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48 | 2009 | aster | 133> 160 Résolutions graphiques et mécanique : caractérisation en contexte Pascale Hannoun Kummer, UMR STEF ENS Cachan, INRP, Universud ; [email protected] Nos recherches sont centrées sur la caractérisation et la comparaison de la mécanique enseignée dans deux contextes différents : celui de la physique et celui des sciences de l’ingénieur destinées aux élèves de lycée en série scientifique, option sciences de l’ingénieur (grades 11 et 12 selon la classification internationale). Pour cet article, nous avons choisi de nous focaliser sur l’analyse des méthodes de résolution graphique présentes en sciences de l’ingénieur, moins fréquentes et sous une forme simplifiée en physique. En articulant des cadres issus de la sémiologie graphique, de la didactique des mathématiques et de la physique, nous tentons, à partir de quelques travaux d’élèves, de construire un nouveau cadre d’analyse des traces graphiques produites qui puisse aussi rendre compte des obstacles rencontrés. Nos recherches actuelles ont pour but de caractériser les spécificités de deux enseignements différents de la mécanique tels qu’ils sont prescrits et réalisés en physique et en sciences de l’ingénieur (SI) destinés aux élèves du lycée en série scientifique (S) ayant choisi l’option SI. En première et en termi- nale, ces élèves rencontrent la mécanique à travers quelques chapitres du programme de physique, tandis que la mécanique constitue, pour les sciences de l’ingénieur, un des deux grands domaines enseignés et pris en charge par un enseignant spécialiste. Les différences majeures entre sciences de l’ingénieur et physique, en termes de contenus enseignés et de pratiques spécifiques (focalisa- tion sur certains objets, outils, démarches…), peuvent s’expliquer par au moins deux facteurs. Le premier facteur, d’ordre institutionnel, repose sur le choix des contenus prescrits en physique (discipline obligatoire) qui ne sont pas définis en fonction des besoins des sciences de l’ingénieur (discipline optionnelle). Par exemple, en physique, l’ancrage théorique (la mécanique du point), n’est pas suffisant pour traiter des questions abordées en sciences de l’ingénieur (néces- sairement basées sur la mécanique du solide). Le second facteur relève de leurs références à des pratiques sociales différentes : de façon schématique, celles du

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Résolutions graphiques et mécanique : caractérisation en contexte

Pascale Hannoun Kummer, UMR STEF ENS Cachan, INRP, Universud ; [email protected]

Nos recherches sont centrées sur la caractérisation et la comparaison de la mécanique enseignée dans deux contextes différents : celui de la physique et celui des sciences de l’ingénieur destinées aux élèves de lycée en série scientifique, option sciences de l’ingénieur (grades 11 et 12 selon la classification internationale). Pour cet article, nous avons choisi de nous focaliser sur l’analyse des méthodes de résolution graphique présentes en sciences de l’ingénieur, moins fréquentes et sous une forme simplifiée en physique. En articulant des cadres issus de la sémiologie graphique, de la didactique des mathématiques et de la physique, nous tentons, à partir de quelques travaux d’élèves, de construire un nouveau cadre d’analyse des traces graphiques produites qui puisse aussi rendre compte des obstacles rencontrés.

Nos recherches actuelles ont pour but de caractériser les spécificités de deux enseignements différents de la mécanique tels qu’ils sont prescrits et réalisés en physique et en sciences de l’ingénieur (SI) destinés aux élèves du lycée en série scientifique (S) ayant choisi l’option SI. En première et en termi-nale, ces élèves rencontrent la mécanique à travers quelques chapitres du programme de physique, tandis que la mécanique constitue, pour les sciences de l’ingénieur, un des deux grands domaines enseignés et pris en charge par un enseignant spécialiste. Les différences majeures entre sciences de l’ingénieur et physique, en termes de contenus enseignés et de pratiques spécifiques (focalisa-tion sur certains objets, outils, démarches…), peuvent s’expliquer par au moins deux facteurs. Le premier facteur, d’ordre institutionnel, repose sur le choix des contenus prescrits en physique (discipline obligatoire) qui ne sont pas définis en fonction des besoins des sciences de l’ingénieur (discipline optionnelle). Par exemple, en physique, l’ancrage théorique (la mécanique du point), n’est pas suffisant pour traiter des questions abordées en sciences de l’ingénieur (néces-sairement basées sur la mécanique du solide). Le second facteur relève de leurs références à des pratiques sociales différentes : de façon schématique, celles du

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physicien théoricien dans un cas et du concepteur dans l’autre. Nous faisons l’hypothèse que les outils mathématiques utilisés en mécanique, en particulier les méthodes de résolution, portent la marque des différences entre physique et sciences de l’ingénieur. L’enjeu actuel de la recherche est de décrire et d’ana-lyser les frontières existantes entre les deux disciplines scolaires, étape néces-saire pour envisager les relations possibles, souhaitables et les obstacles à surmonter ou les malentendus à éviter.

À ce stade, la recherche basée sur l’étude de quelques productions d’élèves est exploratoire. Elle vise l’élaboration d’un cadre d’analyse des traces produites par les élèves qui tienne compte des spécificités mais aussi des similitudes entre sciences de l’ingénieur et physique.

Les questions que nous posons sont :

Quels sont, dans les cadres d’analyse proposés pour analyser le graphisme technique ou les représentations graphiques en mathématiques, les éléments à retenir pour la caractérisation des méthodes de résolution graphique ? En quoi ces cadres sont-ils insuffisants ?

Quels éclairages apporte l’analyse des méthodes de résolution à la comparaison entre sciences de l’ingénieur et physique ?

1. Cadres théoriques pour l’analyse des représentations graphiques

Les méthodes de résolution graphique, propres aux disciplines où l’activité de conception de produits industriels est centrale, n’ont pas été étudiées à notre connaissance dans les travaux de recherche ni en didactique des sciences, ni en didactique des techniques. Dans cet article, nous nous centrons sur les méthodes de résolution à base de constructions graphiques en mécanique, enseignées en sciences de l’ingénieur au lycée, et nous prenons pour exemple une de ces méthodes utilisée en statique graphique. En replaçant ces méthodes parmi l’ensemble des autres systèmes graphiques présents en sciences de l’ingénieur et en les comparant aux représentations graphiques utilisées en physique, nous pouvons en déduire des caractéristiques spécifiques. Pour cela, nous nous réfé-rons à des travaux en sémiologie graphique (Bertin, 1977), en didactique des mathématiques (Duval, 1993a, 1993b ; Kuzniak, 2004) et en didactique de la physique (Malafosse & Lerouge, 2000). Si aucun de ces cadres pris isolement n’est suffisant, ils donnent des éléments d’intelligibilité et notre but est de les préciser en les articulant entre eux.

1.1. Les représentations graphiques chez Bertin et Duval

Bertin (1977) définit « la graphique » comme un système de signes visuels d’une part et monosémiques d’autre part. Il considère que toute information est

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l’expression d’une relation entre plusieurs variables ou composantes. L’image naturelle pouvant se décrire selon trois composantes (x, y, z), il montre qu’une information qui n’a pas plus de trois composantes est la plus efficace pour le lecteur. Dans ce cas, elle peut remplir « les trois fonctions de la transcription graphique » : les fonctions de « mémoire artificielle », de « communication » et de « traitement de l’information ».

Il applique cette théorie aux réseaux, cartes, et diagrammes qui incluent les représentations cartésiennes à deux dimensions, mais ne s’appliquent que très partiellement à l’analyse du dessin technique, et encore moins bien à l’analyse des méthodes graphiques.

