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SIMONE ELKELES - Overblogdata.over-blog-kiwi.com/0/98/81/81/20140507/ob_feb900... · 2019. 9. 30. · SIMONE ELKELES Irrésistible Attraction La Martinière J. À Karen Harris, incroyable

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  • SIMONEELKELES

    IrrésistibleAttraction

    LaMartinièreJ

  • ÀKarenHarris,incroyableamie,auteure,mentor,critiqueettantd’autreschoses.

    J’auraisétéperduesanstesconseilsettonamitiécesseptdernièresannées.

    Millemercisd’avoirpartagécevoyageavecmoi.

  • Carlos

    J’aimerais vivre ma vie comme je l’entends, mais je suis mexicain, et mi familia esttoujourslàpourmeguider,quoiquejefasse,queçameplaiseounon.En in,«guider»,c’estriendeledire.«Dictermaconduite»plutôt.

    Mi’amánem’apasdemandésij’avaisenviedequitterleMexiqueetd’allervivreavecmonfrèreAlexauColoradopouryfairematerminale.ElleadécidédemerenvoyerenAmérique«pourmonbien»,selonsaformule.Commelerestedemifamilial’asoutenue,l’affaireétaitréglée.

    Croient-ilsvraimentquedem’expédierauxUSm’éviterade inirsixpiedssousterreouderrière lesbarreaux?Depuisque jemesuis faitvirerde laraf ineriedesucre, ilyadeuxmois,j’aivéculavidaloca.Iln’yapasderaisonqueçachange.

    Jejetteuncoupd’œilparlehublot.L’avionsurvoledespicsenneigés.LesRocheuses.Jesuisloind’Atencingo,çac’estsûr…etjenesuispasnonplusdanslabanlieuedeChicago,oùj’aigrandi, jusqu’à cequeMi’amánousoblige àplierbagagespourdéménagerauMexique.J’étaisensecondeàl’époque.

    Apeinel’avionposé,lesautrespassagerssebousculentpoursortir.Jepatienteunpeu,letempsdemefaireàlasituation.Çafaitpresquedeuxansquejen’aipasvumonfrère.Putain,jenesuismêmepassûrd’avoirenviedelerevoir!

    L’avions’estpresquevidé.Jenepeuxplusmedébiner.J’attrapemonsacàdosetjesuisles lèches indiquant la livraisondes bagages.Aumomentde sortir du terminal, j’aperçoismonfrangin,Alex,quim’attendderrièrelabarrière.Jepensaisnepaslereconnaı̂treouavoirl’impression d’être face à un étranger, mais pas d’erreur possible. Son visage m’est aussifamilierquelemien.J’éprouveunecertainesatisfactionenconstatantquejesuisplusgrandqueluimaintenant,sachantquejen’aiplusrienàvoiraveclegaminmaigrichonqu’ilalaisséderrièrelui.

    —YaestásenColorado,medit-ilenmeserrantdanssesbras.

    Quandilmelibère,jeremarquedescicatricesàpeinevisiblesau-dessusdesessourcils,prèsdesesoreilles,quin’étaientpaslàladernièrefoisqu’ons’estvus.Ilfaitplusvieux,maisiln’aplusceregarddé iantqu’iltrimbalaitpartoutavecluicommeunbouclier.Cebouclier,jecroisquej’enaihérité.

    —Gracias,jeluirépondssansenthousiasme.

  • Ilsaitquejesuislàcontremongré.L’oncleJulionem’apaslâchéd’unesemelletantquejen’étaispasmontédansl’avion.Ilamenacéderesteràl’aéroportjusqu’àcequ’ildécolle.

    —Tusaisencoreparleranglais?medemandeAlexalorsquenousnousdirigeonsverslestapisroulants.

    Jelèvelesyeuxauciel.

    —Onn’ahabitéauMexiquequedeuxans,Alex.Mi’amá,Luisetmoi,jedevraispréciser.Ettunousaslaisséstomber.

    —Jenevousaipaslaisséstomber.Jevaisàl’universitépourpouvoirfairequelquechosedeproductifdemavie,tudevraisessayerunjour.

    —Non,merci.Monexistenceimproductivemeconvienttrèsbien.

    Dèsquej’airécupérémonsac,jesuismonfrèreverslasortie.

    —Pourquoituportescetrucautourducou?medemande-t-il.

    —C’estunchapelet, je luirépondsentripotant lacroixenperlesnoiresetblanches. Jesuisdevenudévotdepuisladernièrefoisqu’ons’estvus.

    —Dévot,moncul!C’estlesymboled’ungang,jelesais.Ils’approched’uneBMargentéedécapotable. Alex n’aurait jamais pu s’offrir une bagnole pareille. Il a dû l’emprunter à sacopine,Brittany.

    —Etalors?

    AChicago,Alexfaisaitpartied’ungang.Monpapaaussi,avantlui.Quemonfrèresoitprêtà l’admettre ou pas, être un voyou s’inscrit dans mon héritage. J’ai essayé de vivre enrespectantlesrègles.Jenemesuisjamaisplaintquandjegagnaismoinsdecinquantepesosen travaillant comme un chien après l’école. Quand onm’a foutu à la porte, j’ai rejoint lesGuerreros del barrio, et là je me faisais plus de mille pesos par jour. C’était peut-être del’argentsale,maisonavaitdequoimangeraumoins.

    —Tun’asdoncrienapprisdeteserreurs?demandeAlex.Etmerde!QuandilétaitdansleLatinoBloodàChicago,jelevénérais!

    —Tun’aspasenviedeconnaı̂trelaréponse.Secouantlatête,frustré,ilmeprendmonsacdesmainsetlejettesurlabanquettearrière.Qu’est-cequeçachangequ’ilsoitsortidesrangsduLatinoBlood?Sestatouages,illesgarderajusqu’àla indesesjours.Qu’illeveuilleounon,ilseratoujoursassociéauLBmêmes’ilnejouepasunrôleactifauseindugang.

    Je l’observeun longmoment. Il a changé, çac’est sûr. Je l’ai senti à la secondeoùmon

  • regards’estposésurlui.Ilressemblepeut-êtreàAlexFuentes,maisjevoisbienqu’ilaperdusonespritcombatif.Maintenantqu’ilestàlafac,ilcroitpouvoirrespecterlaloietcontribueràunmondemeilleur.Commenta-t-ilpuoublierqu’iln’yapassilongtempsencore,onvivaitdans labanlieue lapluspourriedeChicago ?Onaurabeau s’échiner, unbidonville resteratoujoursunbidonville.

    —¿Ymamá?demandeAlex.

    —Ellevabien.

    —Luis?

    —Bienaussi.Notrepetit frèreestpresqueaussi futéquetoi,Alex.Ils’imaginequ’ilvadevenirastronaute,commeJoséHernández.

    Alexhochelatête.Ondiraitunpapatout ier,etjemerendscomptequ’ilpensevraimentqueLuisréaliserasonrêve. Ilsdélirent tous lesdeux…Mes franginssontdesrêveurs.Alexs’imaginequ’ilvasauver lemondeen inventantdesmédicaments,etLuisqu’ilquitteraunjourcetteplanètepourallerenexplorerd’autres.

    Alorsqu’ons’engagesurl’autoroute,unmurdemontagnessedressesousmesyeux,auloin.ÇamerappelleunpeulesreliefsaccidentésduMexique.

    —C’est leFrontRange,m’expliqueAlex.L’université estaupieddecesmontagnes. (Ilpointe ledoigtvers lagauche.)Ça,cesont lesFlatirons.Lesrochessontplatescommedesplanchesàrepasser.Jet’yemmèneraiunjour.Britetmoi,onvasebaladerlà-basquandonenamarreducampus.

    Ilmejetteuncoupd’œilenbiais.Jesuisentraindelematercommes’ilavaitdeuxtêtes.

    —Qu’est-cequ’ilya?

    Ilplaisanteouquoi?¿Meestátomandolospelos?

    —Jemedemandejustequituesetcequetuasfaitdemonfrangin.Alexétaitunrebelle,et toi tumecausesdemontagnes,deplanches à repasseretdepromenadesavec tapetiteamie.

    —Tupréféreraisquejeteparledesesaoulerlagueuleetdefumerdeladope?

    —Etcomment!jeriposte,feignantl’enthousiasme.Ensuitetum’expliquerasoùjepeuxfairetoutça.Jesensquejenevaispastenirlecouplongtempssansm’injecterunesubstanceillégalequelconquedansl’organisme.

    Jemens.Mi’amáluiasûrementditqu’ellemesoupçonnaitdemedroguer.Autantjouerle

  • jeu.

    —Biensûr…Gardetesconneriespourmamá,Carlos.Jen’ycroispasplusquetoi.

    Jeposelespiedssurletableaudebord.

    —Tunesaispasdequoituparles.Alexdélogebrutalementmespieds.

    —Tupeuxéviter,s’ilteplaît?C’estlavoituredeBrittany.

    —Tuesatteintgrave,mec!Quandvas-tutedécideràlarguercettegringapourmenerunevied’étudiantnormaleentetapantuntasdegonzesses?

    —Brittanyetmoi,onestfidèles.

    —Pourquoi?

    —C’estcequ’onappelleunerelation.

    —Unepanocha,tuveuxdire!Cen’estpasnormaldefréquenteruneseule ille,Alex.Moi,jesuislibreetj’aibienl’intentiondeleresteràjamais.

    —Queleschosessoientclairesentrenous,monsieurLibre.Jet’interdisformellementdesauterquiquecesoitchezmoi.

    C’estpeut-êtremonfrèreaı̂né,maisnotrepèreestmortetenterrédepuislongtemps.Jen’airienàfairedesesrèglementsàlacon.Jen’enaipasbesoin.Ilesttempsquej’enétablissequelques-unsdemoncru.

    —Justepourqueleschosessoientclairesentrenous,j’ail’intentiondefaireexactementcequejeveuxtantquejesuisici.

    — Rends-nous service à tous les deux. Ecoute-moi un peu. Tu apprendras peut-êtrequelquechose.

    Je ricane. Ben voyons ! Qu’est-ce qu’il pourrait bien m’apprendre ? A remplir desdemandesd’inscriptionàlafac?Afairedesexpériencesenchimiethermique?Jesuisbiendéterminéàcouperàl’unetàl’autre.

    On continue à rouler en silence pendant quarante-cinq minutes, les montagnes serapprochant à chaque kilomètre. A la in, nous traversons le campus de l’université duColorado,àBoulder.Desbâtimentsenbriquerougejaillissentdupaysage.Desétudiantsavecleurs sacs àdosgrouillentpartout.Alexs’imagine-t-il vraimentqu’il vapouvoir inverser latendanceetsedégoterunjobbienpayépours’éviterd’êtrepauvrelerestantdesesjours?Ilpeuttoujourscourir!Dèsqu’onverrasestatouages,onlefoutraàlaporte.

    —Jedoisêtreauboulotdansuneheure,maisjevaist’aideràt’installerd’abord,dit-ilen

  • serangeantdansuneplacedeparking.

    Je sais qu’il travaille dans un garage pour essayer de rembourser la tonne d’empruntsscolairesetdedettesqu’ils’estmisesurledos.

    —C’estlà,ajoute-t-ilendésignantl’immeubleenfacedenous.Tucasa.

    Cettebâtisseronde,hideuse,pareilleàunépidemaı̈sgéantdehuitétages,estloindemefairel’effetd’unemaison,maispassons.Jerécupèremonsacdanslecoffreetjesuismonfrèreàl’intérieur.

    —J’espèrequ’onestdanslequartierpauvre,Alex,parcequelaproximitédesgensfriquésmefiledesboutons.

    —Jenevispasdansleluxe,sic’estcequetuveuxdire.Cesontdeslogementsd’étudiants.

    Onmonteauquatrième.Çaempestelapizzarassiedanslecouloir;ilyadestachessurlamoquette.Oncroisedeux illessupersexyentenuede jogging.Alex leursourit.Avoir leurexpressionrêveuse,jeneseraispasétonnéqu’ellessemettentàgenouxetbaisentlesolsurlequelilmarche.

    «Mandi,Jessica,jevousprésentemonfrèreCarlos.

    —Bonjour,Carlos…

    Jessicam’examinedelatêteauxpieds.J’aidécrochélegroslotdupremiercoup,jelesens.

    —Pourquoitunousaspasditqu’ilétaitcanon?

    —Ilestencoreaulycée,répondAlexd’untondemiseengarde.

    Ilseprendpourquoi,là?Legardiendemaqueue!

    —Enterminale,jebafouilledansl’espoirqueçaatténueraleurdéceptiondenepasêtreenprésenced’unétudiant.

    —Onferaunefêtepourtonanniversaire,lanceMandi.

    —Super!Vousvoulezbienêtremescadeaux?

    —SiAlexn’ariencontre.

    Alexseremetenmarcheensepassantlamaindanslescheveux.

    —Jevaisavoirdesennuissijepoursuiscetteconversation.

  • Les illes éclatentderire.Puiselless’élancentaupetit trotdans lecouloir,nonsansseretourneretagiterlamainpourdireaurevoir.

    On entre dans l’appartement. Alex ne vit pas dans le luxe, ça c’est sûr. Un grand litrecouvert d’unemince couverture en laine polaire noire, contre unmur, une table, quatrechaises,etprèsdelaported’entrée,unecuisinetellementminusculequ’onauraitdumalàs’yteniràdeux.C’estunstudio.Unpetitstudio.

    Alexpointel’indexversuneportevoisinedulit.

    —Lasalledebains.Tun’asqu’àmettretesaffairesdansleplacardenfacedelacuisine.

