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rougirais. J’aurais beau me dire que ce type...2 3 Une envie de pisser me chatouille désagréablement le morceau. La délicieuse blonde que je me suis enfilée avant de prendre

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    Une envie de pisser me chatouille

    désagréablement le morceau. La délicieuse blonde que je me suis enfilée avant de prendre la route demande à sortir. Je la fais patienter en contractant mon sphincter vésical, petit muscle ô combien important pour éviter quelque mésaventure dégouttante… euh, dégoûtante !

    Démarrer le week-end par une fuite urinaire : inconcevable. Ma valise est trop pauvre en rechanges. Comment peut-on rouler paisible les fesses, les cuisses ou tout autre organe collés à des fringues imbibées, et posés sur un siège gorgé de lansquine ? Et quelle honte de se pointer mouillé devant le veilleur de nuit d’un hôtel ! J’en

    rougirais. J’aurais beau me dire que ce type croiserait une seule et unique fois mon chemin, son sourire moqueur me vexerait.

    Mais à la limite, s’il advenait que le jus file, je dormirais dans mon auto. Cette incommodité me serait moins inconfortable qu’une humiliation. Est resté gravé dans ma mémoire le souvenir d’une farandole criante autour du gamin fortement incontinent que j’étais :

    « Hou ! il a pissé dans son froc ! Hou ! ». Stop ! Impensable aujourd’hui de me

    montrer tout pisseux. De toute façon, depuis quelques années,

    je sais garder une culotte sèche. Le liquide passera donc l’urètre quand je le déciderai, disons dans une dizaine de minutes, une fois sorti de la voie express.

    Et pour déloger cette cochonnerie de mon esprit, je dois penser à autre chose, à ce bol d’air de quatre jours qui m’attend sur la côte par exemple. J’imagine alors une

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    balade délassante sur l’estran. J’adore flâner sur les immenses étendues vaseuses découvertes par la mer quand elle se fait la belle. Ça me procure du bien-être, de l’extase même parfois. Au vent iodé, je me remplis d’air et j’évacue tout ce qui me pèse. Les contraintes, les déboires, le stress … Vraiment toutes les lourdeurs du moment. D’où le hic ! Je vide aussi ma vessie à cette occasion.

    D’y songer, la lutte reprend sous la braguette.

    Mais à quoi donc puis-je penser alors ? À des drôleries qui me feront pisser de rire ? À des histoires tristes qui, comme pour se prémunir contre le blues, provoquent parfois l’hilarité ?

    Le mieux : éviter de cogiter. Avec un peu de volonté, je vais retenir le pipi, bien que le risque de miction soit réel.

    Pour m’aider, je peux appliquer la méthode Coué, tiens ! « Je dois garder le liquide dans la poche, oui, je dois garder le

    liquide dans la poche. Je dois garder le… ». À répéter sans cesse jusqu’à la bretelle de sortie.

    Ça marche !

    Au niveau de l’échangeur, deux auto-stoppeurs, un gars et une fille, des tourtereaux sans doute, agitent bras et pancarte pour m’encourager à stopper ma charrette. Ils me sourient stratégiquement. Désolé les amoureux, je vais m’arrêter sous vos yeux dans le seul but de me soulager. Aucune chance d’être embarqués ! Petit hochement horizontal de la tête pour leur faire savoir. C’est que ma maman m’a toujours mis en garde contre les inconnus. Et je me réfère beaucoup aux conseils avisés de ma procréatrice.

    En vérité, mon refus est lié à la présence de Monsieur, bien sûr. Il est clair que, si elle avait eu la bonne idée de trimarder en solo, j’aurais prié Madame de monter à bord de ma berline... enfin... de ma petite voiture.

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    Le freinage est à la mesure de mon besoin intime, c’est-à-dire vif. Je bouge aussi ma carcasse avec ardeur. En moins de deux, le petit Jésus s’aère et laisse passer le nectar. Purée ! Que c’est bon de se vider ! Une giclée pareille, qui titille le gland, c’est presque jouissif.

    Ça ruisselle entre mes chaussures, ce qui m’oblige à écarter les jambes, à la manière d’un cow-boy trop fidèle à sa monture. J’observe l’écoulement du fluide sur le sol. Bizarrement, je trouve ça divertissant. Je m’éternise sur la progression des minis torrents, plus ou moins rapides selon les déclivités empruntées.

    Passe-temps aussi idiot que dommageable...

