Suivez-noussurlesréseauxsociaux!Facebook:facebook.com/editionsaddictivesTwitter:@ed_addictivesInstagram:@ed_addictivesEt sur notre site editions-addictives.com, pour des news exclusives, des bonus et plein d’autressurprises!

JanaRouze

EFFETDEVAGUE,3ÈMECHAPITREDELASAISON3ENEXCLUSIVITÉ!

zevg_003

Effetdevague,saison3

3

ALEX

Unevoixgrave fredonnéemechatouille lesoreillesavecduColdplay.C’estagréableparcequel’arrièredemoncrânemefaitmaletqueçadistraitladouleur.Pastropdisposéeàmeréveiller,jegrogneunpeuquandunemainlourdemesecouedoucementl’épaule.Jeveuxcontinuerd’écouterlamusique,bienauchaud,etignorerladouleurmaislamainmesecoueencore.

–Onouvrelesyeuxmaintenant,bébé.

Jeserrelespaupièresenévitantderemuerlatête.Jenesaispaspourquoimaisjesaisquejenedoispaslaremuer.

–Nnnn…–Allezbébé,faisuneffort,çafaitquatrejoursquetudorsdanscelit.Jesaisquetuétaisfatiguée

maisilfautquetuboivesetquetumangesunpeu…

J’entendsunpschittpuisleglougloudélicieuxdel’eaupétillantecoulantdansunverre,meslèvressont sèches,ma langueaussi, et c’estvraique j’ai soif.Alors sanscomprendrepourquoi j’obéisàcettevoix envoûtantequi chantaitmongroupepréférémaisunekyriellede souvenirs revient avecforcedansmespenséespourtransformerl’instantenenfer.

Pétard,cerêvem’afoutulatrouille!

J’avais une arme, un calibre noir menaçant comme on en voit dans les films, pointé sur monvisage.Siprèsquejepouvaisensentirl’odeurdel’huileemployéepourlubrifiersesmécanismes.Jen’avaisjamaiscompriscommentfaisaientleschiensdepolicedanslesaéroports,maintenantjesais.

L’armeàfeuauneodeur.

Machinalementjeporteunemainàmatête,ellerencontreunépaisbandagetoutcotonneux,l’autremainnepeutpasbouger.Ilyauntubequientredansmonbrasgaucheetm’empêchedeleplier.Unpiedàperfusion.

Soudaintousmesinstinctsprotecteurssemettentenbranle,enproieàunepaniqueincontrôlable,moncorpsestprisd’unesensationvertigineusesuiviedetremblements.J’aifroid.

–Ilatiré!J’aientendulecoupdefeu.KarachargéetJunatiré!

Autourdemoi,levoilecommenceàselever,jeveuxm’enfuir,memettreàl’abri,maisunemain

lourde surmon plexusm’empêche deme dresser.Quelque chose sonne au-dessus du lit.Un bruitélectroniquestrident.

–Alex,non…iln’yaaucundanger,réagitMatt.Arrêtedet’agiter,tuesensécurité.Personnenenousattaque.Tachambreestaussisûrequepossible.

J’arrêteetl’alarmesonores’arrêteaussi.

L’espritendéroute, j’ouvre lesyeuxengrandpourm’enassurer. Il fait jourdehorset ilyaunvisage familier deGuerrier-Champion-Plus-Fort-Qu’un-Lion au-dessus demoi avec un pouce quieffleureméthodiquementmon visage, suscitant de doux picotements, comme à chaque fois que cepoucemetouche.

Jeledévisage,lecœurbattant,etuneboufféedejoiem’envahit.

–Tuesvivant…

Peut-êtreparcequejemesouviensl’avoircrumort.

–Toiaussi,mesourit-ilenpassantlamainsursanuque.

Sonexpressionsefaitàlafoistendueetcompatissantesansquej’encomprennelaraison.Quelquechosecloche.

–J’ailabouchesèche.–Attends,jevaist’aideràboire.–OùestPaul?dis-jealorsqu’ilsedéplacesanstropsavoirpourquoijepenseàmonbeau-frère,

alorsquejedevraisdireàmonépouxàquelpointjesuissoulagéequeChucknesesoitpascrashépourdevrai.

Peut-êtrequerevoirsonépaissecrinièrebruneetsanuquevirilebientailléesuffitàapaisertoutesmescraintespassées.Commeàchaquefoisquejelavois,jechercheleseffluvesducroissantchauddumatinetrienquecetteidéemedonnel’eauàlabouche.Letouchermemanque.

Mattm’aide à boire enpassant sonbrasderrièremondospourque je puisseme soulever sanspliermoncoudeetjelaissel’eaupétillantecitronnéedétendremalangueaussiinertequeducarton,etle bien-être me gagner peu à peu tandis que son regard plonge dans le mien, chargé dereconnaissance.

– Paul t’a sauvé la vie, déclare enfin mon mari d’un ton fervent comme s’il s’agissait d’unserment.

Nonc’estfaux!Jerepoussesamainquitientleverresanstropsavoircequimeprend.Paulm’aplaquéecontrelemurdelasalledebainsetaglissésalanguedansmabouche.Ilétaitivre,parlaittropettropfortet,honteàmoi,jen’aipaseulaforcedelerepousser.Moncorpsseremetàtrembleren songeant auxconséquencespourMatt etmoi alorsque le lit semblevenir àma rencontrepourm’avaler.Commentvais-jeluiexpliquerça?

Deuxpaumesimmensesplaquentmesépaulesaulit.

– Calme-toi, enfin ! ordonnemon époux d’une voix aussi ferme que douce alors que l’alarmes’arrêteencoreunefoissansquej’aieeuconsciencedel’avoirànouveaudéclenchéeetqu’ilrassureuneinfirmièrevenueauxnouvellesenluidisantquejesuisréveillée.

–Jevaisprévenirlemédecin,acquiescealorscelle-ci.

Laporteserefermeetlevisagedemonmarirevientsurmoi.

– Je suis désolé, tellement désolé que tu aies dû encaisser cela, me souffle-t-il avec sincérité.Maintenant tiens-toi tranquille si tu ne veux pas alerter tout l’étage. Ils vont venir t’enlever çamaintenantquetuesréveillée.

Confuse, je le regarde ratisser la barbe sombre qui recouvre ses mâchoires comme s’il sedémenaitavecquelquechosedeplusgrave.

–Maisalorsquiai-jeentendu?couiné-jeensentantmonanxiétégrandir.

Commeletonnerre,maquestionfaittremblerlesoletsurgird’autressouvenirs.J’aientenduuncorpss’affaisser.Jen’oublieraijamaiscecriétouffé,lerâledel’agonie,suivid’unsilenceeffrayantoùsanslevoironsait.Onsaitquelemourantmèneuncombatperdud’avance.Seul.

–Moncœur,jevaisteledirecommej’aimeraisqu’onmeledise,avancemonépouxmalàl’aise.Cameronestmort.C’estluiquiaprislaballe…

Jenecomprendspasimmédiatement.

Levertigebridetoutesmespensées,moncorpsnebougepasdutout,maismonpouls, lui,s’estemballé.Pourquoin’ai-jepaspenséàlui?Jevoistout.Jelevoisàprésent.Cameronétaitdeboutdansmondosaveccetairsupérieurhabituel,sapeaudoréeetsablondeurnordique,alors,qu’àgenoux,jefaisaisfaceàl’armedeJun.C’estmonfrère.Est-cenormalsijeneressensrien?J’aiduchagrinbiensûr,parcequec’estinacceptabledemourirjeune,maisaucunelarme,aucunsanglot.

Depuisquandsuis-jedevenueinsensible?

–Ilfautquejem’asseye,lepréviens-jepourqu’ilmelaissefaire.

Mattglissedélicatementsamainsousmanuquepouraccompagnerlemouvementetjem’assiedsenfaisantpendremesjambesauborddulitmaiscemouvementprovoqueunedouleurbrusquedansmatête.ImaginerquelaballequiauraitdûmetuermoiatuéCameron,lechocestsivifquelapiècesemetàtourner.Aprèsmajumelle,c’estladeuxièmepersonnequimeurtàcausedemoi.

Etjeneressensrien.

–LacommémorationaeulieuhierdanslapropriétédesBrauerdansleCantondeVaud,entérinemonépouxenprenantunsiègeetenglissant sesmainssousmesgenouxpourm’attirerà lui. J’aienvoyédesfleurspourtoi.

Cettedernièreremarquem’achèveunpeuplus.

