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SUR LA FABRIQUE DU CORPS TRANGER

Jean-Michel Rey

Presses Universitaires de France | Revue franaise de psychanalyse

2014/5 - Vol. 78pages 1551 1558

ISSN 0035-2942

Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Rey Jean-Michel, Sur la fabrique du corps tranger , Revue franaise de psychanalyse, 2014/5 Vol. 78, p. 1551-1558. DOI : 10.3917/rfp.785.1551--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Sur la fabrique du corps tranger

Jean-Michel rey

Quelques remarques rapides propos des questions souleves par ce que jappelle la fabrique du corps tranger . Problme immense dans lequel je distingue gros traits trois moments. tout dabord, au dbut de lre chrtienne, ce quon a nomm le verus Isral . Certains thologiens de cette poque font des acrobaties langagires et logiques pour prouver et faire admettre que lIsral vritable, authentique, ce nest pas le judasme, mais, tout au contraire, le nouveau testament, cest--dire le christianisme tout juste naissant. on croit ainsi pouvoir montrer, par exemple, que Mose, dans telle situation, est encore juif, et, dans telle autre, dj chrtien : discrimination totalement arti-ficielle pour faire sortir le bien du mal. Ce qui autorise certains de ces tho-logiens inverser les temporalits et proclamer, preuves lappui, que le christianisme est lIsral annonc, le seul reconnaissable pour tout lavenir, la religion par excellence mme. Dire verus cest faire aussi entendre quil y a du falsus du faux, de linauthentique, et que le judasme se trouve exclusi-vement de ce ct-l, quil est condamner ou considrer comme le pra-lable dpass de la seule forme de religion possible. Un historien des religions (Pierre Geoltrain) a parl ce propos de vol des Anctres . Cest un pro-cessus lointain qui fonctionne, mon sens, comme une sorte de modle pour bon nombre doprations identiques ou analogues dans la suite ; en bref, une auto-proclamation du vritable sujet de lhistoire de son caractre unique, exemplaire et un rejet (ou une disqualification) de ce qui est nentre pas dans cette perspective. Cest une articulation qui semble se produire assez frquem-ment dans les contextes les plus diffrents avec des effets du mme ordre. Il y a, chaque fois, un ensemble quil faut systmatiquement dvaluer, destituer, vincer, et cest loccasion den tracer les contours, de le prsenter sous un

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jour particulirement ngatif avec des qualificatifs hautement dprciatifs. Le plus souvent, on ne craint pas dutiliser dans cette perspective les arguments les plus douteux, voire de purs sophismes dont on escompte quils emportent facilement ladhsion ou quils renforcent lautorit en place, quils finissent par simposer comme tant le verus.

Le deuxime moment sinspire en partie du premier et concerne ce qui se joue pendant la Rforme, en France plus quen Allemagne. on sait la vio-lence de ces temps, celle par laquelle notamment un pouvoir central catholique rejette et exclut une partie de la nation. Lune des faons de faire consiste dire (par tous les biais possibles) que le protestantisme est une religion prtendue rforme . Le propos est repris dans la suite par Bossuet qui tire argument des variations des glises protestantes pour constater labsence dunit et affirmer que seul le catholicisme ralise un tel programme en visant la vritable universalit. Joseph de Maistre rpte que le protestantisme nest rien et, en mme temps, quil est, entre autres mfaits, responsable de la Rvolution Afficher ce rien revient ici viser une sorte dannihilation gnrale. lins-tar de qui a lieu dans le premier, il y a dans ce deuxime moment un rapport troit entre une certaine thologie et la dsignation pjorative du corps tran-ger ; on ne cesse de jeter un discrdit sur un autre quon doit tenir distance et quon semploie par l dvaluer ou nier ; la politique sen mle sous forme de guerres dune extrme cruaut. tout le xixe sicle franais sera marqu par un anti-protestantisme dune grande virulence ; comme si on percevait que ce rien quest cens incarner le protestantisme, tait plus solide que ce quon pouvait en croire. La thologie catholique sert, pour une part, de base un combat politique ou thologico-idologique continuel. Charles Maurras, qui vient directement de ce courant, disait : Je suis athe, mais catholique.

