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58 SCIENCES ET AVENIR - NOVEMBRE 2011 DOSSIER La science et la mort NOVEMBRE 2011 - SCIENCES ET AVENIR 59 A partir de quand constate-t-on un décès ? Si la loi définit des critères stricts, la définition de la mort ne cesse d’évoluer au sein même du corps médical. Car plus qu’un événement, elle est un processus. Cet instant insaisissable où tout bascule « Mort : qui a cessé de vivre », dit le diction- naire. Mais la réalité est bien plus com- plexe. Pendant des millénaires, il a suffi que le cœur s’arrête de battre pour que le décès soit déclaré. Une simplicité qui allait de pair avec des moyens diagnostiques plus que ru- dimentaires : croquer un orteil, attendre que la buée se dépose sur un miroir posé près de la bouche du mourant… Mais au- jourd’hui, quand est-on déclaré mort ? Tou- jours lorsqu’un médecin, souvent un réani- mateur, le constate selon une somme de critères bien définis par la loi (1) : absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée, abolition de tous les réflexes du tronc cérébral, absence de ventilation spontanée. En 2011, 75 % des décès ont eu lieu à l’hôpital. Mais quel que soit le scéna- rio, les premiers rôles sont toujours tenus par les mêmes acteurs incontournables : le duo cœur-poumon et le cerveau. Et tout dé- pend de celui qui « flanche » en premier. Petit rappel de physiologie. D’un côté, la pompe cardiaque reliée aux poumons assure la circulation du sang dans tous les organes du corps, cerveau compris. De l’autre, le cerveau contrôle en partie le cœur par le biais du tronc cérébral, une structure reliant les deux hémisphères à la moelle épinière et présidant au fonc- tionnement de certaines fonctions vitales : battements cardiaques, respiration, tension artérielle, mais encore mobilité des yeux, déglutition. « Le cerveau est l’organe le plus sensible au manque d’oxygène. On estime qu’en moyenne, ses cellules ne supportent pas plus de trois minutes d’anoxie sans souffrir de lésions irréver- sibles. Un délai qui peut s’allonger en cas de froid extrême, de noyade, de prises de substances toxiques », précise le Dr Jean- Christophe Tortosa, réanimateur à l’hôpital Saint-Camille, à Bry-sur-Marne (Val-de- Marne). L’ensemble cœur-poumons peut « lâcher » en premier, en cas d’infarctus, de troubles du rythme cardiaque, de détresse respira- toire aiguë, etc. La situation est alors tou- jours la suivante : le pouls s’arrête, la per- sonne perd conscience, ne respire plus et ne réagit plus. C’est là que les urgentistes, les yeux rivés sur des écrans, massent, intu- bent, défibrillent… Des manipulations, qui à partir du moment où les efforts de réani- mation sont entrepris, durent au moins trente minutes. Si elles échouent, le constat de décès est prononcé et signé par le méde- cin. Si un don d’organe est envisagé, cinq minutes supplémentaires sont requises, pendant lesquelles aucun geste thérapeu- tique n’est effectué avant que les équipes de transplantation interviennent. Toutefois, selon l’âge de la victime, son état général et, bien sûr, la rapidité d’intervention des secours, les réanimateurs sont souvent confrontés à des cas où le cœur repart après quarante, soixante, quatre-vingt-dix minutes de massage cardiaque, voire plus. « Jusqu’où aller, quand arrêter… autant de questions auxquelles il faut répondre rapidement, et souvent seul », note le Pr Sadek Beloucif, responsable du service de réanimation à l’hôpital Avicenne, à Bobi- gny, et ancien président du conseil d’orien- tation de l’Agence de la biomédecine. Un isolement qui peut parfois se révéler délé- tère… Un fait divers tout à fait exception- nel a ainsi été rapporté par le journal brési- lien El Globo en septembre. Un diagnostic erroné de décès avait été porté sur une femme de 60 ans, qui a séjourné deux heures dans un sac mortuaire avant que sa « Si tu veux pouvoir supporter la vie, sois prêt à accepter la mort. » Sigmund Freud fille, venue se recueillir auprès d’elle, constate qu’elle respirait encore ! Le méde- cin à l’origine de l’erreur a démissionné… Parfois, c’est le cerveau qui « lâche » en pre- mier, comme dans le cas d’un traumatisme crânien grave ou d’un accident vasculaire cérébral étendu. Dans ce cas, l’examen cli- nique mais aussi le scanner et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) attestent de l’étendue des lésions cérébrales. Si celles-ci sont massives, le pronostic neurologique s’assombrit, annulant tout espoir de récu- pération. Quand la circulation cérébrale est totalement interrompue, on parle de « mort encéphalique » ou de « mort cérébrale », un terme utilisé depuis moins de cin- quante ans. Or, les discussions qui ont conduit à sa définition officielle – la perte irréversible des fonctions du cerveau – ont très exactement coïncidé avec l’avènement des techniques de réanimation et le début des greffes à la fin des années 1960. Un té- lescopage qui, aujourd’hui encore, n’en finit pas d’être commenté. « Ce contexte de la transplantation a incontestablement brouillé le débat. Sans lui, se serait-on posé la question de savoir si les patients étaient morts ou vivants ? Probablement pas ! », s’interroge le Dr Laura Bossi, neu- rologue et historienne des sciences. Or, un corps tout juste mort peut, sous certaines conditions encadrées en France par l’Agence de la biomédecine – et toujours après accord des familles –, devenir Cœur, poumons et cerveau sont les acteurs incontournables Les progrès des techniques de réanimation (ici dans un service d’urgence) repoussent toujours plus loin les limites de la vie. LARRY MULVEHILL / BSIP

