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A n t o i n e M I N J O U L A T -‐ R E Y
Le Slack budgétaire
Comment concilier réalisme économique et motivation managériale au cours du processus budgétaire afin de réduire le slack budgétaire induit par le management ? Cas appliqué à la filiale allemande d’Yves Rocher
Y v e s R o c h e r G m b H S e r v i c e C o n t r ô l e G e s t i o n
1 0 A l b s t a d t w e g D -‐ 7 5 0 6 5 7 S t u t t g a r t A l l e m a g n e
DSCG UE7 « Relations professionnelles » -‐ Date de soutenance : Novembre 2011
Pour des raisons de confidentialité, la partie « Revue de littérature » seule est publiée sur internet.
2
Résumé
Le budget est devenu un élément de gestion central pour les entreprises : il permet d’allouer les
ressources, d’évaluer les performances, et représente un élément fondamental de motivation des
employés. Il est cependant critiqué en raison des comportements qu’il génère, tel le slack
budgétaire, qui provoquent des dysfonctionnements dans l’entreprise. Le slack budgétaire est le
fait de biaiser les estimations budgétaires pour rendre les budgets plus facilement atteignables.
Une analyse de la littérature nous a permis de caractériser le slack et ses déterminants
(participation budgétaire, pression budgétaire, allocation des ressources etc.) et d’énoncer des
hypothèses visant à le diminuer. Nous avons ensuite testé et validé ces hypothèses dans le cadre de
l’entreprise Yves Rocher en nous appuyant sur les résultats d’une enquête réalisée auprès de
contrôleurs de gestion et de responsables commerciaux.
Mots clés : budget, slack budgétaire, comportements
3
Sommaire RESUME 2 SOMMAIRE 3 LE SLACK BUDGETAIRE 4 INTRODUCTION 4 PARTIE I : REVUE DE LA LITTERATURE ET HYPOTHESES DE RECHERCHE 6 I. Le slack budgétaire : une source de dysfonctionnements au sein de l’organisation 6 1. Définition du slack budgétaire 6 2. Objectifs poursuivis par les managers 7 3. Construction effective du slack 9 4. Conséquences du slack budgétaire pour l’entreprise 10 II. Le slack budgétaire : un phénomène pouvant être maîtrisé 11 1. L’allocation des ressources de l’entreprise 11 2. Les buts poursuivis lors de la mise en place du budget 12 3. La participation des managers dans le processus budgétaire 14 4. La pression budgétaire (Budget emphasis) 17 5. Les autres facteurs influençant le slack 19 a. Système de rémunération basé sur la véracité des informations délivrées (« Truth inducing compensation schemes ») 19 b. La réputation des managers et la création de slack 19 c. Les valeurs personnelles et la création de slack 20 III. Hypothèses de recherche 20 1. Énoncé des hypothèses 20 a. H1 : Des méthodes pertinentes d’attribution des ressources (humaines, financières et matérielles) lors de la phase budgétaire tendent à restreindre la propension des managers à créer un slack 20 b. H2 : Des solutions fonctionnelles et suffisantes peuvent être mises en place en pratique pour lutter contre la création de slack : exemples du contre-‐slack et de la création de deux budgets au sein de la société Yves Rocher 20 c. H3 : Il existe une relation inversement proportionnelle entre la participation des managers dans le processus budgétaire et la création de slack 20 d. H4 : Il existe une relation proportionnelle entre le montant de slack et la pression budgétaire perçue par les managers 21 CONCLUSION 22 BIBLIOGRAPHIE 23
4
Le Slack budgétaire
Introduction On peut définir le budget comme un ensemble cohérent d’hypothèses et de données chiffrées
prévisionnelles, fixées avant le début de l’exercice comptable, et décrivant l’ensemble de l’activité
(Selmer, 2009). Il est devenu aujourd’hui un véritable outil de gestion des entreprises : il permet
d’allouer les ressources (humaines, matérielles et financières) mais est aussi utilisé plus largement
comme un instrument de motivation, de communication, de coordination, et d’évaluation des
performances, individuelles ou de l’organisation (Anthony, 1988). De plus, le budget est un élément
utilisé par les différents créanciers (actionnaires, banques, créanciers) afin de prendre position sur la
situation financière de l’entreprise, et permettre une vérification de la stratégie suivie par l’entreprise.
(Sponem et Lambert, 2010).
Sponem et Lambert (2010) proposent un découpage du processus budgétaire en trois phases
séquentielles : (i) la phase de finalisation qui se situe en amont du processus budgétaire et qui est
composée des trois dimensions clés caractérisant les pratiques budgétaires (niveau de participation, lien
avec les plans d’action et niveau de difficulté d’atteinte des objectifs) ; (ii) la phase de pilotage qui se
situe au cours du processus budgétaire et qui est constituée du suivi des écarts, du niveau de révisions
budgétaires et de l’existence ou non de reprévisions budgétaires ; et enfin, (iii) la phase de
postévaluation qui concerne l’évaluation des performances et prend place à la fin du processus
budgétaire.
