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ARTICLE ORIGINAL Séquelles fonctionnelles et impact sur la pratique sportive de la reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal Functional impairment and its impact on sporting activities after latissimus dorsi flap breast reconstruction J. Lutringer a, * , B. Flipo a , M. Carles b , J. Gal c , B. Chignon-Sicard a a Service de chirurgie se ´ nologique, centre Antoine-Lacassagne, 33, avenue Valombrose, 06189 Nice, France b Service d’orthope ´ die, CHU de Nice Archet 2, 151, route Saint-Antoine-Ginestie `re, 06000 Nice, France c Bureau d’e ´ tude clinique, centre Antoine-Lacassagne, 33, avenue Valombrose, 06189 Nice, France Rec¸u le 15 janvier 2012 ; accepte´ le 17 avril 2012 MOTS CLÉS Séquelles fonctionnelles ; Lambeau musculocutané de grand dorsal ; Reconstruction mammaire ; Sport Résumé But de l’e´tude. Le lambeau de grand dorsal est couramment utilisé en chirurgie reconstruc- trice. La morbidité induite au niveau du site donneur représente le principal inconvénient de cette chirurgie. Cependant, si le retentissement du prélèvement du muscle grand dorsal sur les activités de la vie quotidienne a déjà été étudié, il existe peu de données concernant l’impact de celui-ci sur la pratique sportive ultérieure. Patientes et me´thode. Notre étude rétrospective monocentrique présente une série de 75 patientes ayant subi une reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal avec un recul moyen de 32,4 mois. L’évaluation a été réalisée par questionnaire téléphonique et portait sur les activités sportives, de la vie quotidienne et professionnelle en pré- et postopératoire. En cas de modification de comportement en postopératoire, les patientes devaient préciser la nature de la gêne (douleur, force, endurance). Re´sultats. Nous avons montré une réduction de l’activité physique chez 43 % des patientes pratiquant un sport sollicitant le membre supérieur versus 19 % pour celles pratiquant un sport du membre inférieur ( p < 0,05). Quatre-vingt-trois pour cent des patientes étaient gênées pour au moins une des activités de la vie quotidienne étudiées. 5,2 % ont du bénéficier d’une adaptation de leur activité professionnelle au décours de la chirurgie. Conclusion. La diminution d’activité physique constatée au membre supérieur au décours de la chirurgie suggère un impact négatif de celle-ci. Cependant, le prélèvement du muscle grand dorsal n’est probablement pas seul en cause. # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Annales de chirurgie plastique esthétique (2012) 57, 567574 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J. Lutringer). Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com 0294-1260/$ see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2012.04.006

Séquelles fonctionnelles et impact sur la pratique sportive de la reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal

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Page 1: Séquelles fonctionnelles et impact sur la pratique sportive de la reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal

ARTICLE ORIGINAL

Séquelles fonctionnelles et impact sur la pratiquesportive de la reconstruction mammaire par lambeaude grand dorsalFunctional impairment and its impact on sporting activities after latissimusdorsi flap breast reconstruction

J. Lutringer a,*, B. Flipo a, M. Carles b, J. Gal c, B. Chignon-Sicard a

a Service de chirurgie senologique, centre Antoine-Lacassagne, 33, avenue Valombrose, 06189 Nice, Franceb Service d’orthopedie, CHU de Nice Archet 2, 151, route Saint-Antoine-Ginestiere, 06000 Nice, Francec Bureau d’etude clinique, centre Antoine-Lacassagne, 33, avenue Valombrose, 06189 Nice, France

Recu le 15 janvier 2012 ; accepte le 17 avril 2012

MOTS CLÉSSéquelles fonctionnelles ;Lambeaumusculocutané degrand dorsal ;Reconstructionmammaire ;Sport

