12
Retentissement professionnel de la sclérodermie systémique Alice Bérezné, Christelle Nguyen, Luc Mouthon Université Paris Descartes, faculté de médecine, Assistance publiqueHôpitaux de Paris, hôpital Cochin, service de médecine interne, centre de référence pour les vascularites nécrosantes et la sclérodermie systémique, 75679 Paris, France Correspondance : Alice Bérezné, Hôpital Cochin, pôle de médecine interne, 27, rue du Faubourg-Saint- Jacques, 75679 Paris cedex 14, France. [email protected] Disponible sur internet le : 16 août 2013 La maladie, particulièrement lorsqu’elle est chronique, fragilise la personne dans son insertion sociale et profession- nelle. La diminution de la capacité de travail peut se traduire par une baisse de productivité, une perte d’emploi ou un arrêt de travail temporaire ou définitif. Ce retentissement profes- sionnel s’accompagne d’un bouleversement de la vie sociale et psychoaffective des patients. Le retentissement des pathologies articulaires inflammatoires sur la capacité de travailler a été surtout étudié au cours de la polyarthrite rhumatoïde (PR), modèle d’arthropathie inflam- matoire chronique. Au cours de la PR, la prévalence de perte de capacité d’emploi est de 9 % à 67 % dans les études trans- versales et de 22 % à 90 % dans les études longitudinales [1]. Au cours de cette affection, le risque d’incapacité à travailler augmente avec les emplois exigeants physiquement, le manque d’autonomie dans le travail, le faible niveau Presse Med. 2013; 42: 11591170 ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com Me ´decine interne 1159 Revue de la littérature Key points Professional consequences of systemic sclerosis Work disability is a major issue in patients with systemic sclerosis (SSc) and seems to be substantially higher than other connective tissue diseases. Working ability results from complex interactions between factors related to socio-demographic characteristics, SSc spe- cificities and working conditions. Working ability is related to global disability, altered hand function, fatigue, pain, type of work and opportunities to adapt workstation. Work disability is responsible for reduced income in patients with SSc. Points essentiels La perte ou la diminution de la capacité de travail est une préoccupation majeure au cours de la sclérodermie systémique (ScS) et semble plus importante que dans les autres connecti- vites. La capacité de travail résulte d’interactions complexes entre les facteurs liés aux caractéristiques sociodémographiques du patient, aux particularités de la ScS et aux conditions de travail. La capacité de travail est influencée par le niveau de handicap, la perte de fonction de la main, la fatigue, la douleur, le type de travail et la possibilité d’adapter son poste de travail. La diminution de la capacité de travail au cours de la ScS entraîne une diminution, voire une perte des revenus. tome 42 > n89 > septembre 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.04.011

Retentissement professionnel de la sclérodermie systémique

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Page 1: Retentissement professionnel de la sclérodermie systémique

Presse Med. 2013; 42: 1159–1170� 2013 Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

Medecine interne

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Key points

Professional consequences of

Work disability is a major issusclerosis (SSc) and seems to be sconnective tissue diseases.Working ability results from cofactors related to socio-demogrcificities and working conditionsWorking ability is related to gfunction, fatigue, pain, type of wworkstation.Work disability is responsible fowith SSc.

tome 42 > n89 > septembre 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.04.011

Retentissement professionnel de lasclérodermie systémique

Alice Bérezné, Christelle Nguyen, Luc Mouthon

Université Paris Descartes, faculté de médecine, Assistance publique–Hôpitaux deParis, hôpital Cochin, service de médecine interne, centre de référence pour lesvascularites nécrosantes et la sclérodermie systémique, 75679 Paris, France

Correspondance :Alice Bérezné, Hôpital Cochin, pôle de médecine interne, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75679 Paris cedex 14, [email protected]

Disponible sur internet le :16 août 2013

systemic sclerosis

e in patients with systemicubstantially higher than other

mplex interactions betweenaphic characteristics, SSc spe-.lobal disability, altered handork and opportunities to adapt

r reduced income in patients

Points essentiels

La perte ou la diminution de la capacité de travail est unepréoccupation majeure au cours de la sclérodermie systémique(ScS) et semble plus importante que dans les autres connecti-vites.La capacité de travail résulte d’interactions complexes entre lesfacteurs liés aux caractéristiques sociodémographiques dupatient, aux particularités de la ScS et aux conditions de travail.La capacité de travail est influencée par le niveau de handicap,la perte de fonction de la main, la fatigue, la douleur, le type detravail et la possibilité d’adapter son poste de travail.La diminution de la capacité de travail au cours de la ScSentraîne une diminution, voire une perte des revenus.

La maladie, particulièrement lorsqu’elle est chronique,fragilise la personne dans son insertion sociale et profession-nelle. La diminution de la capacité de travail peut se traduirepar une baisse de productivité, une perte d’emploi ou un arrêtde travail temporaire ou définitif. Ce retentissement profes-sionnel s’accompagne d’un bouleversement de la vie socialeet psychoaffective des patients.