    Je me suis trop attardé sur mes eaux dévalantes. Les deux leveurs de pouce ont profité de ma longuissime petite commission pour dérober ma bagnole. En laissant le moteur tourner, je la leur ai offerte sur un plateau d’argent. Quel con !

    Et aucune réaction de ma part, en outre. Ce lascar et sa bergère viennent de me voler, mais je reste coi !

    – Quel idiot, ce type ! Oh oh, j’exulte !

    – Si on lui avait demandé, il nous aurait pris.

    – Il nous aurait pris ? Mais tu es trop naïve ! Il nous aurait envoyés sur les roses ! Tu as vu sa tronche quand il est passé devant nous ? Il nous a snobés. Et maintenant, c’est lui qui marche ! Oh oh, j’adore !

    – Mouais... – Aucune raison de s’inquiéter. On va

    d’abord s’éloigner, et après, on va prendre des petites routes, des chemins même.

    – Remarque, j’en avais marre de végéter sur cette bretelle...

    – Mais oui, moi aussi ! Tu vas voir, avec cette tire, on va passer un week-end d’enfer !

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    Tiens, une voiture ! Une greluche au volant.

    – Eh, arrêtez-vous ! Arrêtez-vous ! Arrête-toi, connasse !

    – Si tes vieux t’avaient mieux conçu, je t’aurais ramassé sans hésiter !

    Foutu vagin ! Quel incivisme ! Encore une terrorisée par le spectre du violeur. Avec une tronche à la Francis Heaulme, je comprendrais sa méfiance, mais avec le minois de beau gosse que j’arbore, c’est inacceptable. Toute femme devrait piler pour que je lui tienne compagnie ; peut-être bien que celle-ci était myope...

    Ah, une autre tire ! Un mec, cette fois-ci. – Eh, stop ! Stop ! Connard ! Pauvre

    connard ! Espèce de sale connard !

    – Déguise-toi en salope, ça marchera mieux !

    À m’époumoner ainsi, je pense qu’il a bien entendu. Aucune compassion, ce type. J’agoniserais, terrassé par une crise cardiaque, qu’il continuerait sa route.

    Remarque, la dernière fois que j’ai pris un auto-stoppeur, ça devait être dans une autre vie ; autant dire que mon statut de piéton risque fort de s’affermir si les autres agissent pareil. Et avec mon portable posé sur la planche de bord, impossible de joindre les flics en plus.

    Chiotte ! Je viens de réaliser que mon portefeuille dort dans la boîte à gants. Sans papiers et sans thune, l’existence devient une galère. Même le plus indigent des clodos possède toujours une piécette. Je sens que je vais en baver...

    Le seul objet enfoui dans une de mes poches est un stylo, un modeste bic bleu au capuchon affreusement rongé par mes incisives. Qui sait s’il me servira pour me dépêtrer de ce merdier ?

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    Oh, un taxi ! Vide de clients, qui plus est. C’est ma chance.

    – Eh, arrêtez-vous ! Mais... Et il fait la moue à ma hauteur, ce con !

    Si même les tacs se débinent...

    – Je suis désolé pour toi, mon gars. Si taxi j’étais, je te prendrais. Mais mécano je suis.

    Ça, c’est la courroie de distribution qui frotte contre quelque chose, le carter peut-être...

    En tout cas, je suis fixé sur mon sort ; je vais devoir user mes baskets sur le bitume. Que je le fasse intelligemment alors ! Sur la Nationale, un grand panneau indiquait une aire de repos à douze kilomètres. Je vais m’y rendre pour bigophoner. Tout en marchant, je tendrai le bras dans l’objectif – improbable – de motiver un gus à ralentir.

    Après vingt minutes d’enjambées féroces, je demeure toujours bredouille. Les reins et les gambettes souffrent, mais les poumons résistent. Un début de pluie fine humecte ma caboche ; il en faut plus pour m’ébranler. Quelques centaines de secondes plus tard, le crachin est supplanté par une saucée qui me douche généreusement ; il en faut moins pour rester cool. Mes pas soutenus se transforment en foulées d’athlète survolté. Là, je maudis la paire d’ordures qui a raflé ma Peugeot. Les termes que je dégueule heurteraient la sensibilité des pires barbares. Sans rire, Huns, Nazis, Talibans et autres espèces du genre seraient choqués par mes atroces insultes.

    Je cours, les dents serrées, les sourcils froncés, les yeux torves – la sale tronche quoi –, en imaginant les violents coups de poing que j’assénerais à cette pourriture. Les dents voleraient. Mais j’épargnerais sa poupée, pourvu qu’elle reste sage.

    Plein le popotin !