    J’yfourremonsacavantdem’aventurerdanslapièce.

    —Euh,Alex…oùest-cequejesuiscensédormir?

    —J’aiempruntéunlitgonflableàMandi.

    —Estábuena–elleestmignonne.

    J’examine les lieux avecunpeuplusd’attention.AChicago, je partageais une chambrebienpluspetitequeçaavecmesdeuxfrères.

    —Oùestlatélé?

    —Jen’enaipas.

    Merde.C’estpascool!

    —Qu’est-cequejesuiscenséfaire,putain,quandjem’ennuie?

    —Bouquiner.

    —Estáschiflado,tuesfou.Jenelisjamais.

    —A partir de demain, ça va changer,me répond-il en ouvrant la fenêtre pour laisserentrerunpeud’airfrais.J’aifaittransférertondossierdescolarité.TuesattenduaulycéedeFlatirondemain.

    L’école?Ilmeparled’école?Putain,c’estbienladernièrechoseàlaquelleunmecdedix-septansaenviedepenser.J’espéraisqu’ilm’accorderaitaumoinsunesemaine,letempsquejem’adapteàlavieauxUSA.Quejeprennemesrepères.

    —Oùest-cequetuplanquestonherbe?J’ajoute,sachantpertinemmentquejepousselebouchonunpeutroploin.Tuferaismieuxdemelediremaintenantpourm’éviterd’avoirà

  • fouillertoutl’appartpourlatrouver.

    —Jen’enaipas.

    —D’accord.C’estquitondealer?

    —Tun’aspascompris,Carlos.Jenedonneplusdanscettemerde.

    —Tum’asditquetutravaillais.Tugagnesdel’argent,non?

    —Oui.Pourmenourrir,alleràlafac.J’envoiecequiresteàmamá.

    Pendant que je digère cette info, la porte de l’appartement s’ouvre. Je reconnaisimmédiatementlacopinedemonfrère.Ellealesclésdel’appartementdansunemain,sonsacàmainetungrossacenpapierbrundansl’autre.OndiraitunepoupéeBarbievivante.Alexrécupèrelesprovisionsavantd’embrassersacopine.Ilspourraientaussibienêtremariéscesdeux-là.

    —Carlos,tutesouviensdeBrittany.

    Ellemeserreaveceffusioncontresapoitrine.

    —Carlos,çafaittellementplaisirquetusoislà!S’exclame-t-elled’untonenjoué.

    J’avais presque oublié qu’elle était pom-pom girl au lycée, mais dès qu’elle ouvre labouche,jem’ensouviens.

    —Plaisiràqui?Jedemandeavecraideur.Elles’écartedemoi.

    —Àtoi.ÀAlex.Safamilleluimanque.J’ensuisconvaincu.

    Elleseraclelagorge,unpeumalàl’aise.

    —Euh…bon,jevousaiapportéduchinoispourledéjeuner.J’espèrequevousavezfaim.

    —Onestmexicains,dis-je.Pourquoitun’aspasprisdumexicain?

    Sessourcilsparfaitementdessinéssefroncent.

    —Tuplaisantes,c’estça?

    Pasvraiment.

    Ellesetourneverslacuisine.

    —Tuveuxmedonneruncoupdemain,Alex?

    Alexrevientavecdesassiettesenpapieretdescouvertsenplastique.

  • —C’estquoitonproblème,Carlos?Jehausselesépaules.

    —Yapasdeproblème.Jedemandaisjusteàtacopinepourquoiellen’avaitpasprisdelabouffemexicaine.C’estellequiaprislamouche.

    —Soispolietdismerciaulieudelamettremalàl’aise.

    Monfranginachoisisoncamp,c’estclair. Jadis, ilprétendaitqu’ils’étaitenrôlédansleLatinoBloodpourprotégernotrefamille,demanièrequeLuisetmoinesoyonspasobligésdefairepareil.Jemerendscomptemaintenantqu’iln’enaplusrienàfairedelafamille.

    Brittanylèvelesdeuxmains.

    —Jerefusequevousvousdisputiezàcausedemoi.(Elleremontelabandoulièredesonsacsursonépauleensoupirant.)Jeferaismieuxd’yalleretdevouslaisservousretrouver.

    —Net’envaspas,imploreAlex.

    Diosmío,j’aibienl’impressionquequelquepartentreleMexiqueetici,monfrèreaperdusescojones.ÀmoinsqueBrittanynelesaitembarquéesdanssonjolisac.

    —Laisse-lapartir,Alex,sic’estcequ’elleveut.

    Ilesttempsdecouperlalaissequ’elleluiapasséeautourducou.

    —Pasde souci, dit-elle avant d’embrassermon frère. Bon appétit.On se voit demain.Ciao,Carlos.

    —Ouais,ouais.

    Dèsqu’elleestpartie,jem’emparedusacenpapierrestésurlecomptoirdelacuisineetje le dépose sur la table. Je déchiffre les étiquettes sur chaque barquette. « Poulet chowmein»…«bœufchowfun»…«mixpu-pu».

    —Mixpu-pu?

    —C’estunassortimentd’entrées,m’expliqueAlex.

    Pasquestionquejetoucheàuntrucquis’appellepu-pu.Çam’agacequemonfrèresachemêmecequec’est.Aprèsavoirmiscettebarquettedecôté,jemesersunepleineassiettedeplatschinoisidentifiables,àlaquellejem’attaqueaussitôt.

    —Tunemangespas,Alex?

    Ilmeregardecommes’ilnem’avaitjamaisvudesavie.

  • —¿Quépasa?

    —Brittanyn’estpasprèsdes’enaller,tusais.

    —Toutleproblèmeestlà.Tunevoispas?

    —Non.Cequejevois,c’estmonfrèrededix-septpigessecomportantcommeungossedecinqans.Ilesttempsdegrandir,mocoso.

    —Pourdevenirchiantàmourircommetoi?Non,merci!Alexattrapesontrousseaudeclés.

    —Tuvasoù?

    —Présentermesexcusesàmapetiteamie.Ensuite,jevaistravailler.Faiscommecheztoi,ajoute-t-ilenmelançantuneclédel’appartement.Ettâchedenepasfairedeconneries.

    —PuisquetuvascauseravecBrittany,jerépondsenmordantdansunrouleauimpérial,situluidemandaisdeterendreteshuevos?

  • Kiara

    —Jen’arrivepasàcroirequ’ilt’aitlarguéepartexto,s’exclameTuck,monmeilleurami,qui est assis àmonbureau dansma chambre et relit les trois phrases sur l’écran demonportable.Çamarchepas.Dèz.Mehaipas.(Ilmejettemontéléphone.)Ilauraitaumoinspul’écrireentouteslettres.Mehaipas.Ilplaisanteouquoi?Évidemmentquetuvaslehaïr.

    Jem’allongesurmonlitet ixeleplafondenrepensantaupremierbaiserqueMichaeletmoiavonséchangé.C’étaitàunconcertenpleinairàNiwot,derrièrelemarchanddeglace.

    —Jel’aimaisbien.

    —Ehbien,pasmoi.Commentas-tupufairecon ianceàuntyperencontrédanslasalled’attentedetonpsy?

    Jememetssurleventreenmeredressantsurlescoudes.

    —C’étaitmonorthophoniste,pasmonpsy.EtMichaelétaitjustevenudéposersonpetitfrère.

    Tuck prend toujours mes copains en grippe. Il sort de mon tiroir un carnet dont lacouvertures’ornedetêtesdemortrosesetagitesonindexdansmadirection.

    —Ilnefautjamaisse ieràuntypequiteditqu’ilt’aimeausecondrendez-vous.Çam’estarrivéunefois.C’étaitn’importequoi!

    —Pourquoitudisça?Tunecroispasaucoupdefoudre?

    —Non. Jecroisaudésiraupremierregard.A la forced’attraction.Maispas à l’amour.Michaelt’ajusteditqu’ilt’aimaitpourpouvoirtesauter.

    —Commenttusaisça?

    —Jesuisunmec.Voilàcomment.(Ilfroncelessourcils.)Dis-moiquetul’aspasfaitaveclui?

    —Non.(Jesecoueénergiquementlatêtepourdonnerplusdepoidsàmaréponse.)Ons’estpelotés,maisjen’avaispasenvied’allerplusloin.Jenesaispas…Jenemesentaispasprête.

    Jen’aipasvuMichaelniparléavecluidepuisquelescoursontrepris,ilyaquinzejours.On a bien échangé quelques textos,mais il disait toujours qu’il était super occupé et qu’il

  • m’appelleraitdèsqu’ilauraituneminute. Ilesten terminaleau lycéedeLongmont, àvingtminutesde route, alorsquemoi jevais à l’école àBoulder. J’aipenséqu’il avaitdes tasdedevoirsàfaire,maisjesaismaintenantquecen’étaitpaslaraisondesonsilence.Enfait,ilvoulaitrompre.

    Àcaused’uneautrefille?

    Parcequejenesuispasassezjolie?

    Parcequejerefusaisdecoucheraveclui?

    Aumoins,çanepeutpasêtreparcequejebégaie.J’aitravaillémonélocutiontoutl’étéetjen’aipasbafouilléuneseulefoisdepuislemoisdejuin.Semaineaprèssemaine,jesuisalléechez l’orthophoniste, jem’exerce tous les jours devant la glace et jemaı̂trise parfaitementchaquemotquisortdemabouche.Avant,jemefaisaisdumauvaissangchaquefoisquejeprenaislaparole,m’attendantàl’inévitableréactionperplexedesgens,jusqu’àlarévélation.«Oh, je comprends, elle a un problème ! » Puis venait le regard compatissant, suivi d’unehypothèse:«Elledoitêtreattardée.»Pourcertainesdemescamaradesd’école,montroubledelaparoleétaitunesourced’amusement.Maisjenebégaieplus.

    Tucksaitque,cetteannée,jesuisdéterminéeàrévélermoncôtésûredemoi–celuiqueje n’ai jamaismanifesté, j’étais timide, introvertie, les deux premières années de lycée. Jeredoutais qu’onne semoquedemoi.Désormais, plutôt que laKiaraWestford timorée, ilsvontréaliserquejen’aipaspeurdeparlerhautetfort.

    Jenem’attendaispasqueMichaelm’envoiepromener.J’espéraisqu’oniraitaubaldelarentréeensemble…

    —Arrêtedepenseràlui,ordonneTuck.

    —Ilétaitmignon.

    —Unfuretaussi,c’estmignon,maisjenesortiraispasavec.Tuméritesmieuxquelui.Tutesous-estimes.

    —Nonmaisregarde-moi!Ouvrelesyeux,Tuck.IlyaunsacréfosséentreMadisonStoneetmoi.

    —Heureusement!Ellemesortparlestrousdenez.Madisonélèvel’adjectif«méchante»à des niveaux sans précédent. En attendant, elle est bonne en tout, et pourrait facilementrevendiquerletitredela illelapluspopulairedubahut.Toutesles illescherchentàgagnersonamitiépourfairepartiedelabande«cool»dontelleestleleader.

    —Toutlemondel’apprécie.

  • —Parcequ’ilsontpeurd’elle,maisensecret,ilsladétestent.

    Tuckgriffonnequelquesmotsdansmoncarnetavantdemeletendre.

    —Tiens,s’exclame-t-ilenmelançantunstylo.

    Jeregarde ixementlafeuille.IlaécritREGLESD’ATTRACTIONenhaut,ettracéuneligneàlaverticaleaumilieudelapage.

    —C’estquoi?

    —Danslacolonnedegauche,tunotestoutcequ’ilyadebiencheztoi.

    Ilplaisante!

    —Horsdequestion.

    — Allez, vas-y ! C’est un exercice de développement personnel, et unemanière de terendre compte que les illes commeMadison Stone ne sontmême pas attirantes. Finis laphrase:Moi,KiaraWestford,jesuisunefillebienparceque…

    Jesaisqu’ilnevapasmelâcher,alorsj’écrisquelquechosedestupideavantdeluirendrelecarnet.Illitcequej’aigribouilléetfaitlagrimace.

    —Moi,KiaraWestford,jesuisune illebienparcequejesaisjoueraufoot,changerl’huiledemonmoteuretjesuiscapabledegrimperjusqu’à4000mètres.Beuh,lesgarçonsn’enontrienàfairedecegenredetrucs!

    Ilrécupèrelestylo,s’assoitsurmonlitetentreprendd’écrirefurieusement.

    —Jet’expliqueleprocessus.Ilfautmesurertondegréd’attractiondanstroisdomainesspécifiquespouravoirunrésultatcomplet.

    —Quiaétablicesrègles?

    — Moi. Ce sont les règles d’attraction vues par Tuck Reese. On commence par lapersonnalité.Tuesintelligente,drôle,sarcastique,énumère-t-ilennotantchaqueadjectifaufuretàmesure.

    —Jenesuispassûrequecenesoitquedesqualités.

    —Maissi,jet’assure.Attends,jen’aipas ini.Tuesuneamie idèleaussi,tuapprécieslesdé isplusquelaplupartdesgarçonsquejeconnais,ettuesunesupersœurpourBrandon.(Quandila inidemarquertoutça,ilrelèvelesyeux.)Ladeuxièmerubrique,c’estcelledesaptitudes.Tusaisréparerunmoteur,tuessportive,ettulabouclesquandillefaut.

    —Ledernierélémentn’estpasuneaptitude.

  • —Crois-moi,machoupette,c’enestune.

    —Tuasoubliédementionnermasupersaladeauxépinardsetauxnoix.

    Jesuisincapabledecuisiner,maiscettesaladefaittoujoursunmalheur.