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58 ScienceS et Avenir - novembre 2011

dossier La science et la mort

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A partir de quand constate-t-on un décès ? Si la loi définit des critères stricts, la définition de la mort ne cesse d’évoluer au sein même du corps médical. Car plus qu’un événement, elle est un processus.

Cet instant insaisissable où tout bascule

« Mort : qui a cessé de vivre », dit le diction-naire. Mais la réalité est bien plus com-plexe. Pendant des millénaires, il a suffi que le cœur s’arrête de battre pour que le décès soit déclaré. Une simplicité qui allait de pair avec des moyens diagnostiques plus que ru-dimentaires : croquer un orteil, attendre que la buée se dépose sur un miroir posé près de la bouche du mourant… Mais au-jourd’hui, quand est-on déclaré mort ? Tou-jours lorsqu’un médecin, souvent un réani-mateur, le constate selon une somme de critères bien définis par la loi (1) : absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée, abolition de tous les réflexes du tronc cérébral, absence de ventilation spontanée. En 2011, 75 % des décès ont eu lieu à l’hôpital. Mais quel que soit le scéna-rio, les premiers rôles sont toujours tenus par les mêmes acteurs incontournables : le duo cœur-poumon et le cerveau. Et tout dé-pend de celui qui « flanche » en premier. Petit rappel de physiologie. D’un côté, la pompe cardiaque reliée aux poumons assure la circulation du sang dans tous les organes du corps, cerveau compris. De l’autre, le cerveau contrôle en partie le cœur par le biais du tronc cérébral, une structure reliant les deux hémisphères à la moelle épinière et présidant au fonc-tionnement de certaines fonctions vitales : battements cardiaques, respiration, tension artérielle, mais encore mobilité des yeux, déglutition. « Le cerveau est  l’organe  le 

plus sensible au manque d’oxygène. On  estime  qu’en  moyenne,  ses  cellules  ne  supportent  pas  plus  de  trois  minutes d’anoxie sans souffrir de lésions irréver-sibles. Un délai qui peut s’allonger en cas de froid extrême, de noyade, de prises de substances toxiques », précise le Dr Jean-Christophe Tortosa, réanimateur à l’hôpital Saint-Camille, à Bry-sur-Marne (Val-de-Marne). L’ensemble cœur-poumons peut « lâcher » en premier, en cas d’infarctus, de troubles du rythme cardiaque, de détresse respira-toire aiguë, etc. La situation est alors tou-jours la suivante : le pouls s’arrête, la per-sonne perd conscience, ne respire plus et ne réagit plus. C’est là que les urgentistes, les yeux rivés sur des écrans, massent, intu-bent, défibrillent… Des manipulations, qui à partir du moment où les efforts de réani-mation sont entrepris, durent au moins trente minutes. Si elles échouent, le constat de décès est prononcé et signé par le méde-cin. Si un don d’organe est envisagé, cinq minutes supplémentaires sont requises, pendant lesquelles aucun geste thérapeu-tique n’est effectué avant que les équipes de transplantation interviennent. Toutefois, selon l’âge de la victime, son état général et, bien sûr, la rapidité d’intervention des secours, les réanimateurs sont souvent confrontés à des cas où le cœur repart après quarante, soixante, quatre-vingt-dix minutes de massage cardiaque, voire plus.