Duval (1993b) s’intéresse aussi aux représentations cartésiennes à deux dimensions mais, cette fois-ci, du point de vue de leur apprentissage scolaire. Il pointe ce qu’il appelle (1993b, p. 38) « un paradoxe cognitif de la pensée mathéma-tique », car dit-il, « l’appréhension des objets mathématiques ne peut être que concep-tuelle, mais c’est seulement par le moyen de leur représentation sémiotique qu’une activité sur des objets mathématiques est possible ». Ainsi, il soutient que pour éviter la confusion entre l’objet et son représentant, très fréquente en début d’appren-tissage, il faut manipuler les représentants sémiotiques d’un objet mathématique dans tous les registres possibles et travailler les conversions d’un registre à l’autre pour un même objet. Il définit (1993b, p. 41) « un registre sémiotique » comme un système de signes capable d’engendrer les « trois activités cognitives fondamentales » qui sont :

– la « formation d’une représentation identifiable » ou « fonction d’objectivation » qui implique une sélection de traits en respectant des « règles de conformité » qui sont dit-il, indispensables à sa reconnaissance mais insuffisantes pour sa production effective ;

– le « traitement », qui transforme la représentation tout en restant dans le même registre sémiotique ;

– la « conversion », qui transforme la représentation en passant du registre de départ à un autre registre. Par exemple, une illustration, une traduction ou une description est une conversion ; tandis que ce n’est pas le cas, comme il le souligne, du codage ou de l’interprétation.

Un des exemples traité par Duval est la représentation graphique cartésienne. Il met en évidence, dans le cas de la droite, les problèmes liés à la conversion entre registre graphique et registre algébrique (Duval, 1993a). Il montre qu’il n’y a pas toujours congruence entre ces deux registres, ce qui est un obstacle pour les élèves et il constate en même temps que l’activité de conversion, pour lui essentielle à la conceptualisation, est très peu présente dans l’enseignement. Il estime qu’il est plus efficace, pour l’interprétation des graphiques cartésiens, de travailler sur de purs objets mathématiques, soit sur des nombres ou des variables sans dimension, plutôt que d’avoir aussi à interpréter les grandeurs

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physiques hétérogènes intervenant dans un phénomène à étudier, ce qui est incontournable dans le cas de la mécanique.

Nous verrons que la distinction que fait Duval entre registres sémiotiques est opératoire pour prendre en compte tous les registres, pour comparer, dans un registre sémiotique donné, des différences entre physique et sciences de l’ingénieur et pour mettre en évidence les zones de congruence ou de non congruence entre résolution graphique et résolution analytique.

1.2. Les cadres de rationalité chez Lerouge et Malafosse

Malafosse et Lerouge (2000) étudient les difficultés des élèves pour appré-hender la notion de résistance électrique et la loi d’Ohm, et pour interpréter ses représentants dans les registres numérique (un tableau de valeurs), graphique (une droite qui passe par l’origine), et analytique (U = R.I). Ils proposent, en combinant les registres sémiotiques de Duval et les cadres de rationalité de Lerouge (1992), un cadre interprétatif des difficultés rencontrées. Ils vérifient que les élèves privilégient les traitements monoregistres et font des conversions erronées. Ils mettent en évidence de grandes différences entre les enseignants de mathématiques et de physique du point de vue de leurs appréhensions conceptuelles de la droite et du point, qu’ils attribuent aux différents cadres de rationalité des mathématiques et de la physique. Ils précisent que la différencia-tion des deux cadres se traduit au niveau de quatre ruptures (Malafosse & Lerouge, 2000, p. 73) :

– « une rupture d’objet entre la droite matérielle et la droite idéelle » ;

– « une rupture des processus de conceptualisation entre la conceptualisation spontanée et la conceptualisation scientifique » ;

– « une rupture de processus de validation entre le constat figural et la démonstration » ;

– « une continuité de registre sémiotique au niveau des signifiants, mais une rupture au niveau des signifiés ».

De cette recherche, nous conservons le concept de rupture entre cadres de rationalité différentes et l’attention portée aux deux niveaux : signifiant et signifié. Mais au lieu de l’envisager entre mathématiques et physique puis entre mathéma-tiques et sciences de l’ingénieur, nous tentons de définir les ruptures entre physique et sciences de l’ingénieur dans la place accordée, la nature et la fonction d’un outil de résolution.

1.3. Les paradigmes géométriques de Kuzniak

Celui-ci distingue trois « paradigmes géométriques » suivant le statut donné aux représentations et leur lien avec le « réel ». La géométrie I ou « géométrie naturelle », la géométrie II ou « géométrie axiomatique naturelle » et la géométrie III

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ou « géométrie axiomatique formaliste ». D’après Kuzniak (2004, p. 18), « la géomé-trie naturelle a pour source de validation : la réalité, le monde sensible », « la déduction s’exerce […] à l’aide de la perception et de la manipulation d’instruments… L’horizon de la géométrie I est un horizon technologique […], qui privilégie un raisonnement de type constructif ».

Ainsi en géométrie I, l’espace de référence est constitué d’objets physiques ou de dessins qui les représentent ; les artefacts utilisés comprennent des instruments de mesure comme le réglet et le rapporteur.

En géométrie II, « la source de validation se fonde sur les lois hypothéticodéduc-tives dans un système axiomatique le plus précis possible », mais « cette géométrie n’est pas totalement coupée de la réalité » et, par conséquent, « le système d’axiomes retenu doit en être le schéma le plus fidèle possible ». Les objets d’étude sont des sous-parties de l’espace (des figures) et les artefacts utilisés, comme la règle (non graduée) et le compas, ne servent pas à la mesure contrairement aux artefacts de la géométrie I.

Nous laissons de côté la « géométrie III » car ce troisième paradigme concerne des géométries formalistes et déconnectées du réel qui ne sont pas utiles à notre analyse.

L’intérêt du cadre d’analyse de Kuzniak est qu’il éclaire les différences de nature entre les méthodes utilisées dans les deux disciplines. En effet, comme nous allons le montrer, le paradigme de la géométrie I peut être attribué aux outils graphiques de sciences de l’ingénieur, tandis que la nature des représentations graphiques en physique relève de la géométrie II.

2. Des graphiques spécifiques à chaque discipline en mécanique

Le curriculum du lycée en France est compartimenté et hiérarchisé. Les disci-plines scolaires entretiennent peu de relations entre elles et n’ont pas toutes la même légitimité. Dans notre cas, on constate des différences nettes, tant dans le curriculum prescrit (BOÉN, 2000, 2001a, 2001b) que dans le curriculum réel (Hannoun, 2008), entre les deux disciplines scolaires qui témoignent de tradi-tions différentes liées à des besoins spécifiques. Cependant le découpage des frontières n’est pas toujours clair et, pour certains contenus, il peut y avoir redondance ou conflit (Berstein, 1967 ; Young, 1973). La physique étudie et représente les phénomènes, plus que les objets auxquels ils participent. Ces derniers tendent à être schématisés à l’extrême pour n’être plus que le prétexte à l’étude d’un modèle général. Les sciences de l’ingénieur représentent les systèmes techniques pour analyser leur fonctionnement. Chaque système est étudié dans sa particularité. C’est la multiplication des systèmes étudiés qui permet, à la fois, l’acquisition de méthodes d’analyse et de résolution et la

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capacité à les appliquer dans des situations variées. Les modes de résolution utilisés en classe témoignent de ces deux logiques contraires (de généralisation en physique, de particularisation en SI). Ainsi, la physique emprunte volontiers aux mathématiques qui privilégient les calculs analytiques ou les démonstrations. À l’inverse, en sciences de l’ingénieur, la représentation graphique est le registre privilégié et remplit plusieurs fonctions.

