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Linguistique générale, linguistique structurale, linguistique fonctionnelle Author(s): André Martinet Source: La Linguistique, Vol. 25, Fasc. 1, Sens et signification (1989), pp. 145-154 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248607 . Accessed: 16/06/2014 15:37 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.76.48 on Mon, 16 Jun 2014 15:37:34 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Sens et signification || Linguistique générale, linguistique structurale, linguistique fonctionnelle

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Linguistique générale, linguistique structurale, linguistique fonctionnelleAuthor(s): André MartinetSource: La Linguistique, Vol. 25, Fasc. 1, Sens et signification (1989), pp. 145-154Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248607 .

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LINGUISTIQUE GENtRALE, LINGUISTIQUE STRUCTURALE,

LINGUISTIQUE FONCTIONNELLE

par Andre MARTINET

La linguistique, en tant qu'6tude scientifique du langage humain, ne s'est constitu&e qu'assez ricemment. Le propos ddliberd d')tudier le langage en lui-mame et pour lui-meme se trouve explicite dans le Cours de linguistique gine'rale de Ferdinand de Saussure, meme si la formule n'est pas de lui. Mais il n'y a gure que soixante-dix ans qu'on s'est mis resolument h la tache. Sans doute, si loin qu'on remonte dans le passe de l'humanite, ren- contre-t-on des traces d'un interet pour la fagon dont les hommes communiquent au moyen des langues. Mais il s'agit, le plus souvent, d'interventions visant h ramener les usages langagiers r&els h une norme qui peut 6tre celle qui seule permet de se concilier les divinitis ou celle qui marque l'appartenance h une classe favorisde, qu'il s'agisse de puissance, d'argent ou de culture. On cultive Cgalement l'art oratoire qui permet d'emporter la conviction d'autrui. On cherche aussi h remidier aux situations

oiU la communication passe mal ou ne passe plus, lorsqu'on est en face de l'etranger dont on a inter&t h apprendre la langue, lors-

qu'on ne comprend plus tout A fait les textes 16guds par les Anciens, d'oui les recherches philologiques, et, plus rarement, lorsqu'on s'interesse a ceux qu'on designerait aujourd'hui comme les

handicapis de la parole, les sourds ou les bbgues.

NDLR. - Cet article n'entre pas dans le cadre de ce qui fait l'essentiel du pri- sent fascicule. Il s'agissait, au dipart, d'une conf6rence d'orientation destin6e & des

&udiants avanc6s. Il a paru que cette prtsentation succincte de la linguistique fonc- tionnelle n'&tait peut-&tre pas d6plac6e en annexe d'une v table ronde o dont les par- ticipants avaient tous, ' des degr6s divers, 6t, influencAs par la pens&e fonctionnaliste.

La Linguistique, vol. 25, fasc. 2/1989

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146 Andri Martinet

Dans tous ces cas, on a affaire, au mieux, a des techniques et non a une science : on indique a chaque fois, dans chaque cas, ce

qu'il faut faire pour se tirer d'affaire. II ne s'agit jamais d'observer ce qui se passe reellement lorsque les gens font usage de la parole et que celle-ci atteint normalement son but.

Seuls les philosophes se posent parfois quelques problkmes relatifs au langage, mais uniquement dans ses rapports avec la

pense, et ils arrivent aisement a convaincre ceux-la memes qui s'interessent aux langues que, pour reprendre une formulation

qui date de Ig61, << la langue n'existe et ne fonctionne que pour penser >>. On voit mal, dans ces conditions, comment l'6tude du

langage pourrait se demarquer de la psychologie. Pour s'occuper du langage en tant que tel, il y a eu, certes,

d6s le xIxe sidcle, des pionniers. En tout premier lieu le Prussien Guillaume de Humboldt (1767-1835) qui, aprbs s' tre fait connaitre comme homme d'Etat, s'engage, dbs 1820, dans l'6tude des

langues les plus diverses, ecrites ou non ecrites, ces dernibres le

convainquant que le langage est une activite et non un produit fini. Ce n'est qu'aujourd'hui qu'avec la linguistique dynamique on apergoit toutes les implications de sa formule. Dans la seconde moitid du sidcle on trouve d'abord l'Americain William Dwight Whitney (1827-1894), dont les 6crits nous frappent par leur modernisme, mais qui, de toute evidence, venait trop t6t et qui n'a joud pratiquement aucun r61le dans le developpement de la

linguistique contemporaine aux Etats-Unis. Ensuite le Polonais Baudouin de Courtenay (1845- 929) qui, par son enseignement en Russie dans les dernitres decennies du sidcle, va inaugurer des recherches qui d6boucheront plus tard sur la phonologie. Enfin Ferdinand de Saussure (1857-1913), un Genevois de la

grande famille des Saussure, qui rend hommage "

