SERGE LHERMITTEPUIS VINT LE BLANCHIMENT DES EXOSQUELETTES, FRAGMENTS

EXPOSITION DU 14 SEPTEMBRE AU 23 NOVEMBRE 2019 - VERNISSAGE VENDREDI 13 SEPTEMBRE À 18H30

Et Dieu créa la TPE, à la faveur d’une conjoncture plus porteuse, détail, 2019.

Le Centre d’art de Vénissieux présente de nouvelles œuvres de Serge Lhermitte : photographies, sculptures, néons et installations sonores. Cette exposition témoigne des recherches et des réflexions de l’artiste, qui documente, met en lumière et interroge les organisations du travail (et leurs effets). Il commente et détourne dans ses œuvres les logiques

des évolutions politiques et sociales de ces mutations, des 35h à l’auto-entreprenariat.

Ses photographies ne sont pas strictement documentaires et ses sculptures évitent soigneusement toute forme gratuite. Il aborde l’image, l’installation et l’exposition

en élaborant une mise en espace toujours expressément repensée et renouvelée pour servir au mieux le fond et le propos : ouvrant le jeu des représentations et des réflexions. Cela lui permet aussi de dépasser les limites de chaque médium et de les enrichir par hybridation.

Et Dieu créa la T.P.E, à la faveur d'une conjoncture plus porteuse, rue Georges Charpak, détail, 2019.

Requiem pour un..., 2019, reproductions de postes radio portatifs de marque Radiola, résine, gel coat, haut-parleurs, playlist durée : 35h.

Puis vint le blanchiment des exosquelettes : un titre d’exposition qui indique qu’il y eut un passé (plus coloré, plus charnu ?) et un devenir diaphane, osseux, une dessiccation. Avec une évocation des écosystèmes marins et de l’actuelle décoloration des récifs coralliens, pour lesquels la pâleur est le signe du retrait de toute vie. Sous-titrée "fragments", l’exposition est une sélection de travaux récents qui s’inscrivent dans des suites d’œuvres : leur succession épousant logiquement les changements observés dans la société, étincelles de chaque nouvelle réalisation.

Valeur-travail, valeur d’usage ou valeur d’échange…Sous les apparences d’une évolution continue, ce sont pourtant les mêmes vents économiques qui soufflent de longue date et s’enroulent parfois sur eux-mêmes : anticyclones formant une boucle rapprochant le journalier du XIXème siècle et le livreur à vélo de la fin des années 2010.

Dans la première salle, les photographies de la série intitulée Et Dieu créa la TPE, à la faveur d’une conjoncture plus porteuse (2007-2019) appartiennent au dernier volet d’une trilogie consacrée au temps de travail (1999-2001-2007) puis au recul du salariat et à l’essor de l’auto-

Hystérie blanche, la dérive d’un document, détails, 2016, photographies noir et blanc, résine, gel coat, miroirs.

Hystérie blanche, la dérive d'un document, détail, 2014-2019.

entreprenariat. Comme souvent, l’actualité ou une réforme constitue un terreau de recherche pour l’artiste. Mais c’est un écosystème complexe et mouvant qu’observe Serge Lhermitte et qu’il serait inopportun de trop simplifier : start-ups, bulle Internet, culture de l’innovation, balanciers mondiaux de la production et des savoir-faire… Depuis la société même qui est notre référent, l’artiste précise ses intuitions et étoffe sa réflexion par des rencontres, des discussions avec les premiers intéressés. Il se rapproche ainsi des salariés et recueille leurs expériences, incluant parfois leur participation complice dans certaines œuvres.