La fin du xixe sicle amorce un troisime moment avec, entre autres choses, la publication par Drumont dun livre qui a un retentissement norme pendant des dcennies, La France Juive ; il est question, ds la prface, de lenvahis-sement de llment juif dans la douloureuse agonie dune si gnreuse nation et de lintroduction dun corps tranger dans un organisme rest sain jusque l . Avec de telles phrases, on est au cur du propos et proximit dv-nements rcents. Ces phrases constituent, sur un mode tout fait explicite, une sorte dappel aux armes ; la dernire guerre en fait en quelque sorte la preuve et, avant elle, lAffaire Dreyfus. La mtaphore mdicale peut tre dans ce contexte dune grande utilit quand elle semble indiquer que la sant est une forme de combat de tous les instants contre les forces les plus malsaines, les plus pernicieuses ; elle peut dailleurs prendre divers aspects, selon les besoins du moment, tre inflchie quand les circonstances semblent lexiger. La tran-sition peut mme se faire aisment vers des mtaphores dordre gologique.

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on connat les propos de Xavier Vallat, en 1936, sur Lon Blum : Pour la premire fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouvern par un Juif. Pour gouverner cette nation paysanne quest la France, il vaut mieux avoir quelquun dont les origines, si modestes soient-elles, se perdent dans les entrailles de notre sol, quun talmudiste subtil.

Cest pendant la dernire guerre que se joue quelque chose de crucial ce propos. on sait que, ds 1940, alors que loccupant na rien demand, les autorits de Vichy imposent un Statut des Juifs qui sera suivi dun second Statut plus ignoble encore. Deux Statuts qui sont orients dans le sens de la ngation pure et simple, qui ont pour principale vise la disqualification et par consquent lexclusion. Les Juifs, privs des droits civiques lmen-taires, sont exclus de presque toutes les professions. on utilise pour cela des phrases qui sont des dfinitions administratives et du mme coup des motifs dlimination ; cela commence de la manire que lon sait : est considr comme Juif suivent les caractristiques pour le reconnatre sans grande difficult. Ici, plus quailleurs, il sagit dnoncer, sur un mode explicite, ce quest un corps tranger et, donc, ce quil faut en faire dans de telles cir-constances. Dans ce contexte prcis, dire, cest inviter faire et faire faire en sadressant qui veut bien lentendre. Cest la raison pour laquelle on cre, ds le dbut de la guerre, un Secrtariat dtat aux Affaires Juives lexpression parle delle-mme. Le pouvoir de Vichy est, en raison de ses choix politiques, contraint dindiquer, comme en gros caractres, comment traiter ce corps tranger quest, depuis fort longtemps, la France juive . Il reprend des manires de dire qui, au cours des sicles, ont montr toute leur efficacit, il les inflchit en les simplifiant lextrme pour en faire des lois en mme temps que des signes de reconnaissance, pour que chacun puisse ainsi sy retrouver.

Maurras, en 1941, crit ceci : on pose bien mal la question. Il ne sagit pas de fltrir une race. Il sagit de garder un peuple, le peuple franais, du voisinage dun peuple qui, densemble, vit en lui comme un corps distinct de lui. Le paradoxe de toute politique en direction de ce quon dclare tre un corps tranger est quon doit justifier sa dmarche, produire donc des phrases qui visent lgitimer la politique mene sous le signe de la stricte ncessit. on donne ainsi lire un mode de fabrication du corps tranger , on met partiellement au jour les moyens qui sont utiliss pour tayer lexclu-sion la plus brutale ; ce peut tre une faon de les banaliser. Cest comme la rgle des rgimes autoritaires (ou fascistes) qui nhsitent pas, dans le mme temps, tablir des lgislations particulirement maladroites allant dans le mme sens, sans grande sophistication pour celle labore par Vichy. on tient parer au plus press sans mme chercher la plus lmentaire cohrence. Les

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politiques dexclusion sont comme contraintes dnoncer ce quelles mettent en uvre, elles ne peuvent pas demeurer muettes sur leurs vises.