    —C’estvraiquetasaladeestàsedamner,reconnaı̂t-ilenl’ajoutantàsaliste.Bon,ultimecritère:l’attraitphysique.

    Ilmetoisedelatêteauxpieds.

    Jegémisenmedemandantquandcetteséanced’humiliationvas’arrêter.

    —J’ail’impressiond’êtreunevachesurunmarchéauxbestiaux.

    —Ouais,bon,peuimporte.Tuasunepeauparfaiteetunpetitnezeffronté,commetesnibards.Sijen’étaispashomo,jeseraispeut-êtretentéde…

    —Beuh!(D’unetape, j’écartesamaindelafeuille.)Pourrais-tu éviterdeprononceretd’écrirecemot?

    Ilsecouelatêtepourécartersescheveuxlongsdesafigure.

    —Dequelmottuparles?Nibards?

    — Beuh ! Oui, celui-là. Dis plutôt seins ou poitrine, s’il te plaı̂t. L’autre mot…, ça faittellementvulgaire.

    Ilricaneenlevantlesyeuxauciel.

    — Bon d’accord, poitrine… effrontée. (Il pouffe de rire. Ça l’amuse beaucoupapparemment.)Excuse-moi,Kiara,ondiraitquetuparlesd’untrucquetuvasfairecuireaubarbecueou commander au resto. (Brandissantmon carnetdevant lui commeunmenu, ilréciteavecunfauxaccentbritish:)Jevoudraisdelapoitrineeffrontéegrilléeavecdelasaladedechouxenaccompagnement,s’ilvousplaît.

    JeluiexpédieMojo,monénormeoursenpeluchebleu,àlafigure.

    —Jenesaispas,moi.Tun’asqu’àappelerçaparties intimes…Passons àautrechose,d’accord?

    Mojoarebondisursatêteetatterriparterre.Tuckn’apasbronché.

    —Lolos effrontés, jebarre.Poitrine effrontée, jebarre, annonce-t-il en les rayantd’ungeste théâtral. A remplacer par parties intimes effrontées, ajoute-t-il, notantconsciencieusement.Delonguesjambes.Delongscils.(Iljetteuncoupd’œilàmesmainsetfroncelenez.)Sansvouloirt’offenser,tuauraisbesoind’unemanucure.

  • —C’esttout?

    —Jenesaispas.Tuasuneautreidée?Jesecouelatête.

    —Bon,maintenantqu’onaétabliquetuétaisune illefabuleuse,ilfautqu’ondresseunelistecorrespondantau typedegarçonqu’il te faut.Onvanoterçasur lacolonnededroite.Commençonsparlapersonnalité.Tuveuxunmecqui…Àtoideremplirlespointillés.

    —Ungarçonsûrdelui.Vraimentsûrdelui.

    —Bon,faitTuckenlemarquant.

    —Quisoitgentilavecmoi.

    —Gentil.C’estnoté.

    —J’aimeraisqu’ilsoitintelligent.

    —Danslegenreintellooudébrouillard?

    —Lesdeux,jedirais.Adirevrai,jenesuispastrèssûre.Ilmetapotesurlatêtecommeàunebravepetitefille.

    —Bon,passonsauxaptitudes.

    Làilposeundoigtsurseslèvres,mesigni iantqu’iln’apasbesoindemonconcours.Cequinemedérangepasplusqueça.

    —Cettepartie-là,jevaisl’écrirepourtoi.Tuveuxuntypequialesmêmesaptitudesquetoi,etd’autresenplus.Quelqu’unquiaimelesport,capabled’apprécierl’intérêtquetuportesàtavieillebagnolequetupassestontempsàretaper…

    —Merde!(Jemelèved’unbond.)J’aifaillioublier.Jedoisallerenvillechercherquelquechoseaugarage.

    —Jet’ensupplie,nemedispasquec’estunepelucheàsuspendreàtonrétroviseur.

    —Tun’yespasdutout.C’estuneradio.Vintage.

    — Génial ! Une vieille radio pour aller avec ton tas de ferraille ! raille Tuck enapplaudissantd’unairfaussementexcité.

    Jelèvelesyeuxauciel.

    —Tuviensavecmoi?

    —Non,merci.

  • Ilfermelecarnetetlerangedansmontiroir.

    —Jen’aipaslamoindreenviedet’écouterparlerbagnoleavecdesgensqueçaintéresse.

    Aprèsl’avoirdéposéchezlui,ilmefautunquartd’heurepourarriverchezMcConnell,legaragiste.J’entredansl’atelieravecmavoitureetjetrouveAlex,l’undesmécaniciens,penchésurlemoteurd’uneVolkswagen.Ilaétéélèvedemonpère.L’annéedernière,aucoursd’uneséancederattrapage,papaadécouvertqu’ils’yconnaissaitenvoituresanciennes.Illuiaparléde la Monte Carlo 1972 que j’étais en train de remettre en état, et depuis, Alex m’aide àdénicherlespiècesmanquantes.

    —Salut,Kiara.

    Alexattrapeunchiffonpours’essuyerlesmainsetmedemanded’attendreletempsqu’ilaillecherchermaradio.

    —Etvoilà!lance-t-ilenouvrantlecarton.

    Il sort la radio du carton et la libère de son emballage à bulles. Des ils jaillissent del’arrière, pareils à des jambes grêles, mais elle est en parfait état. J’ai peut-être tort dem’excitercommeçapouruneradio,maisletableaudebordneseraitpascompletsans.Celled’originen’ajamaismarché,lafaçadeenplastiqueétaitfendue.AlexacherchésurleNetpourmetrouverunsubstitutauthentique.

    —Jen’aipaseuletempsdelatester,medit-ilentiraillantsurchaque ilpours’assurerquelesconnexionssontsolides.J’aidûallercherchermonfrèreàl’aéroport.Ducoup,jen’aipaspuarriverdebonneheure.

    —IlestvenuduMexiqueterendreunepetitevisite?

    —Cen’estpasjusteunevisite.IlattaqueensecondeàFlatirondèsdemain,m’expliqueAlextoutenremplissantunefacture.C’estlàquetuvasaulycée,non?

    Jehochelatête.

    Ilrangelaradiodanssoncoffret.

    —Tuasbesoind’aidepourl’installer?

    J’avaispensépouvoirmedébrouillertouteseule,maismaintenantquej’aivularadiodeprès,jen’ensuisplussisûre.

    —Peut-être.Ladernièrefoisquej’aisoudédesfils,jelesaibousillés.

    —Danscecas,nerèglepastoutdesuitelanote.Passedemainsituasletempsaprèslescours.Jetel’installerai.Jepourraivérifierqu’ellemarchecommeça.

  • —Merci,Alex.C’estvraimentgentildetapart.Illèvelesyeuxettapotelecomptoiravecsonstylo.

    —Çavateparaı̂treunpeulocomais…tucroisquetupourraistechargerdefairevisiterl’écoleàmonfrère?Ilneconnaîtpersonne.

    —Onasuiviunprogrammed’aideàl’intégrationaubahut,luidis-je,toutecontentedepouvoirmerendreutile.Onpourraitseretrouverdemainmatindanslebureauduprincipalsituveux.Jesigneraileformulairepourêtresonguide.

    L’ancienneKiara,troptimide,n’auraitjamaisproposésonaide.Maispaslanouvelle.

    —Jedoist’avertir…

    —Quoi?

    —Monfrèren’estpastoujoursfacileàgérer.

    Jesourisjusqu’auxoreilles,parceque,commeTuckl’asouligné…j’adorelesdéfis.

  • Carlos

    —Jen’aipasbesoinqu’onmeguide.

    CesontlespremiersmotsquisortentdemabouchequandmonsieurHouse,leproviseurdulycéeFlatiron,meprésenteàKiaraWestford.

    —Noussommes iersdenotreprogrammed’intégrationdesnouveauxélèves,expliquemonsieurHouseàmonfrère.Ilpermetd’assurerunetransitionplussouple.

    Alexacquiesce.

    —Pasdeproblème.Çameconvient.

    —Pasàmoi,jemarmonne.

    Jen’aipasbesoind’unfoutuguideparceque:1)VulamanièredontAlexasaluéKiarailyaquelquesminutes,ilestévidentqu’illaconnaı̂t.2)Ellen’estpassexy.Elleporteunequeue-de-cheval, des chaussuresdemarche,unpantacourt enStretchavec le logoUnderArmourperchésurunefesse,etunT-shirttropgrand,quilacouvreducoujusqu’auxgenoux,oùilestécritALPINISTE.3)Jen’aipasbesoind’unebaby-sitter,surtoutsic’estmonfrèrequimel’adégotée.

    MonsieurHouses’assoitdanssongrosfauteuilencuirmarronavantdetendreàla illeunecopiedemonemploidutemps.Super,maintenantellevasavoiroùjemetrouvechaquesecondedelajournée!Lasituationseraitcomiquesiellen’étaitpasaussihumiliante.

    —Notreétablissementestvaste,Carlos,m’expliqueleproviseur,commesijen’étaispascapablededéchiffrerleplantoutseul.Kiaraestuneélèveexemplaire.Ellevousmontreraoùsetrouvevotrecasieretvousescorteraenclasselapremièresemaine.

    —Tuesprêt?medemande-t-elleavecungrandsourire.Laclocheadéjàsonnépourlepremiercours.

    Onn’auraitpaspumeproposerunguidequisoitunpeumoinshilareàlaperspectivedecommencerl’écoleàseptheuresetdemiedumatin?

    Alexmefaitsigned’yaller.Jesuistentédeluifaireundoigtd’honneur,maisjedoutequeleprincipalapprécierait.

  • Je suis l’élève exemplaire dans le couloir désert avec la sensationd’avoir débarqué enenfer.Desrangéesdecasierssurdeskilomètres.Desaf ichesscotchéessur lesmurs.Dontuneclame«YESWEKAHN!VOTEZPOURMEGANKAHNÀLAPRÉSIDENCEDESÉTUDIANTS»etuneautre«ATUETATOIAVECJASONTU–TRESORIERDUCONSEILDESETUDIANTS».D’autrespostersémanentdegensquirevendiquentque«DESREPASPLUSSAINSSOIENTLANORME!VOTEZPOURNORMREDDING».

    Desrepasplussains?

    AuMexique,onbouffaitsoitcequ’onapportaitdelamaison,soitlescochonneriesqu’onvousmettaitdansvotreassiette.Onn’avaitpaslechoix.Quandjevivaislà-bas,onmangeaitpoursurvivresanssesoucierdescaloriesoudeshydratesdecarbone.Cequin’empêchepascertains de nos compatriotes de vivre comme des rois. Comme en Amérique, il y a desquartiersrichesdanschacundestrenteetunEtatsdupays…seulement,cen’estpaslàquevitmafamille.

    Jen’airienàfairedanscebahutetaucuneenviedesuivrecette illecommesonombretoutelasemaine.Jemedemandecombiendetempsellevatenirlecoupavantdebaisserlesbras.

    Ellemeconduitàmoncasier.J’yfourremesaffaires.

    —Lemienestjusteàcôté,m’annonce-t-ellecommesic’étaitunebonnechose.

    Elleseplongedansmonemploidutempsenseremettantenmarche.

    —LaclassedemonsieurHenneseyestaupremier.

    —¿Dóndeestáelservicio?jeluidemande.

    —Quoi?Jenefaispasd’espagnol.Jeparlefrançais.

    —Pourquoi?YabeaucoupdeFrançaisauColorado?

    —Non,maisj’ail’intentiond’allerpasserunsemestreenFranceendeuxièmeannéedefac,commemamère.

    Mi’amán’amêmepasfinilelycée.Enceinted’Alex,elles’estmariéeavecmonpère.

    —Tuapprendsunelanguedonttuvasteservirjusteunsemestre?Jetrouveçaunpeucon.

    Jem’arrêtedevantuneporteoùsedessineunesilhouettemasculineetpointemonpoucedanscettedirection.

  • —Servicio,çaveutdiretoilettes…Jet’aidemandéoùétaientlestoilettes.

    —Oh!(Elleal’airunpeutroublée,commesielleavaitdumalàgérerleschangementsdeprogramme.)Bonben,jevaist’attendreici.

    Jedécidedelamettreenboîtehistoiredem’amuserunpeu.

    —Saufsituasenviedemefairedécouvrirleslieuxtoi-même…Jenesaispasjusqu’oùtuveuxpoussercettepetitevisiteguidée.

    — Pas si loin que ça. (Elle pince les lèvres comme si elle venait de sucer un citron.)Grouille-toi.Jet’attends.

    Danslestoilettes,jeprendsappuidesdeuxmainssurlelavaboetjerespireunboncoup.Toutcequejevoisdanslaglaceenfacedemoi,c’estuntypedontlafamilleestimequ’ilestcomplètementnaze.

    J’auraispeut-êtredûdirelavéritéàMi’amá:sionm’avirédelaraf inerie,c’estparcequej’aivouluprotégerEmilieJuarez,unegaminedequinzeansharceléeparundessurveillants.C’étaitdéjàasseznulqu’elleaitétéobligéed’arrêterl’écoleetdesemettreàbosserpouraidersafamille.Quandlepatronaestiméqu’ilpouvaitposersessalesmainssurelle justeparcequ’ilétaiteljefe,j’aipétéuncâble.D’accord,çam’acoûtémaplace,maisçavalaitlapeineetdanslesmêmescirconstances,jerecommencerais.

    Un coup à la porteme ramène brusquement à la réalité, à savoir qu’une ille fringuéecommeunemontagnarde s’apprête àm’accompagner en classe. Je doute qu’elle ait besoind’unmecpourladéfendre.Alamoindremenace,elleétoufferaitsonagresseurdanssonmégaT-shirt.