Le budget est cependant fortement critiqué dès 1952 par Argyris qui souligne que les budgets ne
permettent pas de comprendre la performance dans sa globalité (seulement passée), qu’ils sont rigides
et souvent éloignés des réalités opérationnelles. Ils sont par ailleurs source de tension, producteurs de
stress, détruisent la coopération, et induisent un risque inhérent de slack. Le slack budgétaire est le fait
de biaiser les estimations budgétaires pour rendre les budgets plus facilement atteignables (Onsi, 1973),
et résulte d’actions de managers qui cherchent à tirer profit de la complexité du processus budgétaire
afin d’atteindre leurs objectifs au détriment des résultats globaux de l’entreprise. Ce phénomène qui
peut entrainer des dysfonctionnements au sein du processus budgétaire est fréquent : Onsi a ainsi
constaté après avoir enquêté dans cinq grandes entreprises que 80% des managers interrogés ont admis
avoir tenté d’introduire un slack budgétaire dans leurs prévisions. De même, Schiff et Lewin (1968)
5
rapportent que le slack pourrait compter pour près de 20-‐25% des dépenses opérationnelles d’un
budget, résultats obtenus auprès de différentes entreprises du Fortune 500 Firms1.
Un grand nombre d’études a été mené afin d’identifier les différentes variables menant à ce type
de comportement. Nous chercherons dans ce mémoire à identifier des solutions pratiques qui peuvent
être mises en place de manière efficace au sein de l’entreprise Yves Rocher afin de lutter contre la
création de slack budgétaire, tout en conservant le réalisme économique d’une part et la motivation des
managers d’autre part.
Ce mémoire est composé de deux parties. La première partie est une revue de littérature qui a pour
but de déterminer les caractéristiques du slack budgétaire et les différentes possibilités permettant de
lutter contre son induction. Nous en déduirons nos quatre hypothèses de recherche qui cherchent à
répondre à notre problématique : « Comment concilier réalisme économique et motivation managériale
au cours du processus budgétaire afin de réduire le slack budgétaire induit par le management ? ».
Dans une deuxième partie nous analyserons les questionnaires adressés à huit contrôleurs de
gestion et à deux directeurs commerciaux afin de valider nos hypothèses. Enfin, sur la base de ces
résultats, nous énoncerons une liste de recommandations visant à diminuer le slack budgétaire au sein
de l’entreprise Yves Rocher.
1 Fortune 500 Firms: classement des 500 plus grandes entreprises américaines réalisé par le magazine „Fortune“
6
Partie I : Revue de la littérature et hypothèses de recherche
I. Le slack budgétaire : une source de dysfonctionnements au sein de l’organisation
1. Définition du slack budgétaire
Le terme de slack budgétaire a fait sa première apparition dans la littérature en 1952 dans une
publication du chercheur américain Argyris lorsqu’il a démontré que le budget pouvait être source de
tensions et de dysfonctionnements au sein d’une entreprise. L’importance de ce phénomène a
rapidement été assimilée par les chercheurs américains comme le montre la taille importante de la
littérature concernant ce sujet.
De manière générale, un slack organisationnel peut être défini comme « la différence entre le
montant des ressources disponibles et le montant nécessaire pour maintenir le fonctionnement de
l’organisation. » (Cyert et March, 1964). Le slack organisationnel est composé de deux facteurs (Onsi,
1973) : (i) la répartition externe des ressources supplémentaires, tel que le versement potentiel de
dividendes supplémentaires aux actionnaires ; (ii) la répartition interne des ressources entre les
différents membres de l’organisation. Nous nous intéresserons seulement au facteur (ii), plus
communément appelé « slack budgétaire », et indifféremment nommé slack par la suite.
Le slack budgétaire est ainsi défini par Lukka (1988) comme une différence délibérément créée
entre les résultats réellement attendus (c’est à dire ce qui aurait représenté un estimé honnête
budgétaire de la part des managers) et les estimations délivrées (soit la proposition budgétaire
effectivement faite par ces derniers). Il faut bien distinguer le slack des simples erreurs de prévisions : le
slack est un phénomène volontaire et créé au cours du processus budgétaire, contrairement aux erreurs
de prévisions qui ne sont pas faites délibérément et qui ont lieu en cours d’année N. Il est possible de
créer un slack pour sous-‐estimer les objectifs des managers pour l’année N+1, ou au contraire pour les
surestimer.
Le slack budgétaire traduit donc l’incapacité de l’entreprise à allouer de manière efficiente ses
ressources financières, humaines, et matérielles (Onsi, 1973). Ainsi, Schoute and Wiersma (2011)
définissent le slack budgétaire comme étant la différence entre le montant des ressources financières
ou autres effectivement contrôlées par les managers et le montant optimal nécessaire pour atteindre
leurs objectifs.
Le slack est utilisé par les managers afin de satisfaire leurs besoins personnels (rémunération plus
élevée, évolution du statut professionnel, égo…) au détriment de l’intérêt général de l’entreprise.
7
L’importance du slack créé dépend de la capacité de la firme à générer du profit, de son niveau
d’activité, de l’instrumentalisation du budget, de la participation budgétaire, de la pression budgétaire
et de facteurs comportementaux (Lukka, 1988). La conséquence principale du slack budgétaire est de
diminuer les gains de la firme puisque la répartition des ressources est biaisée et donc non optimale.