–Ç’auraitdûêtremoi,soufflé-jelecœurserréenpensantàLeilaetsonbébé.–NON!s’écrieMattensemettantdebout.

Deux iris violets se vrillent alors auxmiens, avec ce bouillonnement de fureur chez lui qui nemanque jamaisdemecouper le souffleetde susciterenmoi l’enviebrûlantedecoucheravec lui,autantpourl’apaiserquepourmecalmer.

–Ne.Me.Redis. Jamais.Ça. Jamais ! crache-t-il en détachant toutes les syllabes histoire que lemessagepasse,avantdes’emparerdemonvisageàdeuxmainsetdeplaquersabouchesurlamiennedansuneurgencedémentielle.

Jedevraisêtresurprise?Jenelesuispas,j’ailamême.

Mattme serre fortdans sesbraset le savoir là, savoirque jene suisplus seule, que jepeux letoucher, l’embrasser, ouvregrand lesdigues. Jene saispas ceque cet emportement cannibalesqueveutdirepourluipuisqu’ilnes’agitpasd’amourmaisluiaussiaeupeurdeseretrouverseul.Peur,soulagement, désespoir et bouffée d’amour s’emmêlent dans ma poitrine sans que je puisse lesdépartageretc’estàlafoisnocif,destructeuretréparateur.

–Pleure ton frère s’il le fautmaisnenousabandonnepasetne te faisaucun reproche. Jene lepermettraipas,grogne-t-ilenaspirantmalèvreinférieureentresesdents,commemortdefaim.Ondoitêtresolides.

L’espaced’uninstant,jesuisincapabledecroirecequej’entends.Jelelaissecaressermaboucheavec sa langue pour étancher ses craintes de la manière la plus érotique qui soit. Et comme s’ilcomprenaitmondésarroidevantcettetransfigurationdesapart,ils’écartejusteassezpourmefixerbienenface.

–Queveux-tudirepar«solide»,Guerrier?

Est-cequ’onparledeconfiance?D’avenir?D’autrechose?Jesaisquejenedoispasespérercequineviendrapasparcequejem’effondrerai.Nipleurersurcequiauraitpuêtreetencoremoinsluireprocherlacruautédesondestin,maissonétrangemansuétudem’intrigue.

– Entre toi et moi il y a une solidité qui n’existait pas avant, Civilité. Quelles que soient leshorreurssurmoncompte,tuencaisses.Sansdégoût.Sansreproche.Etc’esttaforce.

–Matt…

Ilm’arrêted’ungestedelamain.

–Non,écouteparceque jene le répéteraipas. Jen’ai souventeuquemaparolemais tune l’asjamaisremiseendoute.Mêmedevantl’acteofficieldenaissancequ’exhibaitTricia,tun’aspasexigéde test. C’estmoi que tu as cru. Alors autant arrêter de le nier comme des imbéciles, on se faitconfiance.

Dèsquejevoisleplaisirprendrepossessiondesonvisage,jemerendscomptequec’estcequejevoulais,moiaussi.Établircesocledeconfiancesanslequelrienn’estprofondentreunhommeetunefemme.

Leslarmesjaillissentànouveauparl’ardeurdelapassionquejeressenspourlui,jusqu’àcequelasouffranced’êtrelaseuleàlesentirouàpouvoirlevoirainsis’épuised’elle-même.

–Tuestoutpourmoi,sangloté-je,lavoixétranglée.–Ettoi,tuescequej’aideplusprécieuxaumonde.

Jem’enétaisdoutée.Jel’avaisespéré,maisl’entendredanssabouche,jen’enétaispassûreavant.Mattmejetteuncoupd’œilnerveux,baisselesyeuxetditbrutalement:

–Alex…j’aibeaucoupréfléchienattendantquetuteréveilles.Onestsincèresl’unenversl’autre.Onnepeutpasperdreça.Sijepouvaisrevenirenarrièreeteffacertoutcequit’obligeàm’acceptercommejesuis,jeleferaisenunclind’œil.Maisc’estimpossible.Alorssilemalnécessaireestdeteparlerdetoutcequejevoulaisgarderpourmoipourtefairecomprendrequemoiaussi jefaisdemonmieux…ehbien…parlons-nous!

C’esttropsoudainpourl’avalerd’uncoup.Jedevraisrépondrequej’ensuisheureuse,jedevraisexulterdejoiedevantuntelprogrès,maisjenepeuxpas.Abruptement,jerepenseàcequ’ilvoulaitabsolumentmecacheretjen’arrivepasàtenirmalangue.Ilfautqueçasorte!

–Moij’étaissincère.Maistoi?Tusavaispourlabanquedusangquandjet’aiinterrogéettun’asriendit, luireproché-jedansmonbondroit.Commentsaurai-jequetunemecachesriend’autreàprésent?

Maquestionleremetdeboutetjedoislesuivredesyeux.

–Cettefois,c’estdifférent,finit-ilparadmettreensemettantàmarcherdelongenlargedevantlabaievitréetoutenfourrageantdanssescheveux.

Oujemetrompeouquelquechosechezluiaradicalementchangé,unpeucommes’ilavaitmisuncoupdebalaidevantsaporte.Jesenscependantuneterreurmerongerleventre.Visagepâlecommelamort,yeuxfousdepeur, jene lereconnaispluset ladernièrefoisqueMatthewm’adonnécetteimpression,c’étaitàParisquandj’avaisdûm’aventurerdanslesrecoinsténébreuxdesonâmepourleforceràmeparlerdescrimesqu’ilavaitcommis.

Etjusteaprèsj’avaisdûlefuir.

– La fuite est impossible aujourd’hui, Civilité, on estmariés,me rappelle-t-il fort à propos ens’immobilisantdeboutdevantmoilesbrascroiséssursapoitrine.SicequetuasdécouvertauKivudoitunefoisdeplusnousséparer,jedoisteprévenirquejenemelaisseraipasfaire.Vegasétaittadernièrechancedemequitter.Jenet’enlaisseraipasd’autrepourlerestantdenosjours.

Etvoilà!RetourduGuerrierinsupportable.Aussiimperturbablequ’unbonzetibétain.Chaquefoisqu’ilfaitça,j’aienviedelefrapper.

Allezcomprendrecequimepasseparlatête!

–Laseulechosequipeutm’éloignerdetoi,Guerrier,c’esttoi!–J’ensuisconscient,admet-ilàmagrandesurprise.Cen’estnigentilnimignondetesoumettre

ainsimaisc’estnotreréalité,Civilité.Jevaisprendresoindetoipourlerestantdetesjours.Ceneserapeut-êtrepasceàquoitut’attendsmaistuesmafemelleettuserasheureuse.

Commentfait-ilpourmedonnerenviederiredansuninstantaussitragique?

–Etsijenesuispasd’accordavecceplan?luiopposé-je.

J’aibeauredoutersapossessivité,lapetitefilleenmanqued’affectionquiestencoreenmois’entrouveétonnammentconfortée,maisjeneleluidiraipas.

–Jeteferaichangerd’avis.

Sérieusementjesuisencoreentraindemedemandersijenerêvepas.

–Alorspourquoij’entends«Mâchemêmesic’estunepierre.Digèremêmesic’estdubeurre!»,luirétorqué-je.

Unpetitrictuspincérelèvelacommissuredeseslèvres.

–Jen’airienàredireàlasagessedecesparoles,proclame-t-ilavecleplusgrandsérieux.

Saréponsem’arracheunsoupir.Avectoutessesannéesd’indifférenceémotionnelle, ilestmégaarchimulti-entraînéet jedétestenepasavoird’ascendantsur lui.Lebonet lemauvais, toutglisse.J’aienviedelefrapperetdel’embrasserparcequemalgrétout,ilm’émeut.

Merde,ilnepeutpast’avoirainsi,Alex!

–En ce qui te concerne,Matt, je n’ai plus aucune limite à encaisser ce que tum’imposesmaisj’avouequej’aimeraisquandmêmeavoirquelqueséclaircissementssurtarelationavecTricia.

–Rienà redire là-dessus.J’aiprévude t’enparler.Allonge-toi,m’ordonne-t-il,d’un tonbourrusansquejesaches’ilvas’yrésigneretquand.

Unefoisétenduàmoncôté, j’attends fébrilementqu’ilcommencemais il s’emparedemamaindanslasienneenfixantleliquidetransparentquicourtdanslatubulurepournourrirmesveinesetjen’ose imaginer ce que ça rappelle à l’enfant qui se privait de manger pour alerter les servicessociaux.

