Révolution des valeurs et mondialisation - Luc Ferry

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    LucFerry

    RvoLuTionDES vaLEuRS ET

    monDiaLiSaTion

    Janvi 2012

    www.fondapol.org

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    www.fndpl.g

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    rvolution des valeurset mondialisation

    Luc Ferry

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    Lambition, sans doute dmesure, de cette note est dattirer latten-

    tion des dcideurs politiques, hors de tout esprit partisan, sur certains

    eets inattendus de la mondialisation en termes de sens et de valeurs.Pour dire les choses dentre de jeu, avant de les dvelopper et de les

    argumenter plus en proondeur, la mondialisation engendre trois cons-

    quences majeures qui rendent le mtier de politique particulirement

    prilleux, sans doute plus dicile que jamais exercer et, qui plus est,

    presque invitablement dcevant aux yeux des citoyens : elle demande,

    en eet, des sacrices de plus en plus lourds pour assurer la comptitivit

    de nos conomies ace aux nouveaux entrants, tout en nous retirant sanscesse davantage les moyens de laction et les horizons de sens qui pour-

    raient les lgitimer. De l la ncessit de redonner une perspective mobi-

    lisatrice une vie politique qui semble ne plus en avoir hors la simple

    gestion, il est vrai de plus en plus prenante, des crises et des contraintes

    internationales.

    Le thme du sens , du grand dessein , de la politique de civi-

    lisation ou du nouveau soufe , jen ai bien conscience, est devenu

    rituel pour ainsi dire cul. Cest une espce de pont aux nes, un pas-sage oblig auquel les politiques savent bien quil aut sacrier mais

    sans avoir pour autant la moindre proposition originale ormuler. En

    gnral, ils prennent les dpartements ministriels un par un, et ils ont

    le sentiment davoir conu un grand projet quand ils se contentent de

    rvolution des valeurset moNDiaLisatioN

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    prtendre aire plus ou mieux que leurs concurrents sur chaque secteur :

    X % de plus pour la culture et pour le social, X % de baisse des dcits

    publics chaque anne, une meilleure lutte pour lemploi et la croissance,

    quelques innovations en matire de dmocratie, des jurys populaires,

    une rorme du Parlement Lexercice est vrai dire si classique et si usque je comprendrais ort bien que mon lecteur sendorme avant la n de

    ce paragraphe, convaincu davance que cette nime tentative na gure

    de raison dtre plus heureuse que les autres.

    Pour lui pargner tout le moins le sentiment de perdre son temps,

    jirai donc trs vite lessentiel. Il pourra ainsi juger sans dlai de la

    pertinence, ou de limpertinence, des propositions que je vais ormuler le

    plus simplement et le plus brivement possible. Mais, surtout, je voudraisquil sache qu la dirence des tentatives habituelles, je ne prtends

    nullement tirer de mon modeste cerveau des ides gniales et indites,

    seulement observer le rel historique et tcher de discerner les lignes de

    orces qui sont dj luvre en lui et qui pourraient, si on se donne la

    peine de les reprer, nourrir la construction dun projet politique digne

    de ce nom. Point de ction, donc, mais plutt une analyse objective de

    la situation, analyse partir de laquelle, cependant, il est possible, ce

    quil me semble, dlaborer une vision du monde qui donne du sens et dela valeur laction collective.

    Tout dabord, revenons la situation de dpart et ces trois cons-

    quences unestes de la mondialisation que jvoquais en commenant

    cette note : quelles sont-elles au juste et en quoi ont-elles un impact

    ngati sur la vie politique nationale ?

    En premier lieu, la mondialisation, en raison notamment des nou-

    velles donnes de la concurrence avec lInde et la Chine, impose nosvieux tats providence, par-del tous les clivages droite-gauche quon

    voudra voquer, une cure damaigrissement, un imprati de rduction

    de la dette et des dcits publics qui sont ncessairement perus par

    nos concitoyens sous les espces de la rigueur , pour ne pas dire du

    sacrice les rormes des retraites, la rduction des services publics

    (RGPP), le blocage, voire la diminution des revenus des personnels de

    la onction publique, laugmentation des impts ou la suppression de

    niches scales : toutes ces mesures daustrit occupent aujourdhuilEurope entire et ournissent un bon exemple de la potion amre que

    les dirigeants, de quelque bord quils soient (voyez lEspagne et la Grce

    socialistes), ne peuvent plus pargner aux populations indignes .

    Quelle que soit la nature exacte des rormes choisies ici ou l, selon

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    les pays ou les options partisanes, nos tats providence sont obligs de

    rduire la voilure pour ne pas trop peser sur des entreprises europennes

    dont les cots de production sont en moyenne, tous paramtres pris en

    compte, de vingt trente ois suprieurs ceux des entreprises chinoises.

    Simaginer, comme les Indigns de tous bords il en est autant lextrme droite qu lextrme gauche , que cette rduction du poids

    des services publics relve dune politique nolibrale concerte par des

    politiciens malveillants est tout simplement absurde : la concurrence que

    ont peser sur nos conomies les nouveaux entrants est un ait objecti

    qui simpose tous les gouvernements europens, quelle que soit leur

    couleur politique. Le thme de lindignation, pour comprhensible quil

    soit, nest que le symptme du sentiment dabandon des masses popu-laires, aiguillonnes par des dmagogues en mal dinfuence, ace ce

    phnomne, nouveau dans sa orme actuelle, quest la mondialisation.

    Mais en plus de cette politique plus ou moins sacricielle , qui ait

    invitablement monter en puissance le thme dmagogique entre tous

    de la colre lgitime , la mondialisation produit encore deux eets

    proccupants : dune part, une rduction considrable des marges de

    manuvre des tats-nation ; dautre part, une perte du sens de lhistoire

    comme jamais par le pass. La ameuse sentence de Marx selon laquelle les hommes ont leur histoire, mais sans savoir lhistoire quils ont

    na sans doute jamais t aussi juste quaujourdhui.

    Si on met ensemble ces trois consquences de la globalisation, lam-

    pleur du problme proprement politique quelle soulve apparat claire-

    ment : non seulement elle impose des sacrices de plus en plus grands aux

    dmocraties occidentales, mais, en outre, elle les prive dune perspective

    de sens qui pourrait mobiliser les peuples au moment mme o elle leurconsque les principaux moyens dune action rellement ecace sur le

    cours du monde (les leviers des politiques nationales ne levant en vrit

    plus grand-chose). Sacrices invitables, clipse du sens de lhistoire et

    impuissance publique croissante : le cocktail est videmment explosi.

    Il sut dy rfchir un instant pour comprendre quune politique ne

    peut tre crdible, surtout quand elle exige des citoyens des eorts, qu

    trois conditions. Il aut dabord quelle possde un sens clair et mobili-

    sateur, quon sache pourquoi et, surtout,pour qui il aut aire des sacri-ces. Mais il aut aussi que la politique conduite par les dirigeants soit

    efcace, quon en voit les consquences chance pas trop lointaine.

    Enn, il aut videmment quelle soit paraitement et presque ostensible-

    ment quitable, aute de quoi aucun eort nest acceptable ni accept.

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    Or, sur ces trois points, les gouvernements aux aaires en Europe,

    tous partis conondus, donnent le sentiment de patauger largement

    dans le fou (je ne parle pas des oppositions car, dans lopposition, les

    possibles sont sans limite : il est dusage dy proposer la lune + 10 %,

    lpreuve du pouvoir remettant aussitt les choses en place, suscitantaussi dinvitables dceptions qui se traduisent par une monte plus ou

    moins signicative des extrmes). En France, tout particulirement, les

    lecteurs expriment de plus en plus nettement le sentiment que les choses

    navancent pas , que rien ne bouge vraiment, sinon parois dans le

    mauvais sens les dcits augmentent, il aut travailler plus longtemps,

    lducation nationale ne va pas mieux, les banlieues non plus, les inci-

    vilits se multiplient, les ingalits se creusent, lemploi et le pouvoirdachat rgressent Face ce dsarroi, les dirigeants, obnubils par les

    contraintes qui leur semblent videntes mais qui ne le sont nullement

    pour les peuples ( preuve : le succs du thme de lindignation), se rv-

    lent en gnral incapables dexpliquer de manire convaincante dans

    quel but global et drateur, avec quel objecti vritablement porteur de

    sens et, par l mme, mobilisateur, il audrait se serrer la ceinture : sans

    aller jusqu entonner le thme archo-dmagogique des cadeaux ait

    aux riches et aux banquiers , on a toujours le sentiment que la rigueursabat sur les citoyens comme une atalit inexplicable, comme sil sagis-

    sait de aire plaisir au ministre du Budget ( Bercy ), au Fonds mon-

    taire international (FMI) ou la Banque centrale europenne (BCE)

    pour des motis plus ou moins abstraits de rduction de dcits, dont les

    montants abyssaux ne signient de toute aon rigoureusement rien de

    concret ni de palpable pour limmense majorit des individus.

