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SÉDUCTEUR, BOUFFON ET TYRAN BYE-BYE KADHAFI LE MENSUEL # 13 SEPTEMBRE 2011 I Rue89.com TUN : 3,7 DTN – BEL : 4,50 – CAN : 8,00 DC – CH : 7,80 FS COMMENT CHOISIR Primaire PS LE MENSUEL I # 13 I SEPTEMBRE 2011 30 PAGES LES PROGRAMMES · LES BILANS · LES ÉQUIPES 3:HIKLPB=VUXZUY:?k@k@b@d@a; M 01511 - 13 - F: 3,50 E 3:HIKLPB=VUXZUY:?k@k@b@d@a; 6 candidats au banc d’essai

Rue89 Le Mensuel, extrait du numéro 13

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A l'approche de la Primaire socialiste, Rue89 vous aide à choisir, en présentant les bilans des six ccandidats là où ils exercent des responsabilités, leurs programmes et ce qui les distingue, les équipes qui les entourent. Un dossier spécial de 30 pages à lire avant de faire votre choix. Mais aussi, quelques souvenirs désagréables sur Kadhafi et ses admirateurs, la crise ou comment s'y adapter, JR et ses affiches aux quatre coins du monde...

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Page 1: Rue89 Le Mensuel, extrait du numéro 13

sÉducteur, bouffon et tyran

bye-bye kadhafi

le mensuel # 13 septembre 2011 I Rue89.com

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30 pages LeS ProgrammeS · LeS biLanS · LeS ÉquiPeS

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6 candidats au banc d’essai

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26 I septembre 2011 I # 13 I

Arnaud Montebourg en Saône- et-Loire La politique par la viande Par mathieu Deslandes I Rue89

Même le magazine officiel du conseil général,

qu’il préside, a fini par lui poser la question :

« Vous parlez beaucoup de démondia lisation.

En quoi cette réflexion que vous menez à

l’échelle nationale s’applique-t-elle à la Saône-

et-Loire ? »

Arnaud Montebourg sait que ses admi-

nistrés s’interrogent, que ses adversaires

répètent qu’il « fait au niveau local l’inverse

de ce qu’il prêche au niveau national ». Dans

ce département où l’agriculture représente

12 000 emplois, il a fini par trouver deux

exemples capables de couper le sifflet à ses

détracteurs : « Pourquoi aller chercher du bois

dans le nord de l’Europe alors qu’il y en a dans

les forêts du Morvan ? Pourquoi s’acharner à

vendre la viande charolaise à bas coût en Italie

l’ÉvÉnement I primaire

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I # 13 I septembre 2011 I 27

alors que nous pouvons faire prospérer des filières courtes ici même ? » Promues par le conseil général à coup de « pique-niques pédagogiques», de stands à la foire de Châlon et de partenariats avec la grande distribution, les « filières courtes » (vente directe ou via un seul intermédiaire dans un rayon de 80 kilomètres) sont devenues la « nouvelle fron-tière » du « président Montebourg ». Des revenus plus élevés pour les agriculteurs, un meilleur bilan carbone, des produits de qualité – bref : des lendemains qui chantent.« Par moments, on a l’impression que tous nos problèmes vont être résolus maintenant qu’on a les filières courtes, et l’amour est dans le pré », rigole Jean-François Jacob, 50 ans, blouse bleue sur le dos et menton calé sur un bâton de houx . Avec son frère Bernard, son aîné de trois ans (qui, lui, préfère les blouses noires), ils sont éleveurs de charolais, « comme les parents, les grands-parents, les arrière-grands-parents » à Saint-Léger-lès-Paray. Ils ont chacun leur maison sur l’exploitation. Entre les deux, celle de leur mère, où ils se retrouvent pour le café du matin.Depuis l’automne dernier, ils font partie d’une association de producteurs sélectionnés pour approvisionner l’hypermarché Leclerc de Paray-le-Monial. « Au rayon boucherie, ils mettent la photo du gars à qui appartenait la bête. » Ils sont entrés dans cette organisation parce qu’ils aiment l’« idée » que leur viande soit vendue « à deux pas de l’abattoir » et parce que Leclerc paye « un bon prix ».« Pour les grandes surfaces, admet Jean-François Jacob, c’est aussi un moyen de se couvrir. Si on apprend que des agriculteurs veulent saccager le magasin – ça arrive, en période de crise –, on leur dira de chercher un autre symbole. » Mais, sur la centaine de bêtes qu’engraissent chaque année les frères Jacob,