2. Objectifs poursuivis par les managers
Lukka (1988) a développé un modèle théorique visant à expliquer les raisons pour lesquelles les
managers ont tendance à créer du slack budgétaire en se basant notamment sur les théories des
organisations et des recherches menées sur les comportements humains (voir ci-‐dessous).
Figure 1 : Schéma adapté du modèle de Lukka (1988) dans « Budgetary Biaising in Organizations »
p.291
Il fait également un lien avec la théorie des besoins de Maslow en soulignant que les individus
cherchent à améliorer leur situation personnelle à travers la création de slack budgétaire. Maslow
définit une hiérarchisation des besoins humains afin de définir les différents leviers de la motivation. Le
principe réside dans le fait qu’un besoin supérieur ne peut apparaître que quand les besoins inférieurs
sont comblés.
8
Ces besoins sont ensuite organisés sous forme pyramidale comme décrit ci-‐dessous :
Figure 2 : Schéma adapté du modèle de Maslow (1943) dans « A Theory of Human Motivation »
Lukka souligne que le manager cherche à assouvir son besoin de sécurité, lorsqu’il va biaiser son
évaluation afin de ne pas encourir le risque d’une sanction, voire d’un licenciement en n’atteignant pas
ses objectifs. De plus, le versement de primes est souvent lié à l’atteinte des cibles budgétaires, assurant
sa rémunération, et donc son besoin de sécurité.
L’individu aura tendance par ailleurs à détourner des ressources financières, humaines ou
matérielles lorsqu’il s’agira de combler son besoin d’estime : avoir le contrôle de ressources importantes
est généralement perçu en entreprise comme un signe de prestige, de reconnaissance et de pouvoir (et
donc d’estime) (Lukka, 1988).
Par ailleurs, les managers se sentent parfois contraints d’avoir recours au slack afin de lutter contre
la pression budgétaire (facteurs organisationnels). La pression budgétaire est une notion complexe et
peut avoir de nombreuses significations. Dans notre étude, nous nous baserons sur la définition de
Harrison (1993) selon laquelle la pression budgétaire représente « l’accent mis par les supérieurs sur les
critères de performance quantifiés en termes comptables et financiers en tant qu’objectifs budgétaires ».
Lorsque la pression budgétaire devient trop importante, les managers se défendent en créant du slack
afin de rendre les budgets plus facilement atteignables et donc plus supportables. Attention cependant,
cette relation n’est pas vérifiée par toutes les études comme l’indiquent Merchant (1985) et Dunk
(1993). Ils démontrent au contraire qu’une forte pression budgétaire est corrélée à un faible niveau de
slack. Nous pouvons tout de même avancer que l’importance de la pression budgétaire est une variable
essentielle pour comprendre la formation de slack budgétaire.
9
Enfin, la création de slack peut provenir du besoin des managers de se protéger contre les
incertitudes liées à l’environnement (Onsi, 1973). Ainsi, le montant de slack constitué dépend du cycle
économique : en période de croissance, nous constatons une augmentation du slack, alors qu’en
période de crise, les managers utilisent le slack précédemment créé pour amoindrir les pertes (Cyert et
March, 1963).
3. Construction effective du slack
Le slack se constitue au moment de la détermination des objectifs des managers. Deux facteurs
indispensables à la création de slack peuvent être identifiés : participation budgétaire d’une part et
asymétrie d’informations d’autre part (Young, 1985 ; Dunk et Perera, 1997).
La participation budgétaire représente la possibilité qu’ont les managers de participer à la
préparation de leurs budgets et d’avoir une influence sur leurs objectifs budgétaires (Kenis, 1979). Si la
participation budgétaire peut-‐être considérée comme une condition nécessaire, mais non suffisante, à
la création de slack, les recherches menées ne concordent pas sur son impact: certains auteurs
démontrent qu’une participation croissante a comme influence une diminution du slack (Argyris, 1952 ;
Merchant, 1985 ; Onsi, 1973) tandis que d’autres résultats pointent dans la direction inverse (Schiff et
Lewin, 1968 ; Lukka, 1988 ; Antle et Eppen, 1985 ; Young, 1985). Nous reviendrons en détail sur ces
considérations au point 2.3 La participation des managers dans le processus budgétaire.
Le second élément essentiel à la création de slack est l’asymétrie d’information (Dunk et Perera,
1997). En effet, c’est l’information privée -‐ c'est-‐à-‐dire non révélée à la hiérarchie (Young, 1985) -‐ qui
permet aux managers de créer du slack lors des discussions.
Dunk et Perera ont résumé la provenance de slack budgétaire comme suit:
Figure 3 : schéma adapté du modèle interactif de Dunk et Perera (1997) dans « The incidence of
budgetary slack : a field study exploration » p.660
10
En pratique les managers ont à leur disposition différentes possibilités pour biaiser le budget (Onsi,
1973 ; Lukka, 1988 ; Merchant, 1985):
Sous-‐estimer les capacités de production ;
Surévaluer les risques environnementaux (nouvelles lois, nouveaux concurrents, nouveaux
produits de substitution, etc.) ;
Surestimer les coûts variables de production (nouveaux contrats avec les fournisseurs, achat de
nouvelles machines-‐outils, maintenance, etc.) ;
Surestimer les coûts publicitaires ;
Surestimer les coûts fixes (frais annexes, amortissements, estimations des salaires, estimation
des heures supplémentaires, etc.) ;
Annoncer la création de projets « spéciaux » (par exemple amélioration globale des
« processus »).