    Laportes’entrouvre.

    —Tuestoujourslà-dedans?

    Savoixrésonnedanslestoilettes.

    —Ouais.

    —Tuasbientôtfini?

    Jelèvelesyeuxauciel.Enmedirigeantversl’escalier,uneminuteplustard,jem’aperçoisquemonescortenem’apassuivi.Elleestrestéeplantéeaumilieuducouloir,cetteexpressionamèretoujoursscotchéesursonvisage.

    — Tu n’avais même pas besoin d’y aller, commente-t-elle, exaspérée. Tu essayais degagnerdutemps,c’esttout.

  • —T’esunpetitgénie,dis-moi!

    Jemontelesmarchesdeuxpardeux.UnpointpourCarlosFuentes.

    J’entendssespasrésonnerderrièremoi.Elleessaiedemerattraper.Jem’élancedanslecouloirdupremierenréfléchissantaumoyendelasemer.

    —Sympadememettresuperenretardenclassepourrien,lance-t-elleentrottinantdansmonsillage.

    —Tunevaspasm’accuser!Cen’estpasmoiquiairéclaméunebaby-sitter.Sachequejesuisparfaitementcapabledetrouvermonchemintoutseul.

    —Ahouais!TuviensdepasserdevantlasalledemonsieurHennesey,jetesignale.

    Merde.

    Unpointpourl’élèveexemplaire.Cequifaitunpartout.

    Leproblème,c’estquejen’aimepaslesmatchsnuls.Jepréfèregagner…hautlamain.

    Lalueurd’amusementquejesurprendsdanssonregardm’agace.

    Jemerapproched’elle.

    —Çat’estdéjàarrivédesécher?jedemandeavecunsavantmélanged’espièglerieetdeséductiondanslavoix.

    Jechercheàladéstabiliser,déterminéàreprendreledessus.

    —Non,merépond-elle,unpeunerveusetoutdemême.

    Tantmieux.Jemepencheunpeuplusprès.

    —Ondevraitessayerçaensembleundecesquatre,jechuchoteavantd’ouvrirlaportedelaclasse.

    Jesensquejel’aiébranlée.Ecoutez,cen’estpasdemafautesij’aiunvisageetuncorpsderêve.Cen’estquegrâceàl’associationdesADNdemesparents,maisjenevoispaspourquoij’auraishonted’en tirerparti.Avoirune tronchequ’Adonisauraitadmiréeestundesraresavantagesquim’ontétédonnésdanslavie,etj’enprofiteàmort,queçaplaiseounon.

    Kiara me présente rapidement au prof et ressort aussi sec. J’espère que mon petit

  • numérodeséductionluia ichulatrouillepourdebon.Danslecascontraire,jemedonneraiunpeuplusdemallaprochainefois.Jem’assoisàunetableetjeregardeautourdemoi.Touslesélèvesontl’aird’avoirdesparentsfriqués.Celycéen’arienàvoiravecFairfield,labanlieuedeChicagooùonhabitaitavantdedéménagerauMexique.AulycéedeFair ield,ilyavaitdesgosses de riches et d’autres pauvres. Flatiron ressemble plus à un de ces bahuts privés,commeilyenavaitàChicago,oùtouslesgossesportentdesvêtementsdemarqueetroulentdansdesbagnolesdeluxe.

    Onsepayaitleurtête.Maintenantjesuiscernépardesmecscommeça.

    Àlafinducoursdemaths,Kiaram’attenddevantlasalle.Jen’encroispasmesyeux.

    —Ças’estbienpassé?crie-t-ellepourcouvrirlevacarmealorsquetoutlemondeserueverslaclassesuivante.

    —Tunet’attendspasquejerépondehonnêtementàcettequestion?

    —Probablementpas.Magne-toi.Onn’aquecinqminutes.

    Tandisqu’ellesefau iledanslafoule,jesuissaqueue-de-chevalquisebalanceàchaquepascommelaqueued’uncanasson.

    —Alexm’avaitprévenuequetuétaisunrebelle.Ellen’aencorerienvu!

    —Commentconnais-tumonfrère?

    —C’étaitunélèvedemonpère.Etpuisilm’aideàretapermavoiture.

    Cettechican’estpaspossible.

    —Tut’yconnaisvraimentenbagnoles?

    —Sûrementplusquetoi,jette-t-ellepar-dessussonépaule.

    J’éclatederire.

    —Tuveuxparier?

    —Peut-êtrebien.(Elles’arrêtedevantuneporte.)Toncoursdebio,c’estlà.

    Une ille super sexy passe devant nous et s’engouffre dans la salle. Elle porte un jeanmoulantetunT-shirtquil’estencoreplus.

    —Whouah!C’estqui,cettemeuf?

  • —MadisonStone,marmonneKiara.

    —Tupeuxmelaprésenter?

    —Pourquoi?

    —Parcequejesavaisqueçatefoutraitenrogne.

    —Etalors?

    Elleserreseslivrescontresapoitrine,commesic’étaitunearmure.

    —Jepeuxt’indiquercinqbonnesraisons,làtoutdesuite,sansavoirbesoinderéfléchir.

    Jehausselesépaules.

    —Faispéter.

    —Onn’apasletemps.Laclochevasonner…TucroisquetupeuxallerteprésentertoutseulàmadameShevelenko?Jeviensdemerappelerquej’aioubliédeprendremondevoirdefrançaisdansmoncasier.

    —Tuasintérêt àfaire issa.(Jeregardemonpoignet.Jen’aipasdemontre,maisjenepensepasqu’ellel’aitremarqué.)Çavasonner.

    —Jeteretrouveiciaprèslecours,dit-elleavantdepartiràfonddetrain.

    Une fois dans la classe, j’attendsque la prof lève les yeux etmevoie. Elle est en traind’envoyercequiressembleàdesmailspersosursonordinateurportable.

    Jemeraclelagorgepourattirersonattention.Aprèsm’avoirjetéuncoupd’œil,ellefermesaboîtemail.

    —Asseyez-vousoùvousvoulez.Jevaisfairel’appeldansuneminute.

    —Jesuisnouveau.

    Elle auraitdû trouver ça toute seulevuque jen’étaispasen cours cesdeuxdernièressemaines,maisbon.

    —C’estvousl’étudiantmexicainqu’onnousenvoiedanslecadred’unéchange?

    Pasvraiment. Ils’agitplutôtd’untransfert,mais jecroisqu’ellese ichedecegenrededétails.

    —Ouais.

  • Je n’ai pas pum’empêcherde remarquer les gouttes de sueurqui perlent sur le duvetcouleurpêcheau-dessusdesalèvresupérieure.Jesuisàpeuprèssûrqu’ilyadestechniquespourréglercegenredeproblème.MatanteConsueloavaitlemêmesoucijusqu’àcequemamères’yattaqueavecdelacirechaude.

    —Vousparlezespagnolouanglaisàlamaison?medemandelaprof.

    Jenesuispassûrqu’elleaitledroitdemeposercettequestion,maispassons.

    —Lesdeux.

    Elletendlecouetpromènesonregardsurlaclasse.

    —Ramiro,venezici.

    Unlatinoapprochedesonbureau.UneversiondePaco,lemeilleurpoted’Alex,enplusbaraque.Quandilsétaiententerminale,AlexetPacosesontfaittirerdessus,etçaamisnosexistencessensdessusdessous.Pacoyestresté.

    Je me demande si on s’en remettra jamais. Dès que mon frère est sorti de l’hôpital,mi’amá,monpetit frèreetmoi,onestpartisauMexique retrouver la famille.Depuis cettefusillade,plusrienn’estpareil.

    —Ramiro,ditShevelenkoen levant lesyeuxversmoi.Voici…Commentvousappelez-vous?

    —Carlos.

    —Ilestmexicain,vousêtesmexicain.Vousformerezunparfaitbinômehispanophone.

    JesuisRamirojusqu’àunepaillasseaufonddelaclasse.

    —Elleestcommeçatoutletemps?

    —Apeudechosesprès.L’annéedernière,lagrosseBerthaaappeléunmec«lerusse»pendantsixmoisavantdeconnaîtreenfinsonnom:Ivan.

    —LagrosseBertha?

    —Nemeregardepascommeça.Cen’estpasmoiquiluiaitrouvécesurnom.Çafaitaumoinsvingtansquetoutlemondel’appellecommeça.

    Laclochesonne,maispersonnenes’arrêtedediscuter.Berthas’estreplongéedanssesmails.

  • —MellamoRamiro,maisçafaittropmejicano.Toutlemondem’appelleRam.

    Monprénomaussiestmejicano,maisjen’éprouvepaslebesoindemefaireappelerCarlpourmieuxm’intégrer. Il suf it deme regarder pour savoir que je suis latino. Pourquoi jeferaissemblantd’êtreautrechose?J’aitoujoursaccuséAlexdevouloirêtreungringovuqu’ilrefused’employersonnomdebaptême,Alejandro.

    —MellamoCarlos.Tupeuxm’appelerCarlos.

    Enprenantletempsdel’examinerd’unpeuplusprès,jemerendscomptequeRamporteunpolodegolfdemarque.Ilapeut-êtredesoriginesmexicaines,maisjepariequesufamilianevitpasàproximitédelamienne.

    —Qu’est-cequ’ilyadesympaàfairedanslecoin?

    —Onal’embarrasduchoix,merépond-il.Onpeuttraı̂neraucentrecommercialdePearlStreet,allerauciné,fairedelarandonnée,dusnowboard,durafting,del’escalade,lafêteaveclesnanasdeNiwotetdeLongmont.

    Cen’estpasvraimentcequej’appelles’amuser.Àpartcettedernièreproposition.

    La illesexyque j’aiaperçuetout à l’heureest à lapaillasseen facedenous.Elleadeslongscheveuxblondsavecdesmèches,unmagni iquesourireetdeschichistoutàfaitaptesàrivaliseravecceuxdeBrittany.Cen’estpasque jereluque lacopinedemonfrère,maisonpeutdifficilementnepaslesvoir!

    Ellesepencheversnous.

    —C’esttoilenouveau.Jem’appelleMadison,ettoi?

    —Carlos,lanceRamavantquej’aieletempsdedirequoiquecesoit.

    —Jesuissûrequ’ilestcapabledeseprésentertoutseul,Ram,siffle-t-elleenreplaçantsescheveuxderrièresesoreilles,dévoilantdesbouclesd’oreillesendiamantssûrementcapablesdevousfaireperdrelavuesilesoleiltapeenpleindessus.

    Elles’inclineunpeuplusversmoiensemordantlalèvreinférieure.

    —TuviensdeMee-ri-co,c’estça?

    Çam’agacetoujoursquandlesgringosessaientdeparlercommenous.Jemedemandecequ’ellesaitd’autreàmonsujet.

    —Si.

    Ellemedécocheunsourireàsedamnerenserapprochantencore.

  • —Estásmuycaliente.

    Ellevientdedirequ’ellemetrouvaitsexy,oujemetrompe?Cen’estpascommeçaqu’onditauMee-ri-co,maisj’aicomprisl’idéegénérale.

    —J’auraisbesoind’unbonprofd’espagnol.Ledernierquej’aieus’estrévéléunvrailoser.

    Ramseraclelagorge.

    —¡Quetipa!Aucasoùtun’auraispascompris,sondernierprof,c’étaitmoi.

    Jen’aipasquittéMadisondesyeux.Elleatoutcequ’ilfautpourplaire,çanefaitaucundoute,etn’hésitepasàfaireétalagedesesatouts.D’ordinaire,jepréfèreleschicasexotiquesàlapeaudemiel,maisjeprésumequ’aucunmecnerésisteàMadison.Etellelesait!

    Unefilleluidemandedeveniràsatable.J’enprofitepourmetournerversRam.

    —Tuluiasdonnédescours,outuessortiavecelle?

    —Lesdeux.Simultanémentparfois.Onarompuilyaunmois.Suismonconseil.Gardetesdistances.Ellemord!

    —Littéralement?

    —Tun’aspasenviedet’approchersuf isammentd’ellepourconnaı̂trelaréponseàcettequestion,crois-moi.Sachejustequeverslafindenotrerelation,jesuisdevenul’élèveetelleleprof.Etjeneteparlepasd’espagnol.

    —Estásabrosa.Jesuisprêtàprendrelerisque.

    —Donne-t’enàcœurjoiedanscecas,répondRamenhaussantlesépaules,aumomentoùBerthasedécideenfinàdémarrersoncours.Maisjet’auraiprévenu.

    Je n’ai pas l’intention de sortir avec qui que ce soit, mais je n’ai rien contre l’idée deramenerquelques illeschezAlexhistoiredeluiprouverquemanatureestdiamétralementopposéeàlasienne.Jejetteuncoupd’œilendirectiondeMadison,etsonsourireestcommeune promesse. Pas de doute, elle ferait parfaitement l’affaire. C’est le genre Brittany, sansl’auréoleau-dessusdelatête.

    Après m’être tapé tous les cours de la matinée, je suis plus que prêt pour la pausedéjeuner.Quandlaclochesonne,jemeréjouisqueKiaranesoitpaslààm’attendredevantlaporte,commeellel’avaitpromis.Jemerueversmoncasierpourrécupérerlesandwichquejemesuispréparéenpiochantdanslefrigod’Alex.

    Maguidepersoapeut-êtredécidédemelâcherlesbaskets.Çamevatrèsbien,saufqu’il

  • mefautdixminutespourtrouverlacafét.Enentrantdanslasalle,jem’apprêteàm’asseoirseulàunetablerondequandjevoisRammefairesigne.