Quand,soudain,meremémorantcedétail,jecomprendsmieuxl’importancequ’ilaccordeaufaitquejelecroiesurparole.L’enfantmaltraité,lui,n’apasétécru.Jesuisdonclapremièreàl’entendreavec un esprit ouvert, comme je suis la première pour qui il consent à s’ouvrir après autant dedéceptions.

Etmerde,çam’émeutencoreplusparcequed’uncoup,çasemérite.

–Çafaitcombiendetempsquejesuislà?éludé-jeinnocemmentpourluilaisserletempstoutendétaillantl’immensechambremeubléeavectropderaffinement,d’objetsdécoratifs,detableauxetdefleursfraîches,pourqu’onsecroieàl’hôpital.

Ce luxe inutile ramènemespenséesversManuet lesautresenfants«Bombay»quigrandissentdans le camp sans connaître autre chose du monde et je me dis que ce n’est pas juste. CertesAncalagonn’avait riend’uneprison, c’étaitmêmeunendroit chouette avec ses cagesdebut,maisc’estcommesionlesavaitincarcéréslà,sansleurlaisseraucunechance.

–Onestvendredi,m’apprendlebeaumâleenrevenants’allongersurmonlit,unemainsoutenantsatête,desorteàêtrefaceàmoi.

L’agressiondeJunaeulieudimanche,j’aidoncuneabsencedecinqjours.

–Tuasdormilà?quémandé-jeavecunsignedumentonverslecanapéenchintzgrègeducoinsalonrecouvertdeT-shirtsenvrac,d’unbasdesurvêtnoir,degobeletsdecafévidesetdedossiersépars.

Cequienditlongsurcesquatrejours.

Sij’enjugeparsonappartementclinique,sesbureauxetsagarçonnièredeParis,Mattn’apaslevicedudésordre.Impossibled’imaginerlaissertraînermeschaussuresauB-OnecommejelefaisaisdansnotreclapierenrentrantduRESO.

DanslePenthouse,cegenredechoseferaittache!

–Écoute,jen’aipasremislespiedsauB-Oneetjen’aipasLucapours’occuperdemoiici,pige-t-ild’untonbougontropmignon.Verdifait lanavettepourmesdossiersetRobestpasséavecSexemaisladeuxièmefois,lechiens’estvurefuserl’entrée.

Aulieudeleplaindre,mespenséesvolentversmonamieenceintedeCameron,etjemedemandeuninstantcommentelleaprislanouvelle.

– Leila est tombée enceinte de Cameron, lui confié-je. Quand Cam l’a découvert, ils se sontséparés…jenesaispassiellevagarderlebébéàprésent.

Uneétincelleviolettedanssonregardm’apprendquejenedoispasallerplusloinetjecomprendscequeça luiévoque.Sapropremère l’aabandonné, siLeiladevaitchoisircetteoptionousi je lacautionnais,Mattnelepardonneraitpas.

Cequinel’empêchepasd’ajouter:

–CesermonsurCameronest-ilnécessaire?Ilnel’auraitpasépouséedetoutemanière.Ducôtédesamèreonépouselespartisquiontété«approuvés»parlevignoblefamilial,crochète-t-ildansl’airdesamainlibre.

D’unseulcoup,jemerendscomptequejenesaisriendelafamilledemonpèreetunecuriosité

malsaines’emparedemoi.

–Victorfaisaitduvin?–Luinon,maislafamilledeMarinaBrauerpossèdelamoitiédelasurfaceviticolevaudoiseet

danscegenred’entrepriseoncherchetoujoursàs’étendre.Gamay,Pinotnoir,Merlot,Cabernet,toutçasemérite.

Nerveuse,j’avalemasaliveenrestantsurmesgardes,maisilmesemblequeLeilaestunejeunefemmetrèscommeilfaut.

–Victorvenaitdelarue.Ilaeuleurbénédiction,tucrois?

Unbraspossessifs’enrouleautourdematailleetmeramènecontrelui.

–Enhommed’affairesavisé,Victoracertainementprisdesrenseignementssursafuturefemmeavantdel’épouser,affirmemonépouxdansunsarcasme.Maisjedoutequ’ilsesoitpréoccupéquesonbeau-pèreenfasseautantleconcernant.

Jel’étudieuninstantavantd’oserdemander:

–Commentsais-tus’ill’afait?–Jelesais.Larègled’orquandunhommed’affaireschoisitsonépouseestd’effaceràl’avancece

quipourraitsortiraprès.

Jebrûledeluidemandersiluiaussiaagiainsiavecmoi,puisjedécidedenepasmeprendrelatêteavecça.Aprèstoutsiçal’amuse.

–TuasdesnouvellesdeKarim?

Mon époux hoche brièvement la tête mais un muscle tressaute sur sa mâchoire, trahissant sonagacement.

–Ilaappelépoursavoircommenttuallais,répond-ild’untonsec.

Commeiln’enditpasplus,jemeblottiscontresontorseetenfouismonvisagedanssonT-shirtpourhumersonodeuretnepasressentirlevidebéantquejesenspoindreenmoiquandjerepenseàcecalibredevantmonvisage.

C’est foumais je levoisencore. Je levois tout le temps.Aupointquemesoscraquent sous lapressiondecenœudintérieuretquejedoisfairetoutmonpossiblepourforcermoncorpsànepastrembleretmetrahir.

J’ignore comment réagirait Matt si je le lui disais. Protecteur comme il est, il m’imposeraitsûrementdeconsulterunprofessionnel,alorsjemetais.Pourquoisuis-jeaussiémotive?Jen’auraispascruêtreautantimpressionnéeparunearmeaprèsmesstagesenuniverscarcéral.C’estsansdouteunechosedelesvoirdansleurfourreauetuneautred’êtredansleurviseur.

Jelèvelesyeuxverslui,uneautrequestionsurleslèvres.

–Aufait,qu’estdevenuledossierqueVictoravaitlaisséàAdelphe?–Je l’aidétruit,affirmemonmarienmerepoussantgentimentdecôtépour luipermettredese

leverafindeprétendumentvérifierquelaperfusions’écouledansmesveines.

Cequiestinutile.

Jelèveversluiunregardincréduleetlesuisdesyeux.

–Quoi?Maispourquoi?–J’aimesraisons,déclare-t-ilsanstoutefoislesdonner.

C’estpassérieux!Ilveutréellementfairecommesiriennes’étaitpassé?Quesonpères’entireencoreunefoisindemne?

–Matt…mêmesiauKivuletraficdusangn’ariend’illégal,onnepeutpass’asseoirsifacilementsur les conventions sociales. Comment as-tu pu cautionner que des enfants soient enfermés, desnaissances planifiées en fonction d’un groupe sanguin, toi, le P-DG d’un groupe qui poussel’industriepharmaceutiquedanssesderniersretranchements?

Illâchelaperfusionetsetourneversmoi,tenducommes’ilallaitcombattre.

– Tu m’accuses d’eugénisme ? me fusille-t-il piqué à vif dans son orgueil d’entrepreneur enrespirantfort.

Merde,suis-jealléetroploin?J’aideplusenplusmalàlatêteetçaempirechaquesecondeaveccetteconversation,tantquejevaisentrerenhyperventilationsijecontinueàrevoircettearmedevantmesyeux.J’essaiederepoussermesdoutessurVincentmaisilscontinuentàm’empoisonner.

–Autant que tu le saches,moi, je vais tout faire pour faire fermerAncalagon, lui dis-je enmepinçantlabasedunezafind’essayerd’ignorermamigraine.

Unpetitriresarcastiqueluiéchappe.

–Ahouietcomment?FermerAncalagonsupposeselonsesstatutsquelestroisfondateurssoientd’accord.Victorettonfrèresontmorts.Tuenreprésentesun.Etaprès?Commentvas-tut’yprendreaveclesdeuxautres?

–Danscecasj’iraivoirtonpère,décrété-jetoutensongeantquejedoism’assurerduconcoursdeKarimpourconvaincrelesien.

Mais alors que je pensais engager une conversation de fond houleuse, son regard pétillantmedéfieavecuncalmedéconcertant.

– Donc tu ne verras aucun inconvénient à t’attaquer publiquement à mon père… l’honorableVincentAlexanderGarrett,membredelaCoursuprêmeduRoyaumeUni,filsetpetit-filsde.Ehbienbonnechanceàtoi,chérie!

MonDieuleculotdecethomme!Attends.Moiaussijepeuxjouerlaprovocation.

–Tuasquelâge?Iltefaitencorepeur?

