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SEMINAIRE 11 LES QUATRE CONCEPTS FONDAMENTAUX DE LA PSYCHANALYSE 1964 AFI Table des matières, p. 2 Début, p. 9 La pagination respecte celle du document source 1

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    LES QUATRE CONCEPTS FONDAMENTAUX DE LA PSYCHANALYSE 1964

    AFI

    Table des matires, p. 2

    Dbut, p. 9

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    Table des matires

    Note liminaire 7Leon I, 15 janvier 1964 9Leon II, 22 janvier 1964 23Leon III, 29 janvier 1964 37Leon IV, 5 fvrier 1964 49Leon V, 12 fvrier 1964 63Leon VI, 19 fvrier 1964 77Leon VII, 26 fvrier 1964 89Leon VIII, 4 mars 1964 103Leon IX, 11 mars 1964 119Leon X, 15 avril 1964 137Leon XI, 22 avril 1964 155Leon XII, 29 avril 1964 173Leon XIII, 6 mai 1964 189Leon XIV, 13 mai 1964 203Leon XV, 20 mai 1964 221Leon XVI, 27 mai 1964 237Leon XVII, 3 juin 1964 255Leon XVIII, 10 juin 1964 273Leon XIX, 17 juin 1964 291Leon XX, 24juin1964 3112

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    Leon I 15 janvier 1964

    Mesdames, Messieurs,

    Dans la srie de confrences dont je suis charg par la sixime Section de lcole pratique des Hautes tudes, je vais vous parler des fondements de la psychanalyse. Je voudrais seulement aujourdhui vous indiquer le sens que je compte donner ce titre et au mode sous lequel jespre y satisfaire.

    Pourtant il me faut dabord me prsenter devant vous, encore que la plupart ici, mais non pas tous, me connaissent, car les circonstances font quil me parat appropri dy introduire la question, pralable vous prsenter ce sujet.

    En quoi suis-je autoris ? Je suis autoris parler ici devant vous de ce sujet de par lou-dire davoir fait par ailleurs ce quon appelait un sminaire qui sadressait des psychanalystes; mais comme certains le savent, je me suis dmis de cette fonction laquelle javais, pendant dix ans, vraiment vou ma vie, en raison dvnements survenus lintrieur de ce quon appelle une socit psychanalytique, et nommment celle qui mavait prcisment confi cette fonction.

    On pourrait soutenir que ma qualification nest pas pour autant mise en cause pour remplir ailleurs cette mme fonction. Je tiens pourtant provisoirement la question pour suspendue, et si je suis mis en demeure de pouvoir, disons, seulement donner suite cet enseignement qui fut le mien, je considre que je dois commencer, avant douvrir ce qui se pr9

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    sente donc comme une nouvelle tape, je dois commencer par les remerciements, que je dois de cette possibilit, M. Fernand Braudel, prsident de la Section des Hautes tudes, que je dlgue ici devant vous, la grce de qui je dois, en somme, de pouvoir le faire sous lgide de cette Ecole hautement honore M. Braudel, empch, ma dit son regret de ne pouvoir tre prsent au moment o aujourdhui je lui rends cet hommage ainsi que ce que jappellerai la noblesse avec laquelle en cette occasion, il a voulu parer la situation de dfaut o jtais pour un enseignement dont, en somme, ne lui tait parvenu rien dautre que le style et la rputation, pour que je ne sois pas purement et simplement rduit au silence. Noblesse est bien le terme dont il sagit quand il sagit, en somme, daccueillir celui qui tait dans la position o je suis, celui dun rfugi.

    Il la fait aussi vite dy tre suscit par la vigilance de mon ami Claude Lvi-Strauss, dont je me rjouis quil ait bien voulu aujourdhui me donner sa prsence et dont il sait combien mest prcieux ce tmoignage de lattention quil porte un travail, au mien, ce qui sy labore en profonde correspondance avec le sien.

    Jy ajouterai mes remerciements pour tous ceux qui, en cette occasion, mont marqu leur sympathie, jusqu aboutir la complaisance avec laquelle M. Robert Flacelire, directeur de lEcole Normale Suprieure, a bien voulu mettre la disposition de lEcole des Hautes tudes, cette salle sans laquelle je ne sais pas comment jaurais pu vous recevoir, dtre venus si nombreux, ce dont je vous remercie du fond du cur.

    Tout ceci concerne donc la base, en un sens, je dirai, local, voire militaire, de ce mot : base pour mon enseignement. Mais je me permets daborder maintenant ce dont il sagit, les fondements de la psychanalyse.

    Pour ce qui est des fondements de la psychanalyse, mon sminaire y tait, si je puis dire, impliqu. Il en tait un lment, puisque, en somme, il contribuait la fonder in concreto, puisquil faisait partie de la praxis elle-mme, puisquil y tait intrieur, puisquil tait dirig vers ce qui est un lment de cette praxis, savoir la formation de psychanalystes.

    Jai pu, dans un temps, ironiquement dfinir (provisoirement peut-tre, mais aussi bien, faute de mieux, dans lembarras o je pouvais tre) un critre de ce que cest que la psychanalyse : comme le traitement distribu par un psychanalyste. Henry Ey, qui est ici aujourdhui, se sou-10

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    viendra de cet article puisquil fut publi dans ce tome de lencyclopdie quil dirige. Il me sera dautant plus ais dvoquer, puisquil est prsent, le fait du vritable acharnement qui fut mis faire retirer de ladite encyclopdie, ledit article au point que lui-mme, dont chacun sait les sympathies quil maccorde, fut, en somme, impuissant arrter cette opration obtenue par un comit directeur o se trouvaient prcisment des psychanalystes! Cet article qui sera recueilli, dans ce que jessaie de faire pour linstant, pour un certain nombre de mes textes, savoir une dition, vous pourrez, je pense, juger sil avait perdu son actualit. Je le pense dautant moins que toutes les questions que jy soulve sont celles-l mmes prsentes, prsentifies la fois par le fait que je suis ici dans la posture qui est la mienne pour introduire toujours cette mme question : quest-ce que la psychanalyse? Sans doute y a-t-il l plus dune ambigut et cette question est-elle toujours, selon le mode o je la dsigne dans cet article, une question chauve-souris. De lexaminer au jour, tel est ce que je me proposais.

    Do, de quelque enseignement o je doive vous le proposer aujourdhui la place, la place do je raborde ce problme, le fait quon puisse la dfinir comme une place qui a chang, qui nest plus tout fait au dedans, dont on ne sait pas si elle est en dehors, nest pas ici anecdotique. Et cest bien pourquoi je pense que vous ne verrez de ma part ni recours lanecdote, ni polmique daucune sorte si je pointe ceci qui est un fait : cest que mon enseignement (dsign comme tel) a subi de la part dun organisme qui sappelle le Comit excutif de cette organisation internationale qui sappelle lInternational Psychoanalytical Society, une censure qui nest point ordinaire. Puisquil ne sagit de rien de moins que de faire de la proscription de cet enseignement qui doit tre considr comme nul en tout ce qui peut en venir quant lhabilitation au registre de cette socit dun psychanalyste faire de cette proscription la condition daffiliation de la socit laquelle jappartiens.

    Ceci encore nest pas suffisant. Il est formul que cette affiliation ne sera accepte que si lon donne des garanties pour que mon enseignement ne rentre, jamais, par cette socit, en activit pour la formation des analystes.

    Il sagit donc l de quelque chose qui est proprement comparable ce quon appelle en dautres lieux, lexcommunication majeure. Encore11

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    celle-ci, dans les lieux o ce terme est employ, nest-elle jamais prononce sans possibilit de retour. Elle nexiste, elle existe pourtant sous cette forme dans une communaut religieuse dsigne par le terme indicatif, symbolique de la Synagogue, cest proprement ce dont Spinoza fut lobjet en deux tapes : le 27 juillet 1656, singulier tricentenaire, puisquil correspond au tricentenaire de Freud; le 27 juillet 1656, Spinoza fut lobjet du Kherem, excommunication qui rpond bien cette excommunication majeure. Il attendit quelque temps pour complter notre tri-centenaire pour tre lobjet du Shammata, lequel consiste y ajouter cette condition de limpossibilit dun retour.

    Ne croyez pas, l non plus, quil sagisse dun jeu mtaphorique, quil serait en quelque sorte puril dagiter au regard du champ, mon Dieu! long autant que srieux, que nous avons couvrir. Je crois, et vous le verrez, quil introduit quelque chose, non seulement par les chos quil voque, mais par la structure quil implique. Il introduit quelque chose qui serait au principe de notre interrogation concernant la praxis psy-chanalytique.

    Je ne suis, bien entendu, pas en train de dire, car ce ne serait pas impossible, que la communaut psychanalytique est une glise, mais incontestablement la question surgit de savoir ce quelle peut bien avoir qui fait ici cho une pratique religieuse. Nous y viendrons et nous verrons que cette voie ne sera pas, pour nous, infconde. Aussi bien naurais-je mme pas accentuer ce fait, pourtant en lui-mme plein de relief de porter avec lui je ne sais quel relent de scandale si, comme tout ce qui savancerait aujourdhui, vous ne pouviez tre sr den retrouver, dans la suite, lcho dune civilisation.

    Bien sr, ce nest pas l dire que je suis, en de telles conjonctures, seulement un sujet indiffrent. Ne croyez pas que pour moi pas plus que pour lintercesseur dont je nai pas hsit linstant voquer ce en quoi il peut servir en une telle occasion, de rfrence, voire de prcdent, pas plus pour moi que, je le suppose, pour lui, ce nest l matire comdie, au sens de matire rire. Nanmoins je voudrais au passage, parce que cest l quelque chose qui peut..., vous tmoigner dun certain niveau de la perception analytique, que quelque chose ne ma pas chapp dune vaste dimension comique dans ce dtour. Elle nappartenait pas au registre de ce qui se passe au niveau de cette formulation, celle que jai12

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    appele excommunication. Elle appartenait plutt au fait qui fut le mien pendant deux ans, de savoir que jtais, et trs exactement par ceux-l, qui taient, mon endroit, dans la position de collgues, voire dlves, dans la position dtre ce quon appelle ngoci; car ce dont il sagit, ctait de savoir dans quelle mesure les concessions faites au sujet de la valeur habilitante de mon enseignement pouvaient tre mises en balance avec ce quil sagissait dobtenir dautre part : lhabilitation de cette socit.

    Je ne veux pas laisser passer cette occasion, dans la mme perspective que je vous ai dite tout lheure ( savoir de ce que nous pouvons en retrouver dans la suite), loccasion de pointer nous le retrouverons que cest l, proprement parler, quelque chose qui peut tre vcu, quand on y est, dans la dimension du comique.