2.1. Des constructions graphiques fréquentes en sciences de l’ingénieur

En sciences de l’ingénieur, il existe des représentations graphiques nombreuses et variées. Le recensement effectué par Doulin (1996), pour la classe de seconde option Technologie des systèmes automatisés qui concerne les « graphismes techni-ques », le montre. Elles ont une fonction de description et peuvent être utilisées pour :

– représenter les objets et les systèmes, la description est « organique » (dessin d’ensemble et de définition, rendu réaliste, modèle numérique…) ;

– analyser les systèmes, la description est « fonctionnelle » (schéma fonctionnel…) ou « opérationnelle » (schéma cinématique…).

Le dessin technique, représentation graphique des systèmes, a une relation iconique au sens de Peirce (1938/1978) avec l’objet représenté, c’est-à-dire que tout en étant extérieure à l’objet, ce dernier est identifiable. Sa fonction essen-tielle est la communication entre les différents acteurs d’un projet de concep-tion. Les psychologues ont pu montrer (Rabardel & Weill-Fassina, 1987) les diffé-rences de schèmes d’action entre les deux activités à maîtriser : la lecture en réception, l’écriture en émission. Dans les deux cas, il faut se construire une image mentale volumique du système ou de la pièce : de sa géométrie et de son fonctionnement à partir du dessin en réception ou pour réaliser le dessin en conception. Les didacticiens (Prudhomme, 1999) ont mis en évidence que la différence entre les fonctions remplies par le dessin en classe et dans l’industrie, autrement dit l’écart avec les pratiques sociales de références (Martinand, 1983), constitue un obstacle à son apprentissage par les élèves. En effet, la fonction de représentation est privilégiée en classe hors d’une situation de communication qui lui donne sens. Si le dessin technique est un support toujours très présent dans les classes, la place accordée aux activités d’écriture (dessin sur papier) tend à diminuer au profit de l’usage des logiciels de Dessin assisté sur ordinateur (DAO) en deux ou trois dimensions qui servent d’outils pour modéliser le système et en donner un rendu « réaliste ». Il reste que la lecture d’un dessin technique est difficile pour les élèves alors qu’elle est une étape indispensable pour réaliser l’analyse mécanique du système qui constitue l’essentiel de la tâche actuellement confiée à l’élève en sciences de l’ingénieur.

D’autres outils graphiques, de nature un peu différente (graphes, schémas…) ont pour fonction de modéliser le fonctionnement du système technique et de

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faciliter sa compréhension. Par exemple, dans le cas des schémas cinématiques, l’activité consiste à représenter pour l’ensemble du système les liaisons exis-tant entre deux solides, dans un code qui rend lisible les mouvements possibles entre ces solides. Le nouveau graphisme du système obtenu modélise ainsi le mécanisme indépendamment des formes et des dimensions du système.

Les méthodes de résolutions graphiques ne sont pas prises en compte dans ces recherches, pas plus que par Hamon (2008) qui recense les recherches empi-riques qui traitent des graphismes techniques depuis vingt ans. Ces méthodes, au centre de cet article, se distinguent à plusieurs titres des deux types de représentations précédentes.

Il ne s’agit pas de représenter pour communiquer. Les méthodes de résolu-tions graphiques ont pour particularité d’être, pour l’ingénieur, des outils de calcul à usage privé, au même titre qu’une opération mathématique de base, dont seul le résultat est communiqué. Elles sont mises en œuvre à plusieurs reprises au cours de la conception pour dimensionner une pièce ou une sous-partie d’un système technique.

En classe, en sciences de l’ingénieur, elles font l’objet d’enseignement systé-matique (de la construction aux résultats) pour les parties statique et cinéma-tique du programme de mécanique. Les premiers ouvrages de statique graphique (Culmann, 1880 ; Cremona, 1884) exposent un ensemble de méthodes pour déterminer les efforts inconnus s’exerçant sur une structure ou un système en équilibre en procédant par constructions géométriques planes. Dans le cycle terminal du lycée, la méthode enseignée ne concerne que les systèmes soumis à deux ou trois forces (BOÉN, 2001a). Il existe d’autres méthodes graphiques lorsque les forces sont plus nombreuses mais elles ne sont pas utilisées au lycée.

Des outils proches de ceux utilisés en sciences de l’ingénieur sont parfois présents en physique, mais sous une forme très simplifiée car la physique se place dans un cas particulier : dans le cadre de la mécanique du point (et non de la mécanique du solide).

2.2. Des constructions graphiques rares en physique

Depuis les dernières instructions officielles pour le lycée (BOÉN, 2000 pour la classe de première ; BOÉN, 2001b pour la classe de terminale), le programme de physique est pensé en forte cohérence avec celui de mathématique. Ainsi, parmi les lois d’évolution d’un phénomène (dont un paramètre significatif s’exprime au moyen d’une fonction du temps), sont privilégiées celles qui corres-pondent aux fonctions étudiées en mathématique. En terminale, par exemple, la modélisation de la chute d’un corps avec frottement donne lieu à des résolutions d’équations différentielles qui ont pour solution la fonction exponentielle. Les

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élèves doivent être capables de tracer la courbe représentant la fonction analytique obtenue ou de lire et d’interpréter une courbe tracée en termes de fonction mathématique.

Pour l’élève, la difficulté réside en partie dans la conversion entre le registre numérique ou analytique et le registre graphique (Duval, 1993a, 1993b). Mais en sciences, s’ajoute une difficulté (présente tant en physique qu’en sciences de l’ingénieur) qui réside dans l’articulation entre la solution mathématique, quel que soit le registre sémiotique utilisé, et sa signification physique pour le phéno-mène considéré. Pour la plupart des phénomènes étudiés en physique et décrits par une fonction mathématique, le tracé a surtout un rôle illustratif : l’ensemble des informations contenues dans la solution analytique est rendu visible et acces-sible globalement. Les graphiques peuvent aussi avoir une fonction d’abaque (Maschietto, 2001) qui correspond à la lecture par pointage (Duval, 1993a) : la représentation graphique est utilisée pour faire correspondre une abscisse et une ordonnée (en physique, faire correspondre la valeur de la grandeur caracté-ristique du phénomène avec un instant donné ou l’inverse) mais ils n’ont, en général, pas valeur de preuve ou d’outils de calcul. Le calcul associé est réalisé dans le registre analytique ou numérique.

3. L’équilibre en mécanique

Nous traitons pour la physique l’équilibre d’un solide assimilé à une masse ponctuelle de façon générale. Nous nous appuyons en SI sur un exemple de système technique étudié effectivement en classe par les élèves et qui est aussi le support à l’étude de cas (chapitre 5). L’analyse de la tâche attendue, dans ces deux exemples, est nécessaire pour aborder, au chapitre 4, la construction du modèle descriptif des méthodes de résolutions graphiques en SI.

3.1. En physique

En physique au lycée, les situations d’équilibre prévues par les programmes ne concernent qu’un solide soumis à des forces qui passent toutes par son centre de gravité (l’hypothèse de masse ponctuelle revient à étudier l’équilibre du solide en translation mais non en rotation). Si le solide est en équilibre, d’après la première loi de Newton, la seule équation à vérifier est la nullité de la résultante des forces en jeu. Si le solide est soumis à plusieurs forces connues (F1, F2, F3) et qu’il faut en déterminer une autre (F4), celle-ci est égale et opposée à la résultante de toutes les forces connues (figure 1).

Si sont connues entièrement une des forces (F1) et la direction de deux autres (F2, F3), leurs sens et intensités s’obtiennent graphiquement en traçant un triangle.

