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À LA UNE SOUVERAINETÉ(S) LE DOSSIER - SOUVERAINETÉ(S) : Les Frontières, l’Euro, la Diplomatie, l’Intégration européenne PAGE 5 ENTRETIENS : Laurent Wauquiez, Bertrand Badie, Jean Picq PAGE 17 FOCUS : Le Conseil constitutionnel, la Réforme pénale, l’Outre-mer, les Présidences du Conseil PAGE 27 SCIENCES PO ET VOUS : L’AMAP et l’AMAE, l’Apprentissage en master AP et AE, les concours EPSO PAGE 37 LA REVUE DES AFFAIRES PUBLIQUES ET EUROPEENNES N° 01 MARS 2011

Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

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Quelles sont les nouvelles formes de souverainetés en Europe ?

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Page 1: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

À LA UNE SOUVERAINETÉ(S)

LE DOSSIER - SOUVERAINETÉ(S) : Les Frontières, l’Euro, la Diplomatie, l’Intégration européenne

PAGE 5

ENTRETIENS : Laurent Wauquiez, Bertrand Badie, Jean Picq PAGE 17

FOCUS : Le Conseil constitutionnel, la Réforme pénale, l’Outre-mer, les Présidences du Conseil

PAGE 27

SCIENCES PO ET VOUS : L’AMAP et l’AMAE, l’Apprentissage en master AP et AE, les concours EPSO

PAGE 37

LA REVUE DES AFFAIRES PUBLIQUES ET EUROPEENNES – N° 01 – MARS 2011

Page 2: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

Edito

La Revue des Affaires Publiques et Européennes voit

enfin le jour. Après un travail de longue haleine

entrepris depuis septembre, l’équipe de la Revue

APE a donné aux masters Affaires publiques et

Affaires européennes une revue commune. Elle

donne des clés de compréhension de l’actualité

française et européenne et permet de s’informer sur

la vie de nos deux masters.

Pourquoi une revue commune à deux masters

différents ? D’abord parce qu’ils ne sont pas vraiment

différents : mêmes problématiques abordées, même

appétence pour la chose publique, et surtout mêmes

perspectives professionnelles ! Il était temps de

formaliser ce cousinage sur le papier, afin de créer

des repères communs aux étudiants et leur permettre

de faire partie d’une même communauté, française et

européenne. Dans la perspective de la création d’une

école des Affaires publiques et européennes, cette

revue contribue à rapprocher ces deux masters et

leurs étudiants.

Comment penser les affaires publiques sans une

perspective européenne, comment penser la

construction européenne sans une réflexion sur la

France ? Cette influence réciproque, croissante, est

illustrée par le débat récurrent sur la souveraineté,

que se propose de traiter le numéro de lancement de

la revue. Menacée pour certains, transférée pour

d’autres au profit d’une souveraineté européenne

encore embryonnaire, ou bien dépassée. Ce sujet ne

pouvait mieux refléter les liens inextricables existant

entre les enjeux des affaires publiques et ceux des

affaires européennes.

En guise de conclusion, nous aimerions féliciter les

membres de la rédaction pour cette formidable

initiative, et remercier l’ensemble de l’équipe

pédagogique de Sciences Po, pour son soutien sans

faille. Nous remercions Agathe Gondinet pour la

confiance qu’elle a placée dans la revue. C’est avec de

tels projets que l’AMAP et AMAE continueront à être

chaque jour aux côtés de leurs étudiants.

Thibaut

Sahaghian,

président de

l’Association

du Master

Affaires

Publiques de

Sciences Po

(AMAP)

Charlotte

Norlund,

présidente de

l’Association

du Master

Affaires

Européennes

de Sciences

Po (AMAE)

NATURE(S)

2

EDITO

Page 3: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

DOSSIER : SOUVERAINETÉ(S)

ARTICLES Les frontières européennes, entre souveraineté et

intégration PAGE 6

L’avenir de l’euro passera par le renforcement de la gouvernance économique européenne

PAGE 9

La diplomatie européenne : « what’s in a name » ? PAGE 12 Années 2010 : décennie perdue pour l’Union

européenne ? PAGE 15

ENTRETIENS Laurent Wauquiez, Ministre chargé des Affaires européennes

PAGE 18

Bertrand Badie, Professeur en Relations Internationales PAGE 20 Jean Picq, Professeur en Histoire des Etats PAGE 23

FOCUS Le Conseil constitutionnel n’est et ne sera pas une cour suprême

PAGE 28

Un an après : retour sur la réforme de la procédure pénale

PAGE 30

L’Outre-mer : l’Europe oubliée ? PAGE 32

Les présidences hongroise et polonaise du Conseil en 2011

PAGE 34

SCIENCES PO ET VOUS

Présentation de l’Association du Master Affaires Publiques (AMAP)

PAGE 38

Présentation de l’Association du Master Affaires

Européennes (AMAE) PAGE 39

L’apprentissage en Master AP et en Master AE PAGE 40 Les Concours européens EPSO PAGE 42

LE D

OSSIE

R

3

SOM

MAIRE

Page 4: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

Laurent Wauquiez Ministre chargé des Affaires

européennes

Bertrand Badie Professeur des Universités à Sciences Po, spécialiste en

relations internationales

Jean Picq Professeur des Universités à Sciences Po, spécialiste de

l’histoire des Etats

CONTRI

BUTIONS

4

CONTRI BUTIONS

Page 5: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

Souveraineté : le mot est étonnamment

absent des débats et pourtant au centre des

préoccupations de la plupart des Etats

européens.

Le terme en lui-même se renouvelle sans

cesse : Bodin en avait fait un principe d’unité

politique, Rousseau, un principe de légitimité

démocratique. Or, dans le cadre de la

construction européenne, il se présente de

plus en plus comme le symbole de

l’indépendance nationale.

La question de la pertinence du concept de

souveraineté dans un espace européen de plus

en plus intégré est donc posée, que ce soit

dans ses fondements, ses formes et ses

manifestations.

En effet, d’une part, la question du délitement

des frontières internes de l’UE bouleverse le

cadre de l’identité politique traditionnelle.

D’autre part, l’exercice des fonctions

régaliennes est aujourd’hui bouleversé : doit

on ou non achever la logique intégrationniste

de l’UE en transférant tout le pouvoir de

politique économique à l’échelle de l’Union ?

Quelle place doit tenir la diplomatie

européenne vis-à-vis des diplomaties

nationales ?

Au-delà, la question est aujourd’hui celle de

l’avenir de l’Union, tiraillée entre les attributs

traditionnels de la souveraineté nationale et

la dynamique de construction européenne.

DOS

SIER

5

Page 6: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

LES FRONTIÈRES EUROPÉENNES, ENTRE SOUVERAINETÉ ET INTÉGRATION

LE PARADOXE DES FRONTIERES

En soi, la frontière constitue un phénomène ambigu, paradoxal. Juridiquement, elle désigne la séparation entre deux souverainetés. Deux ensembles politiques se font face, traitent d’égal à égal, mais leur fonctionnement, leur organisation et leur système juridique diffèrent. Or, dans le contexte de la construction européenne, les frontières sont progressivement devenues des lieux privilégiés d’échange et de coopération entre les peuples. Et alors que la rhétorique du « sans frontières » semble dominer et que les marchés nationaux s’ouvrent, le nombre de frontières en Europe s’est considérablement accru depuis 1991 (dislocation yougoslave, division tchécoslovaque…) et des programmes de coopération transfrontalière ont été lancés dans toute l’Europe. Un paradoxe quand l’abaissement des barrières tarifaires et la circulation croissante des biens et des personnes étaient supposés annoncer l’abolition des limites interétatiques. Pour autant, la multiplication et la valorisation des frontières n’entrent pas en contradiction avec le processus d’intégration européenne et en constituent bien le corollaire. À l’ouverture économique et physique doit en effet répondre la consolidation territoriale. La notion de frontière est elle-même devenue plus diffuse : les frontières des personnes ne sont pas celles des capitaux ni celles des marchandises. Leur porosité n’est que relative : certains groupes de personnes sont à même de circuler librement, d’autres sont étroitement surveillés comme les populations roms qui font aujourd’hui l’objet

d’une attention particulière. Ainsi, comme le souligne Didier Bigo dans Frontières, territoires, sécurité et souveraineté, la frontière n’est définitivement plus réductible au territoire et à l’ordre politique mais soulève de nouveaux enjeux liés à la relation entre mobilité et contrôle, liberté et sécurité.

Monument à Schengen, Luxembourg

LA RECHERCHE D’UN DROIT COMMUN DE LA COOPERATION

TRANSFRONTALIERE

L’ouverture des frontières au sein de l’Union européenne, portée par la réalisation des quatre libertés (libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux), a généré un besoin accru de coopération entre les acteurs publics. La dilution des frontières a notamment mis en évidence l’existence de problèmes communs te ls que la gest i on des réseaux , l a valorisation des cultures, la mise en place de services publics locaux, relevant davantage de la compétence des autorités publiques locales...

« La disparition des frontières physiques et la liberté de circulation et d’échange des individus est l’expression la plus immédiate du rêve européen » affirmait Jacques Delors, avant d’ajouter : « mais que se passe-t-il

concrètement sur ces frontières censées être abolies ? ». Là se situe en effet toute l’ambiguïté du rôle des frontières dans le processus de construction européenne. Partagées entre souveraineté des Etats et intégration européenne,

les frontières intérieures sont aujourd’hui au cœur des débats et des réformes.

6

DOS

SIER

Page 7: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

Or, longtemps, ni le droit national, ni le droit communautaire, ni le droit international public n’ont été à même de régir les relations transfrontalières entre pouvoirs publics locaux situés dans des Etats européens différents. Pour le droit national, autoriser une collectivité locale à agir au-delà de ses frontières nationales revenait soit à tolérer que ses activités soient soumises au pouvoir de l’Etat voisin, soit à avoir la prétention d’étendre le champ d’application de ses propres règles de droit, au mépris de la souveraineté nationale de ce dernier. À ces problèmes juridiques s’ajoutaient bien souvent des difficultés techniques liées à la diversité de structure des Etats et aux différents degrés d’autonomie accordée aux collectivités (collectivités locales françaises, communautés autonomes espagnoles, länder allemands…).

Des solutions ad hoc ont été développées, essentiellement fondées sur la conclusion d’accords bilatéraux (traité de Bayonne de 1995, traité de Karlsruhe de 1996…). La règle restait pourtant celle du « renvoi au droit national », chaque collectivité étant chargée de transposer les décisions communes dans son ordre juridique national.

À ce titre, l’entrée en vigueur du Règlement n°1082/2006 du 5 juillet 2006 (JOUE n°L 210/19 du 31 juillet 2006), relatif à la création du Groupement européen de coopération territoriale (GECT), devait constituer une avancée majeure. Premier apport de cet instrument : la création d’un instrument unique, dotée de la personnalité juridique et dédiée à toutes les activités extérieures des collectivités territoriales (transfrontalières et interterritoriales). Second apport : la possibilité pour les Etats, notamment les micro-Etats, de participer enfin, à côté des collectivités locales, à des structures transfrontalières. Le GECT se veut donc un instrument de coopération transfrontalière à vocation universelle. Ainsi, dès janvier 2008, le GECT Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai a été créé pour offrir un cadre unique de coopération à des collectivités appartenant à trois niveaux administratifs distincts de Belgique et de France. Plus récemment, le GECT a été utilisé pour créer l’hôpital de la Cerdagne, desservant les populations française et espagnole plus proches de la frontière que de Perpignan ou Barcelone.

Or, les potentialités du GECT en tant qu’instrument de droit commun restent encore limitées : il ne met pas fin à la complexité des relations entre les ordres juridiques et maintient pour partie la règle du renvoi au droit national. Le Règlement de 2006 se borne en effet à «créer les conditions de la coopération territoriale, conformément au principe de subsidiarité». Cette timidité limite considérablement sa capacité à servir de fondement à la construction d’un droit commun de la

coopération transfrontalière mais montre déjà l’importance de la souveraineté des Etats dans le débat sur l’abolition des frontières intérieures.

LA COOPÉRATION POLICIÈRE TRANSFRONTALIÈRE OU LA

CONCILIATION DES IMPÉRATIFS DE LIBERTÉ ET DE SÉCURITÉ

Jusqu’où peut aller la coopération transfrontalière ? Le 23 août 2001, des policiers suisses se lancent à la poursuite d’un homme qu’ils soupçonnent d’avoir volé une voiture. Ils traversent la frontière franco-suisse et abattent de plusieurs balles le chauffeur poursuivi. Les policiers ne disposaient aucunement du droit de poursuite transfrontalière sur la base du délit supposé, ni du droit de faire usage de leurs armes à feu, n'étant pas en situation de légitime défense.

Ce fait divers illustre bien les risques d’atteinte à la souveraineté politique des Etats que représenterait une disparition totale des frontières en matière de police et de justice. Entre liberté de circulation des personnes et respect des prérogatives régaliennes de l’Etat, la Convention d’application de l’Accord de Schengen de 1990 a tenté d’opérer un équilibre en organisant les modalités de la coopération policière transfrontalière en Europe. La Convention d’application instaure un droit d’observation et un droit de poursuite transfrontalière tout en maintenant un cadre très souple afin de ménager la souveraineté des Etats : la durée du droit de poursuite, ses limites géographiques, ainsi que le pouvoir des agents d’interpeller la personne poursuivie restent déterminés par les Etats. Cette latitude a conduit à des disparités de pratiques très importantes entre les différentes frontières, nuisant à l’efficacité policière et donc à la sûreté des personnes.

Les Etats européens ont signé en 2005 le traité de Prüm, dit « Schengen plus », afin d’organiser l’échange de données génétiques, réalisant ce que d’aucuns qualifient de « saut technologique » de la coopération policière transfrontalière. Ce texte a été intégré au droit de l’Union en 2007. Pourtant, les

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Page 8: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

résistances liées aux compétences souveraines des Etats demeurent tenaces. À l’occasion de l’examen du projet de décision relatif à l’amélioration de la coopération policière entre les Etats membres de l’Union européenne, le Sénat français a ainsi sévèrement rappelé les limites constitutionnelles au renforcement de la coopération transfrontalière en matière policière. LA GESTION PROBLÉMATIQUE DES FLUX

DE PERSONNES AU SEIN DE L’UE

Les frontières intérieures de l’Europe n’ont perdu ni leur pertinence ni de leur importance, en témoignent les récents débats autour de la gestion de l’immigration intra-européenne, en provenance des pays de l’Est. La polémique provoquée par les renvois massifs de roms à l’été 2010 n’a fait que raviver les tensions entre abolition des frontières intérieures et exercice des souverainetés nationales, au sein de l’Union européenne. La critique européenne a davantage porté sur les modalités des expulsions et la stigmatisation des populations roumaines et bulgares que sur la compétence de l’Etat en matière de contrôle de l’immigration. Et face à la résolution du Parlement européen invitant la France à « suspendre immédiatement » les reconduites à la frontière de roms, la France a

fermement opposé le pouvoir souverain des Etats en matière de maintien de l’ordre public.