    Je crois nanmoins que ce nest peut-tre saisi pleinement que par un psychanalyste. tre ngoci nest pas, pour un sujet humain, une situation exceptionnelle ni rare, contrairement au verbiage qui concerne la dignit humaine, voire les Droits de lhomme. Chacun, tout instant et tous les niveaux, est ngociable puisque, comme nous lappelons, toute apprhension un peu srieuse de la structure sociale est lchange. Et lchange dont il sagit est lchange des individus, de supports sociaux qui sont par ailleurs ce quon appelle des sujets, avec ce quils comportent de droits sacrs, dit-on lautonomie. Dailleurs chacun sait que la politique consiste ngocier, et cette fois-ci, la grosse, par paquets, les mmes sujets, dits citoyens , par centaines de mille.

    La situation navait donc rien dexceptionnel ceci prs que, par exemple, dtre ngoci par ceux que jai appels tout lheure ses collgues, voire ses lves, prend quelquefois, hors de ce jeu, vu du dehors, un autre nom...

    Nanmoins, une saine aperception des choses concernant le sujet, mme quand ce sujet est en position honnte, une saine aperception de ce quil en est rellement du sujet humain, savoir de ceci que sa vrit nest pas en lui mais dans un objet et savoir que, dans quelque position quon soit, cet lment qui est proprement llment de comique pur, surgit, li la nature voile de cet objet.

    Cest l une exprience dont, sans doute, je crois opportun de la pointer, et de l o je puis en tmoigner. Parce quaprs tout peut-tre en13

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    pareille occasion serait-il lobjet dune retenue indue, une sorte de fausse pudeur ce que quelquun en tmoignt du dehors; du dedans je peux vous dire que cette dimension est tout fait lgitime, quelle peut, du point de vue analytique, je vous lai dit, tre vcue et mme dune faon qui, partir du moment o elle est aperue, la surmonte, savoir vcue sous langle de ce quon appelle lhumour, qui en cette occasion nest que la reconnaissance du comique.

    Je ne crois pas que cette remarque soit mme hors du champ de ce que japporte concernant les fondements de la psychanalyse, car fondement a plus dun sens et je naurais point besoin dvoquer la Kabbale pour rappeler quil y dsigne un des modes de la manifestation qui est proprement dans ce registre identifi au pudendum, et quil serait tout de mme extraordinaire que, dans un discours analytique ce soit au pudendum que nous nous arrtions. Les fondements, ici, sans doute, prendraient la forme de dessous si ces dessous ntaient pas dj quelque peu lair.

    Ds lors, je ne crois pas inutile de marquer que si certains, au dehors, peuvent stonner par exemple qu cette ngociation et dune faon trs insistante aient particip tels de mes analyss, voire analyss encore en cours et sinterroger comment une chose pareille, (si tant est quelle soit au dehors objet de scandale), peut-elle tre possible si ce nest quil y a dans les rapports de vos analyss vous quelque discorde qui mettrait en question la valeur mme de lanalyse... entendez que cest justement de partir de ce qui, dans ce fait, peut tre matire scandale, que nous pouvons pointer mieux et dune faon plus prcise concernant ce fait qui sappelle la psychanalyse didactique, cette praxis ou cette tape de la praxis qui est laisse, par ce qui se publie, tant lintrieur que, bien entendu, a fortiori, lextrieur de la psychanalyse compltement dans lombre, dapporter, justement, quelque lumire concernant ses buts, ses limites, ses effets.

    Ce nest plus l Une question de pudendum, cest question effectivement de savoir ce que, de la psychanalyse, on peut, on doit attendre et de ce qui doit sy entriner comme frein, voire comme chec. Cest pour cela que jai cru ne rien devoir mnager, mais plutt poser ici, comme un objet, dont jespre que vous verrez plus clairement, la fois les contours et le maintien possible, le poser lentre mme de ce que jai14

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    maintenant dire au moment o, devant vous, jinterroge. Quest-ce que les fondements, au sens large du terme, de la psychanalyse? Ce qui veut dire quest-ce qui la fonde comme praxis?

    Quest-ce quune praxis? Il me parat douteux que ce terme puisse tre considr comme impropre concernant la psychanalyse. Cest le terme le plus large pour dsigner une action concerte par lhomme, quelle quelle soit, qui le met en mesure de traiter, dirais-je, le rel par le symbolique. Quil y rencontre plus ou moins dimaginaire ne prend ici que valeur secondaire.

    Cette dfinition de la praxis stend donc fort loin. Il est clair que nous nallons pas comme Diogne nous mettre rechercher non pas un homme, mais notre psychanalyse, dans les diffrents champs, trs diversifis, de la praxis! Nous prendrons plutt avec nous notre psychanalyse et nous allons voir que tout de suite elle nous dirige vers des points assez localiss, dnommables, de la praxis; qui sont mme, par quelque transition, les deux termes entre lesquels jentends poser la question, non pas du tout dune faon ironique mais dune faon qui est, je crois, des-tine tre trs clairante. Il est bien clair que si je suis ici devant un auditoire aussi large, dans un tel milieu

    et avec une telle assistance, cest pour me demander si cest une science et lexaminer avec vous.

    Il est clair dautre part que jai mon ide, quand jai tout lheure voqu la rfrence religieuse en prcisant bien que cest de religion au sens actuel du terme, non pas dune religion assche, mthodologise, repousse dans le lointain dune pense primitive , dune religion telle que nous les voyons sexercer encore vivantes, et bien vivantes.Ce que nous pouvons attendre dun tel discours nest pas seulement de classer notre

    psychanalyse, qui a bien pour nous sa valeur authentique, parfaitement reconnaissable. Nous savons o nous sommes (il y a assez de psychanalystes dans cette assemble, pour me servir, ici, de contrle). Mais que, assurment, par ce en quoi elle nous permet de poser cette question, cette psychanalyse, quelle soit digne ou non de sinscrire lun des deux registres, peut mme nous clairer sur ce que nous devons entendre par une science, voire par une religion.

    Il est bien clair quil est plus dcent que je commence par interroger la science.15

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    Je voudrais tout de suite viter un malentendu. On va me dire : De toute faon, cest une recherche. Eh bien! l, permettez-moi dnoncer, et mme aprs tout madressant un tant soit peu aux pouvoirs publics pour qui ce terme de recherche, depuis quelque temps, semble servir de schibbolet, pour pas mal de choses, le terme de recherche, je men mfie.

    Pour moi, je ne me suis jamais considr comme un chercheur. Comme la dit un jour Picasso au grand scandale des gens qui lentouraient, Je ne cherche pas, je trouve. Il y a dailleurs dans le champ de la recherche, dite scientifique, deux domaines quon peut parfaitement reconnatre : celui o lon cherche, et celui o lon trouve...

    Chose curieuse, ceci correspond une frontire assez bien dfinie quant ce qui peut se qualifier de science. La frontire recouvre trs significativement deux versants parfaitement qualifiables dans ce champ de la recherche.

    Aussi bien, y a-t-il sans doute quelque affinit entre cette recherche et ce que jai appel le versant religieux. Il sy dit couramment: Tu ne me chercherais pas si tu ne mavais dj trouv. Et trouv est derrire. La question peut-tre dont il sagit est de savoir sil ne stablit pas une sorte douverture une recherche, voire une recherche complaisante dans la mesure o quelque chose de lordre de loubli frappe ce qui a t dj trouv. La recherche, en cette occasion, nous intresse par ce qui dans le dbat stablit au niveau de ce que nous pouvons appeler, de nos jours, les sciences humaines.

    On voit comme surgir, sous les pas de quiconque trouve, ce que jappellerais la revendication hermneutique qui est justement celle qui cherche, celle qui cherche la signification toujours neuve et jamais puise qui serait, au principe, menace dtre coupe dans luf par celui qui trouve!

    Or cette hermneutique, nous autres analystes y sommes intresss ce que lhermneutique se propose comme voie de dveloppement de la signification, cest quelque chose qui nest pas, semble-t-il, tranger, en tout cas, qui dans bien des esprits se confond avec ce que nous analystes appelons interprtation. Et par tout un ct il semble que, si tant est que cette interprtation nest pas du tout peut-tre dans le mme sens que ladite hermneutique, lhermneutique sen accommode, voire sen favorise assez volontiers...16

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    Le versant par o nous voyons tout au moins un couloir de communication entre la psychanalyse et ce que jai appel le registre religieux, de lavoir ouvert ici nest point sans importance. Nous le retrouverons en son temps.

    Donc, pour autoriser la psychanalyse sappeler une science, nous exigerons un peu plus.

    Repartons de notre praxis. Ce qui spcifie une science, cest davoir un objet. On peut le soutenir, quune science est spcifie par un objet dfini au moins par un certain niveau dopration reproductible quon appelle exprience. Le rapport de lobjet la praxis, en tout cas, est un rapport ncessaire.

    Est-il suffisant? Je nen trancherai pas tout de suite. Pour la science nous devons tre trs prudents parce que cet objet change (et singulirement!) au cours de lvolution dune science. Nous ne pouvons point dire que lobjet de la physique moderne est le mme maintenant quau moment de sa naissance que, je vous le dis tout de suite, je date au XVIIe sicle. Est-ce que lobjet de la chimie moderne est le mme quau moment de sa naissance, que je date Lavoisier!

    Peut-tre ces remarques nous forcent-elles un recul au moins tactique pour un moment, et repartir de la praxis, nous demander si dans le fait que la praxis dlimite un champ, cest au niveau de ce champ que le savant de la science moderne se trouve spcifi : non point comme un homme qui en sache long en tout.

    Je mentends, nous laisserions ici de ct toute rfrence de la science un systme unitaire dit systme du monde , cette exigence, de Duhem pour la qualifier, voire Meyerson dans les rapports entre identit et ralit rfrence, plus ou moins qualifiable didaliste, au besoin didentification. Jirai mme dire que nous pouvons nous passer, nous abstraire de ce complment transcendant, implicite mme dans la position du positiviste : il se rfre toujours une unit dernire de tous les champs. Nous nous en abstrairons dautant mieux, dautant plus quaprs tout, cest discutable et ce peut-tre mme tre tenu pour [exorbitant] : il nest nullement ncessaire que larbre de la science nait quun seul tronc. Je ne pense pas quil en ait beaucoup, il en a peut-tre, sur le modle du chapitre premier de la Gense, deux diffrents. Non pas du tout que jattache une importance exceptionnelle ce mythe plus ou17

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    moins marqu dobscurantisme, mais aprs tout, pourquoi nattendrions-nous pas de la psychanalyse de nous clairer l-dessus?