Pour lessentiel, il sagit avant tout de se garder dun danger majeur, de se prserver dun mal sournois, une bonne fois, de se protger efficacement contre un germe de destruction. Urgence dautant plus grande, dira-t-on, quon na pas su y parer avant : cest le grand leitmotiv depuis les guerres de religion du xvie sicle qui est repris ds 1940. Comme pour les protestants, mais avec une violence accrue, les Juifs sont caractriss et caricaturs en quelques phrases ; le mal est prsent depuis des sicles, raison de plus pour le nommer comme tel, pour le cerner en propre, pour indiquer, autant que possible, les moyens de se dfendre, de garantir que ce mal ne reviendra plus jamais. Cest donc lunit de lensemble qui est en question une unit videmment imagi-naire quon cherche faire reconnatre en la soutenant par divers strotypes. vidence pour qui considre cette politique : on ne dfinit jamais, dans ces diverses phrases, linstance qui est prserver et qui on accorde a priori lunit, comme si cela allait toujours de soi. on dit le peuple franais , la nation , le pays , l organisme ; on a recours aux abstractions les plus vides et aux comparaisons les plus arbitraires, pour repousser ce quon croit tre une prolifration ou une sorte de cancer, des maux considrs comme tant dune extrme gravit. on construit ainsi un semblant de ralit avec quelques membres des lieux communs culs, avec des noncs dont on doit donc croire quils sont suffisants pour produire ou pour souder lunit proclame, pour la maintenir dans le temps et la constituer comme un objet propre susciter un ralliement gnral.

Do lhypothse que je propose rapidement : cest avant tout dans les moments de guerre civile quon voit prolifrer des noncs de cette nature concernant ce qui est cens tre un corps tranger. Pour parler de cette faon, il faut ncessairement faire appel des entits creuses dont on attend quelles rassemblent et quelles fassent par elles-mmes consensus : la nation gn-reuse , le vieux pays gallo-romain ou bien encore notre peuple Ce qui est revendiqu par des noncs aussi vides, cest le rtablissement dun tat antrieur pur de toute contamination ou, dans dautres cas, la reconstruc-tion dune socit qui simposerait une fois rsolue la question juive et mme, par certains aspects, la question protestante. Il y va, aux yeux des autorits de Vichy et des idologues de la mme mouvance, dun problme de civilisation rien de moins. on nest plus dans la thologie comme telle, mais plutt dans un processus de scularisation qui, grce quelques entits imagi-naires rptes et marteles, enserres dans des phrases mmorables, en prend effectivement le relais et fait tout pour reconduire les mmes gestes de mise lcart, les mmes vises dpuration ressasses au nom de lUn.

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Lvi-Strauss, dans Tristes Tropiques, oppose les civilisations marques par lanthropophagie absorption dindividus dtenteurs de forces qui revient les neutraliser aux ntres qui pratiquent lanthropomie consistant expul-ser hors du corps social des tres considrs comme redoutables ou nfastes, dangereux, sans foi. Les moments de guerre civile ils ne manquent pas en France depuis la Rforme sinscrivent dans cette pratique du vomissement, forme lmentaire dun rejet systmatique. on retrouve, chaque fois, des propos sur ltat de la civilisation, sur la forme souhaitable aprs lannihi-lation du corps tranger, quand lUn sera remis sa vritable place, restaur dans son autorit, quand un terme aura t mis la grande maladie et quon aura ainsi chapp la mort annonce ou un interminable dclin.

on peut stonner de trouver des arguments trs proches de ceux que je viens dindiquer chez des gens qui nont aucune attache avec Vichy ni avec lextrme-droite de lpoque. Simone Weil, en 1942, a connaissance dun rap-port sur le statut des minorits franaises non-chrtiennes et dorigine tran-gres . (Bel euphmisme, ce titre est lui seul tout un programme on voit sans aucune difficult de qui il peut sagir dans ce moment.) En marge de ce rapport, elle crit ceci : on ne peut dfinir la minorit juive que par deux caractres, dracinement et irrligion. Irrligion, car la soi-disant religion juive est une idoltrie nationale qui a perdu toute ralit depuis la destruc-tion de la nation. on est au plus prs de la religion prtendue rforme quvoquent certains idologues du xvie sicle dans la vise que lon connat. Simone Weil ajoute que cela explique et lgitime aussi les ractions hostiles contre elle . Jy vois une autre forme de largument bien connu, resservi dans toutes les circonstances de mme nature : ils ont bien cherch le chtiment quils viennent de subir Un peu plus loin, elle avance une solution la ques-tion de la manire suivante : En dissolvant sans brutalit les milieux juifs, on ne priverait pas dune patrie ceux qui les composent, on les prparerait en avoir une pour la premire fois. Dissoudre, en somme, ce serait en quelque sorte commencer vomir ceux quon dsigne, en vitant autant que possible les actes de violence, par une sorte de persuasion dj pratique ailleurs, mais avec une ide bien prcise et dune trs grande ampleur. radiquer le corps tranger doit annoncer ou permettre un nouveau dpart dans la perspective de la civilisation.

