste lui-même. Dans les exemples
ci-dessus, j’ai besoin d’être confirmé comme être valable,
comme être aimable.
Le besoin affectif est différent selon le genre de transfert en
cause. Il est important de les distinguer pour orienter
adéquatement l’action expressive qui permet la résolution.
Concernant la recherche du droit à l’existence, il est toujours
question d’être reconnu en tant que personne valable, aimable,
valant la peine qu’on s’y intéresse. Dans le cas de la recherche
d’une identité distincte, il est toujours question de la liberté
d’être soi-même sans perdre le contact avec l’autre.
Quant à la recherche d’une identité sexuelle, l’expression prend
successivement diverses formes selon l’étape où nous sommes.
Dans un premier temps, le besoin prend la forme d’une
confirmation et appréciation comme être sexué. La recherche
suivante porte sur la légitimité du désir sexuel, de l’excitation,
du plaisir et de notre expression en tant qu’homme ou femme
sexué. Enfin, nous recherchons notre manière propre de vivre
notre sexualité ainsi que des partenaires qui nous conviennent.
Dans cette exploration excitante mais difficile, c’est le support
de la personne transférée que nous recherchons. (Voir: La
résolution du transfert dans “L’Auto-développement:
psychothérapie dans la vie quotidienne”.)
L’interlocuteur réel
Déjà, le fait d’exprimer notre besoin devant quelqu’un à qui
nous reconnaissons le pouvoir de nous valider est un moyen
puissant de mieux l’assumer et de reprendre nos droits sur ce
besoin. Mais comme il n’a pas été assumé devant le parent
concerné, nous ne parviendrons à en reprendre possessions
que si nous l’exprimons à ce parent à travers notre
interlocuteur. Nous verrons plus loin un exemple de la façon
dont on peut réussir une telle expression. Bien entendu, il est
également possible de nous adresser à notre parent “en
personne” au lieu de son substitut.
6. Prendre le besoin en charge
C’est lorsque nous devenons actif dans la recherche de la
satisfaction de notre besoin transférentiel que se produit le
changement en profondeur caractéristique de la résolution du
transfert. En effet, jusqu’à ce moment, nous avons été en
quelque sorte la victime de l’action ou de l’inaction d’un parent
et de ses sentiments à notre égard. Jusqu’à la tentative de
résolution de ce transfert, nous sommes demeuré relativement
passif quant à notre satisfaction. Nous avons tenu notre parent
et ses substituts responsables de nous procurer la nourriture
affective nécessaire.
Maintenant, nous devons non seulement prendre la
responsabilité d’exprimer ce besoin mais aussi prendre
l’initiative d’y répondre. En d’autres mots, prendre le risque de
faire les pas nécessaires pour obtenir la satisfaction désirée.
Nous verrons dans la prochaine section à quoi ressemble
concrètement la prise en charge du besoin.
D. Comment faire
Revenons à Thierry qui nous a servi d’exemple dans le texte qui
précède (“Homo affectivité”) et voyons concrètement comment
il peut travailler activement à la résolution de son transfert dans
ses relations avec les personnes importantes de sa vie actuelle.
Thierry remarque une saveur familière dans sa relation avec
son chef d’équipe: c’est encore la même admiration et la même
dépendance qu’avec ses anciens professeurs. Mais cette fois,
des les premières manifestations de son besoin, Thierry choisit
d’être expressif. Prenant son courage à deux mains, il avoue à
son supérieur immédiat l’admiration qu’il lui porte. Il ajoute qu’il
est valorisé chaque fois que celui-ci lui porte attention ou
s’intéresse à ce qu’il fait. Il lui déclare aussi qu’il aimerait avoir
un père qui lui ressemble.
Thierry fait cette expression en contact: il regarde son chef
pendant qu’il parle et il s’efforce de rester attentif à ce qu’il
ressent. Il devient ému en cours de route et ne le cache pas.
Comme il éprouve des émotions devant la manière dont son
supérieur l’écoute et en réaction à la réponse de ce dernier, il
les ressent et les exprime. Il demeure donc vivant pendant
cette interaction.
Thierry profite de chaque occasion où il éprouve des émotions
en rapport avec son besoin d’être confirmé comme être valable
et aimable pour les exprimer à son supérieur. Par exemple, s’il
se trouve ignoré et en est blessé, il l’exprime.
Comme il s’agit alors d’une répétition de ce qu’il a vécu avec
son père (l’indifférence perçue par Thierry), les émotions sont
souvent intenses et paraissent disproportionnées par rapport à
l’événement (aux yeux de Thierry et de son interlocuteur). Il
tient habilement compte de cette dimension en précisant à ce
dernier que ça lui fait particulièrement mal parce qu’il s’agit
d’une blessure qu’il a vécue à répétition avec son père.
En s’exprimant ainsi, Thierry agit tout autrement qu’avec son
père. Il prend le risque d’exposer sa blessure et de faire voir
son besoin, même si ces aveux le placent dans une position
vulnérable. C’est grâce à cette différence que la résolution de
son transfert est bien amorcée et promet de déboucher sur un
succès.
Chaque fois qu’il fait une tentative de ce genre, s’il a
l’impression d’avoir encore des choses à exprimer et que celles-
ci concernent uniquement son père, Thierry revient sur son
vécu dans son journal personnel. Il y écrit un billet à son père à
propos de ce qu’il a vécu. Cette fois-ci il lui parle de cette vieille
blessure qui revient depuis hanter ses relations avec les
hommes auxquels il accorde plus d’importance. Il lui écrit ce
qu’il ressent face à son indifférence passée et présente. Il ose
prendre les mots qui traduisent exactement l’intensité de ses
sentiments.
Ensuite, il imagine son père présent dans la pièce et lui lit à
haute voix ce qu’il vient d’écrire. Et encore une fois, il demeure
disponible aux émotions qui surgissent alors et les exprime à
son père.
Parfois, lorsqu’il est particulièrement frustré, il lui arrive d’être
envahi par une mer de reproches qu’il n’a jamais osé faire à son
père. Il n’est pas capable de les lui adresser en personne. Mais
il prend bien soin de le faire à travers son journal. Autant qu’il le
peut, il tente d’exprimer ce qu’il ressent vraiment à propos de
ces récriminations. Une fois son expérience bien cernée et
formulée, il s’efforce d’adresser ces reproches à son père qu’il
imagine devant lui, toujours à haute voix pour mieux ressentir
ses réactions. (Voir "L'expression qui épanouit" à propos de ce
type d’expression.)
Thierry profite donc de toutes les occasions de ressentir et de
s’exprimer sur ce sujet auprès des personnes qui prennent de
l’importance par rapport à son besoin d’être confirmé comme
être valable et aimable. Lorsque ces personnes lui apportent
une confirmation de sa valeur, il leur communique sa réaction.
Lorsqu’il attend une telle reconnaissance, il prend souvent le
risque de leur dire en expliquant la valeur qu’il accorde à leur
opinion. Car il s’agit habituellement de personnes qu’il admire
ou qu’il trouve chaleureuses. Son chef d’équipe fait
évidemment partie de ces personnes, tout comme son
professeur de piano.
Il avoue aussi à ce dernier toute l’importance de l’attention et
de l’affection qu’il reçoit. Lorsque l’affection du professeur se
manifeste par des gestes sexuels, Thierry y consent
uniquement si c’est ce qu’il désire lui aussi. S’il acquiesce, il
reste en contact avec lui-même pour ressentir et l’exprimer.
Aux moments où son besoin affectif est comblé, il en fait part
en disant toute l’importance que cela revêt pour lui.
S’il ne consent pas aux rapports sexuels, il ose manifester
clairement son désaccord et faire comprendre la nature de son
besoin réel: celui d’affection. Le cas échéant, il exprime par la
même occasion sa peur de perdre le contact avec son
professeur s’il refuse de répondre sexuellement à son besoin.
Dans les deux cas, Thierry assume son besoin et le prend en
mains. C’est aussi ce qu’il fait lorsqu’il prend l’initiative d’agir
au moment où il éprouve lui-même un désir.
Ainsi, il fait les premiers pas pour obtenir l’accolade qu’il
souhaite ou en augmenter l’intensité. Il demande au professeur
de le prendre dans ses bras si c’est ce qu’il désire. Il manifeste
son désir d’une étreinte si c’est le cas. Toujours, il s’efforce de
demeurer en contact et expressif.
De cette façon, petit à petit, le grand manque éprouvé avec son
père commence à être comblé. Ce qu’il vit maintenant ne
change en rien à qu’il a vécu autrefois avec ce dernier. Ce qui
change, avec le temps, c’est l’importance de son manque
actuel. Mais le changement le plus important c’est la capacité
qu’il acquiert de prendre en charge la satisfaction de son
besoin.
Il est possible qu’un jour Thierry éprouve le besoin de
s’adresser directement à son père. Dans ce cas, il choisira aussi
de lui parler de ses véritables préoccupations et de le faire en
contact.
Conclusion
C’est à travers une démarche de ce genre que nous pouvons
trouver un nouvel équilibre même en ayant eu une enfance et
une adolescence passablement carencées du point de vue d’un
besoin affectif particulier. Mais pour l’obtenir, nous devons
profiter de chaque occasion qui s’offre à nous pour vivre
autrement nos expériences en rapport avec ce besoin.
Essentiellement, il s’agit de faire ce que nous ne faisions pas au
passé soit: ressentir nos émotions, reconnaître le besoin et nous
exprimer complètement. Ces trois formes d’action psychique
sont les ingrédients principaux qui nous permettent d’arriver un
jour à éliminer le déficit.
Voici, en terminant, une image qui traduit bien comment la
résolution du transfert se déroule.
J’ai, en mon for intérieur, un champ de mines émotionnelles.
Ces explosifs sont constitués par des émotions importantes qui
touchent mes besoins fondamentaux en souffrance. Au cours de
mon enfance et de mon adolescence, j’ai enfoui certaines
émotions dans mon champ expérientiel et les y ai en quelque
sorte oubliées.
Depuis, divers événements les font éclater. Chacun est une
nouvelle opportunité que m’offre la vie de déterrer l’émotion et
vivre l’expérience complètement. À chaque fois que je le fais, je
déterre une mine. Lorsque l’ensemble du champ est nettoyé,
mon transfert est réglé. Alors, le type d’événement qui autrefois
me bouleversait ne suscite plus de réaction excessive. Mes
anciens manques ont fait place à des satisfactions que je suis
capable d’obtenir.
Aux sources du transfert
Par Michelle Larivey, psychologue
Cet article est d’abord paru dans le magazine électronique
" La lettre du psy"
Volume 2, No 6: Juin 1998
sous le titre "La source des noeuds"
Résumé de l'article
C'est dans nos relations les plus importantes, avec les
personnes souvent les plus précieuses pour nous que nous
développons une manière d'être qui produit des noeuds. Ces
noeuds durcissent parfois au point de devenir incontournables.
Le fait de ne pas les dénouer nous amène à des échecs ou à
une forme d'adaptation où notre vitalité est laissée pour
compte. Comment se forment ces noeuds ? Pourquoi existent-
ils ? Quel est le rôle qu'ils peuvent jouer dans notre vie et notre
développement psychique ?
Table des matières
A. Introduction: les deux racines des noeuds
B. Le besoin de se développer
Devenir soi-même: la conquête d'une vie
Nos premiers pas: avec nos parents
C. Les expériences incomplètes
Ressenti ou expression
La recherche d'harmonie
D. Comment se forment les noeuds?
Les noeuds: des expériences incomplètes
Les noeuds: des tentatives de développement
E. Conclusion
Vous pouvez aussi voir:
Vos questions liées à cet article et nos réponses !
A. Introduction: les deux racines des noeuds
Pour bien comprendre ce texte il est préférable d'avoir lu "Les
noeuds dans nos relations" . Dans ce texte, j'ai présenté ce que
j'appelle "les noeuds" que nous rencontrons constamment dans
nos relations les plus importantes. Ces noeuds se manifestent
sous la forme d'insatisfactions chroniques devant lesquelles on
a une impression d'impuissance. Nous butons régulièrement sur
ces difficultés. C'est pourquoi je leur ai donné le nom de
"noeuds".
Ces noeuds qui nous étouffent et nous empêchent d'avancer
autant qu'on le voudrait, prennent racine dans deux genres
d'expériences. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ils
proviennent de nos tentatives de relever des défis de
croissance personnelle. Ils proviennent aussi des expériences
émotives du passé que nous avons négligé de vivre
complètement.
L'objectif de cet article est de vous faire comprendre pourquoi il
en est ainsi. Il s'agit de phénomènes naturels simples, au fond,
mais il faut les comprendre pour arriver à démêler ce que l'on
vit. Je fournirai donc quelques pistes qui permettront aux
intéressés, de faire une auto-évaluation de leurs
comportements qui engendrent des noeuds dans leurs
relations. Commençons par quelques notions préalables qui
contribueront à augmenter notre perspicacité.
B. Le besoin de se développer
1- Devenir soi-même : la conquête d'une vie
Durant toute notre vie, nous cherchons à nous développer. À
travers son échelle de besoins, le psychologue Abraham Maslow
a bien décrit cette réalité psychologique. Cette démarche
consiste essentiellement à devenir soi-même. Cela veut dire,
devenir de plus en plus capable de respecter ses besoins et ses
valeurs et cela, devant qui que ce soit. Une fois cette liberté
atteinte, nous nous consacrons à la raffiner.
Le besoin de se réaliser s'incarne à travers différentes
préoccupations. L'exemple de Jérôme illustre bien la présence
d'une préoccupation constante qui se manifeste partout dans sa
vie. Les préoccupations se modifient à mesure qu'on avance. En
d'autres termes, une fois la question réglée, une autre
préoccupation émerge qui nous permettra de faire un autre
pas.
Si nos préoccupations demeurent inchangées, sur une longue
période de temps, ce n'est pas parce qu'on est borné ou encore
anormal, comme plusieurs le pensent, c'est plutôt que nous ne
sommes pas encore parvenus à relever le défi de cette
conquête. C'est essentiellement parce que nous nous y prenons
mal pour y parvenir.
Ces préoccupations de développement surgissent de l'intérieur.
Elle n'ont rien à voir avec les exigences de changement qu'on
s'impose ou que notre entourage cherche à nous imposer. Elles
prennent la forme de diverses questions. Voici quelques
exemples fréquents.
"J'ai peur d'approcher les femmes qui m'intéressent. C'est
désespérant pour moi car j'ai l'impression que je ne pourrai
jamais partager ma vie avec quelqu'un qui répond à mes
aspirations."
"Je n'ai pas confiance dans les hommes. J'aime mieux vivre ma
vie avec des femmes. Les hommes ne me manquent pas, mais
j'aimerais tout de même être plus confortable avec eux."
"Je pense que je ne suis intéressante pour personne. Je m'isole
et m'organise mais je souffre énormément de solitude."
"Ma relation de couple n'est pas satisfaisante. J'ai peur de tout
faire éclater si j'en parle. Alors j'endure, mais je ne sais pas
combien de temps je pourrai le faire."
"La critique me tue. J'aime mieux éviter de m'exposer que
risquer d'être jugé. J'en souffre, car je n'ai jamais de
reconnaissance."
Certains de ces problèmes illustrent la difficulté d'être soi-
même et de tenir compte de ses désirs et aspirations. Les
autres démontrent la difficulté de respecter ce qui nous
importe, devant ou avec d'autres. Ces deux difficultés
représentent l'essentiel du défi du développement de soi. Ce
développement est l'affaire d'une vie, mais c'est tous les jours
que nous y sommes confrontés. C'est à travers la plupart de
nos occupations que nous parcourons ce chemin et
principalement au contact des personnes qui sont significatives
à nos yeux. Nous commençons cette construction de notre
personne dès notre apparition au monde. Nous la continuerons
notre vie durant.
2- Nos premiers pas: avec nos parents
C'est avec nos parents, ou ceux qui les ont remplacés, que nous
faisons nos balbutiements dans ce sens et que nous acquérons
nos premiers outils de développement personnel. Nous
progressons en nous adaptant aux conditions fournies par notre
milieu ainsi qu'au style particulier des personnes qui sont
importantes pour nous à ce moment-là. Ainsi, la capacité d'être
soi-même et de se respecter au contact des autres, est
tributaire de plusieurs facteurs. Il serait inutile de tenter de les
énumérer tous. Il suffit de comprendre que lorsque nous
arrivons à l'âge adulte nous avons un certain chemin de fait
dans la direction de devenir nous-mêmes mais il nous reste
encore beaucoup à faire. Voici deux exemples typiques.
"J'ai l'impression de ne pas exister pour mes parents et que mes
tentatives pour obtenir leur attention s'avèrent vaines. Je
prends donc l'habitude de m'effacer et je conserve le message
que je ne vaux pas la peine. Je m'abstiens le plus souvent de
déranger en étant convaincue qu'il n'y a pas de place pour moi.
À la longue, je développe, par rapport à moi, la même attitude
que celle de mon entourage: j'accorde peu d'importance à ce
que je veux et à ce que je désire. Je ne trouve pas que je vaux
la peine d'essayer d'obtenir ce qui m'importe. De fait, je
n'essaie même plus de l'obtenir. Ainsi je ne développe pas la
capacité de me mobiliser pour obtenir ce que je veux dans la
vie. De plus, comme il serait souffrant de désirer en vain, à
répétition, je fais en sorte de n'avoir pas trop de désirs. Pour
diminuer mes désirs, j'essaie de ne pas trop ressentir. Cela
m'arrange d'autant plus que ce que je ressens se résume
souvent à de la tristesse. Je me coupe de moi-même."
"Je suis le centre d'attention de mes parents, recevant
continuellement le message que je suis extraordinaire du seul
fait que j'existe. C'est avec une toute autre attitude que
j'aborde le monde. Il m'est facile de me considérer important,
mais je souffre lorsqu'on ne m'accorde pas d'emblée un statut
spécial. Gagner l'estime est quelque chose que je ne connais
pas. Cela m'est dû. Faire ma place est aussi une chose qui
m'est inconnue. Non seulement on doit me l'accorder, mais on
doit m'accorder la première. Je suis incapable de souffrir la plus
légère critique, habitué que je suis à ce que tout ce que je fasse
soit considéré extraordinaire. Mes rapports avec les autres sont
difficiles à plusieurs égards."
Nous arrivons à l'âge adulte en ayant atteint un certain niveau
de développement. Nous avons également une certaine
conception de ce que c'est qu'être une personne adulte et cette
conception nous sert de guide. Nous possédons aussi un
bagage d'outils: capacité de contact avec soi, de ressentir nos
émotions, de les exprimer. Comme nous avons appris "par
oreille", à l'occasion de relations avec des personnes qui
avaient leurs propres difficultés de développement, il est
normal que notre équipement soit incomplet. À cause de cela, il
n'est pas étonnant que nos tentatives de développement soient
souvent erratiques. Il n'est pas surprenant non plus que l'on
doive vivre le même scénario à répétition avant d'arriver à
comprendre ce qui se passe et à trouver des solutions
satisfaisantes.
Par ailleurs, au cours de nos tentatives de développement nous
accumulons inévitablement des expériences incomplètes. Leur
présence jouera aussi un rôle dans la formation des noeuds
relationnels. Voyons d'abord ce qu'on entend par "expériences
non finies".
C. Les expériences incomplètes
1- Ressenti ou expression
Il s'agit essentiellement d'un vécu affectif qui n'a pas été
"digéré" ou assimilé, qui demeure comme "en suspens" dans
notre mémoire psychique. Ce vécu est incomplet en ce sens
que les émotions n'ont pas été ressenties ou exprimées
complètement. Bien entendu lorsque les émotions ne sont pas
entièrement ressenties il est impossible de les exprimer ou
encore de poser une action qui en tienne compte totalement. Le
fait de faire avorter ainsi ces expériences est une sorte d'accroc
à notre équilibre émotionnel. C'est pour cela que l'organisme ne
peut le tolérer. Cette notion est loin d'être évidente. Elle mérite
des explications. Mais commençons par une analogie, celle de
la digestion.
La digestion est un processus en plusieurs étapes. Les étapes
sont constantes et le but est toujours le même: l'assimilation de
l'aliment. Cette assimilation a pour but de nourrir l'organisme,
pour son maintien ou pour sa croissance.
Les expériences affectives ont une fonction identique. Elles
nous nourrissent psychiquement et contribuent à nous
construire. Comme la digestion, l'assimilation psychique se fait
à l'intérieur d'un processus dont chacune des étapes est
indispensable. Une première étape cruciale dans ce processus
est celle qui consiste à ressentir les émotions. Si cette étape est
vécue complètement, elle entraîne automatiquement d'autres
étapes. C'est le fait de passer à travers toutes ces étapes qui
nous permet de bien tenir compte de la manière dont nous
avons été atteints. C'est ensuite, par nos gestes et nos paroles,
que nous arriverons à nous respecter. Voici d'abord un exemple
d'expression contenue.
"Il m'est arrivé souvent d'être ridiculisé lorsque j'étais jeune.
J'étais gros, j'en avais honte et je fondais littéralement lorsque
ceux qui se disaient mes copains se moquaient de moi. J'avais
beaucoup de peine. J'étais humilié et parfois, quand ça durait
trop longtemps, je devenais enragé. Je ne leur montrais aucun
de mes sentiments. Je baissais la tête et j'attendais que cela
finisse. Aujourd'hui, quand j'y pense, je leur en veux encore.
Dès que je perçois de la moquerie dans les propos de
quelqu'un, la moutarde me monte au nez. Mais encore, je n'ose
rien dire."
Voici maintenant un exemple de ressenti incomplet.
"J'ai perdu ma mère au début de l'adolescence et elle me
manque depuis ce temps-là. J'avais si peur de cette peine qui
m'apparaissait sans fond, que je m'en distrayais autant que je
pouvais. Je pense que j'ai enterré ma sensibilité dans les livres
et dans mes études. Aujourd'hui, je pense encore souvent à
elle. Je ne veux pas avoir d'enfant de peur de les perdre ou de
moi-même les abandonner comme ma mère a fait. En fait, tout
attachement et toute séparation me font très peur."
Il n'y a pas que les expériences incomplètes du passé qui
s'inscrivent en nous. Il nous arrive encore de le faire dans le
présent. Certaines situations sont tellement intenses qu'il est
difficile de se laisser les vivre entièrement du premier coup. La
terreur dans le cas d'une agression, par exemple, est difficile à
tolérer. Il faut parfois s'en couper pour être capable de faire ce
qu'il faut dans la situation: se défendre, se sauver, etc... Dans
certains contextes retenir nos réactions est une question de
sécurité. Ce peut-être le cas si quelqu'un nous menace avec
une arme.
Toute émotion repoussée resurgira éventuellement. Pourquoi
en est-il ainsi?
2- La recherche d'harmonie
Tout être vivant recherche l'harmonie. C'est parce que le vécu
en suspens constitue un accroc à son équilibre que l'organisme
ne peut le tolérer. Il le garde donc en mémoire et le fait resurgir
à la première occasion similaire.
Comment reconnaître une émotion qui surgit du passé?
Typiquement, l'émotion ou la réaction signalant une expérience
non finie est plus intense que la situation actuelle ne l'exigerait.
Quand on se dit qu'on réagit trop fort, quand on trouve notre
réaction étrange, quand notre interlocuteur est très surpris, il y
a des chances qu'une partie de notre réaction s'adresse à une
situation antérieure.
"J'ai une peine démesurée à l'occasion de la mort de ma belle-
mère. Je pleure, à travers le deuil présent, la perte de ma mère
que je n'ai pas pleurée complètement."
"Je revis, devant l'attitude hautaine de la fille de mon conjoint,
les mêmes émotions que devant les sarcasmes répétés de ma
soeur aînée durant toute ma jeunesse. J'ai la même réaction
spontanée de cacher ma rage derrière une grande froideur et
de couper le contact avec elle."
"Chaque critique me ravage comme le faisaient celles de mon
père. Je me rappelle encore avec une certaine douleur que
même lorsque je tentais de me dépasser je n'échappais pas à la
dureté de son perfectionnisme. Comme dans le passé, je ne
laisse rien paraître de ma réaction."
Dans ces exemples, les personnes sont aux prises avec des
expériences de leur passé qu'elles n'ont pas assimilées. Elles se
sont empêchées de ressentir complètement combien elles
étaient atteintes ou elles ne se sont exprimées que
partiellement. L'apparition de la réaction liée au passé est une
précieuse occasion d'intégrer enfin cette expérience. À chaque
fois, cela permet d'augmenter notre équilibre.
Nous avons maintenant une idée plus précise de ce qu'on
appelle expériences incomplètes. Voyons comment elles
contribuent à former des noeuds dans nos relations actuelles.