ils n’en vendent pas plus de « trois ou quatre » en circuit court. Leclerc a beau multiplier les autocollants « Saveurs d’ici », la demande en faux-filets du terroir reste limitée. Christian Gillot, le vice-président (PS) chargé de l’agriculture au conseil général, reconnaît les limites de la capacité d’action de sa collec-tivité. « Notre production de viande est telle-ment importante qu’on n’aura jamais assez de débouchés locaux. On a voté une enveloppe de 200 000 euros, mais on n’a pas les moyens de mettre en place un dispositif lourd. Pour faire du volume, on voudrait approvisionner les cantines de tous nos collèges. »Mais, sur le marché aux bestiaux de Saint-Christophe-en-Brionnais, où, ce mercredi d’août, la viande se négocie à « 24 francs le kilo-carcasse » (« on travaille tous en francs, c’est plus pratique »), personne ne se fait d’illu-sions. « Les cantines n’achètent que les bas

morceaux. Elles ne peuvent se payer que ce qui vaut pas un pet de lapin », râle un copain éle-veur des frères Jacob, Charles Gilard, 86 ans. « Le Montebourg, ajoute-t-il, j’ai bien connu son grand-père. Il était boucher à Autun, en face [de] la gare. Il avait son chapeau noir, il roulait sa cigarette. Le petit, c’est un peu belle gueule mais mauvaise ferme. Il peut bien lancer ses idées si ça l’amuse. Mais faut surtout qu’il nous laisse travailler. Chacun son métier. »

La mondialisation est un désastre car elle survalorise l’exportation. Il faut donc assumer un certain

protectionnisme comme un outil

pour le développement, au nord comme au sud.Arnaud Montebourg, 48 ans, président du Conseil général de Saône-et-Loire

Marché aux bestiaux. Jean-François Jacob, éleveur de

charolais, salue en rigolant les filières courtes. Mais il en

faut plus pour écouler la production du département.

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30 I septembre 2011 I # 13 I

l’ÉvÉnement I primaire

Comme un roman. Un soir à La Rochelle dans les pas d’Harlem D

Harlem Désir est premier secrétaire le temps de la primaire : trois mois et

demi. Ce samedi soir, il a convié les journalistes à une crevettes-partie . L’an-

cien charismatique militant associatif est devenu prince de la langue de bois.

– Le Parti socialiste va lancer un grand plan de communication sur les pri-maires. Le thème sera de dire : « Français, vous pouvez tous voter. »– Peut-être que les gens ont envie de poser des questions ? hasarde Benoît Hamon, le porte-parole du parti, après un silence. – Ah non, coupe Désir. C’est pas une conférence de presse. Il faut ouvrir le buffet.

Harlem Désir est un mode d’emploi

vivant de la primaire. Il a réponse à

tout. exemple : les résultats.

– On aura une première évaluation dans l’heure qui suit la fermeture des bureaux de vote. Bon, s’il y a une énorme participation, ce sera peut-être un peu plus long.

On lui demande de tirer un premier

bilan de l’université d’été de La

rochelle.

– J’ai trouvé que nos candidats étaient en pleine forme, tous pleins d’énergie, tous très lancés. On a toutes les raisons de penser que ça se passera bien.

Une équipe de télé l’interroge sur la

photo des six candidats rassemblés,

celle que tout le monde attend.

– Les candidats, c’est une famille que les gens ont envie de voir ras-semblée. Ce sera très spontané.