    Il est temps de commencer analyser les motis historiques et philo-sophiques qui expliquent cette situation de marasme, qui rendent aussi

    raison, comme la excellemment montr lenqute sur la jeunesse mene

    en 2010 par la Fondation pour linnovation politique, de lincroyable

    pessimisme des jeunes Franais touchant lavenir de leur pays. Mais il est

    temps, aussi, de proposer, sinon des solutions cles en main , du moins

    de vritables perspectives qui, en termes de sens et de valeurs, soient

    susceptibles douvrir nouveau lavenir sans pour autant reprendre le

    chemin de ces utopies unestes qui ont si souvent conduit le XXe siclevers la terreur ou, du moins, comme dans la France de 1968 ou mme de

    1981, vers la dception et le retour lordre gnrateurs de pessimisme,

    ce sentiment qui tend devenir le mal du sicle ou, tout le moins, le

    mal ranais par excellence.

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    Du pessimisme : quil nest, avec lindignation, quune acilit de plus

    Nos dmocraties ont une tendance proonde et naturelle ne percevoir

    dans lhistoire que ce qui seondre et meurt, presque jamais ce qui nat

    et prend vie. Do cette propension au pessimisme qui assure, dEmilCioran Philippe Muray, le succs des contempteurs de la modernit.

    Il est vrai que le XXe sicle leur acilite largement la tche. Sans mme

    voquer les catastrophes totalitaires et les guerres, il aura t caract-

    ris, du moins en Europe, par trois grands traits, dont les deux premiers

    expliquent assez bien la monte en puissance des sentiments ngatis.

    Premier trait : nous avons vcu, du moins en Europe et dans le monde

    occidental, une dconstruction des valeurs traditionnelles comme on

    nen avait jamais connu dans lhistoire de lhumanit. Quil sagisse delart moderne, des sciences et des techniques, de lvolution des murs,

    de la condition des emmes, des homosexuels, de la n des paysans ,

    des principes traditionnels de lcole rpublicaine, avec ses bons points,

    ses bonnets dne et ses crmonies de remise des prix, notre univers

    mental a chang, en bien comme en mal, parois davantage en cinquante

    ans quen cinq cents ans. Comment ne pas en tre boulevers ? En appa-

    rence, ces changements urent le plus souvent leet de contestationsmultiples des visions traditionnelles du monde, contestations qui urent,

    dans le cadre ranais notamment, les hritires naturelles de lide rvo-

    lutionnaire, du geste de la table rase et de linnovation radicale : cest

    au nom de la vie de bohme , comme dans la chanson, au nom du

    sentiment que la vraie vie est ailleurs , quon a voulu aire table rase

    du pass pour inventer un monde neu, un univers inou o il erait enn

    bon vivre. Passionnante aventure aux eets contrasts tout ne ut pas

    ngati, loin de l, dans lrosion des valeurs et des autorits tradition-nelles dont jai retrac ailleurs 1 les grands moments depuis les annes

    1830.

    La ralit est cependant bien dirente des apparences : le vritable

    moteur de lhistoire rcente ne ut pas la contestation bohme des

    valeurs traditionnelles, mais le capitalisme, cest--dire la mondialisation

    librale. Cest elle qui ut le principal agent de la grande dconstruction.

    Sous les pavs, il ny avait pas la plage, mais la globalisation , et ce

    pour une raison ondamentale entre toutes quil est temps de percevoir

    clairement, car elle est une des principales cles de comprhension du

    XXe sicle europen : il allait, en eet, que les valeurs traditionnelles

    1 . V La Rvolution de lamour. Pour une spiritualit laque, P, Pln, 2010.

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    ussent dconstruites, si possible par des jeunes gens rvolutionnaires,

    contestataires, voire libertaires et anarchistes, en tout cas utopistes, pour

    que nous, et surtout nos enants, nous puissions entrer dans lre de la

    grande consommation de masse sans laquelle lconomie mondiale ne

    tournerait pas. Pour dire la mme chose autrement : rien ne reine autantla consommation addictive, cette hyperconsommation dsormais indis-

    pensable la croissance de nos conomies, que le ait de possder des

    valeurs morales, culturelles et mme spirituelles ortes et stables, cest-

    -dire des valeurs traditionnelles. Plus vous disposez, dans votre cur

    comme dans votre tte, dune vie intrieure riche et satisaisante, moins

    vous prouverez le besoin, le samedi aprs-midi, de mettre les enants

    larrire de la voiture pour aller acheter des gadgets inutiles au centrecommercial du coin.

    Il allait donc, pour que nos entreprises puissent prendre leur essor,

    que les valeurs traditionnelles, celles qui dominaient encore la France des

    annes 1950 et, plus gnralement, lEurope davant la consommation

    de masse rntique, ussent liquides, pour ne pas dire liques en

    quoi, paradoxe suprme du XXe sicle europen, les jeunes contesta-

    taires anims par lesprit de la bohme ont servi la soupe au bourgeois.

    Loin dabolir la socit de consommation, nos soixante-huitards nontait, une ois leervescence passe et le souf retomb, que la renorcer

    comme jamais, avant dy prendre leur place au soleil, acclrant ainsi le

    processus quils prtendaient dconstruire. Tel est le deuxime traitdu

    XXe sicle.

    Le troisime traitreste encore penser et cest lui qui peut permettre,

    comme jessaierai ici de le montrer, de redonner des perspectives nouvelles

    et prometteuses une vritable politique de civilisation expressionheureuse mais, il aut bien lavouer, reste jusqu prsent singulirement

    vide de sens. Sous leet de lhistoire de la vie prive, en loccurrence de

    la amille moderne, onde sur linvention rcente de ce quon a appel le

    mariage damour par opposition au mariage de raison, arrang par

    les amilles hors du choix des jeunes gens, nous assistons lmergence

    dune nouvelle gure du sens qui va rvolutionner nos existences, mais

    aussi modier radicalement la donne sur le plan politique et collecti.

    Sous leet de cette histoire, cest dsormais la personne humaine quinous apparat avant tout comme sacre, et ce inniment plus que tous les

    autres motis traditionnels de la vie politique, commencer par ces deux

    grandes causes , elles aussi sacres en leur temps, que urent pen-

    dant des sicles la nation et la rvolution. Le sacr, je le prcise aussitt,

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    nest pas ici conondre avec le religieux . Le sacr et cela sentend

    dans le mot lui-mme , cest tout simplement ce pourquoi on pourrait

    se sacrier : des valeurs sont sacres quand je pourrais, la limite,

    mourir pour elles ce qui ait du sacr le lieu par excellence du sens, de

    ce qui donne du sens, sinon nos vies, du moins dans nos vies.Pour dire les choses simplement, depuis la Rvolution ranaise,

    deux grandes causes sacres ont anim la politique moderne, deux

    grands oyers de sens ont donn du lustre et dr toutes les rormes

    et tous les projets particuliers : droite la patrie, gauche la rvolution.

    Lorsque jtais adolescent, le journal des gaullistes sappelait La Nation,

    et la France constituait pour eux le n mot de toute politique, lalpha

    et lomga de tous les projets particuliers que cet horizon de sens globalvenait drer. De lautre ct, luniversit, mes camarades de gauche

    taient tous, sans aucune exception, rvolutionnaires (ou du moins

    ils se disaient tels) : quils ussent maostes, trotskistes, anarchistes ou

    communistes, cest la cause de la rvolution qui donnait un sens, sinon

    religieux, du moins sacr , leurs engagements particuliers.

    Or je prtends que sous leet de la grande dconstruction des valeurs

    traditionnelles qui a domin tout le XXe sicle, mais aussi sous leet de

    lhistoire de la vie prive, notamment de cette rvolution de lamour qui a marqu la n du XXe sicle en Europe, nous vivons aujourdhui

    lmergence dun nouveau principe de sens, la naissance dune nouvelle

    gure du sacr qui, bien quissue de la vie prive, est en train de boule-

    verser de ond en comble notre rapport au collecti et la chose publique.