D. Comment se forment les noeuds?
Souvent nous souffrons de nos sentiments pour les autres. Nous
voudrions vivre autre chose ou être autrement. Souvent nous
ne sommes pas libres d'être nous- mêmes. Souvent nous avons
des réactions qui nous semblent trop fortes ou infantiles. C'est
à tâtons que nous passons à travers ces expériences émotives
en cherchant à "être normal". C'est justement en se forçant à
"vivre ce qui n'est pas" et à "réagir autrement qu'on réagit"
qu'on tisse nos noeuds ou les renforce.
1- Les noeuds: des expériences incomplètes
Les expériences incomplètes doivent être complétées. Il faut
profiter de toutes les situations où elles surgissent pour le faire.
Mais ce n'est pas ce que l'on fait généralement. Comme on ne
comprend pas la pertinence de leur apparition, on cherche à
s'en débarrasser. Ce faisant, on répète sensiblement le même
scénario que les fois précédentes.
a) Repousser de nouveau son sentiment
"J'ai vécu beaucoup de séparations, tout au long de mon
enfance. J'ai du quitter ma grand-mère qui était comme une
deuxième mère pour moi. À plusieurs reprises, j'ai été séparée
de mes amis parce que le travail de mon père l'appelait à des
mutations. Ma meilleure amie d'enfance est morte de la
leucémie alors qu'elle avait six ans. Ce ne sont là que quelques
exemples des multiples déchirements que j'ai vécus. Je me
souviens d'avoir pleuré, d'en avoir souffert. Depuis des années,
toutefois, je pleure en visionnant un film où des gens qui
s'aiment doivent se séparer, où des animaux qui sont liés
doivent être éloignés les uns des autres."
Suis-je détraquée, anormale? Non, tout ça est parfaitement
normal. Mes pleurs sont un réflexe pour ajuster ma vie émotive.
Je pleure maintenant ce que je n'ai pas pleuré complètement
autrefois. Il en sera ainsi tant que je n'aurai pas versé toutes les
larmes que j'ai retenues dans mes multiples séparations.
Par ignorance, par gêne, on cherche à faire cesser ces émotions
inattendues. Au mieux, on cherche à contrôler leur débit pour
les vivre "au compte-gouttes" plutôt que d'ouvrir le "barrage".
Le résultat c'est qu'il nous faut beaucoup plus de temps pour en
venir à bout.
b) Inhiber de nouveau son expression
Pour d'autres expériences incomplètes, c'est l'expression qui a
été inhibée. On pourrait dire que nous sommes "restés pris
avec" car aucun geste ou aucune parole ne nous a permis
d'aller au bout.
"J'ai subi les nombreux sarcasmes et mauvais traitements de la
part de ma soeur aînée sans faire autre chose que de me replier
sur moi-même avec ma peine et ma rage. Lorsqu'elle ou
d'autres me font des choses semblables aujourd'hui, j'ai
tellement de peine et de rage que je n'ose pas réagir. Tout au
plus je laisse paraître que je ne suis pas contente."
Pour compléter le vécu du passé et pour ne pas continuer
d'accumuler les expériences incomplètes, je devrais réagir aux
situations actuelles en respectant intégralement l'intensité de
mes sentiments. Cette ouverture me permettrait d'identifier "à
qui d'autres" s'adresse cette réaction qui m'étonne. Mais ce que
nous faisons le plus souvent c'est de réagir en étant conscients
de l'exagération de notre réaction, mais sans savoir quoi faire
d'autre. Certains le font même beaucoup: ils "ventilent"
régulièrement leurs réactions sur leur entourage. Réagir sans
plus de conscience ne leur permet toutefois pas de dénouer les
expériences passées.
2- Les noeuds: des tentatives de développement
Nous sommes continuellement occupés à conquérir la capacité
d'être nous-mêmes et de nous respecter dans nos relations
avec les autres. Cette démarche de développement, toutefois,
ne se fait pas en ligne droite ni sans heurt. Elle se fait, au
contraire, à travers beaucoup d'obstacles. Les échecs de notre
enfance proviennent à la fois de nos capacités déficientes à
composer avec notre vie émotive et des réponses de ceux qui
nous entouraient. Ces deux types d'obstacles nous ont conduits
à des noeuds relationnels. Si nous continuons de relever nos
défis de croissance de la même manière que nous le faisions
avec eux, nous rencontrerons les mêmes noeuds. Mais la force
de développement des êtres vivants est vive. Les moyens que
nous prenons pour réussir ce que nous n'avons pas réussi dans
le passé sont parfois étonnants.
a) Répéter la situation
(1) Rechercher des situations similaires
Sans en être vraiment conscients, nous cherchons à nous
trouver dans des situations qui vont nous permettre de réussir
ce que nous n'avons pas réussi antérieurement.
Jérôme qui a tant besoin d'exister pour quelqu'un afin de
confirmer sa valeur, choisit, comme épouse, une femme qui ne
semble pas très douée pour lui donner ce qu'il cherche. Elle est
très indépendante et valorise l'indépendance. Elle est peu
expressive et peu sensible aux besoins de Jérôme. En ce sens,
elle ressemble beaucoup à la mère de ce dernier: une femme
affairée qui s'impatientait devant le moindre besoin d'attention
de son fils.
(2) Sauter sur l'occasion
Les besoins de croissance sont si impérieux que l'on dirait qu'on
est doté d'un sonar qui détecte ce qui est susceptible de nous
toucher dans des situations qui apparemment ne le devraient
pas. C'est ainsi qu'on s'attache à des détails, à des choses
secondaires. À cause de cela, les personnes impliquées sont
souvent très surprises de notre réaction.
Mon ami me fait un compliment. Je suis insultée. Je suis
choquée par son ton qui me semble moqueur. J'y vois donc une
critique plus qu'un compliment. Il est abasourdi."
"Le groupe d'étudiants auquel j'enseigne est très intéressant et
stimulant. L'un d'entre eux, toutefois, me cause beaucoup de
soucis car il n'a jamais l'air intéressé. Quoi que je fasse, il me
regarde d'un air hautain et critique. Il m'empoisonne la vie.
C'est au point que c'est toujours avec beaucoup d'angoisse que
j'entre dans cette classe."
(3) Transformer les relations
À la longue, par notre façon de réagir on réussit à changer le
climat de la relation. Ce faisant, on provoque l'autre à réagir
comme on a besoin qu'il réagisse pour nous retrouver dans la
situation initiale qu'on a besoin de résoudre.
"La femme que j'ai épousée était douce et aimante. Après
quelques années elle est devenue acariâtre. Que s'est-il passé?
Il me semble que je me retrouve à vivre avec ma marâtre de
belle-mère. En fait, bien que son affection m'ait attiré, j'étais
incapable de la recevoir. J'ai été avec elle aussi fermé qu'avec
la femme de mon père qui me détestait. Mon épouse a
beaucoup tenté de me faire parler, m'ouvrir. À la longue elle
s'est découragée de réussir. Petit à petit elle a pris ma
fermeture comme un manque d'amour à son égard. Elle est
frustrée. Elle m'attaque de plus en plus vigoureusement. Je me
renferme de plus en plus. J'ai l'impression de revivre le passé.
J'ai l'impression que notre couple est détruit."
"J'étais certaine que cet homme ne serait jamais violent avec
moi. C'est pour cela que je l'ai choisi. Il n'avait jamais levé le
petit doigt sur personne. Pourtant, à certains moments avec
moi, il devient hors de lui et me frappe. Je m'aperçois que j'ai
avec lui la même attitude passive et hostile que j'ai eue dans
mes relations antérieures avec les hommes qui m'ont battue. Il
dit qu'il ne peut me rejoindre quand j'ai cette attitude et qu'il
n'y arrive qu'en étant violent."
Pour un oeil aiguisé, il est évident qu'à travers ces péripéties
nous recherchons à créer des situations qui sont susceptibles
de nous permettre d'évoluer. Nous cherchons à nous placer
dans la situation qui nous permettra de relever le défi de
croissance que nous n'avons pas réussi à relever encore. Dans
chacune de ces situations nous évoluons au moins un peu. Nos
progrès reposent sur la manière dont nous utilisons ces
situations.
b) Répéter les mêmes comportements
Nous faisons des efforts pour nous trouver dans une situation
suffisamment semblable à celle qui nous permettrait de relever
des défis de développement. Malheureusement ces efforts sont
en quelque sorte annulés par le fait que même si nous
réussissons à recréer cette situation, nous nous conduisons
d'une manière identique à ce que nous avons toujours fait.
(1) Jérôme
Jérôme se préoccupe de sa place dans plusieurs de ses
relations. Il se contente de constater son manque et de profiter
des situations où son besoin était comblé. Jérôme s'accommode
de ces situations, comme il l'a toujours fait, même petit. Il
s'organise, par ailleurs, pour avoir une vie intéressante. Son
leitmotiv: ne pas compter sur les autres et sur leur affection.
(2) Jasmine
Comme elle l'a fait jadis avec sa mère et continue de le faire,
Jasmine passe sa vie à faire des pieds et des mains pour éviter
les critiques, la désapprobation et le rejet. Pour elle,
l'approbation des autres est le signe qu'elle est "correcte". Elle
désire tant cette approbation qu'elle réagit souvent à ce sujet
avec des personnes qui ont peu d'importance dans sa vie. La
postière qui hausse le ton en lui laissant entendre qu'elle
devrait connaître le prix d'un timbre, la met dans tous ses états.
Sa réaction: s'expliquer longuement pour prouver qu'elle n'est
pas "si bête qu'on pense." Comme elle fait toujours avec sa
mère, elle se justifie.
(3) Olivier
Olivier vit avec sa fiancée et son associé des sentiments
semblables à ceux qu'il vit depuis toujours avec sa mère. Une
certaine peur d'être critiqué et le sentiment omniprésent de ne
pas être à la hauteur. Il agit avec ces personnes comme il a
toujours agi avec sa mère. Il subit leur attitude autoritaire en
rageant intérieurement et en se dévalorisant d'agir ainsi. Olivier
a presque toujours l'impression de vivre dans un étau. Il a
quitté plusieurs femmes avec lesquelles la relation avait bien
commencé parce, qu'à la longue, il étouffait. Il s'aperçoit qu'il
est attiré par les femmes qui sont capables de s'affirmer mais
constate qu'il est incapable de s'affirmer devant elles. Il
s'efforce toujours d'être à la hauteur sans jamais y parvenir. Il
tente donc plutôt de passer inaperçu, s'effaçant, faisant passer
ses besoins après ceux de l'autre.
Ces trois personnes se plaignent de ne pas avancer bien
qu'elles fassent de constants efforts. Pourquoi n'avancent-elles
pas? Pourquoi n'arrivent-elles pas à se vivre pleinement et à se
sentir bien avec les personnes importantes de leur vie? Voici
quelques autres raisons qui contribuent au maintien du "statu
quo."
c) Attendre que l'autre change
Jérôme, Jasmine et Olivier continuent d'agir de la même façon
comme s'ils s'attendaient à ce qu'un déclic se produise et qu'un
changement survienne. Ce changement, ils attendent qu'il se
produise chez les autres.
Jérôme pourrait dire: "si un jour ils pouvaient se rendre compte
de ma valeur et la reconnaître, je serais enfin comblé".
Si Jasmine livrait ses pensées intimes, elle dirait probablement:
"si un jour ma mère m'acceptait enfin telle que je suis, si les
gens cessaient d'être critiques à mon égard, je pense que je
pourrais vivre détendue et enfin heureuse".
Quant à Olivier, on l'imagine souhaiter "que toutes les
personnes devant lesquelles il est si difficile pour moi de
m'affirmer deviennent plus douces et acceptantes. Je pourrais
alors enfin avoir droit à l'erreur".
Souvent convaincus que la solution réside dans un changement
chez les autres, on attend cette transformation. Non seulement
on l'attend, mais on essaie de la provoquer. Obnubilé par l'effet
que l'autre nous fait, on a peu de disponibilité pour
l'introspection qui pourtant pourrait nous révéler d'autres
solutions.
d) Demeurer inconscient de ses besoins
La concentration sur l'autre nous permet d'éviter de jeter un
regard lucide sur ce que nous vivons dans ces noeuds. La
plupart du temps nous sommes peu conscients des besoins qui
sont à l'origine de nos efforts. Toute notre énergie est
concentrée à obtenir que l'autre agisse d'une façon qui nous
convienne. Si nous devenons inventifs quant aux moyens d'être
satisfaits, c'est pour imaginer toutes les façons dont l'autre
pourrait enfin régler notre problème. C'est ainsi que nous
passons parfois nos "commandes" à nos proches qui refusent
ou s'empressent d'obtempérer. Qu'ils acceptent ou refusent ne
contribuera pas à défaire le noeud. La situation sera peut- être
moins tendue, mais elle engendrera souvent d'autres difficultés
relationnelles.
Occulter nos besoins et focaliser sur le comportement de l'autre
présente un avantage: on est moins forcé de s'impliquer. Mais
au total, les désavantages sont beaucoup plus nombreux.
e) Cacher sa dépendance
On préfère ne pas être en contact avec nos besoins car ils
témoignent de notre dépendance. Il est souvent difficile
d'admettre qu'un autre a une immense importance pour nous
cela, même quand il s'agit d'un conjoint ou d'un parent. Lui
avouer c'est se rendre vulnérable. L'idée de dépendance fait
peur. Beaucoup d'auteurs et de pseudo- psy nous encouragent
d'ailleurs à cultiver cette crainte. C'est donc souvent en se
basant sur leur rationnel boiteux qu'on cherche à dissimuler
notre dépendance.
Pour dissimuler l'importance de l'autre et de notre besoin nous
devons prendre des distances ou faire des "joutes inter
personnelles" qui nous permettent de nous cacher. Parfois nous
choisissons de nous durcir. Ce faisant, nous n'exprimons
souvent qu'une partie de notre vécu, celui sur lequel nous nous
sentons en contrôle. L'expression incomplète de tout vécu
important, nous l'avons vu, conduit à des noeuds ou les
perpétue. Se cacher à soi-même et cacher à l'autre ce que nous
vivons d'important à son égard est un des moyens les plus
efficaces de tisser des noeuds dans lesquels enchevêtrer nos
relations.
E. Conclusion
Tant que la raison d'être des noeuds nous échappe, on les
considère comme des encombrements dont il faut se
débarrasser en évitant les sujets "brûlants" ou en se séparant
des personnes avec lesquelles on les vit. Une fois qu'on
comprend leur raison d'être, ils peuvent devenir des occasions
recherchées pour relever un défi de croissance. Pour réussir ces
défis toutefois il est important d'identifier ses façons de
contribuer aux noeuds. C'est d'autant plus important que
chacun des partenaires a ses propres noeuds dans la relation. Il
nous reste ensuite à nous outiller psychologiquement pour les
dénouer et retrouver la vitalité qui y est emprisonnée.
L'expression qui épanouit
Par Gaëtane Laplante, psychologue
Cet article est tiré du magazine électronique
" La lettre du psy"
Volume 2, No 12: Décembre 1998
Résumé de l'article
Parfois, l'expression est une libération qui renouvelle notre
relation avec un être cher. On en sort grandi et plus vivant.
Mais à d'autres moments, cette expression débouche sur un
affrontement pénible d'où on sort blessé; on en vient même à
couper le lien, au moins temporairement.
Qu'est-ce qui fait la différence? Comment s'assurer de réussir
une expression constructive et non destructrice? Comment
vérifier si on a réussi son expression? C'est ce que Gaëtane
LaPlante explique dans cet article.
Table des matières
A- Introduction
L'exemple d'une expression épanouissante- Les amies Juliette
et Lucie
L'exemple d'une expression destructrice- Les frères Pierre et
Richard
B- Ça veut dire quoi s'assumer?
C- Quoi dire
D- À qui le dire
Lorsque la personne concernée n'est pas disponible
La difficulté de l'expression avec les proches
Lorsque je réagis à une personne peu importante dans ma vie
E- Comment le dire
F- Demeurer ouvert pendant mon expression
G- Comment vérifier l'efficacité de mon expression
H- Conclusion
Vous pouvez aussi voir:
Vos questions liées à cet article et nos réponses !
A- Introduction
Nous avons tous déjà constaté combien il peut être bienfaisant
de s'exprimer. Ça permet d'accéder à un sentiment d'harmonie
et de bien-être qui se manifeste même dans nos sensations
physiques. Le poids que je sentais sur mes épaules est disparu.
La compression que je ressentais à la gorge ou à la poitrine
s'est dissoute comme par magie. Il est évident qu'une telle
expression comporte en soi son propre bénéfice.
Les psychologues humanistes estiment qu'il est primordial
d'être habile à reconnaître son expérience à travers ses
sensations; il est important d'être attentif aux réactions de son
corps, à ses points de tension. Être à l'écoute de ces sensations
est important, car ce sont ces indices physiques qui nous
donnent accès aux émotions qui y sont liées. C'est en me
servant de ces données (sensations et émotions) que je peux
identifier clairement mes besoins.
Par exemple: ce matin, avant de partir pour le travail, je remets
mon article sur l'expression à mon conjoint, et je lui dis que
j'aimerais bien qu'il me fasse part de ses commentaires. En fin
de journée, je reviens à la maison. Nous échangeons
brièvement sur le "vécu" de la journée. Tout à coup je
commence à me sentir triste et déçue, sans savoir à quoi je
réagis. Je m'arrête pour ressentir ma tristesse et ma déception.
Assez rapidement je constate que cette tristesse a un sens
précis: je suis déçue que mon conjoint ne me parle pas de mon
article. J'imagine alors que ce n'est par très important pour lui.
J'en suis bien déçue et peinée parce que je tiens à être
reconnue et appréciée dans mon travail, particulièrement par
lui.
Pour répondre adéquatement aux besoins que j'identifie il est
essentiel de poser les actions adéquates. Dans l'exemple ci-
dessus, il est très important d'identifier ma tristesse et ma
déception. Cependant, si j'en reste là, ces émotions nuiront tôt
ou tard à ma relation avec mon conjoint. Cet événement
contribuera à développer ce que Michelle Larivey appelle "Le
transfert dans les relations". Mon propre niveau de satisfaction
et de bien-être personnel en sera également affecté. (Voir "Aux
sources du transfert".)
C'est ici que l'expression épanouissante prend tout son sens. Il
s'agit d'une forme d'action privilégiée qui permet d'affirmer et
de communiquer nos besoins et ainsi de parvenir à les
satisfaire. Dans l'exemple ci- haut, il est bien important de faire
part de mon besoin à mon conjoint. Mais ce n'est pas pour qu'il
accepte de le prendre en charge. La raison principale de cette
expression c'est que le fait d'en parler est déjà une façon d'y
répondre en me donnant l'importance que je recherche.
Tenir compte de ce besoin en le prenant en charge
complètement dans les différentes étapes de mon processus
est une façon concrète de m'assumer. (Voir plus loin dans la
section - Ca veut dire quoi s'assumer - les étapes à franchir
pour y arriver) . Lorsque je m'ouvre ainsi, je m'épanouis en me
montrant totalement moi-même: à la fois vulnérable et
affirmative de mes besoins. J'ose sortir de l'image protectrice
que je m'étais bâtie pour me montrer authentique et vivre "au
grand jour", en toute liberté!
Qu'est-ce qui fait qu'une expression peut parfois être
épanouissante et nous permettre de nous assumer alors qu'à
d'autres moments, nos expressions sont inutiles ou même
nuisibles?
Voici deux exemples qui illustrent ces situations.
1. L'exemple d'une expression épanouissante: Les amies
Juliette et Lucie
Ce sont des amies intimes. Lucie est très expressive et
extravertie. Juliette est plutôt l'opposée de Lucie; c'est souvent
elle qui écoute. Mais elle suit depuis quelques mois une
thérapie dans laquelle elle apprend à s'affirmer davantage et
s'aperçoit que le fait que Lucie prenne autant de place dans
leur relation la frustre de plus en plus. Elle constate avec
tristesse que ce sentiment de frustration l'éloigne
graduellement de son amie.
Elle décide alors de parler à Lucie de son insatisfaction et de
son désir d'être écoutée. Lucie se montre réceptive et
compréhensive. Juliette aussi demeure ouverte aux réactions de
Lucie qui lui exprime sa déception devant le fait qu'elle est
souvent peu expressive.
La tendance de Lucie à prendre beaucoup de place ne sera pas
changée instantanément par cette mise au point. Cependant, la
détermination de Juliette à prendre plus de place et sa façon
claire de le faire savoir lui permettront d'être plus satisfaite par
rapport à ce besoin. On peut dire que cette expression aura eu
un effet épanouissant pour Juliette
2. L'exemple d'une expression destructrice: Les frères Pierre et
Richard
Deux frères Pierre et Richard ont été partenaires dans une
usine de meubles pendant cinq ans. Pour diverses raisons, ils
décident de mettre fin à leur association et Pierre demeure seul
propriétaire de l'entreprise. Cependant Richard continue de se
comporter comme s'il en faisait encore partie. Il se sert de
l'atelier en dehors des heures de travail, sans en informer
Pierre. Et lorsque celui-ci décide de faire des heures
supplémentaires, il est confronté au fait que son atelier est
occupé. Richard de plus, continue de facturer l'huile pour
l'usage de sa résidence, au nom de l'entreprise.
Pierre est bien en colère par rapport à ces comportements qu'il
trouve injustes. Mais il refoule ses sentiments parce qu'il ne sait
pas trop comment le dire, parce qu'il tient à ne pas faire de
chicane. Surtout, il craint de déplaire à son père et aussi d' être
rejeté par lui. Car son père a toujours proclamé bien haut,
"qu'une famille, ça ne se chicane pas!"
Mais un jour, alors que Pierre arrive à son atelier pour y
travailler et que Richard s'y est installé avant lui, sans le
prévenir encore une fois, il éclate! N'en pouvant plus après
toutes ces années de frustrations accumulées, il se vide le
coeur en insultant Richard et en le traitant de tous les noms!
Richard répond sur le même ton: il fait à son frère tous les
reproches qu'il a accumulés à son endroit depuis leur
association. Et il dévoile même les véritables raisons de son
abandon de l'entreprise, et pourquoi il continue de profiter de
l'atelier à son insu.
Après deux heures d'une intense bataille verbale, chacun des
deux frères se retrouve déçu et blessé. Même s'ils se sentent
aussi soulagés et libérés d'avoir enfin parlé! La seule possibilité
qui reste alors c'est la rupture, au moins temporaire. Car
chacun se retrouve trop souffrant et en colère pour prendre le
risque d'être blessé à nouveau et peut-être aussi d'éclater
encore. Et Pierre reste bien inquiet de la réaction de son père,
lorsqu'il apprendra ce qui s'est passé entre ses deux fils. Nous
avons ici un exemple d'une expression destructrice
Qu'est ce qui fait que dans un cas on assiste à une expression
épanouissante alors que dans l'autre c'est un échec total? Dans
l'exemple qui tourne mal, il s'agit d'un type d'expression qui
vise surtout un soulagement. Le souci de s'assumer est tout à
fait absent. Chacun a plutôt tendance à rendre l'autre
responsable de ses frustrations et il cherche à s'en libérer en
blâmant l'autre. C'est tout le contraire de ce que les amies
Juliette et Lucie ont fait.
Le but de cet article est justement d'expliquer comment on
peut s'exprimer d'une façon épanouissante. Il permettra de
comprendre les principes à respecter pour y arriver. Quoi dire?
A qui le dire? Comment le dire? Comment garder l'ouverture
nécessaire pendant l'expression?
Avant de répondre à ces questions cependant, il m'apparaît
important de clarifier le fondement principal sur lequel repose
l'expression épanouissante: la capacité de s'assumer. Pour
rendre cette explication plus concrète, revenons à l'exemple
des deux amies.
B- Ça veut dire quoi s'assumer
On peut considérer que Juliette a réussi à s'assumer, car:
Elle a identifié son sentiment de frustration, son agacement
devant la grande place que prend son amie dans la relation et
devant le peu de place qui lui reste.
Elle a reconnu et exprimé son besoin d'être entendue et
écoutée par Lucie.
Elle a reconnu ce besoin comme important et légitime, assez
pour s'en occuper activement en en parlant à son amie.
Elle a montré son insatisfaction à son amie, au risque qu'elle se
fâche, lui en veuille ou même la rejete.
Une telle démarche permet à Juliette de se respecter dans toute
son intégrité. C'est ce qui contribue à la garder vivante. Elle fait
alors le choix de répondre efficacement à ses besoins, quitte à
ne pas correspondre à l'image que son amie a d'elle.
A quoi lui servira d'être aimée si, pour avoir cette appréciation,
elle doit renier ce qu'elle est? Juliette est convaincue qu'elle ne
sera bien dans cette relation que dans la mesure où elle saura
se respecter et chercher à être satisfaite, autrement dit:
s'assumer.