Avant le dîner, il traverse la grande

salle, déserte. Il monte à la tribune.

sourire de gosse.

– Vous me mettrez de l’eau les filles, hein ?

Je voulais vous faire une annonce…

Mon discours de demain, ça va pas être soft.

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I # 13 I septembre 2011 I 31

arlem Désir, premier secrétaire « en CDD ».

Des tables chantent : « Il est vraiment, il est vraiment, il est vraiment

phénoménal la la la la la… » Il ne refuse aucune sollicitation.

Il croise martine Aubry et l’embrasse. On n’entend pas ce qu’ils se disent.

brouhaha sous la tente, les militants

l’attendent pour le dîner. Il attrape

des mains qu’on lui tend.

– On va trouver des moyens puissants et inédits pour populariser ce ren-dez-vous des primaires. Il faut faire passer le message autour de vous…

Mehdi Ouraoui, son conseiller poli-tique, rigole : « Il adore ça ! Il va faire toutes les tables.

C’est le boulot de premier secrétaire. »

– Bonjour ! Bonjour, ça va ?– Bonjour ! Bonjour, ça va ?

… Les bureaux de vote seront ouverts de 9 heures à 19 heures. Comme les supermarchés.

Un peu plus tôt il était préoccupé : « Je me demande comment éviter les coups de caméras demain. Il y aura tellement de caméras… »

FiN

Harlem ! Harlem ! Une photo !

Par Audrey Cerdan et mathieu Deslandes I Rue89

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Page 6: Rue89 Le Mensuel, extrait du numéro 13

88 I septembre 2011 I # 13 I

« Chèvre pour tondre votre

pelouse de manière écologique – loca-

tion à la journée par couple –

10 euros. » Ceci n’est pas une blague,

mais une annonce trouvée sur le site

e-loue, où les particuliers pratiquent

la « consommation collaborative ».

Le concept s’applique à tous les

objets que l’on possède et que l’on

n’utilise pas tout le temps, ou que

l’on n’a pas besoin d’acheter. Comme

l’expliquait déjà en 2000 Jeremy

Rifin dans son livre sur l’économie

de l’accès (L’Age de l’accès), on n’est

« pas toujours heureux d’hypercon-

sommer ». Du coup : « La notion

de  propriété et la barrière entre

vous et ce dont vous avez besoin sont

dépassées. »

Un brin révolutionnaire, le site Col-

laborative Consumption proclame

ainsi : « Ce qui est à moi est à toi. »

Eco-logique, cette pratique vise à

faire du bien à son porte-monnaie

tout en en faisant à la planète. La

technologie du peer-to-peer permet

donc aujourd’hui de partager non

seulement ses fichiers informa-

tiques, mais aussi ses biens. Le tout

reposant sur la confiance, et sur un

nouveau système d’assurance

incluse dans la commission versée

au site de mise en relation.

Sur le site d’e-loue – l’un des poids

lourds du secteur avec 100 000 offres

à l’instant T – sont proposés, en plus

du couple de chèvres, des objets de

toutes sortes, de la perceuse (1 à

40 euros par jour) à l’avion (170 euros

par jour). Alexandre Woog, fonda-

teur de cette start-up affichant une

insolente croissance de « 30 % par

mois », reconnaît qu’il faudrait trois

fois plus d’offres pour atteindre une

« masse critique » suffisante. Ce

diplômé de HEC, sportif de haut

niveau, vise un virage radical des

mentalités : « Nous sommes pour que

les fabricants fassent des produits

plus chers mais plus solides et utili-

sables plus longtemps. Il s’agit de

passer à une économie de fonction-

nalité. »

Démarché par des entreprises dési-

reuses de mettre en place des poli-

tiques de développement durable,

comme Shiseido, e-loue commence

à vendre sa technologie clés en main

ViVre aVec la crise Le tsunami économique déclenché

par le krach bancaire de 2008 n’est pas qu’un désastre. De nouvelles solutions

s’imaginent. La preuve par trois exemples.

loué soit toutJe loue ta voiture ou ta chèvre, tu loues mon costume, on sauve la planète. La « consommation collaborative » est en plein essor.