    Ce nest plus la nation, pas davantage la rvolution qui aujourdhui ani-

    ment la vie des individus dans nos dmocraties europennes. Au terme

    provisoire du sicle qui vient de sachever, il aut bien aire un constat :les grandes causes lancienne, les motis traditionnels du sacrice col-

    lecti se sont estomps, voire clipss. Qui voudrait encore aujourdhui,

    en Europe de lOuest, mourir pour la patrie ou pour la rvolution ?

    Personne ou presque, et lencontre de la morosit ambiante, je prtends

    que cest sans doute la meilleure nouvelle, pas mme du sicle, mais peut-

    tre bien du millnaire.

    Car cela ne signie nullement, au rebours exact de la vulgate mdia-

    tique, leondrement de nos tats providence dans la mdiocrit del re du vide , du dsenchantement du monde ou de la mlan-

    colie dmocratique , pour citer le titre de trois livres, par ailleurs excel-

    lents, sur la morosit de nos socits europennes. La disparition des

    nationalismes ous (que je ne cononds videmment pas avec la trs

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    lgitime dense de la nation rpublicaine), comme du dlire rvolution-

    naire, ces deux mirages qui ont caus tant de malheurs et de sourances

    indicibles, nimplique en rien, comme on le croit htivement, que nous

    aurions liquid tout rapport des causes collectives. Cest mme bien

    des gards tout le contraire qui se joue dans les eets bouleversants desmtamorphoses de la vie prive dans la sphre publique. Il sut dy

    songer un instant en soi-mme, sans se laisser infuencer par le discours

    ambiant, pour se convaincre que nous ne vivons nullement la dispari-

    tion du sacr, mais, ce qui est tout dirent, lmergence dune nouvelle

    gure du sacr : ce que jai appel la sacralisation de lhumain ou

    le sacr visage humain . En clair, les seuls tres pour lesquels nous

    serions prts, le cas chant, risquer nos vies, non pas de gat de cursans doute, mais sil le allait, sont de toute aon des tres humains,

    des personnes de chair et de sang, pas des entits abstraites telles que la

    nation ou la rvolution.

    Certains objecteront aussitt, sans mme prendre un instant pour

    rfchir mais je le dis dentre de jeu, ce rfexe de Pavlov, prorm

    par les visions traditionnelles de la politique, est indigent , que ce que

    je dcris l nest hlas ! pas autre chose que le vaste mouvement de

    repli individualiste qui caractriserait les socits librales, gosteset marques avant tout par le dclin du collecti. Je le dclare claire-

    ment : cest tout linverse qui est vrai, comme en tmoigne, du reste, le

    ait que jamais lide rpublicaine, cette res publica qui servait encore

    de repoussoir en mai 1968, na t aussi sacralise quaujourdhui :

    du Front national au Front de gauche en passant par lUMP et le Parti

    socialiste, nos politiques communient chaque matin jusquau pathtique

    dans la clbration des valeurs dune nouvelle divinit nomme lacitrpublicaine . Pas de malentendu : je men rjouis, videmment, mais

    cest clairement lindice que personne ne semble accorder dsormais la

    moindre valeur l individualisme libral , expression qui est mme

    devenue le nouveau repoussoir du temps prsent.

    La vrit, cest que les rvolutions de la vie prive, dans nos dmo-

    craties dopinion, ne sauraient rester longtemps sans eet sur la vie

    publique et politique. Pour aller lessentiel : le passage de la amille

    traditionnelle, onde sur le mariage de raison, arrang par les parents, la amille moderne, onde sur le sentiment et le libre choix des jeunes

    gens, bouleverse, bien quenracin dans la vie prive, de ond en comble

    aussi notre rapport la vie collective. Cest notamment ce passage qui

    explique lmergence dune problmatique politique nouvelle, vrai dire

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    la seule problmatique politique originale et indite depuis la Rvolution

    ranaise, problmatique qui va peu peu remplacer, en termes de sens,

    les motis traditionnels, nationalistes ou rvolutionnaires, du sacrifce :

    savoir la question des gnrations utures. Cest elle, de toute vidence,

    qui va devenir le nouveau principe organisateur de la politique moderne,

    cest elle qui va donner bientt du sens toutes les rormes particu-

    lires, tous les eorts que ltat demandera aux citoyens et quils

    accepteront pourvu quils soient la ois senss et justes, pourvu que

    lon sache clairement quelles conditions dquit, mais aussi pourquoi

    et surtoutpour qui, ilaut les consentir. En quoi la sacralisation de lhu-

    main, consquence directe de lhistoire de la amille moderne, peut servir

    de levier une rouverture de lavenir guide par le souci des gnrationsutures, cest--dire par le souci de ceux que, nalement, nous aimons le

    plus, dont nous nous soucions le plus et pour lesquels seuls nous serions

    prts de vritables sacrices, savoir nos proches qui, au niveau poli-

    tique, deviennent des prochains , cest--dire des anonymes apparte-

    nant non plus la sphre prive, mais la sphre publique : lorsquon

    est ministre de lducation nationale et quon envisage une rorme

    importante, on le ait sans doute en pensant quelle pourrait sappli-

    quer ses propres enants, mais on ne la met videmment pas en uvre

    pour eux seuls (pour ses proches, pour la seule sphre prive), mais pour

    lensemble des petits Franais (donc pour le prochain et pour la sphre

    publique) cela prcis pour viter le malentendu habituel qui consiste

    simaginer que le ait de se soucier de ses enants, de ses proches, serait

    contraire la prise en compte du collecti, ce qui est videmment aux.

    Le dclin de la nation et de la rvolution, lmergence du sacr visagehumain et le renchantement de la politique

    Jy insiste, tant le malentendu est rquent : le sacr, ce nest videmment

    pas le religieux et je ne plaide surtout pas ici pour une nouvelle orme

    de thologico-politique. Le sacr nest pas, ou en tout cas pas seulement,

    loppos du proane, mais tout la ois le lieu du sacrice possible, et par

    l mme du sens. Comme le dit un ancien proverbe arabe : un homme

    qui na pas rencontr dans sa vie un moti de la perdre est un pauvrehomme, car il na pas rencontr le sens de sa vie. Pour que la politique

    ait du sens, pour quelle apparaisse comme une grande cause, qui vaut

    la peine quon sengage pour elle, que lon asse au besoin des eorts

    pnibles, il aut en eet quelle entretienne un certain lien avec le sacr.

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    Cest ce lien qui, aujourdhui, est en passe de changer la ois de moti et

    de nature proonde : le sacr visage humain, qui nat de lhistoire de la

    amille moderne, la dirence des anciens visages, le nationaliste ou le

    rvolutionnaire, du sacr, nest plus transcendant par rapport lhuma-

    nit, mais incarn en elle en quoi les sacrices quil peut ventuellementcommander et auxquels il peut donner sens ne sont plus ncessairement

    mortires, plus ncessairement acteurs de nouvelles guerres comme le

    urent presque toujours ceux qui ont domin lEurope nationaliste et

    rvolutionnaire par le pass.

    Le plan de cette note sera donc ort simple.

    I. Dans un premier temps, il sagira de comprendre, jusquen leur racine,les trois eets dltres quengendre la mondialisation sur nos dmo-

    craties europennes (ce qui ne signie videmment pas quelle naurait

    pas aussi, mais par ailleurs, des eets extraordinairement positis) : les

    sacrices lis aux impratis de rduction des dcits et de la dette ;

    limpuissance relative des politiques nationales, lessentiel (la croissance,

    lemploi, la rgulation nancire, cologique, etc.) se jouant pour une

    trs large part ailleurs quau niveau des tats-nation ; la perte de sens de

    lhistoire induite par la pluralit quasiment innie des centres de dci-sion comme des acteurs de changement.

    II. Dans un second temps, il sagira de proposer des perspectives davenir

    en termes de sens et de valeurs, perspectives lies notamment cette

    rvolution de la amille qui induit au niveau collecti de grands change-

    ments, commencer par lapparition de cette problmatique politique

    nouvelle des gnrations utures , cest--dire, si on la traduit en

    termes simples, la question de savoir quel monde les adultes qui sontaujourdhui aux commandes prendront la responsabilit de laisser

    ceux qui viennent aprs eux, non pas seulement sur le plan cologique,

    mais aussi en termes de protection sociale, de choc des civilisations, das-

    sainissement des nances publiques, etc. Ce sera loccasion de montrer

    au passage combien la question de la jeunesse va devenir cruciale dans

    les annes qui viennent, combien, par consquent, les politiques seraient

    bien inspirs de sen aviser ds maintenant.