« Jusqu’où aller, quand arrêter… autant de questions auxquelles il faut répondre rapidement, et souvent seul », note le Pr Sadek Beloucif, responsable du service de réanimation à l’hôpital Avicenne, à Bobi-gny, et ancien président du conseil d’orien-tation de l’Agence de la biomédecine. Un isolement qui peut parfois se révéler délé-tère… Un fait divers tout à fait exception-nel a ainsi été rapporté par le journal brési-lien El Globo en septembre. Un diagnostic erroné de décès avait été porté sur une femme de 60 ans, qui a séjourné deux heures dans un sac mortuaire avant que sa

« Si tu veux pouvoir supporter la vie, sois prêt à accepter la mort. » Sigmund Freud

fille, venue se recueillir auprès d’elle, constate qu’elle respirait encore ! Le méde-cin à l’origine de l’erreur a démissionné…Parfois, c’est le cerveau qui « lâche » en pre-mier, comme dans le cas d’un traumatisme crânien grave ou d’un accident vasculaire cérébral étendu. Dans ce cas, l’examen cli-nique mais aussi le scanner et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) attestent de l’étendue des lésions cérébrales. Si celles-ci sont massives, le pronostic neurologique s’assombrit, annulant tout espoir de récu-pération. Quand la circulation cérébrale est totalement interrompue, on parle de « mort

encéphalique » ou de « mort cérébrale », un terme utilisé depuis moins de cin-quante ans. Or, les discussions qui ont conduit à sa définition officielle – la perte irréversible des fonctions du cerveau – ont très exactement coïncidé avec l’avènement

des techniques de réanimation et le début des greffes à la fin des années 1960. Un té-lescopage qui, aujourd’hui encore, n’en finit pas d’être commenté. « Ce contexte de la transplantation  a  incontestablement brouillé  le débat. Sans  lui, se serait-on posé la question de savoir si les patients étaient morts ou vivants ? Probablement pas ! », s’interroge le Dr Laura Bossi, neu-rologue et historienne des sciences. Or, un corps tout juste mort peut, sous certaines conditions encadrées en France par l’Agence de la biomédecine – et toujours après accord des familles –, devenir

Cœur, poumons et cerveau sont les acteurs incontournables

Les progrès des techniques de réanimation (ici dans un service d’urgence) repoussent toujours plus loin les limites de la vie.

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un donneur potentiel d’organes. Car dans ce cas précis où le cerveau est irrémé-diablement lésé, le cœur, lui, continue de battre encore spontanément quelques heures, assurant une bonne perfusion de l’ensemble des organes et laissant la porte ouverte à une transplantation. « C’est bien pourquoi les familles confrontées à des cadavres encore chauds dont le cœur bat ont  souvent  du  mal  à  penser  le  corps mort », soulève le Dr Guy Freys, réanima-teur aux Hôpitaux universitaires de Stras-bourg. Tout commence en 1959 avec les travaux de deux neurologues français, Pierre Mol-laret et Maurice Goulon, qui décrivent les premiers états de coma dépassé. Dix ans

plus tard, en 1968 aux Etats-Unis, un panel de dix médecins, un historien, un théolo-gien et un juriste (le Ad hoc Committee de la faculté de médecine Harvard) rédige un texte (2) qui fait toujours référence et défi-nit la mort encéphalique comme un coma irréversible. Quand ce comité se réunit, les premiers appareils de respiration artifi-cielle ont fait leur apparition dans les salles de réanimation, et la première greffe de cœur vient d’être réalisée (1967). Les