Le retentissement des pathologies articulaires inflammatoiressur la capacité de travailler a été surtout étudié au cours de lapolyarthrite rhumatoïde (PR), modèle d’arthropathie inflam-matoire chronique. Au cours de la PR, la prévalence de perte decapacité d’emploi est de 9 % à 67 % dans les études trans-versales et de 22 % à 90 % dans les études longitudinales [1].Au cours de cette affection, le risque d’incapacité à travailleraugmente avec les emplois exigeants physiquement,le manque d’autonomie dans le travail, le faible niveau

1159

Page 2: Retentissement professionnel de la sclérodermie systémique

1160

A Bérezné, C Nguyen, L Mouthon

d’éducation, l’âge avancé, la durée d’évolution et la sévéritéde la maladie, ainsi qu’avec l’importance du handicap évaluésur le score Health Assessment Questionnaire (HAQ) [2]. Ilexiste encore assez peu d’études dans le domaine au cours dela sclérodermie systémique (ScS) [1,3–14].La ScS est une maladie grave, associant d’une part des ano-malies de la microcirculation responsables d’une hyperactivitéau froid se manifestant par un phénomène de Raynaud, d’autrepart une accumulation de matrice extracellulaire aboutissant àune fibrose intéressant principalement la peau mais égalementle poumon, le coeur et le tube digestif. Elle s’accompagne d’uneréduction significative de la survie, en particulier dans lesformes diffuses, au cours desquelles les atteintes viscéralessont plus fréquentes (pneumopathie infiltrante diffuse [15],hypertension artérielle pulmonaire [16,17], crise rénale scléro-dermique, atteinte cardiaque [18]). Au-delà d’une limitation dela survie, la ScS est responsable d’une fatigue importante, dedouleurs articulaires, de rétraction cutanée et tendineuse, decalcinoses et d’ulcères digitaux (UD) aboutissant à une gênefonctionnelle marquée et parfois à la constitution d’un réelhandicap. Toutes ces atteintes, au premier plan desquelles laperte de fonction de la main [19,20], auront un retentissementmajeur sur les activités quotidiennes mais également sur lesactivités professionnelles [20].Dans cet article, nous passons en revue les données disponi-bles dans la littérature sur l’importance du retentissementprofessionnel au cours de la ScS, les facteurs de risque delimitation de la capacité de travail et leurs conséquencessocio-économiques pour les patients.

MéthodeLa recherche bibliographique a été réalisée dans Pubmed avecles mots clés suivants : systemic sclerosis, work disability,systemic sclerosis and work, systemic sclerosis and employ-

ment, absenteeism, productivity, workplace, task performance,efficiency, sick leave. Les études prospectives et rétrospectivesont été retenues.

RésultatsDouze études ont été trouvées avec un total de 1726 patientssclérodermiques. Trois études américaines, deux canadiennes,trois suédoises, deux françaises, une hongroise et une belge.Ces études rapportent le retentissement professionnel de la ScSet en particulier le statut professionnel des patients au momentde l’inclusion des patients ainsi que les facteurs influençant lacapacité de travail. Une seule de ces études est longitudinale etrenseigne sur les facteurs initiaux prédictifs de la survenue dedifficultés professionnelles et/ou d’invalidité [13]. Les carac-téristiques démographiques et cliniques des patients, la taillede l’effectif, le pourcentage des patients en invalidité ou enarrêt de travail sont résumés dans le tableau I. Les facteurs

influençant le statut professionnel et la capacité de travail sontdonnés dans le tableau II.

Statut professionnel et sclérodermie systémique

Le recrutement des patients et la méthodologie de ces étudessont différents (tableau I). Certaines sont des études de cohor-tes de patients sclérodermiques sans distinction à l’inclusion dustatut « actif » ou « non actif », alors que d’autres n’ont inclusque des patients actifs, c’est-à-dire âgés de 18 à 65 ans et actifsau moment de la survenue de la maladie. Si l’on considèreuniquement les 1281 patients actifs, en excluant les retraités,étudiants et les femmes au foyer, le pourcentage de patients enarrêt de travail ou en invalidité à l’inclusion varie de 18,2 % à81,2 % en fonction des études (tableau I). Le pourcentage despatients qui conservent une activité professionnelle, mais àtemps partiel est élevé, allant de 11,5 % à 65 % selon lesétudes dans lesquelles la donnée est disponible, avec unemédiane à 34,5 % [3,9–12]. La durée moyenne hebdomadairede travail n’est renseignée que dans l’étude de Bérezné et al.Elle est de 23 � 17 heures pour une durée moyenne légale enFrance de 35 heures/semaine [3].Seules trois études renseignent sur le parcours professionneldes patients depuis la survenue de la ScS (tableau II). Les deuxétudes françaises, réalisées en partie sur une cohorte communede patients avec la même méthodologie concernant le parcoursprofessionnel, montrent qu’un tiers des patients en activité ontchangé de poste de travail ou de profession en raison de leurScS afin de conserver une activité professionnelle [3,9]. De plus,Nguyen et al. montrent que 40 % des patients qui travaillent àplein temps ou à temps partiel thérapeutique ont bénéficiéd’un aménagement de leur temps de travail au moins une foisdepuis le diagnostic de la ScS [9]. Dans cette dernière étude, leseul facteur retrouvé corrélé au changement de poste de travailétait les arthralgies [9]. Dans l’étude de Decuman, les auteursont analysé le parcours professionnel de leurs patients. Ilsrapportent que 47/84 patients, soit 56 %, ont adapté leurparcours professionnel en raison de leur état de santé [5]. Untravail trop exigent physiquement était la cause du change-ment de poste de travail chez 36/47 patients (76,5 %). Parmiles autres, 12/47 ont réduit leur temps de travail. Dans cetteétude, en analyse univariée, les patients ayant modifié leurparcours professionnel pour une raison médicale ont un plusbas niveau d’éducation (p = 0,03) et sont plus souvent desouvriers (p = 0,008) et des salariés (p = 0,01), ont plusfréquemment une atteinte pulmonaire (p = 0,027), digestive(p < 0,001), articulaire (p = 0,034), un HAQ élevé (p < 0,001)et/ou longue durée d’évolution (p = 0,001) que les patientsayant modifié leur parcours professionnel pour une autreraison. De plus, le phénomène de Raynaud, les troubles diges-tifs et la douleur influencent plus l’activité des patients ayantmodifié leur parcours professionnel pour une raison médicale.En analyse multivariée, l’Odd ratio de modification du parcours

tome 42 > n89 > septembre 2013

Page 3: Retentissement professionnel de la sclérodermie systémique

1161 Revue de la littérature

Tableau I

Caractéristiques démographiques, cliniques et statut professionnel des patients sclérodermiques