Surpris par le tour frontal de ma question, le Guerrier accuse le coup, recule d’un pas, frottel’arrièredesanuquebientaillée,etprendquelquessecondes.

Etlàaussiilmesurprend:

–Jenesaispas,admet-ilavecsincérité.J’imaginequejen’aipasrenoncéàl’imageduhérosqu’ilétaitparfoisquandonsortaitenpublic.Ilsouriait,ilétaitheureuxetsecomportaitavecnouscommeunpèreparfait.

Cettefoissonregardnepétilleplus,ilpeutàpeineparler.Unsourireenfantinsedessinesurseslèvresmaissouslalourdepressionquileronge,sesprunellessombrescommelanuitrestentvrilléesauxmiennes.

Etjecomprendsalorslagravitédel’instant.

Décider d’affronter le parent bourreau, c’est un peu comme si l’enfant maltraité en luireconnaissaitenfinqu’ilneméritaitpaslesmauvaistraitementsetqu’ilavaiteutoutcetempsledroitdedire«Stop».C’estpresqueimpossibleàadmettrecarcelalemèneraitalorsàpenserqu’ilaimaitcequ’onluiinfligeait.

Etlà,onsetrouveraitfaceàunautreproblème.

J’aidelapeinedevantsonétatconfusionnelévident.Mattrestecoincéentrel’enfantetl’adulteenlui,nesachanttropcommentrebondir,luisipeuenclinàl’hésitationd’ordinaire.

–Jet’aime,tusais,luidis-jedoucementenluiprenantlamain,etjenetedemandepasdemeledire.Justedemeracontercequetuveuxpourqu’onsoit«solides».

Lentement,ilhochelatête.

Je ne me suis jamais livré à personne parce que je me suis trop fait avoir comme un putaind’imbécilechaquefoisquej’aitentédelefaireparlepassé,reconnait-il.Pourtant,toutlelongduvolretour, jemesuispromis,promisde tout tedire surma relationavecmonpèreetTricia si tu t’ensortaisvivante…(ilrougit).Tuveuxmaintenant?

Jen’aijamaisvécuuntelmomentd’émotion,magorges’assèche.Mesplusbellesémotions,jelesaivécuesaveclui.Lesplusterriblesaussi.Lentement,jeconsidèrelecalmefeutrédecettechambred’hôpitalincroyableoùj’aiouvertlesyeux,etjemedisqu’ilnepeutyavoirmeilleurendroit.

–D’accord,réponds-jeenmehissantdanslelitafindem’installerplusconfortablement.

Cequiledécideàretaperlesoreillersetàvenirs’asseoirderrièremoi,sondoscontrel’immensetêtedelitcapitonnéeetlemiencontresespecs.

–Posetatêtesurmapoitrine,commande-t-il.Jeveuxqu’onsoitsoudés.

Jefaiscequ’ilditetsesbrasm’encerclentpournousverrouiller.

–Pourquoiai-jeunpansementaussiénormeautourdelatête?meplains-je,cédantàmavanitédefemme.Jedoisêtreaffreuse.

Jenevoudraispasqu’ilcroiequejeporteuneinattentionàmatenuemaintenantqu’onestmariés,etretrouverunpeud’insouciancemêmeniaisefaitdubien.

–Alex…laseulepersonnequitevoitaffreuseici,c’esttoi,merétorqueceluiquin’ajamaisdûseposerlaquestion.Lepansementestgrosmaistuasjusteuntroud’uncentimètreferméparunclip.

–Commentsais-tulatailledutrou?– Parce que je l’ai vu, m’apprend-il. J’étais au bloc et j’ai tenu ta main tout le temps de

l’intervention.

Unbruithorribleetsauvagedéchiremapoitrine.

–Tuasfaitça?couiné-jed’unevoixrauque.

C’estmoncœurquisedéchirepourmieuxs’ouvrir.Toutesmescertitudesvolentenéclats.Ilauraitdûmelaissertranquilleentrelesmainsdesmédecins,rejoindreunesalled’attente.Aulieudeça,ils’est battupourmoi, auplusprès.Maintenant, commentnepas espérer qu’ilm’aime? J’essaiedem’arrêter,demecontrôlermaisjecontinueàsangloterintérieurement.

Ilneledirapas,Alex!Point.

–Ouais,s’engorgemonmaritrèsfierdelui.LeDocteurCushingditqueturisquesdescéphaléesrebelles aux antalgiques quelque tempsmais certainement pas de perdre ton pouvoir de séduction,hélas.

Aucasoù j’endouterais, il resserresonétreinteetdes frissonsélectriquescourentsurmapeaulorsquejeréalisequ’ilnem’apasquittée.«Amour»,«Aimer»n’ontpeut-êtreaucunesignificationpourlui,maisc’estbienimité.Ilapprend.Lesactes,lessentiments,ilneprononcerajamaislesmotsmaisilapprendàaimer.

MonGuerrier.Mêmelà,ilsebat.

Pour dissimulermon trouble, je laisse ses grandes jambesmusclées chevaucher lesmiennes enadmirant ses pieds demec. J’adore ses pieds. Ils sont troooop sexy.En plus, il a un petit tatouagediscretàl’intérieurdesachevillegauche.Unelettrejaponaise.Ilfaudraquejeluidemandecequ’ellesignifie.

–J’ailameilleureplace,tergiverse-t-il.Tatuniqueouvrederrièreetiln’yaquetroisliensplutôtlâches.Tusaiscequem’inspiretoncôtépetit joueurpourlesliens,Civilité…décide-toiet jeferaitoutavecleplusgrandsérieux.Prête?

Ça sonne comme un ordre érotique mais c’est sa façon de masquer la tension qui est en lui.Maintenant,jelesais,ilvameparler.

Etc’estcequ’ilfait:

–NotremaisondefamilleétaitsituéedansunerégionruraleducomtédeDurham,commence-t-il.C’étaittrèsjoli,enborduredufleuve,avecdespaysagespropicesàlarandonnée.Toutautouriln’yavait que des familles nombreuses aux revenus plus modestes que les nôtres dont les mères sedémenaientdetouteslesmanièrespossiblespouréleverparfoisjusqu’àdixenfants.

–Oh!fais-jesincèrementsurprise.–Ouais,c’étaientdebonnesmères. Iln’étaitpas raredevoir lesgarçons traînerdans lescours

d’eauavecdesvêtementssalesmaisilsavaientl’airdes’amuser.Leurspèresétaientdehorstoutelajournéeet finissaient toujoursaupubaprès leboulot.Aussi,monfrèreetmoi,avions lesentimentd’êtredifférentsparcequenousavionsunpèresuffisammentgrandetfortpournouséleverseul.

Ilinspireprofondémentavantdepoursuivre:

–À l’école, jeme sentaismeilleur parce qu’il travaillait dur pour prendre soin de nous, parcequ’onavait laplusbellemaisonducomté,etdesvêtements toujourspropres,etque tout lemondedisaitquec’étaitunpèreparfait.

Mattmebercecontreluicommesij’étaiscequ’iladeplusprécieuxaumonde,jusqu’àcequelasouffrances’épuiseetqu’ilpuissecontinuer:

–«Tuesmonputaindefils»,medisaitparfoismonpère,unpeucommes’ilétaitencolèrecontremoi.Alorsj’étaisfieretdansmonespritd’enfant,monpèreétaitmeilleurquetouslespèresdemescopains.

J’avouequejenem’attendaispasàça.

–Je le regardaissouventet jem’efforçaisde l’imiter,poursuitmonépouxd’unevoixpleinedechaleuràprésent.Lorsquejediscela,onpourraitpenserquetoutlemondes’entendaitbien,maisilyavait toujoursunsentimentde jalousieetde ressentimentde lapartdenoscopainsdeclasseparcequ’onétaitrichesetqu’onsecroyaitsupérieurs.Alorslamoindrepeccadilleterminaitenbagarre.

–DoncPaulettoivousvousbattiez?dis-jeenmedemandantoùtoutcelavanousmener.– Surtoutmoi. J’étais l’aîné et j’avais une identité à défendre. Plus que Paul, restitue-t-il enme

jetantuncoupd’œildecôté.–Parcequetun’avaispasdemère…

Unbrefhochementdetêteavantdefixerensemblenospiedsemmêlésetdecontinuercommes’ilredoutaitdes’arrêter:

–À quelques kilomètres de là, Père disposait d’un cabanon de chasse qu’il partageait avec sonpère.Paulnevoulaitjamaisyallerparcequ’ilavaitpeurdescerfsetdeleurscornesetqu’ilfallaittraverser les bois. Je n’avais que trois ans la première fois, mais quand Père m’emmenait, il secontentaitdefilerdevantcommes’ilnevoulaitrienavoiràfaireavecmoi.