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    sur trois eFFets de la mondialisation :

    sacriFices indispensables, clipse du sens

    et impuissance publique

    vitons dabord un malentendu, qui a sans doute dj commenc sins-

    taller dans la tte de mes lecteurs les plus libraux : non, la mondialisa-

    tion nest pas une catastrophe. Loin de l. Au crdit de la mondialisation,

    on doit dabord porter le ait quelle ouvre des univers jusqualors replis

    sur eux-mmes, totalement erms aux autres, ce qui surait presque

    soi seul la justier. Si nous tions capables de mettre de ct notre point

    de vue dEuropens nantis, si nous tions Indiens, Chinois, Brsiliens,

    voire Aricains, nous applaudirions des deux mains au ait que des cen-taines de millions de pauvres sortent aujourdhui de la misre grce aux

    changes avec le reste du monde. Du reste, il sut, lencontre de ce que

    clament, contre tout bon sens, les altermondialistes et autres indigns, de

    considrer lvolution politique de la plante depuis cinquante ans pour

    mesurer quel point les choses se sont amliores. Tout semble mme

    tourner au prot de la dmocratie : les dictatures qui ensanglantaient

    lAmrique latine ont pour lessentiel disparu, les totalitarismes de lEstaussi, des pays comme la Grce, lEspagne ou le Portugal qui taient

    encore pris dans lorbite du ascisme du temps de mon enance, sont

    devenus de paisibles social-dmocraties et il nest pas jusquau monde

    arabe qui ne veuille entrer lui aussi dans le cercle vertueux de la libert

    et des droits de lhomme. Il aut une singulire dose daveuglement ou

    de mauvaise oi pour prtendre que tout empire chaque anne, alors que

    cest le contraire exact qui a lieu.

    Mais, mme pour nous, Europens, et malgr les contraintes quelle

    nous impose, la mondialisation capitaliste peut tre aussi un bienait et

    une chance. On ne trouvera donc ici, malgr les eets dltres que jai

    voqus et que je mapprte dvelopper dans un instant, nul plaidoyer

    en aveur de la dmondialisation , encore moins de la dcroissance,

    pas davantage pour ce mirage la mode quest le protectionnisme euro-

    pen. La mondialisation librale, quoi quen disent les extrmes, de droite

    comme de gauche, possde un certain nombre de vertus quil est tout ait vain de contester. Du reste, comme le montrent tous les conomistes,

    droite comme gauche l encore, le niveau de vie des Franais sest

    considrablement lev depuis les annes 1950. Il a mme t multipli,

    en moyenne, tout simplement par trois ou quatre.

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    loge du modle social europen au sein dune mondialisation qui na pasque des dauts

    Il sut de voyager un peu de par le vaste monde pour prendre conscience

    que nos dmocraties europennes, si niaisement dcries aujourdhuiau nom de lindignation, ont invent un modle de socit propre-

    ment parler gnial , une cration social-historique ormant un mixte

    de libert et de bien-tre que rien, ni dans lhistoire ni dans la gogra-

    phie, na jamais gal jusqu ce jour. Pour sen convaincre, aites juste

    cette exprience mentale : lisez ou relisez les utopistes du XIXe sicle, ou

    voyez plus simplement Dickens ou encore Hugo et ses Misrables. Mme

    en rve, aucun dentre eux naurait os imaginer le dixime de ce dont

    chacun de nos enants dispose sa naissance dans nos tats providence,en Allemagne, en Angleterre ou en France comme en Italie ou mme au

    Portugal ou en Espagne, en termes de libert desprance de vie, de droit

    la circulation et la parole, lducation, la culture, lamour, la sant,

    etc. Il est non seulement suicidaire mais absurde, dans ces conditions, de

    cder la haine de soi et la dpression, lindignation et la colre,

    ces passions unestes, essentiellement portes par cette jalousie anatique

    dont Tocqueville prvoyait dj que, sous couvert de rvolte gnreuse,elle deviendrait en ralit le premier fau des socits dmocratiques.

    Reprendre la main sur un cours du monde qui nous chappe de toute part :dpossession dmocratique et impuissance publique

    Malgr ses eets positis incontestables, la mondialisation nen pose pas

    moins, sur le plan politique, un gigantesque problme, un d si parti-

    culier quil apparat dores et dj comme le d numro un de la poli-tique de demain : celui de la dpossession des citoyens ace un cours du

    monde qui, chaque jour, leur chappe davantage, parce quil chappe

    leurs reprsentants les plus minents. Il y a l une vritable menace pour

    une dmocratie qui, lorigine, nous aisait au minimum la promesse que

    nous allions pouvoir enn, quittant les temps obscurs de labsolutisme et

    de lAncien Rgime, aire ensemble notre histoire et matriser notre destin,

    ne t-ce que par le biais du surage universel. Car cest bien cette pro-

    messe que la mondialisation trahit comme jamais et ne nous aisons pasdillusions : le dclin de ltat-nation rend ort douteuses et improbables

    les ractions souverainistes qui prtendent reprendre la main en

    sappuyant seulement sur les ressorts des politiques nationales.

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    Pour dire, l encore, les choses simplement, il est indniable que sous

    leet de la comptition gnralise entre les pays, les entreprises, les

    laboratoires de recherches, les universits, etc., lunivers dans lequel

    nous entrons, non seulement nous chappe de plus en plus, mais se

    rvle tre en outre port par un cours de lhistoire dsormais tout aitdnu de sens, dans la double acception du terme : priv tout la ois

    de signication et de direction. Nous navons pas la moindre ide ni du

    monde que nous construisons, ni de ce pourquoi nous le construisons.

    Du reste, lanne qui vient de scouler en tmoigne comme jamais par

    limprvisibilit radicale des principaux vnements qui lont marque,

    commencer par ce ameux printemps arabe que nul navait anticip

    et dont nul ne sait au juste au prot de qui il va nalement tourner.Mais revenons notre propre histoire europenne et ce que nos

    conomies, dsormais insres dans le tissu mondial, induisent en termes

    dimprvisibilit. Considrons un instant un exemple tout simple, que

    tout un chacun peut observer par lui-mme : chaque anne, chaque

    mois, presque chaque jour, nos tlphones portables, nos ordinateurs

    ou nos voitures changent. Ils voluent. Les innovations se multiplient

    linni, les crans sagrandissent, se colorent, les connexions Internet

    samliorent, les vitesses augmentent, les dispositis de scurit progres-sent, de nouvelles onctionnalits apparaissent, rendant obsoltes ce qui

    nous semblait encore lanne davant miraculeusement marqu du sceau

    de la nouveaut. Ce mouvement, directement engendr par la logique

    de la comptition mondiale, est tellement irrpressible quune entreprise

    qui ne le suivrait pas se suiciderait. Il y a l une contrainte dadapta-

    tion quaucune dentre elles ne peut ignorer, que cela plaise ou non, que

    cela ait ou non un sens. Ce nest pas une question de got, un choixparmi dautres possibles, mais un imprati absolu, une ncessit indis-

    cutable si lon veut, tout simplement, survivre. Quoi quil en pense, le

    che dentreprise doit aujourdhui innover pour innover, et ce dans tous

    les domaines : les produits quil met sur le march, bien sr, mais aussi la

    gestion des personnels, linormatisation, la suppression du papier dans

    la acturation, la communication de lentreprise, la publicit, la mise en

    exergue de nouvelles valeurs, etc.

    Du coup, dans cette mondialisation qui met aujourdhui toutes lesactivits humaines dans un tat de concurrence incessante, lhistoire se

    meut dsormais hors la volont des hommes. Pour prendre une mta-

    phore banale, mais parlante : comme une bicyclette doit avancer pour ne

    pas chuter, ou un gyroscope tourner en permanence pour rester sur son

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    axe et ne pas tomber du l sur lequel vous lavez pos, il nous aut sans

    cesse progresser , mais ce progrs mcaniquement induit par la lutte

    pour la survie na plus nul besoin dtre situ au sein dun projet plus

    vaste, intgr dans un grand dessein qui viendrait lui donner du sens.