Auteurs,année

Pays Schémad’étude

Nombre depatients(actifs)

Sexe(F) (%)

Âge(moyenne

W ET)

Ethnie Niveaud’éducation

secondaire etplus (%)

Typede ScS

Duréede la

maladie(années)

Statut professionnel (%)

Moser et al.,1993 [8]

États-Unis(Californie)

Transversale 94 (50 actifs) 88,3 55 W 12 ND 93,5 ND 8 W 7 Tous les patients(n = 94)

Les actifs(n = 50)

Plein temps oupartiel : 25,5 %

Arrêt ou invalidité :24,5 %

Retraités, étudiantsou femmes au foyer :

46,8 %ND : 3,2 %

Plein temps oupartiel : 48 %

Arrêt ou invalidité :46 %

ND : 6 %

Ouimet et al.,2008 [1]

Canada Transversale 61 actifs 85,2 52 W 1,18 ND 83,6 Diffuse42,7 %

11 W 1,22 Arrêt ou invalidité : 55,7 %

Sandqvist et al.,2008 [8]

Suède Transversale 44 actifs 100 52 (24–60) ND 81,8 Limitée100 %

8 (2–4) Plein temps :47,8 %

Temps partiel :34 %

Arrêt maladie :4,5 %

Invalidité :13,7 %

Hudson et al.,2009 [6]

Canada MulticentriqueCohorte CSRGTransversale

643 (365actifs)

83,5 49,3 W 8,8 89,5 %blancs

45,5 Diffuse50,5 %

10 W 8,15 Tous les patients(n = 643)

Les actifs(n = 365)

Plein temps oupartiel : 36 %

Arrêt ouinvalidité : 21 %

Retraités, étudiantsou femmes aufoyer : 43 %

Plein tempsou partiel :

63,6 %Arrêt ou

invalidité :36,4 %

Sandqvist et al.,2010 [12]

Suède Transversale 57 actifs 93 58 ND 63,1 Diffuse17,5 %

14 Plein temps : 28 %Temps partiel : 35,1 %

Arrêt ou Invalidité : 36,9 %

Nguyen et al.,2010 [9]

France Transversale 87 actifs 82,8 48,6 W 8,5 ND ND Diffuse34,5 %

8,1 W 6,4 Arrêt ou invalidité : 60,9 % dont 35,6 %touchent une pension d’invalidité

Plein temps : 27,6 %Temps partiel : 11,5 %

Reten

tissemen

t p

rofessionn

el

de

la sclérod

ermie

systém

iqu

eM

ed

ecin

e in

ter

ne

tome

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septembre

2013

Page 4: Retentissement professionnel de la sclérodermie systémique

1162

Tableau I (Suite)

Auteurs,année

Pays Schémad’étude

Nombre depatients(actifs)

Sexe(F) (%)

Âge(moyenne

W ET)

Ethnie Niveaud’éducation

secondaire etplus (%)

Typede ScS

Duréede la

maladie(années)

Statut professionnel (%)

Minier et al.,2010 [7]

Hongrie Transversale 80 (48actifs)

90 57,4 W 9,6 ND ND Diffuse25 %

6,2 W 6,6 Tous les patients(n = 80)

Les actifs(n = 48)

Plein temps :8,75 %

Temps partiel :2,5 %

Arrêt de travail :1,25 %

Invalidité : 48,8 %Retraités : 40 %

Plein temps oupartiel : 18,8 %

Arrêt ouinvalidité :

81,2 %

Bérezné et al.,2011 [3]

France MulticentriqueTransversale

189 (113 actifs) 84,4 46,2 W 1,2 87 % blancs9 % noirs

4 % asiatiques

54,9 Diffuse46,6 %

6,6 W 7,7 Travail plein temps ou partiel : 59,3 %Plein temps : 37,2 %

Temps partiel : 20,3 %Non précisé : 1,7 %Invalidité : 31,8 %

Arrêt : 23,9 %Retraite anticipée : 6,2 %

Sharif et al.,2011 [13]

États-Unis(Texas)

MulticentriqueCohorte GENISOS

Longitudinale

284 (255 actifs) 83,5 48,7 W 13,2 46,8 % blancs28,9 % hispaniques

20,4 % noirs3,5 % autres

40,8 Diffuse57 %

2,5 W 1,6 Tous les patients(n = 284)

Les actifs(n = 255)

Plein temps : 46,1 %Temps partiel ou retraite

anticipée : 14,4 %Arrêt ou Invalidité :

29,2 %Retraités, étudiants,femmes au foyer, ousans emploi : 10,2 %

Temps plein : 51,4 %Temps partiel ou

retraite anticipée :16,1 %Arrêt ou

Invalidité :32,5 %

Decuman et al.,2012 [5]

Belgique MulticentriqueTransversale

84 (73 actifs) 76 47,8 W 8,9 ND 76 Diffuse14 %

4,7 (0–43) Tous les patients(n = 84)

Les actifs(n = 73)

Travail plein tempsou partiel : 45 %

Arrêt ou invalidité : 33 %Chômage :

2,4 %Retraite anticipée :

6 %Étudiants, femmesau foyer : 13,1 %

Travail plein tempsou partiel : 52 %

Arrêt ouInvalidité :

38,4 %Chômage :