Voyons quelles seraient les conséquences pour Juliette si,
incapable de s'assumer, elle avait choisi de se taire? D'abord,
sa propre vitalité, c'est à dire sa capacité à rester vivante et
ouverte à la vie qui se déroule en elle, en serait affectée, tôt ou
tard, au moins dans cette relation. Ou bien elle s'éloignerait
petit à petit de son amie, ou bien elle continuerait de subir ces
frustrations en "ravalant" ou en exprimant son agressivité, sur
différents sujets qui n'ont pas de rapport avec l'origine de ce
sentiment.
Sa relation avec Lucie serait de plus en plus insatisfaisante. De
plus, si c'est sa façon habituelle de réagir devant les conflits
qu'elle rencontre, c'est l'ensemble de sa vitalité qui en serait
affectée. A plus long terme, il serait possible qu'elle développe
des symptômes de dépression. Car dans ce type de réaction
deux éléments sont importants. L'origine de la dépression est
souvent due à une mauvaise gestion des besoins de même que
le signe du refoulement de l'agressivité. Mais heureusement
Juliette a réussi à s'exprimer de façon épanouissante. Elle a été
prête à s'assumer, mais la façon dont elle s'y est prise compte
aussi pour beaucoup dans le succès de sa démarche. Voyons
comment elle a fait.
C- Quoi dire?
Pour qu'une expression soit épanouissante, elle doit avant tout
porter sur les principales émotions et sur les besoins actuels les
plus importants du moment. Plus concrètement, voyons ce que
Juliette à exprimé à son amie.
Elle a parlé essentiellement de la frustration de son désir d'être
écoutée. C'est ce qu'elle a identifié comme le principal obstacle
à sa relation; ce qui l'empêche d'être confortable dans sa
relation avec Lucie. Après avoir bien identifié son expérience,
elle a choisi de la faire connaître, telle quelle, à son amie, au
risque que celle-ci ne l'accepte pas.
Il aurait été tentant d'y aller de façon plus indirecte et moins
risquée. Elle aurait pu, par exemple, se contenter de faire une
allusion indirecte à son malaise en lui demandant: "Comment te
sens-tu dans notre relation?". Elle aurait pu aussi choisir de
rendre Lucie responsable de son problème en l'accusant, en la
blâmant d'être inapte à une relation.
Mais elle a choisi, au contraire, d'agir de façon responsable par
rapport à son insatisfaction en l'identifiant correctement, en la
faisant connaître à son amie et en assumant pleinement le
risque d'une telle expression. C'est en agissant ainsi, c'est à
dire en étant complètement elle-même, qu'elle peut en retirer
un effet épanouissant.
D- À qui le dire?
Il est parfois soulageant et moins risqué de se laisser aller à
"chialer" avec un bon ami plutôt que de s'adresser à la bonne
personne. Cependant, si on veut s'assumer dans l'expérience
qu'on vit, c'est à la personne concernée qu'il faut s'adresser!
Comme c'est dans notre relation avec elle que l'on est touché,
c'est à elle qu'il s'agit de dire et de montrer ce qu'on ressent.
C'est par rapport à cette personne qu'il est important d'assumer
ce que l'on ressent et ce dont on a besoin.
Il n'est pas toujours possible, cependant, de s'adresser à la
personne concernée. C'est le cas lorsque cette personne est
décédée ou lorsqu'elle est dans un état qui la rend
inatteignable (comme dans certaines maladies physiques ou
mentales). Mais alors, même si elles sont inaccessibles, on peut
continuer de vivre des sentiments "inachevés" par rapport à ces
personnes. Il est alors utile de trouver d'autres situations
semblables pour travailler à se dégager de ces conflits. (Voir:
"Aux sources du transfert".)
1- Lorsque la personne concernée n'est pas disponible
(trop loin, décédée, psychologiquement inatteignable).
On peut alors faire une expression par "simulation". C'est une
technique souvent utilisée dans le bureau du psychothérapeute
(mais on peut aussi s'en servir tout seul dans son salon). Il
s'agit alors de s'imaginer qu'on est en présence de la personne
concernée, et de lui parler comme si elle était vraiment
présente.
Pour que cette méthode soit efficace, il est important de
prendre le temps d'imaginer vraiment la personne comme si
elle était présente. Il faut aussi, pour bien réussir un tel
exercice, être bien en contact avec les émotions qui sont
présentes, avec toute leur intensité. Un simple exercice
intellectuel n'est pas satisfaisant car cette expression doit être
réelle, même si la situation est en partie imaginaire. Il s'agit
avant tout d'exprimer des émotions!
Ce genre "d'expression-simulation" est un bon exercice pour se
préparer à une véritable expression avec la personne
concernée. Ça permet de se préparer graduellement afin de
mieux réussir. Car souvent les expressions importantes sont
difficiles à faire et on ne peut pas être certain de les réussir du
premier coup. Il vaut mieux être bien préparé!
Ecrire une lettre (qu'on garde pour soi ) peut aussi être une
méthode d'expression utilisable dans le cas où la personne
concernée est inatteignable. Comme l'expression-simulation,
cette méthode peut aussi servir d'exercice préparatoire avant
de rencontrer la personne à qui on veut s'adresser.
20/05/2007 12:18:35
2- La difficulté de l'expression avec les proches.
Ces expressions importantes auxquelles je réfère concernent
surtout les personnes les plus importantes de notre vie comme
nos proches, nos parents, nos amis, nos amoureux. À cause de
leur importance privilégiée, le risque d'être délaissé ou même
rejeté par ces personnes devient beaucoup plus grave. Il est
donc tout à fait normal de trouver ce type d'expression plus
difficile, surtout parce que nous avons l'impression d'être
démuni ou sans ressources devant ces proches. Nous leur
attribuons un pouvoir considérable sur nous. Arriver à s'affirmer
vraiment devant eux, c'est la meilleure façon de récupérer ce
pouvoir. C'est ce qui nous permet de devenir adulte, en pleine
possession de nos moyens.
Dans l'exemple des deux frères Pierre et Richard, nous avons ici
un bon exemple de comment le désir de Pierre de s'exprimer
est refoulé par la peur d'être rejeté de son père. Il semble ici,
qu'il est plus important pour Pierre d'être accepté de son père,
que de se respecter lui-même en assumant complètement les
insatisfactions et les injustices qu'il vit avec Richard.
Dans le cas de Pierre, devenir adulte et en pleine possession de
ses moyens impliquerait qu'il soit prêt à assumer ce qu'il vit
avec Richard en le lui exprimant clairement, même au risque
que son père ne soit pas d'accord. Il serait important pour lui
également d'être conscient de cette peur, et de lui faire de la
place en l'exprimant à son frère. Car cette peur fait aussi partie
de son expérience, et il se doit d'en tenir compte pour que son
expression soit complète.
3- Lorsque je réagis intensément à une personne peu
importante dans ma vie.
Il existe une autre situation où il n'est pas nécessaire de
s'exprimer devant la personne concernée. Il s'agit du cas où la
personne concernée n'est pas vraiment une personne
importante dans ma vie. Elle prend de l'importance par
exemple seulement parce qu'elle me rappelle fortement une
autre personne avec laquelle je suis en conflit. Dans ces
circonstances, ce n'est pas vraiment à cette personne que
s'adresse mon expression. Il est plus utile alors d'investir mon
énergie auprès de la personne qui importe vraiment, celle à
laquelle je réagis en fait. (Voir: "Aux sources du transfert" .)
E- Comment le dire
Ici, le plus important c'est d'être vraiment fidèle à mon
expérience dans la façon dont je l'exprime, dans l'insistance
que j'y apporte et dans les gestes que j'utilise. Ainsi, le ton avec
lequel je m'exprime peut faire ressortir l'importance que
j'accorde à mon expérience ou peut la dissimuler. Par exemple,
même si j'arrive à dire les mots justes, mon message ne sera
pas entendu et il ne sera pas satisfaisant si je m'exprime sur un
ton neutre, comme si je parlais d'une chose anodine. Cette
expression ne sera pas utile, car elle ne traduira pas
adéquatement mon expérience réelle. Elle ne me permettra pas
d'assumer vraiment ce que je vis.
Par exemple, si Pierre avait exprimé tout gentiment à son frère
Richard, sa déception qu'il occupe son atelier lorsqu'il en a de
besoin."Tu es encore là...je pensais venir travailler
également..." Son message n'aurait pas tellement eu de poids.
Mais si il lui avait dit la même chose fermement en ajoutant: "Je
ne peux plus accepter que tu occupes mon atelier comme si tu
en était encore propriétaire! Ca me met en colère d'être ainsi
brimé et non respecté dans ma propriété!" Le ton de ce
message serait sans doute plus adéquat, pour la
compréhension de Richard mais surtout pour la satisfaction de
Pierre.
Reprenons l'exemple des deux amies: si Juliette avait
simplement "fait sentir" à Lucie son désir d'être écoutée, si elle
s'était contentée d'allusions vagues comme "on sait bien, pour
toi c'est facile de parler..." et si elle l'avait fait sur un ton
presque gentil, on ne pourrait pas parler "d'expression
épanouissante". Le problème, c'est qu'en s'exprimant de façon
aussi indirecte, Juliette n'assume pas vraiment l'importance de
son désir; elle n'est pas prête à montrer toute l'importance
qu'elle y accorde.
F- Demeurer ouvert pendant mon expression
Pour que mon expression soit épanouissante, il est aussi
important de demeurer vivante pendant que je la fais. Je dois
demeurer fidèle à ce que je ressentais au moment où j'ai décidé
de parler, mais aussi réceptive aux nouvelles émotions qui
apparaissent au fur et à mesure que je m'exprime, et que mon
interlocuteur répond. Ça demande donc une disposition
contraire à celle de la personne qui, devant une expression
importante et difficile, prend son courage à deux mains, se
durcit et "fonce" sur son interlocuteur.
Il est évidemment important d'avoir bien identifié au préalable
les aspects importants de ce que je vis dans la situation: mes
émotions et les insatisfactions en cause. Mais il est tout aussi
important de demeurer ouvert au mouvement en cours entre
mon interlocuteur et moi, pendant cette confrontation. Les
réactions de mon interlocuteur vont nécessairement changer
ma perception de la situation et ainsi influençer mon
expérience émotive.
Par exemple, lorsque je suis triste que mon conjoint ne me
fasse pas de commentaire sur mon article, ma réaction émotive
sera peut-être modifiée s'il m'explique qu'il a simplement oublié
de m'en parler. Elle pourra même changer radicalement si
j'avais imaginé une raison tout à fait différente comme son
indifférence ou son opinion très négative sur mon texte.
Dans une telle situation, si je me durcis et je reste accrochée à
mon interprétation et à ma réaction initiale, je ne m'assume
plus dans la réalité. Je ne suis plus ouverte à l'expérience qui
m'habite sur le moment, mais je persiste à défendre une
position passée qui a changé rapidement. Même si toutes les
autres conditions de l'expression épanouissante étaient
respectées, je créerais quand-même, par cette fermeture, un
obstacle important à la possibilité de m'assumer.
G- Comment vérifier l'efficacité de mon expression
Pour évaluer sommairement le succès de mon expression, il
peut être utile de commencer par être tout simplement à
l'écoute des réactions de mon corps. Mes sensations pourraient
en effet m'aider à voir plus clairement mes émotions à la suite
de cette expression.
Mais comme dans l'interprétation des rêves, il est important ici
de décoder par nous-même le sens de nos sensations. On ne
peut établir une "symbolique universelle" qui viserait à traduire
l'expérience de tous.
Par exemple, la même sensation d'épuisement après une
expression difficile et intense pourra avoir un sens différent
pour Pierre et pour Louise. Ca pourrait être pour Louise le signe
qu'elle a réussi à maîtriser chacune des conditions de
l'expression épanouissante, et en éprouve une très grande
satisfaction. Alors que pour Pierre, sa fatigue pourrait traduire
un sentiment d'échec important. Il appartient donc à chacun à
décoder le sens propre de sa sensation.
Une fois que j'ai fait cette première vérification générale à partir
de mes sensations, je peux chercher à identifier de façon plus
systématique ce qui a ou n'a pas bien fonctionné. Il est alors
utile de vérifier si j'ai bien respecté chacune des conditions de
l'expression épanouissante. J'essaierai donc de répondre aux
questions suivantes:
"Ai-je dit ce qui était important pour moi?"
"Ai-je respecté l'importance et l'intensité réelle de mon
expérience?"
"Suis-je demeurée ouverte pendant mon expression?"
"Ai-je parlé à la bonne personne?"
La vérification du contenu de l'expression est particulièrement
cruciale. Il faut bien comprendre ici que, lorsque je parle
d'exprimer ce qui est important pour moi, je réfère avant tout à
ce que je ressens et non pas simplement à dire des choses à
l'autre sur ce qu'il dit et fait.
En reprenant l'exemple de Pierre et Richard, voyons comment
Pierre aurait pu faire cette vérification:
Ai-je exprimé comment ça me mettait en colère d'être si peu
respecté dans ma propriété par Richard?
Ai-je exprimé comment je me sens traité injustement lorsque
Richard me refile ses factures d'huile alors que je ne veux plus
les assumer?
Ai-je exprimé comment je crains d'être rejeté par mon père si
j'ose exprimer ainsi mes insatisfactions?
Si oui, il a réussi son expression du point de vue du "Quoi
exprimer".
Ca n'aurait pas été le cas s'il avait dit à Richard: " Tu es un
salaud, un exploiteur! Tu penses que c'est à moi de te faire
vivre! Je ne veux plus que tu remettes les pieds ici! Tes factures
d'huile, tu es mieux de les récupérer parce que je vais les
déchirer! etc..."
Les autres aspects de l'expression sont plus faciles à vérifier. La
partie précédente du texte devrait permettre de comprendre
assez clairement comment s'y prendre.
H- Conclusion
S'exprimer de façon épanouissante, n'est pas un choix
accidentel ou isolé. C'est avant tout le choix de la personne qui
souhaite vivre sa vie le plus pleinement possible. Ça implique
de demeurer ouverte à tout ce qui lui arrive et a un impact sur
elle, en tâchant de le gérer et d'en profiter de la façon la plus
satisfaisante possible.
On peut y parvenir si on est bien décidé à se connaître
profondément dans sa façon d'être et dans ses besoins
fondamentaux. Il faut aussi avoir le courage de s'autoriser à
être pleinement ce que l'on est, à ses propres yeux , comme à
ceux de son interlocuteur. Ça suppose enfin qu'on s'autorise à
rechercher la satisfaction la plus complète possible.
Cette forme d'expression nous aide à demeurer disponibles à
nos besoions et à vraiment les prendre en charge. Par ce
chemin, nous pouvons accéder à une vie de qualité dans
laquelle nous jouissons d'une liberté de plus en plus grande.
Le transfert dans les relations
Par Michelle Larivey, psychologue
Cet article est dabord paru dans le magazine électronique
" La lettre du psy"
Volume 2, No 5: Mai 1998
sous le titre "Les noeuds dans nos relations"
Résumé de l'article
Plusieurs auteurs parlent de blessures du passé qui influent sur
nos relations présentes. D'autres soulignent les scénarios
répétitifs qui nous conduisent toujours dans les mêmes
impasses. En fait, c'est notre "manière de vivre" nos
expériences émotives avec l'autre qui est responsable des
noeuds qui nous étouffent ou étouffent la relation. Pourquoi en
est-il ainsi? Que faire pour dénouer ces noeuds?
Table des matières
A. Introduction
B. Histoire de noeuds: constance et similitude
C. Caractéristiques des histoires de noeuds
D. Conclusion: réactions à l'impasse
Vous pouvez aussi voir:
Vos questions liées à cet article et nos réponses !
A. Introduction
Il s'écrit beaucoup de choses sur les relations humaines. On en
traite sous différents angles: la communication, la vie de
couple, l'amour, la psychologie de l'homme et de la femme, la
relation parent-enfants, etc. Dans beaucoup de ces livres, les
difficultés interpersonnelles et les conflits sont bien décrits. Le
lecteur s'y reconnaît tellement que plusieurs de ces ouvrages
sont devenus des best-sellers. Dans la majorité de ces
ouvrages, toutefois, je trouve peu de solutions efficaces et
réalistes à ce qu'on considère comme des noeuds dans les
relations. Par exemple, les conseils sont souvent inapplicables
dans les faits parce qu'ils font appel à la volonté seulement.
C'est le cas de cette recommandation concernant ce que
certains appellent la dépendance affective: "ne vous attachez
plus à ce genre de personne". Une telle prescription ne tient
pas compte du fait que le psychisme ne peut se soumettre à la
raison seulement. On se souvient de la phrase de Pascal: "le
coeur a des raisons que la raison ne connaît point". Elle
s'applique bien aux attraits et aux antipathies, aux émotions et
aux réactions intenses envers les autres. On ne peut composer
avec ces expériences complexes en faisant des choix
uniquement rationnels sans y laisser une partie de sa vitalité.
Les solutions proposées sont souvent inefficaces aussi, parce
qu'elles ne s'attaquent pas au coeur du problème. En fait la
cause des difficultés n'est pas cernée. Souvent on se limite à les
décrire et à en déterminer l'origine. Lorsqu'on ne comprend pas
ce qui cause un problème il est difficile d'y trouver une solution.
Mais il faut l'avouer, la question est complexe et elle ne date
pas d'aujourd'hui. Les complications relationnelles ont, de tous
les temps, fait saigner bien des coeurs et fait aussi répandre
beaucoup de sang. Le suicide et le meurtre sont parfois le
dramatique aboutissement de conflits entre personnes. On
remarque dans les drames politiques et armés des ingrédients
identiques à ceux qui attisent les guerres interpersonnelles.
Les noeuds dans les relations engendrent beaucoup de
souffrance. Il est courant de voir des gens écorchés par leurs
multiples ruptures, y compris parfois avec leurs parents. Mais il
n'est pas rare non plus de voir des personnes âgés, adresser à
leur conjoint les mêmes reproches et vivre les mêmes
insatisfactions que dans les premières années de leur vie à
deux. Ces gens sont souvent dans un état déplorable, autant au
plan psychique que physique.
On s'en doute aussi, il n'y a pas de recette magique ou de truc
simple pour dénouer les relations problématiques. Les noeuds
sont d'ordre émotif et c'est par une solution émotive qu'on les
dénoue. Ce n'est pas facile. Ceux qui veulent trouver une issue
aux noeuds qu'ils rencontrent régulièrement dans leurs
relations pourront donc troquer la souffrance présente contre
des moments exigeants au plan émotif. Mais combien
nombreuses seront les récompenses qu'ils trouveront dans
cette voie de solution: vitalité accrue, relation plus dense et
plus satisfaisante, confiance et fierté plus grandes avec en
prime, un pas dans la direction d'une plus grande maturité
psychique.
Cet article a pour but de mieux comprendre en quoi consiste ce
que nous appelons Le transfert dans les relations. À l'aide d'un
exemple élaboré, il dégage la similitude des difficultés vécues
dans diverses relations importantes ainsi que la présence d'un
dénominateur commun au coeur des divers noeuds. Il met aussi
en lumière les attitudes et les comportements qu'on adopte
typiquement par rapport à ces difficultés et face aux personnes
vis-à-vis desquelles on les éprouve.
B. Histoire de noeuds: constance et similitude
Jérôme est un cadre supérieur dans une entreprise de services
informatiques. C'est un homme très intelligent, réservé, articulé
et couvert de diplômes. Il a gravi les échelons de l'entreprise
qui l'a pris à son service dès sa sortie de l'université, grâce à
son désir d'excellence et à sa capacité d'abattre une somme
monstrueuse de travail en un temps record. Sa vie familiale, à
première vue, est bonne. Il vit avec la même femme depuis 15
ans. Ils ont chacun leur vie professionnelle et font beaucoup de
sport ensemble. Jérôme adore ses trois enfants.
Bien qu'il soit admirablement performant sur beaucoup de
terrains, Jérôme est déprimé. Mais il ne parle jamais de cela.
C'est sa vie. En fait, il est déprimé depuis à peu près l'âge de 9
ans. À son souvenir, un fond de tristesse a toujours tapissé sa
vie. Mais Jérôme s'est fait à l'idée. Selon lui, c'est irrémédiable...
il y a des choses qu'il n'a pas eues dans sa vie et qu'il ne pourra
jamais avoir. Il n'a pas eu l'importance qu'il aurait voulu avoir
auprès de sa mère et cela il ne peut le changer. Au plan
amoureux, Jérôme a aussi sa théorie: la lune de miel ne peut
toujours durer. Il faut être adulte. Il est convaincu aussi qu'il est
impossible, dans un milieu de travail, d'obtenir la
reconnaissance dont on a besoin. Il faut se faire à l'idée qu'on
est payé pour fournir des résultats un point c'est tout.
Concernant son travail, Jérôme parle toujours comme s'il s'était
fait à l'idée de cet état de fait, mais au fond, il est déçu lorsqu'il
fournit une performance remarquable et que son directeur n'en
fait aucun cas. Il sait, aussi que ce dernier se sert parfois de ses
idées auprès de la haute direction. Il aimerait que son patron lui
en donne le crédit. Il voudrait aussi que son patron lui dise de
vive voix à quel point il trouve sa contribution valable dans
l'entreprise.
Il n'est toutefois pas question d'avouer ce souhait au patron. Il
est encore moins question de lui avouer son besoin de
reconnaissance. Ce serait montrer une faiblesse. À chaque
opportunité, cependant, il se prend à espérer. Chaque fois, il est
déçu. Sa vie n'est pas réellement empoisonnée par cette
frustration au travail... seulement ternie.
Jérôme se trouve exigeant et trop dépendant. Sa solution:
enrayer son désir de reconnaissance et maintenir une distance
avec son patron à qui il en veut à répétition.
Avec son épouse, Jérôme vit aussi une insatisfaction profonde,
sur un aspect en particulier. C'est avec beaucoup de réticence
qu'il accepte de parler de ce sujet car, depuis plusieurs années
déjà, il n'essaie plus d'obtenir satisfaction. Il est convaincu que
son épouse ne changera jamais. Il lui a souvent dit ce qu'il
n'aimait pas. À maintes reprises il s'est mis en colère. Chaque
fois, il a obtenu une réponse identique. Il en conclut qu'il est
trop exigeant et qu'il devrait s'accommoder.
Ce qui le blesse le plus c'est l'impression que sa femme agit
souvent comme s'il n'existait pas. Elle ne prend aucunement en
considération certaines demandes qu'il lui fait. Elle les traite
comme des caprices. Il a l'impression que tout doit se faire à sa
manière à elle. Cela le choque au plus haut point. Cela le peine
aussi. Mais avec elle, pas plus qu'avec son patron, il n'est
question de lui faire voir quelle blessure elle lui inflige. Il serait
alors en position trop vulnérable. D'ailleurs, ça le révolte d'être
blessé par ce manque de considération. Il se trouve infantile et
trop dépendant. Sa solution: se taire pour ne pas se faire traiter
d'enquiquineur et prendre ses distances pour marquer sa
froideur..
La vie de Jérôme n'est pas réellement empoisonnée par ce
tiraillement avec sa femme. Mais sa relation est ternie. Il lui en
veut souvent (il remarque son manque de sensibilité envers lui
à chaque fois que cela se produit... même pour une si petite
choses que de ne pas retenir une porte quand il la suit de près).
Il s'aperçoit, intérieurement, qu'il s'éloigne d'elle. Il a aussi le
goût de se venger: pourquoi serait-il gentil, prévenant, lui? Une
poire! Le vase déborde parfois. Il réagit démesurément pour
une peccadille. Et voilà qu'elle le traite de capricieux,
grincheux! Il n'en faut pas plus pour repartir le carrousel de
Jérôme: il est blessé (à la fois peiné et en colère). Il boude sa
femme et il s'en veut de lui accorder autant d'importance. Il
s'en veut d'avoir ce besoin et cherche à se raisonner; il réussit
passablement et se retrouve éteint et déprimé.
Le fils aîné de Jérôme vient d'entrer dans l'adolescence. Ils
avaient jusque-là une relation chaleureuse. L'enfant le
réclamait, lui démontrait de l'affection. Depuis quelque temps,
son fils l'ignore. Qui plus est, il se moque de ce qui importe à
son père. Jérôme est peiné. Trop peiné, trouve-t-il. Il devrait
être plus adulte et comprendre que l'adolescence est un âge
ingrat, un âge où les parents comptent apparemment peu.
Jérôme se raisonne en vain. L'attitude de son fils le peine
profondément. Ce dernier aussi le traite comme un rien!