Whitney et & Baudouin, et dont le Cours, livre posthume, va marquer la necessite d'une linguistique generale et inspirer ceux qui chercheront A la fonder.

Vers la fin des ann6es 20 de ce sidcle, dans l'Europe centrale, autour du Cercle linguistique de Prague, va se developper le mouvement phonologique, sous la direction de Nicolas Troubetz- koy, intdgrant les enseignements de Baudouin, de Saussure, du

psychologue autrichien Karl Biihler. C'est t partir de la phono- logie que, par adhesion, par amplification ou par opposition, vont se d6velopper les diffdrentes formes de la linguistique structu-

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Linguistique gindrale, structurale, fonctionnelle 147

rale europeenne, qu'iI s'agisse du binarisme de Jakobson, de la

glossdmatique hjelmslevienne, ou du fonctionnalisme de votre serviteur.

Sur la scene am6ricaine, il y a, avec Edward Sapir, parall&- lisme avec les tendances praguoises, durcissement m6caniste avec Leonard Bloomfield et r6action mentaliste avec Noam Chomsky.

Aprbs ce rapide historique, il est temps de tenter de d6finir les trois termes du titre de cette conf6rence. Et, tout d'abord, la linguistique gendrale. << G6nerale >> s'y oppose, bien entendu, S<< particulibre >>. Il y aura, par exemple, une linguistique anglaise qui s'occupera trbs pr6cis6ment, trbs specifiquement, trbs stricte- ment de la langue anglaise, dans sa gendse, son developpement A travers le temps et ses formes contemporaines. Mais << anglaise >> peut, dans ce contexte, designer non pas la langue, mais la natio-

nalitd de certains linguistes. Dans ce cas, la linguistique anglaise pourra porter sur les langues classiques, celles de l'Extreme- Orient, ou sur la fagon dont on doit 6tudier le langage et les langues. Ce n'est, bien entendu, pas cette derniere acception que nous devons retenir, dans une optique scientifique qui trans- cende les frontieres d'Etats.

Dans << linguistique g6ndrale >>, c'est surtout << linguistique >> qui doit retenir notre attention. La linguistique est 1'Ptude du langage et des langues dans leur specificite et l'experience montre qu'il faut lutter pour que la linguistique, lorsqu'elle n'est plus celle d'une langue particulibre, ne soit pas reduite A un chapitre d'une autre science, la psychologie, la logique, les mathematiques ou la sociologie. Saussure, lui-meme, a paru nous y inviter lorsqu'il a

pr6sent6 la linguistique comme une subdivision d'une simiologie plus vaste. Meme un veritable linguiste, comme Louis Hjelmslev, dans son desir d'accider A des formulations de valeur de plus en plus gendrale, 6tait pr&t A noyer la linguistique dans le grand Tout, ce qui lui valait d'etre disempard devant des problames trbs particuliers aux langues ou A telle ou telle langue particulibre.

Voici trois points que le linguiste gen6raliste doit garder en tete :

Une langue est bien un systhme simiologique : un complexe de choses qui veulent dire autre chose, mais trbs particulier, parce que vocal, c'est-A-dire se manifestant sous une forme lineaire A percevoir sur-le-champ jusqu't l'invention de l' criture et des

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machines enregistreuses, parce que doublement articuld, ce qui est la consequence de son utilisation pour tout dire. Tout ce qu'il nous faut relever, dans une langue, pour la caractdriser, sa pho- nologie, sa syntaxe, sa morphologie, la fagon dont y sont analysdes les expdriences de l'homme, est impliqu6 dans ces reserves.