RésuméBut de l’etude. — Le lambeau de grand dorsal est couramment utilisé en chirurgie reconstruc-trice. La morbidité induite au niveau du site donneur représente le principal inconvénient decette chirurgie. Cependant, si le retentissement du prélèvement du muscle grand dorsal sur lesactivités de la vie quotidienne a déjà été étudié, il existe peu de données concernant l’impact decelui-ci sur la pratique sportive ultérieure.Patientes et methode. — Notre étude rétrospective monocentrique présente une série de75 patientes ayant subi une reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal avec unrecul moyen de 32,4 mois. L’évaluation a été réalisée par questionnaire téléphonique et portaitsur les activités sportives, de la vie quotidienne et professionnelle en pré- et postopératoire. Encas de modification de comportement en postopératoire, les patientes devaient préciser lanature de la gêne (douleur, force, endurance).Resultats. — Nous avons montré une réduction de l’activité physique chez 43 % des patientespratiquant un sport sollicitant le membre supérieur versus 19 % pour celles pratiquant un sport dumembre inférieur ( p < 0,05). Quatre-vingt-trois pour cent des patientes étaient gênées pour aumoins une des activités de la vie quotidienne étudiées. 5,2 % ont du bénéficier d’une adaptationde leur activité professionnelle au décours de la chirurgie.Conclusion. — La diminution d’activité physique constatée au membre supérieur au décours dela chirurgie suggère un impact négatif de celle-ci. Cependant, le prélèvement du muscle granddorsal n’est probablement pas seul en cause.# 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Annales de chirurgie plastique esthétique (2012) 57, 567—574

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J. Lutringer).

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

0294-1260/$ — see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2012.04.006
Page 2: Séquelles fonctionnelles et impact sur la pratique sportive de la reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal

KEYWORDSFunctional impairment;Latissimus dorsimyocutaneous flap;Breast reconstruction;Sport

Summary

Aim of the study. — The latissimus dorsi flap is commonly used for breast reconstruction. Donorsite morbidity is the major side effect of this surgery. However, if the impact of the latissimusdorsi muscle removal on daily living actvities has already been studied, few data are availableabout its consequences on sporting activities.Material and method. — Our retrospective monocentric study reviewed 75 consecutive femalepatients who underwent latissimus dorsi muscle transfer for breast reconstruction with a meanfollow-up of 32.4 months. Patients had to answer a questionnaire per phone about their sporting,daily living and working activities before and after surgery. If they felt any changes after surgery,the type of limitation was detailed (pain, strength, endurance).Results. — We showed a reduction in sporting activities for 43% patients practising a sport usingthe upper limb compared to 19% for them using the lower limb (P < 0.05%). Eighty-three percentof the patients felt restricted for at less one activity of daily living. 5.2% had to adapt theirworking conditions after surgery.Conclusion. — The reduction in sporting activities using the upper limb after surgery suggests anegative impact of the surgery. However, other factors than the latissimus dorsi muscle removalmight contribute to this reduction.# 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

568 J. Lutringer et al.

Introduction

La reconstruction par lambeau autologue présente l’avan-tage d’un résultat esthétique plus proche du sein naturel etplus durable. Ses principaux inconvénients sont le risque denécrose du lambeau nécessitant une réintervention, et lamorbidité induite au niveau du site donneur [1—4].

Le muscle grand dorsal assure une fonction de rotationinterne, d’adduction et de rétropulsion du bras [5]. Denombreuses études ont étudié la morbidité du site donneuraprès reconstruction mammaire par lambeau musculocutanéde grand dorsal (LGD). Ces études ont montré une altérationdes tests physiques qui n’est pas toujours associée à une gêneressentie chez les patientes évaluées par questionnaire[6,7]. Or la possibilité de poursuivre ou non leur activitésportive en postopératoire est une interrogation constantechez les patientes. Celle-ci va conditionner leur choix dumode de reconstruction.

Ainsi, notre étude a pour objectif d’évaluer subjective-ment la pratique sportive en pré- et postopératoire afin dedéterminer si la reconstruction mammaire par lambeau degrand dorsal a un impact sur celle-ci, qu’il soit utilisé seul ouassocié à une prothèse.

Patientes et méthode

Il s’agit d’une étude rétrospective monocentrique menéeentre juillet 2006 et mai 2010 dans le service de chirurgiesénologique du centre Antoine-Lacassagne à Nice.

Critères d’inclusion : toutes les patientes ayant bénéficiéd’une reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsaldans le service pendant cette période ont été recontactéeset soumises à un questionnaire téléphonique.

Critères de non inclusion ou d’exclusion : les patientesdécédées ou présentant une récidive locale ou métastatiquede la maladie.

Paramètres étudiés

La section ou la conservation du nerf était recherchée dans lecompte-rendu opératoire, le caractère immédiat ou différé

de la reconstruction était précisé, de même que le côtédominant ou non de l’opération.

La présence de comorbidités à type de maladies rhuma-tismales ou psychiatriques était relevée dans les dossiersmédicaux.

