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Saint Augustin QUESTIONS SUR L'HEPTATEUQUE.

Saint Augustin › Bibliothèque › Oeuvres › StAugustin...TOME QUATRIÈME Commentaires sur l’Écriture Doctrine chrétienne –Genèse – Heptateuque – Job pp 375-589. QUESTIONS

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  • Saint Augustin

    QUESTIONS SURL'HEPTATEUQUE.

  • IN ŒUVRES COMPLÈTES

    DE

    SAINT AUGUSTINtraduites pour la première fois en français

    sous la directionde M. Poujoulat et de M. l’abbé Raulx

    Aumônier de l’asile de Fains

    TOME QUATRIÈMECommentaires sur l’Écriture

    Doctrine chrétienne –Genèse – Heptateuque – Jobpp 375-589.

    QUESTIONS SUR L'HEPTATEUQUE.Traduction de M. l'abbé POGNON.

    Je voudrais joindre ensemblesaint Augustin et saintChrysostome : l’un élève l’espritaux grandes considérations ; l’autrele ramène à la capacité du peuple.

    (Boss. Ed. de Bar. XI, 441)

    Bar-le-duc, L. Guérin et Cie, Éditeurs1866.

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  • QUESTIONS SUR L' HEPTATEUQUE

    LIVRE PREMIER. QUESTIONS SUR LAGENÈSE.

    INTRODUCTION.En lisant les Saintes Écritures qui portent le

    titre de canoniques, et en collationnant avec lesautres la version des Septante, il nous a paru bon,de peur d'en perdre la mémoire, de fixer par écritles questions qui se présentaient à notre esprit.Tantôt nous les rappellerons en peu de mots ;tantôt nous nous contenterons de les examiner ;d'autres fois encore, nous en donnerons comme àla hâte une solution quelconque. Notre desseinn'est pas de les développer autant qu'il seraitnécessaire, mais de pouvoir y jeter les yeux, quandbesoin sera, soit pour y retrouver l'indication desrecherches qu'il reste à faire, soit pour être àmême d'approfondir le sujet, à l'aide de ce quenous croyons avoir déjà pu découvrir, et derépondre aux difficultés. Si donc il est des lecteursque ne rebutent point les négligences de ce travailprécipité, et s'ils remarquent des questionsproposées et non résolues, ils ne doivent pas enconclure qu'ils ont perdu leur peine : c'est déjàavoir trouvé quelque chose, que de savoir ce quel'on cherche. Quand nos solutions semblerontraisonnables, qu'on ne dédaigne pas la simplicitéde notre langage, qu'on soit plutôt satisfait d'ydécouvrir quelque portion de la vérité : car on ne

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  • cherche pas la vérité pour discuter, mais ondiscute pour la chercher.

    Laissons de coté les questions relatives à cequi s'est passé depuis le commencement, alorsque Dieu, suivant le récit de l'Écriture, créa le cielet la terre, jusqu'à l'époque où il chassa du paradisles deux premières créatures humaines. Cesquestions peuvent être traitées de plusieursmanières, et nous les avons discutées nous-mêmeailleurs, selon nos forces1 ; voici donc celles quinous sont venues en pensée, au courant de lalecture, et que nous avons voulu laisser par écrit.

    PREMIÈRE QUESTION. (Gen. IV, 17.)Comment Caïn a-t-il pu bâtir une ville ? Une villeexige évidemment une certaine quantitéd'habitants. Or, il n'est parlé que des deux chefsde la famille humaine, et des deux fils dont l'unfut mis à mort par l'autre, et remplacé par lanaissance d'un troisième. Si l'on fait cettequestion, n'est-ce point parce que les lecteurss'imaginent qu'il n'y avait alors d'autres hommesque ceux dont l'Écriture rappelle la mémoire ?Mais ils ne réfléchissent pas que les deux premiersqui furent créés, et ceux qu'ils engendrèrent,vécurent assez longtemps pour en engendrer ungrand nombres d'autres. Adam lui-mêmen'engendra pas seulement ceux dont les nomsnous ont été conservés ; l'Écriture, parlant de lui,conclut en disant qu'il engendra des fils et des1 Voir ci-devant les trois ouvrages sur la Genèse.

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  • filles2. Enfin la vie de ces premiers hommes ayantété, beaucoup plus longue que celle des Israélitesen Égypte, et ceux-ci ayant pu, dans un tempsbeaucoup moins long, se multiplier d'une manièresi prodigieuse, qui ne comprend dès lors combiend'enfants ont pu naître au temps de Caïn etremplir sa cité

    II. (Ib. V, 25.) On demande souvent s'il estpossible que Mathusalam ait vécu après le déluge ; ce queprouve la supputation de ses années, tandis qu'ilest dit que tous les hommes périrent, à l'exceptionde ceux qui étaient entrés dans l'arche. Mais cequi donne lieu à cette question, c'estl'interpolation du texte dans plusieursexemplaires. L'hébreu dit autrement, et en s'entenant même au texte des Septante, on trouvedans plusieurs exemplaires, peu nombreux, il estvrai, mais plus dignes de foi, que Mathusalammourut six ans avant le déluge.

    III. (Ib. VI, 4.) On demande encore :comment les Anges ont-ils pu avoir avec les fillesdes hommes un commerce impur, d'où les géants,dit-on, seraient issus ? Cependant plusieursexemplaires, [376] tant grecs que latins, neportent pas anges, mais fils de Dieu ; et quelquescommentateurs- ont cru, pour résoudre ladifficulté, qu'il est question ici des hommesvertueux. Ils ont pu effectivement être appelésdes anges : n'est-il pas écrit de Jean, qui pourtant2 Gen. V, 4.

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  • était un homme : « Voici que j'envoie mon angedevant moi pour préparer ton chemin3. » Ce quipréoccupe, c'est de savoir comment les géants ontdû leur naissance à des hommes ; ou bien, s'il estici question des anges, et non des hommes,comment ces anges ont pu avoir commerce avecdes femmes ? Je ne vois pas, en vérité, que ce soitune merveille que des géants, c'est-à-dire deshommes d'une taille et d'une forceextraordinaires, aient dû leur naissance à deshommes : il y en eut de semblables, même aprèsle déluge, et aujourd'hui encore on trouve deshommes, et même des femmes, dont la hautestature tient du prodige. Il est donc plus rationnelde croire que les hommes justes, désignés sous lenom d'Anges ou de fils de Dieu, ont cédé àl'attrait de la concupiscence, et péché avec desfemmes, que de croire les anges, spirituels parnature, capables de descendre jusqu'à cetteignominie : tout ce qu'on dit de la propension decertains démons à tourmenter les femmes, nelaisse pas cependant que de rendre difficile unedéfinition sur cette matière.

    IV. (Ib. VI, 15.) On demande aussi comment,avec ses dimensions telles qu'elles sont décrites, l'arche deNoé put contenir tous les animaux qui y sont entrés, etleur nourriture. – Origène résout cette questionparle moyen de la coudée géométrique. Ce n'estpas en vain, dit-il, que l'Écriture nous représente3 Malach. III, 1.

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  • Moïse comme ayant été instruit dans toute lasagesse des Égyptiens4, qui cultivaient lagéométrie. La coudée géométrique, selon lui,équivaut à six de nos coudées. Or, en prenantcette grande mesure pour base de notre calcul, ilne faut plus demander si l'arche fut d'une capacitésuffisante pour contenir tout cela.

    V. (Ib. VI, 15.) Comment une arche de dimensionssi considérables a-t-elle pu être construite, dans l'espaced'un siècle, par quatre hommes, c'est-à-dire, par Noéet ses trois fils ? Si ce travail était au-dessus deleurs forces, il ne leur était pas difficile d'employerd'autres ouvriers. Ceux-ci, tout en recevant leursalaire, ne se seront pas inquiétés si l'entreprise deNoé était sage ou insensée, et ne seront pas entrésdans l'arche, parce qu'ils m'auront pas partagé lafoi de ce patriarche.

    VI. (Ib. VI, 16.) Que signifie cette parole relativeà la fabrication de l'arche : « Tu y feras un basétage, et une seconde voûte » ? – Le bas étage nedevait pas recevoir deux et trois voûtes. En seservant de cette distinction, Dieu a voulu faireentendre que l'arche tout entière devait avoir unlocal inférieur ; puis, au-dessus, un étage, qu'ilappelle une seconde voûte ; plus haut enfin, unautre étage, ou une troisième voûte. Ainsi, dans lapremière habitation, Je veux dire, dans la partieinférieure, l'arche avait une première voûte ; dansla seconde habitation, qui se trouvait au-dessus de4 Act, VII, 22.

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  • la première, elle était également voûtée ; aussil'était-elle encore et une troisième fois dans latroisième habitation, qui s'élevait au-dessus de laseconde.

    VII. (Ib. VI, 21.) Dieu dit que les animauxdevaient non seulement vivre, mais encore senourrir dans l'arche, et il donna ordre à Noé deprendre toute espèce de nourriture pour lui ettous les animaux qui devaient l'accompagner.Comment donc les lions et les aigles qui vivent de chair,ont-ils pu s'y nourrir ? Outre le nombre d'animauxdéterminé, en a-t-on introduit dans l'arche pourservir de nourriture à d'autres. Ou bien, ce qui estplus probable, faut-il se persuader que la sagessehumaine ou la lumière divine avait fait préparerpour ces animaux des aliments autres que de lachair et cependant convenables ?

    VIII. (Ib. VII, 8, 9.) Nombre inégal des animauxpurs et impurs. – « Les oiseaux purs et les oiseauximpurs, les animaux purs et les animaux impursavec tout ce qui rampe sur la terre, » sans doute,pur et impur, quoique cela ne soit pas exprimédans l'Écriture, « entrèrent dans l'arche avec Noé,deux à deux, mâle et femelle. » Pour distinguer lesanimaux impurs on disait d'eux précédemment :deux à deux ; pourquoi est-il rapporté iciindistinctement des animaux purs et des animauximpurs qu'ils sont. entrés deux à deux dansl'arche ? C’est que ceci n'a point rapport à laquantité, mais au sexe des animaux : dans toutes

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  • les espèces pures ou impures, il y a mâle etfemelle.

    IX. (Ib. VII, 15.) Que signifie : Esprit de vie ? –Il faut remarquer que cette parole : « en qui est« l'esprit de vie » s'applique non seulement auxhommes, mais encore aux animaux. C'est queplusieurs entendent de l'Esprit-Saint le passagesuivant : « Et Dieu répandit sur son visage l'Esprit[377] de vie5. » Quelques exemplaires portent avecplus d'exactitude : « un souffle de vie. »

    X. (Ib. VII, 20.) De l'élévation de l'eau au-dessusdes montagnes pendant le déluge. – A cause de ce querapporte l'histoire du mont Olympe, on demandesi l'eau tout entière du déluge surpassa de quinzecoudées les plus hautes montagnes, comme le ditl'Écriture. Mais si la terre a pu envahir l'espace decette région tranquille, inaccessible aux vents etaux tempêtes, pourquoi l'eau, en s'élevant,n'aurait-elle pu parvenir jusque là ?

    XI. (Ib. VII, 24.) Il est écrit : « L'eau s'éleva au-dessus de terre pendant cent cinquante jours. » – Celasignifie-t-il que l'eau s'accrut jusqu'au centcinquantième jour ou. qu'elle se maintint pendanttout ce temps à la hauteur qu'elle avait atteinte ?D'autres versions semblent préférer ce derniersens. Aquila dit en effet : Elle couvrit, etSymmaque : Elles conservèrent leur niveau.