rédacteurs ne cachent pas à l’époque leurs intentions, formulant clairement leurs objectifs : désengorger les hôpitaux en débranchant les respirateurs artificiels et faciliter les transplantations. « La destruc-tion irréversible des fonctions cérébrales, inaccessible aux techniques de réanima-tion, est alors devenue le nouveau para-digme », résume le Pr Beloucif. En France, il faudra attendre vingt-huit ans pour qu’un décret fixe des critères neurologiques lé-gaux (1996). Ce texte, toujours en vigueur, impose un examen clinique au cours du-quel le médecin doit rechercher et consta-ter sans ambiguïté plusieurs éléments : la non-réactivité des pupilles face à une lu-mière brillante, l’absence de contraction

Les expériences de mort imminente font l’objet d’une étude pilotedes paupières quand il effleure la cornée, etc. D’autre part, il contraint à la réalisa-tion de deux types d’examen au choix : soit deux électroencéphalogrammes (EEG) à quatre heures d’intervalle, qui doivent être tous deux plats et aréactifs, soit une arté-riographie cérébrale (radiologie des ar-tères du cerveau) prouvant l’interruption du flux sanguin. « Cette assimilation lé-gale de la mort cérébrale à la mort est ré-gulièrement débattue en raison de sa lo-gique  utilitariste.  Elle  a  aussi  été interprétée différemment selon les pays », observe David Rodriguez-Arias, éthicien et enseignant en philosophie à l’université de Salamanque (Espagne). Ainsi, de l’autre côté des Pyrénées, un seul EEG suffit. « On peut être déclaré mort à 17 heures à Ma-drid mais seulement à 22 heures à Pa-ris », remarque le Dr Guy Freys. Autre curiosité : en Grande-Bretagne et en Inde, seuls des tests cliniques sont utilisés. Pourtant, cet état de mort encéphalique est bien distinct d’un état végétatif (lire l’enca-dré p. 62) où le patient conserve une respi-ration spontanée, ouvre les yeux, émet des sons, à l’inverse d’une personne encéphali-quement morte. D’ailleurs, les résultats de l’enquête Inconfuse (3) menée par David Rodriguez-Arias (2002) auprès de méde-cins français, espagnols et américains, sont à la fois surprenants et édifiants : ils montrent que pour les professionnels eux-mêmes, les limites ne sont pas toujours nettes ! Ainsi, une partie du panel interrogé persiste à croire qu’un donneur en état de mort cérébrale ne meurt… qu’après prélè-vement de son cœur ! Et plus de la moitié déclarent « vivants » des patients en mort cérébrale. Ce travail a aussi pointé que quatre méde-cins sur dix acceptent un pluralisme quant à la définition de la mort, cette détermina-tion du moment où une personne est vi-vante ou morte ne dépendant pas seule-ment de faits objectifs mais aussi de jugements de valeur où se mêlent philoso-phie et religion. Cette situation de mort encéphalique reste toutefois rare. Moins de 2 % des décès. Et elle n’augmente pas, en raison de la baisse régulière des accidents de la route et de la meilleure prise en charge des accidents vasculaires céré-braux (AVC). En revanche, la mort par arrêt cardio-respiratoire reste plus fré-quente. Soit 50 000 cas par an en France. Des situations qui, malgré les techniques les plus modernes de réanimation, ont une issue souvent fatale, « les taux de survie étant inférieurs à 5 % si l’arrêt survient à domicile et de 20 % à l’hôpital », rappelle le Dr Tortosa. Mais alors, « si on ne meurt qu’une fois, quand précisément ? », interrogeait,

Mortalité et espérance de vie dans le monde

En France, trois grandes causes de décès

68ans

76ans

48ans

Cancers

161 000

Maladies cardio-vasculaires

149 000

Accidents

25 000

1 s1,9

24 h158 857

Chaque pays exige des examens différents pour constater le décès

« Nous mourrons un jour et c’est là notre chance. » Richard Dawkins, biologiste

Sierra Leone

dans le monde

En Europe

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50

8

51 % 49 %

21 grammes

n 58 millions de décès dans le monde par an (dont plus de 7 % d’enfants de moins de 5 ans)

n Proportions et principales causes de décès (par sexe)

n 500 000morts chaque année, dont 25 % avant 65 ans.

n L’arrêt cardio-respiratoire est responsable de 50 000 décès par an, soit près de 200 décès par jour

n Causes les plus fréquentes (par an)

n Nombre de décès dans le monde (par seconde et par jour)

1re cause de mortalité : les maladies cardio-vasculaires

n Espérance de vie

moyenne (EDV).