2,7 %Retraite

anticipée :6,9 %

A B

érezné, C

Nguyen,

L M

outhon

tome

42 >

n89 >

septembre

2013

Page 5: Retentissement professionnel de la sclérodermie systémique

1163 Revue de la littérature

Tableau I (Suite)

Auteurs,année

Pays Schémad’étude

Nombre depatients(actifs)

Sexe(F) (%)

Âge(moyenne

W ET)

Ethnie Niveaud’éducation

secondaire etplus (%)

Typede ScS

Duréede la

maladie(années)

Statut professionnel (%)

Singh et al.,2012 [14]

États-Unis(Los Angeles)

Transversale 162 (111actifs)

81 51,8 W 14,2 69,1 % blancs6,3 % noirs

13,2 % asiatiques11,3 % autres

49,4 Diffuse41 %

7,64 W 8,2 Tous les patients(n = 162)

Les actifs (n = 111)

Travail plein tempsou partiel : 37 %

Arrêt ou Invalidité :29 %

Retraite : 17,3 %Étudiants : 3 %

Femmes au foyer :7,4 %

ND : 2 %

Sandquist et al.,2012 [10]

Suède InterviewsFocus group

17 actifs 94 52 ND 64,7 12 % 9 (2–22) Plein temps : 35 %Temps partiel : 65 %

Non actif : retraités, étudiants, femme au foyer ; Actif : âgé de plus de 18 ans excepté les femmes au foyer, les étudiants et les retraités ; CSRG : Canadian Scleroderma Research Group Registry ; ET : écart-type ; ND : non disponible ; NDB :National Database of the German Collaborative Arthritis Center.

Reten

tissemen

t p

rofessionn

el

de

la sclérod

ermie

systém

iqu

eM

ed

ecin

e in

ter

ne

tome

42 >

n89 >

septembre

2013

Page 6: Retentissement professionnel de la sclérodermie systémique

1164

Tableau II

Facteurs influençant le statut professionnel et la capacité de travail au cours de la sclérodermie systémique

Auteurs, année Facteur(s) influençant le statut professionnel Analyse multivariée

Moser et al., 1993 [8] ND

Ouimet et al., 2008 [1] OR (p)

HAQ 6,4 (p > 0,001)

Exigence physique du travail 3,062 (p > 0,001)

Sandqvist et al., 2008 [11] Score de Rodnan (p = 0,047)

Dyspnée (p < 0,0001)

Fonction de la main (p = 0,003)

Fatigue (p = 0,017)

Hudson et al., 2009 [6] OR [IC]

Durée d’évolution ScS 1,033 [1,001–1,066]

Forme cutanée diffuse 1,890 [1,134–3,151]

HAQ 4,881 [2,85–8,348]

Score de sévérité ScS (EVA) 1,312 [1,162–1,481]

Score de co-morbidité 1,135 [1,072–1,202]

Douleur 1,212 [1,102–1,333]

Fatigue 0,967 [0,942–0,993]

Sandqvist et al., 2010 [12] (r, p)

Âge élevé au diagnostic (r = 0,35, p < 0,05)

Ulcères digitaux (r = 0,54, p < 0,001)

Fonction main (r = 0,53, p < 0,001)

Fatigue (r = 0,63, p < 0,001)

Douleur (r = 0,69, p < 0,001)

Compétences professionnelles (r = 0,59, p < 0,001)

Travail moins exigeant mentalement (r = 0,49, p < 0,01)

Possibilité d’adaptation du poste (r = 0,45, p < 0,01)

Soutien des proches (r = 0,34, p < 0,05)

Soutien des collègues (r = 0,35, p < 0,05)

Nuyen et al., 2010 [9] (OR [IC])

Karnofsky 0,92 [0,88–0,98]

Myalgies 3,19 [1,19–8,57]

Minier et al., 2010 [7] ND

Bérezné et al., 2010 [3] (OR, [IC])

Âge 1,1 [1,05–1,2]

Durée d’évolution ScS 1,09 [1,01–1,2]

HAQ 6,1 [2,2–16,7]

Fonction de la main 0,97 [0,93–1]

A Bérezné, C Nguyen, L Mouthon

tome 42 > n89 > septembre 2013

Page 7: Retentissement professionnel de la sclérodermie systémique

Re

vue

de

lali

tté

ratu

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Tableau II (Suite)

Auteurs, année Facteur(s) influençant le statut professionnel Analyse multivariée

Sharif et al., 2011 [13] À l’inclusion

Niveau éducation (p < 0,001)

Isolement social (p < 0,001)

Score de sévérité pulmonaire de Medsger (p = 0,004)

Douleur (p < 0,001)

Fatigue (p < 0,001)

Suivi longitudinal

Ethnie « non-blanc » (p = 0,002)

DLCO basse (p = 0,038)

Fatigue (p = 0,009)

Decuman et al., 2012 [5] OR (selon les modèles utilisés)

Durée d’évolution ScS 1,01–1,013

HAQ 7,82–10,11

Singh et al., 2012 [14] Forme diffuse p = 0,5

Niveau d’éducation p = 0,01

État de santé évalué par le médecin p = 0,16

État de santé perçu par le patient p = 0,48

HAQ p = 0,01

Fatigue (FACIT-F) p = 0,89

Dépression (CES-D-10) p = 0,77

Sandquist et al., 2012 [10] ND

CES-D-10 : The Center for Epidemiologic Studies Short Depression Scale Short Form ; FACIT-F : The Functional Assessment of Chronic Illness Therapy-Fatigue ; HAQ : Health AssessmentQuestionnaire ; IC : intervalle de confiance ; MACTAR : McMaster Toronto Arthritis Patient Preference Disability Questionnaire ; MCS : Mental Component Score ; OR : Odds Ratio ; PCS :Physical Component Score ; r : coefficient de corrélation ; ScS : sclérodermie systémique ; WAI : Work Ability Index (indice de capacité de travail).

