RÉSUMÉ

Lorsque John Tyree, un soldat desforces armées en permission, etSavannah Cur s, une étudianteidéaliste, se rencontrent sur uneplage, c’est le coup de foudre. Bienqu’appartenant à deux mondesdifférents, une passion absolue lesréunit pendant deux semaines. Johnrepart ensuite en mission et Savannahretourne à l’université, mais ilsprome ent de s’écrire et à traversleurs le res enflammées, leur amour

ne fait que grandir. Chaque jour plusinquiète pour la sécurité de son bien-aimé, Savannah s’interroge. Alors quedésirs et responsabilités s’opposenttoujours plus, le couple lu e pourmaintenir ses engagements. Quandune tragédie oblige John à rentrer, lesdeux jeunes gens se retrouvent face àleurs contradictions. John et Savannahvont découvrir si leur amour peutvraiment survivre à tout…

Traduction et mise en pagepar Issa.

PROLOGUELenoir, 2006

Qu’est-ce que cela signifie d’aimervraiment quelqu’un d’autre ?

Il fut un temps dans ma vie où j’aipensé que je connaissais la réponse :cela signifiait que je me souciais deSavannah plus profondément que jeme souciais de moi et que nouspasserions le reste de notre vieensemble. Elle m’a dit une fois que laclé du bonheur était des rêvesréalisables, et les siens n’étaient rienhors de l’ordinaire. Mariage, famille…

l’essen el. Cela signifiait que j’auraisun emploi stable, une maison avecune clôture blanche, et une mini-fourgonne e ou un VUS assez grandpour transporter nos enfants à l’écoleou chez le den ste, ou à la pra quede football ou aux récitals de piano.Deux ou trois enfants, elle n’a jamaisété claire à ce sujet, mais monintui on est que le moment venu, elleaurait suggéré que nous laissions lanature suivre son cours et que Dieuprendra la décision. Elle était commeça – très croyante – et je suppose quecela faisait par e de la raison pourlaquelle je suis tombé amoureuxd’elle. Mais peu importe ce qui se

passait dans nos vies, je pouvaism’imaginer couché à côté d’elle dansnotre lit à la fin de la journée, laserrant contre moi pendant que nousparlions et rions, perdus dans les brasde l’autre.

Cela ne semble pas ré par lescheveux, n’est-ce pas ? Lorsque deuxpersonnes s’aiment ? C’est ce que jepensais aussi. Et tandis qu’une par een moi veut toujours croire que c’estpossible, je sais que cela ne va pasarriver. Lorsque je par rai de nouveaud’ici, je ne reviendrai jamais.

Pour l’instant, cependant, je suis assissur le côté d’une colline donnant surson ranch et a ends qu’elle

apparaisse. Elle ne sera pas en mesurede me voir, bien sûr. Dans l’armée, onapprend à se fondre dans votreenvironnement, et je l’ai bien appris,parce que je n’avais pas envie demourir au milieu du désert irakien.Mais je devais revenir dans ce epe te ville montagneuse de laCaroline du Nord pour savoir ce quis’est passé. Quand une personne metune chose en mouvement, il y a unsen ment de malaise, presque deregret, jusqu’à ce que vous appreniezla vérité.

Mais je suis certain de ceci : Savannahne saura jamais que je suis iciaujourd’hui.

Une par e de moi a mal à la penséequ’elle soit si proche et pourtant siintouchable, mais son histoire et lamienne sont différentes maintenant.Ce n’était pas facile pour moid’accepter ce e vérité simple, parcequ’il fut un temps où nos histoiresétaient les mêmes, mais c’était il y asix ans et deux services militaires. Il ya des souvenirs de nous deux, biensûr, mais j’ai appris que les souvenirspeuvent avoir une présence physique,presque vivante, et en cela, Savannahet moi sommes différents maintenant.Si les siens dont des étoiles dans leciel nocturne, les miens sont desespaces vides et hantés. Et

contrairement à elle, j’ai été accablépar les ques ons que je me suisposées à moi-même mille fois depuisla dernière fois que nous é onsensemble. Pourquoi l’ai-je fait ? Et lereferais-je ?

C’était moi, vous voyez, qui a toutarrêté.

Sur les arbres autour de moi, lesfeuilles commencent à peine leur tourlent vers la couleur du feu,rougeoyant comme des coups d’oeildu soleil sur l’horizon. Les oiseaux ontcommencé leur ma née à chanter etl’air est parfumé avec l’odeur de pinet de la terre; différent de la saumureet du sel de ma ville natale. Soudain,

la porte d’entrée s’ouvre et c’est alorsque je la vois. Malgré la distance quinous sépare, je me retrouve à retenirmon souffle, comme elle entre dansl’aube. Elle s’é re avant de descendreles marches du porche et tourne latête de tous les côtés. Au-delà d’elle,le pâturage de chevaux miroitecomme un océan de verdure, et ilsfont leur chemin qui mène vers elle.Un cheval hennit un message desaluta on, imité par un autre, et mapremière pensée est que Savannahsemble trop pe te pour se déplaceraussi facilement entre eux. Mais elle atoujours été à l’aise avec les chevaux,et ils ont toujours été à l’aise avec

elle. Une demi-douzaine degourmands mangent l’herbe près dupiquet de clôture, et Midas, son Arabenoir, se dresse sur un côté. J’ai montéavec elle une fois, heureusement sansblessure, et comme je m’accrochaispour ma chère vie, je me souviensavoir pensé qu’elle avait l’air sidétendu en selle qu’elle aurait puregarder la télévision. Savannah prendun moment pour saluer Midas. Ellefro e son nez pendant qu’elle luichuchote quelque chose, elle tapoteses hanches, et quand elle sedétourne, ses oreilles se dressentcomme elle se dirige vers la grange.

Elle disparaît, surgit alors à nouveau,

portant deux seaux d’avoine, jepense. Elle accroche les seaux surdeux piquets de clôture, et quelqueschevaux tro ent vers eux. Quand ellerecule pour laisser la place, je voisflo er ses cheveux dans la brise avantqu’elle ne récupère une selle et unebride. Alors que Midas mange, elle leprépare pour une promenade, etquelques minutes plus tard, elle leconduit au pâturage, vers les sen ersde la forêt, agissant exactementcomme elle l’a fait il y a six ans. Je saisque ce n’est pas vrai – je l’ai vue deprès l’an dernier et remarqué lespremières fines rides commençant àse former autour de ses yeux –, mais

le prisme à travers lequel je l’ai vuereste pour moi immuable. Pour moi,elle aura toujours vingt et un ans etmoi vingt-trois ans. J’avais été basé enAllemagne; je n’étais pas encore allé àFallujah ou Bagdag, avant de recevoirsa le re, que j’ai lue dans la gare detrain à Samawah dans les semainesavant la campagne; je n’étais encorerentré à la maison malgré lesévénements qui ont changé le coursde ma vie.

Maintenant à vingt-neuf ans, je meques onne parfois sur les choix quej’ai faits. L’armée est devenue la seulevie que je connais. Je ne sais pas si jedois être heureux ou furieux à ce

sujet; la plupart du temps, je metrouve à aller dans les deux sens, enfonction de la journée. Quand les gensle demandent, je leur dis que je suisun fantassin et je le pense. Je vistoujours sur la base en Allemagne, j’aipeut-être mille dollars dans meséconomies, et je n’ai pas eu derencard au cours des dernièresannées. Je ne surfe plus beaucoup,mais pendant mes jours depermission, je monte ma Harley et jevais au nord ou au sud, selon monhumeur. Ma Harley était la meilleurechose que j’ai jamais achetée pourmoi, quoiqu’elle m’a coûté unefortune là-bas. Elle me convient

depuis que je suis devenu un solitaire.La plupart de mes copains ont qui éle service, mais je serai sans douterenvoyé en Irak au cours desprochains mois. Du moins, ce sont lesrumeurs qui circulent sur la base.Quand j’ai rencontré Savannah LynnCur s – pour moi, elle sera toujoursma Savannah Lynn Cur s – je n’auraispu prévoir que ma vie aurait pris ce evoie et que je ferais de l’armée macarrière.

Mais je ne vais pas la rencontrer; c’estla seule chose qui rend ma vieactuelle si étrange. J’étais amoureuxd’elle quand nous é ons ensemble,puis plus profondément amoureux

d’elle pendant les années où nousé ons séparés. Notre histoire a troispar es : un début, un milieu et unefin. Et bien que ce soit la façon donttoutes les histoires se déroulent, je nepeux toujours pas croire que la nôtren’a pas duré éternellement.

Je réfléchis à ces choses et commetoujours, notre temps ensemble merevient. Je me trouve à me souvenircomment il a commencé, pourl’instant où ces souvenirs sont tout ceque j’ai laissé.

PARTIE I

CHAPITRE UNWilmington, 2000

Mon nom est John Tyree. Je suis né en1977 et j’ai grandi à Wilmington, enCaroline du Nord, une ville qui sevante fièrement d’avoir le plus grandport de l’État avec une histoire longueet vivante, mais ce qui me frappe leplus maintenant, c’est que ce e villeest née par accident. Bien sûr, letemps était superbe et les plagesparfaites, mais elle n’était pas prêtepour la vague de retraités Yankee dunord qui voulaient un endroit pas

cher pour passer leurs années dorées.La ville est située sur une pointe deterre rela vement mince bordée parla rivière Cape Fear d’un côté etl’océan de l’autre. L’autoroute 17 –qui mène à Myrtle Beach etCharleston – coupe en deux la ville etsert de route principale. Quand j’étaisgosse, mon père et moi pouvionsnous rendre au quar er historiqueprès de la rivière Cape Fear àWrightsville Beach en dix minutes,mais depuis que des feux decircula on et des centrescommerciaux ont été ajoutés, celapeut prendre maintenant une heure,en par culier les week-ends quand les

touristes arrivent. Wrightsville Beach,située sur une île au large de la côte,est à l’extrémité nord-est deWilmington et non loin d’une desplages les plus populaires dans l’État.Les maisons le long des dunes sontridiculement chères, et la plupartd’entre elles sont louées pendant toutl’été. Ces maisons en location peuventêtre un appel roman que en raisonde leur isolement et des chevauxsauvages, ou du célèbre vol d’Orvillee t Wilbur sur leur appareil bap séFlyer, mais laissez-moi vous dire quela plupart des gens qui vont à la plagependant les vacances se sentent plusà l’aise quand ils peuvent trouver un

McDonald ou un Burger King àproximité, dans le cas où les pe ts nesont pas trop friands de la cuisinelocale et que vous voulez plus quedeux ou trois choix quand il s’agit desactivités en soirée.

Comme toutes les villes, Wilmington ases quar ers riches et pauvres, etpuisque mon père avait un emploirégulier – il s’occupait d’un i nérairepour la livraison du courrier pour lebureau de poste – nous avons bienvécu. Pas génial, mais correct. Nousn’é ons pas riches, mais nous avonsvécu assez proche de la zone richepour que je puisse suivre mes cours àl’un des meilleurs lycées de la ville.

Contrairement aux maisons de mesamis, cependant, la nôtre était vieilleet pe te; une par e du porche avaitcommencé à s’affaisser, mais la courétait grande. Il y avait un grand chênedans la cour et quand j’avais huit ans,j’ai construit une cabane dans lesarbres avec des bouts de bois que j’airamassés dans un chan er deconstruc on. Mon père ne m’a pasaidé avec ce projet (s’il frappait unclou avec le marteau, cela pourraitêtre honnêtement appelé unaccident); c’était la même chosequand j’ai appris à surfer. Je supposeque j’aurais dû réaliser combienj’étais différent de mon père, mais

cela montre juste le peu deconnaissance qu’on a sur la vielorsqu’on est un enfant.

Mon père et moi é ons aussidifférents que deux personnespourraient l’être. Où il était passif etintrospec f, j’étais toujours enmouvement et détestais être seul;tandis qu’il plaçait en haute es mel’éduca on, l’école fut pour moicomme un club social avec les sportsajoutés. Il avait une faible posture ettendance à se traîner les pieds quandil marchait; je rebondissais d’ici à là,lui demandant toujours combien celam’avait pris de temps pour courir d’unbout à l’autre de la rue. J’étais plus

grand que lui quand j’étais enhui ème année et pouvait le ba reau bras de fer un an plus tard. Noscaractéris ques physiques étaientcomplètement différentes, aussi. Alorsqu’il avait les cheveux couleur sable,des yeux noise e et des taches derousseur, j’avais les cheveux et desyeux bruns, et ma peau olive arboraitun intense bronzage en mai. Nosdifférences frappaient certains de nosvoisins tout aussi bizarres, ce qui faitun sens, je suppose, considérant lefait qu’il m’avait élevé seul. Envieillissant, j’entendais parfoischuchoter sur le fait que ma mères’était enfuie quand j’avais moins

d’un an. Bien que j’ai soupçonné plustard que ma mère avait rencontréquelqu’un d’autre, mon père ne m’ajamais confirmé ce e hypothèse. Toutce qu’il m’a dit était qu’elle avaitcompris qu’elle avait fait une erreuren se mariant si jeune et qu’ellen’était pas prête à être mère. Il n’avaitni dénigrement ni éloge pour elle,mais il faisait en sorte que je l’incluaisdans mes prières, peu importe où elleétait ou ce qu’elle avait fait. « Tu vaste souvenir d’elle » me disait-ilparfois. À ce jour, je n’ai jamaisprononcé un seul mot sur elle, et jen’ai aucun désir de le faire.

Je pense que mon père était heureux.

Je l’exprime comme ça parce qu’ilmontrait rarement des émo ons. Lesétreintes et les baisers étaient unerareté pour moi en grandissant etquand ça arrivait, ça me semblaitsouvent comme sans vie, quelquechose qu’il faisait parce qu’il sentaitqu’il le devait, non pas parce qu’il levoulait. Je sais qu’il m’aimait par lafaçon dont il se consacrait à messoins, mais il avait quarante-trois ansquand il m’a eu, et une par e de moipense que mon père aurait étémeilleur en étant un moine au lieud’un parent. Il était l’homme le plussilencieux que j’ai jamais connu. Ilposait peu de ques ons sur ce qui se

passait dans ma vie, et tandis qu’il seme ait rarement en colère, ilplaisantait rarement, aussi. Il vivaitpour la rou ne. Il me préparait desoeufs brouillés, des toasts et dubacon chaque ma n et m’écoutaitquand je lui parlais de l’école pendantle dîner qu’il avait également préparé.Il prévoyait les visites chez le den stedeux mois à l’avance, payait sesfactures le samedi ma n, faisait lalessive le dimanche après-midi etqui ait la maison chaque ma nexactement à 7 h 35. Il était asocial etmaladroit, et passait de longuesheures seul chaque jour en laissanttomber des paquets et des liasses de

courrier dans les boîtes aux le res lelong de son i néraire. Il ne sortaitpas, ne passait pas non plus ses nuitsle week-end à jouer au poker avec sescopains; le téléphone pouvait restersilencieux pendant des semaines.Quand il sonnait, c’était soit unmauvais numéro ou du télémarke ng.Je sais combien cela a dû être dur dem’élever tout seul, mais il ne seplaignait jamais, même quand je ledécevais.

Je passais la plupart de mes soiréesseul. Après les devoirs terminés, monpère partait sans son repaire pourêtre avec ses pièces de monnaie. Cefut sa grande passion dans la vie. Il

passait la plupart de son temps assisdans son repaire, étudiant un bulle nde marchand de monnaie surnomméle Greysheet et à essayer de trouver laprochaine pièce suivante qu’il devraitajouter à sa collec on. En réalité,c’était mon grand-père qui acommencé la collec on de pièces demonnaie. Le héros de mon grand-pèreétait un homme nommé LouisEliasberg, un financier de Bal morequi est la seule personne à avoir réunila collec on complète de pièces demonnaie des États-Unis, incluanttoutes les dates et les marques defabrica on. Sa collec on rivalisait, sielle ne la dépassait pas, la collec on

Smithonian, et après la mort de magrand-mère en 1951, mon grand-pèreest devenu obsédé par l’idée deconstruire une collec on avec son fils.

Pendant les étés, mon grand-père etmon père voyageaient en train àl’assaut des diverses collec ons depièces de monnaie de première mainou visitaient les différentesexposi ons de pièces de monnaiedans le Sud-est. Avec le temps, mongrand-père et mon père ont établi desrela ons avec des négociateurs depièces de monnaie à travers le pays,et mon grand-père a dépensé unefortune en négocia ons au cours desannées pour améliorer sa collec on.

Contrairement à Louis Eliasberg,cependant, mon grand-père n’étaitpas riche – il possédait un magasingénéral à Burgaw qui a fait faillitelorsque le Piggly Wiggly a ouvert sesportes en ville – et n’a jamais eu lachance d’égaler la collec ond’Eliasberg. Cependant, chaque dollarsupplémentaire qui entrait allait auxpièces de monnaie. Mon grand-pèreportait la même veste depuis trenteans, conduisait la même voiture toutesa vie et je suis assez sûr que monpère est allé travailler pour le servicepostal au lieu d’aller à l’universitéparce qu’il n’avait pas un sou pourpayer quoi que ce soit au-delà des

études secondaires. Il était un êtreétrange, c’est certain, mais c’étaitmon père. Tel père, tel fils, comme ledit le vieil adage. Lorsque le vieilhomme est finalement décédé, il aprécisé que sa maison soit vendue etl’argent récolté devait servir à acheterencore plus de pièces de monnaie, ceque mon père aurait probablementfait de toute façon.

Au moment où mon père a hérité dela collec on, elle avait déjà beaucoupde valeur. Lorsque l’infla on aexplosé et que l’or se vendait à 850 $l’once, elle valait une pe te fortune,plus que suffisant pour que monéconome de père puisse prendre sa

retraite à plusieurs reprises,puisqu’elle vaudrait moins d’un quartun siècle plus tard. Mais ni mongrand-père, ni mon père n’avaient étédans la collec on pour l’argent; ilsétaient dans cela pour la passion de lachasse et le lien que cela a créé entreeux. Il y avait quelque chosed’excitant de rechercher longtemps etdurement une pièce de monnaiespécifique, pour finalement l’obteniret négocier un bon prix. Parfois, unepièce de monnaie était abordable,d’autres fois, elle ne l’était pas, maischaque pièce qu’ils ont ajoutée étaitun trésor. Mon père espérait partagerla même passion avec moi, y compris

le sacrifice que cela exigeait. Mais engrandissant, j’ai dû dormir avec descouvertures supplémentaires en hiveret j’avais qu’une seule paire dechaussures par année; il n’y avaitjamais d’argent pour mes vêtements,à moins qu’ils venaient de l’Armée duSalut. Mon père ne possédait mêmepas un appareil photo. La seule photojamais prise de nous était à un salonde pièces de monnaie à Atlanta. Unnégociateur nous a photographiéscomme nous é ons debout devant satable et nous l’a envoyée. Pendantdes années, elle était perchée sur lebureau de mon père. Sur la photo,mon père avait son bras autour de

mon épaule, et nous é ons tous lesdeux rayonnants. Dans ma main, jetenais la pièce 1926-D du buffle, unepièce de monnaie que mon pèrevenait d’acheter. Elle était parmi lespièces du buffle les plus rares et nousavons fini par manger des hot-dogs etdes haricots pendant un mois,puisqu’elle avait coûté plus cher qu’ilne l’avait prévu.

Mais pendant un certain temps, je nem’en faisais pas avec ces sacrifices, detoute façon. Quand mon père acommencé à me parler de pièces demonnaie – je devais être en premièreou deuxième année à l’époque – il meparlait comme un égal. Qu’un adulte,

en par culier votre père, vous traitecomme un égal est une chose grisantepour n’importe quel jeune enfant, etje baignais dans l’a en on,absorbant l’informa on. À cemoment-là, je pouvais vous direcombien valait un Albatros Saint-Gaudens fabriqué en 1927 encomparaison de celle de 1924 etpourquoi un dixième d’un Barber de1895 de la Nouvelle-Orléans avait dixfois plus de valeur que ce e mêmepièce de monnaie fabriquée la mêmeannée à Philadelphie. Je le peuxtoujours, en passant.

Pourtant, contrairement à mon père,j’ai commencé à me distancer de ce e

passion pour la collec on demonnaies. C’était tout ce que monpère semblait être en mesure deparler, et après six ou sept ans deweek-ends passés avec lui au lieu demes amis, je voulais sor r. Comme laplupart des garçons, j’ai commencé àme soucier d’autres choses : le sportet les filles, les voitures et la musique,principalement vers l’âge de quatorzeans où je passais peu de temps à lamaison. Mon ressen ment acommencé à croître. Peu à peu, j’aicommencé à remarquer desdifférences dans la façon que nousvivions quand je me comparais à laplupart de mes amis. Alors qu’ils

avaient de l’argent à dépenser pouraller au cinéma ou acheter uneélégante paire de lune es de soleil, jeme retrouvais à chaparder dans lescraques du canapé de l’argent pourm’acheter un hamburger chezMcDonald. Tandis que plusieurs demes amis recevaient une voiture àleur seizième anniversaire denaissance, mon père m’a donné undollar Morgan 1883 en argent quiavait été fabriqué à Carson City. Lesdéchirures sur notre canapé usé ontété couvertes par une couverture etnous é ons la seule famille que jeconnaissais qui n’avait pas detélévision câblée ou un four à micro-

ondes. Lorsque notre réfrigérateur esttombé en panne, il a en acheté und’occasion qui avait le plus terribleton de vert au monde, une couleurqui ne correspondait à rien d’autredans la cuisine. J’étais gêné à l’idéeque mes amis voient cela et j’en aiblâmé mon père. Je sais que c’étaitune façon assez merdique de se sen rmisérable – si le manque d’argent medérangeait tant que cela, j’aurais putondre les pelouses ou occuper diverspe ts boulots –, mais c’est ainsi queça s’est passé. J’étais aussi aveuglequ’un escargot et muet comme unchameau, mais même si je vous disque je regre e mon immaturité

aujourd’hui, je ne peux pas changer lepassé.

Mon père a sen que quelque chosechangeait, mais il était embarrasséquant à ce qu’il nous arrivait. Il aessayé, mais de la seule façon qu’ilsavait comment, la seule façon queson père savait. Il parlait de pièces demonnaie – c’était le seul sujet qu’ilpouvait discuter avec facilité – et acon nué de préparer mes pe ts-déjeuners et dîners; mais notreéloignement empirait au fil du temps.En même temps, je traînais avec desamis que je connaissais depuistoujours. Ils faisaient irrup on dansdes cliques, en s’appuyant

principalement sur les films qu’ilsallaient voir ou les dernières chemisesqu’ils s’achetaient au magasin, et jeme suis trouvé à être à part d’eux.Baisez-les, pensai-je. Au lycée, il y atoujours un endroit pour tout lemonde, et j’ai commencé à fréquenterle mauvais groupe, le groupe qui sefoutait de tout, qui m’a laissé tombercomme un moins que rien. J’aicommencé à sécher les cours etfumer, et j’ai été suspendu pourm’être battu à trois reprises.

J’ai abandonné le sport, aussi. Jejouais au football et au basketball etj’ai dirigé les équipes jusqu’à ce que jesois étudiant en deuxième année et

bien que parfois mon père demandaitcomment ça allait quand je rentrais àla maison, il semblait inconfortablequand j’entrais dans les détailspuisqu’il était évident qu’il ne savaitpas grand-chose au sujet des sports. Iln’avait jamais pris pour une équipe desa vie. Il est venu me voir jouer aubasketball une fois pendant maseconde année. Il était assis dans lesgradins, un gars bizarre avec unecalvi e naissance portant une vestede sport et des chausse es qui necorrespondaient pas. Bien qu’il n’étaitpas obèse, ses pantalons pincés à lataille faisaient de lui comme s’il étaitenceinte de trois mois, et je savais

que je ne voulais rien à voir avec lui.J’étais gêné par la vision de lui etaprès le match, je l’ai évité. Je ne suispas fier de moi pour cela, mais c’estainsi que j’étais.

Les choses ont empiré. Pendant madernière année, ma rébellion a a eintun point culminant. Mes notes ontbaissé en deux ans, en plus de laparesse et du manque d’intelligence(j’aime à penser), et plus d’une fois,mon père m’a surpris à rentrer tarddans la nuit avec une haleine sentantl’alcool. J’ai été escorté à la maisonpar la police après avoir été trouvé

lors d’une fête où les drogues et laboisson étaient évidentes, et quandmon père m’a cloué au sol, je suispar habiter chez un ami pendantquelques semaines complètementenragé contre lui pour s’être mêlé demes affaires. Il n’a rien dit à monretour; au lieu de cela, des oeufsbrouillés, des toasts et du baconétaient sur la table commed’habitude. J’ai passé avec peine mescours et je soupçonne que l’école m’alaissé obtenir un diplôme simplementparce qu’il voulait me sor r de là. Jesais que mon père était inquiet etparfois, de sa propre manière mide,il abordait le sujet de l’université,

mais à ce moment-là, j’avais décidé dene pas y aller. Je voulais un travail, jevoulais une voiture, je voulais ceschoses matérielles sans lesquellesj’avais vécu depuis dix-huit ans.

Je ne lui ai rien dit de tout celajusqu’à l’été après la récep on dudiplôme, mais quand il s’est renducompte que je n’avais pas appliqué àune université, il s’est enfermé dansson repaire pour le reste de la nuit etne m’a rien dit en mangeant nosoeufs et bacon le lendemain suivant.Plus tard pendant ce soir-là, il aessayé de m’engager dans une autrediscussion sur les pièces de monnaie,comme s’il appréhendait qu’il y avait

quelque chose de perdu entre nous.

– Te souviens-tu quand nous sommesallés à Atlanta et que tu as été celuiqui a trouvé ce e pièce tête de buffleque nous recherchions depuis desannées ? a-t-il commencé. Celle avecqui nous avons été photographiésensemble ? Je n’oublierai jamaiscombien tu étais excité. Cela m’arappelé moi et mon père.

J’ai secoué la tête, toute la frustra onde vivre avec mon père refaisantsurface.

– Je suis malade et fa gué det’entendre parler de pièces demonnaie ! lui ai-je crié. Je ne veux

plus jamais entendre parler d’elles ànouveau ! Tu devrais vendre ce emaudite collec on et faire autrechose. N’importe quoi d’autre.

Mon père n’a rien dit, mais à ce jour,je n’oublierai jamais son expressiondouloureuse quand il s’est enfinretourné et marcher en traînant lespieds vers son repaire. Je l’avaisblessé et même si je me disais que jene l’avais pas voulu, je savais que jementais à moi-même. Par la suite,mon père m’a rarement abordé ausujet des pièces de monnaie. Ni moi.Cela a laissé un trou béant entrenous, nous laissant avec rien d’autre ànous dire. Quelques jours plus tard, je

me suis rendu compte que la seulephotographie de nous deux avaitdisparu, comme s’il croyait que mêmele simple pe t rappel des pièces demonnaie m’offenserait. À l’époque,cela aurait probablement été le cas, etmême si je suppose que ça l’auraitété, le réaliser ne m’a pas du toutdérangé.

En grandissant, je n’avais jamaisenvisagé d’entrer dans l’armée.Malgré le fait que l’est de la Carolinedu Nord est l’une des zones les plusmilitairement denses du pays – il y asept bases en quelques heures deroute de Wilmington – j’avaisl’habitude de penser que la vie

militaire était pour les perdants. Quivoulait passer sa vie à recevoir desordres par une bande de laquais encheveux en brosse ? Pas moi, et à partdes types du ROTC, pas beaucoup depersonnes de mon école non plus. Aulieu de cela, la plupart des jeunes quiavaient été de bons étudiants sontallés à l’Université de la Caroline duNord ou hors de l’État de la Carolinedu Nord, tandis que ceux quin’avaient pas été de bons étudiantssont restés derrière à glander d’untravail nul à l’autre, buvant de la bièreet flânant en évitant à peu près toutce qui pourrait exiger un minimum deresponsabilité.

Je tombais dans la dernière catégorie.Quelques années après l’obten on demon diplôme, je suis passé à traversune succession d’emplois, travaillantcomme aide-serveur au OutbackSteakhouse, déchirant des talons debillets au cinéma local, charger etdécharger des boîtes au Staples,faisant cuire des pancakes au WaffleHouse et travailler comme guidetouris que pour trouver deux ou troisendroits qui vendaient de la merdeaux touristes en ville.

Je dépensais chaque cen me que jegagnais, n’ayant aucun intérêt àmonter les échelons dans l’entrepriseet je finissais par me faire virer de

tous les emplois que j’ai eus. Pendantun certain temps, je ne m’enpréoccupais pas. Je vivais ma vie. Jesurfais jusque tard dans la nuit etdormais une par e de la journée, etpuisque je vivais toujours à la maison,aucun de mes revenus n’a éténécessaire pour des choses comme leloyer, la nourriture, les assurances oume préparer un avenir. Par ailleurs,aucun de mes amis ne faisait mieuxque moi. Je ne me souviens pasd’avoir été par culièrementmalheureux, mais après quelquetemps, je suis juste devenu fa gué dema vie. Pas la partie du surf – en 1996,les ouragans Bertha et Fran ont

frappé la côte et ont offert certainesdes meilleures vagues depuis desannées – et j’allais traîner au barLeroy par la suite. J’ai commencé àréaliser que chaque nuit était lamême. Je buvais des bières et tombaitsur quelqu’un que j’avais connu àl’école, et ils me demandaient ce queje faisais et je leur répondais, et ils meracontaient ce qu’ils faisaient et ça neprenait pas un génie pourcomprendre que nous é ons tous lesdeux sur un chemin menant vers nullepart. Même s’ils avaient unappartement, que je n’avais pas, je neles ai jamais crus quand ils medisaient qu’ils aimaient leur travail

comme excavateurs de fossés, laveursde vitres ou camionneurs, parce queje savais qu’ils n’occupaient pas letravail de leurs rêves. Je pouvais avoirété paresseux en classe, mais jen’étais pas stupide.

Je suis sor avec des dizaines defemmes pendant ce e période. ChezLeroy, il y avait toujours des femmes.La plupart étaient des rela ons sanslendemain. J’u lisais les femmes et jeleur perme ais d’être utilisé et j’aitoujours gardé mes sen ments pourmoi. Il y a seulement une rela onavec une fille nommée Lucy qui a duréplus de quelques mois et même si celan’a pas pris longtemps pour que nous

nous éloignions inévitablement l’unde l’autre, je pensais que j’étaisamoureux d’elle. Elle était étudiante àla UNC de Wilmington, avait un an deplus que moi et voulait aller travaillerà New York après l’obten on de sondiplôme.

– Je me soucie de toi, me dit-elleaprès notre dernière nuit ensemble.Mais toi et moi voulons des chosesdifférentes. Tu pourrais fairetellement plus avec ta vie, mais pourune raison quelconque, tu tecontentes de simplement flo er dansl’air.

Elle avait hésité avant de continuer.

– Mais plus que cela, je ne sais jamaisce que tu penses réellement de moi.

Je savais qu’elle avait raison. Peu detemps après, elle est par e enprenant l’avion sans se donner lapeine de me dire au revoir. Un an plustard, après avoir obtenu son numérode téléphone de ses parents, je l’aiappelée et nous avons parlé pendantvingt minutes. Elle s’était fiancée à unavocat qu’elle épouser en juin.

Cet appel téléphonique m’a affectéplus que je ne le pensais. Puis il estvenu le jour où j’ai été à nouveauvirer et je suis allé me consoler chezLeroy, comme toujours. Les mêmesperdants étaient là, et j’ai soudain

réalisé que je n’avais pas envie degaspiller une autre soirée enprétendant que tout dans ma vieallait bien. Au lieu de cela, j’ai achetéun pack de six bières et suis allém’asseoir sur la plage. C’était lapremière fois depuis plusieurs annéesque j’ai réellement pensé à ce que jefaisais avec ma vie et je medemandais si je devais prendre lesconseils de mon père et obtenir undiplôme à l’université. J’étais sor del’école depuis si longtemps,cependant, que l’idée me semblaitétrangère et ridicule. Appelez cela lachance ou la malchance, mais deuxmarines sont passés devant moi en

joggant. Jeunes et en forme, ilsrayonnait de confiance. S’ils peuventle faire, me suis-je dit, je peux le faireaussi.

J’ai réfléchi à cela pendant deux outrois jours, mais à la fin, mon père aeu quelque chose à voir avec madécision. Pas que je lui ai parlé de cela– bien sûr, nous ne nous parlions plusà ce moment-là. Je marchais vers lacuisine un soir et je l’ai vu assis à sonbureau, comme toujours. Mais ce efois, je l’ai réellement étudié. Sescheveux étaient pra quementdisparus, et le peu qu’il restait étaitdevenu presque blanc. Il s’approchaitde la retraite et j’ai été frappé par

l’idée que je n’avais pas le droit decon nuer à le laisser tomber aprèstout ce qu’il a fait pour moi.

J’ai donc rejoint l’armée. Ma premièrepensée fut que je rejoindrais lesMarines, car ils étaient ceux dontj’étais le plus familier. La plage deWrightsville était toujours remplie desoldats du Camp Lejeune ou duCherry Point, mais le moment venu,j’ai choisi l’armée. J’ai pensé qu’onallait me reme re un fusil de toutefaçon, mais ce qui a réellement conclul’affaire, c’est que le recruteur desMarines déjeunait quand je suis arrivéet n’était pas immédiatementdisponible, tandis que le recruteur de

l’armée – dont le bureau était justeen face de la rue, l’était. En fin decompte, la décision s’est révélée plusspontanée que prévu, mais j’ai signésur la ligne poin llée pour unengagement de quatre ans et lorsquele recruteur a tapé mon dos et m’afélicité quand je sortais par la porte,je me suis demandé dans quoi jem’étais embarqué. C’était à la fin de1997 et j’avais vingt ans.

Le Boot camp à Fort Benning étaittout aussi misérable que je pensaisqu’il le serait. Le tout semblait des néà nous humilier et nous faire unlavage de cerveau afin de suivre lesordres sans avoir de doutes ni

rouspéter, mais je me suis adapté plusrapidement que beaucoup de gars.Une fois que j’ai passé à travers, j’aichoisi l’infanterie. Nous avons passéles mois suivants en faisant beaucoupde simula ons dans des endroitscomme la Louisiane ou le bon vieuxFort Bragg, où nous avons appris lesmeilleures façons de tuer des gens etbriser des trucs; et après un certaintemps, mon unité, dans le cadre de laPremière Division de l’Infanterie –alias le Big Red One – a été envoyéeen Allemagne. Je ne parlais pas unmot d’allemand, mais cela n’avait pasd’importance, puisque tous ceux avecqui je devais travailler parlaient

l’anglais. C ’était facile au début, puisla vraie vie dans l’armée a commencé.J’ai passé sept mois dans les Balkans –d’abord en Macédonie en 1999, puisau Kosovo, où je suis resté jusqu’à lafin du printemps 2000. La vie dansl’armée de payait pas beaucoup, maisconsidérant qu’il n’y avait aucunloyer, aucune dépense alimentaire etrien pour dépenser mon salaire quandje l’avais, j’avais de l’argent à labanque pour la première fois. Pasbeaucoup, mais assez.

J’ai passé ma première permission à lamaison à m’ennuyer complètement.Ma deuxième permission fut passée àLas Vegas. Un de mes copains y avait

grandi, et trois d’entre nous sommesallés chez ses parents. J’ai dépensé àpeu près tout ce que j’avaiséconomisé. À ma troisièmepermission, après mon retour duKosovo, j’avais désespérément besoind’une pause et j’ai décidé de rentrer àla maison en espérant que l’ennuipendant ma visite suffirait à calmermon esprit. En raison de la distance,mon père et moi nous sommesrarement parlés au téléphone, mais ilm’écrivait des le res qui ont toujoursété postées le premier de chaquemois. Elles ne ressemblaient pas àcelles que mes copains recevaient deleurs mères, leurs soeurs ou leurs

épouses. Rien de trop personnel, riend’ambigu, et jamais un mot quisuggérait que je lui manquais. Il nemen onnait jamais les pièces demonnaie. Au lieu de cela, il écrivait ausujet des changements dans lequar er et beaucoup de choses sur letemps; quand je lui ai écrit que j’avaispar cipé à un échange de coups defeu assez violents lorsque j’étais dansles Balkans, il m’a écrit de nouveaupour me dire qu’il était heureux quej’aie survécu, mais sans plus. Je savaispar la manière qu’il formulait saréponse qu’il ne voulait pas entendreparler des choses dangereuses que jefaisais. Le fait que j’étais en danger lui

faisait peur, alors j’ai commencé àome re les choses effrayantes. Aulieu de cela, je lui envoyais des le ressur la façon dont les services de gardeétaient sans doute le travail le plusennuyeux jamais inventé et que laseule chose excitante qu’il m’arrivaitdans ces semaines-là était d’essayerde deviner combien de cigare esl’autre garde allait fumer en une seulesoirée. Mon père terminait chaquele re avec la promesse qu’il écriraitde nouveau bientôt et qu’il ne melaissera jamais tomber. Il était, je l’aidepuis compris, un homme bienmeilleur que je ne le serai jamais.

Mais j’ai grandi au cours des trois

dernières années. Oui, je sais, c’estcomme le cliché qui dit qu’on passede garçon à un homme. Mais tout lemonde dans l’armée est forcé degrandir, en par culier si vous êtesdans l’infanterie comme moi. On vousconfie de l’équipement qui coûte unefortune, d’autres placent leurconfiance en vous et si vous échouez,la peine est beaucoup plus grave qued’être envoyé au lit sans dîner. Biensûr, il y a beaucoup de paperasse etd’ennui, et tout le monde fume et nepeuvent finir une phrase sans sacrer,ont des boîtes de magazines osés sousle lit et vous devez répondre aux garsdu ROCT fraîchement sor s de

l’université qui pensent que desfantassins comme moi ont desquo ents intellectuels des hommesdu Néandertal; mais vous êtes obligésd’apprendre la leçon la plusimportante dans la vie, et c’est le faitque vous devez être à la hauteur devos responsabilités, et vous feriezmieux de bien faire les choses.Lorsqu’on vous donne un ordre, vousne pouvez pas dire non. Ce n’estaucunement exagéré de dire que nosvies sont en suspens. Une mauvaisedécision et votre ami pourrait mourir.C’est ce fait rend le travail d’arméespécial. C ’est la grosse erreur quebeaucoup de gens quand ils se

demandent comment les militairespeuvent me re leurs vies en suspensjour après jour ou comment ilspeuvent se ba re pour quelque chosepour lesquelles ils ne croit pas. Maispas tout le monde. J’ai travaillé avecdes soldats de tous les côtés del’échiquier poli que; j’en ai rencontrécertains qui détestaient l’armée etd’autres qui voulaient en faire unecarrière. J’ai rencontré des génies etdes idiots, mais quand tout est dit etfait, nous faisons ce que nous faisonsles uns pour les autres. Pour l’ami é.Pas pour le pays, pas pour lepatrio sme, non pas parce que noussommes programmés comme des

machines à tuer, mais à cause du garsà côté de vous. Vous vous ba ez pourvotre ami, pour le garder en vie et ilse bat pour vous, et tout ce quiconcerne l’armée est construit sur cesimple principe.

Mais comme je l’ai dit, j’avais changé.Je suis entré dans l’armée en étantfumeur et j’ai presque craché mespoumons lors du campd’entraînement, mais contrairementaux autres dans mon unité, j’ai cesséde fumer et je n’ai pas retouché à celaen plus de deux ans. Je modérais maconsomma on d’alcool au pointqu’une ou deux bières par semaineétait suffisant, et je pouvais passer un

m o i s sans en boire aucune. Mondossier était impeccable. J’avais étépromu de soldat à caporal, puis, sixmois plus tard, au grade de sergent, etj’ai appris que j’avais une ap tude àdiriger. J’ai dirigé les hommes dansdes échanges de coups de feu et monéquipe a été impliquée dans lacapture de l’un des criminels deguerre les plus notoires dans lesBalkans. Mon commandant m’arecommandé pour l’école desaspirants-officiers et je déba ais sioui ou non j’allais devenir un officier,ce qui signifiait du travail de bureauet encore plus de paperasserie, et jen’étais pas sûr de le vouloir. Mis à

part le surf, que je n’avais pas exercédepuis mon entrée dans l’armée.Quand j’ai eu ma troisièmepermission, j’avais pris une vingtainede kilos de muscles et éliminé lagraisse superflue de mon ventre. Jepassais la plupart de mon temps àcourir, boxer et faire de l’haltérophilieavec Tony, un lu eur de New York quicriait toujours quand il parlait, juraitque la tequila était un aphrodisiaqueet que j’étais de loin son meilleur amidans l’unité. Il m’a parlé de me fairefaire des tatouages sur les deux brascomme lui et chaque jour qui passait,le souvenir de qui j’avais été une foisétait de plus en plus lointain.

Je lis beaucoup, aussi. Dans l’armée,vous avez beaucoup de temps pourlire, et les gens s’échangent des livresou vous les empruntez à labibliothèque jusqu’à ce que lescouvertures soient presque effacées.Je ne veux pas vous donnerl’impression que je suis devenu unintello, car je ne le suis pas. Je n’étaispas dans Chaucer, Proust, Dostoïevskiou n’importe quel autre de ces autresgars-là qui sont morts; je lisprincipalement des thrillers, des livresde Stephen King, et j’ai pris goût àC a r l Hiaasen parce que ses motscoulaient facilement et il m’a toujoursfait rire. Je ne pouvais pas

m’empêcher de penser que si lesécoles avaient a ribué ces livres enclasse d’anglais, nous aurionsbeaucoup plus de lecteurs dans lemonde.

Contrairement à mes copains, jerépugnais à toute perspec ve decompagnie féminine. Cela semblebizarre, n’est-ce pas ? Avec la force del’âge, la testostérone travaille –qu’est-ce qui pourrait être plusnaturel que de chercher à se soulageravec une femme ? Mais ce n’était paspour moi. Bien que certains des garsque je connaissais sortaient et ontmême épousé des filles du paysquand nous é ons basés à Wurzburg,

j’avais entendu assez d’histoires poursavoir que ces mariagesfonc onnaient rarement. L’arméeétait dure sur les rela ons en général– j’ai vu assez de divorces pour leconfirmer – et même si je n’aurais pasdétesté la compagnie de quelqu’un despécial, cela n’est tout simplementjamais arrivé. Tony ne pouvait pas lecomprendre.

– Tu dois venir avec moi, avait-ilplaidé. Tu ne viens jamais.

– Je ne suis pas d’humeur à cela.

– Comment peux-tu pas êtred’humeur ? Sabine jure que son amieest magnifique. Grande et blonde, et

elle aime la tequila.

– Amène Don. Je suis sûr qu’ilvoudrait y aller.

– Castelow ? Pas ques on. Sabine nepeut pas le supporter.

Je n’ai rien dit.

– Nous allons juste nous amuser unpeu.

J’ai secoué la tête, pensant que jepréférerais être seul que de revenir àla personne que j’avais été, mais jeme demandais si je finirais aussimoine que mon père.

Sachant qu’il ne pourrait pas me fairechanger d’avis, Tony n’a pas pris la

peine de cacher son dégoût en sortantde la pièce.

– Je ne te comprends juste pas,parfois.

Quand mon père est venu mechercher à l’aéroport, il ne m’a pasreconnu tout de suite et a presquesursauté quand je l’ai tapé surl’épaule. Il semblait plus pe t quedans mes souvenirs. Au lieu dem’offrir une étreinte, il a serré mamain et m’a interrogé sur le vol, maisni l’un ni l’autre ne savait quoi dire,alors nous sommes sortis à l’extérieur.

C’était étrange et déroutant d’être deretour à la maison, et je me sentaismal, tout comme la dernière fois quej’ai eu une permission. Dans lesta onnement, comme je jetais monsac dans le coffre, j’ai repéré àl’arrière de son antique Ford Escort unautocollant qui disait aux gens desupporter nos troupes. Je ne savaispas exactement ce que cela signifiaitpour mon père, mais j’étais heureuxde le voir.

À la maison, j’ai rangé mon sac dansmon ancienne chambre. Tout était làoù je me souvenais, jusqu’auxtrophées poussiéreux sur mon étagèreet une bouteille cachée à moi é vide

de Wild Turkey au fond de mon roirde sous-vêtements. Même chose dansle reste de la maison. Une couverturerecouvrait toujours le canapé, leréfrigérateur vert semblait crier qu’iln’était pas à sa place et la télévisioncaptait seulement quatre chaînesfloues. Mon père préparait desspaghe s – le vendredi, c’étaittoujours des spaghe s. Au dîner,nous avons essayé de parler.

– C’est agréable d’être de retour, ai-jedit.

Son sourire fut bref.

– Bien, a-t-il répondu.

Il a pris une gorgée de lait. Au dîner,

nous buvions toujours du lait. Il s’estconcentré sur son repas.

– Tu te souviens de Tony ? me suis-jeaventuré. Je pense que je l’aimen onné dans mes le res. Quoiqu’il en soit, écoute bien ceci : ilpense qu’il est amoureux. Sonprénom est Sabine et elle a une fillede six ans. Je l’ai aver que celapourrait ne pas être une bonne idée,mais il n’écoute pas.

Il a saupoudré avec a en on duparmesan sur sa nourriture, ens’assurant que chaque endroit surl’assiette avait la quantité parfaite.

– Oh, a-t-il dit. D’accord.

Après cela, j’ai mangé et nous n’avonsplus rien dit. J’ai bu un peu de lait. J’aimangé un peu plus vite. Le c-tac del’horloge sur le mur était le seul bruit.

– Je parie que tu es heureux deprendre ta retraite ce e année, ai-jesuggéré. Penses-y, tu pourrasfinalement prendre des vacances, voirle monde.

J’ai failli dire qu’il pourrait venir mevoir en Allemagne, mais je ne l’ai pasfait. Je savais qu’il ne voudrait pas etje n’ai pas voulu le mettre mal à l’aise.Nous avons tournoyé nos nouillessimultanément comme il semblaitréfléchir à la meilleure façon de merépondre.

– Je ne sais pas, a-t-il finalement dit.

J’ai renoncé à lui parler, et dès lors,les seuls sons étaient ceux de nosfourche es qui frappaient nosassie es. Quand nous avons fini dedîner, nous sommes par s chacun denotre côté. Épuisé par le vol, je suisallé me coucher, me réveillant toutesles heures comme je le faisais sur labase. Au moment où je me suis levé lema n, mon père était au travail. J’aimangé et lu le journal, essayé decontacter un ami, sans succès, puis j’aiensuite a rapé ma planche de surf dugarage et je me suis dirigé vers laplage. Les vagues n’étaient pas trèspuissantes, mais cela n’avait pas

d’importance. Je n’avais pas grimpésur une planche en trois ans et audébut, j’étais rouillé, mais même lespe ts dribleurs, j’ai souhaité êtrebasé près de l’océan.

C’était au début juin 2000, latempérature était déjà chaude etl’eau était rafraîchissante. De monposte d’observa on sur ma planche,je pouvais voir les gens emmenerleurs effets de quelques-uns desmaiso n s juste au-delà des dunes.Comme je l’ai men onné, la plage deWrightsville était toujours bondéeavec les familles qui louaient desmaisons pour une semaine ou plus,mais il y avait parfois des étudiants

des universités de Chapel Hill ouRaleigh. C’était ces derniers quim’intéressaient et j’ai remarqué ungroupe d’étudiantes en bikinisprenant du soleil sur le pont derrièreune des maisons près de la jetée. Jeles regardais un peu, en appréciant lavue, puis j’ai pris une autre vague etpassé le reste de l’après-midi perdudans mon propre petit monde.

J’ai pensé aller faire un tour au barLeroy, mais j’ai pensé que rien nipersonne n’avait changé à part moi.Au lieu de cela, j’ai acheté unebouteille de bière à l’épicerie du coinet suis allé m’asseoir sur le quai pourprofiter du coucher du soleil. La

plupart des gens qui pêchaientavaient déjà commencé à ne oyerleurs prises en jetant les rebuts dansl’eau. Peu de temps après, la couleurde l’océan a commencé à changer degris acier à l’orange, puis au jaune.Au-delà de la jetée, je pouvais voir lespélicans capturer des marsouins àtravers les vagues. Je savais que lasoirée apporterait la première pleinelune – pour moi, la réalisa on étaitpresque ins nc ve. Je ne pensais pasà grand-chose, je laissais mon espriterrer. Croyez-moi, rencontrer une filleétait la dernière chose que j’avais entête. C’était quand je l’ai vue marcherjusqu’à la jetée. Ou plutôt, deux

personnes marchant à pied. Une étaitgrande et blonde, l’autre une bellebrune, les deux un peu plus jeunesque moi. Des étudiantes à l’université,probablement. Toutes deux portaientdes shorts et des licous, et la bruneportait un de ces grands sacs en tricotque les gens apportent parfois à laplage quand ils ont l’inten on derester pendant des heures avec lesenfants. Je pouvais les entendreparler et rire, semblant insoucianteset prêtes pour les vacances quis’approchaient.

– Hey, les appelais-je quand ellesétaient proches.

Pas très bon, et je ne peux pas dire si

je m’a endais à une réponse. Lablonde m’a donné raison. Elle a jetéun coup d’oeil à ma planche de surf età la bière dans ma main, et m’a ignoréen roulant ses yeux. La brune,cependant, m’a surpris.

– Hello, l’étranger, répondit-elle avecun sourire, puis fit signe vers la plage.Je parie que les vagues étaient trèsbonnes aujourd’hui.

Son commentaire m’a pris audépourvu et j’ai entendu unegen llesse ina endue dans ses mots.Elle et son amie ont con nué àmarcher jusqu’à la fin de la jetée et jeme suis retrouvé à la regarder commeelle se pencha sur la balustrade. J’ai

déba u pour savoir si je devais ounon me lever et me présenter, avantde décider de rester ici. Elles n’étaientpas mon genre, ou plus exactement,je n’étais probablement pas le leur.J’ai pris une longue gorgée de mabière en essayant de les ignorer.

J’ai eu beau essayer, cependant, je nepouvais pas arrêter mon regard dedériver vers la brune. J’ai essayé de nepas écouter ce qu’elles se disaient,mais la blonde avait une de ces voiximpossibles à ignorer. Elle parlait sanscesse d’un certain gars nommé Bradet combien elle l’aimait, et commentsa sonorité était la meilleure à l’école,et le party qu’elles avaient eu à la fin

de l’année était le meilleur jamaisorganisé et que l’autre devrait s’yjoindre l’année prochaine, et qu’untrop grand nombre de ses amisfréquentaient les pires types de lafraternité et l’une d’elles est mêmetombée enceinte, mais c’était sa fautepuisqu’elle avait été aver e par letype. La brune ne pas dit pas grand-chose – je ne pouvais pas dire si elleétait amusée ou ennuyée par laconversa on –, mais de temps entemps, elle riait. Encore une fois, j’aientendu quelque chose d’amical et decompréhensif dans sa voix, quelquechose s’apparentant à rentrer à lamaison, même si je devais adme re

que cela n’avait aucun sens. Commeje mis de côté ma bouteille de bière,j’ai remarqué qu’elle avait déposé sonsac sur la balustrade.

Elles étaient là depuis une dizaine deminutes avant qu’arrivent deux garsde la fraternité – je le devinais àl’usure de leurs t-shirts Lacoste rose etl’autre orange sur leurs bermudas. Mapremière pensée fut que l’un de cesdeux-là devait être le Brad dont lablonde avait parlé. Avec des bières enmains, ils se sont approchésfur vement d’elles comme s’ilsavaient l’inten on de surprendre lesfilles. Il était plus que probable queles deux filles les voulaient là, et après

une brusque explosion de surpriseavec un cri perçant et deux ou troisclaques amicales sur le bras, ilsauraient tous la tête penchée enarrière en riant ensemble ou enfaisant ce que les couples àl’université font.

Ou c’est peut-être ce que je pensaisqu’ils feraient. Aussitôt qu’ils étaientproches, ils ont sauté sur les filles enhurlant; les deux filles criaient et ontdonné quelques claques amicales. Lesgars ont ri et celui au t-shirt rose a buun peu de sa bière. Il s’est appuyécontre la balustrade, près du sac, unejambe croisée sur l’autre, ses brasderrière le dos.

– Hé, nous allons par r un feu decamp dans quelques minutes, a ditcelui au t-shirt orange en me ant sesbras autour de la blonde qu’ilembrassa dans le cou. Vous êtesprêtes à revenir ?

– Tu es prête ? a demandé la blondeen regardant son amie.

– Bien sûr, répondit la brune.

Le gars au t-shirt rose poussait dans labalustrade, mais d’une façon ou d’uneautre, sa main a dû frapper le sac, caril a glissé puis a chuté dans l’eau. Lesplash ressemblait à un saut depoisson.

– Qu’est-ce que c’était ? a-t-il

demandé en se retournant.

– Mon sac ! haletait la brune. Tu l’asfait tomber.

– Je suis désolé, a-t-il répondu, ensemblant pas particulièrement désolé.

– Mon sac à main était là-dedans !

Il fronça les sourcils.

– J’ai dit que je suis désolé.

– Tu dois aller le chercher avant qu’ilne coule !

Les gars de la fraternité semblaientfigés et je savais que ni l’un ni l’autren’avaient l’inten on de plonger pouraller le chercher. D’une part, ils nel’auraient probablement jamais

trouvé, puis ils seraient obligés denager jusqu’au rivage, quelque chosequi n’est pas recommandé lorsqu’on abu, comme ils l’avaient évidemmentfait. Je pense que la brune a lul’expression du gars au t-shirt roseparce que je l’ai vue me re les deuxmains sur la rampe et poser un pied,prête à enjamber la balustrade.

– Ne sois pas stupide. Il est par , adéclaré le gars au t-shirt rose enme ant sa main sur la sienne pourl’arrêter. C’est trop dangereux desauter. Il pourrait y avoir des requinslà-dedans. C’est juste un sac à main.Je vais t’en acheter une autre.

– J’ai besoin de ce sac ! Tout mon

argent est là-dedans !

Ce n’était aucunement de mesaffaires, je le savais. Mais tout ce queje pouvais penser comme je bondissur mes pieds et me précipita vers lebord de la jetée était : Oh qu’est-ceque ça peut bien faire…

CHAPITRE DEUXJe suppose que je dois expliquerpourquoi j’ai sauté dans les vaguespour récupérer son sac. Ce n’est pasque je pensais qu’elle allait meconsidérer comme une sorte de héros,ou parce que je voulaisl’impressionner, ou même parce queje me souciais de savoir combiend’argent elle avait perdu. Cela avait àvoir avec l’authen cité de son sourireet la chaleur de son rire. Même quandje plongeais dans l’eau, je savaiscomment ma réac on était ridicule,mais il était trop tard. J’ai frappél’eau, suis passé dessous avant de

remonter à la surface. Quatre visagesme regardaient depuis la balustrade.Le gars au t-shirt rose étaitdéfinitivement fâché.

– Où est-il ? j’ai crié vers eux.

– Directement là ! a crié la brune. Jepense que je peux toujours le voir. Ilcoule…

Cela m’a pris une minute pour lelocaliser dans le crépuscule et lamontée de l’océan faisait de sonmieux pour me conduire dans la jetée.J’ai nagé sur le côté, puis j’ai tenu lesac hors de l’eau du mieux que je lepouvais, en dépit du fait qu’il étaitdéjà trempé. Les vagues ont rendu le

retour sur le rivage moins difficile queje l’avais craint et de temps en temps,je levais les yeux et voyais les quatrepersonnes me suivant du regard.

J’ai finalement sen le sable et suissor péniblement du ressac. J’aisecoué l’eau de mes cheveux, puis j’aimarché dans le sable et les aientrencontrés à mi-chemin de la plage. Jelui ai tendu le sac.

– Voilà.

– Merci, a dit la brune et quand sesyeux ont rencontré les miens, j’aisen que quelque chose a cliqué,comme une clé tournant dans uneserrure.

Croyez-moi, je ne suis aucunementroman que, et tandis que j’entendaistoujours parler du coup de foudre aupremier regard, je n’y ai jamais cru etne le crois toujours pas. Cependant, ily avait quelque chose là, quelquechose de manifestement vrai et je nepouvais pas détourner le regard.

De près, elle était plus belle que jel’avais d’abord réalisé, mais c’étaitmoins à voir avec la façon qu’elle meregardait qu’elle était. Ce n’était passeulement son sourire avec des dentslégèrement écartées, c’était la façondont ses cheveux flo aient au vent etcomment elle se tenait.

– Tu n’avais pas a le faire, dit-elle avec

quelque chose de merveilleux dans savoix. Je l’aurais eu.

– Je sais, ai-je répondu en hochant latête. Je t’ai vu t’apprêtant à sauter.

Elle pencha la tête sur le côté.

– Mais tu as sen le besoinincontrôlable d’aider une dame endétresse ?

– Quelque chose comme ça.

Elle a évalué ma réponse pendant unmoment, puis tourna son a en onvers le sac. Elle a commencé à enleverdes ar cles – un porte-feuille, deslune es de soleil, un pare-soleil, untube de crème solaire – et a toutremis à la blonde avant de tordre le

sac.

– Tes photos sont toutes mouillées, adéclaré la blonde en feuilletant leportefeuille.

La brune l’a ignorée, con nuant àtordre le sac dans un sens puis l’autre.Quand elle fut finalement sa sfaite,elle a repris les ar cles et a rechargéson sac.

– Je te remercie encore, dit-elle.

Son accent était différent de celui dela Caroline du Nord, plus un tonsonore, comme si elle avait grandidans les montagnes près de Boone ouprès de la fron ère à l’ouest de laCaroline du Sud.

– Ce n’est pas une grosse affaire, ai-jemarmonné, mais je ne bougeais pas.

– Hey, il veut peut-être unerécompense, lança d’une voix forte legars au t-shirt rose.

Elle le regarda, puis me regarda denouveau.

– Veux-tu une récompense ?

– Non, ai-je répondu en faisant ungeste de la main. Je suis juste heureuxd’aider.

– J’ai toujours su que la chevalerien’était pas morte, a-t-elle proclamé.

J’ai essayé de détecter une notetaquine, mais je n’ai rien entendu de

sa voix pour indiquer qu’elle semoquait de moi. Le gars au t-shirtorange m’a jeté un coup d’oeil, notantmes cheveux en brosse.

– Es-tu dans les marines ? a-t-ildemandé avant de resserrer ses brasautour de la blonde.

J’ai secoué la tête.

– Je ne suis pas l’une de ces têtesenflées. Je voulais être tout ce que jepouvais être, j’ai donc joint l’armée.

La brune se mit à rire. Contrairementà mon père, elle y a vu mondévouement.

– Je suis Savannah, dit-elle. SavannahLynn Cur s. Et eux sont Brad, Randy

et Susan.

Elle me tendit sa main.

– Je suis John Tyree, ai-je dit en laprenant.

Sa main était chaude, veloutée etdouce, mais rude en certains endroits.Je fus tout à coup conscient decombien de temps j’ai touché unefemme.

– Eh bien, je me sens comme si jedevais faire quelque chose pour toi.

– Tu n’as pas besoin de faire quoi quece soit.

– As-tu mangé ? a-t-elle demandé, enignorant mon commentaire. Nous

nous apprêtons à aller à un barbecueet il y en a toujours beaucoup.Aimerais-tu te joindre à nous ?

Les gars se sont échangé des regards.Randy au t-shirt rose rechignacarrément, et je dois adme re quecela m’a fait sen r mieux. Hey, peut-être veut-il une récompense. Quelconnard !

– Ouais, allons-y, a finalement ajoutéBrad, semblant avoir moins d’entrain.Ce sera amusant. Nous louons lamaison à côté de la jetée.

Il a indiqué l’une des maisons sur laplage, où une demi-douzaine depersonnes flânaient sur le pont à

l’arrière.

Même si je n’avais pas envie de passerdu temps avec ces types de lafraternité, Savannah m’a souri avecune telle chaleur que les mots étaientsortis avant que je puisse les arrêter.

– Très bien. Permets-moi d’allerchercher ma planche sur la jetée et jeserai là-bas dans peu de temps.

– Eh bien, rencontrons-nous là-bas, arenchéri Randy.

Il fit un pas vers Savannah, mais ellel’a ignoré.

– Je vais marcher avec toi, ditSavannah, en jetant un coup d’oeil àses amis. C’est le moins que je puisse

faire, ajouta-t-elle en ajustant son sacsur son épaule. On se voit là-bas,d’accord ?

Nous avons commencé à marcher versla dune, où les escaliers nousmèneraient jusqu’à la jetée. Ses amisse sont a ardés pendant une minute,mais quand elle a adapté son pas àcôté de moi, ils se sont lentementtournés et ont commencé leurdescente vers la plage. Du coin del’oeil, j’ai vu la blonde tourner la têteet nous regarder par-dessus le bras deBrad. Randy l’a fait aussi, en boudant.Je n’étais pas sûr si Savannah l’amême remarqué jusqu’à ce que nousavions fait quelques pas.

– Susan pense probablement que jesuis folle de faire ça, a-t-elle dit.

– Faire quoi ?

– Marcher avec toi. Elle pense queRandy est parfait pour moi et elle aessayé de nous réunir depuis quenous sommes arrivées ici, cet après-midi. Il m’a tourné autour toute lajournée.

J’ai hoché la tête, ne sachant pascomment réagir. Dans la distance, lalune, pleine et incandescente, avaitcommencé sa lente remontée de lamer, et j’ai vu Savannah la regarderfixement. Lorsque les vaguess’écrasaient sur la plage, elles

brisaient le reflet en argent, commepris en flash d’un appareil photo.Nous sommes arrivés à l’embarcadère.Le garde-corps était graveleux avec dusable et du sel, et le bois qui avaitvieilli et commençait à se briser. Lesmarches craquaient tandis que noussommes montions.

– Où es-tu basé ? a-t-elle demandé.

– En Allemagne. Je suis à la maison enpermission pour deux semaines pourvisiter mon père. Et tu viens desmontagnes, n’est-ce pas ?

Elle me regarda avec étonnement.

– Lenoir.

Elle m’a étudié.

– Laisse-moi deviner, c’est monaccent, non ? Tu penses que je sorsdes bois, n’est-ce pas ?

– Pas du tout.

– Eh bien, je le suis. Des bois, je veuxdire. J’ai grandi sur un ranch et tout.Eh oui, je sais que j’ai un accent, maison m’a dit que certaines personnestrouvent cela charmant.

– Randy semblait le penser aussi.

Cela m’a échappé avant que je nepuisse me ra raper. Dans un silencegêné, elle passa une main dans sescheveux.

– Randy semble être un gen l jeunehomme, a-t-elle fait remarquer, mais

je ne le connais pas vraiment. Je neconnais pas vraiment la plupart desgens dans ce e maison, eh bien, saufTim et Susan. (Elle écarta unmous que.) Tu vas rencontrer Timplus tard. C’est un gars super. Tu vasl’aimer. Tout le monde l’aime.

– Et tu es en vacances ici pour unesemaine ?

– Un mois, mais ce n’est pas de vraiesvacances. Nous faisons du bénévolat.Tu as entendu parler de l’Habitat pourl’Humanité, n’est-ce pas ? Noussommes ici pour aider à construirequelques maisons. Ma famille estimpliquée là-dedans depuis desannées.

Sur son épaule, la maison semblaitvenir à la vie dans l’obscurité. Plus degens s’étaient matérialisés, lamusique avait été augmentée et detemps en temps, je pouvais entendredes rires. Brad, Susan et Randy étaientdéjà entourés par un grouped’étudiants buvant de la bière etsemblaient être de bons amis àl’université prêts pour passer un bonmoment et espéraient avoir unechance d’accrocher avec quelqu’un dusexe opposé. Elle doit avoir remarquémon expression et suivi mon regard.

– Nous ne commençons pas avantlundi. Ils découvriront assez vite quece n’est ni amusant ni un jeu.

– Je n’ai rien dit…

– Tu n’as pas à le faire. Mais tu asraison. Pour la plupart d’entre eux,c’est leur première expérience avecl’Habitat, et ils le font simplementpour avoir quelque chose de différentà me re dans leur CV quand ilsob endront leur diplôme. Ils n’ontaucune idée du travail que celaimplique. En fin de semaine,cependant, tout ce qui importe c’estque toutes les maisons soientconstruites et ils comprennent. C’esttoujours ainsi.

– Tu as fait cela avant ?

– Chaque été depuis que j’ai seize

ans. J’avais l’habitude de le faire avecnotre église, mais quand je suisarrivée à Chapel Hill, nous avonsfondé un groupe. Eh bien, en fait, Timl’a fondé. Il est de Lenoir, aussi. Ilvient juste d’avoir son diplôme etcommencera sa maîtrise cet automne.Je le connais depuis toujours. Au lieude passer l’été à faire des pe tsboulots à la maison ou faire desstages, nous avons pensé que nouspourrions offrir aux étudiants unechance de faire une différence. Tout lemonde travaille pour la maison etpaie leurs propres dépenses pour lemois, et nous ne facturons rien pourla main-d’oeuvre que nous faisons sur

les maisons. C’est pourquoi il était siimportant que je récupère mon sac. Jen’aurais pas été capable de manger detout le mois.

– Je suis sûr qu’ils ne t’auraient paslaissé mourir de faim.

– Je sais, mais ce ne serait pas juste.Ils font déjà quelque chose de digneet c’est plus que suffisant.

Je pouvais sen r mes pieds glisserdans le sable.

– Pourquoi Wilmington ? demandai-je. Je veux dire, pourquoi venir icipour construire des maisons, au lieude quelque part d’autre commeLenoir ou Raleigh ?

– À cause de la plage. Tu saiscomment sont les gens. Il est déjàassez difficile de trouver des étudiantsprêts à offrir un mois de leur temps,mais c’est plus facile si c’est dans unendroit comme ici. Et plus tu as devolontaires, plus on peut en faire.Trente personnes se sont inscritescette année.

J’ai hoché la tête, conscient de saproximité tandis que nous marchions.

– Es-tu diplômée ?

– Non. Je serai senior. Et je suis enéduca on spécialisée, si c’est taprochaine question.

– Ça l’était.

– J’en étais sûre. Quand tu vas àl’université, c’est ce que tout lemonde te demande.

– Tout le monde me demande sij’aime être dans l’armée.

– Tu aimes ?

– Je ne sais pas.

Elle a ri et le son était si mélodiqueque je savais que je voulais l’entendrede nouveau.

Nous avons a eint le bout de la jetéeet j’ai a rapé ma planche. J’ai jeté labouteille de bière vide dans unepoubelle, l’entendant cliqueter aufond. Les étoiles parsemaient le ciel etles lumières des maisons le long des

dunes m’ont rappelé des citrouillesbrillantes d’Halloween.

– Ça te dérange si je te demande cequi t’a poussé à rejoindre l’armée ?Étant donné que tu ne sais pas si tuaimes cela, je veux dire.

Il m’a fallu une seconde pourcomprendre comment répondre et j’aitransféré ma planche de surf à monautre bras.

– Je pense qu’il est plus sûr de direqu’à l’époque, j’en avais besoin.

Elle a a endu que j’en dise plus, maisquand je ne l’ai pas fait, elle asimplement hoché la tête.

– Je parie que tu dois être heureux

d’être à la maison pour un peu detemps, dit-elle.

– Sans aucun doute.

– Je parie aussi que ton père estheureux aussi, hein ?

– Je pense que oui.

– Il l’est. Je suis sûre qu’il est très fierde toi.

– Je l’espère.

– On dirait que tu n’es certain.

– Tu devras rencontrer mon père pourcomprendre. Il n’est pas très bavard.

Je pouvais voir la lune reflétée dansses yeux sombres et sa voix étaitdouce quand elle parlait.

– Il n’a pas à le dire qu’il est fier detoi. Il est peut-être le genre de pèrequi le montre par d’autres moyens.

J’y ai pensé, en espérant que c’étaitvrai. Alors j’ai pensé que ça l’était. Il yeut un grand cri perçant de la maisonet j’aperçus quelques étudiants prèsdu feu. Un des gars avait enroulé sesbras autour d’une fille et la poussaitvers l’avant; elle riait et le repoussait.Brad et Susan se blo ssaientensemble à proximité, mais Randyavait disparu.

– Tu as dit que tu ne connaissais pasla plupart des gens avec qui tu vis ?

Elle secoua la tête, ses cheveux

balayant ses épaules. Elle écarta unemèche de cheveux.

– Non, pas tellement. Nous avonsrencontré la plupart d’entre eux pourla première fois à l’inscrip on, puis denouveau aujourd’hui quand noussommes arrivés ici. Je veux dire, nousaurions pu nous voir au campus detemps en temps, et je pense quebeaucoup d’entre eux se connaissentdéjà, mais pas moi. La plupart sontdans des fraternités et les sonorités.Je vis dans un dortoir. Ils sont unebande agréable, cependant.

Comme elle a répondu, j’ai eu lesen ment qu’elle était le genre depersonne qui ne dirait jamais rien de

mauvais contre quelqu’un. Sonrespect pour les autres m’a semblécomme quelque chose derafraîchissant et mature, et pourtant,étrangement, je n’ai pas été surpris.Cela faisait par e de ce e qualitéindéfinissable que je sentais à sonsujet depuis le début, d’une manièrequi la distinguait.

– Quel âge as-tu ? j’ai demandécomme nous nous approchions de lamaison.

– Vingt et un ans. Mon anniversaireétait le mois dernier. Et toi ?

– Vingt-trois ans. As-tu des frères etdes soeurs ?

– Non. Je suis enfant unique. Justemoi et mes parents. Mes parentsvivent toujours à Lenoir et ils sontheureux ensemble depuis vingt-cinqans. À ton tour.

– La même chose. Sauf que moi, ça atoujours été juste moi et mon père.

Je savais que ma réponse conduirait àune explica on du statut de ma mère,mais à ma surprise, cela n’est pasvenu. Au lieu de cela, elle a demandé :

– Est-ce lui qui t’a appris à surfer ?

– Non, je l’ai appris tout seul quandj’étais un gamin.

– Tu es bon. Je t’observais plus tôt. Tusemblais si à l’aise, gracieux même.

Cela m’a fait regre er de ne passavoir comment faire.

– Je serais heureux de te l’enseigner situ veux apprendre, me suis-je portévolontaire. Ce n’est pas si difficile. Jeserai là-bas demain.

Elle s’arrêta et fixa son regard sur moi.

– Ne fait pas d’offres que tu n’es passûr d’avoir l’intention de tenir.

Elle a pris mon bras, me laissantmuet, puis a fait signe vers le feu.

– Tu es prêt à rencontrer quelquespersonnes ?

J’ai avalé dur, sentant une sécheressesoudaine dans ma gorge, qui était à

peu près la chose la plus étrange quine m’était jamais arrivé.

La maison était un de ces grandsmonstres à trois étages avec ungarage et probablement six ou septchambres à coucher. Une énormegalerie encerclait le niveau principal;des servie es étaient suspendues surles garde-corps, et je pouvaisentendre le bruit des conversa onsmul ples venant de toutes lesdirec ons. Un grill était au bout de lagalerie et je pouvais sen r l’odeur decuisson du poulet et des hot-dogs; ungars se penchant dessus torse nu et

coiffé d’un bandana, essayant d’êtrecool. Cela ne marchait pas, mais il m’avraiment fait rire.