Dans certains pays

d’Afrique, très touchés

par le sida ou les conflits,

l’EDV est beaucoup plus

courte.

C’est la perte de poids corporel observée par le Dr Duncan MacDougall, médecin américain, chez des mourvants en 1907. Et le New York Times de titrer alors « l’âme a un poids ». L’explication est plus certainement à chercher du côté du relâchement musculaire, de la perte de sueur.

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99 % des décès des enfants de moins de 5 ans surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

1 Cancers2 Maladies cardio- vasculaires 3 Accidents

1 Maladies cardio- vasculaires 2 Cancers 3 Accidents

ne lles » fascinent. « Elles », ce sont les EMI, expériences de mort imminente (Near Death

Experience). Autrement dit, ces visions de « lumière blanche » au bout d’un tunnel, ces impressions de « sortir » de son corps, etc. Autant de sensations rapportées par une partie de ceux qui ont frôlé la mort, cru qu’ils allaient mourir, bref, ceux qui « en sont revenus ». Selon une étude néerlandaise (1), environ 12 % des personnes réanimées à la suite d’un arrêt cardio-respiratoire auraient vécu une EMI, des épisodes fréquemment relayés sur Internet par des sites spécialisés. En France, le Dr Jean-Pierre Jourdan, généraliste, a recueilli de nombreux témoignages (2). « Mais contrairement à ce que l’on dit, les EMI ne sont pas toujours paradisiaques ! Les patients rapportent aussi des visions de flammes et de démons, très angoissantes », souligne le Dr Jean-Pierre Postel, anesthésiste réanimateur à l’hôpital de Sarlat. Ce médecin, qui a vécu par empathie une expérience de ce type alors qu’il se tenait aux côtés de son père mourant, est l’un des rares à s’intéresser scientifiquement à ces phénomènes. Depuis deux ans, il mène dans son service une étude pilote pour le moins originale : il a disposé des enveloppes scellées contenant des images, seules connues d’un huissier de justice, dans la salle de réveil. Un patient les verra-t-il un jour lors d’une EMI ? Afin de limiter les biais possibles, une version électronique a été développée. Les images défilent de manière aléatoire sur un écran

d’ordinateur contenu dans une boîte scellée et emballée comme un paquet cadeau, volontairement incongrue dans un tel lieu. Chaque patient est systématiquement interrogé à son réveil. En vain pour l’instant… L’anesthésiste a aussi ouvert depuis un an une consultation gratuite sur ce thème. Une vingtaine de personnes venues de toute la France, souvent très angoissées, lui ont ainsi raconté leur expérience et leur difficulté face à l’incompréhension générale. « On commence tout juste à admettre, pas à expliquer », résume le Dr Postel. Il a également créé un groupe de travail, en collaboration avec l’unité de soins palliatifs de l’hôpital de la Timone à Marseille, des physiciens, un psychiatre, un psychologue, des éthiciens et un anthropologue. L’objectif est d’établir un protocole de lecture à distance, non plus pour des patients au réveil de l’anesthésie, mais pour des volontaires pratiquant la méditation. Pour certains neuroscientifiques, ces phénomènes pourraient tout à fait s’expliquer par un dysfonctionnement cérébral. Des expériences ont en effet démontré qu’une stimulation de certaines zones du cerveau, les aires visuelles, la privation d’oxygène ou encore la prise de certaines drogues utilisées en anesthésie (kétamine) pouvaient mimer des EMI. Des explications qui ne satisfont évidemment pas ceux qui pensent qu’il existerait une forme de survivance après la mort. S. R.-M.(1) The Lancet 2001, 358, 2039-2045.(2) Deadline. Dernière limite, éditions Pocket.