A rechercher & tout prix des formulations gendrales qui rambnent tout a des faisceaux de relations, on peut 6tre amen6 a minimiser, voire a nier l'Nvolution des langues, qui est pourtant un fait - un Franqais qui n'a pas appris le latin ne le comprend pas - et le fait fondamental que, dans le cas des langues, les conventions qui fondent le systhme de signes vont changer sans qu'on le veuille et sans meme qu'on en prenne conscience.

Quiconque, dans un d6sir de rdduire le spdcifique ?t l'universel, postule A la base de chaque langue une structure identique, s'attaque au fondement meme de la nature du fait linguistique, qui est ce qu'avec Saussure et en ddveloppant sa pensde, on peut designer comme l'arbitraire fondamental, c'est-a-dire la possi- bilit6 pour toute langue d'analyser h sa fagon et dans ses propres termes l'expirience des hommes.

On peut resumer tout ceci en disant que pour garder, . la recherche linguistique, sa spicificit6, il convient de ne jamais oublier que le langage n'existe que sous la forme de langues distinctes et li bien distinctes que, de l'une 'a l'autre, s'evanouit la finalite du sangage : la comprehension mutuelle. Avec Hjemslev et avec Chomsky, la < linguistique generale >>, & force d'etre < generale >>, cesse d'etre << linguistique >>. Une linguistique gendrale doit tout d'abord cerner son objet : le langage repr6sente par des langues, et prdciser ce que doit 6tre un objet pour qu'on le consi- dbre comme une langue. C'est 1l une proposition de type axio-

matique. J'ai propos6 d'appeler langue un instrument de commu- nication de caractbre vocal et doublement articul6 en unitis signifiantes et en unites distinctives. Si l'on souscrit a cette propo- sition, on doit 6tre pr6t ~ trouver dans une langue tout ce qui n'est pas en contradiction avec elle, et il ne doit pas y avoir d'autres universaux que ceux qu'elle implique.

Une linguistique gindrale est-elle necessairement structurale ? Je serais tente de dire oui. Mais il faut voir d'abord ce qu'implique ce terme. Pour comprendre < structurale c> en rapport avec < lin- guistique *, il vaut mieux oublier ce qu'a pu 6tre le o structura- lisme >> dans les annees, point trop distantes, oti il 4tait a la mode.

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Linguistique ginirale, structurale, fonctionnelle I49

Le structuralisme linguistique n'a dt6 une negation de l'histoire que chez certains de ses protagonistes, comme Hjemslev. Chez d'autres, la conception d'une langue comme une structure a, au contraire, pave la voie vers une meilleure comprehension de

l'dvolution des langues. Le structuralisme, en linguistique, derive directement des

points de vue saussuriens, selon lesquels une langue est un systdme oi tout se tient, oi une unit6 ne vaut que par son opposition aux autres unites du meme plan et oui les diff6rents plans s'impliquent mutuellement. Si on laisse de cotd certaines formulations outran-

ci&res, il n'est pas, que je sache, de linguistes qui se soient formel- lement prononcis contre ces points de vue, meme si, selon les gens, on en a plus ou moins tenu compte. Les plus difficiles A convaincre ont 6te les phondticiens. Aujourd'hui encore, meme chez ceux qui, avec bonne volont6, se sont inities " la phonologie, il y a toujours un moment oi l'int&ret pour un fait isolk fait oublier l'ensemble.

Ce sont, bien entendu, et on l'oublie souvent, les phono- logues qui ont 6td les premiers structuralistes. Ce sont eux qui ont ose dire que la definition d'un phoneme 6tait la somme des traits qui l'opposaient aux autres phonemes de la langue. Ce sont les Praguois qui, les premiers, se sont pr6sentes comme structuralistes, mais egalement, aussi vite, comme fonctionnalistes.

Identifier, dans un objet, une structure ne peut se faire sans poser initialement un principe d'abstraction. La structure d'un idifice, ce n'est pas tout I'ddifice, mais un ensemble de lignes de force qu'on digage par la pens&e. Une colonne peut ici etre portante et participer h la structure. LU, au contraire, elle n'est

qu'un ornement plaque sur la fagade, et on pourrait la supprimer sans affecter la solidit6 du bitiment. Cela ne veut pas dire qu'elle ne prisente aucun intiret, mais qu'elle vient en second lieu dans l'ordre des prioritis s'il s'agit, tout d'abord, d'assurer une pro- tection contre les intempcries. Dans certains cas, la fin premiere d'un edifice a pu etre d'impressionner les populations. Dans ce cas, le jugement qu'on peut porter sur lui devra se fonder sur un autre principe d'abstraction. Ce qui compte n'est pas l'objet en soi, mais I'intention du concepteur. Ceci vaut partout oh est

impliqu&e l'humanite. En ce qui concerne les systdmes de signes dont les hommes se servent pour communiquer, la difference est 6vidente entre la nature physique du signal produit et ce qu'il implique dans I'esprit du producteur : les deux syllabes de mouton