    XII. (Ib. VIII, 1.) Sur plusieurs particularitésrelatives à la fin du déluge. – Il est écrit qu'au bout de5 Gen. II, 7.

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  • cent cinquante jours un vent fut envoyé sur laterre et que l'eau ne monta plus ; que les sourcesde l'abîme et les cataractes du ciel se fermèrent etenfin que la pluie cessa de tomber du ciel. Ondemande si ces choses se sont accomplies au boutdes cent-cinquante jours, ou si tout ce qui estrappelé dans cette énumération a commencéaprès les quarante jours de pluie ; dans ce cas lescent cinquante jours se rapporteraientuniquement à cette circonstance, que l'eau s'élevajusqu'à cette date, soit que la pluie cessât alors desortir des sources de l'abîme, soit que l'eaudemeurât à la même hauteur, tant qu'elle ne futpas desséchée sous l'action du vent : dans cettehypothèse, toutes les particularités dont il est faitmention ne se seraient pas réalisées au bout decent cinquante jours, mais le texte rappellerait.tout ce qui commença de s'opérer à partir duquarantième.

    XIII. (Ib. VIII, 6-9.) Sur le corbeau sorti del'arche. – Il est écrit qu'un corbeau fut lâché, et nerevint pas ; et qu'ensuite une colombe futenvoyée dehors, et revint, ne trouvant pas ouposer le pied. Ceci donne lieu à la questionsuivante : Le corbeau est-il mort, ou a-t-il puvivre d'une manière quelconque ? S'il put reposersur la terre, la colombe le put également. C'est cequi fait conjecturer à plusieurs que le corbeau apu s’attacher à quelque cadavre, tandis que lacolombe en a horreur naturellement.

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  • XIV. (Ib. VIII, 9.) Sur la colombe. – Une autrequestion se présente : Comment la colombe n'a-t-elle pas trouvé où poser le pied, si déjà, comme lecontexte et le récit le font voir, le sommet desmontagnes était à nu ? La question paraît êtrerésolue par ces deux considérations : ou larécapitulation mentionne comme arrivéesantérieurement les choses qui ne sont arrivées quepostérieurement ; ou plutôt, c'est que lessommets des montagnes n'étaient pas encoredesséchés.

    XV. (Ib. VIII, 21.) Caractère de l’ancien et dunouveau Testament. – Que signifie cette parole duSeigneur : « Désormais je ne maudirai plus la« terre à cause des œuvres de l'homme, car l'esprit« de l'homme est porté au mal dès sa jeunesse.« Je ne frapperai donc plus comme je l'ai fait« toute chair vivante. » Et après cela pourquoiDieu rapporte-t-il les bienfaits dont la générositéde son amour gratifie des hommes indignes ? Est-ce ici une figure des miséricordes qui signalent lenouveau Testament, et les vengeances passéesseraient-elles l'image de l'Ancien ? En d'autrestermes, la vengeance serait-elle le type dessévérités de la loi, et la bonté des douceurs de lagrâce ?

    XVI. (Ib. IX, 5.) Tous les hommes frères parl'unité d'origine. – Que signifient ces mots : « Et « jevengerai la mort de l'homme, de la violence « del'homme son frère ? » Dieu veut-il faire entendre

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  • que tous les hommes sont frères, en vertu de laparenté qui résulte- d'une origine commune

    XVII. (Ib. IX, 25.) Malédiction de Chanaan. –Pourquoi le péché de Cham envers son père est-ilmaudit, non dans la personne du coupable, maisdans son fils Chanaan ? N'était-ce pas laprédiction que les enfants d'Israël, postéritéfuture de Sem, devaient un jour recevoir enpartage la terre de Chanaan, après en avoirexpulsé les Chananéens par le droit de la guerre ?

    XVIII. (Ib. X, 8.) Nembroth premier des géantsaprès le déluge. – On demande pourquoi il est dit deNembroth : « Celui-ci fut le premier de la race desgéants sur la terre, » puisque auparavant il est faitmention dans l'Écriture de la naissance desgéants ? Serait-ce pare qu'il est ici question de larestauration d'un nouveau genre humain, dumilieu du quel Nembroth apparut le premiercomme un géant sur la terre ?

    XIX. (Ib. X, 25.) Confusion des langues et [378]division des peuples. – On demande ce que veulentdire ces mots : « Et Héber eut deux fils : l'uns'appela Phaleg, parce que la terre fut divisée deson temps. » Ne signifient-ils pas que pendant lavie de Phaleg eut lieu la confusion des langues,source de la division des peuples ?

    XX. (Ib. XI,1.) Unité de langage. – « Et toute laterre n'avait qu'une langue. » Comment ce passagepeut-il être entendu, quand il a été dit plus hautque les enfants de Noé ou les enfants de ses

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  • enfants se répandirent sur la terre selon leurs.tribus, leurs nations et leurs langues ? N'était-cepoint parce que le texte rappelle ici, par mode derécapitulation, les choses qui sont arrivéesantérieurement ? L'obscurité vient de ce que latrame du récit présente cet évènement comme s'ilétait arrivé après ceux qui l'ont suivi.

    XXI. (Ib. XI, 4.) Tour de Babel.– « Venez,bâtissons une ville et une tour dont le sommetmontera jusqu'au ciel. » Si ces hommes ont cruréellement pouvoir y atteindre, leur projet dénoteune impiété et une audace profondémentinsensées. – Toutefois la vengeance divine quis'en est suivie, et la confusion des langues,autorisent à croire qu'ils ont eu cette pensée.

    XXII. (Ib. XI, 7.) Trinité des personnes dansl'unité de la nature divine. – « Venez, descendons etconfondons leurs langages : qu'ils ne s'entendentplus les uns les autres. » Est-ce aux Anges queDieu adressa ce discours, ou faut-il l'interpréterdans le même sens que ces paroles ducommencement de la Genèse : « Faisons l'hommeà notre image et à notre ressemblance6 ? » Car demême qu'il est dit ensuite au singulier que « leSeigneur confondit les langues de la terre ; » demême, dans le passage en question, après qu'il aété dit : « Faisons à notre image, » il n'est pas dit :Ils firent, mais « Dieu fit. »

    6 Gen I, 26.

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  • XXIII. (Ib. XI,12,13.) Durée de la vie deshommes avant le déluge. – Il est écrit : « Et Arphaxadavait cent trente-cinq ans, lorsqu'il engendraChaïnan ; et après avoir engendré Chaïnan, ilvécut quatre cents ans, » ou, selon le grec, « troiscents ans. » On demande, à ce propos, commentDieu a dit à Noé : « Désormais la vie des hommesne dépassera pas cent-vingt ans. » Arphaxadn'était pas né encore, lorsque Dieu prononça cesparoles ; il ne fut pas non plus dans l'arche avecses parents : comment donc concilier les cent-vingt années, données pour limite à la viehumaine, avec les quatre cents ans et plus quevécut cet homme ? Cet arrêt, Dieu ne l'aurait-ilpas fait entendre à son serviteur, en lui annonçantle déluge qu'il devait envoyer, vingt ans avant lecommencement de la construction de l'arche, quine fût construite qu'en cent années, et n'aurait-ilpas prédit dans cette circonstance la durée deshommes que le déluge devait engloutir, non cellede la vie des hommes qui naîtraient après ledéluge ?

    XXIV. (Ib. X, 21.) Origine du nom des Hébreux.– On demande pourquoi il est écrit : « Sem fut lepère de tous les enfants d'Héber ; » car Héber estle descendant de Sein, fils de Noé, à la cinquièmegénération. Serait-ce parce que les Hébreuxtiennent leur nom de lui ? C'est de lui en effet quedescend Abraham. Lequel, est donc le plusprobable, que les Hébreux soient ainsi nommés

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  • d'Héber ou d'Abraham : c'est une question quimérite d'être posée7.

    XXV. (Ib. XI, 26.) Quand Abraham fut-il établidans la terre de Chanaan ? – 1. Tharra, pèred'Abraham, engendra ce dernier à l'âge desoixante-dix ans ; il demeura ensuite à Chanaanavec tous les siens, y vécut deux cent cinq ans, ety mourut. Le Seigneur dit ensuite à Abraham desortir de Chanaan, et celui-ci en sortit en effet, àl'âge de soixante-quinze ans. Comment faut-ilentendre tout cela ? Ne faut-il pas voir dans cetterécapitulation que le Seigneur se fit entendre duvivant de Tharra, qu'Abraham sortit de Chanaan,conformément à l'ordre de Dieu, du vivant deson père ; qu'il avait alors soixante-quinze ans, etson père cent quarante-cinq, dans le cas où la viece dernier aurait été de deux cent cinq ans ? Parconséquent, s'il est écrit : « Tharra vécut deuxcent cinq ans à Chanaan, » c'est parce qu'il finitses jours dans ce pays. La question se trouve doncrésolue de cette manière, tandis qu'elledemeurerait insoluble, si nous admettions que leSeigneur ne donna à Abraham l'ordre de quitterChanaan qu'après la mort de Tharra ; car il devaitavoir plus de soixante-quinze ans lorsque mourutson aère, puisque celui-ci l'avait engendré à l'âgede soixante-dix ans : en conséquence, Abrahamavait cent trente-cinq ans à la mort de son père, sice dernier a vécu deux cent cinq ans. C'est ainsi7 Cité de Dieu, liv. 16, ch. 3 ; Rétractations, liv. 2, ch. 16.

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  • qu'en tenant compte du mode de récapitulationemployé dans l'Écriture, on résout un grandnombre de difficultés, qui peuvent paraîtreéchapper à toute solution, [379] comme on a pule voir par l'exposé des questions précédentes, oùsont récapitulés les évènements.

    2. Plusieurs interprètes donnent cependantune autre explication. Ils supputent les annéesd'Abraham à partir du temps où il fut délivré desflammes dans lesquelles il avait été jeté par lesChaldéens, et condamné à y périr, pour n'avoirpas voulu s'associer au culte superstitieux qu'ilsrendent au feu. Ce récit, qui s'appuie sur latradition des Juifs, ne se lit pas toutefois dansl'Écriture. Cette solution est égalementadmissible ; car, en disant que « Tharra avaitsoixante-dix ans quand il engendra Abraham,Nachor et Arran, » l'Écriture ne veut pas faireentendre assurément qu'à l'âge de soixante-dixans il les engendra tous les trois, mais qu'ilcommença à avoir des enfants à cet âge. Or, il estpossible qu'Abraham soit le plus jeune, mais qu'ilsoit nommé le premier en raison de la grandeurde son mérite. C'est ainsi que le prophète, endisant : « J'ai aimé Jacob et détesté Ésaü8, » désigned'abord le plus jeune ; c'est ainsi encore qu'auxParalipomènes, Juda est cité le premier, quoiqu'ilsoit le quatrième dans l'ordre de la naissance9 :8 Mal. I, 2, 3.9 I Paral. IV, 1.

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  • n'était-ce pas à lui que la nation juive devaitemprunter son nom, parce que la royauté étaitdans sa tribu ? Or, c'est un grand avantage d'avoirpour la solution des questions difficiles plusieursmoyens de s'en tirer.