Par sophie Verney-Caillat I Rue89

à des communautés. Mais il faut dire

que le site est surtout fréquenté par

des étudiants ou des militants de la

consommation responsable, ten-

dance décroissance.

Marc, étudiant parisien, propose ses

consoles de jeux vidéo pour 15 à

20 euros par jour, et amortit ainsi

ses investissements en une dizaine

de locations, qui sont aussi des occa-

sions de rencontrer des partenaires

de jeu. Quand il doit passer un entre-

tien d’embauche, il a désormais le

réflexe de louer un costume de

marque. Il se « déguise » ainsi pour

30 euros.

Sarah, jeune fashionista de la ban-

lieue parisienne, s’est mise à renta-

biliser sa garde-robe quand elle était

un peu fauchée : « Je ne voulais pas

me séparer de mes sacs de marque.

C’est un patrimoine, certains valent

plus de 2 000 euros. Alors je les ai loués

à des filles qui voulaient les tester

avant d’acheter (à 30 euros par jour).

J’avais un peu peur, mais il y a une

assurance incluse et je suis toujours

tombée sur des gens sérieux. » Frin-

gues, voiture… elle a multiplié les

Éco89 I nouVelles pratiques

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Page 7: Rue89 Le Mensuel, extrait du numéro 13

I # 13 I septembre 2011 I 89

offres, et touche certains mois

300  euros de ses locations. Une

somme qu’il n’est pas nécessaire de

déclarer aux impôts tant qu’elle reste

faible et ne s’apparente pas à un vrai

revenu (l’administration fiscale

n’a pas encore de position officielle

sur le sujet).

La voiture est le fer de lance de

la location entre particuliers. Quand

on sait que le budget moyen d’une

voiture dépasse 5 500 euros par an,

et que les voitures restent station-

nées 90 % du temps, l’idée de parta-

ger ces frais tombe sous le sens.

D’autant que les observateurs

comme le Groupe Chronos

constatent depuis quelques années

le passage d’une conception de la

« voiture-objet » à la « voiture-ser-

vice ». Léa Marzloff, consultante

dans cet observatoire des mobilités,

explique : « L’autopartage entre par-ticuliers est un des aspects de ce mou-vement de fond. L’idée est d’améliorer la productivité de l’automobile, de faire mieux avec le parc existant. Ça peut passer par le covoiturage, un meil-leur taux d’occupation, ou par un meilleur taux d’usage. »Mais l’autopartage souffre d’un défi-

cit de notoriété et d’une flotte encore

trop restreinte. Ces start-up espèrent

qu’à terme 1 % des 32 millions d’au-

tomobiles se partageront. On en est

loin. Pour Léa Marzloff : « Le principe est évident, la mise en pratique moins, à cause de la question de la confiance. Les gens y croient, comme le montre notre étude réalisée avec TNS Sofres  :  l’autopartage est perçu

comme un modèle d’avenir par 47 % des 7 000 interviewés, contre seule-ment 18 % la voiture personnelle. »Paulin Dementhon, fondateur de

Voiturelib’ s’efforce de rendre son

système « le moins anxiogène pos-sible », avec un contrat prérempli,

une check-list prête, un paiement

par carte sécurisé… mais la relation

directe avec son locataire inquiète.

Fabien admet que passer le volant

de son monospace à un inconnu ne

« reste pas évident psychologique-ment ». Après avoir fait le tour des

sites proposant la location de voiture

entre particuliers, il a préféré Livop.

Créé par un ancien loueur tradition-

nel de voiture, c’est le système qui

se met le plus entre le propriétaire

et le locataire. Une « Livop-box » est

installée sur votre véhicule, ce qui

Publicité mensongère.

On loue tout en ligne,

mais plus de Solex.