Encore une fois, impossible de parler de cette peine et de ce
besoin d'être pris en considération. Il invoque comme raison
qu'un enfant n'a pas à porter les problèmes de ses parents.
Cette dépendance est son problème à lui et il réglera ce
problème lui-même. Sa solution: tenter des rapprochements sur
des terrains que lui et son fils ont en commun. Mais même sur
ces terrains Jérôme n'obtient pas de considération de son fils.
Alors, il cherche à se détacher émotivement.
Jérôme dépense beaucoup d'énergie pour "avoir une place"
auprès de ceux qui ont de l'importance pour lui. Il travaille à
cela avec sa femme, son fils, son patron et souvent avec
d'autres personnes. Ce besoin est tellement grand et si
inassouvi que toute situation le moindrement propice à l'éveiller
se transforme en arène où Jérôme se débat pour obtenir ce à
quoi il aspire. Parfois la bataille est uniquement intérieure. Par
exemple lorsqu'il se trouve en société et qu'il cherche
"comment se comporter" pour qu'on le trouve intéressant et
qu'on apprécie sa présence.
Parfois la bataille qu'il livre est plus visible, par exemple avec sa
secrétaire. Cette dernière fait fi, systématiquement, de ses
directives concernant le temps supplémentaire, les pauses, les
retards. Alors, il explique, s'explique, ré-explique, justifie. Mais
en vain. Il est en colère d'avoir si peu d'impact, mais à chaque
occasion il espère qu'elle aura compris sa position et en tiendra
compte. Mais non, à la première occasion, elle récidive. Bien
qu'il la considère par ailleurs comme une secrétaire hors pair, il
rêve de se débarrasser d'elle tellement son manque de
considération pour lui l'irrite profondément.
Il n'est pas question, pour Jérôme, de révéler à sa secrétaire à
quel point son comportement le dérange et combien il est
contrarié par son manque de respect pour ses directives. Ce
serait être trop émotif avec une subalterne. Il craint d'être
ridicule. Avec elle aussi, Jérôme se trouve trop dépendant,
réagissant trop intensément.
Avec Julia, sa fille de 5 ans, c'est merveilleux. Il est son papa
adoré. Elle ne cesse de le cajoler et de rechercher sa présence
(comme son fils aîné le faisait quelques années auparavant). Il
aime cet enfant à la folie. En sa présence, il est aux oiseaux.
Parfois, il a peur qu'elle grandisse.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, Jérôme vit des
sentiments analogues avec ses animaux. C'est un amoureux
des chevaux. Il a eu longtemps un étalon et une jument dont lui
et son épouse s'occupaient beaucoup à l'époque où il avait
encore des loisirs. Dans son fort intérieur, Jérôme désire être
aimé de ses bêtes. Il lui est arrivé souvent de tolérer des
comportements dangereux de sa jument, pour ne pas "être
bête" avec elle.
À son grand désarroi, il vit quelque chose de semblable avec le
chat de la maison. Ce dernier, comme beaucoup de moustachus
du genre, ne daigne même pas remarquer sa présence. S'il
allonge la main pour le flatter, systématiquement l'indépendant
félin file en douce. Il se prend à haïr cet animal! Sa solution: il
l'ignore autant qu'il peut et se jure de n'avoir plus jamais de
chat.
En psychothérapie, par contre, c'est le bonheur, comme avec sa
fille Julia. Dans ce cadre, un homme (que Jérôme estime)
l'écoute, prend en considération ce qu'il vit, l'aide à trouver des
solutions qui lui conviennent réellement. Ce lieu devient une
sorte de refuge. Il y vient chaque fois avec plaisir, même si le
travail qu'il y fait est parfois pénible. Là, il avoue qu'il éprouve
un grand bien "à être considéré pour ce qu'il est", "à avoir une
place". Malgré tout, c'est pour lui une faiblesse d'avoir autant
besoin de cela.
Jérôme, on le devine, ne veut pas voir la fin de sa
psychothérapie. On peut penser qu'elle s'éternisera, par
compensation, si le thérapeute ne l'aide pas à dénouer ce qui
fait problème dans ses relations.
On ne s'étonne certainement pas maintenant de savoir que
Jérôme est déprimé. Cet homme qui pourrait paraître comblé
n'obtient pourtant pas ce qu'il souhaite tant: "être quelqu'un
d'important pour les gens qui ont de l'importance pour lui". Et,
qu'il le veuille ou non, cela le fait souffrir énormément.
On ne s'étonnerait pas non plus d'apprendre que Jérôme est
tombé amoureux fou d'une femme pour qui il a l'impression
d'être tout et qu'il songe à tout quitter pour partir avec elle...
comme un certain roi, Édouard VIII, l'a fait autrefois au grand
étonnement de tous... comme plusieurs hommes se tiennent
sur leur garde de peur que cela leur arrive.
C. Caractéristiques des histoires de noeuds
L'histoire de Jérôme pourrait être celle de chacun d'entre nous,
à quelques variantes près. Nos histoires de relations difficiles
ont en effet les caractéristiques suivantes:
l'existence d'une frustration se manisfestant dans diverses
zones de notre vie
une certaine conscience de ce que nous recherchons
un entêtement indéfectible à garder le silence sur le besoin que
cache nos demandes ou nos reproches à l'autre
des ruptures ou des coupures émotionnelles
une tentative de survivre dans la relation, même si on a
l'impression de s'y vider (ou la tendance à se trouver, à
répétition, dans une relation où on vit quelque chose
d'analogue)
la persistance du besoin, malgré tout ce que l'on fait pour s'en
débarrasser.
La description de ce que vit Jérôme révèle la présence de ces
caractéristiques. Voyons cela plus en détail.
En prenant un certain recul, Jérôme constate une similitude de
frustration qu'il éprouve dans presque toutes ses relations
importantes. Il s'aperçoit aussi que les relations qui le rendent
heureux sont justement celles où l'inverse se passe, comme
avec sa fille et son psychothérapeute.
Comme Jérôme s'autorise à ressentir les divers sentiments qu'il
éprouve dans ses relations, même si ceux-ci sont parfois
pénibles, il est capable de cerner ce qui lui manque avec
certaines personnes et ce qui le comble avec d'autres. Une
certaine introspection lui permet d'identifier un dénominateur
commun: sentir qu'il a de l'importance pour ces personnes.
Pour Jérôme, comme pour la plupart des personnes, un tel désir
est inavouable. Jugée infantile, cette quête place Jérôme en
situation de vulnérabilité par rapport aux personnes dont il
attend une réponse. Il est donc juste de dire que Jérôme peut
être très ébranlé sur ce sujet. Par exemple, lorsque l'importance
qu'il souhaite ne lui est pas accordée, il est généralement triste.
Lorsqu'il a la place qu'il souhaite, il est rempli et content. Il est
vrai également que les personnes qui ont une telle importance
pour lui ont le pouvoir de le blesser autant que de le réjouir.
Jérôme a raison de se trouver dépendant de ces personnes.
Comme Jérôme, l'impasse à laquelle on aboutit nous fait parfois
l'impression d'un noeud gordien. Or, on se rappelle le fameux
geste d'Alexandre le Grand qui voulu relever le défi de dénouer
le lien inextricable d'une série de noeuds si compacte que ni la
réflexion ni la vue ne permettait de saisir d'où partait cet
entrelacement et où il se dérobait. Le brillant Alexandre lutta
longuement contre le secret de ces noeuds. N'arrivant pas à
trouver le fil par lequel dénouer l'inextricable, il sortit son épée
et rompit toutes les courroies.
Découragés et impuissants, c'est le choix que nous faisons. La
rupture peut être physique: on cesse de fréquenter la personne.
Mais on peut demeurer en relation avec la personne et rompre
le contact émotif. On voudrait bien que d'une manière où de
l'autre le tour soit joué: être débarrassé du problème.
Cette célèbre solution est la plus courante que j'aie rencontrée
dans les entreprises. En fait, c'est la seule qu'on applique aux
conflits de personnalité, à ce que je sache. On sépare les
personnes impliquées. Cette issue coûte parfois très cher
pécuniairement, mais c'est la meilleure que les dirigeants
puissent envisager car on ne comprend pas comment naissent
ces conflits. Bien entendu, on ne sait pas sur quelle corde tirer
pour dénouer le problème quand le noeud est devenu si serré
que la situation est invivable pour les individus impliqués ainsi
que pour leur entourage.
Trancher le noeud gordien est aussi la solution que l'on choisit
dans certains cas où nos amis ne nous conviennent plus. Les
individus les plus portés sur l'expression tenteront une ou deux
explications. Les autres mettront fin au lien. D'une manière
drastique ou en filant à l'anglaise, la solution est la même: on
cesse la relation pour se débarrasser du problème, ou de la
personne-problème (la plupart du temps, on pense que l'autre
est le problème). Souvent, on agit ainsi parce qu'on ne sait que
faire d'autre. Mais parfois, on a tellement enduré longtemps
l'insatisfaction qu'on ne veut même plus chercher comment
régler le problème!
Devant l'impossibilité de dénouer la situation, avec chaque
personne chez qui il "frappe un noeud", Jérôme choisit la
solution d'Alexandre le Grand: trancher la sangle au-dessus du
noeud. Il ne rompt pas la relation mais c'est tout comme: il
s'éloigne de sa femme, cherche à s'insensibiliser devant son
fils, prend ses distances face à son patron, souhaite le départ
de sa secrétaire, ignore le chat autant qu'il peut. Jérôme
cherche à effectuer une rupture émotionnelle.
L'autre solution de Jérôme: occulter son besoin. Pour cela, il lui
faut rompre le contact avec lui-même. Il le fait en contestant
continuellement son besoin: "je suis trop dépendant", "mon
besoin est infantile". Il le fait aussi en refusant de tenir compte
de son besoin autrement que de la manière vaine à laquelle il a
recours continuellement. En effet, on voit que Jérôme répète le
même comportement, même si celui-ci s'avère inutile. Il donne
des explications à sa secrétaire, fois après fois, même si cela ne
donne rien. Il a fait de nombreuses scènes à sa femme, même
après s'être rendu compte que cette méthode était inefficace.
Après un certain temps, usé, il choisit de laisser faire. Cette
décision ne le satisfait pas davantage car il renonce ainsi à
répondre à son besoin.
Certaines personnes quittent plus que d'autres. Celles qui
quittent, dans une situations comme celle où se trouve Jérôme,
reproduisent typiquement le même schéma dans une relation
subséquente. Et cela, quel que soit le type de relation
interrompue: relation amoureuse, de travail, etc. On
comprendra, à la lecture des articles subséquents, pourquoi on
emprunte systématiquement la même structure de
comportements.
Jérôme demeure dans ses relations même si elles sont
grandement insatisfaisantes. Il est remarquable également qu'il
reste constant à la fois dans sa frustration et dans son choix de
solutions. En effet, il résiste constamment à faire connaître son
besoin. Si on peut comprendre sa pudeur à le faire avec sa
secrétaire, on s'étonne toutefois de sa résistance à le faire avec
son épouse. On constate que même avec elle, il garde cette
position inébranlable.
"L'essentiel n'est visible qu'avec le coeur" faisait dire St-
Exupéry au Petit Prince. Or Jérôme ne veut pas parler de coeur
à coeur. Il a trop peur. Toutefois, il veut que les autres ouvrent
leur coeur pour le comprendre.
En fait, ce n'est pas parce que Jérôme se refuse à montrer son
besoin que ce dernier disparaît. Ce n'est pas non plus parce
qu'il cherche à l'occulter qu'il se dissout non plus. Au contraire,
l'aspiration à être quelqu'un pour l'autre reste présente. Plus
Jérôme en est conscient, plus il se rend compte que cette
préoccupation est omniprésente.
D. Conclusion: réactions à l'impasse
On le voit dans l'exemple, on l'expérimente dans notre vie, la
façon typique de composer avec les noeuds de nos relations
conduit à l'impasse:
les gens autour de nous ne changent pas, mais ils demeurent
tout aussi importants pour nous;
même si nous décidons d'abandonner notre recherche et de
renoncer à la satisfaction, on se surprend à la continuer
inconsciemment (Jérôme est déçu malgré lui de l'absence de
reconnaissance de son patron et de l'ignorance du chat à son
égard);
si on cherche à s'adapter à la situation insatisfaisante, on vit
malgré nous une insatisfaction. Il s'ensuit des sentiments de
tristesse et de colère qui se transforment parfois en dépression
plus ou moins intense.
Devant l'impasse certains ont la réaction de se décourager: ils
perdent confiance dans la possibilité d'avoir des relations
réellement satisfaisantes. D'autres perdent confiance en leur
capacité d'établir des relations. Ils se pensent handicapés
psychologiquement. Certains, enfin, n'en finissent plus de
poursuivre une recherche, cherchant conseil dans les livres, les
experts, les diverses expériences de croissance personnelle.
Pourquoi est-ce si difficile de trouver les réponses? Pour trouver
la clé qui permette de délier les noeuds de nos relations, il faut
d'abord comprendre comment ces noeuds se forment. Pour
ensuite dénouer ces situations interpersonnelles intenses, il
faut maîtriser certaines habiletés à composer avec notre
expérience émotive.
Pour poursuivre votre lecture, l'article "Aux sources du
transfert" est la deuxième partie de "Le transfert dans les
relations". Il traite de la formation des noeuds et de leur raison
d'être dans notre vie d'humains.
Vous pouvez aussi vous préparer à cette lecture en parcourant
le texte intitulé "Les chemins de la croissance" . Ce dernier
donne un aperçu des grands défis que nous avons à rencontrer
dans notre développement psychique. Or, les noeuds de nos
relations sont intimement liés à ces défis.
À ceux qui veulent se servir activement de cette série d'articles,
je suggère l'outil "Repérer les noeuds dans mes relations".
Enfin, pour un aperçu du même sujet, cette fois présenté dans
un autre style, on peut lire, dans la section "Images
intérieures", le récit poétique "À la recherche d'un paradis
tordu".
Les chemins de la croissance
Par Michelle Larivey, psychologue
Résumé de l'article
Ce texte s'adresse principalement aux personnes qui
s'occupent activement de leur développement personnel. Vous
y verrez une description des principales étapes: Se faire une
place, s'explorer, s'assumer ouvertement et résoudre ses
transferts. Vous trouverez aussi des moyens efficaces de
faciliter le passage d'une étape à une autre et les pièges à
éviter!
Table des matières
Avant propos
Introduction
1e étape: Se faire une place
2e étape: S'explorer
3e étape: S'assumer ouvertement
3b: Résoudre ses transferts
Conclusion
Avant-propos
Ce texte a été rédigé à l'occasion d'une conférence donnée à
Montréal le 4 février 1996 dans le cadre du Salon de la santé et
des médecines douces.
Il s'adresse principalement aux personnes qui s'occupent
activement de leur développement personnel, en s'aidant de
divers moyens et services qui s'offrent à eux.
Cette conférence visait à aider ces personnes à faire des choix
plus éclairés et efficaces dans leur cheminement. Ainsi, elles
deviendront des proies moins faciles pour la publicité et
certains intervenants dont l'éthique et le professionalisme
laissent parfois à désirer.
Introduction
"Grow or Die". Croître ou mourir. Ce titre de livre est percutant,
mais il traduit vraiment la réalité. Tout ce qui est vivant est soit
dans un processus de croissance, soit dans en dégénérescence.
Il n'existe pas de stade inerte chez les vivants. Le rosier donne
des boutons qui s'ouvrent lentement, les roses atteignent leur
maturité dans toute leur splendeur et commencent
immédiatement à se flétrir. Physiquement il en est ainsi de
l'humain. Ayant atteint le maximum de son développement
physique vers 25 ans, le processus de dégénérescence
s'amorce.
Malgré cette réalité, les humains, dans bien des cas,
s'acharnent à ne pas vouloir changer. Ils se refusent à grandir,
même si la situation appelle un changement.
Marie a un mari qui va au-devant de ses besoins et se montre
très enveloppant. Ça la satisfait car elle a beaucoup besoin de
marques d'affection sans lesquelles elle est insécure.
Mais son milieu de travail n'est pas aussi chaud que son cocon
familial. De fait, sa collègue de travail est plutôt froide et ne fait
pas de cas d'elle. Marie enrage de ce manque de considération
et fait durant plusieurs années, maints efforts pour faire
changer le comportement de sa partenaire.
Lorsque j'interviens, elle est sur le point de quitter l'entreprise
parce qu'au bord de la dépression. Cette situation est si
intenable, que même sa vie familiale est empoisonnée par ses
réactions. Mais il n'est pas question pour Marie de faire la
démarche de développement psychique nécessaire pour
devenir capable de tolérer de n'être pas minimalement aimée
de tout le monde. Marie ne veut pas changer.
Croître, c'est changer. Changer pour le mieux, pour s'adapter
lorsque nécessaire, pour traverser une difficulté qui nous
empêche d'être satisfait, pour mieux se posséder, etc. En Auto-
développement, l'approche dont s'inspire mon travail comme
psychothérapeute, croître c'est plus particulièrement devenir
continuellement de plus en plus sujet dans son existence. C'est
exactement le contraire que de se vivre comme un objet à la
merci de la vie, des événements, de l'entourage, des êtres
aimés.
Si Marie, comme nous tous souvent, préfère l'immobilité et
s'acharne à changer l'autre pour l'adapter à son besoin, ce n'est
pas par mauvaise volonté, ou par paresse. Je crois que c'est
essentiellement pour deux raisons:
D'abord par peur d'être inconfortable ou de souffrir. Elle a,
pense-t-elle, une recette gagnante dans le mode d'interaction
de son milieu familial. Elle ne voit pas pourquoi elle
l'abandonnerait.
Mais c'est surtout, par ignorance qu'elle choisit l'immobilité.
Marie ne sait pas combien elle y gagnerait en solidité
personnelle si elle arrivait à être capable de vivre, même dans
l'adversité.
Il n'y a pas de raison que Marie sache cela, à moins qu'elle ne
soit une spécialiste du développement humain. C'est une réalité
qui n'est absolument pas évidente.
Même si l'humain est mû de l'intérieur par une force qui le
pousse à rechercher la satisfaction et même à se développer
(cf. la tendance actualisante dont parle Abraham Maslow), il a
souvent tendance à éviter ce qui le fait souffrir. Or, le
changement passe toujours par une certaine souffrance, ou du
moins un certain inconfort.
On accepte cette souffrance lorsqu'on sait qu'elle est
temporaire et quelle prépare un mieux être. Comme disent les
véliplanchistes extrêmes "Pain is only temporary" (entendre la
joie est tellement grande qu'on est prêt à payer le prix qu'il
faut).
Dans certains domaines où on s'y connaît, on peut faire ce
choix éclairé. On s'entraîne, douloureusement, pour être en
forme. On se prive dans l'espoir d'atteindre la silhouette rêvée.
On étudie à se crever pour réussir son examen. Mais dans le
domaine de la croissance personnelle, peu de gens possèdent
les connaissances qui leur permettent de choisir la douleur pour
un mieux-être ultérieur.
C'est la raison qui m'a poussée à offrir une conférence sur le
thème "Les chemins de la croissance": fournir des
éclaircissements qui permettent de voir son développement
dans une perspective plus large. Je vois souvent des clients qui
ont investi beaucoup d'énergie, d'argent et de temps dans
toutes sortes d'activités de croissance et qui, au bout du
compte, se retrouvent à peu près au même point qu'au départ.
Parfois, ils sont confus, mêlés, découragés que leurs efforts
n'aient pas donné plus de résultats, malgré la sincérité et la
force de leur investissement personnel.
Que vous soyez parmi ces personnes où non, si vous êtes
intéressé à demeurer en mouvement et si vous êtes préoccupé
de votre développement comme personne, les réponses aux
questions suivantes vous seront utiles.
Quelles sont les étapes de la croissance?
Quelles sont les moyens de rendre notre démarche de
développement personnel la plus efficiente?
Y a-t-il des conditions plus favorables que d'autres?
Dans notre optique, il y a 3 grandes étapes de développement
personnel. Ces trois étapes que je vais développer ici sont:
se faire une place
s'explorer
s'assumer.
Pour en savoir plus:
À quoi servent les émotions?
Par le psychologue
Jean Garneau
1ère étape: Se faire une place
Se faire une place, c'est oser être réceptif à ce qui est
important pour soi, à ce qui est vivant en soi. Cela revient
essentiellement à être prêt à ressentir ses sentiments, à
considérer d'un regard accueillant ses besoins et ses
préoccupations.
Certaines personnes parviennent à l'âge adulte sans avoir
réussi à se donner ainsi une place dans leur vie. Il est
absolument essentiel qu'elle se consacrent à atteindre cet
objectif. Plusieurs raisons expliquent pourquoi c'est si
important.
Nos émotions sont les données fournies par un système
d'information qui nous renseigne continuellement sur nos
besoins. Et pour vivre de façons satisfaisante, il faut prendre
nos besoins en considération (ce qui suppose, bien sûr, qu'on
apprend à se centrer pour qu'ils puissent émerger par ordre de
priorité). Il est essentiel d'être à l'écoute de ce qui est
important, de ce qui nous préoccupe; c'est ce qui nous permet
d'avoir une vie pleine.
La seule motivation de changement qui dure est celle qui vient
de l'intérieur. Il est indispensable d'être à l'écoute et réceptif à
soi pour y avoir accès. Sinon, on cherchera à se manipuler: on
se dira qu'il faut arrêter de fumer, prendre plus de vacances,
être plus gentille avec son amoureux. Où encore, on tentera de
céder aux pressions de l'extérieur: "tu devrais...." sans que cela
ait de sens pour nous.
Pour devenir davantage sujet de sa vie, il faut être en contact
avec sa vie (son corps, ses besoins, ses émotions, ce qui est
important pour soi...).
Se faire ainsi une place, c'est aussi la garantie de n'être jamais
la proie d'un gourou ou d'une secte. Personne ne peut alors se
substituer à nous pour savoir ce qui est bon pour nous.
Personne ne peut nous manipuler en répondant à nos besoins
inconscients, car nous avons la capacité d'être en contact avec
nos besoins.
Les moyens
Si devenu adulte on n'est pas parvenu à se faire une place, il
est plus efficace de chercher de l'aide pour y arriver car on a
développé des "plis" et on oppose des résistances à le faire.
La psychothérapie individuelle est un moyen très efficace d'y
arriver. Il est indispensable, toutefois, qu'il s'agisse bien de
psychothérapie et non de traitement de problème dans le genre
des différentes thérapies brèves, cognitives, béhavioristes.
Un autre moyen peut être utilisé par ceux qui ne veulent pas où
ne peuvent pas entreprendre une psychothérapie, mais
souhaitent apprendre à se faire une place dans leur vie.
Ressources en Développement a publié dernièrement un outil
qui poursuit exactement cet objectif. Il s'agit du Programme
Savoir Ressentir, un ensemble d'instruments dont on peut se
servir seul pour améliorer sa capacité de contact avec son
monde intérieur.
Toute personne qui s'attarde quelque peu sur elle pour
reconnaître ce qui la touche, ce qui lui importe et pour cerner
ses besoins, se met automatiquement à devenir quelqu'un
d'intéressant. C'est alors que naît le désir de se connaître
davantage. On est intrigué par certains de nos comportements,
on ne comprend pas pourquoi on n'arrive jamais à...etc. On est
alors prêt pour la phase suivante.
Il existe cependant un danger (il se présentera d'ailleurs à
toutes les phases), c'est d'en rester là. Passer à la phase
suivante implique nécessairement de nouveaux défis, de
nouvelles difficultés et nous avons probablement atteint un
niveau de confort agréable qu'il n'est pas intéressant, à priori,
de bouleverser.
Si on atteint un point où on se fait presque une religion de
"s'écouter", de "prendre soin de soi", de "se faire plaisir", si on
se met à trouver "qu'on est donc bien tout seul... que la vie est
donc plus facile", il y a de bonnes chances qu'on soit en train
d'éviter le passage normal à la phase suivante.
2ième étape: S'explorer
Si la première étape est complétée, on en viendra tout
naturellement à l'exploration de soi. Celle-ci se fera
harmonieusement, les sujets s'arrimant les uns aux autres.
C'est parce que le questionnement viendra de l'intérieur qu'il en
sera ainsi. Et c'est parce qu'il se fera à partir de l'intérieur qu'il
en restera quelque chose. C'est exactement le contraire de ce
qui se produit lorsque l'exploration est conduite par des
questions parachutées de l'extérieur comme celles qui viennent
des autres ou qui nous sont suggérées par des auteurs.
J'ai vu beaucoup de personnes qui n'arrivaient à rien en
essayant de mettre en pratique des conseils comme "change de
genre de femme!", "sois ta propre mère", "aime-toi" ... Si ce
conseil n'arrive par exactement au moment où la personne est
rendue à cette étape précise dans sa démarche (un
synchronisme infiniment rare), il est à toute fin pratique inutile.