Unpetitrireenfantinluiéchappe.

–Jedevaiscourirderrière luiavecmespetites jambeset fairebienattentionànepas trébucherpourlesuivre,allonge-t-ild’unevoixémue.

Jesourisaussiencontemplantleslonguesjambesmuscléesquientourentlesmiennesaujourd’hui.Mattfaitprèsd’unmètrequatre-vingt-dixetc’estuneforcedelanaturefaitedemusclesetdevolonté,maisilaétépetit,fragile,etminusculeetquelquepartjetrouveçarassurant.

–Si je tombais, Pèrem’engueulaitmais nem’attendait pas. Ilm’est arrivé plusieurs fois d’êtreperdu,reprend-iluntonplusdur.

Jetournematêtesursonépaulepourleregarder.

–Ettongrand-pèrenedisaitrien?–Le vieuxGarrett était jugemais il passait le plus clair de son temps à chasser le daim et les

dindessauvages,etmêmeàmonâgej’avaiscomprisquemongrand-pèreétaituncoureurdejupons.Quand j’arrivais aucabanon ilyavait toujoursdes filles avec lui et touteunemeutedechiens.Çasentait laclopeet lesexe.Pourunpetitgarçoncurieuxcommemoi, lecabanonétaitunendroitderêve.Àcetteépoque-làlepèredeTriciaétaitsonchauffeur.Ilconduisaitlejugepartout.

–Oh!

Commejemeraidis,ilmeserreunpeuplus.

–Pourtout lemondedanslevillage,c’étaitunItalienvenuenAngleterrechercherunemploietquiavaitépouséuneIrlandaiseduSud.Leurfille,Tricia,étaitnéeàMullingaravecunspinabifida.

–Qu’est-cequec’est?–Sacolonnevertébralen’étaitpasfermée,cequiluicausaitdesproblèmesdevessie,m’explique-

t-il.Quandilaeusuffisammentd’argent,sonpèreapulafaireopéreretlafairevenircheznous.Elleavaitquatreansetnouscinq.Pauletmoijouionsavecelle.C’étaitunpeucommeunepetitesœur.Parlasuite…

Ils’interromptetmejetteuncoupd’œilnerveuxquinemeditrienquivaille.

–Comme elle avait toujours ses problèmes de vessie et que son père trouvait la présence d’unenfanthandicapéunpeutropdurecertainssoirs,Triciaavaitprisl’habitudedevenirdansmonlitlesnuitsoùilpréféraitresteravecsafemme.

Marespirationsecoupesousl’effetduchoc.

– Parfois elle faisait pipi au lit et on était mouillés tous les deux, rigole-t-il, mais ça ne medérangeaitpasparcequeçamedonnaitl’impressiond’êtreaimé,lefaitd’avoirquelqu’undansmonlit.

J’essaiederespirermaismespoumonssontvides,moncœurvientdevolerenéclatsetjesensuneterreurglacéemerongerànouveau.Lajalousie.Triciaadormiavecmonmari.Noussommes lesdeuxseulesàl’avoirfaitpuisqueMattatoujoursreçusesmaîtressesdanssasalled’armes.Dansces

conditions,commentnepaslavoircommeunerivale?

–Jusqu’àquand?jeluidemandesanspouvoirm’enempêcher.–ÇaneplaisaitpasàmonpèreniàNicolemaiscommeonétaitpetits,cen’étaitpasméchant,se

justifieàdemimonépoux.Enplus,nousnebougionspascarsijeheurtaissondosparmégarde,ellehurlaitdedouleur.

Çanerépondpasàlaquestion,si?

Un sentiment étrange d’insécurité se répand en moi, aussi menaçant que l’arme de Jun. Leurrelationestbienplusprofondequejenel’avaisdeprimeabordimaginéeetçameterrifie.Parcequemême si pour Matt, c’est clair, pour elle, il est impossible que ce le soit. Comment une enfanthandicapée rejetée par ses parents pourrait-elle renoncer à la seule personne qui l’a réconfortée ?Mêmes’ilsn’avaientquecinqans,c’estuneformed’amour.D’amourenfantincertes,maisenquoiest-cemoinsimportant?

–Combiendetempscelaa-t-ilduré?insisté-je,abasourdieparcequejeviensd’apprendre.–Pèreyamisleholàquandlemédecinduvillageàdécouvertàsamèreuncancerdusein.Deux

maladesàlamaison,cen’étaitpluspossible.Leurcouples’estséparé.LamèredeTriciaestrepartiedanssafamilleenIrlandecarsonmarines’occupaitpasd’elle.Ils’étaitmisàboireetàvoird’autresfemmes,cequesamèreavaitdécouvert.Onlesentendaitcriertouslessoirs.

–EtTricia?–Pèreapayéunesecondeinterventionpoursondosauprèsd’unspécialistedeDublin.Quandçaa

étéfait,ilnousainformés,Pauletmoi,qu’ellen’étaitplushandicapéeetqu’ellenereviendraitplus.–Quandl’as-turevuealors?–ÀParis,desannéesaprès.Elleavaitquatorzeansetsamèreétaitmorte.Sonpèreavaitfaitun

mariageenSuisseetpouvait luipayerdesétudesdanslemêmelycéeprivéquemoi.Lasuite, tulaconnais,jel’aitrouvéeavecmonpère.

Monestomacsetordenledisant:

–DoncTriciaestlaseulepersonnequit’aitaimé?osé-jeentrahissantmescraintes.

Soncorpssetendderrièremoi.

–Dansmonespritd’enfant,oui,reconnaît-ilquandmême.–Cequit’aamenéàenredemanderquandtul’asrevue,comprends-je.–Oui.Etmaintenant,ilyatoi.

Jeprendsletempsdeformulermaquestionavectact:

–Commentsavais-tuquetonpèrenet’aimaitpas?

Mattinspireungrandcoup.

– Contrairement à ce que pouvait espérer un enfant d’originemodeste, mon père venait d’unefamillericheetavaitreçuuneéducationanglaisetrès…strictequ’iltenaitànousenseigner.Legenre

d’éducationoù lesparents,pèreetmère,n’hésitentpasàavoir recoursauxsévicescorporelspourpunirleursenfants.

Preuvequ’il adumal, il abalancéça telun tirdemitraillette,avec l’énergied’un tigredansantavec le feu, et je suis saisie à parts égales entre la peur et la joie. Joie parce que mon époux avisiblementdécidédeneplusrienmecacheretpeuràprésentqu’ilpuissearriverquelquechoseànotrebonheur.

–Tuveuxdirequetonpèreétaitunenfantmaltraité?

Jenem’attendaispasàça.

–Tupeuxappelerçacommeça,secrispe-t-ilcontremondos.

Toutmonsangdésertemonvisageencomprenantcequecelaimplique.

Voilàpourquoiilnepeutlejuger!ToutcommeVincentnelepeutpasdelui-même.Merde.C’estça que mon mari porte comme fardeau ? Le statut d’un futur bourreau ? Incapable du moindresentimentenverssesenfants?

Soudain tout revient.Kar devait le savoir.C’est pour cette raison qu’il était inquiet pourmoi àChicago.Jemedemandaiscequ’illuiprenaitdemeparlerdeMattalorsqu’ilavaittoutintérêtàceque je l’oublie. Il avait dû entendre sonpère évoquer l’enfancedeVincent et a fortiori endéduirecelledeMatt,surtoutaprèsl’avoirsurprisdanscettechambred’hôpital.

Kardoitavoirpeurqu’unjourMattpuisselefaireavecmoietlevoircommeunconteneurXXLdeviolence.C’estbienconnu,unenfantbattureproduitcequ’ilavécusansenavoirconscienceparcequepourlui,c’estnormal.

Saufs’ilenprendconscience,non?

–Monpèresecroitobligéde«soigner»,vois-tu,entérinemonmarisanssedouterunesecondedel’affolementdemespenséesoualorsjustementenlescomprenantquetrop.Cen’estpasméchant.Ilfaitceladelamêmefaçonqueluil’aconnuquandilétait«malade».

Malade?Soigner?

Soignerparlescoups?

Enquoiest-onmaladequandonestvictimeetsansdéfense?