    —Sympadem’avoirlaisséetomber,lanceunevoixderrièremoi.

    Enjetantuncoupd’œilpar-dessusmonépaule,j’avisemoncornac.

    —Jecroyaisquetuavaisdécidédemelaissertranquille.

    Ellesecouelatêtecommesic’étaitletrucleplusridiculequ’elleaitjamaisentendu.

    —Biensûrquenon.Jen’aipasréussiàsortirdeclasseenavance,c’esttout.

    —Tropdommage,dis-je,feignantlacompassion.J’auraisattendusij’avaissu…

    —Benvoyons!(EllepointelementondansladirectiondeRam.)Vat’asseoiraveclui.Jel’aivutefairesigne.

    Jeluidécocheunregardindigné.

    —Tumedonneslapermissiondelerejoindre,c’estça?

    — Tu peux déjeuner avec moi si tu préfères, dit-elle, comme si j’allais sauter surl’occasion.

    —Non,merci.

    —C’estbiencequejepensais.

    PendantqueKiaraattenddansla iledesrepaschauds,jemetslecapsurlatabledeRam.J’enfourche le dossier d’une chaise et il me présente à ses amis, des gringos qui ont l’aird’avoirétéclonésentreeux.Ilsparlentde illes,desport,deleurséquipesdefootpréférées.Jedoutequ’aucund’entreeuxsurviveneserait-cequ’une journée à la raf inerieoù j’aibossé.Certains demes copains gagnaientmoins de quinze dollars par jour. Lesmontres que cestypesportentcoûtentprobablementplusquenotresalaireannuel.

    MadisonapparaîtànotretableaumomentoùRamretournedanslafiled’attente.

    —Salut,lesmecs.Mesparentspartentenweek-end.Jefaisunefêtevendredisoir,sivousvoulezvenir.Laseulechosequejevousdemande,c’estdenepasenparleràRam.

    Elleplongelamaindanssonsacetensortuntubedegloss.Elledévisse lebâton,puisl’appliquesurseslèvresenfaisantlaboucheencœur.Alorsquejepensequ’elleena ini,elleformeunOparfaitetfaitglisserletubedanstoussens.Jejettedescoupsd’œilautourdemoipourvoir siquelqu’und’autreassiste à ce spectacle érotique.DeuxdescopainsdeRamsesont arrêtés de parler pour se concentrer sur elle et son talent si particulier. Quand Ramrevient,ilfocalisetoutesonattentionsursatranchedepizzaauxpepperoni.

  • UnclaquementdelèvresretentissantramènemonattentionsurMadison.

    —Carlos,dit-elleensortantunstylodesonsac,laisse-moitedonnermescoordonnées.

    Aprèsquoiellesemetendevoirdenotersonadresseetsonnumérodetéléphonesurmonavant-brasau-dessusdemestatouages.Elleseprendpouruneartisteouquoi?

    Quand c’est chose faite, elle agite le bout des doigts en guise d’au revoir avant deretourners’asseoiravecsabande.

    Toutenmordantdansmonsandwich, je jetteunregardcirculairedanslacafétéria à larecherchedeKiara, l’anti-Madison. Elle est assise avecun type aux cheveuxblondsqui luitombentsurla igure.Ilfaitmataille,ilaàpeuprèsmacarrure.Serait-cesonpetitami?Sic’estlecas,jeleplains.C’estlegenrede illeàattendredesoncopainqu’illuiobéisseaudoigtetàl’œiletluilèchelecul.

    Moncœur,monespritnesontpasfaitspourlasoumission,etjepréféreraismourirplutôtquedelécherleculdequiquecesoit.

  • Kiara

    —Alorsçat’apludeguidertoncamarade?medemandemamanaudı̂ner.Jesaisquetuattendaisçaavecimpatience.

    —Pasterrible,jerépondsentendantàmonpetitfrèreunetroisièmeserviette.

    Iladelasaucebolognaisepleinlesjoues.

    JerepenseaumomentoùjemesuispointéedevantlaclassedeCarlosàla indescours,pourm’apercevoirqu’ilavaitdéjàquittélelycée.

    —Ilm’aplantéeàdeuxreprises.

    Monpère,psychologue,quis’imaginequetous lesgenssontdesspécimens àanalyser,froncelessourcilstoutenreprenantdesharicotsverts.

    —Ilt’alaisséetomber.Pourquelleraison,jemedemande?Euh…

    —Parcequ’ils’estimetropcoolpoursefaireescorterdansl’école.

    Mamanmetapotelamain.

    —Cen’estpasgentildelaissertombersonguide,maissoispatienteaveclui.Iln’apasdemandéàvenirvivreici.Cen’estpasfacilepourlui.

    —Tamèrearaison.Nelejugepastropvite,Kiara.Ilcherchesaplace,jesuppose.Alexestpassédansmonbureaucesoir.Nousavonseuunelonguediscussion.Lepauvre!Iln’aquevingtans,etlevoilàresponsabled’ungaminàpeineplusjeunequelui.

    —SituinvitaisCarlosàveniràlamaisondemainaprèslescours?suggèremamère.

    —Excellenteidée,renchéritpapaenpointantsafourchettedanssadirection.

    C’estbienladernièrechosequeCarlosauraenviedefaire.Ilm’aclairementsigni iéques’ilmesupportaitcettesemaine,c’estparcequ’iln’avaitpaslechoix.Dèsquej’auraiachevémamissionvendredi,iliraprobablementfairelafêtepourmarquerlecoup.

    —Jenesaispas…

    —Dis-luidevenir, insistemaman, ignorantmonairdubitatif. Je ferai cette recettedebiscuitsàlamarmeladed’orangesqueJoaniem’adonnée.

  • JenesuispascertainequeCarlosapprécieramais…

    —Jeluiproposerai,maisnesoispassurprises’ilrefuse.

    —Ettoinet’étonnepass’ilaccepte,renchéritmonpère,optimisteinvétéré.

    Le lendemain, alors que j’accompagne Carlos en cours pour la dernière heure de lamatinée,jetrouveenfinlecouragedeluiposerlaquestion:

    —Çateditdevenirchezmoiaprèslescours?

    —Tumeproposesunrancard?s’étonne-t-il,lessourcilsencirconflexe.

    Jeserrelesdents.

    —Pourquituteprends?

    —Fautquejetedisequetun’espasmongenre.J’aimelesfemmesbêtesetsexy.

    —Toinonplustun’espasmongenre.J’aimelesmecsintelligentsetdrôles.

    —J’aibeaucoupd’humour.

    Jehausselesépaules.

    —Jedoisêtretropfutéepourpigertesblagues.

    —Pourquoitiens-tuàm’inviterdanscecas?

    —Mamèreafait…desbiscuits.

    Apeinecesmotssortisdemabouche,jefaislagrimace.Quiinviteungarçonàmanger…desbiscuits?Monfrèreàlarigueur,maisilestenCP!

    —Ça n’a rien d’un rancard ou quoi que ce soit, j’enchaı̂ne en bafouillant, au cas où ils’imagineraitquej’essaiedeledraguer.Onvajuste…prendrelegoûter.

    Jedonneraischerpourremonterlabandedecetteconversation,maispasmoyen.Noussommesarrivés,etiln’atoujourspasrépondu.

    —Jevaisyré léchir,déclare-t-ilbrusquementavantdemelaisserenplanaumilieuducouloir.

    Il vay ré léchir ?Commes’ilme faisaitune faveurenacceptant l’invitation, au lieudel’inverse.

  • Devant nos casiers en in de journée, alors que j’espère de tout mon cœur que mapropositionluiestsortiedelatête,ilseplantedevantmoisurunejambe,lesmainsdanslespoches,etlance:

    —Quelgenredebiscuits?

    Parmitoutesquestionspossibles,pourquoia-t-ilfalluqu’ilmeposecelle-ci?

    —Àl’orange.Àlamarmeladed’oranges.

    Ilsepencheversmoi,àcroirequejen’aipasparléassezfort,ouassezclairement.

    —Delaquoid’oranges?

    —Delamarmelade.

    —Hein?

    —Marmelade.

    Jesuisdésolée,maisiln’yapasdefaçoncooldeprononcerlemot«marmelade»,etces«m»siprochesl’undel’autremedonnentl’airniaise.Aumoins,jen’aipasbégayé!

    Ilhochelatête.Jevoisbienqu’ilfaitdesonmieuxpourgardersonsérieux.Peineperdue.Ilfinitparéclaterderire.

    —Tuveuxbienledireencoreunefois?

    —Pourquetutepaiesmatête?

    —Si.C’estlaseulechosequim’excitedanslaviedésormais,etilsetrouvequetuesuneciblefacile.

    Jeclaquelaportedemoncasier.

    —Considère-toiofficiellementcomme«désinvité».

    Jem’éloigneàgrandesenjambées,jusqu’àcequejemerappellequej’aioubliédestrucsimportantsdansmoncasier.Jesuisobligéed’yretourner.J’attrapeàlahâtelestroisbouquinsdontj’aibesoinetjelesfourredansmonsacenrepartant.

    —Siçaavait étédescookiesauxpépitesdechocolat, jeseraispeut-êtrevenu,mecrieCarlosavantdes’esclafferdeplusbelle.

    Tuckm’attenddansleparkingdesterminales.

  • —Tuenasmisdutemps!

    —JemesuisprislatêteavecCarlos.

    —Encore ? Ecoute, Kiara, on n’est quemardi. Il a trois jours supplémentaires à tirer.Pourquoin’abrèges-tupastonsupplice?

    —Parcequec’estexactementcequ’ilveut,jerépondsenmontantdansmavoiturepourdémarreraussitôt.Pasquestionquejeluidonnelasatisfactiondemedamerlepionàchaquecoup.Ilestodieux.

    —Ildoitbienyavoirunmoyendeluifaireravalersesmoqueries.

    LaremarquedeTuckmedonneuneidée.

    —Eurêka!Tuesungénie,Tuck!Jefaisrapidementdemi-tour.

    —Tuvasoù commeça ?C’estpar là chez toi, je te signale, souligneTuckenpointantl’indexderrièrenous.

    — J’aidespetites courses à faire à l’épicerie et à laquincaillerieMcGuckin. Il fautquej’achètedequoifairedescookiesauxpépitesdechocolat.

    — Tu fais de la pâtisserie maintenant ? S’étonne Tuck. Et pourquoi des cookies auxpépitesdechocolat?

    Jelegratined’unsourireespiègle.

    —Jevaism’enservirpourforcerCarlosàravalersesmoqueries.

  • Carlos

    Mercredi,ensortantdel’école, jevaisretrouvermonfrèreaugarage.Aumomentoù jetraverse la rue, une Mustang rouge vient se ranger près de moi, toutes vitres baissées.MadisonStoneestauvolant.Jem’approchedesaportière.Ellemedemandeoùjevais.

    —ChezMcConnell.Monfrèretravaillelà-bas.Ilm’aditquejepouvaismefaireunpeudethuneenluidonnantuncoupdemaindetempsentemps.

    —Monte.Jet’emmène.

    ElleordonneàsacopineLaceydepassersurlabanquettearrièreavantdemefairesignedem’asseoirdevant,àcôtéd’elle.Jen’aijamaisvécudansunendroitoùl’onn’estpasjugéparrapportàlacouleurdesapeauouaucompteenbanquedesesparents.Jememé iedoncdecetintérêtsoudainàmonégard.J’aifaitmonnumérodecharmeàKiaraavantlecoursdelagrosseBertha,etellen’amêmepasbattudescilsnidesserréleslèvres.J’aijusteeudroitàunemouededégoût!Mêmesihier,ellem’ainvitéchezellepourmangerdesbiscuits.Descookiesàlamarmeladed’oranges!Quelleidée!Leplusdrôle,c’estquej’aibienl’impressionqu’elleétaitsérieuse.

    Aujourd’hui,ellem’abaladédeclasseenclassesansdireunseulmot.J’aiessayédebriserlesilenceenlacharriant,maisellen’apasmoufté.Madisoninscritl’adressedeMcConnellsursonGPS.

    — Alors, Carlos, lance Lacey en se penchant entre les sièges aumoment où Madisondémarre.(Ellemetapotel’épauleaucasoùjen’auraispasentendu.)C’estvraiquetut’esfaitvirerdetonancienneécoleparcequetuavaistabasséquelqu’un?

    Çanefaitpastroisjoursquejesuisdanslelycée,etçacommencedéjààjaser.

    —Enfait,j’aimisunedérouilléeàtroistypesetunpitbull.

    Jeplaisanteévidemment,maisjecroisbienqu’ellemeprendausérieuxparcequ’elleenrestebouchebée.

    —Wouah!(Nouvelletapesurl’épaule.)Onaledroitd’emmenersonchienaubahutdanstonpays?

    Elleestplusnazequ’unburritosansfrijoles.

    —Biensûr,maisseulementlespitbullsetleschihuahuas.

  • —Ceseraittellementgénialsijepouvaisveniràl’écoleavecFlaque!(Ellerecommenceàmepianotersurl’épaule.J’aienviedeluirendrelapareilleunmilliondefois,pourqu’elleserendecompteàquelpointc’estchiant.)Flaque,c’estmalabradoodle.

    Qu’est-ceque çapeutbien êtrequ’une labradoodle ?Quoi qu’il en soit, je parieque lepitbulldemacopineLananeferaitqu’unebouchéedeFlaquelalabradoodle.

    —Tonfrère,c’estlegarçonquit’aaccompagnéàl’écolelundi?demandeMadison.

    —Oui.

    Ellevientd’entrerdansleparkingdugarage.

    —Ginam’a dit qu’elle vous avait vus tous les deux dans le bureau du proviseur. Tesparentsétaientenvoyage?