La question des flux migratoires intra-européens à l’époque post-Schengen reste donc problématique. En septembre 2010, les ministres des affaires étrangères et européennes ont décidé de prolonger d’un an la procédure de surveillance spéciale (appelé mécanisme de coopération et de vérification) mise en place à l’égard de la Roumanie et de la Bulgarie afin de préparer leur entrée dans l’espace Schengen. Or, en décembre dernier, les ministres de l’Intérieur français et allemand ont d’ores et déjà annoncé dans une lettre commune leur intention de bloquer l’accès de ces deux pays à l’espace Schengen prévue pour mars 2011. Deux raisons invoquées : le problème du contrôle des flux migratoires et le trafic de stupéfiants. L’accès à l’Europe sans frontières reste donc aujourd’hui tributaire de la décision souveraine des Etats membres… Ce qui pose la question de l’influence institutionnelle et des marges de manœuvre de la Commission européenne, garante des traités et de l’intérêt général européen…

Magali Tetard

POUR ALLER PLUS LOIN :

- Publications Ceriscope du Centre d’Etudes et de Recherches Internationales de Sciences Po : site du Ceriscope

- Compte rendu du séminaire organisé par Unioncamere et Notre Europe, Bruxelles, 13 novembre 2001 : « Coopération transfrontalière et transnationale, l’Europe s’invente sur ses marges » : le compte-rendu

- Site de la Mission Opérationnelle Transfrontalière : le site

- Proposition de résolution du Sénat sur la coopération policière transfrontalière : le texte

- Législation européenne générale : le site Europa

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Page 9: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

L’AVENIR DE L’EURO PASSERA PAR LE

RENFORCEMENT DE LA GOUVERNANCE

ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE

ACTE 1 : LES MENACES

Les dirigeants de la zone euro font face à une situation bien complexe et souvent difficile à appréhender : à de multiples égards, l’euro est une monnaie plus forte que le dollar. Les fondamentaux de l’économie européenne sont très nettement moins déséquilibrés que ceux des Etats-Unis, en terme de déficit de la balance commerciale, de dette extérieure etc. Mais le dollar bénéficie pleinement de la puissance économique, militaire, diplomatique américaine et d’un déséquilibre mondial organisé entre les Etats Unis et la Chine qui font de l’euro une variable d’ajustement.

L’euro est aussi structurellement désavantagé du fait de l’hétérogénéité des économies de la zone euro. L’excédent de la balance des paiements allemande est de 28 milliards d’euros au 3ème trimestre 2010 contre un déficit de 9 milliards pour l’Espagne, 8 milliards pour la France. Cette diversité des situations participe à expliquer la multiplicité des politiques à mener pour des pays si différents, une multiplicité devenant vite contradictoire et paralysante. Les conséquences de telles dissensions ne sont pas dérisoires. Que se serait il passé si la BCE n’avait pu adopter une position moins restrictive qu’à l’accoutumée lors de la crise grecque de 2010 alors que le président de la Bundesbank, Axel Weber, y était réfractaire ? La Grèce n’aurait pu faire face à ses échéances et aurait plongé dans une crise

sans égale, entrainant sans doute avec elle les pays les plus faibles de la zone euro.

Mais les menaces proviennent aussi de l’extérieur de la zone euro : les attaques spéculatives à l’encontre de l’euro se sont multipliées ces dernières années, au point que cette question devrait occuper assez largement la présidence française du G20. Le premier épisode notable de ces phénomènes spéculatifs a été la crise grecque de 2010 où des opérateurs financiers (des fonds d’investissement spéculatifs mais aussi des banques) ont spéculé sur la dette souveraine grecque entrainant un accroissement du différentiel de taux d’intérêt entre les pays de la zone euro. Le déplacement de la spéculation sur les dettes souveraines espagnole et irlandaise affaiblies par la crise s’en est suivi, créant un risque de contagion menaçant à terme la stabilité politique de la zone euro.

Lors du sommet de Davos en janvier 2011, Nicolas Sarkozy a rappelé son attachement, ainsi que celui d’Angela

Merkel, à défendre la monnaie unique actuellement cible de toutes les critiques et de multiples attaques. Ne l’oublions pas, la mise en place de la monnaie unique a permis une relative période de stabilité monétaire depuis

1999, notamment en termes de lutte contre l’inflation, mal monétaire suprême pour de nombreux économistes, dont l’accalmie a sans aucun doute fait oublier les véritables méfaits. L’introduction de l’euro a également contribué au rapprochement des Etats en créant une solidarité de fait. Mais le revers de cette solidarité conduit à faire du

sauvetage de l’euro un impératif. Affaiblie par des crises à répétition, la monnaie unique ne peut s’exonérer d’une réforme de grande ampleur, résultat d’une mobilisation politique qui reste encore à construire.

DOS

SIER

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Page 10: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

Zone euro : zone monétaire créée

en 1999 regroupant les 17 pays qui

disposent de l’euro comme

monnaie commune, c’est à dire la

France, l’Allemagne, la Belgique, le

Luxembourg, l’Espagne, l’Italie,

l’Autriche, la Finlande, la Grèce,

Malte, Chypre, la Slovénie, la

Slovaquie, l’Estonie, l’Irlande, le

Portugal et les Pays-Bas.

ZMO : théorie développée par

l’économiste Robert Mundell qui

vise à définir les critères

permettant d’établir une monnaie

unique de manière optimale. Les

critères habituels sont la mobilité

des facteurs de production, le

degré de spécialisation et de

diversification sectorielle et le

degré d’ouverture des économies.

Les institutions politiques européennes sont

également responsables : alors que les risques de

crise du dollar sont plus importants en raison d’une

situation américaine dégradée (taux de chômage

élevé, déprime du marché immobilier, dégradation

des comptes extérieurs etc), la spéculation ne se

porte pas sur cette monnaie. En réalité, les Etats-

Unis entretiennent une politique de défiance vis-à-

vis de l’euro que les autorités monétaires

européennes ne réussissent pas à

contrer. L’influence de l’Europe

sur les market makers

demeure très faible, malgré

l’importance économique

de la zone euro, sans

aucun doute le reflet de

la faiblesse

institutionnelle de

l’Europe économique.

ACTE 2 : LES

SCENARIOS

Ces déséquilibres internationaux suscitent la crainte avant tout en Europe, où la plupart des scénarios, et surtout les pires, ressemblent cependant à des oraisons funèbres un peu hâtives.

Le premier scénario est le pire : l’éclatement de la zone euro. Ce scénario est de plus en plus évoqué, l’économiste américain Joseph Stiglitz lui même parlait en mai 2010 d’une fin probable de l’euro face à la possibilité de contagion de la crise et face aux problèmes institutionnels de la zone euro. C’est pour cette raison que Sarkozy et Merkel renouvelaient en janvier dernier leur attachement envers l’euro qu’ils continueront à soutenir. En réalité, ils n’ont pas véritablement le choix, car ceux qui imaginent cet éclatement oublient probablement que l’issue serait si grave, que les dirigeants européens, dos au mur, pousseront sans nul doute encore plus loin une réforme nécessaire des institutions européennes en vue de maintenir l’euro. Qu’adviendrait-il en cas d’éclatement de la zone euro ? Tout d’abord, cela signifie quasi explicitement la mort de l’UE. D’un point de vue économique, les déséquilibres que masquaient l’euro vont réapparaitre. La France serait

immédiatement forcée de dévaluer sa monnaie, restaurant mécaniquement une compétitivité des entreprises françaises, pourvu que le renchérissement des coûts d’importation ne l’emporte pas sur ces gains. Les taux d’intérêt sur la dette française augmenteraient immédiatement, achevant de paralyser le budget de l’Etat. Et si l’Allemagne dispose d’une économie aujourd’hui vaillante, elle ne pourrait continuer à prospérer dans une Europe moribonde, sachant que son

principal partenaire commercial est jusqu’aujourd’hui… la France.

Devant un tel maelström de désastres, un deuxième

scénario est souvent évoqué, celui de la sortie de la zone euro des « mauvais élèves », notamment la Grèce, et pourquoi pas demain l’Irlande ou l’Espagne. Si les

conséquences économiques pour la zone

euro ne seraient pas apocalyptiques, les

conséquences politiques le seraient. L’objectif même de la

construction européenne serait piétiné, faisant naitre plus qu’une

défiance à l’égard de l’UE dans ces pays ; et cela serait totalement justifié. Pour ces pays, les conséquences seraient dramatiques, isolés,

incapables de rembourser leurs dettes, ces pays connaitraient une crise

économique, politique et sociale gravissime. Bien qu’évoquée,

cette solution trouve encore peu d’écho, et cela semble souhaitable pour l’avenir de l’Union Européenne.

Mais le scénario le plus probable semble être le statu quo. Si une réforme de la zone euro semble nécessaire, ce n’est qu’une

fois dos au mur que les dirigeants de la zone euro

passeront à l’acte. Des solutions existent, mais

l’opportunité politique n’est pas encore paroxystique. L’agenda

politique des dirigeants de la zone euro est aujourd’hui davantage dicté par les

échéances électorales, à l’image de la France dans l’attente des élections présidentielles de 2012. Les dirigeants de la zone euro hésitent d’autant plus à mettre l’Union Européenne en avant que l’opinion publique européenne a très largement perdu confiance en elle.

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Page 11: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

ACTE 3 : LES REFORMES

On trouve de multiples propositions de réforme de la zone euro, souvent ambitieuses, et qui souvent ne font qu’achever une logique fédéraliste.

L’idée d’une dette européenne fleurit particulièrement dans le microcosme des économistes pro-européens (voir Jacques Attali ou le rapport du député UMP Hervé Plagnol et de la députée européenne C. Le Gripp remis à Nicolas Sarkozy début janvier sur le pilotage de la politique économique européenne). Le principe consiste à imiter le modèle américain, en chargeant le budget communautaire d’une dette. Cela se réalisera à travers l’émission de bon du Trésor européen ou par un transfert des dettes nationales vers les comptes du Trésor européen. Mais comme l’expression le sous entend, il faut attendre la création d’un Trésor européen, véritable gouvernail de la politique économique européenne. La création d’un Trésor européen ne serait alors qu’un pas de plus vers la réalisation d’une Zone Monétaire Optimale telle que définie par Mundell, confirmant la validité de son analyse face au dogme monétariste (i.e. en l’absence d’une mobilité parfaite des facteurs travail et capital, un fédéralisme budgétaire est nécessaire pour maintenir la cohésion de la zone monétaire). La conséquence notable et nécessaire de cette création est l’instauration d’un impôt européen garantissant un coût du crédit modéré. Sont donc facilement imaginables les mouvements d’opposition à l’instauration d’une nouvelle imposition européenne. Ce projet a le mérite d’être ambitieux, mais fortement conditionné par un volontarisme

politique européen, qui, en ces temps de défiance souverainiste et de crise, peine à s’afficher.

Des réformes minimales sont également possibles : assouplissement de la politique monétaire, augmentation du budget européen, convergence de la compétitivité des économies de la zone euro, meilleur pilotage de la politique économique européenne… mais cet ensemble impressionniste est-il souhaitable ? Cette faiblesse de la gouvernance économique européenne pèse alors que l’euro uniformise nos politiques monétaires, les dirigeants de la zone euro ont refusé de faire un choix, ils ne pourront pas s’offrir ce luxe indéfiniment.

Face au dollar, la faiblesse de l’euro se ressent avec une forte acuité. L’on entend par alternance les plaintes de ceux qui voient leur compétitivité grignotée au gré des fluctuations de l’euro, mais ces variations résultent de déséquilibres mondiaux, notamment entre les Etats-Unis et la Chine, ce qui place l’Europe dans une situation intenable. Cette situation est absolument paradoxale, puisque l’euro ne contribuant pas lui même directement à ces déséquilibres, il ne peut les corriger. L’euro est un peu la victime impuissante de l’excès des autres. A cet égard, le G20 affiche des ambitions qui semblent malheureusement s’éteindre progressivement, l’enjeu est de taille, car pour reprendre les propos de J. Rueff, « l’Europe se fera par la monnaie ou ne se fera pas ».

Emmanuel Renouf

POUR ALLER PLUS LOIN :

- Site internet de la BCE : le site

- Critique de Stiglitz à l’encontre de la gouvernance économique européenne : le texte

- Sur les conséquences de la crise au niveau de la gouvernance européenne et des

efforts des Etats membres : l'article

- CEPII : Centre d’études prospectives et d’informations internationales, référence

de l’analyse économique : le site

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Page 12: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

LA DIPLOMATIE EUROPÉENNE : « WHAT’S IN A NAME » ?

Le Traité de Lisbonne

En effet, le Traité de Lisbonne révise les conditions de l'élaboration et de la conduite des affaires extérieures de l'Union européenne en entérinant deux changements fondamentaux. Le premier rapproche les deux anciens piliers du traité de Maastricht, le pilier dit « communautaire », dont la Commission est responsable, et le pilier de la « politique étrangère et de sécurité commune » (PESC), d'essence intergouvernementale. Le deuxième volet de réformes introduites par le Traité de Lisbonne concerne la mise en place d'un Service Européen pour l'Action Extérieure (SEAE) placé sous l'autorité d'un Haut Représentant pour les Affaires Etrangères et la Politique de Sécurité, lequel est également vice-président de la Commission.

C'est dans ce contexte que la titulaire de cette double fonction, la britannique Catherine Ashton, a œuvré pour dessiner les contours de ce projet ambitieux qui appelle des choix audacieux. Après avoir adressé ses propositions relatives à l'organisation et au fonctionnement du SEAE au Conseil et obtenu le soutien des Etats-membres ainsi que le consentement de la Commission, le Parlement a voté, avec une large majorité, le rapport Brock – du nom du rapporteur de la Commission des Affaires étrangères – sur le projet de décision le 8 juillet 2010.