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Figure 1. Équilibre d’un point ßsous l’action de 4 forces

Figure 2. Sous l’action de 3 forces

Souvent, (figure 2) deux des forces sont perpendiculaires entre elles, ce qui simplifie encore le problème car dans ce cas c’est un triangle rectangle ; et si, de plus, les angles ont été judicieusement choisis (60° et 30° ou bien 45°), les longueurs des segments ne s’obtiennent pas nécessairement par mesurage comme cela est nécessaire en sciences de l’ingénieur, mais par un calcul de trigonométrie.

3.2. En sciences de l’ingénieur

Nous nous proposons de décrire une méthode de résolution de statique graphique à partir du système technique choisi pour l’étude de cas (chapitre 5) : une pince de centrage de manches à balais. Cette méthode est couramment utilisée pour l’étude de systèmes en équilibre sous l’action de trois forces ponctuelles1 dont au moins deux ne sont pas parallèles.

Le sujet comprend une partie statique et une partie cinématique, dont le but est de dimensionner le piston d’un vérin (en diamètre et en course). Nous présentons et analysons la tâche uniquement pour les deux premières questions de la partie statique.

1 La force ponctuelle est une modélisation physique de l’action mécanique d’un système sur un autre par l’intermédiaire d’une surface de contact suffisamment petite pour être assimilée à un point. Le modèle mathématique qui lui est associé est un vecteur muni d’un point d’application. Graphiquement, c’est un segment défini par un bipoint orienté dans un espace affine.

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• Présentation du système technique : les documents fournis

Le document « dessin d’ensemble » comporte trois vues principales montrant la pince : en position fermée (figure 3), en position d’ouverture maximale, ainsi qu’une coupe suivant le plan de symétrie de l’ensemble. Le cartouche indique l’échelle, le format d’origine du document et la nomenclature.

Figure 3. Pince de centrage de manche à balai, en position fermée, coupe A-A (la pièce 14 n’est pas visible sur cette coupe)

L’énoncé suivant comprend une description du système :

Étude d’une pince de centrage

Objectif :Calculer les efforts mis en jeu et déterminer les caractéristiques de l’actionneur.

Principe de fonctionnement :La pince proposée sur le format A3 joint sert à centrer et immobiliser un manche à balais pendant les opérations de finition des extrémités et d’étiquetage du produit. Les mâchoires sont actionnées par les biellettes 4 et 7 ; l’énergie mécanique est fournie par le vérin {10, 11 et 12}.

Caractéristiques mécaniques requises :Compte tenu des différents états de finition des manches l’effort de serrage des mors 1 doit être de 50 daN pour un maintien optimal. La pression d’alimentation est de 6 bars (0,6 Mpa), mais des chutes de pression à 4 bars (0,4 Mpa) doivent pouvoir être admises.

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Système matériel et hypothèses :On considère le système matériel S = {1, 2, 3} (figure 4). Le plan de coupe est plan de symétrie pour la géométrie du problème, comme pour les actions mécaniques. Le poids propre du système est négligé et les liaisons sont supposées sans frottements*. L’étude est effectuée en phase de serrage. L’action de contact du manche du balai sur le système S est modélisée par un vecteur horizontal d’intensité 50 daN en B.L’ensemble des pièces {13, 14, 15} correspond au bâti.

* souligné par nous.

Figure 4. Le système S {1,2, 3}

Les deux premières questions posées pour la partie statique sont les suivantes :

1°) Faire le bilan des actions mécaniques sur la biellette 4. Conclure.2°) En isolant le système S, déterminer complètement les actions mécaniques qui lui sont appliquées. Et on adoptera une résolution graphique sur la figure proposée.

Le document réponse sur lequel est reproduit le système S à l’échelle 1 :

1 est placé judicieusement sur la feuille pour laisser assez de place aux tracés des

constructions géométriques. L’échelle relative au dessin des forces est indiquée.

Pour la résolution, le document réponse ne suffit pas, il est nécessaire de

revenir au dessin d’ensemble pour comprendre les relations entre l’extrait

proposé et les autres pièces constitutives de l’ensemble (nature des liaisons,

mouvements relatifs possibles).

Ces deux questions comportent chacune deux phases : une d’identification

et d’isolement de la pièce concernée et l’autre de détermination des forces en

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jeu. La méthode de résolution graphique est imposée à la deuxième question, mais celle-ci ne peut être traitée sans avoir résolu la première.

• Isolement des pièces

Isoler une pièce revient à faire le bilan des actions auxquelles elle est soumise. En tenant compte du fait que le « poids propre du système est négligé », isoler une pièce (i) consiste à identifier les solides (j) avec lesquels elle est en contact et en déduire les actions mécaniques auxquelles elle est soumise2. La désignation du système (j) qui agit sur la pièce isolée (i) par le symbole « j/i » est associée à un vecteur dont le sens change lorsque la référence change. Par exemple, le passage de F4/6 à F6/4, suivant que l’on isole la pièce 4 ou la pièce 6, s’accompagne d’un changement du sens de la force alors même que le signe « i/j », dans le registre analytique, ne signifie pas que le vecteur est orienté de i vers j (registre graphique) mais que la force considérée est celle de l’action de la pièce i sur la pièce j.

« Isoler la biellette 4 » revient donc à considérer l’action de la pièce 9 et celle de la pièce 6. Ainsi la biellette n’est soumise qu’à deux actions. Et en tenant compte du fait que « les liaisons sont supposées sans frottements », on peut affirmer que chacune de ces actions se réduit à une force qui passe par le centre de la liaison. Elles sont notées : F9/4 et F6/4. La conclusion attendue est alors que ces deux forces sont égales en intensité, opposées en sens et ont la même direc-tion : celle de l’axe de la biellette (c’est l’application du principe fondamental de la statique pour le cas d’un système en équilibre sous l’action de deux forces).

Pour « isoler l’ensemble S » (constitué des pièces 1, 2 et 3 rigidement liées entre elles), il faut considérer l’action de la pièce 6, de la pièce 5 et celle du manche à balai. En tenant compte des considérations relatives au poids et aux liaisons, on conclut que le système S est soumis à trois forces et qu’elles passent par le centre des liaisons. L’action du manche à balai sur S est donnée dans l’énoncé, c’est une force de 50 daN notée Bmanche/1 (1 est une des pièces de S) et un vecteur tracé sur le document réponse indique son point d’application (B), son sens et sa direction. Par contre, sa longueur est arbitraire, elle ne tient pas compte de l’échelle.

La pièce 6 réalise la liaison pivot entre 4 et 2, tandis que la pièce 5, celle entre le bâti (13) et la pièce 3. On peut ainsi considérer en C de façon équivalente une des forces suivantes : F4/2 ou F4/S, F6/S ou F6/2, ainsi que F6/4. La direction de cette dernière est connue puisqu’elle est identique à celle de F6/4 déterminée à la ques-tion précédente (ceci découle du principe de l’action et de la réaction mais la justification n’est pas demandée). Cette direction est représentée sur le document réponse par un trait mixte suivant l’axe de la biellette. De la même façon, suivant que l’on considère l’axe 5 en liaison encastrement avec 3 ou avec 13, la force appliquée en A peut être notée F5/S ou aussi F5/3, F13/3, F13/S.

2 Si l’action de la pièce i sur la pièce j se réduit à une force elle est notée Fi/j.

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Ces phases d’isolement des pièces nécessitent une bonne compréhension de l’ensemble du système et dépendent aussi d’une lecture correcte des dessins techniques. Les savoirs à mettre en œuvre relèvent des concepts de base de la mécanique (interactions, forces…). Les difficultés liées à l’appréhension de ces concepts ont été étudiées par Lemeignan et Weil-Barais (1993) et par Goffard et Martinand (1994). Ici, le bilan des actions n’est pas une simple liste des efforts en lien avec la pièce isolée, mais il intervient pour chaque nouvelle pièce étudiée. Cela nécessite, à chaque fois, de changer la référence afin de désigner correcte-ment les actions (actions de contact ou actions à distance) auxquelles la pièce est soumise. Le repérage des erreurs possibles demande d’analyser aussi les traces des élèves dans les registres analytique et verbal.