Au final, les possibilités sont multiples mais ont toutes en commun de dépendre des jugements des
managers, et sont donc difficilement mesurables par le reste de l’organisation (Schiff et Lewin, 1968).
4. Conséquences du slack budgétaire pour l’entreprise
Le slack a de nombreuses conséquences sur la gestion de l’entreprise, certaines sont évidentes
tandis que d’autres sont plus subtiles à déterminer.
La principale conséquence du slack budgétaire est de diminuer les gains de la firme au travers une
répartition des ressources biaisée et donc non optimale (Lukka, 1988). En d’autres termes le slack est
responsable d’inefficiences dans la répartition des ressources et donc de gaspillage au sein de
l’entreprise, effets pouvant être démontrés par les coûts d’opportunité2.
L’environnement extérieur de l’entreprise n’a jamais été aussi mouvant et incertain qu’aujourd’hui.
Afin de s’adapter à ces incertitudes, les managers cherchent à se protéger en créant un slack (Lukka,
1988). Ce n’est pas un comportement dangereux en soi car l’entreprise a également besoin d’une marge
de manœuvre pour ne pas décevoir ses créanciers; mais si chaque agent crée son propre slack, la
somme des slack créée est beaucoup trop importante, et il devient difficile de suivre les évolutions de
l’entreprise. Hors, c’est justement dans un environnement incertain que les dirigeants ont besoin d’avoir
un suivi des performances clair et précis afin de prendre les mesures correctives au plus vite. Toutefois,
si le montant de slack induit par le manager est trop important, il entraine alors un dysfonctionnement
au niveau de l’individu même : étant conscient d’avoir des objectifs facilement atteignables, il cherchera
à diminuer ses efforts (Walker et Johnson, 1999) diminuant l’efficacité de l’organisation dans son
ensemble.
2 Coûts d’opportunité : coûts supportés sans qu'ils impliquent nécessairement un débours en trésorerie et qui correspondent à une perte
d'opportunité (Vernimmen.net).
11
Mais Davila et Wouters (2004) ont aussi démontré que le slack ne peut pas être considéré
seulement comme un phénomène responsable de dysfonctionnements au sein de l’entreprise. Il permet
en effet :
D’absorber les incertitudes de l’environnement (Davila et Wouters, 2004 ; Schoute et Wiersma,
2011). Nous pouvons notamment citer l’exemple d’un budget consolidé : si chaque entité présente un
budget trop serré (au plus proche de la réalité), le budget consolidé final n’aura que très peu de
chances d’être réalisé. Chaque variation de l’environnement interne ou externe aura alors pour
conséquence immédiate la création d’un écart avec les estimations initiales ;
D’offrir aux managers des unités organisationnelles la possibilité d’être créatif et d’apporter de
nouvelles innovations dans l’entreprise. La présence de réserves (slack) au sein du budget favorise la
prise de risques, nécessaire au développement d’innovations. De cette façon, la stratégie à long terme
est privilégiée en opposition à une stratégie à court terme où seul l’atteinte du budget est récompensée
(Davila et Wouters, 2004 ; Schoute et Wiersma, 2011) ;
De diminuer la pression budgétaire subie par les managers en rendant les objectif budgétaires
plus facilement atteignables (Davila et Wouters, 2004).
II. Le slack budgétaire : un phénomène pouvant être maîtrisé
La propension des managers à créer du slack, et donc les possibilités de maitriser ce phénomène,
varient avec la définition et la manière dont le système budgétaire est conduit, même si la création de
slack ne semble pas dépendre uniquement des déterminants du processus budgétaire (Merchant,
1985).
1. L’allocation des ressources de l’entreprise
Les ressources attribuées aux managers peuvent être de trois types : financières, humaines et
matérielles (Anthony et Govindarajan, 2001). Les ressources sont par nature limitées au sein d’une firme
et leur répartition est donc primordiale. A la poursuite d’une profitabilité toujours plus grande, les
entreprises cherchent à améliorer leur rentabilité via l’augmentation du chiffre d’affaires et,
simultanément, une compression des coûts. Le budget est un composant essentiel dans le processus
d’allocation des ressources (Schoute et Wiersma, 2011) en aidant la direction générale à déterminer les
branches d’activités de l’entreprise les plus rentables ou possédant le potentiel de développement le
plus important afin de répartir les frais fixes, d’accorder les demandes d’investissement et d’harmoniser
le développement.
Or, comme nous l’avons cité précédemment, les individus tentent d’obtenir dans leur travail une
forme de reconnaissance (Théorie des besoins, Maslow) qui se manifeste souvent par le besoin de
12
contrôler des ressources rares. Tandis que l’individu cherchera à maximiser son intérêt personnel,
l’entreprise tentera de déterminer au mieux la quantité de ses ressources, leurs qualités, puis de les
répartir en fonction de critères de rentabilité. Les ressources sont au croisement des intérêts des deux
parties et font donc l’objet d’une attention particulière pour la compréhension du slack.