Les patientes étaient interrogées quant à la réalisation deséances de kinésithérapie postopératoire.

Le retentissement de la chirurgie sur la pratique sportive,les activités de la vie quotidienne et l’activité profession-nelle étaient évalués. En cas de limitation, celle-ci étaitquantifiée en légère, moyenne, sévère ou activité impossibleet les patientes devaient préciser si cette limitation étaitliée à un déficit de force, d’endurance ou si la douleur étaiten cause. Le questionnaire utilisé pour l’étude de la fonc-tionnalité de l’épaule était une version simplifiée du Dis-ability of Arm, Shoulder and Hand Questionnaire (DASH)score, outil d’autoévaluation validé, développé par l’acadé-mie américaine de chirurgie orthopédique pour la fonctiondu membre supérieur [8,9]. Afin de faciliter la compréhen-sion des patientes et d’augmenter leur taux de participation,nous avons réduit le nombre de questions et détaillé lapratique sportive (Annexe 1).

Nous avons pris en compte au maximum trois sports parpatiente. En cas de pratique de plus de trois sports, nousavons exclu en priorité ceux n’impliquant pas l’épaule. Lenombre d’heures par semaine pratiqué avant et après lachirurgie était calculé. En cas de sport saisonnier commele ski, la pratique annuelle était reportée à une moyenne parsemaine. Une journée de ski étant considérée comme septheures de sport. Si l’arrêt ou la réduction de la pratique enpostopératoire étaient indépendants de la chirurgie (choix,limitation en temps. . .), les patientes devaient le préciser.Les sports ont ensuite été regroupés en « sport impliquant lemembre supérieur (MS) » (natation, gym, tennis, golf, yoga,pétanque, tennis de table, danse, volley) et « sport impli-quant le membre inférieur (MI) » (marche, randonnée, vélo,ski, snowboard, jogging, roller).

Enfin, une évaluation de la satisfaction des patientes selontrois critères a été réalisée : le résultat esthétique au niveaudu site donneur et du site receveur, le choix de l’intervention aposteriori et la recommandation de celle-ci à un proche.

Page 3: Séquelles fonctionnelles et impact sur la pratique sportive de la reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal

Figure 1 Données générales de la population et caractéristi-ques chirurgicales (sur le nombre total de patientes).

Séquelles fonctionnelles après reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal 569

Technique opératoire

Le muscle grand dorsal était prélevé en totalité avec, selonles opérateurs, une section du nerf thoracodorsal. Il étaitréalisé un prélèvement du muscle seul ou un prélèvementmusculocutané. Le lambeau était retourné et positionné surle thorax. La reconstruction était, soit réalisée par un lam-beau de grand dorsal autologue selon la technique de DELAY,soit associée à une prothèse.

Étude statistique

Les données sont exprimées en valeurs absolues, pourcen-tage ou moyenne � écart type [minimale—maximale]. Pourcertains paramètres, une évaluation du risque relatif (RR)avec intervalle de confiance à 95 % (IC95) a été réalisée.

Les comparaisons de moyenne ont été réalisées par le testnon paramétrique, test U de Mann Withney et les comparai-sons de variables qualitatives par le test exact de Fisher. Unevaleur de p < 0,05 est considérée comme significative.

Résultats

Pendant la période d’étude, 117 patientes ont bénéficiéd’une reconstruction mammaire par lambeau de grand

Tableau 1 Nature de la limitation associée à une diminution de

Sport Nombre de patientes Diminution eavec la chiru

Volley 1 0Danse 1 0Ping-Pong 1 0Pétanque 1 1

Yoga 1 1

Golf 2 1

Tennis 6 2

Gymnastique 20 5

Natation 33 7

Le nombre représente l’effectif de patientes pratiquant chaque sport enayant eu une diminution involontaire de leur pratique en rapport avecPour ces patientes, le nombre d’entre elles présentant une limitation aest précisé.

dorsal. Parmi elles, 19 patientes étaient métastatiques oudécédées au moment du contact et 23 patientes sont restéesinjoignables. Ainsi, 75 patientes ont accepté de participer àl’étude et ont répondu au questionnaire : 74 par téléphone etune par voie postale parce qu’elle était malentendante. Unepatiente parmi les 75 a bénéficié d’un LGD bilatéral.

Huit chirurgiens, expérimentés pour cette chirurgie, sontintervenus et ont pris en charge entre une et 32 patientes.

