4
Mddecine et Maladies Infectieuses - 1988 --Hors Sdrie -- 72 A 75 B. REGNIER* Professeur en B.~animation M~dicale Paris, France STRATEGIE ANTIBIOTIQUE DES INFECTIONS A BACILLES A GRAM NEGATIF , QUELS PRINCIPAUX CONSEILS DONNERIEZ-VOUS AUX CLINICIENS DANS LA STRATEGIE ANTIBIOTIQUE DES INFECTIONS A BACILLE A GRAM NleGATIF : POURRIEZ-VOUS NOUS PRECISER LES SITUATIONS QUI JUSTIFIENT LE CHOIX D'UNE ASSOCIATION D'ANTIBIO- TIQUES ? .e L'association de deux antibiotiques a plusieurs justifications : -- obtenir une synergie : ceci est n6cessaire dans le traitement d'infections s6v&es notamment chez I'agranulocytaire ; -- 61argir le spectre antibact~rien ; -- pr~venir 1'6mergence de variants r~sistants en cours de traitement. Aces trois justifications classiques, on pourrait ajouter : -- I'espoir de r~duire les posologies et ainsi les effets secondaires (mais c'est exceptionnel) ; -- la diminution de la dur6e du traitement (en- docardite ~ streptocoque sensible) ; -- une compl6mentarit6 de la diffusion aux di- vers sites infect6s, voire de certaines modalit6s d'action (par exemple bact6ries en phase de multi- plication ou en phase stationnaire de croissance). Dans le cadre des infections ~ bacille ~ Gram n6ga- tif, [es trois premiers arguments sont essentieis. * Service de R~animation M~dicale, Groupe Hospit~lier Bichat/ Claude-geruaxd, 46 rue Huchard, 75877 Paris Cedex 18, France. 1. Obtenir une synergie. Ceci est utile soit pour des bact6ries mal tu6es en monoth&apie comme P. aeruginosa , soit Iorsque les d~fenses de I'h6te (essentiellement les polynu- cl6aires) &ant d6prim6es, le b~n6fice de la syner- gie - se traduisant le plus souvent par une vitesse accrue de bact6ricidie -- est corr61~ avec une meilleure issue th&apeutique. C'est le cas de la fi~vre chez les neutrop6niques (2), et par extension d'infections graves chez d'autres types d'immuno- d6prim~s (reals cela est moins bien document6 !). L'association ~-Iactamine-aminoside a fait la preuve de son efficacit6, mais le d6veloppement de nou- relies mol6cules comme les fluoroquinolones per- met d'ouvrir de nouvelles perspectives th6rapeu- tiques (9). II faudrait cependant que la synergie avec des aminosides ou des ~-Iactamines soit con- firm~e in vitro et corr616e avec des modules exp~- rimentaux. Le Tableau I rappelle les principales associations r6put6es synergiques sur les bacilles Gram n6gatif. 2. Elargir le spectre a n t i b a c t 6 r i e n . Ceci est justifi6 dans le traitement des infections graves, polymicrobiennes et/ou Iorsque I'identifi- 72

Strategie antibiotique des infections a bacilles a Gram negatif

  • Upload
    b

  • View
    221

  • Download
    3

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Strategie antibiotique des infections a bacilles a Gram negatif

M d d e c i n e e t M a l a d i e s I n f e c t i e u s e s - 1988 --Hors Sdrie - - 72 A 75

B. REGNIER* Professeur en B.~animation M~dicale Paris, France

STRATEGIE ANTIBIOTIQUE DES INFECTIONS A BACILLES A GRAM NEGATIF

, QUELS PRINCIPAUX CONSEILS DONNERIEZ-VOUS AUX CLINICIENS DANS LA STRATEGIE ANTIBIOTIQUE DES INFECTIONS A BACILLE A GRAM NleGATIF : POURRIEZ-VOUS NOUS PRECISER LES SITUATIONS QUI JUSTIFIENT LE CHOIX D'UNE ASSOCIATION D'ANTIBIO- TIQUES ?

.e L'association de deux antibiotiques a plusieurs justifications :

- - obtenir une synergie : ceci est n6cessaire dans le traitement d'infections s6v&es notamment chez I'agranulocytaire ;

- - 61argir le spectre antibact~rien ; - - pr~venir 1'6mergence de variants r~sistants en

cours de traitement.

A c e s trois justifications classiques, on pourrait ajouter :

- - I'espoir de r~duire les posologies et ainsi les effets secondaires (mais c'est exceptionnel) ;

- - la diminution de la dur6e du traitement (en- docardite ~ streptocoque sensible) ;

-- une compl6mentarit6 de la diffusion aux di- vers sites infect6s, voire de certaines modalit6s d'action (par exemple bact6ries en phase de multi- plication ou en phase stationnaire de croissance).