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Le perfectionnement des techniques de réanimation a eu une conséquence

inattendue : la recrudescence de patients d’un genre nouveau, vivants mais peu ou pas conscients. Quatre états sont désormais identifiés : le coma (absence d’éveil et de conscience), l’état végétatif EV (pas de réponse à la commande ni de signes extérieurs de conscience), l’état de conscience minimale ECM (éveil et conscience fluctuante) et le locked-in syndrom (éveil et conscience mais absence quasi-totale de mouvement). C’est à ces patients que le Coma Science Group de l’université de Liège, dirigé par le neurologue Steven Laureys, consacre toutes ses recherches (lire S. et A. n° 759, mai 2010). Avec des avancées pionnières. « Nous avons démontré que l’EV et l’ECM, souvent confondus, sont bel et bien distincts », affirme Steven Laureys. Primordial, car « au contraire d’un EV, un patient en ECM ressent des émotions et perçoit

la douleur, ce qui implique des traitements antalgiques puissants et une rééducation. Nous avons même révélé en 2010 qu’ils pouvaient communiquer via l’imagerie cérébrale en activant préférentiellement une zone de leur cerveau. » Surtout, le pronostic de l’ECM est meilleur « avec des chances réelles de

récupération » alors que le tableau s’assombrit dans le cas d’un EV. Les chances d’émerger d’un état végétatif sont quasi nulles au bout d’un an après un traumatisme crânien, au bout de trois mois lorsqu’il y a eu un manque d’oxygène. Les individus entrent alors en « état végétatif permanent », et se pose la question de la fin de vie.

Poser le bon diagnostic est donc crucial. Pour ce faire, l’équipe belge utilise, entre autres, « l’échelle de récupération du coma », un protocole rigoureux d’examens. Il était temps. Selon une étude réalisée sur 103 patients en 2009, 41 % des individus diagnostiqués en EV étaient en réalité en ECM. « Nos recherches ne sont pas bien accueillies par tous, affirme pourtant le Pr Laureys. On nous accuse d’avoir pour objectif caché d’accélérer la fin de vie pour augmenter les dons d’organes. Or, notre seule vraie préoccupation est de bien documenter le diagnostic, le pronostic et les possibilités de traitement. » Dans ses cours, Steven Laureys enseigne la définition d’une « belle mort » : « Ne pas souffrir, garder le contrôle, savoir à quoi s’attendre et planifier en fonction. Mais aussi avoir du temps pour son développement spirituel, laisser quelque chose derrière soi et donner ainsi un sens à sa vie. » Elena Sender

Coma : vers une meilleure connaissance des états limitesun rien provocateur, le Dr Freys,

lors de son intervention aux Deuxièmes Journées internationales d’éthique en 2007. Si la question semble simple, les réponses le sont donc beaucoup moins. « Cette zone grise de l’agonie demeure très mal connue. Face à un arrêt cardiaque réfractaire à la réanimation, le décès survient en quelques minutes. Deux, trois ou cinq minutes ? On ne le sait pas exactement », précise le Dr Tortosa. De fait, en règle générale, le mo-ment exact de la mort importe finalement peu… sauf, toujours, en cas de prélève-ment en vue d’une transplantation. Là, il faut faire vite, parfois moins de deux heures, ce qui ne laisse pas à la mort le temps de s’installer.« En fait, la mort n’est pas un événement, résume le Pr Beloucif. Mais plutôt un pro-cessus, constitué de plusieurs étapes. » Qui poursuit : « La question centrale est de sa-voir à partir de quand un arrêt cardiaque peut être considéré comme irréversible. » Et le spécialiste de citer les travaux d’une collègue américaine, Gail Van Norman, anesthésiste à Seattle (Etats-Unis). « Pen-dant environ les deux premières minutes d’une réanimation, les fonctions cardio-respiratoires et neurologiques d’un indi-vidu sont probablement réversibles. Puis, jusqu’à  trente  minutes  environ,  ces mêmes fonctions deviennent progressive-ment irréversibles. » Soit au total moins de quarante-cinq minutes pour passer de vie à trépas. Mais, aujourd’hui, de nouveaux ou-tils de réanimation, les dispositifs d’assis-tance cardio-respiratoire extracorporelle