    3. Il est bon maintenant d'examiner laquellede ces explications se trouve en plus parfaitaccord avec le récit de saint Etienne. Suivant cerécit, et contrairement à ce que semble dire laGenèse10, ce n'est pas après la mort de Tharraqu'Abraham reçut de Dieu l'ordre de quitter safamille et la maison de son père, mais lorsqu'ilétait en Mésopotamie, sorti déjà du pays desChaldéens et avant qu'il habitât. Chanaan ; et ceserait dans ce voyage que Dieu lui aurait parlé.Mais Etienne dit ensuite : « Alors Abraham sortitdu pays des Chaldéens, et alla demeurer àChanaan ; et de là, après la mort de son père,Dieu le fit passer en ce pays11. » Ces paroles necréent pas un léger embarras à l'explication, qui sebase sur la récapitulation. Car Abraham paraitavoir reçu l'ordre de Dieu, lorsqu'il était sur lechemin de la Mésopotamie, à sa sortie du paysdes Chaldéens, et dans son voyage à Chanaan ; etcet ordre, il ne l'a fidèlement accompli, ce semble,qu'après la mort de son père, puisqu'il est dit :« Et il demeure à Chanaan ; et de là, après la mortde son père, Dieu le fit passer en ce pays. » La10 Gen. XII, 1.11 Act. VII, 4.

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  • question reste donc la même : si, comme le ditnettement le texte de la Genèse, Abraham avaitsoixante-quinze ans, quand il sortit de Chanaan,comment cela peut-il être vrai ? On pourraitdonner peut-être à ces paroles d'Etienne : « AlorsAbraham sortit du pays des Chaldéens, et habita àChanaan, » l'interprétation suivante : Il se mit enchemin, lorsque le Seigneur lui eut parlé, et il étaitdéjà en Mésopotamie, comme il a été dit plushaut, quand il entendit cet ordre de Dieu ; maissaint Etienne a voulu tout résumer, en usant dumode de récapitulation, et dans ces mots :« Abraham sortit alors de la terre des Chaldéenset habita à Chanaan », dire à la fois, et le lieu d'oùsortit Abraham, et celui où il habita. C'est aumilieu de ces évènements, entre son départ dupays des Chaldéens et son séjour à Chanaan, quele saint patriarche entendit la parole de Dieu.Etienne dit ensuite : « Et de là, après la mort deson père, Dieu le fit passer dans ce pays. » Il fautobserver ici qu'il ne dit pas : Et après la mort deson père, il sortit de Chanaan ; mais : « De là Dieule fit passer en cette région. » Ainsi, après avoirhabité Chanaan, il fut établi dans la terre deChanaan ; il n'est pas sorti après la mort de sonpère, mais il a été établi après la mort de cedernier dans la terre de Chanaan. Voici doncl'ordre des faits : Il demeura à Chanaan, et de làDieu le fit passer en cette contrée après la mortde son père : il faut conclure de là qu'Abraham

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  • était placé ou établi dans la terre de Chanaan, àl'époque où lui fut donné le descendant donttoute la race devait régner en ce pays, suivant lapromesse et l'héritage qu'il avait reçus de Dieu.Car Abraham eut Ismaël de son union avec Agar,et de Céthura d'autres enfants encore, à qui cettecontrée ne venait point à titre héréditaire. D'Isaacnaquit Ésaü, qui en fut exclu également. Quant àJacob, fils d'Isaac, tout ce qu'il eut d'enfants, sarace tout entière, participa à l'héritage. Si on lecomprend bien, Abraham fut donc placé et établidans cette région, car il vécut jusqu'à là naissancede Jacob ; la question se trouve résolue par modede récapitulation ; les solutions différentes nesont pas cependant à dédaigner.

    XXVI. (Ibid. XII, 12, 14.) Pourquoi Abrahamcache aux Égyptiens que Sara est sa femme. – « Il arrivadonc que les Égyptiens, en vous voyant, dirontque c'est la femme de cet homme. Et il arrivaqu'aussitôt qu'Abraham [380] fut entré en Égypte,les Égyptiens virent que « cette femme était trèsbelle. » Comment est-il possible qu'Abraham, àson entrée en Égypte, ait voulu cacher que Saraétait sa femme, comme l'affirment tous les textesrelatifs à cet événement ? Cette conduite est-elledigne d'un si saint personnage ; ou faut-il y voir,avec plusieurs interprètes, une défaillance de safoi ? J'ai déjà soutenu sur cette matière unecontroverse avec Faustus12 ; et le prêtre Jérôme a12 Contre Faustus, liv. 22. ch.33, 34.

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  • parfaitement démontré que si Sara est demeuréeplusieurs jours à la cour du roi d'Égypte, il nes'ensuit par qu'elle ait contracté aucune souillureavec ce prince13. C'était en effet une coutumeétablie que le roi n'admettait ses femmes qu'à tourde rôle, et nulle d'entre elles n'avait accès auprèsde lui qu'après s'être longtemps servie de poudreset de parfums pour l'ornement de sa beauté. C'estpendant ces préparatifs que Dieu affligeaPharaon. Il voulut le contraindre à rendre à sonmari, sans l'avoir déshonorée, la femme que celui-ci avait confiée à Dieu lui-même, laissant ignorerque celle-ci était son épouse, mais ne mentantpoint non plus lorsqu'il disait qu'elle était sasœur : son dessein était d'empêcher tout ce qu'illui était possible humainement, et de se confier àDieu pour le reste. Il craignait, en s'en remettant àDieu seul, même pour ce qu'il pouvait empêcher,d'être trouvé non pas homme de foi, maiscoupable du péché de tenter Dieu.

    XXVII. (Ib. XII, 10.) Ce qu'était le Paradis. –Quand l'Écriture compare la contrée de Sodomeet de Gomorrhe, avant ses désastres, au Paradisde Dieu, parce qu'elle était arrosée, et à l'Égypteque le Nil fertilise ; elle montre assez, à mon avis,ce qu'était le paradis que Dieu créa pour y placerAdam. Je ne vois pas en effet que le paradis deDieu ait été autre chose. Et certes, si les arbres àfruits du paradis devaient être, suivant l'opinion13 S. Jérôme, Quest. sur la Gen.

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  • de quelques-uns, considérés comme des vertus del'âme, il ne serait pas dit de cette contrée qu'elleétait « comme le paradis de Dieu », puisqu'il n'yaurait pas eu en réalité de paradis terrestre, plantéd'arbres véritables.

    XXVIII. (Ib. XIII,14.) Étendue de la promessefaite à Abraham. – « Lève les yeux et regarde dulieu où tu es au Septentrion et au Midi, à l'Orientet du côté de la mer : tout ce pays que tu vois, jete le donnerai et à ta postérité pour toujours. »On demande ici ce qu'il faut entendre par ce pays,promis à Abraham et à sa postérité, égal enétendue à ce que ses yeux pouvaient embrasseraux quatre points cardinaux. Qu'est-ce en effetque le rayon visuel de notre œil peut atteindredans un regard jeté sur la terre ? Mais la questionn'a plus de raison d'être, si l'on considère que lapromesse porte plus loin ; car il n'a pas été dit : Jete donnerai autant de pays que tu en vois, mais :« Je te donnerai la terre que tu vois. » Quand doncAbraham recevait par surcroît le pays mêmeenvironnant qui s'étendait plus loin, celui qui étaitsous ses yeux n'en était certainement que la partieprincipale. Il faut remarquer encore ce qui suit :dans la crainte qu'Abraham lui-même ne crûtaussi que la promesse comprenait exclusivementle pays qu'il pouvait découvrir ou voir autour delui : « Lève-toi, lui est-il dit, parcours le pays danssa longueur et dans sa largeur ; parce que je te ledonnerai. » Dieu veut qu'en parcourant le pays, il

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  • voie de près celui qu'il n'aurait pu découvrir en setenant sur un point isolé. Or, cette terre, que lepeuple d'Israël reçut d'abord en partager figure larace d'Abraham selon la chair ; non point cettepostérité plus étendue selon la foi, qui, pour nepas le passer sous silence, devait être selon lapromesse comme le sable de la mer ; expressionhyperbolique, il est vrai, mais cette postérité ;devait être si nombreuse que nul ne pourrait lacompter.

    XXIX. (Ib. XIV. 13.) Pourquoi le surnom « quiest d'au-delà du fleuve » donné à Abraham ? – « Et ilannonça à Abraham qui est d'au-delà du fleuve. »C'est un surnom que les exemplaires grecs eux-mêmes donnent assez clairement à Abraham :mais pour quel motif ? C'est, apparemment, parcequ'il traversa l'Euphrate en quittant laMésopotamie, pour venir se fixer dans la terre deChanaan, et ce surnom d'au-delà du fleuve luivient du pays qu'il abandonna. C'est pourquoiJésus, fils de Navé, dit aux Israélites : « Quoi ?voulez-vous adorer les dieux que vos « pères ontservis au-delà du fleuve ? »

    XXX. (Ib. XV,12.) Sur le trouble d'Abraham. –Il est écrit : « Vers le coucher du soleil, Abrahamfut saisi de peur et tomba dans une grandeépouvante. » C'est une question à traiter, parcequ'il y en a qui prétendent que l'âme du sage estinaccessible à ces frayeurs. Est-ce ici quelquechose de semblable à ce que rapporte Agellius

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  • dans son ouvrage des nuits Attiques ? Unphilosophe fut effrayé dans une grande tempêteélevée sur la [381] mer ; un jeune débauché, quiétait au nombre des passagers, remarqua sontrouble ; et comme, le danger passé, il reprochaitau philosophe de s'être si promptement ému,tandis qu'il n'avait, lui, ni tremblé ni pali ; lephilosophe lui répliqua que s'il n'avait pas été saisid'effroi, c'est parce qu'il ne devait rien craindrepour une vie profondément corrompue, attenduqu'elle ne méritait pas qu'on redoutât rien pourelle14. Et comme les autres passagers du navire luiprêtaient une oreille attentive, il leur fit voir unlivre du stoïcien Épictète, où il était dit qu'ausentiment des Stoïciens, il n'est pas vrai que l'âmede sages soit inaccessible à de pareils troubles, nique rien de semblable ne se trahisse dans leursimpressions ; mais qu'il y a trouble, suivant eux,quand la raison ne triomphe pas de tellesémotions, tandis que quand elle en triomphe, il nefaut plus dire qu'elle est troublée. Mais il faut voircomment Agellius dit ces choses et le discutesérieusement.

    XXXI. (Ib. XVII, 8.) Comment Dieu appelleéternel ce qui ne durera qu'un temps ? – « Je tedonnerai, et à ta race après toi, la terre où tuhabites, toute la terre cultivée, pour la posséderéternellement. » Pourquoi Dieu se sert-il de cemot éternellement, puisque la possession des14 Agellius, liv.. 19. ch. I. De la cité de Dieu, liv. 9, ch. 4.

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  • Israélites ne devait être que temporaire ? Est-cepour désigner le siècle présent ; et comme on diten grec αἱὼν (aion), qui signifie siècle, dit-onαἱώνιον (aionion) comme on dirait séculaire ? Oubien faut-il entendre ce terme dans le sens d'unepromesse spirituelle et appelle-t-on éternel ce quisignifie une chose réellement éternelle ? Ouplutôt serait-ce un idiotisme de l'Écriture, quiappelle éternel ce qui n'a pas de terme assigné, ouce qu'il n'y a pas de raison de ne pas faire encore,si l'on considère la volonté ou le pouvoir de celuiqui agit ? Horace dit dans le même sent : « Celui-là sera éternellement esclave, qui ne sait se contenterde peu15. » Peut-on être esclave éternellement, quandla vie même, nécessaire pour être esclave, ne peutêtre éternelle ? Je n'aurais pas recours à cetémoignage, s'il ne s'agissait d'une manière deparler. Car les auteurs profanes font autorité pournous en matière d'expressions, mais non pour lesmaximes et la doctrine. Or, si on peut défendreles Écritures en expliquant les termes qui lui sontpropres, c'est-à-dire les idiotismes, ne le peut-ondavantage encore en interprétant les mots qui luisont communs avec les autres langues ?