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90 I septembre 2011 I # 13 I

Depuis mai, des Toulousains payent leur baguette en sols-vio-lette, une « monnaie solidaire ». Et les Français sont de plus en plus nombreux, ici ou là, à faire leurs courses localement sans débourser un euro. Le sol-violette de Toulouse est le volet local d’un projet national (le sol) et européen (Equal). L’ob-jectif de ces expériences de mon-naie solidaire est de ramener les échanges à une taille humaine et de favoriser la production locale, de donner à l’argent une odeur – celle de la réappropriation d’un outil qui a été confisqué par la finance.

Monnaie solidaire

Les expériences de monnaie locale naissent un peu partout en France. Comme le sol-violette. Par olivier Laffargue I Journaliste

le sol-Violette > adhésion à l’association : 15 euros

(les bénéfices vont à des associations

de chômeurs).> coupures : 1, 5 et 10 sols.> accepté par 40 commerces.> Fonte : il perd 2 % de sa valeur

s’il n’est pas échangé pendant un trimestre.> Il est indexé sur l’euro, mais 100 sols s’achètent et se revendent

95 euros. on gagne à en acheter, pas à en revendre.

> 22 000 sols sont en circulation pour plus de 500 adhérents.

Éco89 I ViVre aVec la crise

permet de le géolocaliser après réservation, et de l’ouvrir sans clé. Cette société a obtenu qu’un grand assureur (MMA) adapte ses contrats à ce nouveau service et revendique « zéro sinistre » depuis sa création.Sans être une menace pour le secteur de la bagnole, l’autopartage entre particuliers reste une alternative plus conviviale et deux fois moins chère à la location traditionnelle. L’occasion de rencontres aussi. Ainsi, Marie-Christine a entendu parler par hasard d’Une voiture à louer, et a voulu essayer. Cette propriétaire d’un hôtel près d’Orléans a loué une de ses deux voitures, « pour s’amuser, pas pour l’argent » : « Je vais chercher les gens à la gare et je les amène jusqu’à chez moi. Ils sont partis un mois avec ma voiture pour 280 euros. Elle est revenue impeccable. »Côté locataires, cette flexibilité que permet le rapport à l’amiable est très recherchée. Jean loue fréquemment de grandes voitures pour de grands trajets. Il a essayé Zilok et Voiture-lib’ « et, même si les voitures ne sont jamais dernier cri, les propriétaires ont toujours été réglo ». Une sept-places se monnaie autour de 200  euros pour quatre jours et 1 500 kilomètres, et surtout « on peut la rendre à 23 heures, et la caution n’est que de 500 euros ».Antonin Léonard, animateur du Blog de la consommation collaborative, souligne que, pour durer, le secteur devra rester crédible en misant sur la confiance, et donc sur les assu-rances : « Plus ça s’étend, plus ça peut donner des idées à des petits malfrats qui en profiteront pour voler une voi-ture. Et plus, les loueurs traditionnels vont s’inquiéter d’une éventuelle concurrence, comme l’industrie tou-ristique avec la location d’apparte-

toulouse

Quelques principes le définissent : le social, la proximité, l’échange. Il s’ins-crit contre la spéculation, grand mal économique désigné en ces temps de turbulences. Une cagnotte de sols ne doit pas être stockée car le billet perd 2 % de sa valeur s’il n’est pas échangé avant trois mois. Jean-Paul Pla, conseiller municipal délégué à l’économie sociale et soli-daire, est le père du projet toulousain. Il se dit surpris par le succès de son sol-violette : « On a bien plus d’adhé-rents que prévu. Chaque mois, une dizaine de nouvelles entreprises demandent à entrer dans le réseau. » En trois mois, 500 cartes d’adhésion avaient été souscrites, le chiffre prévu pour un an ; 22 000 sols étaient en circulation dans un réseau d’une cinquantaine d’entreprises ; aucun sol n’avait encore perdu de sa valeur faute de ne pas être passé en de nou-velles mains. Les expériences de monnaie com-plémentaire ne datent pas d’hier. L’Allemand Silvio Gesell (1862-1930) a forgé le concept de « monnaie franche » dès 1916 ; WIR, une banque suisse sans but lucratif, émet sa propre monnaie depuis 1934 et