    A nous en tenir la notion du champ dfinissant une exprience, nous voyons bien tout de suite que ceci ne suffit pas dfinir une science, pour la raison que, par exemple, cette dfinition sappliquerait trs trs bien lexprience mystique. Cest mme par cette porte quon lui redonne une considration scientifique! Nous arrivons presque penser que nous pouvons avoir, de cette exprience, une apprhension scientifique, car il ne faut pas se dissimuler quil y a l une sorte dambigut. Soumettre un examen scientifique prte toujours ce que [lon risque] de laisser entendre que lexprience peut avoir delle-mme une subsistance scientifique.

    Or tous ces points dambigut, forts de malentendus, nous intressent dans notre propos en ceci quil semble bien que tout le problme de la psychanalyse, en ce tournant que nous vivons, soit celui dun vritable nud de malentendus.

    Quil soit vident, tout aussitt, que nous ne pouvons pas faire rentrer dans la science lexprience mystique.

    A condition quon le fasse remarquer encore, cette dfinition dune praxis, du champ quelle dtermine, lappliquerons-nous lalchimie pour lautoriser tre une science? Je relisais rcemment un tout petit volume qui na mme pas t recueilli dans les uvres Compltes de Diderot mais qui semble assurment tre de lui. Si elle nat Lavoisier, Diderot ne parle pas de chimie, mais de bout en bout de lalchimie, avec toute la finesse desprit que vous savez tre la sienne. Quest-ce qui nous fait, tout de suite, malgr le caractre saisissant, tincelant des histoires, quau cours des ges il nous situe, quest-ce qui nous fait dire que lalchimie, aprs tout, nest pas une science? Aprs tout, quen savons-nous? Quelque chose, mes yeux, est dcisif, cest que dans lalchimie, la puret de lme de loprateur tait, comme telle et de faon dnomme, un lment essentiel en laffaire.

    Cette remarque nest pas non plus accessoire, contingente. Vous le sentez, puisque peut-tre va-t-on soulever quil sagit de quelque chose danalogue concernant la prsence de lanalyste dans le Grand uvre analytique et que cest peut-tre a qui est cherch dans notre psychanalyse didactique; et peut-tre moi-mme ai-je lair de dire la mme chose18

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    dans mon enseignement ces derniers temps (et connu de tous ceux qui mont suivi) que je pointais tout droit, toutes voiles dehors, et de faon avoue vers ce point central que je mettais en question: savoir quel est le dsir de lanalyste. Que doit-il en tre du dsir de lanalyste pour quil opre dune faon correcte? Et si cette question, on peut ladmettre, peut tre laisse hors des limites du champ, comme elle lest en effet, dans les sciences, jentends, les sciences modernes du type le plus [formalis] o personne ne sinterroge sur ce quil en est du dsir du physicien.

    Il faut vraiment des crises qui se posent, comme on dit, comme problmes lattention humaine pour que M. Oppenheimer nous interroge tous sur ce quil en est du dsir qui est au fond de la physique moderne (personne dailleurs ny ferait attention, on croit que cest un incident politique...) Est-ce que cest quelque chose du mme ordre que ce qui est exig de ladepte de lalchimie?

    Lui [le dsir] ne peut nullement tre laiss en dehors de notre question pour la raison que le problme de la formation de lanalyste le pose. Lanalyse didactique ne peut servir rien dautre qu le mener ce point que je dsigne en mon algbre comme le dsir de lanalyste.

    L encore, il me faut laisser la question ouverte, charge pour vous de sentir ce que je vous amne par approximations comme celle-ci lagriculture est-elle une science? On rpondra oui, on rpondra non. Cet exemple est avanc par moi, seulement pour vous suggrer que vous faites quand mme une diffrence entre lagriculture dfinie par un objet et dfinie (cest le cas de le dire) par un champ. Entre lagriculture et lagronomie ceci me permettra de faire surgir une dimension qui est assure (nous sommes dans le b. a. ba, mais enfin, il faut bien y tre), cest la mise en formules.

    Est-ce que a va nous suffire faire le lien, dfinir les conditions dune science? Je nen crois rien. Une fausse science commune, il est vrai, peut tre mise en formules; la question napparat donc pas tellement simple, ds lors que la psychanalyse, comme science suppose, apparat sous des traits quon peut dire problmatiques. Il conviendrait peut-tre de prendre la question par dautres bouts.

    Que concernent les formules? O doivent-elles porter? Quest-ce qui motive et module ce glissement de lobjet? Assurment, nous ne19

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    pouvons pas viter la question du concept. Est-ce quil y a des concepts analytiques dores et dj forms? Est-ce que... Lextraordinaire prvalence, le maintien presque religieux des termes avancs par Freud pour structurer lexprience analytique, quoi ceci se rapporte-t-il? Est-ce quil sagit dun fait trs marqu, trs surprenant dans lhistoire des sciences, qui serait celui-ci : quil serait le premier et serait rest le seul dans linterrogation de cette science suppose avoir introduit des concepts, non seulement fondamentaux, mais rests isols? Sans ce tronc, ce mt, ce pilotis, o amarrer notre pratique, pouvons-nous dire mme que ce dont il sagit, ce que je vise, concernant Freud, ce soit, proprement parler, des concepts ? Sont-ils des concepts en formation? Sont-ce des concepts en volution, en mouvement et quil y ait rviser? Je crois que cest l un point o nous pouvons tenir quune exprience est dj faite dans une voie qui ne peut tre que de travail, que de conqute dans le sens de rsoudre la question.

    Si la psychanalyse est une science, la vrit, si le maintien de ses concepts au centre de toute discussion thorique dans cette chane lassante, fastiDieuse, rebutante et que personne ne lit hors les psychanalystes qui sappelle la littrature psychanalytique, cest quelque chose qui nous montre, en tout cas, quon y reste trs en retrait de ces concepts, que la plupart de ceux que Freud a avancs, y sont fausss, adultrs, briss; et que ceux qui sont trop difficiles, sont purement et simplement mis dans la poche, que toute lvolution de ce qui sest labor autour de la frustration est, au regard de ceux de quoi a drive dans les concepts freudiens, nettement en arrire, prconceptuel.

    Il est tout fait clair que personne ne se proccupe plus, sauf de rares exceptions qui sont proprement dans mon entourage, de la structure tierce du complexe ddipe ni du complexe de castration.

    Il ne suffit nullement, pour assurer un statut thorique la psychanalyse, quun crivain du type Fenichel ramne tout le matriel accumul de lexprience au niveau de la platitude par une numration du type grand collecteur. Bien sr, une certaine quantit de faits ont t rassembls. Il nest pas vain de les voir groups en quelques chapitres. On peut y avoir limpression que, dans tout un champ, tout est expliqu lavance.20

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    Or lanalyse nest pas de retrouver dans un cas le trait diffrentiel de la thorie et de croire expliquer avec, pourquoi votre fille est muette. Car ce dont il sagit, cest de la faire parler. Or cet effet procde dun type dintervention qui na rien faire avec la rfrence au trait diffrentiel.

    Pour la faire parler, on se rfre lanalyse, lanalyse, qui consiste justement la faire parler, de sorte quon pourrait dfinir la psychanalyse comme consistant, au dernier terme, dans la leve du mutisme. Et cest bien, en effet, ce quon a appel un moment de lanalyse des rsistances.

    Le symptme cest dabord le mutisme dans le sujet suppos parlant. Sil parle, il est guri, de son mutisme, videmment! Mais cela ne nous dit pas du tout pourquoi il a commenc de parler, pourquoi il a guri de son mutisme. Cela nous dsigne seulement un trait diffrentiel qui est celui, comme il fallait sy attendre, dans le cas de la fille muette, celui dhystrique.

    Or ce trait diffrentiel est celui-ci que cest dans ce mouvement mme de parler que lhystrique constitue son dsir, de sorte quil nest pas tonnant que ce soit par cette porte que Freud soit entr dans ce qui tait; en ralit, les rapports du dsir au langage, lintrieur duquel, dans ce champ, il a dcouvert les mcanismes de linconscient.

    Que ce rapport du dsir au langage comme tel ne lui soit pas rest voil est justement l un trait de son gnie, mais ce nest pas encore dire quil ait t pleinement lucid mme et surtout pas par la question massive de transfert.

    Que pour gurir lhystrique de tous ses symptmes, la meilleure faon soit de satisfaire son dsir dhystrique, qui est, pour nous, nos regards, elle lhystrique, de peser son dsir comme dsir insatisfait, laisse entirement hors du champ la question spcifique de ce pourquoi elle ne peut soutenir son dsir que comme dsir insatisfait, de sorte que lhystrie, dirais-je, nous met sur la trace dun certain pch originel de lanalyse. Il faut bien quil y en ait un. Le vrai nest peut-tre quune seule chose, cest le dsir de Freud lui-mme, savoir le fait que quelque chose, dans Freud, na jamais t analys.

    Cest exactement l que jen tais au moment o, par une singulire concidence, jai t mis en position de devoir me dmettre de mon sminaire, car ce que javais dire sur les Noms-du-Pre ne visait rien dautre qu mettre en question lorigine, savoir par quel privilge le21

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    dsir de Freud avait pu trouver, dans le champ de lexprience quil dsigne comme linconscient, la porte dentre.

    Remonter cette origine est tout fait essentiel si nous voulons mettre lanalyse sur les pieds dont il ne manque pas un dentre eux.

    Quoi quil en soit, un tel mode dinterroger le champ de lexprience va, dans notre prochaine rencontre, tre guid par la rfrence suivante:quel statut conceptuel devons-nous donner quatre des termes introduits par Freud comme concepts fondamentaux? Nommment : linconscient, la rptition, le transfert et la pulsion.

    A considrer ces concepts, savoir le mode sous lequel dans mon enseignement pass, je les ai situs en relation une fonction plus gnrale qui les englobe et qui permet de montrer leur valeur opratoire dans ce champ, savoir la rfrence au signifiant comme tel, qui est sous-jacente, implicite mais non explicite; voil ce qui nous fera, notre prochaine rencontre, faire le pas suivant.

    J e me suis promis, cette anne, de mettre un terme fixe deux heures moins vingt mon propos. Je le tiendrai, je pense, fidlement; je me rserve, par ce mode, dinterrompre mon expos en un point fixe, de laisser, ensuite, pour tous ceux qui seront en mesure de rester ici, nayant point chercher tout de suite ailleurs laccrochage une autre occupation, de me poser les questions que leur auront suggr, ce jour-l les termes de mon expos.22

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    Leon II 22janvier 1964

    Mesdames, Messieurs,

    Pour commencer lheure, pour vous permettre aussi de prendre place, je vais commencer mon propos daujourdhui par la lecture dun pome qui, la vrit, na aucun rapport avec ce que je vous dirai mais un certain rapport, et je crois mme que certains en retrouveront laccent le plus profond, avec ce que jai dit lanne dernire, dans mon sminaire concernant lobjet mystrieux, lobjet le plus cach, celui de la pulsion scopique.