Sur le sable, le feu avait été allumédans une fosse, et plusieurs filles dansdes pulls molletonnéssurdimensionnés étaient assises dansdes chaises faisant le tour, feignanttoutes d’être insensibles aux garçonsles entourant. Pendant ce temps, lesgars se tenaient juste là, semblantessayer de se poser d’une manière quiaccentuait la taille de leurs bras ouleurs abdos sculptés, comme s’ilsn’avaient pas remarqué les filles.J’avais vu tout cela au bar Leroy avant;instruits ou pas, les jeunes seront

toujours des jeunes. Ils étaient audébut de leur vingtaine et la luxureflo ait dans l’air. Ajoutez à cela laplage et la bière, et je ne pouvais quedeviner ce qui arriverait plus tard;mais je serais par depuis longtempsd’ici là.

Quand Savannah et moi sommesapprochés, elle a ralen avant depointer un endroit.

– Que dirais-tu d’aller là-bas, près dela dune ? a-t-elle suggéré.

– Bien sûr.

Nous avons pris place dans une chaisefaisant face au feu. Quelques-unes desautres filles me regardaient, vérifiant

rapidement le nouveau gars, avant dese replier dans leurs conversa ons.Randy a finalement erré vers le feuavec une bière à main, a vu Savannahet moi et a rapidement tourné le dos,suivant l’exemple des filles.

– Poulet ou hot-dog ? m’a-t-elledemandé, apparemment inconscientedes autres.

– Poulet.

– Qu’est-ce que tu veux-tu boire ?

La lueur du feu faisait paraître sonregard mystérieux.

– Peu importe ce qu’il y a. Merci.

– Je reviens tout de suite.

Elle se dirigea vers le grill et je me suisforcé à ne pas la suivre. Au lieu decela, je marchais vers le feu, enlevéma chemise et la posa sur une chaisevide, puis retournai à ma place.Levant les yeux, j’ai vu le gars aubandana flirter avec Savannah et senune montée de tension avant de medétourner pour avoir une meilleureprise sur des choses. Je savais peu surelle et je savais encore moins de cequ’elle pensait de moi. D’ailleurs, jen’avais aucune envie de commencerquelque chose que je ne pourrais pasfinir. Je partais dans deux semaines ettout cela ne reviendrait à rien. Je mesuis dit toutes ces choses, et je pense

que je m’étais par ellementconvaincu que je rentrerais à lamaison dès que j’ai fini de manger,quand mes pensées furentinterrompues par l’arrivée dequelqu’un. Grand et dégingandé avecdes cheveux noirs qui étaientsoigneusement séparés sur les côtés,il m’a rappelé un de ces gars que vousrencontrez de temps en temps et quisemblait être d’âge moyen.

– Tu dois être John, dit-il avec unsourire en s’accroupissant en face demoi. Mon nom est Tim Wheddon. (Iltendit la main.) J’ai entendu dire ceque tu as fait pour Savannah et je saisqu’elle était reconnaissante que tu

sois là. (Je lui ai serré la main.) C’estagréable de te rencontrer.

Malgré ma méfiance, son sourire étaitplus authen que que ceux de Randyou Brad l’avait été. Il n’a pas non plusparlé de mes tatouages, ce qui étaitinhabituel. Je suppose que je devraismen onner qu’ils n’étaient pasexactement pe ts et couvrent laplupart de mes bras. Des gens m’ontdit que j’allais le regre er quand jeserai vieux, mais à l’époque où je lesaie eus, je ne m’en souciais pas. Je nem’en soucie toujours pas.

– Ça te dérange si je prends unechaise ? a-t-il demandé.

– Sers-toi.

Il ne s’est pas placé ni trop près nitrop loin de moi.

– Je suis content que tu aies pu venir.Je veux dire, ce n’est pas grand-chose,mais la nourriture est bonne. As-tufaim ?

– Je suis mort de faim.

– Les surfeurs comme toi ont toujoursfaim.

– Tu ne surfes pas ?

– Non, mais passer du temps dansl’océan me donne toujours faim. Jeme souviens quand j’étais envacances, enfant. Nous avions

l’habitude d’aller au Pine Knol Shoreschaque été. Es-tu déjà allé là-bas ?

– Une seule fois. Il y avait tout ce dontj’avais besoin ici.

– Ouais, je suppose que c’est le cas. (Ilfit signe à ma planche.) Tu aimes leslongues planches, hein ?

– J’aime les deux, mais les vagues icisont meilleures pour les longues. Ondoit monter dans le Pacifique pourapprécier les petites planches.

– Tu as déjà été là-bas ? Hawaï, Bali, laNouvelle-Zélande, des endroitscomme ça ? J’ai lu qu’ils sont le necplus ultra.

– Non, pas encore, ai-je dit, étonné

qu’il connaisse ces endroits. Un jour,peut-être.

Un journal a crépité, envoyant despe tes é ncelles vers le ciel. J’ai serrémes mains ensemble, en sachant quec’était mon tour.

– J’ai entendu dire que tu es ici pourconstruire des maisons pour lespauvres.

– C’est Savannah qui t’a dit ça ? Ouais,c’est le plan, de toute façon. Elles sontpour quelques familles méritantes etils ont plein d’espoir d’être dans leursmaisons d’ici la fin de juillet.

– C’est une bonne chose ce que tufais.

– Ce n’est pas seulement moi. Maisbon, je voulais te demander quelquechose.

– Laisse-moi deviner, tu veux que jefasse du bénévolat ?

Il se mit à rire.

– Non, rien de tel. C ’est drôle, j’ai déjàentendu dire avant. Les gens mevoient venir et d’habitude, ils courentdans l’autre sens. Je suppose que jesuis beaucoup trop facile à lire. Detoute façon, je sais que c’est unimmense, mais je me demandais si tuconnaissais mon cousin. Il est basé àFort Bragg.

– Désolé, ai-je dit. Je suis basé en

Allemagne.

– À Ramstein ?

– Non. C’est la base de l’armée del’air. Mais je suis rela vement proche.Pourquoi ?

– Je suis allé à Francfort en décembredernier. J’ai passé Noël là-bas avec mafamille. C’est là que nous sommesoriginaires et mes grands-parentsvivent toujours là-bas.

– Le monde est petit.

– As-tu appris l’allemand ?

– Pas du tout.

– Moi non plus. Le plus triste est quemes parents le parle couramment et

je l’ai entendu à la maison pendantdes années et j’ai même suivi un coursavant d’y aller. Mais je n’ai juste pasappris, tu comprends ? Je pense quej’ai eu de la chance de passer le courset tout ce que je pouvais faire, c’étaitde hocher la tête et feindre que j’aicompris tout ce que tout le mondedisait. Le seul point posi f était quemon frère était dans le même bateau,donc nous pouvions nous sen rcomme des abrutis ensemble.

J’ai ri. Il avait un visage ouvert,honnête et malgré moi, je l’appréciais.

– Hey, puis-je aller te chercher quoique ce soit ? a-t-il demandé.

– Savannah s’occupe de cela.

– J’aurais dû m’en douter. Elle est unehôtesse parfaite et tout. Commetoujours.

– Elle a dit que vous tous avez grandiensemble ?

Il hocha la tête.

– Le ranch de sa famille est juste àcôté du nôtre. Nous sommes allésdans les mêmes écoles et sommesallés à la même église pendant desannées et ensuite, nous sommes allésà la même université. Elle est un peucomme ma pe te soeur. Elle estspéciale.

Malgré le commentaire sur la soeur,

j’ai eu l’impression par la façon dont ila dit « spéciale » que ses sen mentsétaient plus profonds de ce qu’illaissait voir. Mais contrairement àRandy, il ne semblait pas jaloux sur lefait qu’elle m’avait invité ici. Avantque je ne puisse y réfléchir, Savannahest apparu sur les escaliers etmarchait sur le sable.

– Je vois que tu as rencontré Tim, dit-elle en hochant la tête.

Dans une main, elle tenait deuxassie es avec du poulet, de la saladede pommes de terre et des chips;dans l’autre, deux canne es de DiètePepsi.

– Ouais, je voulais juste le remercierpour ce qu’il a fait, a expliqué Tim,puis j’ai ensuite décidé de l’ennuyeravec des histoires de famille.

– Bien. J’espérais que vous deuxauriez la chance de vous rencontrer.

Elle leva ses mains et comme Tim, ellea ignoré le fait que j’étais torse nu.

– La nourriture est prête. Veux-tu monassie e, Tim ? Je peux monter et enobtenir une autre.

– Nah, je vais y aller, a déclaré Tim,déjà debout. Mais merci. Je vais vouslaisser seuls tous les deux. (Il a brosséle sable de son short.) Hey, c’étaitagréable de te rencontrer, John. Si tu

es dans les environs demain oun’importe quand, tu es toujours lebienvenu.

– Merci. Je suis content de t’avoirrencontré aussi.

Un instant plus tard, Tim montait lesescaliers. Il n’a pas regardé derrièrelui, simplement parce qu’il saluaitquelqu’un d’autre arrivant dans lesens opposé, et a entamé uneconversation.

Savannah m’a remis une assie e etdes ustensiles en plas que, et m’aoffert un Pepsi, puis a ensuite pris unechaise à côté de moi. Très près, j’airemarqué, mais pas assez pour se

toucher. Elle a soutenu son assie esur ses genoux, avec un peud’hésita on. Elle a pris la canne e dePepsi.

– Tu buvais de la bière plus tôt, maistu ne m’as pas dit de prendre quelquede précis, donc je t’en ai ramené une.Je n’étais pas sûre de ce que tuvoulais.

– Du Pepsi, c’est parfait.

– Tu es sûr ? Il y a beaucoup de bièresdans les glacières et j’ai entenduparler des gars de l’armée comme toi.

J’ai reniflé.

– J’en suis sûr, ai-je dit en ouvrant macanne e. Je suppose que tu ne bois

pas.

– Je ne sais pas, dit-elle.

Rien de défensif ou de suffisance dansson ton, j’ai noté, juste la vérité.J’aimais cela.

Elle a mangé un morceau de sonpoulet. J’ai fait de même, et dans lesilence, je me suis ques onnais à sonsujet et Tim, et si elle était conscientede ce qu’il ressentait réellement pourelle. Et je me demandais ce qu’ellepensait de lui.

Il y avait là quelque chose, mais je nepouvais pas le comprendre, à moinsque Tim avait raison et que c’était ungenre de frère. Je doutais que ce soit

le cas.

– Que fais-tu dans l’armée ? a-t-elledemandé en posant sa fourchette.

– Je suis un sergent dans l’infanterie.Peloton d’armes.

– À quoi ça ressemble ? Je veux dire,qu’est-ce que tu fais-tu chaque jour ?Tu res sur des fusils, fait sauter deschoses, ou quoi ?

– Parfois. Mais pas réellement, c’estassez ennuyeux la plupart du temps,du moins quand nous sommes sur labase. Nous nous réunissons le ma n,habituellement autour de six heures,nous assurant que tout le monde estlà et ensuite, nous formons des

équipes pour nous exercer.Basketball, course, haltérophilie.Parfois, il y a un cours ce jour-là pournous montrer le montage et leremontage nos armes, ou un cours surle terrain pendant la nuit, où nouspouvons nous diriger vers le champ de

r, quelque chose du genre. Si rienn ’ e s t prévu, nous rentronssimplement dans nos dortoirs etjouons à des jeux vidéo, lisons oume ons au point nos connaissancespour le reste de la journée. Puis nousnous rassemblons à seize heures etdécouvrons ce que nous ferons lelendemain. Puis nous avons terminé.

– Des jeux vidéo ?

– Je fais du sport et lis. Mais mescopains sont des experts dans lesjeux. Et plus le jeu est violent, plus ilsaiment ça.

– Que lis-tu ?

Je lui ai dit et elle l’a pris enconsidération.

– Et qu’arrive-t-il quand tu es envoyédans une zone de guerre ?

– Alors, ai-je dit en finissant monpoulet, c’est différent. Il y a la garde,et les choses qui se cassent toujourset doivent être réparées, de sorte quetu es très occupé, même quand tun’es pas en patrouille. Maisl’infanterie est une force sur le

terrain, donc nous passons beaucoupde notre temps à l’extérieur du camp.

– Tu n’as jamais peur ?

J’ai cherché la bonne réponse.

– Ouais. Parfois. Ce n’est pas commesi tu marches en regardant autour enayant peur tout le temps, mêmelorsque les choses vont mal autour detoi. C’est juste que tu es… en réac on,à essayer de rester en vie. Tout sepasse tellement vite que tu n’as pas letemps pour penser à quoi que ce soit,sauf à faire ton travail et essayer dene pas mourir. Cela t’affectehabituellement par la suite, une foisque tu es en sécurité. C’est à ce

moment-là que tu te rends compte àquel point tu en es venu près etparfois, tu trembles ou vomis, ouquelque chose du genre.

– Je ne suis pas sûre si je pourraisfaire ce que tu fais.

Je n’étais pas sûr si elle s’a endait àune réponse, donc j’ai changé desujet.

– Pourquoi l’éduca on spécialisée ?demandai-je.

– C’est une longue histoire. Tu es sûrque tu veux l’entendre ?

Quand je hochai la tête, elle poussaun long soupir.

– Il y a ce garçon à Lenoir nomméAlan, et je le connais depuis toujours.Il est au ste et pendant longtemps,personne ne savait quoi faire avec luiou comment réagir avec lui. Et celam’arrive encore, tu sais ? Je mesentais tellement mal pour lui, mêmequand j’étais pe te. Quand j’aidemandé à mes parents, ils ont ditque peut-être le Seigneur a des plansspéciaux pour lui. Cela n’avait passens au début, mais Alan avait unfrère aîné qui était si pa ent avec luitout le temps. Je veux dire toujours. Iln’a jamais été frustré avec lui et peu àpeu, il a aidé Alan. Alan n’est pasparfait – il vit toujours avec ses

parents et il ne pourra jamais êtreautonome –, mais il n’est pas aussiperdu comme quand il était jeune, etj’ai décidé que je voulais être enmesure d’aider des enfants commeAlan.

– Quel âge avais-tu quand tu asdécidé cela ?

– Douze ans.

– Et tu veux travailler avec eux dansune école ?

– Non, dit-elle. Je veux faire ce que lefrère d’Alan a fait. Il a u lisé leschevaux. (Elle s’arrêta, rassemblantses pensées.) Avec les enfantsau stes… c’est comme s’ils sont

enfermés dans leurs propres pe tsmondes, l’école et la thérapie sonthabituellement basées sur la rou ne.Mais je veux leur montrer desexpériences qui peuvent ouvrir denouvelles portes pour eux. J’ai vu quecela se produire. Je veux dire, Alanétait terrifié par les chevaux dans unpremier temps, mais son frère acon nué à essayer et après un certaintemps, Alan est arrivé à les fla er oufro er son nez sur eux, et plus tard, illes nourrissait. Après cela, il acommencé à les monter et je mesouviens avoir observé son visage lapremière fois qu’il était là-haut… ilétait tellement incroyable, tu sais ? Je

veux dire, il souriait, tout heureuxcomme un enfant pouvait l’être. Etc’est ce que je veux que les enfantsvivent. Juste… le bonheur, même sic’est seulement pendant une courtepériode. C’est à ce moment-là que j’aisu exactement ce que je voulais fairede ma vie. Peut-être ouvrir un campéquestre pour les enfants au stes, oùnous pourrions faire un vrai travailavec eux. Et peut-être qu’ils pourrontalors expérimenter le même bonheurqu’Alan a ressenti.

Elle posa sa fourche e comme si elleétait embarrassée, puis a mis sonassiette de côté pour se lever.

– Cela semble merveilleux.

– Eh bien, nous verrons si cela arrive,a-t-elle dit, assise à nouveau. C’estjuste un rêve pour l’instant.

– Je suppose que tu aimes les chevauxaussi?

– Toutes les filles aiment les chevaux.Tu ne le savais pas ? Mais oui, j’enfais. J’ai un Arabe nommé Midas etcela me tue parfois d’être ici quand jepourrais me promener avec lui.

– La vérité sort.

– Comme il se doit. Mais j’ai toujoursl’inten on de rester ici. J’irai mepromener tous les jours avec luiquand je rentrerai. En as-tu déjà fait ?

– Juste une fois.

– Tu as aimé ?

– J’étais endolori le lendemain. Çafaisait mal de marcher.

Elle eut un petit rire, et j’ai réalisé quej’aimais lui parler. C’était facile etnaturel, contrairement à tant de gens.Au-dessus de moi, je pouvais voir laceinture d’Orion; un peu plus àl’horizon de l’eau, Vénus étaitapparue et brillait dans le ciel avec sablancheur éclatante. Les gars et lesfilles ont con nué de monter etdescendre les escaliers d’un pas lourd,flirtant avec le courage provenant dela boisson. J’ai soupiré.

– Je devrais probablement y aller pour

que je puisse voir mon père quelquetemps. Il se demande probablementoù je suis. S’il est toujours éveillé, àl’heure qu’il est.

– Veux-tu l’appeler ? Tu peux u liserle téléphone.

– Non, je pense plutôt qu’il est tempsde partir. C’est une longue marche.

– Tu n’as pas de voiture ?

– Non. J’ai fait du stop ce matin.

– Veux-tu que Tim te raccompagnechez toi ? Je suis sûre qu’il n’objecterapas.

– Non, tout est correct.

– Ne sois pas ridicule. Tu as dit qu’il

s’agissait d’une longue marche, non ?Je vais demander à Tim de tereconduire. Laisse-moi faire.

Elle a couru avant que je ne puissel’arrêter et une minute plus tard, Timla suivait en sortant de la maison.

– Tim est heureux de te reconduire,dit-elle, en semblant beaucoup tropheureuse.

Je me suis tourné vers Tim.

– Tu es sûr ?

– Aucun problème, m’a-t-il assuré.Mon camion est en avant. Tu peuxme re ta planche en arrière. Besoind’un coup de main ?

– Non, ai-je répondu en me levant,tout est correct.

Je suis allé à la chaise et remis machemise, pour pris ma planche.

– Merci, soit dit en passant.

– Ça me fait plaisir, a-t-il dit en tapotasa poche. Je reviens dans une secondeavec mes clés. C’est le camion vertgaré sur l’herbe. Je rejoins en avant.

Quand il fut par , je me suis retournévers Savannah.

– C’était agréable de te rencontrer.

Elle a soutenu mon regard.

– Toi aussi. Je n’ai jamais accrochéavec un soldat avant. Je me suis sentie

en quelque sorte… protégée. Je nepense pas que Randy m’ennuiera cesoir. Tes tatouages l’ont sans doutefait fuir.

J’avais supposé qu’elle les avaitremarqués.

– On se reverra peut-être un jour.

– Tu sais où je serai.

Je n’étais pas sûr si cela signifiaitqu’elle voulait que je vienne la visiterde nouveau ou non. À bien deségards, elle est restée un mystèrecomplet pour moi. Et puis, je laconnaissais à peine.

– Mais je suis un peu déçue que tuaies oublié, a-t-elle ajouté, presque

comme une réflexion après coup.

– Oublier quoi ?

– Tu ne m’as pas dit que tum’apprendrais à surfer ?

Si Tim avait le moindre doute del’effet que Savannah a eu sur moi ouque je la visiterais à nouveau lelendemain, il n’a donné aucuneindica on. Au lieu de cela, il s’estconcentré principalement sur saconduite, en s’assurant qu’il sedirigeait dans la bonne direc on. Ilétait le genre de conducteur quiarrêtait la voiture, même quand la

lumière était jaune alors qu’il auraitpu passer.

– J’espère que tu as passé un bonmoment, a-t-il dit. Je sais que c’esttoujours étrange quand on ne connaîtpersonne.

– Ç’a été bien.

– Toi et Savannah vous vous entendezbien. Elle est quelque chose, n’est-cepas ? Je pense qu’elle t’aime bien.

– Nous avons eu une agréableconversation, ai-je dit.

– J’en suis heureux. J’étais un peuinquiet au sujet de son arrivée ici.L’année dernière, ses parents étaientavec nous, c’est donc la première fois

qu’elle vient toute seule. Je saisqu’elle est une grande fille, mais ils nesont pas le genre de personnes avecqui elle a l’habitude de traîner et ladernière chose que je voulais, c’étaitqu’elle ait à repousser les gars toutela soirée.

– Je suis sûr qu’elle aurait pu gérercela.

– Tu as probablement raison. Mais j’ail’impression que certains de ces gars-là sont assez persistants.

– Bien sûr qu’ils le sont. Ce sont desgars.

Il se mit à rire.

– Je suppose que tu as raison. (Il a fait

signe vers la fenêtre.) Quelle ruemaintenant ?

Je l’ai dirigé à travers une série detours avant de finalement lui dire deralen r la voiture. Il s’arrêta devant lamaison, où je pouvais voir la lumièredu repaire de mon père allumée.

– Merci pour le tour, ai-je dit enouvrant ma porte.

– Pas de problème. (il se pencha sur lesiège.) Écoute, comme je l’ai dit,n’hésite pas à passer à la maison àtout moment. Nous travaillonspendant la semaine, mais les week-ends et les soirées sonthabituellement libres.

– Je vais m’en souvenir, ai-je promis.

Une fois à l’intérieur, je suis allé aurepaire de mon père et ai ouvert laporte. Il regardait le Greysheet et asursauté. J’ai réalisé qu’il ne m’avaitpas entendu venir.

– Désolé, ai-je dit en prenant place surla seule chaise qui séparait le repairedu reste de la maison. Je ne voulaispas t’effrayer.

– C’est bien, fut tout ce qu’il a dit.

Il s’est demandé s’il fallait me re decôté le Greysheet ou non, puis il l’afait.

– Les vagues étaient génialesaujourd’hui, ai-je commenté. J’avaispresque oublié à quel point l’eau estfantastique.

Il sourit, mais ne dit rien de nouveau.J’ai changé légèrement de position.

– Comment va le travail ? demandai-je.

– Comme d’habitude, a-t-il dit.

Il retomba dans ses propres pensées,et tout ce que je pouvais penser étaitque la même chose pourrait être diteau sujet de nos conversations.

CHAPITRE TROISLe surf est un sport solitaire, celuidans lequel de longues périodesd’ennui sont entrecoupées del’ac vité fréné que, et il vousapprend à circuler avec la nature aulieu de la comba re… il s’agit de setrouver dans la zone.

C’est ce que les magazines de surfdisent, et de toute façon, la plupartdu temps, je suis d’accord. Il n’y a riende plus excitant que d’a raper unevague et vivre dans l’eau en observantles vagues rouler vers le rivage. Maisje ne suis pas comme beaucoup de cesmecs avec la peau sèche et gercée et

des cheveux filandreux qui font celatoute la journée, chaque jour, parcequ’ils pensent qu’il n’y a que celadans la vie. Pas moi. Pour moi, c’estplus le fait que le monde est fou etbruyant presque tout le temps etquand vous êtes ici, il ne l’est pas.Vous êtes capable de vous entendrepenser.

C’est ce que je disais à Savannah, touten nous rendant vers l’océan, tôt ledimanche ma n. Du moins, c’est ceque je pensais que je disais. Laplupart du temps, je suis décousu,essayant que ce soit pas trop évidentle fait que j’aimais vraiment commentelle était dans un bikini.

– Comme l’équitation, dit-elle.

– Hein ?

– T’entendre penser. C’est pourquoij’aime l’équitation.

Les meilleures vagues étaienthabituellement tôt le ma n, et c’étaitun de ces jours clairs, le ciel bleuprésageant une journée chaude quisignifierait aussi que la plage ànouveau serait pleine.

Savannah était assise sur les marchesde derrière, enveloppée dans uneservie e, le reste du feu d’hier devantelle. Malgré le fait que la fête avaitsans doute duré des heures après quej’ai qui é, il n’y avait pas une seule

canne e ou un simple déchet sur laplage. Mon impression du groupes’est un peu améliorée.

Malgré l’heure, l’air était déjà chaud.Nous avons passé quelques minutesdans le sable au bord de l’eau à revoirles bases du surf, et j’ai expliquécomment apparaître sur la planche.Lorsque Savannah a pensé qu’elleétait prête, je pataugeais dans l’eau,marchant à ses côtés.

Il n’y avait que quelques surfeurs, lesmêmes que j’avais vus la veille. J’aiessayé de trouver la meilleure placepour emmener Savannah afin qu’elleait assez de place quand j’ai que je nepouvais plus la voir.

– Tiens, ens bon ! criait-elle derrièremoi. Arrête, arrête…

Je me suis tourné. Savannah était surla pointe des pieds comme lespremières éclaboussures d’eaufrappaient son ventre et la par esupérieure de son corps a étéimmédiatement couverte de chair depoule. Elle semblait essayer de sesoulever de l’eau.

– Laisse-moi t’habituer à cette…

Elle a donné quelques halètementssonores et croisa les bras.

– Wow ! C’est vraiment froid ! Saintevache !

Sainte vache ? Ce n’était pas

exactement quelque chose que mescopains diraient.

– Tu vas t’y habituer, ai-je dit ensouriant d’un air narquois.

– Je n’aime pas avoir froid. Je détesteavoir froid.

– Tu vis dans les montagnes où ilneige.

– Ouais, mais nous avons des vestes,des gants et des chapeaux que nousportons pour nous garder au chaud.Et nous ne plongeons pas les eauxarctiques le matin.

– Très drôle, ai-je dit.

Elle a con nué à sauter de haut en

bas.

– Ouais, vraiment drôle. Je veux dire,bon sang !

Bon sang ? J’ai souri. Sa respira oncommença progressivement às’estomper, mais la chair de pouleétait toujours là. Elle a fait un autreminuscule pas en avant.

– Ça marche mieux si tu sautesdirectement dessus au lieu de tetorturer en y allant par étapes,suggérai-je.

– Tu le fais à ta façon, je vais le fairede la mienne, dit-elle, pasimpressionnée par ma sagesse. Je nepeux pas croire que tu voulais y aller

maintenant. Je pensais dans lecourant de l’après-midi, quand latempérature est au-dessus du pointde congélation.

– Il fait presque vingt-quatre degrés.

– Ouais, ouais, dit-elle ens’acclimatant finalement.

Décroisant ses bras, elle a pris uneautre série de respira ons, puis aensuite plongé peut-être d’un pouce.Figée, elle s’est jeté un peu d’eau surses bras.

– Bien, je pense que je vais y arriver.

– Ne te précipite pas pour moi. Prendston temps.

– Je sais, merci, dit-elle, ignorant monton badin. Bien, dit-elle encore, plus àelle-même qu’à moi.

Elle fit un pe t pas en avant, puis unautre. Comme elle se déplaçait, sonvisage était un masque deconcentra on et j’ai aimé commentelle avait l’air. Si sérieuse, si intense.Si ridicule.

– Ne te moque pas de moi, dit-elle,notant mon expression.

– Je ne me moque pas.

– Je peux le voir dans ton visage. Tu temoques de l’intérieur.

– Ça va, je vais arrêter.

Elle a finalement avancé pour merejoindre et quand l’eau était mesépaules, Savannah est monté sur laplanche. Je l’ai maintenue en place,en essayant à nouveau de ne pasregarder son visage, ce qui n’était pasfacile, étant donné qu’elle était justeen face de moi. Je me suis forcé àcontrôler la houle derrière nous.

– Et maintenant ?

– Tu te rappelles ce qu’il faut faire ?Pagaie durement, saisit la planche desdeux côtés près de l’avant, et lève-toisur tes deux pieds ?

– J’ai compris.

– C’est dur au début. Ne sois pas

surprise si tu tombes, mais si tu lefais, ce n’est pas grave. Ça prendhabituellement plusieurs fois avant del’avoir.

– Bien, a-t-elle dit et j’ai vu une pe tehoule s’approcher.

– Prépare-toi…, ai-je dit. OK,commence à pagayer…

Alors que la vague nous a frappés, j’aipoussé la planche, ce qui lui donna uncertain élan, et Savannah a a rapé lavague. Je ne sais pas à quoi jem’a endais, sauf que ce n’était pasde la voir se tenir droite, garder sonéquilibre, et surfer sur la vague tout lechemin du retour vers le rivage, où

elle s’est finalement arrêtée. Elle asauté de la planche comme elle aralen et s’est tournée avec un airdramatique vers moi.

– Comment c’était ? a-t-elle demandé.

Malgré la distance qui nous séparait,je ne pouvais pas détourner le regard.Ça y est, j’ai soudainement pensé, jesuis dans le pétrin.

– J’ai fait de la gymnas que pendantdes années, a-t-elle admis. J’aitoujours eu un bon sens del’équilibre. Je suppose que j’aurais dût’avoir dit ce genre de chose pendant

que tu m’enseignais comment faire.

Nous avons passé plus d’une heuredans l’eau. Elle surgit à chaque fois etchevauchait les vagues de la côte avecfacilité, bien qu’elle ne pouvait pasdiriger la planche, je ne doutais que sielle voulait, elle serait en mesure demaîtriser tout cela en peu de temps.

Par la suite, nous sommes retournés àla maison. Je l’ai a endu alors qu’ellemontait. Quelques personnes étaientlevées – trois filles étaient sur le pontà regarder l’océan et récupéraient deleur veillée d’hier avant de se placerpour ne pas être vues. Savannah estapparue quelques minutes plus tarddans un short et un t-shirt, tenant

deux tasses de café. Elle s’assit à côtéde moi sur les marches, faisant face àl’eau.

– Je n’ai pas dit que tu allais t’effacer,ai-je expliqué. Je viens de dire que situ l’as fait, tu devrais rouler avec elle.

– Uh-huh, dit-elle, son expressionespiègle et a souligné ma tasse. Toncafé est bon ?

– Il a bon goût, ai-je dit.

– Je dois commencer ma journée avecun café. C’est mon vice.

– Tout le monde en a un.

Elle me regarda.

– Quel est le tien ?

– J’en ai aucun, lui répondis-je, et ellem’a surpris en me donnant un coupde coude ludique.

– Savais-tu que la nuit dernière étaitune nuit de pleine lune ?

Je le savais, mais je pensais qu’il valaitmieux ne pas l’admettre.

– Vraiment ? ai-je dit.

– J’ai toujours aimé les pleines lunes.Depuis que je suis enfant. Je meplaisais à penser qu’ils étaient unprésage de toutes sortes. Je voulaiscroire qu’ils présageait toujours debonnes choses. Comme si je faisaisune erreur, j’aurais la chance derecommencer.

Elle ne dit rien d’autre à ce sujet. Aulieu de cela, elle porta la tasse à seslèvres et je regardais la vapeur quicouronné son visage.

– Qu’est-ce qui est à ton horaireaujourd’hui ? demandai-je.

– Nous sommes censés tenir uneréunion quelque part aujourd’hui,mais à part ça, rien. Eh bien, à partaller à l’église. Pour moi, je veux dire.En moins que quelqu’un d’autre veuty aller. Rappelle-moi quelle heure ilest déjà ?

Je regardai ma montre.

– Un peu passé neuf heures.

– Déjà ? Je suppose que cela ne me

donne pas beaucoup de temps. Leservice est à dix heures.

J’ai hoché la tête, sachant que notretemps ensemble était presque écoulé.

– Veux-tu venir avec moi ? je l’aientendu demander.

– À l’église ?

– Oui. À l’église, dit-elle. Tu ne veuxpas ?

Je n’étais pas sûr de ce qu’il fallaitdire. C’était évidemment importantpour elle et bien que j’ai eul’impression que ma réponse ladécevrait, je n’ai pas eu envie dementir.

– Pas vraiment, admis-je. Je ne suispas allé à l’église depuis des années.Je veux dire, j’avais l’habitude d’y allerenfant, mais… (Je m’estompai.) Je nesais pas pourquoi.

Elle étendit ses jambes, en a endantde voir si j’allais ajouter autre chose.Lorsque je ne l’ai pas fait, elle haussaun sourcil.

– Alors ?

– Quoi ?

– Veux-tu venir avec moi ou non ?

– Je n’ai pas de vêtements. Je veuxdire, c’est tout ce que j’ai et je douted’avoir assez de temps pour rentrer àla maison, me doucher et revenir à

temps.

Elle m’a donné un coup d’oeil.

– Bien.

Elle tapota mon genou, la deuxièmefois qu’elle me toucha.

– Je vais aller te chercher desvêtements.

– Tu es super, m’a assuré Tim. Le colest un peu serré, mais je ne pense pasque quiconque sera en mesure de levoir.

Dans le miroir, j’ai vu un étranger vêtud’un pantalon kaki et d’une chemise

avec une cravate pressée. Je nepouvais me souvenir la dernière foisque j’ai porté une cravate. Je n’étaispas sûr si j’étais heureux de tout celaou pas. Tim, quant à lui, étaitbeaucoup trop passif avec tout cela.

– Comment a-t-elle réussi ? a-t-ildemandé.

– J’en ai aucune idée.

Il a ri et, se penchant pour lacer seschaussures, il cligna de l’oeil.

– Je t’ai dit qu’elle t’aime bien.

Nous avons des aumôniers dans

l’armée et la plupart d’entre eux sontde très bons gars. Sur la base, j’aiappris à connaître deux d’entre euxassez bien et l’un d’eux – Ted Jenkins– était le genre de gars en qui vousavez immédiatement confiance. Il nebuvait pas, et je ne dis pas qu’il étaitl’un d’entre nous, mais il étaittoujours le bienvenu quand ilapparaissait. Il avait une femme etdeux ou trois enfants, et avait étédans l’armée pendant quinze ans. Ilavait l’expérience personnelle quandil s’agissait de lu es avec la famille etla vie militaire en général et si jamaisvous vous assoyez pour discuter aveclui, il écoutait vraiment. Vous ne

pouviez pas tout lui dire – il était unofficier, après tout – et il a fini pardescendre assez durement deux outrois gars dans mon peloton qui ontadmis leurs escapades un peu troplibrement, mais la chose était qu’ilavait ce genre de présence qui vousdonnait envie de tout lui dire. Je nesais pas si c’était autre que le fait qu’ilétait un homme bon et l’aumônier del’armée. Il a parlé de Dieu tout aussinaturellement comme vous pourriezparler de votre ami, pas de ce efaçon moralisatrice ou irritante qui engénéral me dégoûte. Il n’insistait pasnon pour vous faire assister auxservices le dimanche. Il vous laissait

faire, et tout dépendant ce qui sepassait ou comment les chosesétaient dangereuses, il pouvait setrouver à parler à une ou à deux centspersonnes. Avant que mon pelotonn’ait été envoyé dans les Balkans, il aprobablement bap sé unecinquantaine de personnes.

J’avais été bap sé enfant, donc je n’aipas eu besoin de cela, mais comme jel’ai dit, cela faisait longtemps quej’étais allé à l’église. J’avais arrêté d’yaller avec mon père il y a longtempset je ne savais pas à quoi m’attendre.

Je ne peux honnêtement pas dire quej’étais impa ent d’y être, mais à la fin,le service n’était pas si mal. Le pasteur

a été discret, la musique était correcteet le temps n’a pas semblé traînercomme lorsque j’étais pe t. Je ne dispas que ça allait vite, mais quandmême, je suis heureux d’y être allé, neserait-ce pour pouvoir parler dequelque chose de nouveau avec monpère. Et aussi parce que cela m’adonné un peu plus de temps avecSavannah.

Savannah était assise entre moi etTim, et je l’ai regardée du coin del’oeil quand elle chantait. Elle avaitune voix de chant calme et discrète,mais était toujours dans l’air, et j’aiaimé comment ça sonnait. Tim estresté concentré sur les Écritures

saintes et à la sor e, il s’arrêta pourparler avec le pasteur tandis que moiet Savannah l’avons a endu àl’ombre d’un arbre devant l’église.Tim semblait animé comme ilbavardait avec le pasteur.

– De vieux amis ? demandai-je enhochant la tête vers Tim.

Malgré l’ombre, je commençais à avoirchaud et je sentais la transpira oncommencer à se former.

– Non. Je pense que son père étaitcelui qui lui a parlé de ce pasteur. Il adû u liser la MapQuest la nuitdernière pour trouver cet endroit.

Elle s’éventait; dans sa robe d’été, elle

m’a rappelé une Belle du sud.

– Je suis contente que tu sois venu.

– Moi aussi.

– As-tu faim ?

– Que suggères-tu ?

– Nous avons de la nourriture à lamaison, si tu en veux. Et tu pourrasredonner à Tim ses vêtements. Jepeux deviner que tu as chaud et quetu es inconfortable.

– Ce n’est pas aussi chaud qu’uncasque, des bo es et un gilet pare-balles, crois-moi.

Elle pencha la tête vers moi.

– Je voudrais t’entendre parler du

gilet pare-balles. Peu de gars dansmes cours en parle comme toi. Jetrouve cela intéressant.

– Tu me taquines ?

– Je ne fais qu’une remarque, dit-elleen se penchant gracieusement contrel’arbre. Je pense que Tim a terminé.

Je suivis son regard, ne remarquantrien de différent.

– Comment peux-tu dire ça ?

– Tu vois comment il a posé ses mains? Cela signifie qu’il s’apprête à dire aurevoir. Dans une seconde, il va serrersa main, lui sourire et hocher la tête,puis partiras.

J’ai regardé Tim faire exactementcomme elle l’a prédit et se diriger versnous. J’ai noté son expressionamusée. Elle haussa les épaules.

– Quand tu vis dans une pe te villecomme la mienne, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire que d’observerles gens. Tu commences à remarquerdes choses après quelque temps.

Elle avait probablement observébeaucoup trop Tim, à mon humbleavis, mais je n’étais pas sur le point del’admettre.

– Hé là-bas ! a lancé Tim en levant nemain. Vous êtes prêts à partir ?

– Nous t’attendions, a-t-elle souligné.

– Désolé, a-t-il dit. Nous é ons enpleine discussion.

– Tu passes ton temps à discuter avectout le monde.

– Je sais, a-t-il dit. Je travaille pourêtre plus distant.

Elle se mit à rire et tandis que leurplaisanterie familière me me aitmomentanément à l’extérieur de leurcercle in me, tout a été oubliélorsque Savannah a bouclé son brassous le mien alors que nousretournions vers la voiture.

Tout le monde était là lorsque nous

sommes rentrés, et la plupart étaientdéjà dans leurs maillots de bain ettravaillaient leurs bronzages. Certainsse promenaient sur le pont supérieur;la plupart étaient regroupés sur laplage à l’arrière. La musique tonnaitd’une chaîne stéréo à l’intérieur de lamaison, et les glacières de bièreétaient pleines et quelques-unsbuvaient : le meilleur remède pour lagueule de bois. Je n’avais pas dejugement; la bière semblait vraimentbonne, mais étant donné que jerevenais de l’église, j’ai supposé queje devrais m’en passer.

J’ai changé mes vêtements, pliantceux de Tim de la façon que j’avais

appris dans l’armée, puis revint à lacuisine. Tim avait préparé une assiettede sandwichs.

– Sers-toi, dit-il en faisant des gestes.Nous avons des tonnes de nourriture.Je devrais le savoir – je suis celui qui apassé trois heures à faire des courses,hier.

Il rinça les mains et les sécha sur uneserviette.

– Très bien. Maintenant, c’est à montour de me changer. Savannah sera làdans une minute.

Il a qui é la cuisine. Seul, j’ai regardéautour de moi. La maison avait étédécorée d’une façon tradi onnelle :

des tas de meubles en osier auxcouleurs vives, des lampes faites avecdes coquillages, des pe tes statues enforme de phares au-dessus dumanteau de la cheminée, despeintures pastel de la côte.

Les parents de Lucy avaient possédéun tel endroit. Pas ici, mais sur BaldHead Island. Ils ne l’ont jamais louée,préférant passer leurs étés là-bas.Bien sûr, le vieil homme devaittravailler à Winston-Salem, et lui et safemme partaient deux ou trois jourspar semaine, laissant la pauvre Lucytoute seule. Sauf pour moi, bien sûr.S’ils avaient su ce qui se passait cesjours-là, ils ne nous auraient

probablement pas laissés seuls.

– Hé là, a dit Savannah.

Elle avait enfilé de nouveau son bikini,sous un short.

– Je vois que tu es de retour à lanormale.

– Comment peux-tu le dire ?

– Tes yeux ne sont pas exorbités parceque ton col est trop serré.

J’ai souri.

– Tim a préparé quelques sandwichs.

– Super ! Je suis affamée, dit-elle ense déplaçant autour de la cuisine. As-tu mangé ?

– Non, pas encore, ai-je dit.

– Eh bien, allons-y. Je déteste mangerseule.

Nous sommes restés dans la cuisinetandis que nous avons mangé. Lesfilles se trouvant sur le pont n’avaientpas réalisé que nous é ons là, et jepouvais entendre l’une d’elles parlerde ce qu’elle a fait avec un des gars lanuit dernière, et rien de cela sonnaitcomme si elle était en ville pour faireune bonne ac on pour les pauvres.Savannah fronça le nez comme pourdire qu’il y avait beaucoup tropd’informa ons, puis se tourna vers leréfrigérateur.

– J’ai besoin d’une boisson. Veux-tuquelque chose ?

– Juste de l’eau.

Elle se pencha pour saisir quelquesbouteilles d’eau. J’ai essayé de ne pasla regarder, mais de toute façon, etfranchement, j’aimais ce que je voyais.Je me demandais si elle savait que jela regardais et supposé qu’elle s’endoutait, car quand elle se leva et seretourna, elle avait à nouveau ceregard amusé. Elle a mis les bouteillessur le comptoir.

– Après cela, veux-tu aller faire du surfà nouveau ?

Comment pourrais-je résister ?

Nous avons passé l’après-midi dansl’eau. Autant j’ai apprécié la vue engros plan de Savannah sur sa planchede surf, j’ai bien plus aimé la voirsurfer. Pour rendre les choses encoremieux, elle a demandé à me regarderalors qu’elle se faisait bronzer sur laplage, et j’ai eu droit à monvisionnement privé tout en profitantdes vagues.

À midi, nous é ons couchés près l’unde l’autre sur des servie es, mais pastrop près du reste du groupe derrièrela maison. Quelques regards curieuxont dérivé dans notre direc on, mais

la plupart ne semblaient pas s’ensoucier que j’étais là, à l’excep on deRandy et Susan. Susan fronça lessourcils ostensiblement à Savannah;Randy, quant à lui, s’est contenté depasser du temps avec Brad et Susancomme la troisième roue, léchant sesplaies. Tim n’était nulle part pour êtrevu.

Savannah était couchée sur le ventre,un spectacle séduisant. J’étais sur ledos à côté d’elle, essayant desomnoler dans la chaleur, mais tropdistrait par sa présence pour medétendre complètement.

– Hé, murmura-t-elle. Parle-moi de testatouages.

J’ai roulé ma tête dans le sable.

– Tu veux savoir quoi ?

– Je ne sais pas. Pourquoi en as-tu, cequ’ils signifient.

Je me suis appuyé sur un coude. J’aiindiqué mon bras gauche, qui avait unaigle et une bannière.

– D’accord, celui-ci c’est l’insigne del’infanterie et ça – j’ai pointé les motset les le res – c’est comment nousnous iden fions : compagnie,bataillon, régiment. Tout le mondedans mon équipe en a un. Nousl’avons eu juste après la forma on debase à Fort Benning en Géorgielorsque nous fêtions.

– Pourquoi ça dit « Jump-Start » endessous ?

– C’est mon surnom. Je l’ai eu aucours de la forma on, courtoisie denotre sergent bien aimé. Je ne me aispas mon fusil ensemble assez vite et ila dit banalement qu’il allait fairesauter une certaine par e de moncorps si je n’allais pas plus vite. Lesurnom est resté.

– Il semble agréable, a-t-elle plaisanté.

– Oh ouais. Nous l’appelions Luciferderrière son dos.

Elle sourit.

– Le fil barbelé signifie quoi ?

– Rien, ai-je dit en secouant la tête. Jel’ai fait faire avant de joindre l’armée.

– Et l’autre bras ?

Un caractère chinois. Je ne voulais pasentrer dans les détails, alors j’aisecoué la tête.

– C’était pendant ma période « Je suisperdu et je me fous de tout ». Il nesignifie rien.

– N’est-il pas un caractère chinois ?

– Oui.

– Alors, qu’est-ce que cela signifie ? Ilfaut bien que ça signifie quelquechose. Comme bravoure ou honneur,quelque chose comme ça ?

– C’est un blasphème.

– Oh ! dit-elle avec un clin d’oeil.

– Comme je l’ai dit, il ne signifie rienpour moi maintenant.

– Sauf que peut-être tu ne devrais pasle montrer si jamais tu vas en Chine.

J’ai ri.

– Ouais, c’est vrai.

Elle était tranquille pendant unmoment.

– Tu étais un rebelle, hein ?

J’ai hoché la tête.

– Il y a longtemps. Enfin, pas silongtemps. Mais ça ressemble à cela.

– C’est ce que tu voulais dire quand tuas dit que l’armée avait été quelquechose dont tu avais besoin à l’époque?

– Cela a été bon pour moi.

Elle pensait à ce sujet.

– Dis-moi, aurais-tu sauté pour allerchercher mon sac à l’époque ?

– Non. J’aurais probablement ri de cequi est arrivé.

Elle a évalué ma réponse, comme sielle demandait s’il fallait me croire.Elle a finalement libéré un longsoupir.

– Je suis heureuse que tu aies joint

l’armée, alors. J’avais vraiment besoinde mon sac.

– Bien.

– Quoi d’autre ?

– Quoi ?

– Que peux-tu me dire sur toi ?

– Je ne sais pas. Que veux-tu savoir ?

– Dis-moi quelque chose quepersonne d’autre ne sait sur toi.

J’ai considéré la question.

– Je peux te dire combien vaut dixdollars Indiens frappés en 1907.

– Combien ?

– Quarante-deux. Ils n’ont jamais été

des nés au grand public. Quelquescollec onneurs de monnaies les ontfaits pour eux et quelques amis.

– Tu aimes les pièces de monnaie ?

– Je ne suis pas sûr. C’est une longuehistoire.

– Nous avons le temps.

J’ai hésité tandis que Savannahs’étirait pour prendre son sac.

– Tiens, dit-elle en fouillant dans lesac, puis en ressor t un tube decrème Coppertone. Tu pourras toutme raconter après que tu aies mis dela lo on sur mon dos. Je me senscomme si je vais brûler.

– Oh, je peux, hein ?

Elle fit un clin d’oeil.

– Ça fait partie du marché.

J’ai appliqué la lo on sur son dos etses épaules qui n’avaientprobablement pas besoin de crème,mais je me suis convaincu qu’ellesviraient au rose et qu’avoir un coupde soleil rendrait son travail lelendemain misérable. Après cela, j’aipassé quelques minutes à lui raconterles aventures de mon grand-père etmon père, les salons de pièces demonnaie et le bon vieux Eliasberg. Sije n’ai pas spécifiquement répondu àsa ques on, c’est pour la simple

raison que je n’étais pas sûr de quelleétait la réponse. Quand j’ai eu fini,elle se tourna vers moi.

– Et ton père collec onne toujours lespièces de monnaie ?

– Tout le temps. Du moins, je penseque oui. Nous ne parlons plus despièces de monnaie désormais.

– Pourquoi pas ?

Je lui ai aussi raconté ce e histoire.Ne me demandez pas pourquoi. Jesavais que j’aurais dû me re lemeilleur et taire la merde pourl’impressionner, mais avec Savannah,ce n’était pas possible. Pour uneraison quelconque, elle m’a donné

envie de lui dire la vérité, même si jela connaissais à peine. Quand j’ai eufini, elle affichait une expressioncurieuse.

– Ouais, j’étais un imbécile, ai-jesuggéré, sachant qu’il n’y avaitd’autres mots sans doute plus précispour me décrire à l’époque, tous lesautres étaient assez profanes pourl’offenser.

– On dirait bien, dit-elle, mais ce n’estpas ce que je pensais. J’essayais det’imaginer à l’époque, parce que tu neressembles en rien à ce e personnemaintenant.

Que pouvais-je dire sans que cela ne

semble pas faux, même si c’était vrai ?Incertain, j’ai choisi de faire commemon père et je n’ai rien dit.

– Comment est ton père ?

Je lui ai donné un bref récapitula f.Comme je parlais, elle creusa le sableet le laissa tomber lentement entreses doigts, comme si elle seconcentrait sur mon choix de mots. Àla fin, me surprenant de nouveau, j’aiadmis que nous é ons presque desétrangers.

– Vous l’êtes, dit-elle en u lisant unton sans porter de jugement. Tu asété absent pendant quelques annéeset même toi tu admets que tu as

changé. Comment pourrait-il teconnaître ?

Je me suis assis. La plage étaitbondée; c’était l’heure de la journéeoù tous ceux qui ont planifié de venirétaient déjà ici, et personne n’étaittout à fait prêt à par r. Randy et Bradont joué au frisbee sur le bord del’eau, riant et criant. Quelques autreserraient pour les rejoindre.

– Je sais, ai-je dit. Mais ce n’est passeulement cela. Nous avons toujoursété des étrangers. Je veux dire, c’esttellement difficile de parler de lui.

Aussitôt que je l’ai dit, j’ai réaliséqu’elle était la première personne à

qui je ne l’avais jamais admis. Étrange.Mais alors, la plupart de ce que je luidisais semblait étrange.

– La plupart des gens de notre âgedisent autant de leurs parents.

Peut-être, pensai-je. Mais là, c’étaitdifférent. Ce n’était pas unedifférence entre les généra ons,c’était le fait que pour mon père, lebavardage normal était impossible, àmoins qu’il ne soit ques on despièces de monnaie. Je n’ai rien dit deplus, cependant, et Savannah lissa lesable devant elle. Quand elle parla, savoix était douce.

– Je voudrais le rencontrer.

Je me suis tourné vers elle.

– Oui ?

– Il semble intéressant. J’ai toujoursaimé les gens qui ont ce e… passionpour la vie.

– C’est une passion pour les pièces demonnaie, pas la vie, je l’ai corrigée.

– C’est la même chose. Une passionest une passion. C’est l’excita onentre les moments ennuyeux, et celan’a pas d’importance où c’est dirigé.(Elle mélangea ses pieds dans lesable.) Eh bien, la plupart du temps,de toute façon. Je ne parle pas desvices ici.

– Comme toi et la caféine.

Elle sourit, affichant le minusculeécart entre ses deux dents de devant.

– Exactement. Cela peut être despièces de monnaie, le sport, lapoli que, les chevaux, la musique oula foi… les gens les plus tristes que jen’aie jamais rencontrés dans la viesont ceux qui ne se soucientprofondément de quoi que ce soit. Lapassion et la sa sfac on vont de pairet sans eux, n’importe quel bonheurn’est que temporaire, car il n’y a rienpour le faire durer. J’aimeraisentendre une conversa on de tonpère sur les pièces, parce que c’est làque vous voyez une personne à sonmieux et j’ai constaté que le bonheur

est habituellement contagieux.

J’ai été frappé par ses paroles. Malgrél’opinion de Tim qu’elle était naïve,elle semblait beaucoup plus matureque la plupart des gens de notre âge.Puis à nouveau, compte tenu de lafaçon qu’elle était dans son bikini, elleaurait probablement pu réciterl’annuaire téléphonique et j’aurais étéimpressionné.

Savannah était assise à côté de moi etson regard suivi le mien. La par e defrisbee ba ait son plein; comme Bradpassa le disque comme un éclair,d’autres ont couru l’a raper. Les deuxont plongé en même temps,barbotant dans les vagues comme

leurs têtes sont entrées en collision.Celui en short rouge s’est relevérapidement, jurant et en tenant satête, son short couvert de sable. Lesautres riaient et je me suis retrouvé àsourire et grimacer en même temps

– As-tu vu ça ? demandai-je.

– A ends-moi, dit-elle à la place. Jereviens tout de suite.

Elle tro a jusqu’au gars au shortrouge. Il l’a vue s’approcher et s’estfigé, comme l’a fait le gars à côté delui. Savannah, j’ai compris peu près,avait le même effet sur tous les gars,pas seulement moi. Je pouvais la voirparler et sourire, ce regard sérieux

tourné sur le gars, qui hocha la têtecomme elle parlait, ressemblant à unadolescent réprimandé. Elle estretournée à mes côtés et s’est rassis.Je n’ai pas demandé, sachant que cen’était pas mes affaires, mais je savaisque je miroitais ma curiosité.

– Normalement, je n’aurais rien dit,mais je lui ai demandé de me re sonmauvais langage en veilleuse à causede toutes les familles ici, a-t-elleexpliqué. Il y a beaucoup de pe tsenfants autour. Il a dit qu’il feraitattention.

– J’aurais dû m’en douter. Lui as-tusuggéré d’u liser « Sainte vache » ou« Bon sang » à la place ?

Elle a plissé les yeux avec malice.

– Tu as aimé ces expressions, n’est-cepas ?

– Je pense les transme re à monéquipe. Ils seront ajoutés à notrefacteur d’in mida on quand nousdéfoncerons des portes et lanceronsdes RPG.

Elle eut un petit rire.

– Certainement plus effrayant quejurer, même si je ne sais pas ce qu’estun RPG.

– Le lancer d’une grenade.

Malgré moi, je l’aimais de plus en plusavec chaque minute qui passait.

– Qu’est-ce que tu fais ce soir ?

– Je n’ai pas de plans. Eh bien, àl’excep on de la réunion. Pourquoi ?As-tu envie de m’emmener rencontrerton père ?

– Non. Eh bien, pas ce soir. Plus tard.Ce soir, je voulais te faire visiterWilmington.

– Es-tu en train de me demander desortir avec toi ?

– Oui, admis-je. Nous reviendronsquand tu le souhaiteras. Je sais que tudois travailler demain, mais il y a cetendroit génial que je veux te montrer.

– Quel genre d’endroit ?

– Un endroit local. Spécialisé dans lesfruits de mer. Mais c’est plus uneexpérience.

Elle enroula ses bras autour de sesgenoux.

– Je ne sors habituellement pas avecdes étrangers, a-t-elle finalementrépondu, et nous nous sommesrencontrés seulement hier. Tu pensesque je peux te faire confiance ?

– Je ne sais pas.

Elle se mit à rire.

– Eh bien dans ce cas, je suppose queje peux faire une exception.

– Oui ?

– Oui, dit-elle. Je suis folle des garshonnêtes avec des cheveux en brosse.À quelle heure ?

CHAPITRE QUATREJ’étais à la maison à dix-sept heures etmême si je ne me sentais pas brûlépar le soleil – j’avais ce e peaurésistante de l’Europe du Sud – labrûlure était évidente quand j’ai prisune douche. L’eau piquait comme ellericochait sur ma poitrine, mes épauleset mon visage, me faisant sen rcomme si je couvais une pe te fièvre.Après, je me suis rasé pour lapremière fois depuis mon retour à lamaison et m’étais habillé d’une pairede shorts propre et l’une deschemises que je possédais, bleu clair.Lucy l’avait achetée pour moi et avait

juré que la couleur était parfaite pourmoi. Je repliai le col et les manches dela chemise, puis fouillé dans monplacard pour trouver une paire desandales.

Par la fente dans la porte, je pouvaisvoir mon père à son bureau, et celame frappa que pour la deuxièmesoirée consécutive, j’avais fait d’autresplans pour le dîner. Je n’avais paspassé beaucoup de temps avec lui ceweek-end. Il ne se plaindrait pas, je lesavais, mais je ressentais toujoursce e douleur de la culpabilité. Aprèsque nous ayons cessé de parler depièces de monnaie, le pe t déjeuneret le dîner étaient les seules choses

que nous avons partagées, et je leprivais maintenant de cela. Peut-êtreque je n’avais pas changé autant queje le pensais. Je vivais dans sa maisonet je mangeais sa nourriture, et j’étaissur le point de lui demander si jepouvais emprunter sa voiture. End’autres termes, ma propre vie passaiten premier et je l’u lisais dans leprocessus. Je me demandais ce queSavannah dirait à ce sujet, mais jepense que je connaissais déjà laréponse. Savannah ressemblaitparfois beaucoup à la pe te voix quiavait élu domicile dans ma tête, maissans jamais se soucier de payer leloyer, et à ce moment-là, elle

murmura que si je me sentaiscoupable, peut-être que je faisaisquelque chose de mal. Je résolus queje passerais plus de temps avec lui.C’était une échappatoire et je l’aiadmis, mais je ne savais pas quoi faired’autre.

Quand j’ai ouvert la porte, mon pèreavait l’air surpris de me voir.

– Salut, papa, ai-je dit en prenant maplace habituelle.

– Salut, John.

Dès qu’il parlait, il jeta un regard àson bureau et passa la main sur sescheveux clairsemés. Quand je n’ai rienajouté, il a réalisé qu’il devrait me

poser une question.

– Comment s’est passée ta journée ?demanda-t-il finalement.

J’ai changé de position sur ma chaise.

– C’était génial. J’ai passé la plupartde la journée avec Savannah, la filledont je t’ai parlé hier soir.

– Oh !

Ses yeux ont dérivé vers le côté,refusant de répondre aux miens.

– Tu ne m’as pas parlé d’elle.

– Je ne l’ai pas fait ?

– Non, mais c’est correct. Il était tard.

Pour la première fois, il semblait se

rendre compte que j’étais bienhabillé, ou du moins, aussi bienhabillé qu’il ne m’avait jamais vu,mais il ne pouvait pas se résoudre àdemander à ce sujet.

Je rai sur ma chemise, lui laissant lecrochet.

– Ouais, je sais, j’essaye del’impressionner, n'est-ce pas ? Jel’emmène dîner au restaurant ce soir,ai-je dit. Est-ce que je peux emprunterta voiture ?

– Oh… bien, a-t-il dit.

– Je veux dire, en as-tu besoin ce soir? Je pourrais appeler un ami…

– Non, dit-il.

Il fouilla dans sa poche pour les clés.Neuf pères sur dix les auraient jetéessur la table, lui me les tendit.

– Tu vas bien ? demandai-je.

– Juste fatigué, a-t-il dit.

Je me levai et pris les clés.

– Papa ?

Il leva les yeux à nouveau.

– Je suis désolé de ne pas avoir dînéavec toi ces deux derniers soirs.

– C’est bien, a-t-il dit. Je comprends.

Le soleil commençait sa lente

descente, et comme je sortais dehors,le ciel était un tourbillon de couleursfruitées qui contrastait fortementavec le ciel du soir que j’avais appris àconnaître en Allemagne. Le trafic étaitaffreux, comme c’est l’habitude ledimanche soir et il a presque fallutrente minutes pour arriver à la plageet me stationner.

J’ai ouvert la porte de la maison sansfrapper. Deux gars assis sur le canapéà regarder un match de baseball,m’ont entendu entrer.

– Salut, ont-ils dit, semblantindifférent et pas étonné.

– Avez-vous vu Savannah ?

– Qui ? a demandé l’un d‘eux, medonnant de toute évidence peud’attention.

– Ça ne fait rien. Je vais la trouver.

J’ai traversé la salle de séjour jusqu’àla terrasse arrière, et vu le gars du grillde la veille et quelques autres, maisaucun signe de Savannah. Et je nepouvais pas la voir sur la plage. J’étaissur le point de me retourner quandj’ai sen quelqu’un tapoter monépaule.

– Qui cherches-tu ? a-t-elle demandé.

Je me suis retourné.

– Une fille, ai-je dit. Elle a tendance àperdre ses choses dans l’eau, mais elle

apprend vite quand il s’agit du surf.

Elle posa ses mains sur ses hanches,et j’ai souri. Elle était vêtue d’un shortet d’un licou d’été, soupçon de fardsur ses joues, et j’ai remarqué qu’elleavait appliqué un peu de mascara etdu rouge à lèvres. Alors que j’aimaissa beauté naturelle – je suis un enfantde la plage – elle était encore plusravissante que dans mon souvenir. J’aisen un parfum citronné comme ellese pencha vers moi.

– C’est tout ce que je suis ? Une fille ?a-t-elle demandé.

Elle avait l’air à la fois espiègle etsérieuse, et pendant un instant, j’ai

fantasmé d’enrouler mes bras autourd’elle ici et maintenant.

– Oh ! ai-je en feignant la surprise.C’est toi.

Les deux gars sur le canapé ont jetéun coup d’oeil vers nous, avant deretourner à l’écran.

– Tu es prête à y aller ? demandai-je.

– Je vais chercher ma bourse, dit-elle.

Elle l’a pris sur le comptoir de lacuisine et nous sommes sortis.

– Et où allons-nous ?

Quand je lui ai dit, elle a levé unsourcil.

– Tu m’emmènes manger dans un

endroit avec le mot cabane dans lenom ?

– Je suis juste un fantassin sous-payéde l’armée. C’est tout ce que je peuxme permettre.

Elle se heurta contre moi alors quenous marchions.

– Tu vois, c’est pour cela que je nesors habituellement pas avec desétrangers.

La Cabane de la Creve e est aucentre-ville de Wilmington, dans lequar er historique qui borde larivière Cape Fear. Au bout de la zone

historique se trouvent toutes lesdes na ons touris ques typiques :magasins de souvenirs, deux ou troisendroits se spécialisant dans lesan quités, quelques restaurants hautde gamme, des cafés et diversesagences immobilières. À l’autre bout,cependant, Wilmington affiche soncaractère en tant que ville portuaire :les grands entrepôts, dont plus d’unétait abandonné et quelques autresimmeubles à bureaux qui sont àmoi é occupés. Je doute fort que lestouristes qui affluent ici ne se soientjamais aventurés vers ce bout. C’est icique j’ai grandi. Peu à peu, les foulesont disparu jusqu’à ce qu’il n’y ait

plus personne qui ait été sur letro oir de la zone qui est devenue deplus en plus délabrée.

– Où est cet endroit ? demandaSavannah.

– Juste un peu plus loin, ai-je dit. Là-bas, au bout.

– C’est un peu à l’écart, non ?

– C’est une sorte d’ins tu on locale,ai-je dit. Le propriétaire ne se souciepas si les touristes viennent ou pas. Iln’y en a jamais.

Une minute plus tard, j’ai ralen lavoiture et je me suis sta onné dansun pe t parking bordant un desentrepôts. Quelques voitures étaient

garées devant la Cabane de laCreve e, comme toujours, et l’endroitn’avait pas changé. D’aussi loin que jeme souvenais, il avait l’air délabré,avec un large porche encombré, de lapeinture écaillée, et une ligne de toittordu qui faisait paraître l’endroit surle point de s’écrouler, en dépit du faitqu’il avait résisté à plusieurs ouragansdepuis les années 1940. L’extérieur aété décoré avec des filets, desenjoliveurs, des plaquesd’immatricula on, une ancreancienne, des rames et quelqueschaînes rouillées. Une chaloupe briséeétait posée près de la porte.

Le ciel commençait paresseusement à

s’effacer au noir comme nousmarchions vers l’entrée. Je medemandais si je devais prendre lamain de Savannah, mais finalement,je n’ai rien fait. Bien que j’avais unecertaine expérience avec les femmes,j’avais très peu d’expérience quand ils’agissait des filles qui m’importaient.Malgré le fait que seulement un jours’est écoulé depuis que nous noussommes rencontrés, je savais déjà quej’étais dans un nouveau territoire.

Nous avons marché sur le porcheaffaissé, et Savannah a souligné lachaloupe.

– C’est peut-être pourquoi il a ouvertun restaurant. Parce que son bateau a

coulé.

– Peut-être. Ou peut-être quelqu’unl’a juste laissé l’a et il n’a jamais prisla peine de l’enlever. Tu es prête ?

– Comme je ne le serai jamais, dit-elleet je poussai la porte.

Je ne sais pas à quoi elle s’a endait,mais elle avait une expression desa sfac on comme elle entra. Il yavait un long bar sur un côté, desfenêtres qui donnaient sur la rivière,et, dans le salon principal, des bancsde pique-nique en bois. Quelquesserveuses avec de longs cheveux – quin’avaient pas changé, pas plus que ledécor – se déplaçaient entre les

tables, portant des plateaux denourriture. L’air avait une odeurgrasse d’aliments frits et de la fuméede cigare e, mais de toute façon, celasemblait juste bien. La plupart destables étaient occupées, mais je fissigne vers une près du juke-box. Iljouait une chanson country-western,mais je ne pourrais pas vous dire quiétait le chanteur. Je suis plus un fande rock classique.

Nous avons fait notre chemin parmiles tables. La plupart des clientssemblaient être des gens quitravaillaient dur pour gagner sa vie :des travailleurs de la construction, despaysagistes, des camionneurs, etc. Je

n’avais pas vu un si grand nombre decasque es de baseball et de NASCARdepuis… eh bien, j’en avais jamais vuautant. Quelques jeunes hommesdans mon peloton étaient des fans,mais je n’ai jamais eu la piqûre deregarder un tas de voitures toujourstourner en rond ni compris pourquoiils ne publiaient pas les ar cles dansla sec on automobile au lieu de lasec on des sports. Nous noussommes assis en face de l’autre, et jeregardais Savannah examiner la salle.

– J’aime des endroits comme celui-ci,a-t-elle dit. C ’était ton lieu deprédilection quand tu vivais ici ?

– Non, c’était plus un endroit pour

une occasion spéciale.Habituellement, je traînais à unendroit appelé Leroy. C’est un barprès de la plage de Wrightsville.

Elle a pris son menu stra fié serréentre un distributeur métallique deservie es, les bouteilles de ketchup etla sauce piquante Pete Texas.

– Ça me semble bien, a-t-elle dit, puiselle a ouvert le menu. Maintenant,quelle est leur spécialité ?

– Les crevettes, ai-je dit.

– Non, vraiment ? a-t-elle demandé.

– Sérieusement. Chaque type decreve e que tu peux imaginer. Tu saisla scène dans Forrest Gump quand

Bubba disait à Forrest toutes lesfaçons de préparer des creve es ?Grillées, sautées, cuites au barbecue,creve es à la cajun, creve es aucitron, creve es créoles, cocktail decrevettes… C’est cet endroit.

– Qu’est-ce que tu aimes ?

– Je les aime froides avec de la saucecocktail sur le côté. Ou frits.

Elle ferma le menu.

– Tu choisis, dit-elle en glissant sonmenu vers moi. J’ai confiance en toi.

Je le glissai le menu à sa place contrele distributeur de serviettes.

– Alors ?

– Froides. Dans un seau. C’estl’expérience consommée.

Elle se pencha sur la table.

– Alors, combien de femmes as-tuamenées ici ? Pour l’expérienceconsommée, je veux dire.

– T’incluant ? Laisse-moi y penser. (Jetambourinais mes doigts sur la table.)Une.

– Je suis honorée.

– C’était plus un endroit pour moi etmes amis quand nous voulionsmanger au lieu de boire. Il n’y avaitpas meilleure nourriture après unejournée passée à surfer.

– Comme je vais bientôt le découvrir.

La serveuse a apparu et j’aicommandé nos creve es. Quand ellea demandé ce que nous voulionsboire, j’ai levé mes mains.

– Un thé sucré, s’il vous plaît, a ditSavannah.

– Emmenez-en deux, ai-je ajouté.

Après que la serveuse soit par e,nous nous sommes installés dans uneconversa on facile, sans interrup onmême lorsque nos boissons sontarrivées. Nous avons parlé de la viedans l’armée à nouveau; pour uneraison quelconque, Savannahsemblait fasciné par cela.

Elle a également demandé si j’avaisgrandi ici. Je lui ai dit, en plus de ceque je pensais au sujet de mes annéesde lycée et probablement trop de mestrois années précédant l’enrôlement.

Elle a écouté a en vement, posantdes ques ons de temps en temps,puis j’ai réalisé qu’il y avait longtempsque j’avais été à un rencard commecelui-là; quelques années, peut-êtreplus. Pas depuis Lucy, de toute façon.Je n’avais pas vu une raisonquelconque pour cela, mais commej’étais assis avec Savannah, j’ai dûrepenser ma décision. J’ai aimé êtreseul avec elle et je voulais la voir plussouvent. Non seulement ce soir, mais

demain et le jour suivant. Son souciévident pour les autres me semblaitcomme rafraîchissant et souhaitable.Puis à nouveau, passer du temps avecelle m’a aussi fait réaliser à quel pointj’avais été seul. Je ne l’avais jamaisadmis, mais après seulement deuxjours avec Savannah, je savais quec’était vrai.

– Allons choisir de la musique, dit-elle, interrompant mes pensées.

Je me levai de mon siège, fouilla dansmes poches pour quelques dollars etles laissa tomber dans la fente.Savannah posa les deux mains sur lavitre et se pencha en avant commeelle lisait les tres, puis choisit

quelques chansons. Au moment oùnous sommes revenus à la table, lapremière jouait déjà.

– Tu sais, je viens de réaliser que j’aifait toute la conversa on, ce soir, ai-jedit.

– Tu es une personne bavarde, a-t-elleobservé.

J’ai sor mes ustensiles de la servie ede papier.

– Et toi ? Tu sais tout de moi, mais jene sais rien de toi.

– Bien sûr, tu en sais, dit-elle. Tu saisquel âge j’ai, à quelle école je vais, ceque je veux faire plus tard et le faitque je ne bois pas. Tu sais que je suis

de Lenoir, vivant sur un ranch, quej’aime les chevaux et passes mes étésà construire des maisons pourl’Habitat pour l’Humanité. Tu en saisbeaucoup.

Ouais, j’ai soudain réalisé. Y comprisce qu’elle n’avait pas mentionné.

– Ce n’est pas assez, ai-je dit. C ’est àton tour.

Elle se pencha en avant.

– Demande ce que tu veux savoir.

– Parle-moi de tes parents, ai-je dit.

– Très bien, dit-elle, s’étendant pourprendre une servie e pour essuyer lacondensa on de son verre. Mes

parents sont mariés depuis vingt-cinqans et ils sont toujours heureux etfollement amoureux. Ils se sontrencontrés à l’université del’Appalachian State et ma mèretravaillait dans une banque pendantquelques années jusqu’à ce qu’ellem’a eu. Depuis lors, elle a été unemère au foyer et elle était le genre demère qui était là pour tout le monde.Aide en cours, conductrice volontaire,entraîneuse de notre équipe defootball, responsable de l’ATP, tout cegenre de choses. Maintenant que jesuis par e, elle passe chaque journéeà faire du bénévolat pour d’autreschoses : la bibliothèque, les écoles,

l’église. Mon père est un professeurd’histoire et il a entraîné l’équipe desfilles au volleyball depuis que je suispe te. L’année dernière, elles ont faitla finale de l’État, mais elles ontperdu. Il est aussi diacre dans notreéglise et il dirige le groupe de jeuneset la chorale. Veux-tu voir une photo ?

– Bien sûr, ai-je dit.

Elle ouvrit son sac et sor t son porte-feuille. Elle donna un pe t coup pourl’ouvrir et l’a poussé à travers la table,nos doigts se frôlant.

– Elle est un peu gondolée à cause desa visite dans l’océan, dit-elle, mais tuen as une idée.

J’ai tourné la photo. Savannahressemblait plus à son père qu’à samère, ou du moins, elle avait héritédes caractéris ques plus sombres delui.

– Beau couple.

– Je les aime, dit-elle en prenant laphoto et la reme ant dans son porte-feuille. Ils sont les meilleurs.

– Pourquoi vis-tu sur un ranch si tonpère est un professeur ?

– Oh, ce n’est pas un ranch de travail.Il fut un temps où il appartenait àmon grand-père, mais il a dû vendredes par es pour payer les impôts. Aumoment où mon père en a hérité, il

était tombé à dix acres avec unemaison, des écuries et un corral. Ilressemble plus à un grand chan erqu’à un ranch. C’est ainsi dont nousnous référons toujours à lui, mais jesuppose que cela évoque unemauvaise image, hein ?