Combien de personnes se sont perdues en cherchant à mettre
en application des choses intéressantes et valables qu'elles
avaient lues mais pour lesquelles elles n'avaient pas fait le
cheminement préalable. Combien se sont retrouvés en mauvais
état en suivant le conseil de leur gourou "d'adresser leur colère
immédiatement à leurs parents, quelle que soit leur réaction"!
Je ne le répéterai jamais assez, pour être constructives, les
expérimentations doivent être assumées et pour cela, il faut
qu'elles soient commandées de l'intérieur. Les suggestions ne
sont pas à bannir, mais elles doivent être évaluées
soigneusement pour choisir celles qui nous conviennent au
moment et au point précis où on se trouve.
Les moyens pour alimenter l'exploration
la lectures
l'expérimentation active
parler de nos découvertes avec d'autres
Les moyens pour rendre la démarche plus efficace
la psychothérapie individuelle (qui doit être absolument
enrichie de diverses expériences). La psychothérapie servira de
lieu pour
traiter nos découvertes
digérer les nouvelles expériences
comprendre ce qu'on a vécu (le vécu avec le psychothérapeute
constitue un matériel d'exploration très précieux qui doit faire
partie de cette exploration)
Durant cette phase on se rend compte qu'il y a certaines choses
de soi qu'on préfère cacher aux autres. Il y a des sentiments,
des besoins, des comportements qu'on n'est confortable d'avoir
que lorsqu'on est seul avec soi.
Mon opinion est claire, mais je n'arrive pas à l'exprimer en
réunion.
Je ne peux pas me permettre de n'être pas à mon meilleur
devant les autres.
Je n'arrive pas à dire non.
Il m'est impossible de faire voir à un homme qu'il me plaît. C'est
tellement vrai que je choisis ceux qui ne me plaisent pas.
Malgré les indices clairs que nous présentent ces constatations,
le danger d'en rester-là nous guette encore une fois. On est en
effet assez confortable avec soi, on réussit à avoir une vie
relativement agréable et intéressante.
Pourquoi se forcer à passer à un autre stade? D'ailleurs, y a-t-il
un autre stade? N'est-ce pas important de se suffire dans la vie?
L'important n'est-il pas d'être bien avec soi et d'être assez
autonome pour avoir ses activités? Toutes les rationalisations
populaires de notre époque sont au service de notre goût de
confort et de notre crainte du changement!
D'abord, il n'est pas évident qu'il existe un autre stade. Quant
aux autres questions, la réponse de beaucoup de gens est un
GROS OUI. Ils confondent "autonomie dans l'initiative pour
répondre à ses besoins" et autarcie, c'est-à-dire, se suffire.
Mais aucun être vivant ne peut se suffire. Il a besoin de contact
avec l'univers. Entre humains, le contact est indispensable pour
combler les besoins affectifs qui perdurent la vie durant. Il est
donc important de savoir qu'il existe une phase subséquente.
Seul quelqu'un de familier avec ces étapes peut nous informer
de leur existence!
3ième étape: S'assumer devant les autres
Cette étape est cruciale dans la vie de tout individu. C'est en
réussissant, graduellement, à s'assumer devant les autres
qu'on gagne la sérénité tant espérée. C'est un processus dans
lequel on a avantage à être guidé par un expert car il est facile
de s'égarer.
Par exemple, s'assumer devant les autres ne signifie pas
"pouvoir faire quoi que ce soit devant les autres parce qu'on
s'est durci". Cela n'a rien à voir non plus avec se "foutre" du
monde.
Au contraire. C'est un cheminement dans lequel nous prenons
le risque de nous respecter dans toute notre intégralité devant
des personnes auxquelles on tient vraiment.
Les moyens de rendre cette démarche efficiente
le groupe de psychothérapie
les sessions de croissance sur des thèmes en rapport avec les
dimensions que nous cherchons à mieux posséder.
Il est important de choisir un groupe où les gens auront des
réactions vraies, ni complaisantes, ni exagérées. C'est essentiel
pour pouvoir en tirer une vision réaliste de notre impact sur les
autres. Il est important de choisir une approche de
psychothérapie qui encourage à s'assumer soi-même et qui ne
cherche pas à faire adopter des attitudes et des comportements
corrects.
En cours de démarche, on se rendra compte qu'il existe des
personnes devant lesquelles il est plus difficile de s'assumer.
Sans le savoir très clairement, nous investissons ces personnes
d'un pouvoir particulier de nous reconnaître. On s'aperçoit
qu'on trouve continuellement de telles personnes sur notre
chemin et que parfois même on les cherche. S'affirmer devant
ces personnes devient un défi supplémentaire, mais essentiel à
notre satisfaction.
Le danger, ici aussi, c'est de renoncer à s'assumer devant ces
personnes. En les évitant, par exemple.
Il est facile de trouver dans la littérature populaire et chez
plusieurs conférenciers un encouragement à éviter les
personnes qui réveillent nos vieilles blessures. Je ne pense pas
qu'il faille les éviter. Au contraire. D'ailleurs une force intérieure
nous pousse sur le chemin de ces personnes, pour régler ces
vieux conflits. Mais encore faut-il savoir comment arriver à les
régler.
C'est ici qu'on doit distinguer une deuxième partie de cette
troisième étape, une partie où on cherche encore à s'assumer
ouvertement devant autrui, mais avec des personnes spéciales.
Il s'agit de s'assumer vraiment devant les personnes qui ont
pour nous le plus d'importance.
Pour en savoir plus:
Le transfert dans les relations
Par la psychologue
Michelle Larivey
3b: Résoudre ses transfert
On est mûr pour cette démarche lorsqu'on commence à penser
qu'il y a anguille sous roche du fait par exemple,
d'être systématiquement en désaccord avec les personnes en
autorité
d'être aussi défensive avec son mari qu'on l'était avec son père
d'avoir avec son conjoint des chicanes qui ressemblent
étrangement à celles qui nous faisaient tant souffrir avec nos
parents
qu'on enrage que l'entreprise ne nous manifeste pas davantage
de reconnaissance
qu'on ne supporte aucune critique
qu'on tombe en amour aussitôt que quelqu'un s'intéresse à
nous
qu'on déprime devant l'indifférence de notre adolescent
... etc, etc, etc
La répétition, l'intensité de nos réactions, le fait qu'elles soient
si stéréotypées (toujours les mêmes dans une situation
semblable) sont des signes qui ne trompent pas. Ils indiquent
que nous revivons, dans le présent, des expériences
antérieures non complétées.
Lorsqu'on remarque ces indices et qu'on veut y voir plus clair,
on est vraisemblablement prêt à compléter ces situations qui
empoisonnent notre vie. Mais pour être efficace dans cette
démarche et pour ne pas se décourager devant les difficultés
qu'on y rencontre, il est important d'être bien instrumenté.
Les moyens de résoudre nos transferts
Le groupe de psychothérapie, dans une approche qui fournira
l'instrumentation
la possibilité de pratiquer
Les situations de la vraie vie avec interlocuteurs transférés et
les originaux, c'est-à-dire, notre famille d'origine.
Conclusion
Il est important de bien comprendre où on en est dans sa
démarche de développement personnel. Il est impérieux de
connaître les moyens appropriés pour s'aider à réaliser avec
succès l'étape où on en est.
En étant bien orienté dans notre démarche de développement
personnel, on économisera beaucoup de temps. On évitera
aussi plusieurs expériences négatives qui laissent des traces
profondes ou nous amènent à abandonner notre recherche.
Fidèle à moi-même
Par Jean Garneau, psychologue
Cet article est tiré du magazine électronique
" La lettre du psy"
Volume 1, No 4: Décembre 1997
Résumé de l'article
Nous voulons tous augmenter un peu ou beaucoup notre
confiance en nous-même, notre estime de nous-même et notre
sécurité intérieure. Saviez-vous que ces qualités tant
recherchées ne sont pas des cadeaux du destin mais plutôt des
résultats de notre façon d'agir? En fait, ce sont les effets que
nous obtenons rapidement et de plus en plus lorsque nous
choisissons d'être fidèle à nous- même. Comment y parvenir, à
quoi exactement est-il important d'être fidèle?
Table des matières
A. Ce que nous procure la fidélité à nous-même
B. C'est quoi être fidèle à moi-même ?
C. Fidèle à quoi ?
D. Ce qui en résulte
E. Comment faire ?
F. En guise de conclusion
Vous pouvez aussi voir:
Vos questions liées à cet article et nos réponses !
A. Ce que nous procure la fidélité à nous-même
Qui n'aimerait pas avoir un peu (ou beaucoup) plus confiance
en lui-même? Qui ne souhaite pas augmenter un peu (ou
beaucoup) son estime de lui-même? Nous aimerions tous être
encore un peu (ou beaucoup) plus sûrs de nous-mêmes;
augmenter notre sécurité intérieure.
Ces certitudes intérieures auxquelles nous aspirons semblent
bien mal distribuées. Nous avons souvent l'impression qu'elles
sont plus ou moins un cadeau du destin, le résultat d'une
chance que nous n'avons pas eue. Il s'agit de caractéristiques
qui appartiennent à d'autres et demeurent, pour toujours, hors
de notre portée.
Pourtant, c'est tout le contraire qui est vrai! Ces qualités sont
des résultats. Elles apparaissent naturellement à la suite de
certains genres d'action. Elles se bâtissent peu à peu chez les
personnes qui se comportent d'une façon particulière. Plus
précisément, ces qualités sont le résultat principal
qu'obtiennent les personnes qui, dans leurs actes, sont
soucieuses de se respecter elles-mêmes.
Difficile à croire, n'est-ce pas? Pourtant, c'est bien vrai! Je crois
même que chacun de nous est capable de le vérifier
directement à partir de sa propre expérience de vie.
...
Fidèle à moi-même
Par Jean Garneau , psychologue
Fidèle vs infidèle
La fidélité sexuelle
Est-ce qu'il me trompe en fantaisie ?
Est-ce qu'elle a un amant?
Différences dans les valeurs ?
La confiance ébranlée
À la recherche de modèles de vie
Vous avez une question qui demeure sans réponse ?
Question: Fidèle vs infidèle
Dans quelles conditions être fidèle à son conjoint peut-il être
une façon d'être infidèle à soi-même et dans quelles conditions
être infidèle à son conjoint peut-il être une façon d'être fidèle à
soi-même?
Réponse
La réponse est disponible dans Les émotions source de vie
Question: La fidélité sexuelle
Oui, mais ça détourne un peu la question. Quand la fidélité
sexuelle est-elle contradictoire avec la fidélité à soi-même?
Réponse
La réponse est disponible dans Les émotions source de vie
Question: Est-ce qu'il me trompe en fantaisie ?
Mon ami aime beaucoup les photos de femmes nues; il achète
des CD de photos et fréquente les sites X sur Internet. J'ai
l'impression d'être trompée et ça m'inquiète énormément. Est-
ce que je ne lui plais plus? Suis-je assez belle pour lui? Est-il
insatisfait de nos relations sexuelles? Est-ce moi qui suis trop
insécure? Je ne sais pas comment me respecter et me faire
respecter dans cette situation.
Réponse
La réponse est disponible dans Les émotions source de vie
Question: Est-ce qu'elle a un amant?
Je soupçonne mon épouse d'avoir une aventure avec quelqu'un
d'autre. J'ai des indices qui m'inquiètent, mais elle nie
complètement et refuse d'en parler. Et elle a toujours de
bonnes explications! Mais plus ça va, plus je deviens
soupçonneux. J'en viens à ressembler à un détective qui
cherche à la prendre en défaut et à monter une preuve. C'est
l'enfer et je crains de détruire notre relation par ma méfiance.
Réponse
La réponse est disponible dans Les émotions source de vie
Question: Différences dans les valeurs
Je n'arrive pas à établir un contact authentique avec mes
collègues parce que nous sommes trop différents. Je suis
incapable d'accepter leurs valeurs différentes, leur faible sens
des responsabilités, leur immoralité. Ça m'isole et m'inhibe
dans ma spontanéité. Je me trouve hypocrite de ne rien dire
mais je suis constamment heurté par leurs actions. Devrais-je
m'adapter ou combattre cette mentalité que je n'accepte pas?
Comment être fidèle à moi-même dans une telle situation?
Réponse
La réponse est disponible dans Les émotions source de vie
Question: La confiance ébranlée
Vous dites qu'il est important de respecter nos valeurs pour
maintenir notre équilibre. Ça m'a fait comprendre pourquoi j'ai
des problèmes de confiance en moi depuis un certain temps.
Depuis toujours, j'accorde beaucoup d'importance à mon
apparence physique. Le fait qu'on me trouve belle me rassure
et me donne confiance. Mais j'ai lu récemment dans un
magazine très sérieux que n'importe qui pouvait se faire refaire
les yeux, le nez et tout ce qui est disgracieux, à un prix très
accessible. Ça m'a bouleversée et révoltée. C'est comme si la
beauté n'avait plus de valeur ou d'importance! Plus personne
n'y attachera de valeur si on peut l'acheter au coin de la rue.
Je ne sais plus comment réagir pour retrouver ma confiance
envolée.
Réponse
La réponse est disponible dans Les émotions source de vie
Question: À la recherche de modèles de vie
Nous sommes 2 personnes du monde de l'éducation et nous
cherchons des informations sur le Web concernant des
personnes qui peuvent être des modèles de vie pour d'autres.
Est-ce que vous possèdez des écrits ou des liens internet à ce
sujet?
Réponse
La réponse est disponible dans Les émotions source de vie
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Voyez les détails ici: http://redpsy.com/virtuel/question.html
Une question de clarification ou d'approfondissement dont la
réponse est publiée sur le site.
Les auteurs des articles répondent gratuitement aux questions
d'intérêt général. Les réponses sont des principes généraux
dont chacun doit évaluer la pertinence pour sa propre situation.
Il s'agit d'une intervention éducative et non d'une consultation
personnelle. Les psychologues répondent à la fin du mois aux
questions qui concernent l'article du mois courant. Ils répondent
aux autres questions au moment qui leur convient.
Il vous suffit de nous faire parvenir votre question à
Mettre mes émotions au travail
Par Jean Garneau , psychologue
Cet article est tiré du magazine électronique
" La lettre du psy"
Volume 2, No 2: Février 1998
Résumé de l'article
Plusieurs personnes voient mal comment elles peuvent faire
une place adéquate à leurs émotions dans leur milieu de travail.
On se soucie des relations humaines et des communications en
milieu de travail, des conflits interpersonnels, du stress ou de
l'usure professionnelle et même des relations avec un patron
exigeant, un employé ou un client difficile. Toutes ces
préoccupations soulèvent la même question: comment utiliser
nos émotions de façon réaliste et efficace dans notre
environnement de travail.
Table des matières
A. Avertissements importants
B. Les émotions s'absentent du travail
C. Leur place en milieu de travail
D. Les pièges de l'évitement
E. Ressentir pour s'informer
F. Accueillir pour comprendre
G. Conclusion temporaire
Vous pouvez aussi voir:
Vos questions liées à cet article et nos réponses !
A. Avertissements importants
Prérequis
Ce texte est le deuxième d'une série de trois. Comme il ne
reprend pas les explications du précédent, son sens véritable
ne peut être compris sans une connaissance du premier. Le
lecteur qui n'a pas lu "À quoi servent les émotions ?" ou qui
n'en a pas un souvenir clair devrait le lire avant d'entreprendre
ce texte-ci.
"À quoi servent les émotions ?" a été publié pour la première
fois dans "La lettre du psy", (Vol. 1, No 2, octobre 1997).
Utilité de ce texte
Ce texte vise principalement l'utilisation des émotions en milieu
de travail. Mais il s'applique tout aussi bien à plusieurs autres
situations de vie. On peut en utiliser le contenu dans toutes les
relations non-intimes, particulièrement dans les situations où
nous sommes en contact régulier avec des personnes que nous
n'avons pas choisies (voisins, groupes de loisirs, etc.). Il n'a pas
été conçu pour s'appliquer aux relations familiales, conjugales
ou amicales.
B. Les émotions s'absentent du travail
Pour la plupart d'entre nous, les émotions n'ont pas leur place
dans notre milieu de travail. Elles sont un signe de faiblesse et
un phénomène indésirable. Elles peuvent être acceptables dans
des relations intimes, mais pas avec des collègues.
Pourtant, elles existent ! Que nous y consentions ou non, il nous
arrive, dans des situations particulièrement importantes, de
devenir émus, blessés, fâchés, joyeux, inquiets, excités, etc.
Comme nous l'avons vu dans "À quoi servent les émotions ?"
nos réactions émotives sont non seulement inévitables, mais
elles sont également nécessaires à notre adaptation. Leur utilité
essentielle consiste à nous informer sur nos besoins importants
et combien ils sont satisfaits.
En choisissant d'ignorer nos émotions, nous mettons notre vie
en déséquilibre. Si c'est au travail que nous refusons de les
ressentir, c'est notre vie professionnelle qui en souffre
principalement. Mais d'autres dimensions de notre vie vont
également être atteintes éventuellement : santé physique,
relations avec les proches, plaisir de vivre, etc.
Ce que je propose ici, c'est de mettre nos émotions à la tâche :
de leur faire jouer leur rôle pour contribuer à notre bien-être, à
notre satisfaction et à notre adaptation aux situations de vie
que nous rencontrons. En conséquence, notre satisfaction et
notre efficacité au travail seront maximisées. Il s'agit donc de
faire travailler nos émotions pour nous en leur donnant une
place et un rôle adéquats dans les situations quotidiennes de
notre vie professionnelle.
Leur place en milieu de travail
Lorsqu'il est question de faire une place aux émotions dans
notre milieu de travail, nous imaginons immédiatement des
éclats de colère ou des crises de larmes. Nous pensons à des
situations où les émotions prennent le dessus et débordent
alors que la personne qui les éprouve ne veut pas qu'elles
paraissent.
Il faut comprendre que ces "crises émotives" sont le résultat du
refus des émotions et non leur manifestation normale. Si je
repousse toutes mes réactions émotives, j'en viendrai
inévitablement à une telle crise, car elle deviendra nécessaire
pour me "défouler" et rétablir un certain équilibre.
C'est le but des émotions d'attirer notre attention sur des
déséquilibres ; si nous les ignorons systématiquement, elles
trouvent un autre moyen pour signaler qu'un problème existe.
Comme je l'ai souligné dans "À quoi servent nos émotions ?", le
débordement émotif est un des premiers moyens que notre
organisme utilise. Si nous persistons à ignorer le déséquilibre,
nous en viendrons éventuellement à être affligés d'angoisse, de
dépression et de problèmes physiques.
Si au contraire je tiens compte de mes émotions dès qu'elles
apparaissent, elles garderont une intensité raisonnable et
demeureront contrôlables. Mais pour que cette option soit
acceptable, il me faudra trouver des façons "adaptées au milieu
de travail" de faire une place à mes émotions.
On peut diviser en deux groupes les utilisations de nos
émotions en milieu de travail. Le premier groupe s'appuie sur
l'ouverture aux réactions émotives. Cette ouverture sert d'outil
pour nous informer sur nous-mêmes et sur notre
environnement. C'est le thème du présent texte. Le deuxième
groupe s'appuie sur l'expression émotive. Cette dernière est un
moyen d'agir sur les situations pour qu'elles deviennent plus
satisfaisantes. Un autre texte sur cette question est parue en
avril 1998 sous le titre "Travailler avec mes émotions".
Les pièges de l'évitement
"Je n'ai plus l'énergie que j'avais pour aller travailler ; je me
traîne au travail comme à l'échafaud."
"Je n'arrive pas à me concentrer sur ce projet qui me tient à
coeur ; on dirait que je suis devenu indifférent."
"Je deviens anxieux dès que je pense à cette réunion ; j'ai le
goût de me déclarer malade."
"Dès que je pense à mon patron, je deviens confus ; je n'ai plus
d'idée et je me trouve débile."
Ces exemples semblent relativement anodins : ce sont des
réactions qu'on observe fréquemment et auxquelles on
n'accorde pas tellement d'attention. Pourtant, chacun peut
cacher un problème majeur qui, si on n'y trouve pas de
solution, engendrera une situation de crise. Vous croyez que
j'exagère ? Examinons-les ensemble pour voir...
Manque d'énergie ou d'enthousiasme
"Je n'ai plus l'énergie que j'avais pour aller travailler ; je me
traîne au travail comme à l'échafaud." C'est ce que disent
souvent les personnes qui sont au seuil du burnout. C'est un
indice de la révolte de notre organisme contre la façon dont
nous le traitons dans le travail.
Si je suis généralement attentif à mes réactions émotives, je
saurai bien plus tôt que j'abuse de moi, de ma résistance, de
ma santé. Je sentirai en moi un conflit fréquent entre mes
besoins personnels et ce que je considère comme mon devoir. Il
me sera plus facile de trouver un moment opportun pour tenir
compte de ma fatigue croissante et y trouver des solutions non
seulement dans l'immédiat, mais également à plus long terme.
Je trouverai une nouvelle façon d'organiser mon travail et de
définir sa place dans ma vie. J'éviterai le burnout éventuel et
tous les inconvénients qui l'accompagnent.
Si je suis moins attentif mais que j'accepte de prendre mon
manque d'énergie au sérieux, je pourrai encore éviter le
burnout. Pour cela, il faudra que je prenne immédiatement des
mesures vigoureuses pour corriger la situation. Si j'accepte
vraiment de tenir compte de mes indices, si je prends le temps
d'y être attentif à partir de ce signal d'alarme, je pourrai assez
rapidement découvrir le problème et sa gravité actuelle. Mais
serai-je assez courageux pour apporter à ma situation de travail
les changements qui s'imposent ?
Manque de concentration ou de motivation
"Je n'arrive pas à me concentrer sur ce projet qui me tient à
coeur ; on dirait que je suis devenu indifférent." C'est souvent
ce que constatent les personnes qui n'osent s'avouer
l'importance de leur déception devant les résultats de leurs
efforts. Cette difficulté est la première étape vers un
désinvestissement plus général qui atteindra l'ensemble de la
personne. Le résultat pourra ressembler à une dépression
aiguë.
Si je suis habituellement attentif à ce que je ressens, il est
probable que je ne me rendrai jamais à cette réaction
dépressive, ni même à ces difficultés de concentration ou de
motivation. Bien avant, j'aurai constaté que mes efforts ne
m'apportent pas ce que j'en attends. J'aurai bien plus tôt
l'occasion de rechercher une façon plus efficace d'obtenir les
satisfactions auxquelles j'aspire. Je pourrai, si mon insatisfaction
est inévitable, choisir de désinvestir de ce projet pour consacrer
mes énergies à un domaine plus rentable.
Même si je n'ai pas l'habitude d'accorder de l'importance à mes
réactions émotives, je peux choisir de considérer mon manque
de concentration ou de motivation comme un signal d'alarme. Il
n'est pas trop tard pour examiner sérieusement ma situation et
tirer les conclusions qui s'imposent.
Par exemple, je peux constater que la qualité de mon travail ne
semble pas appréciée, que les commentaires de mon patron
sont trop souvent négatifs, que l'obstruction d'un collègue
m'enrage, etc. Il est encore temps de choisir comment je veux
tenir compte de ces frustrations qui s'accumulent : demander
une évaluation formelle de mon travail, vérifier si mon patron
est réellement insatisfait de ma performance, interroger mon
collègue sur la nature de ses objections fondamentales, ou
encore désinvestir, confronter, refuser de continuer sans un
meilleur appui, etc.
Anxiété ou tentation d'éviter
"Je deviens anxieux dès que je pense à cette réunion ; j'ai le
goût de me déclarer malade." Nous avons tous vécu des
situations de ce genre : celles dont la pensée suffit à nous
rendre anxieux. Mais il est plus rare que cet inconfort aille
jusqu'à faire apparaître la maladie comme une solution
attrayante. C'est le signe que nous ne croyons plus être
capables de faire face aux réactions que provoque en nous
cette situation. L'évitement nous apparaît alors comme la seule
solution viable. Pourtant, nous savons bien qu'une absence ne
résoudra rien et que le problème demeurera entier pour la fois
suivante.
Si j'ai l'habitude d'être attentif à ce que je ressens, je sais déjà
quelles sont les émotions que cette situation m'amène à vivre.
Même si elles sont désagréables ou inconfortables, elles ne me
rendront pas anxieux (mal sans savoir pourquoi). Je serai plutôt
habité par mon expérience véritable : inquiétude, tristesse,
colère, excitation, joie, désir, amour, envie, etc. En y consacrant
un peu de temps et d'attention, avec une attitude réceptive, je
saurai rapidement en quoi ce qui se passe dans cette situation
est important du point de vue de la satisfaction de mes besoins
importants. Il deviendra vite possible de choisir comment en
tenir compte dans ma façon d'agir et de m'exprimer avec mes
collègues et partenaires.