    Il sagit de ce court pome qu la page 70 du Fou dElsa, Aragon intitule Contre-chant

    Vainement ton image arrive ma rencontreEt ne mentre o je suis qui seulement la montreToi te tournant vers moi tu ne saurais trouverAu mur de mon regard que ton ombre rve

    Je suis ce malheureux comparable aux miroirsQui peuvent rflchir mais ne peuvent pas voirComme eux mon oeil est vide et comme eux habitDe labsence de toi qui fait sa ccit

    J e ddie ce pome la nostalgie que certains peuvent avoir de ce sminaire interrompu et de ce que jy dveloppais au niveau des23

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    problmes, spcialement lanne dernire, de langoisse et de la fonction de lobjet a.Ils saisiront, je pense, ceux-l (je mexcuse dtre aussi abrg, elliptique, allusif),

    ils saisiront la saveur du fait quAragon dans cette uvre admirable o je suis fier de trouver lcho des gots de notre gnration, celle qui fait que je suis forc de me reporter mes camarades du mme ge que moi, pour pouvoir encore mentendre sur ce pome dAragon, quil fait suivre de ces lignes nigmatiques : Ainsi dit une fois An-Nadj comme on lavait invit pour une circoncision.

    Point o ceux qui ont entendu mon sminaire de lanne dernire, retrouveront cette correspondance des formes diverses de lobjet a, avec la fonction centrale et symbolique du p ici voqu par cette rfrence singulire et certainement pas de hasard quAragon confre la connotation, si je puis dire, historique de lmission, par son personnage, le pote fou, de ce contre-chant.

    Il y en a ici quelques-uns, je le sais, qui sintroduisent mon enseignement. Ils sy introduisent par des crits qui sont dj dats. Je voudrais, avant dintroduire mon propos daujourdhui, quils sachent quune des coordonnes indispensables pour apprcier la direction, le sens de ce premier enseignement, doit tre trouve dans ceci quils ne peuvent, do ils sont, imaginer quel degr, dirais-je, de mpris ou sim-plement de mconnaissance pour leur instrument peuvent arriver les praticiens. Quils sachent que pendant quelques annes, tout mon effort a t ncessaire pour revaloriser aux yeux de ceux-ci cet instrument, la parole, pour lui redonner, si je puis dire, sa dignit et faire que, pour eux, la parole ne soit pas toujours ces mots, davance dvaloriss, qui les foraient fixer leurs regards ailleurs pour en trouver le rpondant.

    Cest ainsi que jai pu passer (au moins pour un temps) pour tre hant, dans mon enseignement, par je ne sais quelle philosophie du langage, voire heideggerienne! alors quil ne sagissait que dun travail propdeutique.

    Ce nest pas parce que je parle ici que je parlerai plus en philosophe et, pour mattaquer quelque chose dautre qui concerne bien les psychanalystes mais que je serai effectivement plus laise ici pour dnommer, ce dont il sagit est quelque chose que je nappellerai pas autrement que le refus du concept. Cest pourquoi, comme je lai annonc au terme24

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    de mon premier cours, cest aux concepts freudiens majeurs, que jai isols comme tant au nombre de quatre et tenant proprement cette fonction, que jessaierai aujourdhui de vous introduire.

    Ces quelques mots au tableau noir (sous le titre des concepts freudiens), ce sont les deux premiers, linconscient et la rptition, les deux autres tant le transfert et la pulsion.

    Jessaierai davancer aussi loin que possible aujourdhui dans la voie de vous expliquer ce que jentends par fonction de ces concepts, nommment linconscient et la rptition.

    Le transfert je laborderai, jespre la prochaine fois nous introduira directement aux algorithmes que jai cru devoir introduire dans la pratique spcialement aux fins de la mise en uvre proprement de la technique analytique comme telle.

    La pulsion est dun accs encore si difficile et, vrai dire, si inabord que je ne crois pas pouvoir faire plus cette anne que dy revenir seulement aprs que nous aurons parl du transfert. Nous verrons seulement lessence de lanalyse, et spcialement ce qua en elle de profondment problmatique et en mme temps directeur, la fonction de lanalyse didactique. Ce nest quaprs tre pass par cet expos que nous pourrons peut-tre, en fin danne et sans nous-mmes minimiser le ct difficile, mouvant, voire scabreux de lapproche de ce concept, aborder la pulsion. Ceci, dirais-je, par contraste avec ceux qui peuvent sy aventurer au nom de rfrences incompltes et fragiles.

    Les deux petites flches que vous voyez, indiquent aprs linconscient et la rptition qui sont crits ici au tableau, indiquent non pas ce qui est lautre ct de la ligne, mais le point dinterrogation qui suit. A savoir que la conception que nous nous faisons du concept implique quil est toujours fait dans une approche qui nest point sans rapport avec ce que nous impose, comme forme, le calcul infinitsimal: savoir que si le concept se modle dune approche la ralit, une ralit quil est fait pour saisir, ce nest que par un saut, un passage la limite quil sachve se raliser; que ds lors nous considrons que nous sommes requis, en quelque sorte, que a nous est un devoir de dire quelque chose de ce en quoi peut sachever, je dirais sous forme de quantit finie, llaboration qui sappelle linconscient. De mme pour la rptition.25

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    Les deux termes que vous voyez inscrits sur ce tableau au bout de la ligne concernent deux termes de rfrence essentiels, eu gard la question pose la dernire fois (la psychanalyse sous ses aspects paradoxaux, singuliers, aporiques, peut-elle, parmi nous, tre considre comme constituant, quelque degr, une science ou seulement un espoir de science ?). Cest par rapport ces deux termes, le sujet et le rel, que nous serons amens donner forme la question.

    Je prends dabord le concept de linconscient. La majorit de cette assemble se rappelle ou a quelques notions de ce que jai avanc ceci linconscient est structur comme un langage. Une part peut-tre moins large mais aussi trs importante de mes auditeurs ici aujourdhui, et mon audience ordinaire, sait bien que ceci se rapporte un certain champ qui nous est beaucoup plus accessible, beaucoup plus ouvert quau temps de Freud. Et que, pour lillustrer par quelque chose qui est matrialis assu-rment sur un plan scientifique, je lillustrerai par exemple par ce champ je ne vais pas le cerner ce champ quexplore, structure, labore et qui se montre dj infiniment riche, ce champ que Claude Lvi-Strauss

    pingl du titre de Pense sauvage. Avant toute exprience, toute dduction individuelle, avant mme que sy inscrivent les expriences collectives qui ne sont rapportables quaux besoins sociaux, quelque chose organise ce champ, en inscrit les lignes de force initiales, qui est cette fonction que Claude Lvi-Strauss, dans sa critique du totmisme, nous montre tre sa vrit, et vrit qui en rduit lapparence, de cette fonction du totmisme, savoir une fonction classificatoire primaire: ce quelque chose qui fait [que], avant que les relations sorganisent, qui soient des relations proprement humaines, dj sest organis ce rapport dun monde, un autre monde de certains rapports humains qui sont dtermins par une organisation, aux termes de cette organisation qui sont pris dans tout ce que la nature peut offrir comme support, qui sorganisent dans des thmes dopposition. La nature, pour dire le mot, fournit des signifiants, et ces signifiants organisent de faon inaugurale les rapports humains, en donnent les structures et les modlent.

    Limportant est ceci, cest que nous voyons l le niveau o, avant toute formation du sujet (dun sujet qui pense, qui sy situe), a compte, cest compt, et dans ce compt, le compte, dj, y est! Il a ensuite sy reconnatre, et sy reconnatre comme comptant. Disons que lachoppement26

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    naf o le mesureur de niveau mental sesbaudit de saisir le petit homme, quand il lui propose linterrogation : Jai trois frres, Paul, Ernest et moi, quest-ce que tu penses de a ? Le petit nen pense rien pour la bonne raison, cest que cest tout naturel! Dabord sont compts les trois frres Paul, Ernest et moi, et tel je suis moi, au niveau de ce quon avance que jai rflchir : ce moi... cest moi! et que cest moi qui compte.

    Cest cette structure, affirme comme initiale de linconscient, aux temps historiques o nous sommes de formation dune science, dune science quon peut qualifier dhumaine, mais quil faut bien distinguer de toute psychosociologie. Dune science dont le modle est le jeu combinatoire que la linguistique nous permet de saisir dans un certain champ, oprant dans sa spontanit et tout seul, dune faon prsubjective, cest ce champ-l qui donne, de nos jours, son statut linconscient. Cest celui-l, en tout cas, qui nous assure quil y a quelque chose de qualifiable sous ce terme qui est assurment accessible dune faon tout fait objectivable.

    Mais, est-ce dire que, quand jinvoque les psychanalystes, quand je les induis, quand je les incite ne point ignorer ce terrain, ce champ qui est le leur, qui leur donne un solide appui pour leur laboration, est-ce dire que je pense, proprement parler, tenir les concepts introduits historiquement par Freud sous le terme dinconscient?

    Eh bien non! Je ne le pense pas, linconscient, concept freudien, est autre chose que je voudrais essayer de vous faire saisir aujourdhui.

    Il ne suffit pas de dire que linconscient est un concept dynamique, puisque cest substituer lordre de mystre le plus courant un mystre particulier (la force, a sert en gnral dsigner un lieu dopacit).

    Je voudrais introduire ce que je veux vous dire aujourdhui, en me rfrant la fonction de la cause. Je sais bien que jentre l sur un terrain qui, du point de vue de la critique philosophique, disons, nest pas sans voquer un monde de rfrences. Assez pour me faire hsiter dans ces rfrences, nous en serons quittes pour choisir.

    Il y a au moins une partie de mon auditoire qui restera plutt sur sa faim, si simplement jindique quautour des annes 1760, voire 63, lEssai sur les grandeurs ngatives de Kant, l o nous pouvons saisir combien est serre de prs sinon la crise, voire la bance que, depuis toujours,27

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    offre la fonction de la cause pour toute saisie conceptuelle. Quand dans cet Essai dont je parle, il est peu prs dit que cest un concept, en fin de compte, inanalysable, quil est impossible de comprendre par la raison, (si tant est que la rgle de la raison, la Vernunftregel, cest toujours quelque comparaison, Vergleichung, ou quivalent), quessentiellement reste dans la fonction de la cause, une certaine bance, terme qui est employ dans Les Prolgomnes du mme auteur.