J’aimeMattdetoutesmesforces.J’acceptequ’ilaitsouffertetmêmequ’ilsouffreencore.Jesaisquejenepourraijamaiseffacersessouvenirsetjeveuxl’aiderdelameilleurefaçon,maislà…jenelesuisplus!

Ilmefautdurecul.Yvoirclair.

–Merci de m’avoir éclairée pour Tricia, lui dis-je d’une voix étranglée. Je comprends mieux

pourquoi tu as payé pour elle à présent. Tu veux bien me parler de Vincent et toi maintenant ?Comment…commenttoutçaacommencé?

J’aibesoindecomprendrecontrequoijevaisdevoirlutter,maisjen’aiaucuneidéedeladifficultépourluiquecelareprésente.

–D’abordilfautquetusachesquejen’enavaispasconscience.C’estdifficilequandonestunpetitgarçonsansautrerepèrefamilialannexedejugercequiestnormaletcequinel’estpas,commence-t-ilàvoixbasse.

–Pierren’apasd’enfantdonc tun’as jamaiseudecousins, luidis-jepourqu’il sacheque je lecomprends.

–C’estça.Pauletmoi,nousétionsseuls.IlarrivaitquePèresefâchecontremoipourmemontrerque je l’avaisdéçuetPierremedisaitque jedevaisêtreplusgentiletmemontrersage.Seulementj’ignoraistoujourssicequej’avaisfaitétaitbienoumal.QuandNicoleétaitavecnous,ilmefaisaitgrimper sur ses épaules mais quand nous n’étions que tous les deux, il se mettait en colère etponctuaittoussesordresparuncoupquimecoupaitlesouffle.Jenecomprenaispascequej’avaisfait.Vraiment.

Jesuisdeplusenpluspersuadéequ’ilm’aimepourmeconfierdeschosespareilles,enfin,autantqu’unhommecommeluipuisseenêtrecapable.Cequisepasseentrenousn’estpasnormal,maisluinonplusn’estpasnormal.Pourmoi,lanormalitéacesséd’existerdepuisquejesuisaveclui.

Ilfautjustequejem’yhabitue.

–Tuavaisl’impressionquec’étaitplustoiquiétaisvisé?mepermets-je.– Souvent oui. Par exemple, il insistait pour que ce soit moi qui l’aide à dépecer les cerfs au

cabanon.Çamedégoûtait,j’avaisdeshaut-le-cœur,maisjelefaisais,paralyséparlapanique.Quandonétaitenpublic,ilétaitplusdouxetsouriantetproclamaitàtousquej’étaisunbongarçon,maistoutpouvaitchangerenquelquessecondesetjedevenais«unevraielopette»àquiilarrachaitdestouffesdecheveuxdèsquejeluitombaissouslamain.

–Quefaisais-tupourl’éviter?–Jevoulaisl’évitermaisilavaitl’habitudedenoushurlerdevenirlerejoindrepourexécuterses

ordres.Onluiapportaitsespantoufles,unthé,ouautrechosedontilavaitbesoin,maisonnedevaitjamaisledévisageretçameplongeaitdansuneanxiétésansnomparcequejenesavaispasàquoim’attendre.Aussi,jemetenaistoujourssurmesgardesensaprésence.

–Nicolen’ajamaisrienvu?

Maquestiongénèreunpetitriresarcastiquechezlui.

–Pourquoiris-tu?–Nicolepensaitqu’ilétaitunhommegénéreuxquiavaitprisenpitiéunenfantabandonnéparune

mèreinstable.Commentvoulais-tuqu’ellelevoietelqu’ilétait?Ilmontraitunvisagedifférentensaprésence.

–Maistudevaisavoirdesbleus?

Ànouveaulemêmepetitrirecruel,etceriremeglacelesang.

– Iln’étaitpas fou !Avantqu’ellemeure,c’était justedeshumiliations,desbrimades.Ondevaittoujoursdemanderlapermission,ycomprispourallerauxtoilettes.Ilsurveillaitlemoindredemesfaits et gestes, n’attendant que lemoment où je ferais unpas de travers, inventant constamment denouvelles règlesque jenedevaispasenfreindre souspeined’êtrepuni.Lesvéritables raclées sontvenuesaprès.Quandilaétéseulavecnoustoutletemps.Là,ilestdevenutout-puissant,termine-t-ilamer.

J’aidumalàparlermaisjedoisposerlaquestion:

–Tuavaisquelâgequandçaacommencé?–Lapremière foisqu’ilm’avraiment faitmal,onétait sur laplage, confesse-t-il apparemment

plusfacilement.J’avaisquatreans.Lamaréeétaitbassealorsj’avaisdécidédem’aventurertoutseulvers l’océan pendant queNicole ramassait des coquillages avec Paul sur la plage.Mon père a dûvenirme chercher. Je ne l’avais pas entendum’appeler, il a dit qu’il l’avait fait,mais je n’ai pasentendu.

–C’étaitdangereuxsilamaréemontait.

Matthausselesépaules.

–Ouaip!Maisjem’amusaisavecl’eauquibondissaitsurmespiedsnus.C’étaitrigolo,çafaisaitdes chatouilles, j’avais totalement oublié le reste du monde et ma famille. C’était mal, égoïste,j’auraispasdû.

–Maistun’avaisquequatreans…

Denouveau,Matthausselesépaulescommes’ils’enmoquait.

–Jenel’aipasentenduarriver.Quandjefusconscientdesaprésence,c’étaittroptard.Ilm’avaitempoigné et poussé à terre, le visage enfoui dans le sable enmemaintenant avec une telle forcependant qu’ilme criait dessusque j’en ai eumal sur le champ.«Espèce de petit salaud ! Tu n’esqu’unputaindesaleméchant.Tuveuxquej’ailledireàNicoleetàPaulquetufaistoutpourgâcherleursvacances?» Jenevoulaispasgâcher lesvacancesdePaul.L’eaumontaitetmaboucheétaitpleinedesable,j’aicruquej’allaismenoyer.S’ilaffirmaitquej’étaisméchant,ildevaitavoirraison,non?

Saquestionmefaitbondir:

–Non.Ilavaittort!Tuétaisunenfant.Sonrôleàluiétaitdeteprotéger.

Denouveaulepetitrirecruelrefaitsurface.

–Ce que tu ne comprends pas, c’est que j’avais l’impression que ça se passait comme ça danstoutes les autres familles. C’étaitma faute simon père nem’aimait pas et j’étais prêt à tout pourchangercela.Ycomprisàmourirsicelaluifaisaitplaisir.

J’aidumalàcroirecequej’entends.

–C’estàcetteépoquequetuasarrêtédemanger?

Unsignefurtifdumentonpouracquiescer:

– Au départ, je n’ai pas fait exprès, confesse-t-il comme un tout petit enfant. J’étais juste tropterrorisépouravalerquoiquecesoit.Etpuis,j’aidécouvertl’hôpital.C’étaitunmondeentièrementnouveau pourmoi. Les adultes étaient gentils et attentionnés. Ils n’avaient pas l’air de vouloirmefrappertoutletempsoudeprépareruneautreméchanceté.Aucontraire,lesinfirmièresétaienttrèsmaternelles,ellesriaientetm’ébouriffaientlescheveuxquandjedésobéissais.

Commentjefaispourriredansunmomentpareil?

–HéHarvard!Tunesavaisdoncpasquec’estpermisdedésobéir?levanné-jesanspouvoirmeretenir.

–Non,dit-ild’unairinterdit.Çameparaissaitmerveilleuxdebénéficierd’unpeudegentillesse.Enfait,lorsquej’aicomprisquelemondedesadultespouvaitêtreamical,cefutcommesionavaitôtéunpoidsimmensedemesépaules.

Subitement, je repense aumot qu’il avait laissé dans son passeport britannique en le rendant àPierreetl’émotiongagnemagorgeensongeantaunombredefoisoùj’aiessayéd’encomprendrelesens.

«Lorsquelemondeluidéplaîtsoustoussesangles,

l’enfantseréfugiedanslesanglesmorts»

Pourlui,l’hôpitalétaitunanglemort.Sonpèrenepouvaitpaslevoirnil’atteindre,ilétaitenfinlibre.Une telle répressionmalsaine jusqu’à avoir peurdedésobéir pourdes choses insignifiantes,j’en ai la chair de poule. Brutalement, je réalise d’où vient l’obsession de mon mari pourl’obéissance.Jem’étaismoquéedelui lorsdenotrepremierrendez-vousmais jemesuis trompée.Cetteobéissancen’avaitriendemachooud’unevolontéperversedemâledominant.