• Statique graphique dans le cas d’un système soumis à trois forces non parallèles

Lorsqu’un système mécanique est en équilibre dans un repère galiléen, les forces qui agissent sur lui vérifient le principe fondamental de la statique qui s’exprime par deux relations vectorielles. La méthode de résolution graphique nécessite deux constructions planes qui correspondent chacune à la résolution d’une des deux équations vectorielles.

Dans le cas de la pince, une des forces Bmanche/1 est connue entièrement (inten-sité, sens, direction, point d’application) ; pour une autre, F4/S, on connaît sa direction et son point d’application (C) ; et enfin, pour la troisième force F5/S, seul son point d’application (A) est connu. C’est le cas le plus souvent étudié lors d’une résolution de statique graphique.

La première étape a pour but de déterminer la direction de la droite d’action de la force inconnue F5/S. Cette étape repose sur une propriété issue de l’équa-tion des moments qui s’exprime en langage naturel par : « la somme vectorielle des moments calculés en un même point pour toutes les actions mécaniques exercées sur le système en équilibre est nulle ».

Et en langage analytique par : où M est un point quelconque3.

Il existe un point du plan tel que le moment en ce point pour chacune des forces est nul. Géométriquement, ce point est à l’intersection des supports des trois forces. Le premier travail de l’élève consiste à construire graphiquement ce point que l’on notera I (figure 5).

3 Le symbole Λ signifie produit vectoriel et correspond à une opération sur des vecteurs qui n’est pas enseignée en mathématiques au lycée. Mais dans le cas du problème plan, les moments n’ont qu’une seule composante suivant une direction perpendiculaire à ce plan. L’équation vectorielle se réduit alors à une équation algébrique faisant intervenir les distances du point M aux supports des forces.

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Figure 5. Tracé des directions concourantes en I, configuration 1

Premier tracé : trait qui passe par B, colinéaire au vecteur représentant la force Bmanche/1.

Deuxième tracé : trait qui passe par C, colinéaire à l’axe de la biellette 4.

À l’intersection de ces deux tracés, se trouve le point I. L’élève n’a plus qu’à tracer un trait passant par A et I. Ce trait représente la direction de la droite d’action de F5/S qui était recherchée.

La deuxième étape (figure 6) a pour but de déterminer les intensités des forces F4/S et F5/S.

Cette étape s’appuie sur l’équation des forces qui s’exprime en langage naturel par : « la somme vectorielle des forces exercées sur le système en équilibre est nulle ».

Et en langage analytique par : F4/S + F5/S + Bmanche/1 = 0.

Analytiquement, il faut résoudre un système de deux équations.

Géométriquement, cela se traduit par le fait que les vecteurs, représentant les forces, forment un polygone fermé. Comme il y a trois forces, il s’agit d’un triangle. Un des côtés représente le vecteur Bmanche/1. Les deux autres côtés, une fois le triangle construit, donnent la longueur des segments associés aux inten-sités de F4/S et F5/S. Dans le cas général, cette deuxième étape suppose de faire un choix d’échelle qui mette en relation une unité de force avec une unité de longueur. Ceci n’est pas nécessaire pour la première étape qui ne travaille que

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sur les directions. La tâche consiste donc à construire graphiquement ce triangle (figure 6).

Figure 6. Tracé du triangle des forces, configuration 2

Premier tracé : un segment orienté noté JK parallèle à la droite d’action de la force Bmanche/1 et d’une longueur de 5 cm représentant l’intensité de la force compte tenu de l’échelle (10 mm <=> 10 daN) (la figure n’est pas reproduite à l’échelle). Il ne faut pas se fier au vecteur déjà tracé sur le document réponse qui n’a pas la bonne longueur.

Deuxième tracé : à une des extrémités de ce segment (J ou K), une droite parallèle à la direction AI ou à la direction CI déterminées à la première étape (droites d’action de F5/S et F4/S).

Troisième tracé : à l’autre extrémité du segment JK : une droite parallèle à la direction non utilisée lors du tracé précédent. Ces deux droites sont concou-rantes en un point noté L. La longueur des segments JL et KL représentent l’in-tensité les forces F5/S et F4/S. Pour déterminer leurs valeurs, il faut mesurer la longueur des segments et convertir ces mesures en intensité de force compte tenu de l’échelle imposée.

Pour que les forces F5/S et F4/S soient complètement connues, il reste à déter-miner leurs sens. Graphiquement, il faut indiquer par une flèche, sur le segment JK, le sens déjà connu (de la droite vers la gauche) de la force Bmanche/1. Les segments orientés de K vers L et de L vers J indiquent le sens des deux autres forces. Toutes les caractéristiques des forces sont déterminées à la fin de ces deux étapes. Il est possible alors de positionner aux points A et C les vecteurs représentatifs des forces F5/S et F4/S qui concourent à l’équilibre du système étudié. Cette repré-sentation graphique de la solution n’est pas demandée aux élèves dans l’exercice.

Les deux étapes de la méthode sont complémentaires et la deuxième ne peut se réaliser sans les solutions apportées par la première. Le passage de l’une à l’autre nécessite un report des directions des trois forces : c’est-à-dire qu’il faut construire le plus précisément possible, trois droites parallèles aux trois droites

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du premier dessin. Cela nécessite soit l’usage d’une règle et d’une équerre, soit celui d’un compas.

Ce type de problème, application directe du principe fondamental de la statique, peut être aussi résolu par une méthode analytique. Sa connaissance n’est pas nécessaire pour la résolution graphique, mais elle permet une meilleure appréhension conceptuelle de la résolution, elle est enseignée dès que la notion de moment est introduite.

4. Quel modèle descriptif des résolutions graphiques en mécanique en sciences de l’ingénieur ?

C’est en commençant par répondre à la question des fonctions remplies par les méthodes graphiques en sciences de l’ingénieur et des activités qu’elles impli-quent, que nous pouvons poser celle de la nature des graphiques présents. Pour cette caractérisation, nous intégrons ce qui nous semble pertinent dans les différents cadres théoriques exposés.

4.1. Fonction

Les constructions graphiques sont une étape dans le dimensionnement des composants d’un système technique, autrement dit dans la détermination des cotes et des tolérances fonctionnelles (valeur nominale et marge d’erreur acceptable).

Dans cette étape, la fonction de ces graphiques est de calculer des paramè-tres importants pour la conception (essentiellement des efforts, des vitesses ou des positions extrêmes d’éléments mobiles). L’intérêt du calcul dans le registre graphique par rapport au calcul analytique réside dans sa grande rapidité asso-ciée à la possibilité d’une compréhension globale facilitée par la visualisation des résultats. La connaissance a priori du type de figure à obtenir (faisceau de droite et triangle) sont aussi des moyens de contrôle externe du résultat dont on ne dispose pas dans le registre analytique.

Pour le concepteur, vis-à-vis de ces résolutions graphiques, la fonction d’objectivation de Duval (au sens d’expression privée) domine sur la fonction de communication. Mais en classe, on demande à l’élève, en phase d’apprentissage, de communiquer non seulement son résultat mais aussi l’ensemble de sa démarche : les calculs, les tracés et les mesures réalisés, ainsi que leurs justifications.

