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Stress et douleur

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Page 1: Stress et douleur

Annales Medico-Psychologiques 172 (2014) 108–110

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

Communication

Stress et douleur

Stress and pain

Francoise Radat

Departement des neurosciences cliniques, centre d’etude et de traitement de la douleur chronique, CHU Pellegrin, 33076 Bordeaux, France

I N F O A R T I C L E

Historique de l’article :

Disponible sur Internet le 12 mars 2014

Mots cles :

Douleur

Enfant maltraite

Psychotherapie

Stress

Syndrome post-traumatique

Systeme endocrinien

Systeme nerveux

Keywords:

Child abuse

Endocrinous system

Nervous system

Pain

Stress

Post-traumatic stress disorder

Psychotherapy

Stress

R E S U M E

Le lien entre stress et douleur est tres present en clinique, le stress servant souvent de modele explicatif

de la dimension psychique de la douleur. Les etudes epidemiologiques montrent que les personnes

douloureuses chroniques rapportent plus souvent que les autres des abus dans l’enfance. On manque

d’etudes prospectives pour confirmer formellement ces donnees. Par ailleurs, il existe une importante

comorbidite entre syndrome de stress post-traumatique et douleur chronique, impliquant que l’on

depiste systematiquement ce syndrome en consultation douleur. Les modeles explicatifs du lien entre

stress et douleur renvoient a des anomalies de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrenalien sur le plan

biologique et a des variables tels le catastrophisme ou la peur de la douleur sur le plan psychologique.

Plusieurs therapies non medicamenteuses de gestion du stress ont maintenant ete evaluees dans le

domaine de la douleur chronique.

� 2014 Publie par Elsevier Masson SAS.

A B S T R A C T

The link between stress and pain is very present in clinical practice, stress often used as an explanatory

model of the psychological dimension of pain. Epidemiological studies show that chronic pain sufferers

report abuse in childhood more often than other subjects. Prospective studies are lacking to formally

confirm these data. Moreover, there is a significant comorbidity between post-traumatic stress and

chronic pain, implying the systematic search for this syndrome in pain consultation. Explanatory models

of the relationship between stress and pain refer to abnormalities of the hypothalamic-pituitary-adrenal

axis on a biological level and to variables such as catastrophizing or fear of pain on a psychological level.

Several non-drug therapies for stress management have now been evaluated in the field of chronic pain.

� 2014 Published by Elsevier Masson SAS.

1. Introduction

Le lien entre douleur chronique et stress est une des realites lesplus presentes dans les consultations specialisees. D’une part, ilpermet au patient de donner un sens a sa maladie grace a uneattribution causale, d’autre part, il permet au medecin de justifierde l’interet porte aux determinants psychologiques chez un patientconsultant pour des douleurs. Parfois, cette relation est nieefarouchement par le patient qui redoute que l’on mette sa douleursur le compte de son etat mental.

Mais qu’en est-il des donnees scientifiques concernant ce lienentre douleur et stress ? Nous examinerons dans un premiertemps les donnees epidemiologiques concernant trois types desituations : l’abus et la maltraitance de l’enfance, le trauma

Adresse e-mail : [email protected]

0003-4487/$ – see front matter � 2014 Publie par Elsevier Masson SAS.

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2014.01.003

psychique et le syndrome de stress post-traumatique, le stressquotidien chronique. Puis, nous aborderons les aspects pathophy-siologiques sous-tendant l’association et, enfin, les pistes the-rapeutiques pertinentes dans ce cadre.

Le stress est un terme ambigu, utilise dans le vocabulairecourant tant pour designer l’agent responsable (stresseur) que lareaction de l’individu a cet agent. Cannon [2] puis surtout Selye[17] ont conceptualise le stress sous la forme d’une reactionlineaire : le stresseur provoque une reaction de l’organisme visanta preserver l’equilibre homeostatique. Selye [17] insista sur lecaractere non specifique de la reponse de stress quelle que soit lanature de l’agent stressant, la decrivant comme un processus entrois phases. Cette conception lineaire et stereotypee a ete sup-plantee par le modele transactionnel, prenant en compte laspecificite de l’individu en interaction avec son environnement [7].Parallelement, la definition de la douleur a evolue, aboutissant aune conception subjective prenant en compte les aspects

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sensoriels, comportementaux et emotionnels : « La douleur est uneexperience sensorielle et emotionnelle desagreable liee a deslesions tissulaires reelles ou potentielles ou decrites en des termesevoquant de telles lesions. »

2. Douleur chronique a l’age adulte et stress dans l’enfance

En ce qui concerne le lien entre stress dans l’enfance et douleurchronique a l’age adulte, il existe de nombreuses etudes. Davis et al.[3] en ont fait une meta-analyse lui permettant d’affirmer deuxpoints :

� l

es sujets qui rapportent plus d’abus sexuels et autres dansl’enfance ont plus de douleurs a l’age adulte. La taille d’effet estmodeste pour ce qui concerne les etudes realisees en populationgenerale, plus importante pour les populations consultantes ; � a l’inverse, les patients souffrant de douleurs chroniques

rapportent plus d’abus dans l’enfance que les non douloureuxavec une taille d’effet modeste. La encore, les douloureuxchroniques consultants sont plus concernes que ceux de lapopulation generale.