    On mobjectera que la mondialisation nest pas un phnomne aussinouveau que je semble le croire, que de toute aon les hommes nont

    jamais ait leur histoire et que je dramatise un peu les choses. Il nen est

    rien. On le comprendra aisment si lon veut bien prendre un instant

    en considration la dirence abyssale qui spare notre mondialisation

    actuelle de ses premires esquisses, au temps de lmergence de la science

    moderne qui, sans nul doute, ut la premire orme de discours voca-

    tion mondiale . Dans le rationalisme des XVIIe

    et XVIIIe

    sicles, chezBacon, Descartes, les encyclopdistes ranais ou chez Kant, par exemple,

    le projet d'une matrise scientique de lunivers possdait encore une

    vise mancipatrice. Dans son principe, il restait soumis la ralisation

    de certaines fnalits, de certains objectis considrs comme proftables

    pour lhumanit. On ne sintressait pas seulement aux moyens qui nous

    permettraient de dominer le monde, mais aux objectis que cette domi-

    nation mme nous autoriserait, le cas chant, raliser en quoi cet

    intrt ntait pas purement technicien, seulement pragmatique , maissinscrivait bien, pour le coup, dans un politique de civilisation . Sil

    sagissait de dominer l'univers thoriquement et pratiquement, par la

    connaissance scientique et par la volont des hommes, ce n'tait pas

    pour le simple plaisir de dominer, par pure ascination narcissique pour

    notre propre puissance. On ne visait pas innover pour innover, ma-

    triser pour matriser, mais bien pour comprendre le monde et pouvoir, le

    cas chant, sen servir en vue de parvenir certains objectis suprieursqui se regroupaient au fnal sous deux chapitres principaux : la libert

    et le bonheur. Pour les reprsentants des Lumires, il sagissait avant

    tout, grce au progrs des sciences et des arts (de lindustrie), dman-

    ciper lhumanit des chanes de l obscurantisme moyengeux, mais

    aussi de la tyrannie que la nature brutale ait peser sur nous. En dautres

    termes, la domination scientique du monde ntait pas une n en soi,

    mais un moyen pour une libert et un bonheur enn accessibles tous.

    Le premier visage de la globalisation sest donc identi cette gigan-tesque rvolution scientique des Lumires. Avec la science moderne, en

    eet, ce qui apparat pour la premire ois dans lhistoire de lhumanit,

    cest un discours, celui de la raison exprimentale, qui va enn pouvoir

    prtendre de manire lgitime et crdible valoir pour lhumanit tout

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    entire. La science transcende tous les clivages sociaux et politiques :

    elle traverse les classes sociales et les rontires, en quoi elle vaut pour

    les pauvres comme pour les riches, pour les aristocrates comme pour les

    roturiers, mais aussi pour les Chinois comme pour les Allemands, les

    Anglais, les Italiens ou les Franais. La science reprsente ainsi le pre-mier discours rellement mondialis dans toute lhistoire de lhumanit.

    Avant, on est, si je puis dire, dans la collection contes et lgendes : il

    y a des religions, des philosophies, des littratures, des mythologies, des

    cosmologies, etc., mais elles sont toutes locales, rgionales, limites des

    cultures et des rgions particulires. Cest seulement avec la rvolution

    scientique moderne que le monde commence rellement sunier sur

    le plan intellectuel.Mais il y a plus. Au moment o elle prend son essor, cette premire

    poque de la mondialisation apparat porte par un ormidable projet

    de civilisation. Il nest pas seulement question de comprendre lunivers,

    de percer ses mystres, mais il sagit bel et bien de construire une civi-

    lisation nouvelle, ddier un monde moral et politique o les hommes

    seront enn plus libres et plus heureux. Le bonheur, une ide neuve en

    Europe , prtendait Saint-Just. En dautres termes, lhistoire possde,

    aux yeux des esprits clairs de lpoque, une fnalit suprieure, unsens commun : elle est oriente vers le progrs.

    La seconde mondialisation, celle dans laquelle nous baignons

    aujourdhui et qui merge vritablement dans la seconde moiti du XXe

    sicle avec Internet et des marchs nanciers qui onctionnent grce lui

    de manire dsormais instantane, reprsente tout la ois un produit de

    la premire et une rupture totale avec elle. Ce qui la caractrise au plus

    haut point, cest une chute , au sens biblique ou platonicien du terme.Le projet des Lumires tombe en eet dans une inrastructure, celle

    du capitalisme mondialis, qui implique une comptition totale, parce

    que dsormais ouverte sur le grand large. Limprati de linnovation,

    donc de la table rase avec le pass ou, si lon veut, de la rvolution

    permanente, nest plus une question de got, un choix parmi dautres

    possibles, mais une ncessit indiscutable si lentreprise veut, tout sim-

    plement, ne pas aire aillite. L aussi, Marx avait raison : le capitalisme

    moderne ne peut pas exister sans bouleverser en permanence les orcesproductives et les rapports de production. Linnovation nest donc pas

    un projet, cest un cahier des charges, ce nest pas un grand dessein, mais

    une contrainte absolue, totalement dnue de sens.

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    Dans cette nouvelle donne, lhistoire se meut dsormais hors la

    volont des hommes. Elle nest plus aspire par la reprsentation de

    causes nales, dobjectis grandioses, mais engendre mcaniquement

    par la logique automatique, anonyme et aveugle des causes ecientes.

    On dira peut-tre que ce ut toujours le cas. En partie sans doute, mais,justement, la promesse humaniste et rpublicaine par excellence rsidait

    dans lide que nous allions pouvoir enn, en quittant lAncien Rgime,

    aire ensemble notre histoire, prendre part collectivement son labora-

    tion. Et cette promesse qui, de Voltaire de Gaulle en passant par Hugo

    ou Jaurs, animait les esprits clairs, commenait prendre orme au

    lendemain de la guerre, par exemple avec le volontarisme gaullien, la

    cration du commissariat au Plan, du CEA, etc., bre, dune politiqueindustrielle qui se dployait dans un cadre qui tait encore largement

    celui de ltat-nation. Aujourdhui, elle est trahie comme jamais.

    Avec la mondialisation de la comptition, lhistoire change, en eet,

    radicalement de sens : au lieu de sinspirer didaux transcendants, le

    progrs ou, plus exactement, le mouvementdes socits se rduit peu

    peu ntre que le rsultat mcanique de la libre concurrence entre ses

    direntes composantes. Il sut, pour bien comprendre cette rupture

    radicale davec le temps des Lumires proprement dites, de rfchir uninstant ceci : au sein des entreprises, mais aussi des laboratoires scienti-

    ques, des centres recherches, la ncessit de se comparer sans cesse aux

    autres ce que lon dsigne aujourdhui sous le nom de benchmarking,

    daugmenter la productivit, de dvelopper les connaissances et, surtout,

    leurs applications lindustrie, lconomie, bre, la consommation,

    est devenue un imprati tout simplement vital. Lconomie moderne

    onctionne comme la slection naturelle chez Darwin : dans une logiquede comptition mondialise, une entreprise qui ne progresse pas chaque

    jour est une entreprise voue la mort. De l le ormidable et incessant

    dveloppement de la technique, riv lessor conomique et largement

    nanc par lui. De l aussi le ait que laugmentation de la puissance

    des hommes sur le monde est devenue un processus totalement automa-

    tique, incontrlable et mme aveugle puisquil dpasse de toute part les

    volonts individuelles conscientes. Il nest plus que le rsultat invitable

    de la comptition. En quoi, contrairement lidal de civilisation hritdes Lumires, la mondialisation est bel et bien un processus dnalis,

    dpourvu de toute espce dobjecti dni : nul ne sait plus o nous

    mne un cours du monde mcaniquement produit par la comptition et

    non pas dirig par la volont consciente des hommes regroups collec-

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    tivement autour dun projet, au sein dune socit qui, au sicle dernier

    encore, pouvait sappeler res publica, rpublique tymologiquement,

    aaire ou cause commune . Dans le monde technicien, cest--

    dire, dsormais, dans le monde tout entier puisque la technique, comme

    le dit juste titre Heidegger, est un phnomne sans limites, plantaire,

    il ne sagit plus de dominer la nature ou la socit pour tre plus libre

    et plus heureux, mais de matriser pour matriser, de dominer pour

    dominer. Pourquoi ? Pour rien, justement, ou plutt parce quil est tout

    simplement impossible de aire autrement.