– Je sais que tu as dit avoir fait de lagymnas que, mais tu as joué auvolleyball pour ton père ?

– Non, dit-elle. Je veux dire, il est unsuper entraîneur, mais il m’a toujoursencouragée à faire ce qui était bonpour moi. Et le volleyball ne l’étaitpas. J’ai essayé et j’étais bonne, maisce n’était pas ce que j’ai aimé.

– Tu aimais les chevaux.

– Depuis que je suis une pe te fille.Ma mère m’a donné ce e statue d’uncheval quand j’étais jeune et c’estainsi que tout a commencé. J’ai eumon premier cheval pour Noël quandj’avais huit ans et c’est toujours lemeilleur cadeau de Noël que je n’aijamais reçu. Slocum. C’était une vieilleet douce jument, et elle était parfaitepour moi. Je devais m’occuper de sonalimenta on, la brosser et garder sastalle propre. Entre elle, l’école, lagymnas que et prendre soin du restedes animaux, c’était à peu près tout letemps que j’avais.

– Le reste des animaux ?

– Quand j’étais jeune, notre maisonétait un peu comme une ferme.Chiens, chats, même un lama pendantquelque temps. J’étais folle quand ils’agissait de chiens errants. Mesparents sont arrivés au point où ils nediscutaient même pas avec moi à cesujet. Il y en avait d’habitude quatreou cinq à la fois. Parfois, unpropriétaire venait, en espéranttrouver un animal perdu, et repartaitavec un de nos récents ajouts s’il nepouvait pas le trouver. Nous é onscomme un fournisseur.

– Tes parents étaient patients.

– Oui, dit-elle, ils l’étaient. Mais ilsétaient fous pour les chiens errants.

Même si elle le nie, ma mère était pireque moi.

Je l’ai étudiée.

– Je parie que tu étais une bonneélève.

– Tout à fait. J’étais major d’unepromotion de ma classe.

– Pourquoi cela ne me surprend pas ?

– Je ne sais pas, dit-elle. Pourquoi ?

Je n’ai pas répondu.

– As-tu déjà eu un petit ami sérieux ?

– Oh, maintenant nous passons auxchoses sérieuses, hein ?

– Je ne faisais que demander…

– Qu’en penses-tu ?

– Je pense, ai-je dit en faisant traînerles mots, que je n’en ai aucune idée.

Elle se mit à rire.

– Alors… laissons ce e ques on allerpour le moment. Un pe t mystère estbon pour l’âme. En plus, je suis prêteà parier que tu peux le deviner partoi-même.

La serveuse est arrivée avec le seau decreve es et quelques bols enplas que de sauce cocktail, les a missur la table avec un contenant chaudde thé avec l’efficacité de quelqu’unqui fait cela depuis beaucoup troplongtemps. Elle tourna les talons sans

demander si nous avions besoind’autre chose.

– Cet endroit est légendaire pour sonhospitalité.

– Elle est juste occupée, a ditSavannah en prenant une creve e. Enplus, je pense qu’elle sait que tu meques onnes et elle voulait me laisserà mon enquêteur.

Elle croqua la creve e et l’a pelée,puis tremper dans la sauce avant d’enprendre une bouchée. Je me suisétendu vers le seau et en ai déposéquelques-unes dans mon assiette.

– Que veux-tu savoir d’autre ?

– Je ne sais pas. Tout. Quelle est la

meilleure chose d’être à l’université ?

Elle y réfléchit comme elle remplissaitson assiette.

– De bons professeurs, a-t-ellefinalement dit. À l’université, tu peuxparfois choisir tes professeurs, tantque tu es flexible avec ton horaire.C’est ce que j’aime.

– Avant que j’aie commencé l’armée,c’était les conseils que mon père m’adonnés. Il a dit de choisir des coursbasés sur l’enseignant quand tu lepeux, pas le sujet. Je veux dire, ilsavait qu’on pouvait suivre certainscours pour avoir un diplôme, mais sonpoint était que les bons enseignants

ont une valeur ines mable. Ils vousinspirent, vous diver t, et vousfinissez par apprendre une tonne dechoses, même quand vous ne le savezpas. Parce qu’ils sont passionnés deleurs matières, ai-je dit.

Elle fit un clin d’oeil.

– Exactement. Et il avait raison. J’aipris des cours dans les matières que jen’ai jamais pensé que je seraisintéressé et d’aussi loin que tupuisses l’imaginer. Mais tu sais quoi ?Je me souviendrais toujours de cescours comme si je venais de les suivre.

– Je suis impressionné. J’ai pensé quetu dirais quelque chose comme aller à

des matchs de basketball était lameilleure par e d’aller à l’université.C’est comme une religion à ChapelHill.

– J’aime cela aussi. Tout comme j’aimeles amis que je me suis faits et vivreloin de mes parents, et tout cela. J’aiappris beaucoup depuis que j’aiqui é Lenoir. Je veux dire, j’ai eu unevie merveilleuse là-bas, et mesparents sont super, mais j’étais…protégée. J’ai eu quelques expériencesrévélatrices.

– Comme quoi ?

– Des tas de choses. Comme sen r lapression de boire ou me brancher

avec un gars à chaque fois que je suissor e. Ma première année, jedétestais l’UNC. Je n’ai pas eul’impression que je m’intégrais. J’aisupplié mes parents de me laisserrentrer à la maison ou être transférée,mais ils n’étaient pas d’accord. Jepense qu’ils savaient qu’à long terme,je le regre erais et ils avaient sansdoute raison. Ce n’est pas avant uncertain temps pendant ma deuxièmeannée que j’ai rencontré des filles quise sentaient de la même manière quemoi et ça a été beaucoup mieuxensuite. J’ai rejoint quelques groupesd’étudiants chré ens, je passais lesamedi ma n dans un abri à Raleigh

pour servir les pauvres, et je neressentais aucune pression pour allerà toutes ces fêtes ou sor r avec desgars. Et si j’allais à une fête, lapression ne devait pas être sur moi. Jeviens d’accepter le fait que je n’ai pasà faire ce que tout le monde fait. Jepeux faire ce qui est bon pour moi.

Ce qui explique pourquoi elle étaitavec moi hier soir, j’ai pensé. Et en cemoment, d’ailleurs.

Elle s’éclaircit.

– C’est un peu comme toi, je suppose.Au cours des deux dernières années,j’ai grandi. Donc, en plus que noussoyons tous les deux des surfeurs

expérimentés, nous avons aussi celaen commun.

J’ai ri.

– Ouais. Sauf que j’ai eu beaucoupplus de mal que toi.

Elle se pencha de nouveau.

– Mon père a toujours dit que quandtu lu es avec quelque chose, regardeles gens autour de toi et réalise quechaque personne que tu vois lu eavec quelque chose, et pour eux etc’est tout aussi dur que ce que tu vis.

– Ton père semble être un hommeintelligent.

– Mes parents le sont tous les deux. Je

pense qu’ils sont parmi le top cinqdes meilleurs étudiants del’université. Voilà comment ils se sontrencontrés. À étudier dans labibliothèque. L’éduca on étaitvraiment importante pour eux, desorte qu’ils ont fait de moi leur projet.Je veux dire, je lisais avant que je nesois à la maternelle, mais ils ne l’ontjamais donné l’impression que c’étaitune corvée. Et ils m’ont parlé commesi j’étais une adulte d’aussi loin que jeme souvienne.

Pendant un instant, je me demandaiscomment ma vie aurait été différentes’ils avaient été mes parents, mais j’aivite repoussé ce e pensée. Je savais

que mon père avait fait de son mieux,et je n’avais aucun regret quant à lafaçon que j’avais tourné. Regre er surle voyage, peut-être, mais pas lades na on. Parce que tout cela étaitarrivé, et j’étais en train de mangerdes creve es dans une cabanemiteuse du centre-ville avec une filleque je savais déjà que je n’allaisjamais oublier.

Après le dîner, nous sommes rentrés àla maison, qui était étonnammentcalme. La musique jouait toujours,mais la plupart des gens sedétendaient autour du feu, comme

s’ils an cipaient un dur éveil lelendemain ma n. Tim était parmi eux,absorbé une conversa on sérieuse.Me surprenant, Savannah a pris mamain, me stoppant mon élan avant derejoindre le groupe.

– Allons faire une promenade, dit-elle.Je veux digérer un peu le dîner avantde me rasseoir.

Au-dessus de nous, quelques nuagesvaporeux se répandirent parmi lesétoiles et la lune, toujours présente,planant sur l’horizon. Une légère brisea sait ma joue, et je pouvaisentendre le mouvement incessant desvagues qui roulaient sur le rivage. Lamarée était basse et nous avons

marché sur le sable dur, plus compactau bord de l’eau. Savannah posa unemain sur mon épaule pour garderl’équilibre, comme elle re ra unesandale, puis l’autre. Quand elle eutfini, j’ai fait la même chose, et nousavons marché en silence pendantquelques pas.

– C’est tellement beau ici. Je veuxdire, j’aime les montagnes, mais c’estmerveilleux de sa propre façon.C’est… pacifique.

J’es mais que les mêmes motspourraient la décrire, mais je n’étaispas sûr de ce qu’il fallait dire.

– Je ne peux pas croire que je t’ai

rencontré seulement hier, a-t-elleajouté. Il semble que je te connaisdepuis beaucoup plus longtemps.

Sa main était chaude et confortabledans la mienne.

– Je pensais la même chose.

Elle eut un sourire rêveur, étudiant lesétoiles.

– Je me demande ce que Tim à cesujet, murmurait-elle, et me jeta uncoup d’oeil. Il pense que je suis unpeu naïve.

– L’es-tu ?

– Parfois, admit-elle, et j’ai ri.

Elle continua.

– Je veux dire, quand je vois deuxpersonnes se promener comme ça, jepense, « Oh, c’est si doux. » Je nepense pas qu’ils vont finir celaderrière les dunes. Mais le fait est queparfois, ils le font. Je ne le réalisejamais à l’avance et je suis toujourssurprise quand j’en entends parlerplus tard. Je n’y peux rien. Commehier soir, après ton départ. J’aientendu parler de deux personnesd’ici qui ont fait exactement cela et jene pouvais pas y croire.

– J’aurais été plus étonné s’il nes’était rien produit.

– C’est ce que je n’aime pas del’université. C’est comme s’il y a un

grand nombre de personnes qui necroient pas que ces années comptentréellement, donc tu fais tout pourexpérimenter… tout. Il y a une tellevue des choses comme le sexe, l’alcoolet même la drogue. Je sais que celasemble démodé, mais je necomprends pas. C’est peut-êtrepourquoi je ne voulais pas allerm’asseoir près du feu comme tout lemonde. Pour être honnête, je suis unpeu déçue de ces deux personnesdont j’ai entendu parler, et je ne veuxpas m’asseoir là et essayer de fairesemblant que je ne le suis pas. Je saisque je ne devrais pas juger, et je suissûre qu’ils sont de bonnes personnes,

puisqu’ils sont ici pour nous aider,mais quel était le point ? Tu nedevrais pas garder ces choses-là pourquelqu’un que tu aimes ? Pour quecela signifie vraiment quelque chose ?

Je savais qu’elle ne voulait pas deréponse, alors je n’en ai offertaucune.

– Qui t’a parlé de ce couple ? j’aidemandé à la place.

– Tim. Je pense qu’il a aussi été déçu,mais que va-t-il faire ? Les expulser ?

Nous avions fait un bon bout dechemin sur la plage, et nous avons faitdemi-tour. Dans la distance, jepouvais voir le cercle des silhoue es

près du feu. Il y avait un légerbrouillard et les crabes fantômes seprécipitaient dans leurs trous commenous nous approchions.

– Je suis désolée, dit-elle. J’étais horssujet, là.

– De quoi ?

– Pour être aussi… bouleversée à cesujet. Je ne devrais pas porter dejugement. Ce n’est pas moi.

– Tout le monde juge, ai-je dit. C’est lanature humaine.

– Je sais. Mais… je ne suis pasparfaite, non plus. En fin de compte,c’est seulement le jugement de Dieuqui compte, et j’en sais assez pour

savoir que nul ne peut prétendreconnaître ce que veut Dieu.

J’ai souri.

– Quoi ? a-t-elle demandé.

– La façon dont tu parles me rappellecelle de notre aumônier. Il dit lamême chose.

Nous nous sommes promenés sur laplage, et comme nous approchions dela maison, nous nous sommeséloignés du bord de l’eau, dans lesable plus doux. Nos pieds glissaient àchaque pas, et je pouvais sen rl’emprise de Savannah serrer sur mamain. Je me demandais si elle allait lalâcher quand nous sommes arrivés

près du feu, et j’ai été déçu quand ellel’a fait.

– Hey ! lança Tim, d’un ton amical.Vous êtes de retour.

Randy était là, aussi et il portait sonexpression boudeuse habituelle.Franchement, je commençais à enavoir marre de son ressen ment. Bradse tenait debout derrière Susan, quise penchait dans sa poitrine. Susansemblait indécise quant à savoir si elledevait faire semblant d’être heureusepour pouvoir apprendre des détailsde Savannah, ou être en colère aubénéfice de Randy. Les autres,évidemment indifférents, sontretournés dans leurs conversa ons.

Tim se leva et vint vers nous.

– Comment était le dîner ?

– C’était génial, a dit Savannah. J’ai euun avant-goût de culture locale. Noussommes allés à la Cabane de laCrevette.

– Ça semble amusant, a-t-ilcommenté.

Je me suis tendu afin de détectertoute trace sous-jacente de jalousie,mais n’en trouva pas. Tim fit signe surson épaule et continua.

– Voulez-vous vous joindre à nous ?Nous sommes à nous préparer pourdemain.

– En réalité, je suis un peu fa guée. Jevais raccompagner John à sa voitureet je reviendrai. À quelle heuredevons-nous être là ?

– À six heures. Nous allons déjeuneret être sur le site pour sept heurestrente. N’oubliez pas votre crèmesolaire. Nous serons au soleil toute lajournée.

– Je vais m’en souvenir. Tu devrais lerappeler aux autres.

– C’est fait, dit-il. Et je le referai ànouveau demain. Mais tu sais bienque certains n’écouteront pas et seferont frire.

– Je te verrai demain, dit-elle.

– Très bien, dit-il avant de tourner sona en on vers moi. Je suis heureuxque tu sois passé aujourd’hui.

– Moi aussi, ai-je dit.

– Et écoute, si tu t’ennuies au coursdes deux prochaines semaines, nouspourrions toujours avoir besoin d’uncoup de main.

J’ai ri.

– Je savais que ça allait venir.

– Je suis qui je suis, dit-il en tendantla main. Mais de toute façon, j’espèrete revoir.

Nous nous sommes serré la main. Timest retourné à sa chaise et Savannah

hocha la tête vers la maison. Nousavons fait notre chemin vers la dune,s’arrêter pour reme re nos sandales,puis suivi le sen er en bois, autour dela maison. Une minute plus tard, nousé ons à la voiture. Dans l’obscurité, jene pouvais pas discerner sonexpression.

– Je me suis bien amusée ce soir, a-t-elle dit. Et aujourd’hui.

J’ai avalé dur.

– Quand pourrais-je te revoir ?

C’était une simple ques on, normalemême, mais j’ai été surpris d’entendrele désir dans mon ton. Je ne l’avaismême pas encore embrassée.

– Je suppose, dit-elle, que celadépend de toi. Tu sais où je suis.

– Que dirais-tu demain soir ? j’ai laissééchapper. Je connais un autre endroitqui a un groupe et c’est très amusant.

Elle cacha une mèche de cheveuxderrière son oreille.

– Vers vingt heures ? Ce serait correct? C’est juste que le premier jour sur lesite est toujours… passionnant et lafatiguant en même temps. Nous avonsun dîner de groupe et je ne peux pasvraiment le manquer.

– Oui, c’est très bien, ai-je dit, enpensant que ce n’était pas bien dutout.

Elle doit avoir entendu quelque chosedans ma voix.

– Comme Tim l’a dit, tu es le bienvenusi tu passes dans le coin.

– Non, ce n’est pas grave. Mardi soir,c’est très bien.

Nous avons continué à rester là, un deces moments délicats que je nem’habituerai probablement jamais,mais elle se détourna avant que je nepuisse tenter un baiser.Normalement, j’aurais plongé devantjuste pour voir ce qui serait passé,mais je ne pouvais pas être ouvert surmes sen ments, même si j’étaisimpulsif et rapide pour passer à

l’ac on. Avec Savannah, je me sentaisétrangement paralysé. Elle nesemblait pas du tout pressée.

Une voiture passait, brisant lemoment. Elle fit un pas vers lamaison, puis s’arrêta et posa sa mainsur mon bras. Dans un geste innocent,elle m’a embrassé sur la joue. C’étaitpresque fraternel, mais ses lèvresétaient douces et l’odeur de sonparfum m’a englou , s’a ardantmême après s’être écartée.

– J’ai réellement passé un bonmoment, murmurait-elle. Je ne pensepas que j’oublierai ce e journéeavant très, très longtemps.

Je sen s sa main qui er mon bras,puis dans un murmure, elle a disparu,se re rant dans les escaliers de lamaison.

À la maison tard dans la nuit, je mesuis retrouvé à tourner et meretourner dans mon lit, en revivant lesévénements de la journée.Finalement, je me suis assis,souhaitant lui avoir dit combien notrejournée avait signifié pour moi. Àl’extérieur de ma fenêtre, j’ai vu uneétoile filante traverser le ciel enlaissant une trace brillante de blanc.Je voulais croire que c’était un

présage, mais je n’étais pas sûr. Aulieu de cela, tout ce que je pouvaisfaire, c’était de rejouer le doux baiserde Savannah sur ma joue pour lacen ème fois et me demandaiscomment je pouvais être en train detomber amoureux d’une fille quej’avais rencontrée la veille.

CHAPITRE CINQ– Bon ma n, papa, ai-je dit entitubant dans la cuisine.

Je plissai les yeux à la lumièrebrillante du ma n et j’ai vu mon pèredebout devant le poêle. L’odeur debacon flottait dans l’air.

– Oh… Salut, John.

Je tombai lourdement sur la chaise,essayant toujours de me réveiller.

– Ouais, je sais que je me lève tôt,mais je tenais à t’a raper avant quetu partes travailler.

– Oh, dit-il. Bien. Laisse-moi te

préparer à manger.

Il semblait presque heureux, en dépitde ce e encoche dans sa rou ne.C’était des moments comme ceux-ciqui me perme aient de savoir qu’ilétait heureux que je sois à la maison.

– Y a-t-il du café ? demandai-je.

– Il est dans le pot, dit-il.

Je me suis versé une tasse et erra à latable. Le journal se trouvait comme ilétait arrivé. Mon père le lisaittoujours au pe t-déjeuner, et je leconnaissais assez pour ne pas ytoucher. Il était toujours drôle d’êtrele premier à le lire et il l’a toujours luexactement dans le même ordre.

Je m’a endais à ce que mon père medemande comment s’était passée masoirée avec Savannah, mais il ne ditrien, préférant se concentrer sur sacuisine. Notant l’horloge, je savais queSavannah par rait pour le site dansquelques minutes, et je medemandais si elle pensait à moiautant que je pensais à elle. Dans letourbillon de ce qui était sans douteune ma née chao que pour elle, jedoutais qu’elle le faisait. Le réaliserm’a fait mal de manière inattendue.

– Qu’as-tu fait hier soir ? je lui aifinalement demandé, essayantd’éloigner mes pensées de Savannah.

Il con nua à cuisiner comme s’il ne

m’avait pas entendu.

– Papa ?

– Oui ? a-t-il demandé.

– Comment s’est passée ta soiréed’hier ?

– Comment s’est passer quoi ?

– Ta soirée. Quelque chose d’excitantest arrivé ?

– Non, dit-il. Rien.

Il me sourit avant de tourner sestranches de bacon dans la poêle. Jepouvais entendre le grésillements’intensifier.

– J’ai eu un très bon moment, mesuis-je lancé. Savannah est vraiment

quelque chose. Nous sommes allés àl’église ensemble, hier.

Quelque part, je pensais qu’il allaitdemander plus à ce sujet, et j’admetsque je le voulais. J’ai imaginé quenous pourrions avoir une vraieconversa on, le genre que d’autrespères pourraient avoir avec leurs fils,qu’il puisse rire et peut-être faire uneblague ou deux. Au lieu de cela, il setourna vers un autre brûleur. Il apulvérisé une poêle avec un peud’huile et versé de la pâte d’oeuf.

– Pourrais-tu me re du pain dans legrille-pain ? a-t-il demandé.

J’ai soupiré.

– Bien sûr, ai-je dit, sachant déjà quenous mangerions en silence. Aucunproblème.

J’ai passé le reste de la journée àsurfer, ou plutôt, à essayer de surfer.L’océan s’était calmé pendant la nuitet les pe tes vagues n’étaient rienpour s’exciter. Pour empirer leschoses, elles se cassaient près de lacôte comme elles avaient fait la veille,et même si je n’ai pas trouvéquelques bonnes vagues, l’expériencen’a pas duré longtemps avant que lesvagues ne se soient arrêtées. Dans lepassé, je serais peut-être allé à Oak

Island ou pousser jusqu’à Atlan cBeach, où je pourrais faire un tour àShackleford Banks dans l’espoir que jetrouverais quelque chose de mieux.Mais aujourd’hui, je n’étais pasd’humeur.

Au lieu de cela, j’ai surfé où je l’avaisfait les deux jours précédents. Lamaison était un peu plus bas sur laplage et elle semblait presqueinhabitée. La porte était fermée, lesservie es avaient été ramassées etpersonne ne passait devant la fenêtreou n’est sor sur le pont. Je medemandais quand tout le mondereviendrait. Probablement autour deseize ou dix-sept heures, et j’avais

déjà pris la décision que je serais pardepuis longtemps d’ici-là. Il n’y avaitaucune raison d’être ici en premierlieu, et la dernière chose que jevoulais, c’était que Savannah penseque j’étais une sorte de harceleur.

Je suis par autour de quinze heureset je suis allé chez Leroy. Le bar étaitplus sombre et plus miteux que dansmes souvenirs et je détestais l’endroitdès que j’ai franchi la porte. J’avaistoujours pensé que dans ce bar, il n’yavait que des alcooliquesprofessionnels, mais j’ai vu la preuvequ’il y avait aussi des hommessolitaires assis au-dessus desmeilleurs verres du Tennessee,

espérant un refuge contre lesproblèmes de la vie. Leroy était là et ilm’a reconnu quand je suis entré.Quand j’ai pris un siège au bar, il aautoma quement mis un verre debière à la pompe et commença à leremplir.

– Long moment sans te voir, a-t-ilcommenté. Tu restes tranquille ?

– J’essaye, ai-je grogné.

Je jetai un regard autour du bar,comme il glissa le verre devant moi.

– J’aime ce que tu as fait avec la place,ai-je dit en faisant un signe sur monépaule.

– Bien. C’est tout pour toi. Tu vas

manger quelque chose ?

– Non. C’est très bien, merci.

Il essuya le comptoir devant moi, alancé un chiffon sur son épaule ets’éloigna pour prendre la commandede quelqu’un d’autre. Un instant plustard, je sen s une main sur monépaule.

– Johnny ! Que fais-tu ici ?

Je me suis tourné et j’ai vu l’un desnombreux amis que j’étais venu àmépriser. C’est ainsi que c’était ici. Jedétestais tout ce qui concerne le lieu,y comprit mes amis et j’ai réalisé quec’était toujours le cas. Je n’avaisaucune idée pourquoi j’étais venu, ou

même pourquoi je n’avais fait de cetendroit mon lieu de prédilec on,autre que le fait que je n’avais aucunautre endroit où aller.

– Hey, Toby, ai-je dit.

Grand et maigre, Toby a pris un siègeà côté de moi, et quand il se tournavers moi, j’ai vu que ses yeux étaientdéjà vitreux. Il sentait comme si celafaisait des jours qu’il ne s’était paslavé et sa chemise était tachée.

– Tu joues toujours à Rambo ? a-t-ildemandé, ses mots pâteux. On diraitque tu t’es beaucoup entraîné.

– Ouais, ai-je dit, ne voulant entrerdans les détails. Que fais-tu ces jours-

ci ?

– Traînant, principalement. Depuis lesdeux dernières semaines. Je travaillaisa u Quick Stop jusqu’à il y a environdeux semaines, mais le propriétaireétait un vrai con.

– Tu vis toujours à la maison ?

– Bien sûr, a-t-il dit, sonnant presquefier du fait, puis a pris une longuegoulée de sa bière et s’est ensuiteconcentré sur mes bras. Tu as bonnemine. Tu t’entraînes ? a-t-il denouveau demandé.

– Un peu, ai-je dit, sachant qu’il ne sesouvenait pas de me l’avoir déjàdemandé.

– Tu es musclé.

Je ne pouvais pas penser à quelquechose à dire. Toby a pris une autregorgée de bière.

– Hé, il y a une fête ce soir chezMandy, a-t-il dit. Tu te souviens deMandy, pas vrai ?

Ouais, je me souvenais. Une fille demon passé qui a duré moins d’unweek-end. Toby continuait encore.

– Ses parents sont par s à New Yorkou quelque part comme ça, et ildevrait y avoir un vrai tacot. Noussommes juste un peu pré-party pournous me re dans l’ambianceadéquate. Tu veux te joindre à nous ?

Il fit signe au-dessus de son épaulevers quatre gars assis à un coin detable jonchée de trois pichets vides.J’ai reconnu deux de ma vie passée,mais les autres étaient des étrangers.

– Je ne peux pas, ai-je dit. Je doisrencontrer mon père pour le dîner.Merci quand même.

– Oublie-le. Il va y avoir uneexplosion. Kim sera là.

Une autre femme de mon passé, unautre rappel qui m’a fait quer àl’intérieur. Je pouvais à peineimaginer la personne que j’avais été.

– Je ne peux pas, ai-je dit en secouantla tête.

Je me levai, laissant le verre presqueplein devant moi.

– J’ai promis. Et il me laisse habiterchez lui. Tu sais comment c’est.

Cela faisait un sens pour lui et ilhocha la tête.

– Alors, réunissons-nous ce week-end.Un groupe s’en va à Ocracoke pouraller surfer.

– Peut-être, ai-je dit, sachant qu’il n’yavait pas de chance.

– Ton père a toujours le mêmenuméro ?

– Ouais.

Je suis par , sûr qu’il n’appellera

jamais et que je ne retourneraisjamais chez Leroy.

En rentrant à la maison, j’ai ramassédes steaks pour le dîner avec un sacde salade, un peu de vinaigre e etdeux ou trois pommes de terre. Sansvoiture, ce n’était pas facile detransporter le sac avec ma planche desurf jusqu’à la maison, mais je cela nem’empêchais pas de marcher. Jel’avais fait pendant des années, etmes chaussures étaient beaucoupplus confortables que les bo esauxquelles je m’étais habitué.

Une fois à la maison, j’ai sor lebarbecue du garage, avec un sac debrique es et de l’essence à briquet.Le barbecue était poussiéreux, commes’il n’avait pas été u lisé depuis desannées. Je l’ai emmené sur le balconarrière et vidé la poussière decharbon avant d’arroser les toilesd’araignées et de le laisser sécher ausoleil. À l’intérieur, j’ai ajouté un peude sel, du poivre et de l’ail en poudreaux steaks, enveloppé les pommes deterre dans du papier aluminium et lesa mis au four, puis j’ai versé la saladedans un bol. Une fois que le barbecuefut sec, j’ai déposé les brique es etmis la table à l’arrière.

Mon père arriva juste au moment quej’ajoutais les steaks sur le gril.

– Hey, papa, ai-je dit par-dessus monépaule. J’ai pensé de nous faire ledîner ce soir.

– Oh, dit-il, semblant prendre uninstant pour saisir le fait qu’il necuisinerait pas pour moi. Bien, a-t-ilfinalement ajouté.

– Comment aimes-tu ton steak ?

– Medium, a-t-il dit.

Il a con nué à se tenir debout près dela porte-patio.

– Il semble que tu n’as pas u lisé lebarbecue depuis que je suis par , ai-

je dit. Mais tu aurais dû. Il n’y a riende mieux qu’un steak cuit au gril. Mabouche salive depuis que je suisarrivé.

– Je vais aller changer mes vêtements.

– Les steaks seront prêts dans unedizaine de minutes.

Quand il a qui é, je suis retournédans la cuisine, pris les pommes deterre et le bol de salade – avec lavinaigre e, le beurre et la sauce poursteak – et les a mis sur la table. J’aientendu la porte-pa o s’ouvrir etmon père est apparu portant deuxverres de lait, ressemblant à untouriste sur un bateau de croisière. Il

était vêtu d’un short, chausse esnoires, des chaussures de tennis, etune chemise hawaïenne à fleurs. Sesjambes étaient douloureusementblanches, comme s’il n’avait pas portéde shorts depuis des années.Sûrement jamais. En y repensant, jene suis pas sûr si je ne l’avais jamaisvu en shorts. J’ai fait de mon mieuxpour prétendre qu’il avait l’airnormal.

– Juste à temps, ai-je dit enretournant au barbecue.

J’ai chargé les deux assie es avec lessteaks et en ai mis une devant lui.

– Merci, dit-il.

– Mon plaisir.

Il a ajouté de la salade dans sonassie e et versé de la vinaigre e, puisa déballé sa pomme de terre. Il aajouté du beurre, puis a versé de lasauce à steak sur l’assie e, créant unepe te flaque. Normal et détendu, àl’excep on du fait qu’il a fait tout celaen silence.

– Comment s’est passée ta journée ?ai-je demandé, comme toujours.

– Comme d’habitude, répondit-il.

Comme toujours. Il sourit de nouveau,mais n’a ajouta rien d’autre.

Mon père, l’inadapté social. Je medemandais pourquoi il trouvait la

conversa on si difficile et j’ai essayéd’imaginer comment il était dans sajeunesse. Comment il était quand il aconstaté qu’il ne trouverait jamaisquelqu’un pour se marier ? Je savaisque la dernière ques on semblaitidiote, mais elle ne venait pas de larancune. J’étais vraiment curieux.Nous avons mangé pendant uncertain temps, le clique s desfourche es étant le seul son pournous tenir compagnie.

– Savannah dit qu’elle aimerait terencontrer, ai-je finalement dit.

Il a coupé son steak.

– Ta petite amie ?

Seul mon père l’exprimerait de ce emanière.

– Oui, ai-je dit. Je pense que tul’aimerais.

Il hocha la tête.

– Elle est étudiante à l’UNC, ai-jeexpliqué.

Il savait que c’était son tour, et jepouvais sen r son soulagementquand une question lui vint.

– Comment l’as-tu rencontrée ?

Je lui ai parlé du sac, brossant letableau, essayant de rendre l’histoireaussi pleine d’humour que possible,et un rire lui a échappé.

– C’était gen l de ta part, a-t-ilobservé.

Un autre arrêt de conversa on. J’aicoupé un autre morceau de steak.

– Papa ? Je peux te poser unequestion ?

– Bien sûr.

– Comment toi et maman vous êtesrencontrés ?

C’était la première fois que je leques onnais sur elle depuis desannées. Parce qu’elle n’avait jamaisfait par e de ma vie, parce que jen’avais pas de souvenir, j’ai rarementsen le besoin de le faire. Mêmemaintenant, ce n’était pas un réel

besoin; je voulais juste qu’il me parle.Il a pris son temps en ajoutant plus debeurre à sa pomme de terre et jesavais qu’il ne voulait pas répondre.

– Nous nous sommes rencontrés à unrestaurant, a-t-il finalement dire.C’était une serveuse.

J’ai a endu. Rien de plus ne semblaitvenir.

– Elle était jolie ?

– Oui.

– Elle ressemblait à quoi ?

Il a réduit sa pomme de terre enpurée en ajoutant du sel, l’aspergeantavec soin.

– Elle était comme toi, a-t-il conclu.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Humm, a-t-il hésité. Elle pouvaitêtre… têtue.

Je n’étais pas sûr de savoir ce qu’ilvoulait dire. Avant que je puisse luidemander, il se leva de la table etsaisit son verre.

– Veux-tu un peu plus de lait ? a-t-ildemandé, et je savais qu’il ne diraitplus rien à propos d’elle.

CHAPITRE SIXLe temps est rela f. Je sais que je nesuis pas le premier à m’en rendrecompte et de loin être le plus célèbre,et ma réalisa on n’avait rien à voiravec l’énergie de masse, de la vitessede la lumière ou toute autre chosepour laquelle Einstein aurait postulé.Ça avait plutôt rapport que je traînaisdepuis des heures tandis quej’attendais Savannah.

Après que mon père et moi eut fini dedîner, je pensais à elle, je pensais denouveau à elle peu de temps aprèsque je me suis réveillé. J’ai passé lajournée à surfer, et bien que les

v a gu e s étaient meilleures que laveille, je ne pouvais pas réellementme concentrer et j’ai décidé de par rà midi. J’ai déba u de savoir si oui ounon j’allais me chercher uncheeseburger dans un restaurant prèsde la plage, les meilleurs hamburgersen ville, soit dit en passant, maismême si j’étais de bonne humeur, jesuis juste allé chez moi, en espérantque je pourrais parler à Savannahpour aller manger un hamburger plustard. J’ai lu un peu le dernier romande Stephen King, pris une douche etm’habilla d’une paire de jeans et d’unpolo, avant de lire encore pendantquelques heures avant de regarder

l’horloge et réaliser que seulementvingt minutes s’étaient écoulées. C’estce que je voulais dire par le temps estrelatif.

Quand mon père est rentré à lamaison, il a vu la façon dont j’étaishabillé et a offert ses clés.

– Vas-tu voir Savannah ? il ademandé.

– Oui, ai-je dit en me levant ducanapé et pris les clés. Je pourraisrentrer tard.

Il se gratta le dos de sa tête.

– D’accord, a-t-il dit.

– Un petit-déjeuner demain ?

– Bien.

Pour une raison que je ne pouvais pascomprendre, il semblait presqueeffrayé.

– Très bien, ai-je dit. On se voit plustard, d’accord ?

– Je vais probablement dormir.

– Je ne voulais pas dire cela dans lesens littéral…

– Oh, dit-il. Bien.

Je me dirigeai vers la porte. Comme jel’ouvrais, je l’ai entendu soupirer.

– Je voudrais aussi rencontrerSavannah, dit-il d’une voix si douceque je l’ai à peine entendu.

Le ciel était clair et le soleil reflétait salumière sur l’eau quand je suis arrivéà la maison. En sortant de la voiture,j’ai réalisé que j’étais nerveux. Je neme souviens pas la dernière foisqu’une femme m’avait rendu nerveux,mais je ne pouvais pas oublier lapensée que d’une façon ou d’uneautre, les choses pourraient avoirchangé entre nous. Je ne savais pascomment ni pourquoi je me suis senainsi, tout ce que je savais, c’était queje n’étais pas sûr si mes craintess’avéraient correctes.

Je n’ai pas pris la peine de frapper et

suis simplement entré. La salle deséjour était vide, mais je pouvaisentendre des voix à l’extérieur et il yavait l’habituelle collec on de genssur le pont arrière. Je suis sor , endemandant Savannah, et on m’a ditqu’elle était à la plage.

J’ai tro né jusqu’au sable et je mesuis figé quand je l’ai vue assise prèsde la dune, à côté de Randy, Brad etSusan. Elle ne m’avait pas remarquéet je l’ai entendue rire à quelquechose que Randy a dit. Elle et Randysemblaient être autant un couple queSusan et Brad. Je savais qu’ils nel’étaient pas, qu’ils parlaientprobablement juste de la maison

qu’ils construisaient ou partageaientdes anecdotes des deux derniersjours, mais je n’aimais pas ça. Niaimait le fait que Savannah étaitassise si près de Randy comme ellel’avait été avec moi. Comme je metenais là, je me demandais si elle sesouvenait même notre rendez-vous,mais elle sourit quand elle m’a vucomme si de rien n’était.

– Te voilà ! dit-elle. Je me demandaisquand tu te montrerais.

Randy sourit. En dépit de soncommentaire, il portait uneexpression presque victorieuse.Quand le chat n’est pas là, les sourisdansent, il semblait dire.

Savannah se leva et marcha vers moi.Elle portait un chemisier blanc sansmanches et une jupe qui flo ante quise balançait quand elle marchait. Jepouvais voir la nouvelle couleur surses épaules qui résultait de ses heurespassées au soleil. Quand elle estarrivée, elle s’est tenue sur la pointedes pieds et déposa un baiser sur majoue.

– Salut, dit-elle, encerclant un brasautour de ma taille.

– Salut.

Elle se pencha légèrement en arrière,comme si elle évaluait monexpression.

– On dirait que je t’ai manqué, dit-elled’un air taquin dans sa voix.

Comme d’habitude, je ne pouvais paspenser à une réponse et elle fit un clind’oeil à mon incapacité d’adme reque c’était le cas.

– Peut-être que tu m’as manqué aussi,a-t-elle ajouté.

J’ai touché son épaule nue.

– Tu es prête à y aller ?

– Comme je ne le serai jamais, dit-elle.

Nous avons commencé à marcher versla voiture et j’ai pris sa main, sontoucher me faisant comme si toutallait bien dans le monde. Enfin,

presque…

Je me suis redressé.

– Je t’ai vue parler avec Randy, ai-jedit en essayant de garder ma voixneutre.

Elle me serra la main.

– Tu l’as vu, hein ?

J’ai essayé de nouveau.

– Je suppose que vous êtes parvenusà vous connaître pendant que voustravaillez ensemble.

– Bien sûr que oui. J’avais raison,aussi. Il est un jeune homme agréable.Après qu’il aura fini ici, il s’en va àNew York pour un stage de six

semaines chez Morgan Stanley.

– Hmm, je grognai.

Elle a ri sous cape.

– Ne me dit pas que tu es jaloux.

– Je ne le suis pas.

– Bien, a-t-elle conclu, serrant denouveau ma main. Parce qu’il n’y aaucune raison de l’être.

Je me suis accroché sur ces derniersmots. Elle n’avait pas besoin de ledire, mais je ne pouvais pas être plusheureux qu’elle l’ait fait. Quand noussommes arrivés à la voiture, j’aiouvert sa porte.

– Je pensais t’emmener chez Oysters,

ai-je dit. C ’est une boîte de nuit unpeu plus bas sur la plage. Ils ont ungroupe et nous pourrions aller danser.

– Que ferons-nous d’ici là ?

– As-tu faim ? j’ai demandé enpensant au cheeseburger auquelj’avais pensé plus tôt.

– Un peu, a-t-elle dit. J’ai mangé unecolla on quand je suis rentré, maisj’ai encore faim.

– Que penses-tu d’une promenade surla plage ?

– Hmm… peut-être plus tard.

Il était évident qu’elle avait déjàquelque chose en tête.

– Pourquoi ne pas me dire ce que tuveux faire ?

Elle s’éclaircit.

– Que dirais-tu d’aller saluer ton père.

Je n’étais pas sûr si j’avais bienentendu.

– Vraiment ?

– Oui, vraiment, a-t-elle dit. Paslongtemps. Ensuite, nous pourronstrouver quelque chose à manger etaller danser.

Lorsque j’ai hésité, elle posa une mainsur mon épaule.

– S’il te plaît ?

Je n’étais pas content d’y aller, mais lafaçon dont elle a demandé, il étaitimpossible pour moi de dire non. Jecommençais à m’habituer à cela, jesuppose, mais je préférais l’avoirtoute pour moi pour le reste de lasoirée.

Je n’ai pas compris non plus pourquoielle voulait voir mon père ce soir, àmoins que cela signifiait qu’ellen’était pas aussi heureuse que moi àl’idée d’être seule. Pour être honnête,la pensée me déprimait.

En plus, elle était de bonne humeurcomme elle a parlé du travail qu’ils

avaient accompli au cours desderniers jours. Demain, ils avaientprévu de commencer à poser lesfenêtres. Randy avait travaillé à sescôtés pendant les deux jours, ce quiexplique leur « ami é retrouvée ».Voilà comment elle l’a décrit. Jedoutais que Randy ait décrit sonintérêt de la même façon.

Nous sommes arrivés quelquesminutes plus tard, et j’ai noté lalumière dans le repaire de mon père.Quand j’ai éteins le moteur, je jouaisavec les clés avant de sortir.

– Je t’ai dit que mon père est calme,n’est-ce pas ?

– Oui, dit-elle. Cela n’a pasd’importance. Je veux juste lerencontrer.

– Pourquoi ? demandai-je.

Je sais comment ça sonnait, mais je nepouvais pas m’en empêcher.

– Parce que, dit-elle, il est ta seulefamille. Et c’est lui qui t’a élevé.

Une fois que mon père a surmonté lechoc de mon retour avec Savannah etque les présenta ons ont été faites, ilpassa une main rapide sur sescheveux fins et fixait le plancher.

– Je suis désolé, nous n’avons pasappelé avant, mais ne blâmez pasJohn, dit-elle. C’était ma faute.

– Oh, dit-il. C’est correct.

– Nous vous avons pris à un mauvaismoment ?

– Non, dit-il en lui jetant un coupd’oeil avant de se reme re à fixer leplancher. C’est un plaisir de terencontrer.

Pendant un instant, nous é ons tousdebout dans la salle de séjour, sansq u e personne dise quoi que ce soit.Savannah avait le sourire facile, maisje me demandais si mon père l’avaitmême réalisé.

– Voulez-vous boire quelque chose ? ila demandé, comme si tout d’un coupil se souvenait qu’il était censé jouerl’hôte.

– Non, merci, dit-elle. John m’a ditque vous êtes un collec onneur depièces de monnaie.

Il se tourna vers moi, comme s’il medemandait quoi répondre.

– J’essaie, a-t-il finalement répondu.

– Est-ce cela que nous avons sibrutalement interrompu ? a-t-elledemandé, en u lisant le même tontaquin qu’elle avait l’habitude avecmoi.

À ma grande surprise, j’ai entendu

mon père donner un rire nerveux. Pasfort, mais tout de même un rire.Incroyable.

– Non, vous n’avez rien interrompu.J’examinais juste une nouvelle pièceque j’ai eue aujourd’hui.

Comme il parlait, je sentais qu’ilessayait d’évaluer comment jeréagissais. Savannah ne l’a pasremarqué ou elle faisait semblant.

– Vraiment ? a-t-elle demandé. Quelgenre ?

Mon père a changé de poids d’un piedà l’autre. Puis, à mon grandétonnement, il leva les yeux et luidemanda :

– Voudrais-tu la voir ?

Nous avons passé quarante minutesdans le repaire.

La majorité du temps, j’étais assisdans le repaire et j’ai écouté monpère raconter ses histoires que jeconnaissais par coeur. Comme le plussérieux des collec onneurs, il gardaitseulement quelques pièces à lamaison, et je n’avais pas la moindreidée où le reste avait été conservé. Ilfaisait tourner une par e de lacollec on toutes les deux semaines,de nouvelles pièces apparaissant

comme par magie. Habituellement, iln’y en avait jamais plus d’unedouzaine dans son bureau, donnantl’impression qu’il n’y avait jamais riende précieux, mais j’ai eu l’impressionqu’il aurait pu qu’il aurait pu montrerun Lincoln commun à Savannah et elleaurait été ravie. Elle a posé desdizaines de ques ons, des ques onsque moi ou n’importe quel livre surles pièces de collec on aurions pu luirépondre, mais comme les minutespassaient, ses ques ons sontdevenues plus sub les. Au lieu dedemander pourquoi une piècepouvait avoir par culièrement de lavaleur, elle a demandé quand et où il

l’avait trouvée, et elle se plia auxhistoires des week-ends ennuyeux dema jeunesse, passée dans desendroits comme Atlanta, Charleston,Raleigh ou Charlotte.

Mon père a beaucoup parlé de cesvoyages. Eh bien, pour lui, de toutefaçon. Il avait toujours tendance à sereplier sur lui-même pendant delongues périodes, mais il lui avaitprobablement dit le plus de choses aucours de ces quarante minutes quej’étais arrivé à la maison. De monpoint de vue, j’ai vu la passion qu’elleavait renvoyé, mais c’était unepassion que j’avais vue mille foisauparavant, et il cela n’a pas changer

mon opinion comme quoi il a u liséles pièces de monnaie comme unmoyen d’éviter la vie au lieu del’embrasser. Je m’étais arrêté de luiparler des pièces parce que je voulaisparler d’autre chose d’autre; monpère a cessé de parler, car il savaitcomment je me sentais et ne pouvaitdiscuter de rien d’autre.

Et pourtant…

Mon père était heureux et je le savais.Je pouvais voir la façon sont ses yeuxbrillaient comme il fit signe à unepièce de monnaie, en soulignant lamarque de fabrica on, la ne eté del’empreinte ou comment la valeurd’une pièce peut différer, car il y avait

des flèches ou des couronnes. Il amontré à Savannah des pièces demonnaie frappées à West Point, l’unede ses préférées dans sa collec on. Ila sor une loupe pour voir sesdéfauts, et quand Savannah a tenu laloupe, je pouvais voir l’anima on surle visage de mon père. En dépit demes sen ments au sujet des pièces demonnaie, je ne pouvais pasm’empêcher de sourire, simplementde voir mon père si heureux.

Mais il était toujours mon père et iln’y avait pas de miracle. Une fois qu’illui avait montré les pièces demonnaie et lui avait dit comment ilavait commencé à les collec onner,

ses commentaires sont devenus deplus en plus brefs. Il a commencé à serépéter et l’a réalisé, le faisant reculeret ba re en retraite. À un moment,Savannah a dû sen r son malaisecroissant, car elle a fait signe auxpièces placées sur son bureau.

– Je vous remercie, M. Tyree. Je mesens comme si je viens d’apprendrequelque chose de réel.

Mon père sourit, visiblement fa guéet je l’ai pris comme mon signal pourme lever.

– Ouais, c’était super. Mais nousdevrions probablement y aller, ai-jedit.

– Oh… bien.

– C’était une merveilleuse rencontre.

Quand mon père acquiesça denouveau, Savannah se pencha et luidonna une accolade.

– Refaisons cela de nouveau un de cesjours, a-t-elle chuchoté.

Bien que mon père l’a étreint à sontour, cela m’a rappelé ses étreintessans vie que j’avais reçues enfant. Jeme demandais si elle était aussimaladroite comme d’habitude.

Dans la voiture, Savannah semblait

perdue dans ses pensées. J’auraisposé des ques ons sur sesimpressions de mon père, mais jen’étais pas sûr de vouloir entendre saréponse. Je connais mon père et jen’avais pas eu la meilleure rela on,mais elle avait raison quand elle avaitdit qu’il était la seule famille que j’aieue et m’avait élevé. Je pouvais meplaindre de lui, mais la dernière choseque je voulais entendre étaitquelqu’un d’autre le faire aussi.

Je ne pense pas qu’elle dirait quoi quece soit de néga f, tout simplementparce que ce n’était pas dans sanature, et quand elle se tourna versmoi, elle souriait.

– Merci de me l’avoir présenté, a-t-elle dit. Il a un tel… coeur chaud.

Je n’avais jamais entendu quelqu’unle décrire de ce e façon, mais j’aimaiscela.

– Je suis heureux que tu l’aies aimé.

– Je l’aime bien, a-t-elle dit, sonnantsincère. Il est… doux. (Elle meregarda.) Mais je crois que jecomprends pourquoi tu as eutellement d’ennuis quand tu étaisplus jeune. Il ne m’a pas frappé être legenre de père qui fixerait desrèglements.

– En effet, ai-je approuvé.

Elle me lança un air renfrogné

ludique.

– Et tu en as profité.

J’ai ri.

– Ouais, je suppose que je l’ai fait.

Elle secoua la tête.

– Tu aurais dû faire mieux.

– J’étais juste un gamin.

– Oh, la vieille excuse de la jeunesse.Tu sais que ça ne ent pas l’eau,n’est-ce pas ? Je n’ai jamais profité demes parents.

– Oui, l’enfant parfaite. Je pense quetu l’as mentionné.

– Tu te moques de moi ?

– Non, bien sûr que non.

Elle a continué à me dévisager.

– Je pense que tu le fais, a-t-ellefinalement décidé.

– D’accord, peut-être un peu.

Elle a pensé à ma réponse.

– Eh bien, peut-être que je l’ai mérité.Mais pour ta gouverne, je n’étais pasparfaite.

– Non ?

– Bien sûr que non. Je me souvienstrès clairement, par exemple, qu’enquatrième année, j’ai obtenu un B àun test.

J’ai feint le choc.

– Non ! Ne me dis pas cela !

– C’est vrai.

– Comment t’en es-tu remis ?

– Comment d’après toi ? a-t-elle diten haussant les épaules. Je me suis ditque cela ne se reproduirait plusjamais.

Je n’en doutais pas.

– As-tu encore faim ?

– Je pensais que tu n’allais jamais mele demander.

– Qu’as-tu le goût de manger ?

Elle a relevé ses cheveux en queue decheval négligée avant de les laisseraller.

– Que dirais-tu d’un groscheeseburger juteux ?

Dès qu’elle l’a dit, je me suis trouvé àme demander si Savannah était tropparfaite pour être vraie.

CHAPITRE SEPT– Je dois adme re que tu m’emmènesmanger aux endroits les plusintéressants, a dit Savannah en jetantun coup d’oeil sur son épaule.

Dans la distance au-delà de la dune,nous avons pu voir une longue file declients serpentant le stand Joe’sBurger situé au milieu d’unstationnement en gravier.

– C’est le meilleur en ville, ai-je dit enprenant une bouchée de mon énormehamburger.

Savannah était assise près de moidans le sable, face à l’eau. Les

hamburgers étaient fantas ques,juteux et épais, et bien que les fritesétaient un peu trop grasses, elles ontfait le boulot. Comme elle mangeait,Savannah regardait la mer, et dans lalumière déclinante, je me surpris àpenser qu’elle semblait plus à l’aise icique moi.

Je pensais à nouveau à la façon dontelle avait parlé à mon père. De lafaçon dont elle parlait à tout lemonde, y compris moi. Elle avait lacapacité rare d’être exactement cedont les gens avaient besoin quandelle était avec eux en restant fidèle àelle-même. Je ne pouvais pas penser àquelqu’un qui lui ressemblait en

apparence ou de la personnalité, et jeme demandais encore pourquoi elleavait goût à moi. Nous é ons aussidifférents que deux personnespourraient l’être. Elle était une fille dela montagne, douée et douce, élevéepar des parents a en fs, avec undésir d’aider ceux dans le besoin;j’étais un fantassin tatoué de l’armée,dur sur les bords, et en grande par eun étranger dans ma propre maison.En me rappelant comment elle avaitété avec mon père, je pouvais direque ses parents l’avaient bien élevée.Et comme elle était assise à côté demoi, je me suis trouvé à souhaiter queje puisse être comme elle.

– À quoi penses-tu ?

Sa voix, encore douce, m’éloignait demes pensées.

– Je me demandais pourquoi tu es ici,ai-je avoué.

– Parce que j’aime la plage. Je n’arrivepas à le faire très souvent. Ça neressemble pas à n’importe quellesvagues ou des bateaux de creve ed’où je viens.

Quand elle a vu mon expression, ellea pris ma main.

– C’était flippant, a-t-elle dit, je suisdésolée. Je suis ici parce que je veuxêtre ici.

J’ai mis de côté les restes de monhamburger, me demandant pourquoije m’en souciais tant. C’était unsen ment nouveau pour moi, celuique je n’étais pas sûr que jem’habituerais un jour. Elle me caressale bras et se tourna de nouveau versl’eau.

– C’est magnifique ici. Tout ce dontnous avons besoin est un coucher desoleil sur l’eau et ce serait parfait.

– Nous devrions aller de l’autre côtédu pays, ai-je dit.

– Vraiment ? Tu essaies de me direque le soleil se couche à l’ouest ?

J’ai noté la lueur espiègle dans son

regard.

– C’est ce que j’ai entendu dire, detoute façon.

Elle avait mangé que la moi é de soncheeseburger, et elle pris le sac,ajouta les restes du mien comme si derien n'était. Après s’être assurée quele sac ne par rait pas au vent, elleétendit ses jambes et se tourna versmoi, me regardant à la fois coque eet innocente.

– Tu veux savoir ce que je pensais ? a-t-elle demandé.

J’ai attendu, buvant la vue d’elle.

– Je pensais que j’aurais voulu que tusois été avec moi au cours des

derniers jours. Je veux dire, j’ai bienaimé apprendre à connaître tout lemonde. Nous avons déjeunéensemble et le dîner d’hier soir étaitvraiment très amusant, mais il mesemblait que quelque chose n’allaitpas, comme s’il me manquait quelquechose. Ce n’est que quand je t’ai vumarcher sur la plage que j’ai réaliséque c’était toi.

J’ai avalé dur. Dans une autre vie,dans un autre temps, je l’auraisembrassée, mais bien que je levoulais, je ne l’ai pas fait. Au lieu decela, tout ce que je pouvais faire étaitde la dévisager. Elle a rencontré monregard sans un soupçon de conscience

de soi.

– Quand tu m’as demandé pourquoij’étais ici, j’ai fait une blague parceque je pensais que la réponse étaitévidente. Passer du temps avec toi estjuste… facile, en quelque sorte. Facile,comme de la façon dont c’est censéêtre. Comme ça l’est avec mesparents. Ils sont tout simplement bienensemble, et je me souviens qu’engrandissant, je voulais avoir ça aussi.(Elle s’arrêta.) Je voudrais que tu lesrencontres un jour.

Ma gorge était sèche.

– J’aimerais ça aussi.

Elle a glissé sa main dans la mienne,

ses doigts s’entrelaçant avec lesmiens.

Nous sommes restés assis dans unsilence paisible. Au bord de l’eau, lessternes plongeaient leurs becs dans lesable en quête de nourriture; ungroupe de moue es ont cassé unevague. Le ciel s’était assombri et lesnuages plus sinistres. En haut de laplage, je pouvais voir des couplesdispersés marcher sous un ciel indigo.

Comme nous é ons assis ensemble,l’air était rempli par le fracas duressac. Je me suis émerveillé commentje me sentais tout nouveau. Nouveauet confortable, comme si nous nousconnaissions depuis toujours.

Pourtant, nous n’é ons même pas unvrai couple.

Une voix dans ma tête m’a rappeléque probablement nous ne le seronsjamais. Dans un peu plus d’unesemaine, je rentrerais en Allemagne ettout ceci serait fini. J’avais passé assezde temps avec mes copains poursavoir que cela prend plus quequelques jours spéciaux pour survivreà une rela on à l’autre bout del’océan Atlan que. J’avais entendudire les gars de mon unité jurer ques’ils étaient amoureux après unepermission – et peut-être qu’ilsl’étaient –, mais cela n’a jamais duré.

Passer du temps avec Savannah m’a

fait me demander s’il était possible dedéfier la norme. Je voulais plus d’elle,et peu importe ce qui s’est arrivéentre nous, je savais déjà que jen’oublierais jamais rien d’elle. Aussifou que cela puisse paraître, elledevenait une par e de moi et jeredoutais déjà le fait que nous neserions plus en mesure de passer lajournée de demain ensemble. Ou lelendemain, et celui d’après.

Peut-être, me suis-je dit, nouspourrions battre des scores.

– Là-bas ! cria-t-elle en pointantl’océan. Dans les disjoncteurs.

J’ai balayé l’océan couleur de fer, mais

je n’ai rien vu. À côté de moi,Savannah se leva brusquement et semit à courir vers l’eau.

– Viens ! a-t-elle crié par-dessus sonépaule. Dépêche-toi !

Je me leva et avança vers elle,perplexe. Me me ant à courir, j’airéduit l’écart entre nous. Elle s’arrêtaau bord de l’eau et je pouvaisentendre sa respiration venir vite.

– Qu’est-ce qui se passe ? ai-je dit.

– Juste là !

Quand je plissai les yeux, j’ai vu à quoielle avait fait allusion. Trois créaturessurfant sur les vagues, et l’un aprèsl’autre disparaissait de la vue dans

une vague, pour réapparaître denouveau plus loin sur la plage.

– De jeunes marsouins, ai-je dit. Ilspassent par l’île presque tous lessoirs.

– Je sais, dit-elle, mais on dirait qu’ilssurfent.

– Oui, je suppose qu’ils le font. Ils fontjuste s’amuser. Maintenant que toutle monde est hors de l’eau, ilspensent qu’il est sûr de jouer.

– Je veux y aller avec eux. J’ai toujoursvoulu nager avec les dauphins.

– Ils vont arrêter de jouer, ou vont sedéplacer juste en bas de la plage oùtu ne pourras pas les a eindre. Ils

sont drôles, parfois. Je les ai vus ensurfant. S’ils sont curieux, ils viennentà quelques pieds et te donnent uncoup d’oeil, mais si tu essaies de lessuivre, ils vont te qui er dans lapoussière.

Nous avons con nué de regarder lesmarsouins qui s’éloignaient de nous,pour éventuellement disparaître sousun ciel qui était devenu opaque.

– Nous devrions probablement y aller,ai-je dit.

Nous avons fait notre chemin vers lavoiture, nous arrêtant pour jeter lesrestes de notre repas.

– Je ne suis pas sûr que le groupe joue

encore, mais cela ne devrait pas êtrelong.

– Cela n’a pas d’importance, a-t-elledit. Je suis sûre que nous pourronstrouver quelque chose à faire.D’ailleurs, je dois t’aver r que je nesuis pas une bonne danseuse.

– Nous pouvons ne pas y aller, si tu neveux pas. Nous pourrions allerquelque part ailleurs, si tu préfères.

– Comme où ?

– Tu aimes les navires ?

– Quel genre de navires ?

– Les grands, ai-je dit. Je connais unendroit où nous pouvons voir la USS

North Carolina.

Elle a fait une drôle de tête et jesavais que la réponse était non. Nonpour la première fois. Puis à nouveau,je n’avais plus aucune illusion qu’elleserait par e à la maison si j’y étaisallé. Si j’étais elle, je n’irais pas nonplus. Je suis seulement un humain.

– A ends, dit-elle. Je sais où nouspouvons aller. Je veux te montrerquelque chose.

Intrigué, j’ai demandé :

– Où ?

Considérant que le groupe deSavannah avait commencé leur travailseulement hier, la maison étaitétonnamment avancée. La plupart ducadrage était déjà terminé et le toitavait été levé. Savannah regarda parla fenêtre de la voiture avant de setourner vers moi.

– Veux-tu marcher autour ? Voir ceque nous faisons ?

– J’adorerais cela, ai-je dit.

Je la suivis hors de la voiture, ennotant le jeu du clair de lune sur sestraits. Comme je marchais sur la terredu lieu de travail, j’ai réalisé que jepouvais entendre des chansons de la

radio émanant de l’une des fenêtresde cuisine des voisins. À quelques pasde l’entrée, Savannah fit un signeautour de la structure avec une fiertéévidente. Je me suis glissé assezproche pour glisser mon bras autourd’elle et elle pencha la tête contremon épaule comme elle se détendaitcontre moi.

– C’est ici où j’ai passé les deuxderniers jours, a-t-elle presquemurmuré dans le calme de la nuit.Qu’en penses-tu ?

– C’est formidable, ai-je dit. Je parieque la famille sera ravie.

– Ils le sont. Et ils sont une famille

géniale. Ils méritent vraiment cetendroit puisque cela a été une tellelu e pour eux. L’ouragan Fran adétruit leur maison, mais comme tantautres, ils n’ont pas d’assurancecontre les inonda ons. C’est unemère célibataire avec trois enfants –son mari les a abandonnés il y a desannées – et si tu rencontrais lafamille, tu les aimerais. Les enfantsob ennent de bonnes notes à l’écoleet chantent dans la chorale de jeunesà l’église. Et ils sont tellement polis etcourtois… tu peux dire que leur mèrea travaillé dur pour s’assurer qu’ilssoient bien élevés, tu comprends ?

– Tu les as rencontrés ?

Elle hocha la tête vers la maison.

– Ils ont été ici les deux derniers jours.(Elle se redressa.) Veux-tu regarder àl’intérieur ?

À contrecoeur, je l’ai lâchée.

– Montre-moi le chemin.

Ce n’était pas un endroit de grandetaille – de la même taille que lamaison de mon père –, mais le planarchitectural était plus ouvert, ce quila faisait paraître plus grande.Savannah me prit par la main et meconduisit à travers chaque pièce, ensoulignant les caractéris ques, sonimagina on suivant dans le détail.Elle rêva sur le papier peint idéal pour

les murs de la cuisine et la couleur dela tuile dans l’entrée, le ssu desrideaux dans la salle de séjour etcomment décorer le manteau de lacheminée. Sa voix transme ait lemême émerveillement et la joiequ’elle avait exprimée en voyant lesmarsouins. Pendant un instant, j’ai euune vision de ce qu’elle avait dû êtreenfant.

Elle me ramena à la porte d’entrée.Dans la distance, les premiersgrondements de tonnerre se firententendre. Comme nous é ons à laporte, je l’ai attirée près de moi.

– Il va y avoir un porche, aussi, dit-elle, avec assez de place pour deux ou

trois chaises berçantes, ou même unebalançoire. Ils pourront s’asseoir iciles soirs d’été, et se rassembler iciaprès l’église. Leur église estdirectement là-bas. C’est pourquoi cetemplacement est idéal pour eux.

– On dirait que tu as appris à lesconnaître.

– Non, pas vraiment, a-t-elle dit. Jeleur ai parlé un peu, mais je suis justeà imaginer tout cela. Je l’ai fait avectoutes les maisons que j’ai aidé àconstruire – je marchais à l’intérieuret essayait d’imaginer ce que la viedes propriétaires allait ressembler.Cela permet de rendre le travail sur lamaison beaucoup plus amusant.

La lune était maintenant cachée parles nuages, assombrissant le ciel. Àl’horizon, la foudre é ncelait et uninstant plus tard, une douce pluie acommencé à tomber, crépitant sur letoit. Les chênes qui bordent la rue,lourds avec leurs feuilles, bruissaientdans le vent comme le tonnerreretentit dans la maison.

– Si tu veux par r, nous devrionsprobablement y aller avant que latempête frappe.

– Nous n’avons nulle part où aller, tute souviens ? En plus, j’ai toujoursaimé les orages.

Je l’a rais plus près, respirant son

parfum. Ses cheveux sentaient lebonbon, comme les fraises mûres.

Comme nous l’avons prédit, la pluss ’ e s t intensifiée en une averseconstante, tombant en diagonale duciel. Les réverbères fournissaient laseule lumière, éclairant la moi é duvisage de Savannah sans l’ombre.

Le tonnerre a éclaté au-dessus et lapluie a commencé à tomber encordes. Je pouvais voir la pluiesouffler sur le sol couvert de sciures,formant des flaques larges dans lasaleté et j’étais reconnaissant que,malgré la pluie, la température étaitchaude. Sur le côté, j’ai repéréquelques caisses vides. Je l’ai laissée

pour commencer à les empiler dansun siège de fortune. Il ne serait pastrès confortable, mais ce serait mieuxqu’être debout.

Comme Savannah a pris place à côtéde moi, je savais soudainement quevenir ici avait été la bonne chose àfaire. C’était la première fois que nousavions été réellement seuls, maiscomme nous é ons assis côte à côte,c’était comme si nous avions étéensemble pour toujours.

CHAPITRE HUITLes caisses, dures et impitoyables,m’ont fait me re en doute masagesse, mais Savannah n’a passemblé être dérangée. Ou feins de nepas l’être. Elle se pencha en arrière,sentant qu’un coin d’une caissepressa dans sa peau, puis se redressa.

– Désolée, ai-je dit, j’ai pensé qu’ilsseraient plus confortables.

– C’est correct. Mes jambes sontépuisées et j’ai mal aux pieds. C’estparfait.

Oui, je pensais, ça l’était. Je repensaisà toutes ces nuits de garde, quand

j’imaginais être assis à côté de la fillede mes rêves et me sen r comme sitout allait bien dans ce monde. Jesavais maintenant ce que j’avaismanqué toutes ces années. Lorsquej’ai sen Savannah reposer sa tête surmon épaule, je me suis trouvésouhaiter ne pas avoir joint l’armée.Je regre ais être basé à l’étranger, etje regre ais de ne pas avoir choisi unchemin différent dans la vie, celui quim’aurait permis de rester une par ede son univers. Être un étudiant à laChapel Hill, passer une par e de mesétés à construire des maisons, monterà cheval avec elle.

– Tu es terriblement calme, je l’ai

entendu dire.

– Désolé, ai-je dit. Je pensais juste à cesoir.

– De bonnes choses, j’espère.

– Oui, de bonnes choses.

Elle s’est déplacée dans sa place et j’aisentais sa jambe fro er contre lamienne.

– Moi aussi. Mais je pensais à tonpère, dit-elle. A-t-il toujours étécomme il était ce soir ? Du genre

mide et regardant au loin quand ilparle aux gens ?

– Oui, ai-je dit. Pourquoi ?

– Juste curieuse, dit-elle.

Quelques mètres plus loin, l’oragesemblait a eindre son apogée commeune autre averse de pluie éclata desnuages. L’eau tombait de tous lescôtés de la maison comme des chutes.La foudre est tombée de nouveau,plus proche ce e fois et le tonnerres’est écrasé comme un canon. S’il yavait eu des fenêtres, j’ai imaginéqu’elles auraient été secouées dansles cadres.

Savannah s’est approchée plus près etj’ai mis mon bras autour d’elle. Ellecroisa ses jambes au niveau deschevilles et s’appuya contre moi, et jeme sentais comme si je pourrais latenir ainsi pour toujours.

– Tu es différent de la plupart des garsque je connais, a-t-elle observé, savoix basse et in me dans mon oreille.Plus mature, moins… volage.

– Je suppose, ai-je dit en souriant,aimant ce qu’elle a dit. Et n’oublie pasmes cheveux en brosse et mestatouages.

– Les tatouages… eh bien, ils viennentavec le reste, mais personne n’estparfait.

Je l’ai poussée du coude, faisantsemblant d’être blessé.

– Eh bien, si j’avais su comment tesen rais à ce sujet, je ne les auraispas eus.

– Je ne te crois pas, dit-elle. Mais jesuis désolée, je n’aurais pas dû direcela. Je parlais plus de la façon dont jeme sen rais si j’en obtenais un. Surtoi, ils ont tendance à projeter unecertaine… image, et je suppose qu’ilste conviennent.

– Quelle image ?

Elle a souligné les tatouages un à un,en commençant avec le caractèrechinois.

– Celui-là signifie que tu vis ta vieselon tes propres règles et ne tesoucies pas toujours de ce que lesgens pensent. L’infanterie montre quetu es fier de ce que tu fais. Et le fil de

fer barbelé… eh bien, il va avec qui tuétais quand tu étais plus jeune.

– C’est tout à fait le profilpsychologique. Ici, je pensais quec’était juste parce que j’aimais lesdessins.

– Je pense à faire une mineure enpsychologie.

– Je pense que tu l’as déjà.

Bien que le vent s’était levé, la pluie afinalement commencé à ralentir.

– As-tu déjà été amoureux ? a-t-elledemandé, changeant subitement desujet.

Sa question m’a surpris.

– C’est venu de nulle part.

– On m’a dit qu’être imprévisibleajoute au mystère de la femme.

– Oh, c’est vrai. Mais pour répondre àta question, je ne sais pas.

– Comment peux-tu ne pas savoir ?

J’ai hésité en essayant de penser à ceque j’allais dire.

– Je suis sor avec une fille il y aquelques années ,et à l’époque, jesavais que j’étais en amour. Du moins,c’est ce que je me suis dit. Maismaintenant, quand j’y repense, je suisjuste… plus sûr. Je me souciais d’elleet j’ai aimé passer du temps avec elle,mais quand nous n’é ons pas

ensemble, j’ai à peine pensé à elle.Nous é ons ensemble, mais nousn’é ons pas un couple, si cela n’aaucun sens.

Elle a considéré ma réponse, mais n’arien dit. À un moment, je me suistourné vers elle.

– Et toi ? As-tu déjà été amoureuse ?

Son visage s’est rembruni.

– Non.

– Mais tu as pensé que tu l’étais.Comme moi, pas vrai ?

Quand elle inhala fortement, j’aicontinué.

– Dans mon équipe, je dois u liser un

peu de psychologie aussi. Et monins nct me dit qu’il y a eu un pe tami sérieux dans ton passé.

Elle sourit, mais il y avait quelquechose de triste en elle.

– Je savais que tu comprendrais, dit-elle d’une voix sourde. Mais pourrépondre à ta ques on, oui, il y enavait un. Lors de ma première année àl’université. Eh oui, je pense que jel’aimais.

– Es-tu sûre que tu l’aimais ?

Il a fallu beaucoup de temps pourrépondre.

– Non, murmura-t-elle. Je ne le suispas.

Je la regardai.

– Tu n’as pas à me dire…

– C’est correct, dit-elle en levant samain pour me couper. Mais c’est dur.J’ai essayé de l’oublier et c’estquelque chose que je n’ai jamais dit àmes parents. Ou n’importe quid’autre. C’est un tel cliché, tu sais ?Une fille d’une pe te ville va àl’université et rencontre un beausénior, qui est aussi le président de safraternité. Il est populaire, riche etcharmant, et la recrue est un peuin midée qu’il pourrait être intéressépar quelqu’un comme elle. Il la traitecomme si elle est spéciale et elle saitque les autres filles sont jalouses,

alors elle commence à se sen rspéciale, aussi. Elle accepte d’aller aubal d’hiver à l’un des hôtels de la villeavec lui et quelques autres couples,même si elle a été aver e que le garsn’est pas aussi gen l ou sensiblecomme il semble l’être et qu’enréalité, il est le genre de garçon quisculpte des encoches dans son cadrede lit pour toutes les filles qu’il a eu.

Elle ferma ses yeux, comme pourévoquer l’énergie de continuer.

– Elle va à l’encontre du meilleurjugement de ses amis, et même si ellene boit pas, il lui apporte volon ersun soda, elle commence de toutefaçon à devenir patraque de toute

façon, et il lui propose de la ramenerà la chambre d’hôtel afin qu’ellepuisse s’allonger. Et la prochainechose qu’elle sait, ils sont sur le lit às'embrasser, et elle aime ça au début,mais la chambre devient floue ets’aperçoit que quelque chose nefonc onne pas, que peut-être cequelqu’un lui a mis quelque chosedans sa boisson et que sculpter uneautre encoche avec son nom avait étéson but depuis tout le début.

Ses mots ont commencé à venir plusrapidement, tombant l’un sur l’autre.

– Et ensuite, il commence à chercher àtâtons ses seins et sa robe se déchire,puis sa culo e aussi, mais il est au-

dessus d’elle et il est tellement lourdet elle se sent si impuissante qu’elleveut qu’il s’arrête, car elle n’a jamaisfait cela auparavant, et qu’elle est siver gineuse qu’elle peut à peineparler et ne peut appeler à l’aide, et ilaurait probablement eu sa chanceavec elle sauf qu’un couple qui logeaitdans la chambre est arrivé et elle s’estmise à tuber hors de la chambre encriant et en maintenant sa robe.D’une certaine manière, elle trouveson chemin jusqu’à la salle de bainsdu lobby et elle con nue à pleurer, etd’autres filles sont entrées, ont vu sescoulées de mascara et sa robedéchirée, et au lieu de la réconforter,

elles se sont mises à se moquer d’elle,agissant comme si elle aurait dûsavoir ce qui allait d’arriver et qu’ellen’avait eu ce qu’elle a bien mérité.Finalement, elle finit par appeler unami qui a sauté dans sa voiture ets’est rendu là-bas pour la chercher, etil était assez intelligent pour ne pasposer n’importe quelles ques onspendant le trajet du retour.