Le manager cherchant à capter une part plus importante des ressources aura tendance à
surestimer sa capacité de production car l’entreprise peut être considérée comme un individu
rationnel : elle allouera ses ressources les plus importantes au manager le plus méritant, c’est à dire à
celui qui a le budget le plus prometteur. Cette attente du manager est donc à même de contrebalancer
sa tendance à créer un slack qui aurait visé à diminuer ses objectifs budgétaires afin d’en sécuriser
l’atteinte.
2. Les buts poursuivis lors de la mise en place du budget
Comme démontré par Berland (N. Berland, 1999), l’utilité du budget a évolué au cours du temps
jusqu’à servir aujourd’hui quatre objectifs principaux : la planification opérationnelle ; la coordination et
l’allocation des ressources ; l’évaluation des performances et l’attribution des primes ; la planification
stratégique (Hansen et Van der Stede 2004) :
Etudes Les différents rôles attribués au contrôle budgétaire
R. Baudet, 1941 La prévision et l’établissement du programme d’activité
L’observation continue des évènements capables de modifier les prévisions
La recherche des causes d’écarts et la fixation des responsabilités
La coordination entre les différents services
Le contrôle comptable des coûts de revient standards
G. Hofstede, 1967 L’autorisation de dépenses
La planification
La prévision
La mesure des résultats
A. Hopwood,
1974
La coordination
La délégation d’autorité
La planification
Ma motivation
D.T. Otley, 1977 Les budgets sont des objectifs, ils servent d’instruments de motivation
Les budgets sont des prévisions
Ils sont un moyen de communiquer
Les budgets sont des standards pour évaluer la performance
Ils sont un moyen d’augmenter la satisfaction au travail grâce à la
participation
L. Samuelson,
1986
Planification
Coordination
13
Contrôle des résultats
Détermination des objectifs financiers
Comparaison des performances
Motivation financière
Aide à la décision
Développement de la pensée avec une logique financière
Rituel
Habitude
H. Bouquin, 1997 Instrument de coordination et de communication
Outil essentiel de gestion prévisionnelle
Outil de délégation et de motivation
Hansen et Van
der Stede, 2004
Planification opérationnelle
Coordination et allocation des ressources
Evaluation des performances et attribution des primes
Planification stratégique
Schoute et
Wiersma, 2011
Planification et communication
Coordination et allocation
Evaluation des performance et système de récompenses salariales
Tableau 1 : tableau adapté de N.Berland (1999) dans « A quoi sert le contrôle budgétaire ? Les rôles du
budget », p.3
Hansen et Van der Stede ont défini ces facteurs à partir d’une approche empirique en interrogeant
57 managers d’unités organisationnelles. Le cadre de notre étude se basant sur une étude de
l’entreprise dans son ensemble, et non sur les unités organisationnelles, nous privilégierons les trois
usages du budget tels que définis par Schoute et Wiersma (2011) :
Planification et communication : fait référence à l’utilisation ex-‐ante du budget comme lien avec
le plan stratégique de l’entreprise. Le budget doit permettre de décliner les objectifs stratégiques à long
terme en plusieurs objectifs atteignables à court terme. Plus le lien entre stratégie et budget sera
important, plus les employés se sentiront impliqués dans la vision à long terme de l’entreprise et
considéreront que le plan est adressé à l’ensemble des employés, et non aux cadres dirigeants
exclusivement.
Coordination et allocation : fait référence à l’instrumentalisation du budget pour allouer les
ressources nécessaires entre les différentes unités organisationnelles, pour coordonner les activités et
autoriser le déblocage des fonds nécessaires au développement des entités.
Définition d’un standard d’évaluation et de l’attribution des récompenses : fait référence à
l’utilisation ex-‐post du budget pour contrôler si les objectifs ont été atteints et pour récompenser les
employés pour leurs éventuels accomplissements au cours de l’année budgétaire.
14
D’après une enquête menée sur 44 entreprises hollandaises par Schoute et Wiersma (2011), plus
les entreprises accordent de l’importance à la création de leur budget, plus le contrôle budgétaire
devient important, et moins les managers ont la possibilité de créer du slack. Les auteurs ont cherché à
déterminer laquelle des trois utilisations du budget définies précédemment est la plus fortement
corrélée à la création de slack. Il en ressort que seule l’intensification de la planification et de la
communication semble avoir un impact significatif sur le montant de slack induit.
Une définition claire des cibles budgétaires via une communication adaptée pourrait donc être une
piste de recherche pour la maitrise du slack: plus les objectifs seront clairement définis, moins les
managers auront tendance à vouloir créer du slack (Yuen, 2004). Cela s’explique par une diminution de
la confusion des managers, des tensions, et des mécontentements potentiellement générés au cours du
processus budgétaire.
Toutefois d’autres travaux contredisent les résultats de l’étude de Schoute et Wiersma et
montrent l’existence d’une corrélation positive entre le recours au budget comme inducteur de
récompenses, et la création de slack au cours du processus budgétaire (Leavins, Omer, Viltius ; 1995).