Dans le cadre des infections ~ bacille ~ Gram n6ga- tif, [es trois premiers arguments sont essentieis.

* Service de R~animation M~dicale, Groupe Hospit~lier Bichat/ Claude-geruaxd, 46 rue Huchard, 75877 Paris Cedex 18, France.

1. Obtenir une synergie.

Ceci est utile soit pour des bact6ries mal tu6es en monoth&apie comme P. aerug inosa , soit Iorsque les d~fenses de I'h6te (essentiellement les polynu- cl6aires) &ant d6prim6es, le b~n6fice de la syner- gie - se traduisant le plus souvent par une vitesse accrue de bact6ricidie -- est corr61~ avec une meilleure issue th&apeutique. C'est le cas de la fi~vre chez les neutrop6niques (2), et par extension d'infections graves chez d'autres types d ' immuno- d6prim~s (reals cela est moins bien document6 !).

L'association ~-Iactamine-aminoside a fait la preuve de son efficacit6, mais le d6veloppement de nou- relies mol6cules comme les fluoroquinolones per- met d'ouvrir de nouvelles perspectives th6rapeu- tiques (9). II faudrait cependant que la synergie avec des aminosides ou des ~-Iactamines soit con- firm~e in vitro et corr616e avec des modules exp~- rimentaux. Le Tableau I rappelle les principales associations r6put6es synergiques sur les bacilles Gram n6gatif.

2. Elargir le spectre a n t i b a c t 6 r i e n .

Ceci est justifi6 dans le traitement des infections graves, polymicrobiennes et/ou Iorsque I'identifi-

72

Page 2: Strategie antibiotique des infections a bacilles a Gram negatif

~-lactamine-aminoside Incorporation aminoside accrue

TMP-SMX Biocage en 2 ~tapes cons~cutives de la rnSme vole m~tabolique

2 ~-lactamines

/~-lactamines~ fluoroqui nolones

Fluoroquinolones- aminosides: . A confirmer

cation des germes pathog~nes est difficile. Les principales situations o(a la sup~riorit~ d 'une asso- ciation est admise sont cities dans le Tableau II (7).

Dans le cadre des infections polymicrobiennes, le d~veloppement de nouveaux antibiotiques actifs

la lois sur les ent~robact~ries et sur B. fragilis devrait permettre dans certaines indications, no- tamment les infections p~riton~ales spontan~es (c'est-~-dire non post-op~ratoires), d'~viter I'asso- ciation.

3. Pr~venir I'~mergence d e m u t a n t r~sistant.

Depuis le d6but des ann~es 80, les observations de s~lection de variants r~sistants aux nouvelles/3-1ac- tamines (c~phalosporines de 3~me g~n~ration et monobactames) se sont multipli~es, en particulier avec Pseudomonas aeruginosa, Enterobacter cloa- cae et aussi Serratia marcescens, Citrobacter et Acinetobacter (6). II s'agit le plus souvent de mu- tants stables hauts producteurs de c~phalospori- nases, et parfois de variants d~ficients en certaines prot~ines de leur membrane externe. In vitro, I'ad- jonction d'un aminoside (ou d 'une quinolone) prurient I'acquisition de r~sistance. Dans certains modules exp~rimentaux, cette protection est au

- - Fi~vre chez les neutrop6niques - Pneumopathies (communautaires) graves

moins en partie retrouv6e (5). Cependant, de nom- breuses observations de s~lection de variants res- ponsables d'~checs cliniques malgr6 une association ont ~t~ rapport~es (6, 7).

Celle-ci peut ~tre due h la lois ~ un fort inoculum bact6rien, ~ ia pr6sence de concentrations d'ami- noside subinhibitrices, ou ~ des conditions peu propices ~ leur activit6. Sur les souches sensibles de ces esp~ces ~ risque d'6mergence de mutant r6sistant en raison d'une fr6quence de mutation spontan6e 61ev6e, il est possible d'utiliser des c6- phalosporines de 3~me g6n6ration ou de I'aztr6o- name. Cependant il para]t sage :

- de pr6f6rer le moxalactam moins sensible aux c6phalosporinases ;

-- d'employer de fortes doses (par exemple 4 6 g de moxolactam ou 6 h 8 g de c6fotaxime) au moins en d~but de trai tement ;

- - de recourir h une association.

En pratique, les infections s~v~res, avec inoculum lourd impliquant les esp~ces d'ent~robact~ries ~vo- qu~es et Pseudomonas aeruginosa, justifient I'asso- ciation d'une ~-Iactamine et d 'un aminoside, (et peut-~tre I'administration locale d'aminoside) ou une combinaison/3-1actamine et f luoroquinolone.