Ici comme ailleurs, peut-on dire, la solution doit tre radicale la plus simple, la plus conomique tant lassimilation au grand nombre, la forme dominante de religion, pour le dire en un mot. Elle crit ceci qui rejoint la problmatique du verus Isral en la modernisant et qui, au plein sens du terme, laccomplit mme : Cest seulement relativement une inspiration dune spiritualit chrtienne authentique que peuvent trouver place des mesures

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de protection contre ceux qui sont incapables de sy associer, parmi lesquels seraient invitablement la plupart des Juifs. La solution pour ce corps tran-ger de trs longue date est donc, aux yeux de Simone Weil, chercher du ct de la thologie traditionnelle rien de moins quune mtanoia, une conversion densemble au christianisme, plus prcisment au catholicisme ; une sorte dassimilation progressive assortie notamment dune recommandation dordre prophylactique touchant le mariage des Juifs avec des non-Juifs Puisquil y a des poisons mlangs la vrit du christianisme qui sont dorigine juive cest lune des expressions quelle forge dans ce contexte , il faut faire en sorte quils se transforment rapidement, selon le vieux principe du pharmakon, en remdes la conversion tant sans doute le plus efficace dentre eux, celui qui a fait ses preuves depuis des sicles en occident. on est dans une perspective qui semble parfois sapparenter aux mthodes bien connues (sur le terrain mdical) de lantisepsie.

on trouve des propos du mme ordre chez Albert Bguin, dans un livre sur Lon Bloy crit en 1943 et publi en 1944. Aprs avoir dit que les ennemis dIsral poursuivent en lui un corps tranger , sans prciser qui sont ces enne-mis, il ajoute ces propos qui ressemblent de prs ceux tenus par Simone Weil peu prs la mme poque : Mais ce qui est pire, sans doute, cest que les victimes, oublieuses de leur grand destin et des Promesses faites pour le jour de leur plnitude, ne dfendent plus rien que leur existence physique ou leurs positions acquises, leur pouvoir, leur richesse. Des phrases qui avaient proprement scandalis, dans limmdiat aprs-guerre, lhistorien Jules Isaac dans son livre Jsus et Isral.

Il ne serait pas dplac de rappeler pour finir mais il faudrait sy tendre bien davantage ce qua t, en France, dans ces mmes annes, lAffaire Finaly. Au dbut de la guerre, deux enfants juifs en trs bas ge sont confis par leurs parents une femme de la rgion de Grenoble, une rsistante catho-lique. Les parents meurent en camp de concentration peu aprs. En 1945, un membre de la famille Finaly vivant en nouvelle-Zlande rclame ces enfants. La tutrice qui en avait la garde refuse nergiquement de les rendre, plu-sieurs reprises mme, et fait traner les choses par diffrents subterfuges, se mettant ainsi totalement hors la loi. Laffaire est finalement porte en justice aprs bien des pisodes ; la procdure dure des annes pendant lesquelles cette femme cache ces enfants dans diffrentes institutions catholiques o elle bnficie de nombreuses complicits. Elle les fait baptiser en 1948 et pense devoir les lever dans la religion catholique. Laffaire clate au grand jour en 1952 et devient un scandale national de grande ampleur. La France se divise entre, dun ct, ceux qui, comme la tutrice des enfants, soutiennent quils sont catholiques puisquils sont baptiss et, de lautre, ceux sinsurgent contre

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une conversion impose aux enfants. on sait aujourdhui que le Pape Pie XII est lui-mme intervenu discrtement dans cette querelle pour dfendre la conversion . Laffaire se dnoue en 1953, aprs de nombreuses pripties (enlvement, squestration, chantage, fuite en Espagne). Il nest pas sans intrt de remarquer que, sur le plan judiciaire, cette histoire se conclut par une amnistie gnrale touchant les diffrentes personnes qui ont cach les enfants et ont agi de manire illgale.