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n'ont, par nature, rien k voir avec l'animal ainsi d6sign'. Dans le cas des langues, avec leur double articulation, il faut faire intervenir, outre l'arbitraire du signe sous sa forme la plus d16men- taire, la structuration particulibre des unites distinctives qui en constituent la face perceptible. Un seul exemple : le on que l'on entend dans mouton est une realit6 physique qui peut apparaitre dans probablement toutes les langues du monde, mais elle n'y.est le plus souvent qu'une faqon accidentelle de r6aliser une succes- sion o + n, celle qu'on entend dans le frangais moutonne. En fran-

gais, rien de tel : mouton et moutonne ne se confondent pas. On dira

que la difference entre on et onne y est pertinente. La pertinence est le principe d'abstraction qu'on va choisir de telle fagon que ne soient retenus que les aspects de la realite perceptible qui assu- ment une fonction d6terminee, dans le cas qui prickde, la fonction distinctive.

Sans le garde-fou de la pertinence, qu'on l'ait ou non expli- citee, tout effort pour degager une structure aboutit ta une construc- tion arbitraire qui ne trouvera aucun appui dans la dynamique des faits. Tout realisme scientifique est un realisme selectif et hidrarchisant.

Troubetzkoy a bien explicit6 la notion de pertinence (all. Relevanz, angl. relevancy) qu'il tenait de Karl Biihler, mais certains a priori iddalistes l'ont empeche d'en percevoir toutes les implica- tions : en face de l'ordonnance des systemes phonologiques, ii invoque une tendance i l'harmonie des systemes, alors que la seule conclusion qui s'impose est que cette ordonnance resulte d'une economie fonctionnelle. Les autres protagonistes du courant praguois ont gendralement mis plus l'accent sur la structure que sur la fonction, en partie au moins sous l'influence de l'un des leurs, Roman Jakobson, avec son gofit pour l'universel et ses a priori binaristes. C'est donc ailleurs qu'a Prague et notamment it Paris qu'a pris forme le fonctionnalisme d'aujourd'hui.

Pour illustrer le point de vue fonctionnel, c'est-a-dire la fagon dont les faits sont classes non point en fonction de leur rdalite physique, mais de leur r6le dans le processus de la communication linguistique, je prdsenterai ici deux exemples de traitement, empruntes l'un au domaine phonologique, l'autre I celui de la grammaire.

Tout le monde sait que, pour parler, l'homme fait vibrer ses cordes vocales. Le resultat perceptible est ce qu'on nomme la

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Linguistique gindrale, structurale, fonctionnelle I'5

voix. Selon le degre de tension des cordes vocales, le timbre de la voix est plus ou moins aigu ou grave. Il y a 1 une realite

physique a laquelle on n'echappe pas. On peut jouer, dans certains cas, sur la presence ou l'absence de la voix, par exemple pour distinguer [b], qui est vois,, de [p] qui ne l'est pas. Mais si la voix est 1la, elle a d chaque instant une hauteur determinde. Maintenir constamment la voix " la meme hauteur riclamerait un effort de contrBle peu economique, et c'est un fait que toute emission vocale implique une courbe milodique que les quelques interruptions repr6senties par les consonnes devoisees comme [p] ou [s] n'affectent pas. Ceux qui n'ont guere de formation linguis- tique designent cette courbe comme l'intonation. Les amateurs manifestent en general beaucoup d'inter&t pour cette intonation. Elle leur parait pleine d'implications mystecrieuses, alors qu'ils ne voient pas pourquoi il faudrait s'intiresser aux phonemes qui constituent la chaine, puisque, de toute evidence, ceux-ci ont et6, depuis longtemps, identifies sous la forme de lettres.