Lukka (1988), quant à lui, préfère insister sur le fait que le système de récompenses lié au budget
n’est que l’une des diverses raisons qui poussent les managers à induire du slack. Ces conclusions sont
d’ailleurs confirmées par des recherches plus récentes menées en 1999 par Walker et Johnson qui
montrent que l’introduction d’un système de récompenses salariales basé sur les objectifs budgétaires
en entreprise n’a qu’un impact modéré sur le slack induit par les managers. La maitrise du slack se doit
donc d’être multifactorielle
3. La participation des managers dans le processus budgétaire
Historiquement la notion de participation budgétaire a fait son apparition en 1952 lorsque Argyris
la présente comme le remède aux effets pervers du budget.
La participation budgétaire peut se définir comme étant le niveau d’implication et d’influence d’un
manager au cours de la construction de son budget (Shields et Shields, 1998). Les sciences de gestion
différencient deux grands types d’approches budgétaires que sont le budget « bottom up » et le budget
« top down ». Une approche budgétaire de type « bottom up » permet une réelle participation
budgétaire grâce à des échanges interhiérarchiques plus nombreux. La participation budgétaire est
notamment source de trois retombées positives pouvant lutter contre la création de slack:
Tout d’abord elle est un élément important de motivation des managers : il existe une relation
positive entre la participation (perçue) et la motivation des managers pour atteindre leur budget
(Searfoss et Monczka, 1973). Le manager, ayant participé à la construction de son budget, est d’une part
15
en accord avec les objectifs définis, d’autre part conscient d’avoir à les réaliser, et enfin mois enclin à
créer du slack. Il cherchera donc à atteindre ses cibles budgétaires pour démontrer ses compétences en
tant que manager, et ainsi obtenir une éventuelle récompense monétaire ou organisationnelle. Malgré
l’absence de démonstration univoque, la majorité des travaux témoigne ainsi d’une relation positive
entre participation budgétaire et performance (par exemple : Kenis, 1979 ; Brownell & McInnes, 1986).
De plus, une hausse de la participation sera à même de prévenir les effets négatifs de
l’asymétrie de l’information et donc de réduire l’incertitude liée à l’environnement interne et externe
(Hobson, Mellon, Stevens, 2011).
Enfin, elle permettra une atténuation de la pression budgétaire perçue par les managers,
même si ces derniers ne parviennent pas à influencer les cibles budgétaires (Besson, Löning, Mendoza,
2004).
Rappelons cependant que la participation budgétaire donne la possibilité aux managers de créer
potentiellement un slack (Antle et Eppen, 1985 ; Young, 1985 ; Lewin, 1968).
Ces différents résultats suggèrent donc que la relation entre participation et création de slack est
complexe car si la participation est une condition nécessaire à la création de slack elle en est aussi un
élément de maitrise, en influençant d’autres facteurs tels que la pression budgétaire, les besoins de
reconnaissance sociale des individus, l’asymétrie d’information ou encore la manière d’évaluer les
performances.
Cette apparente contradiction peut en grande partie s’expliquer à travers les niveaux d’asymétrie
d’information et de pression budgétaire présents dans l’entreprise. Dunk (1993) énonce qu’en présence
d’une forte asymétrie d’information et d’une forte pression budgétaire, l’augmentation de la
participation aura tendance à augmenter le montant de slack induit alors qu’en présence d’une forte
asymétrie d’information et d’une faible pression budgétaire, la participation aura tendance à diminuer
le slack induit :
Figure 4: Schéma adapté du modèle de Dunk (1993) « Three-‐Way Interaction » dans « The Effect of
Budget Emphasis and Information Asymmetry on the relation between Budgetary Participation and
Slack » p.407
16
Figure 5 : Schéma adapté du modèle de Dunk (1993) « Three-‐Way Interaction » dans « The Effect of
Budget Emphasis and Information Asymmetry on the relation between Budgetary Participation and
Slack » p.407
Ces résultats sont confirmés dans une étude plus récente menée par Kren et Maiga (2007) où
l’introduction de la variable « asymétrie d’informations » fait apparaître une relation inversement
proportionnelle entre participation budgétaire et slack budgétaire.
Figure 6 : Relations entre participation budgétaire, asymétrie d’information et slack budgétaire
Les résultats montrent en premier lieu que la relation directe (1) entre « participation budgétaire »
et « slack budgétaire » est faiblement proportionnelle. Cela est du au fait que la participation budgétaire
permet la création de slack (voir ci-‐dessus). En second lieu, les résultats indiquent que la relation
indirecte (2) entre les variables « participation budgétaire » et « slack budgétaire » via « asymétrie
d’information » est inversement proportionnelle. Cela est due à la fonction communicationnelle de la
participation : les échanges entre managers et leurs supérieurs permettent d’augmenter les
informations portées à la connaissance de la direction qui peut ainsi mieux allouer les ressources de
l’entreprise, diminuant le slack budgétaire global de l’entreprise. Il apparait que l’amplitude de la
17
relation indirecte (2) est plus forte que la relation directe (1): une hausse de la participation budgétaire
entraine une baisse du slack budgétaire, ce qui correspond bien aux recherches menées par Argyris,
1952 ; Merchant, 1985 ; Onsi (1973).
4. La pression budgétaire (Budget emphasis)
Le concept de pression budgétaire désigne les situations où les managers se voient soumis à une
forte pression pour atteindre leurs objectifs budgétaires. Rappelons ici la définition Harrison (1993) : la
pression budgétaire est « l’accent mis par les supérieurs sur les critères de performance quantifiés en
termes comptables et financiers en tant qu’objectifs budgétaires ».