    De l le d numro un de la politique moderne, d qui merge sous

    le nom de rgulation aussi bien dans le domaine de lconomie que

    dans celui de lcologie, et qui nest plus li directement larontementdroite-gauche : comment reprendre la main sur un cours du monde qui

    nous chappe de toute part ? Comment redonner sens ce que lide

    rpublicaine avait de meilleur ? Et quel niveau cette reprise en main

    peut-elle soprer si celui de ltat-nation est clairement dpass ?

    redonner du sens a l a politique ou comment lesrvolutions de la vie prive bouleversen t l a vie collective

    Je voudrais maintenant prciser comment et en quel sens les rvolutions

    de la vie prive vont bouleverser la donne sur le plan politique et collecti

    dans les annes qui viennent, comment elles vont pouvoir, cet gard,

    rouvrir lavenir et redonner des perspectives susceptibles de onder une

    action de reprise en main ace ce cours du monde qui, en ltat actuel,

    nous chappe presque de toute part. Pour le bien comprendre, il est

    indispensable de se dbarrasser au pralable lesprit dune conusion

    si habituelle quelle en nit par hypothquer toute comprhension des

    bouleversements qui ont marqu le XXe sicle sur le plan des valeurs :

    celle qui consiste mlanger les valeurs morales, en vrit extraordi-

    nairement stables au cours des sicles, et les valeurs spirituelles, celles

    qui sont lies la problmatique du sens et qui, en revanche, sont ortchangeantes selon les poques.

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    Valeurs morales et valeurs spirituelles : que les premires, contrairement une ide reue, ne changent gure, tandis que les secondes voluentconsidrablement

    La morale, en quelque sens quon lentende, cest dabord le respect delautre, disons, pour nous Europens daujourdhui, les droits de lhomme

    tels quils sont adosss la conviction que ma libert doit sarrter l o

    commence celle dautrui. Mais cette premire condition, pour ncessaire

    quelle soit, nest videmment pas susante pour dnir pleinement ce

    que nous entendons par une conduite morale. Le respect dautrui, coup

    sr, en ait partie, mais il aut lui ajouter la bienveillance, la gnrosit

    ou, pour parler comme dans les amilles, la gentillesse et la bont : se

    conduire moralement, cest respecter autrui, mais cest aussi lui vouloir,

    si possible activement, du bien.

    Si nous appliquions paraitement ces deux piliers de toute morale et

    ils sont extraordinairement stables au l de lhistoire : que lon considre

    les grandes thiques grecques, le christianisme, le judasme, lislam ou

    le bouddhisme, on ne trouvera aucune morale qui les ignore, aucune

    morale qui asse lapologie du mensonge, de la mchancet, de lhypo-

    crisie, de lgosme ou de la violence , il ny aurait plus sur cette planteni massacres, ni viols, ni vols, ni meurtres, ni injustices. Il ny aurait plus

    de guerres, plus besoin darme, de police, de prisons Ce serait une

    rvolution.

    Pourtant et il sut de rfchir un instant ce qui va suivre pour

    commencer entrevoir clairement la dirence entre valeurs morales et

    valeurs spirituelles , cela ne nous empcherait videmment ni de vieillir,

    ni de mourir, ni de perdre un tre cher, de aire lpreuve terrible du deuil

    de ltre aim ; pas davantage cela ne nous protgerait contre lventua-

    lit dtre malheureux en amour ou, tout simplement, de nous ennuyer

    au l dune vie quotidienne englue dans la banalit. Avoir, chaque matin

    la mme emme ou le mme homme dans le mme lit, voir les mmes nez

    au milieu des mmes gures au bureau nest pas orcment rjouissant :

    lequel dentre nous na pas prouv un jour le sentiment rimbaldien que

    la vraie vie tait peut-tre ailleurs ? Or, toutes ces questions celle de la

    banalit de lexistence, de la vie amoureuse, du deuil de ltre aim, desges de la vie, de la sourance et de la maladie, de lennui, etc. nont

    en ralit pratiquement aucun rapport avec les valeurs morales. Vous

    pouvez vivre comme un(e) saint(e), respecter et aider autrui merveille,

    appliquer les droits de lhomme comme personne et vieillir, et mourir,

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    et sourir. Car ces ralits, comme dit Pascal, sont dun autre ordre,

    qui relve de la spiritualit , laquelle ne se limite videmment pas au

    religieux et va bien au-del de la morale.

    Cest autour de ces questions que se dcide, pour lessentiel, la pro-

    blmatique du sens de nos vies ou, si lon veut ormuler les choses plussimplement encore, la problmatique de la vie bonne. La politique, bien

    quelle ne sen occupe pas directement cest du reste heureux ! , ne

    peut malgr tout pas en aire totalement abstraction, du moins dans une

    dmocratie, parce que les opinions publiques, constitues par la masse

    des individus, en sont toutes ptries. Jajoute aussitt quil y a des spi-

    ritualits avec dieu, cest--dire des tentatives de dnir la vie bonne, la

    vie bienheureuse, par la oi et en onction dun tre suprme. Et cest cequon appelle les religions. Mais il existe aussi des spiritualits sans dieu,

    des dnitions de la vie bonne pour les mortels, dnitions qui ne pas-

    sent ni par une divinit ni par la oi, mais, si je puis dire, par les moyens

    du bord, par la lucidit de la raison et lacceptation de notre condition

    irrmdiable de mortels. Et cest ce quon appelle la philosophie.

    Or ce que nous cherchons aujourdhui, nous Europens rpublicains

    et lacs, cest justement une spiritualit non religieuse, une conception

    laque de la vie bonne , une vision dun monde commun que nouspuissions et souhaitions construire ensemble. Comme je lai dj suggr,

    ce nest plus partir des grands mythes, le nationaliste ou le rvolution-

    naire, que cette construction est dsormais possible et vu le nombre de

    morts et de malheurs indescriptibles engendrs par ces deux faux, orce

    est plutt de sen rjouir, condition bien sr de ne pas sombrer pour

    autant dans la mlancolie dmocratique, le dsenchantement du monde

    et lre du vide. Jy insiste pour viter tout malentendu : quand je parleici de nationalisme , je ne vise videmment pas la nation rpublicaine,

    centre sur les droits de lhomme, dont les thoriciens nous ont lgu une

    morale et une vision de lcole que je respecte et ait largement miennes,

    mais qui ne touchent pas pour autant la problmatique du sens. Il nous

    aut donc rfchir, avant daller plus loin, aux conditions dans lesquelles

    la politique ut enchante pour tenter de voir dans quelle mesure ces

    conditions pourraient se retrouver ou non remplies par dautres motis

    aujourdhui.

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    Un changement de nature et de statut dans notre rapport aux grandescauses collectives

    Dans notre histoire, la politique ne ut enchante qu deux condi-

    tions, dont il nest pas certain quelles soient encore viables ni mmesouhaitables, mais quil aut avoir clairement prsentes lesprit si lon

    veut comprendre la mutation du sens et des valeurs, tant prives que

    publiques, dont je tente ici desquisser les contours.

    Pour tre porteur dun vritable soufe historique, le guide

    suprme devait dabord incarner des valeurs transcendantes, des

    valeurs suprieures et extrieures lhumanit : droite, la nation dpas-

    sait, et de loin, la somme des individus qui la composent ; gauche, la

    rvolution, elle aussi, emportait les hommes vers une cause suprieure

    chacun dentre eux. Seconde condition : il allait quau nom de ces

    valeurs proprement grandioses, les citoyens ussent prts au sacrice de

    leur vie. Comme le dit encore aujourdhui lhymne national cubain dans

    son style tragi-comique, mais en reliant de aon trs signicative les

    deux grands thmes qui avaient port la politique moderne, celui de la

    nation et celui de la rvolution, la dimension religieuse de lau-del :

    Mourir pour la patrie, cest entrer dans lternit. Pour une nationmarxiste rvolutionnaire et, en principe, athe, la ormule ne manque

    pas de sel

    Dans le mme esprit, les deux guerres mondiales rent des dizaines

    de millions de morts au nom des nationalismes, tandis que lide rvo-

    lutionnaire dcimait la Russie et la Chine. Jusquen Mai 68, ces deux

    oyers imaginaires portaient encore la politique moderne. Si lon veut

    mesurer la orce des symboles, tout la ois transcendants et sacriciels,

    qui animaient alors lesprit public, il sut de se remmorer ces deux

    disparitions : celle du Che, qui t pleurer dans les chambres dtudiants,

    et celle du Gnral, qui suscita dans plusieurs quotidiens nationaux cette

    une qui laisse rveur tant elle semble aujourdhui dcale : La France

    est veuve ! De quel homme politique pourrions-nous dire de nos jours

    la mme chose sans dclencher aussitt lhilarit gnrale ? Pour tre

    dlirant et meurtrier, le rve de Ben Laden remplissait, lui aussi, bien qu

    sa manire terriante, les deux conditions. Hostile aux vieilles tyranniesarabes comme la vacuit relle ou suppose des socits laques, il

    vendait, limage de Staline, Mao ou Hitler, du plein ses troupes :

    du sens ultime et du sacrice, de lidal et de labsolu.