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I # 13 I septembre 2011 I 91

compte 60 000 PME partenaires ; Lignières-en-Berry a lancé une expé-rience de monnaie locale en 1956 pour lutter contre l’exode rural ; et, en Argentine, le credito a connu un grand succès pendant la crise éco-nomique. Aujourd’hui, le mouvement s’accé-lère en France, et des monnaies locales fleurissent un peu partout. L’abeille, lancée il y a un an et demi à Villeneuve-sur-Lot, fait un peu figure de vétéran. L’Ardèche a la luciole, le pays de Romans la mesure, Pezenas l’occitan, Grenoble le sol alpin (une des rares monnaies à pos-séder un compte Twitter) et les Vosges le déodat. Lille travaille à son propre projet, et Lyon a a fait un test de trois jours pendant un festival. Dans ce mouvement, Toulouse veut être un exemple : « Beaucoup de villes

m’ont contacté, dit Jean-Paul Pla :

Brest, Nantes, Le Havre, Lyon, Per-

pignan, Barcelone… Toutes étaient

très intéressées par l’expérience. »

le sol-violette fond dans la main

(s’il n’est pas utilisé, il perd de sa valeur).

La défiance envers la finance

et les banques donne un coup de fouet à ces expériences depuis deux ans. Philippe Derudder, consultant en économie alternative, explique que le mouvement est mondial et touche l’Amérique latine, le Japon, le Canada, l’Allemagne… « La crise a

été un catalyseur, dit-il. C’était le

moment. »

L’argumentaire est rodé : un euro confié à la banque disparaît sans que l’on sache exactement où. Un sol reste sur place et profite aux acteurs économiques locaux, de préférence sociaux, et personne ne spécule avec : « On a le sentiment de répondre à un

besoin, celui de donner un sens à la

vie et à l’argent, dit Françoise Lenoble, la présidente de l’association qui a mis en place l’abeille de Villeneuve.

Aujourd’hui, les gens voient les consé-

quences de notre économie et se disent

qu’il faut changer les choses. »

Les expériences de monnaie locale sont aussi un bon coup de pub pour

les acteurs sociaux : « On a gagné en

visibilité et en presse, dit Fabrice Domingo, gérant de la librairie Terra Nova, à Toulouse. Il y a des clients

qui découvrent notre existence par

notre appartenance au réseau. »

Le libraire a vu passer près de 1 000 sols dans sa caisse, ne regrette ni les 5 % de recettes perdues – la rançon du militantisme – ni les sou-cis d’écoulement de sa cagnotte en monnaie solidaire : « On a dû revendre

beaucoup de nos sols en euros car de

nombreux fournisseurs ne les

acceptent pas, en particulier les dis-

tributeurs de livres. Alors on se replie

sur notre activité de restauration, sur

les artisans comme les plombiers, sur

les salaires, dont une partie pourra

être réglée en sols. »

Le philosophe et militant altermon-dialiste Patrick Viveret, à l’origine du projet sol à l’échelle nationale, souligne les vertus pédagogiques de l’expérience : « Reprendre pied sur la

monnaie, c’est reprendre pied sur le

bien public, dit-il. Le sol est aussi le

prototype d’une solution à l’aggrava-

tion de la crise qui se profile. »

Le sol ne remplacera pas l’euro et n’offrira pas une béquille au système menacé d’effondrement. Son avenir est ouvert : « Si les gouvernements

mènent des politiques régulatrices à

la hauteur, toutes ces monnaies dis-

paraîtront d’elles-mêmes puisqu’elles

n’auront plus d’objet. A l’inverse, elles

pourront devenir une alternative au

pillage pour faire circuler les richesses

au niveau réel. »

