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SOMMAIRE N’ayez pas peur Tout le monde se souvient du bouil- lonnement des printemps arabes. L’intention déclarée a été de faire souffler le vent de la démocratie et de combler les attentes des peuples de la Tunisie, de l’Egypte, de la Libye ou du Yémen pour ne citer que ces pays. La Syrie semble loin d’être tirée d’affaire. Y a-t-il alors éclosion de la démocra- tie? Qu’en est-il de la protection des minorités dans ce contexte de boule- versements majeurs? Ces questions s’imposent à l’heure où les chrétiens d’Orient sont inquiets. Inquiets pour leur sécurité dans une région qui fait partie de leur histoire et de leur mémoire collective depuis plus de 2000 ans. Inquiets pour le res- pect de leurs droits humains. Inquiets aussi face à l’instrumentalisation de la religion par les ténors du fana- tisme et de l’extrémisme. A cet égard, une parole retentit: “N’ayez pas peur” (Jn 6, 20). Le Seigneur est là, bien présent. Le mal n’a pas le dernier mot. A tous les chrétiens d’Orient, Christ tend la main (Mt 14, 31) pour leur permettre d’avancer. Il leur appartient de tendre, à leur tour, la main aux autres. A travers ce geste, Christ ne cessera d’agir pour faire advenir un monde nouveau et une terre nouvelle. Aussi, faut-il souhaiter que les printemps arabes offrent aux chré- tiens d’Orient un véritable espace d’épanouissement et de liberté religi- euse sur une terre qui leur appartient de façon constitutive et à laquelle on ne peut les arracher. Sylvain Kalamba Nsapo N’ayez pas peur Le dialogue interreligieux au pouvoir «Au Liban, la répartition du pouvoir montre qu’on peut vivre ensemble: le président est un chrétien maronite; le président de la Chambre est un chiite; le président du conseil des ministres est un sunnite.» (Paul Karam) Suite à page 3 parle avec Emilio Platti Son témoignage porte sur le Printemps arabe en Egypte et l’avenir des chrétiens au Moyen Orient: “Les chrétiens de toute la région ne sont pas impliqués dans le conflit entre les musulmans, mais ils en sont les victimes (…). J’ai des craintes pour les chrétiens du Moyen Orient.” Suite à page 8 © Wereldmediatheek, Johan Denis 4 8 La voix des peuples Missio Belgique, Bd du Souverain 199, 1160 Bruxelles Publication trimestrielle de Missio Suara

Suara 48: N’ayez pas peur

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N'aeyez pas peur

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Page 1: Suara 48: N’ayez pas peur

S O M M A I R E

N’ayez pas peur

Tout le monde se souvient du bouil-lonnement des printemps arabes. L’intention déclarée a été de faire souffler le vent de la démocratie et de combler les attentes des peuples de la Tunisie, de l’Egypte, de la Libye ou du Yémen pour ne citer que ces pays. La Syrie semble loin d’être tirée d’affaire. Y a-t-il alors éclosion de la démocra-tie? Qu’en est-il de la protection des minorités dans ce contexte de boule-versements majeurs? Ces questions s’imposent à l’heure où les chrétiens d’Orient sont inquiets. Inquiets pour leur sécurité dans une région qui fait partie de leur histoire et de leur mémoire collective depuis plus de 2000 ans. Inquiets pour le res-pect de leurs droits humains. Inquiets aussi face à l’instrumentalisation de la religion par les ténors du fana-tisme et de l’extrémisme. A cet égard, une parole retentit: “N’ayez pas peur” (Jn 6, 20). Le Seigneur est là, bien présent. Le mal n’a pas le dernier mot. A tous les chrétiens d’Orient, Christ tend la main (Mt 14, 31) pour leur permettre d’avancer. Il leur appartient de tendre, à leur tour, la main aux autres. A travers ce geste, Christ ne cessera d’agir pour faire advenir un monde nouveau et une terre nouvelle. Aussi, faut-il souhaiter que les printemps arabes offrent aux chré-tiens d’Orient un véritable espace d’épanouissement et de liberté religi-euse sur une terre qui leur appartient de façon constitutive et à laquelle on ne peut les arracher.

Sylvain Kalamba Nsapo

N’ayez pas peur

Le dialogue interreligieux au pouvoir «Au Liban, la répartition du pouvoir montre qu’on peut vivre ensemble: le président est un chrétien maronite; le président de la Chambre est un chiite; le président du conseil des ministres est un sunnite.» (Paul Karam)

Suite à page 3

parle avec Emilio PlattiSon témoignage porte sur le Printemps arabe en Egypte et l’avenir des chrétiens au Moyen Orient: “Les chrétiens de toute la région ne sont pas impliqués dans le conflit entre les musulmans, mais ils en sont les victimes (…). J’ai des craintes pour les chrétiens du Moyen Orient.”