Par contre, si je suis peu porté à accorder de l'attention à mes
émotions, je peux être habité par l'anxiété. C'est le signe que
j'adopte régulièrement l'évitement comme solution : je refuse
les émotions qui se présentent et je tente de les repousser.
(Voir à ce sujet le texte de Michelle Larivey intitulé "L'anxiété et
l'angoisse : les Vigiles de l'équilibre mental" dans le premier
numéro de "La lettre du psy".)
Il est encore temps, lorsque l'anxiété et la tentation de fuir la
situation nous habitent, de retrouver nos indices intérieurs en
accueillant ce que nous ressentons. Il faut y consacrer une
attention suffisante et le temps nécessaire. On peut retrouver
assez facilement les émotions et les préoccupations qui se
cachent derrière l'anxiété pourvu qu'on le veuille vraiment et
qu'on accepte les réponses qui surgiront, quelles qu'elles
soient. C'est le refus des réponses spontanées qui maintient
l'évitement et l'anxiété. Une attitude accueillante nous fera
rapidement découvrir les émotions qui sont en cause. En
prenant ces émotions au sérieux, nous découvrirons bientôt les
enjeux importants qui se dissimulaient à nous et nous pourrons
choisir comment en tenir compte.
Confusion et vide
"Dès que je pense à mon patron, je deviens confus ; je n'ai plus
d'idées et je me trouve débile." Voilà une réaction fréquente
devant les personnes à qui nous accordons une grande
importance. Elle peut se manifester autant devant la collègue
particulièrement attirante que devant l'expert que nous
admirons ou le patron que nous voudrions impressionner. Dans
tous les cas, c'est le fait de vouloir dissimuler nos réactions qui
est responsable du vide et de la confusion. Nos efforts pour
repousser les manifestations de ce qui est intensément présent
sont tellement forts et efficaces, qu'ils font disparaître tout ce
qui nous habite.
Si j'accorde beaucoup d'importance à mes sentiments et mes
émotions, il est improbable que je me retrouve dans une telle
situation. Je ne repousserai pas assez mes réactions pour
qu'elles deviennent aussi invisibles et confuses. Je serai peut-
être embarrassé d'accorder autant d'importance à cette
personne, mais je ne serai pas tenté de me le cacher à moi-
même. Si je choisis de le cacher à cette personne, je serai gêné,
retenu, intimidé ou porté à rougir, mais je n'éprouverai pas
cette sensation de vide et je ne serai pas confus.
Quel est l'avantage de remplacer la confusion par la gêne ?
Apparemment, il n'y a pas tellement de différence de qualité
entre ces deux expériences inconfortables. Pourtant, il existe
une différence fondamentale entre les deux : dans la confusion
ou le vide, je ne suis pas en possession de moi. Mon expérience
personnelle est absente de ma conscience et elle m'échappe.
Une dimension importante de ce que je vis m'est étrangère. Au
contraire, dans le cas de la gêne ou de l'inhibition, je sais ce qui
m'habite et j'en connais l'importance ; mon problème en est un
d'expression. Je ne veux pas exprimer ni laisser voir ce que je
sais être réel et important. Dans ce cas, je suis encore en
possession de moi. Je peux, à tout moment, changer ma façon
d'agir pour retrouver l'harmonie entre ma vie intérieure et mon
expression.
Ressentir pour s'informer
Tous ces exemples ont un point en commun. Chacun souligne la
première façon d'utiliser nos émotions : les ressentir. En effet, il
suffit de prendre soin de les ressentir pour obtenir une
information importante et précieuse sur notre situation du
moment. Plus nous demeurons attentifs à ce que nous
ressentons, plus nous sommes en mesure de tenir compte de
ce qui nous importe le plus et moins nous risquons les
conséquences souvent graves qui surviennent si on n'en tient
pas compte.
L'avantage de cette façon de tenir compte de nos émotions,
c'est qu'il peut demeurer complètement confidentiel aussi
longtemps que nous le voulons. Si nous prenons soin de
demeurer attentifs à nos émotions, elles nous apparaissent
clairement dès qu'elles prennent un peu d'importance ou
d'intensité, alors qu'elles sont encore faciles à contrôler. Nous
pouvons donc en faire ce que nous voulons : en prendre note
pour nous en occuper au moment qui nous conviendra, en tenir
compte pour voir plus clair dans la situation, les exprimer
immédiatement, prévoir un moment pour les communiquer à
l'autre, etc.
C'est nous qui décidons ce que nous voulons en faire et quand
nous voulons le faire. C'est le bénéfice direct que nous
obtenons si nous restons régulièrement attentifs à nos
émotions. Elles deviennent claires assez tôt pour que nous
puissions choisir la façon de leur faire de la place.
Accueillir pour comprendre
Plus nous sommes dans des situations complexes ou dans des
relations où nos interlocuteurs dissimulent une partie
importante de leur point de vue ou de leurs motifs, plus nos
émotions deviennent utiles pour nous aider à comprendre ce
qui se passe. Bien des gens croient que nos émotions nous
aveuglent et nous empêchent de bien nous adapter aux
situations. Mais en réalité c'est le contraire qui est vrai : c'est le
fait de repousser sans cesse les émotions qui rend aveugle et
inadapté.
Mais pour que nos sentiments et nos émotions nous aident à
comprendre les situations complexes, il est nécessaire d'y être
attentifs d'une façon particulière. Il ne suffit pas, dans ces
conditions, d'attendre qu'elles apparaissent d'elles-mêmes ; il
faut être plus accueillant afin qu'elles livrent toute la richesse
de leur message.
"J'ignore pourquoi, mais je ne me sens pas à l'aise avec cette
personne."
"Il a beau dire qu'il apprécie ma contribution, je n'arrive pas à
me sentir apprécié."
"Il dit qu'il m'appuie, mais je me sens méfiant."
"Je ne comprends pas pourquoi je me sens attiré par elle ; nous
ne parlons que de cette tâche."
Voici une série d'exemples où mes réactions émotives
m'indiquent qu'il y a des dimensions de la situation que je
décèle sans les percevoir clairement. On pourrait parler
d'intuition, mais en réalité il s'agit de sentiments subtils que
j'éprouve en réaction à ce que je sais sans en être vraiment
conscient. Ces expériences sont plus fréquentes qu'on veut bien
le croire et il suffit de s'y arrêter pour en bénéficier.
Souvent, en effet, nous pouvons comprendre ce qui se passe
entre nous et un collègue bien avant d'avoir tous les éléments
pour y parvenir. Il suffit d'être vraiment attentif aux subtilités
de nos réactions émotives face à cette personne ou dans les
situations où nous la côtoyons. Nous pourrons, à travers nos
sentiments et nos réactions émotives subtiles, avoir des indices
pour découvrir que les sourires ne sont pas sincères, que les
encouragements ont des objectifs cachés, que les consensus
sont faux ou fragiles, etc. Nous saurons également, de façon
intuitive, que nous avons la confiance, l'affection ou l'estime
d'un collègue.
C'est donc en étant volontairement attentif et réceptif aux
subtilités de mes réactions émotives que j'obtiens des indices
qui viennent enrichir et éclairer ma compréhension de la
situation, surtout dans ses dimensions interpersonnelles.
Certaines personnes sont plus habiles à ressentir ainsi les
subtilités de leur vie émotive et elles peuvent s'en servir
facilement. D'autres ont peu développé cette habileté, mais
elles peuvent apprendre si elles choisissent des moyens
adéquats. (Voir le programme Savoir Ressentir pour un moyen
qui a fait ses preuves.)
Comment être ainsi réceptif ? C'est relativement simple : il faut
être attentif à ce que je ressens,
être prêt à accueillir ce que je découvre ainsi et
laisser à ces impressions subtiles le temps nécessaire pour
qu'elles deviennent claires.
Par cette attitude accueillante, je fournis à mes sentiments les
conditions nécessaires pour qu'ils m'informent des aspects que
je ne voyais pas encore clairement. Les mêmes situations
m'amèneront alors à me dire :
"Je sais que quelque chose n'est pas clair entre nous, même si
j'ignore quoi."
"Je suis sûr qu'il s'objecte à ce que je fais, même s'il prétend le
contraire."
"Je sais que je ne peux compter sur son appui."
"Nous avons beau nous cacher derrière le travail, je la désire et
je sais qu'elle y réagit."
Conclusion temporaire
Nous avons vu ici comment nos émotions peuvent nous servir à
nous informer sur notre situation et à nous y adapter. Nous
avons vu aussi comment nos réactions plus subtiles peuvent
nous aider à mieux percevoir la situation en y décelant des
dimensions qui ne sont pas encore explicites. Mais le plus
important, c'est que l'attention à nos réactions émotives
permet de prévenir un grand nombre de problèmes. Nous
faisons place à nos besoins plutôt que de nous épuiser, nous
adaptons notre comportement plutôt que de perdre notre
motivation. Cette attention nous permet également de savoir ce
qui nous affecte plutôt que d'être envahis par l'angoisse ou la
confusion. En somme, nous récupérons des outils essentiels à
notre adaptation en remplacement d'expériences de
détérioration.
Ces utilisations de notre vie émotive dans les situations de
travail ne changent rien à nos façons habituelles d'agir, du
moins aux yeux des autres. Tout cela se passe intérieurement,
dans notre conscience de ce qui nous habite. C'est la première
façon de mettre nos émotions au travail.
Dans un deuxième texte de cette série traitant des émotions au
travail "Travailler avec mes émotions"), nous examinerons un
autre volet de la même question : la place que nous pouvons
faire à l'expression de nos émotions dans notre milieu de
travail. Nous verrons dans quelles situations nous avons
avantage à faire connaître ou à faire voir nos émotions, et quels
résultats nous pouvons attendre à la suite d'une telle
expression.
Avant de lire cet article, je vous suggère de mettre ce texte en
pratique: être plus attentif à ce que vous ressentez dans les
situations de travail et être plus accueillant face à ce que vous
y découvrez. Ceci vous permettra de vérifier dans quelle
mesure ces moyens sont applicables dans votre vie. En plus,
vous y trouverez des exemples concrets de votre vie qui seront
utiles pour la lecture de " Travailler avec mes émotions ".
N'hésitez pas à nous envoyer vos commentaires.
Mettre mes émotions au travail
Par Jean Garneau , psychologue
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Les hommes et les émotions
Comment éviter de rougir ?
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Le "placotage"
Micro-traumatismes
Vous avez une question qui demeure sans réponse ?
Question: Les hommes et les émotions.
Pourquoi les hommes refoulent-ils leurs émotions davantage
que les femmes?
Réponse
De plus en plus il est imprudent de généraliser ainsi en
attribuant une caractéristique psychologique à l'ensemble des
hommes ou des femmes. Il est facile de trouver de nombreuses
exceptions à chaque affirmation qu'on pourrait faire. Alors, les
explications qui suivent ne s'appliqueront certainement pas à
tous les hommes ou toutes les femmes. C'est peut-être même
en examinant les exceptions que nous comprendrons les
éléments les plus importants de la vraie réponse à cette
question.
Certaines explications sont classiques. On dit souvent que
l'éducation des garçons et des filles est responsable des
différences. On enseigne aux garçons à être forts, solides,
fiables, durs, afin qu'ils deviennent des hommes "virils". À la
limite, la colère et le désir sexuel sont acceptables, mais le
répertoire d'émotions s'arrête là.
Par contre, on enseigne aux filles qu'elles doivent être
"féminines". L'expression libre des émotions, surtout les
émotions tendres, fait partie de ces exigences de base qui sont
inculquées à la majorité des filles dès la tendre enfance. Les
émotions de vulnérabilité sont également inclues dans le
répertoire normal, mais pas l'expression du désir ou
l'agressivité.
Ces exigences sont liées aux rôles sexuels. À l'époque où
presque tous les hommes devaient assurer seuls la subsistance
de leur famille en travaillant "à l'extérieur" alors que la majorité
des femmes étaient chargées de la vie familiale et de
l'éducation des enfants, ces normes correspondaient à des
qualités nécessaires à chacun. Les hommes devaient survivre
et vaincre dans un univers hostile alors que les femmes
devaient créer un environnement aimant et rassurant qui soit
favorable à l'épanouissement des enfants.
Mais maintenant, cette vision est désuète pour la majorité des
gens. Les femmes se sentent aussi responsables d'assurer la
subsistance de leur famille que les hommes. Elles sont d'ailleurs
souvent seules pour le faire. Les hommes s'impliquent plus que
jamais dans la vie familiale et l'éducation des enfants, et ils
sont très nombreux à y tenir!
Cette explication par les rôles sexuels et l'éducation n'est
sûrement plus suffisante. Mais il en reste sans doute quelque
chose: plusieurs hommes continuent de croire qu'il n'est pas
"viril" de laisser voir leurs émotions, surtout la tendresse, la
tristesse, l'insécurité, l'inquiétude... Mais maintenant, ce n'est
plus la seule façon d'être un homme qu'on connaisse. C'est
donc davantage à partir d'un choix personnel que certains
hommes continuent de croire qu'il leur faut éviter de se montrer
émotifs. C'est une forme d'image de soi qui est au coeur de ce
choix. L'un dira: "moi, je suis un homme fort et dur, pas un
mou". Un autre se vantera: "moi, je suis sensible et tendre,
c'est ainsi que les gens me connaissent et m'aiment".
Mais qu'est-ce qui explique ce choix? Est-ce que ça ne revient
pas aussi à l'éducation?
Bien sûr, il y a les bases d'éducation et les rôles sexuels qui
jouent un rôle. Mais il y a aussi les résultats du cheminement
personnel. Les hommes qui ont appris à connaître et respecter
leurs émotions ont plus tendance à estimer que l'expression de
leurs sentiments est un atout et une force. Ceux-là auront plus
de facilité à exprimer leur tendresse. Ils seront plus proches de
leurs enfants et de leur conjoint, plus proches de leurs besoins
et de leur vie intérieure.
C'est la même chose pour les femmes: plusieurs sont
incapables d'exprimer la moindre agressivité et sont limitées à
des manifestations indirectes comme l'hostilité passive, la
bouderie, la position de victime ou le sabotage. Il faut un
cheminement personnel important à plusieurs femmes pour
qu'elles deviennent à l'aise dans la compétition et la
confrontation. Mais de plus en plus de femmes font cette
démarche, par nécessité. Quand on doit gagner sa vie et faire
carrière dans un univers qui ne nous fait pas de cadeau, la
compétition efficace n'est pas un luxe!
Au bout du compte, je crois qu'il s'agit de plus en plus d'un
choix personnel et de moins en moins d'une caractéristique
commune à un groupe. C'est chaque personne qui décide, pour
des raisons qui lui sont propres et qui incluent son éducation,
ses connaissances et ses expériences de vie. Certaines
personnes choisissent de vivre avec leurs émotions, partout,
alors que d'autres choisissent de neutraliser leurs émotions,
partout! Le texte "À quoi servent les émotions" explique
clairement combien il est coûteux de choisir la neutralisation
des émotions.
Voici un exemple particulièrement éloquent. Récemment, dans
le même contexte de travail, deux de mes amis se sont fait dire
qu'ils étaient émotifs. Ce qui est intéressant, c'est leurs
réactions respectives. Une des deux personnes a
immédiatement reconnu qu'elle était émotive, même s'il
s'agissait d'un reproche. Encore plus, cette personne s'est mise
à s'en vanter, à taquiner les autres à ce sujet et à proposer, en
blague, la création du groupe "les émotifs anonymes". L'autre,
objet de la même attaque a été blessé par ce reproche et s'est
efforcé, sans succès évidemment, de ne plus laisser voir
d'émotion. Le même reproche, dans le même milieu de travail,
donne des résultats complètement différents sur les deux
personnes impliquées. Pourquoi?
Simplement parce qu'une des deux personnes considère ses
émotions comme une ressource et estime que leur expression
est utile et avantageuse. Cette personne est fière d'être
émotive et s'exprime régulièrement comme un être émotif.
Lorsque quelqu'un lui reproche cette dimension de son être,
c'est comme si on lui reprochait sa beauté! Il n'y a rien là pour
la faire reculer, l'inhiber ou l'humilier.
Pourtant, cette personne est un homme, alors que l'autre est
une femme! Étonnant? Pas vraiment! De plus en plus on voit ce
phénomène: des femmes qui croient que leur sensibilité est une
faiblesse indésirable et des hommes qui cultivent leur
sensibilité et en font une dimension essentielle de leur identité.
Ces femmes invoquent souvent les exigences du milieu de
travail pour justifier leur choix, mais il faut les voir dans les
autres zones de leur vie pour comprendre que cette explication
ne correspond pas à toute la réalité. C'est vraiment un choix
personnel, le choix d'accorder de la valeur à cette dimension de
nous.
Le guide des émotions
Voyez les fiches explicatives de:
la gêne
les tics
le tremblement
la tension
le malaise
Question: Comment éviter de rougir?
Existe-t-il une ou plusieurs techniques (ou même un
apprentissage) qui permettent d'éviter de rougir dans certaines
situations "troublantes"? Je rougis intensément lorsque je dois
prendre la parole en public et ça me gêne énormément.
J'aimerais aussi que les autres signes de ma tension
(tremblements et sourires crispés) soient moins apparents.
Réponse
Pour bien répondre à cette question, il faut d'abord comprendre
ce qui nous fait rougir (ou trembler) dans certaines situations.
Ensuite, à partir de cette compréhension, il sera possible
d'envisager des solutions.
Le fait de trembler ou de rougir est le signe extérieur d'une
lutte intérieure intense. Deux tendances s'opposent avec force.
L'une des deux est une force d'action ou d'expression: nous
éprouvons une émotion intense qui cherche à se manifester.
Une autre force s'oppose à la première: une force d'inhibition.
Celle-ci cherche à empêcher l'expression, à arrêter l'action.
Souvent, nous sommes plus en accord avec cette deuxième
tendance: nous voulons vraiment, de toutes nos forces,
dissimuler notre émotion, contrôler notre intensité. C'est cet
effort qui nous fait trembler ou rougir. L'expression directe de
notre émotion intense n'aurait pas cet effet.
Bien sûr, il y a des personnes qui sont plus portées à rougir que
d'autres. Ça dépend du teint et de la circulation sanguine de
chacun. Mais si je ne suis pas porté à rougir, les mêmes
situations auront d'autres effets équivalents. Les tremblements
font partie de ces autres effets, mais on peut en identifier une
grande variété. Certains vont bégayer, d'autres vont perdre
leurs idées ou leur concentration, d'autres vont aller jusqu'à
s'évanouir.
Ce qui est frappant, c'est que nous avons tous tendance à
trouver que notre symptôme (rougir, trembler, etc) est le pire!
Si je suis quelqu'un qui rougit, je veux surtout éviter qu'on me
voit rougir et je serait particulièrement attentif à toute
sensation de chaleur dans mes joues. Le moindre début de
rougissement devient alors un problème grave à mes yeux et je
m'efforce d'autant plus de me contrôler. Comme on peut
facilement le deviner, il n'y a pas de pire solution que de vouloir
contrôler son rougissement: ça l'accentue! Et en plus on devient
entièrement centré sur le symptôme et on en oublie la vraie
question: nous sommes dans une situation émotivement
intense et il faut l'assumer.
Plus précisément, il faut assumer trois choses:
Je suis une personne qui réagit intensément à cette situation.
Il faut que mes réactions se manifestent extérieurement pour
maintenir mon équilibre.
J'ai un teint pâle (dans le cas du rougissement).
Si j'accepte ces trois aspects de moi, je ne suis plus occupé à
dissimuler mes réactions et leur intensité, mais je cherche au
contraire à exprimer ou manifester mon état intérieur. Je choisis
les manifestations que je préfère plutôt que de chercher en vain
à les éliminer. Ceci élimine la bataille entre mon émotion et
mon désir de contrôle. Je ne suis plus en conflit et le problème
s'atténue automatiquement.
Bien sûr, avec l'habitude et la familiarité, mes réactions à cette
situation deviendront moins intenses. Et alors, c'est presque
accidentellement que je cesserai de rougir ou de trembler. La
question ne sera plus là!
Infopsy
Voyez aussi:
- Quand l'autre réagit mal
- L'expression qui épanouit
Question: L'expression mal reçue
Je suis frustré et j'exprime mes sentiments, mais les autres ne
sont pas réceptifs. Ils ne répondent pas à mon appel et je
deviens encore plus frustré. Que faire?
Réponse
L'article suivant de cette série sur les émotions au travail
("Travailler avec mes émotions") traite longuement des
difficultés de l'expression, notamment lorsque la réponse qu'on
obtient n'est pas satisfaisante. C'est un problème fréquent en
milieu de travail. En attendant, voici quelques pistes de
réflexion.
Il est important de nous souvenir que l'expression réelle n'est
pas une obligation automatique pour les autres. Chaque
personne est occupée à la recherche de sa propre satisfaction
et de son épanouissement; nul n'est responsable de la
satisfaction et de l'épanouissement des autres. En considérant
notre expression comme une invitation plutôt qu'une obligation,
nous pouvons souvent mieux comprendre la situation.
Pourquoi mes collègues ne sont pas réceptifs à mon
expression? Pourquoi ils n'acceptent pas mon invitation à la
communication? Qu'est-ce qui les indispose ou les amène à se
fermer? Comment je les amène à refuser le dialogue?
Si je considère mon expression comme une invitation et non un
ordre, ces questions deviennent possibles et leurs réponses
pourront m'éclairer sur ce qui se passe vraiment. Ce n'est pas
entièrement par hasard que je n'obtiens pas la réponse que je
souhaite! J'y contribue au moins en partie.
Question: Le "placotage"
Je suis souvent portée à parler de mes collègues et de mes
connaissances dans leur dos. Je me sens ainsi une forte
"connivence" avec les personnes avec qui j'ai ces échanges,
mais je me sens ensuite très inconfortable et même coupable
envers ceux dont nous avons ainsi parlé. J'aimerais trouver un
truc pour me faire taire ou une autre façon d'établir le contact
avec mes collègues.
Réponse
Quand deux personnes ou un groupe ont de la difficulté à
s'entendre, rien de tel qu'un ennemi commun pour les mettre
d'accord! L'harmonie artificielle ainsi obtenue permet de
dissimuler et même d'oublier les conflits et les malaises qui
étaient auparavant des obstacles entre eux.
Parler d'une tierce personne, même en bien, peut souvent jouer
le même rôle: ça m'évite de faire face à toutes les personnes
concernées.
J'évite évidemment la personne dont je parle. Au lieu de lui dire
ce que je lui reproche ou ce que j'apprécie, j'en parle à
quelqu'un d'autre. Ceci m'évite d'assumer ce que je ressens et
de découvrir ce qu'une véritable expression m'amènerait à
vivre. Rien de tel pour empêcher la situation d'évoluer!
Mais j'évite aussi la personne à qui j'en parle. En me mettant
artificiellement d'accord avec cette personne pour critiquer
l'autre, j'évite de vivre les sentiments qui pourraient survenir
entre nous. Je saute l'étape du contact où nous serions plus ou
moins indécis ou inconfortables. Mais en même temps,
j'empêche toute réaction spontanée et réelle de voir le jour.
Il n'est donc pas étonnant que je me retrouve, au bout du
compte, à me sentir coupable et faux. Je me crée une fausse
solidarité aux dépens d'une autre personne qui n'est pas là pour
s'expliquer. Cette connivence artificielle ne pourra jamais
devenir vraiment rassurante car je sais, intérieurement, qu'elle
est superficielle et sans fondement véritable.
Que faire? Il me semble plus facile de résister à la tentation du
"placotage" quand je suis conscient du caractère artificiel et
irréel de la relation qu'il crée avec les autres. Ceci ne règle pas
entièrement le problème, car je me retrouve avec "rien à dire"
et un inconfort désagréable. Mais si je le veux, je peux alors
choisir de m'impliquer dans une relation réelle où je serai en
contact avec la personne à qui je m'adresse.
Un truc qui peut être utile lorsque je me surprends à "placoter"
contre quelqu'un, c'est la réappropriation. Il suffit de repasser
ce que je disais de l'autre en m'imaginant que c'est de moi-
même que je parlais et non de lui. Souvent, je trouve alors que
c'est effectivement de mes qualités, de mes défauts, de mes
besoins ou de mes manques que je parlais surtout. Quand c'est
le cas, il devient plus facile de me demander comment je peux
m'occuper de ça dans la situation où je me trouve. La plupart
du temps, c'est très pertinent et utile pour mieux comprendre
comment je pourrais être plus satisfait. Si le truc précédent
semble trop difficile à appliquer, je peux en utiliser un autre. Il
suffit de me demander à quoi j'aurais à faire face actuellement
si je ne parlais pas de quelqu'un d'autre. En identifiant ainsi ce
que j'évite avec mon interlocuteur réel, je suis en mesure de
faire un choix différent. J'ai la possibilité de prendre le risque de
faire ce que j'évitais, mais aussi celle de trouver autre chose à
faire. Ainsi, je me donne l'occasion de faire plus de place à ce
qui créerait un contact réel au lieu de l'éviter.