• QUELLES ASSOCIATIONS PROPOSEZ-VOUS ET POURQUOI ? QUE CONSEILLEZ-VOUS POUR CONDUIRE LA SURVEILLANCE DU TRAITEMENT ?

* Les associations choisies d~pendront du type d'infection. Nous ne traiterons pas le cas de la tuberculose, de la brucellose, des septic~mies

ent6rocoque ou staphylocoque pour nous limiter aux bacilles ~ Gram n~gatif. La classique associa- tion d'une ~-Iactamine avec un aminoside est jus-

73

Page 3: Strategie antibiotique des infections a bacilles a Gram negatif

tifi6e par les donn6es bact6riologiques (augmenta- tion de la vitesse de bact~ricidie darts la majorit6 des cas), et parce qu'elle est document6e par une large experience.

Les fluoroquinolones constituent une nouvelle classe th6rapeutique : compte tenu de la fr6quence d'~mergence de mutant r6sistant (surtout P, aerct- ginosa), I'association h une ~-Iactamine, ou b. un aminoside est souvent conseill6e. II reste cependant souhaitable de confirmer la synergie ainsi que sa traduction clinique par une plus large exp6rience (9).

La surveillance du trai tement ne comporte pas de particularit& L'6tude in vitro de I'association n'a

le plus souvent d'int6r~.t qu'investigationnel saul pour des souches multir6sistantes et/ou des associa- tions inhabituelles d'antibiotiques. L'6valuation du pouvoir bact6ricide du s6rum peut aussi 6tre r6ali- s6e au cours des m~mes situations. Rappelons que sa valeur pr6dictive est loin d'6tre 6tablie pour les infections h bact6ries h Gram n6gatif saul peut- ~tre pour les septic6mies de I'agranulocytaire ou les endocardites.

Par contre il est certainement important de recher- chef une acquisition de r6sistance (c'est-h-dire la s61ection d'un mutant r6sistant le plus souvent) ou une surinfection, par des cultures du foyer septique si celui-ci reste accessible.

# QUELLES ALTERNATIVES THERAPEUTIQUES PEUT-ON PROPOSER DEVANT UNE INFEC- TION A BACTI~RIE MULTI-RleSISTANTE ? PEUT-ON PROPOSER UNE STRATleGIE ANTIBIO- TIQUE A LONG TERME POUR PROTEGER L'IeCOLOGIE HOSPITALIERE ?

• Depuis l 'av~nement des nouvelles 13-1actamines, de nouvelles r6sistances sont apparues. II s'agit essentiellement des variants d6r6prim~s en c6pha- Iosporinase (Enterobacter cloacae, P. aeruginosa, Serratia ...) et de souches productrices de 13-1acta- mases plasmidiques h large spectre (Klebsiella pneumoniae, E. coil) (8). Vis-a-vis des mutants d6r6prim6s, on peut utiliser I'imip6nem seul ou en association (pour P. aeruginosa et chez I'agranulo- cytaire) ou une fluoroquinolone combin6e soit un aminoside ou peut-C~tre ~ I'imipenem (peu docu- ment6). L'int6r6t de la fosfomycine est mal connu.

Sur des souches productrices de /%lactamases large spectre (CTX1, HSV2, etc ...), on peut pro- poser •

- - u n e c6phamycine (moxalactam, c6fot6tan, c6foxitine) et un aminoside (mais des acquisitions de r6sistance -- peut-~tre de perm6abilit6 - sont possibles en cours de traitement) ;

- de I'imip6nem (seul ou associ6 si granulop6nie par exemple) ;

- - u n e fluoroquinolone (mais nombre de ces souches sont r6sistantes ...) associ6e h un aminoside ou ~ I'une des t3-1actamines pr6c6dentes.

II est possible que les inhibiteurs de /3-1actamases (acide clavulanique ou sulbactam) permettent d'utiliser une c6phalosporine de 3~me g6n6ration

ou une ur6ido-p6nicilline mais il y a encore peu d'observations.

La strat6gie visant ~ 6viter 1'6mergence et la diffu- sion des r6sistances demeure real d~finie. Le d6ve- Ioppement de nouvelles molecules plus actives a clairement ~chou6, ne permettant que de gagner du temps. L'usage judicieux des antibiotiques est une vieille recommandation qui ne peut qu'~tre renouvel6e. Eviter des prophylaxies et traitements empiriques inutiles ou de dur6e excessive devraient ~tre des efforts ~ privil~gier. Les nouvelles mold- cules sont h employer Iorsque leur sup6riorit6 sur les anciennes est vraiment 6tablie ! Les posologies doivent C~tre suffisantes, surtout au d6but en pr6- sence d'un inoculum Iourd, pour 6viter des concen- trations subinhibitrices, ou de I'ordre de la CMI, au site infectS. Le d6veloppement des inhibiteurs des/3-1actamases sernble souhaitable.