    XXXII. (Ib. XVII, 16.) Sur les rois issusd'Abraham. –

    Pourquoi Dieu dit-il à Abraham, en parlantde son fils : « Et des rois des nations sortiront delui ? » On ne voit point la réalisation de cette15 Horace, liv. I, Epitre 10.

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  • prophétie dans les royaumes terrestres ; faut-ildonc en faire l'application à l'Église ? ou doit-onl'entendre littéralement d'Ésaü lui-même ?

    XXXIII. (Ib. XVIII, 2.) Apparition des troisanges à Abraham. – « Et les voyant, il courut de la« porte au-devant d'eux et il se prosterna en« terre, et il dit : Seigneur, si j'ai trouvé grâcedevant vous, ne passez pas la maison de votreserviteur. » Puisqu'ils étaient trois hommes qui luiapparurent, pourquoi dit-il : Seigneur, ausingulier : « Seigneur si j'ai trouvé grâce devantvous ? » Pensait-il que l'un d'eux fût le Seigneur,et que les autres fussent des Anges ? Ou mieux,voyant le Seigneur dans la personne des Anges,ne préféra-t-il point parler à Dieu plutôt qu'à cesderniers ? Car, l'un d'eux étant resté ensuite avecAbraham, les deux autres sont envoyés à Sodome,et Loth aussi s'adresse à eux comme au Seigneur.

    XXXIV. (Ib. XVIII, 4.) Sur le repas servi auxAnges par Abraham. – « Qu'on apporte de l'eau etje la verserai vos pieds, rafraîchissez-vous sous cetarbre, et je servirai du pain et vous mangerez. » SiAbraham les prenait pour des Anges, comment a-t-il pu les convier à cette hospitalité ? car lanourriture est un besoin pour notre chairmortelle, mais non pour la nature immortelle desAnges.

    XXXV. (Ib. XVIII, 11.) Comment Abraham eutpar miracle un enfant de Sara. – « Or, Abraham etSara étaient vieux et avancés en âge ; et ce qui

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  • arrive d'ordinaire aux femmes avait cessé pourSara. » Les vieux ne sont pas encore vieillardsquoique on donne aussi le nom de vieillards à despersonnes simplement avancées en âge. Or, s'ilest vrai, comme l'affirment quelques médecins,qu'un mari avancé en âge ne puisse avoir desenfants d'une femme également âgée, quandmême celle-ci éprouverait encore ce qui arrived'ordinaire aux femmes, nous pouvons, d'aprèscela, comprendre l'étonnement d'Abraham à lapromesse d'un fils16, et la réflexion de l'Apôtre,qui y voit un miracle, puisqu'il dit que le corpsd'Abraham était déjà mort17. Il ne faut pas s'imaginertoutefois que le corps d'Abraham fût mort, aupoint qu'il n'aurait pu avoir des enfants d'unefemme jeune ; mais il l'était en ce sens qu'iln'aurait pu en avoir d'une femme avancée [382]en âge. S'il eut des enfants de Céthura, c'est parcequ'il la prit jeune encore. Les médecins disent eneffet que l'homme, dont les forces sont déjà assezaffaiblies, pour qu'il ne puisse avoir d'enfantsd'une femme avancée en âge, lors même quecelle-ci éprouverait ce qui arrive à son sexe, peuten avoir d'une femme jeune. Et réciproquement,la femme avancée en âge, qui ne peut avoird'enfants de son union avec un homme âgé,quand même elle éprouverait ce qui arrive auxfemmes, peut en avoir de son union avec un16 Gen. XVII, 17.17 Rom. IV, 19.

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  • homme jeune. Ce miracle ici consiste donc en ceque, suivant ce que nous avons dit, en mêmetemps que le corps du mari était comme mort, lafemme était si avancée en âge que ce qui arrived'ordinaire à son sexe avait cessé pour elle. Si l'onpresse ce mot de l'Apôtre : « Son corps était déjàmort, » car il dit mort, il ne faudrait pas entendreque ce corps avait encore de la vie, mais qu'il étaitun cadavre ; ce qui est de la dernière absurdité. Laquestion se trouve donc résolue de cette manière ;sinon, on ne comprendra pas comment l'Apôtredit d'Abraham, qui était arrivé à peu près à l'âgemoyen des hommes d'alors et eut ensuite desenfants de Céthura, que son corps était mort etqu'il engendra par miracle.

    XXXVI. (Ib. XVIII, 13. ) Pourquoi Dieureprend le rire de Sara. et non celui d'Abraham ? – « Etle Seigneur dit à Abraham : Pourquoi Sara a-t-elleri, disant en elle-même : Serait-il donc vrai quej'eusse un enfant, étant vieille comme je suis ? »On demande pourquoi le Seigneur lui fait unreproche, puisque Abraham a ri également ?N'est-ce point parce que celui-ci a ri d'admirationet de joie, tandis que Sara a ri sous l'impressiondu doute ? Et Celui qui connaît le cœur deshommes, n'a-t-il pu voir cette différence ?

    XXXVII. (Ib. XVIII,15.) A quel signeAbraham et Sara reconnurent-ils les Anges ? – « Sarania en disant : Je n'ai pas ri, car elle eût peur. »Comment comprenaient-ils que Dieu lui-même

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  • leur parlait, puisque Sara osa nier qu'elle eût ri,comme si Dieu pouvait l'ignorer ? N'est-ce pointpeut-être parce que Sara prenait les anges pourdes hommes, tandis qu'Abraham voyait en euxDieu lui-même ? Cependant lorsqu'il leur rendit,comme nous l'avons rappelé plus haut, les devoirsde l'hospitalité, dont le besoin ne se fait sentirqu'à une chair fragile, je m'étonne s'il ne les pritpas d'abord pour des hommes ; mais peut-êtrereconnut-il que Dieu. parlait en eux, à certainssignes réels et apparents de la majesté divine, ainsiqu'il s'en montre souvent, au témoignage del'Écriture, dans les hommes de Dieu. Mais s'il enest ainsi, il faut examiner encore à quel signe ilsreconnurent ensuite que c'étaient des anges ?Serait-ce au moment où ceux-ci remontèrent auciel en leur présence

    XXXVIII. (Ib. XVIII, 19.) « Dieu promet derécompenser l'obéissance des enfants d'Abraham. – « Carje sais qu'il instruira ses enfants, et sa maisonaprès lui ; ils garderont les voies du Seigneur, etagiront selon l'équité et la justice, afin que leSeigneur accomplisse en faveur d'Abraham toutce qu'il lui a promis. » C'est ici que le Seigneurpromet à Abraham, outre les récompenses,l'obéissance fidèle qui attirera sur ses enfantsl'accomplissement des promesses divines.

    XXXIX. (Ib. XVIII, 21. ) Dieu, parlant auxhommes, s'abaisse à leur langage. – « Je descendraidonc, je verrai et je saurai si, oui ou non, leur

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  • iniquité s'est consommée, comme l'an »nonce leurclameur qui vient jusqu'à moi. » En prenant cesparoles comme l'expression, non d'un doute surce qui arrivera, mais de la colère et de la menace,nous n'avons pas de question à poser. Dieu eneffet parle aux hommes leur langage dansl'Écriture, et ceux qui le connaissent, savent quesa colère est exempte de toute passion. Nousdisons souvent nous-mêmes, en forme demenace : Voyons si je ne te fais pas ceci, voyonssi je ne lui ferai pas cela ; et encore : Si je ne puispas te faire telle ou telle chose ; ou bien : Jesaurai, c'est-à-dire, je m'assurerai si je ne puis pasfaire cela. L'émotion de la colère et nonl'ignorance se trahit dans ces menaces. Dieu doncest inaccessible au trouble ; mais le langagehumain se proportionne ordinairement à(humaine faiblesse, et à cette faiblesse Dieuadapte ses paroles.

    XL. (Ib. XVIll, 32.) Dieu pardonne-t-ilpartout où il trouve dix justes ? – On demandesouvent si ce que Dieu dit de Sodome, qu'il ne laperdrait pas, s'il ne s'y trouvait même que dixjustes, doit s'entendre d'un décret particulier àcette ville, ou s'il faut considérer comme une loigénérale et universelle, que Dieu pardonne à toutpays au milieu duquel il rencontre dix justes ?D'abord il n'y a rien qui nous oblige à voir ici uneloi générale ; mais, en ce qui concerne Sodome,Dieu a pu tenir ce langage, parce qu'il savait

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  • qu'elle ne contenait pas même dix justes ; et saréponse [383] avait pour but de faire voir àAbraham qu'il était impossible d'y trouver cenombre, tant leur iniquité était montée aucomble. Dieu n'avait pas besoin d'épargner deshommes si criminels, dans la crainte de perdre enmême, temps les justes, puis qu'il pouvait, aprèsavoir sauvé ceux-ci du danger, infliger aux impiesles châtiments qu'ils méritaient ; mais, comme jel'ai observé, il a voulu mettre au grand jour lamalice de ce peuple ; c'est pourquoi il a dit : « Sij'en trouve dix, je pardonnerai à toute la ville. »C'est comme s'il disait : Je puis assurément ne pasperdre les justes avec les impies, sans néanmoinsépargner ces derniers, parce qu'il est en monpouvoir d'infliger aux impies les châtiments dontils sont dignes, après avoir délivré et sauvé lesjustes. Cependant si ces justes se trouvent, jepardonne ; c'est donc qu'il était impossible dedécouvrir ce nombre. Il y a quelque chose desemblable dans Jérémie, lorsqu'il dit : « Parcourezles rues de Jérusalem et voyez, cherchez dans sesplaces et considérez si vous y trouverez unhomme qui agisse selon la justice et qui cherche lavérité, et je serai miséricordieux pour leurspéchés18 : » c'est-à-dire, trouvez-en un seul, et jepardonne aux autres ; c'est pour mieux faire sentirqu'on ne pouvait découvrir même un seul hommede bien.18 Jér. V, I.

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  • XLI. (Ib. XIX, 1.) Sur l'apparition des anges àLoth. – Lorsque Loth va au-devant des anges etles adore en se prosternant sur sa face, il semblequ'il voit d'abord en eux des anges ; mais ensuite,quand il les invite à prendre de la nourriture,comme en ont besoin les mortels, il semble, qu'ilcroit distinguer en eux des hommes. La questionse résout ici de la même manière qu'elle a étérésolue au sujet des trois anges, qui apparurent àAbraham. La divinité de leur mission éclatait àcertains signes, mais en même temps ilsparaissaient de simples mortels. Aussi lit-on dansl'épître aux Hébreux, quand l'Écriture fait l'élogede l'hospitalité : « C'est en l'exerçant queplusieurs, sans le savoir, eurent pour hôtes desAnges19. »

    XLII (Ib. XIX, 8.) Conduite de Loth enversles Sodomites. – « J'ai, dit Loth aux Sodomites,deux filles qui sont encore vierges, je vous lesamènerai ; usez-en comme il vous plaira, pourvuque vous ne fassiez point de mal à ces hommes. »Il voulait, en livrant ses filles, obtenir en retourque ses hôtes ne subissent point un pareil outragede la part des Sodomites. On demande, et à bondroit, si pour établir une sorte de contrepoids àdes infamies ou à d'autres. péchés, il est permis defaire un mal, afin d'empêcher un autre d'encommettre un plus grand ; ou s'il ne faut pasattribuer les paroles de Loth au trouble plutôt19 Heb. XII, 2.