    —J’habiteavecmonfrère.LerestedenotrefamilleestauMexique.

    Inutiledeluipréciserquemonpèreestmortlorsd’unera lequandj’avaisquatreans,niqueMi’amám’apratiquement lanquédehorsàcoupsdepiedauxfessesavantdem’expédierici.

    Madisonn’apasl’aird’enrevenir.

    —Tuvisavectonfrère?Sansparents?

    —Sansparents.

    —Tuenasdelachance!s’extasieLacey.Mesvieuxsontlàtoutletemps,etmasœurestcomplètementgivrée.Jem’échappepresquetouslesjourschezMadison.Elleest illeuniqueetsesparentsnesontjamaisàlamaison.

    Madisonestentraindeseregarderdanslerétroviseur.Alamentiondesesparents,ellesefigeunbrefinstantavantd’afficherunsourirefactice.

    —Ilsvoyagentbeaucoup,m’explique-t-elleavantderemettredugloss.Çanemedérangepas.Jepeuxfairecequejeveuxavecquijeveuxsansqu’onm’imposederègles.

    Vuquemavieestinfestéedegensquimedonnentdesordres,j’avouequeçafaitrêver.

    — La vache ! On dirait que vous êtes jumeaux, ton frère et toi, s’exclame Lacey alorsqu’AlexapprochedelaMustang.

    —Jenevoispasenquoionseressemble,jemarmonneenouvrantmaportière.

    Lesdeux illessortentaussidelavoitureetsepostentdevantmoi.Elless’attendentsansdouteque je fasse lesprésentations.Leurpeauclaire,parfaite, leurmaquillagesophistiqué

  • étincellentausoleil.

    —Mercidem’avoirdéposé.

    Ellesm’étreignentl’uneaprèsl’autre,Madisonavecinsistance.Çaprouvesûrementquejel’intéresse.

    Alexsedemandecequeje icheaveccesgonzesses,çasevoitsursa igure.Jelesattrapetouteslesdeuxparlesépaules.

    — Salut, Alex, je te présente Madison et Lacey. Les deux nanas les plus chaudes deFlatiron.

    Ellesluifontunsignedetêteensefendantdeleurplusbeausourire.Ellesontl’aird’avoirappréciélecompliment,mêmesiellessaventqu’ellessontcraquantesetn’ontsûrementpasbesoinqu’onleleurrappelle.

    —Mercid’avoiraccompagnémonfrère,ditAlexavantderetourneràl’atelier.

    Unefoisles illesparties,jelerejoins.Ilestentraindedémonterlepare-chocsavantd’un4x4accidenté.

    —Tuestoutseul?

    —Oui.Donne-moiuncoupdemain.

    Ilmejetteuntournevis.

    On retapait des bagnoles ensemble autrefois, dans le garage de mon cousin Enrique.C’était l’unedesraresactivités àpeuprèsrégloqu’onavait à l’époque.Enriqueet luim’ontenseignétoutcequejesaissurlesvoitures,etcequ’ilsn’ontpasréussiàmetransmettre,jel’aiappristoutseulendémantelantdesépavesaufonddel’atelier.

    Jemeglissesouslecapotdu4x4pourendévisserlesboulons.Lescliquetisquejeproduisrésonnentdanslegarage,etl’espaced’uninstant,j’ail’impressiond’avoirremontéletemps.

    —Sympa,les illes!commenteAlexd’untonsarcastiquetandisquenousnousactivonsl’unàcôtédel’autre.

    —Jetrouveaussi.D’ailleursj’avaisdansl’idéedelesinvitertouteslesdeuxaubaldelarentrée. (Je glisse le tournevisdans la poche arrièredemon jean.)Oh, avantque j’oublie !Kiaram’aproposédevenirchezellehiermangerdesbiscuits.

    —Tun’yespasallé?Commentçasefait?

    —Çanemedisaitrien.Detoutefaçon,elleaannulé.

  • Alexrelèvelenezetfixesonregardsurmoi.

    —Dis-moiquetunet’espascomportécommeunpendejoavecelle.

    —Jemesuisjusteamuséunpeu.Laprochainefoisquetuveuxmedégoteruneescorte,arrange-toipourqu’elleneportepasunimmenseT-shirtavecuneconnerieécritedessus.Ellemefaitpenseràunmecquej’aiconnuàChicago.Jenesuismêmepassûrquec’estunefille.

    —Tuveuxunep-p-preuve?lanceKiaraquivientdesurgircommeparenchantementsurleseuil.

    Etmerde!

  • Kiara

    —Ouais,riposteCarlosdontl’expressionmêledéfietamusement.Vas-y.Prouve-le-moi.

    Alexlèvelamain.

    —Pitié!

    Ilplaquesonfrèrecontrelavoitureenmarmonnantquelquechoseenespagnol.Carlosluirépondsurlemêmeton.Jen’aipaslamoindreidéedecequ’ilssedisent,maisilsn’ontpasl’aircontents,nil’unnil’autre.

    Moiaussi,jesuisdemauvaispoil.Jen’arrivepasàcroirequejeviensdebégayer.Jem’enveuxdemelaisserdémonterparCarlosaupointquejerecommenceàbutersurlesmots.Çaveut dire qu’il a une emprise sur moi, ce qui me rend dingue. J’attends avec impatiencevendredi,jouroul’OpérationCookiesdoitdébuter.Ilfautquelesbiscuitssoientunpeurassispourquemonplanfonctionne.Ilnevapasenrevenir.

    Irrité,Alexs’écartedesonfrèred’unedémarchepesanteetvaprendreuncartonderrièrelacaisse.

    —J’aitestétaradio.J’ail’impressionqu’ilmanqueunressort.Jenepensepasqu’ellevamarcher,maisj’aimeraisessayer.Donne-moitesclés,jevaisrentrertavoiture.

    Se tournant vers Carlos, il ajoute : « Interdiction d’ouvrir la bouche avant que jerevienne.»Àlasecondeoùilestparti,Carlosenprofite.

    —Situestoujoursdéterminéeàmeprouverquetuesunenana,vas-y,jet’enprie.

    —Tuprendstonpiedàtecomportercommeunimbécile?

    —Pasparticulièrement,maisfairesortirmonfrangindesesgonds,j’adore!Or,çalemethorsdeluiquejem’enprenneàtoi.Ducoup,tutetrouvespriseentredeuxfeux.Désolé.

    —Laisse-moiendehorsdetoutça,tuveux.

    —Tupeuxtoujourscourir!

    Ils’accroupitdevantunevoitureendommagéeettireunboncoupsurlepare-chocs.

    —Ilfautdéfairelesattachesd’abord,dis-je,raviedeluiprouverquej’ensaisplusqueluienmécanique.Tun’yarriverasjamaisautrement.

  • —Tuparlesde soutien-gorge là oudepare-chocs ?demande-t-il enmedécochantunsourireespiègle.Jesuisexpertdanscesdeuxdomaines,jetepréviens.

    J’ai eu tortdemettremonplan à exécution.C’estde lagaminerie.MaisCarlosn’auraitjamaisdûmefairecetteremarquestupide,nisepayermatêtequandj’aidit«marmelade».Ilm’apousséeàvouloirluifaireravalersesparoles.

    Onestvendredi.Tucketmoi,onestarrivésàl’écoleenavancepourdécorerlecasierdeCarlos.Mardiaprèslescours,Tuckm’aaidéeàfaireunecentainedecookiesauxpépitesdechocolat. Une fois refroidis, on a collé un petit aimant derrière les biscuits. Ils sont rassismaintenantetonpeut les ixerauxparoismétalliques.QuandCarlosouvrira soncasier cematin,iltrouveral’intérieurtouttapissé.

    Chaquefoisqu’ilessaierad’attraperuncookie,ils’émietteradanssamain.J’aiachetédesaimants super puissants, de la taille d’une petite pièce de monnaie. Ça va faire descochonneriespartout.Carlosauradeuxsolutions:leslaisserenplaceoulesretirerunàunpourseretrouvercouvertdemiettes.

    —Rappelle-moidenejamaismedisputeravectoi,melanceTuckquifaitleguet.

    Lescoursnecommencentpasavanttroisquartsd’heure.Lescouloirssontquasidéserts.

    J’airelevélacombinaisonducasierdeCarlos,notésonemploidutempsdontmonsieurHousem’adonnéunecopie.Jemesenscoupable,maispassuf isammentpourfairemarchearrière.Après avoirdisposéquelquesbiscuits, jeme tourneversTuck. Il surveille l’arrivéeéventuelledeCarlos,oudetoutepersonnesusceptibled’avoirdessoupçons.Chaquefoisquejemetsuncookieenplace,Tuckglousseenentendantleclic.

    Clic.Clic.Clic.Clic.

    —IlvapéteruneDurit!commentemonmeilleurami.Ilsauraquec’esttoi,tusais.Quandonjoueuntouràquelqu’un,ilvautmieuxessayerdegarderl’anonymatpournepassefairepincer.

    —C’esttroptard.

    Je ixeplusieursaimantsà lasuiteenmedemandantcommentjevaislogerlacentainequej’aiapportée.J’enmetsenhaut,enbas,surlaporte,lescôtés…Ilneresteplusbeaucoupdeplace,mais j’aipresque ini.Ondiraitque lecasiera la rougeolesaufque lesboutonssontmarron.

    —Plusqu’un,j’annonceaprèsavoirplongélamaindansmonsac.

    Tuckjetteuncoupd’œildanslecasier.

  • —Çapourraitbienêtrelameilleurefarcequ’onaitjamaisfaitedanscebahut.Turisquesderesterdanslesannales,Kiara.Jesuisfierdetoi.Metslederniersurlaporte,justeaumilieu.

    —Bonneidée.

    Jefermerapidementlecasieravantqu’onnoussurprenneetplaquelederniercookiesurlaporte.Ensuitejejetteuncoupd’œilàmamontre.Vingtminutesavantledébutdescours.

    —Maintenant,ilnenousresteplusqu’àattendre.

    Tuckglisseunregarddanslecouloir.

    —Lesgenscommencentàarriver.Ondevraitpeut-êtreseplanquer?

    — D’accord, mais je tiens à voir la tête qu’il fait. Allons-nous cacher dans la salle demadameHadden.

    Cinqminutesplustard,alorsqueTucketmoinousrelayonsderrièrelehublotenhautdelaporte,Carlosapparaît.

    —Levoilà,jechuchote.

    Moncœurbatfurieusementdansmapoitrine.

    Endécouvrantlecookiesursoncasier,Carlosfroncelessourcils.Ilregardeàgaucheetàdroite,cherchantmanifestementlecoupable.Quandiltiresurlebiscuit,ils’émiettedanssamainmaisl’aimantrestesurlaporte.

    —Commentest-cequ’ilréagit?

    Tuck,plusgrandquemoi,aunebienmeilleurevue.

    —Ilsecouelatêteensouriant…Ilvientdejeterdesmiettesdanslapoubelle.

    Son sourire risque bien de s’effacer quand il verra les quatre-vingt-dix-neuf autresaimantsàl’intérieur.

    —J’yvais,dis-jeenquittantmonrefugepourmedirigercommesiderienn’étaitversmoncasier.

    —Salut!jelanceàCarlos,unpeudéconfitparlespectaclequ’ilasouslesyeux.

    —TuméritesunA+pourl’originalitéetlaréalisation,merépond-il.

    —Çat’embêtequej’aiedemeilleursrésultatsquetoipartout,hein,ycomprisquandje

  • faisdesfarces?

    —Ouais.(Illèveunsourcil.)Jesuisimpressionné.Furax,maisimpressionné.

    Ilrefermesoncasiersanstoucheràladécoetnousnousdirigeonsverslasalledecoursenfaisantsemblantderien.

    Je ne peux retenir un sourire. Il secoue la tête à plusieurs reprises, comme s’il n’enrevenaittoujourspas.

    —Onfaitunetrêve?

    —Horsdequestion.Tuaspeut-êtreremportécettebataille,maislaguerre,chica,estloind’êtrefinie!

  • Carlos

    Jen’arrivepasàmedébarrasserdecetteodeurdebiscuits.Elleimprègnemesmains,mesbouquins…etmêmel’intérieurdemonsac àdos,putain! J’aiessayéd’enretirerquelques-uns,maisj’enaifoutupartout.J’ai iniparrenoncer.Jevaisleslaisserlàjusqu’àcequ’ilssoienttoutmous…EnsuitejerécupérerailesmiettesetjelesfourreraidanslecasierdeKiara.Mieuxencore,jelescolleraiavecdelaSuperGlue.

    Il faut que j’arrête de penser à cette ille et à ses cookies. Rien ne vaut la cuisine demi’amá,maiscesoir-là,aprèslescours,dèsquejesuisderetouràlamaison,jesorscequejetrouvedufrigod’Alexetjetentedenouspréparerunauthentiquerepasmexicain.Unmoyencommeunautredemesortirde la têteces foutuscookiesauxpépitesdechocolatquimerendent dingo. Et puis je suis là depuis une semaine et je n’ai pas encoremangé de vraiebouffemexicaine.

    Alexsepencheau-dessusdemonragoûtethumelefumet.Asonexpression,jevoisbienqueçaluirappellelamaison.

    —Ça s’appelle carneguisada.C’estmexicain,dis-je enarticulantbien, commes’il n’enavaitjamaisentenduparler.

    —Jesaiscequec’est,andouille.

    Ilreposelecouvercleetmetlecouvertavantderetournerétudier.

    Uneheureplus tard, on s’installe à table.Alexdévore sapremièreportionavantde seresservir.