    Et aussi bien je nirai pas non plus faire remarquer que cest depuis toujours ce problme de la cause qui est lembarras des philosophes, que ce nest mme pas simple, si simple voir squilibrer dans Aristote, ses quatre causes mais je ne suis pas ici philosophant et ne prtends macquitter daucune aussi lourde charge avec ces rfrences [que] pour rendre sensible simplement ce que veut dire ce sur quoi jinsiste.

    Je dirai que la cause, toute modalit que Kant finalement linscrive dans les catgories de la raison pure ou plus exactement quil y inscrit au registre, au tableau des relations entre linhrent et la communaut, que la cause nest pas pour autant, pour nous, plus rationalise.

    Elle se distingue de ce quil y a de dterminant dans une chane, autrement dit de la loi. Pour lexemplifier, je dirais, pensez ce qui simage dans la fonction de laction et de la raction. Il ny a, si vous voulez, quun seul tenant. Lun ne va pas sans lautre. Un corps qui scrase au sol, sa masse nest pas la cause de ce quil reoit en retour de sa force vive. Sa masse est intgre cette force qui lui revient pour dissoudre sa cohrence par un effet de retour. Ici pas de bance, si ce nest la fin.

    Chaque fois que nous parlons de cause, il y a toujours, dans ce terme, quelque chose danticonceptuel, dindfini. Les phases de la lune sont la cause des mares, a, cest vivant, nous savons ce moment-l que le mot cause est bien employ. Les miasmes sont la cause de la fivre, a ne veut rien dire. L, en somme, il y a tout un trou et quelque chose qui vient osciller dans lintervalle. Il. ny a de cause que de ce qui cloche. Entre la cause et ce quelle affecte, il y a toujours la clocherie.

    Eh bien! linconscient freudien, cest ce point, que jessaie de vous faire viser par approximation, quil se situe. Limportant nest pas que. linconscient dtermine la nvrose. L-dessus Freud a trs volontiers le geste pilatique de se laver les mains. Un jour ou lautre, on trouvera28

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    peut-tre quelque chose, des dterminants humoraux, peu importe. a lui est gal.Mais linconscient, justement! nous dsigne cet ordre de bance o jessayais de

    vous rappeler la dimension essentielle de cette notion de cause. Linconscient nous montre la bance par o, en somme, la nvrose se raccorde un rel qui peut bien, lui, ntre pas dtermin.

    Dans cette bance, il apparat, il se passe quelque chose. Cette bance une fois bouche, la nvrose est-elle gurie? Vous savez quaprs tout, la question est toujours ouverte. Seulement elle devient autre, parfois simple infirmit, cicatrice, comme dit Freud ailleurs, non pas cicatrice de la nvrose, mais de cet inconscient.

    Comme vous le voyez, cette topologie, je ne vous la mnage pas trs savamment, parce que je nai pas le temps. Je saute dedans, et ce que je dsigne l en ces termes, je crois que vous pourrez vous sentir, vous en sentir guids quand vous irez au texte de Freud et quand vous voyez do il part, proprement de ltiologie des nvroses, et quest-ce quil trouve dans ce trou, dans cette fente, dans cette bance caractristique de la cause? Essayons de lpeler. Ce quil trouve cest quelque chose de lordre du non ralis. On parle de refus. Cest aller trop vite en matire : depuis quelque temps, quand on parle de refus, on ne sait plus ce quon dit. Linconscient, dabord, se manifeste nous comme quelque chose qui se tient en attente dans laire, dirais-je, du non-n. Que le refoulement y dverse quelque chose, a nest pas tonnant, cest le rapport aux limbes de la faiseuse danges.

    Cette dimension est voquer dans ce registre qui nest ni dirrel ni de drel : de non-ralis. Ce nest jamais sans danger, aprs tout, quon fait remuer quelque chose dans cette zone des larves et peut-tre, aprs tout, est-il de la position de lanalyste, sil y est vraiment, de devoir tre assig, je veux dire, rellement, par ceux chez qui il a voqu ce monde des larves sans avoir pu toujours les mener jusquau jour.

    Tout discours, l, bien sr, nest pas inoffensif, et le discours mme que je tiens, que jai pu, dans ces dix dernires annes, tenir, trouve un certain de ces effets, de ces retours, cette direction quici je dsigne comme lexplication de ces retours.

    Ce nest pas en vain que, mme dans un discours public, on vise les sujets et quon les touche ce que Freud appelle le nombril, nombril des29

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    rves, crit-il pour en dsigner, au dernier terme, le centre dinconnu, dit-il, mais qui nest point autre chose, comme limage anatomique dont il sagit, et savre tre la meilleure le reprsenter, que cette bance dont nous parlons.

    Danger du discours public pour autant quil sadresse justement au plus proche. Nietzsche le savait quun certain type de discours ne peut sadresser quau plus lointain.

    Cest qu vrai dire, cette dimension dont je parle, de linconscient, tout cela, ctait oubli, comme Freud lavait parfaitement bien prvu. Linconscient stait referm sur son message grce au soin de ces actifs orthopdeutes que sont devenus les analystes de la seconde ou de la troisime gnration, qui se sont employs, en psychologisant la thorie analytique, suturer cette bance.

    Croyez bien, dailleurs, que moi-mme je ne la rouvre jamais quavec prcaution. Jai mieux faire puisque, dans le domaine de la cause, je suis, ma date, mon poque, en position dintroduire la loi, la loi du signifiant o cette bance se produit.

    Mais il nen reste pas moins quil nous faut, si nous voulons comprendre ce dont il sagit dans la psychanalyse, revenir voquer ce concept dans les temps o Freud a procd pour les forger, puisque nous ne pouvons lachever qu ly porter sa limite. Je vous passe les considrations ordinaires o linconscient freudien fournit un paragraphe parmi les autres inconscients. Il na rien faire avec les formes dites de linconscient qui lont prcd voire accompagn, voire qui lentourent encore.

    Ouvrez, pour voir ce que je viens de dire, le dictionnaire Lalande. Lisez sa trs jolie numration qua faite Dwelshauvers dans un livre paru il y a une quarantaine dannes chez Flammarion. Il y a huit ou dix formes dinconscient qui napprennent rien personne, qui dsignent simplement le pas-conscient, le plus ou moins conscient, et, dans le champ des laborations psychologiques, on trouve mille varits supplmentaires.

    On peut faire remarquer que linconscient de Freud nest pas du tout linconscient romantique de la cration imaginante, nest pas le lieu des divinits de la nuit o certains croient encore pouvoir rvler linconscient freudien.30

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    Sans doute nest-ce pas l tout fait sans rapport avec, disons, le lieu vers o se tourne le regard de Freud.

    Mais le fait que Jung, qui est le relaps des termes de linconscient romantique, ait t rpudi par Freud, nous indique assez que ce que Freud introduit, cest autre chose.

    Pour dire que linconscient, cet inconscient lui-mme si fourre-tout, si htroclite qulabore pendant toute sa vie, dans sa vie de philosophe solitaire, Eduard von Hartmann, ce ne soit pas linconscient de Freud, il ne faudrait pas non plus aller trop vite puisque Freud, dans son septime chapitre de lInterprtation des rves, de la Traumdeutung, lui-mme sy rfre en note. Cest dire quil faut aller y voir de plus prs pour dsigner ce qui, dans Freud, sen distingue.

    J e vous lai dit, je ne me contente pas de dire, de tous ces inconscients toujours plus ou moins affilis une volont obscure considre comme primordiale, quelque chose davant la conscience,

    Ce que Freud nous oppose, cest la rvlation quici, quelque chose, en tout point homologue ce qui se passe au niveau du sujet, fonctionne, que l, a parle, et, renversant compltement la perspective, savoir quau niveau de linconscient, a fonctionne dune faon aussi labore quau niveau de ce qui paraissait tre le privilge du conscient.

    J e sais les rsistances que provoque encore cette simple remarque, pourtant sensible dans le moindre texte de Freud. Et lisez l-dessus le paragraphe de ce septime chapitre intitul Loubli dans les rves , -propos de quoi Freud ne fait que rfrence aux jeux du signifiant de la faon la plus sensible.

    De ce registre, vous en avez eu, dans loreille, lindication dimensionnelle. Je ne me contente pas de cette rfrence massive. Je vous ai pel point par point ce fonctionnement de linconscient dans le phnomne, dans ce qui nous est produit dabord par Freud, comme le champ, le registre de linconscient.

    Le rve, lacte manqu, le mot desprit... Quest-ce qui frappe dabord. Cest le mode dachoppement sous lequel il apparat.

    Achoppement, dfaillance, flure, voil ce qui frappe dabord. Dans une phrase prononce, crite, quelque chose vient trbucher. Freud qui est aimant par des phnomnes, cest l quil va chercher ce qui va se manifester comme linconscient.31

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    L, quelque chose dautre demande se raliser qui apparat comme intentionnel, certes, mais dune trange, dirons-nous, temporalit. Ce qui se produit, au sens plein du terme se produire, dans cette bance, dans cette flure, prsente comme la trouvaille : cest ainsi dabord que lexploration freudienne rencontre ce qui se passe dans linconscient. Trouvaille qui est, en mme temps, solution, mais pas forcment acheve, mais, si incomplte quelle soit, elle a ce je ne sais quoi qui nous touche de cet accent particulier qua si admirablement dtach et seulement dtach, car Freud la bien fait remarquer avant lui, Theodor Reik: savoir la surprise, ce par quoi le sujet se sent dpass.

    Il en trouve la fois plus ou moins quil nen attendait, mais, de toute faon, cest par rapport ce quil attendait, dun prix unique.

    Or, cette trouvaille, ds quelle se prsente, se prsente comme retrouvailles instaurant la dimension de la perte et, qui plus est, cette trouvaille est toujours prte se drober nouveau.

    Pour me laisser aller quelque mtaphore, Eurydice deux fois perdue, vous dirais-je, telle est limage la plus sensible que nous puissions donner dans le mythe, de ce quest le mythe, de ce que cest que ce rapport de lOrphe analyste par rapport linconscient.

    En quoi, si vous me permettez dy ajouter quelque ironie, linconscient se trouve au bord strictement oppos de ce quil en est de lamour, dont chacun sait quil est toujours unique, et que la formule une de perdue, dix de retrouves est celle qui trouve sa meilleure application.

    La discontinuit, telle est la forme essentielle o nous apparat dabord linconscient comme phnomne. Dans cette discontinuit, quelque chose qui se manifeste comme une vacillation, et ceci nous conduit nous interroger sur ce quil en est de son fond puisquil sagit dune discontinuit.

    Si cette discontinuit a ce caractre absolu, ce que nous semblons lui donner dans le texte du phnomne, ce caractre inaugural dans le chemin de la dcouverte de Freud, devons-nous lui donner, comme ce fut depuis la tendance des analystes, le fond, en quelque sorte, ncessaire, dune apprhension de quelque totalit?