Pour le fonctionnaliste il ne peut s'agir d'identifier, une fois

pour toutes, la courbe milodique avec une realite linguistique definie. Elle est une realite physique dont il convient de deter- miner quel r6le, au singulier ou au pluriel, elle joue dans telle ou telle langue, ou tel ou tel contexte dans une langue determinde. IL y a des langues, comme le vietnamien, oii chaque syllabe est caracterisee par un mouvement particulier de la courbe milo- dique qui appartient

' un des quelques types possibles dans la langue, six en vietnamien, qu'on designe comme des tons. Dans ses realisations, chaque ton va s'adapter ' celui qui prec6de et celui qui suit, mais sans que son identite disparaisse. Un ton a la meme fonction distinctive qu'un phoneme, c'est-a-dire qu'une meme succes- sion de phonemes aura deux sens diffdrents avec le ton A et le ton B. Un tel systeme tonal est si exigeant vis-a-vis de la courbe

mdlodique qu'il n'en reste a peu pres rien que les usagers pour- raient utiliser t d'autres fins.

Dans d'autres langues, comme l'anglais, le russe, l'espagnol, les mouvements de la courbe m6lodique vont 6tre mis A profit pour mettre en valeur une syllabe d'terminde dans ce qu'on d6signe, de fagon un peu liche, comme chaque mot; d'autres traits physiques, comme la force et la durie de l'articulation, peuvent tre mis a contribution en meme temps pour cette mise en valeur qu'on designe proprement comme un accent. Mais on

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apergoit que la courbe mdlodique ne s'6puise pas du fait de sa contribution & l'accent, puisque restent disponibles toutes les parties de la courbe correspondant aux syllabes inaccentuIes et que la force et la duree de l'articulation peuvent aisement

supplier a la melodie au cas oh celle-ci trouverait h s'employer ailleurs. Il en resulte que, dans ces langues, on peut, par exemple, au moyen d'un contour melodique montant, marquer un 6nonc6 comme interrogatif. La melodie de la voix peut donc, dans ce cas, assumer une fonction directement significative, parfaitement distincte de celles, assumees dans la meme langue, par l'accent. La fonction centrale de l'accent est de marquer les articulations de l'tnonc6 en en signalant les points importants pour la compre- hension de ce qui est dit. On parle dans ce cas d'une fonction culminative. Lorsque, comme en tchbque ou en hongrois, l'accent tombe sur la premibre syllabe de chaque << mot >>, on lui attribue une fonction dimarcative. L o0h sa place dans le mot n'est pas previsible, cette place (nota bene : non point l'accent lui-meme) peut acquerir une fonction distinctive, lorsque, par exemple, en

espagnol sabana < savane >> se distingue de sdbana < drap >> par son accent sur l'avant-dernibre syllabe.

Dans une langue comme le frangais oh I'on ne connait pas de tons, pas de fonction distinctive de la position de l'accent, pas de fonction culminative ou reellement d6marcative d'un accent, la courbe m6lodique reste disponible, A la disposition du locuteur pour nuancer son expose selon le modtle, naturel et non culturel, oh mont&e implique doute et incertitude, descente assurance.

Il n'y a pas, je crois, de plus bel exemple d'une seule et meme

r6alit6 physique et physiologique mise & profit, selon les langues, & des fins aussi varides.

Ma deuxisme illustration est celle qu'offrent ce qu'on appelle les variantes de signifiant dont l'Ctude sera d6sign6e comme la morphologie si l'on veut rester fiddle A la valeur primitive de ce terme.

Une fois degagees les unit6s distinctives, phonemes surtout, mais aussi, selon les langues, tons et place de l'accent, on peut donner, en termes d'unitis discrttes, la forme exacte d'un signi- fiant de montme. Soit le mon6me chapeau. Il est, quant A sa forme, parfaitement caracterise par la succession de phoneme /c/, /a/, /p/, /o/, comme il l'est, dans sa forme ecrite, par la succession des