Toutefois, d'aucuns considèrent un tel projet improbable car difficilement réalisable en raison des politiques parfois divergentes voire concurrentes des Etats-membres dans le domaine des relations internationales. La complexité patente à mettre en œuvre ce dessein traduit une tension sous-jacente entre les attributs traditionnels de la souveraineté des Etats et

la mutualisation de compétences nationales dans une perspective supranationale.

L’Europe peut-elle parler d’une seule

voix ?

Dans ce cadre, un certain nombre d'observateurs se rallient aux critiques des eurosceptiques qui soulèvent, en substance, la question suivante : « L'Europe peut-elle parler d'une seule voix ? ». Cette question n'est dépourvue ni de fondement ni d'objet compte-tenu des positions diplomatiques des Etats-membres qui varient en fonction de leurs intérêts respectifs. Cependant, cette interrogation ne doit pas occulter le mouvement fondamental qui sous-tend le projet de création d'une diplomatie dont l'exercice n’émane désormais plus seulement des Etats.

Catherine Ashton (à gauche), Haute Représentante pour les Affaires étrangères

En effet, l'élaboration du SEAE s'inscrit dans un contexte de globalisation qui se traduit par une nouvelle configuration du monde dont la nature régionale appelle une mutation transnationale de la diplomatie. Ainsi, pour saisir la cohérence de l'ambition diplomatique de l'Union européenne, il

Dès 1951, année de création de la CECA, l'intégration européenne a été ciselée par l'utilisation récurrente d'un

même instrument de négociation multilatérale : le traité. Le dernier en date, signé à Lisbonne et entré en vigueur

en 2009, constitue l’amorce d'une nouvelle phase de la construction européenne car il modifie les compétences de

l'Union des vingt-sept en matière de relations internationales.

DOS

SIER

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Page 13: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

« La diplomatie est

l'enfant de son époque »

(Peter Marshall)

s'agit avant tout d'intégrer cet organe dans une conception des relations internationales dépoussiérée des postulats classiques. Ceux-ci s'avèrent inadéquats pour expliquer un phénomène qui rompt avec plusieurs siècles de pratique diplomatique tout en conservant certaines de ses structures.

Dans cette perspective, il s’agit de s’interroger sur le sens général de la diplomatie et d’examiner le contexte international dans lequel s'inscrit la création du SEAE afin d’envisager les modalités de la réussite d’une telle innovation institutionnelle.

Le sens de la diplomatie

« What's in a name? » demande Juliette à Roméo dans l'œuvre de Shakespeare. Son interrogation est singulièrement pertinente dans le cas du mot « diplomatie » qui ne recouvre pas moins de six définitions, parmi lesquelles l'exercice des relations extérieures, le champ des relations internationales ou l'habileté dans l'art de la négociation. La nature polysémique de la « diplomatie » traduit sa richesse conceptuelle, fruit d'une évolution de sa pratique au fil des siècles. Intrinsèquement évolutive, la diplomatie est, comme le formule Peter Marshall, « l'enfant de son époque ». Ainsi relève-t-on des normes diplomatiques différentes en fonction des périodes historiques, lesquelles permettent de saisir les enjeux géopolitiques, économiques ou militaires auxquels les diplomates doivent répondre. La diplomatie est en effet le reflet temporel d'un contexte international autant qu’un outil de relations internationales dont l'utilisation est ajustée en fonction des intérêts des Etats dans ce même contexte. L’exercice diplomatique est donc à la fois un repère de l’histoire et un instrument d’orientation des relations internationales. Par exemple, dans la Grèce Antique, la diplomatie était circonscrite à des missions temporaires d'agents envoyés vers d'autres royaumes pour délivrer un message ou en recueillir un. Les latins, quant à eux, ont peu marqué l'histoire de la diplomatie en raison de leur conception floue de la territorialité.

C'est précisément cette idée de territoire, associée à la notion d’indépendance qui a conditionné l'émergence de la diplomatie moderne. Ces deux éléments ont façonné la configuration de la diplomatie au moment de la chute du Christendom et de la naissance subséquente des Etats-nations qui ont progressivement donné corps au concept de souveraineté.

Loin d'être temporaire, l'avènement, en Europe, de la diplomatie des ambassadeurs résidents qui s'en est suivi structure encore aujourd'hui l'exercice de la diplomatie.

L’impact de la mondialisation

Toutefois, le contexte des relations internationales ayant subi des évolutions profondes depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les traditions diplomatiques qui prévalaient jusqu’alors ont elles aussi été en partie altérées. Le système international est désormais imprégné par la mondialisation. Ce phénomène de compression du temps et de l'espace accélère l'accès à l'information, modifie les relations de pouvoir entre gouvernements, intègre des acteurs non étatiques sur la scène diplomatique et favorise les multilatéralismes vertical et horizontal. Par conséquent, la globalisation implique même, selon Alan Henrikson, une déterritorialisation

tendancielle qui constitue un défi pour l'Etat souverain, charpente du

système international vieux de près de six siècles.

C'est pourquoi la diplomatie ne saurait être envisagée comme la simple appellation du champ des relations interétatiques. L’existence de la diplomatie est notamment conditionnée par son degré

d'efficacité, lequel est étroitement lié à la capacité des

gouvernements à ajuster leurs outils diplomatiques. Le système

international étant devenu polycentrique, les Etats membres de

l'Union doivent désormais s'associer pour continuer à peser dans la mise en œuvre d'une gouvernance mondiale qui a vocation à régir une série de domaines transnationaux – tels que la protection de la planète, la régulation de la finance ou la lutte contre le terrorisme – qui appellent des réponses à dimension globale.

La diplomatie européenne, entre le monde et les Etats

La création du Service Européen pour l'Action extérieure est un exemple paradigmatique de cette mutation des relations internationales car il porte les germes d'une forme innovante de diplomatie tout en conservant des éléments de pratique diplomatique anciens. En ce sens, la diplomatie européenne emprunte à la divinité Janus ses deux visages, l’un tourné vers le passé et l’autre vers le futur. Pour réussir, la diplomatie européenne doit conjuguer efficacement les vecteurs traditionnels de la diplomatie avec les enjeux nouveaux qui structurent la scène diplomatique internationale. La création d’un véritable corps diplomatique au sein d’un monde caractérisé par une multiplicité

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d’acteurs qui interagissent dans un contexte d’interdépendance sont trois éléments qui avaient engendré l’émergence de la diplomatie moderne au Quattrocento. Six siècles plus tard, ces mêmes éléments, associés au phénomène de mondialisation évoqué précédemment, permettent aux Etats membres de donner un souffle à leurs diplomaties respectives en dépassant la traditionnelle opposition entre souveraineté nationale et supranationalisme.

La diplomatie européenne, loin d’être un obstacle aux diplomaties des Etats de l’Union, doit répondre à des enjeux globaux, tout en permettant une harmonisation progressive des diplomaties nationales. Le Service Européen pour l’Action Extérieure s’inscrit donc dans la cohérence diplomatique de la redistribution des

responsabilités dans un monde globalisé. A cet égard, Catherine Ashton déclarait : « il est très important de travailler avec les Etats [mais] il ne s'agit pas de doublonner ou de reproduire ce que les États membres font déjà très bien. Il s'agit de voir où l'Europe peut apporter une valeur ajoutée, à vingt-sept pays». Il incombe désormais aux diplomates européens d’asseoir ce projet diplomatique sur des axes d’effort concrets, pérennes et efficaces afin de démontrer que Gordon Brown faisait fausse route lorsqu’il affirmait qu’ « entre le monde et les Etats, il n’y a rien ».

Tristan-Aurel Mouline

LE SERVICE EUROPEEN POUR L’ACTION EXTERIEURE (SEAE)

L’article 27-3 du traité sur l’Union européenne (TUE) dispose que : « Ce service [le Service Européen pour l’Action Extérieure] travaille en collaboration avec les services diplomatiques des Etats membres et est composé de fonctionnaires des services compétents du secrétariat général du Conseil et de la Commission ainsi que de personnel détaché des services diplomatiques nationaux. L’organisation et le fonctionnement du service européen pour l’action extérieure sont fixés par une décision du Conseil. Le Conseil statue sur proposition du haut représentant, après consultation du Parlement européen et approbation de la Commission ».

Siège : Bruxelles

Personnel : 6000 fonctionnaires, (60% provient de la fonction publique européenne).

Budget : L’ordonnateur du budget est le Haut représentant. Le SEAE "exerce ses pouvoirs conformément au règlement financier applicable au budget général de l’Union, dans les limites des crédits qui lui sont alloués"

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ANNÉES 2010 : DÉCENNIE PERDUE POUR L’UNION EUROPÉENNE ?

Tout au long de la construction européenne, élargissement et approfondissement sont allés de pair. Aujourd’hui, ce couple moteur de la construction européenne est en panne. Dans de plus en plus d’Etats membres, l’hostilité à l’entrée de la Turquie dans l’Union se conjugue avec le refus de nouveaux transferts de souveraineté. Les référendums français et néerlandais de 2005 ont marqué un net coup d’arrêt dans l’élan d’intégration européenne. Un fossé s’est creusé entre la construction européenne et une partie des peuples européens. Les élargissements se sont réalisés sans que l’on consulte les peuples, de même que la construction européenne s’est approfondie sans que la question fondamentale du projet européen ne soit vraiment posée dans les espaces publics européens. En réalité, l’Union européenne apparaît davantage comme une construction technique et économique que comme une véritable union politique pesant sur la scène internationale. Dans son dernier essai détonnant d’optimisme, Un petit coin de paradis, Alain Minc n’omet pas de constater que l’Europe est « un animal sartrien dont l’existence précède l’essence ». Malgré les réussites maintes fois rappelées de la construction européenne (paix et prospérité), le poids politique de l’Union est très embryonnaire. L’Union est un géant économique, mais un nain politique. La méthode d’intégration européenne est aujourd’hui en question. La « méthode Monnet » qui a sous-tendu la construction européenne est à bout de souffle car l’Union souffre d’une crise de légitimité et d’identité.

Plus de soixante ans après la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950, la lutte idéologique entre fédéralistes et souverainistes, Europe politique et Europe

des nations, continue. D’un côté les européistes, à l’instar de Thierry Chopin, défendent que « le manque d’énergie ainsi que le déficit démocratique de l’Union européenne plaident en faveur de l’idée de fédération ». D’autres, tels que Jean-Pierre Chevènement, s’attaque au « pari pascalien dans un au-delà des nations ». Depuis le Traité de Maastricht de 1992, les signes d’un euroscepticisme accru se multiplient bien que les lignes du débat ne cessent d’évoluer.

Après les traités d’Amsterdam (1997), Nice (2001) et Lisbonne (2009), les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres n’ont aucunement le projet de réformer les institutions européennes dans la décennie qui vient. La difficulté avec laquelle les avancées du Traité établissant une Constitution pour l’Europe ont été sauvées dans le Traité dissuade clairement de rouvrir le chantier institutionnel. Aussi, pour la première fois, aucun Etat européen ne montre-t-il d’ambition fédéraliste. L’Allemagne de Joschka Fischer ou la Belgique de Guy Verhofstadt étaient les derniers porte-étendards des Etats-Unis d’Europe. Cependant, malgré cette réticence à toucher de nouveau aux traités, les chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé le 16 décembre dernier de modifier le traité pour créer des mécanismes de solidarité entre Etats (fonds de secours européen). Cette décision fait suite à la rencontre de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel à Deauville le 18 octobre 2010. Quand le besoin s’en fait vraiment ressentir, on n’hésite donc pas à changer les traités.

L’évolution de la construction européenne dépendra aussi du rapport de force entre institutions européennes. Pendant la crise des dettes souveraines fin 2009, l’Europe

Que deviendra l’Union européenne ? Dans la décennie qui vient, l’Union européenne apparaît à la croisée des chemins. Impuissance et illégitimité sont les deux freins principaux à son ascension sur la scène internationale.

DOS

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s’est montrée nettement plus intergouvernementale que communautaire : les Etats étaient à la manœuvre, pas la Commission. Bien que ces deux modes de gouvernance cohabitent depuis le traité de Maastricht, il existe une concurrence idéologique entre ces deux voies. « La méthode intergouvernementale semble avoir repris de la vigueur à l’occasion de la crise de la zone euro. »1 Parallèlement, la montée en puissance du Parlement européen, principale évolution institutionnelle des deux dernières décennies, contribue également à amoindrir l’autorité de la Commission européenne. Difficile de penser que José Manuel Barroso est à la tête de l’institution qu’a dirigé Jacques Delors. Cependant, la méthode communautaire se montre résiliente et rien ne laisse présager pour l’instant son abandon.

Dans la décennie qui vient, deux ambitions modestes apparaissent à la portée de l’Union européenne : consolider l’acquis communautaire et fixer des frontières stables à l’Union. Il semble se dessiner une pause dans l’approfondissement comme dans l’élargissement. La voie d’une « fédération d’Etats-nations » (Jacques Delors), entre Europe strictement intergouvernementale et Etats-Unis d’Europe, demeure ambiguë. En matière de politiques économique, diplomatique et militaire, l’ambition d’une Europe puissante se heurte aux résistances régaliennes des Etats membres. La Grande-Bretagne n’a jamais voulu d’un super-État européen et l’Allemagne n’en voit plus la nécessité pour rétablir son influence. Le statu quo semble l’emporter pour la décennie 2010.

1 Renaud Dehousse, « La méthode communautaire à l’épreuve de la crise », Lettre du CEPII, 2011.

Sur le long terme, les trois scénarios dessinés par Olivier Ferrand dans un article de 20032 continuent d’occuper l’horizon européen : un super-Etat puissant, une grande Suisse intégrée, un vaste marché dilué. Dans tous les cas, les Etats membres ne sont pas prêts à avancer au même rythme. Comme l’a assumé Laurent Wauquiez dans sa conférence du 15 février à Sciences Po, l’Europe à plusieurs vitesses – qui est déjà en partie une réalité – est inévitable. L’excellent schéma de

Philippe Perchoc du site Nouvelle Europe 3 (ci-dessous) montre le caractère déjà multidimensionnel de la construction européenne. La tenue du quatrième Conseil des membres de l’eurogroupe fait craindre à certains Etats d’être mis à l’écart d’une zone d’intégration économique plus poussée. Pourtant, l’Europe ne peut être qu’à

géométrie variable.