L’activité de conversion n’est repérable qu’en fin de calcul où la mesure des longueurs des nouveaux segments fournit des valeurs numériques. Mais, si une conversion (graphique/analytique) de l’ensemble de la méthode n’est pas demandée en classe, elle est parfois réalisée par l’élève en privé s’il maîtrise

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mieux la résolution dans un autre registre sémiotique que celui demandé. En accord avec Duval, il nous semble qu’un travail sur les correspondances, congruences et non congruences entre les deux registres à chaque étape de la construction en faciliterait non seulement leur maîtrise par l’élève mais surtout leur intégration des concepts et des lois de la mécanique dont ils dépendent. C’est d’ailleurs, à notre avis, une raison suffisante pour conserver ces méthodes dans l’enseignement plutôt que de les abandonner au profit des logiciels de conception qui intègrent les fonctions de calcul. Mais, contrairement à un problème de géométrie ou d’analyse fonctionnelle, où la construction graphique a une valeur heuristique et peut aussi servir de base à une démonstration, dans le cas des méthodes utilisées en mécanique, la construction s’effectue de manière systématique en suivant une procédure et des règles fixées d’avance. Les traces des constructions intermédiaires portent la preuve de la justesse de la figure obtenue mais ne constituent en rien une démonstration. Dans l’exemple décrit, il s’agit bien seulement d’extraire de la construction géométrique réalisée les caractéristiques des forces qui étaient inconnues avant la fin du tracé.

Cependant si l’activité de conversion sert à la conceptualisation elle n’est pas indispensable pour mettre en œuvre la méthode de statique graphique. Cette méthode est autonome et peut être enseignée avant la méthode analytique : c’est alors une suite de règles d’action à appliquer. Ce qui est déterminant pour le concepteur c’est de savoir faire un choix raisonné encore plus qu’un lien entre méthode graphique et méthode analytique. La construction de tracés successifs ne relève pas de l’activité de traitement de Duval puisqu’elle ne donne qu’une configuration particulière. Dans chacune, chaque nouveau trait s’obtient en combinant informations techniques et mécaniques spécifiques au système avec les théorèmes généraux de l’équilibre en mécanique du solide rigide. C’est la variété apportée par les différents systèmes étudiés au cours de l’année qui permet l’activité de traitement, c’est-à-dire, une transformation de la configuration en restant dans le registre graphique.

4.2. Nature

L’ensemble des opérations de calcul est donc effectué en restant dans le registre graphique, le passage au numérique n’intervenant qu’en fin de construc-tion. La précision et la justesse de la solution dépendent donc de la qualité des opérations de tracé et de mesurage.

Il est clair alors, que le cadre de la géométrie naturelle telle que l’a définie Kuzniak (2004), qui considère que les valeurs manipulées sont des valeurs appro-chées, est celui qui convient le mieux pour interpréter les dessins obtenus par la méthode de résolution graphique. En effet, les valeurs obtenues par exemple en mesurant la longueur des segments sont interprétées comme prenant en compte les erreurs faites en traçant ou en mesurant un segment. Cette particularité est en

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rupture avec le cadre géométrique familier des élèves de lycée, celui de la géométrie II, où les dessins ne sont là que comme support à la conceptualisation des objets mathématiques qu’ils représentent. De plus, comme le souligne Kuzniak, la géomé-trie I n’est pas enseignée comme telle. Elle est souvent prise pour une conception erronée de la géométrie alors qu’elle nécessite un travail sur les erreurs et les arrondis, et qu’elle suppose un usage adapté des outils de tracés et des instruments de mesure. Mais ce cadre est insuffisant pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, l’articulation avec ce que Kuzniak appelle le « réel » est à discuter. En effet, si en mathématique, dans le cadre de la géométrie naturelle, le graphique s’appuie sur la représentation de l’espace physique où la seule dimen-sion associée aux segments est liée à une unité de longueur ; en mécanique, il y a superposition de plusieurs espaces : celui des distances (liées au système tech-nique) associées à des dimensions de longueur, et celui des forces qui agissent sur le système (ou celui des vitesses suivant les questions posées). La force étant un concept abstrait issu de la modélisation de l’interaction entre deux systèmes, il devient alors difficile de parler de « monde sensible » qui viendrait valider la représentation graphique. De plus, la superposition n’est visible entre les deux espaces que si l’on reporte les forces calculées aux points où elles s’appliquent sur le système. Dans ce dessin coexistent des distances représentant des longueurs et des vecteurs représentant des forces.

Les figures géométriques et leurs propriétés changent de statut : objet d’étude en mathématique, elles deviennent outils de construction et de calcul. Par exemple, pour le triangle des forces, la solution ne réside pas dans la forme globale obtenue mais localement dans les informations contenues dans deux des segments qui le composent. De même, les propriétés d’homothétie du triangle sont seulement utiles pour que la solution obtenue soit juste indépendamment de l’échelle utilisée. Il s’agit donc d’une géométrie outil, au service des sciences de l’ingénieur.

Et enfin, le paradigme de géométrie naturelle ne permet pas de distinguer entre deux sous espaces géométriques : le premier lié à l’espace affine pour la construction de la première étape (figure 5) où les droites sont définies par un point et une direction. Le deuxième est lié à l’espace vectoriel pour la deuxième étape (figure 6) où les vecteurs sont définis par direction, sens et intensité.

5. À la source des obstacles en sciences de l’ingénieur ?

L’étude de cas s’appuie sur le système décrit précédemment : la pince de centrage de manches à balai, sujet d’une évaluation sommative en première S-SI, au début du second trimestre. Les élèves ont déjà utilisé la méthode de statique graphique pendant les séances de travaux pratiques, sur d’autres systèmes techni-ques. Nous avons prélevé les copies de six élèves, trois ayant bien ou assez bien

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réussi l’épreuve et trois ayant une note en dessous de la moyenne, voire très basse. La grille d’analyse utilisée (figure 7) est basée sur les registres sémiotiques. Le registre graphique prend en compte d’une part les configurations obtenues (faisceau de droites, triangles) regroupées dans un sous-registre « figural » ; d’autre part, des indicateurs liés à la géométrie I qui sont : les indications des flèches, les traces de constructions intermédiaires (trace de compas, tirets, parallèles inter-médiaires, etc.), la précision des tracés des parallèles, la prise en compte des échelles, les mesures faites. Le registre analytique comprend les notations des forces et des pièces en jeu, et enfin le registre verbal s’appuie sur l’ensemble des justifications données, en particulier l’énoncé d’une loi relative à l’équilibre.

Figure 7. Grille d’analyse des traces des élèves,

indicateurs suivant les registres sémiotiques

RegistresIndicateurs \

élèves :1 2 3 4 5 6

Graphique 1 :figural

2 configurations

Triangle rectangle

Graphique 2 :géométrie I

Flèches au milieu

Sens des flèches

Tracés intermédiaires, outils

Précision des parallèles

Échelles prises en compte pour la force en B

Mesures faites

Échelles prises en compte pour les forces en A et C

Analytique

Bilan des forces correct

Sens de i/j

P négligé

Verbal Loi newton triangle triangle

Les cases noires ou blanches correspondent respectivement à la présence ou l’absence de l’indicateur. Si l’indicateur n’a pas de sens, elles sont laissées en gris. Par exemple, l’élève 2 n’ayant pas mesuré les segments obtenus, on ne peut rien dire de la prise en compte de l’échelle.

Ces quatre registres contribuent à deux axes d’analyse. Le premier, l’ancrage théorique (mécanique du point ou du solide) s’appuie sur les registres figural,

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analytique et verbal. Le deuxième, le statut de la méthode utilisée (outil de calculs et de mesures ou illustration de résultats) est lié au registre de la géométrie I.