L’auteur precise que ces etudes s’appuient pour l’essentiel surdes donnees retrospectives. Il existe une etude prospective [16] quis’appuie sur les documents judiciaires. Cette etude est negative etconclut donc a l’absence d’association. Neanmoins, on peut seposer la question d’un phenomene de sous-declaration des abus,en particulier pour les victimes les plus faibles, et par ailleurs durole protecteur pour le sujet de la reconnaissance du prejudicelorsqu’il y a declaration. Enfin, la cohorte examinee etait unepopulation d’etudiants, donc jeunes et susceptibles de ne pasencore avoir developpe de douleur chronique.

Une autre question a propos du lien entre stress dans l’enfanceet douleur chronique a l’age adulte est le role d’un facteurconfondant eventuel, a savoir la depression. Lee et Tsang [8]montrent dans une etude menee grace a l’egide de l’OMS etconcernant 18 303 sujets que le stress dans l’enfance et ladepression sont deux facteurs predicteurs independants de lapresence de cephalees frequentes et severes. Sachs-Ericsson arrivea la meme conclusion grace a l’etude NCS (National ComorbiditySurvey).

3. Douleur chronique et PTSD

En ce qui concerne l’association entre douleur chronique etsyndrome de stress post-traumatique (PTSD), cette etude NCSmontre que les personnes issues de la population generale quisouffrent de douleurs musculosquelettiques chroniques ont unrisque trois fois plus eleve d’avoir un PTSD que celles qui n’ont pasde douleur [10]. L’etude NCS-R quant a elle montre une associationentre PTSD et migraine, en particulier migraine chronique [14]. Enpopulation consultante, le risque est plus eleve avec des taux allantjusqu’a 30 % de PTSD chez les douloureux chroniques recrutes dansles centres specialises. A l’inverse, un grand nombre de sujetsatteints de PTSD rapportent des douleurs chroniques, le tauxdependant bien sur du type de traumatisme. Il existe une etudeprospective du lien entre PTSD et douleur chronique. Elle a etemenee aux Etats-Unis a la suite des evenements du 11 septembre[15]. Cette etude a nouveau ne montre pas d’association, maisplutot une diminution des consultations pour symptomes fonc-tionnels comme l’asthenie. Les questions posees par les auteurssont le role protecteur de l’elan de solidarite nationale qui a eteobserve a ce moment-la, le moindre impact des evenements visantnon pas l’individu mais la communaute, et enfin la possibilite d’uneffet a plus long terme.

4. Douleur chronique et stress quotidien

L’association entre stress quotidien et douleur chronique estmoins bien documentee. Elle a surtout ete etudiee dans deuxdomaines, la migraine et la fibromyalgie. En effet, un stress estrapporte de facon retrospective comme facteur declenchant descrises par les deux tiers des migraineux. Neanmoins, on manque devraies etudes prospectives. Pour la fibromyalgie, il en existe unequi montre une augmentation d’incidence des cas de fibromyalgieen cas de stress au travail (balance entre contraintes et libertedecisionnelle) [6]. D’une facon plus generale, les fibromyalgiquesdecrivent des modes de vie anterieurs a la maladie marques parl’hyperactivite, le perfectionnisme, l’engagement excessif dans lavie professionnelle.

5. Stress et douleur : comment expliquer les liens

Sur le plan biologique, on sait que l’axe hypothalamo-hypophyso-surrenalien (HHS) est concerne par le stress. Lesglucocorticoıdes (GC) secretes par la surrenale exercent enprincipe un retrocontrole negatif sur l’hypophyse et l’hypothala-mus, mais aussi sur les afferences noradrenergiques et serotoni-nergiques venant de l’amygdale, les interleukines et la substance P.En cas de stress chronique, il y a une perte de ce retrocontrolenegatif avec une diminution de la sensibilite des recepteurs aux GCet une secretion prolongee d’ACTH [1]. Chez les fibromyalgiques,on observe de facon paradoxale des taux de cortisol diminues, uneaugmentation de reponse de l’ACTH mais une diminution dereponse du CRH aux GC. De meme en ce qui concerne la serotonine,avec des taux de tryptophane et de 5HIAA diminues. Enfin, lasubstance P est augmentee dans le LCR. Chez les sujets ayantsouffert d’abus dans l’enfance, les taux de GC sont eleves [11]. On apu proposer un modele biopsychosocial prenant en compte cesdonnees pour expliquer le lien entre stress dans l’enfance etdouleur chronique. En effet, une experience precoce de stressadditionnee a une predisposition biologique temperamentaleprovoquerait une alteration precoce du developpement cerebralimpliquant un accroissement de la reactivite de l’axe corticotropedeterminant une reactivite accrue aux stresseurs ulterieurs ; cettereactivite accrue entraınerait un plus grand risque de developpe-ment de douleur chronique. Turk [18] developpe dans ce sens le« diathesis-stress model » qui est un modele cognitif permettant decomprendre comment certaines personnes sont predisposees adevelopper des douleurs chroniques a la suite d’une blessure. Cemodele fait en particulier intervenir comme predisposition(« diathesis ») l’anxiety sensitivity (sensibilite a la peur). Celle-cientraıne des modifications de l’evaluation de la douleur avec unepeur de la douleur, un catastrophisme (tendance a ruminer despensees negatives a propos de la douleur, a amplifier la douleur, ase sentir impuissant face a la douleur), qui elles-memes entraınentdes modalites de coping deleteres face a celle-ci, avec en particuliermultiplication de l’evitement du mouvement qui accroıt lehandicap et favorise la chronicite.