Cetteobéissance,onluiaapprisàlaréclamer!

Putain,jesuisincapabledeplaindreVincent.NidecomprendrepourquoiPierren’ariententépoursauverMattdudanger,afortiorisiluiaussiaétébattudanslesrèglesdel’art.Ondiraitquetoutlemonde autour de lui se comporte comme si c’était la norme ! J’avais déjà entendu parler de ladépendanceaffectivedesvictimesmaislà…Sitoutlemondesesoutient,rienn’estmal.

Je ne peux pas laissermonmari s’autodétruire en le pensant aussi. En tant que pédopsychiatrePierreavaitledevoird’intervenir.Commentleprofessionnelpouvait-ilignorerlesdommageschezsonneveuet faire le choixnon innocentde cette carrière après avoir lui-même fait les fraisde laviolence de ses parents ? Est-ce pour cette raison que Pierre n’a pas d’enfant ? Les homosexuelsadoptent aujourd’hui ou ont recours à des mères porteuses. Rien ne les empêche de fonder unefamille.Oualorslefardeaudu«bourreauendevenir»esttroplourdàporter?Est-ceaussilecaspourmonmari?J’avoue,jenesaisplusquoipenser.

–Paulaussiétaittraitéainsiaprèsledécèsdesamère?

Jesensbienqu’enparlerdansledosdesonfrèrelegêne.

– Moins, répond-il néanmoins. Paul et moi avions chacun une méthode pour lui résister. Paulnégociait,ilatoujoursétédouépourça,sourit-ilmalgrélui.Illeflattaitsanscesseenluidisantqu’ill’aimait.Cequin’afaitquecompliquerleschosesparcequeducoup,Pèreexigeaitquejeleluidiseaussi. Une fois, il m’a fait descendre à la cave qui était un endroit froid et humide où il y avaittoujoursdesflaquesd’eau.Jedevaistraverserpiedsnusdansl’obscuritélaplustotaleettrouverunendroitsec.«Tuvasresterlàjusqu’àcequetuledises»,hurlait-iletmoijesombraisdansdescrisesincontrôlables.J’ypassaislanuitaccroupicontrelemurdebriquespourpuiserduréconfortmaisjenepouvaispasleluidire.

MHGnenégociejamais.

–C’est depuis que tu refuses de négocier, conclus-je à sa place en songeant à la réputation debusinessmanimpitoyablequil’avaitprécédédansnotreuniversité.

Jelèvelesyeuxversluilecœurserré.Siaumoinsjepouvaistrouverunpeud’espoirderévoltesursonvisage.Rienqu’untoutpetitpeu.Quelquechosequimedisequ’ilestcapabledetrouverladistance affective nécessaire pour pouvoir se construire un autre avenir. Je refuse de le voir en«bourreauendevenir»

– À quoi ça aurait servi ? La vie avecmon père avait beau être dure, l’inconnume paraissaitencore plus terrifiant. Paul avait la famille de samère,maismoi ? Si onm’emmenait ailleurs, jen’auraiseuplusriendeconnuàquoim’accrocher.Lechantageaffectif,çamarchetrèsbiensurlesenfants qui ont été abandonnés, tu sais.Mon pèreme rappelait sans cesse que sans lui, je serais àl’orphelinatsansarmepoursurvivreetquesij’étaisavecluic’étaituniquementparcequ’onavaitlemêmesang.

En faisantd’avantageattentionàmesmouvements, jepivote surmoi-mêmepourm’agenouillerentresescuissesécartéesetleregarderbienenface.

–Donclesangpourtoi,c’étaitton…laissez-passer?

J’hésite à dire « signe d’appartenance » tant ce que m’évoque l’idéologie du « sang pur »m’indispose,maisilneréagitpas:

–Jesavaisquec’étaitdesmensonges,acquiesce-t-il.Àl’écoled’autresenfantsétaientélevésparunhommedifférentdeleurpère.Parfoismêmeplusieursàlasuite.Seulement,j’avaisprisl’habituded’écouter chacun de sesmots, tant j’étais terrorisé à l’idée de commettre une erreur et qu’onmeramèneàl’orphelinat,admet-ilpiteusement.

Quelquechosecloche.

–Mais pourquoi l’orphelinat ? Tes parents sont divorcés.Donc la filiation automatique, fais-jeavecprudenceenposantmesdeuxpaumessursescuisses.

J’aibesoindelesentir,lui,sesmuscles,sachaleuràtraversledenim.

–Enfaitnon,soupire-t-il.Trèspeudegenslesaventmaismesparentsnesesontjamaismariéslégalement.Mamère venait d’une famille très bourgeoise de galeristes qui lui destinait quelqu’und’autre depuis l’enfance. Elle était déjà fiancée avec un peintre en vogue quand elle est arrivée àCambridge.

–Oh!Qu’estdevenulefiancé?

Mattsoutientbizarrementmonregard.

–Ilarompuquandiladécouvertqu’Eléonorétaitenceinte.Desoncôté,monpèreétaitmariéavecNicole quand je suis né, murmure-t-il d’un ton évasif… Le soir dema naissance, les infirmièresm’ont trouvéhurlant dans la chambrede lamaternité àNewYorkoùEléonor était entrée sousunnomd’emprunt.Mamèreétaitpartiesansmêmemelaissersonnom.

Abasourdieparcequejeviensd’entendre,ilmefautunmomentpourarrêterdelefixercommeunebêtecurieuse.

–Tamèrenet’apasreconnu?

Voilàpourquoiilvoulaitsavoircomment,moi,jel’avaisvéculorsdenotrepremierdîner.Noussommespareils.Etdirequejemesuisénervéecontrelui.

–Non.Monpèrem’areconnuapatre.Tusaiscequeçaveutdire?

Toujoursaussiabasourdie,jefaisbêtementouidelatête.

– Que tu es reconnu mais que tu restes illégitime. Le mari d’une autre femme endossant unepaternitéhorsmariagefaitàpeuprèslamêmechosequ’uncoupleprocédantàl’adoptiond’unenfantétranger.Avecunedifférencemajeure,iln’yamentiond’adoptionàaucunmoment.

Touts’éclairealorsdansmatête.

–Engros,tonpèrebritanniquepouvaitterendreauxagencesd’adoptionaméricainesetdire«Jen’aimepascetenfant.Ilnem’aimepas.Jenedésireplusêtrelepèredecetenfant,jenepensepasyparvenir»1.Désolée,merattrapé-jerapidementenlevoyantblêmir,cesontlesmotsemployésdanslesformulaires.

J’aideplusenplusmalàlatêtemaisl’instantesttropprécieuxpourquejelegâcheenn’allantpasjusqu’aubout.

–C’estpourcelaqu’ilmepoussaitàavouerque jene l’aimaispasetmoi j’avaispeurqu’ilmerendeàdesgensquimeferaientbienpire.Mêmeàmonâgej’avaisentendudestrucshorriblessurlespédophiles.

Pour une raison inconnue, je comprends autant Vincent que Matthew. Chacun d’eux s’est vuimposer la désertion de lamère, mais que penseraient les relationsmondaines d’Eléonor si ellesavaientconnaissancedesonacte?

–Tun’asjamaisétéentenduparunjuge?–Si.Un jouruneassistantesocialeestvenueà lamaisonetm’ademandési j’aimaismonpapa.

J’avaissixans.J’airéponduquejen’aimaispasqu’ilmefrappeetmecriedessus.–Etellenet’apascru?–Non.Monpèreetellesesontmisàrire.Commejesouriais,elleacruquec’étaituneblague,

maisjesouriaistoujoursquandj’étaisterrorisé.

Unsilencepesantenvahitlapièce.

Son incapacité à dire le fameux « Je t’aime » est légitime mais en même temps, toutes cesrévélationsmefontcomprendrequ’ilneserapeut-êtrejamaiscapabledeledireetquejedevraisenfairemondeuil.RienquecelamedonneenviedegiflerEléonoret jepourraisbien lefairesiellecroisaitmaroute.

Jamaisjen’auraisimaginételscénario.

–Unsoirquandj’avaisdixans,lesflicssesontamenésàlamaison,reprendmonépouxaprèsunegranderespiration.

Visiblementiladécidédes’ouvrirjusqu’aubout.