« J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises » écrit Jean Monnet dans ses Mémoires. La crise d’identité latente que vit l’Europe aujourd’hui est un défi considérable. Au-delà des

questions institutionnelles, il manque à la

construction européenne une identité, un souffle, un rêve. La tristesse de l’Europe, saturée de hontes et de

hantises, que Camille de Toledo a remarquablement décrite dans son dernier essai (Le hêtre et le bouleau) empêche de se projeter avec confiance dans l’avenir. Dans le dernier rapport Schuman sur l’état de l’Union, Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, a appelé l’Union à « dépasser la technique et faire rêver ». Gageons qu’il soit le mieux placé pour faire rêver les Européens…

Roch de Boysson

2 Olivier Ferrand, « Trois scénarios pour l’avenir de l’Europe », Esprit, 2003. 3 www.nouvelle-europe.eu

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LAURENT WAUQIEZ : “une Europe qui a besoin d'assumer et de revendiquer les valeurs, les figures emblématiques, les

grands moments culturels et historiques”

Revue APE : De quelle manière envisagez-vous la conciliation de la

préservation de l'identité nationale de la France avec la construction d'une

identité européenne ?

Laurent Wauquiez : L’Europe telle que je la vois, c’est une Europe qui a besoin d'assumer et de revendiquer les valeurs, les figures emblématiques, les grands moments culturels et historiques qui sont le fondement de son identité.

Cette mise en valeur de ce qui constitue notre culture européenne ne se fera pas au détriment de notre identité nationale, pour trois raisons très simples.

D’abord, la France fait partie des pays fondateurs de l’Union Européenne. Depuis soixante-dix ans notre histoire est étroitement liée à la construction communautaire. Approfondir cette construction en donnant du corps à une identité européenne, c’est se montrer fidèle à l’action de la France depuis plus d’un demi-siècle.

De plus, ce qui fait la spécificité de notre nation ne disparaîtra pas. Notre langue, notre territoire, notre histoire, tout cela ne sera nullement menacé par la construction européenne. Je pense même que l’Europe est une garantie pour la protection de notre patrimoine national.

Enfin, nous partageons avec les autres pays européens les mêmes valeurs, celles dont nous avons héritées à travers le siècle des Lumières, les combats pour la démocratie, la paix, l’égalité homme-femme. En les inscrivant encore plus fermement au cœur de l’Europe, nous donnons à ces valeurs qui nous sont chères un poids plus important dans le monde.

L’Europe n’appartient pas aux institutions, les citoyens et toutes les forces vives de notre pays doivent continuer à parler d’Europe, ce que nous avons trop peu fait depuis 2005.

Les fonds européens tels que les fonds européens de développement régional (FEDER) aident les régions à être plus

compétitives en soutenant, notamment, l'investissent dans

l'innovation, les énergies renouvelables et l'économie de la

recherche. Ces crédits favorisent-ils réellement l'intégration des régions d'Outre-mer considérées, au niveau

européen, comme des régions ultrapériphériques et bénéficiant, à ce

titre, d'aides importantes ?

L.W. : Tout à fait. L'Union exerce une véritable solidarité à l'égard de ces régions ultrapériphériques européennes (RUP) : 7,8 Mds € dont 3,2 Mds pour les collectivités françaises sur la période 2007-2013. La plupart de ces "RUP" sont françaises : Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Les autres sont portugaises ou espagnoles : les Açores, Madère ou les Canaries.

Les projets sont multiples et très concrets. Il s’agit par exemple de construire ou d’améliorer des routes et des voies ferrées, de mettre en place des réseaux d'assainissement plus efficaces ou encore de financer des centres de recyclage des déchets ménagers. Ces projets sont très variés : cela va du laboratoire de recherche au port de pêche. Ces programmes permettent concrètement à l'Europe de marquer sa présence sur ces territoires très excentrés, et ainsi de renforcer chez nos compatriotes du bout du monde le sentiment européen. Cette politique donne

Ancien élève de Sciences Po, de l’ENS, et de l’ENA, Laurent Wauquiez est depuis le 14 novembre 2010 ministre chargé des Affaires européennes. Il a récemment participé à la conférence « L’Europe : quelle réussite pour sa Jeunesse ? » le 15 février 2011.

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par ailleurs d’excellents résultats sur le plan économique et je note ainsi que la Martinique va sortir de l'objectif de convergence car son produit intérieur brut dépasse désormais 75% de la moyenne européenne.

Le Service Européen pour l'Action

Extérieure est un instrument visant à renforcer l'action extérieure de l'Union

européenne. La mise en œuvre d'une véritable diplomatie européenne commune

est-elle compatible avec l'exercice des compétences dont disposent déjà les Etats-

membres en matière de relations internationales ?

L.W. : Vous avez raison de parler de diplomatie "commune" et pas de diplomatie "unique". L'objectif n'est pas de faire disparaître les diplomaties nationales, voire même leurs spécificités.

Le service européen a été pensé dès sa création, comme un outil à disposition de la Haute représentante pour, comme le dit le traité, "coopérer avec les diplomaties nationales" et non se substituer à elles. Les Etats membres ont décidé d'exercer "en commun" certaines de leurs compétences et la politique étrangère "européenne" demeure encore largement intergouvernementale. Mais nous avons également décidé de rendre le système encore plus intégré, plus efficace, l'objectif étant bien de créer une culture diplomatique commune.

Mme Ashton et le SEAE ont donc un rôle absolument vital pour faire des propositions et assurer la meilleure cohérence à l'action de l'Union européenne et de ses Etats membres. Mme Ashton dispose de trois casquettes qu’elle réunit pour la première fois : vice-présidente de la Commission européenne pour les relations extérieures, Haute représentante et présidente du Conseil des affaires étrangères. Elle dispose donc de nombreux outils, en propre ou en partage avec les Etats membres ou la Commission européenne, pour que l'UE apporte une réponse globale à une situation de crise.

Certains critiquent la cacophonie européenne face à ce qu'il convient d'appeler le "printemps arabe des peuples", en évoquant les différents déplacements et déclarations des uns et des autres. Ce qui importe ce n'est pas tant que l'UE parle d'une seule voix mais plutôt qu'elle adresse des messages cohérents. Nous pourrions ainsi dire "un message à plusieurs voix". C'est un grand défi mais je suis sûr que cela ne tardera pas à être une des grandes réalisations de l’Europe.

Le renforcement de la gouvernance

économique européenne est souvent décrit comme la condition sine qua non du

redémarrage de l'économie de l'Union

européenne. Pour quelles raisons est-ce le cas ? Comment éviter un déséquilibre entre

les membres de la zone euro et les autres pays ?

L.W. : On ne peut pas vivre en union monétaire si nos économies et nos finances publiques divergent durablement. L'euro est notre monnaie, forgeant ainsi un destin économique commun à la zone. Cependant nous avons la volonté de raffermir cette « communauté de destin » économique. La révision du Pacte de Stabilité et de Croissance va dans ce sens en prévoyant une meilleure prévention des déséquilibres budgétaires et macroéconomiques et en aménageant une trajectoire de rattrapage pour les pays excessivement endettés. Il en est de même concernant le pacte pour l'euro conclu le 11 mars par les 17 Etats membres de la zone euro. Quatre domaines de politique économique feront désormais l’objet d’actions en faveur de la convergence : la compétitivité, l’emploi (notamment des jeunes et des séniors), la stabilité des finances publiques et la stabilité financière. La constitution d’un véritable pilier économique à côté du pilier monétaire est une avancée majeure. La France plaidait en ce sens depuis 15 ans et, il y a encore 18 mois, c’était un tabou.

Ce rapprochement entre les Etats qui partagent l’euro ne se fera pas au détriment des autres Etats de l’Union. D’une part, un bon nombre d’entre eux ont vocation à rejoindre la zone euro. D’autre part, la convergence économique aura un effet d’entraînement qui profitera à tous les pays voisins de la zone euro, et tout particulièrement ceux de l’Union Européenne, avec lesquels les échanges économiques et commerciaux sont particulièrement intenses.

Monsieur le Ministre, vous êtes en charge

des Affaires européennes depuis Novembre 2010. Comment envisagez-vous les

responsabilités qui incombent à votre fonction ? Quels sont les axes d'effort de

votre ministère ?

L.W. : Tout d’abord, pour un pro-européen comme moi, c’est l’occasion de faire avancer mes idées et défendre une Europe ambitieuse, qui va de l’avant, une Europe à l’offensive. Pour quelqu’un de ma génération, penser la France dans le monde sans penser l’Europe est une absurdité.

Mes axes d’action de cette Europe à l’offensive sont simples : dans une période où les citoyens se sentent inquiets, menacés, je veux une Europe qui protège. Mais il doit également s’agir d’une Europe moteur de la sortie de crise à rebours des antiennes déclinistes dont on nous rabâche les oreilles depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies. Enfin, je tiens à ce que l’on mette en place une Europe plus simple, ce qui sera un gage d’efficacité et permettra de rapprocher les citoyens européens de leurs institutions.

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BERTRAND BADIE : “ Nous sommes avec la mondialisation dans un espace mondial où

règne l'interdépendance ”

Revue APE : Comment définiriez-vous la souveraineté au regard de la géopolitique du monde actuel ?

Bertrand Badie : La difficulté tient déjà au fait que la souveraineté est polysémique. Il faut distinguer la souveraineté institutionnelle et la souveraineté contestataire, la souveraineté positive et la souveraineté négative.

La souveraineté a d'abord été contestataire. Il y a toujours eu dans l'histoire de l'humanité des groupes, des individus, des peuples qui réclamaient, souvent au péril de leur vie, l'émancipation d'une tutelle ou d'une domination. Le premier à réclamer l’émancipation d’une domination a commis l'acte fondateur de requête de souveraineté. Dans l'histoire de France l'une des origines de la souveraineté se trouve précisément dans la volonté des rois de s'émanciper des tutelles pontificale et impériale.

Par la suite, la souveraineté s’est en quelque sorte inversée, elle est passée de contestataire à institutionnelle, de destruction d'ordre à productrice d'ordre. Ce moment correspond en France à la construction de la monarchie absolue autour des centres dynastiques. Le souverain est devenu le détenteur de pouvoir ultime. Pour reprendre la phrase du philosophe et juriste Bodin, « Une république est souveraine dès lors qu’elle n’est contrainte ni par plus grand, ni par plus petit, ni par égal de soi ». La souveraineté décrit ainsi un ordre de pouvoir ultime qui ne saurait dépendre d’un autre. La souveraineté contestataire est universelle et ne s’éteindra jamais car il y aura toujours

des dominations, des humiliations, et donc des revendications de souveraineté alors qu'une république disposant du pouvoir ultime est une gageure de moins en moins défendable. De plus, avec la mondialisation, penser qu’une collectivité ou une unité politique ne puisse dépendre en rien de ce qui lui est extérieur devient purement fictif.

De même oppose t-on souveraineté négative et positive. La souveraineté négative consiste pour un État à se défendre contre toute ingérence étrangère. Il s'agit du principe connu de non ingérence dans les affaires d'autrui. La souveraineté positive décrit la capacité d’un système politique à ne dépendre que de lui-même, c'est-à-dire la capacité d’un État à avoir son indépendance énergétique, militaire ou économique. Là aussi, ce concept est très difficile à appliquer car très peu d'États, probablement aucun, ne peuvent prétendre avoir acquis une pleine souveraineté positive.

Pensez-vous que l’Union européenne soit le seul facteur de disparition des

frontières aujourd’hui ?

B.B. : Je refuse d’assimiler souveraineté et frontière. La frontière est une institution, mais certainement pas suffisante pour assurer la souveraineté d’un État.

La frontière a d’abord une existence physique qui peut se traduire par un très fort degré de perméabilité. Autrefois la frontière dessinait les contours d'un État de manière

Bertrand Badie est professeur des universités en science politique. Il dirige la mention relations

internationales du Master de recherche et le programme doctoral en science politique des relations

internationales. Cet enseignant-chercheur est associé au Centre d'Études et de Recherches

Internationales (CERI). Ses ouvrages traitent entre autres de la sociologie et de la théorie des

relations internationales, de l'opinion publique internationale ainsi que de l'évolution de l'État et de

la souveraineté dans les relations internationales.

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« Ce qui manque le plus à

l’Europe c’est un acte

d’adhésion citoyen »

incontestable et prétendait en même temps être l'instrument de la pleine souveraineté. Elle marquait non seulement la compétence de l'État mais aussi l'incompétence de ses voisins sur son territoire. Aujourd’hui, les frontières demeurent car les États demeurent et les compétences régaliennes sont presque intactes. Cependant, elles ne dessinent plus aucune souveraineté. L’UE est sûrement l’exemple le plus poussé du phénomène : on voit en même temps persister les frontières, le droit belge s’exerce d’un côté de la frontière et le droit français de l’autre, même si ces droits sont proches, parfois identiques du fait de leur commune appartenance à l’UE. Ainsi lorsque l'on parle d’abolition des frontières, il s'agit d'une image à considérer avec respect car s'il est vrai que bien des différences, des antagonismes ont été levés, les frontières demeurent.

Comment ce phénomène de disparition des frontières affecte-t-il les relations

diplomatiques ?

B.B. : Du point de vue des relations internationales, il est intéressant d'observer que les frontières ne sont plus aptes à arrêter ou contrôler les comportements humains et sociaux fondamentaux. Autrefois, le mythe de la frontière était là pour marquer de son empreinte tout type de comportement produit par l’être humain.

Aujourd'hui, les ondes, les idées, les images passent les frontières sans qu’aucun contrôle ne soit possible, engendrant les phénomènes bien connus d’internet tels que twitter. Nous sommes également entrés dans une ère de communication généralisée. Le colonel Kadhafi aimerait que l'on ne sache pas ce qui se passe à l'intérieur de la Libye, n'importe quel tyran trouverait agréable de s'installer derrière les paravents de la souveraineté et de faire de ses frontières des rideaux rendant invisible leur forfait. Ce n'est maintenant plus possible : ce qui se passe en Libye, en Égypte ou en Tunisie appartient en partie à chacun d'entre nous, au delà des frontières. Nous en sommes dépositaires. Celui qui voit un être humain humilié, s’immolant par le feu en Tunisie, ne peut pas être indifférent et utiliser l’argument frontalier pour faire valoir qu’il n’est pas concerné par ce qui se passe.

Nous sommes avec la mondialisation dans un espace mondial où règne l'interdépendance. Frontière ou pas frontière, ce que je fais ici en France va peser sur l’avenir du Tunisien, de l’Algérien, du Malien.