    —Çat’arrivedemanger?

    —Riend’aussi bonque ça, répond-il en léchant sa fourchette. Je ne savaispasque tucuisinais.

    —Ilyadestasdechosesquetuignoresàmonsujet.

    —Jeteconnaissaisbienavant.

    Jeposemafourchette.Jen’aiplusfaimtoutàcoup.

    —Ilyalongtemps.

    Jegardelesyeuxrivéssurmonassiette.Moinonplus,jenesaisplusquiestmonfrère.

  • Aprèsqu’il s’est fait tirerdessus, jecroisque j’avaispeurde luiparler.Evoquer lessévicesqu’ilavaitsubisrendait leschosesplusréelles. Ilnem’a jamaisracontécequis’étaitpasséexactementquandilaquittéleLatinoBlood,etjeneluiaijamaisposédequestions.Maishiermatin,j’aipum’enfaireunepetiteidée.

    —J’aivutescicatriceshierquandtuessortideladouche.

    Ils’arrêtedemangeràsontour.

    —Jepensaisquetudormaisencore.

    —J’étaisréveillé.

    L’imagedesondoszébrédecicatricesquiressemblentàdescoupsdefouets’estgravéedans ma mémoire. Quand j’ai vu le ren lement entre ses omoplates avec les lettres LBtatouéesàjamaissursapeaucommeonmarquelebétail,lahaine,l’enviedevengeancem’ontretournélestripes.

    —Laissetomber,marmonneAlex.

    —Tupeuxtoujourscourir!

    Iln’estpasleseulfrèreFuentesàvouloirprotégerfarouchementlafamille.SijeretourneàChicago,etsijeretrouvelesalopardquiamarquéauferrougelecorpsdemonfrère,ilestmort.Jemerebellepeut-êtrecontremifamilia,iln’empêchequenousavonslemêmesang.

    Alexn’estpasleseulàavoirdescicatrices.J’aiplusdecombatsàmonactifqu’unboxeurprofessionnel.Enplus,s’ildécouvrelestatouagesquej’aidansledosmedésignantcommeunGuerrero,ilpéterauneDurit.MêmeauColorado,j’aimescontacts.

    —Brittanyetmoi,onvavoirsasœurShelleycesoir.Tuveuxvenir?

    JesaisqueShelleyesthandicapéeetqu’ellevitdansunesortedefoyerprèsdelafac.

    —Jenepeuxpas.Jesors.

    —Avecqui?

    —Nuestropapán’estplusdecemonde,quejesache!Jen’aipasàteteniraucourantdemesactivités.

    Nousnousmesuronsduregard.Autrefois, ilmebottait lecul à l’aise.Plusmaintenant.Nous sommes sur le point de nous écharper de nouveau quand la porte s’ouvre, livrantpassageàBrittany.

  • Elledoitsentirqu’ilyadelatensiondansl’airparcequesonsourires’effaceàmesurequ’elles’approchedelatable.

    —Toutvabien?demande-t-elleenposantunemainsurl’épauledemonfrère.

    —Perfecto.Pasvrai,Alex?

    JeprendsmonassietteetjelaporteàlacuisineenmefaufilantàcôtédeBrittany.

    —Non,rétorqueAlex.Jeluiposeunequestiontoutesimpleetiln’estmêmepascapabledemerépondre.

    C’estlegenrederemarquequidevraitexclusivementsortirdelabouched’unparent.Jesoupire.

    —C’estjusteunefête,Alex.Cen’estpascommesij’allaiszigouillerquelqu’un.

    —Unefête?s’étonneBrittany.

    —Oui.Serait-ceunconceptquit’échappe?

    —J’enaientenduparler.Jesaisaussicequisepassedanscesfêtes.(Elles’assoitàcôtédesonhomme.)Rappelle-toi,Alex.Onallaitàdesfêtesaulycée,maisonavitecomprisnoserreurs.CeserapareilpourCarlos.Tunepeuxpasl’empêcherdesortir.

    Alexpointeundoigtaccusateurversmoi.

    — Tu aurais dû voir les illes avec qui il traı̂nait l’autre jour, Brittany. Des copiesconformesdeDarlenelapsychopathe.Tutesouviensd’elle?Cetteputen’auraitpashésitéàsefairel’équipedefootaugrandcompletsiçaavaitpuaccroîtresapopularité.

    Monfranginnefaitrienpourdéfendremacause.Merci,vieux.

    —Bon,c’étaitsympadevousécouterparlerdemoi,maisfautquej’yaille,là.

    —Tuyvascomment?demandeAlex.

    —Àpied.Àmoinsque…

    JezieutelesclésdeBrittanyposéessursonsac.

    —Ilpeutprendremavoiture,Alex,dit-elle,s’adressantàmonfrère,etnonàmoi,pourlabonneraisonqu’ilssontincapablesdeprendreunedécisionsansquel’autrel’approuve.Maisinterdictiondeboire.Oudefumerdeladope.

    —D’accord,maman,jerépondsd’untonsarcastique.

  • Alexsecouelatête.

    —Cen’estpasunebonneidée.

    Elleentrelaceleursdoigts.

    —Pasdesouci,Alex.Detoutefaçon,onavaitditqu’onprendrait lebuspourallervoirShelley.

    Lacopinedemonfrèreremontedansmonestimeunefractiondeseconde,jusqu’àcequeje me rappelle qu’elle contrôle sa vie, et là, ce vague sentiment chaleureux l’éclipseinstantanément.

    J’attrapelesclésdevoitureetjelesfaistourbillonnerduboutdesdoigts.

    —Allez,Alex.Nerendspasmavieencoreplusmerdiquequ’ellenel’est.

    —D’accord,maisrapportecettevoitureenparfaitétat.Sinontuaurasaffaireàmoi.

    —Oui,chef,dis-jeenmemettantaugarde-à-vous.

    Ilextirpesonportabledesapocheetmelelance.

    —Prendsça.

    Jemedirigeverslaporteavantqu’ilsaientletempsdeseraviser.J’aioubliédedemanderoù laBM était garée,mais jen’ai aucunmal à la repérer.Elleme faitde l’œil en scintillantcommeunangejustedevantl’immeuble.

    Jesorsleboutdepapieroùj’ainotélenumérodeMadisonavantdemelaverlebras.Dèsquej’aipigécommefonctionnait leGPS, jetapel’adresse, jedécapotelavoitureetquitte leparkingdansuncrissementdepneus.Àmoilaliberté!

    Je me gare dans la rue et remonte à pied la longue allée conduisant à la maison deMadison. Je neme suis pas trompé. C’est bien là. Unemusique assourdissante se déversed’unefenêtreaupremier,etj’aperçoisdesjeunesquiseprélassentsurlapelousededevant.Labaraqueestimmense.Jemedemandemêmesicen’estpasunimmeubleentierjusqu’àceque je sois suf isamment près pour en avoir le cœur net. En entrant dans le hall géant, jereconnaisdesgensdemaclasse.

    —Carlosestlà!hurleunefille.

    Jefeinsdenepasentendrelacascadedecrisperçantsquis’ensuit.

    Enrobenoirecourteetsupermoulante,unecanettedeBudLightàlamain,Madisonse

  • fraieunchemin jusqu’àmoietmeserrecontreelle. J’ai l’impressionqu’ellem’averséde labièredansledos.

    —Tuesvenu!

    —Ouais.

    — Faut qu’on te donne quelque chose à boire. Suis-moi. Je lui emboı̂te le pas dans lacuisinequisemblesortietoutdroitd’unmagazinededéco.Toutl’électroménagerestenacierinoxydable. D’épaisses plaques de granité couvrent les plans de travail. A côté de l’évier,j’aperçoisune énormepoubelle remplie à rasborddeglaced’où émergentdescanettesdebière.Jemepenchepourenprendreune.

    —Kiaraestlà?

    —N’importequoi!ricaneMadison.

    J’aimaréponse,jesuppose.

    Madisonm’attrapelecoudeetm’entraînedansuncouloir,puisenhautd’unescalier.

    —Ilfautabsolumentquejeteprésentequelqu’un.

    Elles’arrêtedevantuneimmensepièceoùjedécouvrecinqmachinesdejeuxd’arcade,unbillardetunAirHockeydetable.

    Unparadispourados.

    Çaempesteladopeenplus.J’ail’impressiond’êtreshootérienqu’enrespirant.

    —Lasalledejeux,m’expliqueMadison.

    Çaélèveladéfinitiondutermeàunniveausansprécédent,jevousdispas.

    Ungringoestvautrédansuncanapéencuirmarroncommes’ilavaitl’intentiondetaperl’incrusteàvie.IlporteunT-shirtblanc,unjeannoir,desbottes.Ilneseprendpaspourdelamerde,çasevoit.J’aviseunjointsurlapetitetabledevantlui.

    —Carlos,jeteprésenteNick,ditMadison.

    Legarsesquisseunhochementdetête.Jel’imite.

    Madisons’assoitàcôtédesoncopain,attrapelejointetlebriquetposéàcôté.Elletireunelonguetaffe.Lavache,elleinhalecommeunchef!

    —Nicktenaitbeaucoupàfairetaconnaissance,medit-elle.

  • Sesyeuxsontinjectésdesang.Jemedemandecombiendejointselleafumésavantquej’arrive.Laceypasselatêteparl’embrasuredelaporte.

    —Madison!J’aibesoindetoi.Viens!

    Madison nous annonce qu’elle revient avant de sortir de la pièce d’une démarcheincertaine.Nicktapotelecanapéàcôtédelui.

    —Pose-toilà.

    Jeletrouveunpeutropàl’aisedanssesbaskets.Monradarestentréenaction.Sonpetitjeun’apasdesecretpourmoi.J’aicroisédescentainesdeNickdansmavie.J’enétaisunmoi-mêmequandjevivaisauMexique!

    —Tudeales?jeluidemande.

    Ilglousse.

    —Situesacheteur,laréponseestoui.(Ilmetendlejoint.)Tuenveux?

    Jebrandismacanettedebière.

    —Toutàl’heure.

    Ilmedévisageenplissantlesyeux.

    —Tuseraispasunmecdesstupsparhasard?

    —J’ail’aird’unmecdesstups?

    Ilhausselesépaules.

    —Onnesaitjamais.Ilenexistedetouteslesformes,detouteslestailles.

    Toutàcoup,jepenseàKiara.Madistractionfavoritecestemps-ci.Jem’efforced’évaluerses réactions quand je la charrie. Elle pince les lèvres chaque fois que je lui sors uncommentaire désobligeant, ou quand je lirte avec une autre ille. J’ai beau lui avoir dit lecontraire,malgré lemerdier dansmon casier, je regrette presquequ’elle ne soit plusmonguide.Ellevamemanquer.

    Jen’aipasencoredécidédelaméthodequejevaisutiliserpourmevenger,maisçavafairemal!

    —Ilparaı̂tqueMadisonveutcoucheravec toi,déclareNickensortantunpetit sacdepilulesdesapocheavantdeleséparpillersurlatable.

    —Ahouais!D’oùtutiensça?

  • —C’estellequimel’adit.Ettusaisquoi?

    —Quoi?

    Ilglisseunpetitcomprimébleudanssaboucheetrejettelatêteenarrièrepourlefairedescendre.

    —Engénéral,elleacequ’elleveut.

  • Kiara

    —Jesuisdaltonien,maugréemonsieurWhittakerdesavoixgrinçanteentrempantsonpinceaudansdelapeinturemarron.C’estbienduvert?Commentvoulez-vousquejepeignequoiquecesoitsurcettefichuetoilesivousn’étiquetezpaslesgobelets?

    On ne s’ennuie jamais pendant les cours d’arts plastiques à lamaison de retraite desHighlands. J’assistais laprof avant,maisdepuisqu’elle adonné sadémission, j’ai repris saclasse.L’établissementfournitlematériel.Jesuischargéedetrouverlessujetspourceuxquiveulentassisteràmoncourslevendredisoiraprèsledîner.

    AlorsquejevoleausecoursdemonsieurWhittaker,unepetitedameauxcheveuxblancscommeneige,prénomméeSylvia,approcheàpetitspas.

    —Iln’estpasdaltonien,croasse-t-elleens’asseyantdevantunchevaletvide.Ilestmiro,c’esttout.

    Pendantqu’agenouilléeprèsdelui,j’inscrislenomdescouleursavecungrosmarqueur,monsieurWhittakertourneversmoisonvisagestriéderides.

    —Elleestfâchéecontremoiparcequej’airefusédedanseravecelleàlapetitefêtedelasemainedernière,mesouffle-t-il.

    —Sijevousenveux,c’estparcequevousêtesvenuàtablesansmettrevotredentierhiersoir.(Elleagitelamainenl’air.)Onnevoyaitquesesgencives.SacréCasanova!marmonne-t-elle,offusquée.

    —Dévergondée!riposte-t-il.

    —Vousdevriezdanseravecellelaprochainefois.Pourqu’ellesesentejeuneànouveau.

    Lesdeuxmainscalleuses,arthritiquesduvieilhommeseposentsurmesépaules.

    —Elleadeuxpiedsgauches,chuchote-t-il.Neluiditespasquejevousaiditça.Sinonellevamelefairepayer.

    —Ilsn’ontpasdecoursdedanseici?

    Jeluiparleàl’oreillepourqu’ilsoitleseulàm’entendre.

    — J’arrive àpeine àmarcher. Jen’ai jamais été FredAstaire.Celadit, si c’était vous leprofesseur de danse au lieu de cette vieille bique de Frieda Fitzgibbons, je m’inscrirais

  • volontiersauxleçons.