Les travaux de Hopwood (1972), pionniers dans ce domaine, distinguent trois grands systèmes
d’évaluation qui se définissent à partir de l’importance et de la façon dont sont utilisées les informations
budgétaires:
L’évaluation du manager est basée sur sa capacité à atteindre les objectifs budgétaires,
exprimés quantitativement, à court terme (« Budget Constrained Style);
L’évaluation du manager est basée sur sa capacité à augmenter la profitabilité de la firme dans
son ensemble à long terme (« Profit Conscious Style ») ;
Les données quantitatives financières ne jouent pas de rôle important dans le système
d’évaluation (« Nonaccounting Style »)
Par la suite, de nombreuses recherches américaines ont cherché à préciser les déterminants et les
conséquences de la pression budgétaire (Kenis, 1979 ; Brownell, 1982 ; Hirst, 1983 ; Otley, 1987 ;
Harrison, 1992 ; Dunk, 1989, 1993 ; Young, 1993 ; Shields, 1998). En 1982, les recherches menées par
Brownell permettent de simplifier le système d’Hopwood en ne distinguant plus que deux grands types
d’évaluation qui se définissent en fonction de la pression budgétaire perçue par les managers, on parle
alors de «Budget emphasis ». Ce courant de recherches a été par la suite dénommé « RAPM : Reliance
on Accounting Peformances Measures » et porte sur l’importance accordée aux données comptables
pour évaluer la performance. Les conclusions de ces travaux varient quant aux causes, conséquences et
comportements liés à la pression budgétaire (Besson, Löning, Mendoza, 2004). Deux grands courants se
forment et s’opposent :
Le système d’évaluation basé sur la performance est incomplet car seuls les aspects
comptables sont pris en compte. En conséquence, la pression budgétaire peut avoir des conséquences
négatives telles qu’un sentiment de frustration voire d’injustice envers le système d’évaluation et des
tensions au sein de l’environnement de travail (Hopwood, 1972 ; Brownell, 1982 ; Dunk, 1993 ; Young
1993 )
18
Le système d’évaluation basé sur la performance a des effets positifs sur l’environnement car
le processus budgétaire fournit des buts facilement identifiables pour les managers (Yuen, 2004), et
facilement mesurables pour leurs supérieurs (Ross, 1994). Ces effets conduisent à une hausse de la
motivation des employés (Marginson et Ogden, 2005), à une diminution des tensions au sein de
l’environnement de travail et à une baisse du sentiment d’injustice perçu par les managers envers le
système d’évaluation (Lau et Sholihin, 2005).
L’inconsistance des recherches peut s’expliquer par la taille des échantillons souvent modérée où
les variances sont importantes, les méthodes de mesures quantitatives comme qualitatives qui différent
entre chercheurs, l’interdépendance des variables étudiées, de même que les méthodes de recherches
et d’exploitation des résultats (Otley et Fakiolas, 2000). De plus, selon Derfuss (2009) les résultats
diffèrent également selon les secteurs industriels étudiés, et les régions du lieu d’étude (c’est à dire
entre la culture asiatique et la culture anglo-‐américiane).
L’étude menée par Besson, Löning et Mendoza (2004) propose une approche synthétique des
travaux précédents (Onsi, 1973 ; Lukka, 1988 ; Merchant, 1990 ; Merchant et Burns, 1986) permettant
de visualiser les déterminants de la pression budgétaire et les comportements induits.
Figure 7 : Schéma adapté de Besson, Löning, Mendoza (2004) dans « Les directeurs commerciaux
face au processus budgétaire » p.145
19
Le montant de slack créé est donc bien en relation avec le montant de pression budgétaire exercé
par la direction, qui est elle-‐même reliée à la définition du système d’évaluation. Cette assertion est
conforme aux résultats de Drury (1985) qui montre que l’utilisation d’un budget de type «Budget
Constrained Style » influence la proportion de slack induit dans le budget et à ceux qui indiquent qu’une
faible pression budgétaire tend à diminuer la création de slack (Dunk, 1997).
Tous ces résultats nous mènent à penser que les déterminants de la pression budgétaire sont de
plusieurs types et que la pression budgétaire est un levier important de réduction du slack budgétaire.
5. Les autres facteurs influençant le slack
Les facteurs influençant le slack sont nombreux et les possibilités d’agir sur ces facteurs pour
réduire le slack sont multiples. Nous en expliciterons ici trois plus communément étudiés.
a. Système de rémunération basé sur la véracité des informations délivrées (« Truth inducing compensation schemes »)
Weitzman (1976) introduit un système de rémunération basé sur la véracité des informations
délivrées par les individus au cours de la procédure budgétaire et non plus uniquement sur l’atteinte des
objectifs budgétaires. De cette manière l’asymétrie d’information est réduite et le montant de slack
également. Les recherches empiriques menées ultérieurement (Young et Lewis, 1995) confirment que
ce système diminue bien le montant de slack introduit par les subordonnés. Cependant dans la pratique
les entreprises utilisent rarement ce système (Waller, 1994 ; Atkinson et al, 1997) car les coûts résultant
de la mise en place d’un tel système semblent surpasser les coûts imputables à la présence de slack
(Fisher, Maines, Peffer et Sprinkle, 2002).