    Est-ce que le un lui est antrieur? Justement, je ne le pense pas, et tout ce que jai enseign, ces dernires annes, tendait, si je puis dire, faire virer deux sortes dexigence dun un ferm qui est mirage auquel32

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    sattache la rfrence cette sorte de double de lorganisme que serait le psychisme denveloppe o rsiderait cette fausse unit; faire virer cette exigence, vous maccorderez que lun qui est introduit par lexprience de linconscient, cest justement cet un de la fente, du trait, de la rupture.

    Ici jaillit, disons, une forme mconnue de lun, disons, si vous voulez, que ce nest pas lun, que cest lUn de I Unbewusste; disons que la limite de lUnbewusste, cest lUnbegriff non pas non-concept, mais concept du manque; et dailleurs, quest-ce que nous avons vu surgir tout lheure, sinon son rapport cette vacillation qui retourne labsence?

    O est le fond? Est-ce labsence? Non pas. La rupture, la fente, ce trait de louverture fait surgir cette absence comme le cri qui, peut-on dire, non pas sisole, se profile sur fond de silence, mais au contraire le fait surgir comme silence.

    Si vous saisissez, vous gardez dans la main cette structure initiale, vous serez plus srs de ne pas vous livrer seulement tel ou tel aspect partiel de ce dont il sagit concernant linconscient, comme par exemple que cest le sujet, en tant qualin dans son histoire, au niveau o la syncope du discours se conjoint avec son dsir.

    Vous verrez que, plus radicalement, cest dans la dimension dune synchronie que vous devez situer linconscient, que cest au niveau dun tre, mais en tant quil peut se porter sur tout, que cest au niveau du sujet de lnonciation en tant que, vous savez bien, selon les phrases, selon les modes, il se perd autant quil se retrouve et que, dans une interjection, dans un impratif, dans une invocation, voire dans une dfaillance, cest toujours lui qui vous pose son nigme, qui parle, bref, que cest au niveau o tout ce qui spanouit se diffuse, comme dit Freud propos du rve, comme le mycelium autour dun point central, et qui se rapporte linconscient.

    Cest toujours du sujet en tant quindtermin quil sagit. Oblivium, cest levis avec le e long, je veux dire polir, unir, rendre lisse. Oblivium, cest ce qui efface : le rapport de loubli avec leffacement de quelque chose qui est le signifiant comme tel.

    Voil o nous retrouvons la structure basale, ce quoi se rattache la possibilit de quelque chose que nous devons concevoir comme opratoire, la possibilit de quelque chose qui prenne la fonction de barrer, de rayer une autre chose.33

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    Ceci se situe un niveau plus primordial structurellement que le refoulement dont nous parlerons plus tard.

    Aussi bien, nous voyons que la rfrence cet lment opratoire dont je parle, de leffacement, cest ce que Freud dsigne, ds lorigine, dans la fonction de la censure.

    Les modes sous lesquels il souligne que nous devons les concevoir comme le travail du censeur, le caviardage avec des ciseaux, la censure russe ou encore, comme Henri Heine, au dbut du livre De lAllemagne le dit en caricaturant la censure allemande: Monsieur et Madame Untel ont le plaisir de vous annoncer la naissance dun enfant beau comme la libert. Le Dr Hoffmann raye le mot libert et assurment, on peut sinterroger sur ce que devient leffet du mot libert de ce fait mme de cette censure proprement matrielle. Cest l un autre problme, mais cest aussi ce sur quoi Freud dsigne que porte, de la faon la plus efficiente, le dynamisme de linconscient, et, pour reprendre un exemple jamais assez exploit, celui qui est le premier sur lequel il a fait porter sa dmonstration, loubli, lachoppement de mmoire concernant le mot de Signorelli aprs sa visite faite aux peintures dOrvieto. Est-il possible de ne pas voir surgir du texte mme, simposer, non pas la mtaphore, mais la ralit de la disparition, de la suppression, de IUnterdrckung, du passage dans les dessous, et impossible de le retrouver, du terme de Signor, du Herr. Le Signor, le Herr, le matre absolu, ai-je dit en un temps, la mort pour tout dire, est, l, disparue. Mais aussi bien ne voyons-nous pas, l derrire, se profiler tout ce qui ncessite Freud trouver dans les mythes de la mort, du pre, la rgulation de son dsir; et, quaprs tout, il se rencontre, avec Nietzsche, pour noncer sa manire, dans son mythe lui, que Dieu est mort. Cest peut-tre sur le fond des mmes raisons, savoir que le mythe du Dieu est mort, dont je suis, pour ma part, beaucoup moins assur comme mythe, entendez bien, que la plupart des intellectuels contemporains, ce qui nont pas du tout une dclaration de thisme ni de foi sa rsurrection, que dis-je, ce mythe du Dieu est mort nest peut-tre que labri trouv contre une menace particulirement prsente en fonction dun certain nombre de corrlations effectivement de temps et dpoque, la menace de la castration, prcisment celle dont il sagit, si vous savez les lire, aux fresques apocalyptiques de la cathdrale dOrvieto, et si vous en doutez, si vous34

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  • SEMINAIRE 11

    ne savez pas les lire, lisez dans la conversation du train avec son interlocuteur, linterlocuteur prcisment vis--vis de qui il ne retrouve pas le nom de Signorelli , il ne sagit prcisment, dans la demi-heure o lheure qui prcde ces propos qui se tiennent dans un train quelque part qui circule du ct de Dubrovnik ou de quelque endroit analogue, il ne sagit que de la fin de la puissance sexuelle dont son interlocuteur mdecin lui dit le caractre dramatique pour ceux qui sont ordinairement ses patients.

    Ainsi linconscient se manifeste toujours comme ce qui vacille dans une coupure du sujet, do resurgit une trouvaille que Freud assimile au dsir que nous situerons, pour nous, provisoirement, dans la mtonymie dnude du discours en cause o le sujet se saisit en quelque point inattendu.

    Noublions pas que, pour parler de Freud et de sa relation au pre, tout son effort ne la men qu avouer que, pour lui la question restait entire. Il la dit une de ses interlocutrices : Que veut une femme ? Question quil na jamais rsolue. Ici, nous nous rfrons ce qua t effectivement sa relation la femme, ce caractre uxorieux, comme sexprime pudiquement Jones le concernant.

    Nous dirons que Freud aurait fait assurment un admirable idaliste passionn sil ne stait pas consacr lautre, sous la forme de lhystrique.

    Jai dcid darrter toujours point nomm, deux heures moins vingt, mon sminaire. Vous le voyez, je nai pas clos aujourdhui ce quil en est de la fonction de linconscient. Restons donc un peu avant les termes que javais donns ce que jesprais boucler : linconscient.

    Aujourdhui je nai point abord la rptition. Ce que jai dire sur linconscient se lie troitement ce quil en sera de notre abord du second concept de la rptition la prochaine fois.35

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    Leon III 29janvier 1964

    Mon introduction du premier de ceux que jai appels les quatre concepts freudiens fondamentaux, mon introduction la dernire fois de linconscient par la structure dune bance, lintroduction a fourni loccasion un de mes auditeurs, Jacques-Alain Miller, dun excellent trac de ce que dans mes crits prcdents il a pris soin de reconnatre comme tant la fonction structurante dun manque; et de le rejoindre, en somme, par un arc audacieux, lgant, ce que jai pu dsigner en parlant de la fonction du dsir comme le manque tre.

    Ayant ralis pour vous cette sorte de synopsis qui na srement pas t, au moins pour ceux qui avaient dj quelques notions de mon enseignement, dune utilit rassemblante, ayant donc fait ce trac, il ma interrog sur mon ontologie. Bien sr! je nai pas pu lui rpondre dans les limites qui sont imparties au dialogue par lhoraire sur une telle question propos de laquelle il aurait convenu tout dabord que jobtins de lui la prcision bien nette de ce en quoi il cerne le terme dontologie. Nanmoins, quil ne croie pas que ce soit que jai trouv du tout la question inapproprie.

    J e dirais mme plus, il tombait particulirement point en ce sens que cest bien dune fonction proprement parler ontologique quil sagit dans cette bance dans cette structure fondamentale par quoi jai cru devoir introduire comme la plus essentielle, comme lui tant la plus essentielle, la fonction de linconscient.

    Car lintroduire ainsi, vous lavez vu distinguer deux formes 37

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    assurment en ce qui se montre par cette bance, nous pourrions le dire, prontologique. Jai insist sur ce caractre trop oubli (et oubli dune faon qui nest pas sans signification, trop oubli de la premire dcouverte, mergence de linconscient) de ne pas prter lontologie. Ce qui sest montr dabord Freud, aux dcouvreurs, ceux qui ont fait les premiers pas, ce qui se montre encore quiconque dans lanalyse sy intresse, saccommode un temps, forc quil peut y tre certains dtours, accommode son regard ce qui est proprement de lordre de linconscient, cest que ce nest ni tre ni non-tre, cest du non-ralis.

    Jai voqu la fonction des limbes; jaurais pu aussi parler de ce que dans le registre mythique, dans les constructions de la gnose, on appelle tres intermdiaires : sylphes, gnomes, voire formes plus leves de ces mdiateurs ambigus.

    Bien! Noublions pas que Freud, quand il commena de remuer ce monde, articula ce terme, qui paraissait plus lourd dinquitantes apprhensions, quand il la prononc, dont il est bien remarquable que la menace soit, aprs soixante ans dexpriences, compltement oublie Flectere si nequeo superos, Acheronta movebo.

    Cest en soi-mme bien remarquable noter, que ce qui sannonait comme ouverture infernale ait t dans la suite, je dirais, aussi remarquablement aseptique... Il est curieux, il est indicatif aussi que ce qui sannonait aussi dlibrment comme ouverture sur un monde infrieur nait en somme, sauf exception trs rare, nait trouv nulle part sa conjonction, nait fait nulle part alliance srieuse avec tout ce qui pour-tant, encore maintenant mais surtout lpoque o la dcouverte freudienne apparut, a exist travers le monde de recherche mtaphysique comme on disait, voire de pratique, disons spirite, spiritiste, vocatoire, ncromantique, la psychologie gothique de Myers, celle qui sastreignait suivre la trace le fait de tlpathie.

    Bien sr! au passage, Freud touche ces faits, ce qui a pu lui en advenir, apport dans son exprience. Il est trs net que ce soit dans le sens dune rduction rationaliste, et lgante dailleurs, que, sitt sa prise en main, sa thorisation sexerce. Et on peut en somme considrer comme exceptionnel, voire aberrant ce qui, dans le cercle analytique de38

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    nos jours, sattache ce qui a t appel, et dune faon bien significative, justement dans le sens dune strilisation, les phnomnes psy, allusion aux recherches dun Servadio par exemple.