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En Australie, des femmes aborigènes s’af-fichent dans les rues de leur quartier. Des étudiants écossais s’agitent à Edimbourg. A Moscou, un groupe colle des visages d’incon-nus pour dénoncer l’homophobie. Tous font

partie d’« Inside Out », un projet d’art global complète-ment fou lancé il y a six mois par JR, photographe qui sillonne la planète depuis qu’il a attrapé le virus de l’affichage sauvage, il y a dix ans. L’histoire commence en mars, quand JR reçoit le pres-tigieux TED Prize (Technology, Entertainment and Design), doté de 100 000 dollars pour « faire un vœu assez grand pour changer le monde ». L’artiste imagine le projet « Inside Out » pour mettre la planète sens des-sus dessous – « un projet artistique participatif à grande échelle qui transforme les messages sur l’identité person-nelle des gens en une œuvre artistique ». « Inside Out » invite à placarder des visages dans le monde entier : « En utilisant des portraits en noir et blanc, chacun peut faire partager les histoires et les images de gens à travers le monde », explique JR. Concrètement, on envoie son portrait sur le site, JR l’imprime et envoie

une affiche de taille XL à coller (ou pas) dans un lieu qui recouvre une signification particulière. La participation financière est libre. « Il n’y a ni marque ni sponsor derrière, explique le globe-trotteur de 28 ans. Si demain 50 000 personnes parti-cipent sans rien donner, on met la clé sous la porte, mais pour l’instant ça tient. » Plus de 35 000 quidams ont déjà « uploadé » leur portrait sur le site. En France, le phé-nomène reste mineur, même si deux Photomaton géants sont installés aux Rencontres d’Arles et au Centre Pom-pidou jusqu’à la fin de l’été.Aux Etats-Unis et dans les pays arabes, l’accueil est bien plus enthousiaste. Par milliers, des inconnus s’ap-proprient les murs de leur ville. Sur le site, de petites histoires accompagnent chaque portrait. A Pensacola (Floride), James A. placarde le visage de son amie, atteinte d’un cancer ; à Montevideo, Naso U. recycle les ordures de rues… Sur tous les continents, il est question d’espoir, de liberté, d’amour, parfois de militantisme. Une somme de passages à l’acte hyperlocaux pour une prise de parole globale : c’est ainsi que JR ambitionne de changer le monde.

LE mondE sELon JRAfficheur sauvage, l’artiste français se raconte à travers les lieux qu’il parcourt depuis dix ans pour coller et faire coller. Par Aurélie Champagne I Rue89

la culture I gRaffitis

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Page 11: Rue89 Le Mensuel, extrait du numéro 13

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2004-2005. Cité des Bosquets,

Montfermeil (Seine-Saint-Denis)En 2004, on a commencé par coller ces photos, de nuit. Le lendemain, on s’est fait tacler par la ville pour dégradation de bien public. Les émeutes ont éclaté un an pile après qu’on a collé cette photo d’un homme tenant une caméra comme une arme [ci-dessus]. On ne savait pas qu’elles exploseraient devant cette affiche et lui donneraient un autre sens. A ce moment-là, le quartier était bloqué, les journalistes ne rentraient plus. De l’étranger, les gens avaient l’impression que Paris brûlait. Il n’y avait que cette image qui trônait aux Bosquets. Ensuite, j’ai commencé à travailler sur le projet « 28 millimètres » : je photographiais des types de Montfermeil et je les collais un peu partout dans Paris, avec leur nom, leur âge, leur adresse avec leur numéro de bâtiment. Ils étaient des « mecs de banlieue » dans les médias, mais sur les affiches ils devenaient des gens qu’on pouvait

reconnaître. On pouvait aller frapper à leur porte… Peu après, on a obtenu une autorisation dela mairie du IVe et on a collé tous les portraits ensemble, rue des Blancs-Manteaux : ça a été mon premier collage de rue légal.