La diplomatie doit donc tenir compte de la visibilité globale de notre monde mais aussi de cette interdépendance très forte qui fait qu’il n'existe plus vraiment de sujets de politique intérieure. Repenser la diplomatie (ce qu'on a eu beaucoup de mal à faire en France), c'est repenser cette globalité en sachant qu'elle nous interdit cependant d'aller jusqu'à l'ingérence. Il faut donc continuer à ménager la souveraineté de l'autre tout en sachant que son intime intérieur est aussi un élément constitutif de notre propre agenda.

Depuis le Traité de Lisbonne, les «

Présidents » de l’Europe se sont multipliés : Président du Conseil européen (Herman

Van Rompuy), Président de la Commission (José Manuel Barroso), Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la

politique de sécurité (Catherine Ashton).

L’absence de visibilité et de force politique qui en découle n’est-elle

pas problématique, ne rend-elle pas le leadership et la prise

de décision au niveau européen inefficaces ?

B.B. : J’ai toujours pensé que le traité de Lisbonne était de bien des points de vue catastrophique. Une transformation aussi forte de notre jeu institutionnel et de la légitimité de notre

ordre politique n’est pas possible sans association

étroite des citoyens. Ce qui manque le plus à l’Europe, c’est

un acte d’adhésion citoyen, c'est-à-dire un acte solennel d’appartenance

qui impliquerait que tous les Européens se considèrent véritablement en situation

d’allégeance par rapport à ce nouvel ensemble. Or, non seulement la procédure du traité de Lisbonne a court-circuité celle du référendum, mais elle a aussi alourdi les rôles institutionnels là où au contraire il fallait améliorer les rôles participatifs.

Cette contradiction gigantesque est probablement l’une des pathologies qui a frappé le plus durement l’UE ces dernières années. Cette multiplication des rôles institutionnels à un moment où l’opinion publique n'avait jamais été aussi eurosceptique et peu identifiée à l’ensemble européen, est absurde. Il aurait été préférable de trouver à la fois la voie de l’efficacité (une simplification du jeu institutionnel) et la voie de la participation. L’Europe est devenue une sorte de machine à produire des micro-institutions l'asphyxiant. Le jeu politique a fait que l’on n’a pas choisi pour tenir ces rôles les personnages les plus charismatiques. On a préféré choisir les plus consensuels ayant souvent la fonction de dénominateur commun tout en ayant peu de personnalité. Ces personnes ne reluisent pas,

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« Une réforme des

institutions européennes,

simple, lisible, qui n’aurait

pas eu cette ressemblance

avec un annuaire

téléphonique (…) aurait été

infiniment plus salutaire que

ce que nous avons vécu. »

ne parlent pas aux opinions et enfoncent donc un peu plus l’Europe dans l’anonymat.

Les dernières réformes citoyennes du traité

de Lisbonne (l’Initiative Citoyenne Européenne par exemple), vous semblent-

elles pertinentes et suffisantes pour combler le déficit démocratique de l’Union ?

B.B. : Le droit d’initiative citoyenne reste très largement abstrait pour l'opinion publique. La réinvention du politique a toujours été marquée par des moments participatifs, des moments où les peuples ont le sentiment de porter leur histoire. Ce sont ces moments qui restent dans la mémoire collective et qui sont sources de mobilisation. Les institutions octroyées n’ont jamais bien fonctionné dans l’histoire de l’humanité. Je ne pense pas que tout ceci soit véritablement déterminant. Une réforme des institutions européennes, simple, lisible, qui n’aurait pas eu le volume d’un annuaire téléphonique et qui aurait été formalisée par un vote positif aurait été infiniment plus salutaire que ce que nous avons vécu.

On parle souvent de

la puissance normative de l'Union Européenne, au sens où l'Union assoit son

influence géopolitique grâce à

ses valeurs de démocratie et d'État de

droit. La puissance normative peut-elle

réellement se suffire à elle-même ? N'est-elle pas plutôt le

substitut d'une puissance politique et militaire classique difficile à mettre en

place dans l'UE ?

B.B. : Je n'aime pas du tout cette formule de puissance normative parce que cela me paraît être un abus d'usage de la notion de puissance qui s'accole difficilement avec la dimension normative et parce que la notion normative est elle-même assez floue et polysémique. Ce qui a fait la force de l'Europe à certains points de vue sur la scène internationale, c'est peut-être, au contraire, son absence de puissance. L'arrivée sur la scène internationale de l'UE rassure. L'Union arrive sans armée de conquête, sans égoïsme national, sans intérêt national militant mais comme cadre de valeur et animatrice de grands principes tels que la démocratie, l'État de droit ou la défense des droits de l'Homme. Il faut souligner ce rôle positif dont il faut cependant admettre qu'il a été abimé.

Le moment néo-conservateur aux Etats-Unis a déteint sur l'Europe et a profondément influencé

certains États, il a atteint par contagion certaines diplomaties, en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie. Ces dernières années se sont plus traduites par un renforcement de l'OTAN que par un parachèvement de la politique européenne de sécurité et de défense. L'Europe aurait été plus convaincante si elle s'était distinguée de cette préfiguration occidentale du modèle américain qui en a été le porteur très contesté, et si elle avait su se présenter comme modèle substitutif à cette vision qui continue à faire peur.

Si l'on regarde les différents espaces conflictuels aujourd'hui, l’UE récupère paradoxalement le néoconservatisme dont les Etats-Unis se sont émancipés. Concernant les révolutions arabes notamment, les États-Unis rassurent davantage que l'UE. C'est un solide échec que l'Union ferait bien de méditer.

Pour terminer, quelles peuvent-être, selon

vous, les conséquences politiques et diplomatiques du « Printemps arabe » sur la scène internationale et vis-

à-vis de l'UE?

B.B. : Une chose restera de ces événements, c'est la phénoménale inaptitude de l'UE à accueillir ce qui s'est passé. A quoi cela tient-il ? Tout d'abord à cette espèce d'obsession sécuritaire,

j'aurais tendance à dire « sécuritariste », qui fait que

les régimes politiques dans le monde arabe comme la

diplomatie occidentale et européenne n'existent que par

rapport à la sécurité qu’ils sont censés servir. Qu'importe la précipitation de millions de personnes dans les affres de la dictature, de la domination, de l'humiliation et de la spoliation, dès lors que leur état contribue à la sécurité collective ! Les sociétés du monde arabe venant à se réveiller ont d'un seul coup bouleversé de tels calculs, elles ont pris les Européens au dépourvu et les ont conduits à des prises de position trop souvent navrantes, sur la Tunisie, puis l’Egypte notamment, faisant penser à Metternich et au temps de la Sainte Alliance. On a même proposé d'exporter le savoir-faire répressif aux petits dictateurs de manière à les sauver.

Hélas, il y a désormais de forts risques que l'Europe soit moins présente dans la nouvelle Tunisie, comme dans la nouvelle Égypte. Il y aussi de fortes chances que les États-Unis nous y surclassent, le président américain ayant mieux compris qu'il fallait être à l'unisson des peuples et pas seulement des dictateurs.

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Page 23: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

JEAN PICQ : “ Cette situation de disparition des frontières est le nouvel ordre du monde”

Revue APE : Qu’est-ce qui vous a conduit à diversifier vos fonctions et à

vous intéresser au concept de souveraineté ?

Jean Picq : En 1994, je fus en charge d’une mission sur la réforme de l’Etat, – la mission sur les responsabilités et l’organisation de l’Etat –, au terme de laquelle j’ai rédigé un rapport rendu public. Si ce rapport remis au Premier Ministre a connu un grand succès médiatique, il n’a rencontré qu’un faible succès auprès de l’exécutif.

Je l’ai pour ma part mis en œuvre en tant que secrétaire général de la défense nationale. Lorsque j’ai quitté mes fonctions, j’ai pris une activité d’enseignement à SciencesPo. sur le thème de l’Etat en France et sa réforme. C’est précisément par l’enseignement que j’ai acquis la conviction qu’on ne pouvait pas réfléchir à l’Etat avec une vision uniquement contemporaine et qu’il était capital de s’intéresser à l’histoire de l’Etat dans le temps et dans l’espace. C’est pourquoi j’ai sous-titré mon manuel [Histoire et Droit des Etats] La souveraineté dans l’espace et le temps européen.

N’étant pas parvenu à convaincre les politiques d’aller aussi loin que la situation l’exigeait à mes yeux pour réformer notre organisation publique, pour « réformer » notre Etat, c’est à dire étymologiquement à lui donner « forme nouvelle », j’ai souhaité donner le goût et suggérer les clefs du changement aux jeunes générations pour qu’elles parviennent à faire ce que la mienne n’est pas parvenue à réaliser.

Comment définiriez-vous la

souveraineté au regard de la géopolitique du monde actuel ?

J.P. : La souveraineté est un concept philosophico-juridique. Par définition, un concept ne change pas en fonction des circonstances. Ce qu’il faut interroger c’est donc la pertinence même du concept car l’ordre du monde a changé.

Le concept de souveraineté s’est imposé dans l’espace européen à la fin de la guerre de trente ans avec le traité de Westphalie. On s’est mis à distinguer dans l’ordre interne la reconnaissance d’une puissance souveraine illimitée par la réglementation dans tous les domaines (qu’on appelait la police) et dans les relations avec les autres d’une souveraineté dans un ordre européen marqué par un équilibre recherché des forces entre les puissances pour éviter la domination d’un seul.

La souveraineté, inventée par Jean Bodin (qui parle de « puissance souveraine » du « droit gouvernement »), a été parfaitement définie par le théologien de Salamanque Francisco de Vitoria au siècle d’or espagnol comme « le droit de gouverner l’Etat dans son ordre », c’est-à-dire dans les limites du droit. Cet Etat « de droit » s’est élargi au droit naturel et au droit international, le jus gentium qui commençait à émerger alors. Depuis, il s’est imposé en Europe notamment avec les ordres juridiques européens. Aujourd’hui, si on croit à cette vision de la souveraineté, la seule manière de la retrouver c’est de la partager et de la recomposer pour être cohérent avec la dimension du problème qu’il faut traiter – la défense, l’économie, la monnaie, ou la politique migratoire par exemple.

C’est ce que le regretté Tommaso Padoa-Schioppa appelle la cohérence entre le Demos et le Kratos. Il faut imaginer que le Demos a plusieurs niveaux de Kratos –

Jean Picq est président de la troisième chambre de la Cour des comptes et professeur à

Sciences Po, en charge du cours Histoire et Droit des Etats. Diplômé en droit, en économie, et

en philosophie, il a fait ses classes à l’Ecole Nationale d’Administration (ENA). Il est l’auteur

de l’ouvrage Une Histoire de l’Etat en Europe, paru en 2009 aux Presses de Sciences Po.

ENTRE

TIEN

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« Seule la frontière

juridique n’a pas encore

disparu puisqu’il existe

encore un espace de

juridiction qui établit un lien

entre territoire et

juridiction. »

municipal, national, européen. L’art du souverain aujourd’hui c’est donc de composer et d’articuler ces différents niveaux.

Quel est l’impact de l’amoindrissement des

frontières nationales en Europe sur la souveraineté nationale des Etats membres ?

J.P. : Les changements d’ordre de toute nature, – les mouvements financiers, les actions terroristes, les trafics de drogue ou de prostitution, les perturbations environnementales par exemple –, montrent que les frontières disparaissent. Le monde est plus monde qu’on ne le dit. De la même manière, l’organisation de chaines industrielles complexes témoigne de ce phénomène. L’adaptation la plus efficace à la mondialisation se traduit par une réflexion sur l’interface entre la conception que l’on garde et la fabrication que l’on délocalise.

Cette situation de disparition des frontières est le nouvel ordre du monde ; elle a complètement changé ce qui s’était imposé en 1648. Il n’y a plus d’ordre Westphalien. Il y a certes des souverainetés qui s’expriment car des peuples désignent leurs responsables, mais ces responsables doivent prendre en charge cette nouvelle donne du partage nécessaire pour agir : voyez ce qui se passe avec le drame nucléaire japonais ou l’intervention en Libye. Seule la frontière juridique n’a pas encore disparu puisqu’il existe encore un espace de juridiction qui établit un lien entre territoire et juridiction : le plus évident est par exemple le droit de la nationalité. Toutefois, même cet espace-là est remis en cause lorsque l’on observe que 50% au moins des lois sont des lois de transposition des normes européennes.

La souveraineté est-elle donc un concept en

voie de péremption ?

J.P. : Non, car le cœur même de la souveraineté demeure comme mode d’expression de la volonté d’un peuple et comme pouvoir de décider et de rendre compte des dirigeants politiques. La souveraineté est liée à l’idée de la responsabilité : celle de choisir son avenir et celle d’assumer ses décisions. Le pouvoir garde l’obligation de convaincre et de répondre de ses actes devant le peuple qui l’a désigné et qui demeure le seul souverain.

Comment conjuguer diplomatie nationale

et actions européennes ? Faut-il une

diplomatie européenne pour mener des actions européennes ?

J. P. : La question a surgi depuis 1992 avec la PESC [Ndlr. : Politique Etrangère et de Sécurité Commune] et elle a pris un nouveau visage avec le Traité de Lisbonne. Elle repose sur le débat classique entre la logique intergouvernementale et la logique intégrée. On a choisi, depuis le début, une logique intergouvernementale, laquelle a ses limites : elle n’entend pas renoncer aux logiques nationales au profit d’une logique européenne.

On se trouve donc confronté à une situation insolite, celle de la mise en place d’une diplomatie européenne qui coexiste avec des diplomaties nationales. Il aura fallu vingt ans pour passer des principes de la PESC au SEAE [Ndlr. : Service Européen pour l’Action Extérieure], il faudra sans doute encore vingt ans pour que la diplomatie européenne ait une force par elle-même et qu’elle

puisse éventuellement se substituer dans certains domaines aux diplomaties

nationales. Le passage d’un monde ancien à un monde nouveau

rencontre nécessairement des résistances.

Est-ce donc seulement

une question de personnalités ?

J.P. : Dans toutes les organisations, lorsque l’on adopte une logique

d’intégration, chacun cherche à conserver le

pouvoir. S’effacer ne va pas de soi, a fortiori quand les chefs

d’Etat et de gouvernement sont promptes à vouloir se mettre au

premier plan. On pourra avoir des personnalités visibles et fortes au niveau européen si les mécanismes démocratiques valorisent les fonctions au lieu de donner la main au conseil européen comme c’est le cas aujourd’hui.

La puissance normative de l’Union

européenne est-elle suffisante pour créer un espace intégré ?