Suite à page 8

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48La voix des peuples Missio Belgique, Bd du Souverain 199, 1160 Bruxelles Publication trimestrielle de Missio

Suara

Page 2: Suara 48: N’ayez pas peur

L’unité dans la diversité au Moyen Orient Le Moyen Orient est le berceau de trois religions. Depuis l’arrivée de l’islam, les chrétiens sont cependant devenus minoritaires. La communauté chrétienne y est par ailleurs très diversifiée. Le Liban accueille la plus grande partie de cette communauté, suivi par la Syrie et l’Égypte. Bref aperçu de la situation.

Caroline Medats & Michel Musimbi

� Aperçu des Eglises présentes au Moyen Orient. Ce n’est pas un aperçu exhaustif.

Christianisme

Le premier constat est celui d’une forte implantation de l’Eglise catholique orien-tale dans la région. Cette Eglise est partie intégrante de l’Eglise catholique, mais a sa propre liturgie, orientale. Tâchons de mettre en lumière quelques-unes des principales communautés de cette Eglise.

L’Eglise catholique maronite est la plus grande communauté chrétienne au Liban. Elle y a survécu à la conquête islamique. Son origine remonte au moine syrien Maron. Elle est l’unique Eglise sans contrepartie orthodoxe. Au rang des Maronites les plus célèbres, on compte notamment la chanteuse Fairuz, le poète Khalil Gibran et le milliardaire Carlos Slim. Les Maronites parlent principalement le syrien, un dialecte araméen, qui demeure également la langue de la liturgie. Plusieurs d’entre eux émigrèrent vers l’Amérique latine. La Constitution libanaise dispose cependant que le président doit être un Maronite.

L’Eglise catholique syriaque, qui a son siège principal à Beyrouth, utilise également le syrien dans la liturgie. Ces catholiques vivent surtout au Liban, en Syrie et en Iraq.

Les membres de l’Eglise catholique gréco-melkite ont été appelés les melkites. En effet, c’est au cours du 5e siècle que les croyants restés fidèles à l’empereur romain d’Orient (malka en syrien) et au concile de Chalcédoine furent nommés «Melkites». Cela aboutit à une séparation d’avec l’Eglise ortho-doxe d’Antioche au cours du 18e siècle. Son siège est à Damas. Beaucoup de melkites émigrèrent vers les Etats-Unis et l’Amérique latine. Les langues liturgiques traditionnelles sont l’arabe et le grec.

L’Eglise catholique copte est une petite Eglise comptant quelques 200 000 cro-yants et ayant son siège au Caire, en Égypte; elle s’est constituée après le schisme avec l’Eglise orthodoxe copte. Son Eminence Antoine Naguib, le patriarche actuel, a été créé cardinal en 2010, année au cours de laquelle il a également joué un grand rôle lors du synode des évêques du Moyen-Orient.

Les catholiques chaldéens constituent la plus grande communauté chrétienne en Iraq. Leur siège est à Bagdad. L’ancien Ministre iraquien des Affaires étrangè-res sous Saddam Hussein, Tariq Aziz, est un catholique chaldéen.

L’Eglise catholique arménienne, dont le siège est au Liban, utilise l’arménien comme langue liturgique. Beaucoup de catholiques arméniens vivent en Géorgie, en Arménie, en Europe de l’Est, en France, aux Etats-Unis et au Canada.

À côté de l’Eglise catholique orientale, l’Eglise orthodoxe orientale est aussi fortement présente au Moyen Orient. Cette Eglise s’est séparée après le Concile de Chalcedoine en 451. Elle ne répond donc pas de Rome. Relevons ici brièvement quelques-unes des principales communautés orthodoxes orientales:

La plus grande Eglise est l’Eglise orthodoxe copte. En Égypte, les coptes orthodoxes forment la plus grande communauté chrétienne. Ils utilisent de temps en temps encore le copte, dérivé de l’ancien égyptien et essentiellement écrit en alphabet grec.

Les membres de l’Eglise orthodoxe syrienne furent également appelés les jacobites. Ils ont leur siège principal à Damas, et utilisent le syrien et l’araméen comme langues liturgiques.

L’Eglise orthodoxe arménienne est quant à elle la plus ancienne Eglise nationale du monde. Dans la région, elle est surtout présente en Syrie et en Iraq. Elle a son siège principal en Arménie.

Mentionnons enfin l’Eglise assyrienne qui a fait schisme en 431 après le concile d’Ephèse. Cette Eglise est surtout présente en Iraq, en Syrie et en Iran, et est l’une des plus ancien-nes Eglises de l’Est. Ses racines remontent jusqu’en Mésopotamie, au 2e siècle.