2001. Rue de Fourcy, Paris IVe

Quand j’ai collé ces trois petites photos (« Mon expo à moi, c’est la rue »), je ne savais même pas que la Maison européenne de la photographie était à deux pas. C’était un mur à un angle de rue, prisé par les graffitis, il était libre. Je venais du graffiti, je n’avais aucune idée de ce qu’était la photo, un musée. Un an plus tôt, j’avais trouvé un appareil photo dans le métro et je m’y étais mis.

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2007. Ramallah, PalestinePour « Face 2 Face », je suis parti réaliser des portraits d’Israéliens et de Palestiniens qui exerçaient le même métier. Je les ai collés par paires, là où les gens me prêtaient leur mur.

2008. Nairobi, KenyaKibera est l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique. Il n’y a pas de noms de rues. On a collé les photos sur les toits. Elles se voient encore aujourd’hui sur Google Earth.

2008. Favela Morro da Providência, Rio de Janeiro, BrésilProvidência est la première favela du Brésil. Les rues n’ont pas de nom sur la colline. Aucune association ou ONG ne pouvait y travailler. Quand on est arrivés, c’est comme si on était invités chez quelqu’un. On a eu affaire aux gangs, mais le fait d’avoir finalement été accepté pour faire ce projet a marqué un tournant dans mon travail. On a ouvert un centre culturel pour laisser quelque chose. Depuis trois ans, le quartier a évolué. Il s’est pacifié. Aujourd’hui, les taxis y vont. Le centre culturel va être détruit parce que la ville réhabilite le quartier et qu’un téléphérique est prévu. On arrive dans un endroit dans un climat de guerre. Ensuite vient la paix, des projets se mettent en place, et l’espace où vous aviez créé est rasé. Il avait sa place, il ne l’a plus. Les choses changent, et c’est bien : c’est le sens de la marche.

2010. Shanghai, Chine Pour « The Wrinkles of the City », j’ai cherché des endroits où les murs étaient chargés d’histoire et j’ai collé des visages ridés, qui en portaient une autre. Le tag ne fait tellement pas partie de la culture que j’ai eu le temps de coller. Les gens observaient, mais n’interagissaient pas. On a fini par se faire convoquer par la police : on ne m’expliquait jamais que mes collages étaient illégaux, mais que c’était dangereux pour ma sécurité. C’était très étrange, très calme, je n’ai jamais vécu ça ailleurs. Je suis reparti sans savoir si les gens avaient compris ce que je faisais.

la culture I gRaffitis

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Sidi Bouzid, TunisieAu final, je suis resté dix jours en Tunisie. Il y a eu Sfax, puis Tunis et Sidi Bouzid, la ville où le jeune homme s’est immolé au début du soulèvement.On a empilé avec une grue les premières voitures qui ont brûlé pendant la révolution.

2011. Sfax, Tunisie C’est l’un des premiers projets d’« Inside out ». On a été contactés par six photographes en Tunisie qui voulaient faire des portraits de Tunisiens. Certains avaient participé à la révolution. C’est le fonctionnement même d’« Inside out » : ça ne doit venir que des gens. Pour aller plus vite, on est allés donner nous-mêmes les tirages aux photographes et on les a suivis dans l’aventure. Le 12 mars, on a atterri en Tunisie. Là-bas, j’ai été marqué par Sfax : sur la place, en face de la mairie, il y avait le plus grand portrait de Ben Ali du pays. Les gens sont venus, et tout le monde s’est mis à coller des mosaïques de portraits. Et puis ça a commencé à chauffer. Quand les gens se sont mis à arracher les affiches, un bonhomme a dit : « Vous avez le droit de coller des

affiches, et d’autres ont le droit de les déchirer : c’est le principe de la démocratie, et on est en train de l’apprécier. »Les gens ont eu des problèmes en collant : certains pensaient que c’était des martyrs, d’autres qu’il s’agissait d’une nouvelle campagne politique. Au final, les colleurs ont réussi. La réussite ne tient pas au fait que les photos soient restées ou non, mais plutôt au fait que les gens aient touché aux murs : en collant ou en arrachant les images.

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