    Ilremuesesgrossourcilsblancstouffusetm’administreunepetitetapesur lesfesses.J’agiteundoigtfaussementmenaçantsoussonnez.

    —C’estduharcèlementsexuel.Onnevousl’ajamaisdit?

    — Je suis un vieux cochon,ma jolie.Demon temps, onne parlait pas de harcèlementsexuel.Lesfemmesétaientcontentesqueleshommesleurachètentdessodas,leurtiennentlesportesetleurpincentlesfesses.

    —Jeveuxbienqu’ilsm’ouvrentlesportess’ilsn’attendentpasdefaveursenretour.Enrevanche,lespincementsetlestapessurlesfesses,jem’enpasse.

    Ilmechassed’ungeste.

    —Ahlala!Lesfillesd’aujourd’hui,ellesveulenttout…Lebeurreetl’argentdubeurre.

    —Nel’écoutezpas,Kiara,intervientSylviaenmefaisantsigned’approcher.Cequ’ilvousfaut,c’estungentilgarçon…Ungentleman.

    —Çan’existepas,intervientMildred,savoisine.

    Un gentil garçon, hein ? Je pensais que c’était le cas de Michael. Il n’a même pas étécapabledemelarguercommeungentleman.

    —Jeresteraipeut-êtrecélibatairejusqu’àlafindemesjours.

    Les deux vieilles dames secouent vigoureusement la tête, ébranlant leurs coiffuresclairsemées.

    —Sûrementpas!protestent-ellesàl’unisson.

    —Cen’estpascequevousvoulez,ajouteSylvia.

    —Non?

    —Vraiment pas. (Elle se tourne versmonsieurWhittaker.) Ils ont beau être le diableincarné… on a besoin d’eux. (Elle me fait signe deme pencher plus près.) Moi, ça nemegêneraitpasqu’ilmetapotelesfesses.

    —Vousn’êtespaslaseule,renchéritMildredenreprenantsonpinceau.(Cequisedessinesursa toile ressemble étrangement àunnumasculin.)Et sivousdemandiez àvotregentilcamarade,Tuck,devenirposerpournous?Vousavezditqu’ondessineraitdessujetsvivants.

    —Jepensaisplutôtàunchien.

  • —Non.Trouvez-nousunmodèle.

    —Pasquestionque jedessineuntype, lancemonsieurWhittakerde l’autreboutde lasalle.ÀmoinsqueKiaraaussineposepournous.

    —Jenevousprometsrien,dis-je,m’adressantàl’ensembledelaclasse.

    J’appelleraiTuckdemainpourvoirs’ilestd’accord.Ildirapeut-êtreoui,avecunpeudechance.

  • Carlos

    —Saluuuuut,chantonneMadison.Merevoilà.

    Ellearamenéaumoinsdixpersonnesquis’agglutinentautourdujointetfonttourner.JemedemandecequeKiara fabriquecesoir. Jepariequ’elleesten trainderéviserpoursesexamens d’entrée à l’université, ou un truc du genre, histoire d’être sûre d’accéder à unebonneuniversité. Pendant ce temps-là, je suis à une teufoù ondistribuedesbédosetdespetitespilulesbleues.

    Nickalignesescachetssurunplateau.Çamefaitpenserauplatpu-puqueBrittanynousaapportél’autrejour.

    AumomentoùMadisonmepasselestickavecungrandsourire,j’aienvied’oublierKiara,les examens, la fac, la bonne conduite. Je suis une crapule après tout. Il est temps que jecommenceàmecomportercommetelle.

    Jeprendsunetaffeenaspirantlafuméedoucedansmespoumons.Çadéchire.Jeressensleseffetsavantmêmedepasseràmonvoisin.Quandc’estdenouveaumontour,jetireunelongueboufféeenprenanttoutmontemps.Auboutdelaquatrièmefois,jesuissuf isammentdéfoncépourmefoutredeKiara,desescookies,desreprochescontinuelsd’Alex,dufaitquej’airacontédessaladesàBrittanyenluipromettantdenepasboirenifumercesoir.

    J’aijusteenviedemeconcentrersurlesquestionsessentielles,tellesque…

    —CommentçasefaitquelagrosseBerthaneserasepaslamoustache?

    —C’estpeut-êtreunhommedéguisé,répondNick.

    —Danscecas,pourquoiilsedéguiseenfemmemoche?jedisçatrèssérieusement.

    —Peut-êtrequec’estunhommemocheetqu’iln’apaslechoix.

    —Çaparaîtlogique.

    QuandMadisonprendunenouvelletaffe,sentantmonregardposésurelle,ellemesouritpuisvients’installersurmesgenouxenpassantsalanguesurseslèvres.Aenjugerd’aprèslalongueurdecettelangue,ildoityavoirdesgènesd’iguanedanssagénéalogie.Ellesepencheenavant,seschichissontàquelquescentimètresdemafigure.

    —Nickalameilleureherbe,roucoule-t-elleens’étirantcommeunchatsuruntapis.

  • Letapis,faut-illepréciser,c’estmoi.Elleseretourned’unetorsion,semetcarrémentàcalifourchonsurmoietnouesesbrasautourdemoncou,lesyeuxmi-clos.

    —Jetetrouvesexy.

    —Moiaussi,jetetrouvesexy.

    —Onvabienensemble.

    Ellefaitglissersondoigtlelongdemonmentonetsepencheencoreunpeu.Salangued’iguane jaillit, elle se trémousse contremoi. Puis elle semet àme lécher lementon – cequ’aucune illen’ajamaisfait,jedoisbienl’admettre.D’ailleurs,jen’aipastropenviequeçaseprolonge.

    On commence à s’embrasser devant tout lemonde. J’ai l’impression qu’elle aime bienavoirdesspectateurs.Une illefaituneremarqueàungarçonpourqu’ilarrêtedenousmater.Sans s’en préoccuper, Madison s’incline en arrière et entreprend de remonter son T-shirtcommeunestrip-teaseuseentraindefaireunlapdance.Ilestclairqu’elleaenviequetouslesgarçonslareluquent,etquetouteslesfillessoientjalouses.

    C’estuneexhibitionniste,j’ensuissûr,saufqu’enjetantmicoupd’œilàmagauche,jevoisNickentraindepeloteruneLaceytorsenu.Onfaitunconcoursdetalentssexuelsouquoi?Cen’estpastropmontruc.

    —Allonsdansunendroitplustranquille,jemurmuredanslescheveuxdeMadisonquandellecommenceàmetâteràtraversmonjean.

    Ellefaitlamouemais initquandmêmeparseleveretmetendrelamainentortillantdeshanches.

    —Viens.

    Toutvabeaucouptropvitecesoir.Jepréféreraisdécompresseruncoupd’abord,d’autantplusquel’avertissementdeRamàproposdeMadisonvientdemerevenirl’esprit.Maiselles’agrippeàmamainetmeforceàlaivre.

    —Amusez-vousbientouslesdeux,lanceNick.

    Deuxminutesplustard,onentredansunemégachambreavecunlitgigantesque.

    —C’esttachambre?

    Madisonsecouelatête.

    —C’estcelledemesparents,maisilsnesontpourainsidirejamaisàlamaison.IlssontàPhœnixencemoment.

  • Jeperçoisunenuanced’amertumedanssavoix,etj’enconclusqu’ellesevenged’euxens’ébattantdansleurplumard.

    Est-cequejepeuxluidirequejepréféreraisfaireçaparterreplutôtquedanslelitdesesdarons?

    —Allonsdanslatienne.

    Ellesecoueencorelatête,m’attireverslelit.

    —Qu’est-cequeRamt’aracontéàproposdemoi?

    —J’aiunpeudemal àpenser à ça, là toutdesuite. Jesuisaussidéfoncéque toi, je tesignale.

    —Essaiequandmêmedeterappeler.Ilt’aexpliquépourquoionavaitrompu?Cen’étaitpasentièrementdemafaute,jet’assure.Cen’estpascommesijesavaiscequ’ilsavait.J’étaisconscientedecequejefaisais,tucomprends.Mêmesijesavais,çaneveutpasdirequ’ilétaitaucourant.Samèren’auraitjamaispudécouvrirlavéritéettousnousfairearrêter.

    J’aimalàlatêterienqu’àl’écouterdébitersonlaïus.

    —Jecomprends!

    Jen’aipaspigéuntraı̂tremotdecequ’ellem’araconté,mais jemedisqu’uneréponsetoutesimpledevraitfairel’affaire.L’espoirfaitvivre.

    —Vraiment?s’exclame-t-elle,toutsourire.

    Hein?Dequoiest-cequejeparle?Etelle?Paslamoindreidée!

    Ellemeserredanssesbras,pressantseschichiscontremontorse.J’espèrequ’ilsnevontpaséclater!

    Cettevisionme ile les jetons.Ducoup, jemeremetsdistraitement àpenser àKiara, àquoielledoitressemblersoussesT-shirtsgéants.L’espaced’uneseconde,jemedisquececorpsinconnuestplussexyquecequeMadisonnousexhibetouslesjourssouslenez.

    Jefermehermétiquementlesyeux.Qu’est-cequimeprend?Kiaran’ariendesexy.Ellemefrustreetmetienttête,pirequemaproprefamille.

    —Jet’airacontécequeKiaraafaitàmoncasier?

    Madisonmefaitsignedelarejoindresurlelit.

    —J’enairienàfoutredeKiara.Cessedepenseràuneautrefillequandtuesavecmoi.

  • Elle a raison. Il faut que j’arrête deparler deKiara. J’aimeque les chosesme tombenttoutescuitesdanslebec,etKiaranefaitpaspartiedecesbienfaitsdel’existence.Madison,elle,si.

    Enmoinsdetempsqu’ilnefautpourledire,oncommenceàs’éclateraulit.Madisonestassiseàcalifourchonsurmoi,lescheveuxdansla igure.J’ail’impressionqu’onenadanslabouchequandons’embrasse,maisçan’apasl’airdelagêner.

    —Tuveuxqu’onlefasse?balbutie-t-elleencambrantlesreins.

    Evidemment.Maisj’aialorslemalheurdejeteruncoupd’œilverslatabledenuitd’oùsesparents nous sourient sur une photo encadrée, et toute mon envie retombe. Je réalisebrusquementqueMadisonn’enarienàfairedemoi.Cequ’elleveut,c’ests’envoyerenl’airdanslelitdesesparentsavecungarsdéfoncé,auxantipodesdecedontilsrêventpourelle.

    Celadit,entresedirequejesuisunsalemecetsecomportercommetel,ilyadelamarge.

    —Fautquej’yaille,jebafouille.

    —Attends…Ohnon!J’mesenspasbien.Jecroisquejevaisêtremalade.

    Elleselèved’unbondetfonceauxtoilettesoùelles’enfermeàdoubletour.Unesecondeplustard,desbruitsdevomissementsparviennentàmesoreilles.

    Jefrappeàlaporte.

    —Tuasbesoind’aide?

    —Non.

    —Ouvre-moi,Madison.

    —Non.VachercherLacey,st’plaît.

    Sameilleurecopineetplusieursautres illesmontentprécipitammentluiportersecours.Depuis le seuil de la salle de bains, je les regarde la traiter comme si elle était gravementmalade,etnonpasentrainderendresestripesparcequ’elleatropbuettropfumé.

    Auboutdevingtminutesaucoursdesquellesonm’ignoreroyalement, rassurédevoirqu’ondispenseàMadisontouteslesattentionsdontelleabesoin,jedécidequej’enaiassezdecettefête.

    Unefoisdehors,jesorsletrousseaudeclésdeBrittanyornéd’uncœurrose.Jemetslecontact,j’enclenchelapremière,maisquandjelèvelesyeux,laligneblanchesurlarouteesttoute loue. Jesuis incapabledeconduire.Tropdéfoncé, tropbourré.Unmélangedesdeuxsansdoute.

  • Etmerde!Jen’aiquedeuxsolutions:retournerchezMadisonetmetrouverunendroitpourpioncer;oudormirdanslavoiture.

    Pasbesoinderéfléchirlongtemps.

    Jetiresur lamanettepourincliner lesiègeet fermelesyeuxenmedisantquedemainj’arriveraipeut-êtreàcomprendrecequis’estpassécesoir.

    Lalumièreesttropvive.C’estinsoutenable.Lesoleildumatinmetombeenpleinsurlafigure.JesuisdanslavoituredeBrittany.Capotebaissée.Fautquejerentre.

    EnarrivantchezAlex,jeletrouveassisàtable,unetassedecaféentrelesmains.QuandjejettelesclésdeBrittanysurlatable,ilvientàmarencontre.

    —Tum’asditquetuseraisderetourdansquelquesheureshiersoir.Tuesconscientqu’ilestneufheures?Delamañana.

    Jemefrottelesyeuxengémissant.

    —S’ilteplaît,Alex.Tupourraispasattendreaumoinsmidipourmecrierdessus?

    —Jevaiste icherlapaix,t’inquiète.Maislaisse-moitedirequec’estladernièrefoisqueBrittanyteprêtesavoiture.

    —Pasdesouci.

    Du coin de l’œil, j’aperçois lematelas encore gon lé. Jem’y laisse tomber comme unemasse.Alextirel’oreillerdedessousmatête.

    —Tuneseraispasdéfoncé,parhasard?

    —Plusdutout,malheureusement,dis-jeenrécupérantl’oreiller.

    Jel’entendssoupirerens’asseyantsursonlit.Ildevraitenroulerun,poursedétendre.

    —Qu’est-cequetuveuxencore?jemarmonnecontremonoreiller,sentantsesyeuxmetranspercerlecrânecommedeuxlasers.

    —Çat’arrivedetesoucierd’autrechosequed