    Assurment, ce nest pas dans ce sens que notre recherche, notre exprience nous a dirigs. Si notre recherche de linconscient a eu un rsultat, cest dans le sens dun certain desschement, dune rduction un herbier chantillonnage assez limit, un registre qui est devenu un catalogue raisonn fort attendu, une classification qui se serait volontiers voulue naturelle; et si aussi bien quelque chose se marque comme effet dans le registre dune psychologie traditionnelle qui fait volontiers tat du caractre de la tradition immatrisable, forte, infinie du dsir, humain, y voyant la marque de je ne sais quel sabot divin qui sy serait empreint, ce nest pas dans ce sens o va lexprience analytique!

    Sil est quelque chose quelle nous permet dnoncer, cest bien plutt la fonction, bien sr ncessitant comme modle, la fonction limite du dsir. Le dsir plus que toute autre fonction, tout autre point de lempan humain, disons, rencontre quelque part sa limite. Nous reviendrons sur tout ceci.

    Je pointe que je nai pas dit le plaisir. Que le plaisir limite la porte de lempan humain, cest ce que nous aurons saisir. Que le principe du plaisir soit principe dhomostase, cest bien l lhypothse de base qui ne serait pas sans laisser sa place tout ce quon peut imaginer daspiration, de tension en franchir, en transcender les limites.

    Mais cest bien de cela quil sagit, cest que le dsir lui-mme trouve son cerne, son rapport fix, sa limite, que cest mme dans le rapport cette limite quil se soutient comme dsir, quil peut se soutenir comme franchissant le seuil impos par le principe du plaisir.

    Assurment, ce nest pas trs personnel de Freud, que cette rpudiation, sur un certain champ o on linvoque, et nommment le champ de la sentimentalit religieuse, que cette rpudiation par Freud de ce quil a dsign comme laspiration ocanique! Notre exprience est l, justement, cette aspiration, pour la rduire un fantasme, nous assurer ailleurs dassises fermes et la remettre la place de ce que Freud appelait, propos de la religion, illusion.39

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    Ce qui est ontique (puisque dans ontologie, il sagit dans ce que la dernire fois, pour vous, jai introduit) dans la fonction de linconscient, cest cette fente par o ce quelque chose dont laventure, enfin! dans notre champ, semble si courte, est un instant amene au jour mais qui a, dans sa caractristique, ce second temps de fermeture qui donne cette saisie son aspect vanouissant pour me rfrer un registre sur lequel je reviendrai, qui peut-tre sera mme le pas que je pourrai franchir ici, ne layant, pour des raisons de contexte, pu quviter jusqu prsent.

    Contexte brlant, vous le savez! Nos habitudes techniques devenues, pour des raisons que nous aurons vraiment analyser, si chatouilleuses sur le plan des fonctions du temps que, mme vouloir introduire ici des distinctions si essentielles quelles se dessinent partout ailleurs que dans notre discipline, il semblait quil me fallt mengager dans la voie dune discussion plus ou moins plaidoyante.

    Il est sensible au niveau de la dfinition mme de linconscient et dj, se rfrer ce que Freud en dit (approximativement forcment, nayant pu dabord que sen servir que par touches, tentatives), concernant le processus primaire, que ce qui sy passe est inaccessible la contradiction, la localisation spatio-temporelle et aussi bien la fonction du temps. Et le dsir indestructible ne fait que vhiculer vers un avenir toujours court et limit ce quil soutient dune image du pass. Mais le terme indestructible, voici justement que cest de la ralit, de toutes la plus inconsistante, l voici que cest delle quil est affirm, chapp de cette fonction, la plus structurante du monde.

    Pour autant que nous y cherchons des choses, quest-ce quune chose, sinon ce qui dure, identique un certain temps? Le dsir indestructible , sil chappe au temps, quel registre appartient-il dans cet ordre? Est-ce quil ny a pas l lieu de distinguer, ct de ce temps, de cette dure, substance des choses, un autre mode de ce temps, un temps logique ? Vous savez que jai dj abord ailleurs ce thme. Nous retrouvons la structure scande de ce battement de la fente dont je vous voquais la fonction la dernire fois. Cette apparition vanouissante, elle est entre les deux temps, initial et terminal, de ce temps logique, entre cet instant de voir o quelque chose est toujours lid, voire perdu de lintuition mme et ce moment lusif o, justement, la saisie de linconscient ne conclut pas; o il sagit toujours dune rcupration leurre.40

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    Ontiquement donc, cest lvasif, mais que nous arrivons cerner dans une structure, et une structure temporelle dont on peut dire quelle na jusquici jamais t proprement parler cerne comme telle.

    Or pour ce qui y apparat, nous lavons vu, toute la suite de notre exprience a t faite dune autre analyse, plutt de ddain. Et les larves qui sortent par cette bance, nous ne les avons pas, selon la comparaison que Freud emploie un tournant de La science des rves, nourries de sang.

    Nous nous sommes intresss autre chose et ce que je suis l pour vous montrer cette anne, cest par quelles voies ces dplacements dintrt ont toujours t plus dans le sens de dgager des structures, des structures dont on parlait mal au moins mes oreilles, mon gr dans lanalyse, des structures dont on parle presque en prophte : je veux dire que trop souvent, je parle des meilleurs tmoignages thoriques que les analystes apportent de leur exprience, on a le sentiment quil faut les interprter.

    Et je vous le montrerai en son temps quand il sagira de ce qui est le plus vif, le plus brlant de notre exprience, savoir le transfert sur lequel nous voyons coexister les tmoignages les plus fragmentaires [et] les plus clairants dans une confusion totale. Et cest pour cela que je ny vais que pas pas car, aussi bien, ce dont jai vous parler, linconscient, la rptition, de tout cela on vous parlera au niveau du transfert en disant que cest de cela quil sagit. Cest monnaie courante dentendre que le transfert est une rptition. Je ne dis pas que ce soit faux, quil ny ait pas de rptition dans le transfert. Je ne dis pas que ce ne soit pas propos de lexprience du transfert que Freud ait approch la rptition, je dis que le concept de rptition na rien faire avec celui de transfert. Mais je suis bien, cause de cela, forc de le faire passer dabord dans notre explication, de lui donner le pas logique. Car linclure dans son dveloppement historique, ce ne serait que justement en favoriser les ambiguts qui viennent du fait que sa dcouverte sest faite au cours des ttonnements ncessits par lexprience du transfert.

    J e reviens donc linconscient. Et ici, il me faut introduire, marquer le biais par o se pose pour nous la possibilit dentrer dans la question de ce dont ce statut dtre, si vasif, si inconsistant quil se prsente, ce statut lui est donn (si tonnant que la formule puisse nous paratre) par41

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    la dmarche de son dcouvreur. Son statut que je vous indique si fragile sur le plan ontique, il est thique : cest la dmarche de Freud, dans sa soif de vrit, qui dit : Quoi quil en soit, il faut y aller parce que quelque part il se montre. Et ceci dans son exprience de ce qui est jusque-l pour le mdecin la ralit la plus refuse, la plus couverte, la plus contenue, la plus rejete, celle de lhystrique en tant quelle est, en quelque sorte dorigine, marque par le signe de la tromperie... Bien sr, ceci nous a men autre chose, depuis le temps de ce qui sest pass dans le maniement de ce champ o nous avons t conduits par la dmarche initiale, par la discontinuit que constitue le fait quun homme dcouvreur, Freud, a dit: L est le pays o je mne mon peuple...

    Longtemps ce qui se situait dans ce champ, dans cette fente, a paru marqu des caractristiques de sa dcouverte dorigine, nommment le dsir de lhystrique. Mais bientt sest impos tout autre chose qui, mesure quil tait plus dcouvert, tait toujours, si lon peut dire, formul avec retard. Avec la trane le fait que la thorie navait t forge que pour les dcouvertes prcdentes de sorte que tout est refaire, y compris ce qui concerne le dsir de lhystrique, de sorte quici, cest par une sorte de saut rtroactif quil nous faut marquer ce qui est lessentiel dans la position de Freud concernant ce qui se passe dans ce champ de linconscient.

    Ce nest pas sous un mode impressionniste que je veux dire que sa dmarche est ici thique, savoir le fameux courage du savant qui ne recule devant rien, image temprer comme toutes les autres! Si je dis que le statut de linconscient est thique, non point ontique, cest dans la mesure o ce que discute Freud quand il sagit de lui donner son statut, ce nest justement pas ce que jai dit dabord en parlant de soif de la vrit , simple indication sur la trace des approches, des approximations qui nous permettront de nous demander o fut la passion de Freud.

    Mais quand il en discute, ce nest pas cela quil met en avant. Il sait toute la fragilit des moires de linconscient concernant ce registre quand il conclut dans son dernier livre (ou chapitre, comme vous voudrez), chapitre VII de La Science des rves, concernant le processus psychologique du rve. Ce quil discute aprs lavoir introduit par un de ces miracles dun art consomm, ce rve qui, de tous ceux qui sont 42

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    analyss dans la Traumdeutung, a ce sort part, justement, de rve suspendu autour du mystre le plus angoissant, celui qui unit un pre au cadavre de son fils tout proche, de son fils mort; ce pre succombant au sommeil, et voyant surgir limage du fils qui lui dit : Ne vois-tu pas, pre, je brle or il est en train de brler dans le rel, dans la pice cot.

    Comment faire se soutenir la thorie du rve image dun dsir autour de cet exemple o dans une sorte de reflet flamboyant, cest justement une ralit qui, ici quasiment calque, semble arracher son sommeil le rveur? Comment? Sinon pour nous indiquer que cest, sur la voie mme o nous est le mieux voqu le mystre, le mystre dun secret dont il ne faut pas avoir loreille plus sensible quil nest commun des rsonances permanentes, le mystre qui nvoque rien dautre que le monde de lau-del, et je ne sais quel secret partag entre cet enfant qui vient dire au pre : Ne vois-tu pas, pre, que je brle?...

    De quoi brle-t-il? Sinon de ce que nous voyons se dessiner en dautres points dsigns par la topologie freudienne. Que Freud ait doubl le mythe dHamlet o ce que porte le fantme, cest (il nous laccuse lui-mme) le poids de ses pchs, le Pre le Nom-du-Pre soutient la structure du dsir avec celle de la Loi. Mais lhritage du pre, cest celui que nous dsigne Kierkegaard, cest son pch. Et le fantme dHamlet surgit do? Sinon du lieu do il nous dnonce que cest dans la fleur de son pch quil a t surpris, fauch, que loin de donner Hamlet les interdits de la Loi qui peut faire subsister son dsir, cest dune profonde mise en doute de ce pre trop idal quil sagit tout instant.