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  • qu'à la réflexion. Il serait en effet extrêmementdangereux d'approuver cette manière d'agir ; maissi on l'attribue au trouble et à l'émotion produitepar un si grand mal, elle n'est imitable à aucuntitre.

    XLIII. (Ib. XIX, 11.) Aveuglement des Sodomites– « Or, ils frappèrent de cécité les hommes quiétaient à la porte de la maison. » Le grec porte :ἀοραςίᾳ (aorasia), ce qui signifie plutôt privationde la vue qui rendait invisible, non pas tout, maisce qu'il ne fallait pas voir. En effet, s'ils eussentété frappés de cécité et absolument incapables derien distinguer, comment auraient-ils pu se lasserde chercher la porte ? Affligés de leur malheur, ilsn'en auraient pas même eu la pensée. C'est decette espèce de privation de la vue que furentfrappés ceux qui étaient à la recherche d'Élisée20.Ceux qui ne reconnurent pas le Seigneur après larésurrection, en marchant avec lui dans la chemin,l'éprouvèrent également21 ; si le mot n'y est pas, laréalité néanmoins est évidente.

    XLIV. (Ib. XIX, 18. 19.) Sur les paroles que lapeur inspire à Loth. – « Loth leur dit : Seigneur,puisque votre serviteur a trouvé grâce devantvous et que vous avez signalé votre justice à monégard, en me conservant la vie ; considérez, jevous prie, que je ne puis me sauver sur lamontagne, que les maux m'y atteindront peut-être20 IV, Rois, VI, 18.21 Luc, XXIV, 16.

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  • et que je mourrai. » Il ne se confiait pas même àDieu, qu'il reconnaissait dans les anges. C'étaitdéjà sous cette inspiration qu'il parlait, lorsqu'ilconsentit à livrer ses filles. Comprenons par làque ses paroles relatives au déshonneur de sesenfants ne doivent point faire autorité, pas plusque le manque de confiance en Dieu, quis'appuierait sur son exemple.

    XLV. (Ib. XIX, 29.) A quoi faut-il attribuer ladélivrance de Loth ? – « Et Dieu se souvintd'Abraham et délivra Loth du milieu des ruines. »L'Écriture attribue la délivrance de Lothprincipalement aux mérites d'Abraham, pournous faire comprendre que Loth n'est appeléjuste que dans une certaine mesure, surtout parcequ'il adorait le seul vrai Dieu, et par comparaisonavec les crimes des Sodomites ;. car en vivant aumilieu d'eux il ne put jamais se faire à leur genrede vie.

    XLVI. (Ib. XIX, 30.) De la montagne où Loth se[384] réfugia. – « Or, Loth sortit de Ségor etdemeura sur la montagne. » Je m'étonne si cettemontagne, sur laquelle il monta de son propremouvement, n'est pas celle qu'il refusa de gravir,quand le Seigneur l'en avertit. Ou ce n'en est pasune autre, ou rien ne le fait supposer.

    XLVII. (Ib. XIX, 30.) Sur le peu de foi deLoth. »Car il eut peur de demeurer à Ségor. » LeSeigneur, par égard pour la faiblesse et la frayeurde Loth, lui avait accordé la ville de son choix, et

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  • lui avait donné l'assurance que cette ville seraitépargnée à cause de lui : cependant Loth eut peurencore d'y demeurer ; tant sa foi était peu robuste.

    XLVIII. (Ib. XX, 2.) Beauté de Sara. – « Or,Abraham dit de Sara, sa femme : Elle est masœur. Il n'osa dire : Elle est ma femme, dans lacrainte que les habitants de la ville ne le missent àmort à cause d'elle. » Comment, à cet âge, labeauté de Sara pouvait-elle inspirer des craintes àAbraham ? Mais il faut plutôt admirer la vigueurde cette beauté, qui pouvait encore avoir descharmes, que de voir ici quelque difficultésérieuse.

    XLIX. (Ib. XX, 6.) Paroles de Dieu àAbimélech. » Je t'ai préservé de pécher contremoi. » dit le Seigneur à Abimélech, quand ilavertit ce prince que Sara n'était point la sœurd'Abraham, mais sa femme. Il faut noter etobserver ici qu'on pêche contre Dieu, quand onse rend coupable de fautes qui passent pourlégères aux yeux des hommes ; tels sont lespéchés de la chair. Et quand le Seigneur lui dit :« Voilà que tu mourras, » il faut observer queDieu annonce comme devant se réaliserindubitablement ce qu'il dit pour engager à éviterle péché.

    L. (Ib. XXI, 8.) Sur le festin que fit Abrahamquand on sevra son fils. – Pourquoi Abraham fit-il unfestin, non pas le jour de la naissance de son fils,ni le jour où il fut circoncis, mais le jour où on le

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  • sevra ? Si l'on ne découvre pas ici quelque sensspirituel, la question reste sans solution. Ce faitsignifie donc qu'une grande joie doit éclater,lorsque l'homme, arrivé à l'âge spirituel, estdevenu un homme tout nouveau, c'est-à-dire,différent de ceux à qui l'Apôtre dit : « Je vous ainourris de lait, non de viande ; parce que vousn'en étiez pas capables ; et à présent même vousne l'êtes pas encore, parce que vous êtes encorecharnels22. »

    LI. (Ib. XXI, 10.) Sur ces mots prophétiques :Chassez cette servante et son fils, etc. – Lorsque Saradit : « Chassez cette servante et son fils, car le filsde cette servante ne sera point héritier avec monfils Isaac, » pourquoi Abraham, s'attriste-t-il,puisque c'était une prophétie qu'il devaitassurément mieux connaître que Sara ? Mais ilfaut comprendre ou que Sara tint ce langage envertu d'une révélation qu'elle reçut la première, etqu'Abraham, instruit seulement dans la suite parle Seigneur, céda à l'émotion de l'affectionpaternelle envers son fils ; ou que tous deuxignorèrent d'abord le dessein de Dieu, et que Saraprononça cette parole prophétique, sans en savoirle sens, comme une femme blessée au cœur parl'orgueil de sa servante.

    LII. (Ib. XXI, 13.) Ismaël, enfant de la chair,Isaac, enfant de la promesse. – Il faut noter qu'Ismaël,lui aussi, reçut de Dieu la qualification de fils du22 I Cor. III, 2.

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  • sang d'Abraham, en raison de l'interprétationsuivante que l'Apôtre nous donne de ces paroles :« C'est d'Isaac que sortira la race héritière de tonnom : c'est-à-dire ce ne sont pas les enfants nésde la chair, mais les enfants de la promesse, quisont réputés de cette race23. » Isaac est doncproprement le fils en sa qualité, non de fils de lachair, mais de fils de la promesse relative à toutesles nations.

    LIII. (Ib. XXI,14.) Renvoi d'Agar et d'Ismaël.« Or Abraham se leva dès le matin, et il prit despains et une outre d'eau, les donna à Agar, et leslui mit sur les épaules ; et l'enfant, et la renvoya. »On demande ordinairement comment il putmettre sur les épaules d'Agar un enfant de cettetaille. Car Ismaël fut circoncis à l'âge de treize ans,avant la naissance d'Isaac ; Abraham avait alorsquatre-vingt dix-neuf ans, et à la naissance d'Isaacil avait atteint sa centième année. Or, quandIsmaël jouait avec Isaac et contrista Sara, cedernier était sans doute déjà grand, puisqu'il étaitsevré : Ismaël devait donc avoir plus de seize ans,lorsqu'il fut chassé de la maison paternelle avec samère. De plus, quand même on admettrait quecette circonstance du jeu d'Ismaël avec le petitenfant doit se rapporter par mode derécapitulation, à l'époque où Isaac n'était pasencore sevré, il n'en serait pas moins toujoursabsurde de croire qu'un enfant de plus de treize23 I Rom. IX, 7, 8.

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  • ans eût été mis sur les épaules de sa mère, avecune outre et des pains. La question se résout trèsfacilement, si nous ne sous-entendons pas : il mitsur les épaules, mais : il donna. Car selon le texte,Abraham donna à la mère de l'enfant une outre etdes pains qu'elle plaça sur [385] ses épaules. Etquand le texte ajoute : et l'enfant, nous sous-entendons : il donna et non pas : il mit sur lesépaules ; après avoir donné l'outre et les pains, ildonna encore l'enfant à Agar.

    LIV. (Ib. XXI,15-18.) Paroles de l'Ange à Agar.– « Et l'eau manqua dans l'outre et elle laissal'enfant sous un sapin, et elle s’éloigna et elles'assit vis-à-vis de lui à la distance d'un trait d'arc ;car elle disait : Je ne verrai point la mort de monfils, et elle s'assit en face de lui. Or l'enfant jeta uncri et pleura ; et Dieu écouta la voix de l'enfant dulieu où il était ; et un Ange de Dieu appela Agardu ciel et lui dit : Agar, qu'y a-t-il ? ne crains rien,car Dieu a entendu la voix de ton fils du lieu où ilest. Lève-toi et prends l'enfant et tiens-le par lamain : parce que je le ferai chef d'un grandpeuple. » On a coutume de demander comment lamère put laisser sous un arbre cet enfant qui avaitplus de quinze ans, et s'en alla à la distance d'untrait d'arc, pour ne pas le voir mourir. Il sembleen effet qu'elle l'ait porté et déposé à terre ; c'estle sens que parait présenter le texte, surtoutquand on lit plus loin : « L'enfant pleura. » Mais ilfaut comprendre que la mère l'abandonna, non

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  • après l'avoir porté, mais, ainsi qu'il arrive pardésespoir, comme s'il allait mourir. Portait-oncelui qui a dit ces paroles de l'Écriture : « J'ai étélaissé loin de vos yeux24 ? » Et ne dit-on pas tousles jours dans le langage ordinaire qu'on laisse loinde soi un familier quand pour ne plus le voir oncesse de l'admettre en sa compagnie ? Il faut doncentendre ici ce que l'Écriture ne dit pas : que lamère s'éloigna de son fils, pour que l'enfantignorât où elle s'était retirée, et qu'elle se cachadans la profondeur de la forêt, pour ne pas avoirsous ses yeux son fils mourant de soif. Quant àlui, qu'y a-t-il d'étonnant que même à son âge, ilait pleuré, privé qu'il était depuis longtemps de lavue de sa mère, qui l'avait pour ainsi dire perdu,et laissé seul en cet endroit ? Les parolessuivantes : « Prends l'enfant » ne signifiaient doncpas qu'Agar dût le relever du sol où il gisait, maisqu'elle devait le rejoindre et le tenir par la main,suivant ce qui se pratique à l'égard d'uncompagnon, et il en était un : c'est ce que fontsouvent ceux qui cheminent ensemble, dequelque âge qu'il soient.

    LV. (Ib. XXI, 22.) Quand fut creusé le puits duserment ? – « Or il arriva dans ce temps-làqu'Abimélech dit, etc. » Abraham fit alliance avecAbimélech, et le puits qu'il creusa fut appelé lePuits du serment : comment, peut-on demander,cela s'accorde t-il avec la vérité ? Agar, expulsée24 Ps. XXX, 23.