Retentissement professionnel de la sclérodermie systémiqueMedecine interne

professionnel en raison de l’état de santé passe de 7,82 à 10,11(en fonction des modèles choisis) lorsque le niveau de handicapglobal (HAQ) augmente.

Facteurs influençant le statut professionnel et lacapacité de travail des patients sclérodermiques

La capacité de travail est une notion complexe et multifacto-rielle reposant sur un équilibre entre les facteurs personnels dupatient relatifs à son âge, son sexe, son ethnie, ses capacitésphysiques, ses ressources psychologiques, son état de santé,ses compétences professionnelles et son insertion sociale etfamiliale mais également aux facteurs liés au poste de travailoccupé (exigence physique ou psychique, stress, niveau deresponsabilité, niveau d’autonomie requis. . .) (tableau II). Lacapacité du patient à s’adapter à la maladie et à son évolutionest également un facteur important à prendre en compte aucours d’une pathologie comme la ScS compte tenu de l’impré-visibilité de survenue d’une atteinte viscérale ou d’un handicap.Le statut professionnel, lui, est non seulement influencé par lacapacité de travail mais aussi par l’accès au travail, le système

tome 42 > n89 > septembre 2013

de protection sociale et le contexte économique dans lequelévolue le patient. Il est donc très variable d’un pays à l’autre.

Facteurs individuelsVariables démographiquesParmi les variables démographiques, l’âge est significative-ment associé à un retentissement professionnel, dans seule-ment deux études, celle de Sandqvist [12] pour l’âge audiagnostic (p < 0,05) et celle de Bérezné et al. pour l’âge aumoment de l’évaluation (OR = 1,1 [1,05–1,2]) [3]. L’ethnien’est significativement associée à un retentissement profes-sionnel plus important que dans une étude sur les trois dis-ponibles avec un risque supplémentaire pour les patients non-blancs (p = 0,002) [13]. Le niveau d’éducation n’influence demanière indépendante le statut professionnel que pour l’étudemenée dans l’État du Texas aux États-Unis (p < 0,001) etl’étude de Singh et al. (p = 0,01) [13,14].

Contexte psychoaffectif du patientL’étude de Moser et al. est principalement axée sur les facteursinfluençant l’adaptation psychosociale des patients à la ScS [8].

1165

Page 8: Retentissement professionnel de la sclérodermie systémique

1166

A Bérezné, C Nguyen, L Mouthon

Pour cela, 94 patients sclérodermiques ont été inclus et l’adap-tation à la maladie a été mesurée par l’échelle PsychosocialAdjustment to Illness Scale (PAIS) [21]. Cette adaptation estcorrélée à un bon niveau d’éducation, à de l’opiniâtreté et unsoutien social important et inversement corrélée au HAQ et àl’incertitude liée à l’évolution de la maladie. Le niveau d’éduca-tion et le HAQ expliquent 14 % de la variance de l’adaptationpsychosociale alors que l’incertitude liée à l’évolution de lamaladie, l’opiniâtreté et le soutien social expliquent jusqu’à38 % de cette variance. Sharif et al. trouvent une moins bonnecapacité d’adaptation parmi les patients en arrêt ou invalidité(p < 0,001) mais cela ne semble pas être un facteur indépen-dant [13]. La proportion de patients sans conjoint (p = 0,005) etisolés socialement (p < 0,001) est plus importante parmi lespatients en invalidité [13]. L’isolement social est retrouvécomme un facteur indépendant de retentissement profession-nel dans les deux études ayant évalué ce paramètre [12,13].

Variables liées à la sclérodermie systémiqueParmi les facteurs liés à la ScS, le handicap global est évalué parle HAQ dans huit études sur 11 [1,3,5,6,9,13,14]. Sur ces huitétudes, sept retrouvent un HAQ significativement plus élevéchez les patients en arrêt ou invalidité dans l’analyse univariée.L’analyse multivariée ne le retrouve comme facteur indépen-dant que dans cinq études [1,3,5,6,14]. Le score HAQ estégalement corrélé au besoin d’adapter son parcours profes-sionnel [5]. Ouimet et al. ont étudié le risque d’incapacitéprofessionnelle au sein d’une population de ScS cutanéeslimitées et de ScS cutanées diffuses. Le HAQ était le seul facteurindépendant expliquant le plus fort pourcentage d’invaliditéchez les sujets avec une forme cutanée diffuse (p = 0,0016) [1].Sur le plan fonctionnel, la perte de fonction de la main estégalement plus souvent présente chez les patients en arrêt detravail ou en invalidité [3,9,11,12]. La présence d’une formediffuse est un facteur de risque uniquement dans l’étude deHudson et al. avec un risque relatif de 1,89 [1,134–3,151] [6].L’association avec une atteinte viscérale n’est pas retrouvée enanalyse multivariée mais la dyspnée ou un score de sévéritépulmonaire de Medsger semble être tout de même corrélé auretentissement professionnel dans trois études [5,11,13]. Eneffet, dans l’étude de Decuman et al., les atteintes pulmonaireset digestives en analyse univariée sont plus fréquentes chez lespatients ayant dû modifier leur poste de travail [5]. Les UD sontun facteur indépendant dans une seule étude (p < 0,001) [12]sur les trois évaluables sur ce critère [3,9]. La fatigue apparaîtde façon très significative dans les six études qui l’ont étudiée[10–14] et la douleur dans cinq études [6,10,12,14] sur six [10–