b. La réputation des managers et la création de slack
Harrel et Harrison (1994) prédisent que le montant de slack créé sera moindre lorsque la réputation
des managers est affectée par la fiabilité de leurs propositions budgétaires. Les managers cherchent à
conserver une bonne réputation pour des raisons économiques (hausse des revenus) et sociales
(honnêteté, intégration etc.). Ces résultats sont confirmés par une étude menée sur 90 étudiants en
business (Webb, 2002). En conséquence lorsque l’on considère le budget non pas comme un événement
unique mais comme un processus répétitif (c’est à dire reproduit chaque année avec les mêmes
individus), on peut agir sur le montant de slack induit.
20
c. Les valeurs personnelles et la création de slack
Les recherches montrent que les individus dotés d’une empathie, honnêteté, et responsabilité plus
fortes que leurs congénères ont tendance à créer moins de slack dans leurs budgets (Hobson, Mellon et
Stevens, 2011). Les valeurs personnelles des managers jouent donc un rôle modérateur sur la création
de slack
III. Hypothèses de recherche
1. Énoncé des hypothèses
Cette analyse de la littérature nous permet maintenant d’aborder notre problématique « Comment
concilier réalisme économique et motivation managériale au cours du processus budgétaire afin de
réduire le slack budgétaire induit par le management ? » sous l’angle des hypothèses suivantes :
a. H1 : Des méthodes pertinentes d’attribution des ressources (humaines,
financières et matérielles) lors de la phase budgétaire tendent à restreindre la propension des
managers à créer un slack
La création de slack dépend fortement de la méthode d’attribution des ressources puisque les
managers cherchent à s’accaparer un supplément de ressources. Est-‐il possible de parler d’une telle
relation au sein d’Yves Rocher et si oui, est-‐il possible de l’utiliser pour diminuer la présence de
slack dans le budget?
b. H2 : Des solutions fonctionnelles et suffisantes peuvent être mises en
place en pratique pour lutter contre la création de slack : exemples du contre-‐slack et de la
création de deux budgets au sein de la société Yves Rocher
Yves Rocher a développé deux systèmes pour lutter contre le slack (le double budget et le contre-‐
slack), nous nous efforcerons ici de déterminer si ces derniers sont fonctionnels et suffisants.
c. H3 : Il existe une relation inversement proportionnelle entre la
participation des managers dans le processus budgétaire et la création de slack
La participation des managers permet certes la création de slack mais plus le niveau de
participation est élevé, moins les managers seront enclin à en créer. Nous chercherons à déterminer si
une hausse de la participation peut diminuer la création de slack à Yves Rocher.
21
d. H4 : Il existe une relation proportionnelle entre le montant de slack et la
pression budgétaire perçue par les managers
La pression budgétaire continue a être étudiée par un grand nombre de chercheurs. Les recherches
ne montrent pas jusqu’à présent de relation définitive entre le slack et la pression budgétaire. Quand
est-‐il à Yves Rocher ?
22
Conclusion
Le budget est aujourd’hui un élément clef de la gestion des entreprises. Il est pourtant souvent
critiqué en raison des comportements qu’il génère tel le slack budgétaire, et qui provoquent des
dysfonctionnements dans l’entreprise (Argyris, 1952 ; Onsi, 1872 ; Lukka, 1988). Notre étude, menée au
sein de la filiale allemande d’Yves Rocher, a cherché à déterminer des solutions pratiques permettant de
diminuer le montant de slack budgétaire induit tout en conciliant réalisme économique et motivation
managériale.
A partir d’un questionnaire adressé à huit contrôleurs de gestion et deux directeurs commerciaux,
nous avons confirmé les résultats de Lukka (1988), Onsi (1973), Merchant (1985), Dunk et Perera (1997),
Schoute et Wiersma (2011) en montrant que la création de slack est dépendante de la méthode
d’allocation des ressources, et est corrélée au niveau de participation budgétaire et au montant de
pression budgétaire perçue par les managers. Toutefois, ces résultats doivent être manipulés avec
précautions en raison des limitations inhérentes à ce type de recherches. Tout d’abord, la faible taille de
l’échantillon limite la généralisation des résultats. Par ailleurs, malgré la garantie d’anonymat, on ne
peut exclure un « biais de désirabilité sociale3 ».
Nous avons pu développer des préconisations visant à agir sur les variables « participation
budgétaire » et « pression budgétaire ». Une meilleure définition du processus budgétaire, des outils
plus performants et une approche collaborative pourront améliorer la participation budgétaire. Un
système d’évaluation intégrant des indicateurs différenciés du chiffre d’affaires et de la marge nette
devrait permettre de diminuer la pression budgétaire.
3 Le biais de désirabilité sociale (en anglais „social desirability bias“) est défini par Merchant (1985) comme une limite sur les études
comportementales: les individus répondent de façon à satisfaire le chercheur ou alors ils tentent de conserver une certaine image. Dans notre cas, le fait d’avoir travaillé deux ans et demi au sein d’Yves Rocher augmente bien évidemment ce risque.
23
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