on retrouve, une chelle individuelle, peu prs tous les ingrdients que jai indiqus, adapts la situation singulire. Je veux dire par l : le recours des fragments de thologie catholique, la conversion force (dautant plus quelle concerne des enfants qui taient circoncis), les noncs de prin-cipe rpts grands cris faute darguments, linanit du judasme formule comme une sorte de slogan, lappel un consensus ncessaire aprs un temps daffrontements, le catholicisme rige comme religion par excellence. Sans parler mme du fait que ceux qui sont responsables de cette Affaire (ou qui en appuient fortement la dmarche : une bonne partie de lopinion franaise) nhsitent pas dclencher une quasi guerre civile dans ce moment particuli-rement troubl o, on le sait, on soccupe davantage damnistie que des rali-ts de lpoque. on peroit tout au long de cette Affaire le pouvoir que peuvent prendre certaines phrases dans des conjonctures dtermines, ce quelles sont susceptibles de faire faire ou de faire croire. on y saisit galement quil y a parfois assez peu de diffrence entre les phrases et les actes, entre lnonc et le geste de destruction.

Comme dans les autres moments, une chose frappe quon retrouve peu prs identique dans les situations les plus diffrentes : labondance et la vio-lence de propos, tenus ici et l, qui inlassablement proclament une Unit coupe de toute histoire, abstraite, absolue, qui disent quelle est consistante et quelle doit donc rgner en toute occasion et que, pour parvenir cette fin, il faut, de toute urgence, se dfaire de tous ceux qui nadhrent pas cette croyance, qui ne partagent pas un tel consensus ou ont quelques rserves ce propos. Il y a l lquivalent dun Credo scularis qui est en fait dot dune souplesse suffisante pour sadapter, trs frquemment, certaines politiques, celles qui mettent au cur de leur proccupation lexistence dun corps tranger et se vouent, par l mme, rejeter continuellement tout ce qui, de prs ou de loin, pourrait tre de cette nature, tout ce qui y ressemble ou sy apparente. Plus ce rejet saccomplit, plus il apparat comme une ncessit, comme une vidence reconduire lavenir cest, dirait-on mme, comme la loi du genre.

Ce qui est commun tous ces moments nest autre quun processus impla-cable, une logique qui trouve se remployer dans des circonstances prcises, en des termes analogues. Cest ce que rappelle Gnther Anders dans une lettre

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quil adresse, au milieu des annes soixante, au fils dAdolf Eichmann, aprs la mort de ce dernier. Il crit notamment ceci :

Par son infamie, Eichmann se trouvait contraint [] de considrer ceux quil tuait comme des coupables ou de les changer en coupables. Dans la logique de linfamie , chaque mfait que lon commet passe en principe pour une sanction de lautre. Et cette sanc-tion , de son ct, passe en principe pour la preuve dune faute, pour la preuve de la faute du sanctionn (Anders, 2003).

Ce que montre prcisment Gnther Anders ici, cest la vieille histoire de la fabrique des coupables ou dun corps tranger o, le plus souvent, il suffit de nommer, au moment opportun, ceux quon vomit pour que le rejet prenne corps et apparaisse comme lgitime voire naturel, inscrit dans la nature des choses ; o cette dsignation est par elle-mme une condamnation mort de la part de ceux qui ont fabriqu des lois pour rendre une telle chose pos-sible. toutes les phases du processus, cest une infamie de mme nature qui rapparat.

Jean-Michel Rey344 rue de Vaugirard

75015 [email protected]

RFREnCES BIBLIoGRAPHIQUES

Gunther Anders, Nous, fils dEichmann, Paris, Payot Rivages, 2003.Albert Bguin, Lon Bloy lImpatient, Fribourg, Egloff, 1944.Jules Isaac, Jsus et Isral, Paris, Albin Michel, 1948.Michl Marrus, Robert Paxton, Vichy et les Juifs, Paris, Calmann-Lvy, 1981.Simone Ptrement, La Vie de Simone Weil, Paris, Fayard, 1997.Jean-Michel Rey, nommer et faire voir, Penser/Rver, n 23, 2013.Jean-Michel Rey, LOubli dans les temps troubls, Paris, d. de lolivier, 2010

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