14]. Trois études ont évalué le rôle de la dépression grâce à deséchelles spécifiques, la HADS (Health Assessment Question-naire) ou la CES-D-10 (The Center for Epidemiologic StudiesShort Depression Scale Short Form) [3,9,14], mais celle-ci ne

semble pas être un facteur indépendant de baisse de capacitéde travail.La durée d’évolution de la maladie influence-t-elle le retentis-sement professionnel ? Les changements liés à la maladie et lesmécanismes de compensation mis en place par le patient fontde la capacité de travail un facteur en constante évolution. Uneseule de ces études est longitudinale [13]. Sharif et al. rap-portent que 26,7 % des patients sans retentissement profes-sionnel à l’inclusion auront un arrêt temporaire ou définitifde travail pendant les 4,4 ans de suivi moyen. Les facteursde risque indépendants de développer une inaptitude ou uneincapacité définitive identifiées parmi les patients en activité àl’inclusion sont l’ethnie « non blanche » (p = 0,038), une DLCObasse (p = 0,038) et une fatigue (p = 0,009). Les patientsblancs ont 54 % moins de risque de perdre leur capacité detravail que les autres au cours de l’évolution de leur maladie. Dela même manière, les patients avec un score élevé de fatigue(Fatigue Severity Scale = FSS) ont un risque plus élevé de 96 %.Hudson et al. ont étudié, de manière transversale, le statutprofessionnel de tous les patients figurant dans le registre dugroupe de recherche canadien sur la sclérodermie (CSRG = Ca-nadian Sclerodema Research Group) en fonction de la duréed’évolution de leur maladie. Un tiers des patients ayant unemaladie évoluant depuis moins de deux ans sont en arrêt ou eninvalidité suggérant une survenue précoce d’une baisse decapacité de travail au cours de la ScS. Cette proportion aug-mente régulièrement avec l’allongement de la durée d’évolu-tion de la maladie puisqu’elle est de 36,1 % et 44,8 % pour lespatients ayant une durée d’évolution de leur maladie entre 5–

10 et 10–15 ans, respectivement. Pour chaque année supplé-mentaire d’évolution, le risque relatif d’incapacité de travail estde 1,03 [1,003–1,058], ce qui se traduit par une augmentationdu risque de 15 % après chaque tranche de cinq ans supplé-mentaire [6].

Facteurs dépendant des caractéristiques de l’emploioccupé et de l’environnement professionnel

Pour évaluer les facteurs influençant le retentissement pro-fessionnel de la ScS, l’évaluation de la charge professionnellerevêt autant d’importance que l’évaluation des paramètresrelatifs au patient et à sa santé mais peu de travaux ont encoreété réalisés dans ce domaine. Sandqvist et al. [12] ont menéune étude dans laquelle ils s’intéressent aux facteurs influe-nçant la capacité de travail. Cette étude est réalisée grâce àl’indice de capacité de travail (WAI = Work Ability Index) [22]. Ils’agit d’un auto-questionnaire ayant pour objectif d’évaluerquantitativement dans quelles mesures un travailleur est(encore) capable d’assumer les exigences d’un travail donnéen fonction de son état de santé physique et moral mais aussien fonction de ses ressources et de son expérience personnelle(motivation, satisfaction, etc.) et de son environnement. Cha-cun de ces domaines est pris en compte dans les sept items que

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comprend ce questionnaire avec un score final correspondant àla somme de chaque item, allant de 7 à 49 points, 49 étant lemeilleur score de capacité de travail. À noter que le WAI estfortement corrélé au statut professionnel avec un coefficient decorrélation de 0,79 (p < 0,001). Quarante-huit patients âgés de20 à 65 ans ont été inclus, vivant tous dans le sud de la Suède.La moyenne du WAI est de 32 points (16,8–37). Treize patientsont une capacité de travail bonne ou très bonne (> 36), 15 enont une moyenne (28–36) et 20 patients ont une mauvaisecapacité au travail (< 28). Les deux problèmes le plus fréquem-ment exprimés par les patients sont : les métiers physiques ouqui demandent une bonne fonction de la main (37 patients), etles postes source de stress (25 patients).En ce qui concerne les caractéristiques du travail occupé, lesfacteurs les plus discriminants sont la possibilité d’adaptationdu poste par le patient (r = 0,45, p < 0,01) et la faible exigenceintellectuelle du poste (r = 0,49, p < 0,01). L’exigence phy-sique n’est pas trouvée dans cette étude comme discriminante.En revanche, ce paramètre est souligné par l’étude de Ouimetet al. [1], puisqu’un travail physique est plus souvent retrouvéchez les patientes en arrêt ou invalidité (p = 0,026) et parl’étude de Sandqvist et al. [11] puisque les patientes en pleineactivité ont un travail moins exigeant physiquement que lespatientes ayant des temps partiels thérapeutiques (p = 0,026).Le soutient des collègues est également significatif (r = 0,35,p < 0,05). Les patients ayant un WAI bon ou très bon ont unniveau de compétence plus élevé (r = 0,59, p < 0,001). On noteégalement dans cette étude que 40 % des patients sontinsatisfaits de leur capacité de travail.

Conséquences économiques de la perte de capacitéde travail et baisse de la productivité

Les coûts indirects de la maladie sont difficiles à estimer tantpour ce qui concerne la réduction de la productivité, la perte oula diminution des ressources financières pour le patient et lafamille. Les conséquences économiques et retentissement surle parcours professionnel ont été rapportés dans les deuxétudes françaises. Dans l’étude de Nguyen et al., les patientstouchant une pension d’invalidité rapportaient bien sûr unebaisse de leurs revenus (71 % vs. 23,2 %, p < 0,001), maisaussi, plus fréquemment que les autres, une absence depromotion (71 % vs. 28,6 %, p < 0,001) et un sentiment dediscrimination au travail (22,6 % vs. 5,4 %, p = 0,030). Parmi laseconde cohorte française [3], l’impact socio-économique étaitégalement important avec une perte de revenu pour 46,9 %, unmanque de promotion pour 43,3 % et un sentiment de dis-crimination au travail pour 10,6 % d’entre eux. Dans l’étude deBérezné et al., les patients auto-déclarent une diminution deleur productivité en lien avec leur ScS de 3,4 � 4,6 sur 10 (EVA[0–10]) et imputent cette baisse d’activité à la présence d’UD àhauteur de 1,4 � 3,1 sur 10.