Question: Micro-traumatismes
Ma patronne ne cesse de me blâmer pour des choses qui ne
dépendent pas de moi. J’ai tenté en vain de lui faire
comprendre. J’ai même entrepris des actions auprès de ses
supérieurs. Mais ça continue depuis près de deux ans: des
reproches à répétition sur des détails auxquels je ne peux rien.
J’ai lu quelque part que des micro-agressions répétées
pouvaient être aussi dommageables, mais de façon plus
pernicieuse, qu’un traumatisme important comme une
catastrophe, un divorce ou un meurtre. J’aimerais savoir quel
pourrait être, selon vous, l'impact de tels micro-traumatismes.
Réponse
Effectivement, un sabotage systématique peut causer des
dommages psychologiques importants. Dans la mesure où les
interventions destructrices viennent d’une personne à laquelle
nous accordons de l’importance, elles peuvent agir sur notre
image de nous-même et sur notre identité.
C’est pour cela que ces attitudes hostiles ou critiques sont
surtout graves lorsqu’elles sont faites par les parents ou les
éducateurs d’un enfant. Parce qu’elles proviennent d’une
personne dont le pouvoir et l’influence sont considérables aux
yeux de l’enfant et parce qu’elles surviennent à une époque où
l’identité et l’image de soi sont encore en plein développement,
ces interventions négatives ont une influence importante qui
peut avoir des effets à long terme.
Lorsque les mêmes phénomènes ont lieu dans la vie d’une
personne adulte, leur impact peut être beaucoup moins
déterminant. Mais ce n’est pas nécessairement le cas: tout
dépend de la relation entre les deux personnes et plus
particulièrement de la relation de pouvoir qui les implique. Plus
nous accordons d’importance à la personne qui critique et à son
opinion, plus les effets peuvent être marqués. Évidemment,
l’impact des commentaires est particulièrement important
lorsque nous sommes en transfert avec la personne (voir
notamment “Transfert et droit de vivre" ainsi que “La conquête
de l’autonomie”).
Dans ce cas, ils peuvent être particulièrement pernicieux si
nous ne sommes pas clairement conscients du pouvoir
psychologique et émotif que nous accordons à la personne qui
critique. Le fait qu’il n’y ait pas d’événement marquant
contribue à l’efficacité de cet effet presque invisible.
Chez les enfants la solution d’un tel problème suppose la
collaboration du parent ou de l’éducateur impliqué, car leur
pouvoir sur le développement de l’identité de l’enfant est réel
et déterminant. Mais chez les adultes, la voie de solution la plus
efficace s’appuie généralement sur la récupération de son
pouvoir personnel à travers la résolution du transfert sous-
jacent. C’est au moment où on cesse vraiment de donner à
l’autre le pouvoir de nous définir qu’on devient capable de
neutraliser l’impact d’un sabotage systématique.
Vous avez une question qui demeure sans réponse ?
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Deux options vous sont offertes:
Une question personnelle à laquelle vous voulez une réponse
individuelle.
Le psy virtuel est à votre disposition. Pour 50$ (canadiens) un
de nos psychologues consacrera 30 minutes à vous répondre
s'il estime pouvoir vous être vraiment utile. Il s'agit d'un genre
de consultation individuelle et vous aurez la réponse en 3 jours.
Voyez les détails ici: http://redpsy.com/virtuel/question.html
Une question de clarification ou d'approfondissement dont la
réponse est publiée sur le site.
Les auteurs des articles répondent gratuitement aux questions
d'intérêt général. Les réponses sont des principes généraux
dont chacun doit évaluer la pertinence pour sa propre situation.
Il s'agit d'une intervention éducative et non d'une consultation
personnelle. Les psychologues répondent à la fin du mois aux
questions qui concernent l'article du mois courant. Ils répondent
aux autres questions au moment qui leur convient.
Il vous suffit de nous faire parvenir votre question à
Pour aller plus loin dans votre exploration !
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La suite: Travailler avec mes émotions de Jean Garneau
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Travailler avec mes émotions
Par Jean Garneau, psychologue
Cet article est tiré du magazine électronique
" La lettre du psy"
Volume 2, No 4: Avril 1998
Résumé de l'article
Quelle place pouvons-nous faire à l'expression de nos émotions
dans un contexte de travail ? Est-il possible de tout exprimer ?
Comment déterminer quand il est opportun de dire ou de ne
pas dire mon point de vue subjectif ? Que faire quand mon
expression est mal reçue ? Comment éviter de blesser
inutilement mes collègues ?
Cette article fait suite à Mettre mes émotions au travail
Table des matières
A. Introduction
B. Combien j'assume mon expression
C. Une expression dans un contexte
D. L'objectif de mon expression
E. Les buts fondamentaux de l'expression
F. Les objectifs de chaque expression
Exprimer pour informer
Exprimer pour influencer
Exprimer pour me soulager
Exprimer pour m'assumer
Exprimer pour nourrir la relation
G. Conclusion
Vous pouvez aussi voir:
Vos questions liées à cet article et nos réponses !
A. Introduction
Dans "Mettre mes émotions au travail", nous avons vu
comment nos réactions émotives et même nos sensations
peuvent nous informer sur les situations dans lesquelles nous
sommes et nous guider dans les décisions que nous avons à
prendre. Cette façon d'utiliser nos émotions s'applique au
travail comme partout ailleurs.
Cette fois, nous allons examiner les possibilités et les limites de
l'expression émotive en milieu de travail. L'expression a des
effets équivalents qu'elle survienne au travail ou dans notre vie
privée. Cependant, nos relations avec nos collègues étant
différentes de celles que nous avons avec des proches, le choix
du contenu, du moment et du moyen d'expression sera
différent. Ce sont essentiellement des mêmes dimensions que
nous tiendrons compte, mais avec des objectifs et des
contraintes différents.
...
Travailler avec mes émotions
Par Jean Garneau , psychologue
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Vos questions et nos réponses
Travail vs intimité
Stress et expression
Trop d'expression
La place de la spontanéité
Vous avez une question qui demeure sans réponse ?
Question: Travail vs intimité
Qu'est-ce qui distingue les qualités de l'expression au travail de
celles de l'expression dans l'intimité, avec nos proches.
Comment faire la différence dans les situations de la vie de tous
les jours.
Réponse
La réponse est disponible dans Les émotions source de vie
Pour en savoir plus sur le stress, voyez l'article:
Le stress: causes et solutions
par le psychologue
Jean Garneau
Question: Stress et expression
Dans des réunions importantes au travail, j'essaie de participer
autant que possible malgré ma timidité, mais ça me stresse
énormément. Résultat: je n'arrive pas à bien vendre mes idées
et j'ai l'impression d'un échec. Après la réunion, je m'inquiète
de ce que les autres vont penser de mon attitude. Comment
sortir de cet enfer?
Réponse
La réponse est disponible dans Les émotions source de vie
Question: Trop d'expression
L'autre jour (j'avais un peu trop bu) j'ai dit à ma collègue des
choses qui dépassaient ma pensée. Emporté par la colère, je l'ai
insultée et j'ai exagéré mes reproches. Je crois qu'elle est
vraiment blessée et je ne sais plus comment réparer.
Réponse
La réponse est disponible dans Les émotions source de vie
Question: La place de la spontanéité
C'est bien beau toutes vos explications et toutes ces
distinctions que vous faites, mais je ne me promène pas partout
avec votre article pour me rappeler comment procéder dans
chaque situation. Les objectifs de mon expression ne sont pas
toujours bien clairs. Je ne veux pas appliquer bêtement une
méthode car ça me semble trop artificiel. Est-ce qu'il reste une
place pour la spontanéité dans votre affaire?
Réponse
La réponse est disponible dans Les émotions source de vie
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individuelle.
Le psy virtuel est à votre disposition. Pour 50$ (canadiens) un
de nos psychologues consacrera 30 minutes à vous répondre
s'il estime pouvoir vous être vraiment utile. Il s'agit d'un genre
de consultation individuelle et vous aurez la réponse en 3 jours.
Voyez les détails ici: http://redpsy.com/virtuel/question.html
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réponse est publiée sur le site.
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d'intérêt général. Les réponses sont des principes généraux
dont chacun doit évaluer la pertinence pour sa propre situation.
Il s'agit d'une intervention éducative et non d'une consultation
personnelle. Les psychologues répondent à la fin du mois aux
questions qui concernent l'article du mois courant. Ils répondent
aux autres questions au moment qui leur convient.
Il vous suffit de nous faire parvenir votre question à
Une théorie du vivant
Par Jean Garneau et Michelle Larivey , psychologues
| Avant d'imprimer ce document | Mise en garde | Autres
articles |
Résumé de l'article
En "Auto-développement", nous visons à favoriser et à
maximiser le caractère vivant des personnes; à augmenter leur
vitalité. Mais qu'est-ce que signifie ce concept ? Dans cet
article, les psychologues Michelle Larivey et Jean Garneau
tentent de cerner les caractéristiques du vivant en général et
celles de l'humain en particulier.
Table des matières
A- La vie comme valeur primordiale
B- La conception du vivant en Auto-développement
Les caractéristiques du vivant
a) La tendance actualisante
b) Le système d'auto-régulation
c) Les échanges avec l'environnement
d) Le mouvement
e) L'unicité
f) Caractéristiques propres à l'humain
Implications des caractéristiques propres à l'humain
a) Au niveau de la tendance actualisante
b) Au niveau du processus d'auto-régulation
c) Au niveau des échanges
d) Au niveau du mouvement
e) Au niveau de l'unicité
A- La vie comme valeur primordiale
Depuis toujours, les approches du courant humaniste mettent la
personne au centre de leurs préoccupations. La personne
humaine est sa propre raison d'être et sa valeur la plus
importante, considérant que la vie, en elle-même, a déjà son
sens et sa valeur. Que ce courant se soit développé à partir
d'une perspective phénoménologique n'est pas un hasard, mais
pour nous, ce point de vue est devenu secondaire. Le respect
du vivant a supplanté la primauté de la subjectivité.
Comme psychothérapeutes humanistes, nous optons pour le
respect de la personne humaine dans toute sa dignité et nous
privilégions la vie. Nous tentons de donner à nos clients
l'instrumentation nécessaire pour qu'ils puissent devenir
pleinement vivants, de la façon particulière qui en fait des
personnes aussi complètement humaines que possible. C'est
donc clairement dans ce qu'on intitulait le "mouvement du
potentiel humain" ou la "troisième force" que nous sommes
inscrits, mais d'une façon bien particulière qui vise à favoriser
et à maximiser le caractère vivant des personnes.
B- La conception du vivant en Auto-développement
Entre 1976 et 1984, nous avons contribué, comme consultants,
à l'élaboration de programmes visant le développement affectif
et social dans le cadre des activités scolaires. C'est durant ces
années que nous avons réfléchi en profondeur, avec nos
collaborateurs du Ministère de l'éducation du Québec, sur les
caractéristiques du vivant. Il s'agissait de créer un programme
couvrant les douze années de l'élémentaire et du secondaire et
dont le but principal était que l'élève "devienne capable de faire
des choix libres et responsables, éclairés par le respect de la
vie".
Les objectifs du programme ainsi que la démarche ou le
processus pour y parvenir ont été définis en détails. Une équipe
d'éducateurs a développé le matériel pédagogique. Des
enseignants ont reçu la formation pour travailler dans cette
perspective. Bref, durant plusieurs années nous avons baigné
dans le sujet et l'avons exploré sous plusieurs angles. Ce fut
une expérience enrichissante qui a largement influencé notre
point de vue de psychothérapeutes et nous a permis d'articuler
notre conception du vivant.
On sait que plusieurs approches du courant humaniste visent à
augmenter la vitalité. Toutefois, ce concept demeure souvent
relativement flou. On y parle d'énergie, de ressenti,
d'expression. Nous avons voulu avoir une meilleure
compréhension de ce concept pour mieux l'intégrer à notre
approche thérapeutique. Pour cela, nous avons tenté de cerner
les caractéristiques du vivant en général et celles de l'humain
en particulier. Nous avons également tenté de préciser leur
articulation dans un système qui nous apparaît universel.
1- Les caractéristiques du vivant
a) La tendance actualisante
Un fait ressort clairement de l'étude de tout organisme vivant,
c'est sa tendance inhérente à maximiser sa propre vie. Lorsque
les circonstances sont favorables, l'organisme cherche à se
développer davantage, à atteindre un degré d'harmonie et
d'intégration supérieur, quitte pour y arriver à ébranler
temporairement ses acquis antérieurs. Si les circonstances
(internes ou externes) sont défavorables, l'organisme tend
naturellement à protéger sa vie, à empêcher sa destruction.
Tout organisme qui n'est plus en croissance, d'un point de vue
ou d'un autre, est en processus de régression vers la mort. Il ne
peut être question, chez un organisme vivant, de
développement achevé et stable ; ce développement est en
mouvement en vertu d'un processus naturel et vital inhérent à
tout organisme.
Dès 1974 (Larivey et Garneau) nous étions activement engagés
dans une recherche clinique visant à identifier ce qui distinguait
de tous les autres, les clients dont la démarche débouchait sur
un changement durable. Grâce en particulier à notre
connaissance approfondie des travaux de Gendlin (1962, 1964)
et de Perls (1947, 1969) sur la question, nous avons pu
identifier des événements particuliers dans la démarche de
ceux qui obtenaient un changement durable. Nous avions là un
début d'explication au fait que d'autres personnes exposées à
la même situation (groupe de thérapie ou session intensive)
n'obtenaient pas de résultats comparables. C'est ce qui nous a
conduit à notre vision du "processus naturel de croissance" :
une conception qui permet non seulement de déceler les
mécanismes favorables au changement, mais également de
comprendre comment et pourquoi ils peuvent le rendre
possible.
Nous croyons donc que les étapes que nous avons décrites
(Garneau et Larivey 1979) rejoignent un processus vital,
fondamental. Quoique décrivant l'expérience psychique, cette
formulation des étapes de l'évolution de l'expérience émotive
rejoint probablement aussi celle d'autres phénomènes
caractéristiques des êtres vivants. Nous savons, notamment,
qu'un certain processus d'apprentissage se rapproche de notre
formulation. (Allaire et Couillard, 1975 ). Mais l'étude d'un tel
processus est encore peu répandue.
Toutefois, le concept de tendance actualisante qui définit
l'orientation générale de ce processus naturel vital est bien
connu depuis qu'Abraham Maslow l'a popularisé. Ce concept
s'est retrouvé au coeur de l'articulation de notre conception du
développement humain.
b) Le système d'auto-régulation
La tendance actualisante est une caractéristique des êtres
vivants. Mais elle serait aveugle et vouée à l'inefficacité si elle
ne s'accompagnait pas d'une autre caractéristique de
l'organisme vivant : un système d'auto-régulation. Ce dernier
correspond à un autre aspect du processus vital auquel nous
faisions allusion ci-dessus. Il se manifeste par une évaluation
automatique de chaque événement du point de vue de
l'ensemble de l'organisme. S'appuyant sur l'ensemble des
informations accumulées par l'organisme dans son histoire et
sur l'ensemble de ce qui fait partie de son champ expérientiel
du moment, ce processus central réalise une synthèse qui
permet de situer toute expérience du point de vue du bien de
l'organisme dans son ensemble. L'être vivant "sait" si
l'événement auquel il est confronté (de l'intérieur ou de
l'extérieur) est bon ou toxique pour sa vie. La forme de
connaissance et de conscience varie évidemment d'une espèce
à l'autre, mais la réaction organismique se retrouve partout.
c) Les échanges avec l'environnement
Un troisième aspect inhérent à toute vie, est le fait que chaque
organisme s'alimente à travers des échanges avec son
environnement. C'est cette forme de contact qui crée et
renouvelle constamment l'énergie nécessaire à la vie et à la
croissance. Ce contact est d'une nature bien particulière : il
suppose une sélection et un échange. La sélection est
nécessaire pour que les contacts recherchés nourrissent
l'organisme et lui permettent de créer des énergies vitales à
partir de cette nourriture, plutôt que de se détruire en
s'alimentant de contacts toxiques pour lui. C'est le processus
d'auto- régulation qui sert de fondement à la sagesse de cette
sélection. D'une espèce à l'autre et même d'un individu à
l'autre, la valeur nutritive d'un échange donné varie
grandement. C'est ce qui permet à un équilibre d'ensemble de
se développer, équilibre qui repose précisément sur les
différences entre organismes vivants. Pour illustrer cette forme
d'équilibre et de perpétuation de la vie grâce à des différences,
il suffit d'évoquer le fait que les plantes utilisent pour se nourrir
les éléments de l'air avec lesquels hommes et animaux
s'empoisonneraient eux-mêmes tout en rendant dans le même
processus les composantes qui permettent à ces derniers de
respirer.
Dans l'exemple qui précède nous soulignons déjà la deuxième
caractéristique du contact nécessaire à la vie : l'échange. On
pourrait considérer cet aspect d'un point de vue éthique et en
faire, chez l'humain, une question de justice ou de bienveillance
normale. Cependant, si on l'examine au niveau des nécessités
de la vie, il devient vite évident que chaque contact qui
implique une absorption d'un élément extérieur engendre
nécessairement une restitution quelconque. Un "input"
continuel sans "output" serait destructeur de deux points de
vue : il appauvrirait progressivement l'environnement jusqu'à
l'élimination des éléments nutritifs et d'autre part il
engendrerait tôt ou tard un étranglement dans l'organisme par
surcharge ou par une sur-croissance effrénée analogue à la
multiplication des cellules cancéreuses. La réciprocité devient
donc, examinée sous cet angle, une nécessité vitale qui est
régie par le processus d'auto-régulation organismique et non
une valeur qu'on superposerait aux mécanismes vitaux.
Les trois caractéristiques mentionnées jusqu'à présent
pourraient être suffisantes pour comprendre l'essentiel de la
vie. Toutefois nous croyons opportun d'expliciter deux autres
qualités qui en découlent, à cause de leur importance dans les
manifestations concrètes de la vie. Il s'agit du mouvement et de
l'unicité, deux caractéristiques dont la vie ne saurait s'éloigner
sans disparaître elle- même.
d) Le mouvement
La vie est mouvement continu. Ce mouvement se manifeste
superficiellement par des déplacements plus ou moins vastes
dans l'espace, mais son essence est bien plus subtile et
importante à la fois. Le mouvement auquel nous référons est
celui qui fait que chaque organisme vivant devient autre, tout
en demeurant le même, à chaque instant. Ceci implique à la
fois qu'il accumule les résultats de son histoire passée et qu'il
se transforme continuellement. Ce changement peut être plus
ou moins évident, mais il est aussi réel chez l'adulte "en pleine
possession de ses moyens" que chez le bébé dont la
transformation physique et l'évolution est facile à remarquer
même sur une courte période de temps. Ce mouvement ne
peut être arrêté que par la mort.
C'est-là un aspect lourd de conséquences, car il exclut du
domaine du vivant tout état d'équilibre terminal, toute forme de
maturité achevée ou statique. Seules la croissance ou la
détérioration sont possibles. Ceci s'applique non seulement à
chaque organisme pris isolément, mais à chaque contact d'un
être vivant avec son environnement. Une relation, quelle qu'elle
soit, ne peut demeurer nourrissante, génératrice d'énergie et
créatrice de vie si elle ne se renouvelle pas constamment. Il
n'est pas nécessaire d'être spécialiste en consultation
conjugale, familiale ou organisationnelle pour le constater.
e) L'unicité
L'être vivant est unique. Grâce à tous les aspects mouvants qui
font partie de chacune des caractéristiques déjà mentionnées,
grâce à tous les choix entre des possibilités très diversifiées que
supposent les trois premières, un organisme vivant ne peut se
développer sans devenir de plus en plus unique, individuel et
irremplaçable. Ceci n'exclut pas les ressemblances énormes
qu'on constate à l'intérieur d'une collectivité, d'une race ou
même de l'ensemble des êtres vivants. Mais il n'en demeure
pas moins que chaque être vivant se crée une identité unique
dans la mesure où il se développe. Plus son développement
sera élaboré, plus ses caractéristiques individuelles tendront à
se dessiner. Dans cette perspective, tout individu est
irremplaçable et sa vie unique constitue une valeur suprême
qui ne saurait être sacrifiée à aucune autre. C'est par une sorte
de myopie intellectuelle et affective sur la nature de la vie elle-
même que les humains peuvent considérer les êtres d'autres
espèces comme interchangeables. Ce trouble de vision n'est
possible qu'à distance. Nous laissons au lecteur le soin
d'imaginer la nature des dysfonctions qui permettent de
considérer de la même façon les individus qui composent une
race ou une collectivité sociale. Ce n'est sûrement pas le fait
d'être sensible à la vie en soi et autour de soi...
Les cinq caractéristiques définies ci-dessus correspondent, à
nos yeux, aux aspects essentiels de la vie en général. Elles
s'appliquent autant au végétal qu'à l'humain. Le degré de
complexité ou d'évolution d'une espèce ne change rien de
fondamental à ces caractéristiques. Toutefois, chaque espèce
détermine un éventail de possibilités et de contraintes qui
modifieront les manifestations concrètes de ces facteurs
généraux. Ainsi, les être unicellulaires permettent une
observation directe du processus d'auto- régulation à l'état
brut. Le même processus ne peut être décelé chez l'humain que
grâce à une analyse extrêmement complexe et subtile.
f) Caractéristiques propres à l'humain
Ces caractéristiques générales des êtres vivants prennent chez
l'humain des formes qui lui sont particulières. En les examinant,
il est possible d'ajouter des précisions qui sont d'une grande
importance pour comprendre le changement chez les humains
et pour orienter le travail thérapeutique.
(1) La capacité d'abstraction et de représentation
Ce qui distingue principalement l'humain de toute autre espèce,
c'est sa capacité d'abstraction et de représentation. Nous
entendons par là ses capacités intellectuelles ainsi que son
potentiel de développement à ce niveau. Cette capacité de
regroupement au-delà des différences secondaires (abstraction)
et d'évocation volontaire d'objets absents (représentation) a
des implications importantes sur les processus vitaux. Grâce
aux possibilités de symbolisation quasi infinies que procurent
ces capacités supplémentaires, la personne humaine peut
atteindre un degré de raffinement expérientiel remarquable.
Comme l'a démontré Gendlin (1964) c'est précisément la
symbolisation qui permet de cerner et de faire progresser une
expérience. Il est évident que les mots et les concepts sont des
instruments de symbolisation plus puissants que des
grognements ou des mouvements d'orientation. Ils permettent
à la personne humaine de cerner son expérience de façon très
raffinée. Ils sont également les instruments qui lui rendent
possible une saisie précise et nuancée de son environnement,
et par là une maîtrise supérieure sur l'univers comme sur elle-
même.
(2) La liberté
On peut donc dire que l'expérience subjective de la personne
humaine est plus subtile et précise, que sa conscience d'elle-
même est plus raffinée, que sa vision de l'univers est plus
complexe, plus englobante et potentiellement plus objective,
grâce à sa capacité d'abstraction. C'est sur ces qualités, qu'on
pourrait qualifier de perceptuelles, que se fonde l'exercice
potentiel d'une liberté accruecomparativement à celle, fort
limitée par les automatismes, des autres espèces. Enfin, grâce
à sa capacité supérieure de représentation, la personne
humaine a la possibilité de prévoir dans une certaine mesure
les conséquences de ses actes ou de ceux d'autrui, et ce, bien
au-delà de l'immédiat. Sa liberté de choix a donc la possibilité
de s'exercer dans une perspective à moyen ou long terme en
s'appuyant sur d'autres critères que le bien-être ou la
satisfaction immédiate.
2. Implications des caractéristiques propres à l'humain
Les caractéristiques spécifiquement humaines que nous avons
mentionnées ont un effet important sur les formes particulières
de sa vie. En général, on peut dire que tous les aspects de la
vie que nous avons identifiés prennent avec l'humain un
caractère plus souple, plus variable, moins déterminé. Une
grande part des automatismes inhérents aux processus vitaux
devient partiellement ou entièrement soumis à la volonté de la
personne elle-même. C'est la marge de liberté, la quantité et la
qualité des choix continuels de l'existence qui, à ce niveau,
constituent la différence essentielle. Voyons maintenant les
principales conséquences de cette différence.
a) Au niveau de la tendance actualisante
Au niveau de la tendance actualisante, les choix possibles vont
jusqu'à la destruction ou au sacrifice de sa propre vie.