L’âge moyen des patientes était de 54 � 10 ans [30—77] etle recul post-reconstruction mammaire moyen était de2,67 � 1,1 ans [0,9—5].

Les caractéristiques de la population étudiée et du gestechirurgical sont synthétisées Fig. 1.

Activités sportives

Soixante-cinq patientes pratiquaient une ou plusieurs acti-vités sportives en préopératoire (86,7 %). Quarante-six patien-tes pratiquaient au moins un sport impliquant le MS et36 patientes pratiquaient au moins un sport impliquant leMI. Les sports recensés étaient les suivants : natation, marche,randonnée, gymnastique, tennis, golf, yoga, pétanque, vélo,ski, tennis de table et danse. D’une part, le prélèvement dumuscle grand dorsal peut être à l’origine d’une limitationfonctionnelle réelle du membre supérieur.

Concernant l’activité sportive globale, 26 patientes (40 %)parmi les « sportives » ont réduit leur pratique sportive enpostopératoire pour au moins un des sports pratiqués. Parmielles, neuf déclarent l’avoir fait pour des raisons indépen-dantes de la chirurgie (contrainte de temps, choix). Ainsi,17 patientes ont réduit leur pratique sportive en rapport avecl’intervention de reconstruction mammaire (26 % des patien-tes sportives). Par ailleurs, huit patientes ont débuté unsport en postopératoire : six la gymnastique, une le véloet une la natation et quatre ont augmenté la pratique d’aumoins un sport : deux la natation et deux la gymnastique.

Concernant la pratique d’un sport sollicitant le MS, ladiminution d’activité sportive est constatée chez 20 patien-tes sur 46 (43 %) versus sept patientes sur 36 (19 %) pratiquantun sport utilisant le MI ( p = 0,032). On constate donc uneréduction de la pratique sportive en postopératoire plusimportante pour les sports impliquant le MS que ceux impli-quant le MI (Tableau 1).

la pratique du membre supérieur.

n rapportrgie

Douleur Force Endurance

1 1 10 1 11 1 12 2 23 4 55 6 7

préopératoire. Pour chaque sport apparaît le nombre de patientes la chirurgie (hors contrainte de temps ou choix de la patiente. . .).ttribuée à la douleur et/ou un manque de force et/ou d’endurance

Page 4: Séquelles fonctionnelles et impact sur la pratique sportive de la reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal

Figure 2 Facteurs de maintien d’une activité sportiveexprimés en risque relatif (et IC à 95 %) des variables : sectiondu nerf, reconstruction mammaire différée (RMD), comorbiditéset recul supérieur à deux ans par rapport à la diminution de lapratique sportive du MS.Les variables dont le RR est inférieur à un sont associées à unepoursuite plus importante de la pratique sportive impliquant lemembre supérieur, celles dont le RR est supérieur à un sontassociées à une réduction de la pratique sportive du membresupérieur.

570 J. Lutringer et al.

De même, à l’échelle des activités sportives : parmi66 activités sollicitant le MS, 24 ont été réduites (36 %) versus11 sur 44 pour les activités sollicitant le MI (25 %). Cependant,respectivement sept et cinq activités ont été réduites pourdes raisons indépendantes de la chirurgie (contrainte detemps, choix). Ainsi, 26 % des activités sollicitant le MS et14 % de celles sollicitant le MI ont été réduites en rapportavec l’intervention de reconstruction mammaire.

Dans notre série, il n’y a pas de différence d’âge selon queles patientes pratiquant en préopératoire un sport impli-quant le MS aient diminué ou maintenu leur niveau d’activitésportive.

Les variables susceptibles d’influencer la pratique spor-tive au membre supérieur (reconstruction mammaire immé-diate ou différée, kinésithérapie postopératoire, section ounon du nerf thoracodorsal, présence de comorbidités, recul àla chirurgie) sont résumées Fig. 2 et exprimées en risquerelatif ; cela permet d’évaluer leur degré d’impact en faveurd’un maintien d’une activité sportive (si RR < 1) ou endéfaveur (si RR > 1).

Tableau 2 Nature de la gêne fonctionnelle ressentie par les pa

Activité Patientes limitées

Port de charges > 4 kg 49

Récupérer un objet en hauteur 34

Laver les vitres 41

Dévisser un couvercle 41

Passer l’aspirateur 20

Conduire 13

Se coiffer 8

Bricoler 15

Jardiner 17

Dans notre étude, il n’a pas été mis en évidence de liensignificatif entre la durée de rééducation et le maintien ounon de la pratique sportive en postopératoire.