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  • de la maison d'Abraham, errait, dit l'Écriture, auxenvirons du puits du serment ; or la constructionqui en fut faite par Abraham est rapportéelongtemps après, car Abimélech et Abrahamjurèrent en cet endroit, et cet événement n'étaitcertainement pas encore arrivé, quand Sara futchassée avec son fils de la maison d'Abraham.Comment donc errait-elle autour du puits duserment ? Faut-il croire que le puits était déjàcreusé, et que l'entrevue d'Abraham avecAbimélech est rapportée ensuite sous forme derécapitulation ? Celui qui écrivit le livre longtempsaprès, n'a-t-il pas appelé du nom de puits duserment, la contrée où errait la mère avec son fils,comme s'il disait : Elle errait dans cette contréeoù fut établi le puits du serment ? Ce puits futconstruit dans la suite, mais longtemps avantl'époque où vécut l'auteur ; et au moment où lelivre s'écrivait, le puits s'appelait ainsi, conservantl'antique dénomination qu'il tenait d'Abraham.Cependant, si c'est ce même' puits qu'Agar vit deses propres yeux, il n'y a plus d'autre moyen derésoudre la question que d'y voir unerécapitulation des faits. Et dans le cas où le puitseût été creusé avant l'expulsion d'Agar, on ne doitpas se préoccuper de savoir comment elle ignoraitqu'Abraham l'eût établi, car il pourrait très bien sefaire que le puits existât à son insu, pour lestroupeaux, loin de la maison qu'Abraham habitaitavec les siens.

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  • LVI. (Ib. XXI, 33.) Abraham ne possédait-ilaucun domaine dans la terre de Chanaan ? – On peutdemander comment Abraham planta un champnon loin du puits du serinent, si, comme le ditsaint Etienne, il n'avait point reçu d'héritage en cepays, pas même un pied de terre25. Mais il fautentendre ici par héritage, non celui qu'il acheta àprix d'argent, mais celui que Dieu devait luidonner dans sa munificence. Or l'espace quienvironnait le puits, fut sans doute compris dansl'acquisition qu'Abraham paya de sept jeunesbrebis, lorsque lui et Abimélech se jurèrentmutuellement fidélité.

    LVII. (Ib. XXII, 1.) Tentation d'Abraham. –« Et Dieu tenta Abraham. » On demande souventcomment cela est vrai, puisque saint Jacques ditdans son Épître que Dieu ne tente personne26.Mais n'est-ce point parce que, dans le [386]langage de l'Écriture, tenter a le même sens que,éprouver ? Or la tentation dont parle saintJacques ne s'entend que de celle qui pousse aupéché. C'est dans ce sens que l'Apôtre dit : « Dansla crainte que le tentateur ne vous tente27 ; » car ilest écrit ailleurs : « Le Seigneur votre Dieu voustente, pour savoir si vous l'aimez28. » Cette autremanière de parler : pour savoir, a le sens de : pour

    25 Act. VII, 5.26 2 Jacq. I, 13.27 I Thess. III, 5.28 Deut. XIII, 3.

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  • vous faire savoir ; car l'homme ignore lapuissance de son amour, tant qu'une épreuveenvoyée de Dieu ne la lui a fait connaître.

    LVIII. (Ib. XXII, 12.) Sur ces mots : Je connaismaintenant que tu crains Dieu. – Un Ange dit du cielà Abraham : « Ne mets pas la main sur l'enfant, etne lui fais rien. Car je connais maintenant que tucrains Dieu. » Cette question se résout, comme laprécédente, par une analogie d’expressions ; carces mots : « Je connais maintenant que tu crainsDieu » signifient : maintenant je te fais connaître.Cette manière de parler se comprend avecévidence dans la suite du texte : « Et Abrahamappela ce lieu : Le Seigneur a vu ; et l'on ditaujourd'hui : Le Seigneur apparut sur lamontagne. » Il a vu, mis pour : il apparut, a lemême sens que : il a fait voir ; la cause est misepour l'effet ; comme on dit : un froid engourdi,pour : un froid qui engourdit.

    LIX. (Ib. XXII, 12.) Est-ce par égard pour l'angeou par égard pour Dieu, qu'Abraham était prêt à ne pasépargner son fils ? – « Et pour moi tu n'as pasépargné ton fils bien-aimé. » Est-ce par égardpour l'Ange, et non par égard pour Dieuqu'Abraham n'a pas épargné son fils ? Ainsi, dedeux choses l'une : ou sous ce nom d'Ange estdésigné le Christ notre Seigneur, qui est Dieu sansaucun doute, et que le Prophète appellemanifestement : « l'Ange du grand conseil29 ; » ou29 Isaïe, IX, 6. selon les Sept.

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  • bien, c'est que Dieu était dans l'Ange et celui-ci,comme il arrive souvent dans les prophètes,parlait au nom de Dieu. Ce dernier sens paraît sedessiner d'une manière plus évidente dans lesparoles suivantes du texte : « Et l'Ange duSeigneur appela de nouveau Abraham du haut duciel, disant : J'ai juré par moi-même, dit leSeigneur. » Il est difficile en effet de trouver quece Christ nomme Dieu le Père son Seigneur, dansle temps surtout qui précéda l'Incarnation. Euégard à la forme d'esclave qu'il a prise, cetteexpression semble ne pas manquer deconvenance. En effet pour prophétiser cetévénement il est dit dans un psaume : « LeSeigneur m'a dit : Tu es mon Fils.30 » Mais il estdifficile de découvrir dans l'Évangile même, quele Christ appelle Dieu le Père son Seigneur, parceque celui-ci le serait en vérité, quoiqu'il l'appelleDieu, dans ce passage où on dit : « Je vais versmon Père et votre Père ; vers mon Dieu, et votreDieu31. » Quant à ces paroles de l’Écriture : « LeSeigneur a dit à mon Seigneur32, » c'est au nom decelui qui parle qu'elles sont prononcées : « LeSeigneur a dit à mon Seigneur, » c'est-à-dire, LePère a dit au Fils. Ainsi ces autres paroles : « LeSeigneur fit pleuvoir de la part du Seigneur33, »

    30 Ps. II, 7.31 Jean, XX, 17.32 Ps. CIX, I.33 Gen. XIX, 24.

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  • sont dites également au nom de l'écrivain sacré eten voici le sens : Le Seigneur de cet écrivainenvoya la pluie de la part de son Seigneur ; notreSeigneur de la part de notre Seigneur, le Fils de lapart du Père.

    LX. (Ib. XXII, 21.) Sur Chamuel, père desSyriens. – Quand on annonce à Abraham queMelcha a eu des enfants et qu'on nomme l'undeux, Chamuel, le père des Syriens, il est évidentque cette dernière dénomination n'a pu êtredonnée par ceux qui apportèrent la nouvelle,puisque les Syriens, qui doivent leur origine à ceChamuel, ne formèrent un peuple nombreux quedans des temps bien postérieurs. Cette additionest de l'auteur, qui écrivit ces faits longtempsaprès qu'ils se furent accomplis ; nous avons faitdéjà une remarque semblable, à propos du Puitsdu serment34.

    LXI. (Ib. XXIII, 7.) Sens du mot adorer. –« Abraham, se levant, adora le peuple de cettecontrée. » Pourquoi demande-t-on, est-il écrit :« Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu neserviras que lui35 ; » puisqu' Abraham a portéjusqu'à l'adoration ses hommages à un peuplepaïen ? Mais il faut le remarquer : il n'est pas ditdans ce commandement : Tu n'adoreras que leSeigneur ton Dieu, comme il est dit : « Tu neserviras « que lui, » en grec tu rendras le culte de34 Ci-dessus, quest. 55.35 Deut. VI, 13 ; X, 20.

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  • latrie λατρεύσεις (latreuseis). Ce culte n'est dû qu'àDieu. Aussi condamne-t-on les idolâtres, c'est-à-dire, ceux qui rendent aux idoles un cultesemblable à celui que l'on doit à Dieu. Et qu'onne se préoccupe pas de ce que, dans un autreendroit de l'Écriture, l'ange défend à l'homme del'adorer, et l'avertit d'adorer plutôt le Seigneur36.Cet Ange avait apparu dans un tel éclat, qu'ilpouvait être adoré à la place de Dieu ; or, c'étaitune erreur qu'il fallait dissiper.

    LXII. (Ib. XXIV, 3.) Serment exigé parAbraham. [387] – L'ordre que donne Abraham àson serviteur de mettre sa main sous sa cuisse, etle serment qu'il lui fait prêter au nom du SeigneurDieu du ciel, et du Seigneur de la terre, déconcertentordinairement les lecteurs inhabiles ; ils neremarquent pas qu'il y a ici une grande prophétierelative au Christ. Il est effectivement, le SeigneurDieu du ciel et le maître de la terre, et il devaitvenir un jour dans une chair issue du sangd'Abraham.

    LXIII. (Ib. XXIV, 12-14.) En quoi la demanded'un prodige diffère de la consultation des augures. – Ilfaut rechercher en quoi les augures défendus différentde la demande d'un prodige, demande que fit leserviteur d'Abraham, lorsqu'il pria Dieu de luimontrer que la femme de son maître Isaac seraitcelle qui lui dirait, après qu'il aurait demandé àboire : « Bois tout d'abord, et je donnerai à boire36 Apoc. XIX,10.

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  • à tes chameaux jusqu'à ce qu'ils cessent d'avoirsoif. » Autre chose est de demander un miraclequi soit un vrai prodige ; autre chose estd'observer ce qui n'a rien de merveilleux et n'a desens que dans la vaine et superstitieuseinterprétation des devins. Mais encore, est-ilpermis de demander un prodige, pour être assuréde ce qu'on veut savoir ? ce n'est pas là une petitequestion. Car, c'est le lieu de le dire, on convientque ceux qui font cela sans raison suffisantetentent Dieu. Lorsque le Seigneur lui-même futtenté par le démon, il eut recours à ce témoignagedes Écritures : « Tu ne tenteras pas le Seigneurton Dieu37. » En effet, on lui demandait commes'il eût été un simple mortel, de montrer parquelque preuve ce qu'il était, c'est-à-dire, lagrandeur de son pouvoir auprès de Dieu : ce quiest en soi un mal. Mais il ne faut pas confondreavec cette tentation mauvaise la conduite deGédéon, pressé d'engager la bataille avecl'ennemi38 : il consultait Dieu dans cettecirconstance plutôt qu'il ne le tentait. Achaz luiaussi, dans Isaïe, craint de solliciter un prodige, depeur de paraître tenter Dieu, au moment où leSeigneur lui donne par le prophète le conseil d'endemander un39. Il croyait sans doute que le

    37 Deut. VI, 16 ; Matth. IV, 7.38 Jug. VI, 17.39 Isaïe, VI, 11, 12.

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  • prophète cherchait à savoir s'il se souvenait duprécepte qui défend de tenter Dieu.