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    Aujourdhui, nos politiciens occidentaux voudraient bien un peu de

    rve, si possible un doux et gentil petit rve ranais , mais surtout

    sans transcendance ni sacrice ! En quoi ils reftent assez bien lun des

    traits les plus communs (mais, heureusement, pas le seul) des masses

    quils prtendent diriger, mais qui les tiennent en vrit en laisse, dmo-

    cratie dopinion oblige : que demande le peuple, sinon du pouvoir

    dachat, des emplois et de la scurit ? Cest paraitement lgitime, mais

    ort loin de pouvoir renchanter quoi que ce soit

    On en dduit alors que le rve est mort, que le dsenchantement la

    dnitivement emport, que les politiques grandioses, certes sacricielles

    et meurtrires, mais du moins mobilisatrices appartiennent dsormais au

    pass et on verse quelques larmes de crocodileLa vrit, je crois, est ort dirente.

    La naissance de la amille moderne ou comment lhistoire de la vie prive,loin de conduire vers un repli individualiste , institue une nouvelle donnedans notre rapport au collecti

    Nous vivons une rvolution qui, pour tre silencieuse et peu meurtrire,

    nen est pas moins dune proondeur abyssale. Elle seectue bas bruitdans la sphre prive, mais ses consquences sur la vie collective et poli-

    tique sont dores et dj considrables : il sagit bien sr, comme je lai

    not plus haut, de la rvolution de la amille moderne, de ce passage

    du mariage arrang par les parents pour des raisons conomiques et

    lignagres, au mariage choisi par les jeunes gens pour lpanouissement

    de leur vie aective. Cette rvolution, bien que touchant dabord la vie

    prive, nen constitue pas moins dvidence ce que Durkheim nommait

    un ait social global , une ralit minemment collective, qui possde

    du reste trois consquences majeures sur le plan politico-public : lin-

    vention et la lgalisation du divorce, un regard indit sur lenance et,

    corrlativement, un souci nouveau des gnrations utures , souci qui

    va remplacer bientt les deux anciens gris-gris de la politique tradition-

    nelle : la nation et la rvolution.

    Fonder la amille sur lamour passion, et non plus sur le lignage, lco-

    nomie et la biologie, comme on le t tout au long du Moyen ge, cest,dabord, premire consquence cruciale, inventer le divorce et ce pour

    une raison bien simple, que Montaigne, dj, dans le livre III des Essais,

    avait paraitement perue : la passion ne dure quun temps et quand elle

    disparat, quelle se transorme en indirence ou en haine, cest la spa-

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    ration qui simpose. Quand le mariage tait ond sur dautres consid-

    rations la transmission du patrimoine et du nom lan, la gestion de

    la erme et la reproduction biologique , le ait de ne pas saimer ntait

    pas un moti de sparation, de sorte que le divorce pouvait sans dom-

    mage tre prohib. En France, la lgalisation quasi dnitive du divorcepar la loi de 1884 accompagne clairement la naissance du mariage

    damour dans la classe ouvrire (les classes bourgeoises, patrimoine co-

    nomique oblige, suivront plus tard). prsent, en Europe, 60 % environ

    des mariages se soldent par un divorce et il est probable que, sans les

    enants, le chire serait considrablement plus lev.

    Avec linvention du mariage damour, cest--dire du mariage choisi

    par amour et pour lamour, ce nest pas seulement le divorce qui devientlgal et ncessaire, cest aussi un lien aux enants jusqualors inconnu

    qui sinstalle dans les amilles : les produits de lamour, en gnral, sont

    aims, eux aussi. On a sans doute toujours plus ou moins aim les enants

    encore que le Moyen ge ne semble gure port cet amour-l si lon

    en croit notamment les travaux des plus grands mdivistes, par exemple

    ceux de Jean-Louis Flandrin, sur le sujet , mais ce qui est clair, cest que

    la ondation du mariage sur le sentiment va changer radicalement la

    donne et susciter un amour passionnel des enants jusqualors inconnu.Cest lvidence cette mutation ondamentale qui va, sans quon sen

    aperoive, aire merger une nouvelle question politique cruciale, celle

    qui est en passe de remplacer les vieilles lunes de la politique tradition-

    nelle : quel monde allons-nous laisser ceux que nous aimons le plus ?

    Cette question va rouvrir lavenir, elle donnera du sens et permettra dans

    une certaine mesure de lgitimer nouveau certaines ormes de sacrice.

    Mais, dans cette aaire, la nouveaut la plus remarquable, cestqu la dirence des anciennes valeurs mortires de la nation et de la

    rvolution, elle nest pas transcendante par rapport lhumanit, mais

    incarne en elle, de sorte que les eorts quelle requiert ne sont plus

    ncessairement mortels. Ce sont ainsi toutes les questions cruciales de

    la grande politique qui vont se recomposer sous son gide, cest--dire

    sous la bannire du souci moyen et long terme des gnrations utures :

    celle de la dette publique, bien sr, mais aussi du choc des civilisations,

    de la rgulation nancire et cologique, de la protection sociale dans cejeu de dumping conomique et commercial quon appelle la mondia-

    lisation .

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    Par o un espoir commence poindre quon puisse un jour dpasser

    enn ce fau des socits occidentales quest le courtermisme ,

    redonner, grce au souci de ceux qui viennent aprs nous, non seulement

    le got de leort, voire le sens du sacrice, mais aussi le souci du long

    terme, comme on le voit dj dans lcologie contemporaine qui nestpas pour rien le seul mouvement politique nouveau depuis deux sicles :

    malgr tous les dauts quon peut bien lui trouver, orce est de recon-

    natre quil ut, en eet, le premier comprendre le sens et la porte de

    la question des gnrations utures. Cest partir de ce nouveau oyer

    de sens quil audra dsormais btir un programme politique digne de ce

    nom, en regroupant et hirarchisant sous son gide toute la multiplicit

    des projets particuliers.

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    * 10 (frais de port compris)

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    Quel avenir pour la social-dmocratie en Europe ?Sir Stuart Bell, dcembre 2011, 40 pages

    La rgulation proessionnelle : des rgles non tatiques pour mieux responsabiliserJean-Pierre Teyssier, dcembre 2011, 36 pages

    Lhospitalit : une thique du soin

    Emmanuel Hirsch, dcembre 2011, 32 pages12 ides pour 2012Fondation pour l'innovation politique, dcembre 2011, 110 pages

    Les classes moyennes et le logementJulien Damon, dcembre 2011, 40 pages

    Rormer la sant : trois propositionsNicolas Bouzou, novembre 2011, 32 pages

    Le nouveau Parlement : la rvision du 23 juillet 2008Jean-Flix de Bujadoux, novembre 2011, 40 pages

    La responsabilitAlain-Grard Slama, novembre 2011, 32 pages

    Le vote des classes moyenneslisabeth Dupoirier, novembre 2011, 40 pages

    La comptitivit par la qualitEmmanuel Combe et Jean-Louis Mucchielli, octobre 2011, 32 pages

    Les classes moyennes et le crditNicolas Pcourt, octobre 2011, 32 pages

    Portrait des classes moyennesLaure Bonneval, Jrme Fourquet, Fabienne Gomant, octobre 2011, 36 pages

    Morale, thique, dontologieMichel Maesoli, octobre 2011, 40 pages

    Sortir du communisme, changer d'poqueStphane Courtois (dir.), PUF, octobre 2011, 672 pages

    La jeunesse du mondeDominique Reyni (dir.), ditions Lignes de Repres, septembre 2011, 132 pages

    Pouvoir d'achat : une politiqueEmmanuel Combe, septembre 2011, 52 pages

    nos dernires publications

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    La libert religieuseHenri Madelin, septembre 2011, 36 pages

    Rduire notre dette publiqueJean-Marc Daniel, septembre 2011, 40 pages

    cologie et libralismeCorine Pelluchon, aot 2011, 40 pages

    Valoriser les monuments historiques : de nouvelles stratgiesWladimir Mitroano et Christiane Schmuckle-Mollard, juillet 2011, 28 pages

    Contester les technosciences : leurs raisonsEddy Fougier, juillet 2011, 40 pages

    Contester les technosciences : leurs rseaux

    Sylvain Boulouque, juillet 2011, 36 pagesLa raternitPaul Thibaud, juin 2011, 36 pages

    La transormation numrique au service de la croissanceJean-Pierre Corniou, juin 2011, 52 pages