J.P. : Je n’aime pas le terme de puissance normative même si je le comprends et ne doute pas de la force des valeurs et des normes que l’Europe porte. Simplement, une puissance normative sans capacité à faire respecter ses valeurs ne peut spéculer que sur leur diffusion par exemplarité : c’est bien ce qui a pu inspirer en 1989 les peuples de l’Est et en 2011 les peuples du printemps arabe. Notons cependant que dans les deux cas les peuples se sont libérés par la seule force de dissidents ou de combattants courageux dans l’indifférence ou la frilosité des européens de l’ouest ! Mais il serait regrettable que l’Europe s’en tienne à ce seul « soft power ». Il faut parfois donner plus que de la voix 24

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« C’est une fiction de croire

que les nations ont toujours

existé. Elles sont au

contraire le fruit d’un long

processus pluriséculaire et il

n’y aucune raison pour que

ce processus ne se poursuive

pas au niveau européen. »

pour défendre ses valeurs : on l’a vu au Kosovo. Et cela suppose effectivement une capacité d’action plus difficile à organiser qu’une simple capacité de protestation ou d’affirmation des valeurs.

Doit-on encourager la constitution d’une défense européenne, et si oui, quelle doit

être sa place vis-à-vis de l’OTAN ?

J.P. : Cette affaire OTAN-Europe est un sujet depuis toujours difficile. Les européens ne sont jamais parvenus à s’entendre sur ce sujet. Les choses ont un peu évolué mais la concurrence très inégale entre l’OTAN et l’UE demeure. La seule question est celle de la capacité des européens à se mettre d’accord sur une défense commune. Cela implique une perception commune de l’ordre du monde, une capacité à fabriquer ensemble des systèmes de défense, et surtout une capacité à gérer ensemble des crises. Manifestement l’Europe n’est pas arrivée à ce stade de sa construction. Il faut dire que les traditions diplomatiques nationales comme les intérêts nationaux peuvent être différents : voyez ce qui s’est passé entre l’Angleterre et la France au moment de la seconde guerre d’Irak ou entre la France et l’Allemagne dans l’affaire libyenne. Finalement, on peut regretter la lenteur du processus et douter de son achèvement, mais le passage d’une affirmation de valeur à une capacité commune d’action est en soi un processus compliqué.

La paix entre les nations ayant été

instaurée en Europe conformément à l’objectif des traités fondateurs, quel doit

être aujourd’hui le projet politique de l’Union européenne ?

J.P. : Un projet politique européen suppose fondamentalement la reconnaissance du fait qu’il y a justement matière à débattre de ce que l’Europe doit porter. Or ce débat n’a pas lieu. Pourtant, la crise géorgienne, la crise financière, la crise libyenne, et peut être demain les crises nucléaires et migratoires montrent bien que certains sujets ne peuvent être traités par les Etats indépendamment les uns des autres. Le projet politique européen repose donc sur cette question fondamentale : comment régler ensemble des problèmes que l’on ne peut pas traiter tout seul ?

Et, tant que l’on restera sur un registre où les chefs d’Etat nationaux se préoccuperont d’abord de leurs élections nationales avant de convaincre leurs citoyens de la priorité d’adhérer à ce projet

politique européen, tant que l’on n’aura pas un espace politique européen, le projet politique européen sera difficilement perçu par les citoyens.

Pensez vous que les réformes

démocratiques du Traité de Lisbonne suffiront à créer le demos européen ?

J.P. : Non, elles ne sont ni pertinentes ni suffisantes. Au-delà, le mécanisme électoral lui-même ne suffit pas à créer le demos européen.

L’Histoire et le droit des Etats nous apprennent une chose : c’est une fiction de croire que les nations ont toujours existé. Elles sont au contraire le fruit d’un long processus pluriséculaire et il n’y aucune raison pour que ce processus ne se poursuive pas au niveau européen : pourquoi ce qui a été possible entre gallois, écossais et anglais, entre bretons, alsaciens et languedociens, entre lombards et

siciliens pour parvenir à former des peuples « nationaux » ne serait-il pas possible

entre suédois et portugais, français et allemands, italiens et polonais

pour former un jour une solidarité entre égaux, voire

un « peuple » européen ? Quand tous les peuples des nations européennes ont manifesté puissamment contre l’intervention américaine en Irak malgré les options différentes des dirigeants, il y a bien eu un

seul peuple européen dressé contre une guerre préventive

qui menaçait la paix. Le peuple peut être parfois même plus

européen que ses dirigeants. Mais, en temps de crise, la tentation des partis

politiques est bien souvent de flatter l’égo national quand bien même l’évidence est que certains problèmes, tels que l’immigration, ne peuvent être réglés autrement qu’à un niveau européen.

Etes-vous pour l’instauration d’un débat

sur l’identité européenne ?

J.P. : Pas vraiment. En effet, le terme « identité » ne dit pas ce que l’on est mais seulement un moment de ce que l’on est : une photo d’identité vieillit très vite. Focaliser sur l’identité, c’est ignorer la dynamique de transformation en cours. L’identité valorise ce qui est propre à chacun; or, ce qui nous réunit, c’est ce que nous avons en commun. Il faudrait donc davantage, selon moi, mettre en évidence sans cesse ce commun qui nous réunit plutôt que ce propre qui nous distingue ; sur ce que nous avons en commun plutôt que sur ce que nous avons de différent les uns des autres. Car, se battre pour ce que l’on a en commun est infiniment plus fécond que se battre pour ce que l’on a en propre. Vivre, ce n’est pas posséder mais partager !

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Émile Friant, La discussion politique, 1889.

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FO

CUS

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LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL N’EST ET NE SERA PAS UNE COUR SUPRÊME

Le 28 janvier 2011, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) concernant l’interdiction faite aux couples de même sexe de se marier.

Cette décision lui a permis, non seulement de clarifier le droit concernant les couples de même sexe, mais aussi de se prononcer clairement sur son rôle et sur les limites du contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori introduit par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008.

L’interdiction de mariage aux personnes de même sexe confirmée

Les Sages ont, dans cette décision, entériné la jurisprudence de 2007 de la Cour de cassation qui indiquait que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ». Cette interdiction découlant notamment du dernier alinéa de l’article 75 et de l’article 144 du Code civil portant respectivement sur les formalités de célébration du mariage et sur l’âge nubile. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a déclaré ces deux articles conformes à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a en effet écarté les quatre griefs portés à l’encontre de ceux-ci. Premièrement, il a considéré comme inopérant l’argument selon lequel ces deux articles du code civil porteraient atteinte à la liberté individuelle. Le Conseil Constitutionnel ayant circonscrit en 1999 ces atteintes aux mesures privatives de liberté. Ensuite, il a considéré que, dans la mesure où les couples de même sexe ne répondent pas aux conditions du mariage prévues par le législateur, il n’y a pas d’atteinte à la liberté de mariage. Troisièmement, les Sages n’ont pas retenu l’atteinte au principe d’égalité

devant la loi en rappelant que le législateur peut déroger à ce principe pour régler de façon différente des situations différentes.

Finalement, la décision rappelle la conception négative du droit de mener une vie familiale normale, définie lors d’une décision du 6 octobre 2010 ; il s’agit, non pas d’un droit positif, d’un « droit à » une vie familiale normale, mais d’une garantie contre les normes faisant obstacle à la conduite d’une vie familiale. Les couples de même sexe ayant la possibilité de vivre en concubinage ou contracter un pacte civil de solidarité (PACS), le Conseil a considéré qu’il n’y avait pas d’atteinte à ce droit. De plus, le Conseil constitutionnel avait progressivement appréhendé ce concept de vie familiale comme ne s’appliquant qu’à des couples mariés (dans les cas de regroupement familial), à des couples mariés ou non, mais obligatoirement formés d’un homme et d’une femme (dans les cas de fécondation in vitro), pour finalement l’appliquer aux parents seuls ayant adopté (cas d’homoparentalité, dans lesquels il a indiqué que le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas que le concubin ou le partenaire dispose de l’autorité parentale sur l’enfant).

Le Conseil constitutionnel n’est pas une Cour Suprême : elle n’a pas le pouvoir de trancher des questions de société, contrairement à ce que sa consœur américaine peut faire.

FOCUS

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Page 29: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

Ici, pour la première fois, le Conseil constitutionnel inclut clairement les couples de même sexe dans la notion de vie familiale

Les limites des pouvoirs du Conseil constitutionnel dans le cadre de la QPC.

L’enjeu de cette décision se trouvait également dans la détermination des pouvoirs du Conseil constitutionnel. La Cour de cassation n’a ainsi transmis la QPC, non pas parce que la question était sérieuse ou soulevait une question nouvelle d’interprétation de la Constitution – principaux cas d’ouverture de cette procédure, mais en usant pour la première fois de sa capacité de saisine en opportunité, reconnue par le Conseil constitutionnel lui-même dans sa décision sur la loi organique relative à la QPC, en arguant du fait que « les questions posées font aujourd’hui l’objet d’un large débat dans la société ».

Le Conseil constitutionnel se voit donc à nouveau poser une question de société, cas qu’il a déjà eu à traiter dans le cadre de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou de la fécondation in vitro par exemple, mais cette fois dans une procédure de contrôle a posteriori. Il était attendu du Conseil constitutionnel qu’il se saisisse de cette opportunité et qu’il devienne, une fois pour toute, une véritable cour suprême. Cependant, rappelant son rôle de contrôle de conformité des lois à la Constitution, par opposition aux prérogatives du législateur (art. 34 de la Constitution), le Conseil a refusé de se servir de la QPC pour monter en puissance et a renvoyé à la balle à ce dernier.

Dans une tribune parue dans le journal Le Monde, Caroline Mecary, avocate spécialiste des droits des gais et lesbiennes, dénonçait que le Conseil constitutionnel avait « encore du chemin à faire pour devenir une véritable Cour suprême » ; La lecture de cette décision semble confirmer que le Conseil constitutionnel n’a pas réellement pour vocation d’en devenir une.

Azim Akbaraly

La Question Prioritaire de Constitutionnalité

La Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) est une procédure de contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois, instaurée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, et définie à l’article 61-1 de la Constitution. Elle permet à tout justiciable qui estime que la disposition applicable à son litige porte atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis, de la faire contrôler par le Conseil constitutionnel.

La procédure est soumise au filtre, d’abord du juge ordinaire, puis de la cour suprême de l’ordre de juridiction (Cour de cassation, Conseil d’Etat) qui disposent de trois mois pour la transmettre si celle-ci est sérieuse ou nouvelle. Le Conseil constitutionnel dispose ensuite de trois mois pour se prononcer sur la constitutionnalité

de la norme en cause.

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UN AN APRÈS : RETOUR SUR LA RÉFORME

DE LA PROCÉDURE PÉNALE

LA DISPARITION DU JUGE D’INSTRUCTION

Un an après la polémique, c’est l’occasion de rappeler le contenu de cette réforme et de faire le point sur son calendrier, menacé par la fin imminente du quinquennat et l’issue incertaine des élections présidentielles.

En pratique, la suppression du juge d’instruction reviendrait à confier l’ensemble des enquêtes au Parquet. Celui-ci est constitué d’équipes de magistrats travaillant sous l’œil du Procureur de la République. Il doit œuvrer en toute indépendance et impartialité, mais demeure pourtant sous l’autorité formelle du Ministère de la Justice.

Afin de compenser l’espace laissé par le juge d’instruction, mais aussi parce que la nouvelle procédure nécessite un renforcement des droits de la défense, l’avant-projet évoque la création d’un nouveau juge : le Juge de l’Enquête et des Libertés. Celui-ci serait interrogé pour toutes les mesures attentatoires aux libertés individuelles et pourrait être sollicité à chaque stade de la procédure.

Enfin, le rapport Léger établit la possibilité de contester les décisions de ce nouveau juge devant « la Chambre de l’Enquête et des Libertés ». Jusqu’à présent, ce privilège était réservé aux enquêtes menées par les juges d’instruction : 4% seulement en faisaient l’objet. La Chancellerie estime que suite à la réforme, 20 à 25% des dossiers seraient concernés.

UNE INNOVATION TROUBLANTE : LA PARTIE CITOYENNE

L’avant-projet évoque également la création d’une nouvelle partie au procès : la « partie citoyenne ». Cette qualité de partie citoyenne donne la possibilité à une personne n’étant ni victime, ni mise en cause, d’agir en justice si l’infraction a causé « un préjudice à la collectivité publique ». La qualité de « partie citoyenne » serait attribuée par la Chambre de l’Enquête et des Libertés.

Pour répondre aux abus, et au cas où la demande serait jugée « abusive, dilatoire ou malveillante », une amende dont le montant pourrait atteindre 100 000 euros est prévue. La plupart des commentateurs ont néanmoins fait part de leur scepticisme quant à cette innovation dont il est difficile d’imaginer les conséquences.

LA COLERE DES MAGISTRATS

Le 9 mars 2010, entre 2300 et 5000 magistrats ont manifesté en réaction au projet de réforme. Ils critiquent le manque de moyens allégués à la fonction publique, ainsi que les « risques de pression exercée sur des magistrats dépendants de l’exécutif », à savoir, les magistrats du parquet. Le texte prévoit un « devoir de désobéissance » du procureur si le garde des Sceaux venait à lui ordonner de classer une enquête. Le procureur « ne doit pas exécuter des instructions individuelles qui seraient contraires à l’exigence de recherche de la manifestation de la vérité et de conduite des investigations à charge et à décharge ».

Evoqué successivement dans les vœux présidentiels de 2008 et en 2009 par le Président Sarkozy comme une «

réforme en profondeur », le projet de réforme de la procédure pénale est devenu un des grands enjeux du

quinquennat. Au début du mois de mars 2010, l’avant-projet de réforme remis par la Commission Léger fait couler

beaucoup d’encre et crée de nombreuses tensions entre les pouvoirs publics d’une part, les syndicats de magistrats

et les syndicats de police d’autre part.

FOCUS

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Page 31: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

Mais les syndicats se montrent dubitatifs en décrivant l’importance de la hiérarchie en place.

LE RALENTISSEMENT

Suite à ces manifestations, Michèle Alliot-Marie, alors Garde des Sceaux, annonce que si la disparition du juge d’instruction n’est pas négociable, des concertations seront organisées pendant deux mois afin d’organiser au mieux la structure de la justice pénale. Mais les défaites aux élections régionales, l’opposition de la Cour de Cassation à la réforme, et l’impopularité générale du projet perturbe les plans du gouvernement. Le 19 avril, la Ministre de la Justice annonce que le projet n’est plus une priorité, mais qu’il sera voté à la rentrée 2010

afin d’entrer en application en début 2011. Le 13 mai, elle invoque « l’encombrement parlementaire » pour justifier le recul du vote de la loi, qui devait se dérouler en plusieurs fois.