Mais on ne peut pas ne pas consid6rer que I'hy- gi~ne hospitali~re demeure sans doute la mesure la plus efficace. L' interruption des voles de trans- mission non seulement des infections crois~es mais aussi des colonisations crois~es devrait faire I'objet de r~gles pr6cises et intangibles. II y a deux pr6a- lables : d'une part la raise en place d'une meilleure surveillance 6pid6miologique et d'autre part la raise

disposition du mat6riel, des structures de soins et du personnel ad6quates.

74

Page 4: Strategie antibiotique des infections a bacilles a Gram negatif

• POUR CONCLURE SUR LE THEME DE L' INDUCTION DE/3-LACTAMASES, PENSEZ-VOUS QUE L' INDUCTION AIT DES CONSEQUENCES I N V IVO ?

• II faut d'abord rappeler comme I 'ont d i t A.A. Medeiros et D.M. Livermore, que I ' induct ion est distincte de la s61ection de mutant r~sistant dent j'ai parl~ jusque I& (1, 3, 4). Par ailleurs, le terme {{ induct ion de r6sistance ~> que I'on entend parfois ne dolt pas 6tre confondue avec l ' induct ion de la s~cr~tion enzymatique mais est vraisemblablement synonyme de pression de s~lection.

Actuellement, nous n'avons aucune preuve que I 'effet inducteur des/~-Iactamines soit associ~ ~, une capacit~ accrue de s~lectionner des variants d~r~-

prim6s et qu'elle puisse ainsi 6tre en cause dans les 6checs th6rapeutiques car :

--des molecules r6put6es peu inductrices ont 6t6 ~t I'origine d'6checs (par s~lection ou superin- fect ion) ;

--des molecules fortement inductrices sent largement prescrites en France ou aux U.S.A. et avec succ~s (c6foxit ine, imipenem) ;

- les mod~les animaux n'ont pas d6montr~ de correlation entre I 'effet inducteur et le retard la gu6rison ou 1'6chec th6rapeutique.

Mots-cl~s • Ant ib io t iques - Association - Echec -- S61ection - Induction.

Key-words : Ant ib io t ics - Combinat ion - Failure -- Selection - Induct ion.

B I B L I O G R A P H I E

1. ARNOFF S.C., SCHLAES D.M. - Factors that influence the evolution of 1[3-1actam resistance in .6-1actamase-inducible strains of Enterobacter cloacae and Pseudomonas aeruginosa. J. Infect. Dis., 1987, 155, 936-941.

2. BODEY G.P. - Synergy : should it determine antibiotic selection in neutropenic patients ? Arch. Intern. Med., 1985, 145, 1964-1966.

3. J IMENEZ-LUCHO V.E., SARAVOLATZ L.D., MEDEIROS A.A., POHLOD D. - Failure of therapy in Pseudomonas endocarditis : selection of resistant mutants. J. Infect. Dis., 1986, 154, 64-68.

4. LIVERMORE D.M. - Clinical significance of beta- lactamase induction and stable derepression in Gram negative rods. Eur. J. Clin. Microbiol., 1987, 6, 439-445.

5. PECHERE J.C., MARCHOU B., MICHEA- HAMLEHPOUR M., A U K E N T H A L E R A. Emergence of resistance after therapy with anti-

biotics used alone or combined in a murine model. J. Antimicrob. Chemother., 1986, 17, (SA), 11-18.

6. PERRONNE C., REGNIER B., LEGRAND P., BURE A., FROTTIER J., VlLDE J.L., VACHON F. - Echec des nouvelles beta-lactamines dans le traitement d'infections severes & Enterobacter cloacae. Presse Med., 1986, 15, 1813-1818.

7. REGNIER B. Ut i l isat ion des assoc ia t ions d'antibiotiques. Presse Med., 1987, 43, 2186-2191.

8. SIROT D., SIROT J., LABIA R., MORAND A., COURVALIN P., DARFEUILLE-MICHAUD A., PERROUX R., CLUZEL R. - Transferable resis- tance to third-generation cephalosporins in clinical isolates of Klebsiella pneumoniae : identification of CTX-1, a novel [3-1actamase. J. Antimicreb. Chemother., 1987, 20, 323-334.

9. THABAUT A., MEYRAN M. - Les associations betalactamines-nouvel les quinolones. Presse Med., 1987, 43, 2167-2172.

* ,k ,k

75