    LengagementDominique Schnapper, juin 2011, 32 pages

    Libert, galit, FraternitAndr Glucksmann, mai 2011, 36 pages

    Quelle industrie pour la dense ranaise ?Guillaume Lagane, mai 2011, 26 pages

    La religion dans les aaires : la responsabilit sociale de l'entrepriseAurlien Acquier, Jean-Pascal Gond, Jacques Igalens, mai 2011, 44 pages

    La religion dans les aaires : la fnance islamiqueLila Guermas-Sayegh, mai 2011, 36 pages

    O en est la droite ? LAllemagnePatrick Moreau, avril 2011, 56 pages

    O en est la droite ? La Slovaquietienne Boisserie, avril 2011, 40 pages

    Qui dtient la dette publique ?Guillaume Leroy, avril 2011, 36 pages

    Le principe de prcaution dans le monde

    Nicolas de Sadeleer, mars 2011, 36 pages

    Comprendre le Tea PartyHenri Hude, mars 2011, 40 pages

    O en est la droite ? Les Pays-BasNiek Pas, mars 2011, 36 pages

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    Productivit agricole et qualit des eauxGrard Morice, mars 2011, 44 pages

    LEau : du volume la valeurJean-Louis Chaussade, mars 2011, 32 pages

    Eau : comment traiter les micropolluants ?Philippe Hartemann, mars 2011, 38 pages

    Eau : dfs mondiaux, perspectives ranaisesGrard Payen, mars 2011, 62 pages

    Lirrigation pour une agriculture durableJean-Paul Renoux, mars 2011, 42 pages

    Gestion de leau : vers de nouveaux modles

    Antoine Frrot, mars 2011, 32 pagesO en est la droite ? LAutrichePatrick Moreau, vrier 2011, 42 pages

    La participation au service de lemploi et du pouvoir dachatJacques Perche et Antoine Pertinax, vrier 2011, 32 pages

    Le tandem ranco-allemand ace la crise de leuroWolgang Glomb, vrier 2011, 38 pages

    2011, la jeunesse du mondeDominique Reyni (dir.), janvier 2011, 88 pages

    LOpinion europenne en 2011Dominique Reyni (dir.), dition Lignes de repres, janvier 2011, 254 pages

    Administration 2.0Thierry Weibel, janvier 2011, 48 pages

    O en est la droite ? La BulgarieAntony Todorov, dcembre 2010, 32 pages

    Le retour du tirage au sort en politiqueGil Delannoi, dcembre 2010, 38 pages

    La comptence morale du peupleRaymond Boudon, novembre 2010, 30 pages

    L'Acadmie au pays du capitalBernard Belloc et Pierre-Franois Mourier, PUF, novembre 2010, 222 pages

    Pour une nouvelle politique agricole commune

    Bernard Bachelier, novembre 2010, 30 pages

    Scurit alimentaire : un enjeu globalBernard Bachelier, novembre 2010, 30 pages

    Les vertus caches du low cost arienEmmanuel Combe, novembre 2010, 40 pages

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    Innovation politique 2011Dominique Reyni (dir.), PUF, novembre 2010, 676 pages

    Dense : surmonter limpasse budgtaireGuillaume Lagane, octobre 2010, 34 pages

    O en est la droite ? LEspagneJoan Marcet, octobre 2010, 34 pages

    Les vertus de la concurrenceDavid Sraer, septembre 2010, 44 pages

    Internet, politique et coproduction citoyenneRobin Berjon, septembre 2010, 32 pages

    O en est la droite ? La Pologne

    Dominika Tomaszewska-Mortimer, aot 2010, 42 pagesO en est la droite ? La Sude et le Danemark

    Jacob Christensen, juillet 2010, 44 pages

    Quel policier dans notre socit ?Mathieu Zagrodzki, juillet 2010, 28 pages

    O en est la droite ? LItalieSoa Ventura, juillet 2010, 36 pages

    Crise bancaire, dette publique : une vue allemandeWolgang Glomb, juillet 2010, 28 pages

    Dette publique, inquitude publiqueJrme Fourquet, juin 2010, 32 pages

    Une rgulation bancaire pour une croissance durableNathalie Janson, juin 2010, 36 pages

    Quatre propositions pour rnover notre modle agricolePascal Perri, mai 2010, 32 pages

    Rgionales 2010 : que sont les lecteurs devenus ?Pascal Perrineau, mai 2010, 56 pages

    LOpinion europenne en 2010Dominique Reyni (dir.), ditions Lignes de repres, mai 2010, 245 pages

    Pays-Bas : la tentation populisteChristophe de Voogd, mai 2010, 43 pages

    Quatre ides pour renorcer le pouvoir dachat

    Pascal Perri, avril 2010, 30 pages

    O en est la droite ? La Grande-BretagneDavid Hanley, avril 2010, 34 pages

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    Renorcer le rle conomique des rgionsNicolas Bouzou, mars 2010, 30 pages

    Rduire la dette grce la ConstitutionJacques Delpla, vrier 2010, 54 pages

    Stratgie pour une rduction de la dette publique ranaiseNicolas Bouzou, vrier 2010, 30 pages

    O va lglise catholique ? Dune querelle du libralisme lautremile Perreau-Saussine, octobre 2009, 26 pages

    lections europennes 2009 : analyse des rsultats en Europe et en FranceCorinne Deloy, Dominique Reyni et Pascal Perrineau, septembre 2009, 32 pages

    Retour sur lalliance sovito-nazie, 70 ans aprs

    Stphane Courtois, juillet 2009, 16 pagesLtat administrati et le libralisme. Une histoire ranaiseLucien Jaume, juin 2009, 12 pages

    La politique europenne de dveloppement :Une rponse la crise de la mondialisation ?

    Jean-Michel Debrat, juin 2009, 12 pages

    La protestation contre la rorme du statut des enseignants-chercheurs :dense du statut, illustration du statu quo.

    Suivi dune discussion entre lauteur et Bruno BensassonDavid Bonneau, mai 2009, 20 pages

    La lutte contre les discriminations lies lge en matire demploilise Muir (dir.), mai 2009, 64 pages

    Quatre propositions pour que lEurope ne tombe pas dans le protectionnismeNicolas Bouzou, mars 2009, 12 pages

    Aprs le 29 janvier : la onction publique contre la socit civile ?Une question de justice sociale et un problme dmocratique

    Dominique Reyni, mars 2009, 22 pages

    LOpinion europenne en 2009Dominique Reyni (dir.), ditions Lignes de repres, mars 2009, 237 pages

    Travailler le dimanche: quen pensent ceux qui travaillent le dimanche ?Sondage, analyse, lments pour le dbatDominique Reyni, janvier 2009, 18 pages

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    Pour renorcer son indpendance et conduire sa mission dutilitpublique, la Fondation pour linnovation politique, institution de la

    socit civile, a besoin du soutien des entreprises et des particuliers. Ilssont invits participer chaque anne la convention gnrale qui dnitses orientations. La Fondapol les convie rgulirement rencontrer sesquipes et ses conseillers, discuter en avant premire de ses travaux, participer ses maniestations.

    Reconnue dutilit publique par dcret en date du 14 avril 2004, la Fondapol

    peut recevoir des dons et des legs des particuliers et des entreprises.

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    Avantage scal : votre entreprise bncie dune rduction dimpt de60 % imputer directement sur lIS (ou le cas chant sur lIR), dansla limite de 5 du chire daaires HT (report possible durant 5 ans).

    Dans le cas dun don de 20 000 , vous pourrez dduire 12 000 dimpt,votre contribution aura rellement cot 8 000 votre entreprise.

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    Avantages scaux : au titre de lIR, vous bnciez dune rductiondimpt de 66 % de vos versements, dans la limite de 20 % du revenuimposable (report possible durant 5 ans) ; au titre de lISF, vousbnciez dune rduction dimpt, dans la limite de 50 000 , de 75 %de vos dons verss.

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    Un think tank libral, progressiste et europen

    La Fondation po linnovation politiq ore un espace indpendant dexpertise, de

    rfexion et dchange tourn vers la production et la diusion dides et de propositions.

    Elle contribue au pluralisme de la pense et au renouvellement du dbat public dans une

    perspective librale, progressiste et europenne. Dans ses travaux, la Fondapol privilgie

    quatre enjeux : la oissan onomiq, lologi, ls vals t l nmiq.

    Le site www.fondapol.og met la disposition du public la totalit de ses travaux ainsi

    quune importante veille ddie aux eets de la rvolution numrique sur les pratiques

    politiques (Politique 2.0).

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