Activités de la vie quotidienne

Soixante-deux patientes (83 %) sont gênées dans au moinsune des activités de la vie quotidienne citées. La limitationest principalement liée à un manque de force (84 %) ou à desdouleurs de l’épaule ou du dos (71 %). Cependant, unepatiente sur deux ressent également une fatigabilité accruedu côté opposé et une endurance moindre (Tableau 2).

La limitation est le plus souvent absente à légère. Lesactivités les plus perturbées sont le port de charges de plusde 4 kg (51 % attestant une limitation moyenne ou importanteou une activité impossible) et le fait de dévisser un couverclede boîte serré (44 %), données rapportées Tableau 3.

Activités professionnelles

La répartition des activités professionnelles en pré- et post-opératoire est indiquée Fig. 3. La majorité des patientes ontpoursuivi leur activité professionnelle au décours de la chi-rurgie. Seulement quatre patientes ont bénéficié d’uneadaptation de poste ou d’horaires et quatre ont cessé leuractivité ou étaient retraitées après la chirurgie. Parmi lesquatre patientes ayant bénéficié d’une adaptation de leuractivité professionnelle, trois exerçaient une activitémanuelle avant la chirurgie (75 %).

La durée moyenne d’arrêt de travail était de 5,7 � 7,4[0,5—24] semaines. Les patientes ayant repris leur activitéprofessionnelle décrivaient une limitation liée à la douleurdans 53 % des cas, un manque de force dans 53 % et uneendurance moindre dans 55 % lors de l’utilisation de l’épaule,du bras et/ou de la main du côté opéré. Cependant, cettelimitation était qualifiée de légère dans 80 % des cas.

Satisfaction

Concernant le résultat esthétique, 53 patientes (71 %) sedisaient satisfaites ou très satisfaites du résultat au niveaudu site donneur et 48 patientes (64 %) au niveau du sitereceveur. Soixante et une patientes (81 %) choisiraient lamême intervention a posteriori, 60 (80 %) la recommande-raient (sachant que huit patientes ne se sont pas prononcéessur cette question).

tientes dans les activités de la vie quotidienne.

Douleurn (%)

Déficit de forcen (%)

Endurance réduiten (%)

35 (71) 29 (59) 10 (20)21 (62) 23 (68) 1 (3)21 (51) 17 (41) 21 (51)12 (29) 36 (88) 1 (2)9 (45) 9 (45) 12 (60)6 (46) 7 (54) 8 (62)4 (50) 4 (50) 4 (50)8 (53) 6 (40) 8 (53)

10 (59) 6 (35) 8 (47)

Page 5: Séquelles fonctionnelles et impact sur la pratique sportive de la reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal

Tableau 3 Données relatives à l’interrogatoire sur les activités quotidiennes du suivi postopératoire.

Activité Total Aucune limitationn (%)

Légère limitationn (%)

Moyenne àimportante limitationn (%)

Activité impossiblen (%)

Port de charges > 4 kg 75 26 (34,67) 11 (14,67) 34 (45,33) 4 (5,33)Récupérer objet en hauteur 75 41 (54,67) 11 (14,67) 18 (24) 5 (6,67)Laver les vitres 75 34 (45,33) 19 (25,33) 15 (20) 7 (9,33)Dévisser un couvercle 75 34 (45,33) 8 (10,67) 25 (33,33) 8 (10,67)Passer l’aspirateur 75 55 (73,33) 10 (13,33) 9 (12) 1 (1,33)Conduire 64 51 (79,69) 8 (12,5) 5 (7,81) 0Se coiffer 75 67 (89,33) 5 (6,66) 3 (4) 0Bricoler 42 27 (62,28) 12 (28,57) 3 (7,14) 0Jardiner 38 21 (55,26) 12 (31,58) 5 (13,16) 0

Séquelles fonctionnelles après reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal 571

Discussion

Notre étude avait pour objectif d’évaluer rétrospectivementla pratique sportive des patientes ayant eu une reconstruc-tion mammaire par LGD.

Nos résultats montrent une diminution significative desactivités sportives impliquant le membre supérieur, compa-rativement à celles impliquant le MI, suggérant un impactnégatif de cette chirurgie de reconstruction mammaire parlambeau de grand dorsal sur la pratique du sport.