    LXIV.(Ib. XXIV, 37, 38.) Des différences quiportent sur les mots, non sur la pensée. – Le serviteurd'Abraham, racontant les ordres qu'il a reçus deson maître, dit qu'ils lui ont été donnés en cestermes « Tu ne prendras pas d'épouse pour monfils parmi les filles des Chananéens, dans le paysdesquels j'habite ; mais tu iras dans la maison demon père, et dans ma tribu, et tu prendras là uneépouse pour mon fils. » Or si l'on se rend comptede la manière dont tout ces ordres furent donnéson trouve que le sens est le même ; mais lesparoles ne sont pas toutes identiques, ou sontrendues autrement. Je fais cette observation pourles sots et les ignorants, qui reprochent auxÉvangélistes de ne pas s'accorder parfaitementdans quelques expressions, tandis que pour leschoses et les pensées ils ne sont nullement endésaccord. Il n'y eut certainement qu'un seulauteur pour écrire ce livre ; et il aurait pu se relirepour se répéter textuellement, si la chose lui avaitparu convenable : mais la vérité du récit ne porteque sur les choses et les pensées, et il suffit que lavolonté, pour la manifestation de laquelle lesparoles sont faites, soit comprise assez clairement.

    LXV. (Ib. XXIV, 41.) Serment etmalédiction. – Dans le discours où le serviteurd'Abraham expose les ordres de son maître, lesexemplaires latins lui font dire : « Alors tu seras

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  • déchargé de mon serment, ou, de monjurement ; » tandis que le grec porte : de mamalédiction. ὄρκος (Orkos) veut dire en effetserment, et ἀρά (ara) malédiction ; d'où viennentκατάρατος (kataratos) ou ἐπικατάρατος(epikataratos) qui signifient maudit. Or ondemande comment un serment peut être prispour une malédiction ; n'est-ce point en ce sensque celui-là sera maudit qui contreviendra a sonserment ?

    LXVI, (Ib. XXIV, 49.) Sur la miséricorde et lajustice. – « Si donc vous exercez la miséricorde etla justice envers mon maître, dites-le moi. » Icicommencent à apparaître ces deux attributsdivins, la miséricorde et la justice, toujoursinséparablement unies dans les autres livres dessaintes Écritures et principalement dans lesPsaumes. Car miséricorde et vérité ont la mêmesignification que miséricorde et justice.

    LXVII. ( Ib. XXIV, 51. ) Réponse de Bathuël àEliézer. – « Voici Rébecca devant toi ; prends-la etretourne ; qu'elle soit la femme du fils de tonmaître, selon ce que le Seigneur a dit. » A quelmoment le Seigneur a-t-il dit cela ? Les parents deRébecca voyaient donc dans la personned'Abraham un prophète, et. ils acceptaient ce qu'ilavait dit comme une parole prophétique inspiréede Dieu : ou bien, ce qu'ils entendaient nommerparole de Dieu, c'était le signe arrivé an serviteurdu patriarche et rapporté par lui : [388] cette

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  • dernière interprétation s'applique mieux àRébecca. Ce qu'avait dit Abraham n'avait paseffectivement Rébecca pour objet, mais unefemme quelconque de sa tribu ou de sa parenté ;et dans l'un et l'autre cas, le serviteur devait êtredéchargé de son serment, s'il n'obtenait pas cequ'il demandait. Or on ne parle pas ainsi, quandon prophétise quelque chose. Car la certitude estune condition de la prophétie.

    LXVIII. (Ib XXIV, 60.) Adieux, faits à Rébeccapar ses frères. – Quand les frères de Rébecca luidisent à son départ : « Tu es notre sœur ; sois lamère de mille milliers d'enfants ; que ta postéritépossède l'héritage et les villes de ses ennemis, » ilsne prophétisent point ; ces souhaits magnifiquesne leur sont pas non plus inspirés par l'orgueil ;mais ils ne purent ignorer les promesses que Dieuavait faites à Abraham.

    LXIX. (Ib. XXIV, 63.) Exercice d'Isaac. – Il estécrit : « Isaac sortit vers le milieu du jour dans lacampagne pour s'exercer. » Ceux qui neconnaissent pas le mot qui correspond dans legrec, croient que cette expression exerceri marqueun exercice du corps. Mais le grec porteἀδολεσχῆσαι (adoleskhesai) ; or, ἀδολεσχεῖν(adoleskhein) s’entend d’un exercice de l'esprit etgénéralement en mauvaise part ; souventnéanmoins l'Écriture prend ce terme en bonnepart. Les uns le traduisent par exercice ; les autres,par causerie, sorte de verbiage, mot qui, dans la

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  • langue latine, ne se retrouve jamais ou presquejamais employé en bonne part ; mais, comme jel'ai dit, presque toujours il est pris en bonne partdans l'Écriture et je crois que cette expressionsignifie l'état d'une âme profondément absorbéedans la méditation et y trouvant ses délices. Ceuxqui entendent mieux le grec y verront peut êtreun sens préférable.

    LXX. (Ib. XXV, 1.) Sur la polygamie. –« Abraham épousa ensuite une femme nomméeCéthura. » Il y aurait ici sujet de demander s'il yavait péché, surtout pour les Patriarches quis'appliquaient à propager leur race. Il ne faut eneffet soupçonner rien moins que del'incontinence de la part d'un si grand hommesurtout à l'âge où il était arrivé. Mais pourquoieut-il des enfants de Céthura, après en avoir eu deSara par miracle ? Nous en avons donné la raisonplus haut40. Toutefois, au sentiment de plusieursinterprètes, le don qui fut accordé à Abraham,d'avoir eu des enfants dans un corps en quelquesorte revenu à la vie, aurait longtemps persévéré,et lui aurait permis de devenir le père d'autresenfants. Mais il est beaucoup plus simpled'admettre qu'un vieillard ait pu engendrer avecune femme jeune ; ce qui était impossible, àmoins d'un miracle, à un vieillard uni à unefemme âgée, eu égard surtout non seulement àl'âge, mais encore à la stérilité de Sara. Qu'un40 Ci-dessus, question 35.

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  • homme d'un âge avancé, et comme dit l'Écriture,plein de jours, puisse être appelé ancien, presbyteron peut le conjecturer de ce qu'Abraham futappelé de ce nom après sa mort. Tout vieillard estdonc un ancien, mais tout ancien n'est pas unvieillard : car on désigne ordinairement ainsi l'âgevoisin de la vieillesse ; aussi, dans la langue latine,du mot vieillesse, senectus, est venu senior quisignifie ancien et répond à presbyter. En grec,principalement dans le style de l'Écriture, on ditpar opposition πρεσϐύτεροι (presbuteroi) etνεώτεροι (neoteroi) même quand on parled'hommes jeunes encore, comme on dit parminous l'aîné, et le plus jeune. Cependant siAbraham eut, après la mort de Sara, dix enfantsde Céthura, il ne faut pas juger ce trait de sa vied'après la coutume et les idées humaines, ni croirequ'il n'eut d'autre dessein que de se créer unenombreuse postérité. On pourrait interpréterdans le même sens sa conduite envers Agar, sil'Apôtre ne nous avertissait que les choses sontarrivées prophétiquement, et que dans lapersonne de ces deux femmes et de leurs enfantsles deux Testaments se trouvaientallégoriquement prédits41. Il faut donc aussichercher, une signification semblable ici quoiqu'ilne s'en découvre pas facilement. Je vais direnéanmoins celle qui me vient à l'esprit : lesprésents faits aux enfants des concubines41 Galat. IV, 22-24.

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  • signifient, ce me semble, les dons départis, soitdans les sacrements, soit dans les miracles, auxJuifs charnels et aux hérétiques, ces fils deconcubines ; tandis que le trésor de l'héritage, quiest la charité et la vie éternelle, n'appartient qu'àIsaac, c'est-à-dire, aux enfants de la promesse.

    LXXI. ( Ib. XXV, 13. ) Pourquoi les noms desenfants d'Israël d'après les noms de leurs générations ? –Que signifient ces mots : « Voici les noms desenfants d'Israël d'après les noms de leursgénérations ? » On ne voit pas assez clairementpourquoi il est ajouté : « d'après les noms de leursgénérations, » puisqu'il n'est fait mention que desenfants dont d'Israël est le père, saris parler deceux qui sont issus de ceux-ci. Le sens de cesparoles : « d'après les noms de leurs générations »serait-il que les nations dont ils sont la soucheportent leurs noms ? Mais de [389] cette manièreles noms des nations seraient conformes auxnoms des enfants d'Israël, plutôt que les noms deces derniers, conformes à ceux des nations quin'eurent d'existence que dans la suite. Il faut doncnoter cette expression, car il est dit encore plusloin qu'ils furent « douze princes selon leurs nations. »

    LXXII. (Ib. XXV, 22.) Rébecca consulte leSeigneur. – Il est rapporté que Rébecca allaconsulter le Seigneur, lorsque ses enfantstressaillaient dans son sein. Mais où est-elle allée ?Il n'y avait pas alors de prophètes, pas de prêtresnon plus pour le service du tabernacle ou du

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  • temple du Seigneur. Où alla-t-elle donc, si ce n'està l'endroit où Abraham avait établi un autel ?Cette question préoccupe justement. Maisl'Écriture se tait absolument sur la manière dontelle y reçut la réponse de Dieu. Serait-ce parl'intermédiaire d'un prêtre ? Mais si ce prêtreexistait, il serait incroyable qu'il ne fût pasnommé, et qu'il ne fût alors fait aucune mentionde quelques prêtres. Serait-ce que par hasard,après avoir exprimé leurs vœux dans la prière, ilsse livraient au sommeil en cet endroit, pour yrecevoir des avertissements en songe ? Ou bienMelchisédech, :cet être si parfait que plusieurs ontmis en doute s'il fût un homme ou un ange,vivait-il encore à cette époque ? Y avait-il, mêmeen ce temps-là, des hommes de Dieu par qui onpût interroger le ciel ? Quoiqu'il en soit de ceshypothèses, yen eût-il quelque autre encore quiaurait échappé à ma mémoire, il est certain quel'Écriture ne peut mentir, quand elle dit queRébecca alla consulter le Seigneur, et que leSeigneur lui répondit.

    LXXIII. (Ib. XXV, 23.) Sens mystique de laréponse faite à Rébecca. – Le Seigneur répondit àRébecca : « Deux nations sont dans tes entrailles,et deux peuples sortant de ton sein seront divisés,et l'un de ces peuples l'emportera sur l'autre, etl'aîné sera assujetti au plus jeune. » L'aîné, suivantle sens spirituel, est la figure des hommescharnels, et le plus jeune, la figure des hommes

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  • spirituels, parmi le peuple de Dieu : car, ditl'Apôtre, « ce n'est pas ce qui est spirituel qui vintd'abord, mais ce qui est animal ; ce qui estspirituel vint ensuite42. » Ces paroles s'entendentencore en ce sens qu'Ésaü figure le peuple aîné deDieu, c'est-à-dire les Israélites selon la chair,tandis que Jacob figure sa propre descendancespirituelle. L'histoire vient à son tour complétercette réponse faite par Dieu ; quand elle rapporteque le peuple d'Israël, c'est-à-dire Jacob, le plusjeune ; surmonta les Iduméens, c'est-à-dire lanation issue d'Ésaü, et les rendit tributaires autemps de David. Les Iduméens demeurèrentlongtemps en cet état, jusqu'au roi Joram, sous lerègne duquel ils se révoltèrent et se délivrèrent dujoug des Israélites, conformément à ce qu'avaitprédit Isaac lui-même, après qu'il eut béni le plusjeune à la place de l'aîné : car il fit cette promesseà lainé quand ensuite il le bénit43.