Et Dieu créa la TPE […] est une œuvre protéiforme : tenant du volume, de la photographie, du documentaire mais s’autorisant aussi une dérive poétique avec cette irruption surréaliste d’une forme inédite dans des lieux du quotidien. Elle connait ici une nouvelle configuration avec des images réalisées à Vénissieux : Serge Lhermitte y a déplacé de lieux en lieux une sculpture qui évoque une camionnette d’auto-entrepreneur et qu’il a photographiée dans des paysages urbains, industriels et ouvriers. Inspirée à la fois du design automobile - et partiellement moulée d’après un utilitaire - mais arborant aussi des ornements très décoratifs empruntés au style Art nouveau d’Hector Guimard, ce curieux véhicule est à lui seul un condensé d’époques et de réalités sociales. Coquille évidée, ciselée, brute et voyageuse, elle est un de ces exosquelettes qui habitent l’exposition. Seuls les outils d’un peintre en bâtiment, comme oubliés sur place, témoignent d’une présence discrète de l’ouvrier auto-entrepreneur : dernier échelon d’une sous-traitance en cascade.

Siffler en travaillantFace à l’entrée, c’est un mur constellé de radios blanches et fantomatiques qui ouvre l’exposition, diffusant 35h de chansons françaises évoquant le travail : du romantisme populaire des petits métiers (Le poinçonneur

des Lilas) au non-travail (Assedic, je t’écrirais de temps en temps…) en passant par le – supposé - métier de rêve (J’aurais voulu être un artiste).

L’œuvre Requiem pour… fait écho au succès passé de la marque Radiola, de 1922 à son rachat par Philips en 1985, et de ses postes portatifs qui accompagnaient les travailleurs dans la répétition de leurs tâches. Concentrant des activités allant de la production d’émissions à la manufacture des appareils et la radiodiffusion, Radiola fait partie de ces modèles entrepreneuriaux surannés et se trouve ici mis en rapport avec les nouvelles économies des données et du numérique, avec une "playlist" compilée via une interface musicale en ligne – qui elle ne produit plus aucun contenu. Exosquelettes – encore - ces radios méthodiquement alignées et visibles sous toutes leurs faces ressemblent à une planche d’entomologiste, offrant un fragile et anti-spectaculaire "mur du son".

Entre la camionnette et la radio, on devine en creux l’intimité et l’individualité de celle ou celui qu’on désigne comme "au travail" ; son absence dans les images de cette première salle en appelle à notre imagination, en évitant d’imposer une représentation strictement sociologique (portant sur un groupe professionnel défini). Dans le travail de Serge Lhermitte, les sphères privées et publiques communiquent, comme dans la vie elle-même - et d’autant plus à l’heure du télétravail et du smartphone, dans notre culture de la performance et de l’individualisme - l’artiste s’attachant à observer la complexité des situations vécues.

Contrastes, regain ou disparitionLa seconde salle de l’exposition est organisée de façon moins frontale et plus circulaire, avec en son centre

Et Dieu créa la T.P.E, à la faveur d'une conjoncture plus porteuse, rue du Docteur Coblod, détail, 2019.

un manège à images que les visiteurs sont invités à manipuler pour en exposer les photographies. Celles-ci ont été prises lors d’une résidence de Serge Lhermitte à Saint-Nazaire, lui permettant de travailler autour des chantiers navals immédiatement après une phase critique de leur existence en

2012. À la poursuite de l’extension des échanges, un clair-obscur qui tarde, propose des triptyques mobiles représentant les ouvriers en pleine activité, dans une structure métallique à l’esthétique industrielle. Tout autour, l’environnement immédiat des infrastructures du

chantier naval est affiché le long d’une bande qui alterne ces images crépusculaires avec des néons en forme d’outils, évoquant plus directement les corps des travailleurs. Ce va-et-vient entre le paysage industriel et ses protagonistes est prolongé par la mobilité des images, l’alternance de surfaces et de volumes, de l’ombre et de la lumière et par notre propre déplacement dans l’œuvre en tant que visiteurs.

À la poursuite de l’extension des échanges, un clair-obscur qui tarde, détail, 2014-2019, manège à images, photographies et structure métallique. Photographies tirées sur dos bleu et dessins en néon.

Avec la couleur, cette œuvre marque une exception dans "le blanchiment des exosquelettes" : la rareté et la spécificité des connaissances industrielles et le soutien de commandes importantes ont sauvé l’activité de l’entreprise de son "assèchement".