Cependant, les différences les plus importantes entre les
humains et les autres espèces sont d'un autre ordre. La
première est de l'ordre de l'efficacité : la personne humaine
peut faire des choix d'une sagesse bien plus grande pour le
maintien et le développement de sa vie parce qu'elle est
capable de s'en représenter les conséquences dans une
perspective temporelle très vaste qui, à la limite, peut englober
toute sa vie. La deuxième différence est de l'ordre de
l'orientation des choix: la personne humaine tend à exprimer sa
tendance actualisante en se créant des valeurs personnelles
dont elle se servira pour orienter ses choix particuliers. L'être
humain est le seul qui ait la capacité d'être éthique au sens
propre du terme et dont la liberté aille jusqu'au point de choisir
et créer lui-même ses valeurs (même concrètes ou opérantes).
b) Au niveau du processus d'auto-régulation
Au niveau du processus d'auto-régulation, ce qui distingue la
personne humaine c'est d'abord l'ampleur du contrôle
volontaire sur son fonctionnement. C'est également la quantité
et la qualité de l'information sur laquelle les sélections
organismiques peuvent s'appuyer. Enfin, et c'est là le plus
important, la responsabilité réelle de l'humain par rapport à son
propre destin et son auto-régulation est beaucoup plus
considérable, précisément à cause des deux différences
précédentes. La puissance de ses choix en fait en quelque sorte
son propre créateur comme son propre bourreau. Seule sa
capacité d'obtenir et de traiter de l'information peut lui servir
de garantie partielle contre ses propres interventions
intempestives sur son processus organismique d'auto-
régulation. Autant ce processus peut prendre dans d'autres
espèces un caractère déterminant en agissant de façon
automatique, autant chez l'humain le même processus se limite
à suggérer des directions.
c) Au niveau des échanges
Pour ce qui est des échanges avec l'environnement, il est
évident qu'ils peuvent trouver chez l'humain une variété et une
subtilité incomparables, les genres de nourriture recherchés
étant de tous ordres et les instruments de contact étant
beaucoup plus subtils. Ceci représente un potentiel supérieur
mais aussi une vulnérabilité supplémentaire. En effet, à cause
de la variété des contacts possibles et des modes d'échange
utilisables, à cause également de la capacité d'abstraction et de
valorisation, le processus naturel d'échange peut facilement
être faussé. L'input et l'output pouvant être à la limite
purement symboliques, il est possible à l'humain d'avoir des
contacts qui ne respectent pas la réciprocité inhérente à la vie
en général et par le fait même ne peuvent être nourrissants à
long terme. Des exemples permettront de bien comprendre cet
aspect délicat.
Une personne peut s'illusionner elle-même dans un contact
avec une autre (ou une collectivité) en ayant un output
considérable (comme travailler très fort à résoudre un problème
et y parvenir) dont le seul équivalent au niveau des intrants est
purement symbolique et ne la nourrit pas réellement (comme la
reconnaissance, l'admiration, le sentiment du devoir accompli
ou la "satisfaction" de s'être sacrifié pour l'autre).
Réciproquement, une personne peut fort bien obtenir que son
environnement lui procure des nourritures (comme l'aimer, la
prendre en charge) en échange d'outputs sans valeur nutritive
réelle pour l'interlocuteur (comme cesser de lui faire des
reproches ou paraître satisfaite).
Grâce à sa capacité de symboliser et de créer des valeurs,
l'humain peut donc fausser la réciprocité naturelle de la vie et
devenir un parasite qui fonde son pouvoir sur des symboles
sans valeur nutritive réelle. La réciproque est également vraie.
C'est en vertu des mêmes capacités que la personne humaine
peut aller jusqu'à ériger cette non-réciprocité et cette absence
de vie en valeur prépondérante(ex. : se sacrifier pour les autres,
accorder des faveurs à un individu sans réciprocité aucune pour
la simple raison qu'il est malheureux ou faible). Ces valeurs
"d'altruisme" peuvent faire illusion pendant un temps, mais un
examen attentif permet de déceler (1) que l'altruisme n'est
qu'apparent (la personne attendant quand même une
récompense quelconque), (2) que le degré de vitalité des deux
interlocuteurs diminue rapidement (autant chez le parasite que
chez sa victime consentante) et (3) qu'un tel contact ne peut
déboucher que sur la violence et la destruction réciproque.
L'écroulement du système communiste soviétique en fournit
une illustration éloquente.
d) Au niveau du mouvement
Au niveau du mouvement, il est évident que la liberté de la
personne est considérable. Elle peut choisir ses directions de
changement parmi un éventail beaucoup plus large que les
autres espèces. Ce sont à la fois la variété de ses potentialités
et l'ampleur des possibilités que sa connaissance peut examiner
qui lui fournissent cette abondance. Il lui est nécessaire de
choisir constamment parmi les capacités qu'elle pourrait
développer. Aucun automatisme ne fait ces choix pour elle;
seules les limites de sa connaissance des possibilités offertes
par l'environnement et par son organisme viennent limiter ses
choix. De plus, comme nous l'avons déjà mentionné, sa
capacité d'avoir une perspective temporelle très étendue lui
permet des choix de développement plus audacieux. C'est ce
qui explique le potentiel de développement quasi infini de
l'humain, comparé aux autres espèces, le résultat visé n'ayant
pas nécessairement à être atteint à court terme pour être choisi
et activement poursuivi.
e) Au niveau de l'unicité
Enfin, au niveau de l'unicité, on constate chez l'humain un
développement sans pareil. C'est là la conséquence inévitable
de sa grande liberté de choix. Chaque option volontaire rend la
personne plus individuelle, d'autant plus que l'éventail des
possibilités de choix est d'une ampleur presque infinie. Non
seulement la personne devient ainsi un individu qui se distingue
plus clairement de tous les autres dans son unicité, mais en
plus cette personne est capable d'une conscience beaucoup
plus aiguë de son identité unique. Elle peut cerner son unicité
elle-même en y englobant un grand nombre de choix de tous
ordres (passés et présents). Enfin, la personne humaine a la
capacité de s'identifier profondémentà son espèce ou à toute
collectivité appropriée sans pour autant perdre son individualité
et sa capacité de s'en distinguer tout aussi profondément. Sa
conscience de ses racines collectives n'a rien de contradictoire
avec sa conscience d'elle-même en tant qu'individu unique et
différent.
Le tableau suivant permettra de retrouver les éléments
essentiels de cette conception du vivant. On y présente les
caractéristiques générales de la vie ainsi que les variations
particulières qui distinguent l'espèce humaine, avec les
caractéristiques qui permettent ces variations.
Tableau synthèse
Les caractéristiques de la vie
Caractéristiques inhérentes
à la vie en général
Caractéristiques supplémentaires
de la vie humaine
Tendance actualisante
(protéger et maximiser sa vie)
Des choix qui s'appuient sur une perspective temporelle plus
vaste
Création des ses propres valeurs
Processus d'auto-régulation
(s'appuie sur un système d'information)
Le contrôle volontaire est déterminant
L'information est plus abondante
L'information est mieux traitée
Pouvoir et responsabilité accrus
S'alimente de contacts avec l'environnement
(échanges : entrée et sortie)
Variété et subtilité des échanges
(nourritures d'ordre très varié)
Possibilité d'échanges faussés
(services-symboles)
Capacité de valoriser la non-réciprocité
Changement continuel
(sans point terminal)
Choix de directions de changement
Éventail de possibilités plus vaste
(potentialités et connaissance)
Perspective temporelle très étendue
(objectifs plus audacieux)
Unicité
(individu unique irremplaçable)
Individualité plus développée
Conscience de son identité unique
Capable de s'identifier à une collectivité
(sans perte d'individualité)
Caractéristiques propres
(selon l'espèce)
Capacité d'abstraction et de représentation
Degré et qualité de conscience de soi
Raffinement expérientiel
Liberté, choix volontaires et responsables
Dépendance affective et besoins humains
Par Michelle Larivey , psychologue
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Psychothérapie et besoins affectifs
L’amour à sens unique
Manigancer pour combler ses besoins affectifs
Vie religieuse et besoins affectifs
Se guérir de la jalousie
Vivre avec un jaloux
Vous avez une question qui demeure sans réponse ?
Question: Psychothérapie et besoins affectifs
Est-il possible de combler ses besoins affectifs avec son
psychothérapeute?
Réponse
Il s'établit toujours un rapport affectif avec un
psychothérapeute. Même lorsque ce dernier est peu actif ou
expressif, le client éprouve des sentiments à son égard. Le
psychothérapeute éprouve aussi des sentiments envers son
client.
La relation thérapeutique s'apparente à celle avec d'autres
professionnels: le médecin, l'avocat... Elle en diffère toutefois
par son objectif et par le degré d'intimité qu'exige celui-ci. Ces
différences ont plusieurs conséquences.
En psychothérapie, on cherche habituellement à résoudre des
blocages intérieurs. Le client espère ainsi devenir capable
d'être lui-même plus librement. L'objectif de la thérapie
implique donc un examen soigné de la vie intérieure du client,
de même qu'un changement important dans ses façons d'agir.
Pour parvenir à ces objectifs, le client en vient à se révéler plus
que dans toute autre relation professionnelle, souvent même
plus que dans ses relations avec ses proches. C'est donc une
grande intimité qui se développe entre le psychothérapeute et
son client.
En principe, le cadre thérapeutique est idéal pour défaire les
blocages ainsi que pour travailler à mieux s'assumer. Dans les
approches humanistes d'ailleurs, on considère que la personne
est égale à elle-même dans son rapport avec le
psychothérapeute, c'est-à-dire qu'elle entre en relation avec lui
d'une manière qui traduit à la fois ses ressources et ses
blocages. C'est pour cela que dans ces approches, le vécu dans
le présent à l'égard du psychothérapeute est utilisé comme
occasion de "se découvrir", "se comprendre", "s'expérimenter
dans du nouveau" et "s'assumer".
Dans cette perspective, il est avantageux pour le client
d'exprimer à son thérapeute l'importance qu'il lui accorde et de
lui révéler le pouvoir qu'il lui accorde, particulièrement celui de
le confirmer comme personne.Le seul fait de prendre ce risque
lui permet de s'assumer davantage. Je dirais même que pour
exploiter la psychothérapie au maximum, il doit se laisser vivre
et exprimer tous ses sentiments à l'égard du psychothérapeute.
C'est l'importance du psychothérapeute comme interlocuteur
transférentiel qui rend cette expression nécessaire.
En fait, pour résoudre son transfert avec son psychothérapeute
(et non pas seulement "comprendre son transfert"), le client
doit aussi communiquer "ses besoins" et les prendre en charge.
J'ai précisé ailleurs en quoi consiste exactement la prise en
charge de ses besoins (cf. Question : "Porter la responsabilité
de ses besoins").
En somme, il est vrai que le client peut combler des besoins
affectifs avec son psychothérapeute. La psychothérapie peut
même être considérée comme un lieu privilégié où apprendre à
le faire. (Pour certaines personnes le cadre de la
psychothérapie de groupe est moins menaçant, parce que
moins intime, pour apprendre à combler ses besoins affectifs.)
Le travail thérapeutique dans cette perspective est possible et
peut être rentable, mais à certaines conditions. Premièrement,
il est nécessaire que le psychothérapeute comprenne et
accepte cette perspective et qu'il soit adéquatement formé à
son utilisation thérapeutique. Deuxièmement, il est essentiel
que le psychothérapeute respecte les règles d'éthique
appropriées. Plus particulièrement, il doit absolument éviter de
profiter de la situation (vulnérabilité de son client) pour
répondre à ses propres besoins.
Dans une approche thérapeutique où on enseigne à combler
ses besoins affectifs, le client peut faire des pas de géants sur
ce sujet. Car en plus d'être un pédagogue et un conseiller dans
cette démarche d'apprentissage, le psychothérapeute agit
comme interlocuteur. Il devient donc une personne qui répond
tout en veillant à ce que le client prenne ses besoins en charge.
Mais il ne faut pas oublier que la "réponse" reçue n'est pas
l'élément crucial du changement. Ce qui est le plus important,
c'est que le client ose "porter son besoin", c'est-à-dire, qu'il
parvienne à l'exprimer directement. J'ai parlé de l'importance
de cette expression dans l'article "Conquérir la liberté d'être
soi-même".
Toute personne qui arrive à porter ainsi son besoin devient
éventuellement capable de trouver, dans les situations de sa
vie quotidienne, les interlocuteurs qui seront en mesure de la
"prendre" avec ce besoin. Cette démarche peut s'amorcer avec
le psychothérapeute, mais c'est hors de la thérapie qu'elle
trouve son aboutissement. Si on devient capable, dans le cadre
de la relation thérapeutique, de prendre le risque d'exprimer
ouvertement son besoin, si on y parvient sans s'appuyer sur
l'assurance qu'il dira oui à notre demande, il est certain qu'on
sera capable d'avoir le même courage avec les personnes
importantes de notre vie.
Question: Manigancer pour combler ses besoins affectifs
Je crois souffrir d'un grave problème de dépendance affective.
Dès qu'une personne, peu importe qui et pour quelle raison,
m'accorde un peu d'attention, j'essaie par tous les moyens
imaginables qu'elle devienne obligée à moi. Je fais aussi tout ce
que je peux pour qu'elle reste disponible en tout temps pour
moi. Quand cela ne se passe pas de cette façon, j'ai très mal et
je me sens abandonnée. C'est la déprime.
Réponse
En agissant de manière indirecte ("par tous les moyens
inimaginables"), il n'y a aucune chance d'évoluer dans ma
dépendance à l'égard des autres. Cela correspond à ce que
j'appelle, dans l'article, les façons dysfonctionnelles, qui
peuvent même devenir pathologiques, de tenter d'obtenir
satisfaction.
Au lieu d'exprimer MOI-MÊME à l'autre son importance, je
prends des moyens détournés pour que L'AUTRE se comporte
comme si j'avais de l'importance pour lui. C'est comme si je lui
"arrachais" des comportements, du temps...
En procédant de cette façon, il est impossible d'évoluer.
Comme je ne porte pas mon besoin, je demeure en situation de
dépendance, même lorsque j'obtiens de l'autre les réponses
que je souhaite.
Lorsque l'autre ne tombe pas dans le piège, il est normal que je
sois en mauvaise posture, car je ne peux éviter de constater ma
dépendance à son égard. Si j'obtiens ce que je recherche, ma
dépendance est moins visible car elle est cachée derrière la
"disponibilité" excessive de l'autre. Mais il s'agit d'une illusion
car je demeure tout aussi dépendant de cette "présence
garantie".
Question: Vie religieuse et besoins affectifs
Si tout humain a des besoins affectifs qu'il satisfait grâce à ses
contacts avec d'autres personnes, comment les religieux
peuvent-ils garder un équilibre psychique? S'agit-il d'exceptions
ou se trouve- t-on dans le domaine de l'inconnu, de
l'inexplicable, de la force divine?
Réponse
Les humains ont tous des besoins affectifs. Il n'y a pas
d'exception à ce sujet. Mais ils n'ont pas tous recours aux
mêmes moyens pour répondre à leurs besoins.
Il existe de multiples moyens de répondre à nos besoins
affectifs. Les rapports sexuels en font partie. À travers le
contact sexuel, on peut trouver diverses nourritures. Ce peut
être une occasion d'obtenir des confirmations sur sa valeur et
son impact sur l'autre (je suis aimable, valable, attrayante,
satisfaisante sexuellement...) Ce peut être une aussi une simple
occasion de vivre un contact agréable ou passionnant,
réconfortant, stimulant.
Concernant les besoins affectifs, il faut distinguer deux réalités
qui s'imbriquent très souvent: (1) la gestion quotidienne des
besoins affectifs et (2) la conquête du droit d'être (incluant le
droit à l'existence, le droit à une identité distincte et le droit
d'être sexué). Plus sa conquête du droit d'être est avancée, plus
une personne trouve normal d'avoir des besoins affectifs et de
prendre l'initiative de les combler. Elle peut inventer toutes
sortes de manières dans toutes sortes des situations pour le
faire. Cela est possible pour les personnes engagées dans la vie
religieuse et le célibat comme pour les autres.
La conquête du droit d'être sexué, toutefois, ne peut se faire
qu'à travers des contacts de "nature sexuelle". Puisqu'elle
consiste essentiellement à obtenir des confirmations sur soi
comme être sexuel, elle doit se faire en s'impliquant avec des
individus de l'autre sexe. Je ne pense pas, en effet, qu'il soit
possible pour quelqu'un de se posséder comme être sexué, s'il
ne s'est pas exposé comme tel avec des personnes signifiantes.
Mais il ne faut pas oublier que la conquête du droit d'être sexué
se fait en bonne partie à l'adolescence. On peut donc s'attendre
à ce que tout le monde arrive à l'âge adulte en ayant fait un
certain nombre d'acquisitions dans ce domaine.
Les gens qui renoncent à vivre cette dimension d'eux-mêmes
choisissent, du même coup, de renoncer à se posséder comme
personne sur le plan sexuel. Ils arrêtent le développement de
cette diemension d'eux-mêmes. Ce ne sont pas nécessairement
tous les religieux qui font ce choix et beaucoup de laïques,
même parmi ceux qui ont régulièrement des relations
sexuelles, ont fait le même choix. Il faut noter aussi qu'il ne
s'agit pas nécessairement d'un choix volontaire. Souvent, ce
renoncement est plutôt la conséquence de n'avoir pas voulu
prendre les risques nécessaires pour s'assumer.
La conquête du droit d'être sexué est une question assez
complexe. Nous n'avons encore aucun article de "La lettre du
Psy" qui en explique les nuances. Les personnes intéressées à y
réfléchir davantage peuvent toutefois consulter le chapitre 5
"La résolution du Transfert" dans "L'Auto- développement:
psychothérapie dans la vie quotidienne".
Question: L’amour à sens unique
Que faire avec quelqu’un que j’aime à la folie mais qui est très
froid et distant avec moi ? Je sais que je vais souffrir, mais j’ai
quand-même envie de rester avec lui. Même si j’ai l’impression
qu’il ne m’accorde aucune importance et qu’il invente toutes
sortes de prétextes pour m’éviter, je m’accroche comme une
folle et je suis prête à tout pour lui. Est-il possible qu’il soit
simplement timide ou qu’il ait des problèmes qui l’empêchent
de répondre à mon amour ? Je ne sais plus quoi faire.
Réponse
Il arrive souvent qu’on amorce une relation amoureuse sur des
bases aussi fragiles. Parfois, comme ici, c’est le comportement
de l’autre qui ne correspond absolument pas à ce qu’on
recherche. Dans d’autres cas, c’est nous-mêmes qui donnons
une fausse image de ce que nous sommes dans l’espoir de
plaire ou de séduire. Comment comprendre qu’une personne
soit prête à s’investir intensément alors que tous les indices lui
signalent que la relation n’a aucune chance réelle de survie ?
Ce n’est pas en examinant ou en interprétant le comportement
de l’autre qu’on peut trouver la réponse. C’est en examinant ce
que nous investissons dans la relation malgré les signes clairs
que nous donne la réalité. Il faut arriver à déceler quelles sont
les vertus magiques que nous accordons à la personne choisie
pour arriver à comprendre ce qui nous anime vraiment.
Si je choisis d’aimer “à la folie” quelqu’un qui m’ignore ou me
repousse, ce n’est pas sans raison. C’est parce que je trouve
“normal” qu’une telle personne ne me rende pas mon amour.
Ou bien je ne me considère pas vraiment digne de son amour,
ou bien je suis incapable d’accepter son rejet. Dans les deux
cas, je suis porté à persister malgré tous les signes qui me
disent que cette relation n’a aucun avenir, aucun potentiel réel
de satisfaction. Il n’est pas étonnant que ce chemin conduise
toujours à des frustrations intenses et des souffrances
prolongées.
Je ne suis pas digne de son amour
Si je ne me trouve pas vraiment digne de son amour, je serai
tenté de “m’améliorer pour être à la hauteur”. Je tente alors de
mettre en valeur des qualités que je n’ai pas vraiment, d’être
mieux que ce que je crois être à force d’efforts de volonté et
d’application. Dans ce cas, je suis particulièrement porté à
mettre en valeur des qualités qui correspondent aux attentes
que je devine chez l’autre. Peu importe si ces caractéristiques
ressemblent à ce que je suis réellement, peu importe si c’est
vraiment ce que l’autre attend d’un partenaire amoureux: ce
qui compte c’est d’être à la hauteur des attentes que j’imagine.
Peu importe le résultat de mes efforts, ce que j’obtiens ainsi, ce
n’est pas de l’amour. Si je réussis, je me retrouve emprisonné
dans un rôle qui ne correspond pas à ce que je suis vraiment. Si
j’échoue, je me retrouve dans le vide: loin de ma réalité et
confirmé dans mon impression d’être inadéquat. Dans les deux
cas, je me suis renié, j’ai perdu contact avec moi-même et j’ai
contribué à détruire le peu d’estime de moi qui me restait. Je
suis encore plus handicapé pour mes prochaines relations.
Je ne peux accepter son rejet
Dans la question telle qu’elle est posée ci-dessus, c’est plutôt le
rejet qu’on ne peut accepter. Le manque d’intérêt de l’être
“aimé” a beau être évident, il n’est pas considéré comme une
réalité. Pourtant, il est évident qu’on lui attribue une
importance énorme.
Une question peut nous aider grandement à voir plus clair dans
une telle situation: “pourquoi je tiens autant à être aimé par
cette personne en particulier”? D’autres versions peuvent aider
à identifier plus clairement les vraies réponses:
“Pourquoi je choisis d’aimer cette personne qui n’est pas
intéressée à moi plutôt que quelqu’un qui m’aimerait ?”
“Qu’est-ce que ça changerait à ce que je suis si cette personne
consentait à m’aimer?”
“Qu’est-ce que cette personne a de particulier pour que je m’y
attache aussi intensément ?”
“Est-ce que ce que je vis avec cette personne ressemble à
d’autres expériences de ma vie ?”.
Poser ces questions, c’est déjà y apporter des éléments de
réponse. C’est parce que cette personne représente quelqu’un
d’autre qui a un pouvoir considérable sur mon identité et ma
vie que j’y attache une telle importance. C’est à cause des
implications qu’aurait son rejet que je suis incapable d’accepter
la réalité.
C’est aussi parce que je ne veux pas me résigner à me passer
de cette validation fondamentale de ce que je suis que je
n’accepte pas le rejet évident. En fait, j’espère convaincre cette
personne de ma valeur afin d’acquérir, en la validant ainsi, une
valeur personnelle qui ne m’appartient pas encore. (Voir à ce
sujet “Le transfert dans les relations” et “Transfert et droit de
vivre”.)
L’essentiel de la solution
Dans chacune de ces situations, c’est d’abord sur un retour à
soi-même que repose la solution. Plutôt que de céder à la forte
tentation d’examiner le comportement de l’autre, c’est à cerner
nos vrais besoins que nous devrions investir nos premiers
efforts.
Mais cette identification n’est pas une tâche aussi facile qu’on
pourrait le croire. Il faut notamment distinguer nos besoins des
moyens auxquels nous avons pensé pour y répondre (voir
http://redpsy.com/infopsy/noeuds3-qr.html#autre). Il faut aussi
identifier notre vrai besoin alors qu’il se dissimule parfois
derrière une image familière et rassurante (nos habitudes) ou
adopte une forme socialement acceptable (conventionnelle) qui
ne le respecte pas vraiment. L’aide d’un psychothérapeute est
souvent nécessaire pour parvenir a faire clairement toutes les
distinctions nécessaires.
Lorsque les besoins sont bien identifiés, la situation change de
façon radicale. Le fait de savoir clairement ce que nous
recherchons nous donne automatiquement du pouvoir sur notre
satisfaction. En nous laissant le choix des moyens qui peuvent,
dans les circonstances où nous sommes, nous procurer les
satisfactions auxquelles nous aspirons, cette connaissance
multiplie nos capacités et nos occasions de répondre à nos
besoins réels.
L’autre personne devient alors un des moyens qui s’offrent à
nous. Et souvent, nous constatons alors que cette personne est
bien loin de constituer le meilleur moyen pour obtenir
satisfaction.
Dans la question telle qu’elle est résumée ci-haut, il est clair
que la personne choisie n’est pas un bon choix si on cherche
une réponse satisfaisante. Quelles que soient ses raisons, cette
personne ne se montre pas disponible. En identifiant bien
précisément ce qu’on cherche à satisfaire avec elle, il est
possible d’investir ses énergies dans des relations plus
prometteuses.