Au moment où elle a terminé, j’étaisrigide de colère. Je n’étais pas un saintavec les femmes, mais je n’ai jamaisune fois dans ma vie envisagé deforcer une femme à faire quelquechose qu’elle ne voulait pas.

– Je suis désolé, fut tout ce que je

pouvais dire.

– Tu n’as pas à être désolé. Tu ne l’aspas fait.

– Je sais. Mais je ne sais pas quoi dired’autre. Sauf que…

Je m’estompai et après un moment,elle se tourna vers moi. Je pouvaisvoir les larmes qui coulaient sur sesjoues, et le fait qu’elle avait pleuré ensilence m’a fait mal.

– Sauf que quoi ?

– Sauf si tu ne veux pas… Je ne saispas. Lui donner une bonne raclée ?

Elle m’a donné un petit rire triste.

– Tu n’as aucune idée combien de fois

j’ai voulu le faire.

– Je le ferai, ai-je dit. Donne-moi justeun nom, mais je te promets de telaisser hors de cela. Je vais faire lereste.

Elle me serra la main.

– Je sais que tu le ferais.

– Je suis sérieux, ai-je dit.

Elle m’a donné un pâle sourire,semblant simultanément lasse dumonde et ayant mal.

– C’est pourquoi je ne te le dirai pas.Mais crois-moi, ça me touche. C’estgentil de ta part.

J’ai aimé la façon dont elle l’a dit et

nous sommes restés assis ensemble,les mains jointes hermé quement. Lapluie avait finalement cessé et d’oùnous é ons, je pouvais entendre denouveau les sons de la radio. Je neconnaissais pas la chanson, mais je l’aireconnue comme étant du jazz. Undes gars dans mon unité était unfanatique du jazz.

– Mais de toute façon, a-t-ellepoursuivi, c’est ce que je voulais direquand j’ai dit que ce n’était pastoujours facile ma première annéed’université. Et c’était la raison pourlaquelle je voulais qui er l’école. Mesparents, bénissez leurs coeurs, ontpensé que j’avais le mal du pays, et

m’ont fait rester. Mais… aussimauvaise qu’elle fût, j’ai apprisquelque chose sur moi-même. Que jepourrais passer par quelque chosecomme ça et survivre. Je veux dire, jesais que cela aurait pu être pire, maispour moi, c’était tout ce que jepouvais gérer à l’époque. Et j’ai apprisde cela.

Quand elle eut fini, je me suisretrouvé à me rappeler de quelquechose qu’elle avait dit.

– Est-ce Tim qui t’a ramené de l’hôtel,cette nuit-là.

Elle leva les yeux, surpris.

– Qui d’autre aurais-tu pu appeler ?

ai-je dit en guise d’explication.

Elle hocha la tête.

– Ouais, je suppose que tu as raison.Et il était génal. À ce jour, il n’a poséaucune ques on à ce sujet et je ne luiai rien dit. Mais depuis lors, il est unpeu plus protecteur et je ne peux pasdire que cela me dérange.

Dans le silence, j’ai pensé au couragequ’elle avait montré, non seulementce e nuit-là, mais par la suite. Si ellene me l’avait pas dit, je n’auraisjamais soupçonné que quelque chosede mauvais ne lui est arrivé. Je mesuis émerveillé que, malgré ce qui luiest arrivé, elle avait réussi à

s’accrocher à son point de vueoptimiste du monde.

– Je promets d’être un parfaitgentleman, ai-je dit.

Elle se tourna vers moi.

– Qu’est-ce que tu racontes ?

– Ce soir. Demain soir. Chaque fois. Jene suis pas comme ce gars-là.

Elle a tracé un doigt le long de mamâchoire, et je sentais le picotementde ma peau sous son contact.

– Je sais, dit-elle, sonnant amusée.Pourquoi penses-tu que je suis ici avectoi aujourd’hui ?

Sa voix si tendre, et encore, j’ai

supprimé l’envie de l’embrasser. Cen’était pas de dont elle avait besoin,pas maintenant, même s’il étaitdifficile de penser à autre chose.

– Sais-tu ce que Susan a dit aprèsce e première nuit ? Une fois que tues par et que je suis retourné vers legroupe ?

J’ai attendu.

– Elle a dit que tu semblais effrayant.Comme si tu étais la dernièrepersonne sur terre avec qui elle nevoudrait jamais être seule.

J’ai souri.

– On m’a dit pire, l’ai-je assurée.

– Non, tu ne comprends pas monpoint. Mon point est que je mesouviens avoir pensé qu’elle ne savaitpas ce dont elle parlait, parce quequand tu m’as d’abord tendu mon sacsur la plage, j’ai vu l’honnêteté et laconfiance, et même quelque chose detendre, mais rien d’effrayant et tout.Je sais que ça paraît fou, mais j’avaisl’impression de déjà te connaître.

Je me suis détourné sans répondre.Ci-dessous du réverbère, la brume selevait du sol, un ves ge de la chaleurde la journée. Les grillons avaientcommencé leurs sons, chantant l’un àl’autre. J’ai avalé dur en essayants’apaiser la sécheresse soudaine dans

ma gorge. J’ai regardé Savannah, puisvers le plafond, puis mes pieds, etfinalement, Savannah de nouveau.Elle me serra la main, et j’ai ré unsouffle fragile, émerveillé par le faitque, pendant une permission dans unlieu ordinaire, j’étais en quelque sortetombé en amour avec une filleextraordinaire nommée SavannahLynn Curtis.

Elle a vu mon expression, mais l’a malinterprétée.

– Je suis désolée si je t’ai rendu mal àl’aise, murmurait-elle. Je fais çaparfois. Je parle trop, je veux dire. Jedis de laisser échapper ce que jepense sans prendre en compte

comment les autres pourraientinterpréter cela.

– Tu ne m’as pas rendu mal à l’aise,ai-je dit, en tournant son visage versmoi. Jamais personne ne m’a ditquelque chose comme ça, auparavant.

Je me suis presque arrêté là, conscientque si je con nuais à garder les motsà l’intérieur, le moment passerait et jem’échapperais sans me re messentiments sur la ligne.

– Tu n’as pas idée combien cesderniers jours ont signifiés pour moi,ai-je commencé. Ma rencontre avectoi a été la meilleure chose qui ne mesoit jamais arrivée.

J’ai hésité, sachant que si je m’arrêtaismaintenant, je ne serais jamaiscapable de le dire à quelqu’un.

– Je t’aime, murmurai-je.

J’avais toujours imaginé que ces motsseraient difficiles à dire, mais ils nel’étaient pas. De toute ma vie, jen’avais jamais été sûr de quoi que cesoit, et autant j’espérais un jourentendre Savannah me dire ces mots,ce qui importait le plus était de savoirque mon amour était à donner, sanscordes ou attentes.

Dehors, l’air commençait à refroidir,et je pouvais voir des flaques d’eaumiroitant au clair de lune. Les nuages

avaient commencé à se briser et entreeux, une étoile occasionnelle clignades yeux, comme pour me rappeler ceque je venais d’admettre.

– As-tu déjà imaginé quelque chosecomme ça ? s’est-elle demandé à voixhaute. Toi et moi, je veux dire ?

– Non.

– Ça m’effraie un peu.

Mon estomac s’est retourné etimmédiatement, j’étais sûr qu’elle neressentait pas la même chose.

– Tu n’as pas à me le dire, ai-jecommencé. Ce n’est pas pour cela queje l’ai dit…

– Je sais, m’interrompit-elle. Tu necomprends pas. Je ne suis pas effrayéepar ce que tu m’as dit. J’ai étéeffrayée parce que je voulais aussi ledire: je t’aime, John.

Même maintenant, je ne suis toujourspas certain comment c’est arrivé. Uninstant, nous parlions et le suivant,elle se pencha vers moi. Pendant uneseconde, je me demandais sil’embrasser briserait la magie entrenous deux, mais il était trop tard pours’arrêter. Et quand ses lèvresrencontrèrent les miennes, je savaisque je pourrais vivre cent ans etvisiter tous les pays dans le monde,mais rien ne pourra se comparer à ce

moment unique où j’ai embrassé pourla première fois la fille de mes rêves etje savais que mon amour pour elledurerait pour toujours.

CHAPITRE NEUFNous avons fini par rentrer tard.Après avoir qui é la maison, j’airamené Savannah à la plage et nousavons marché dans le sable jusqu’à cequ’elle commence à bâiller. J’aimarché avec elle jusqu’à la porte, etnous nous sommes embrassés ànouveau comme des papillonss’élançaient dans la lumière duporche.

Bien qu’il semblait que j’avaisbeaucoup pensé à Savannah la veille,ce n’était rien comparé à combienj’étais obsédé le lendemain, même sile sen ment était différent. Je me suis

retrouvé à sourire sans aucune raison,quelque chose que même mon père aremarqué quand il est rentré à lamaison après le travail. Il n’a faitaucun commentaire – que je n’avaispas a endu de lui, bien sûr –, mais ilne semblait pas surpris quand j’aitapoté son dos à l’idée de soninten on de faire des lasagnes. J’aiparlé sans cesse de Savannah, etaprès quelques heures, il retournadans son repaire. Même s’il avait ditpeu de choses, je pense qu’il étaitheureux pour moi et encore plusheureux que j’ai partagé cela avec lui.J’étais sûr de cela quand je suis rentréà la maison tard ce soir-là et que

trouvé un plateau de cookies aubeurre d’arachides fraîchement sor sdu four sur le comptoir, accompagnéd’une note qui m’a informé qu’il yavait beaucoup de lait dans leréfrigérateur.

J’ai emmené Savannah manger unecrème glacée, puis l’a ensuiteconduite à la par e touris que ducentre-ville de Wilmington. Nousavons fait du lèche-vitrine, où j’aidécouvert que nous avions un intérêtcommun pour les an quités. Plustard, je l’ai emmenée voir le cuirassé,mais nous ne sommes pas restéslongtemps. Elle avait eu raison; c’étaitennuyeux. Par la suite, je l’ai ramené

chez elle, où nous nous sommes assisautour d’un feu avec ses colocataires.

Les deux soirs suivants, Savannah estvenue chez moi. Mon père a cuisinéles deux soirs. Le premier soir,Savannah n’a rien demandé à monpère sur les pièces de monnaie et laconversa on était un combat. Monpère écoutait surtout, et bien queSavannah l’avait entretenuagréablement et a essayé de lecomprendre, la force de l’habitudenous a poussés à nous parler entrenous pendant que mon père s’estconcentré sur son assie e. Quand ellea qui é, le front de Savannah étaitplissé et bien que je ne voulais pas

croire que son impression ini ale delui avait changé, je savais que c’étaitle cas.

Étonnamment, elle a demandé derevenir la soirée d’après, où une foisde plus, elle et mon père se sontretrouvés dans le repaire, endiscutant des pièces de monnaie.Comme je les regardais, je medemandais comment Savannah faisaitface à une situa on à laquelle j’étaisdepuis longtemps habitué. En mêmetemps, j’ai prié qu’elle serait pluscompréhensive que je l’avais étéautrefois. Au moment où nous avonsqui é, j’ai réalisé que je n’avais rien àcraindre.

Au lieu de cela, comme nous sommesretournés à la plage, elle a parlé demon père en termes élogieux, louanten par culier le travail qu’il avait faitde m’élever. Alors que je n’étais passûr de ce qu’il fallait faire, je poussaiun soupir de soulagement qu’ellesemblait avoir accepté mon père pourqui il était.

Au week-end, mon passage à lamaison sur la plage devenait unévénement régulier. La plupart desgens dans la maison avaient apprismon nom, même s’ils montraient peud’intérêt pour moi, épuisés par letravail de la journée. La plupartd’entre eux étaient regroupés autour

de la télévision par sept ou huit, aulieu de boire et flirter sur la plage.Tout le monde était plus bronzé ettous portaient des pansements surleurs doigts pour couvrir leursampoules.

Le samedi soir, les gens de la maisonavaient trouvé des réserves d’énergiesupplémentaires, et je suis arrivé alorsque des gars déchargeaient descaisses de bières de l’arrière d’unecamionne e. J’ai aidé à lestransporter et je me suis renducompte que depuis la première soiréeoù j’avais vu Savannah, je n’avais paseu envie de prendre une pe te gorgéed’alcool. Comme le week-end

auparavant, nous avons mangé prèsdu feu et après, nous sommes allésfaire une promenade sur la plage.J’avais apporté une couverture et unpanier de pique-nique contenant descolla ons de la soirée, et couchés surle dos, nous avons regardé unspectacle d’étoiles filantes avecétonnement, observant les éclairsblancs parcourant le ciel. C ’était unede ces soirées parfaites avec justeassez de vent pour nous empêcherd’avoir chaud ou froid, et nous avonsparlé et nous embrassés pendant desheures avant de tomber endormitdans les bras de l’autre.

Quand le soleil a commencé sa

remontée dans le ciel le dimanchema n, je me suis assis à côté deSavannah. Son visage était éclairéavec la lueur de l’aube, et ses cheveuxen éventail sur la couverture. Elleavait un bras sur sa poitrine et l’autreau-dessus de sa tête, et tout ce que jepouvais pensé était que je voudraispasser tous les ma ns du reste de mavie à me réveiller à côté d’elle.

Nous sommes allés à l’église, et Timétait aussi présent, en dépit du faitque nous lui avions à peine dit unmot de toute la semaine. Il m’ademandé à nouveau si je voudraisaider sur la maison. Je lui ai dit que jepartais le vendredi suivant, et donc je

ne savais pas comment je pourraisaider.

– Je pense que tu le fa gues, a ditSavannah en souriant à Tim.

Il leva les mains.

– Au moins, tu ne pourras pas direque je n’ai pas essayé.

C’était peut-être la meilleure semaineidyllique que je n’avais jamais passée.Mes sen ments pour Savannahétaient non seulement devenus plusforts, mais comme les jours passaient,j’ai commencé à ressen r une anxiétéà l’idée que bientôt, tout ceci seraitfini. Chaque fois que ces sen mentsont surgi, j’ai essayé de les éloigner,

mais le dimanche soir, je pouvais àpeine dormir. Au lieu de cela, jetournais et me retournais, et j’aipensé à Savannah, et j’ai essayéd’imaginer comment je pourrais êtreheureux de savoir qu’elle était del’autre côté de l’océan et entouré pardes hommes, dont l’un pourrait venirà se sen r exactement comme je lefaisais à son sujet.

Quand je suis arrivé à la maison lelundi soir, je ne pouvais pas trouverSavannah.

J’ai envoyé quelqu’un vérifier sa

chambre et j’ai passé la tête danschaque salle de bains. Elle n’était passur le pont à l’arrière ni sur la plageavec les autres.

Je suis descendu à la plage et j’aidemandé aux autres, recevantessen ellement des haussementsd’épaules d’indifférence. Deux outrois personnes ne s’étaient mêmepas rendu compte qu’elle avaitdisparu, mais une des filles – Sandyou Cindy, je n’étais pas sûr – m’a ditqu’elle s’était dirigée vers le bas de laplage il y a de cela environ une heure.

Il a fallu beaucoup de temps pour latrouver. Je marchais sur la plage dansles deux direc ons, puis finalement

sur le quai près de la maison. Sur uneintui on, j’ai monté l’escalier, enentendant le bruit des vagues endessous de moi. Quand j’ai vuSavannah, j’ai pensé qu’elle étaitsor e au quai pour chercher desmarsouins ou regarder les surfeurs.Elle était assise avec ses genoux sousle menton, appuyée contre un poteauet c’est seulement quand je suis arrivéprès d’elle que j’ai réalisé qu’ellepleurait.

Je n’avais jamais su tout à fait quoifaire quand je voyais une fille pleurer.En toute honnêteté, je ne savais pasquoi faire quand quelqu’un pleurait.Mon père n’a jamais pleuré, ou s’il l’a

fait, ce n’était pas en ma présence. Etla dernière fois que j’ai pleuré, c’étaiten troisième année quand j’étaistombé de l’arbre à la maison etm’était fait une entorse au poignet.Dans mon unité, j’avais vu quelquesgars pleurer, et j’avais l’habitude deleur tapoter le dos avant dem’éloigner, les laissant avecquelqu’un qui avait plus d’expérienceque moi dans ce domaine.

Avant que je puisse décider quoi faire,Savannah m’a vu. Elle s’essuya à lahâte les yeux et les joues, et je l’aientendue prendre quelquesrespira ons pour se stabiliser. Sonsac, celui que j’avais sauvé de l’océan,

était pris en sandwich entre sesjambes.

– Vas-tu bien ? demandai-je.

– Non, répondit-elle et mon coeurs’est serré.

– Veux-tu rester seule ?

Elle l’a considéré.

– Je ne sais pas, a-t-elle finalementdit.

Ne sachant pas quoi faire d’autre, jesuis resté là où j’étais.

Savannah soupira.

– Je vais bien.

J’ai glissé mes mains dans mes poches

comme je hochai la tête.

– Préfères-tu être seule ? j’ai demandéde nouveau.

– Ai-je vraiment entendu ça de toi ?

J’ai hésité.

– Ouais.

Elle eut un rire mélancolique.

– Tu peux rester, dit-elle. En fait, cepourrait être agréable si tu t’assoisprès de moi.

J’ai pris une place, puis, après unebrève période d’indécision, j’ai glissémon bras autour d’elle. Pendant unmoment, nous sommes restés assisensemble sans rien dire. Savannah

inhala lentement et sa respira on estdevenue plus stable.

Elle essuya les larmes qui ontcontinué à glisser sur ses joues.

– Je t’ai acheté quelque chose, dit-elleaprès un certain temps. J’espère queça ne te dérange pas.

– Je suis sûr que c’est bien, murmurai-je.

Elle renifla.

– Sais-tu ce que je pensais quand jesuis arrivée ici ? (Elle n’a pas a enduune réponse.) Je pensais à nous, dit-elle. La façon dont nous nousrencontrés et comment nous avonsparlé la première nuit, comment tu as

parlé de tes tatouages et donné àRandy un mauvais oeil. Et tonexpression maladroite quand noussommes allés surfer la première fois,après avoir profité de la vaguejusqu’au rivage…

Quand elle s’estompa, j’ai serré sataille.

– Je suis sûr qu’il y a un complimentlà-dedans.

Elle a essayé de rire avec un sourirefragile, mais n’a pas tout à fait réussi.

– Je me souviens tout de ces premiersjours, dit-elle. Et c’est la même chosepour toute la semaine. Passer dutemps avec ton père, sor r pour une

crème glacée, même regarder cebateau silencieux.

– Nous n’y retournerons pas, ai-jepromis, mais elle leva les mains pourm’arrêter.

– Tu ne me laisses pas finir, dit-elle. Ettu manques mon point. Mon point estque j’ai adoré chaque instant, et je nem’a endais pas à ça. Je ne suis pasvenue ici pour cela, tout comme je nesuis pas venue ici pour tomber enamour avec toi. Ou, d’une certainefaçon, avec ton père.

Surpris, je n’ai rien dit.

Elle a mis une mèche de cheveuxderrière son oreille.

– Je pense que ton père estfantas que. Je pense qu’il a fait untravail merveilleux en t’élevant et jesais que tu ne t’en rends pas compte,et…

Quand elle semblait être à court demots, je secouais la tête, perplexe.

– Et c’est pourquoi tu pleurais ? Àcause de ce que je ressens pour monpère ?

– Non. Tu ne m’as pas écouté ?

Elle fit une pause, comme si ellecherchait à organiser ses penséeschaotiques.

– Je ne voulais pas tomber en amouravec personne, a-t-elle dit. Je n’étais

pas prête pour cela. J’ai vécu cela unefois et ensuite, j’ai été un gâchis. Jesais que c’est différent, mais tu t’envas dans quelques jours et tout celasera fini… et je vais être un gâchis denouveau.

– Cela ne doit pas se terminer,protestai-je.

– Mais ce le sera, dit-elle. Je sais quenous pouvons nous écrire et parler autéléphone de temps en temps, etnous pourrions nous voir lorsque turentreras à la maison pour unepermission. Mais ce ne sera pas lamême chose. Je ne serai plus enmesure de voir tes expressionscomiques. Nous ne serons pas en

mesure de nous coucher sur la plageensemble et regarder les étoiles. Nousne serons pas en mesure de s’asseoiren face de l’autre et parler et partagerdes secrets. Et je ne sen rai pas tonbras autour de moi, comme je le faismaintenant.

Je me suis détourné, sentant unsen ment croissant de frustra on etde panique. Tout ce qu’elle disaitétait vrai.

– Ça vient de me frapper aujourd’hui,a-t-elle poursuivi, alors que jeregardais les livres à la librairie. J’ysuis allée pour t’acheter un livre etquand je l’ai trouvé, j’ai commencé àimaginer comment tu réagirais quand

je te le donnerais. La chose était queje savais que je te verrais juste dansquelques heures, puis j’ai réfléchi etdécidé que j’avais bien fait. Parce quemême si tu étais bouleversé, je savaisque nous passerions au travers parceque nous pourrions en parler en faceà face. C’est ce dont je me suis renducompte alors que j’étais assise ici. Quequand nous sommes ensemble, toutest possible. (Elle hésita, puis acon nué.) Très vite, cela ne sera pluspossible. Je le savais que nous noussommes rencontrés, que tu serais iciseulement pour deux semaines, maisje ne pensais pas que ça allait être sidur de te dire au revoir.

– Je ne veux pas te dire au revoir, ai-jedit, tournant doucement son visageau mien.

Au-dessous de nous, je pouvaisentendre le bruit des vaguess’effondrant contre les pilo s. Ungroupe de moue es sont passées au-dessus et je me penchai pourl’embrasser, mes lèvres caressant àpeine les siennes. Son souffle sentaitla cannelle et la menthe, et je pensaisà nouveau de rentrer à la maison.

Espérant la distraire de ces tristespensées, je lui ai donné une rapidepression et ai souligné son sac.

– Alors, quel livre m’as-tu acheté ?

Elle semblait perplexe au premierabord, puis se souvint alors qu’ellel’avait mentionné plus tôt.

– Oh oui, je suppose qu’il est tempspour cela, hein ?

Par la façon dont elle l’a dit, je savaissoudainement qu’elle ne m’avait pasacheté le dernier Hiaasen. J’aia endu, mais quand j’ai essayé derépondre à ses yeux, elle se détourna.

– Si je te le donne, dit-elle, sa voixgrave, tu dois me promettre de le lire.

Je n’étais pas tout à fait sûr de lefaire.

– Bien sûr, ai-je dit en faisant traînerles mots. Je le promets.

Elle hésitait toujours. Puis elle fouilladans son sac et plongea la main.Quand elle me le tendit, j’ai lu le tre.Dans un premier temps, je ne savaispas quoi penser. C’était un livre –plutôt un manuel – sur l’au sme etsyndrome d’Asperger. J’avais entenduparler des deux condi ons et avaisassumé que je savais de quoi laplupart des gens souffraient, mais cequi n’était pas beaucoup plus.

– C’est par un de mes professeurs, a-t-elle expliqué. Elle est la meilleureprofesseure que j’ai eue à l’université.Ses cours sont toujours clairs et lesétudiants qui ne se sont pas inscritspassent parfois la voir pour lui parler.

Elle est l’un des plus grands expertsdans toutes les formes des troublesdu développement, et elle est l’unedes rares qui ont concentré sarecherche sur les adultes.

– Fascinant, ai-je dit, sans me donnerla peine de cacher mon manqued’enthousiasme.

– Je pense que tu pourrais apprendrequelque chose, a-t-elle insisté.

– J’en suis sûr, ai-je dit. Il semble qu’ily ait beaucoup d’informa ons là-dedans.

– Il y a plus que cela, dit-elle d’unevoix calme. Je veux que tu le lises àcause de ton père. Et de la façon dont

vous vous entendez tous les deux.

Pour la première fois, je me sentaisme raidir.

– Qu’est-ce que cela a à voir avec cela?

– Je ne suis pas un expert, dit-elle,mais ce livre a été a ribué aux deuxsemestres que j’ai eus, et j’ai dûl’étudier tous les soirs. Comme je l’aidit, elle a interviewé plus de troiscents adultes avec des troubles.

J’ai retiré mon bras.

– Et ?

Je savais qu’elle a entendu la tensiondans ma voix, et elle m’a étudié avec

une trace d’appréhension.

– Je sais que je suis seulement uneétudiante, mais je passe beaucoup demes heures en laboratoire avec desenfants qui ont Asperger… Je l’ai vude près, et j’ai aussi eu la chance derencontrer un certain nombre desadultes que mon professeur avaitinterviewé. (Elle se mit à genouxdevant moi, tendant la main pourtoucher mon bras.) Ton père est trèssemblable à quelques-uns d’entreeux.

Je pense que je savais déjà où ellevoulait en venir, mais pour une raisonquelconque, je voulais qu’elle le disedirectement.

– Qu’est-ce que ça veut dire ?demandai-je me forçant à ne pas larepousser.

Sa réponse a été lente à venir.

– Je pense que ton père peut avoirAsperger.

– Mon père n’est pas retardé…

– Je n’ai pas dit ça, a-t-elle dit.Asperger est un trouble dudéveloppement.

– Je ne me soucie pas de ça, ai-je diten augmentant ma voix. Mon père nel’a pas. Il m’a élevé, il travaille, il paieses factures. Il a été marié une fois.

– Tu peux avoir Asperger et bien

fonctionner…

Comme elle parlait, j’ai flashé surquelque chose qu’elle avait dit plustôt.

– A ends, ai-je dit, essayant de merappeler comment elle l’avait formuléet en sentant que ma bouche était àsec. Plus tôt, tu as dit que tu pensaisque mon père a fait un travailmerveilleux en m’élevant.

– Oui, dit-elle, et je veux dire…

Ma mâchoire était serrée comme j’aicompris ce qu’elle me disaitréellement et je la regardais comme sije la voyais pour la première fois.

– Mais c’est parce que tu penses qu’il

est comme Rain Man. En tenantcompte de son problème, il a fait unbon travail.

– Non… tu ne comprends pas. Il y a undegré du syndrome d’Asperger, defaible à sévère…

Je l’ai à peine entendue.

– Et tu le respectes pour la mêmeraison. Mais ce n’est pas comme s’il teplaisait réellement.

– Non, attends…

Je l’ai repoussée et me suis levédebout. Ayant tout à coup besoind’espace, je me dirigeai vers labalustrade en face d’elle. J’ai pensé àses demandes con nuelles de le

visiter… et ce n’était pas parce qu’ellevoulait passer du temps avec lui.

Parce qu’elle voulait l’étudier.

Mon estomac s’est noué et je lui aifait face.

– C’est pourquoi tu es venue, n’est-cepas ?

– Quoi…

– Pas parce que tu l’aimais, mais parceque tu as voulu savoir si tu avaisraison.

– Non…

– Arrête de mentir ! criai-je.

– Je ne mens pas !

– Tu étais assise là avec lui, faisantsemblant d’être intéressée par sespièces de monnaie, mais en réalité, tul’évaluais comme un singe dans unecage.

– Ce n’était pas comme ça ! dit-elle ense levant debout. Je respecte tonpère…

– Parce que tu penses qu’il a desproblèmes et doit les surmonter, jegrognai en terminant pour elle. Ouais,je comprends.

– Non, tu as tort. J’aime ton père…

– C’est pourquoi tu as fait ta pe teexpérience, pas vrai ? (Monexpression était dure.) Voir si je vais

oublier que lorsque tu aimesquelqu’un, tu fais des choses commeça. C’est cela que tu essayes de medire ?

Elle secoua la tête.

– Non !

Pour la première fois, elle semblaitreme re en ques on ce qu’elle avaitfait, et sa lèvre se mit à trembler.Quand elle parla de nouveau, sa voixtremblait.

– Tu as raison. Je n’aurais pas dû fairecela. Mais je voulais que tu lecomprennes.

– Pourquoi ? ai-je dit en faisant unpas vers elle, sentant mes muscles se

tendre. Je ne comprends pas l’excuse.J’ai grandi avec lui, tu te souviens ?J’ai vécu avec lui.

– J’ai essayé d’aider, dit-elle, les yeuxbaissés. Je voulais juste que tu puissesle toucher.

– Je n’ai pas demandé ton aide. Je neveux pas de ton aide. Et pourquoi est-ce que cela importe dans ta vie, detoute façon ?

Elle se détourna et essuya une larmeà toute volée.

– Il ne s’agit pas de ça, dit-elle, sa voixpresque inaudible. J’ai pensé que tuvoulais le savoir.

– Tu voulais quoi ? j’ai demandé. Que

tu penses qu’il y a quelque chose quine va pas avec lui ? Que je ne devraispas m’a endre à avoir une rela onnormale avec lui ? Que je doive parlerde pièces de monnaie si je veux luiparler ?

Je n’ai pas caché la colère dans mavoix et du coin de mes yeux, j’ai vuque des pêcheurs s’étaient tournésvers nous. Mon regard les a empêchésde s’approcher, ce qui étaitprobablement une bonne chose.Comme nous nous sommesregardions, je ne m’a endais pas à ceque Savannah me réponde, etfranchement, je ne le voulais pas.J’étais toujours à essayer de digérer le

fait que les heures qu’elle avaitpassées avec mon père n’étaient riend’autre qu’une mascarade.

– Peut-être, a-t-elle murmuré.

Je clignai des yeux, incertain qu’elleavait dit ce que je pensais qu’elleavait dit.

– Quoi ?

– Tu m’as bien entendu, dit-elle enhaussant un peu ses épaules. Peut-être que c’est la seule chose dont tun’as jamais parlé avec ton père. Cepourrait être tout ce qu’il peut faire.

Je sentais que mes mains se crispaienten poings.

– Donc, tu dis que c’est ma faute ?

Je ne m’a endais pas à ce qu’elle meréponde, mais elle l’a fait.

– Je ne sais pas, dit-elle enrencontrant mes yeux, et je pouvaistoujours voir ses larmes, mais sa voixétait étonnamment stable. C’estpourquoi j’ai acheté le livre. Ainsi, tupourras le lire. Comme tu l’as dit, tu leconnais mieux que moi. Et je n’aijamais dit qu’il est incapable defonc onner, car il est évident qu’il lefait. Mais penses-y. Ses rou nesimmuables, le fait qu’il ne regarde pasles gens quand il leur parle, sa viesociale inexistante.

Je m’éloignais à toute vitesse, voulantfrapper quelque chose. Quoi que cesoit.

– Pourquoi fais-tu cela ? demandai-jeà voix basse.

– Parce que si c’était moi, je voudraissavoir. Et je ne dis pas cela parce queje voulais te blesser ou insulter tonpère. Je te l’ai dit parce que je voulaisque tu comprennes.

Sa candeur m’a fait douloureusementvoir qu’elle croyait e qu’elle disait.Même si je n’aimais pas cela. Je mesuis tourné et j’ai descendu lesmarches jusqu’à la jetée. Je voulaisjuste partir. De là, loin d’elle.

– Où vas-tu ? je l’ai entendue crier.John ! Attends !

Je l’ai ignorée. Au lieu de cela, j’aiavancé plus vite et une minute plustard, je suis arrivé à l’escalier de lajetée. Je les aie grimpés, foulé le sableet me dirigea vers la maison. Jen’avais aucune idée si Savannah étaitderrière moi et comme je me suisapproché du groupe, les visages sesont tournés vers moi. Il était clairque j’étais en colère et je le savais.Randy tenait une bière et devait avoirvu Savannah s’approcher parce qu’ils’est déplacé pour me barrer lechemin. Quelques frères de lafraternité ont fait la même chose.

– Qu’est-ce qui se passe ? a-t-ildemandé. Qu’est-ce qui ne va pasavec Savannah ?

Je l’ai ignoré et le sentais a rapermon poignet.

– Hé, je te parle !

Pas une sage décision. Je pouvaissen r l’odeur de la bière dans sonsouffle et je savais que l’alcool luiavait donné du courage.

– Lâche-moi, ai-je dit.

– Est-ce qu’elle va bien ? a-t-ildemandé.

– Lâche-moi, ai-je dit à nouveau, ou jevais casser ton poignet.

– Hé, qu’est-ce qui se passe ?

J’ai entendu Tim parler quelque partderrière moi.

– Que lui as-tu fait ? a exigé de savoirRandy. Pourquoi est-ce qu’elle pleure? Tu lui as fait mal ?

Je pouvais sen r la montéed’adrénaline dans mon sang.

– Dernière chance, j’ai averti.

– Il n’y a aucune raison pour cela ! acrié Tim, plus près ce e fois. Calmez-vous, les gars ! Ne vous battez pas !

J’ai sen que quelqu’un essayait deme prendre par arrière. Ce qui s’estpassé ensuite était ins nc f, plus

qu’une affaire de secondes. J’aienfoncé durement mon coude dansson plexus solaire et j’ai entendu ungémissement soudain; puis j’aia rapé la main de Randy et l’arapidement tordu. Il a crié et esttombé à genoux, et à cet instant, j’aisen quelqu’un d’autre se précipitervers moi. J’ai balancé un coup decoude à l’aveugle e et j’ai sen lecraquement d’os comme je me suistourné, prêt pour celui qui viendraensuite.

– Qu’as-tu fait ? j’ai entendu crierSavannah.

Elle a dû arriver en courant une foisqu’elle a vu ce qui se passait.

Sur le sable, Randy tressaillait enserrant son poignet; le gars quim’avait a rapé par-derrière haletait àquatre pattes par terre.

– Tu leur as fait mal ! gémit-elle en seprécipitant devant moi. Il essayaitjuste d’arrêter le combat !

Je me suis tourné. Tim était étendusur le sol, tenant son visage, du sangjaillissant à travers ses doigts. La vuesemblait paralyser tout le monde saufSavannah, qui est tombée à genoux àses côtés.

Tim gémit, et malgré le martèlementdans ma poitrine, je sentais monestomac se tordre. Pourquoi devait-il

être lui ? Je voulais lui demander s’ilétait bien; je voulais lui dire que jen’avais pas voulu le blesser et que cen’était pas ma faute. Je n’avais pascommencé. Mais cela n’était pasgrave. Pas maintenant. Je ne pouvaispas faire semblant comme s’ilsdevaient me pardonner et oublier,peu importe combien je regre ais cequi s’était passé.

Je pouvais à peine entendre Savannahse tourmenter comme j’ai commencéà faire marche arrière. Je regardais lesautres avec méfiance, en m’assurantqu’ils allaient me laisser par r, nevoulant pas blesser quelqu’und’autre.

– Oh, bon sang… oh non ! Tu saignesvraiment beaucoup… nous devonsaller voir un docteur.

J’ai con nué à reculer, puis tourner etmonter les escaliers. Je me suisdéplacé rapidement dans la maison,avant de monter dans ma voiture.Avant que je ne le sache, j’étais dansla rue, me maudissant pour la soiréeentière.

CHAPITRE DIXJe ne savais pas où aller, j’ai doncconduit sans but pendant un certaintemps, les événements de la soiréerejouant dans mon esprit. J’étaistoujours en colère contre moi et de ceque j’avais fait à Tim – pas tellementaux autres, je l’avoue – et en colèrecontre Savannah pour ce qui est arrivésur le quai.

Je pouvais à peine me souvenircomment cela avait commencé. Uneminute, je pensais que je l’aimais plusque je ne l’avais jamais imaginépossible, et la minute suivante, nousnous dispu ons. J’étais encore outré

par son subterfuge et ne pouvais pasencore comprendre pourquoi j’étais sien colère. Ce n’était pas comme simon père et moi é ons proches; cen’était pas comme si je pensaisréellement le connaître. Alorspourquoi avais-je été si en colère ? Etpourquoi je l’étais toujours ?

Parce que, m’a demandé ma pe tevoix intérieure, y-a-t-il une chancequ’elle pourrait avoir raison ?

Cela n’avait pas d’importance,cependant. Qu’il l’était ou ne l’étaitpas, et alors ? Comment cela allait-ilchanger quelque chose ? Et pourquoitout cela serait de ses affaires ?

Comme je conduisais, j’ai laissé lacolère viré à l’accepta on, et la colèrerevenir. Je me suis retrouvé à revivrela sensa on de mon coude écrasant lenez de Tim, ce qui n’a fait qu’empirerles choses. Pourquoi était-il venu ?Pourquoi pas eux ? Je n’étais pas celuiqui avait commencé.

Et Savannah… ouais, je pourrais êtreen mesure d’aller là-bas demain pourprésenter des excuses. Je savaisqu’elle croyait honnêtement cequ’elle disait et que, à sa manière,elle essayait seulement d’aider. Etpeut-être, si elle avait raison, jevoulais savoir. Cela expliquerait deschoses…

Mais après ce que j’ai fait à Tim ?Comment allait-elle réagir à cela ? Ilétait son meilleur ami, et même si jeme suis juré que cela avait été unaccident, est-ce que cela aurait del’importance pour elle ? Et ce quej’avais fait aux autres ? Elle savait quej’étais un soldat, mais maintenantqu’elle avait vu une pe te par e dece que cela signifiait, ressen rait-elletoujours la même chose pour moi ?

Au moment où j’ai trouvé monchemin du retour, il était minuitpassé. Je suis entré dans la maisonobscurcie, j’ai jeté un coup d’oeil dansle repaire de mon père, puis je suisensuite allé dans sa chambre. Il n’était

pas debout, bien sûr; il est allé secoucher à la même heure chaque nuit.Un homme de rou ne, comme je lesavais et comme Savannah l’avait faitremarquer.

J’ai rampé dans mon lit, sachant queje ne dormirais pas et souhaitant queje puisse recommencer la soirée. Dumoment où elle m’avait donné lelivre. Je n’avais pas envie de penserdavantage à cela, désormais. Je nevoulais pas penser à mon père, ou àSavannah ou à ce que j’avais fait aunez de Tim. Mais pendant toute lanuit, je regardais le plafond, incapabled’échapper à mes pensées.

Je me suis levé quand j’ai entendumon père dans la cuisine. Je portaisles mêmes vêtements de la veille,mais je doute qu’il en fût conscient.

– Bon matin, papa, murmurai-je.

– Salut, John, a-t-il dit. Veux-tu unpetit déjeuner ?

– Bien sûr, ai-je dit. Le café est prêt ?

– Dans le pot.

Je me suis versé une tasse. Commemon père cuisinait, j’ai regardé lesmanche es dans le journal, ensachant qu’il lirait la sec on dedevant en premier, puis le métro. Il ne

endrait pas compte des sports ni dela sec on de la vie culturelle. Unhomme de routine.

– Comment s’est passée ta soirée ?demandai-je.

– Même chose, a-t-il dit.

Je n’étais pas surpris quand il ne m’apas demandé quoi que ce soit enretour. Au lieu de cela, il a plongé laspatule dans les oeufs brouillés. Lebacon grésillait déjà. À un moment, ilse tourna vers moi, et je savais déjà cequ’il demanderait.

– Pourrais-tu me re du pain dans legrille-pain ?

Mon père à qui er pour le travail aexactement 7 h 35.

Une fois qu’il fut par , je parcourus lejournal, indifférent aux nouvelles,embarrassé quant à ce que je devaisfaire ensuite. Je n’avais aucune envied’aller faire du surf, ou même dequi er la maison, et je me demandaissi je devais retourner en rampantdans mon lit pour essayer de mereposer un peu plus quand j’aientendu une voiture arriver dansl’entrée. J’ai pensé que ce pourraitêtre quelqu’un qui viendrait offrir sesservices pour ne oyer les gou ères

ou laver le terreau de la toiture; j’aiété surpris quand j’ai entendufrapper.

En ouvrant la porte, je me suis figé,complètement pris de court. Timdécala son poids d’un pied sur l’autre.

– Salut, John, a-t-il dit. Je sais quec’est tôt, mais puis-je entrer ?

Un large pansement médical étaitposé sur son nez et la peau autour deses yeux était contusionnée.

– Oui… bien sûr, ai-je dit en faisant unpas de côté, essayant toujours degérer le fait qu’il était ici.

Tim est passé devant moi vers la sallede séjour.

– J’ai failli ne pas trouver ta maison,dit-il. Quand je t’ai laissé l’autre soir,il était tard et je ne peux pas dire quej’avais autant prêté d’a en on. J’aipassé quelques fois devant avant definalement me retrouver.

Il sourit de nouveau, et j’ai réaliséqu’il portait un petit sac de papier.

– Veux-tu du café ? j’ai demandé enessayant d’amor r mon était de choc.Je pense qu’il reste encore du cafédans le pot.

– Non, tout est correct. J’ai été éveillépendant la plus grande par e de lanuit et je préfère ne pas avoir decaféine. J’espère me coucher quand je

rentrerai à la maison.

J’ai hoché la tête.

– Hey, écoute… ce qui est arrivé hiersoir, j’ai commencé. Je suis désolé. Jene voulais pas…

Il leva les mains pour m’arrêter.

– C’est correct. Je sais que tu ne levoulais pas. Et j’aurais dû mieuxréagir. J’aurais dû essayer d’arrêter lesautres gars.

Je l’ai inspecté.

– Est-ce douloureux ?

– Ça va, a-t-il dit. Je viens de passerune par e de la nuit dans la salled’urgence. Il a fallu un certain temps

pour voir un médecin, et il voulaitappeler quelqu’un d’autre pourreme re mon nez en place. Mais ilsont juré que tout serait comme avant.Je pourrais avoir une pe te bosse,mais j’espère que cela me donneraune apparence plus robuste.

J’ai souri, puis je me sentais mal de lefaire.

– Comme je l’ai dit, je suis désolé.

– J’accepte tes excuses, a-t-il dit. Et jel’apprécie. Mais ce n’est pas la raisonpour laquelle je suis venu ici. (Il a faitsigne vers le canapé.) Ça te dérange sinous nous asseyons ? Je me sensencore un peu étourdi.

Je me suis assis sur le bord dufauteuil, me penchant en avant avecmes coudes sur mes genoux. Tim étaitassis sur le canapé, grimaçant en seme ant à son aise. Il a mis le sac depapier de côté.

– Je veux te parler de Savannah, a-t-ildit. Et de ce qui est arrivé hier soir.

Le son de son prénom m’a fait recul etj’ai regardé au loin.

– Tu sais que nous sommes de bonsamis, non ? (Il n’a pas a endu uneréponse.) La nuit dernière à l’hôpital,nous avons parlé pendant des heures,et je voulais juste venir ici pour tedemander de ne pas être en colère

contre elle pour ce qu’elle a fait. Ellesait qu’elle a fait une erreur et que cen’était pas à elle de diagnos querquoi que ce soit chez ton père. Tuavais raison à ce sujet.

– Pourquoi n’est-elle pas ici, alors ?

– En ce moment, elle est sur le site.Quelqu’un doit bien s’occuper desdécisions pendant que je récupère. Etelle ne sait pas que je suis ici.

J’ai secoué la tête.

– Je ne sais pas pourquoi je suisdevenu si en colère.

– Parce que tu n’as pas voulul’entendre, a-t-il dit, sa voix calme.J’avais l’habitude de me sen r ainsi

chaque fois que j’entendais quelqu’unparler de mon frère, Alan. Il estautiste.

Je levai les yeux.

– Alan est ton frère ?

– Oui, pourquoi ? a-t-il demandé.Savannah t’a parlé de lui ?

– Un peu, ai-je dit en me rappelantque, plus encore qu’Alan, elle a parlédu frère qui avait été si pa ent aveclui, qui l’avait inspirée pour étudierdans l’enseignement spécialisé.

Sur le canapé, Tim grimaça comme iltoucha les ecchymoses sous ses yeux.

– Et pour ta gouverne, poursuit-il, je

suis d’accord avec toi. Ce n’était pasde ses affaires, et je lui ai dit. Tu tesouviens quand je t’ai dit qu’elle étaitnaïve, parfois ? C’est ce que je voulaisdire. Elle veut aider les gens, maisparfois, ça ne fonctionne pas toujours.

– Ce n’était pas seulement elle, ai-jedit. C ’était moi, aussi. Comme je l’aidit, j’ai réagi de façon excessive.

Son regard était stable.

– Penses-tu qu’elle pourrait avoirraison ?

J’ai croisé mes mains.

– Je ne sais pas. Je ne pense pas,mais…

– Mais tu ne le sais pas. Et si c’était lecas, cela n’a pas d’importance, non ?(Il n’a pas a endu une réponse.) Êtrelà-bas, fais cela, a-t-il dit. Je mesouviens quand mes parents et moisommes allés jusqu’au bout avecAlan. Pendant longtemps, nous nesavions pas ce qui n’allait pas avec lui.Et tu sais ce que j’ai décidé après cela? Cela n’a pas d’importance. Je l’aimeet lui fera a en on pour toujours.Mais… l’appren ssage de son état arendu les choses plus faciles entrenous. Une fois que je l’ai su... Jesuppose que je m’a endais à ce qu’ilarrête de se comporter d’une certainemanière. Et sans a entes, j’ai trouvé

cela plus facile de l’accepter. J’aidigéré cela.

– Et s’il n’a pas Asperger ? demandai-je.

– Il pourrait ne pas l’avoir.

– Et si je pense qu’il l’a ?

Il soupira.

– Ce n’est pas aussi simple que cela,spécialement dans les cas légers, a-t-ildit. Ce n’est pas comme si tu peux luiprendre une fiole de sang et le testerpour cela. Tu pourrais en arriver aupoint où tu penses que c’est possible,et que c’est tout ce que tu n’as jamaisvoulu obtenir. Mais tu ne saurasjamais à coup sûr. Et d’après ce que

Savannah a dit de lui, honnêtement,je ne pense pas qu’il y aura beaucoupde différence. Et pourquoi le devrait-il? Il travaille, il t’a élevé… quepourrais-tu a endre de plus d’unpère ?

J’ai considéré cela tandis que desimages de mon père me traversèrentla tête.

– Savannah t’a acheté un livre, a-t-ildit.

– Je ne sais pas où il est, ai-je admis.

– Je l’ai, a-t-il dit. Je l’ai apporté de lamaison.

Il me tendit le sac en papier. D’unecertaine manière, le livre semblait

plus lourd qu’il l’avait été la veille.

– Merci.

Il se leva, et je savais que notreconversa on était terminée. Il s’estdéplacé jusqu’à la porte, mais s’esttourné avec sa main sur la poignée.

– Tu sais que tu n’as pas à le lire, a-t-ildit.

– Je sais.

Il ouvrit la porte, puis s’arrêta. Jesavais qu’il voulait ajouter quelquechose d’autre, mais me surprenant, ilne s’est pas retourné.

– Ça t’ennuie si je te demande unefaveur ?

– Vas-y.

– Ne brise pas le coeur de Savannah,d’accord ? Je sais qu’elle t’aime, et jeveux juste qu’elle soit heureuse.

Je savais alors que j’avais eu raisonconcernant ses sen ments pour elle.Comme il se dirigea vers sa voiture, jel’ai regardé par la fenêtre, certain qu’ilétait aussi en amour avec elle.

J’ai mis le livre de côté et suis sor mepromener; quand je suis rentré à lamaison, je l’ai évité à nouveau. Je nepeux pas dire pourquoi j’agissais ainsi,à part que ça me faisait peur enquelque sorte.

Après quelques heures, cependant,

j’ai éloigné ce sen ment et a passé lereste de l’après-midi à absorber soncontenu et revivre des souvenirs demon père.

Tim a eu raison. Il n’y avait pas dediagnos c clair, pas de règle stricte etrapide, et il n’y avait aucun moyenque je ne puisse jamais le savoir aveccer tude. Certaines personnesa eintes Asperger avaient unquotient intellectuel faible, tandis qued’autres, étaient au stes encore plussévèrement comme personnage deDus n Hoffman dans Rain Main, etétaient considérés comme des géniesdans des sujets par culiers. Certainspouvaient très bien fonc onner dans

la société sans que personne ne lesache; d’autres ont dû êtreins tu onnalisés. J’ai lu les profils despersonnes a eintes du syndromed’Asperger qui étaient des prodigesde la musique ou des mathéma ques,mais j’ai appris qu’ils étaient aussirares que des prodiges parmi lapopula on générale. Mais le plusimportant, j’ai appris que quand monpère était jeune, il y avait peu demédecins qui connaissaient lescaractéris ques ou les symptômes etque si quelque chose avait été faux,ses parents ne l’auraient jamais su.

Au lieu de cela, les enfants a eintsd’Asperger ou d’au sme sont souvent

regroupés avec les déficients mentauxou les mides, et si elles n’ont pasinstitutionnalisées, les parents ont étélaissés à eux-mêmes à se consoleravec l’espoir qu’un jour, leur enfantpourrait évoluer normalement. Ladifférence entre Asperger et l’au smepeut parfois se résumer ainsi : unepersonne avec l’au sme vit dans sonpropre monde, tandis qu’unepersonne avec Asperger vit dans notremonde, d’une manière de son proprechoix.

Par ce e norme, la plupart des genspourraient être considérés commeayant l’Asperger. Mais il y avait desindica ons que Savannah avait eu

raison avec mon père. Ses rou nesinvariables, sa maladresse sociale, sonmanque d’intérêt dans des sujetsautres que les pièces de monnaie, sondésir d’être seul – tout semblait aussibizarre que n’importe quoi, mais avecmon père, c’était différent. Alors qued’autres pourraient librement faire lesmêmes choix, mon père – commecertaines personnes avec l’Asperger –semblaient avoir été forcé de vivreune vie avec ces choix déjàprédéterminés. À tout le moins, j’aiappris que cela pourrait expliquer lecomportement de mon père, et si oui,ce n’était pas qu’il ne changerait pas,mais il ne pouvait pas changer. Même

avec toute l’incer tude implicite, j’aitrouvé la réalisation consolante. Et j’aicompris que cela pourrait expliquerdeux ques ons qui m’ont toujourstourmentées au sujet de ma mère :qu’est-ce qu’elle avait vu en lui ? Etpourquoi était-elle partie ?

Je savais que je ne saurais jamais, etje n’avais pas l’inten on de fouillerplus loin. Mais avec une imagina onfer le dans une maison calme, jepouvais imaginer un hommetranquille qui se me ait à parler avecferveur de sa collec on de monnaiesrares à une jeune et pauvre serveusedans un restaurant, une femme quipassait ses soirées au lit et rêver

d’une vie meilleure. Peut-être qu’ellea flirté, ou peut-être que non, mais ila été a ré par elle et a con nué à seprésenter à la salle à manger. Au fil dutemps, elle pourrait avoir sen lagen llesse et la pa ence en lui qu’ilu lisera plus tard en m’élevant. Il estpossible qu’elle ait interprété sanature calme et précise ainsi, sachantqu’il ne serait jamais en colère etviolent. Même sans amour, cela auraitpu suffire, si elle a accepté del’épouser, pensant qu’ils allaientvendre ses pièces de monnaie etqu’après, ils pourraient vivreconfortablement. Elle est tombéeenceinte et plus tard, quand elle a

compris qu’il ne pouvait même pasimaginer l’idée de vendre ses piècesde monnaie, elle a réalisé qu’elle avaitpris à un mari qui montrait peud’intérêt dans tout ce qu’elle faisait.Peut-être que sa solitude a obtenu lemeilleur d’elle, ou peut-être qu’elleétait juste égoïste, mais de toutefaçon, elle voulait par r et après lanaissance du bébé, elle a pris lapremière occasion de partir.

Ou peut-être pas.

Je doute si je n’apprendrais jamais lavérité, mais je ne m’en souciais pasvraiment. Je me souciais cependant demon père, et s’il était affligé avec unpeu câblage défectueux dans son

cerveau, j’ai soudainement comprisqu’il avait en quelque sorte formé unensemble de règles de vie, des règlesqui lui ont permis de s’insérer dans lemonde. Peut-être qu’elles n’étaientpas tout à fait normales, mais il avaitnéanmoins trouvé une façon dem’aider à devenir l’homme que j’étais.Et à moi, c’était plus que suffisant.

Il était mon père et il avait fait de sonmieux. Je le savais maintenant. Etquand enfin, j’ai fermé le livre et l’aimis de côté, je me suis retrouvé àregarder par la fenêtre, pensantcombien j’étais fier de lui tout enessayant d’avaler la boule dans magorge.

Quand il est rentré du travail, monpère a changé ses vêtements et serendit à la cuisine commencer lesspaghe s. Je l’ai étudié dans sesmouvements, tout en sachant que jefaisais exactement la même chosepour laquelle je m’étais mis en colèrecontre Savannah de l’avoir fait. C ’estétrange comment la connaissancechange la perception.

J’ai noté la précision de sesmouvements – la façon dont il asoigneusement ouvert la boîte despaghe s avant de la me re de côtéet la façon qu’il a travaillé avec la

spatule dans les angles droits avecsoin, comme il a bruni la viande. Jesavais qu’il ajouterait du sel et dupoivre, et un moment plus tard, il l’afait. Je savais qu’il ouvrirait la boîte desauce tomate et de nouveau, je n’aipas eu tort. Comme d’habitude, il nem’a rien demandé sur ma journée,préférant travailler en silence. Hier,j’avais a ribué cela au fait que nousé ons des étrangers; aujourd’hui, j’aicompris qu’il y avait une possibilitéque nous le soyons toujours. Maispour la première fois dans ma vie,cela ne m’a pas dérangé.

Pendant le dîner, je n’ai rien demandéde sa journée, sachant qu’il ne

répondrait pas. Au lieu de cela, je luiai parlé de Savannah et de ce quenotre temps ensemble ressemblait.Par la suite, je l’ai aidé à faire lavaisselle, poursuivant notreconversa on unilatérale. Une foisterminé, il s’est étendu pour prendreà nouveau le chiffon. Il essuya lecomptoir une seconde fois, puis a faittourner le sel et le poivre jusqu’à cequ’ils soient exactement dans lamême posi on qu’ils étaient lorsqu’ilest rentré à la maison. J’ai eu lesen ment qu’il voulait par ciper à laconversa on, mais ne savait pascomment, mais je suppose que jetentais de me faire sen r mieux. Cela

n’avait pas d’importance. Je savaisqu’il était prêt à se re rer dans sonrepaire.

– Hé, papa, ai-je dit. Que dirais-tu deme montrer quelques-uns des piècesde monnaie que tu as achetéesdernièrement ? Je veux en savoir plusà leur sujet.

Il me regarda comme s’il étaitincertain d’avoir bien entendu, puisjeta ensuite un coup d’oeil auplancher. Il a touché ses cheveuxclairsemés, et j’ai vu le sommet de satête devenir de plus en plus chauve.Quand il me regarda de nouveau, ilsemblait presque effrayé.

– Bien, a-t-il finalement dit.

Nous sommes allés à son repaireensemble, et quand je l’ai sen passerune main douce sur mon dos, et toutce que je pouvais penser était que jene m’étais pas sen aussi proche delui depuis des années.

CHAPITRE ONZELa soirée suivante, comme je metenais debout sur le quai en admirantle clair de lune argenté sur l’océan, jeme demandais si Savannah allait semontrer. La veille, après avoir passédes heures à examiner les pièces demonnaie avec mon père et profiterd’entendre l’excita on dans sa voixcomme il les décrivait, je me rendis àla plage. Sur le siège à côté de moiétait la note que j’avais écrite àSavannah, lui demandant de merencontrer ici. J’avais laissé la notedans une enveloppe que j’avais placéesur la voiture de Tim. Je savais qu’il

ferait passer l’enveloppe fermée, peuimporte combien il ne pourrait ne pasle vouloir. Pendant le court laps detemps où je l’avais connu, j’étais venuà croire que Tim, comme mon père,était une bien meilleure personne queje ne le serais jamais.

C’était la seule chose que je pouvaispenser faire. En raison del’alterca on, je savais que je n’étaisplus le bienvenu à la maison sur laplage; aussi, je ne voulais pas voirRandy ou Susan ou tous les autres, cequi fait qu’il était impossible decommuniquer avec Savannah. Ellen’avait pas de téléphone cellulaire, jene savais pas le numéro de téléphone

de la maison sur la plage, donc laisserla note était ma seule option.

Je me suis trompé. J’avais réagi demanière excessive, et je le savais. Passeulement avec elle, mais avec lesautres sur la plage. J’aurais dû toutsimplement repar r. Randy et sescopains, même s’ils soulevaient despoids et se considéraient comme desathlètes, n’auraient pas eu unechance contre quelqu’un formée pourme re hors service les gensrapidement et efficacement. Se celaétait arrivé en Allemagne, j’aurais pume retrouver enfermé pour ce quej’avais fait. Le gouvernement n’étaitpas trop friand de ceux qui u lisaient

les acquis du gouvernement dans desfaçons que le gouvernement n’a pasapprouvé.

Donc, j’avais laissé la note, puisregardé l’horloge pendant toute lajournée suivante, en me demandant sielle voudrait se montrer. Commel’heure que j’avais suggérée étaitarrivée et passée, je me suis trouvé àregarder de façon compulsive par-dessus mon épaule, en poussant unsoupir de soulagement quand unefigure est apparue au loin. De la façonqu’elle se déplaçait, je savais que cedevait être Savannah. Je me suispenché contre la balustrade enl’attendant.

Elle ralen t ses pas quand elle m’arepéré, puis s’est arrêtée. Aucuneétreinte, aucun baiser – la formalitésoudaine m’a fait mal.

– J’ai reçu ta note, dit-elle.

– Je suis heureux que tu sois venue.

– J’ai dû me faufiler, donc personnene sait que tu es ici, dit-elle. J’aientendu quelques personnes dire cequ’ils feraient si tu apparaissais denouveau.

– Je suis désolé, ai-je plongé sanspréambule. Je sais que tu essayaisjuste d’aider et je l’ai pris de lamauvaise manière.

– Et ?

– Et je suis désolé pour ce que j’ai faità Tim. C’est un gars formidable, etj’aurais dû faire plus attention.

Son regard ne cillait pas.

– Et ?

J’ai regardé mes pieds, sachant que jen’étais pas réellement sincère dans ceque je m’apprêtais à dire, maissachant qu’elle voulait l’entendre detoute façon. J’ai soupiré.

– Et Randy et l’autre gars aussi.

Elle con nuait toujours à meregarder.

– Et ?

J’étais perplexe. J’ai cherché dans ma

tête avant de rencontrer ses yeux.

– Et…

Je me suis arrêté.

– Et quoi ?

– Et…

J’ai essayé, mais je ne pouvais pasarriver à quelque chose.

– Je ne sais pas, avouai-je. Mais peuimporte ce que c’est, je suis désolépour cela aussi.

Elle portait une curieuse expression.

– C’est tout ?

J’y ai pensé.

– Je ne sais pas quoi dire d’autre,

admis-je.

C’était une demi-seconde avant que jeremarque le moindre soupçon d’unsourire. Elle se dirigea vers moi.

– C’est tout ? a-t-elle répété, sa voixplus douce.

Je n’ai rien dit. Elle s’approcha et, mesurprenant, a glissé ses bras autour demon cou.

– Tu n’as pas à présenter des excuses,murmurait-elle. Il n’y a aucune raisond’être désolé. J’aurais probablementréagi de la même manière.

– Alors pourquoi l’inquisition ?

– Parce que, dit-elle, cela m’a fait

savoir que j’avais raison à ton sujet enpremier lieu. Je savais que tu avais unbon coeur.

– Qu’est-ce que tu racontes ?

– Juste ce que j’ai dit, répondit-elle.Plus tard, après ce e nuit, Tim m’aconvaincu que je n’avais pas le droitde dire ce que j’ai dit. Tu avais raison.Je n’ai pas la capacité de fairen’importe quelle évalua onprofessionnelle, mais j’étais assezarrogante pour penser pouvoir lefaire. Quant à ce qui s’est passé sur laplage, j’ai tout vu. Ce n’était pas tafaute. Même ce qui est arrivé à Timn’était pas ta faute, mais c’étaitagréable de t’entendre présenter des

excuses. Tu sais maintenant que tupourrais le refaire à l’avenir.

Elle se pencha vers moi, et quand jefermais les yeux, je savais que je nevoulais rien d’autre que la tenir decette façon pour toujours.

Plus tard, après que nous avons passéune bonne par e de la soirée à parleret à nous embrasser sur la plage, j’aipassé mon doigt le long de samâchoire et murmura :

– Merci.

– Pour quoi ?

– Pour le livre. Je crois comprendremon père un peu mieux maintenant.Nous avons eu un bon moment hiersoir.

– J’en suis heureuse.

– Et merci pour être qui tu es.

Quand elle plissa les sourcils,j’embrassai son front.

– Si ce n’était pas de toi, ajoutai-je, jen’aurais pas été en mesure de voircela de mon père. Tu ne sais pas ceque cela signifie pour moi.

Même si elle devait travailler sur lesite de construc on le jour suivant,Tim a été en mesure de comprendrequand elle a expliqué que ce serait la

dernière chance pour nous de se voiravant que je retourne en Allemagne.

Quand je l’ai ramenée, il descendit lesmarches de la maison et s’accroupit àcôté de la voiture, au niveau des yeuxpar la fenêtre. Les ecchymoses avaientobscurci au noir profond. Il a collé samain sur la fenêtre.

– C’était un plaisir de te rencontrer,John.

– Toi aussi, ai-je dit.

– Sois prudent, d’accord ?

– Je vais essayer, lui répondis-je en luiserrant la main, frappé par lesen ment qu’il y avait un lien entrenous.

Savannah et moi avons passé lama née au Fort Fisher Aquarium,ensorcelés par les étranges créaturesqui étaient là. Nous avons vu despoissons-éléphants avec leurs longsnez et des hippocampes miniatures;dans le plus grand réservoir étaientdes requins et des tambours rouges.Nous avons ri comme nous touchionsun Bernard-l’ermite, et Savannah m’aacheté un porte-clés de la bou quede souvenirs. Pour une raison étrange,il y avait un pingouin dessus, qui nesemblait pas s’amuser.

Par la suite, je l’ai emmenée dans un

restaurant ensoleillé tout près del’eau, et nous nous sommes tenu lesmains sur la table, alors que nousregardions les voiliers basculantdoucement sur les vagues. Perdusdans l’autre, nous avons à peineremarqué le serveur, qui a dû revenirtrois fois avant que nous ouvrions nosmenus.

Je me suis émerveillé de la façon facileque Savannah a montré ses émo onset la tendresse de son regard commeje lui ai parlé de mon père. Quand ellem’a embrassé par la suite, j’ai goûté ladouceur de son haleine. J’ai pris samain.

– Je vais t’épouser un jour, tu sais.

– Est-ce une promesse ?

– Si tu veux que ça le soit.

– Eh bien, tu dois me prome re quetu reviendras pour moi quand tusor ras de l’armée. Je ne peux past’épouser si tu n’es pas là.

– Marché conclu.

Plus tard, nous nous sommespromenés sur le terrain de laPlanta on Oswald, qui ontmagnifiquement restaurée unemaison datant d’avant la guerre, quise vantait d’être l’un des plus beauxjardins de l’État. Nous avons marchéle long des chemins de gravier, touten contournant les grappes de fleurs

sauvages qui s’épanouissaient enmille couleurs différentes dans lachaleur paresseuse du sud.

– À quelle heure tu dois prendrel’avion demain ? a-t-elle demandé.

Le soleil commençait sa descenteprogressive dans le ciel sans nuage.

– Tôt, ai-je dit. Je serai probablementà l’aéroport avant que tu ne teréveilles.

Elle hocha la tête.

– Tu passeras ta soirée avec ton père,n’est-ce pas ?

– J’avais planifié cela. Je n’aiprobablement pas passé autant de

temps avec lui que j’aurais dû, mais jesuis sûr qu’il comprendrait…

Elle secoua la tête pour m’enempêcher.

– Non, ne change pas tes plans. Jeveux que tu passes du temps avec tonpère. J’espérais que tu le ferais. C ’estpourquoi je suis avec toi aujourd’hui.

Nous avons marché le long d’unchemin bordé de haies élaborées.

– Alors, qu’est-ce que tu veux faire ?demandai-je. À propos de nous, jeveux dire.

– Cela ne sera pas facile, a-t-elle dit.

– Je sais que ce ne le sera pas, ai-je

dit. Mais je ne veux pas que ça finisse.

Je me suis arrêté, sachant que desmots ne suffiraient pas. Au lieu decela, par-derrière, j’ai glissé mes brasautour d’elle et j’ai a ré son corpscontre le mien. J’ai embrassé son couet son oreille, en savourant sa peauveloutée.

– Je vais t’appeler autant que je lepeux, et je vais t’écrire quand je ne lepourrais pas, et obtenir une autrepermission l’année suivante. Où quetu sois, c’est là où j’irai.

Elle se pencha en arrière, en essayantd’attraper un aperçu de mon visage.

– Tu le feras ?

Je l’ai serrée.

– Bien sûr. Je veux dire, je ne suis pasheureux de te qui er, et je souhaiteplus que tout que je sois basé àproximité, mais c’est tout ce que jepeux te prome re en ce moment. Jepeux demander un transfert dès queje serai de retour, mais tu ne saisjamais comment ces choses sepassent.

– Je sais, murmura-t-elle.

Pour une raison quelconque, sonexpression solennelle m’a rendunerveux.

– Tu m’écriras ? demandai-je.

– Duh, m’a-t-elle taquiné et ma

nervosité a disparu. Bien sûr que je leferai, dit-elle en souriant. Commentpeux-tu même te donner la peine dedemander ? Je t’écrirai tout le temps.Et pour ta gouverne, j’écris lesmeilleures lettres.

– Je n’en doute pas.

– Je suis sérieuse, a-t-elle dit. Dans mafamille, c’est ce que nous faisons àpeu près tous les jours fériés. Nousécrivons des le res à ceux qui nous

ennent à coeur. Nous leur disons cequ’ils signifient pour nous et combiennous les a endons avec impa encequand ils viendront nous voir.

J’ai embrassé son cou à nouveau.

– Alors que vas-tu me dire ? Decombien tu es impa ente de merevoir ?

Elle se pencha en arrière.

– Tu devras lire mes lettres.

J’ai ri, mais je sentais mon coeur sebriser.

– Tu vas me manquer, ai-je dit.

– Tu vas me manquer aussi.

– Tu ne sembles pas trop peinée.

– C’est parce que j’ai déjà pleuré, tute souviens ? Par ailleurs, ce n’est pascomme si je ne te reverrai plus jamais.C’est ce que j’ai finalement compris.Oui, ce sera difficile, mais la vie va vite

et nous nous reverrons rapidement. Jele sais. Je peux le sen r. Tout commeje peux sen r combien tu t’inquiètespour moi et combien je t’aime. Je saisdans mon coeur que tout ceci n’estpas fini et que nous passerons àtravers cela. Beaucoup de couples lefont. Certes, beaucoup de couples nele font pas, mais ils n’ont pas ce quenous avons.

Je voulais la croire. Je le voulais plusque tout, mais je me demandais sic’était aussi simple que cela.

Quand le soleil avait disparu derrièrel’horizon, nous sommes retournés à lavoiture, et je l’ai ramenée à la maisonsur la plage. J’ai me suis arrêté un peu

plus bas de la rue, donc personnedans la maison ne pouvait nous voir,et quand nous sommes sor s de lavoiture, j’ai mis mes bras autourd’elle. Nous nous sommes embrasséset je la serrais, sachant avec cer tudeque la prochaine année serait la pluslongue de ma vie. Je souhaitaivivement de ne pas m’être engagé,d’être un homme libre. Mais je nel’étais pas.

– Je devrais probablement y aller.

Elle hocha la tête, commençant àpleurer. Je sentais un noeud se formerdans ma poitrine.

– Je t’écrirai, ai-je promis.

– D’accord, a-t-elle dit.

Elle essuya ses larmes et a pris son sacà main. Elle en a sor un stylo et unpe t bout de papier. Elle a commencéà griffonner.

– Ceci est mon adresse privée et monnuméro de téléphone, d’accord ? Etmon adresse électronique, aussi.

J’ai hoché la tête.

– Rappelle-toi qu’ils vont changer lesdortoirs ce e année, mais je te feraisavoir ma nouvelle adresse dès que jel’aurai. Mais tu pourras toujours mejoindre par le biais de mes parents. Ilsvont m’expédier tout ce que tum’enverras.

– Je sais, ai-je dit. Tu as toujours mescoordonnées, n’est-ce pas ? Même sivais en mission quelque part, lesle res vont me rejoindre. Le courrierélectronique aussi. L’armée a d’assezbonnes installa ons avec desordinateurs, même au milieu de nullepart.

Elle serra ses bras comme un enfantabandonné.

– Cela me fait peur, dit-elle. Toi étantun soldat, je veux dire.

– Tout ira bien, je l’ai rassurée.

J’ai ouvert la por ère de la voiture,puis j’ai pris mon portefeuille. J’aiglissé la note qu’elle avait griffonnée à

l’intérieur, puis a ensuite ouvert mesbras à nouveau. Elle est venue à moiet je l’ai tenue pendant une longuepériode, en imprimant la sensa on deson corps contre le mien.

Ce e fois, ce fut elle qui s’écarta. Ellefouilla dans son sac à main à nouveauet a sorti une enveloppe.

– J’ai écrit cela pour toi la nuitdernière. Pour te donner quelquechose à lire dans l’avion. Ne le lis pasd’ici là, d’accord ?

J’ai hoché la tête et l’embrassa unedernière fois, puis j’ai glissé derrière levolant de la voiture. J’ai démarré lavoiture et comme j’ai commencé à

avancer, elle a crié :

– Salue ton père pour moi. Dis-lui queje pourrais m’arrêter en passant aucourant des prochaines semaines,d’accord ?

Elle fit un pas en arrière comme lavoiture commençait à rouler. Jepouvais toujours la voir par lerétroviseur. J’ai pensé m’arrêter. Monpère comprendrait. Il savait combienSavannah signifiait pour moi, et ilvoudrait que nous passions ce edernière soirée ensemble.

Mais j’ai con nué de rouler, enregardant son image dans pe t miroirrape sser, sentant mon rêve se

dérober.

Le dîner avec mon père était pluscalme que d’habitude. Je n’ai pas eul’énergie nécessaire pour tenter uneconversa on, et même mon père l’aréalisé. Je me suis assis à la tablependant qu’il cuisinait, mais au lieude se concentrer sur la prépara on, ilme regarda de temps en temps avecde l’inquiétude dans ses yeux. J’ai étésurpris quand il a éteint le brûleur ets’est approché de moi.

Lorsqu’il fut près, il posa une main surmon dos. Il ne dit rien, mais il n’avait

pas à le faire. Je savais qu’ilcomprenait que j’avais mal, et il restadebout sans bouger, comme s’ilcherchait à absorber ma douleur dansl’espoir de me l’enlever et d’en fairesienne.

Dans la ma née, mon père m’aconduit à l’aéroport et est restédebout à côté de moi pendant quej’a endais d’être appelé pour monvol. Quand ce fut le temps, je melevai. Mon père tendit la main; au lieude cela, je l’ai étreint. Son corps étaitrigide, mais je ne m’en suis pas soucié.

– Je t’aime, papa.

– Je t’aime aussi, John.