LA PRESSION EUROPEENNE

Deux arrêts rendus dans la foulée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme mettent en lumière le malaise général dont le système français semble être victime. Le 31 mars 2010, l’arrêt dit Medvedyev déclare que : « le procureur de la République n'est pas une « autorité judiciaire », en ce qu’ « il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif ». La Chancellerie fait appel. Mais le 23 novembre 2010, l’arrêt Moulin confirme que « le ministère public ne remplit pas l’exigence d’indépendante de l’exécutif ». Difficile d’ignorer de tels textes qui viennent alimenter les débats, et le mécontentement des parties.

Le projet de la Chancellerie semble donc être au point mort : peut-être le sujet reviendra-t-il sur le devant de la scène quand le Sénat aura examiné le projet de réforme de la garde à vue, au plus tard en avril 2011.

Mathilde Fachan

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Page 32: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

Qui est concerné?

Le Danemark, l'Espagne, La France, le

Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Portugal

sont les six pays membres possédant des

territoires ultra-marins.

L’OUTRE-MER : L’EUROPE OUBLIÉE ?

2011, L'OCCASION DE

REDECOUVRIR LA RICHESSE DE

L'OUTRE-MER

Mercredi 2 février 2011 se tenait à l'Assemblée, simultanément à la soirée de lancement officiel de l'année de l’Outre-mer, une conférence organisée par l'association « Sciences Po de la mer » intitulée « l'Outre-mer, la France oubliée ? ». L'intervention de Philippe Folliot, député UMP du Tarn ayant récemment publié « France sur mer, un empire oublié » aux éditions du Rocher ainsi que celle du contre-amiral Jean-Louis Vichot visaient à faire prendre conscience du potentiel sous-estimé de l'Outre-mer qui gagnerait à être plus valorisée, que ce soit au niveau de la construction civile et militaire ou de la recherche océanique entre autres. Est-il nécessaire de rappeler la richesse de la faune et de la flore de l'Outre-mer ? La conservation des ressources biologiques de la mer constitue en outre une compétence exclusive de l'Union européenne dans le cadre de la Politique commune de la pêche (politique reposant sur une organisation commune des marchés visant à trouver un équilibre juste entre l’offre et la demande

dans l’intérêt des pêcheurs et consommateurs). L'année 2011 doit ainsi offrir l'opportunité de mettre de côté les clichés et le sentiment d'éloignement souvent associés à l'Outre-mer pour en dégager les enjeux européens de demain.

L'UNION EUROPEENNE ET L'OUTRE-MER, UN REGIME

D'ASSOCIATION DE LONGUE DATE ET SUJET A DE NOMBREUSES

EVOLUTIONS

Dès le traité de Rome, le statut particulier de l'Outre-mer a été reconnu, faisant l'objet d'un certain nombre de distinctions. Un régime d'association des PTOM (Pays et Territoires d'Outre-Mer) fut ainsi créé, il concernait entre autres les colonies belges du Congo, la Somalie sous tutelle italienne et la Nouvelle-Guinée néerlandaise. La France détenait de nombreux PTOM, dont notamment l'Algérie, qui furent intégrés au Marché commun à sa demande. La décolonisation causa un important changement formel dans les relations d'association entre l'UE et les nouveaux

Le Palais Bourbon s'éclaire tous les soirs depuis un mois aux couleurs de l’Outre-mer célébrée

tout au long de l'année 2011. Cet événement constitue l'occasion de se pencher sur la situation

de nos concitoyens hors métropole ainsi que sur les relations qu'entretiennent l'Union

européenne et l'Outre-mer. Cette dernière a souvent été sous-estimée et l’UE se doit ainsi de

mettre en œuvre les politiques nécessaires à sa pleine intégration au projet européen.

FOCUS

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Page 33: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

États indépendants. Un régime d'association fut ainsi établi par une succession de traités internationaux tels que les conventions de Yaoundé, Lomé et Cotonou. Le traité d’Amsterdam remplaça par ailleurs l’article 227-2 du traité de Rome prévoyant les conditions d’application de certaines règles du traité ainsi que le développement économique et social des DOM par un article instaurant le statut de RUP. Enfin un rapport d’information de l’Assemblée nationale du 27 Janvier 2010 déposé par la Commission des Affaires européennes et présenté par le député UMP Hervé Gaymard évoque l’éventuelle introduction de l’euro dans les collectivités territoriales d’Outre-mer françaises du Pacifique.

L’UNION PREND AUJOURD’HUI EN

COMPTE LES SPECIFICITES DE L’OUTRE-MER EN FAISANT EVOLUER SA

LEGISLATION

Les évolutions statutaires tant au niveau national avec les réformes constitutionnelles françaises de 2003 et 2008 qu’au niveau européen ont abouti à une double distinction : l'UE intègre désormais dans les RUP plusieurs régions d'Outre-Mer intégrées au Marché Intérieur et dont le cadre juridique est quasi identique à celui de la métropole. Ces Régions ultrapériphériques bénéficient ainsi d'une série d'avantages associés à l'UE tels que l'accès aux fonds structurels, une intégration garantie au marché européen ou encore des résultats des politiques communes. Ces régions sont également soumises aux contraintes associées à leur statut de membre de l'UE, notamment aux règles de libre circulation et aux procédures de décision spécifiques à l’Union. L'UE a adapté ces contraintes en reconnaissant les difficultés associées à l'éloignement et aux particularités l'économie de l'Outre-mer. Les PTOM, quant à eux, ne sont pas intégrés à l'UE mais y sont cependant fortement indirectement associés dans les relations commerciales notamment via l’Etat membre auquel ils sont rattachés.

QUELLES PERSPECTIVES D'AVENIR POUR L'OUTRE-MER EUROPEEN?

Les fonds structurels voués à l'Outre-mer constituent une aide importante pour le développement de ces régions. Celles-ci ont cependant dû faire face à l'élargissement qui a fait descendre les RUP dans le classement des régions bénéficiant de ces fonds, limitant le montant de leurs aides. De même, le nombre des Etats membres concernés par le statut de l'Outre-mer a baissé, limitant leur poids dans les prises de décision. La programmation des fonds structurels pour 2007-2013 doit prendre en compte et compenser ces changements comme le montre la décision du Conseil Européen de 2007 portant sur le régime d'association des PTOM. Celle-ci vise à promouvoir plus efficacement le développement économique et social des PTOM et à développer des relations économiques entre les PTOM et la Communauté européenne dans son ensemble. Mais ce régime d'association doit être plus ambitieux. Il est en effet temps que l'UE s'oriente vers un nouveau partenariat avec l'Outre-mer qui pourrait notamment soutenir le développement durable. Une communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 6 novembre 2009 intitulée « Éléments d'un nouveau partenariat entre l'UE et les PTOM » va dans ce sens en prônant des échanges plus équilibrés et fondés sur des intérêts mutuels. La nouvelle approche de celle-ci vise à soutenir le développement durable des PTOM, en adaptant les principes et les priorités de coopération aux spécificités de ces pays et territoires. Certains PTOM doivent par ailleurs pouvoir continuer à bénéficier de l’aide européenne en matière de lutte contre la pauvreté. Si le développement durable est l'enjeu futur de l'Outre-mer, l'UE doit y avoir un rôle à jouer.

Mélanie Bontems

Une troisième catégorie?

Quatre territoires ont un statut spécifique

différent de celui des RUP et PTOM. Il s'agit

de Jersey, Guernesey, de l'île de Man

(possessions de la « couronne britannique et

non du gouvernement) et des îles Féroé.

Régions Ultrapériphériques ou Pays et

Territoires d'Outre-mer?

L'Espagne et le Portugal possèdent des RUP (les

Canaries, les Açores, Madère) tandis que le Royaume-Uni, le Danemark et les Pays-Bas détiennent des PTOM (Pitcairn, Caïman Sainte-

Hélène, Groenland, Aruba, Antilles néerlandaises). La France quant à elle possède

les deux: la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion constituent les RUP,

Wallis et Futuna, la Nouvelle-Calédonie, les Terres Australes et Antarctiques, Saint-Pierre et

Miquelon entres autres sont en revanche des PTOM.

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Page 34: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

LES PRÉSIDENCES HONGROISE ET POLONAISE DU CONSEIL EN 2011

La Pologne est un pays européen de taille moyenne (environ 313 000 km² pour un peu plus de 38 millions d’habitants) qui s’étend des Carpates au sud à la mer Baltique au nord. Au XVIe siècle, la Pologne était un des Etats européens les plus puissants, alors que le XXe siècle a rimé avec invasion nazie, puis soviétique. Depuis 2004, la Pologne est membre de l’Union européenne.

La Hongrie est un plus petit pays (93 000 km² pour 10 millions d’habitants), enclavé par sept voisins (la Slovaquie, l'Ukraine, la Roumanie, la Serbie, la Croatie, la Slovénie et l'Autriche). Budapest et le Danube n’ont pas manqué de rayonnement à travers l’Europe grâce au talent des artistes hongrois, comme Liszt, entre autres.

En dépit de ces singularités, la Pologne et la Hongrie partagent néanmoins le même objectif de défense des intérêts orientaux de l’Union.

Le début de la présidence hongroise du Conseil des ministres (1er janvier – 1er juillet 2011) a d’abord été reçu avec méfiance à la tête de l’Union européenne à cause de la polémique sur la loi sur les médias, adoptée peu de temps auparavant, et qui limitait la liberté d’expression dans le pays. Malgré tout, la Hongrie n’a pas perdu de temps et a fait preuve d’un engagement sérieux à la Présidence. Les nombreuses réunions à l’ordre du jour illustrent parfaitement les objectifs principaux de la Hongrie. Le 4 février, une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement a été organisée pour traiter de la sécurité énergétique de l’Union. Le Conseil européen des 24 et 25 mars doit initier une réflexion sur la réforme du Traité de Lisbonne. Enfin, le 26 mai, un sommet doit être consacré au Partenariat Oriental, avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, l’Ukraine et, sous conditions, la Biélorussie. La Hongrie ne veut pas se

contenter du rôle de « petit nouveau » au sein de l’Union et entend bien convaincre ses partenaires du bien fondé de l’élargissement, en soutenant notamment la candidature de la Croatie.

De la même manière, la Pologne, qui prendra la relève le 1er juillet 2011, se présente déjà comme « l’honnête courtier ». La Pologne a fait part de sa volonté de travailler en partenariat avec des organisations non gouvernementales et des think tanks, car l’Union doit se construire par la coopération de ses nombreux acteurs. Une des priorités de la Pologne sera tout comme la Hongrie la parole donnée aux

Etats membres de l’Est de l’Union. La Pologne veut notamment renforcer la coopération au sein du groupe de Visegrad (Pologne, République Tchèque, Hongrie, Slovaquie) et du triangle de Weimar (avec la France et l’Allemagne).

La Tribune et Euractiv.fr ont tous deux titré « des présidences tournées vers l’Est » pour résumer le programme de la Hongrie et de la Pologne. Le partenariat oriental est effectivement une priorité commune au même titre que la politique de cohésion, laquelle ne profite pas qu’aux Etats membres les moins avancés selon Budapest et Varsovie. La Hongrie et la Pologne mettent aussi l’accent sur l’acquisition d’une

Pour un pays fondateur et aux ambitions internationales comme la France, la Pologne et la

Hongrie pourraient être perçues comme des « pays de l’Est », indifférenciés les uns des autres.

Pourtant, comprendre les dynamiques européennes nécessite, dans un premier temps, de

connaître chacun de ses membres dans toute la grandeur de son histoire et de sa culture.

FOCUS

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véritable indépendance énergétique par crainte que leur voisin Russe ne leur coupe le robinet du gaz. En effet, 80% de l’énergie hongroise provient des réserves russes. Toutefois, pour ne pas paraître trop concentrés sur des problématiques proprement orientales et pas assez globales au niveau de l’Union, les deux Etats s’investissent également sur des sujets qui ne les concernent pas directement. Ainsi, la Hongrie considère devoir s’impliquer dans la zone euro, même sans en faire partie.

La Hongrie refuse une Union « à deux vitesses », où les nouveaux entrants sont relégués à un rôle

subalterne et à une capacité de prise de décision moindre. Les deux présidences de l’année 2011 font preuve d’une volonté de promouvoir une Europe des 27, et non une Europe des trois grands. Le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France ne constituent pas l’Union européenne à eux seuls, et la Hongrie et la Pologne sont bien décidées à rééquilibrer les poids dans la balance.

Pauline Mouline

POUR RAPPEL

Le Conseil des ministres, aussi appelé Conseil de l’Union européenne ou tout

simplement Conseil est l’institution qui défend les intérêts nationaux à l’échelon européen.

Le Conseil réunit les ministres des 27 Etats membres par secteur d’activité. Par exemple, le

Conseil ECOFIN rassemble les ministres de l’économie et des finances de chaque pays. Le

Conseil, avec le Parlement européen, exerce le pouvoir législatif de l’Union par le biais de la

procédure de co-décision. Chaque Etat membre exerce, tour à tour, pendant six mois, la

présidence du Conseil. Le premier semestre 2011 voit la Hongrie exercer la présidence, et la

Pologne prendra la relève le 1er juillet prochain.

Le Conseil européen réunit les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne

deux fois par semestre, voire trois fois en cas de crise ou de situation exceptionnelle. Le

Conseil européen a été institutionnalisé en 1974, mais les réunions au sommet des

dirigeants européens étaient déjà fréquentes. Le Conseil européen a pour objectif de fixer

les grandes orientations de l’Union et de lui donner les impulsions nécessaires. Le Conseil

européen élit son Président pour un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois.

L’actuel Président du Conseil européen est Herman Van Rompuy. Le Président de la

Commission, le Haut Représentant de l’Union pour les affaires extérieures et la politique de

sécurité, et le Président du Conseil européen assistent également aux réunions.

Le Conseil de l’Europe n’est pas une institution de l’Union européenne. Créé en 1949, il

rassemble 47 pays du continent européen et défend des valeurs de démocratie et d’Etat de

droit, fondées autour de la Convention européenne des droits de l’homme.

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SCPO

& VOUS

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L’AMAP, association incontournable du Master Affaires Publiques, s’est renouvelée cette année

afin d’offrir toujours plus de services aux étudiants en AP, faciliter leur insertion et leur ouvrir des

perspectives pour leur avenir professionnel.