Entretenant un rapport étroit avec ces réalités économiques, les structures productives mais aussi l’histoire des télécommunications, l’approche sociologique et rigoureuse de Serge Lhermitte ne dédaigne pas de plonger ensuite dans la fiction ou la métamorphose, comme dans Hystérie blanche, la dérive d’un document, une œuvre mystérieuse à la poésie visuelle affirmée composée de sculptures et de photographies autour d’un objet technologique oublié et convoqué par l’artiste : les tours du télégraphe Chappe.

Forme, fonction et fondu au blancPrésentée dans la dernière et plus sombre salle de l’exposition, sa densité d’images et d’objets est contrebalancée par l’épure des formes et l’absence de couleur. L’accrochage sur trois murs adopte une géométrie sensible et variable, s’éloignant des normes habituelles pour épouser l’architecture et créer un environnement d’exposition plus intense.

Les tours du télégraphe - qui étaient à leur création, après la Révolution française, toutes à la fois fonctionnelles et différenciées dans leur architecture – dérivent ainsi au fil des images et de l’eau, légères et spectrales, depuis les neiges des sommets jusqu’aux profondeurs sous-marines. L’image renonce à toute velléité descriptive tandis que les tours – sous la forme de maquettes précises – deviennent des documents historiques dans un rapport inversé entre le sujet d’étude et son commentaire. Aïeules disparues des télécommunications, les

tours Chappe clôturent l’exposition comme l’avaient ouverte les radios portatives, les rejoignant dans une obsolescence de réseaux : des signaux mécaniques aux grandes ondes.

En cristallisant ses observations dans un corpus limité d’images ou en éveillant l’imaginaire, Serge Lhermitte préfère s’éloigner du documentaire en déployant ses œuvres en volumes, créant des dispositifs variés toujours solidement réfléchis.

S’il effectue une immersion dans un milieu donné en amont de chaque nouveau projet, il écrit aussi souvent un texte qui prolonge l’œuvre, en donne certaines clés et précise les observations critiques qui en ont constitué le point de départ. Cette pratique d’écriture témoigne de l’ancrage de son travail dans une époque et un contexte, mais aussi du souhait de l’artiste de participer lui-même à la médiation de ses œuvres, dans une démarche visant à la précision tout en restant ouverte à d’autres regards. Deux textes et la transcription d’un entretien sont ainsi mis à disposition des visiteurs, complétant le présent document.

Xavier Jullien, commissaire de l’exposition

Né en 1970, Serge Lhermitte vit et travaille à Lyon et à Clermont-Ferrand.

Il a entre autres exposé au MAC/VAL à Vitry-sur-Seine et à la Biennale Internationale Design de Saint-Etienne.

www.sergelhermitte.fr

ESPACE ARTS PLASTIQUES MADELEINE-LAMBERT

Ouvert du mercredi au samedi de 14h00 à 18h et sur rdv Visite commentée ouverte à tous chaque samedi à 16h.Entrée gratuite.

Maison du Peuple - 12, rue Eugène-Peloux - 69200 Vénissieux Tél. 04 72 50 89 10 - artsplastiques@ville-venissieux.fr www.ville-venissieux.fr/arts_plastiques

Exposition en collaboration et en co-production avec Le 19 Centre Régional d’Art Contemporain de Montbéliard.

L’exposition au 19 CRAC "En attendant le blanchiment des exosquelettes" s’est déroulé du 9 février au 14 avril 2019 et Anne Giffon-Selle, sa Directrice, en a assuré le commissariat.

Exposition en Résonance avec la Biennale de Lyon 2019.

Et Dieu créa la T.P.E, à la faveur d'une conjoncture plus porteuse, rue Honoré de Balzac, rue de la Démocratie, détails, 2019.

Et Dieu créa la T.P.E, à la faveur d'une conjoncture plus porteuse, chemin de la Côte, détail, 2019.