– Trouve de bonnes pièces demonnaie, d’accord ? ajoutai-je. Jeveux tout savoir sur elles.

Il jeta un coup d’oeil au plancher.

– J’aime bien Savannah, a-t-il dit. Elleest une gentille fille.

C’est sorti de nulle part, mais de toutefaçon, c’était exactement ce que jevoulais entendre.

Dans l’avion, je me suis assis avec lale re que Savannah m’avait écrite, en

la tenant sur mes genoux. Bien jevoulais l’ouvrir immédiatement, j’aia endu jusqu’à ce que nous ayonsdécollé de la piste. De fenêtre, jepouvais voir la côte, et j’ai cherchéd’abord la jetée, puis la maison. Je medemandais si elle dormait encore,mais je voulais penser qu’elle était surla plage et qu’elle surveillait l’avion.

Quand je fus prêt, j’ai ouvertl’enveloppe. À l’intérieur, elle avaitplacé une photo d’elle et je regre aissoudainement de ne pas lui en avoirlaissé une de moi. Je regardais sonvisage un long moment, puis la misede côté. Je pris une profondeinspiration et commença à lire.

Cher John,

Il y a tellement de choses que je veuxte dire, mais je ne sais pas par où jedevrais commencer. Devrais-jecommencer en te disant que je t’aime? Ou que les jours que j’ai passés avectoi ont été les plus heureux de ma vie ?Ou que, pendant le court laps de tempsque je t’ai connu, j’en suis venue àcroire que nous é ons faits pourensemble ? Je pourrais dire toutes ceschoses et tout serait vrai, mais je lesrelis, tout ce que je peux penser estque je voudrais être avec toiaujourd’hui, en tenant ta main et

regarder ton sourire insaisissable.

À l’avenir, je sais que je vais revivrenotre temps ensemble mille fois. Jevais entendre ton rire et voir tonvisage, et sen r tes bras autour demoi. Tu vas me manquer plus que toutce que tu peux imaginer. Tu es ungentleman rare, John, et je chéris toutde toi. Dans tous nos moments passésensemble, tu ne m’as jamais presséede coucher avec toi, et je ne peux paste dire combien cela signifiait pourmoi. Cela a rendu ce que nous avionsencore plus spécial, et c’est ainsi que jeveux me rappeler pour toujours montemps avec toi. Comme contemplerune lumière blanche pure à couper le

souffle pour les yeux.

Je vais penser à toi chaque jour. Unepar e de moi a peur qu’il vienne unmoment où tu ne te sen ras pas de lamême façon, que tu aies en quelquesorte oublié ce que nous avonspartagé, c’est donc ce que je peuxfaire.

Où que tu sois et peu importe ce qui sepasse dans ta vie, quand c’est lapremière nuit de la pleine lune commece l’était la première fois que nousnous sommes rencontrés, je veux quetu regardes le ciel nocturne. Je veuxque tu penses à moi et ce que nousavons partagé pendant ce e semaine,parce que partout où je suis et peu

importe ce qui se passe dans ma vie,c’est exactement ce que je vais faire. Sinous ne pouvons pas être ensemble,nous pouvons au moins partager cela,et peut-être que nous deux, nouspourrons faire durer ce dernier jourpour toujours.

Je t’aime, John Tyree et je vais tenir àla promesse que tu m’as faite une fois.Si tu reviens, je t’épouserai. Si tucasses ta promesse, tu me briseras lecoeur.

Avec amour,

Savannah.

Au-delà de la fenêtre et à travers leslarmes dans mes yeux, je pouvais voirune couche de nuages répar e endessous de moi. Je n’avais aucuneidée d’où nous é ons. Tout ce que jesavais, c’était que je voulais fairedemi-tour et rentrer à la maison, pourêtre à la seule place où j’étais censéêtre.

PARTIE II

CHAPITRE DOUZEQuelques heures plus tard, en ce epremière nuit seul en Allemagne, j’ailu la le re de nouveau, revivant notretemps ensemble. C’était facile; cessouvenirs avaient déjà commencé àme hanter et semblaient parfois plusréels que ma vie en tant que soldat. Jepouvais sen r la main de Savannahdans la mienne et la regarder commeelle secoua l’eau de ses cheveux sur laplage. J’ai ri à haute voix en merappelant ma surprise quand elle amonté sa première vague jusqu’aurivage. Mon temps avec Savannah m’achangé, et les hommes dans mon

équipe ont remarqué la différence. Aucours des semaines suivantes, monami Tony m’a taquiné sans relâche,dans la croyance béate qu’il avaitfinalement raison quant àl’importance de la compagnieféminine. C’était de ma faute pour luiavoir parlé de Savannah. Tony,cependant, a voulu en savoir plus quece que j’étais prêt à partager. Tandisque je lisais, il s’est assis dans lachaise en face de moi, souriantcomme un idiot.

– Raconte-moi à nouveau ta sauvageidylle de vacances, a-t-il dit.

Je me suis forcé à con nuer de gardermes yeux sur la page, faisant de mon

mieux pour l’ignorer.

– Savannah, n’est-ce pas ? Sa-van-nah.Putain, j’adore ce nom. Il me sembletellement… délicat, mais je parie quetu étais un gre en cage, n’est-ce pas?

– Ferme-la, Tony.

– Tu ne m’obligeras pas. N’ai-je pasété celui qui t’avait tout dit cela ce efois ? Te dire que tu devais sor r ? Tuas finalement écouté et maintenant,c’est le temps du remboursement. Jeveux les détails.

– Ce n’est pas de tes affaires.

– Mais tu as bu de la tequila, n’est-cepas ? Je t’avais dit que ça marche à

chaque fois.

Je n’ai rien dit. Tony leva les mains.

– Allez, tu sais que tu peux tout medire, n’est-ce pas ?

– Je ne veux pas en parler.

– Parce que tu es amoureux ? Ouais,c’est ce que tu as dit, mais jecommence à penser que tu as toutinventé.

– C’est ça. Je l’ai fait. Sommes-nousquittes ?

Il secoua la tête et se leva de sachaise.

– Tu es un chiot malade d’amour.

Je n’ai rien dit, mais comme il

s’éloigna, je savais qu’il avait raison.J’étais éperdument fou de Savannah.J’aurais fait n’importe quoi pour êtreavec elle, et j’ai demandé un transfertvers les États. Mon dur à cuire decommandant semblait prendre celasérieusement en considéra on.Quand il a demandé pourquoi, je luiai parlé de mon père au lieu deSavannah. Il écouta pendant unmoment, puis se pencha en arrièredans sa chaise et dit :

– Les chances ne sont pas bonnes,sauf si la santé de ton père est unproblème.

En sortant de son bureau, je savaisque je n’irais nulle part pendant au

moins les seize prochains mois. Je n’aipas pris la peine de cacher madécep on, et la prochaine fois quelune fut pleine, j’ai qui é la caserneet erra jusqu’à l’une des zonesherbeuses que nous u lisions pourjouer au football. Je m’étends sur ledos et regardait la lune, mesouvenant de tout et détestant le faitque j’étais si loin.

Dès le début, les appels et les le resentre nous étaient réguliers. Nousnous envoyons des courriersélectroniques, mais j’ai vite comprisque Savannah préférait écrire, et ellevoulait que je fasse la même chose.

Je sais que ce n’est pas aussi immédiatque le courrier électronique, mais c’estce que je voudrais à ce sujet, m’a-t-elleécrit. J’aime la surprise de trouver unele re dans la boîte aux le res etl’a ente fébrile que je ressens quandje me prépare à l’ouvrir. J’aime le faitque je peux la prendre avec moi pourlire à mon aise, et que je peuxm’appuyer contre un arbre et sen r labrise sur mon visage quand je vois tesmots sur le papier. Ça me plaîtd’imaginer comment tu étais quand tul’as écrit : ce que tu portais, tonenvironnement, la façon que tu as tenule stylo. Je sais que c’est un cliché et

c’est probablement de la marque, maisje con nue de t’imaginer assis dansune petite table à une table de fortune,avec une lampe à l’huile qui brûle àcôté de toi, tandis que le vent souffle àl’extérieur. C’est tellement plusroman que que de lire quelque chosesur la même machine que tu u lisespour télécharger de la musique ou fairedes recherches.

Je souris à cela. Elle était, après tout,dans l’erreur sur la tente et la tablede fortune, ainsi que la lampe à huile,mais j’ai dû adme re que ça peignaitun tableau plus intéressant que la

réalité de mon bureau éclairé avecune lampe fluorescente à l’intérieurd’une baraque en bois.

Comme les jours et les semainespassaient, mon amour pour Savannahsemblait devenir encore plus fort.Parfois, je me glissais loin des garspour être seul. Je sortais laphotographie de Savannah et laregardait de près, étudiant tous lestraits. C ’était étrange, mais autantque je l’aimais et me souvenait denotre temps ensemble, j’ai constatéque comme l’été se tourna versl’automne, puis a changé à nouveaupour l’hiver, j’étais plus reconnaissantpour la photographie. Oui, je me suis

convaincu que je pouvais me souvenird’elle exactement, mais quand j’étaishonnête avec moi-même, je savaisque je perdais des détails. Ou peut-être, je me suis rendu compte, je neles avais peut-être jamais remarqués.

Sur la photo, par exemple, j’ai réaliséque Savannah avait un pe t grain debeauté sous son oeil gauche, quelquechose que j’avais un peu oublié. Ouen l’inspectant minu eusement, sonsourire était un peu tordu. Ce sont lesimperfec ons qui l’ont en quelquesorte rendue parfaite à mes yeux,mais je détestais le fait que je devaisu liser une photo pour en apprendredavantage sur eux.

D’une certaine manière, j’ai con nuéma vie. Autant que je pensais àSavannah, autant qu’elle memanquait, j’avais un travail à faire. Àpar r de septembre – grâce à unensemble de circonstances que mêmel’armée avait de la difficulté àexpliquer – mon équipe et moi avonsété envoyés au Kosovo pour ladeuxième fois afin de rejoindre laPremière Division blindée encore surune autre mission de main en de lapaix, tandis que presque tous lesautres dans l’infanterie étaientrenvoyés en Allemagne. C’étaitrela vement calme et je n’ai pasu lisé mon arme à feu, mais cela ne

signifie pas que je passais mesjournées à cueillir des fleurs etdésirant ardemment Savannah. J’aine oyé mon arme à feu, a monté lagarde pour les fous, et quand vousêtes obligé d’être vigilant pendant desheures, vous êtes fa gué par la nuit.Je peux honnêtement dire que jepouvais passer deux ou trois jourssans me demander ce que Savannahfaisait ou même de penser à elle. Est-ce que cela rendait mon amour moinsréel ? Je me suis posé la ques on desdizaines de fois au cours de ce voyage,mais j’ai toujours décidé que cen’était pas le cas, pour la simpleraison que sa photo me prenait en

embuscade quand j’y pensais lemoins, m’accablant avec la mêmedouleur que le jour où je suis par .Tout pouvait faire ressor r cela : unami parlant à sa femme, voir uncouple se tenir par la main, ou mêmela façon avec laquelle certainsvillageois nous souriaient commenous passions devant eux.

Les le res de Savannah sont arrivéestous les dix jours environ, et elless’étaient accumulées au moment oùje suis revenu en Allemagne. Aucunene ressemblait à la le re que j’avaislue dans l’avion; elles étaient surtoutinformelles et bavardes, et elleretenait la vérité sur ses sen ments

jusqu’à la toute fin. Dans le mêmetemps, j’ai appris les détails de sa viequo dienne : ils avaient terminé lapremière maison avec un peu deretard, ce qui a rendu les choses plusdifficiles quand il est venu le temps deconstruire la deuxième maison. Pourcelle-là, ils ont dû travailler delongues heures, même si tout lemonde était devenu plus efficace dansleurs tâches. J’ai appris qu’après avoirachevé la première maison, ils avaientorganisé une grande fête pour tout lequar er et qu’ils avaient été grillés àplusieurs reprises tandis que l’après-midi avançait. J’ai appris que l’équipede travail avait célébré en allant à la

Cabane de la Creve e et que Timavait dit que cela avait été lameilleure atmosphère de tous lesrestaurants où il avait été. J’ai apprisqu’elle a obtenu la plupart des coursavec les professeurs qu’elle avaitdemandé, et qu’elle était trèsheureuse de suivre la psychologieadolescente avec un docteur Barnes,qui venait de voir un ar cle importantpublié dans une certaine revue sur lapsychologie ésotérique. Je n’ai pasbesoin de croire que Savannahpensait à moi chaque fois qu’elletapait un clou ou aidait à glisser unefenêtre en place, ou penser à moi aumilieu d’une conversa on avec Tim,

elle souhaite toujours que c’était àmoi quand elle parlait. Je me plaisaisà penser que ce que nous avions étaitplus profond que cela, et au fil dutemps, que la croyance en mon amourpour elle devenait encore plus forte.

Bien sûr, je voulais savoir si elle sesouciait toujours de moi et en cela,Savannah ne m’a jamais déçu. Jesuppose que c’était la raison pourlaquelle je conservais chaque le requ’elle m’avait envoyée. Vers la fin dechaque le re, il y avait toujoursquelques phrases, peut-être même unparagraphe, où elle écrivait quelquechose qui me faisait prendre unepause, des mots qui me faisait me

souvenir, et que je me trouvais àrelire des passages en essayantd’imaginer sa voix comme je les aielues. Comme ceci, de la seconde le reque j’ai reçue :

Quand je pense à ce que toi et moiavons partagé, je sais qu’il serait facilepour les autres de classer notre tempsensemble comme simplement un sous-produit des jours et des nuits passés àla mer, une « aventure » qui, à longterme, ne signifierait absolument rien.C’est pourquoi je ne parle pas de nousaux autres. Ils ne comprendraient pas,et je ne ressens pas le besoin

d’expliquer, tout simplement parce queje sais dans mon coeur combien c’étaitréel. Quand je pense à toi, je ne peuxpas m’empêcher de sourire, sachantque tu m’as complété d’une certainefaçon. Je t’aime, pas seulement pour lemoment, mais pour toujours et je rêvedu jour où tu me prendras de nouveaudans tes bras.

Ou ceci, de sa le re après que je lui aienvoyé une photo de moi :

Et finalement, je ens à te remercier

pour la photo. Je l’ai déjà mis dans monportefeuille. Tu sembles en bonnesanté et heureux, mais je dois te direque j’ai pleuré quand je l’ai vue. Nonpas parce qu’elle m’a rendu triste –comme si je ne serais pas en mesurede te voir –, mais parce qu’elle m’arendue heureuse. Elle m’a rappelé quetu es la meilleure chose qu’il ne m’estjamais arrivé.

Et ceci, d’une le re qu’elle avait écritependant que j’étais au Kosovo :

Je dois dire que ta dernière le re m’ainquiété. Je veux en entendre parler,j’ai besoin d’en savoir plus à ce sujet,mais je me retrouve à retenir monsouffle et à avoir peur pour toi lorsquetu me dis comment est vraiment ta vie.Ici, je me prépare à rentrer à la maisonpour Thanksgiving et m’inquiéter pourles examens, et que tu es quelque partde dangereux, entouré par des gens quiveulent te faire du mal. Je souhaitejuste que ces gens puissent savoircomment tu es comme je te connais,parce qu’alors, tu serais en sécurité.Tout comme je me sens en sécuritéquand je suis dans tes bras.

Le Noël ce e année-là était uneaffaire lamentable, mais c’étaittoujours triste quand vous êtes loinde la maison. Ce n’était pas monpremier Noël seul depuis mes annéespassées au service. Chaque fête avaitété passée en Allemagne et quelquesgars dans notre caserne avaientinstallé un arbre – une sorte de bâcheverte renforcée avec un bâton etdécorée avec des lumièresclignotantes. Plus de la moi é de mescopains étaient rentrés chez eux –j’étais l’un des malchanceux qui ontdû rester dans le cas où nos amis lesRusses se seraient mis dans la têteque nous é ons toujours ennemis et

des ennemis mortels – et la plupartdes autres sont allés dans des bars dela ville pour célébrer la Veille de Noëlen nous bombardant sur la qualité dela bière allemande. J’avais déjà ouvertle paquet que Savannah m’avaitenvoyé – un chandail qui me rappellequelque chose dont Tim en feraitl’usage et un paquet de biscuits faitsmaison – et je savais qu’elle avait déjàreçu le parfum que je lui avais envoyé.Mais j’étais seul et comme cadeaupour moi, j’ai rejoué l’excita on danssa voix pendant des semaines après.Nous avons fini par nous parlerpendant plus d’une heure. Le son desa voix m’avait manqué. J’avais oublié

son accent chantant et le ton sonorequi s’accentuait quand ellecommençait à parler rapidement. Jeme suis penché sur ma chaise,m’imaginant qu’elle était avec moi etl’écoutant me décrire comment laneige tombait. En même temps, j’airéalisé qu’il neigeait à l’extérieur dema fenêtre, comme si pendantseulement un instant, cela me faisaitsen r comme si nous é onsensemble.

En janvier 2001, j’avais commencé àcompter les jours à quand je lareverrai. Ma permission d’été était enjuin, et je serais loin de l’armée pourau moins un an. Je me réveillais le

ma n et me disais à moi-même qu’ilrestait 360 jours, puis 359 et 358jusqu’à ce que je sois sor de l’armée,mais que je verrais Savannah dans178, puis 177 et 176 et ainsi de suite.C’était tangible et réel, presque assezpour que je rêve de retourner vivre enCaroline du Nord; mais d’autre part,cela a malheureusement fait ralen rle temps. N’est-ce pas ainsi que celase passe quand vous voulez vraimentquelque chose ? Cela me rappelaitquand j’étais enfant et les jours quis’allongeaient comme j’a endais lesvacances d’été. S’il n’avait pas été desle res de Savannah, je n’ai aucundoute que l’a ente aurait semblé

beaucoup plus longue.

Mon père m’écrivait aussi. Pas avec lamême fréquence que Savannah, maismensuellement, selon ses propreshabitudes. À ma surprise, ses le resétaient deux ou trois fois plus longuesque la seule page à laquelle j’avais étéhabitué. Les pages supplémentairesétaient exclusivement sur les piècesde monnaie. Dans mon temps libre, jevisitais le centre informa que etfaisait un peu de recherche. Jerecherchais pour certaines pièces demonnaie, collectait l’histoire etenvoyais les informa ons dans unele re pour mon père. Je vous jure, lapremière fois que je l’ai fait, je

pensais que j’avais vu des larmes surla le re suivante qu’il m’a envoyée.Non, pas vraiment – je sais que c’étaitjuste mon imagina on, car il n’amême jamais men onné ce quej’avais fait –, mais je voulais croirequ’il se pencha sur les données avecla même intensité qu’il avait faite enétudiant le Greysheet.

En février, j’ai été envoyé à desmanoeuvres avec d’autres troupes del’OTAN : un de ces « prétendons quenous sommes dans une bataille en1944 », dans laquelle nous é onscensés faire face à un assaut de charsà travers la campagne allemande. Unpeu vain, si vous me demandez. Ces

sortes de guerres sont depuislongtemps terminées, suivies par lechemin des soldats espagnols quifaisait du dynamitage avec leurs groscanons et tous les chevaux de lacavalerie américaine pour aller à leurrescousse. Ces jours-là, ils ne disentjamais qui sont censés être nosennemis, mais tout le monde savaitque c’était les Russes, ce qui avaitencore moins de sens, car ils sontcensés être nos alliés maintenant.Même s’ils ne l’étaient pas, le simplefait qu’ils n’ont pas que de nombreuxchars, et même s’ils en construisaientsecrètement des milliers dans uneusine en Sibérie avec l’inten on

d’envahir l’Europe, n’importe quelchar serait très probablementconfronté à des frappes aériennes etnos propres divisions mécanisées aulieu de l’infanterie. Mais qu’est-ce quej’en savais, pas vrai ? Le temps étaitmisérable, aussi, avec une certainecolère devant le temps froid sedéplaçant vers l’Arc que alors que lesmanoeuvres avaient commencé.C’était épique, avec de la neige, dugrésil et la grêle, et le vent àcinquante miles à l’heure, me faisantpenser aux troupes de Napoléon surla retraite de Moscou. Il faisait si froidque du givre se formait sur messourcils, me faisant mal respirer, et

mes doigts se collaient au canon si j’ytouchais accidentellement. Celapiquait comme l’enfer pour les fairedécoller, et j’ai perdu un bon morceaude peau sur le bout des doigts dans leprocessus. Mais j’ai gardé mon visagecouvert et ma main sur le stock aprèsce e marche dans la boue glacialeprovoquée par des averses de neigesans fin, en essayant du mieux que jele pouvais pour ne pas devenir unestatue de glace tandis que nousfaisions semblant de comba rel’ennemi.

Nous avons passé dix jours à fairecela. La moi é de mes hommes ont eudes engelures, l’autre moi é a

souffert d’hypothermie, et aumoment où nous avons terminé, monéquipe a été réduite à seulement troisou quatre hommes; tout le mondeterminait à l’infirmerie une fois quenous sommes rentrés à la base. Ycomprit moi. L’expérience en ère aété à peu près la chose la plus ridiculeet idiote que l’armée ne nous a jamaisfait faire. Et c’est peu dire, car j’ai faitbeaucoup de choses idiotes pour lebon vieil Oncle Sam et la Big Red One.À la fin, notre commandant marchaitdans la salle, félicitant mon équipepour le travail accompli. Je voulais luidire que peut-être notre époqueaurait mieux u lisé l’appren ssage

des tac ques de guerre modernes ou,à tout le moins, a écouter la chaînemétéo. Mais au lieu de cela, j’ai offertun salut et une reconnaissance, étantle bon fantassin de l’armée que jesuis.

Après cela, j’ai passé les mois suivantssans incident sur la base. Bien sûr,nous avons eu occasionnellement descours sur les armes ou la naviga on,et de temps en temps, je mepromenais en ville pour prendre unebière avec les gars, mais la plupart dutemps, je soulevais des tonnes depoids, courais des centaines de mileset bo ais les fesses de Tony chaquefois que nous avons été sur le ring de

boxe.

Le printemps en Allemagne n’était pasaussi mauvais que je le pensais qu’ilserait après la catastrophe que nousavons subie à travers les manoeuvres.La neige avait fondu, les fleurs sontsor es, et l’air avait commencé à seréchauffer. Enfin, pas très chaud, maiscela dépassait le point de congéla onet c’était assez pour que la plupart demes copains et moi nous me ons enshort et jouer au frisbee, ou ausoftball à l’extérieur.

Comme juin approchait, je me suisretrouvé à être nerveux de revenir enCaroline du Nord. Savannah avaitobtenu son diplôme et était déjà à

l’école d’été pour suivre des courspour sa maîtrise, alors j’ai planifié deme rendre à Chapel Hill. Nous aurionsdeux semaines fabuleuses à passerensemble, et même quand j’irai voirmon père à Wilmington, elle a prévude venir avec moi – et je me suisretrouvé à me sen r en alternancenerveux et excité, et effrayé à lapensée que oui, nous avionscorrespondu par courrier et parlé autéléphone. Oui, j’étais sor pourregarder la pleine lune la premièrenuit, et dans ses le res, elle m’a ditqu’elle l’avait fait aussi. Mais je nel’avais pas vue depuis presque un an,et je n’avais pas la moindre idée

comment elle réagirait lorsque nousserions de nouveau face à face. Seprécipiterait-elle dans mes bras quandje descendrai de l’avion, ou si saréac on serait-elle plus sobre, peut-être un doux baiser sur la joue ?Tomberions-nous immédiatementdans une conversa on facile, ou nousretrouverions-nous à parler du tempset se sen r maladroits autour del’autre ? Je ne savais pas, et je restaiséveillé la nuit à imaginer millescénarios différents.

Tony savait ce que je vivais, mais ilfaisait a en on de ne pas trop meparler d’elle. Au lieu de cela, commela date approchait, il me tapa dans le

dos.

– Tu vas la voir bientôt, a-t-il dit. Tu esprêt pour ça ?

– Ouais.

Il sourit.

– N’oublie pas de boire un peu detequila sur le chemin du retour.

J’ai fait une grimace et Tony se mit àrire.

– Ça va très bien aller, a-t-il dit. Ellet’aime, mec. Elle veut juste savoircombien tu l’aimes.

CHAPITRE TREIZEEn juin 2001, on m’a donné mapermission et je suis immédiatementpar à la maison, sur un vol deFrancfort à New York, puis à Raleigh.C’était un vendredi soir, et Savannahavait promis de venir me chercher àl’aéroport avant de m’amener àLenoir pour rencontrer ses parents.Elle avait laissé tomber ce e pe tesurprise le jour avant le vol. Je n’avaisrien contre rencontrer ses parents,vous savez. J’étais sûr qu’ils sont desgens formidables et tout, mais sij’avais eu mon mot à dire, j’auraispréféré avoir Savannah à moi tout

seul pendant les premiers jours. C’estun peu difficile de ra raper le tempsperdu avec les parents autour. Mêmesi nous n’é ons pas in mesphysiquement – et connaissantSavannah, j’étais assez sûr que nousne le serions pas, même si j’ai gardémes doigts croisés – comment sesparents me traiteraient-ils si je neramenais pas leur fille avant lespremières heures du ma n, même sitout ce que nous ferions était deregarder les étoiles ? Certes, elle étaitune adulte, mais les parents sontdrôles quand il s’agit de leurs propresenfants, et je ne me faisais aucuneillusion qu’ils seraient compréhensifs

face à tout cela. Elle serait toujoursleur petite fille, si vous voyez ce que jeveux dire.

Mais Savannah avait eu un pointquand elle m’a expliqué. J’avais deuxweek-ends libres, et si j’avais prévu devoir mon père pendant le deuxièmeweek-end, je devais voir la sienne lepremier week-end. Par ailleurs, ellesemblait tellement excitée à proposde tout cela que tout ce que jepouvais dire était que j’étaisimpa ent de les rencontrer. Je medemandais si je pourrais lui tenir lamain, et j’ai spéculé si je pouvais luiparler en faisant un petit détour sur laroute vers Lenoir.

Dès que l’avion a a erri, monan cipa on a augmenté et je pouvaissen r mon impa ence en plein essor.Mais je ne savais pas comment agir.Devrais-je courir vers elle dès que je laverrais ou si je devais être cool etgarder le contrôle ? Je n’étais toujourspas sûr, mais avant que je puisse m’enapercevoir, je me déplaçaisrapidement parmi la foule, puis dansl’allée. J’ai lancé mon sac sur monépaule comme je suis sor sur larampe qui donnait accès au terminal.Je ne l’avais pas vue dans un premiertemps avec tous ces gens autour.Quand j’ai balayé la zone unedeuxième fois, je l’ai vue à gauche et

je me suis immédiatement renducompte que tous mes soucis avaientété inu les, car quand elle m’a repéréet arriva en courant à toute allure. J’aieu à peine le temps de déposer monsac avant qu’elle ne saute dans mesbras, et le baiser qui suivi étaitmagique et complet avec sa langue, ettout. Le paradis sur terre ! Et quandelle s’est légèrement écartée, elle amurmuré :

– Tu m’as tellement manqué.

Je me sentais comme si j’avais étérécompensé après une annéed’absence.

Je ne sais pas combien de temps nous

avons été ainsi, mais quand nousavons finalement commencé à nousdéplacer vers l’arrivée des bagages, jeglissai ma main dans la sienne,sachant que je ne l’aimais passeulement plus que la dernière foisque je l’avais vue, mais plus que jen’aimerais jamais quelqu’un.

En voiture, nous avons parléfacilement, mais nous avons fait unpe t détour. Après un arrêt à une airede repos, nous avons fait comme desadolescents. C’était super et deuxheures plus tard, nous sommes arrivéschez elle. Ses parents a endaient surle porche d’une maison de stylevictorien de deux étages. Me

surprenant, sa mère me serra aussitôtque je me suis approché, puis m’aoffert une bière. J’ai refusé, surtoutparce que je savais que je serais leseul à boire, mais j’ai apprécié l’effort.La mère de Savannah, Jill, luiressemblait beaucoup : amicale,ouverte et beaucoup plus solidequ’elle. Son père était exactement lemême, et j’ai réellement passé un bonmoment en visite avec eux. Cela n’apas dérangé que Savannah et moinous tenions par la main et semblaitcomplètement à l’aise de le faire. Versla fin de la soirée, elle et moi sommesallés prendre une longue promenadeau clair de lune. Au moment où nous

sommes rentrés chez elle, je mesentais presque comme si n’avionsjamais été séparés.

Il va sans dire que je dormais dans lachambre d’amis. Je ne m’étais pasa endu à autre chose, et la chambreétait beaucoup mieux que la plupartdes endroits où j’étais resté, avec desmeubles classiques et un matelasconfortable. L’air était étouffant,cependant, et j’ai ouvert la fenêtre, enespérant que l’air de la montagneapporterait une brise fraîche. Celaavait été une longue journée – j’étaistoujours en décalage horaire del’Allemagne – et je me suisimmédiatement endormi, pour me

réveiller une heure plus tard, quandj’ai entendu la porte de ma chambres’ouvrir en grinçant. Savannah, vêtued’un confortable pyjama en coton etdes chausse es, a fermé la portederrière elle et se dirigea vers le lit surla pointe des pieds.

Elle leva un doigt sur ses lèvres pourme faire taire.

– Mes parents me tueraient s’ilssavaient que je fais cela, murmurait-elle.

Elle a rampé dans le lit à côté de moiet a ajusté les couvertures, lesmontant jusqu’à son cou comme sielle campait dans l’Arc que. J’ai mis

mes bras autour d’elle, aimant lasensation de son corps contre le mien.

Nous nous sommes embrassés et riso ement pendant la majorité de lanuit, puis elle retourna dans sachambre. Je tombai de nouveauendormi, sans doute avant qu’ellen’ait a eint sa chambre, et j’ai étéréveillé à la vue de la lumière du soleilcoulant par la fenêtre. L’odeur dupe t-déjeuner est venue flo er dansma chambre, et j’ai mis un tee-shirt etdes jeans avant de me rendre à lacuisine. Savannah était à la table,parlant avec sa mère, tandis que sonpère lisait le journal, et je sentais lepoids de leur présence quand je suis

entré. J’ai pris une place à la table, etla mère de Savannah me versa unetasse de café avant de déposer uneassie e garnie de bacon et d’oeufsdevant moi. Savannah, qui était assiseen face de moi, était déjà douchée ethabillée d’un tailleur, et semblaitincroyablement douce dans la lumièredu matin.

– As-tu bien dormi ? m’a-t-elledemandé, les yeux brillants de malice.

J’ai hoché la tête.

– Très bien. J’ai fait un rêve des plusmerveilleux, ai-je dit.

– Oh ? a demandé sa mère. C’était àquel propos ?

Je sentais Savannah me donner uncoup de pied sous la table. Elle secouala tête presque impercep blement. Jedois adme re que j’aipar culièrement aimé le regard tordude Savannah, mais je n’ai pas exagéré.J’ai feint la concentration.

– Je ne m’en souviens pasmaintenant, ai-je dit.

– Je déteste quand ça arrive, dit samère. Le petit déjeuner est correct ?

– Très bien, ai-je dit. Je vous remercie.

Je jetai un coup d’oeil à Savannah.

– Qu’est-ce qui est à l’ordre du jouraujourd’hui ?

Elle se pencha sur la table.

– Je pensais que nous pourrions fairede l’équita on. Penses-tu que tuserais assez bon pour cela ?

Quand j’ai hésité, elle a ri.

– Tout ira bien, a-t-elle ajouté. Je te lepromets.

– Facile à dire pour toi.

Elle montait Midas; pour moi, elle aproposé un cheval nommé Pepper,que son père prenait habituellement.Nous avons passé la plupart de lajournée à suivre les sen ers, galopant

à travers les champs ouverts, etexplorant ce e par e de son monde.Elle avait préparé un pique-nique, etnous avons mangé dans un endroitqui dominait Lenoir. Elle a souligné lesécoles qu’elle avait fréquentées et lesmaisons des gens qu’elle connaissait.Il m’est apparu alors que nonseulement elle aimait cela ici, maiselle ne voudrait jamais aller vivreailleurs.

Nous avons passé six ou sept heuresen selle, et j’ai fait de mon mieuxpour me maintenir au niveau deSavannah, mais c’était presqueimpossible. Je n’ai pas terminé levisage planté dans la terre, mais il y

avait quelques moments risqués ici etlà quand Pepper a fait des caprices etil m’a tout fallu pour que je puissetenir le coup. Ce n’est que lorsqueSavannah et moi nous nouspréparions pour le dîner que j’airéalisé ce qu’il aurait pu arriver.

Peu à peu, j’ai commencé à réaliserque je marchais en me dandinant unpeu. Les muscles à l’intérieur de mesjambes étaient comme si Tony lesavait martelés pendant des heures.

Le samedi soir, Savannah et moisommes allés dîner dans unconfortable pe t restaurant italien.Par la suite, elle a suggéré que nousallions danser, mais à ce moment-là,

je pouvais à peine bouger. Comme jeboitais vers la voiture, elle a adoptéune expression concernée et a tendula main pour m’arrêter.

Penchée, elle saisit ma jambe.

– Ça fait mal quand je serre ici ?

J’ai sauté et hurlé. Pour une raisonquelconque, elle a trouvé celaamusant.

– Pourquoi as-tu fait ça ? Ça fait mal !

Elle sourit.

– Juste une vérification.

– Vérifier quoi ? Je t’ai déjà dit que j’aimal...

– Je voulais juste voir si pe te vieille

comme moi pourrait faire crier ungrand gars de l’armée comme toi.

Je me suis frotté la jambe.

– Ouais, eh bien, il ne faut plus tester,d’accord ?

– D’accord, a-t-elle dit. Et je suisdésolée.

– Tu ne sembles pas désolée.

– Eh bien, je le suis, dit-elle. Mais c’estdrôle, tu ne trouves pas ? Je veux dire,j’y suis allée aussi longtemps que toiet je vais bien.

– Tu y vas tout le temps.

– Je n’ai pas monté depuis plus d’unmois.

Ouais…

– Allez. Admets-le. C’était drôle, n’est-ce pas ?

– Pas tout à fait.

Le dimanche, nous sommes allés àl’église avec sa famille. J’étais tropendolori pour faire autre chose dureste de la journée, alors je suistombé lourdement sur le canapé etregardé un match de baseball avecson père. La mère de Savannah aapporté des sandwichs, et j’ai passél’après-midi à tressaillir chaque foisque j’ai essayé de me me re

confortable, alors que le match estentré en manches supplémentaires.Son père était facile de parler, et laconversa on a dérivé de la vie del’armée et l’enseignement à certainsdes enfants qu’il entraînait et sesespoirs pour à leur avenir. Je l’aiapprécié. De ma place, je pouvaisentendre Savannah et sa mèrediscuter dans la cuisine, et de tempsen temps, Savannah entrait dans lasalle de séjour avec un panier de lingeà plier alors que sa mère commençaitune autre charge dans la machine àlaver. Bien que techniquement elleétait diplômée et une adulte, elleramenait toujours ses vêtements sales

à la maison.

Ce soir-là, nous sommes rentrés àChapel Hill, et Savannah m’a montréson appartement. Il n’y avait pasbeaucoup de meubles, mais c’étaitrela vement nouveau, et il y avait unfoyer à gaz ainsi qu’un pe t balconqui offrait une vue du campus. Malgréle temps chaud, elle a fait un feudevant lequel nous avons mangé descrackers et du fromage, puisqu’à partdes céréales, c’était tout ce qu’elleavait à offrir. Cela me semblaitindescrip blement roman que,même si je venais de réaliser qu’êtreseul avec Savannah me semblaittoujours roman que. Nous avons

parlé jusqu’à près de minuit, maisSavannah était plus calme qued’habitude. À un moment, elle estpartie dans sa chambre. Quand elle nerevenait pas, je suis allé la trouver.Elle était assise sur le lit, et je me suisarrêté dans l’embrasure de la porte.

Elle pressa ses mains ensemble etpoussa un long soupir.

– Alors… a-t-elle commencé.

– Alors… je lui ai répondu quand elleest restée silencieuse.

Elle a tiré un autre long soupir.

– Il se fait tard. Et j’ai un cours tôtdemain matin.

J’ai hoché la tête.

– Tu devrais probablement tecoucher.

– Oui, dit-elle.

Elle hocha la tête comme si elle nel’avait pas considéré et se tourna versla fenêtre. À travers les stores, jepouvais voir des arbres diffusant lalumière coulant du parking. Elle étaitmignonne quand elle était nerveuse.

– Alors… dit-elle de nouveau, commesi elle parlait au mur.

– Pourquoi n’irais-je pas dormir sur lecanapé, hein ?

– Ça ne te dérangerait pas ?

– Pas du tout, ai-je dit.

En réalité, ce n’était pas ce que jepréférais, mais j’ai compris.

Regardant toujours vers la fenêtre,elle n’a fait aucun geste pour se lever.

– Je ne suis pas prête, dit-elle d’unevoix douce. Je veux dire, je pensaisque je l’étais, et une par e de moi leveut vraiment. J’ai pensé à cela aucours des dernières semaines et je mesuis décidé, et ça me semblait juste,tu sais ? Je t’aime et tu m’aimes, etc’est ce que font les gens quand ilssont amoureux. C’était facile de me ledire quand tu n’étais pas ici, maismaintenant…

Elle s’arrêta.

– C’est correct, ai-je dit.

Elle se tourna enfin vers moi.

– As-tu eu peur ? À ta première fois ?

Je me demandais comment mieuxrépondre à cela.

– Je pense que c’est différent pour leshommes que les femmes, ai-je dit.

– Oui. Je suppose que oui. (Elle a faitsemblant d’ajuster les couvertures.)Es-tu fâché ?

– Pas du tout.

– Mais tu es déçu.

– Eh bien… j’ai admis, et elle se mit à

rire.

– Je suis désolée, dit-elle.

– Il n’y a aucune raison de présenterdes excuses.

Elle y réfléchit.

– Alors pourquoi ai-je l’impressionque je dois m’excuser ?

– Eh bien, je suis un soldat solitaire,ai-je souligné, et elle rit de nouveau,et je pouvais toujours entendre sanervosité.

– Le canapé n’est pas très confortable,s’est-elle inquiétée. Et il est pe t. Tune seras pas capable de t’allonger. Etje n’ai pas de couvertures

supplémentaires. J’aurais dû enprendre quelques-unes à la maison,mais j’ai oublié.

– C’est un problème.

– Ouais, dit-elle.

J’ai attendu.

– Je suppose que tu pourrais dormiravec moi, a-t-elle osé.

J’ai a endu pendant qu’ellecon nuait son propre débat interne.Finalement, elle haussa les épaules.

– Tu veux prendre une chance ? Justepour dormir, je veux dire ?

– Quoi que tu dises.

Pour la première fois, ses épaules se

sont détendues.

– Très bien, alors. Nous allons nousinstaller. Donne-moi juste une minutepour me changer.

Elle se leva du lit, traversa la chambre,et ouvrit un roir. Le pyjama qu’elle achoisi était semblable à ceux qu’elleavait portés chez ses parents, et je l’ailaissée pour retourner à la salle deséjour, où j’ai mis mon short de gymet un tee-shirt. Au moment où je suisrevenu, elle était déjà sous lescouvertures. Je suis allé de l’autrecôté et rampé à côté d’elle. Elle ba tles couvertures avant d’éteindre lalumière, puis couchée sur le dos, lesyeux fixés au plafond. Je me suis

tourné sur mon côté, lui faisant face.

– Bonne nuit, murmurait-elle.

– Bonne nuit.

Je savais que je ne dormirais pas. Paspour quelques heures, de toute façon.J’étais trop… excité pour cela. Mais jene voulais pas bouger ou me tournerdans le cas où elle se réveillerait.

– Hey, a-t-elle chuchoté de nouveau.

– Oui ?

Elle se tourna pour me faire face.

– Je veux juste que tu saches que c’estla première fois que je dors avec unhomme. Toute la nuit, je veux dire.C’est un pas de plus, pas vrai ?

– Ouais, ai-je dit. C’est un pas de plus.

Elle caressa mon bras.

– Et maintenant, si quelqu’un ledemande, tu pourras leur dire quenous avons dormi ensemble.

– C’est vrai.

– Mais tu ne le diras pas à n’importequi, n’est-ce pas ? Je veux dire, je neveux pas que tu aies une mauvaiseréputation, tu sais.

J’étouffai un rire.

– Je vais garder notre petit secret.

Les jours suivants sont tombés dans

une rou ne facile. Savannah a eu descours le ma n et on se retrouvaithabituellement un peu après ledéjeuner. En théorie, je suppose quecela me donnait l’occasion de dormir– quelque chose dont toute recrue del’armée rêve quand ils parlent de leurdépart en permission –, mais desannées à se lever avant l’aube étaientune habitude impossible à briser. Aulieu de cela, je me réveillais avant elleet préparait du café avant de tro erjusqu’au coin de la rue pour acheterle journal. À l’occasion, je ramenaisquelques bagels ou des croissants;d’autres fois, nous avions simplementmangé des céréales à la maison, et il

était facile de voir ce e pe te rou necomme un aperçu des premièresannées de notre future vie ensemble,le bonheur sans effort qui étaitpresque trop beau pour être vrai.

Ou, du moins, j’ai essayé de m’enconvaincre. Quand nous é ons avecses parents, Savannah étaitexactement la fille dont je me suissouvenu. Même chose à notrepremière nuit seuls ensemble. Maisaprès cela… J’ai commencé àremarquer des différences. Je supposeque je ne m’étais pas pleinementrendu compte qu’elle vivait une viequi semblait complète et laremplissait, même sans moi. Le

calendrier qu’elle a collé sur la portedu réfrigérateur répertoriait quelquechose à faire presque tous les jours :concerts, conférences, une demi-douzaine de fêtes pour divers amis.Tim, ai-je noté, était souvent là pourun pe t déjeuner occasionnel. Elleavait quatre cours et enseignait unautre comme assistant diplômé, et lejeudi après-midi, elle travaillait avecun professeur sur une étude de cas,dont on était sûr qu’elle seraitpubliée. Sa vie était exactement de lafaçon dont elle l’avait décrit dans sesle res, et quand elle revenait àl’appartement, elle me racontait sajournée alors qu’elle se préparait

quelque chose à manger dans lacuisine. Elle aimait le travail qu’ellefaisait, et la fierté dans sa voix étaitévidente. Elle parlait avec anima ontandis que je l’écoutais, et je posaisquelques ques ons assez pourmaintenir le flux de la conversation encours.

Rien d’inhabituel dans cela, avouai-je.J’en savais assez pour comprendreque cela aurait été un gros problèmesi elle n’avait rien dit au sujet de sesjournées. Mais à chaque nouvellehistoire, j’obtenais ce sen mentd’angoisse, celui qui m’a fait penserque, autant que nous avions gardé lecontact, autant que nous nous

sommes occupés les uns des autres,elle avait en quelque sorte con nuéd’avancer tandis que j’avais stagné.De ce que j’avais vu, elle avait obtenuson diplôme, jeté son bonnet en l’air,avait trouvé un travail commeassistante diplômée, et s’étaitinstallée en appartement en lemeublant. Sa vie était entrée dansune nouvelle phase, et même si jesuppose que c’était possible de dire lamême chose de moi, le simple fait estque rien n’avait beaucoup changépour moi, à moins que vous comp ezle fait que je savais maintenantcomment assembler et démonter huittypes d’armes au lieu de six, et

augmenté ma masse musculaire d’unetrentaine de livres. Et, bien sûr, j’avaisfait ma part de donner aux Russesquelque chose à penser s’ils sedemandaient s’ils devaient ou nonenvahir l’Allemagne avec des dizainesde divisions mécanisées.

Ne vous méprenez pas. J’étaistoujours amoureux de Savannah, et ily avait des moments où je me sentaisla force de ses sen ments pour moi.Beaucoup de fois, en fait. Pour laplupart du temps, ce fut unemerveilleuse semaine. Quand elleétait par e, je marchais sur le campuset faisais du jogging dans les champsprès de la maison, en profitant du ciel

bleu et de certaines interrup ons sinécessaire. Un jour, je me trouvaisdans une salle de gym qui m’a permisde me me re au point pendant letemps où j’étais là, et parce quej’étais dans le service, ils ne m’ont pasfait payer. Après m’être entraîné etpris ma douche, Savannah rentrait àl’appartement, et nous passions lereste de l’après-midi ensemble. Mardisoir, nous avons rejoint un groupe deses camarades de classe pour un dînerau centre-ville de Chapel Hill. C ’étaitplus amusant que je pensais que ce leserait, en considérant que je traînaisavec une bande d’intellectuels del’école d’été et la plupart des

conversa ons étaient centrées sur lapsychologie des adolescents. Lemercredi après-midi, Savannah m’afait faire un tour de ses classes et m’aprésenté à ses professeurs. Plus tardcet après-midi-là, nous avonsrencontré quelques personnes quej’avais connues la veille. Ce soir-là,nous avons commandé de lanourriture chinoise et nous avonsmangé à la table de son appartement.Elle portait un de ces débardeursmoulants qui accentuait sonbronzage, et tout ce que je pouvaispenser était qu’elle était la femme laplus sexy que je n’ai jamais vue.

Le jeudi, je voulais passer un peu de

temps avec elle et j’ai décidé de lasurprendre en organisant une soiréespéciale. Alors qu’elle était en classeet travaillait sur l’étude de cas, je suisallé au magasin et dépensé une pe tefortune pour un nouveau costume,une cravate et des chaussures. Jevoulais la voir habillée, et j’ai réservéune table à ce restaurant dont levendeur de chaussures m’avait ditqu’il était le meilleur en ville. Cinqétoiles, menu exo que, serveurshabillés, tout le toutim. Certes, je n’enavais pas parlé à Savannah à l’avance– on supposait que c’était unesurprise, après tout –, mais dèsqu’elle a passé la porte, j’ai découvert

qu’elle avait déjà fait des plans pourpasser une autre soirée avec lesmêmes amis que nous avions vus aucours des deux derniers jours. Elleavait l’air tellement excitée que je n’aijamais pris la peine de lui dire ce quej’avais prévu.

Je n’étais pas seulement déçu, j’étaisfâché. À mon avis, j’étais plusqu’heureux de passer une soirée avecses amis, même un après-midisupplémentaire. Mais presque à tousles jours ? Après un an séparé, quandaurions-nous un peu de tempsensemble ? Cela me dérangeaitqu’elle ne semblait pas partager lemême désir. Au cours des derniers

mois, j’avais imaginé que nouspasserions autant de temps ensembleque nous le pourrions, compensantpour notre année séparée. Mais j’envenais à la conclusion que je pourraism’être trompé. Ce qui signifiait… quoi? Que je n’étais pas aussi importantpour elle qu’elle l’était pour moi ? Jene savais pas, mais étant donné monhumeur, j’aurais probablement dûrester à l’appartement et laisser yaller toute seule. Au lieu de cela, jeme suis assis à part, refusant deprendre part à la conversa on, et àpeu près tout le monde baissa lesyeux au lieu de me regarder. J’étaisdevenu bon à l’in mida on au cours

des années, et j’étais dans une formerare ce soir-là. Savannah pouvaitdeviner que j’étais fâché, mais chaquefois qu’elle m’a demandé si quelquechose me tracassait, j’étais à monmieux passif-agressif en niant quequelque chose n’allait pas.

– Juste fatigué, ai-je dit à la place.

Elle a essayé d’améliorer les choses, jedois lui donner ça. Elle s’est étenduepour prendre main, et de temps entemps, me lança un sourire rapidequand elle pensait que je la verrais, etm’a nourri du soda et des chips. Aprèsun certain temps, cependant, elle aété fa guée de mon a tude et a peuà peu renoncé. Non pas que je lui

reproche. J’avais fait mon point devue et cela a en quelque sorte faitqu’elle a commencé à se me re encolère avec moi en me laissant sen rson insa sfac on. Nous avons à peineparlé sur le chemin du retour, etquand nous sommes allés au lit, nousavons dormi sur les côtés opposés dumatelas. Dans la ma née, j’étais prêtà riposter. Malheureusement, elle nel’était pas. Pendant que j’étais alléchercher le journal, elle a qui él’appartement sans prendre un pe tdéjeuner, et j’ai fini par boire moncafé tout seul.

Je savais que j’étais allé trop loin, etj’avais prévu de me racheter auprès

d’elle aussitôt qu’elle serait rentrée àla maison. Je voulais lui dire la véritésur mes préoccupa ons, lui parler dudîner que j’avais prévu et m’excuserde mon comportement. Je supposaisqu’elle allait comprendre. Nousaurions tout laissé derrière pour undîner roman que. C’était juste ce queje pensais qu’il nous fallait, puisquenous devions par r pour Wilmingtonle lendemain pour passer le week-endavec mon père.

Croyez-le ou pas, je voulais le voir, etj’ai pensé qu’il était impa ent de mavisite aussi, à sa manière.Contrairement à Savannah, mon pèreavait obtenu un laissez-passer quand

il venait aux a entes. Cela n’auraitpas été juste, mais Savannah avait euun rôle différent à jouer dans ma viealors.

J’ai secoué la tête. Savannah. ToujoursSavannah. Tout dans ce voyage, toutce qui concerne ma vie, je l’ai réalisé,me conduisait toujours vers elle.

En une heure, j’avais fini dem’entraîner, ne oyé et emballé laplupart des mes choses, et rappeler lerestaurant pour faire une renouvelerma réserva on. Je connaissaisl’horaire de Savannah et d’ici là,j’avais supposé qu’elle allait arriversous peu. Avec rien d’autre à faire, jeme suis assis sur le canapé et allumé

la télévision. Jeux télévisés,feuilletons, publireportages et talk-shows ont été entrecoupés depublicités diverses. Le temps s’é raitcomme je l’a endais. Je n’ai pas oséerrer sur le balcon pour balayer duregard le parking dans l’espoird’apercevoir sa voiture et j’ai vérifiémon plan trois ou quatre fois.Savannah, je pensais, était sûrementsur le chemin du retour, et je me suisoccupée en vidant le lave-vaisselle.Quelques minutes plus tard, je mesuis brossé les dents pour ladeuxième fois, puis j’ai ensuite jeté uncoup d’oeil par la fenêtre. Toujourspas de Savannah. J’ai allumé la radio,

écouté quelques chansons, et changéde sta on six ou sept fois avant del’éteindre. J’ai marché de nouveaujusqu’au balcon. Rien. À ce moment-là, il arrivait quatorze heures. Je medemandais où elle était, sentait lesrestes de ma colère commencer àmonter de nouveau, mais je les aieforcés de s’éloigner. Je me suis ditqu’elle avait probablement uneexplica on légi me et l’a répétéencore une fois quand cela ne prenaitpas le dessus. J’ai ouvert mon sac etsor le dernier de Stephen King. Jesuis servi un verre d’eau glacée, mesuis mis à l’aise sur le canapé, maisquand j’ai réalisé que je lisais la

même phrase encore et encore, j’aimis le livre de côté.

Encore quinze minutes se sontécoulées. Puis trente. Au moment oùj’ai entendu la voiture de Savannaharriver, ma mâchoire était serrée et jefaisais grincer mes dents. À quinzeheures et quart, elle poussa la porte.Elle était tout sourire, comme si rienn’allait mal.

– Hé, John, a-t-elle lancé.

Elle s’approcha de la table etcommencé à décharger son sac à dos.

– Désolée, je suis en retard, maisaprès ma classe, une étudiante s’estapprochée de moi pour me dire

qu’elle aimait ma classe et qu’à causede moi, elle voulait se spécialiser dansl’enseignement spécialisé. Peux-tu lecroire ? Elle voulait des conseils sur cequ’il faut faire, quels cours prendre,quels étaient les meilleursprofesseurs… et la façon dont elleécoutait mes réponses…

Savannah secoua la tête, puis reprit :

– C’était… tellement gra fiant. Lafaçon dont ce e fille s’accrochait surtout ce que je disais… eh bien, ça m’ajuste fait sen r comme si j’avaisvraiment fait une différence pourquelqu’un. Tu entends parler de leursexpériences des professeurs commeça, mais je n’ai jamais imaginé que

cela m’arriverait.

J’ai forcé un sourire, et elle l’a priscomme une invitation pour continuer.

– De toute façon, elle m’a demandé sij’avais un peu de temps pour discuter,et même si je lui ai dit que je n’avaisque quelques minutes, une chose enamenant une autre, et nous avons finipar aller déjeuner. Elle est vraimentquelque chose – seulement dix-septans, mais elle est diplômée un an plustôt du lycée. Elle a passé un tasd’examens AP, donc elle est déjà endeuxième année, et elle va à l’écoled’été afin qu’elle puisse aller encoreplus loin. Tu dois l’admirer.

Elle voulait un écho de sonenthousiasme, mais je ne pouvais pasy arriver.

– Elle sonne bien, ai-je dit à la place.

À ma réponse, Savannah m’a vraimentregardé pour la première fois, et jen’ai fait aucun effort pour cacher messentiments.

– Qu’est-ce qui ne va pas ? a-t-elledemandé.

– Rien.

Elle a mis son sac de côté avec unsoupir dégoûté.

– Tu ne veux pas en parler ? Très bien.Mais tu dois savoir que cela devient

un peu fatigant.

– Qu’est-ce que ça veut dire ?

Elle se tourna vers moi.

– Ça ! De la façon dont tu agis, dit-elle. Tu n’es pas si difficile à lire, John.Tu es fâché, mais tu ne veux pas medire pourquoi.

J’ai hésité, me sentant sur ladéfensive. Quand j’ai finalementparlé, je me suis forcé de garder mavoix stable.

– OK, ai-je dit. Je pensais que tu seraisici il y a des heures.

Elle leva les mains.

– Voilà ce dont il s’agit ? Je te l’ai

expliqué. Crois-le ou pas, j’ai desresponsabilités maintenant. Et si je neme trompe pas, je me suis excuséd’être en retard dès que j’ai franchi laporte.

– Je sais, mais…

– Mais quoi ? Mes excuses n’étaientpas assez bien ?

– Je n’ai pas dit cela.

– Alors qu’est-ce que c’est ?

Lorsque je ne pouvais pas trouver lesmots, elle a mis ses mains sur seshanches.

– Tu veux savoir ce que je pense ? Tues toujours fâché pour hier soir. Mais

laisse-moi deviner – tu ne veux pasnon plus en parler, pas vrai ?

Je fermai les yeux.

– Hier soir, tu…

– Moi ? m’interrompit-elle et acommencé à secouer la tête. Oh non,ne me blâme pas pour cela ! Je n’airien fait de mal. Je ne suis pas cellequi a commencé ça ! Hier soir, celaaurait pu être amusant, mais tu esresté assis en agissant comme si tuvoulais tuer quelqu’un.

Elle exagérait. Ou encore, peut-êtreque non. De toute façon, je me taisais.Elle a continué.

– Sais-tu que j’ai été obligé de faire

des excuses pour toi aujourd’hui ? Etcomment cela m’a fait sen r ?Pendant toute l’année, j’étais là àchanter tes louanges, racontant à mesamis quel bon gars agréable tu es,comment tu es mature et combien jesuis fière du travail que tu fais. Et ilsont fini par voir un côté de toi que jen’ai même jamais vu avant. Tu étaisjuste… impoli.

– N’as-tu jamais pensé que je pourraisavoir agi ainsi parce que je ne voulaispas être là ?

Cela l’a arrêtée, mais seulement pourun instant. Elle croisa ses bras.

– Peut-être que la façon dont tu as agi

hier soir explique pourquoi j’étais enretard aujourd’hui.

Sa déclara on m’a pris au dépourvu.Je n’avais pas considéré cela, mais cen’était pas le point.

– Je suis désolé pour hier soir…

– Tu devrais l’être ! dit-elle en mecoupant la parole à nouveau. Ce sontmes amis !

– Je sais qu’ils sont tes amis ! ai-jecraqué en me levant du canapé. Nousavons été avec eux toute la semaine !

– Qu’est-ce que ça veut dire ?

– Juste ce que j’ai dit. Peut-être que jevoulais être seul avec toi. N’as-tu

jamais pensé à cela ?

– Tu veux être seul avec moi ? a-t-elledemandé. Eh bien, laisse-moi te direque ce ne sera pas en agissant ainsi.Nous é ons seuls ce ma n. Nousé ons seuls quand j’ai franchi la portetout à l’heure. Nous é ons seulsquand j’ai essayé d’être gen lle etme re tout cela derrière nous, maistout ce que tu voulais, c’est unechicane.

– Je ne veux pas me chicaner ! j’ai diten faisant de mon mieux pour ne pascrier, mais en sachant que j’avaiséchoué.

Je me suis détourné, en essayant de

garder ma colère en échec, maisquand je parlais de nouveau, jepouvais entendre le sous-jacent demauvais augure dans ma voix.

– Je veux juste que les choses soientcomme elles l’étaient. Comme l’étédernier.

– Qu’en est-il de l’été dernier ?

Je détestais cela. Je ne voulais pas luidire que je me sentais commeimportant. Ce que je voulais, c’étaitcomme demander à quelqu’un devous aimer, ce qui ne fonc onnejamais. Au lieu de cela, j’ai essayé detourner autour du pot.

– L’été dernier, il m’a juste semblé

que nous avions passé plus de tempsensemble.

– Non, nous l’avons fait, a-t-ellerépliqué. J’ai travaillé sur les maisonstous les jours. Tu te souviens ?

Elle avait raison, bien sûr. Du moins,partiellement. J’ai essayé de nouveau.

– Je ne dis pas que cela fait beaucoupde sens, mais il semble que nousavons eu plus de temps pour parlerl’année dernière.

– Et c’est ce qui te dérange ? Que jesuis occupée ? Que j’ai une vie ? Queveux-tu que je fasse ? Abandonnermes cours pour toute la semaine ?Appeler pour dire que je suis malade

quand je dois enseigner ? Sauter mesdevoirs ?

– Non…

– Alors, qu’est-ce que veux-tu ?

– Je ne sais pas.

– Mais tu ne te gênes pas pourm’humilier devant mes amis ?

– Je ne t’ai pas humilié, protestai-je.

– Non ? Alors pourquoi Tricia s’estassise à côté de moi aujourd’hui ?Pourquoi a-t-elle sen le besoin deme dire que nous n’avions rien encommun et que je pourrais trouverbeaucoup mieux ?

Cela m’a piqué, mais je ne suis pas sûr

qu’elle s’est rendu compte commentc’est passé de travers. La colère rendcela parfois impossible, comme jel’étais conscient.

– Je voulais juste être seul avec toihier soir. C ’est tout ce que j’essaie dete dire.

Mes mots n’ont eu aucun effet surelle.

– Alors, pourquoi ne pas me l’avoir dit? a-t-elle demandé à la place. Me direquelque chose comme « Ce serait biensi nous faisions quelque chose d’autre? Je ne suis pas vraiment d’humeur detraîner avec des gens. » C’est tout ceque tu aurais eu à dire. Je ne suis pas

une lectrice de pensées, John.

J’ai ouvert ma bouche pour répondre,mais je n’ai rien dit. Au lieu de cela, jeme suis détourné et j’ai marché àl’autre bout de la pièce. J’ai regardépar la porte-pa o, non pas tellementen colère par ce qu’elle venait dedire… juste triste. Cela m’a sembléque je l’avais en quelque sorte perdu,et je ne savais pas si c’était parce quej’en avais fait trop ou pas assez fait,ou parce que j’ai compris que toutcela se passait réellement entre nous.

Je ne voulais plus en parler. Je n’aijamais été bon pour parler, et j’airéalisé que tout ce que je voulais,c’était de traverser la pièce et me re

ses bras autour de moi, de dire qu’elleavait compris ce qui me dérangeaitvraiment et que je n’avais rien àcrainte.

Mais aucune de ces choses n’estarrivée. Au lieu de cela, j’ai parlé à lafenêtre, me sentant étrangement seul.

– Tu as raison, ai-je dit. J’aurais dû tele dire. Et je suis désolé de cela. Et jesuis désolé de la façon que j’ai agi hiersoir, et je suis désolé de t’avoircontrariée de ton retard. C’est justeque je voulais vraiment te voir autantque je le peux pendant ce voyage.

– Tu dis ça comme si tu ne penses pasque je veux la même chose.

Je me suis retourné.

– Pour être honnête, ai-je dit, je nesuis pas sûr que tu veux la mêmechose.

Après cela, je me suis dirigé vers laporte.

Je fus par jusqu’à ce que la nuittombe.

Je ne savais pas où aller ou mêmepourquoi je suis par , autre quej’avais besoin d’être seul. J’aicommencé par traverser le campussous un soleil torride et je me suistrouvé à me déplacer d’un arbre àl’autre pour avoir de l’ombre. Je n’aipas vérifié pour voir si elle me suivait

– je savais qu’elle ne le ferait pas.

À un moment, je me suis arrêté pouracheter de l’eau glacée au centreétudiant, mais bien que ce soitrela vement vide et l’airrafraîchissant, je ne suis pas resté. J’airessen le besoin de transpirer,comme pour me purifier de la colère,la tristesse et la décep on que je nepouvais pas me débarrasser.

Une chose est certaine : Savannahavait franchi la porte et était prêtepour une dispute. Ses réponsesétaient venues trop vite, et j’ai réaliséqu’elles semblaient moins spontanéesque répétées, comme si sa proprecolère avait couvé la plupart de la

journée. Elle avait su exactementcomment j’allais réagir, et même si jepouvais avoir mérité sa colère aprèsmon comportement d’hier soir, le faitqu’elle n’avait pas paru se soucier desa propre culpabilité ou de messen ments m’ont rongé la plupart del’après-midi.

Les ombres s’allongeaient comme lesoleil commençait à descente, mais jen’étais toujours pas prêt à rentrer. Aulieu de cela, j’ai acheté quelquespointes de pizza et une bière chez l’unde ces pe ts restos qui dépendaientdes étudiants pour survivre. J’ai finide manger, marcher un peu plus, etfinalement, j’ai commencé mon

chemin pour retourner àl’appartement. Il était alors passévingt et une heures et je me sentaisvidé.

En m’approchant de la rue, j’airemarqué que la voiture de Savannahétait toujours au même endroit. Jepouvais voir sa lampe allumée àl’intérieur de sa chambre. Le reste del’appartement était sombre.

Je me demandais si la porte seraitfermée, mais le bouton a tournélibrement quand j’ai essayé. La portede sa chambre était à moi é ferméeet j’ai déba u de savoir si jem’approchais ou restais dans la sallede séjour. Je ne voulais pas faire face

à sa colère, mais j’ai pris uneprofonde respira on et franchi lacourte distance. J’ai poussé ma têtedans l’entrebâillement de la porte.Elle était assise sur le lit dans unechemise surdimensionnée quis’étendait à mi-cuisse. Elle leva lesyeux d’un magazine, et je lui ai offertun sourire timide.

– Salut, ai-je dit.

– Salut.

J’ai traversé la chambre et me suisassis sur le bord du lit.

– Je suis désolé, ai-je dit. Pour tout. Tuavais raison. J’étais de mauvaisehumeur hier soir et je n’aurais pas dû

t’embarrasser devant tes amis. Et jen’aurais pas dû être si fâché que tusois rentrée en retard. Cela ne sereproduira plus.

Elle m’a surpris en tapotant lematelas.

– Viens ici, murmurait-elle.

J’ai avancé sur le lit, m’appuyantcontre le cadre de lit et passai monbras autour d’elle. Elle s’appuyacontre moi et je pouvais sen r sarespira on constante et sa poitrinecontre moi.

– Je ne veux plus jamais me disputer,dit-elle.

– Je ne le veux plus non plus.

Quand je lui caressai le bras, ellesoupira.

– Où es-tu allé ?

– Nulle part, en réalité, ai-je dit. J’aijuste marché sur le campus. Achetéune pizza. Et j’ai beaucoup réfléchi.

– À propos de moi ?

– De toi. De moi. De nous.

Elle hocha la tête.

– Moi aussi, dit-elle. Es-tu toujoursfâché ?

– Non, ai-je dit. Je l’ai été, mais je suistrop fatigué pour l’être.

– Moi aussi, répétait-elle, puis elleleva la tête pour me faire face. Je veux

te dire quelque chose que je pensaisquand tu es parti, dit-elle. Je peux ?

– Bien sûr.

– J’ai réalisé que je suis celle quiaurait dû s’excuser. À propos deconsacrer autant de temps avec mesamis, je veux dire. Je pense que c’estpourquoi je suis devenue tellementen colère tout à l’heure. Je savais ceque tu essayais de me dire, mais je nevoulais pas l’entendre parce que jesavais que tu avais raison. En par e.Mais ton raisonnement est faux.

Je la regardai, perplexe. Elle continua.

– Tu penses que je te fais passerautant de temps avec mes amis parce

que tu n’es pas aussi important pourmoi que tu as eu l’habitude de l’être,n’est-ce pas ? (Elle n’a pas a enduune réponse.) Mais ce n’est pas laraison. C’est tout le contraire. Je lefaisais parce que tu es tellementimportant pour moi. Pas seulementparce que je voulais que tu connaissesmes amis, ou qu’ils puissentapprendre à te connaître, mais àcause de moi.

Elle s’arrêta, indécise.

– Je ne sais pas ce que tu essaies deme dire.

– Tu te souviens quand je t’ai dit queje tire ma force d’être avec toi ?

Quand je hochai la tête, elle apromené ses doigts le long de mapoitrine.

– Je ne plaisantais pas. L’été derniersignifiait beaucoup pour moi. Plus quetu ne pourras jamais l’imaginer, etquand tu es par , j’étais une épave.Demande à Tim. J’ai à peine travaillésur les maisons. Je sais que je t’aienvoyé des le res qui t’ont faitpenser que tout allait bien, mais cen’était pas le cas. J’ai pleuré tous lessoirs, et chaque jour, j’étais assise à lamaison et con nuais d’imaginer,espérer et souhaiter que tu sois deretour sur la plage. Chaque fois que jevoyais quelqu’un avec les cheveux en

brosse, je sentais mon coeurcommencer à ba re plus vite, mêmesi je savais que ce n’était pas toi. Maisc’était ainsi. Je voulais que ce soit toi.Chaque fois. Je sais que ce que tu faisest important, et je comprends que tues affecté à l’étranger, mais je nepense pas que j’ai compris commentcela allait être une fois que tu n’étaispas là. Cela m’a presque tué et il m’afallu beaucoup de temps pour mêmecommencer à me sen r de nouveaunormale. Et lors de ce voyage, autantque je voulais te voir, autant que jet’aime, il y a ce e par e de moi qui apeur que je vais encore tomber enmorceaux quand tu repar ras. Je re

dans les deux direc ons, et maréponse était de faire ce que jepouvais ne pas refaire ce que j’ai faitl’an dernier. J’ai donc essayé de metenir occupée, tu sais ? Pourempêcher mon coeur de se casser denouveau.

Je sentais ma gorge se serrer, mais jen’ai rien dit. Puis elle a continué.

– Aujourd’hui, j’ai réalisé que je t’aiblessé dans le processus. Ce n’étaitpas juste pour toi, mais en mêmetemps, j’essaie d’être juste pour moi,aussi. Dans une semaine, tu serasrepar , et je suis celle qui va devoirtrouver une façon de fonc onner parla suite. Certaines personnes peuvent

le faire. Tu peux le faire. Mais pourmoi…

Elle regarda ses mains et pendantlongtemps, c’était calme.

– Je ne sais pas quoi te dire, ai-jefinalement admis.

Malgré elle, elle riait.

– Je ne veux pas de réponse, dit-elle,parce que je ne pense pas qu’il y en aune. Mais je sais que je ne veux pas teblesser. C’est tout ce que je sais.J’espère juste que je peux trouver unmoyen d’être plus forte cet été.

– On peut toujours travailler celaensemble, ai-je plaisanté du bout deslèvres, et fut heureux d’entendre le

son de son rire.

– Ouais, ce sera du travail. Dixtrac ons à la barre et tout seracomme neuf, pas vrai ? Je voudraisque ce ne soit aussi simple que cela.Mais je le ferai. Cela ne pourrait pasêtre facile, mais au moins, ce ne serapas une année complète, ce e fois.C’est ce que je n’arrête pas de merappeler aujourd’hui. Tu seras à lamaison pour Noël. Quelques mois deplus et tout cela sera fini.

Je l’ai prise alors dans mes bras,sentant la chaleur de son corps contrele mien. Je pouvais sen r ses doigtssur le ssu mince de mon t-shirt et lasen r passer ses doigts en dessous,

exposant la peau de mon ventre. Lasensa on était électrique. J’ai savouréson toucher et me pencha pourl’embrasser.

Il y avait une différence de la passiondans son baiser, quelque chose devibrant et vivant. Je sentais sa languecontre la mienne, conscient de lafaçon dont son corps répondait, etrespira profondément comme sesdoigts ont commencé à dériver vers lebouton de mes jeans. Quand j’ai faitglisser mes mains plus bas, j’ai réaliséqu’elle était nue sous sa chemise. Elledéfit le bouton, et même si je nevoulais rien de plus que con nuer, jeme suis forcé à m’écarter et l’arrêter

avant que cela n’aille trop loin, pouréviter quelque chose dont je n’étaistoujours pas certain qu’elle étaitprête pour cela.

J’ai sen ma propre hésita on, maisavant que je puisse réagir, elle seredressa brusquement et se glissahors de sa chemise. Mon souffle s’estaccéléré comme je la regardais etimmédiatement, elle se pencha etenleva mon t-shirt.

Elle embrassa mon nombril et mescôtes, puis ma poitrine et je pouvaissentir ses mains commencer à tirer surmes jeans.

Je me suis levé du lit et enlevé mon t-

shirt, puis laissant ensuite tombermes jeans sur le plancher. J’aiembrassé son cou et ses épaules, etsen la chaleur de son souffle dansmon oreille. La sensa on de sa peaucontre la mienne était comme un feu,et nous avons commencé à fairel’amour.

C’était tout ce que j’avais rêvé que cele serait, et quand nous avonsterminé, j’ai enveloppé mes brasautour de Savannah, essayant demémoriser le souvenir de toutes lessensa ons. Dans l’obscurité, je luichuchotais à quel point je l’aimais.

Nous avons fait l’amour une secondefois, et quand Savannah s’est

finalement endormie, je me suisretrouvé à la regarder. Tout en elleétait exquisément pacifique, maispour une raison quelconque, je nepouvais pas échapper à un sen menttenace d’effroi. Comme tendre etpassionnant que cela avait été, je nepouvais pas m’empêcher de medemander s’il y avait eu une trace dedésespoir dans nos ac ons, comme sinous é ons tous les deux accrochés àl’espoir que cela sou endrait notrerela on à travers de ce que l’avenirapporterait.

CHAPITRE QUATORZENotre temps restant sur mapermission était beaucoup comme jel’avais espéré au départ. Mis à part leweek-end avec mon père – au coursduquel il a cuisiné pour nous et aparlé sans cesse de ses pièces demonnaie – nous é ons seuls autantque possible. De retour à Chapel Hill,une fois que Savannah avait terminéavec ses classes pour la journée, nosaprès-midis et les soirées ont étépassées ensemble. Nous avonsmarché devant les magasins le long deFranklin Street, sommes allés à laNorth Carolina Museum of History à

Raleigh, et avons même passéquelques heures au zoo de la Carolinedu Nord. À ma dernière soirée enville, nous sommes allés dîner aurestaurant chic que le vendeur dechaussures m’avait recommandé. Ellene m’a pas laissé jeter un coup d’oeilpendant qu’elle se préparait, maisquand elle est finalement sor e de lasalle de bains, elle était toutsimplement ravissante. Je la regardaientre deux bouchées, en pensant àcombien j’avais de la chance d’êtreavec elle.