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Shing et al. ont évalué la productivité au travail des 60 patientsen activité. Parmi les 60 patients qui travaillent, l’absentéismeétait de 2,6 jours/mois. Les patients rapportaient 2,5 jours/mois où ils évaluaient une baisse de leur productivité de 50 %et 2,2 jours/mois avec une baisse de productivité plus faible(< 50 %). Quarante et un pour cent (44/58) des patients ontmanqué au moins une journée de travail le mois précédantl’enquête avec une moyenne de perte de revenus de 897 dol-lars (127–2792) par mois. Les patients en invalidité rappor-taient une perte de revenus de 3576,9 � 1302,8 dollars parmois. Les patients ayant des métiers manuels avaient unabsentéisme plus important : 3,95 jours vs 2,03 jours (nonsignificatif, p > 0,05) [14].Deux études médico-économiques ont détaillé les coûts indi-rects liés au retentissement professionnel à l’échelon individuelet à l’échelon global pour la société [4,7].Minier et al., en Hongrie, ont montré que le coût relatif à labaisse de productivité représente 55 % du coût total de la priseen charge des patients sclérodermiques. Ce coût relatif est de67,4 % au cours de la PR et 52,1 % au cours du rhumatismepsoriasique [7]. L’étude canadienne montre un coût total deprise en charge de la ScS plus élevé qu’en Hongrie avec enmoyenne l’équivalent de 12 585 euros par patient [4]. Cepen-dant, la charge financière pour la société, liée à la perte deproductivité des patients, est moins importante au Canada(3645 euros vs 5390 euros/patients/an) en raison d’unepart plus importante de la charge financière supportée parles patients (5504 euros vs 264 euros/patient/an en Hongrie).Cette différence est bien entendue liée à des pouvoirs d’achatset des régimes de protection sociale différents.

DiscussionDans cette revue de 12 articles, il a été montré qu’il existait unretentissement professionnel considérable au cours de la ScS.Les retombées socio-économiques ont été étudiées dans deuxétudes médico-économiques. Le pourcentage des patients enarrêt ou en invalidité est de 18,2 % à 81,2 % et 34,5 % despatients actifs travaillent en temps partiel thérapeutique. Lagrande variation du pourcentage de patients en invaliditéconstatée entre ces différentes études peut provenir de métho-dologies différentes mais également de provenance géogra-phique différente. Ces différences rendent les comparaisonsdifficiles. En effet, le statut professionnel est non seulementinfluencé par la capacité de travail du patient mais aussi parl’accès au travail, le système de protection sociale et le contexteéconomique du pays dans lequel vit le patient. Sokka et al. ontbien démontré l’influence du contexte économique sur le statutprofessionnel des patients atteints de PR dans une étudeayant inclus 8039 patients dans 32 pays [23]. Les patientsrésidant dans un pays à faible produit intérieur brut continuentà travailler avec une maladie plus sévère et un handicap plusimportant que chez les patients vivant dans un pays riche.

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L’étude suédoise de Sandqvist publiée en 2008 retrouve le tauxle plus faible d’arrêt ou d’invalidité avec 18,2 % [11]. Onconstate qu’il s’agit de 100 % de femmes atteintes de formescutanées limitées avec un niveau d’éducation élevé puisque81,8 % ont fait des études au-delà du secondaire, laissantsuggérer des emplois moins pénibles physiquement. Les tauxles plus élevés d’incapacité sont retrouvés dans les deux étudesfrançaises réalisées par le centre de référence national sur lasclérodermie de l’hôpital Cochin avec des taux de 60,9 % et61,9 %. Là encore, le niveau de couverture et de prestationssociales en France peut expliquer une partie de ces chiffres. Parailleurs, le recrutement d’un centre de référence nationalentraîne un biais, avec des patients plus sévères. De plus,une partie des patients inclus dans ces études provenait del’association des sclérodermiques de France (ASF) qui ont unniveau de handicap plus important et plus de symptômes que lereste de la cohorte française [24].

Le retentissement professionnel est-il plusimportant au cours de la ScS qu’au cours d’autresaffections rhumatologiques inflammatoireschroniques ?

Au cours de la PR, la prévalence de patients ayant un reten-tissement professionnel est également très variable selon lesétudes et estimée entre 9 % et 76 % au cours des étudestransversales et de 22 % à 90 % dans les études longitudinales[1]. Au cours du lupus érythémateux systémique (LES), Bakeret al. ont récemment rapporté dans une revue de la littératureque, toutes études confondues, 34 % des patients sont eninvalidité [25]. Deux études comparent directement le reten-tissement professionnel au cours de la ScS et au cours d’autrespathologies rhumatologiques chroniques. L’étude de Ouimetcompare des patients sclérodermiques et des patients atteintsde PR, et l’étude de Minier et al. compare trois groupes despatients ayant soit une ScS, soit une PR ou un rhumatismepsoriasique. Pour Ouimet et al. [1], les patients travaillentmoins au cours de la ScS qu’au cours de la PR (p = 0,009),âge, sexe, durée d’évolution, niveau d’éducation, handicap,douleur et pénibilité du travail étant égaux par ailleurs. Cettedifférence, sans atteindre la significativité, est égalementobservée dans l’étude de Minier [7] : il y a plus de patientsen invalidité au cours de la ScS (48,8 %) qu’au cours de la PR(35,3 %). Par ailleurs, les patients avec un rhumatisme pso-riasique sont significativement moins fréquemment en invali-dité (24,6 %).La baisse de capacité de travail ou l’invalidité semblent, selonles études, liées de façon variable et parfois contradictoire à desfacteurs psychosociaux ou directement liés à la ScS comprenantl’âge, la race, le niveau d’éducation, la durée de la maladie, lasévérité de l’atteinte pulmonaire, le HAQ, la perte de fonctionde la main, la fatigue, le soutien de l’entourage, mais égale-ment aux caractéristiques du travail et de l’environnement