« La mort est intimement liée au développement de l’intelligence chez les êtres vivants. Toute sa vie, l’homme – comme toutes les espèces – la combat. Cette lutte nous pousse à avancer, à nous défendre, à développer des stratégies pour tenter d’y échapper. Cela permet l’évolution. C’est toute notre différence avec les particules élémentaires, qui, elles, ne meurent jamais. Les étoiles, elles aussi, naissent, vivent et meurent, et leur fin est riche de promesses. Toute leur vie, elles forgent en effet en leur cœur des éléments plus lourds que les seuls hydrogène et hélium présents après le Big Bang, il y a 13,7 milliards d’années. En mourant, elles expulsent alors des lambeaux de matière dans le milieu interstellaire, enrichissant ainsi l’Univers de nouveaux éléments qui permettront de fonder une génération stellaire plus complexe. Parce qu’elle est forgée à partir

d’éléments métalliques, cette deuxième génération d’étoiles a permis la formation de planètes et, au moins sur la Terre, l’éclosion de la vie. Chaque nouvelle génération stellaire apporte ainsi de la complexité au monde. De plus, la mort explosive de certaines étoiles est souvent le déclencheur de naissances : notre système solaire serait ainsi né grâce à l’onde de choc d’une supernova* voisine, qui aurait perturbé le nuage primordial. Ainsi, tout évolue selon des cycles, à toutes les échelles du cosmos. L’Univers lui-même va voir son énergie s’épuiser dans plusieurs milliards d’années. Il deviendra de plus en plus froid ; les étoiles s’éteindront une à une. La fin de l’énergie, c’est la mort de l’Univers : sans énergie, il n’y aura plus de vie. » Propos recueillis par Sylvie Rouat

* Explosion d’une étoile massive en fin de vie.

Trinh Xuan Thuan Astrophysicien à l’université de Virginie à Charlottesville, Etats-Unis.

« Elle développe notre intelligence »

La MorT vue par

(Extra Corporal Life Support, ECLS) – une sorte de « cœur-machine » – pourraient changer la donne. Ces techniques com-plexes de soutien au cœur défaillant ont fait une entrée très remarquée dans les salles de réanimation et les camions des urgentistes ces dernières années. Leur ma-niement reste réservé aux équipes très spé-cialisées mais elles pourraient bien trans-former le pronostic de l’arrêt cardiaque. Or, le sujet se révèle lui aussi très sensible car l’usage des ECLS pourrait interférer avec une pratique en plein développement en France : celle du prélèvement après dé-cès suivant un arrêt cardiaque (dit aussi à cœur arrêté (PCA) et survenant en dehors de l’hôpital. Il s’agit d’une possibilité de pré-lever des organes (toujours après discus-

sion avec les familles) non plus chez les seules personnes en état de mort encépha-lique mais aussi chez celles décédées par arrêt cardiaque réfractaire à la réanimation Un discret décret (2005) autorise cette pra-tique dans une dizaine de centres pilotes. Epineux problèmes éthiques en prévi-sion… «  La  science  va  plus  vite  que l’éthique et la réflexion », analyse le Pr Dan Longrois, responsable du service d’anesthé-sie-réanimation à l’hôpital Bichat (Paris). Au final, la mort n’est donc plus tout à fait ce qu’elle était. Comme l’écrivait le philo-sophe français Gabriel Marcel (1889-1973), « la mort était un mystère, elle est désor-mais un problème ».  Sylvie Riou-Milliot

(1) En cas d’arrêt cardio-respiratoire persistant, ces trois critères simultanés sont requis selon l’article R1232-1 du code de santé publique. (2) JAMA. 1968 Aug 5;205(6):337-40.(3) Inconfuse Investigation sur le concept de mort employé par les professionnels en France, USA et Espagne.A lire : Mâle mort, Philippe Charlier, Fayard, 2009. Le Roman des morts secrètes de l’histoire, Philippe Charlier, éditions du Rocher, 2011.

« La vie est l’ensemble des fonctions capables d’utiliser la mort. » Henri Atlan, médecin et philosophe

Les progrès techniques permettent davantage de transplantations

Grâce à l’imagerie fonctionnelle comme le Pet-scan, il est possible de visualiser les différents états du cerveau. Etat végétatif ; état de conscience minimale ; locked-in-syndrom ; coma.

Service de réanimation de la polyclinique des Cèdres, à Mérignac (Gironde).

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