Nous n’avons pas refait l’amour.Après notre nuit ensemble, je me suisréveillé le lendemain ma n pour

trouver Savannah m’étudiant, deslarmes coulaient sur ses joues. Avantque je ne puisse demander ce quin’allait pas, elle a mis un doigt surmes lèvres et secoua la tête, medemandant de ne pas parler.

– La nuit dernière, c’était merveilleux,dit-elle, mais je ne veux pas en parler.

Au lieu de cela, elle s’enveloppaautour de moi et je l’ai tenue pendantlongtemps, en écoutant le son de sonsouffle. J’ai su alors que quelquechose avait changé entre nous, mais àl’époque, je n’ai pas eu le courage desavoir ce que c’était. Dans la ma née,je suis par , Savannah m’a conduit àl’aéroport. Nous nous sommes assis

ensemble à la porte, en a endantque mon vol soit annoncé, son poucetraçant des pe ts cercles sur le dos dema main. Quand il fut temps pour moide monter à bord de l’avion, elletomba dans mes bras et se mit àpleurer. Quand elle a vu monexpression, elle se força à un rire,mais je pouvais entendre la douleuren elle.

– Je sais que j’ai promis, dit-elle, maisje ne peux pas m’en empêcher.

– Ça va bien se passer, ai-je dit. C ’estseulement six mois. Avec tout ce quise passe dans ta vie, tu seras surpriseà quelle vitesse ça s’est passé vite.

– Facile à dire, a-t-elle dit en reniflant.Mais tu as raison. Je vais être plusforte cette fois. Tout ira bien.

Je scrutais son visage pour un signe dedénégation, mais je n’ai rien vu.

– Ce le sera vraiment, a-t-elle dit. Toutira bien.

J’ai hoché la tête, et pour un longmoment, nous nous sommessimplement regardés.

– Tu vas te souvenir de regarder lapleine lune ? a-t-elle demandé.

– Chaque fois, ai-je promis.

Nous avons partagé un dernier baiser.Je l’ai serrée dans mes bras et lui

chuchota que je l’aimais, puis je mesuis forcé à la libérer. J’ai lancé monsac sur mon épaule et me dirigea versla rampe. En jetant un coup d’oeil surmon épaule, j’ai réalisé que Savannahavait déjà disparu, cachée quelquepart dans la foule.

Dans l’avion, je me suis penché dansmon siège, en priant pour queSavannah m’avait dit la vérité. Bienque je savais qu’elle m’aimait et sesouciait de moi, j’ai soudainementcompris que même l’amour et lacompassion ne sont pas toujoursassez. C’était les briques de béton denotre rela on, mais elles étaientinstables, sans le mor er du temps

passé ensemble, le temps sans lamenace d’une sépara on imminentequi pèse sur nous. Bien que je nevoulais pas l’adme re, il y avaitbeaucoup d’elle que je ne savais pas.Je n’avais pas réalisé à quel point mondépart en la laissant derrière l’avaitaffectée, et malgré les heuresd’angoisse d’y penser, je n’étais passûr de savoir comment cela allaitl’affecter désormais. Notre rela on, jeme sentais avec une lourdeur dans lapoitrine, commençait à ressembler aumouvement rota f au-dessus d’unenfant. Quand nous é ons ensemble,nous avions le pouvoir de garder lafilature, et le résultat était la beauté

et la magie, et dans un sens, unémerveillement presque enfan n,quand nous nous sommes séparés, lafilature a commencé inévitablement àralen r. Nous sommes devenusbancals et instables, et je savais queje devais trouver un moyen de nousempêcher de basculer.

J’avais appris ma leçon l’annéeprécédente. Non seulement ai-je écritplus de le res de l’Allemagne enjuillet et août, mais j’appelaisSavannah plus fréquemment. Jel’écoutais avec a en on au cours deses appels, en essayant de ramassertous les signes de dépression et ledésir d’entendre des paroles

d’affec on ou de désir. Au début,j’étais nerveux avant de faire cesappels; d’ici la fin de l’été, je lesa endais. Ses classes allaient bien.Elle a passé quelques semaines avecses parents, puis a commencé lesemestre d’automne. Dans lapremière semaine de septembre, nousavons commencé le compte à reboursdes jours qui me restaient jusqu’à malibéra on. Il y en avait une centaine. Ilétait plus facile de parler de joursplutôt qu’en semaines ou en mois; enquelque sorte, cela rendait la distanceentre nous se réduire à quelque chosede beaucoup plus in me, quelquechose que nous savions tous les deux

que nous pouvions gérer. La par e laplus difficile était derrière nous, nousnous le sommes rappelé souvent, etj’ai constaté que comme je retournaisles jours sur le calendrier, que lestracas que j’avais ressen s au sujet denotre rela on avaient commencé àdiminuer. J’étais certain qu’il n’y avaitrien dans ce monde qui pourrait nousempêcher d’être ensemble.

Puis vint le 11 septembre.

CHAPITRE QUINZEUne chose dont je suis sûr : les imagesdu 11 septembre allaient être avecmoi pour toujours. J’ai regardé lafumée sor r des tours jumelles et duPentagone et j’ai vu les visagessombres des gens autour de moiquand ils ont vu des gens sauter dansleur propre mort. J’ai été témoin de lafragilité des bâ ments et du nuagemassif de poussière et les débris quisont sor s de là. Je sentais la fureurquand la Maison Blanche a étéévacuée.

En quelques heures, je savais que lesÉtats-Unis répondraient à l’a aque et

que les forces armées allaient ouvrirla voie. La base a été mise en étatd’alerte élevée, et je doutais qu’il n’yait jamais un autre moment où jeserais fier de mes hommes. Dans lesjours qui ont suivi, c’était comme siles différences personnelles et lesaffilia ons poli ques de toute natureavaient fondu. Pendant une courtepériode de temps, nous é ons toussimplement des Américains.

Dans tout le pays, les bureaux derecrutement ont été pris d’assaut pardes hommes voulant s’enrôler. Parmiceux d’entre nous déjà enrôlés, ledésir de servir a été plus fort quejamais. Tony a été le premier des

hommes de mon équipe à s’êtreenrôlé pour deux annéessupplémentaires, et un à un, tous lesautres ont suivi son exemple. Mêmemoi, qui a endais la fin de monservice en décembre, et qui avaiscommencé à compter les jours jusqu’àce que je puisse rentrer à la maisonauprès de Savannah, fus a rapé parla fièvre et j’ai décidé de rester pluslongtemps.

Il serait facile de dire que j’ai étéinfluencé par ce qui se passait autourde moi et que c’était ce la raison pourlaquelle je pris la décision que j’aiprise. Mais c’est juste une excuse.Certes, j’ai été pris dans la même

vague patrio que, mais plus que cela,j’ai été lié par des liens d’ami é et laresponsabilité. Je connaissais meshommes, je tenais à eux, et la penséede les abandonner à un momentcomme celui-ci m’a sembléincroyablement lâche. Nous avionsvécu trop de temps ensemble pourque je puisse même envisager dequi er le service dans les derniersjours de 2001.

J’ai appelé Savannah pour luiannoncer la nouvelle. Au début, elleétait favorable. Comme tout lemonde, elle avait été horrifiée par cequi s’était passé, et elle a compris lesens du devoir qui pesait sur moi,

avant même que j’ai essayé del’expliquer. Elle a dit qu’elle était fièrede moi.

Mais la réalité survint bientôt. Enchoisissant de servir mon pays, j’avaisfait un sacrifice. Bien que l’enquêtesur les auteurs a été complétéerapidement, 2001 a dérivé jusqu’à lafin sans incident pour nous. Notredivision d’infanterie n’a joué aucunrôle dans le renversement dugouvernement taliban en Afghanistan,une décep on pour tout le mondedans mon équipe. Au lieu de cela,nous avons passé la plupart de l’hiveret du printemps à rer et nouspréparer pour ce que tout le monde

savait de notre future invasion del’Irak.

C’était, je suppose, à ce e époqueque les le res de Savannah ontcommencé à changer. Là où jadis ellesarrivaient une fois par semaine, ellesont commencé à arriver tous les dixjours, et ensuite, comme les jourscommençaient à allonger, elles sontarrivées seulement toutes les deuxsemaines. J’ai essayé de me consoleravec le fait que le ton de ses le resn’avait pas changé, même si en mêmetemps, ce n’était plus pareil. C ’enétait fini des longs passages danslesquels elle décrivait la façon qu’elleenvisageait notre vie ensemble, des

passages que dans le passé,j’a endais toujours avec an cipa on.Nous savions tous les deux que lerêve s’était maintenant éloigné dedeux ans. Écrire sur un avenir silointain qui rappelait combien detemps nous devrons affronter,quelque chose de pénible pour nousdeux à envisager.

Comme le mois de mai passait, je mesuis consolé qu’au moins, nouspourrions au moins être capables denous voir à ma prochaine permission.Le des n, cependant, a de nouveauconspiré contre nous quelques joursavant que je ne doive rentrer à lamaison. Mon commandant a

demandé une réunion, et quand jeme suis présenté à son bureau, il m’aordonné de m’asseoir. Mon père, medit-il, venait de subir une crisecardiaque majeure, et il avait déjà prisles devants et a accordé unepermission d’urgence. Au lieu de mediriger vers Chapel Hill et passer deuxsemaines fabuleuses avec Savannah,je me suis rendu à Wilmington etpassé mes journées au chevet de monpère, en respirant l’odeurd’an sep que qui m’a toujours faitpenser moins à la guérison qu’à lamort elle-même. Quand je suis arrivé,mon père était dans l’unité des soinsintensifs; il est resté là pendant la

plupart de ma permission. Sa peauavait un teint grisâtre et sa respirationétait rapide et faible. Pendant lapremière semaine, il a dérivé dans ethors de la conscience, mais quand ilétait éveillé, j’ai vu des émo ons enmon père que j’avais très rarementvus et jamais en même temps : la peurdésespérée, la confusionmomentanée et une reconnaissancedéchirante que j’étais à côté de lui.Plus d’une fois, je me suis étendupour prendre sa main, une autrepremière dans ma vie. Parce qu’untube était inséré dans sa gorge, il nepouvait pas parler, alors je faisaistoute la conversa on pour nous deux.

Bien que je lui ai dit le peu de ce quise passait sur la base, je lui aiprincipalement parlé des pièces demonnaie. Je lui ai lu le Greysheet;quand cela a été fait, je suis allé chezlui et récupéré les anciennes copiesqu’il gardait dans son roir et suisretourné lui en faire la lecture. J’ai faitdes recherches sur des pièces demonnaie sur Internet – des sitesc o m m e Hal David Monnaies etLégende numisma que – et lui airécité les derniers prix demandés pourdes pièces. Les prix m’ont étonné etj’ai soupçonné que la collec on demon père, malgré la chute des prixdes pièces de monnaie depuis que l’or

était à son apogée, valaitprobablement dix fois la valeur de lamaison qu’il possédait depuis desannées. Mon père, incapable demaîtriser l’art de la conversa on, étaitplus riche que personne que je neconnaissais.

Mon père n’était pas intéressé à leurvaleur. Ses yeux partaient loin chaquefois que je l’ai men onné, et je mesuis bientôt rappelé ce que j’avais finipar oublier : pour mon père, la chasseaux pièces de monnaie a étébeaucoup plus intéressante que lespièces elles-mêmes, et chaque piècereprésentait pour lui une histoire avecune fin heureuse. Avec cela à l’esprit,

je me suis creusé la tête en faisant demon mieux pour me souvenir de cesp ièces que nous avions trouvéesensemble. Parce que mon pèreconservait des documentsexcep onnels, je parcourrais ceux-ciavant d’aller dormir, et pe t à pe t,ces souvenirs me sont revenus. Le joursuivant, je lui ai rappelé les histoiresde nos voyages à Raleigh, Charlo eou parlé de Savannah. Malgré le faitque même les médecins ne savaientpas s’il allait le faire, mon père a plussouri dans ces semaines que je mesouvenais qu’il ne l’avait jamais fait. Ilest revenu à la maison le jour avantque j’ai été obligé de repar r, et

l’hôpital a pris des disposi ons pourque quelqu’un vienne en prendre soinpendant son rétablissement.

Mais si mon séjour à l’hôpital arenforcé ma rela on avec mon père, iln’a rien fait pour ma rela on avecSavannah. Ne vous méprenez pas –elle m’a rejoint aussi souvent qu’ellele pouvait, et elle était sicompa ssante. Mais parce que j’aipassé tellement de temps à l’hôpital,cela a fait peu fait pour guérir lesfissures qui avaient commencé à seformer dans notre rela on. Pour êtrehonnête, je n’étais même pas sûr si jevoulais d’elle : quand elle était là, jeme sentais comme si je voulais être

seul avec mon père, mais quand ellen’était pas là, je la voulais à mescôtés. D’une certaine manière,Savannah naviguait dans ce champ demines sans réagir au stress et j’ai suivison exemple. Elle semblait savoir ceque je pensais et an cipait ce que jevoulais, même mieux que moi.

Ce dont nous avions besoin était dutemps ensemble. Du temps seul. Sinotre rela on était une ba erie, montemps à l’étranger la vidaitcon nuellement, et cela nous prenaitdeux fois plus de temps quenécessaire pour la recharger. Une fois,alors que j’étais assis avec mon pèreet à écouter le bip régulier du

moniteur cardiaque, j’ai réalisé queSavannah et moi avions passéseulement 4 des 104 dernièressemaines ensemble. Moins de 5 %.Même avec des le res et des appelstéléphoniques, il m’arrivait parfois deme trouver à regarder dans le vide,me demandant comment nous avionssurvécu aussi longtemps à tant dechoses.

Nous avons fait des promenadesoccasionnelles, et nous avons dînéensemble à deux reprises. Mais parceque Savannah était enseignante etdevait aller donner des cours, il étaitimpossible pour elle de rester. J’aiessayé de ne pas lui en vouloir, sauf

que je l’ai fait, et nous avons fini parnous disputer. Je détestais cela,comme elle, mais aucun de nous deuxn’a semblé être en mesure des’arrêter. Et si elle ne disait rien, et l’amême nié quand je l’ai confronté, jesavais que le problème sous-jacentétait le fait que je devais être à lamaison pour de bon et ne l’était pas.C’était la première fois et la seule queSavannah ne m’a jamais menti.

Nous avons mis la dispute derrièrenous du mieux que nous le pouvions,et notre au revoir était une autreaffaire de pleurs, mais moins que ladernière fois. Il était réconfortant depenser que c’était parce que nous

é ons habitués à cela, ou que nousé ons tous deux grands, mais commeje me suis assis dans l’avion, je savaisque quelque chose avait changéd’irrévocable entre nous. Moins delarmes avaient coulé parce quel’intensité du sen ment entre nousavait décliné.

C’était une prise de consciencedouloureuse, et pendant la pleinelune suivante, je me suis retrouvéerrant sur le terrain de soccer désert.Et comme je l’avais promis, je me suissouvenu mon temps avec Savannah àma première permission. Je pensais àma deuxième permission, maisétrangement, je n’ai pas eu envie de

penser à ce e troisième permission,car même alors, je pense que je savaisce qu’il présageait.

Alors que l’été avançait, l’état de monpère a con nué de s’améliorer, bienque lentement. Dans ses le res, il aécrit qu’il s’était mis à marcher autourde la maison trois fois par jour,chaque jour, et chaque voyage avaitune durée d’exactement vingtminutes, même si cela était dur pourlui. S’il y avait un côté posi f à toutcela, c’était que cela lui a donnéquelque chose pour remplir sesjournées maintenant qu’il était à laretraite – quelque chose à part lespièces de monnaie. En plus de lui

envoyer des le res encore plussouvent, j’ai commencé à luitéléphoner les mardis et vendredispendant exactement une heure, justepour m’assurer qu’il allait bien. J’aiécouté pour tous les signes de fa guedans sa voix et lui ai rappeléconstamment de bien manger, dedormir suffisamment et de prendreses médicaments. Je faisais toujours laplupart de la conversa on. Mon pèretrouvait les conversa onstéléphoniques aussi douloureusesque la communica on en face à face,et semblait toujours qu’il ne voulaitrien de plus que de raccrocher letéléphone aussi vite qu’il le pouvait.

Parfois, je me me ais à le taquiner àce sujet, mais je n’étais jamais sûr s’ilsavait que je plaisantais. Celam’amusait, et j’ai ri parfois; même s’ilne riait pas en réponse, son tons’allégeait immédiatement, même sic’était que temporairement, avantqu’il retombe dans le silence. C’étaitcorrect. Je savais qu’il a endait avecimpa ence mon appel. Il a toujoursrépondu à la première sonnerie, et jen’avais aucune difficulté à l’imaginerregardant fixement l’horloge enattendant mon appel.

Août se tourna pour septembre, puisoctobre. Savannah avait terminé sescours à Chapel Hill et était rentrée

chez elle alors qu’elle avait commencéà chercher un emploi. Dans lesjournaux, j’ai lu que les Na ons Unieset les pays européens voulaienttrouver un moyen de nous empêcherd’aller à la guerre avec l’Irak. Leschoses étaient tendues entre lescapitales et l’OTAN; aux nouvelles, il yavait des manifesta ons des citoyenset des proclama ons énergiques deleurs dirigeants disant que les États-Unis étaient sur le point de faire uneterrible erreur. Pendant ce temps, nosdirigeants ont essayé de nous changerles idées. Moi et mon équipe avonssimplement con nué nos ac vités,recevant une forma on pour

l’inévitable avec une détermina onacharnée. Puis, en novembre, monéquipe et moi sommes de nouveauretournés au Kosovo. Nous n’ysommes pas restés longtemps, maisc’était plus que suffisant. J’étaisfatigué des Balkans à ce moment-là, etj’étais fa gué du main en de la paix,aussi. Plus important encore, moi ettout le monde dans le service savionsque la guerre au Moyen-Orient s’envenait, que l’Europe le veuille ou pas.

Pendant ce temps, les le res deSavannah arrivaient assezrégulièrement, aussi bien que mesappels. Habituellement, je l’appelaisavant l’aube, comme je l’ai toujours

fait – il était autour de minuit chezelle et même si j’avais toujours été enmesure de la rejoindre dans le passé,plus d’une fois, elle n’était pas chezelle. Bien que j’ai essayé de meconvaincre qu’elle était sor e avecdes amis ou ses parents, il étaitdifficile d’empêcher mes pensées dese déchaîner. Après avoir raccroché letéléphone, je me trouvais parfois àm’imaginer qu’elle avait rencontré unautre homme dont elle se souciait.Parfois, je l’appelais deux ou trois foisdans l’heure suivante, de plus en plusfurieux avec chaque sonnerie quidemeurait sans réponse.

Quand elle répondait finalement, je

pouvais lui demander où elle avaitété, mais je ne l’ai pas fait. Elle n’apas non plus offert d’explica ons. Jesais que j’ai fait une erreur en gardantle silence, simplement parce quej’étais incapable de bannir la ques onde mon esprit, même si j’ai essayé deme concentrer sur la conversa on àportée de main. Plus souventqu’autrement, j’étais tendu autéléphone et ses réponses étaientaussi tendues. Trop souvent, nosconversa ons étaient moins unéchange joyeux d’affec on qu’unéchange rudimentaire d’informa ons.Après avoir raccroché, je me suistoujours détesté pour la jalousie que

j’avais sen e et je me ba ais avecpendant quelques jours, meprome ant que je ne laisserais pascela se reproduire.

D’autres fois, cependant, Savannahétait exactement la même personneque je me suis souvenu qu’elle était,et je pouvais lui dire combien elles’était toujours souciée de moi.Malgré tout cela, je l’aimais autantque je l’avais toujours aimée, et je mesuis trouvé à me faire mal pour cessimples moments dans le passé. Jesavais ce qui se passait, bien sûr.Comme nous nous éloignions l’un del’autre, j’étais de plus en plusdésespéré pour sauver ce que nous

avions une fois partagé; comme uncercle vicieux, cependant, mondésespoir nous a éloignés encore plusloin l’un de l’autre.

Nous avons commencé à avoir desdisputes. Comme avec la dispute quenous avions eue à son appartement àma deuxième permission, je eu dumal à lui dire ce que je ressentais, etpeu importe ce qu’elle a dit, je nepouvais pas échapper à la pensée quej’étais harcelé par elle ou qu’elles’essayait même pas d’a énuer mespréoccupa ons. Je détestais encoreplus ces appels que je détestais majalousie, bien que je savais que lesdeux sont indissociables.

Malgré nos ennuis, je n’ai jamaisdouté de ce que nous allions le faire.Je voulais une vie avec Savannah plusque tout. En décembre, j’ai commencéà l’appeler plus régulièrement et faitde mon mieux pour garder majalousie en échec. Je me suis forcéd’être op miste au téléphone, dansl’espoir qu’elle voudrait encoreentendre parler de moi. Je pensaisque les choses allaient mieux et sur lasurface, elles l’étaient, mais quatrejours avant Noël, je lui ai rappelé queje serais à la maison dans un peumoins d’un an. Au lieu de la réponseenthousiaste à laquelle jem’a endais, elle se calma. Tout ce

que je pouvais entendre était le sonde sa respiration.

– M’as-tu entendu ? demandai-je.

– Oui, a-t-elle répondu d’un ton doux.C’est juste que j’ai déjà entendu çaavant.

C’était la vérité, et tous les deux lesavions, mais je n’ai pas dormipendant presque une semaine.

La pleine lune fut pendant le Jour del’an, et bien que je suis sor pour laregarder en me rappelant la semaineoù nous é ons tombés amoureux, cesimages étaient floues, comme latristesse écrasante que je ressentais àl’intérieur de moi. Sur le chemin du

retour, des dizaines d’hommes étaientregroupés dans des cercles ouappuyés contre un bâ ment enfumant des cigare es, comme s’ilsn’avaient pas de soucis. Je medemandais ce qu’ils pensaient quandils me voyaient marcher ainsi. Est-cequ’ils sentaient que je perdais tout cequi comptait le plus pour moi ? Ouque je voulais encore une fois pouvoirchanger le passé ?

Je ne le sais pas, et ils n’ont riendemandé. Le monde change vite. Lescommandes que nous avions avait étémises en a ente, et quelques joursplus tard, mon équipe se trouvait enTurquie où nous avons commencé à

nous préparer d’envahir l’Irak par lenord. Nous avons assisté à desréunions où nous avons appris nosa ribu ons, étudier la topographie etrevu les plans de bataille. Il y avaitpeu de temps libre, mais quand nousnous sommes aventurés à l’extérieurdu camp, il était difficile d’ignorerl’hos lité de la popula on. Nousavons entendu des rumeurs selonlesquelles la Turquie avait l’inten onde refuser l’accès à nos troupes pourl’invasion et qu’il y avait despourparlers en cours pour s’assurerque cela n’arriverait pas. Nous avionsdepuis longtemps appris à écouter lesrumeurs avec un grain de sel, mais

ce e fois, les rumeurs étaient exactes,et mon équipe et les autres ont étéenvoyés au Koweït pour commencer.

Nous avons a erri à midi sous un cielsans nuage et nous nous trouvâmesentourés de sable de chaque côté.Presque immédiatement, nous avonsété embarqués dans un bus, roulépendant des heures pour se retrouverdans ce qui était essen ellement laplus grande ville-tente que je n’avaisjamais vue. L’armée a fait de sonmieux pour nous rendre la vieconfortable. La nourriture était bonneet nous pouvions avoir tout ce dontnous avions besoin, mais c’étaitennuyeux. La livraison du courrier

était mauvaise – je n’ai reçu aucunele re – et toutes les lignestéléphoniques ne se rendaient pas àun kilomètre d’ici. Entre deuxexercices, moi et mes hommesessayons de rester assis à devinerquand l’invasion commencerait oubien on se pra quait à entrer dansnos combinaisons de protec onchimique aussi rapidement que nousle pouvions. Le plan était pour monéquipe aide les autres unités desdifférentes divisions à être prêt pourBagdad. En février, après ce qui m’asemblé des années passées dans ledésert, mon équipe et moi é onsaussi prêts que nous ne le serions

jamais.

À ce moment-là, beaucoup de soldatsse trouvaient au Koweït depuis la mi-novembre, et la rumeur voulait que laguerre ba ait son plein. Personne nesavait ce qui allait arriver. J’ai entenduparler d’armes biologiques etchimiques; j’ai entendu dire queSaddam Hussein avait appris sa leçondans la Tempête du Désert et était àposi onner la Garde républicaineautour de Bagdad, dans l’espoir defaire un dernier coup sanglant. Le 17mars, je savais que ce serait la guerre.À ma dernière nuit au Koweït, j’ai écritdes le res à ceux que j’aimais, au casoù je ne reviendrai pas : une à mon

père et l’autre à Savannah. Ce soir-là,je me suis trouvé à faire par e d’unconvoi qui s’étendait à une centainede kilomètres en l’Irak.

Les combats ont été sporadiques.Parce que notre armée de l’air adominé les cieux, nous avions peu àcraindre en dessous comme nouscirculions sur des routesprincipalement désertes. L’arméeirakienne, pour sa part, n’était nullepart en vue, ce qui n’a faitqu’accroître la tension que jeressentais comme j’ai essayé deprévoir ce que mon équipe ferait faceplus tard dans la campagne. Ici et là,nous entendions des coups de rs de

mor er ennemi, et nous sommesmontés dans nos costumes, pourfinalement apprendre qu’il s’agissaitune fausse alerte. Les soldats étaienttendus. Je n’ai pas dormi pendanttrois jours.

Au plus profond de l’Irak, lesescarmouches ont commencé àéclater et c’est alors que j’ai appris laloi associée à l’opéra on FreedomIrak : les civils et les ennemissemblaient exactement les mêmes.Les rs sonnaient, nous a aquions etil y a des moments où nous n’é onsmême pas sûrs sur lesquels nous

rions. Comme nous avons a eint leTriangle de Sunnite, la guerre a

commencé à s’intensifier. Nous avonsa eint le triangle sunnite, la guerre acommencé à s’intensifier. Nous avonsentendu parler des batailles dansFallujah, Ramadi et Tikrit, le toutétant comba u par d’autres unitésdans d’autres divisions. Mon équipe arejoint le Régiment aéroporté duQuatre-vingt-deuxième au cours d’unassaut sur Samawah, et c’est là quemon équipe et moi avons eu notrepremier goût de combat. L’armée del’air a ouvert la voie. Des bombes, desmissiles et des mor ers avaientexplosé la veille, et comme nousavons traversé le pont de la ville, mapremière pensée fut que la surprise

était toujours la meilleure.

Mon équipe a été assignée à unquar er périphérique, où nousdevions nous déplacer de maison enmaison pour aider à dégager la zonede l’ennemi. Comme nous nousdéplacions, les images sont venuesrapidement : les restes calcinés d’uncamion, le corps sans vie duconducteur à côté; un bâ mentpar ellement démoli; des ruines devoitures fumant ici et là. Les coups defeu sporadiques nous tenaient sur nosgardes. Comme nous patrouillions lesecteur, des civils sortaient àl’occasion en levant rapidement leursbras, et nous avons essayé de notre

mieux de ne pas les blesser.

En début d’après-midi, nous nousapprê ons à rentrer, mais nous avonsété agressés par un feu nourriprovenant d’un bâ ment un coin dela rue. Coincés contre le mur, nousé ons dans une situa on précaire.Deux hommes nous ont couverts,alors que je menais le reste de monéquipe dans un endroit plus sûr del’autre côté de la rue; cela m’a parupresque miraculeux que personne n’aété tué. De là, nous nous enfoncionsdans la posi on de l’ennemi, ledévastant complètement. Quand jepensais que c’était sûr, nous avonscommencé notre approche au

bâ ment, en nous déplaçant avecprudence. J’ai u lisé une grenadepour faire sauter la porte de devant.J’ai mené mes hommes à la porte etpoussé ma tête. Le soufre flottait dansl’air. L’intérieur a été détruit, mais aumoins un soldat irakien avait survécu,et dès que nous nous sommesrapprochés, il a commencé à rer àpar r du vide sanitaire sous leplancher. Tony s’est coupé à la main,et le reste d’entre ont répondu en

rant des centaines de fois. Le bruitétait si fort que je ne pouvais pasm’entendre crier, mais j’ai gardé mondoigt pressé, visant partout à duplancher jusqu’au plafond. Des

morceaux de plâtre, des briques et dubois volaient comme l’intérieur a étédécimé. Quand nous avons finalementarrêté de rer, j’étais sûr quepersonne ne pouvait avoir survécu,mais j’ai jeté une autre grenade dansune ouverture qui menait à un espacede rampement juste pour s’assurerque tout était clair, et nous noussommes dirigés à l’extérieur avantl’explosion.

Après les vingt minutes les plusintenses de ma vie, la rue était calme,sauf pour le bourdonnement dansmes oreilles et les bruits de meshommes qui vomissaient ourabâchaient l’expérience. J’ai

enveloppé la main de Tony, et quandje pensais que tout était prêt, nousavons commencé à retourner d’oùnous é ons venus. Nous avons faitnotre chemin jusqu’à la gare dechemin de fer, où nos troupes é onsen sécurité, et nous nous sommeseffondrés. Ce e nuit-là, nous avonsreçu notre premier lot de courrier enpresque six semaines.

Dans le courrier, il y avait six le resde mon père. Mais seulement une deSavannah, et dans la pénombre, j’aicommencé à lire.

Cher John,

Je t’écris ce e le re à la table de lacuisine, et je me bats parce que je nesais pas comment te dire ce que jem’apprête à te dire. Une par e de moisouhaite que tu sois ici avec moi pourque je puisse le faire en personne, maisnous savons tous deux que c’estimpossible. Donc je suis ici, cherchantles mots avec des larmes sur mes joueset en espérant que tu seras en quelquesorte en mesure de me pardonner pource que je suis en train d’écrire.

Je sais que c’est un moment terriblepour toi. J’essaie de ne pas penser à laguerre, mais je ne peux pas échapperaux images, et j’ai peur tout le temps.

Je regarde les nouvelles et parcours lesjournaux, sachant que tu es au milieude tout cela, en essayant de savoir oùtu es et ce que tu vis. Je prie tous lessoirs pour que tu rentres à la maisonen toute sécurité, et je le feraitoujours. Toi et moi avons partagéquelque chose de merveilleux, et je neveux jamais que tu l’oublies. Et je neveux pas non plus que tu croies que tune voulais pas cela autant que moi. Tues un homme rare et beau, John. Jesuis tombée amoureuse de toi, maisplus que cela, te rencontrer m’a faitcomprendre ce que le vrai amoursignifie vraiment. Au cours des deuxdernières années et demie, je suis

allée regarder chaque pleine lune et jeme souvenais de tout ce que nousavons vécu ensemble. Je me souvienscomment tu parlais ce e premièrenuit, et je me sentais comme à lamaison, et je me souviens de la nuit oùnous avons fait l’amour. Je seraitoujours heureuse de ce que toi et moiavons partagé. Pour moi, cela signifieque nos âmes seront liées pourtoujours.

Il y a tellement plus aussi. Quand jeferme mes yeux, je vois ton visage;quand je marche, c’est presque commesi je peux sen r ta main dans lamienne. Ces choses-là sont encore uneréalité pour moi, mais où elles m’ont

apporté du réconfort, maintenant ellesme laissent avec du chagrin. J’aicompris ta raison de rester dansl’armée et j’ai respecté ta décision. Jele fais encore, mais nous savons tousles deux que notre rela on a changépar la suite. Nous avons changé, etdans ton coeur, je pense que tu t’en esrendu compte aussi. Peut-être quec’est le temps passé séparé, peut-êtreque c’était juste nos mondes qui sontdifférents. Je ne sais pas. Chaque foisque nous nous sommes chicanés, je mesuis détestée pour cela. D’une certainemanière, même si nous nous aimonstoujours, nous avons perdu ce lienmagique qui nous tenait ensemble.

Je sais que cela sonne comme uneexcuse, mais s’il te plaît, crois-moiquand je dis que je ne voulais pastomber en amour avec quelqu’und’autre. Si je ne comprends pasvraiment comment c’est arrivé,comment le pourrais-tu ? Je nem’a ends pas à ça de toi, mais à causede tout ce que nous avons vécu, je nepeux juste pas con nuer à te men r.Le faire diminuerait tout ce que nousavons partagé, et je ne veux pas lefaire, même si je sais que tu te sentirastrahi.

Je comprendrai si tu ne veux plusjamais me parler de nouveau, commeje comprendrai si tu dis que tu me

détestes. Une par e de moi medéteste, aussi. Écrire ce e le rem’oblige de reconnaître que quand jeme regarde dans le miroir, je sais queje suis à la recherche de quelqu’un quin’est pas sûr qu’elle mérite d’êtreaimée. Je veux te le dire.

Même si tu ne voudrais pas l’entendre,je veux que tu saches que tu serastoujours une par e de moi. De notretemps ensemble, tu as revendiqué uneplace spéciale dans mon coeur, celleque je porterai avec moi pour toujourset que personne ne pourra jamaisremplacer. Tu es un héros et ungentleman, tu es gen l et honnête,mais plus que cela, tu es le premier

homme que j’ai aimé. Et peu importece que l’avenir nous réserve, tu serastoujours là, et je sais que ma vie serameilleure à cause de cela.

Je suis tellement désolée,

Savannah.

PARTIE III

CHAPITRE SEIZEElle était en amour avec quelqu’und’autre.

Je le savais avant même que je n’aiefini de lire la le re, et tout monmonde a semblé ralen r. Monpremier ins nct devait d’enfoncermon poing dans le mur, mais au lieude cela, je froissai la le re et la jetade côté.

J’ai été incroyablement en colère, puisplus que le sen ment de se sen rtrahi, je me suis sen comme si elleavait écrasé tout ce qui avait un sensdans le monde. Je la détestais, et je

détestais l’innommable, l’homme sansvisage qui me l’avait volée.

Je fantasmais de ce que je lui ferais sijamais il croisait mon chemin, etl’imaginer n’était pas suffisant.

En même temps, j’avais envie de luiparler. Je voulais rentrerimmédiatement à la maison, ou à toutle moins l’appeler. Une par e de moine voulait pas y croire, ne pouvait pasy croire. Pas maintenant, pas aprèstout ce que nous avions vécu.

Il nous restait seulement neuf mois –après presque trois ans, qu’est-ce quiétait si impossible ?

Mais je ne suis pas rentré à la maison,

et je ne l’ai pas appelée. Je ne lui aipas non plus répondu, et je n’ai pasreçu de nouveau de ses nouvelles. Maseule ac on fut de récupérer la le reque j’avais froissée. Je l’ai redresséedu mieux que j’ai pu, l’a fourra dansl’enveloppe et décidé de la porteravec moi comme une blessure que j’aireçue au combat. Au cours dessemaines suivantes, je suis devenu lesoldat consommé, s’échappant dansle seul monde qui semblait sembléréel pour moi. Je me suis portévolontaire pour n’importe quellemission considérée commedangereuse, j’ai à peine parlé auxautres dans mon unité, et pendant un

certain temps, il a fallu tout ce quej’avais pour ne pas être trop vite avecla gâche e en patrouille. Je n’aiconfiance à personne dans les villes,et même s’il n’y a pas eu « d’incident» malheureux – comme l’armée aimaitappeler la mort de civils – je men raissi je prétendais avoir fait preuve depa ence et de compréhension tout entraitant avec les Irakiens de toutesorte.

Bien que j’ai à peine dormi, mes sensont été exacerbés comme nous avonscon nué notre fer de lance à Bagdad.C’était ironique que tout en risquantma vie, je n’ai pu trouver lesoulagement de la photo de Savannah

et de la réalité que notre rela onavait pris fin.

Ma vie s’est poursuivie, envers lesfortunes changeantes de la guerre.Moins d’un mois après que j’ai reçu lale re, Bagdad est tombé et malgréune brève période de promesse depaix, les choses ont empiré et se sontcompliquées au fil des semaines etdes mois suivants. En fin de compte,ce e guerre n’était pas différente den’importe quelle autre. Les guerresviennent toujours à la quête dupouvoir entre les intérêts concurrents,mais ce e conscience ne rend pas lavie sur le terrain plus facile. Dans lafoulée de la chute de Bagdad, chaque

soldat dans mon équipe a été poussédans les rôles de policier et de juge.En tant que soldats, nous n’avons pasété formés pour cela.

De l’extérieur et avec du recul, il étaitfacile de deviner nos ac vités, maisdans le monde réel, en temps réel, lesdécisions n’étaient pas toujoursfaciles. Plus d’une fois, j’ai étéapproché par des civils irakiens endisant qu’un certain individu avaitvolé ceci et cela, ou avait commis uncrime et on m’a demandé de fairequelque chose. Ce n’était pas notretravail. Nous é ons là pour garder unsemblant d’ordre – qui signifiait detuer les insurgés qui tentaient de

nous tuer ou d’autres civils – jusqu’àce que les habitants puissent prendrele relais et gérer cela eux-mêmes. Ceprocessus par culier n’était ni rapideni facile, même dans les endroits où lecalme était plus fréquent que lechaos. Dans l’intervalle, d’autres villesont été désintégrées dans le chaos, etnous avons été envoyés pour rétablirl’ordre. Nous dégagions une ville desinsurgés, mais parce qu’il n’y avait pasassez de troupes pour tenir la ville etla garder en sécurité, les insurgésl’occupaient de nouveau dès que nouspar ons. Il y avait des jours où tousmes hommes se ques onnaient sur lafu lité de cet exercice par culier,

même s’ils ne posaient pasouvertement la question.

Mon point est que je ne sais pascomment décrire le stress, l’ennui etla confusion de ces neuf moissuivants, sauf pour dire qu’il y avaitbeaucoup de sable. Oui, je sais quec’est un désert, et oui, j’ai passébeaucoup de temps à la plage alors jedevrais y être habitué, mais le sableétait différent là-bas. Il entrait dansvos vêtements, dans votre arme à feu,dans des boîtes fermées, dans votrenourriture, dans vos oreilles et votrenez et entre les dents, et quand jecrachais, je sentais toujours les grainsdans ma bouche. Les gens peuvent au

moins se rapporter à cela, et j’aiappris qu’ils ne veulent pas entendrela vérité, qui est que la plupart del’Irak n’était pas si mal, mais parfoisc’était pire que l’enfer. La popula onavait-elle vraiment envie d’entendreque j’ai vu un gars dans mon unitétuer accidentellement un pe t enfantqui était juste au mauvais endroit aumauvais moment ? Ou que j’avais vudes soldats se déchirer en morceauxquand ils ont été frappés par unexplosif improvisé caché sur les routesprès de Bagdad ? Ou que j’avais vu dusang remplir les rues comme la pluie,coulant des parties de corps explosées? Non, les gens préfèrent entendre

parler de sable, car cela les gardait àune distance sécuritaire de la guerre.

J’ai fait mon devoir du mieux que je lesavais, je me suis enrôlé de nouveauet suis resté en Irak jusqu’en février2004, quand je fus finalement renvoyéen Allemagne. Dès que je suis rentré,j’ai acheté une Harley et j’ai essayé defaire semblant que j’avais laissé laguerre sans être trauma sé; mais lescauchemars étaient sans fin, et je mesuis réveillé le ma n la plupart dutemps trempé de sueur. Pendant lajournée, j’étais souvent sur les nerfs,et je me suis fâché à la moindre deschoses. Quand je marchais dans lesrues en Allemagne, il me fut

impossible de ne pas examiner lesgens qui flânaient à proximité desbâ ments, et je me suis retrouvé àbalayer les fenêtres dans le quar erdes affaires, surveillant des reursd’élite. Le psychologue – tout lemonde devait en voir un – m’a dit quece que je vivais était normal etqu’avec le temps, les chosespasseraient, mais je me demandaisparfois s’ils n’allaient jamais partir.

Après avoir qui é l’Irak, mon tempsen Allemagne semblait presque videde sens. Bien sûr, je m’entraînais dansla ma née et j’ai suivi des cours surles armes et la naviga on, mais leschoses avaient changé. En raison de la

blessure à la main, Tony a reçu uneabsolu on avec son Purple Heart, et ila été renvoyé à Brooklyn après lachute de Bagdad. Quatre autres demes gars ont été honorablementlibérés à la fin de 2003; lorsque leurdépart est venu, dans leurs esprits –et le mien – ils avaient accompli leurdevoir et il était temps pour eux decon nuer de vivre le reste de leursvies. Moi, d’autre part, je me suis denouveau enrôlé. Je n’étais pas sûr quec’était la bonne décision, mais je nesavais pas quoi faire d’autre.

Mais maintenant, en regardant monéquipe, j’ai réalisé que je me sen ssoudainement hors de propos. Mon

équipe était remplie de débutants, etmême s’ils étaient des garsformidables, ce n’était pas la mêmechose. Ils n’étaient pas les amis avecqui j’avais vécu le camp et les Balkans,je n’étais pas allé à la guerre avec eux,et au fond, je savais que je ne seraisjamais proche d’eux comme je l’avaisété avec mon ancienne équipe. Pourla plupart, j’étais un étranger et je n’airien fait pour changer ce epercep on. Je m’entraînais seul etj’évitais les contacts personnelsautant que possible, et je savais ceque mon équipe pensait à mon sujetquand je passais devant eux : j’étais levieux sergent croûté, celui qui

prétendait ne vouloir rien de plus quede s’assurer qu’ils reviendraient versleurs mamans en une seule pièce. J’aidit à mon équipe que je ferais toutpour qu’ils soient en sécurité, et je lepensais. Mais comme je l’ai dit, cen’était plus la même chose.

Avec mes amis par s, je me suisconsacré à mon père de mon mieux.Après mon retour du combat, j’aipassé une longue permission avec luiau printemps 2004, puis une autreavec lui plus tard cet été-là. Nousavons passé plus de temps ensembledans ces quatre semaines que nousl’avions été au cours des dix annéesprécédentes. Parce qu’il avait été mis

à la retraite, nous é ons libres depasser nos journées comme levoulions. Je tombais facilement dansses rou nes. Nous prenions le pe t-déjeuner, allions faire nos troispromenades et dînions ensemble.Entre-temps, nous avons parlé depièces de monnaie et en avons mêmeacheté quelques-unes pendant quej’étais en ville. Internet rendait toutcela beaucoup plus facile qu’il nel’avait été autrefois, et bien que larecherche n’était pas aussi excitante,je ne sais pas si cela a fait unedifférence pour mon père. Je parlaisaux négociateurs à qui je n’avais pasparlé en plus de quinze ans, mais ils

étaient aussi chaleureux et instruc fscomme ils l’avaient toujours été et sesouvenaient de moi avec plaisir. Lemonde des pièces de monnaie, j’airéalisé, était pe t et lorsqu’unecommande arrivait – elles étaienttoujours expédiées par la livraisonexpress – mon père et moi faisions letour en examinant les pièces, ensoulignant les défauts existants, eté ons habituellement d’accord avecle grade qu’elles avaient étéa ribuées par le Service professionnelde classifica on des pièces demonnaie, une entreprise qui évalue laqualité de la pièce de monnaiesoumise. Bien que mon esprit finissait

éventuellement par dériver à d’autreschoses, mon père pouvait regarderune pièce pendant des heures,comme si elle détenait le secret de lavie.

Nous n’avons pas parlé de beaucoupd’autres choses, mais alors, nous n’enavions pas réellement besoin. Iln’avait aucun désir de parler de l’Iraket je n’avais aucune envie d’en parlernon plus. Aucun d’entre nous n’avaitune vie sociale pour en parler – l’Irakn’avait pas été propice en ce sens – etmon père… eh bien, c’était mon père,et je n’ai même pas pris la peine dedemander.

Néanmoins, j’ai été inquiet pour lui.

Lors des promenades, sa respira onétait laborieuse. Quand j’ai suggéréque vingt minutes étaient peut-êtretrop long, même à son rythme lent, ila dit que le médecin lui avait dit quevingt minutes étaient juste ce qu’ilfallait, et je savais qu’il n’y avait rienque je puisse faire pour le convaincredu contraire. Par la suite, il étaitbeaucoup plus fa gué qu’il ait dûl’être, et cela lui prenaithabituellement une heure avant quela couleur rouge sur ses jouess’estompe. J’ai parlé au médecin, etles nouvelles n’étaient pas ce quej’avais espéré. Le coeur de mon père,on m’a dit, avait subi des dommages

importants, et – de l’avis du médecin– c’était à peu près un miracle qu’il sedéplaçait comme il le faisait. Réduireses exercices serait encore plus pirepour lui.

Cela aurait pu être ce e conversa onavec le médecin, ou peut-être c’étaitjuste que je voulais une meilleurerela on avec mon père, mais nousnous sommes mieux entendus aucours de ces deux visites comme nousne l’avions jamais été. Au lieu de lepousser dans une conversa onconstante, je m’assoyais toutsimplement avec lui dans son repaire,en lisant un livre ou en faisant desmots croisés pendant qu’il regardait

ses pièces de monnaie. Il y avaitquelque chose de paisible etd’honnête au sujet de mon manquede confiance, et je pense que monpère en est lentement venu à lamême conclusion que moi avec lechangement dans notre rela on.Occasionnellement, je le surprenais àme jeter un coup d’oeil d’une manièrequi semblait presque étrangère. Nouspassions des heures ensemble, laplupart du temps sans rien dire, et ilétait dans ce calme, et nous sommesfinalement devenus des amis. J’aisouvent souhaité que mon père n’aitpas jeté l’unique photographie denous, et quand il était temps pour

moi de retourner en Allemagne, jesavais que je lui manquerais d’unefaçon que je ne l’avais jamais faitavant.

L’automne 2004 passa lentement,comme l’a fait l’hiver et le printempsde 2005. La vie traînait sans incident.Occasionnellement, des rumeurs demon éventuel retour en Irakinterrompaient la monotonie de mesjournées, mais depuis que j’y avaisdéjà été, la pensée de mon retour m’apeu touché. Si je restais en Allemagne,c’était très bien. Si je retournais enIrak, c’était tout aussi très bien. Je memaintenais informé sur ce qui sepassait au Moyen-Orient comme tout

le monde, mais dès que je posais lejournal ou éteignait la télévision, monesprit vagabondait sur autres choses.

J’avais vingt-huit ans à ce moment-làet je ne pouvais pas échapper ausen ment que même si j’en savaisplus que la plupart des gens de monâge, mais ma vie était toujours ena ente. J’ai rejoint l’armée pourgrandir, et bien que c’était arrivé, jeme demandais parfois si c’était vrai. Jene possédais ni maison, ni voiture et àpart mon père, j’étais complètementseul dans ce monde. Alors que mescompagnons remplissaient leurs mursavec des photographies de leursenfants et leurs femmes, le mien

affichait l’unique photo décoloréed’une femme que j’ai aimée etperdue. J’ai entendu des soldatsparler de leurs espoirs pour l’avenir,pendant que je ne faisais aucun plan.Parfois, je me demandais ce que lesgars pensaient de ma vie, car il y avaitdes moments où on me regardaitcurieusement. Je ne leur ai jamaisparlé de mon passé ou partagé desinforma ons personnelles. Ils nesavaient rien de Savannah, ou de monpère ou de mon ami é avec Tony. Cessouvenirs étaient les miens et à moiseul, car j’avais appris que certaineschoses sont un secret le mieux gardé.

En mars 2005, mon père a eu unedeuxième crise cardiaque, ce qui l’aconduit à une pneumonie et un autrepassage à l’unité des soins intensifs.Une fois qu’il fut sor de l’hôpital, lesmédicaments lui interdisaient laconduite automobile, mais letravailleur social de l’hôpital m’a aidéà trouver quelqu’un pour fairel’épicerie dont il avait besoin. En avril,il est retourné à l’hôpital, où il aappris qu’il faudrait renoncer à sespromenades quo diennes. En mai, ilprenait une douzaine de pilulesdifférentes, et je savais qu’il passait leplus clair de son temps au lit. Lesle res qu’il écrivait étaient devenues

illisibles, non seulement parce qu’ilétait faible, mais parce que ses mainsavaient commencé à trembler. Aprèsquelques poussées et prières autéléphone, j’ai persuadé une voisineinfirmière que connaissait mon père –et qui travaillait à l’hôpital local –d’aller le visiter régulièrement et jepoussai un soupir de soulagementtout en comptant les jours avant mapermission en juin.

Mais l’état de mon père a con nué às’aggraver au cours des semainessuivantes, et au téléphone, je pouvaisentendre une lassitude qui semblaits’approfondir chaque fois que je luiparlais. Pour la deuxième fois de ma

vie, j’ai demandé un transfert à lamaison. Mon commandant était plussympathique qu’il ne l’avait été avant.Nous avons fait des recherches pourtrouver des papiers pour poster à FortBragg pour la forma on en vol – maisquand j’ai de nouveau parlé aumédecin, on m’a dit que ma proximiténe ferait pas grand-chose pour aidermon père et que je devrais envisagerde le placer dans un établissement desoins prolongés. Mon père avaitbesoin de plus de soins qui pouvaientêtre fournis à la maison, m’a-t-ilassuré. Il avait essayé de convaincremon père pendant quelque temps – ilmangeait alors seulement de la soupe

–, mais mon père a refusé de leconsidérer jusqu’à ce que revienne àma permission. Pour une raisonquelconque, le médecin a expliquéque mon père était déterminé à merecevoir à la maison une dernière fois.

La réalisa on a été écrasante, et dansle taxi de l’aéroport, j’ai essayé de meconvaincre que le médecin exagérait.Mais ce n’était pas le cas. Mon pèreétait incapable de se lever du canapéquand j’ai ouvert la porte, et j’ai étéfrappé par la pensée qu’au cours de ladernière année, il semblait avoir vieillide trente ans. Sa peau était presquegrise, et j’ai été choqué par combiende poids il avait perdu. Avec un noeud

dans ma gorge, j’ai posé mon sac àcôté de la porte.

– Salut papa, ai-je dit.

Dans un premier temps, je medemandais s’il m’avait même reconnu,mais j’ai finalement entendu unmurmure en lambeaux.

– Salut John, a-t-il dit et pendantlongtemps, nous sommes restés assisensemble sans dire quoi que ce soit.

Je me suis finalement levé pourinspecter la cuisine, mais je suisretrouvé figé lorsque je suis arrivé.Des boîtes de soupe vides étaientempilées un peu partout. Il y avait destaches sur le poêle, la poubelle

débordait, et des plats moisiss’entassaient dans l’évier. Des piles decourrier non ouvert inondaient lape te table de la cuisine. Il étaitévident que la maison n’avait pas éténe oyée depuis des jours. Mapremière impulsion fut de prendred’assaut la voisine qui avait acceptéde s’occuper de lui. Mais cela devraattendre.

Au lieu de cela, j’ai ouvert une boîtede soupe de poulet et nouilles et l’aifait chauffée sur le poêle sale. Aprèsavoir rempli un bol, je l’ai apporté àmon père sur un plateau. Il souritfaiblement, et je pouvais voir sagra tude. Il a terminé le bol, gra é

sur les côtés pour chaque morceau, etm’a réclamé un autre bol, nourrissantde plus en plus ma colère et je medemandais depuis combien de tempsil n’avait pas mangé. Quand il eut finiavec ce bol, je l’ai aidé à s’allonger surle canapé, où il est tombé endormi enquelques minutes.

La voisine n’était pas chez elle, alorsj’ai passé la plupart de l’après-midi etla soirée à ne oyer la maison, encommençant par la cuisine et la sallede bains. Quand je suis allé changerles draps de son lit et les aienttrouvés souillés, je fermai les yeux etétouffé l’envie de tordre le cou de lavoisine.

Après que la maison était assezpropre, je me suis assis dans la sallede séjour, à regarder le sommeil demon père. Il avait l’air si pe t sous lacouverture, et quand j’ai tendu lamain pour caresser ses cheveux,quelques mèches sont tombées. J’aicommencé à pleurer, sachant alorsavec cer tude que mon père étaitmourant. C’était la première fois queje pleurais depuis des années, et laseule fois dans ma vie que j’avaispleuré pour mon père, mais pendantlongtemps, les larmes ne s’arrêtaientpas.

Je savais que mon père était unhomme bon, un homme gen l et

même s’il avait mené une vie blessé, ilavait fait de son mieux pour m’élever.Pas une fois n’avait-il levé la maindans la colère, et j’ai commencé à metourmenter avec les souvenirs detoutes ces années que j’avaisgaspillées en le blâmant. Je me suissouvenu de mes deux dernières visitesà la maison, et je me faisais mal à lapensée que nous ne partagerions plusjamais ces simples moments denouveau.

Plus part, j’ai porté mon père au lit. Ilétait léger dans mes bras, trop léger.J’ai monté les couvertures autour delui et fait mon lit sur le plancher àcôté de lui, en écoutant sa respira on

sifflante et ses gémissements. Il s’estréveillé en toussant au milieu de lanuit et semblait incapable d’arrêter; jeme préparais à l’amener à l’hôpitalquand la toux s’est finalementcalmée.

Il était terrifié quand il a réalisé où jevoulais l’emmener.

– Rester… ici, a-t-il plaidé, sa voixfaible. Ne veux pas partir.

J’ai été déchiré, mais à la fin, je ne l’aipas emmené. Pour un homme derou ne, je me suis rendu compte quel’hôpital était non seulementétranger, mais un endroit dangereux,pour celui à qui il fallait plus d’énergie

qu’un autre pour s’adapter. C’estalors que j’ai réalisé qu’il s’étaitsouillé et j’ai changé de nouveau sesdraps.

Lorsque la voisine est arrivée le joursuivant, les premiers mots de sabouche étaient des excuses. Elle aexpliqué qu’elle n’avait pas ne oyé lacuisine pendant plusieurs jours, carune de ses filles avait eu desproblèmes, mais elle avait changéquo diennement les draps ets’assurait qu’il y avait beaucoup denourriture en conserve. Comme ellese tenait devant moi sur le porche, jepouvais voir l’épuisement sur sonvisage, et tous les mots de reproches

que j’avais répétés s’étaient évaporés.Je lui ai dit que j’ai apprécié tout cequ’elle avait fait comme jamais elle nepourrait s’en douter.

– J’étais heureuse de vous aider, a-t-elle dit. Il était si gen l au fil des ans.Il ne s’est jamais plaint du bruit quemes enfants faisaient quand ilsétaient adolescents, et il a toujoursacheté tout ce qu’ils vendaient pouramasser des fonds pour les voyagesscolaires ou des choses comme ça. Ilsurveillait ma maison chaque fois queje lui ai demandé, il était toujours làpour moi. Il a été le voisin parfait.

J’ai souri. Encouragée, elle a continué.

– Mais vous devez savoir qu’il ne m’apas toujours laissé entrer dans lamaison. Il m’a dit qu’il n’aimait pas oùje mets des choses. Ou comment jenettoyais. Ou la façon que je déplaçaisune pile de papiers sur son bureau.Habituellement, je l’ignorais, maisparfois, quand il se sentait bien, il esttout à fait catégorique pour m’écarteret il a menacé d’appeler la policequand j’ai essayé de passer. Je nesavais juste…

Elle s’estompa et j’ai fini pour elle.

– Vous ne saviez juste pas quoi faire.

La culpabilité était clairement écritesur son visage.

– C’est correct, ai-je dit. Sans vous, jene sais pas ce qu’il aurait fait.

Elle hocha la tête avec soulagementavant de regarder au loin.

– Je suis contente que vous soyez à lamaison, a-t-elle démarré midement,parce que je voulais vous parler de sasitua on. (Elle brossa un morceauinvisible sur ses vêtements.) Jeconnais un endroit magnifique où ilpourrait aller et où on pourraitprendre soin de lui. Le personnel estexcellent. C’est presque toujours àpleine capacité, mais je connais ledirecteur, et il connait le médecin devotre père. Je sais combien cela doitêtre dur à entendre, mais je pense

que c’est ce qu’il y a de mieux pourlui, et je souhaite…

Quand elle s’arrêta, laissant le restede sa déclara on faire effet, je sen sson véritable souci pour mon père, etj’ai ouvert ma bouche pour répondre.Mais je n’ai rien dit. Ce n’était pasune décision aussi facile que celapuisse paraître.

Sa maison était le seul endroit quemon père connaissait, le seul endroitoù il se sentait confortable. C’était leseul endroit où ses rou nessignifiaient quelque chose. Siséjourner à l’hôpital le terrifiait, êtreforcé de vivre à un nouvel endroitallait probablement le tuer. La

ques on était non seulement où ildevait mourir, mais comment il devaitmourir. Seul à la maison, où il a dormidans des draps souillés et allaitéventuellement mourir de faim ? Ouavec des gens qui le nourriraient, lene oieraient, dans un endroit quil’effrayait ?

Avec un frisson dans ma voix que jene pouvais pas contrôler, j’aidemandé :

– Où est-ce ?

J’ai passé les deux semaines suivantesen prenant soin de mon père. Je le

nourrissais du mieux que j’ai pu, luilisait le Greysheet quand il étaitéveillé, j’ai dormi sur le plancher àcôté de son lit. Il le souillait tous lessoirs, me forçant à lui acheter descouches pour adulte, ce quil’embarrassait beaucoup. Il dormaitpendant des après-midi.

Alors qu’il se reposait sur le canapé,j’ai visité un certain nombred’établissements de soins prolongés :pas seulement celui que la voisineavait recommandé, mais ceux dans unrayon de deux heures. Finalement, lavoisine avait raison.

L’endroit était propre comme elle l’amen onné, et le personnel rencontré

au hasard semblait professionnel,mais le plus important, le directeursemblait avoir pris un intérêtpersonnel pour les soins de mon père.Je n’ai jamais su si c’était à cause de lavoisine ou du médecin.

Le prix n’était pas un problème.L’installa on était coûteuse, maisparce que mon père avait unepension du gouvernement, la SocialSecurity Medicare et l’assuranceprivée pour commencer (je pouvaisl’imaginer signant son nom sur la lignepoin llée pendant des années pour levendeur d’assurance sans réellementcomprendre ce pour quoi il payait), onm’a assuré que le coût serait

acceptable. Le directeur, âgé dans laquarantaine à la chevelure brune, etavait une façon bienveillante deparler, me rappelant en quelque sorteTim, n’a pas insisté pour une décisionimmédiate. Au lieu de cela, il m’aremis une pile de feuillesd’informa ons et des formulaires,tout en souhaitant que mon père aillemieux.

Ce soir-là, j’ai soulevé la ques on duplacement à mon père. Je partais dansquelques jours et n’avais pas le choix,peu importe combien je voulaisl’éviter. Il n’a rien dit pendant que je

parlais. Je lui ai expliqué mes raisons,mes soucis, mon espoir qu’ilcomprendrait. Il n’a posé aucuneques on, mais ses yeux restèrent enétat de choc, comme s’il venaitd’entendre sa propre condamna on àmort.

Quand j’ai eu fini, j’avaisdésespérément besoin d’un momentseul. Je lui ai tapoté sur la jambe etme rendit à la cuisine pour prendreun verre d’eau. Lorsque je suisretourné à la salle de séjour, monpère était penché sur le canapé,aba u et tremblotant. C’était lapremière fois que je l’ai vu pleurer.

Dans la ma née, j’ai commencé à

emballer les choses de mon père. J’aividé ses roirs et ses dossiers, lesarmoires et les placards. Dans son

roir à chausse es, j’ai trouvéseulement des chausse es; dans son

roir de chemises, seulement deschemises. Dans classeur, tout étaitpropre et ordonné avec des onglets.Cela ne devrait pas être surprenant,vu comment il était. Mon père,contrairement à la plupart deshumains, n’avait aucun secret. Iln’avait pas de vice caché, aucunjournal in me, aucun intérêtembarrassant, aucune boîtecontenant des choses privées qu’ilgardait pour lui. Je n’ai rien trouvé qui

m’aurait un peu plus éclairé sur sa vieintérieure, rien qui pourrait m’aider àle comprendre après qu’il soitdisparu. Mon père, je le savais alors,était comme il l’avait toujours été, etje me suis soudain rendu compte àquel point je l’admire pour cela.

Quand j’ai eu fini de rassembler seschoses, mon père ne dormait pas surle canapé. Après quelques jours àmanger régulièrement, il avaitretrouvé un peu de force. Il y avaitune faible lueur dans ses yeux, et j’airemarqué une pelle appuyée contre latable basse. Il me tendit un bout de

papier. Cela ressemblait à une cartegriffonnée à la hâte, « Le jardin » écritd’une main tremblante.

– Pour qui est-ce ?

– C’est la enne, a-t-il dit, puis il asouligné la pelle.

J’ai ramassé la pelle, suivant lesdirec ons sur la carte jusqu’au chênedans le jardin, puis j’ai commencé àcreuser. Après quelques minutes, lapelle a sonné sur du métal, et j’airécupéré une boîte. Et une autre endessous de celle-ci. Et encore uneautre. Seize lourdes boîtes en tout. Jeme suis assis sur le porche et essuyala sueur de mon visage avant d’ouvrir

la première.

Je savais déjà ce que je trouverais, etje louchais à la réflexion des pièces demonnaie en or scin llant dans lalumière crue du soleil d’été. Au fondde ce e boîte, j’ai trouvé la 1926-D dubuffle, celle que nous avions cherchéeet trouvée ensemble, en sachantqu’elle était la seule pièce demonnaie qui avait signifié pour moiquelque chose.

Le lendemain, mon dernier jour depermission, j’ai pris des disposi onspour la maison : annuler les services

publics, la transmission du courrier,trouver quelqu’un pour garder lapelouse tondue. J’ai stocké les piècesde monnaie exhumées dans un coffre-fort à la banque. Régler ces détails apris la majorité de la journée. Plustard, nous avons partagé un bol desoupe au poulet et nouilles et deslégumes cuits que j’avais fait cuirepour le dîner, avant que je l’emmèneà l’établissement de soins prolongés.J’ai déballé ses affaires, décoré lachambre avec des ar cles que j’aipensé qu’il voudrait voir, et placé lesexemplaires du Greysheet desdernières années sur son bureau.Mais ce n’était pas assez et après

avoir expliqué la situa on audirecteur, je suis retourné à la maisonpour prendre plus de bibelots, tout ensouhaitant que je connaissais assezmon père pour savoir ce qui comptaitvraiment pour lui.

Peu importe combien je l’ai rassuré, ilest resté paralysé par la peur, sonregard me déchirait. Plus d’une fois,j’ai été frappé par l’idée que j’étais entrain de le tuer. Je me suis assis à côtéde lui sur son lit, conscient qu’il ne merestait que quelques heures avant dedevoir partir pour l’aéroport.

– Ça va bien se passer, ai-je dit. Ilsvont prendre soin de toi.

Ses mains continuaient à trembler.

– Bien, a-t-il dit d’une voix à peineaudible.

J’ai sen les larmes commençant à seformer.

– Je veux te dire quelque chose,d’accord ?

Je lâchai un long souffle, enconcentrant mes pensées.

– Je veux juste que tu saches que jepense que tu as été le papa le plusgénial. Il fallait être formidable pouravoir pu élever quelqu’un commemoi.

Mon père n’a pas répondu. Dans le

silence, j’ai sen toutes ces chosesque je n’avais jamais voulu lui dire sefrayer un chemin vers la surface, quiavaient fait partie de toute ma vie.

– Je le pense vraiment, papa. Je suisdésolé pour toutes les chosesmerdiques que je t’ai fait subir, et jesuis désolé de ne pas avoir été assezlà pour toi. Tu es la meilleurepersonne que je n’ai jamais connue.Tu es le seul qui ne s’est jamais fâchécontre moi, tu ne m’as jamais jugé, ettu m’as enseigné plus de la vie quen’importe quel fils pourrait ledemander. Je suis désolé que je nepuisse pas être ici pour toimaintenant, et je me déteste pour te

faire cela. Mais je suis effrayé, papa.Je ne sais pas quoi faire d’autre.

Ma voix était rauque et inégale à mespropres oreilles, et je ne voulais riende plus que me re mes bras autourde lui.

– Bien, a-t-il finalement dit.

J’ai souri à sa réponse. Je ne pouvaispas lui en vouloir.

– Je t’aime, papa.

À cela, il savait exactement ce qu’ilfaut dire, car cela a toujours faitpartie de sa routine.

– Je t’aime aussi, John.

Je l’ai embrassé, puis me leva et lui

apporta le dernier numéro duGreysheet. Lorsque j’ai a eint laporte, je me suis arrêté une fois deplus et lui fit face.

Pour la première fois depuis qu’il étaitlà, la peur était presque disparue. Iltenait le journal près de son visage, etje pouvais voir la page tremblerlégèrement. Ses lèvres remuaientcomme il se concentrait sur les mots,et je me suis forcé de l’étudier, enespérant mémoriser son visage pourtoujours.

C’était la dernière fois que je l’ai vuvivant.

CHAPITRE DIX-SEPTMon père est mort sept semaines plustard, et on m’a accordé unepermission d’urgence pour assisteraux funérailles.

Le vol de retour vers les États-Unisétait un peu flou. Tout ce que jepouvais faire était de regarder par lafenêtre le gris informe des océans àdes milliers de pieds au-dessous demoi, souhaitant avoir pu être avec luidans ses derniers moments. Je n’étaispas rasé ou douché, ou même changermes vêtements depuis que j’avaisappris la nouvelle, comme si ma vieme signifiait que tout ce que je

pouvais faire c’était d’accepter l’idéequ’il soit parti.

Dans le terminal et sur la routemenant à la maison, je me suisretrouvé de plus en plus en colèrecontre les scènes de la viequotidienne autour de moi. J’ai vu desgens conduire ou marcher, ou toutsimplement entrer et sor r desmagasins, agissant normalement, maisrien pour moi ne me semblait normal.

Ce n’est que lorsque je suis rentré à lamaison que je me suis souvenu quej’avais annulé les services publicspresque deux mois plus tôt. Sanslumière, la maison semblaitétrangement isolée sur la rue, comme

si elle ne m’appartenait pas tout àfait. Comme mon père, j’ai pensé.D’une certaine manière, ce e penséem’a permis de m’approcher de laporte.

Coincé dans le cadre de la porte denotre maison, j’ai trouvé la carte devisite d’un avocat nommé WilliamBenjamin; à l’endos, il prétendaitreprésenter mon père. Avec le servicede téléphone débranché, je l’ai appeléde la maison du voisin et fut étonnéquand s’est présenté tôt le ma nsuivant à la maison, une malle e à lamain.

Je l’ai conduit à l’intérieur de lamaison sombre, et il a pris une place

sur le canapé. Son costume a dûcoûter plus que ce je gagnais en deuxmois. Après s’être présenté etprésenté ses excuses pour ma perte, ilse pencha en avant.

– Je suis ici parce que j’ai aimé votrepère, a-t-il dit. Il était l’un de mespremiers clients, et il n’y a donc aucunfrais pour cela, à propos. Il est venume voir tout de suite après votrenaissance pour faire rédiger sontestament, et chaque année, le mêmejour, je recevais de sa part une le recer fiée où il avait inscrit toutes lespièces de monnaie qu’il avaitachetées. Je lui ai expliqué au sujet lesimpôts immobiliers, de sorte qu’il

vous en fait don depuis que vous êtesun enfant.

J’étais trop choqué pour parler.

– Quoi qu’il en soit, il y a six semaines,il m’a écrit une le re m’informantqu’il vous avait finalement remis lespièces de monnaie, et il a voulus’assurer que tout le reste était clair.Alors j’ai mis à jour son testamentune dernière fois. Quand il m’a dit oùil vivait, je pensais qu’il ne recevaitpas de visite, alors je l’ai appelé. Il n’apas dit grand-chose, mais il m’a donnéla permission de parler au directeur.Le directeur m’a promis de me fairesavoir quand votre père décédera afinque je puisse vous contacter. Donc, je

suis là.

Il a commencé à fouiller dans samallette.

– Je sais que vous vous occupez desarrangements funéraires, et que c’estun mauvais moment. Mais votre pèrem’a dit que vous ne pourriez pas êtreici pour très longtemps et que jedevrais gérer ses affaires. Ce sont sespropres mots, en passant, pas lesmiens. OK, les voilà. (Il a remis unelourde enveloppe contenant despapiers.) Selon son testament, uneliste de chaque pièce de monnaie desa collec on, y compris la qualité et ladate d’achat, et tous les arrangementspour les funérailles – qui sont payés,

soit dit en passant. Je lui ai promisque je verrais à la succession aussi,mais ce ne sera pas un problème,puisque la succession est pe te etque vous êtes son seul enfant. Et sivous voulez, je peux trouverquelqu’un pour emporter tout ce quevous ne voulez pas garder et prendredes mesures pour vendre la maison.Votre père a dit que vous pourriez nepas avoir le temps pour cela. (Il afermé sa servie e.) Comme je l’ai dit,j’ai bien aimé votre père.Habituellement, nous devonsconvaincre les gens de l’importanced’un testament, mais pas avec votrepère. Il était un homme méthodique.

– Oui, ai-je dit en hochant la tête. Ill’était.

Comme a dit l’avocat, tout avait étépris en charge. Mon père avait choisile type de service qu’il voulait, il avaitchoisi ses vêtements et il avait mêmechoisi son propre cercueil. Leconnaissant, je suppose que j’auraisdû m’y attendre, mais cela n’a fait querenforcer ma convic on que je ne l’aijamais réellement bien compris.

Ses funérailles, sur un cadrechaleureux, un jour d’août chaud etpluvieux, n’étaient que faiblement

présentées. Deux anciens collègues detravail, le directeur de l’établissementde soins prolongés, l’avocat et lavoisine qui avait aidé à prendre soinde lui étaient les seuls à côté de moipendant le service. Cela a brisé moncoeur en un million de morceaux quece soit seulement ces gens qui avaientvu la dignité de mon père. Après quele pasteur eut terminé les prières, ilm’a chuchoté pour voir si je voulaisajouter quelque chose. À ce moment-là, ma gorge était serrée comme untambour, et cela m’a tout pris poursimplement secouer ma tête etdécliner.

De retour à la maison, je me suis assissur le bord du lit de mon père. Lapluie avait cessé, et la lumière dusoleil à travers les nuages gris passaitpar la fenêtre. La maison avait uneodeur de moisi, presque pourrie, maisje pouvais toujours sen r l’odeur demon père sur son oreiller. À côté demoi reposait l’enveloppe que l’avocatm’avait amenée. Je l’ai vidée de soncontenu. Le testament était sur ledessus, de même que certains autresdocuments. En dessous de cela,cependant, était la photographie quemon père avait enlevée de son bureauil y a si longtemps, la seulephotographie de nous deux.

Je l’ai approché de mon visage et laregarda jusqu’à ce que des larmescoulent de mes yeux.

Plus tard cet après-midi-là, Lucy, uneancienne copine, est arrivée. Quand jel’ai aperçue debout sur mon seuil, jene savais pas quoi dire. Par t la fillebronzée de mes années folles; à saplace était une femme vêtue d’untailleur-pantalon sombre et coûteux,et d’un chemisier de soie.

– Je suis désolée, John, a-t-ellemurmuré, venant vers moi.