professionnel [8,12]. La fatigue et la douleur sont les facteursliés à la sclérodermie les plus constamment corrélés à laperte de capacité de travail. Seule l’étude de Sharif et al.montre qu’une atteinte viscérale, l’atteinte pulmonaire(score de sévérité pulmonaire de Medsger), est un facteurcorrélé à une baisse de capacité de travail à l’inclusion despatients mais également lors du suivi longitudinal (DLCO basse,p = 0,038). L’ethnie noire, l’atteinte pulmonaire, et donc laDLCO basse, sont des facteurs de mauvais pronostic au coursde la ScS, il est donc cohérent de les trouver associés à unebaisse de capacité de travail. De la même manière et de façonsurprenante, la forme diffuse influence le statut professionnelque dans une seule étude. Ces résultats doivent être interprétésavec prudence en raison du faible nombre de patients inclusdans certaines séries et du mode de recrutement avec parfoisdes groupes très homogènes empêchant de mettre enévidence les facteurs indépendants corrélés à la perte d’emploiou la baisse de capacité de travail.La fatigue est très fréquente au cours de la ScS [26] et aégalement été retrouvée comme facteur intervenant précoce-ment dans la baisse de capacité de travail au cours du LES et dela PR [27–29]. Le HAQ et surtout la perte de fonction de la mainretentissent sur les activités professionnelles des patients[1,3,6,9,11,12]. Les UD ont un impact important au cours dela ScS en termes de douleur, mais aussi sur le plan fonctionnelavec une augmentation du handicap global et de la mainentraînant un retentissement sur les activités occupationnellesdes patients et sur leur qualité de vie [3,30–32]. Cependant, surles trois études ayant étudié ce paramètre, seule celle deSandqvist et al. [12] montre une corrélation entre la présenced’UD actifs et le retentissement professionnel. Dans l’étude deBérezné et al., 34,5 % des patients lors de l’inclusion ont déjàadapté leur poste ou leur activité professionnelle en raison deleur ScS, et on peut donc penser que l’impact éventuel d’un UDest atténué par ces mesures adaptatives [3].L’ethnie n’est retrouvée que dans l’étude longitudinale deSharif et al. comme un facteur prédictif de perte d’emploilors de l’évolution de la maladie. Les patients blancs ont54 % moins de risque d’être en invalidité que les patients« non-blancs » (p = 0,038), ce qui rejoint les données retro-uvées au cours du LES [26]. Cette différence est liée au plus hautniveau socio-économique de la population blanche quiimplique un meilleur accès aux soins.Alors que l’évaluation de la charge professionnelle revêt pro-bablement autant d’importance que l’évaluation des para-mètres relatifs au patient et à sa santé, ils ne sont que trèspeu étudiés encore. Au cours de la PR, un handicap modeste etun travail peu exigeant physiquement sont des élémentsdéterminants pour le maintien dans l’emploi des patients[33–37]. Cependant, une étude américaine plus récente [38]réalisée à partir du fichier national des patients atteints dePR, le National Data bank (NDB) Longitudinal Study of RA

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Outcomes, montre que le poids du retentissement fonctionnelet de la sévérité de la PR diminue lorsque sont inclus dans lemodèle statistique les facteurs liés au travail et en particulierle nombre d’heures travaillées et le désir du patient à pour-suivre son activité professionnelle.Les données rapportées dans cette revue ne sont malheureu-sement pas généralisables à la population globale des patientssclérodermiques en raison des différences de recrutements depatients, de conditions de travail, etc.L’étude récente de Sandqvist donne des éléments importantspour comprendre la manière dont les patients sclérodermi-ques gèrent leur vie professionnelle. Grâce à une méthode defocus groupe, 17 patients ont été interrogés sur leur manièred’appréhender leurs difficultés dans le monde professionnel.Le premier point souligné était l’ajustement de la situationprofessionnelle en réduisant les horaires de travail, en pri-vilégiant la flexibilité en termes d’horaire et favoriser lapossibilité de Télé travail et éventuellement en adaptant leposte de travail (exposition au froid, pénibilité. . .). Le deu-xième point était l’adaptation du patient à ses propres capa-cités en favorisant les activités réalisables en sollicitant l’aidede ses collègues. Le point problématique était la divulgationaux collègues et dirigeant de ses limitations avec la crainted’un certain impact sur l’avancement ou le salaire [10]. Desétudes complémentaires seraient nécessaires afin de définir

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ConclusionLe retentissement professionnel au cours de la ScS est trèsimportant et au moins égal ou supérieur à celui constaté aucours de la PR et du LES. Les conséquences économiques etsociales pour le patient sont considérables. Une attentionparticulière doit être portée sur ce plan lors de la prise encharge des patients sclérodermiques. Une approche concertéeavec tous les acteurs (médecin traitant, médecin du travail,personnels des organismes sociaux s’occupant du handicap) estnécessaire dès lors qu’une répercussion notable et durable dansla vie professionnelle est constatée.

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Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article.

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