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Linguistique gindrale, structurale, fonctionnelle 153

lettres c, h, a, p, e, a, u. Il n'y a plus rien hi dire dans le cas de chapeau. Mais il y a, en frangais, d'autres unites significatives dont la forme va varier selon les contextes grammaticaux : en liaison avec le montme pluriel, animal va prendre la forme animaux; le montme << imparfait >> qui a la forme /-6/, -ai-, en liaison avec les mondmes Ire, 2e et 3e personnes (il donnait), va assumer une forme /i/ non syllabique en liaison avec la 4e qu'on d'signe traditionnellement comme la premiere du pluriel (nous donnions). Le nombre de telles variations est, en frangais, considerable et elles occupent une place importante dans les presentations gram- maticales de cette langue. Ne pas les respecter, dans le cas d'un enfant ou d'un 6tranger, entraine une sanction sociale, rappel A l'ordre ou moquerie. Socialement donc, le respect de ces variations a une importance considerable, mais du point de vue de la perti- nence communicative, leur rble est absolument negatif. Dans une etude fonctionnelle de la langue, il faut contraster avec la dernitre 6nergie l'examen des variantes de signifiant et celui des 616ments de l'Fnonce qui assurent sa cohesion et permettent A l'auditeur de reconstituer A partir d'une parole lineaire l'experience qu'on cherche a lui communiquer. II s'agit donc, en termes traditionnels, de distinguer la morphologie d'une part, la syntaxe de l'autre.

La faqon dont les fonctionnalistes abordent la notion tradi- tionnelle de << genre>> illustre 6galement la prioritd donn&e a la satisfaction des besoins aux depens des identites formelles : le genre, en franqais, le fdminin par exemple, n'est pas une unite significative : le nom table est dit du < fiminin >> parce que sa presence entraine certaines modifications formelles dans son contexte, choix de la et de une pour les articles au lieu de le et un, forme particulibre de la plupart des adjectifs en rapports 6pith6- tiques et predicatifs. Ces modifications formelles n'apportent aucune information qui ne soit impliquie par table lui-m6me. Une des modifications formelles en cause est l'emploi de elle au lieu de il comme pronom de rappel. Or il se trouve que elle renvoie non seulement A un nom fiminin independamment d'un sexe ventuel de la personne ainsi d6sign6e : la sentinelle... elle..., mais 'galement 'a un &tre de sexe fdminin sans egard au genre du nom qui le designe : le docteur... elle..., ou indrpendamment de toute refirence a une designation linguistique : elles, au pluriel, peut renvoyer at un groupe de personnes du sexe f6minin, sans qu'on veuille ou puisse preciser si ce sont des femmes ou des

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petites filles. Les memes formes vont done, selon les cas, reprd- senter le genre, c'est-A-dire n'avoir au mieux qu'une fonction de redondance, ou preciser, de faron trts informative, le sexe de l'etre & qui on se refbre. La meme dualite fonctionnelle vaut pour un suffixe comme -ier, -iere qui, dans la premiere fois qu'il est venu, ou la premiere femme qui ait plaide, n'apporte aucune information

qui ne soit impliquee par fois etfemme, mais qui, dans c'est I'epicire qui m'a servi, permet seul une identification exacte.

La confusion de genre et de sexe, qu'on retrouve sans cesse dans les presentations traditionnelles, est explicable, sinon excu- sable, du fait de constantes identitis formelles. Mais elle emp~che une nette prise de conscience de la dynamique de la langue A une epoque oh des modifications rapides et profondes du statut de la femme dans la societe ne sont pas sans exercer une pression sur la structure traditionnelle de la langue.

A insister sur la structuration de la langue sans ref6rence ta son fonctionnement, on a, nous l'avons entrevu ci-dessus, toute chance de se faire de la structure une conception strictement statique qui semble exclure le changement. Le point de vue fonctionnaliste selon lequel la langue vise, en prioritY, a la satisfaction de certains besoins retablit une vision dynamique des faits qui seule peut permettre de comprendre la nature et les causes des changements qui, & chaque instant, dans chaque enonce, sont en procs. Nos

pred cesseurs ne pouvaient manquer de voir comment les modifi- cations de la societe pouvaient affecter le vocabulaire. Mais ils restaient demunis devant beaucoup de modifications qui affec- taient la grammaire et surtout le materiel phonique. A considerer, comme nous le faisons, le langage comme existant, en prioritd, pour assurer la communication entre les hommes, nous compre- nons pourquoi la structure linguistique doit s'adapter a chaque instant et pourquoi nous pouvons arriver a la conclusion qu'une langue change parce qu'elle fonctionne.

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