Nous nous sommes étreints, nous

tenant à proximité de l’autre, et lasensa on de son corps contre le mienétait comme un verre d’eau fraîchepar une chaude journée d’été. Elleportait une légère trace de parfum, unque je ne pouvais pas nommer, mais ilm’a fait penser à Paris, bien que je n’yai jamais été.

– Je viens de lire l’avis de décès, dit-elle après s’être écartée. Je suisdésolée de ne pas avoir été àl’enterrement.

– C’est correct, ai-je dit, puis je fissigne au canapé. Tu veux entrer ?

Elle s’assit à côté de moi, et quand j’airemarqué qu’elle ne portait pas son

alliance, elle a inconsciemmentdéplacé sa main.

– J’ai divorcé l’année dernière.

– Je suis désolé.

– Je le suis aussi, dit-elle en prenantma main. Tu vas bien ?

– Oui, j’ai menti. Je vais bien.

Nous avons parlé pendant un certaintemps du bon vieux temps; elle étaitscep que quant à ma déclara on queson dernier appel téléphoniquem’avait poussé à rejoindre l’armée. Jelui ai dit que c’était exactement cedont j’avais besoin à l’époque. Elle aparlé de sa carrière – elle aidait àconcevoir et installer des espaces de

vente au détail dans les grandsmagasins – et m’a demandé à quoiressemblait l’Irak. Je lui ai parlé dusable. Elle a ri et n’a plus riendemandé à ce sujet. Les minutespassèrent, notre conversa on aralen comme nous avons réalisécombien nous avions changé tous lesdeux. Peut-être que c’était parce quenous avions été proches une fois, oupeut-être c’était parce qu’elle étaitune femme, mais je pouvais la sen rm’examiner et je savais déjà ce qu’elleallait me demander.

– Tu es amoureux, n’est-ce pas ?murmurait-elle.

J’ai plié mes mains sur mes genoux et

regardé par la fenêtre. À l’extérieur, leciel était de nouveau sombre etnuageux, présageant encore de lapluie.

– Oui, admis-je.

– Quel est son prénom ?

– Savannah.

– Est-elle ici ?

J’ai hésité.

– Non.

– Veux-tu en parler ?

Non, je ne voulais rien dire. Je ne veuxpas en parler. J’avais appris dansl’armée que les histoires comme lanôtre étaient à la fois ennuyeuses et

prévisibles, et même si tout le mondedemandait, personne n’avait réalitéenvie d’entendre cela.

Mais je lui ai raconté l’histoire dudébut à la fin, avec plus de détails quej’aurais dû ajouter, et plus qu’unefois, elle a pris ma main. Je n’avais pasréalisé à quel point cela avait été durde tout garder à l’intérieur, et quandje me suis arrêté, je pense qu’ellesavait que j’avais besoin d’être seul.Elle m’a embrassé sur la joue en selevant, et quand elle est par e, j’aiarpenté la maison pendant desheures. J’allais de pièce en pièce,pensant à mon père et à Savannah,me sentant comme un étranger, et en

réalisant progressivement qu’il y avaitune autre place où je devrais aller.

CHAPITRE DIX-HUITCe e nuit-là, j’ai dormi dans le lit demon père pour la première fois detoute ma vie. L’orage avait passé, et latempérature avait monté. Mêmeouvrir les fenêtres n’était pas suffisantpour me garder au frais, et j’ai rejetéles couvertures et me suis tourné etretourné pendant des heures. Lorsquej’ai rampé hors du lit le lendemainma n, j’ai trouvé les clés de la voiturede mon père accrochées sur uncrochet de la cuisine. J’ai jeté mesbagages dans le coffre de sa voiture etchoisi quelques pe tes choses de lamaison que je voulais garder. Mis à

part la photographie, il n’y avait pasgrand-chose. Après cela, j’ai appelél’avocat et accepté son offre detrouver quelqu’un pour vider etvendre la maison. J’ai laissé tomber laclé de la maison dans la boîte auxlettres.

Dans le garage, il a fallu quelquessecondes pour que le moteur seréchauffe. Je suis sor de la voiture,fermé la porte du garage et l’ai barréeà clé. De la cour, je regardais lamaison en pensant à mon père etsachant que je ne reverrai jamais cetendroit.

Je suis arrivé à l’établissement desoins prolongés, ramassé des chosesde mon père, puis qui é Wilmington,en direc on de l’ouest le long del’autoroute, me déplaçant sur lepilote automa que. Cela faisait desannées que je n’avais pas ce tronçonde route, et j’étais vaguementconscient du trafic, mais le sen mentde familiarité m’est revenu parvagues. J’ai passé les villes de majeunesse et j’ai tourné vers Raleighpour me diriger vers Chapel Hill, oùles souvenirs flashaient avec uneintensité douloureuse, et je me suisretrouvé à pousser l’accélérateur, enessayant de les laisser derrière.

J’ai roulé à travers Burlington,Greensboro et Winston-Salem. Mis àpart le seul arrêt pour me re du gazplus tôt dans la journée et où j’avaiségalement acheté une bouteille d’eau,j’ai appuyé sur l’accélérateur, tout ensirotant de l’eau, mais incapable desupporter l’idée de manger. Laphotographie de mon père et moi setrouvait sur le siège à côté de moi, etde temps en temps, j’essayais de merappeler le garçon sur la photo.Finalement, j’ai tourné au nord,suivant une autoroute qui serpentaitdes montagnes s’étendant du nord ausud, une douce croûte de la terre.

C’était la fin de l’après-midi au

moment quand j’ai arrêté la voiture,et je me suis loué une chambre dansun motel minable sur le bord del’autoroute. Mon corps était raide, etaprès avoir pris quelques minutespour m’é rer, j’ai pris une douche etme suis rasé. J’ai mis une paire dejeans propre et un t-shirt, et j’aidéba u si je devais ou non acheterquelque chose à manger, mais jen’avais toujours pas faim. Avec lesoleil bas dans le ciel, l’air n’avait riende la chaleur humide et étouffante dela côte, et j’ai a rapé le parfum desconifères le long des montagnes. Cefut le lieu de naissance de Savannah,et en quelque sorte, je savais qu’elle

était toujours ici.

Bien que j’aurais pu aller chez sesparents et leur demander, j’ai écartél’idée, incertain de comment ilsréagiraient à ma présence. Au lieu decela, j’ai conduit dans les rues deLenoir, en passant par le quar er desaffaires, complété avec sa collec onassor e de restaurants fast-food, et acommencé à ralen r la voitureseulement lorsque je suis arrivé à lapar e la moins populeuse de la ville.Ce e par e-là de Lenoir n’avait paschangé, où les nouveaux arrivants etles touristes sont les bienvenus pourvisiter, mais qui ne seront jamaisconsidérés comme des habitants. J’ai

aperçu un bar délabré, un endroit quime rappelle certains de mes repairesde jeunesse. Une enseigne au néonavec une publicité de bière étaitaccrochée dans les fenêtres, et leparking était plein à l’avant. C’étaitdans un endroit comme celui-là que jetrouverais la réponse dont j’avaisbesoin.

Je suis allé à l’intérieur. Hank Williamshurlait du juke-box, et des rubans defumée de cigare e flo aient dansl’air. Quatre tables de billard ont étéregroupées; chaque joueur portaitune casque e de baseball, et deuxavaient des liasses évidentes de tabacà chiquer dans leurs joues. La basse

d’un trophée avait été montée sur lemur, entouré de souvenirs deNASCAR. Il y avait des photos prises àTal Adega et Martinville, au nord deWilkesboro et Rockingham, et bienque mon opinion sur le sport n’avaitpas changé, le voir me rendaitétrangement à l’aise. Au coin du bar,en dessous du visage souriant de DaleEarnhardt, trônait un bocal remplid’argent, demandant des dons pouraider une vic me locale du cancer.Ressentant un élan ina endu desympathie, j’ai jeté quelques dollars.

J’ai pris un siège au bar et a engagé laconversa on avec le barman. Il était àpeu près de mon âge, et son accent de

montagne m’a rappelé Savannah.Après vingt minutes d’uneconversa on facile, j’ai pris la photode Savannah de mon portefeuille etlui ai expliqué que j’étais un ami de lafamille. J’ai u lisé les noms de sesparents et posé les ques ons quiimpliquaient que j’avais été ici avant.Il se méfiait, et c’était légi me. Lespe tes villes protègent leur monde,mais il s’est avéré qu’il avait passéquelques années dans les Marines, cequi a aidé. Après un moment, il hochala tête.

– Oui, je la connais, dit-il. Elle vit surOld Mil Road, à côté de la maison deses parents.

Il était seulement vingt heures, et leciel était grisonnant alors que lecrépuscule avait commencé às’installer. Dix minutes plus tard, j’ailaissé un gros pourboire sur lecomptoir et j’ai fait mon chemin versla porte.

Mon esprit était curieusement videcomme je me dirigeais au pays ducheval. Du moins, c’est comme ça queje me suis souvenu de la dernière foisoù j’étais ici. La route inclinaittoujours vers le haut, et j’aicommencé à reconnaître les points derepère de la zone; je savais que dans

quelques minutes, je passerais lamaison des parents de Savannah.Lorsque je l’ai fait, je me suis penchésur le volant, gue ant l’entréesuivante dans la clôture avant detourner sur une longue route degravier. Comme je tournais, j’ai vu unpanneau peint à la main où il étaitécrit : « Espoir et chevaux ».

Le crépitement de mes pneus sur legravier a été curieusementréconfortant, je me suis arrêté sousd’un arbre énorme, à côté d’unepe te camionne e cabossée. J’airegardé vers la maison. Grande etcarrée, avec de la peinture écailléeblanche et une cheminée pointant

vers le ciel, elle semblait monter de laterre comme une image fantoma quede cent ans. Une seule ampoulebrillait au-dessus de la porte d’entrée,et une pe te plante verte étaitsuspendue près d’un drapeauaméricain, les deux se déplaçantdoucement dans la brise. Sur le côtéde la maison, il y avait une grange etun pe t corral; au-delà, un grandpâturage couleur émeraude entouréd’une clôture blanche tendue versune ligne de chênes massifs. Uneautre structure semblable se tenaitprès de la grange, et dans les ombres,je pouvais voir les contours del’équipement de la ferme. Je me

demandais encore ce que je faisais là.

Il n’était pas trop tard pour par r,mais je ne pouvais pas me forcer àsor r de ma voiture. Le ciel étaitenflammé de rouge et de jaune avantque le soleil plonge sous l’horizon,jetant les montagnes dans l’obscuritémorose. Je suis finalement sor de lavoiture et commencé à m’approcherde la maison. La rosée sur l’herbehumidifiait mes chaussures, et j’aiencore une fois a rapé le parfum desconifères. Je pouvais entendre lessons des grillons et le chant constantd’un rossignol. Les sons semblaientme donner de la force comme jemontais sur le porche. J’ai essayé de

comprendre ce que je lui dirais si ellerépondait à la porte. Ou ce que je luidirais. Alors que j’essayais en train dedécider ce qu’il fallait faire, unretriever remuant la queue s’estapproché de moi.

Je tendis la main, et sa langue amicalel’a lapée avant qu’il ne se retourne ettro e en bas des marches. Sa queuecon nuait à remuer dans les deuxsens comme il contourna la maison, eten entendant la même voix quim’avait amené à Lenoir, j’ai qui é leporche et le suivi. Il a rampé sous laclôture puis tro é jusque dans lagrange.

Dès que le chien avait disparu, j’ai vu

Savannah sor r de la grange avec desrectangles de foin serré sous ses bras.Les chevaux au pâturage ontcommencé à galoper vers elle commeelle a jeté le foin dans des auges. J’aicon nué à avancer. Elle se brossait ets’apprêtait à retourner dans la grangequand elle jeta un regard parinadvertance dans ma direc on. Ellefit un pas, regarda encore, puis sefigea sur place.

Pendant un long moment, aucun denous deux n’a bougé. Avec son regardverrouillé sur le mien, j’ai réalisé quej’ai eu tort de venir ici sansm’annoncer. Je savais que je devaisdire quelque chose, n’importe quoi,

mais rien ne m’est venu à l’esprit.Tout ce que je pouvais faire était de ladévisager.

Les souvenirs de l’époque seprécipitaient, et j’ai remarquécombien elle avait peu changé depuisla dernière fois où je l’avais vue.Comme moi, elle était en jeans et ent-shirt maculé de boue, et ses bo esde cowboy étaient éraflées et usées.D’une certaine manière, l’apparencemisérable lui donnait un a raitterreux. Ses cheveux étaient pluslongs que je me suis souvenu, maiselle avait toujours ce léger écart entreses dents de devant que j’avaistoujours aimé.

– Savannah, ai-je finalement dit.

Ce n’était jusqu’à je parle que j’airéalisé qu’elle avait été aussi surpriseque moi. Immédiatement, un largesourire de plaisir innocent fit irruptionsur son visage.

– John ? C’est bon de te revoir.

Elle secoua la tête, comme si ellecherchait à secouer son esprit, puis aplissé les yeux de nouveau. Quandenfin elle a été convaincue que jen’étais pas un mirage, elle a couruvers moi. Un moment plus tard, jepouvais sen r ses bras autour de moi,son corps chaud et accueillant contrele mien. Pendant une seconde, c’était

comme si rien entre nous n’avaitchangé. Je voulais la tenir pourtoujours, mais quand elle s’estécartée, l’illusion a été brisée, et nousé ons des étrangers une fois de plus.Son expression tenait la ques on àlaquelle j’avais été incapable derépondre tout au long de mon voyagejusqu’ici.

– Qu’est-ce que tu fais ici ?

J’ai détourné les yeux.

– Je ne sais pas, ai-je dit. J’ai juste eubesoin de venir.

Même si elle ne demandait rien, il yavait un mélange de curiosité etd’hésita on dans son expression,

comme si elle n’était pas sûre devouloir une autre explica on. J’aireculé d’un pe t pas, lui donnant del’espace. Je pouvais voir les contourssombres des chevaux dans l’obscuritéet j’ai ressen les événements desderniers jours revenir vers moi.

– Mon père est mort, murmurai-je, lesmots semblant venir de nulle part. Jesuis juste venu pour ses funérailles.

Elle était calme, son expressions’adoucissant dans la compassionspontanée que j’ai une fois été attiré.

– Oh John… Je suis tellement désolée,murmurait-elle.

Elle s’approcha encore, et il y avait

une urgence dans son étreinte ce efois. Quand elle s’est écartée, sonvisage était à moitié dans l’ombre.

– Comment c’est arrivé ? a-t-elledemandé, sa main s’a ardant sur lamienne.

Je pouvais entendre une douleurauthen que dans sa voix, et je mesuis arrêté, incapable de résumer lesdeux dernières années dans un seulénoncé.

– C’est une longue histoire, ai-je dit.

À la lueur des lumières de la grange,je pensais que je pouvais voir dansson regard les souvenirs qu’ellevoulait garder enfouis, d’une vie il y a

bien longtemps. Quand elle a lâchéma main, je voyais l’é ncelantealliance briller à sa main gauche. Cettevision m’a aspergé avec le froid de laréalité.

Elle a reconnu mon expression.

– Oui, dit-elle. Je suis mariée.

– Je suis désolé, ai-je dit en secouantla tête. Je n’aurais pas dû venir.

Me surprenant, elle a donné unepetite vague de sa main.

– C’est correct, dit-elle en inclinant latête. Comment m’as-tu trouvé ?

– C’est une pe te ville, ai-je dit enhaussant les épaules. J’ai demandé à

quelqu’un.

– Et ils t’ont juste… dis où me trouvercomme ça ?

– J’ai été convaincant.

C’était maladroit, et aucun de nous nesemblait savoir quoi dire. Une par ede moi s’était a endue à ce que l’oncon nue à être debout là pendantque nous ra rapions le temps perducomme de vieux amis sur tout ce quis’était passé dans nos vies depuis ladernière fois qu’on s’était vus. Uneautre par e de moi s’a endait à ceque son mari sorte de la maison d’uneminute à l’autre en serrant ma mainou en défiant de me ba re. Dans le

silence, un cheval hennit, et par-dessus son épaule, je pouvais voirquatre chevaux avec leurs têtesbaissées dans l’auge, moi é dansl’ombre, moi é dans le cercle delumière de la grange. Trois autreschevaux, y compris Midas, fixaientSavannah comme s’ils se demandaientsi elle les avait oubliés. Savannah afinalement fait un signe vers eux surson épaule.

– Je devrais m’occuper d’eux aussi,dit-elle. C’est leur temps de manger etils deviennent nerveux.

Quand je hochai la tête, Savannah areculé puis se tourna. Tout commeelle a atteint la porte, elle a lancé :

– Veux-tu me donner un coup de main?

J’ai hésité, en regardant vers lamaison. Elle a dû suivre mon regard.

– Ne t’inquiète pas, dit-elle. Il n’estpas ici, et je ne pourrais pas vraimentavoir de l’aide.

Sa voix était étonnamment stable.

Bien que je n’étais pas sûr de quoifaire de sa réponse, j’ai hoché la tête.

– J’en serais heureux.

Elle m’a a endu et a fermé la portederrière nous. Elle a souligné un tasde fumier.

– Méfie-toi de leurs déjec ons. Ils

vont tacher tes chaussures.

J’ai gémi.

– Je vais essayer.

Dans la grange, elle a séparé unmorceau de foin, puis deux autres, etme les a remis.

– Je e-leur ça dans les auges à côtédes autres. Je vais chercher desflocons d’avoine.

Je fis comme elle m’a dit, et leschevaux se sont approchés. Savannahest sortie en tenant des seaux.

– Tu pourrais peut-être leur donnerun peu de place. Ils pourraientaccidentellement te renverser.

J’ai reculé, et Savannah a accrochéquelques seaux sur la clôture. Lepremier groupe de chevaux tro aitvers eux. Savannah les regardait, safierté évidente.

– Combien de fois dois-tu les nourrir ?

– Deux fois par jour, tous les jours.Mais il y a plus que justel’alimenta on. Tu serais étonné devoir comment ils peuvent êtremaladroits parfois. Nous devonsappeler le vétérinaire en vitesse.

J’ai souri.

– On dirait que c’est beaucoup detravail.

– Ça l’est. Ils disent que posséder un

cheval, c’est comme vivre avec uneancre. Sauf si tu demandes àquelqu’un d’autre de te donner uncoup de main, c’est difficile de sor r,même pour un week-end.

– Tes parents viennent t’aider ?

– Parfois. Quand j’ai vraiment besoind’eux. Mais mon père se fait vieux, etil y a une grande différence entreprendre soin d’un cheval et de sept.

– Je vais te prendre au mot pour lui.

Dans la chaude nuit, j’ai écouté lebourdonnement constant des cigales,respirant la paix de ce refuge, enessayant de calmer mes penséestoujours à la course.

– C’est exactement ce genre d’endroitoù j’imaginais vivre, ai-je finalementdit.

– Moi aussi, dit-elle. Mais c’estbeaucoup plus difficile que je pensaisque ce le serait. Il y a toujoursquelque chose qui doit d’être réparé.Tu ne peux pas imaginer combien defuites il y avait dans la grange, et lesgrands pans de clôture se sonteffondrés l’hiver dernier. C’est surquoi nous avons travaillé au cours duprintemps.

Bien que je l’ai entendu u liser le mot« nous » et aie assumé qu’elle parlaitde son mari, je n’étais pas encore prêtà parler de lui. Ni elle, semblait-il.

– Mais c’est beau ici, même si c’estbeaucoup de travail. Et les nuitscomme ça, j’aime bien m’assoir sur leporche et juste écouter le monde. Tun’entends presque jamais les voitureset c’est tellement… paisible. Çacontribue à se libérer l’esprit,par culièrement après une longuejournée.

Comme elle parlait, je sentais savolonté de maintenir notreconversation sur un ton poli.

– J’imagine.

– Je dois ne oyer quelques sabots, a-t-elle annoncé. Tu veux m’aider ?

– Je ne sais pas quoi faire, admis-je.

– C’est facile, dit-elle. Je vais temontrer.

Elle a disparu dans la grange et sor ten portant ce qui semblait être despe ts sabots. Elle en tendit un à moi.Comme les chevaux mangeaient, elles’est déplacée vers l’un d’eux.

– Tout ce que tu as à faire, c’est degra er près de la corne et changer lesabot pendant que tu appuies surl’arrière de sa jambe, dit-elle en mefaisant une démonstration.

Le cheval, occupé avec son foin, adocilement levé son sabot. Elle a caléle sabot entre ses jambes.

– Ensuite, il suffit d’enlever la saleté

autour de la chaussure. C’est tout.

Je me suis déplacé vers le cheval àcôté d’elle puis j’ai tenté dereproduire ses ac ons, mais rien nes’est passé. Le cheval était à la foistrès grand que têtu. Je rai denouveau la pa e et tapa au bonendroit, puis ra et frappa un peuplus. Le cheval a con nué de manger,ignorant mes efforts.

– Il ne veut pas soulever son pied, mesuis-je plaint.

Elle a terminé le sabot sur lequel elletravaillait, puis se pencha à côté demon cheval. Un coup et une saccadeplus tard, le sabot était en place entre

ses jambes.

– J’étais sûre qu’il ferait ça. Il sait quetu ne sais pas ce que tu fais et que tues inconfortable autour de lui. Tu doisêtre confiant en faisant cela.

Elle laissa tomber le sabot, et j’ai prissa place, essayant de nouveau. Lecheval m’a ignoré une fois de plus.

– Regarde ce que je fais, dit-ellelentement.

– Je regardais, protestai-je.

Elle a répété l’ac on; le cheval a levéson pied. Un instant plus tard, je l’aiimitée exactement, et le cheval m’aignoré. Bien que je ne pouvais pasprétendre lire dans les pensées d’un

cheval, j’ai eu l’étrange impressionqu’il appréciait mes déboires. Frustré,j’ai tapoté et ra sans relâche jusqu’àce que, comme par magie, le pied ducheval se lève. Malgré le caractèreminimal de mon accomplissement, j’aisen un élan de fierté. Pour lapremière fois depuis mon arrivée,Savannah se mit à rire.

– Bon travail. Maintenant, il suffit degra er la boue et passe au sabotsuivant.

Savannah avait terminé les six autreschevaux au moment où j’ai terminé lemien. Lorsque nous avons terminé,elle a ouvert la porte et les chevauxont tro é dans le pâturage sombre. Je

n’étais pas trop sûr à quoim’a endre, mais Savannah s’estdéplacée vers le hangar. Elle avaitdeux pelles dans la main.

– Maintenant, il est temps dene oyer, dit-elle en me tendant unepelle.

– Nettoyer ?

– Le fumier, dit-elle. Sinon, ce ne serapas joli par ici.

J’ai pris la pelle.

– Tu fais ça tous les jours ?

– La vie est une pêche, n’est-ce pas ?

Elle me taquinait. Elle repar t etrevint avec une brouette.

Comme nous avons commencé àramasser le fumier, un pe t morceaude lune a commencé sa remontée surles cimes des arbres. Nous avonstravaillé en silence, le clique s et legra ement de sa pelle en un rythmerégulier. Après voir terminé, je me suispenché sur ma pelle, en l’inspectant.Dans les ombres de la basse-cour, ellesemblait aussi belle et insaisissablequ’un fantôme. Elle ne dit rien, maisje pouvais sentir qu’elle m’évaluait.

– Tout va bien ? ai-je finalementdemandé.

– Pourquoi es-tu ici, John ?

– Tu m’as déjà posé cette question.

– Je sais, dit-elle. Mais tu ne m’as pasdonné une vraie réponse.

Je l’ai étudiée. Non, je ne l’avais pasfait. Je n’étais pas sûr si je pouvaisl’expliquer et j’ai déplacé mon poidsd’un pied à l’autre.

– Je ne savais pas où aller.

Me surprenant, elle hocha la tête.

– Uh-huh, a-t-elle reconnu.

C’était l’accepta on sans réserve desa voix qui m’a fait continuer.

– Je le pense, ai-je dit. À certainségards, tu étais la meilleure amie queje n’ai jamais eue.

Je pouvais voir son expression

s’adoucir.

– D’accord, a-t-elle dit.

Sa réponse m’a rappelé mon père, etaprès qu’elle a répondu, peut-êtrequ’elle l’a réalisé. Je me suis forcéd’examiner la propriété.

– C’est le ranch de tes rêves, n’est-cepas ? demandai-je. L’espoir et leschevaux c’est pour les enfants autistes?

Elle passa une main dans ses cheveux,en me ant une mèche derrière sonoreille. Elle semblait heureuse que jem’en souvienne.

– Oui, a dit-elle. Il l’est.

– Est-ce qu’il est comme tu as imaginéqu’il le serait ?

Elle rit et leva les mains.

– Parfois. Mais il prospère assez pourpayer les factures. Nous avons tousles deux des emplois, et chaque jour,je me rends compte que je n’ai pasautant appris à l’école que je ne lepensais.

– Non ?

Elle secoua la tête.

– Certains des enfants qui seprésentent ici, ou au centre, sontdifficiles à atteindre.

Elle hésita, essayant de trouver les

mots justes. Finalement, elle secoua latête.

– Je suppose que je pensais qu’ilsallaient être comme à Alan, tu sais ?(Elle leva les yeux.) Tu te souviensquand je t’ai parlé de lui ?

Quand je hochai la tête, elle a repris.

– Il s’avère que la situa on d’Alanétait spéciale. Je ne sais pas, peut-êtreque c’était parce qu’il avait grandi surun ranch, mais il s’est adaptébeaucoup plus facilement que laplupart des enfants.

Quand elle n’a pas con nué, je lui aijeté un regard interrogateur.

– Ce n’est pas de ce e façon dont je

me souviens que tu m’as parlé de ça.D’après ce dont je me souviens, Alanétait d’abord terrifié.

– Oui, je sais, mais… il s’est habitué. Etc’est la chose. Je ne peux pas te direcombien d’enfants que nous avons iciqui ne s’adapteront jamais à toutcela, peu importe combien de tempsnous travaillons avec eux. Ce n’est passeulement une chose d’un week-end;certains enfants sont venus icirégulièrement pendant plus d’un an.Nous travaillons au centred’évalua on de développement, nousavons donc passé beaucoup de tempsavec la plupart des enfants, et quandnous avons commencé le ranch, nous

avons insisté à l’ouvrir pour lesenfants, peu importe la gravité de leurétat. Nous avons pensé que c’était unengagement important, mais avecquelques enfants… Je souhaite justesavoir comment passer au traversd’eux. Parfois, on se sent comme sinous faisons que tourner nos roues.

Je pouvais voir Savannah cataloguerses souvenirs.

– Je ne veux pas dire que nous noussentons comme si nous gaspillonsnotre temps, poursuivit-elle. Certainsenfants bénéficient vraiment de ceque nous faisons. Ils viennent ici etpassent quelques week-ends, et c’estcomme… un bouton de fleur

s’épanouissant lentement dansquelque chose beau. Comme cela afait avec Alan. C’est comme si tu peuxsen r leur esprit s’ouvrir à denouvelles idées et possibilités, etquand ils repartent avec un grandsourire sur leurs visages, c’est commes’il n’y a plus de problème dans lemonde. C’est un sen ment grisant, ettu veux que cela se produise encore etencore avec tous les enfants quiviennent ici. Je pensais que c’était uneques on de persistance, que l’onpourrait aider tout le monde, maisnous ne pouvons pas. Certains desenfants ne s’approchent jamais ducheval, et encore moins le monter.

– Tu sais que ce n’est pas ta faute. Jen’avais pas été trop emballé avecl’idée de monter, non plus, tu tesouviens ?

Elle eut un pe t rire, sonnantremarquablement jeune.

– Oui, je me souviens. La première foisque tu es monté sur un cheval, tuétais plus effrayé que beaucoup deces enfants.

– Non, je ne l’étais pas, protestai-je.Et en plus, Pepper a été vif.

– Ha ! dit-elle en riant. Pourquoipenses-tu que je t’ai permis de lemonter ? Il est à peu près le cheval leplus facile que tu puisses imaginer. Je

ne pense pas qu’il soit aussi vif.

– Il était vif, ai-je insisté.

– Tu parles comme un vrai bizut, a-t-elle taquiné. Mais même si tu tetrompes, je suis touchée que tu t’ensouviennes toujours.

Son enjouement a provoqué un raz-de-marée de souvenirs.

– Bien sûr que je me souviens, ai-jedit. Cela avait été un des plus beauxjours de ma vie. Jamais je ne lesoublierai.

Par-dessus son épaule, je pouvais voirle chien errant dans le pâturage.

– C’est peut-être pourquoi je ne suis

toujours pas marié, ai-je ajouté.

À mes mots, son regard tomba.

– Je me souviens aussi de cesjournées.

– Toi ?

– Bien sûr, dit-elle. Tu peux ne pas mecroire, mais c’est vrai.

Le poids de ses paroles pesait dansl’air.

– Es-tu heureuse, Savannah ? ai-jefinalement demandé.

Elle a offert un sourire désabusé.

– La plupart du temps. Et toi ?

– Je ne sais pas, ai-je dit, ce qui la fit

rire à nouveau.

– C’est ta réponse standard, tu sais.Quand te demande-t-on d’expliquerta réponse ? C’est comme un avec toi.Ça l’a toujours été. Pourquoi tu ne meposes pas la ques on que tu veuxvraiment me poser ?

– Ce que je veux vraiment tedemander ?

– Si j’aime vraiment mon mari. N’est-ce pas ce que tu veux dire ? a-t-elledemandé, en détournant les yeux uninstant.

Pendant un instant, je restai sansvoix, mais je me suis rendu compteque ses ins ncts étaient corrects.

C’était la véritable raison de maprésence ici.

– Oui, dit-elle finalement en lisant denouveau mes pensées. Je l’aime.

La sincérité évidente de son ton m’apiqué, mais avant que je puisserépliquer, elle se tourna vers moi ànouveau. L’anxiété vacillait dans sonexpression, comme si elle sesouvenait de quelque chose dedouloureux, mais cela est passérapidement.

– As-tu déjà mangé ? a-t-elledemandé.

J’essayais toujours de donner un sensà ce que je venais de voir.

– Non, ai-je dit. Je n’ai pas mangé dela journée.

Elle secoua la tête.

– J’ai un restant de ragoût de boeufdans la maison. As-tu le temps pour ledîner ?

Bien que je me questionnais ànouveau pour son mari, j’ai hoché latête.

– Bien sûr, ai-je dit.

Nous avons commencé à marcher versla maison et nous sommes arrêtésquand nous avons a eint un porchebordé de bo es de cowboy boueuseset usées. Savannah s’est agrippée àmon bras d’une manière qui m’a

frappé comme étantremarquablement facile et naturel, enm’u lisant pour garder l’équilibre,comme elle enleva ses bo es. C’étaitpeut-être son toucher qui m’aréellement encouragé à la regarder, etsi je vis côté mystérieux et sa maturitéqui l’avait toujours rendueséduisante, j’ai remarqué un soupçonde tristesse et de la ré cence. Pourmon coeur endolori, la combinaison larendait encore plus belle.

CHAPITRE DIX-NEUFSa cuisine était plus pe te à ce quel’on peut a endre d’une vieillemaison qui avait probablement étérénovée une demi-douzaine de fois aucours du dernier siècle : les planchersde linoléum anciens pelaientlégèrement près du mur; d’épaissesarmoires blanches sans ornementavec d’innombrables couches depeinture, et un évier en acierinoxydable fixé sous une fenêtre debois qui aurait probablement dû êtreremplacé depuis des années. Lecomptoir était fissuré, et deboutcontre un mur se tenait un poêle à

bois aussi vieux que la maison elle-même. En certains endroits, il étaitpossible de voir l’envahissement dumonde moderne : un grandréfrigérateur et un lave-vaisselle prèsde l’évier; un micro-ondes calé prèsd’un cellier à moi é rempli debouteilles de vin rouge. À certainségards, cet endroit me rappelait lamaison de mon père.

Savannah a ouvert un placard et ensortit un verre de vin.

– Veux-tu un verre de vin ?

J’ai secoué la tête.

– Je n’ai jamais été un grand buveurde vin.

J’ai été surpris quand elle ne retournepas le verre. Au lieu de cela, ellerécupéré une bouteille à moi é vide,elle posa le verre sur la table et a prisune chaise devant moi.

Nous nous assis à la table pendantque Savannah a pris une gorgée.

– Tu as changé, ai-je observé.

Elle haussa les épaules.

– Beaucoup de choses ont changédepuis que je t’ai vu.

Elle ne dit rien de plus et a posé sonverre sur la table. Quand elle parla denouveau, sa voix était maîtrisée.

– Je n’ai jamais pensé que je serais le

genre de personne qui a end avecimpa ence un verre de vin le soir,mais je le fais.

Elle a commencé à faire tourner leverre sur la table, et je me demandaisce qui lui était arrivé.

– Tu sais le plus drôle ? dit-elle. Je mesoucie réellement comment il goûte.Quand j’ai eu mon premier verre, jene savais pas ce qui était bon ou cequi était mauvais. Maintenant, quandje vais en acheter, je suis devenueassez sélective.

Je n’étais pas certain de reconnaître lafemme qui était assise devant moi, etje n’étais pas sûr de savoir comment

réagir.

– Ne te méprends pas, poursuivit-elle.Je me souviens de tout ce que mesparents m’ont appris, et je ne boisjamais plus qu’un verre le soir. Maispuisque Jésus lui-même a transformél’eau en vin, j’ai pensé que cela nepeut pas être un très gros péché.

J’ai souri à sa logique, enreconnaissant combien il était injustede s’accrocher à cette version.

– Je ne demandais pas.

– Je sais, dit-elle. Mais tu te ledemandais.

Pendant un instant, le seul son dansla cuisine fut le faible bourdonnement

du réfrigérateur.

– Je suis désolée pour ton père, dit-elle en soulignant du doigt une fissuredans la table. Je le suis vraiment. Je nepeux pas te dire combien de fois j’aipensé à lui au cours des dernièresannées.

– Merci.

Savannah a recommencé à fairetourner son verre, apparemmentperdue dans le tourbillon du liquide.

– Veux-tu en parler ? a-t-elledemandé.

Je n’étais pas sûr si je devais le faire,mais comme je me suis penché sur machaise, les mots sont venus

étonnamment facilement. Je lui aiparlé de la première crise cardiaquede mon père, et la deuxième, et lesvisites que nous avions partagées aucours des deux dernières années. Jelui ai parlé de notre ami égrandissante, et du confort que j’airessen avec lui, les promenades qu’ila commencé à prendre pourfinalement y renoncer. J’ai racontémes derniers jours avec lui et l’agonied’avoir dû le placer dans unétablissement de soins prolongés.Lorsque j’ai décrit les funérailles et laphotographie que j’ai trouvée dansl’enveloppe, elle a pris ma main.

– Je suis heureuse qu’il l’ait gardée

pour toi, dit-elle. Mais je ne suis passurprise.

– Je m’en doutais, ai-je dit et elle semit à rire.

C’était un son rassurant. Elle me serrala main.

– J’aurais aimé l’avoir vu. J’aurais aiméaller aux funérailles.

– Ce n’était pas grand-chose.

– Il ne devait pas l’être. C’était tonpère et c’est tout ce qui importe.

Elle hésita avant de libérer ma mainet a pris une autre gorgée de vin.

– Es-tu prêt à manger ? a-t-elledemandé.

– Je ne sais pas, ai-je dit, rougissantau souvenir de son commentaire plustôt.

Elle se pencha en avant avec unsourire.

– Que dirais-tu que je te réchauffe unbol de ragoût et nous verrons ce quise passera.

– Est-il bon ? demandai-je. Je veuxdire… quand je te connaissais avant,tu n’as jamais men onné que tusavais comment cuisiner.

– C’est notre rece e familialespéciale, dit-elle, feignant d’êtreoffensée. Mais je dois être honnête –ma mère l’a fait. Elle l’a apporté hier.

– La vérité sort, ai-je dit.

– C’est une drôle de vérité, a-t-elle dit.C’est une habitude.

Elle se leva et ouvrit le réfrigérateur,se penchant comme elle balayait lesétagères. Je me ques onnais au sujetde la bague à son doigt et où était sonmari comme qu’elle sortait un platTupperware. Elle versa un peu deragoût dans le bol et le plaça dans lemicro-ondes.

– Veux-tu autre chose avec ça ?Comme du pain et du beurre ?

– Ce serait très bien, ai-je accepté.

Quelques minutes plus tard, le repasétait devant moi, et l’arôme m’a

rappelé pour la première fois combienj’étais réellement. Me surprenant,Savannah s’est rassise à sa place,tenant son verre de vin.

– Tu ne vas pas manger ?

– Je n’ai pas faim, dit-elle. En fait, jene mange pas beaucoup ces dernierstemps.

Elle but une gorgée comme j’ai prisma première bouchée et je l’ai laisséepasser à son commentaire.

– Tu as raison, ai-je dit. C ’estdélicieux.

Elle sourit.

– Maman est une bonne cuisinière.

On pourrait penser que j’aurais apprisà cuisiner, mais je ne l’ai pas fait. Jesuis toujours trop occupée. Tropétudier quand j’étais jeune, et puisces derniers temps, trop derénova ons. (Elle fit signe vers la sallede séjour.) C’est une vieille maison. Jesais que cela ne ressemble pas à cela,mais nous avons fait beaucoup detravail ces dernières années.

– C’est très bien.

– Tu es juste poli, mais je l’apprécie,répondit-elle. Tu aurais dû voirl’endroit quand j’y suis arrivée. C’étaitun peu comme la grange, tu sais ?Nous avions besoin d’un nouveautoit, mais c’est drôle, personne ne

pense jamais aux toits quand ilsimaginent ce qu’il faut rénover. C’estune de ces choses que tout le mondes’a end à ce qu’une maison ait, maisne pense pas que cela pourrait unjour avoir besoin d’être remplacé.Presque tout le monde tombe dansce e catégorie. Les calorifères, lesfenêtres thermiques, réparer lesdommages des termites… il y avaitbeaucoup pour nous occuper pendantde longues journées. (Elle portait uneexpression rêveuse sur son visage.)Nous avons fait la majeure par e dutravail nous-mêmes. Comme avec lacuisine. Je sais que nous avons besoinde nouvelles armoires et planchers,

mais quand nous avons emménagé, ily avait des flaques dans la salle deséjour et les chambres chaque foisqu’il pleuvait. Qu’est-ce que nousé ons censés faire ? Nous avons dûétablir des priorités, et une despremières choses que nous avonsfaites était d’arracher le vieuxbardeau de la toiture. Il doit avoir faitune centaine de degrés là-haut, etj’étais là avec seulement une pelle, enraclant les bardeaux, récoltant desampoules. Mais… c’était exactementce qu’il fallait, tu sais ? Deux jeunesgens qui débutent dans le monde,travaillant ensemble et en réparantleur maison ? Il y avait un tel sens…

d'in mité à cela. C’était la mêmechose quand nous avons fait changerle plancher dans la salle de séjour.Cela a dû prendre quelques semainespour enlever le vieux et le remplacer.Nous avons mis une couchesupplémentaire de vernis, et quandnous avons finalement pu marcherdessus, nous avons sen comme sinous avions mis les bases pour lereste de nos vies.

– Tu parles de cela d’une façonpresque romantique.

– Ça l’était, en quelque sorte, a-t-ellerépondu avant de me re une mèchede cheveux derrière son oreille. Maisdernièrement, ce n’est pas si

roman que. Maintenant, il est justevieux.

J’ai ri de façon ina endue, a toussa etje me suis retrouvé à m’étendre pourun verre qui n’était pas là.

Elle repoussa sa chaise.

– Laisse-moi aller te chercher un peud’eau, dit-elle.

Elle remplit un verre d’eau du robinetet l’a placé devant moi. En buvant, jepouvais sentir qu’elle me regardait.

– Quoi ? demandai-je.

– Je ne peux juste pas réalisercomment tu sembles différent.

– Moi ?

J’avais beaucoup de mal à le croire.

– Oui, toi, a-t-elle insisté. Tu es… plusvieux.

– Je suis plus vieux.

– Je sais, mais ce n’est pas ça. C’est tesyeux. Ils sont… plus graves qu’ils nel’étaient avant. Comme s’ils ont vudes choses qu’ils n’auraient pas dûvoir. Las, en quelque sorte.

À cela, je n’ai rien dit, mais quand ellevit mon expression, elle secoua latête, l’air embarrassé.

– Je n’aurais pas dû dire cela. Je peuxseulement imaginer ce que tu as vécuces derniers temps.

J’ai mangé une autre bouchée deragoût en pensant à soncommentaire.

– J’ai qui é l’Irak au début de 2004,ai-je dit. Je suis en Allemagne depuis.Seulement une pe te par e del’armée est toujours là et à unmoment donné, ils feront unerota on. Je vais probablement finirpar y aller, mais je ne sais pas quand.En espérant que les choses se serontcalmées d’ici là.

– N’es-tu pas censé en être sormaintenant ?

– Je me suis enrôlé de nouveau, ai-jedit. Il n’y avait aucune raison de ne

pas le faire.

Nous savions tous les deux la raison àcela et elle hocha la tête.

– Combien de temps maintenant ?

– Jusqu’en 2007.

– Et ensuite ?

– Je ne suis pas sûr. Je pourrais resterpour quelques années de plus. Oupeut-être aller à l’université. Qui sait,je pourrais même suivre des courspour avoir un diplôme enenseignement spécialisé. J'ai entendude grandes choses à ce sujet.

Son sourire était étrangement triste,et pendant un moment, aucun de

nous deux n’a rien dit.

– Depuis combien de temps es-tumariée ? demandai-je.

Elle se déplaça dans sa chaise.

– Ça fera deux ans en novembreprochain.

– Tu t’es mariée ici ?

– Comme si j’avais le choix, dit-elle enroulant ses yeux. Ma mère étaiten èrement dans le mariage. Je saisque je suis leur fille unique, mais en yrepensant, j’aurais été tout aussiheureuse avec quelque chose debeaucoup plus pe t. Une centaine depersonnes aurait été parfait.

– Tu considères cela petit ?

– En comparaison avec ce nous avonsfini par avoir ? Oui. Il n’y avait pasassez de places dans l’église pour toutle monde, et mon père ent à me lerappeler qu’il veut être remboursédepuis ce temps. Il est juste taquin,bien sûr. La moi é des invités étaientdes amis de mes parents, mais jesuppose que c’est ce tu obtiens quandtu te maries dans ta ville natale. Toutle monde à partir du facteur jusqu’à lacoiffeuse reçoit une invitation.

– Mais tu dois être heureuse d’être deretour à la maison ?

– C’est confortable ici. Mes parents

sont tout près et j’en ai besoin, enparticulier maintenant.

Elle n’a pas précisé, se contentant delaisser son commentaire se tenirdebout. Je me demandais pourquoi etau sujet d’une centaine d’autreschoses comme je me levai de la tableet apporta mon bol à l’évier. Après lerinçage, je l’ai entendue m’appelerderrière moi.

– Laisse ça juste là. Je n’ai pas encorevidé le lave-vaisselle. Je le ferai plustard. Tu veux autre chose ? Ma mère alaissé quelques tartes sur le comptoir.

– Comme un verre de lait ? ai-je dit.

Comme elle commença à se lever, j’ai

ajouté :

– Je peux me servir. Dis-moi juste oùsont les verres.

– Dans l’armoire à gauche de l’évier.

Je pris un verre dans l’armoire et merendit au réfrigérateur. Le lait était surl’étagère du haut; sur les étagères endessous, il y avait au moins unedouzaine de plats Tupperware remplisde nourriture. J’ai versé un verre etsuis retourné à la table.

– Qu’est-ce qui se passe, Savannah ?

Avec mes mots, elle est venue versmoi.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Ton mari.

– Qu’en est-il de lui ?

– Quand pourrai-je rencontrer ?

Au lieu de répondre, Savannah se levade table avec son verre de vin. Elleverse les restes dans l’évier, puisrécupéra une tasse de café et uneboîte de thé.

– Tu l’as déjà rencontré, dit-elle en seretournant, puis elle carra les épaules.C’est Tim.

Je pouvais entendre la cuillère cognercontre la tasse de Savannah qui était

de nouveau assise devant moi.

– Qu’est-ce que tu es prêt à entendre? murmura-t-elle, les yeux dans satasse de thé.

– Tout, ai-je dit en me penchant dansma chaise. Ou rien. Je ne suis pasencore sûr.

Elle renifla.

– Je pense que cela fait un sens.

J’ai joint mes mains ensemble.

– Quand cela a-t-il commencé ?

– Je ne sais pas, dit-elle. Je sais quecela semble fou, mais ce n’est pasarrivé comme tu le pensesprobablement. Ce n’était pas comme

si l’un de nous l’avions prévu. (Elle amis sa cuillère sur la table.) Mais pourte donner une sorte de réponse, jesuppose que cela a commencé audébut de 2002.

Quelques mois après que je me soisenrôlé de nouveau. Six mois avantque mon père ait sa première crisecardiaque et à ce e époque, j’airemarqué que ses le res avaientcommencé à changer.

– Tu sais que tu avons été amis.Même s’il était un étudiant diplômé,nous avons fini par avoir quelquescours dans le même bâ ment aucours de ma dernière année àl’université et ensuite, nous allions

prendre un café ou on se retrouvaitpour étudier ensemble. Ce n’était pascomme si on sortait ensemble, oumême se tenir par la main. Tim savaitque j’étais amoureuse de toi… mais ilétait là, tu comprends ? Il m’a écoutéquand je disais combien tu memanquais et combien c’était difficiled’être séparés. Et c’était dur. J’aipensé que tu serais à la maison d’icilà.

Quand elle releva la tête, ses yeuxreflétaient… Quoi ? Du regret ? Je nepouvais pas le dire.

– Quoi qu’il en soit, nous avons passébeaucoup de temps ensemble, et ilétait bon pour me consoler chaque

fois que j’avais de la peine. Il merappelait toujours que tu serais deretour en permission avant même queje le sache, et je ne peux pas te direcombien je voulais te revoir. Etensuite, ton père est tombé malade.Je sais que tu devais être avec lui – jene t’aurais jamais pardonné si tun’étais pas resté à ses côtés –, mais cen’était pas ce dont nous avionsbesoin. Je sais comment ça peutsonner égoïste, et je me détestemême d’y penser. Je sentais juste quele destin complotait contre nous.

Elle posa sa cuillère dans le thé etl’agita à nouveau, rassemblant sespensées.

– Avec cela, juste après que j’ai finiavec mes classes et suis retourné à lamaison pour travailler au centred’évalua on de développement ici enville, les parents de Tim ont eu unhorrible accident. Ils rentraientd’Asherville quand ils ont perdu lecontrôle de leur voiture et fait uneembardée dans la circula on surl ’autoroute. Un semi-remorque afoncé sur eux. Le conducteur ducamion n’a pas été blessé, mais lesparents de Tim sont morts sur lecoup. Tim a dû qui er l’école – ilessayait d’obtenir son doctorat – afinqu’il puisse revenir ici pour prendresoin d’Alan. (Elle s’arrêta.) C’était

horrible pour Tim. Non seulement iltentait de se réconcilier avec sa perte– il adorait ses parents –, mais Alanétait inconsolable. Il criait tout letemps, et il a commencé à s’arracherles cheveux. Le seul qui pouvaitl’empêcher de se blesser était Tim,mais il a pris toute l’énergie qu’avaitTim. Je suppose que c’est lorsque j’aicommencé à venir ici. Tu sais, pour luidonner un coup de main.

Quand je fronçai les sourcils, elle aajouté :

– C’était la maison des parents deTim. Où Tim et Alan ont grandi.

Dès qu’elle l’a dit, le souvenir m’est

revenu. Bien sûr, c’était chez Tim. Ellem’a une fois dit que Tim vivait sur leranch à côté du sien.

– Nous avons fini pour nous consolermutuellement. J’ai essayé de l’aider,et il a essayé de m’aider, et nousavons tous les deux essayé d’aiderAlan. Et pe t à pe t, je suppose quenous avons commencé à tomber enamour.

Pour la première fois, elle a rencontrémes yeux.

– Je sais que tu pourrais être fâchécontre Tim ou moi. Probablementtous les deux. Et je suppose que nousle méritons. Mais tu ne sais pas ce

que c’était à l’époque. C’étaittellement émo f tout le temps. Je mesentais coupable de ce qui se passait,Tim se sentait coupable aussi. Maisaprès un certain temps, nous avonsjuste commencé à réaliser que nousé ons déjà un couple. Tim acommencé à travailler au mêmecentre d’évalua on dedéveloppement que moi et il aensuite décidé qu’il voulait lancer unprogramme au ranch le week-endpour des enfants au stes. Ses parentsont toujours voulu le faire, alors j’aicommencé à travailler sur le ranch.Après cela, nous é ons ensemblepresque tout le temps. L’organisa on

du ranch nous a donné à tous lesdeux quelque chose pour seconcentrer, et il a aussi aidé Alan. Ilaime les chevaux, et graduellement, ils’est habitué au fait que ses parentsn’étaient plus là. C’est comme si nousé ons tous à nous appuyer surl’autre… Il m’a proposé de l’épouserplus tard cette année-là.

Quand elle s’arrêta, je me suisdétourné, en essayant de digérer sesparoles. Nous sommes restés assis ensilence pendant un certain temps,chacun aux prises avec nos pensées.

– Quoi qu’il en soit, c’est l’histoire, a-t-elle conclu. Je ne sais pas si tu veuxencore en entendre parler.

Je n’étais pas sûr non plus.

– Est-ce que Alan vit toujours ici ?demandai-je.

– Il a une chambre à l’étage. C’est lamême chambre qu’il a toujours eue. Iln’est pas aussi dur que cela puisseparaître, cependant. Après qu’il a finide nourrir et brosser les chevaux, ilpasse habituellement le plus clair deson temps seul. Il aime les jeuxvidéos. Il peut jouer pendant desheures. Dernièrement, je n’ai pas étécapable de l’arrêter. Il jouerait toutela nuit si je le laissais faire.

– Est-il ici présentement ?

Elle secoua la tête.

– Non, dit-elle. En ce moment, il estavec Tim.

– Où ?

Avant qu’elle ait pu répondre, le chiengriffa avec insistance à la porte, etSavannah se leva pour l’ouvrir. Lechien est entré, la langue pendante,et en remuant la queue. Il tro a versmoi puis a senti ma main.

– Il m’aime, ai-je dit.

Savannah était toujours près de laporte.

– Elle aime tout le monde. Son nomest Molly. Aucune efficacité commechien de garde, mais plus gen llequ’un bonbon. J’essaye simplement

d’éviter la bave. Elle va te tremper situ la laisses faire.

Je regardai mes jeans.

– Je vois ça.

Savannah fit signe par-dessus sonépaule.

– Écoute, je viens de réaliser je n’aipas terminé de ranger mes choses. Ilest censé pleuvoir ce soir. Cela nedevrait pas être long.

J’ai noté qu’elle n’avait pas répondu àma ques on à propos de Tim. Nicompris ce qu’elle planifiait.

– Tu as besoin d’un coup de main ?

– Pas vraiment. Mais tu es le bienvenu

de venir. C’est une belle soirée.

Je l’ai suivie et Molly tro ait devantnous, oubliant complètement le faitqu’elle venait de prier pour entrer àl’intérieur. Lorsqu’un hibou s’envolades arbres, Molly a disparu en courantdans l’obscurité.

Savannah remit ses bo es à nouveau.Nous marchions vers la grange. J’aipensé à tout ce qu’elle m’avait dit etje me demandais encore pourquoij’étais venu. Je n’étais pas sûr si j’étaisheureux qu’elle eût épousé Tim –puisqu’ils semblaient si parfaitsensemble – ou si j’étais contrarié pourexactement la même raison. Je n’étaispas content de finalement connaître

la vérité; en quelque sorte, je me suisrendu compte qu’il était plus facile dene pas tout savoir. Soudainement, jeme sentais fatigué.

Et pourtant… il y avait quelque choseque je savais qu’elle ne voulait pas medire. Je l’ai entendu dans sa voix, dansla pointe de tristesse qui ne partaitpas. Comme l’obscurité nousentourait, j’étais très conscient de saproximité tandis que nous marchionsensemble, et je me demandais si ellesentait la même chose. Si elle l’a fait,elle ne donnait aucun signe.

Les chevaux étaient de simplesombres dans la distance, des formesreconnaissables. Savannah a récupéré

quelques brides et les apporta à lagrange, les accrocha sur des piquetsau mur. Alors qu’elle faisait cela, jeramassais les pelles que nous avionsu lisées et les a rangées avec le restedes ou ls. Sur notre chemin poursortir, elle s’est retournée pour fermerla porte.

Jetant un regard sur ma montre, j’aivu qu’il était presque vingt-deuxheures. Il était tard, et é ons tousdeux conscients de l’heure.

– Je suppose que je devrais sansdoute y aller, ai-je dit. C’est une petiteville. Je ne veux pas commencer desrumeurs.

– Tu as probablement raison.

Molly errait, apparaissant de nullepart, et s’assit entre nous. Quand ellea bavé sur la jambe de Savannah, ellese déplaça.

– Où restes-tu ? a-t-elle demandé.

– Quelque chose qui ressemble à unmotel. Juste sur le bord del’autoroute.

Son nez plissa, si ce n’est que pour uninstant.

– Je connais l’endroit.

– C’est un endroit bizarre , ai-jeadmis.

Elle sourit.

– Je ne peux pas dire que je suissurprise. Tu as toujours eu le tour detrouver les endroits uniques.

– Comme la Cabane de la Crevette ?

– Exactement.

J’ai poussé mes mains dans mespoches, me demandant si c’était ladernière fois que je la verrais. Sic’était le cas, cela m’a frappé aussiabsurdement décevant; je ne voulaispas que cela se termine dans unepe te conversa on, mais je nepouvais pas penser à quelque chosed’autre à dire.

Au bout de la route, les phares d’unevoiture qui se rapprochait flashèrent

ses lumières sur la propriété commeelle a accéléré devant la maison.

– Je suppose qu’il est temps de par r,ai-je dit. C’était bon de te revoir.

– Toi aussi, John. Je suis contente quetu sois venu.

J’ai hoché la tête à nouveau. Quandelle regarda au loin, je l’ai pris commemon signe pour partir.

– Au revoir, ai-je dit.

– Au revoir.

Je me suis tourné du porche et medirigea vers ma voiture, hébété à lapensée que c’était bel et bien fini. Jen’étais pas sûr que je m’attendais à

quelque chose de différent, mais lafinalité rapportait à la surface tous cessen ments que j’avais réprimésdepuis que j’avais lu sa dernièrelettre.

J’ai ouvert la porte quand je l’aientendue crier.

– Hé, John ?

– Oui ?

Elle descendit du porche et se dirigeavers moi.

– Seras-tu dans les alentours demain ?

Comme elle approchait, son visageétait à moi é dans l’ombre, et jesavais avec cer tude que j’étais

toujours en amour avec elle. Malgré lale re, en dépit de son mari. Malgré lefait que nous ne pourrions jamais êtreensemble.

– Pourquoi ?

– Je me demandais si tu souhaiteraisnous rendre visite. Vers dix heures. Jesuis sûre que Tim aimerait te voir…

Je secouais ma tête avant mêmequ’elle ait terminé.

– Je ne suis pas sûr que ce soit unebonne idée…

– Pourrais-tu le faire pour moi ?

Je savais qu’elle voulait me faire voirque Tim était toujours le même

homme dont je me souvenais, et dansun sens, je savais qu’elle me ledemandait parce qu’elle voulait êtrepardonnée.

Elle tendit la main pour prendre lamienne.

– S’il te plaît. Cela voudrait direbeaucoup pour moi.

Malgré la chaleur de sa main, jen’avais pas envie de revenir. Je n’avaispas envie de voir Tim, je ne voulaispas les voir tous les deux ensemble ouassis autour d’une table et prétendreque tout semblait juste dans lemonde.

Mais il y avait quelque chose de

plain f dans sa demande qui a faitqu’il était impossible de lui refuser.

– OK, ai-je dit. Dix heures.

– Je te remercie.

Un instant plus tard, elle se tourna. Jesuis resté en place, en regardant sonascension sur le porche avant que jemonte dans la voiture. J’ai tourné laclé et ai reculé. Savannah alluma leporche, en agitant la main unedernière fois. J’ai fait un signe de lamain, puis je me suis dirigé vers larouge, la regardant rape sser dans lerétroviseur. À la regarder, j’ai senune sécheresse soudaine dans magorge. Non pas parce qu’elle était

mariée à Tim, et non à la pensée deles voir ensemble tous les deuxdemain. C’est venu en regardantSavannah, debout sur son porche, enpleurant dans ses mains.

CHAPITRE VINGTLe ma n suivant, Savannah se tenaitdebout sur le porche, et elle agita lamain comme je sta onnais la voiture.Elle s’avança comme je sortais lavoiture. Je m’a endais à ce que Timapparaisse dans la porte derrière elle,mais il n’était nulle part.

– Hey, dit-elle en me touchant le bras.Merci d’être venu.

– Ouais, ai-je dit en donnant unhaussement d’épaules réticent.

J’ai cru voir un éclair decompréhension dans ses yeux avantqu’elle demande :

– As-tu bien dormi ?

– Pas vraiment.

À cela, elle a donné un souriredésabusé.

– Es-tu prêt ?

– Comme je ne le serai jamais.

– D’accord, a-t-elle dit. Permets-moide récupérer les clés. Sauf si tu veuxconduire.

Je n’ai pas compris dans un premiertemps.

– Nous partons ? ai-je demandé enhochant la tête vers la maison. Jepensais que nous allions voir Tim.

– Nous y allons, dit-elle. Il n’est pas

ici.

– Où est-il ?

C’était comme si elle ne m’avait pasentendu.

– Veux-tu conduire ?

– Oui, je pense que oui, ai-je dit sansme donner la peine de cacher maconfusion, mais en sachant qu’elleallait éclaircir les choses quand elleserait prête.

J’ai ouvert la porte pour elle et j’ai faitle tour vers le côté conducteur meglisser derrière le volant. Savannahglissait sa main sur le tableau de bord,comme si elle essayait de prouver àelle-même que c’était réel.

– Je me souviens de ce e voiture, dit-elle avec une expression nostalgique.C’est à ton père, n’est-ce pas ? Wow,je ne peux pas croire qu’ellefonctionne toujours.

– Il ne l’a pas beaucoup conduite, ai-jedit. Juste pour travailler et aller aumagasin.

– Bien sûr.

Elle a mis sa ceinture de sécurité, etmalgré moi, je me demandais si elleavait passé la nuit seule.

– Quelle direction ? demandai-je.

– Sur la route, prend à gauche, dit-elle. Dirige-toi vers la ville.

Aucun de nous ne parlait. Au lieu decela, elle regarda par la fenêtre dupassager, les bras croisés. J’aurais puêtre offensé, mais il y avait quelquechose dans son expression qui m’a ditque sa préoccupa on n’a rien à voiravec moi, et je l’ai laissée seule avecses pensées.

À la périphérie de la ville, elle secouala tête, comme si elle prenait tout àcoup conscience comment c’étaitcalme dans la voiture.

– Je suis désolée, dit-elle. Je supposeque mon comportement laissebeaucoup à désirer.

– Ce n’est rien, ai-je dit en essayant

de masquer ma curiosité croissante.

Elle pointe vers le pare-brise.

– Au coin suivant, tourne à droite.

– Où allons-nous ?

Elle ne répondit pas tout de suite. Aulieu de cela, elle se retourna etregarda par la fenêtre.

– À l’hôpital, a-t-elle finalement dit.

Je la suivais à travers des couloirsinterminables, avant de finalements’arrêter à l’enregistrement desvisiteurs. Derrière le bureau, unbénévole âgé tendait une planche e

à pince. Savannah a pris un stylo etcommença à signer son nomautomatiquement.

– Vous tenez le coup, Savannah ?

– J’essaie, murmura-t-elle.

– Tout ira bien. Vous savez que toutela ville prie pour lui.

– Merci, dit Savannah.

Elle rendit le presse-papiers, puis meregarda.

– Il est au troisième étage. Lesascenseurs sont juste là-bas.

Je la suivis de nouveau, mon estomacse serrant. Nous sommes arrivés àl’ascenseur comme quelqu’un en

descendait, et entra. Lorsque lesportes se sont fermées, je me sentaiscomme si j’étais dans un tombeau.

Quand nous sommes arrivés autroisième étage, Savannah acommencé à marcher dans le couloiravec moi à la traîne. Elle s’arrêtadevant une chambre avec une porteentrouverte, puis se tourna vers moi.

– Je pense que je devraisprobablement y aller en premier, dit-elle. Tu peux m’attendre ici ?

– Bien sûr.

Elle sourit, puis se détourna. Ellepoussa un long soupir avant d’entrerdans la chambre.

– Hey, chéri, l’ai-je entendue dire d’unton vif. Tu vas bien ?

Je n’ai plus rien entendu pendant lesdeux prochaines minutes. Au lieu decela, je me tenais debout dans lecorridor, en absorbant le mêmeenvironnement stérile et impersonnelque j’avais remarqué lors d’une visiteavec mon père. L’air empestait d’undésinfectant sans nom, et je regardaisun chariot de nourriture sur rouesdans une chambre plus loin. À mi-chemin dans le couloir, j’ai vu ungroupe d’infirmières regroupées dansle bureau. Derrière la porte de l’autrecôté, je pouvais entendre quelqu’unvomir.

– OK, dit Savannah en me rejoignant.

Sous son apparence courageuse, jepouvais toujours voir sa tristesse.

– Tu peux entrer. Il est prêt pour toi.

Je la suivis à l’intérieur, en mepréparant au pire. Tim était assis dansle lit avec un IV relié à son bras. Ilavait l’air épuisé, et sa peau était sipâle qu’elle était presque translucide.Il avait perdu du poids, encore plusque mon père, et comme je leregardais, tout ce que je pouvaispenser était qu’il allait mourir. Seulela bonté dans ses yeux n’a pas étéaffectée. De l’autre côté de la pièce, ily avait un jeune homme, fin de

l’adolescence ou début de lavingtaine, qui tournait sa tête dedroite à gauche, et j’ai suimmédiatement que c’était Alan. Lapièce était remplie avec des fleurs :des dizaines de bouquets et cartes desouhaits empilés sur chaque tabledisponible et corniche. Savannah étaitassise sur le lit à côté de son mari etavait pris sa main dans la sienne.

– Hey, Tim, ai-je dit.

Il avait l’air trop fa gué pour sourire,mais il a réussi.

– Hey, John. C’est bon de te revoir.

– Toi aussi. Comment vas-tu ?

Dès que je l’ai dit, je savais comment

ça sonnait ridicule. Tim devait êtrehabitué, car il ne broncha pas.

– Je vais bien, a-t-il dit. Je me sensmieux maintenant.

J’ai hoché la tête. Alan a con nué àtourner sa tête, et je me suis retrouvéà le regarder, me sentant comme unintrus dans les événements que jevoulais avoir pu éviter.

– C’est mon frère, Alan, a-t-il dit.

– Salut, Alan.

Lorsque Alan n’a pas répondu, j’aientendu Tim lui murmurer :

– Hé, Alan ? Ce n’est pas grave. Il n’estpas un médecin. C’est un ami. Allez,

dis salut.

Il a fallu quelques secondes, mais Alanse leva finalement debout. Il marchaitavec raideur à travers la pièce, et bienqu’il ne répondrait pas à mes yeux, iltendit la main.

– Salut, je suis Alan, a-t-il dit d’un tonmonotone étonnamment profond.

– Enchanté, ai-je dit en prenant samain.

Elle était molle; il l’a secouée une fois,puis l’a lâché et retourna à sa chaise.

– Il y a une chaise si tu veux t’asseoir,a déclaré Tim.

J’ai erré plus loin dans la pièce et pris

une chaise. Avant même que je puissele demander, j’ai entendu Timrépondre déjà à la ques on dans mespensées.

– Le mélanome, a-t-il dit. En cas où tuposerais la question.

– Mais tout ira bien, n’est-ce pas ?

La tête d’Alan tourna encore plus vite,et il commença à frapper ses cuisses.Savannah se détourna. Je savais déjàque je n’aurais pas dû demander.

– C’est ce que les médecins disent, arépondu Tim. Je suis entre de bonnesmains.

Je savais que la réponse était pluspour Alan que moi, et Alan a

commencé à se calmer.

Tim ferma les yeux, puis les rouvrit,comme s’il essayait de concentrer saforce.

– Je suis heureux que tu sois revenuen un seul morceau, a-t-il dit. J’ai priépour toi pendant tout le temps que tuétais en Irak.

– Merci.

– Que fais-tu ? Toujours dans l’armée,je suppose.

Il hocha la tête vers ma coupe enbrosse, et j’ai passé ma main dessus.

– Ouais. On dirait que je suiscondamné à y rester à perpétuité.

– Bien, dit-il. L’armée a besoin de genscomme toi.

Je n’ai rien dit. La scène me semblaitsurréaliste, comme si vous la regardezdans un rêve. Tim se tourna versSavannah.

– Ma chérie, irais-tu avec Alan et luiacheter un soda ? Il n’a rien à boiredepuis tôt ce ma n. Et si tu le peux,peut-être pourrais-tu lui parler enmangeant.

– Bien sûr, dit-elle.

Elle l’embrassa sur le front et se levadu lit. Elle s’arrêta dans l’embrasurede la porte.

– Viens, Alan. Allons nous chercher

quelque chose à boire, d’accord ?

Pour moi, il me semblait qu’Alantraitait lentement les mots. Il se levafinalement et suivit Savannah; elleplaça une douce main sur son dos surle chemin vers la porte. Quand ilsfurent par s, Tim m’a regardé ànouveau.

– Tout cela est très dur pour Alan. Ilne le prend pas très bien.

– Comment le pourrait-il ?

– Ne laisse pas son tournage de têtete tromper. Cela n’a rien à voir avecl’au sme ou son intelligence. Celaressemble plus à un c quand il estnerveux. La même chose quand il a

commencé à se frapper sur les cuisses.Il sait ce qui se passe, mais celal’affecte d’une manière qui rendhabituellement les gens mal à l’aise.

Je serrais mes mains.

– Il ne m’a pas rendu mal à l’aise, ai-jedit. Mon père avait ses choses, aussi.C’est ton frère, et il est évident qu’ilest inquiet. Il est logique.

Tim sourit.

– C’est gen l de ta part. Beaucoup degens sont effrayés.

– Pas moi, ai-je dit en secouant latête. Je sais que je pourrais leprendre.

Fait étonnant, il se mit à rire, maiscela semblait prendre beaucoup delui.

– Je suis sûr que tu le peux, a-t-il dit.Alan est doux. Probablement tropdoux. Il ne donnerait même pas unetape aux mouches.

J’ai hoché la tête, reconnaissant quece pe t exposé était juste sa façon deme faire sen r plus à l’aise. Mais celane fonctionnait pas.

– Quand l’as-tu découvert ?

– Il y a un an. Un grain de beautéderrière mon mollet a commencé àme démanger, et quand je l’ai gra é,il a commencé à saigner. Bien sûr, je

n’y ai plus repensé jusqu’à ce qu’ilsaigne de nouveau la fois suivante oùje l’ai gra é. Il y a six mois, je suis alléchez le médecin. C’était un vendredi.J’ai subi une chirurgie le samedi etcommencé l’interféron le lundi.Maintenant, je suis ici.

– Tu as toujours été hospitalisédepuis ce temps ?

– Non. Je suis sors et je reviens ici.D’habitude, l’interféron est fait surune base ambulatoire, mais moi etl’interféron on ne s’entend pas. Je nele tolère pas très bien, alorsmaintenant ils le font ici. Dans le casoù je viens trop malade etdéshydraté. Comme je l’ai fait hier.

– Je suis désolé, ai-je dit.

– Je le suis aussi.

J’ai regardé autour de la pièce, mesyeux a errissant sur une photo dechevet bon marché de Tim etSavannah debout avec les bras autourd’Alan.

– Comment Savannah ens le coup ?demandai.

– Comme on pouvait s’y a endre.(Tim traça un pli de sa feuille del’hôpital avec sa main libre.) Elle a étéformidable. Pas seulement avec moi,mais avec le ranch aussi. Elle a eu àgérer tout dernièrement, mais elle nese plaint jamais. Et quand elle est

autour de moi, elle essaie d’être forte.Elle con nue de me dit que tout vas’arranger. (Il a formé le fantôme d’unsourire.) La moi é du temps, je lacrois.

Quand je n’ai pas répondu, il a lu épour s’asseoir plus haut dans le lit. Ilgrimaça, mais la douleur passa, et ildevint lui-même à nouveau.

– Savannah m’a dit que tu as dîné auranch hier soir.

– Oui, j’ai dit.

– Je parie qu’elle était contente de tevoir. Je sais qu’elle s’est toujourssen e mal de comment votre histoires’est terminée, et moi aussi. Je te dois

des excuses.

– Ne fais pas ça, dis-je en levant lesmains. C’est correct.

Il a formé un sourire ironique.

– Tu dis ça parce que je suis malade,et nous le savons très bien tous lesdeux. Si j’étais en santé, tu voudraisprobablement me casser le nez ànouveau.

– Peut-être, admis-je, et il rit encore,mais ce e fois, je pouvais entendre lebruit de la maladie.

– Je le mérite, a-t-il dit, oublieux demes pensées. Je sais que tu pourraisne pas le croire, mais je me sens mal àpropos de qui s’est passé. Je sais que

vous deux vous vous souciezréellement l’un de l’autre.

Je me suis penché en avant, mesoutenant sur mes coudes.

– L’eau a coulé sous le pont, ai-je dit.

Je n’arrivais pas à le croire, et il nem’a pas cru quand je l’ai dit. Maisc’était assez pour nous perme re depasser à autre chose.

– Qu’est-ce qui t’amène par ici ? Aprèstout cela ?

– Mon père est décédé, ai-je dit. Lasemaine dernière.

Malgré son état, son visage reflétaune véritable sympathie.

– Je suis désolé, John. Je sais combienil était important pour toi. Était-cesoudain ?

– Non, mais il avait été maladependant un certain temps.

– Ça ne rend pas cela plus facile.

Je me demandais s’il faisait allusionjuste à moi ou à Savannah et Alan.

– Savannah m’a dit que tu as perdutes parents.

– Un accident de la route, a-t-il dit enfaisant ressor r les mots. C’était…incroyable. Nous venions de dîneravec eux une ou deux soirs avant, etla prochaine chose que tu sais, jedevais faire des arrangements pour

leurs funérailles. Cela ne me sembletoujours pas réel. Chaque fois que jesuis à la maison, je con nue dem’a endre à voir ma mère dans lacuisine ou mon père bricoler dans lejardin.

Il hésita, et je savais qu’il était àrejouer ces images.

Enfin, il secoua la tête.

– Est-ce que ça t’est arrivé ? Quand tuétais à la maison ?

– Chaque minute.

Il se pencha la tête en arrière.

– Je suppose que ç’a été des annéesdifficiles pour nous deux. Pour essayer

de tester notre foi.

– Même pour toi ?

Il eut un rictus tiède.

– J’ai dit essayer. Je n’ai pas dit qu’ellea pris fini.

– Non, je ne pense pas que cela arrive.

J’ai entendu la voix d’une infirmières’approcher, et même si je pensaisqu’elle allait entrer, elle passa à safaçon dans une autre chambre.

– Je suis content que tu sois venu voirSavannah, a-t-il dit. Je sais que celasemble banal en considérant tout ceque vous deux avez vécu, mais elle abesoin d’un ami en ce moment.