Le premier groupe d’élèves a tracé les configurations associées aux deux étapes, tandis que le deuxième n’a tracé que celle relative au triangle de la deuxième étape. Tous les élèves représentent le sens des vecteurs, mais seul l’élève 1 ne met aucune flèche sur la configuration 1 et des flèches au centre des segments pour le triangle de la configuration 2, il fait donc une différence entre les deux configurations et leur accorde un statut d’outil. Pour deux élèves, le sens des flèches n’est pas correct : le sens des forces ne donne pas une somme vectorielle nulle.

En ce qui concerne le registre « graphique 2 » il est notable qu’aucune trace de construction intermédiaire n’est visible sur les copies. Pour les autres indica-teurs, leur présence plus importante pour le premier groupe d’élèves, reste inhomogène.

Seul l’élève 1 a réalisé correctement les tracés et les mesures, le tracé des parallèles est précis, l’échelle des forces est prise en compte pour le tracé de la force en B et pour la lecture des forces en B et C. Les valeurs des intensités obtenues sont correctes. Les justifications qu’il donne sont basées sur la première loi de Newton et non sur le principe fondamental de la statique. Le bilan de forces est cohérent avec le système (il a bien listé les actions en A, B et C), mais la dénomination des solides sur lesquels agit la force en C n’est pas exacte puisqu’il considère le solide 3 et note alors la force C4/3 au lieu de C4/2.

Pour les deux élèves suivants, le parallélisme entre les deux configurations est très approximatif, comme le montre la figure 7 (traces de l’élève 3). Les longueurs des segments du triangle de forces sont donc imprécises, mais l’élève 2 ne donne pas de résultat de mesure. Ils font aussi tous les deux la même erreur dans les notations des forces (Cmâchoire/biellette pour l’élève 2 et FS/5 pour l’élève 3) qui ne représentent pas une action de l’extérieur sur le système mais l’inverse. Les justifications de l’élève 3 ne sont pas liées à une loi d’équilibre mais simple-ment à une conformité avec la configuration graphique à obtenir : « selon la loi des forces du triangle » dans laquelle il fait une confusion : le triangle correspond en fait à la deuxième configuration mais il explique son tracé par l’intersection des directions : « la direction de FS/5 passe par le point A et par le point où se croisent les deux autres directions de vecteur ». Pour le deuxième tracé, il n’a pas tenu compte de l’échelle de force : il a reproduit la force connue tracée sur l’énoncé (qui n’est pas donnée à l’échelle).

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Figure 8. Production de l’élève 3

Pour les trois autres élèves, la première configuration (recherche du point I) est absente, il leur manque alors l’information de direction pour la troisième force. Mais tous ont tracé un triangle rectangle.

L’élève 6 fait un début de recherche de I en prolongeant les deux directions de forces connues, mais il ne s’en sert pas car il ne considère aucune force en A (figure 9). Il ne néglige pas le poids du système (mais celui-ci n’est ni dans le plan, ni appliqué en C). Il nomme F4/10 l’action de la biellette (ce n’est donc pas une action sur S). La figure est un triangle presque rectangle aux directions approximatives. Il n’a pas tenu compte de l’échelle et ne fait pas de mesure.

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Figure 9. Production de l’élève 6

Les erreurs des élèves témoignent des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la résolution graphique. Nous les avons regroupées en deux catégories suivant qu’elles relèvent d’obstacles internes ou externes à la méthode.

5.1. Des obstacles internes

Ils sont inhérents aux caractéristiques de cette méthode qui nécessite pour l’élève :

• Une articulation avec les lois de la mécanique

C’est avant tout une méthode de calcul, c’est-à-dire qui permet d’obtenir un résultat nouveau. C’est donc une démarche complexe qui procède du raison-nement. En effet, le résultat n’est pas contenu dans les données à traiter mais dans l’articulation de ces données avec les lois de la mécanique dont les équa-tions sont exprimées et résolues dans le registre graphique. Il est clair qu’un grand nombre d’erreurs peut provenir de cette difficulté (oubli de la première configuration : élèves 4, 5 et 6 ; bilan de force incorrect : élèves 4 et 6…) et ne dépendent donc pas du registre sémiotique utilisé pour la résolution.

• Une connaissance des méthodes, des outils de tracé

ainsi que des instruments de mesure

Un tracé approximatif à valeur d’illustration ne suffit plus. Il s’agit de passer de l’illustration à la construction en lui donnant une valeur d’outil de calcul. Or, cette nécessité n’est pas perçue comme le montrent les schémas imprécis, la mesure des segments erronée ou non faite, les parallèles approximatives…

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L’absence de traces de construction intermédiaires (y compris pour ceux qui ont fait un tracé correct), ainsi que l’absence d’exigence de l’enseignant sur ce point, révèlent que les outils de tracé et les instruments de mesure sont peu valorisés. La méthode perd de son sens si la relation entre la qualité de la construction géométrique et la précision des résultats numériques n’est pas perçue.

• Une articulation entre des espaces géométriques hétérogènes

Le registre sémiotique utilisé est celui de la géométrie dans un espace affine pour la première construction et celui de la géométrie dans un espace vectoriel pour la deuxième. Il y a là une différence subtile et peu perceptible qui réside dans la signification différente des positions relatives des points A, B et C dans le premier tracé (et J, K et L dans le second). En effet, les points A, B et C corres-pondent aux points d’application des forces sur le système étudié. Ainsi, la posi-tion relative de ces points est imposée par la géométrie du système. La longueur des segments AI, BI et CI n’est pas significative, ils ne portent que l’information de direction. À l’inverse, les segments JK, KL et LJ contiennent toutes les infor-mations associées à un vecteur (direction, sens et intensité), mais il leur manque celle de point d’application pour être des représentants complets d’une force. Les attributs d’une force sont répartis entre ces deux tracés (un faisceau de trois droites concourantes et un triangle). C’est la combinaison des informations provenant de ces deux tracés qui permet d’obtenir la représentation complète d’une force.

Ceci a une incidence sur les échelles à prendre en compte. Ainsi, la première construction est réalisée directement sur le schéma du système qui donne les distances réelles à un facteur d’échelle près, mais ne manipule pas d’intensité de forces tandis que la deuxième construction utilise une nouvelle échelle qui permet de représenter l’intensité d’une force par la longueur du segment qui lui est associée. L’élève 6 n’a pas perçu cette différence.

5.2. Des obstacles externes

Ce sont ceux qui sont inhérents au contexte dans lequel l’activité est sollicitée.

• Les obstacles associés à l’imbrication des différents codes graphiques

Les documents multiples à prendre en compte et à interpréter sont autant de sources d’erreurs dans la réalisation des opérations graphiques. L’identification des solides en interaction avec S pose problème aux élèves : ils ne perçoivent pas, par exemple, les pièces constituant les liaisons comme des solides à prendre en compte. Sans cette étape préalable, l’élève ne dispose pas des informations nécessaires. De plus, d’un document à l’autre, les échelles ou les réductions changent. Cela suppose une lecture d’informations normées tout au long de l’activité de résolution.

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• Les obstacles que l’on peut attribuer aux dissonances introduites par la proximité trompeuse des méthodes de résolution utilisées en physique

Supprimer la première étape de la méthode de résolution (élèves 4, 5 et 6) n’a de sens que si le point d’intersection des trois forces est connu. Mais c’est justement toujours le cas dans l’enseignement de la physique au lycée qui ne traite que de mécanique du point ou de cas qui peuvent s’y ramener : toutes les forces appliquées au système passent par le centre de gravité. Chez les élèves en sciences de l’ingénieur, l’oubli constaté de cette étape et la présence d’une figure en triangle rectangle peuvent s’expliquer par une confusion entre deux disciplines qui emploient des méthodes ayant de fortes similitudes mais dont les différences ne sont pas perçues.