    Tout est porte, mergeant, dans cet exemple que Freud place l en quelque sorte pour nous indiquer quil ne lexploite pas, quil lapprcie, quil le pse, le gote, que cest de ce point, le plus fascinant, quil nous dtourne. Pour entrer dans quoi? Dans une discussion concernant loubli du rve, la valeur de sa communication, de sa transmission, de son apport par le sujet et ce dbat tourne tout entier autour dun certain nombre de termes quil convient de souligner pour en marquer que laction, le terme majeur nest pas vrit. Il est Gewissheit, certitude. La dmarche de Freud, dirais-je, et je lillustrerai, est cartsienne, en ce sens quelle part du fondement du Sujet de la certitude. Il sagit de ce dont on43

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    peut tre certain. Et pour cela, la premire chose quil y a faire est de surmonter ce qui connote tout ce quil en est du contenu de linconscient quand il sagit de le faire merger de lexprience du rve, savoir ce qui flotte partout, ce qui ponctue, macule, tachette ce texte de toute communication de rve : savoir ici, je ne suis pas sr, je doute . Et qui ne douterait pas propos de la transmission du rve quand, en effet, labme est manifeste de ce qui a t vcu ce qui est rapport?

    Or cest l que Freud met laccent de toute sa force. Le doute, cest lappui de sa certitude. Pas besoin tout de suite daccentuer jirai tout lheure voir de plus prs les diffrences , tout de suite daccentuer plus le rapprochement avec la dmarche cartsienne.

    Bien sr, ce doute mrite quon sy arrte pour le diffrencier, je veux dire, le doute sur quoi se fonde la certitude du Sujet chez Descartes et le doute que Freud nous indique comme constituant un signe de connotation positive concernant ce dont il y a se soucier, il le motive:cest justement l o il y a quelque chose prserver, dit-il. Et le doute est alors signe de la rsistance, mais la fonction quil donne au doute reste ambigu car ce quelque chose qui est prserver, ce peut tre aussi bien le quelque chose qui a se montrer, puisque de toute faon, ce qui se montre ne se montre que sous une Verleleidung, dguisement, et le postiche aussi qui peut tenir mal.

    Quoi quil en soit, ce sur quoi jinsiste et o alors se rapprochent, convergent les deux dmarches dune faon plus frappante, Descartes nous dit: Je suis assur de ce que je doute de penser et dirais-je (pour men tenir une formule non pas plus prudente que la sienne mais qui nous vite de dbattre du je pense) de penser, je suis, nous dit Descartes. Vous voyez bien quici, en lidant le je pense, jlide la discussion qui rsulte du fait que ce je pense pour nous, ne se soutient, ne peut assurment pas tre dtach du fait quil ne peut le formuler qu nous le dire implicitement, ce qui est pour lui oubli. Mais ceci, nous lcartons pour linstant.

    Freud, trs exactement dune faon analogique, l o il doute car enfin ce sont ses rves et cest lui qui, au dpart, doute , est assur quune pense est l qui est inconsciente, ce qui veut dire quelle se rvle comme absente, et qu cette place, il appelle, ds quil a affaire au doute, le je pense, par o va se rvler le sujet. En somme, cette 44

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    pense, il est sr quelle est l de tout son je suis, si on peut dire toute seule, pour peu (cest l quest le saut) que quelquun pense sa place.

    Cest ici que va se rvler la dissymtrie, qui nest point de la dmarche initiale de la certitude fonde du sujet qui est, je vous le dis, tout ce qui intresse Freud, cest que ce champ de linconscient, le sujet y est chez lui et cest parce quil en affirme la certitude que tout le progrs va pouvoir se faire par o il nous change le monde.

    Pour Descartes, dans le cogito initial les cartsiens me rendront ce point, mais je lavance la discussion , ce que vise le je pense en tant quil bascule dans le je suis cest un rel. Mais le vrai reste tellement au dehors quil faut ensuite Descartes, sassurer de quoi? Sinon dun Autre qui ne soit pas trompeur, et qui, par-dessus le march! puisse de sa seule existence assurer les bases de cette vrit, nous assurer que dans sa propre raison objective sont les fondements que ce rel mme dont il vient de sassurer ne peut trouver ailleurs la dimension de la vrit.

    Assurment ce nest pas ici le lieu pour moi de montrer (je ne peux quindiquer) ce qua eu comme consquences proprement prodigieuses cette remise de la vrit entre les mains de lAutre, du Dieu parfait dont aprs tout, dsormais, cest son affaire puisque, quoi quil ait voulu dire, ce serait toujours la vrit. Mme sil avait dit que deux et deux font cinq, aurait t vrai! Quest-ce que a veut dire? Sinon que nous, nous allons pouvoir commencer jouer avec les petites lettres de lalgbre qui transforment la gomtrie en analyse, et que la porte est ouverte la Thorie des ensembles, savoir que nous pouvons tout nous permettre comme hypothses... De fait, dmler a nest point notre affaire ceci prs que nous savons que ce qui commence au niveau du sujet nest jamais sans consquences, condition que nous sachions ce que veut dire ce terme, le sujet. Or Descartes ne le savait pas, sauf que ce fut le sujet dune certitude et le rejet de tout savoir antrieur.

    Mais nous, nous savons grce Freud que ce sujet se manifeste, que a pense avant quil entre dans la certitude. Nous avons a sur les bras, cest bien notre embarras. Mais en tout cas, cest dsormais un champ auquel nous ne pouvons nous refuser quant la question quil pose.

    Ce que je veux accentuer ici, au passage, cest que ds lors, le corrlatif de lAutre nest plus maintenant de lautre [ordre] trompeur, il est de lautre [ordre] tromp.45

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    Et a, nous le touchons du doigt de la faon la plus concrte ds que nous entrons dans lexprience de lanalyse, savoir que cest ce que craint le plus le sujet, cest de nous tromper, de nous mettre sur une fausse piste, ou, plus simplement que nous nous trompions car, aprs tout, il est bien clair voir notre figure que nous sommes des gens qui pouvons nous tromper comme tout le monde...

    Or a ne trouble pas Freud, parce que cest justement ce quil faut quon comprenne, et spcialement quand on lit ce premier paragraphe de ce chapitre concernant loubli des rves. Ce sont ces signes qui se recoupent, quil tient compte de tout, quil faut se librer, dit-il, se frei machen de toute lchelle de lapprciation qui sy cherche, Sicherheitschdtzung de lapprciation de ce qui est sr et de ce qui nest pas sr, que la plus frle indication que quelque chose entre dans le champ, doit le faire tenir pour jouissance pour nous, dune gale valeur de trace quant au sujet.

    A propos plus tard de lobservation clbre dune homosexuelle, il se gausse de ceux qui, propos des rves de ladite, peuvent lui dire : Mais, alors, ce fameux inconscient qui tait l pour nous faire accder au plus vrai, une vrit, ironise-t-il, divine? Voil que cette patiente, dans ses rves, sest donc ri de vous, puisquelle a fait dans lanalyse des rves exprs pour vous persuader que manifestement, elle revenait ce quon lui demandait, savoir le got des hommes !

    Freud ne voit ceci aucune espce dobjection. Linconscient, nous dit-il, nest pas le rve . Mais ce que a veut dire dans sa bouche, cest ceci : cest que linconscient peut sexercer dans le sens de la tromperie, que cest l pour ce qui na pour lui aucune espce dobjection. Comment ny aurait-il pas cette vrit du mensonge qui rend parfaitement possible (contrairement au prtendu paradoxe dEpimnide le menteur) quon affirme je mens ? Simplement Freud, cette occasion, a manqu formuler correctement ce qui tait lobjet aussi bien du dsir de lhystrique que du dsir de lhomosexuelle. Et cest par l quaussi bien vis--vis des unes que des autres, de Dora que de la fameuse homosexuelle, il sest laiss dpasser, que le traitement a t rompu. A lgard de son interprtation, il est lui-mme encore hsitant : un peu trop tt, un peu trop tard ...

    Freud ne pouvait pas encore, faute des repres de structure qui sont46

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    ceux que jespre pour vous dgager concernant la mene de lexprience analytique, voir que le dsir de lhystrique, alors que cest lisible dune faon clatante dans lobservation, que le dsir de lhystrique, cest de soutenir le dsir du pre, de le soutenir par procuration dans le cas de Dora. La complaisance si manifeste de Dora laventure du pre avec celle qui est la femme de Monsieur K. quelle le laisse lui faire la cour, cest exactement le jeu par o cest le dsir de lhomme quil lui faut soutenir; quaussi bien le passage lacte, la gifle de la rupture aussitt que lun dentre eux, le Monsieur K. lui dit non pas je ne mintresse pas vous, mais je ne mintresse pas ma femme.

    Ce quil lui faut cest que ce lien soit conserv cet lment tiers qui lui permet la fois de voir subsister un dsir quand de toutes faons il lui faut tre insatisfaite aussi bien le dsir du pre quelle favorise en tant quimpuissant que son dsir elle, de ne pouvoir se raliser quen tant que dsir de lautre.

    De mme cest au dsir du pre justifiant une fois de plus la formule (formule bien sr origine dans cette exprience dhystrique pour la faire situer son juste niveau) la formule que jai donne, que le dsir de lhomme cest le dsir de lautre, que lhomosexuelle trouve une autre solution:ce dsir du pre, le dfier. Relisez lobservation et vous verrez le caractre de provocation vidente qua toute la conduite de cette jeune fille qui, sattachant aux pas dune demi-mondaine bien repre dans la ville, ne cesse dtaler les soins chevaleresques quelle lui donne. Jusquau jour o, rencontrant son pre, ce quelle rencontre dans le regard du pre, cest la drobade, le mpris, lannulation de ce qui se fait devant lui et aussitt elle se prcipite par-dessus la balustrade dun petit pont de chemin de fer. Littralement, elle ne peut plus concevoir, autrement qu sabolir, la fonction quelle avait, savoir de montrer au pre comment on est, soi, un phallus abstrait, hroque, unique et consacr au service dune dame.

    Ce que fait lhomosexuelle dans son rve en trompant Freud, cest encore un dfi concernant le dsir du pre: Vous voulez que jaime les hommes, vous en aurez tant que vous voudrez, des rves damour pour les hommes . Cest le dfi sous la forme de la drision.

    J e nai pouss si loin cette ouverture que pour vous permettre de distinguer ce quil en est de la position de la dmarche freudienne concernant le sujet en tant que cest le sujet qui est intress dans le champ de47

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    linconscient : la distinction de la fonction