L’Association est constituée de 15 membres actifs et divisée en pôles correspondant aux

différentes filières du Master. Tout au long de l’année, chaque pôle assure donc la liaison entre

l’administration et la représentation des étudiants de la filière, et permet à l’ensemble de

l’Association de prendre en compte de manière efficace leurs demandes respectives, tout en

mettant en œuvre les objectifs suivants :

Faciliter la mise en relation de ses adhérents avec des professionnels et des anciens, par

l’organisation de tables rondes et conférences thématiques

Augmenter la visibilité de notre formation, par des partenariats privilégiés, des

rencontres et des présences sur différents forums professionnels

Permettre une meilleure intégration des élèves au sein du Master et favoriser un esprit de

corps, par la publication de la revue du master affaires publiques et européennes,

l’organisation mensuelle du Club Affaires Publiques, et la tenue de soirées regroupant

l’ensemble des filières.

L’équipe 2010-2011 : Thibaut Sahaghian (Président), Kim Biousse (Vice-présidente), Pierre-Marie

Baudry (Trésorier), Suzie Jaouën (Secrétaire), ainsi que Alexis Delamare Deboutteville,

Cassandre Desjeux, Irène Domenjoz, Axel Orgeret Dechaume, Alizée Sémon, Azim Akbaraly,

Anne-Sophie Ravistre, Christine Louis dit Guérin, Nils Avanturier.

Si vous avez la moindre question, ou remarque, n’hésitez pas à vous rendre sur notre site internet

ou à nous contacter : [email protected] / amap-scpo.fr

ASSO

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Page 39: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

HOW IT ALL STARTED… L’Europe fait désormais partie de notre jour de tous les jours tout comme de notre avenir. L’idée

d’étudier quelques mois ou années à l’étranger ou apprendre plusieurs langues vivantes est

presque devenue une norme… L’Europe a la côte ! Travailler à “l’heure européenne” ? Good idea.

La panoplie des débouchés professionnels est large.

L’AMAE – Association du Master Affaires européennes – est naturellement née de ce constat en

2007 et s’était fixée comme principaux objectifs tout d’abord de développer les liens forts

unissant les étudiants du Master, de renforcer la relation avec les Alumni puis de faire connaître

l’excellence de l’enseignement du Master et de Sciences Po au cœur des Institutions européennes

ainsi que dans le secteur privé.

NOS ACTIVITES Organiser et chapeauter des conférences est devenu l’épine dorsale de l’association. En titre

d’exemple, chaque année l’AMAE chapeaute la conférence annuelle du master qui cette année

tournera autour des pays candidats : with or without you ? Très vite, l’AMAE a noué des

partenariats avec d’autres associations européennes, comme Franchement Europe (Paris III),

Europa ESSEC ou encore le think tank Nouvelle-Europe. Une belle réussite de partenariat à été la

S(t)imulation du Conseil Européen de 2010 sur Nabucco filmé et diffusé sur Arte.fr et celui de

2011 sur la PAC.

L’AMAE prend à cœur de soutenir les projets européens, individuels ou collectifs. Par exemple,

aux côtés du projet collectif l’AMAE participe à l’organisation du voyage d’étude annuel qui ouvre

les portes aux institutions européennes à Bruxelles et à Luxembourg durant une semaine aux

étudiants du Master.

En 2010, l’AMAE a organisé le premier week-end d’intégration pour le Master et en 2011 aura lieu

le premier weekend de désintégration. Entretemps, fêtes et sorties culturelles (cinéma, théâtre,

expositions, apéros ou pique-niques) sont proposés régulièrement aux étudiants. Sans oublier la

soirée de diplomation à la représentation de la Commission.

L’EQUIPE 2011 Elue fin janvier 2011, la voici l’équipe actuelle : Charlotte

Norlund-Matthiessen (danoise), présidente. Alexis Périer

(français), vice-président. Sarah-Marie Männche

(allemande), secrétaire-générale. Sam McGeever (anglais),

trésorier. Guillaume Poupeau (français), responsable

communication. Fabian Ladda (allemand), responsable

événementiel.

Nous contacter : [email protected] / http://www.sciencespoeurope.eu

ASSO

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Page 40: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

L’APPRENTISSAGE EN MASTERS AFFAIRES PUBLIQUES ET AFFAIRES EUROPÉENNES

Qu’est ce que l’apprentissage ?

L’apprentissage est une formation en alternance, formalisé dans le cadre d’un contrat de travail particulier. L’apprenti alterne les périodes de cours et les périodes de travail en entreprise. Il n’a plus le statut d’étudiant et est un salarié à part entière de l’entreprise dans lequel il travaille.

A qui s’adresse l’apprentissage ?

Du fait de la lourde charge de travail, l’apprentissage est difficilement compatible avec la préparation des concours administratifs ou européens.

L’apprentissage s’adresse donc prioritairement aux étudiants qui ont un projet professionnel tourné vers le monde de l’entreprise. Les opportunités sont nombreuses : l’apprentissage se développe dans les grands groupes énergétiques, les entreprises de transports, les cabinets de conseil ou de lobbying, ou encore les directions affaires publiques et affaires européennes de multinationales.

Le cursus en apprentissage ne concerne que la deuxième année de master. Il est cependant ouvert à tous les élèves, quelque soit la filière ou la spécialité choisie en première année de master. Attention toutefois, le contrat d’apprentissage ne vise que les jeunes de 16 à 25 ans.

Quels sont les avantages de l’apprentissage ?

En termes de formation, l’apprenti partage son temps entre l’entreprise et les cours à Sciences Po. L’emploi du temps proposé est

de 3 jours en entreprise et 2 jours à Sciences Po, ce rythme permettant aux entreprises de confier de réelles missions aux apprentis et de les intégrer dans les équipes de travail. Lorsque l’apprenti n’a pas cours (durant les vacances d’été par exemple), il passe l’intégralité de son temps dans l’entreprise.

En outre, l’apprenti bénéficie d’enseignements professionnalisants à Sciences Po (outils informatiques, outils de gestion renforcés ou encore management).

Mais les avantages pour l’étudiant sont aussi financiers :

L’apprenti a le statut de salarié de l’entreprise dans lequel il travaille et perçoit un salaire pouvant atteindre 80% du SMIC. Surtout, l’employeur prend en charge le coût de la formation via la taxe d’apprentissage. L’apprenti ne s’acquitte donc plus des frais de scolarité dus à Sciences Po. Enfin, les apprentis ont droit aux cinq semaines légales de congés payés, leurs périodes de vacances ne coïncidant pas forcément avec les vacances universitaires.

Tout au long de l’année, l’apprenti bénéficie d’un accompagnement d’un tuteur pédagogique à Sciences Po qui lui assure une liaison entre le centre de formation et l’entreprise. Cinq demi-journées de rencontre entre l’apprenti et son tuteur sont ainsi dévolues au projet professionnel de l’apprenti, à son insertion au sein de l’organisation et à la rédaction du mémoire d’apprentissage.

Autrefois réservé aux formations courtes, l’apprentissage connaît aujourd’hui un véritable essor au sein des

Grandes Ecoles. Sciences Po Paris s’inscrit dans cette tendance : Après avoir développé des cursus en alternance dans de nombreux programmes, l’Ecole a récemment décidé d’étendre l’apprentissage aux masters Affaires

publiques et Affaires européennes. Retour sur les détails de cette formation originale.

SCPO

& VOUS

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Page 41: Revue APE - n°1 - Souverainetés (mars 2011)

Quelles sont les obligations de l’apprenti ?

L’apprenti est lié à son employeur par un contrat d’apprentissage d’une durée ferme de douze mois.

Par ailleurs, pour être diplômés de Sciences Po, les apprentis doivent obtenir 120 crédits au cours des deux années de master et passer le Grand Oral comme il est exigé pour l’ensemble des étudiants.

Les apprentis doivent enfin rédiger un mémoire d’apprentissage et le soutenir devant un jury au sein duquel siège un représentant de la direction de Sciences Po, un enseignant et le tuteur.

Quelles sont les démarches à effectuer ?

C’est aux étudiants de démarcher les entreprises. Les plans de recrutement étant généralement établis dès le mois de janvier, il ne faut pas hésiter à envoyer des CV très tôt dans l’année.

Les élèves devront également manifester auprès de Sciences Po leur ambition de rejoindre la filière en apprentissage avant fin avril. Cette date, située relativement en amont dans l’année doit en effet permettre aux équipes des pôles Affaires publiques et Affaires européennes ainsi qu’à Sciences Po Avenir d’assister les étudiants dans leurs démarches de recherche.

Magali Tetard

TEMOIGNAGES :

Guillaume CHOPIN, responsable pédagogique en charge du cursus en apprentissage masters Affaires publiques et Affaires européennes : L’objectif de la mise en place de l’apprentissage dans les masters Affaires publiques et Affaires européennes était de proposer aux étudiants une alternative à la traditionnelle préparation aux concours de la fonction publique et aux concours européens. L’apprentissage constitue une réelle opportunité pour les étudiants qui souhaitent s’orienter vers le monde de l’entreprise. Une telle formation constitue un gage de crédibilité et de qualité sur le marché du travail. Les apprentis intègrent des groupes de travail et se voient confier de vraies responsabilités, contrairement aux stagiaires qui n’interviennent bien souvent que sur des missions ponctuelles. De manière générale, le taux d’employabilité des étudiants en apprentissage se révèle nettement plus élevé que celui des étudiants classiques. Jean-Claude LEGAL, coordinateur de l’apprentissage à Sciences Po :

L’apprentissage se développe dans les grandes entreprises. D’abord parce qu’il leur permet de gagner en flexibilité tout en utilisant une taxe d’apprentissage à leur profit. Ensuite parce qu’il s’inscrit dans une véritable démarche de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. L’apprentissage permet en effet aux entreprises de recruter et de former de jeunes talents tout en les faisant monter en compétence. La différence entre un stagiaire et un apprenti est importante : l’investissement de l’entreprise n’est pas le même car l’apprenti s’intègre durablement dans les équipes de travail et prend en charge de véritables responsabilités. Plus largement, l’apprentissage permet de faire face au risque accru de déperdition des compétences au sein des entreprises. Dans cette perspective, l’apprentissage peut représenter une nouvelle forme de compagnonnage, en favorisant le travail des seniors et la transmission de compétences.

Carine BUZEAUD, étudiante en Master Affaires publiques et apprentie chez TOTAL depuis septembre 2010. J'ai décidé de faire mon apprentissage car j'y voyais une intéressante opportunité en termes d’expérience professionnelle. Au-delà d’un stage, il s’agit d’un véritable emploi, qui peut même ouvrir des portes puisqu’il n’est pas rare que les personnes prises en apprentissage soient ensuite recrutées en CDI. Donc pour ceux qui souhaitent directement intégrer le monde du travail après le master, c’est une option à sérieusement envisager. Par ailleurs, financièrement parlant, et ce n’est pas négligeable, l’entreprise couvre les frais de scolarité et le salaire est plus élevé qu’en stage, avec en plus un véritable statut de salarié. A mon avis, les deux maîtres mots en apprentissage sont l’organisation et la motivation, car il en faut pour pouvoir articuler correctement le travail et les cours. Ce n’est pas toujours évident de se motiver à étudier après avoir passé 8h dans un bureau ; mais en

s’organisant correctement, ça reste malgré tout assez gérable.

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LE POINT SUR

LE CONCOURS EPSO

Depuis le samedi 12 mars, Sciences Po. offre une préparation au concours EPSO (European Personnel Selection Office) – du nom de l’organisme chargé d’organiser la sélection des fonctionnaires européens. Gratuite pour les étudiants de Sciences Po., cette préparation a pour objectif d'accompagner et de guider les aspirants-fonctionnaires européens à chaque étape du concours, et ce dès la constitution du dossier de candidature. Le concours EPSO, qui ouvre une des portes tant convoitées des institutions européennes et du paradis bruxellois, est particulièrement compétitif. 56 000 citoyens européens se sont inscrits l'année dernière au concours, et 36 000 d'entre eux se sont effectivement présentés aux premières épreuves. Seulement 1000 réussissent la première phase de sélection. Après la deuxième phase, entre trois et quatre cents candidats sont finalement retenus, soit 0,8% de taux de réussite.

Les compétences examinées sont les suivantes :

- Capacité de résilience et persévérance - Capacité de développement et d’apprentissage - Communication - Travail en équipe - Organisation et hiérarchisation des priorités - Analyse et prise de décision - Leadership - Analyse des résultats.

Quatre épreuves constituent la deuxième phase :

- Entretien structuré - Epreuve de groupe - Epreuve écrite (note de synthèse à rédiger) - Présentation d’un thème devant le jury.

SCPO

&

VOUS

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CREDITS PHOTOS :

P.1 : ZeroTwoZero, Flag of France and EU, Wikimedia Commons, Creative Commons License

P. 7 : pterjan, Eiffel Tower wearing Europe colors, Flickr, Creative Commons License

P. 6 : Cornischong, Schengen Monument, Wikimedia Commons, Creative Commons License

P. 7 : Miss Karen, Police line, Flickr, Creative Commons License

P. 9 : http://www.photo-libre.fr

P. 12 : Freddy Moris, AshtonClinton, Wikimedia Commons, Creative Commons License

p. 17 : FotothekBot – Deutsche Fotothek‎n Interview mit ausländischen Genossenschaftlern, Wikimedia

Commons, Creative Commons License

P. 28 : Erasoft24, Conseil constitutionnel, Wikimedia Commons, Creative Commons License

P. 32 : Site de l’année des Outre mer (http://www.2011-annee-des-outre-mer.gouv.fr)

P. 34 : Thommy, Hungary EU, Wikimedia Commons, Creative Commons License

P. 37 : peco, Entree scpo, Wikimedia Commons, Creative Commons License

L’ÉQUIPE DE LA REVUE :

Coordinateur : Azim AKBARALY

Pôle Rédaction : Emmanuel RENOUF, Mélanie BONTEMS

Pôle Graphisme : Mathilde FACHAN, Roch de BOYSSON

Pôle Relations Extérieures : Pauline MOULINE, Magali TETARD

Pôle Relations Internes : Tristan-Aurel MOULINE, Azim AKBARALY

REMERCIEMENTS :

Noémie FACHAN, pour son aide pour le graphisme de la Revue

Samuel FAURE, pour ses suggestions, et sa relecture des articles

L’AMAP et l’AMAE, pour leur soutien moral et leur aide matérielle.

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© Revue APE – Mars 2011.