Ma gorge était serrée.

– Ouais, fut tout ce que je pouvaispenser dire.

Il se calma, et je savais qu’il n’en diraitpas plus à ce sujet. Après un moment,il s’endormit, et j’étais assis là àl’observer, mon esprit curieusementvide.

– Je suis désolée de ne pas te l’avoirdit hier, m’a dit Savannah une heureplus tard.

Quand elle et Alan étaient revenusdans la chambre pour trouver Timendormi, elle avait signe pour que je

la suivre jusqu’à la cafétéria.

– J’ai été surprise de te voir, et jesavais que j’aurais dû dire quelquechose, mais chaque fois que j’aiessayé, je ne pouvais juste pas.

Deux tasses de thé étaient sur latable, mais aucun de nous n’avaitenvie de manger. Savannah a levé satasse et l’a reposée à nouveau.

– Cela devait arriver un de ces jours,tu sais ? Je passais des heures àl’hôpital, et les infirmièress’empêchaient de me donner cesregards pitoyables et… eh bien, ellesm’ont juste donné l’impression qu’ilmourrait pe t à pe t. Je sais que cela

semble ridicule compte tenu ce qui sepasse avec Tim, mais ça été si difficilede le regarder tomber malade. Jedéteste ça. Je sais que je dois être làpour le soutenir, et la chose est que je

ens à être là, mais c’est toujours pireque je le pense. Il était tellementmalade après son traitement d’hier,que je pensais qu’il allait mourir. Il nepouvait pas arrêter de vomir, etquand rien d’autre ne sortait, il ajuste gardé une toux sèche. Toutes lescinq ou dix minutes, il se me ait àgémir et à se déplacer dans le lit, etj’essayais de l’empêcher, mais il n’yavait rien à faire. Je le tenais et leréconfortait, mais je ne peux même

pas commencer à décrire commentcela m’a fait sentir impuissante. (Elle alevé son sac de thé de l’eau.) C’estcomme ça à chaque fois, dit-elle

Je jouais avec la poignée de ma tasse.

– Je souhaite que je puisse savoir quoidire.

– Il n’y a rien que tu puisses dire, et jele sais. C ’est pourquoi je m’adresse àtoi. Parce que je sais que tu peuxgérer ça. Je ne peux pas en parler àpersonne d’autre. Aucun de mes amisne peut même imaginer ce que je vis.Ma mère et mon père ont étéformidables… Je sais qu’ils feraientn’importe quoi et ils s’offrent toujours

pour aider, et ma mère apporte nosrepas, mais chaque fois qu’elleapporte de la nourriture, elle est justeun paquet de nerfs. Elle est toujourssur le point de pleurer. C’est comme sielle a peur de dire ou faire quelquechose de mal, alors quand elle essaied’aider, c’est comme si je dois lasoutenir, elle aussi, au lieu del’inverse. Ajouter à tout le reste, c’estpresque trop parfois. Je déteste direcela à son sujet parce qu’elle fait deson mieux et elle est ma mère et jel’aime, mais je voudrais qu’elle soitplus forte, tu comprends ?

Me souvenant de sa mère, j’ai hochéla tête.

– Qu’en dis-tu de ton père ?

– La même chose, mais d’une manièredifférente. Il évite le sujet. Il ne veutpas du tout en parler. Quand noussommes ensemble, il parle du ranchou mon travail, mais pas de Tim. C’estcomme s’il essaie de ra raperl’incessante inquiétude de maman,mais il ne demande jamais ce qui sepasse ou comment je me sens. (Ellesecoua la tête.) Et puis il y a Alan. Timest si bon avec lui, et je voudraispenser que je m’améliore avec lui,mais… il y a des moments où ilcommence à se faire mal ou casserdes choses, et je finis par pleurerparce que je ne sais pas quoi faire. Ne

te méprends pas, j’essaie, mais je nesuis pas Tim, et nous le savons tousles deux.

Ses yeux tenaient les miens un instantavant que je ne détourne les yeux. J’aipris une gorgée de thé en essayantd’imaginer ce qu’était sa viemaintenant.

– Tim t’a raconté ce qui se passe ?Avec son mélanome ?

– Un peu, ai-je dit. Pas assez pourconnaître toute l’histoire. Il m’a ditqu’il avait trouvé un grain de beautéet qu’il saignait. Il l’a oublié pendantun certain temps, puis il estfinalement allé consulter un médecin.

Elle hocha la tête.

– C’est une de ces choses folles, n’est-ce pas ? Je veux dire, si Tim a passébeaucoup de temps au soleil, peut-être j’aurais pu le comprendre. Maisc’était derrière sa jambe. Tu leconnais, peux-tu l’imaginer enbermuda ? Il ne porte presque jamaisde short, même à la plage, et il esttoujours celui qui nous harcèle ausujet de la crème solaire. Il ne boitpas, il ne fume pas, il est prudent avecce qu’il mange. Mais pour une raisonquelconque, il a eu le mélanome. Ilsont coupé la zone autour du grain debeauté, et en raison de sa taille, ilsont enlevé dix-huit de ses ganglions

lympha ques. Sur les dix-huit, unétait posi f pour le mélanome. Il acommencé l’interféron – c’est letraitement standard et cela a duré unan – et nous avons essayé de resterop mistes. Mais alors, les choses ontse sont gâtées. D’abord avecl’interféron, et puis quelquessemaines après la chirurgie, il a euune cellulite près de l’incision à l’aine.

Quand j’ai froncé les sourcils, elle sereprit.

– Désolée. Je suis tellement habituéede parler aux médecins ces jours-ci. Lacellulite est une infec on de la peau,et celle de Tim était assez grave. Il apassé dix jours dans l’unité des soins

intensifs pour cela. Je pensais quej’allais le perdre, mais c’est uncomba ant, tu sais ? Il a passé àtravers et a con nué avec sontraitement, mais le mois dernier, nousavons trouvé des lésions cancéreusesprès du lieu de son mélanomed’origine. Cela, bien sûr, signifiait uneautre chirurgie, mais pire encore, celasignifiait que l’interféron ne marchaitprobablement pas aussi bien qu’il ledevrait. Donc, il a obtenu un scan etun IRM, et bien sûr, ils ont trouvé descellules cancéreuses dans sonpoumon.

Elle regarda dans sa tasse de thé. Jeme sentais sans voix et dégoûté, et

pendant un long moment, nous étionstranquilles.

– Je suis désolé, ai-je finalementchuchoté.

Mes mots l’ont encouragée.

– Je ne vais pas abandonner, dit-elle,sa voix commençant à se fissurer.C’est un homme bon. Il est doux etpa ent, et je l’aime tellement. Cen’est pas juste. Nous sommes mariésdepuis moins que deux ans.

Elle m’a regardé et pris quelquesrespira ons profondes, en essayantde retrouver son sang-froid.

– Il doit sor r d’ici. Sor r de cethôpital. Tout ce qu’ils peuvent faire

ici, c’est l’interféron et comme je l’aidit, ça ne marche pas comme il sedoit. Il doit aller quelque part, commeMD Anderson ou la clinique Mayo, ouJohns Hopkins University. Il y a unerecherche de pointe en con nu dansces endroits. Si l’interféron nefonc onne pas, il pourrait y avoir unautre médicament qu’ils peuventajouter – ils sont toujours à essayerdifférentes combinaisons– même s’ilselles sont expérimentales. Ils font deschimiothérapies et des essaiscliniques à d’autres endroits. MDAnderson est censé commencer àtester un vaccin en novembre. Paspour la préven on comme la plupart

des vaccins, mais pour le traitement,et les données préliminaires ontmontré de bons résultats. Je veuxqu’il fasse partie de cela.

– Alors, allez-y ! l’ai-je invité.

Elle eut un rire bref.

– Ce n’est pas aussi simple que ça.

– Pourquoi ? Ça me semble assez clair.Une fois qu’il est sor d’ici, voussautez dans la voiture et vous y allez.

– Notre assurance ne paiera pas pourça, a-t-elle dit. Pas maintenant, detoute façon. Il ob ent les soinsstandards appropriés – et crois-le oupas, la compagnie d’assurances a étéassez réac ve à ce jour. Ils ont payé

pour toutes les hospitalisa ons, toutl’interféron, et toutes les dépensessupplémentaires sans tracas. Ils m’ontmême a ribué une aide sociablepersonnelle, et crois-moi, elle estsympathique à notre sort. Mais il n’y arien qu’elle peut faire, car notremédecin pense qu’il vaut mieux quenous donnons un peu plus de temps àl’interféron. Aucune compagnied’assurance dans le monde ne paierapour des traitements expérimentaux.Et pas un assureur ne consen ra àpayer pour des traitements en dehorsde la norme standard des soins, enpar culier s’ils sont dans d’autresÉtats, et tentent de nouvelles choses

à tout hasard qui pourraitfonctionner.

– Poursuivez-les en justice.

– John, notre assureur n’a pas ba uun cil à tous les coûts pour les soinsintensifs et les hospitalisa onssupplémentaires, et la réalité, c’estque Tim ob enne le traitementapproprié. La chose est que je ne peuxpas prouver que Tim irait mieux dansun autre endroit, en recevant destraitements alterna fs. Je pense queça pourrait l’aider, j’espère que ça luiviendra en aide, mais personne ne lesait avec cer tude. (Elle secoua latête.) Quoi qu’il en soit, même si je lespoursuivais en jus ce et que la

compagnie d’assurances finit parpayer tout ce que j’ai demandé, celaprendrait du temps... et c’est ce quenous n’avons pas. (Elle soupira.) Monpoint est que ce n’est pas seulementun problème d’argent, c’est unproblème de temps.

– De combien parles-tu ?

– Beaucoup. Et si Tim finit à l’hôpitalavec une infec on et dans l’unité desoins intensifs comme c’est déjàarrivé, je ne peux même pascommencer à l’imaginer. Plus que jene pourrais jamais espérer payer, c’estsûr.

– Que vas-tu faire ?

– Trouver de l’argent, dit-elle. Je n’aipas le choix. Et la communauté a étéfavorable. Dès que le mot au sujet deTim s’est répandu, il y a eu unreportage aux nouvelles locales etdans le journal, et toute la popula onde la ville a promis de commencer àcollecter de l’argent. Ils ont ouvert uncompte bancaire spécial et tout. Mesparents ont aidé. L’endroit où nousavons travaillé a aidé. Les parents decertains des enfants avec qui nousavons travaillé ont aidé. J’ai entendudire qu’ils ont même mis des bocauxdans plusieurs commerces.

Mon esprit a flashé à la vue du bocalau bout du comptoir du bar Hal, le

jour de mon arrivée à Lenoir. J’avaisjeté quelques dollars, mais soudain,j’ai senti que c’était insuffisant.

– Êtes-vous proche ?

– Je ne sais pas, dit-elle en secouant latête, comme si elle était ré cente à ypenser. Tout cela a commencé il y apeu de temps, et depuis que Tim a euson traitement, je suis ici et au ranch.Mais nous parlons de beaucoupd’argent. (Elle écarta sa tasse de théet a offert un sourire triste.) Je ne saismême pas pourquoi je te dis toutcela. Je veux dire, je ne peux pasgaran r que n’importe quels de cesendroits peuvent même l’aider. Toutce que je peux te dire c’est que si

nous restons, je sais qu’il ne va passurvivre. Il pourrait ne pas survivreailleurs non plus, mais au moins, il y aune chance… et en ce moment, c’esttout ce que j’ai.

Elle s’arrêta, incapable de con nuer,regardant aveuglément la tabletachée.

– Tu veux savoir ce qui est le plus fou? demanda-t-elle finalement. Tu es leseul à qui j’ai dit cela. D’une certainefaçon, je sais que tu es la seulepersonne qui peut probablementcomprendre ce que je vis, sans avoir àme sen r de faire a en on à ce queje dis. (Elle leva sa tasse, puis lareposa.) Je sais que c’est injuste

compte tendu de ton père…

– C’est correct, l’ai-je rassurée.

– Peut-être, dit-elle. Mais c’est égoïstepareil. Tu essaies d’avancer à traverstes propres émo ons de la perte deton père, et je suis ici à te surchargeravec les miennes de quelque chosequi pourrait arriver ou pas.

Elle se retourna pour regarder par lafenêtre de la cafétéria, mais je savaisqu’elle ne voyait pas la pelouses’étalant devant.

– Hey, ai-je dit en prenant sa main. Jete l’ai dit. Je suis content que tu mel’aies dit, ne serait-ce que poursoulager ton coeur.

Après un moment, Savannah haussales épaules.

– Donc, c’est nous, hein ? Deuxsoldats blessés en quête de soutien.

– Cela semble à peu près exact.

Elle leva ses yeux pour rencontrer lesmiens.

– Nous sommes chanceux, murmurait-elle.

Malgré tout, je sentais mon coeursauter un battement.

– Ouais, ai-je dit. Nous sommeschanceux.

Nous avons passé la plupart del’après-midi dans la chambre de Tim.Il dormait quand nous sommesarrivés, s’est réveillé pendantquelques minutes, puis se rendormit.Alan veillait au pied du lit, ignorantma présence alors qu’il se concentraitsur son frère. Savannah restait enalternance à côté de Tim sur le lit ouassise dans le fauteuil à côté du mien.Quand elle était proche, nous avonsparlé de l’état de Tim, du cancer de lapeau en général, des spécificités destraitements de remplacementpossibles. Elle avait passé dessemaines à faire des recherches surInternet et connaissait les détails de

chaque essai clinique en cours. Sa voixn’a jamais dépassé le murmure; ellene voulait pas qu’Alan l’entende. Aumoment où elle a terminé, j’en savaisplus sur le mélanome que jel’imaginais possible.

Il était un peu après l’heure du dînerquand Savannah est finalementpar e. Tim avait dormi pendant laplupart de l’après-midi, et par la façontendre qu’elle l embrassa avant depar r, je savais qu’elle croyait qu’ildormirait ainsi toute la nuit. Ellel’embrassa une seconde fois, puis luiserra la main et fit signe vers la porte.Nous sommes sortis tranquillement.

– Allons à la voiture, dit-elle une fois

que nous étions à l’extérieur.

– Vas-tu revenir ?

– Demain. S’il se réveille, je ne veuxpas lui donner une raison de penserqu’il doit rester éveillé. Il a besoin derepos.

– Qu’en est-il d’Alan ?

– Il est monté avec son vélo, dit-elle. Ilvient ici chaque ma n et revient tarden soirée. Il ne viendra pas avec moi,même si je lui demande. Mais peuimporte. Il fait la même chose depuisdes mois maintenant.

Quelques minutes plus tard, nousavons qui é le parking de l’hôpital etnous tourna dans le trafic du soir. Le

ciel était d’un gris épais et de lourdsnuages étaient sur l’horizon, ce quiprésageait les mêmes types d’oragesde la côte. Savannah était perduedans ses pensées et parlait peu. Dansson visage, je voyais le mêmeépuisement que je sentais. Je nepouvais pas imaginer d’avoir à revenirle lendemain, et le surlendemain, touten sachant qu’il existait unepossibilité qu’il puisse aller mieuxailleurs.

Lorsque nous sommes arrivés, j’airegardé Savannah et j’ai remarquéune larme couler lentement sur sajoue. Voir cela a presque brisé moncoeur, mais quand elle m’a vu la

regarder, elle a balayé à toute volée lalarme d’un air surpris. J’ai sta onné lavoiture sous le gros arbre à côté de lavieille camionne e. À ce moment-là,les premières gou es de pluiecommençaient à frapper le pare-brise.

Comme nous res ons là sans riendire, je me demandais encore si c’étaitun au revoir. Avant que je ne puissepenser à dire quelque chose,Savannah se tourna vers moi.

– As-tu faim ? Il y a une tonne denourriture dans le réfrigérateur.

Quelque chose dans son regard m’aprévenu que je devrais refuser, maisje me suis retrouvé à hocher la tête.

– J’aimerais avoir quelque chose àmanger, ai-je dit.

– J’en suis heureuse, dit-elle d’une savoix douce. Je ne veux pas vraimentêtre seule ce soir.

Nous sommes sor s de la voiturecomme la pluie a commencé à tomberplus durement. Nous avons pris unélan vers la porte d’entrée, mais letemps d’avoir a eint le porche, jepouvais sen r l’humidité à travers le

ssu de mes vêtements. Molly nous aentendus, et comme Savannah poussala porte, le chien a bondi devant moipar la cuisine à ce que j’ai supposéêtre la salle de séjour. Comme jeregardais le chien, j’ai pensé à mon

arrivée la veille et combien le tempsavait changé depuis que nous avionsété séparés. C’en était trop à traiter.Comme lorsque j’étais en patrouilleen Irak, je me suis endurci pour meconcentrer uniquement sur le présenttout en restant a en f à ce quipourrait arriver après.

– Nous avons un peu de tout, a-t-ellelancé sur son chemin vers la cuisine.C’est ainsi que ma mère traite toutcela. En faisant de la cuisine. Nousavons du ragoût, du chili, du pâté aupoulet, du porc grillé, de la lasagne…

Elle passa la tête hors du réfrigérateurtandis que je suis entré dans lacuisine.

– Est-ce que quelque te sembleappétissant ?

– Cela n’a pas d’importance, ai-je dit.Tout ce que tu voudras.

À ma réponse, j’ai vu un flash dedécep on sur son visage et suimmédiatement qu’elle était fa guéed’avoir à prendre des décisions. Je mesuis raclé la gorge.

– Les lasagnes sonnent bien.

– D’accord, a-t-elle dit. Je prépare celatout de suite. Es-tu super affamé oujuste affamé ?

J’y ai pensé.

– Affamé, je suppose.

– Salade ? J’ai quelques olives noireset des tomates que je pourraisajouter. C’est génial avec de lavinaigrette ranch et des croûtons.

– Cela semble parfait.

– Très bien, dit-elle. Ce ne sera paslong.

J’ai regardé Savannah comme ellesortait une tête de laitue et unetomate dans le roir du bas duréfrigérateur. Elle les rinça sous lerobinet, coupa les tomates en dés etla laitue, puis les ajouta dans un bolen bois. Puis elle couronna la saladeavec des olives et la posa sur la table.Elle déposa de généreuses portions de

lasagnes sur deux assie es puis passala première au micro-ondes. Il y avaitune qualité constante de sesmouvements, comme si elle trouvaitce e simple tâche à portée de lamain.

– Je ne sais pas pour toi, mais jepourrais prendre un verre de vin, dit-elle en soulignant un petit support surle comptoir près de l’évier. J’ai unagréable Pinot Noir.

– Je vais essayer cela, ai-je dit. As-tubesoin de moi pour l’ouvrir ?

– Non, ça va aller. Mon re-bouchonest très efficace.

Elle ouvrit la bouteille et en versa

dans deux verres. Bientôt, elle étaitassise en face de moi, nos assie esdevant nous. Les lasagnes dégageaientde la vapeur, et l’arôme m’a rappelécombien j’étais affamé. Après avoirpris une première bouchée, je fis signevers elle avec ma fourchette.

– Wow ! C’est délicieux.

– Ça l’est, n’est-ce pas ?

Au lieu de prendre une bouchée,cependant, elle a pris une gorgée devin.

– C’est aussi le repas préféré de Tim.Après que nous nous sommes mariés,il suppliait toujours ma mère pour luien faire un plat. Elle adore cuisiner, et

ça la rend heureuse de voir les gensaimer sa nourriture.

De ma place, je la regardais alorsqu’elle passait son doigt autour dubord de son verre. Le vin rouge serefléta par la lumière comme lafacette d’un rubis.

– Si tu en veux encore, j’en ai encorebeaucoup, a-t-elle ajouté. Crois-moi,tu me ferais une faveur. La plupart dutemps, la nourriture se perd. Je saisque je devrais lui dire d’en apportermoins, mais elle ne le prendrait pasbien.

– C’est difficile pour elle, ai-je dit. Ellesait que tu es malheureuse.

– Je sais.

Elle a pris un autre verre de vin.

– Tu vas manger, n’est-ce pas ? dis-jeen faisant signe à son assiette intacte.

– Je n’ai pas faim, dit-elle. C’esttoujours comme ça quand Tim est àl’hôpital… je réchauffe quelque chose,je me réjouis de manger, mais dès quec’est devant moi, mon estomac seferme.

Elle regarda son assiette comme si elleessayait, puis secoua la tête.

– Fais-moi plaisir, ai-je exhorté.Prends une bouchée. Tu dois manger.

– Ça va bien aller.

Je me suis arrêté, ma fourche e à mi-chemin.

– Fais-le pour moi, alors. Je ne suispas habitué à ce que les gens meregarde manger. Ça me fait sen rbizarre.

– Très bien.

Elle ramassa sa fourche e, coupa unminuscule morceau et a pris unebouchée.

– Heureux maintenant ?

– Oh oui, ai-je reniflé. C’estexactement ce que je voulais dire.Cela me fait sen r beaucoup plus àl’aise. Pour le dessert, peut-êtrepouvons-nous diviser deux ou trois

mie es. D’ici là, cependant, con nuede tenir ta fourche e et fairesemblant.

Elle se mit à rire.

– Je suis heureuse que tu sois ici, dit-elle. Ces jours-ci, tu es la seulepersonne à qui viendrait l’idée de meparler comme ça.

– Comme ça ? Honnêtement ?

– Oui, dit-elle. Crois-le ou pas, c’estexactement ce que je voulais dire, a-t-elle dit en posa sa fourche e puisrepoussa son assie e, ignorant mademande. Tu as toujours été bon avecça.

– Je me rappelle la même chose de

toi.

Elle jeta sa serviette sur la table.

– C’était de bons jours, hein ?

La façon dont elle me regardait a faitque le passé s’est précipité dans matête, et pendant un moment, j’airevécu chaque émo on, chaqueespoir et le rêve que je n’avais jamaiseus pour nous. Elle était une fois deplus la jeune femme que j’avaisrencontrée sur la plage avec sa viedevant elle, une vie dont je voulaisfaire partie.

Puis elle passa une main dans sescheveux, faisant refléter la bague àson doigt à la lumière. Je baissai les

yeux, en me concentrant sur monassiette.

– Quelque chose comme ça.

Je pris une bouchée en essayantd’effacer ces images. Dès que j’ai étécapable, je me suis de nouveauattaqué à la lasagne.

– Qu’est-ce qui ne va pas ? a-t-elledemandé. Est-ce que tu es fâché ?

– Non.

– Tu sembles fâché.

Elle était la même femme que je mesuis souvenu – sauf qu’elle étaitmariée. J’ai pris une gorgée de vind’un trait, et j’ai remarqué qu’elle

était l’équivalente de toutes lesgorgées qu’elle avait prises. Je me suispenché sur ma chaise.

– Pourquoi suis-je ici, Savannah ?

– Je ne sais pas ce que tu veux dire.

– Ceci, ai-je dit, faisant signe autourde la cuisine. Me demander de venirdîner, même si tu ne mangeras pas. Sesouvenir des vieux jours. Qu’est-ce quise passe ?

– Rien, a-t-elle insisté.

– Alors qu’est-ce que c’est ? Pourquoim’as-tu invité ?

Au lieu de répondre à la ques on, ellese leva et remplis de nouveau son

verre de vin.

– Peut-être que j’avais juste besoin deparler à quelqu’un, murmurait-elle.Comme je l’ai dit, je ne peux pas enparler à ma mère ou mon père; je nepeux même pas parler à Tim commeça. (Elle avait l’air presque vaincue.)Tout le monde a besoin de quelqu’unà qui parler.

Elle avait raison, et je le savais. C’étaitla raison pour laquelle j’étais venu àLenoir.

– Je comprends, ai-je dit en fermantles yeux, et lorsque je les rouvris, jepouvais sen r Savannah m’examiner.C’est juste que je ne suis pas sûr de

quoi faire de tout cela. Le passé.Nous. Toi étant mariée. Même ce quiarrive à Tim. Rien de tout cela ne faitbeaucoup de sens.

Son sourire était plein de chagrin.

– Et tu penses que cela fait un senspour moi ?

Lorsque je n’ai rien dit, elle a mis decôté son verre.

– Tu veux savoir la vérité ? a-t-elledemandé, n’a endant pas uneréponse. Je ne fais qu’essayer depasser à travers la journée avecsuffisamment d’énergie pour faireface à demain. (Elle ferma les yeuxcomme si l’admettre était douloureux,

puis les rouvrit.) Je sais ce que tu senstoujours pour moi, et je serais raviede te dire que j’ai un certain désirsecret de savoir tout ce que tu as vécudepuis que je t’ai envoyé ce eterrible le re, mais pour être honnête? (Elle hésita.) Je ne sais pas si je veuxréellement le savoir. Tout ce que jesais, c’est que lorsque tu es apparuhier, je me sentais… eh bien. Pasgéniale, pas bien, mais pas trop malnon plus. Et c’est la chose. Pendantles six derniers mois, tout ce que j’aifait me faisait sen r mal. Je meréveille tous les jours nerveuse,tendue, en colère, frustrée et terrifiéeque je vais perdre l’homme que j’ai

épousé. Je me sens ainsi jusqu’à ceque le soleil se couche, poursuivit-elle. Chaque jour, au cours des sixderniers mois. C’est ma vie en cemoment, mais le plus dur, c’est qu’àpartir de maintenant, je sais que ça nefera qu’empirer. Maintenant, il y a laresponsabilité supplémentaired’essayer de trouver un moyen desauver la vie de mon mari. D’essayerde trouver un traitement qui pourraitl’aider. D’essayer de sauver sa vie.

Elle s’arrêta et me regarda de près, enessayant de mesurer ma réaction.

Je savais qu’il y avait des mots pourréconforter Savannah, mais commed’habitude, je ne savais pas quoi dire.

Tout ce que je savais c’était qu’elleétait toujours la femme de qui je suisune fois tombé amoureux, la femmeque j’aimais toujours, mais que je nepourrais jamais avoir.

– Je suis désolée, a-t-elle finalementdit, sonnant dépassée. Je ne veux paste me re sur la selle e. (Elle eut unsourire fragile.) Je voulais juste que tusaches que je suis contente que tusois ici.

Je me suis concentré sur le grain dubois de la table, en essayant de gardermes sentiments cachés.

– Bien, ai-je dit.

Elle errait vers la table. Elle a ajouté

un peu de vin à mon verre, comme sij’allais encore boire après ce econfession.

– Je vide mon coeur et tout ce que medit est « bien » ?

– Que veux-tu que je te dise ?

Savannah se détourna puis se dirigeavers la porte de la cuisine.

– Tu aurais pu dire que tu es contentd’être venu aussi, dit-elle d’une voix àpeine audible.

Avec cela, elle avait disparu. Je n’aipas entendu la porte s’ouvrir, doncj’ai supposé qu’elle était par e dansla salle de séjour.

Son commentaire m’a dérangé, maisje n’étais pas sur le point de la suivre.Les choses avaient changé entre nous,et il n’y avait aucun moyen qu’ellespuissent être ce qu’elles étaientautrefois. J’ai englou les lasagnesdans ma bouche avec un méprisobs né, me demandant ce qu’ellevoulait de moi. Elle était la personnequi avait envoyé la le re, elle étaitcelle qui avait tout arrêté. Elle étaitcelle qui s’est mariée. É ons-noussupposés de faire comme si rien detout cela ne s’était passé ?

J’ai fini de manger et ai amené lesdeux assie es à l’évier et les airincées. Par la fenêtre éclaboussée par

la pluie, j’ai vu ma voiture et je savaisque je devrais simplement par r sansregarder en arrière. Ce serait plusfacile de ce e façon pour nous deux.Mais quand j’ai a eint mes pochespour prendre les clés, je me suis figé.Au crépitement de la pluie sur le toit,j’ai entendu un son de la salle deséjour, un son qui a désamorcé macolère et ma confusion. J’ai réaliséque Savannah pleurait.

J’ai essayé d’ignorer le son, mais je nepouvais pas. En prenant mon vin, jesuis entré dans la salle de séjour.

Savannah était assise sur le canapé,s’agrippant au verre de vin dans sesmains. Elle leva les yeux comme je

suis entré.

Dehors, le vent avait commencé àprendre de la vigueur, et la pluie acommencé à tomber de plus en plusfort. Au-delà de la vitre de la salle deséjour, la foudre a é ncelé, suivi parle grondement régulier du tonnerre,long et bas.

Prenant une place à côté d’elle, j’aimis mon verre sur la table basse etregarda autour de la pièce. Ausommet du manteau de la cheminéeétait posées des photographies deSavannah et Tim le jour de leurmariage : une où ils coupaient legâteau et une autre prise à l’église.Elle rayonnait, et je me suis retrouvé à

souhaiter que j’étais à côté d’elledans la photo.

– Désolée, dit-elle. Je sais que je nedevrais pas pleurer, mais je ne peuxpas m’en empêcher.

– C’est compréhensible, ai-jemurmuré. Tu as enduré beaucoup dechoses.

Dans le silence, j’ai écouté la pluies’abattre sur les vitres.

– C’est tout qu’une tempête, ai-jeobservé en lâchant des mots dans unsilence tendu.

– Oui, dit-elle en écoutant à peine.

– Penses-tu qu’Alan va pouvoir

revenir ?

Elle tapa ses doigts contre le verre.

– Il ne sor ra pas jusqu’à ce qu’ilarrête de pleuvoir. Il n’aime pas lafoudre. Mais cela ne devrait pas durerlongtemps. Le vent poussera latempête vers la côte. Au moins, c’estainsi que ça se passe ces dernierstemps. (Elle hésita.) Tu te rappelles dece e tempête quand nous nousé ons assis ? Quand je t’ai emmené àla maison que nous avons construite ?

– Bien sûr.

– Je pense toujours à ce e nuit.C’était la première fois que je t’ai ditque je t’aimais. Je me souvenais de

cette nuit, l’autre jour. J’étais assise icicomme je le suis maintenant. Timétait à l’hôpital, Alan était avec lui, ettandis que je regardais la pluie, toutm’est revenu. Le souvenir était si vifque j’ai pensé qu’il venait d’arriver. Etpuis, la pluie s’est arrêtée et je savaisqu’il était temps que j’aille nourrir leschevaux. J’étais de retour dans ma vienormale, et j’ai immédiatement penséque je venais d’imaginer tout cela.Comme si cela était arrivé à quelqu’und’autre, quelqu’un que je ne connaismême plus désormais. (Elle se penchavers moi.) De quoi tu te rappelles ?

– De tout, ai-je dit.

Elle me regarda en dessous de ses cils.

– Rien ne se perd ?

La tempête a l’extérieur a paraître lapièce sombre et in me, et je sentaisun frisson d’an cipa on coupable enpensant à où tout cela pourrait nousmener. Je la voulais autant que je n’aijamais voulu quelqu’un, mais dans lefond de mon esprit, je savais queSavannah n’était pas la mienne. Jepouvais sen r la présence de Timautour de moi, et je savais qu’ellen’était pas tout à fait elle-même.

J’ai pris une gorgée de vin, puis posale verre sur la table.

– Non, ai-je dit en gardant ma voixferme. Rien ne se perd. Mais c’est

pour cela que tu as toujours vouluque je regarde la lune, n’est-ce pas ?Pour que je puisse me souvenir detout ?

Ce que je n’ai pas dit, c’est que je sorsencore pour regarder la lune, etmalgré la culpabilité que je ressentaisd’être ici, je me demandais si elle lefaisait aussi.

– Tu veux savoir ce dont je mesouviens le plus ? a-t-elle demandé.

– Quand j’ai cassé le nez de Tim ?

– Non.

Elle rit puis redevint sérieuse.

– Je me souviens des fois où nous

sommes allés à l’église. Tu te rendscompte que ce sont les seules fois oùje ne t’ai vu porter une cravate ? Tudevrais t’habiller ainsi plus souvent.Tu avais bonne mine.

Elle semblait réfléchir avant detourner ses yeux sur moi à nouveau.

– Vois-tu quelqu’un ?

– Non.

Elle hocha la tête.

– C’est ce que je pensais. J’ai supposéque tu en aurais parlé.

Elle se tourna vers la fenêtre. Dans ladistance, je pouvais voir l’un deschevaux galoper sous la pluie

– Je vais aller les nourrir un peu plustard. Je suis sûre qu’ils se demandentdéjà où je suis.

– Ils vont bien, l’ai-je assurée.

– Facile à dire pour toi. Fais-moiconfiance, ils peuvent devenir aussi demauvaise humeur que les humainsquand ils ont faim.

– Cela doit être difficile de tout gérerseule.

– Ça l’est. Mais qu’est-ce que je peuxfaire ? Au moins, notre employeur aété compréhensif. Tim est en congé demaladie, et chaque fois qu’il est àl’hôpital, ils m’ont laissé prendre letemps que j’ai besoin. (Puis, d’un ton

taquin, elle ajouta :) Comme dansl’armée, n’est-ce pas ?

– Oh, oui. C ’est exactement la mêmechose.

Elle eut un pe t rire, puis est devenuesobre à nouveau.

– Comment c’était en Irak ?

J’étais sur le point de faire ma blaguehabituelle sur le sable, mais au lieu decela, j’ai dit :

– C’est difficile à décrire.

Savannah a a endu, et je me suisétendu pour prendre mon verre devin. Même avec elle, je n’étais pas sûrque je voulais en parler. Mais quelque

chose se passait entre nous, quelquechose que je voulais et pourtant, queje ne voulais pas. Je me suis forcé àregarder la bague de Savannah etd’imaginer la trahison qu’elleressen rait sans doute plus tard. Jefermai les yeux et j’ai commencé avecla nuit de l’invasion.

Je ne sais pas combien de temps j’aiparlé, mais c’était assez long pour quela pluie ait pris fini. Avec le soleil à ladérive dans sa lente descente,l’horizon brillait des couleurs d’un arc-en-ciel. Savannah a rempli son verre.Au moment où j’ai terminé, j’ai étéen èrement dépassé et je savais queje n’en parlerais jamais de nouveau.

Savannah était restée calme pendantque je parlais, posant une ques on àl’occasion pour me faire savoir qu’elleécoutait tout ce que je disais.

– C’est différent de ce que j’avaisimaginé, a-t-elle fait remarquer.

– Oui ? demandai-je.

– Lorsque tu parcours les tres ou lisles histoires, la plupart du temps, lesnoms des soldats et les villes en Iraksont juste des mots. Mais pour toi,c’est personnel… c’est vrai. Peut-êtretrop réel.

Je n’avais rien à ajouter, et je sen s samain a eindre la mienne. Sontoucher a fait sauter quelque chose

en moi.

– Je souhaite que tu n’aies jamais dûpasser par tout cela.

J’ai serré sa main et sen sa réponse.Quand elle m’a finalement lâché, lasensa on de son toucher s’a ardait,et comme une vieille habituderetrouvée, je la regardais me re unemèche de cheveux derrière sonoreille. La vue me faisait mal.

– C’est étrange comment le des nfonc onne, dit-elle, sa voix presqueun chuchotement. As-tu imaginé queta vie se passerait ainsi ?

– Non.

– Moi non plus, dit-elle. Lorsque tu es

retourné en Allemagne la premièrefois, je savais juste que toi et moiallions nous marier un jour. J’étaisplus sûre de cela que tout dans mavie.

J’ai regardé mon verre comme ellecontinuait.

– Et ensuite, à ta deuxièmepermission, j’ai été encore plus sûre.En par culier après que nous ayonsfait l’amour.

– Ne fais pas ça, ai-je dit en secouantla tête. Il ne faut pas parler de ça.

– Pourquoi ? a-t-elle demandé. Leregrettes-tu ?

– Non.

Je ne pouvais pas la regarder.

– Bien sûr que non. Mais tu es mariée,maintenant.

– Mais c’est arrivé, a-t-elle dit. Veux-tuque je l’oublie ?

– Je ne sais pas, ai-je dit. Peut-être.

– Je ne peux pas, dit-elle, surprise etblessée. C’était ma première fois. Jene l’oublierai jamais, et à sa manière,ce sera toujours spécial pour moi. Cequi s’est passé entre nous était beau.

Je n’avais pas confiance en moi pourrépondre, et après un moment, ellesemblait se replier sur elle-même. Ense penchant en avant, elle ademandé :

– Quand tu as découvert que j’avaisépousé Tim, qu’est-ce que tu as pensé?

J’ai a endu pour répondre, voulantchoisir mes mots avec soin.

– Ma première pensée fut que dansun sens, c’était logique. Il était enamour avec toi depuis des années. Jel’ai su à par r du moment où je l’airencontré. (J’ai passé une main surmon visage.) Après cela, je mesentais… en conflit. J’étais heureuxque tu aies choisi quelqu’un commelui, parce qu’il est un gars sympa etvous avez beaucoup de choses encommun, mais j’étais juste… triste. Ilne nous restait plus beaucoup de

temps. J’aurais été libéré de l’arméedepuis presque deux ans maintenant.

Elle serra les lèvres ensemble.

– Je suis désolée, murmurait-elle.

– Je le suis aussi. (J’ai essayé desourire.) Si tu veux mon opinionhonnête, je pense que tu aurais dûm’attendre.

Elle se mit à rire d’un air incertain, etj’ai été surpris par le regard d’enviesur son visage. Elle s’est étendue pourprendre son verre de vin.

– J’ai pensé à ça aussi. Où nousaurions été, où nous aurions vécu, ceque nous ferions de nos vies. Enpar culier dernièrement. La nuit

dernière, après que tu sois par , c’esttout ce que je pouvais penser. Je saiscomment ça semble épouvantable,mais les deux dernières années, j’aiessayé de me convaincre que même sinotre amour était réel, il n’auraitjamais duré. (Son expression étaitdésespérée.) Tu m’aurais vraimentépousée, n’est-ce pas ?

– En un clin d’oeil. Et je le feraistoujours si je pouvais.

Le passé semblait soudain peser surnous, nous submergeant dans sonintensité.

– C’était réel, n’est-ce pas ? (Sa voixavait un tremblement.) Toi et moi ?

La lumière grise du crépuscule sereflétait dans ses yeux alors qu’ellea endait ma réponse. Dans lesinstants qui se sont écoulés, j’ai senle poids du pronos c de Timsuspendu au-dessus de nous deux.Mes pensées étaient morbides etmauvaises, mais elles étaient là quandmême. Je me détestais pour penser àla vie après Tim, éloignant ensuitecette pensée.

Pourtant, je ne pouvais pas. Je voulaisprendre Savannah dans mes bras, latenir, reprendre tout ce que nousavions perdu dans nos annéesséparées. Ins nc vement, j’aicommencé à me pencher vers elle.

Savannah savait ce qui allait arriver,mais n’a pas reculé. Pas au début.Comme mes lèvres s’approchaient dessiennes, elle se retourna vivement etle vin qu’elle tenait nous éclaboussa.

Elle sauta sur ses pieds, posant sonverre sur la table et éloignant sonchemisier de sa peau.

– Je suis désolé, ai-je dit.

– Ça va, dit-elle. Je vais me changer. Jedois empêcher ce e absorp on. C’estl’un de mes favoris.

– D’accord, ai-je dit.

Je l’ai regardée qui er la salle deséjour et descendre le couloir. Elle setourna dans sa chambre sur la droite,

et quand elle a disparu, j’ai maudit.J’ai secoué la tête à ma proprestupidité, puis j’ai alors remarqué levin sur ma chemise. Je me restédebout et j’ai commencé à marcherdans le couloir à la recherche de lasalle de bains.

En tournant une poignée de porte auhasard, je suis tombé nez à nez avecmoi-même dans le miroir de la sallede bains. Dans son reflet, je pouvaisvoir Savannah par la porteentrouverte de sa chambre. Elle étaittorse nu, son dos à moi, et même sij’ai essayé, je ne pouvais pas medétourner.

Elle dut sen r mon regard sur elle, car

elle regarda par-dessus son épaule. Jepensais qu’elle allait tout à coupfermer la porte ou se couvrir, maiselle n’a rien fait. Au lieu de cela, elle aa rapé mes yeux et les a tenus,tandis que je con nuais de laregarder. Et puis, lentement, elle seretourna vers moi.

Nous é ons là en face de l’autre àtravers le reflet dans le miroir, avecseulement le chemin étroit du couloirqui nous séparait. Ses lèvres ont étéséparées un peu, et elle releva un peuson menton; je savais que si je vivaismille ans, je n’oublierais jamais à quelpoint elle était exquise à ce moment-là. Je voulais traverser le couloir et

aller vers elle, sachant qu’elle mevoulait autant que je la voulais. Maisje suis resté là où j’étais, figé par lapensée qu’elle allait un jour me haïrpour ce que nous voulions siévidemment.

Et Savannah, qui me connaissaitmieux que quiconque, baissa les yeuxcomme si tout à coup elle en venait àla même conclusion. Elle se retournacomme la porte d’entrée s’estsoudainement ouverte et j’ai entenduun hurlement percer l’obscurité.

Alan…

Je me suis tourné et me précipita versla salle de séjour; Alan avait déjà

disparu dans la cuisine, et je pouvaisentendre les portes d’armoiress’ouvrir et claquer pendant qu’ilcon nuait à hurler, presque commes’il était en train de mourir. Je me suisarrêté, ne sachant pas quoi faire. Uninstant plus tard, Savannah seprécipita devant moi, rant sachemise en place.

– Alan ! J’arrive ! a-t-elle crié, sa voixfrénétique. Tout va bien aller !

Alan a con nué à hurler et lesarmoires ont continué à claquer.

– As-tu besoin d’aide ? ai-je demandé.

– Non. Laisse-moi gérer cela. Ça arriveparfois quand il rentre de l’hôpital.

Comme elle se précipita dans lacuisine, je pouvais à peine l’entendrecommencer à lui parler. Sa voix étaitpresque perdue dans la clameur, maisj’ai entendu la fermeté en elle, et enm’approchant, je pouvais la voir àcôté de lui, en essayant de le calmer.Cela ne semblait pas avoir d’effet, etje sentais l’envie de l’aider, maisSavannah est restée calme. Ellecon nua à lui parler régulièrement,puis posa une main sur le dessus de lasienne, en suivant le claquement desarmoires.

Finalement, après ce qui semblait uneéternité, le claquement a commencé àralen r et à devenir plus rythmé; puis

a ensuite lentement disparut. Les crisd’Alan ont suivi le même schéma. Lavoix de Savannah était plus doucemaintenant, et je pouvais davantageentendre les mots.

Je me suis assis sur le canapé.Quelques minutes plus tard, je melevai et allai à la fenêtre. C’étaitsombre; les nuages avaient passé, etau-dessus des montagnes étaient untourbillon d’étoiles. Curieux de savoirce qui se passait, je me suis déplacé àun endroit dans la salle de séjour quim’a donné un aperçu de la cuisine.

Savannah et Alan étaient assis sur leplancher de la cuisine. Son dos étaitappuyé contre les armoires, et Alan

posa sa tête sur sa poitrine commeelle passa une main dans ses cheveux.Il clignait rapidement des yeux,comme s’il était câblé pour êtretoujours en mouvement. Les yeux deSavannah brillaient avec des larmes,mais je pouvais voir son regardconcentré, et je savais qu’elle étaitdéterminée à ne pas lui faire savoircombien elle a été mal.

– Je l’aime, ai-je entendu dire Alan.

Fini la voix profonde de l’hôpital; ceciétait la douloureuse affirma on d’unpetit garçon effrayé.

– Je sais, mon chéri. Je l’aime aussi. Jel’aime tellement. Je sais que tu as

peur et j’ai peur aussi.

Je pouvais entendre dans sa voix àquel point elle le pensait.

– Je l’aime, répétait Alan.

– Il sera sor de l’hôpital dansquelques jours. Les médecins fonttout ce qu’ils peuvent.

– Je l’aime.

Elle l’embrassa sur le sommet de satête.

– Il t’aime aussi, Alan. Et moi aussi. Etje sais qu’il a hâte de monter à chevalavec toi à nouveau. Il me l’a dit. Et ilest si fier de toi. Il me le dit tout letemps que tu fais un bon travail ici.

– J’ai peur.

– Moi aussi, mon chéri. Mais lesmédecins font tout ce qu’ils peuvent.

– Je l’aime.

– Je sais. Je l’aime aussi. Plus que tune peux l’imaginer.

J’ai con nué à les regarder, sachanttout à coup que je n’avais rien à faireici. Tout le temps que je me tenais là,Savannah n’a jamais levé les yeux, etje me sentais hanté par tout ce quenous avions perdu.

J’ai tapoté ma poche, pris mes clés, etme retourna pour par r en sentantdes larmes brûlantes l’arrière de mesyeux. J’ai ouvert la porte, et malgré le

fort grincement, je savais queSavannah n’entendrait rien.

Je suis par en me demandant si jen’avais jamais été aussi fa gué detoute ma vie. Et plus tard, alors que jeroulais vers mon motel et écoutait lavoiture ralen r comme j’a endais àun feu de circula on pour changer, jesavais que les passants verraient unhomme pleurer, un homme quipensait que ses larmes nes’arrêteraient jamais.

J’ai passé le reste de la soirée seuldans ma chambre de motel. À

l’extérieur, je pouvais entendre desétrangers passer devant ma porte, desbagages roulant derrière eux. Lorsquedes voitures tournaient dans leparking, ma chambre s’illuminaitmomentanément par des phareslançant des images fantoma quescontre les murs. Des gens sur la route,des gens avançant dans la vie. Commej’étais allongé sur le lit, je pensais àcela avec envie et je me demandais sije ne pourrais jamais faire la mêmechose.

Je n’ai pas pris la peine d’essayer dedormir. J’ai pensé à Tim, maisbizarrement, au lieu de la figureémaciée que j’avais vue dans la

chambre d’hôpital, je ne voyais que lejeune homme que j’avais rencontré àla plage, l’étudiant avec un sourirefacile pour tout le monde. J’ai pensé àmon père et je me demandais à quoiavaient ressemblé ses dernièressemaines. J’ai essayé d’imaginer lapersonne l’écouter parler de sespièces de monnaie et priait que ledirecteur avait eu raison quand il m’adit que mon père était décédépaisiblement dans son sommeil. J’aipensé à Alan et au monde étrangerqui habitait son esprit. Mais surtout,j’ai pensé à Savannah. J’ai rejoué lajournée que nous venions de passerensemble, et revenant sans cesse sur

le passé, en essayant d’échapper à unvide qui ne partirait pas.

Dans la ma née, j’ai regardé le soleilse lever, un marbre d’or émergeant dela terre. J’ai pris une douche et chargéle peu de biens que j’avais apporté àl’arrière dans la voiture. Au restaurantde l’autre côté de la rue, j’aicommandé un pe t-déjeuner, maisquand l’assie e est arrivée endégageant une vapeur d’eau devantmoi, je l’ai poussée de côté et me suisnourri d’une tasse de café en medemandant si Savannah était déjàdebout, à nourrir ses chevaux.

Il était neuf heures du ma n quand jesuis arrivé à l’hôpital. Je me suis

inscrit et pris l’ascenseur jusqu’autroisième étage; je marchais dans lemême couloir que j’avais emprunté laveille. La porte de Tim était à moi éouverte, et je pouvais entendre latélévision. Il m’a vu et a souri desurprise.

– Hé, John, a-t-il dit en éteignant latélévision. Entre. J’étais justement àtuer le temps.

Comme je me suis assis dans la mêmechaise que la veille, j’ai remarqué qu’ilavait meilleure mine. Il a lu é pours’asseoir plus haut dans le lit avant dese concentrer sur moi.

– Qu’est-ce qui t’amène ici si tôt ?

– Je me prépare à par r, ai-je dit. Jedois prendre un vol demain pourl’Allemagne. Tu sais comment c’est.

– Oui, je sais, a-t-il dit en hochant latête. J’ai bon espoir de sor r d’ici plustard aujourd’hui. J’ai eu une assezbonne nuit la nuit dernière.

– Bien, ai-je dit. Je suis heureux del’entendre.

Je l’ai étudié, à la recherche den’importe quel signe de suspiciondans son regard, la moindre idée dece qui avait faillir arriver la veille ausoir, mais je n’ai rien vu.

– Pourquoi es-tu réellement ici, John ?

– Je ne suis pas sûr, avouai-je. Je me

sentais comme si j’avais besoin de tevoir. Et que peut-être tu voulais mevoir aussi.

Il hocha la tête et se tourna vers lafenêtre. De sa chambre, il n’y avaitrien à voir, sauf une grande unité declimatisation.

– Tu veux savoir la pire chose au sujetde tout cela ? (Il n’a pas a endu uneréponse.) Je m’inquiète pour Alan, a-t-il dit. Je sais ce qui m’arrive. Je saisque les chances ne sont pas bonnes etqu’il y a une bonne chance que je nepasse pas au travers. Je peux acceptercela. Comme je te l’ai dit hier, j’aitoujours la foi ,et je sais, ou du moinsje l’espère, qu’il y a quelque chose de

mieux qui m’a end. Et Savannah… Jesais que si quelque chose m’arrive,elle sera anéan e. Mais tu sais ce quej’ai appris quand j’ai perdu mesparents ?

– Que cette vie n’est pas juste ?

– Oui, c’est bien sûr. Mais j’ai aussiappris qu’il est possible de con nuer,peu importe comment cela sembleimpossible, et qu’avec le temps, ledouleur… diminue. Elle ne peut jamaisdisparaître complètement, mais aprèsun certain temps, elle n’est pas aussiécrasante. C’est ce qui va arriver àSavannah. Elle est jeune et forte, etelle pourra avancer. Mais Alan… Je nesais pas ce qui va lui arriver. Qui va

prendre soin de lui ? Où va-t-il vivre ?

– Savannah va prendre soin de lui.

– Je sais qu’elle le ferait. Mais est-cejuste pour elle ? De s’a endre à cequ’elle assume cette responsabilité ?

– Ça ne comptera pas si c’est juste.Elle ne laissera rien lui arriver.

– Comment ? Elle va devoir travailler,qui va s’occuper d’Alan, alors ?Souviens-toi qu’il est jeune. Il aseulement dix-neuf ans. Dois-jem’a endre à ce qu’elle prenne soinde lui pendant les cinquanteprochaines années ? Pour moi, c’étaitsimple. C’est mon frère. MaisSavannah… (Il secoua la tête.) Elle est

jeune et belle. Est-ce qu’il est juste des’a endre à ce qu’elle ne me remariepas à nouveau ?

– Qu’est-ce que tu racontes ?

– Voudras-tu être son nouveau mariet prendre soin d’Alan ?

Lorsque je n’ai rien dit à cela, ilhaussa les sourcils.

– Le souhaites-tu ? a-t-il ajouté.

J’ai ouvert ma bouche pour répondre,mais aucun mot n’est sor . Sonexpression s’est adoucie.

– C’est à cela que je pense quand jesuis allongé ici. Quand je ne suis pasmalade, je veux dire. Je pense

réellement à beaucoup de choses. Toiy compris.

– Moi ?

– Tu l’aimes toujours, non ?

J’ai gardé mon expression régulière,mais il m’a lu de toute façon.

– C’est bien, a-t-il dit. Je le savais déjà.Je l’ai toujours su. (Il avait l’airpresque mélancolique.) Je peux merappeler le visage de Savannah lapremière fois qu’elle a parlé de toi. Jene l’avais jamais vue comme ça. J’étaisheureux pour elle, car il y avaitquelque chose de toi en quoi j’ai faitconfiance tout de suite. Pendanttoute la première année où tu es

par , tu lui as tellement manqué. Ilsemblait que son coeur se brisait unpeu plus chaque jour. Tu étais tout cequ’elle pouvait penser. Et ensuite, ellea découvert que tu ne rentrerais pas àla maison et nous avons fini à Lenoir,et mes parents sont morts et… (Il n’apas terminé.) Tu as toujours su quej’avais été amoureux d’elle, n’est-cepas ?

J’ai hoché la tête.

– Je m’en doutais. (Il se racla la gorge.)Je l’aime depuis que je suis âgé dedouze ans. Et progressivement, elleest aussi tombée en amour avec moi.

– Pourquoi tu me dis cela ?

– Parce que, a-t-il dit, ce n’était pas lamême chose. Je sais qu’elle m’aime,mais jamais elle ne m’aimera commeelle t’aimait. Elle n’a jamais eu ce epassion brûlante pour moi, mais nousfaisions une bonne vie ensemble. Elleétait tellement heureuse quand nousavons commencé le ranch… et celam’a fait sen r si bien que je pouvaisfaire quelque chose comme ça pourelle. Puis je suis tombé malade, maiselle est toujours ici, prenant soin demoi de la même manière que jeprendrais soin d’elle si cela lui arrivait.

Il s’arrêta, lu ant pour trouver lesmots justes, et je pouvais voirl’angoisse dans son expression.

– Hier, quand tu es venu, j’ai vu lafaçon dont elle te regardait, et jesavais qu’elle t’aimait toujours. Plusque cela, je sais qu’elle t’aimeratoujours. Cela me brise le coeur, maistu sais quoi ? Je serai toujoursamoureux d’elle, et pour moi, celasignifie que je ne veux rien de pluspour qu’elle soit heureuse dans la vie.Je le veux plus que tout. C’est tout ceque je n’ai jamais voulu pour elle.

Ma gorge était si sèche que je pouvaisà peine parler.

– Qu’est-ce que tu racontes ?

– Je dis de ne pas oublier Savannahs’il m’arrive quelque chose. Et me

prome re qu’elle te sera aussiprécieuse qu’un trésor comme ellel’est pour moi.

– Tim…

– Ne dis rien, John. (Il leva une main,soit pour m’arrêter, soit me direadieu.) Rappelle-toi juste ce que j’aidit, d’accord ?

Quand il se détourna, je savais quenotre conversation était terminée.

Je me suis alors levé et marchaittranquillement hors de la chambre,fermant la porte derrière moi.

À l’extérieur de l’hôpital, je louchais ladure lumière du soleil du ma n. Jepouvais entendre le gazouillis desoiseaux dans les arbres, mais même sije les cherchais, ils sont restés cachésde moi.

Le parking était à moi é plein. Ici etlà, je pouvais voir les gens marchervers l’entrée ou retourner à leursvoitures. Tous semblaient aussi lasque je me suis sen , comme sil’op miste qu’ils ont montré à leursproches à l’hôpital a disparu aumoment où ils étaient seuls. Je savaisque les miracles sont toujourspossibles, peu importe la façon dontune personne pourrait être malade, et

que les femmes à la maternitéressentaient de la joie en tenant leursnouveau-nés dans leurs bras, mais jesentais que, comme moi, la plupartdes visiteurs retenaient leur chagrin.

Je me suis assis sur un banc devantl’hôpital, en me demandant pourquoij’étais venu et souhaitant n’y être pasallé. J’ai rejoué ma conversa on avecTim à plusieurs reprises, et l’image deson angoisse me faisait fermer lesyeux. Pour la première fois depuis desannées, mon amour pour Savannahsemblait en quelque sorte… mal.L’amour devrait apporter de la joie,devrait accorder une paix auxpersonnes, mais ici et maintenant, il

apportait seulement de la douleur. ÀTim, à Savannah, même à moi. Jen’étais pas venu pour tenterSavannah ou ruiner son mariage… oule voulais-je ? Je n’étais plus sûr sij’étais aussi noble que je pensaisl’être, et le réaliser me laissait aussivide comme une peinture rouilléepuisse l’être.

J’ai enlevé la photo de Savannah demon porte-feuille. Elle était froissée etdécolorée. Comme je regardais sonvisage, je me demandais ce quel’année à venir apporterait. Je nesavais pas si Tim allait vivre oumourir, et je ne voulais pas y penser.Je savais que peu importe ce qui se

passerait, la rela on entre Savannahet moi ne serait jamais ce qu’elle étaitautrefois. Nous nous é onsrencontrés à un moment sans souci,un moment rempli de promesses;maintenant, le moment était remplides dures leçons du monde réel.

J’ai fro é mes tempes, frappé par lapensée que Tim savait ce qui s’étaitpresque passé entre Savannah et moila nuit dernière, que peut-être il s’yétait même a endu à cela. Sesparoles firent que ce soit clair, commel’a fait sa demande de prome re del’aimer avec la même dévo on qu’ilressentait. Je savais exactement cequ’il a laissé entendre que je fasse s’il

mourait, mais de toute façon, sapermission me faisait sen r encoreplus mauvais.

Je me suis finalement levé etcommencé à marcher lentement à mavoiture. Je ne savais pas où je voulaisaller, autre que j’avais besoin dem’éloigner de l’hôpital autant que jele pouvais. J’avais besoin de qui erLenoir, si ce n’est que pour me donnerune chance de penser. J’ai enfoui mesmains dans mes poches et sor mesclés.

C’était seulement quand je suis arrivéprès de ma voiture que j’ai réalisé quela camionne e de Savannah étaitgarée à côté de la mienne. Savannah

était assise dans le siège avant, etquand elle m’a vu arriver, elle ouvritla porte et est sortie.

Elle m’a endit, lissant son chemisiercomme je me suis approché. Je mesuis arrêté quelques mètres.

– John, a-t-elle dit, tu es par sans medire au revoir hier soir.

– Je sais.

Elle hocha la tête légèrement. Nousavons tous deux compris la raison.

– Comment as-tu su que j’étais ici ?

– Je ne le savais pas, dit-elle. Je suispassé par le motel et ils m’ont dit quetu avais réglé la note. Quand je suis

arrivée ici, j’ai vu ta voiture et j’aidécidé de t’attendre. As-tu vu Tim ?

– Oui. Il va mieux. Il pense qu’il pourrasor r de l’hôpital plus tardaujourd’hui.

– Voilà de bonnes nouvelles, dit-elle,puis a fit signe à ma voiture. Tuquittes la ville ?

– Je dois rentrer. Ma permission estterminée.

Elle croisa ses bras.

– Allais-tu venir me dire au revoir ?

– Je ne sais pas, admis-je. Je n’avaispas pensé à cela.

J’ai vu un flash de douleur et de

déception sur son visage.

– De quoi avez-vous parler, toi et Tim?

J’ai regardé l’hôpital par-dessus monépaule, puis de nouveau elle.

– Tu devrais probablement lui poserla question.

Sa bouche formait une ligne serrée, etson corps semblait se raidir.

– Alors, c’est un au revoir ?

J’ai entendu le klaxon d’une voituresur la route à l’avant et vu qu’uncertain nombre de voitures qui ontsoudainement ralen . Le conducteurd’une Toyota rouge a viré sur l’autre

voie, faisant de son mieux pour sedéplacer dans la circula on. Commeje le regardais, je savais que j’étaislâche et qu’elle méritait une réponse.

– Oui, ai-je dit, en tournant lentementle dos. Je pense que ça l’est.

Ses ar cula ons ont blanchi sur sesbras.

– Puis-je t’écrire ?

Je me suis forcé à ne pas détourner leregard, souhaitant à nouveau que lescartes soient tombées différemmentpour nous.

– Je ne suis pas si sûr que ce soit unebonne idée.

– Je ne comprends pas.

– Oui, tu comprends, ai-je dit. Tu esmariée à Tim, pas à moi. (J’ai pris unelongue respira on en rassemblantmes forces pour ce que je voulaisensuite lui dire.) C’est un homme bon,Savannah. Un meilleur homme quemoi, ça c’est sûr, et je suis heureuxque tu l’aies épousé. Autant que jet’aime, je ne suis pas prêt de briser unmariage pour cela. Et au fond de moi,je ne pense pas que tu l’es non plus.Même si tu m’aimes, tu l’aimes aussi.Il m’a fallu un peu de temps pourm’en rendre compte, mais j’en suissûr.

Le non-dit sur l’avenir incertain de

Tim, et je pouvais voir ses yeuxcommencer à se remplir de larmes.

– Nous n’allons plus jamais nousrevoir ?

– Je ne sais pas. (Les mots brûlaientdans ma gorge.) Mais j’espère quenon.

– Comment peux-tu dire ça ? a-t-elledemandé, sa voix commençant à sefissurer.

– Parce que cela signifie que Tim vabien aller. Et j’ai le sen ment quetout va tourner comme il le devrait.

– Tu ne peux pas dire ça ! Tu ne peuxpas le promettre !

– Non, ai-je dit. Je ne le peux pas.

– Alors pourquoi me re fin à celamaintenant ? Comme ça ?

Une larme roula sur sa joue, et malgréle fait que je savais que je devais toutsimplement m’éloigner, j’ai avancéd’un pas vers elle. Quand je fusproche, je l’ai doucement essuyée.Dans ses yeux, je pouvais voir la peuret la tristesse, la colère et la trahison.Mais plus que tout, j’ai vu qu’elle mesuppliait de changer d’avis.

J’ai avalé durement.

– Tu es mariée à Tim, et ton mari abesoin de toi. Tout de toi. Il n’y a pasde place pour moi, et nous savons

tous les deux qu’il ne devrait pas y enavoir.

Comme plus de larmes ont commencéà couler sur son visage, je sentais mesyeux se remplir d’eau. Je me suispenché et j’ai doucement embrasséSavannah sur les lèvres, puis l’a prisedans mes bras et l’a serrée.

– Je t’aime, Savannah, et je t’aimeraitoujours, ai-je soufflé. Tu es lameilleure chose qui ne me soit jamaisarrivée. Tu étais ma meilleure amie etmon amante, et je ne regre e pas unseul moment. Tu m’as fait sen rvivant à nouveau, et tu m’as redonnémon père. Je ne t’oublierai jamaispour cela. Tu seras toujours la

meilleure par e de moi. Je suis désoléque cela se passe de ce e façon, maisje dois par r, et tu dois aller voir tonmari.

Comme je parlais, je pouvais la sen rsecouée de sanglots, et j’ai con nué àla tenir pendant une longue périodepar la suite. Quand nous noussommes finalement séparés, je savaisque ce serait la dernière fois que je laserrais dans mes bras.

Je reculai, mes yeux tenant ceux deSavannah.

– Je t’aime aussi, John, dit-elle.

– Au revoir.

Je levai une main. Et avec cela, elle

essuya son visage et se mit à marchervers l’hôpital.

Lui dire au revoir a été la chose la plusdifficile que j’ai jamais eu à faire. Unepar e de moi voulait revenir àl’hôpital, lui dire que je seraistoujours là pour elle, de lui confier leschoses que Tim m’avait dites. Mais jene l’ai pas fait.

Sur le chemin pour sor r de la ville, jeme suis arrêté dans un pe tdépanneur. J’avais besoin de gaz pourma voiture. À l’intérieur, j’ai achetéune bouteille d’eau. Comme j’ai

approché du comptoir, j’ai vu unbocal que le propriétaire avait mispour collecter de l’argent pour Tim, etje l’ai regardé. Il était rempli demonnaie et de quelques billets d’undollar; sur l’é que e, il était inscrit lenuméro de compte d’une banquelocale. J’ai demandé quelques dollarssupplémentaires, et l’homme derrièrele comptoir s’est exécuté.

J’étais abasourdi comme j’ai fait monchemin vers la voiture. J’ai ouvert laporte et commencé à pêcher dans lesdocuments que l’avocat m’avaitdonnés, en cherchant également uncrayon. Quand j’ai trouvé ce dontj’avais besoin, je me suis ensuite

rendu à la cabine téléphonique. Elleétait située près de la route, avec desvoitures rugissant derrière. J’aicomposé le numéro et dû appuyer lerécepteur durement contre monoreille pour entendre la voixinforma sée me donner le numéroque j’avais demandé.

Je l’ai gribouillé sur les documents,puis a raccroché. J’ai laissé tomberquelques pièces de monnaie dans lafente, composa un le numéro longuedistance, et entendu une autre voixinforma sée demander de me replus d’argent. J’ai encore laissétomber quelques pièces de monnaie.Bientôt, je pus enfin entendre la

sonnerie du téléphone.

Quand il a répondu, j’ai dit à l’hommequi j’étais et lui a demandé s’il sesouvenait de moi.

– Bien sûr que je me souviens, John.Comment allez-vous ?

– Très bien, merci. Mon père estdécédé.

Il y eut une courte pause.

– Je suis désolé de l’entendre, a-t-ildit. Vous vous en remettez bien ?

– Je ne sais pas, ai-je dit.

– Est-ce qu’il y a quelque chose que jepuisse faire ?

Je fermai les yeux, en pensant à

Savannah et Tim et en espérant enquelque sorte que mon père mepardonne pour ce que je m’apprêtaisà faire.

– Oui, ai-je dit au négociant de piècesde monnaie. Je ens à vendre lacollec on de pièces de monnaie demon père, et j’ai besoin d’argent aussirapidement que vous pourrez m’enobtenir.

ÉPILOGUE

Lenoir, 2006

Qu’est-ce que le véritable amour veutvraiment dire ?

Je pense à nouveau à la ques on,comme je suis assis sur le côté de lacolline et regarde Savannah sedéplacer parmi les chevaux. Pendantun instant, je me rappelle la nuit où jeme suis présenté au ranch pour laretrouver… mais ce e visite, il y a un

an maintenant, ressemble à un rêvepour moi.

J’ai vendu les pièces de monnaie pourmoins que ce qu’elles valaient, etpièce par pièce, je savais que lesrestes de la collec on de mon pèreseraient distribués aux gens quin’auraient jamais autant pris soind’elles comme mon père l’a fait. En finde compte, j’ai gardé seulement lapièce avec la tête de buffle, car je nepouvais tout simplement pas yrenoncer. Mis à part la photo, c’esttout ce que j’ai de mon père, et je leporte toujours avec moi. C’est unesorte de talisman, celle qui porte tousmes souvenirs de mon père; de temps

en temps, je la sors de ma poche et laregarde. Je passe mes doigts sur leboî er en plas que qui main ent lapièce de monnaie, et parfois, je peuxvoir mon père lire le Greysheet dansson repaire ou sentir l’odeur du baconqui grésille dans la cuisine. Je constateque cela me fait sourire, et pendantun moment, je ne me sens plus seul.

Mais je le suis, et une par e de moisait que je le serai toujours. Je ensce e pensée comme je recherche lesvisages de Savannah et Tim au loin, setenant par la main comme ilsmarchent vers la maison; je vois qu’ilsse touchent d’une manière qui parlede leur véritable affec on pour

l’autre. Ils ont bonne mine commecouple, je dois l’adme re. Tim appelaAlan pour qu’il se joigne à eux, et ilssont tous les trois entrés à l’intérieur.Je me demande pendant un instantde quoi ils parlent et comme ilsentrent, car je suis curieux deconnaître les pe ts détails de leur vie,mais je suis pleinement conscient quecela ne me regarde pas. J’ai su,toutefois, que Tim ne reçoit plusaucun traitement et que la plupartdes habitants de la ville s’a endent àce qu’il s’en remette.

J’ai appris cela par l’avocat de la villeque j’ai embauché à ma dernièrevisite à Lenoir. Je suis entré dans son

bureau avec un chèque de la banqueet lui demanda de le déposer dans lecompte qui avait été ouvert pour letraitement de Tim. Je connaissais lelien de confidentialité avocat-client, etje savais qu’il ne dirait rien àpersonne en ville. Il était importantde ne pas laisser savoir à Savannah ceque j’avais fait. Dans n’importe quelmariage, il y a de la place pourseulement deux personnes.

J’ai cependant demandé à l’avocat deme tenir informé, et au cours de ladernière année, j’ai parlé avec lui àplusieurs reprises de l’Allemagne. Ilm’a dit que quand il a contactéSavannah au téléphone pour lui dire

qu’un client avait fait un donanonyme, mais qu’il voulait être tenuinformé des progrès de Tim, elle s’esteffondrée et a pleuré quand il lui a ditle montant. Il m’a dit qu’une semaineplus tard, elle avait emmené Tim auMD Anderson et a appris que Timétait un candidat idéal pour l’essai duvaccin que MD Anderson planifiait dedébuter en novembre. Il m’a ditqu’avant de joindre l’essai clinique,Tim a été traité avec une thérapieadjuvant et une chimiothérapie, etque les médecins avaient bon espoirque les traitements allaient tuer lestumeurs cancéreuses qui se massaientdans ses poumons. Il y a quelques

mois, l’avocat m’a appelé pour medire que le traitement avait eu plussuccès que les médecins avaientmême espéré, et que maintenant, Timétait techniquement en rémission.

Cela ne garan t pas qu’il vivra jusqu’àun âge très avancé, mais cela luigaran t vraiment une chance degagner son combat, et c’est tout ceque je voulais pour eux. Je voulaisqu’ils soient heureux. Je voulaisqu’elle soit heureuse. Et à par r de ceque j’avais vu aujourd’hui, ilsl’étaient. Je suis venu parce quej’avais eu besoin de savoir que j’avaisfait le bon choix en vendant les piècesde monnaie pour le traitement de

Tim, que j’avais fait la bonne chose dene jamais la contacter à nouveau, etd’où j’étais assis, je savais que j’avaisbien fait.

J’ai vendu la collec on parce que j’aifinalement compris ce que signifiait levéritable amour. Tim m’avait dit – etm’avait montré – que l’amour signifieque vous vous souciez du bonheurd’une autre personne plus que levôtre, peu importe combien ces choixauxquels vous êtes confrontéspeuvent être douloureux. J’avaisqui é la chambre d’hôpital de Tim ensachant qu’il avait eu raison. Maisfaire la bonne chose n’était pas facile.Ces jours-ci, je mène ma vie avec le

sen ment qu’il manque quelquechose pour que ma vie soit complète.Je sais que mon sen ment pourSavannah ne changera jamais, et jesais que je vais toujours m’interrogersur les choix que j’ai faits.

Et parfois, malgré moi, je medemande si Savannah ressent cela dela même manière. Ce qui expliquebien sûr l’autre raison pour laquelle jesuis venu à Lenoir.

Je regarde fixement le ranch comme lasoirée s’installe. C’est une nuit depleine lune, et pour moi, les souvenirs

reviendront. Ils reviennent toujours.Je re ens mon souffle comme la lunecommence sa lente remontée sur lamontagne, son éclat laiteux bordantun peu plus l’horizon. Les arbresdeviennent argent liquide, et si jeveux revenir sur ces souvenirs doux-amers, je me détourne et regarde ànouveau le ranch.

Pendant longtemps, j’a ends en vain.La lune con nue son arc lent à traversle ciel, et une à une, les lumières de lamaison s’allument. Je me retrouve àme concentrer avec anxiété sur laporte d’entrée en espérantl’impossible. Je sais qu’ellen’apparaîtra pas, mais je ne peux

toujours pas me forcer de par r. Jerespire lentement, comme si l’espoirallait la faire sortir.

Et quand je la vois finalement sor rde la maison, je ressens unpicotement étrange dans ma colonnevertébrale, quelque chose que je n’aijamais connu auparavant. Elle fait unepause sur les marches, et je la regardecomme elle se retourne et sembleregarder dans ma direc on. Je me figepour aucune raison – je sais qu’elle nepeut pas me voir. De mon perchoir, jeregarde Savannah fermer doucementla porte derrière elle. Elle descendlentement les marches et se promèneau centre de la cour.

Elle fait une pause et croise ses bras,regardant par-dessus son épaule pours’assurer que personne ne l’a suivie.Finalement, elle semble se détendre.Et puis je me sens comme si je suistémoin d’un miracle, comme elle lèvelentement son visage vers la lune. Jebois la vue, en détectant un flot desouvenirs qu’elle a déchaîné et neveux rien de plus que lui laisser savoirque je suis ici. Mais au lieu de cela, jereste où je suis et regarde aussi lalune. Et pendant le plus bref l’instant,je me sens comme si nous é ons ànouveau ensemble.