6. Stress et douleur : quelles prises en charge

Des prises en charge specifiques du stress dans les situations dedouleur chronique ont ete proposees. Il s’agit de diversestechniques, dont la relaxation, la gestion du stress dans le cadredes techniques comportementales et cognitives (TCC), le mind-

fulness, l’EMDR. Ces techniques s’inscrivent souvent dans une priseen charge globale des diverses composantes de la douleur. Larelaxation a ete tout particulierement etudiee comme modalite detraitement prophylactique de la migraine. Une meta-analyse de10 etudes (Campbell, en 2000) conclut a une efficacite mais avec

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une taille d’effet modeste. Plusieurs etudes ont egalement etepubliees pour tester son efficience comme traitement adjuvantdans les cephalees chroniques. Les essais concernant la gestion dustress par les TCC dans la migraine ont egalement conclu a uneefficacite. Les TCC ont ete particulierement etudiees dans leslombalgies chroniques et dans la fibromyalgie. Plusieurs meta-analyses sont disponibles [4,12]. Elles concluent a une efficacitemoderee sur la douleur, le handicap et l’humeur a court et moyenterme. Une meta-analyse de l’efficacite de ces techniques dans ladouleur de l’enfant existe aussi [13], elle montre une taille d’effetplus importante que chez l’adulte. Les techniques de prise encharge comportementalo-cognitives de la douleur se focalisent surla sensibilite a l’anxiete, la peur de la douleur, le catastrophisme,l’evitement qui sont determinants dans le handicap. Concernant lemindfulness, plusieurs essais ouverts encourageants ont ete publiesdans le cadre de la douleur chronique [5,9]. Pour ce qui concerne ladouleur chronique, les techniques de mindfulness s’inscrivent soitdans le cadre de programme MBSR (Mindfulness Based Stress

Reduction), soit dans le cadre de therapies d’acceptation etd’engagement (ACT).

La Haute Autorite de Sante (HAS) a edite des recommandationsconcernant l’utilisation de ces diverses techniques dans le cadre dela douleur chronique. Pour la lombalgie de l’adulte, les recom-mandations precisent : « Les therapies comportementales sontefficaces sur l’intensite de la douleur et le comportement vis-a-visde la douleur en comparaison a un placebo ou a une liste d’attente(grade C). Aucune technique n’est superieure aux autres. Lestherapies comportementales associees a un autre traitement(exercice physique, kinesitherapie, etc.) semblent plus efficacessur la douleur que ce meme traitement seul (grade C). » Pour lamigraine de l’enfant, les recommandations sont les suivantes : « Larelaxation, le retrocontrole (biofeedback) et les therapies cogni-tives et comportementales de gestion du stress ont fait preuved’efficacite (grade B), et peuvent etre envisages dans certains cas enfonction du profil psychologique du patient. » Pour la migraine del’enfant : « La relaxation, le retrocontrole (biofeedback) et lestherapies cognitives et comportementales de gestion du stresspeuvent etre recommandes (grade B). Ces traitements sont plusefficaces que les betabloquants (grade B).» Pour la fibromyalgie, lesrecommandations de l’EULAR elaborees par les rhumatologueseuropeens mettent en exergue les techniques de la TCC commecomposantes des prises en charge pluriprofessionnelles.

7. Conclusion

Pour conclure, on peut tout d’abord dire que le concept de stressest utile en pratique clinique pour aborder la dimension psychiquede la douleur en la destigmatisant et en offrant aux patients unetheorie acceptable du role des aspects psychiques dans l’histoire dela maladie. Le stress precoce de l’enfance determine desmodifications biologiques durables du systeme de gestion dustress. On peut penser qu’elles font le lit d’une mauvaise gestionulterieure du stress dont un risque accru de douleur chronique

apres un traumatisme quel qu’il soit. Neanmoins, les etudesprospectives manquent. Les techniques de prise en chargecomportementales et cognitives et la relaxation sont tres utiliseesdans le cadre de la douleur chronique. De nouvelles therapiesemotionnelles sont maintenant proposees autour des techniquesde mindfulness.

Declaration d’interets

L’auteur declare ne pas avoir de conflits d’interets en relationavec cet article.

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