    LXXIV. (Ib. XXV, 27.) Sur ces mots : Jacob étaitun homme simple. – « Or Jacob, était un hommesimple, demeurant à la maison » Le mot grecἅπλαστος (aplastos) a été traduit par le mot simple.Or, ἄπλαστος (aplastos) signifie proprement sansartifice ; aussi plusieurs interprètes latins ont-ilstraduit : sans artifice, et ils disent : « Jacob était unhomme sans artifice, demeurant à la maison. » C'estdonc une grande question de savoir comment42 I Cor XV, 48.43 Genèse, XXVII, 40.

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  • sans artifice il a pu se faire donner par artifice labénédiction paternelle. Mais l'Écriture s'est serviede ce terme pour signifier quelque chose degrand. En effet, ce qui nous conduit surtout àdécouvrir des choses spirituelles dans ce passage,c'est précisément que celui qui usa d'artifice n'enétait point capable. Nous avons suffisammentdéveloppé, dans un sermon adressé au, peuple,notre sentiment à ce sujet44.

    LXXV. (Ib. XXVI, 1.) Famine arrivée au tempsd'Isaac. – « Il arriva une famine en ce pays, outrecelle qui arriva auparavant au temps d'Abraham ;et Isaac s'en alla à Gérare, vers Abimélech, roi desPhilistins. » En quel temps, demande-t-on ? Est-ce après qu'Ésaü eut vendu son droit d'aînessepour un repas de lentilles ? Car, après le récit dece trait vient celui : de la famine. Ou bien, commeil arrive souvent, le narrateur ne reprend-il passon sujet où il l'a laissé, après avoir parlé du filsd'Isaac et du plat de. lentilles ? Ce qui porte à lecroire, c'est qu'on retrouve ici le mêmeAbimélech, qui avait déjà aimé passionnémentSara ; on revoit aussi le favori et le chef de l'arméede ce prince, dont il fut alors fait mention :pouvaient-ils être encore en vie ? QuandAbimélech devint l'ami d'Abraham, Isaac n'étaitpas encore né, mais il était déjà promis.Supposons que cette alliance eut lieu un an avantla naissance d'Isaac. Isaac eut ses fils à l'âge de44 Sermon IV, n°. 16-24. tom. VI.

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  • soixante ans ; or, ceux-ci étaient des [390] jeunesgens, lorsque Ésaü vendit son droit d'aînesse ;supposons qu'ils avaient alors environ vingt ans, àl'époque de cet échange Isaac avait quatre-vingtsans. Admettons de plus qu'Abimélech était jeune,quand il aima la mère d'Isaac et devint l'amid'Abraham ; Isaac pouvait donc être centenaire, sice fût après le marché conclu entre ses fils qu'il setransporta dans cette contrée, pressé par lafamine. Rien par conséquent n'oblige à penserque le départ d'Isaac pour Gérare est rapporté parmode de récapitulation. Mais comme il est ditqu'Isaac demeura longtemps dans ce pays, qu'il ycreusa des puits, à l'occasion desquels il y eut descontestations, et qu'il y devint fort riche ; il seraitétonnant que ces circonstances ne fussent pasantérieures à la vente du droit d'aînesse par Ésaü.Elles auraient donc été passées sous silence, pourpermettre au récit de parler d'abord des filsd'Isaac jusqu'à l'endroit où il est question du platde lentilles.

    LXXVI. (Ib. XXVI, 12, 13.) Isaac béni par leSeigneur. – « Le Seigneur le bénit, et il fut unhomme remarquable, et en avançant il devenaitplus grand encore jusqu'à ce qu'il devintextrêmement puissant. » La suite nous apprendque ces paroles relatives à Isaac se rapportentsurtout à la félicité terrestre. Car l'écrivain décritensuite les richesses qui firent sa grandeur et dontAbimélech s'émut su point de craindre son

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  • voisinage, parce que sa puissance pouvait lui êtrefuneste. Quoique ces choses cachent un sensspirituel, cependant, avant de les rapporter dans lesens littéral, l'Écriture observe « Qu'il fut béni duSeigneur. » Elle veut nous faire bien comprendreque ces biens temporels eux-mêmes ne peuventvenir, et qu'ils ne doivent être attendus que deDieu seul, lors même qu'ils sont l'objet des désirsdes hommes faibles dans la foi : afin que celui quiest fidèle dans les petites choses le soit aussi dansles grandes ; et que celui qui est fidèle dans lesrichesses d'iniquité, mérite aussi de parvenir à lavérité, selon ce que dit le Seigneur dansl'Évangile45. Il est dit également d'Abraham queses richesses furent un bienfait de Dieu. Ce récitcompris avec piété, ne sert donc pasmédiocrement à édifier la foi sincère, lors mêmequ'on n'en pourrait dégager aucun sensallégorique.

    LXXVII (Ib. XXVI, 28.) Sens du motmalédiction. – « Qu'il y ait entre nous et toimalédiction, » c'est-à-dire, un sermentaccompagné des malédictions qui retomberontsur le parjure. Il faut observer que tel fut le sensdes paroles employées par le serviteur d'Abraham,dans son discours à ceux dont il reçut une épousepour son maître Isaac.

    LXXVIII. (Ib. XXVI, 32) Le nom de jurementdonné au puits creusé par Isaac. – Pourquoi est-il écrit45 Luc, XVI, 10.

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  • que les serviteurs d'Isaac étant venus lui dire :« Nous avons creusé un puits, et nous n'avons pastrouvé d'eau, » Isaac donna à ce puits le nom dejurement ? Serait-ce que, nonobstant le senshistorique, il faut découvrir ici quelque sensspirituel ? Car, à la lettre, il n'y a nulle convenanced'appeler un puits jurement parce qu'on n'y a pastrouvé d'eau. Il est vrai néanmoins qu'ausentiment de quelques autres interprètes, lesserviteurs d'Isaac ont plutôt annoncé qu'ilsavaient trouvé de l'eau mais, même dans cettehypothèse, pourquoi donner au puits le nom dejurement, quand aucun serment n'avait été fait ?

    LXXIX. (Ib. XXVII, 1-17.) Jacob béni à la placed'Ésaü. – Sur le point de mourir, Isaac, ce grandpatriarche, demande à son fils, en retour d'unbienfait considérable, le fruit de sa chasse et lemets qu'il aime, puis lui promet sa bénédiction,Nous croyons que tout cela n'est point sansrenfermer un sens prophétique ; surtout parceque sa femme s'empressa de faire recevoir cettebénédiction au plus jeune, qu'elle chérissait, etque le reste du récit excite beaucoup à concevoirou à rechercher des choses d'un ordre plus relevé.

    LXXX. (Ib. XXVII, 33.) L'extase d'Isaac. – Ceque portent les exemplaires latins : « Isaac fut saisid'une très grande stupeur, » les exemplaires grecsles rendent par ces mots : « Isaac fut jeté dans uneextase très grande, termes qui font concevoir uneémotion si profonde qu'elle produisit une certaine

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  • surexcitation d'esprit. Tel est en effet le senspropre du mot extase. Et comme elle arrived'ordinaire dans la révélation des grandes choses,il faut se persuader qu'Isaac reçut alorsl'avertissement intérieur de confirmer labénédiction donnée à son plus jeune fils, quandcelui-ci était, ce semble, plutôt digne de la colèrede son père pour l'avoir trompé. C'est ainsi quepour prophétiser ce grand mystère qui est, ditl'Apôtre, dans le Christ et dans l'Église, et dedire ; « Ils seront deux dans une seule chair, »Adam fut ravi en extase46.

    LXXXI. (Ib. XXVII, 42.) Comment Rébecca[391] connut-elle les desseins meurtriers d'Ésaü ? –Comment furent annoncées, ou rapportées àRébecca les menaces de mort prononcées parÉsaü contre son frère ? Il les faisait en lui-même,dit l'Écriture. N'est-ce pas une preuve que toutleur était alors révélé d'en haut ? La conduite deRébecca, faisant bénir son plus jeune fils à laplace de l'aîné, touche donc à un grand mystère.

    LXXXII. (Ib. XXVIII, 2.) Ils n'étaient pasignorés d'Isaac. – Les exemplaires latins portentqu'Isaac dit à son fils : « Va en Mésopotamie,dans la maison de Bathuel, père de ta mère et làprends une femme pour épouse. » Lesexemplaires grecs ne disent pas : Va ; mais Fuis,car tel est le sens de ἀπόδραθι (apodrathi). On

    46 Genèse, II, 21-24 ; Ephès. VI, 31, 32.

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  • comprend de là qu'Isaac connut aussi ce que sonfils Ésaü disait de son frère en lui-même.

    LXXXIII. (Ib. XXVIII, 16,17.) Échelle deJacob, figure du tabernacle. – « Et Jacob se leva aprèsson sommeil, et il dit : Le Seigneur est en ce lieu-ci et je ne le savais pas ; et il trembla et il dit : Quece lieu est terrible ! c'est certainement la maisonde Dieu, et c'est la porte du ciel. » Ces parolesrenferment une prophétie, car là devait être letabernacle, que le Seigneur fit dresser parmi leshommes au sein de son premier peuple. Il nousfaut entendre par le mot porte du ciel, que letabernacle est pour les hommes de foi commeune avenue qui les conduit au royaume des cieux.

    LXXXIV. (Ib. XXVIII. 18.) Pierre de Jacob. –Lorsque Jacob dressa la pierre qu'il avait misesous sa tête, en fit un autel et l'arrosa d'huile, iln'imita en rien la conduite des idolâtres ; car nidans ce temps-là, ni dans la suite, il ne visita cettepierre pour l'adorer ou lui sacrifier ; mais ce fut lemonument d'une prophétie, très significativerelative à l'onction du Christ : aussi, le nom deChrist vient de Χρίσμα (Xrisma), onction.

    LXXXV. (Ib. XXVIII, 19.) Maison de Dieu. –« Et, Jacob appela cet endroit Maison de Dieu, etUlammaüs était auparavant le nom de la ville. » Sil'on entend qu'il se soit endormi près de la ville, iln'y a point de difficulté à répondre ; mais si c'estdans la ville, il semble étonnant qu'il ait pu yériger un monument. Quant au vœu qu'il émet,

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  • s'il est heureux dans l'aller et le retour, et à lapromesse qu'il fait de donner la dîme à la maisonde Dieu, qui devait s'élever en cet endroit, c'estl'annonce prophétique de la maison de Dieu, où,de retour, il offrit lui-même au Seigneur unsacrifice. Il n'appelle point cette pierre Dieu, maisMaison de Dieu, pour signifier que là devait êtreun jour une maison consacrée au Seigneur.

    LXXXVI. (Ib. XXIX, 10.) Il faut suppléer ce quel'Écriture ne dit point. – Rachel vint avec les brebisde son père, et, dit l'Écriture, Jacob ayant vuRachel, fille de Laban, frère de sa mère,s'approcha et ôta la pierre de l'ouverture du puits.Ici plutôt que de soulever aucune question il vautmieux observer que l'Écriture omet quelquechose que nos intelligences doivent suppléer. Oncomprend en effet que Jacob demanda à ceuxavec qui il s'entretenait d'abord, quelle était cellequi venait avec ses brebis et qu'ils répondirentque c'était la fille de Laban. Jacob évidemment nela connaissait pas ; mais l'Écriture, en passantsous silence la demande de l'un et la réponse desautres, a voulu que nous les suppléions.

    LXXXVII. ( Ib. XXIX, 11,12.) Sur le baiserque Jacob donne à Rachel. – Il est écrit : « Jacob baisaRachel, et élevant la voix il pleura ; et il lui ditqu'il était son frère et