–Audébut, j’aicruquec’étaitpourmoiparcequejem’étaisbagarréplustôtdanslajournéeetquelegarçonquej’avaisamochéétaituncondontlepèreétaitpolicier.Ilvendaitdelacolleetfaisaitlespiresconneriesàceuxquin’avaientpasd’argentpourlepayer.Jen’enmenaispaslarge,simonpèrel’apprenaitj’allaispasserunmauvaismoment.Heureusementilétaitsortiavecsescopainsdansleur fameux club de strip-tease. Comme ce n’était pas la première fois, je savais qu’ils allaient ypasserlanuit.Quandj’aientendulespoliciersannonceràlagouvernantequelamèredePaulavaiteuungraveaccidentdevoiture,j’aivouluallerleprévenir.J’aifaitdustopjusqu’auclub.

–Maistun’avaisquedixans!–Ouimaisj’étaisdébrouillardetlesgensduquartiermeconnaissaient.Unefoissurplace,j’aidû

expliquer àunehôtessepourquoi j’étais là. J’imaginequ’elle a eupitié d’ungosse toutmaigre enparkaetpyjamaCaptainAmericaparcequ’ellem’a indiqué l’entréedes artistes avecunpetit salutmilitaire.Etjelesaitrouvés.

Lasuitedoit luiposerproblèmecar ils’agrippeàmoicommesi j’étais ledernierarbredeboutaprèsunetornade.

–Tuasbesoinquejeleredise?Jenet’abandonneraipas.–Lafilles’appelaitMagali,abat-ilalorsd’unevoixàpeineaudible.C’étaitunestrip-teaseusequi

devaitavoirhuitansdeplusquemoi,pasplus.–C’étaitelletapremière?

Maquestionmevautunbaisersurleslèvres.C’estun«Oui».QuelquesvoixnousparviennentducouloiretjereconnaiscelledeVerdi,plusuntimbreféminininconnu,avantqueMattreprenne:

–Quandilsl’ontlaissée,ilyavaitdel’argentsurlatable.Destasdebillets.Jenesaispascequim’aattiréleplus.L’argentpourpartiroulavoirnue.Jen’aipastouchéàl’argent.Jel’airegardée.

Partout.

Sanstropsavoirpourquoij’éprouvelebesoindetriturermonalliance,commepourmerappelerle chemin parcouru. Après tous ces mois difficiles où nous nous sommes affrontés sans jamaisparvenirànousfaireconfiance,madéterminationàprouverquejeméritaisunteleffortdesapartfinitenfinparpayer.

Etmaintenantquec’estlecas,celamesemblepresqueincroyable.

–Seulementmonpèrem’avaitvu,s’engagemonépouxenpressantmamain.Ilm’attendaitsurleparking.Seul.JecroisquejeluiaiditpourNicolemaisjenesuispassûr.Lelendemainjemesuisréveilléàl’hôpital,pâleetensueurs,avecunerupturedelarate,confesse-t-ilenfinpourlapremièrefoisenrougissant.

–Etlà,iln’yapaseuunedéclarationauxservicessociaux?–Moncul,ouais!Iladéclaréquejem’étaisfaitagresserpourêtresortidelamaisonlanuiten

sonabsence,cequiétaitvraiquelquepart.Ilvenaitdeperdresafemme,toutlemondeacompati.Ladouleurétaitsiintensequejedevaisresterenchiendefusilenattendantqu’onm’opère.

Lesouvenirencoretrèsprésentl’obligeàavalersasalive.

–IlfallaitdusangBombay,certifie-t-ilainsiquejem’endoutais.Beaucoupdesang.Jen’aieulaviesauvequegrâceàAncalagon.Commentvoulais-tuquejecondamneAncalagonaprèsça?Voilà,tusaistout.

Saconfessionesténormevenantd’unhommeaussifieretprudentquelui.Carc’estlapreuvequ’ilpeut plier pourmoi et, surtout, qu’ilm’autorise à l’aimer.MattGarrett ne sera jamais un hommeordinaire. Enme livrant son enfance, je l’entrevoismieux à présent. Il n’a aucune pitié pour lui-même,aucunmisérabilisme,et jedois tout fairepourgardermonregardsur luiàhauteurdusiensinon,ilestclairqu’ilmefermerasaporte.

Saufqu’àprésentsonuniversestmonunivers.

–Maisaprès?QuandMHGIndustrieafabriquédusangartificiel.Pourquoitonpèren’a-t-ilpastoutsimplementferméAncalagon?

Tranquillement, il se lève,contourne le litetvavers labaievitrée regarder lespassantsalleretvenirsurlelargetrottoirquibordeCentralParkavantderépondred’untond’hommed’affaires:

– Le sang artificiel est utilisé dans l’urgence, pas dans la durée. En gros, on ne peut pas vivrequ’avecdusangartificiel.Pasencore.Etendépitdetoutesleshorreursquemonpèrem’afaitsubir,ilm’aquandmêmeélevéquand j’avaisbesoind’unmodèle, c’est cette facettedemonpèreque jeveux…

Untocbrefàlaporteinterromptnotreéchange.

–Onattendquelqu’un?–Nebougepas,jevaisvoircequec’est,déclare-t-ilentraversantlapièce.J’aimisdesgardesàla

porte,cedoitêtreVerdi.

Je fixe l’allure décontractée de mon mari pieds nus, la puissance de son torse et cette forceparfaitementmaîtriséechezluiquilerendsisexyquandilbouge.Vêtud’unjeanbrutetd’unsimpleT-shirt,ilrespirel’homme.Rienqu’àsafaçondemarcher,ondevinesestalentsaulit.

Paul luiamanifestementmenti.Commentva-t-il réagir si je luidiscequi s’estpassédanscettesalledebains?Mattestencoretropimprévisiblepourmoi.Ilpourraitfaireunecriseémotionnelle,boxersonfrère,devenirviolentcommeil l’a faitavecTricia.Nesachantquelleoptionprendre, jedécidederemettreàplustard.Jenepeuxpasêtrecellequival’éloignerdePaul.NiêtrecellequivapriverPauldesonaîné.Mattensouffrirait.

QueVincentlesache,jenelepermettraiplus.

1 Aux États-Unis, il est possible de « redonner » un enfant adopté, en le proposant à d'autresparentsquandonestsûrdenepasl’aimer.Cettepratiqueeffarantes’appellela«ré-adoption».

Enattendantlasortiedelasaison3d'Effetdevague:

Effetdevague,saison1

Lesexe,c’estfacile.L’amour,c’estuneévidencequis’impose.Laconfiance,c’estpluscompliqué.

Quefaitunhommequin’aconfianceenpersonneetneressentaucuneémotionquandle«coupd’unsoir»faitressurgirlepassésombrequ’ilavaitenterré?MattGarrettestunhommed’affairesquin’apasl’habituded’êtredominénidompté,ilestincapabled’aimer.AlexianeSandestunejeuneavocatefranco-américainedontlerêveestdetravailleràlaCourPénaleInternationaledelaHaye.Ellenecherchepasplusqueluiàvivreunehistoired’amour,entreeux,l’accordestclair:justeunenuit.Maisl’aventured’unenuitvatrèsrapidementsecompliquer:MattetAlexsontliésparladécouverted’unsecret.Chacunalepouvoirdedétruirel’autre.Oudelesauver.

VoirsurlesitedesÉditionsAddictives

Enattendantlasortiedelasaison3d'Effetdevague:

Effetdevague,saison2-épisode1:Findyou

Lesexe,c’estfacile.L’amour,c’estuneévidencequis’impose.Laconfiance,c’estpluscompliqué.

Dèslapremièrenuitpasséeavecelle,Mattsavait.OnavaitmisAlexsursoncheminsoitpourl’anéantir,soitpourlerameneràlavie.Avecunefillecommeelle,lesdeuxétaientpossibles.Dèslespremièressecondes,Alexsavait.Cemecindomptable,égoïste,arrogant,sansaucuneémotionpouvaitluifairemal,trèsmal.

MattetAlexauront-ilsvraimentlaforcederesterloinl’undel’autre?Ets’ilscèdentànouveauaubesoinviscérald’êtreensemble,quelseraleprixàpayer?

VoirsurlesitedesÉditionsAddictives

Retrouveztouteslesséries

desÉditionsAddictives

surlecatalogueenligne:

http://editions-addictives.com/catalogue_ebook/

«Toutereprésentationoureproductionintégrale,oupartielle,faitesansleconsentementdel’auteurou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1er de l’article L. 122-4). Cettereprésentationoureproduction,parquelqueprocédéquecesoit,constitueraitdoncunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticles425etsuivantsduCodepénal.»

©EDISOURCE,100ruePetit,75019Paris

Décembre2016