L’évaluation portant essentiellement sur des critèressubjectifs tels que la sensation de force, d’endurance etla douleur, recueillis par interrogatoire, la poursuite ou nonen postopératoire d’une activité sportive antérieure à la

Figure 3 Activité professionnelle en préopératoire et évolu-tion après la chirurgie reconstructrice.

chirurgie et particulièrement concernant le membresupérieur est le critère objectif d’évaluation le plus signifiantcar il résulte d’une décision personnelle de la patientetenant compte de tous ces éléments.

Différentes hypothèses peuvent être suggérées par cettediminution d’activité sportive.

En outre, une limitation fonctionnelle réelle du MS liée auprélèvement du muscle GD. En effet, de nombreux auteursont mesuré à l’aide de tests physiques objectifs la répercus-sion fonctionnelle sur l’épaule de cette chirurgie et touss’accordent pour dire qu’il existe un léger déficit fonctionnelde l’épaule opérée après LGD [10]. Ainsi, Glassey et al., surune série de 22 patientes évaluées en pré- et postopératoirejusqu’à un an, montrent une diminution de force faible maispersistante à un an de l’intervention sans limitation d’ampli-tude des mouvements de l’épaule [6]. De plus, Fraulin et al.montrent un déficit significatif en force et en endurance lorsdes mouvements d’extension et d’adduction de l’épaule,avec un suivi moyen de 4,4 ans [11]. Enfin, Laitung et Peckretrouvent un déficit de 5 à 308 d’amplitude des mouvementschez 31 % des 19 patients versus groupe contrôle avec unrecul de deux mois à quatre ans, sans diminution de force [7].Cependant, dans notre étude, 12 patientes ont débuté ouaugmenté leur pratique sportive après la chirurgie de recon-struction mammaire. Ce constat est en défaveur d’un déficitfonctionnel sévère induit par cette chirurgie.

Par ailleurs, la part de la plastie par lambeau de granddorsal par rapport au geste carcinologique dans les séquellesfonctionnelles induites par la chirurgie est difficile à établir.En effet, le syndrome douloureux post-mastectomie, d’unepart, affecterait jusqu’à 50 % des patientes mastectomiséeset pourrait être à l’origine d’une limitation de fonction del’épaule [12]. D’autre part, le curage axillaire serait égale-ment à l’origine d’une restriction fonctionnelle de l’épaule[13—15]. Ainsi dans l’étude de Devoogdt et al., 51 % despatientes ayant bénéficié d’un curage axillaire sont limitéesdans les activités de la vie quotidienne et 31 % dans lesmouvements de l’épaule avec un recul à la chirurgie de3,4 ans [15]. L’antécédent de curage axillaire n’a pas étépris en compte dans nos critères d’étude. Cependant, nousavons constaté que les patientes ayant bénéficié d’unereconstruction mammaire différée (plastie seule) dimi-nuent moins le sport du MS (38,2 %) comparativement àcelles ayant bénéficié d’une reconstruction mammaireimmédiate (RMI) (58,3 %) suggérant une possible implication

Page 6: Séquelles fonctionnelles et impact sur la pratique sportive de la reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal

572 J. Lutringer et al.

de la chirurgie carcinologique dans les séquelles fonction-nelles après RMI.

De plus, nous avons constaté une réduction involontaireau décours de la chirurgie chez quatre patientes pratiquantdes sports impliquant le MI, pour lesquelles la chirurgie nepeut pas avoir de conséquence fonctionnelle directe. Celaest en faveur du rôle d’autres facteurs dans la limitation telsque le retentissement moral et physique global de la maladiecancéreuse et de ses traitements et probablement de nom-breux facteurs psychologiques.

Un des éléments à prendre en compte est le recul à lachirurgie qui a été suggéré comme facteur d’amélioration durésultat fonctionnel. Cela peut s’expliquer, d’une part, parla distance à l’annonce du diagnostic de cancer. Les patien-tes ayant un recul plus important ont appris à vivre avec lamaladie et reprennent plus vite leurs activités antérieures.D’autre part, la perte du muscle grand dorsal génère lerecrutement de muscles synergiques qui vont jusqu’àcompenser l’absence du muscle avec le temps. Ces musclessont au nombre de six et le principal est le muscle grand rond[16]. Ainsi, Glassey et al., dans une étude prospective àpartir de 22 patientes ayant subi une évaluation par unkinésithérapeute de la fonction du membre supérieur enpréopératoire et à six semaines, six mois et un an post-opératoire, montrent une récupération de l’amplitude desmouvements, de la force et de la fonction du membresupérieur à un an [6]. Nos résultats ne permettent pas decorroborer cette hypothèse dans la mesure où il s’agit d’uneautoévaluation subjective et non d’une hétéroévaluationfonctionnelle comme c’était le cas dans les études citées.