• Un obstacle qui réside dans le peu de légitimité accordé habituellement à ce registre dans les autres disciplines (mathématiques, physique)

En mathématiques par exemple, Maschietto qui s’intéresse aux usages des représentations comme résolution graphique à l’université constate « [qu’]au niveau institutionnel, la représentation graphique n’a en général pas le statut de preuve et le traitement graphique doit être complété par une preuve analytique » (Maschietto, 2001, p. 145). C’est en général la position adoptée aussi par la physique au lycée.

5.3. Les ruptures entre sciences de l’ingénieur et physique

L’intérêt de la caractérisation réalisée de la méthode de résolution graphique réside pour nous dans le repérage d’éléments significatifs pour une comparaison entre les enseignements de mécanique en sciences de l’ingénieur et en physique. Si nous reprenons les quatre ruptures repérées par Lerouge (1992), il est clair que la rupture entre physique et sciences de l’ingénieur se pose différemment. Concernant le registre sémiotique, dans les tracés de la résolution graphique réalisés en sciences de l’ingénieur, la plupart des signifiants sont les mêmes que pour la physique si on isole les objets : vecteur, point… et ils sont associés à des signifiés similaires : force, point d’application… Il y aurait apparemment conti-nuité de registre pour les deux niveaux signifiants et signifiés entre sciences de l’ingénieur et physique. Cependant, en ayant une lecture globale de la méthode, les différences entre signifiants apparaissent : présence d’un faisceau de trois droites concourantes (absent en physique) et qui s’interprète comme un concept de force différent (la force ou action mécanique en sciences de l’ingénieur génère aussi un moment ce qui revient à considérer qu’une force a, dans le plan, non pas deux composantes au sens de Bertin (1977) mais trois, la troisième étant contenue dans sa distance relative à un point). Plus qu’à une rupture entre des « cadres de rationalité » supposés différents on a plutôt affaire :

– à deux cadres théoriques imbriqués, si on considère que le cadre de la mécanique du solide contient le cadre de la mécanique du point ;

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– à la même imbrication des registres sémiotiques correspondants (dans le registre vectoriel : les deux équations vectorielles d’équilibre du solide se rédui-sent en physique à une seule équation vectorielle d’équilibre du point ; dans le registre graphique : parmi les deux figures à construire en sciences de l’ingénieur, il n’en reste qu’une en physique). En fait, le plus souvent, les problèmes à trois forces, traités en physique, peuvent se ramener à des problèmes à deux forces dont une est entièrement connue et le triangle de la deuxième configuration n’a plus lieu d’être.

Figure 10. Liens spécifiques entre méthodes de résolution et mathématiques suivant la discipline

D’après le tableau de la figure 10, on peut montrer qu’il y a une forte congruence en physique entre les deux registres, analytique et graphique, ce qui n’est pas le cas en SI.

En physique, pour calculer les forces analytiquement, le parti pris est de les décomposer systématiquement suivant des axes perpendiculaires liés à un repère donné d’avance, par exemple (Ox, Oy). Et comme les cas où deux forces sont perpendiculaires sont privilégiés, la résolution graphique, se traduit par la construction d’un triangle rectangle dont deux côtés sont aussi les composantes d’une troisième force. La congruence est alors parfaite entre les deux registres. En conséquence, le registre graphique ne présente pas d’intérêt particulier par rapport au registre analytique et perd son efficacité opératoire.

En SI, il y a rarement congruence. Pour la première configuration, le point I cherché graphiquement n’est pas le point choisi pour le calcul analytique des moments. Pour la deuxième, le triangle des forces est en général quelconque. Analytiquement, les forces ne sont pas projetées nécessairement sur des directions perpendiculaires, ceci afin de minimiser les calculs.

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L’enseignement de la physique se mathématise au point de réduire les ques-tions qu’elle pose à celles auxquelles elle peut répondre avec les outils déjà enseignés en mathématiques ; tandis que l’enseignement des SI est contraint de « bricoler » au sens de Levi-Strauss (1962) ses propres outils mathématiques pour répondre à des questions qui ont du sens pour familiariser les élèves avec l’ana-lyse des systèmes techniques. Pour l’élève qui commence à entrer dans cette démarche en SI, quel sens prend alors pour lui, en physique, la réduction d’un solide à son centre de gravité ?

6. Conclusion et discussion

Notre propos était d’expliciter la construction d’un cadre d’analyse dont dépend un ensemble plus vaste de recherches qui visent à comparer deux appro-ches de la mécanique au lycée. Nous avons montré, dans ce texte, que si certaines des questions posées dans les deux contextes scolaires sont de même nature (par exemple : quelles sont les forces qui agissent sur ce système ?) :

– elles ne jouent pas le même rôle (outil de dimensionnement en sciences de l’ingénieur, intégration des lois qui régissent un phénomène en physique) ;

– elles n’ont pas la même réponse (la résolution graphique en référence aux pratiques des concepteurs industriels, la résolution analytique en référence aux savoirs de la mécanique rationnelle).

Les méthodes de résolutions graphiques nous sont alors apparues embléma-tiques des relations spécifiques qu’entretiennent sciences de l’ingénieur et physique avec les mathématiques au niveau du lycée. Bien que les objets explorés s’en trouvent réduits, cela nous a permis d’élargir le cadre d’analyse, condition nécessaire pour qu’une véritable comparaison soit possible.

La combinaison de plusieurs cadres a été nécessaire pour rendre compte de toute la complexité liée à la mise en œuvre de ces méthodes graphiques dans le contexte spécifique de la discipline SI, ainsi que des différences avec la physique.

Les éléments retenus dans les cadres d’analyse peuvent éclairer les caracté-ristiques des méthodes de résolution graphique considérées comme outils mathématiques. Ils ont mis en lumière deux différences majeures entre leur usage en SI et en physique. La première différence est que la question toujours posée pour les SI de la direction des forces ne se pose pas en physique car les directions sont déjà connues. Celle-ci est analysée en termes de différence entre configurations dans le registre graphique, mais elle s’explique par des ancrages théoriques différents (mécanique du solide ou du point). La deuxième différence (résultats obtenus par mesurage sur la configuration graphique ou par calcul analytique basé sur un dessin qui facilite la lecture de projections) est analysée en termes de géométries différentes au sens de Kuzniak. Elle s’explique par ce qui

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constitue le coeur de chaque discipline scolaire actuellement : le dimensionne-ment des systèmes techniques ou la modélisation de phénomènes physiques.

Finalement, si les traces graphiques produites par les élèves sont révélatrices de difficultés ou d’obstacles, il nous semble encore plus pertinent de les analyser en termes de proximité ou d’écart avec la forme de la résolution attendue dans une discipline ou l’autre. Si le premier groupe d’élèves est plus conforme aux SI et le deuxième, qui ne cherche pas le point I, à la physique, ces quelques copies révèlent toutes des emprunts plus ou moins importants aux habitudes du cours de physique. Dans leur ensemble elles ne sont pas encore spécifiques du cours de SI. L’apprentissage et l’utilisation de ces méthodes se poursuivant en termi-nale, il sera intéressant de vérifier si une différentiation progressive s’observe ou si les confusions persistent.

Remerciements

Nombre de mes collègues m’ont soutenue pendant la rédaction de ce texte et m’ont permis de le faire évoluer suite aux discussions toujours riches que nous avons eues. Mais je tiens à remercier tout particulièrement mon collègue et ami Guy Manneux pour sa participation à l’élaboration première comme à la réécriture dans sa forme actuelle. Et surtout pour la confiance totale qu’il a eu dans l’aboutissement d’un texte qui sans lui n’aurait pu voir le jour.  ■

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Pascale Hannoun Kummer

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