Dans notre étude, la pratique de séances de kinésithéra-pie en postopératoire semble avoir un impact négatif sur lapratique sportive du MS, en réduisant la probabilité dereprise d’environ 25 % sans pour autant atteindre le seuilde significativité. Ces résultats sont en contradiction avecdes données antérieures de la littérature qui ont conduit àrecommander la prescription systématique de séances dekinésithérapie (sur 14 patientes), afin de développer lacompensation des muscles synergiques et d’assouplir lacicatrice [17]. Il faut noter que notre série est plus impor-tante et donc d’autres évaluations sont nécessaires pourmieux clarifier l’impact de séances précoces de kinésithéra-pie dans ce contexte.

L’étude du retentissement de la chirurgie sur les activitésde la vie quotidienne et l’activité professionnelle a montréune limitation fréquemment ressentie, mais qualifiée delégère dans la majorité des cas.

Dans notre étude, les interventions chirurgicales ont eulieu avant mai 2010 et la technique utilisée consistait àprélever le muscle grand dorsal dans sa totalité. Cependant,la reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsalavec conservation du muscle, décrite plus récemment, danslaquelle le muscle est levé exclusivement sur la branchedescendante du pédicule thoracodorsal aurait comme

avantage principal une réduction importante des séquellesfonctionnelles et devrait être préférentiellement réalisée àce jour [18].

Nous avons constaté plusieurs limites dans notre étude.Tout d’abord, il existe un manque de puissance pour l’étudede paramètres où la part de subjectivité et donc la variabilitédes réponses sont importantes. Ensuite, le caractère rétros-pectif de l’étude est à l’origine d’un nombre important depatientes injoignables n’ayant pu être incluses dans l’étude(42 parmi 117) et d’un biais de rappel quant au nombred’heures de sport pratiquées avant la chirurgie et aux séan-ces de kinésithérapie. De plus, l’absence d’une hétéroéva-luation objective couplée à l’évaluation subjective (parexemple par un kinésithérapeute) qui aurait permis d’obte-nir une validation quantifiable des évolutions. Puis, même sila technique chirurgicale utilisée était a priori identique, lenombre important de chirurgiens intervenants expose à desvariabilités de technique entre les chirurgiens avec pourconséquence un retentissement physique différent de lachirurgie pour chacune des patientes. Enfin, le curage axil-laire n’a pas été pris en compte dans les critères d’étude, orcelui-ci représente très probablement un facteur de confu-sion important dans les résultats de notre étude de par sonimpact négatif sur la mobilité du membre supérieur.

Il faut néanmoins relever que notre étude regroupe unedes plus importantes séries de patientes rapportées à ce jourpour l’évaluation des conséquences fonctionnelles de lareconstruction mammaire par LGD.

Conclusion

En conclusion, nos résultats montrent que la reconstructionmammaire par LGD impacte significativement la fonction-nalité en terme de réduction des activités physiques impli-quant le membre supérieur directement concerné par lachirurgie. Néanmoins, l’évaluation subjective des patien-tes ne permet pas de prendre en compte uniquement lalimitation physique du membre supérieur. De plus, la partde la chirurgie carcinologique dans les limitations fonc-tionnelles est indiscernable de celle de la reconstructionmammaire. Des études ultérieures sont nécessaires pouréclairer, d’une part, la place de la rééducation précocedans ce contexte et, d’autre part, la prise en chargepsychologique permettant de cerner les difficultés subjec-tives perturbant la reprise d’une activité physique. Lanouvelle technique de lambeau de grand dorsal avecpréservation du muscle pourrait offrir un meilleur pronosticfonctionnel aux patientes.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

Page 7: Séquelles fonctionnelles et impact sur la pratique sportive de la reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal

Annexe 1. Questionnaire utilisé pour l’évaluation téléphonique des patientes.

Séquelles fonctionnelles après reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal 573

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574 J. Lutringer et al.

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