Maronite- église catholiqueÉglise assyrienne Copte-

église orthodoxe

Copte- église catholique

Oriental-église orthodoxe

Syrien église orthodoxe

Syrien- église catholique

Arméno- église orthodoxe

Chaldéenne- église catholiqueÉglise catholique Romain-

église catholique

Arméno- église catholiqueÉglise protestante Est-

église catholique

Grecque Melki Tisch-église catholique

Est-église orthodoxe

Grecque- église orthodoxe

RencontreSuara 2La voix des peuples

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Page 3: Suara 48: N’ayez pas peur

Vie et avenir du christianisme au Moyen Orient Au terme de la campagne sur la «Solidarité sans détours», nous avons eu la joie de rencontrer deux personnalités de l’Eglise du Moyen Orient: il s’agit de Mgr Flavien Joseph Melki, évêque auxiliaire de l’Eglise catholique syriaque d’Antioche au Liban, et de Paul Karam, prêtre de l’Eglise maronite du Liban et directeur de Missio dans ce pays. Nous tenons à rendre fidèlement compte de leurs prises de position spécifiques.

Herlinde Hiele & Sylvain Kalamba Nsapo

| Paul KaramPaul Karam: «A propos de la situation des chrétiens au Moyen Orient, il faut avant tout garder à l’esprit la poussée des courants extrémistes et fanatiques qui se cachent derrière la religion. C’est la haine et non la religion qui peut expliquer le drame auquel les chrétiens sont confrontés en Orient. Prenons le cas de l’Irak. Il semble qu’il y avait 2 000 000 de chrétiens. Aujourd’hui, il n’y en a plus que 400 000. Où est la démocratie promise? Où est le Printemps arabe dont on a parlé si la charia islamique vient l’emporter?

Missio: Etes-vous optimiste quant à l’avenir du christianisme en Orient?Karam: «A la lumière du Christ, il faut être optimiste. Les chrétiens sont sensés donner du goût à l’Orient où les musulmans sont majoritaires. Mais il y a le conflit israélo-arabe. C’est là une responsabilité qui incombe à la communauté internationale. En tout cas, le conflit n’arrange rien.»

Missio: Croyez-vous que les conflits religieux puissent exercer une influence sur la paix au Moyen Orient?Karam: «La paix n’a jamais été magique. C’est un cheminement, une éducation, loin de la politique qui entend organiser la vie en fonction de ses intérêts per-sonnels. Il faut rechercher la paix en ayant à l’esprit que l’Eglise respire à travers les poumons de l’Orient et de l’Occident. La montée de l’extrémisme et du fanatisme fait croire que tous les conflits sont de nature religieuse. C’est cela qui tue. Et quand il arrive que les hommes s’entretuent effectivement à cause de leurs convictions religieuses, cette situation porte atteinte à la paix. Mettre un terme aux divergences religieuses ou à la mésentente suscitée par celles-ci est une contribution essentielle à l’apaisement du monde.»

Missio: Qu’en est-il de l’œcuménisme, du dialogue interculturel et interreligieux au Liban?Karam: «Des rencontres et des prières permettent le rassemblement au sein du conseil des Eglises d’Orient. Pensons entre autres à la semaine de prière pour l’unité des chrétiens en vue du bien commun. Par ailleurs, la répartition du pouvoir montre qu’on peut vivre ensemble: le président est un chrétien maronite ; le président de la Chambre est un chiite; le président du conseil des ministres est un sunnite; le chef de la police est un druse. Hors de cette conception, ce ne serait pas le Liban. Cette situation est unique en son genre. Et toutes ces confessions ainsi intégrées dans la constitution sont à la fois la force, la beauté et la fragilité du Liban.»

“La répartition du pouvoir montre qu’on peut vivre ensemble: le président est un chrétien maronite; le président de la Chambre est un chiite;

le président du con-seil des ministres est un sunnite.”

| Flavien Joseph MelkiMissio: Quel regard porter sur les relations entre chrétiens et musulmans au Liban?Mgr Melki: «Chrétiens et musulmans vivent généralement séparés les uns des autres. La plupart des chrétiens au Liban habitent ensemble dans certains quartiers bien précis. Il ne leur est en effet pas possible de vivre ensemble avec les musulmans. C’est notamment le cas dans la capitale Beyrouth où chrétiens et musulmans vivent à part les uns des autres.

Missio: Quel est votre point de vue sur la situation actuelle en Syrie?Mgr Melki: «L’un dans l’autre, en Syrie, les chrétiens ne s’en sortent pas mal sous le prési-dent al-Assad. Ils attachent une grande importance à la sécurité qui, jusqu’il y a peu, était garantie par le régime d’al-Assad. Je retiens mon souffle pour voir comment la situation va évoluer dans ce pays. Je crains que les isla-mistes prennent le pouvoir. Bien qu’il existe des musulmans modérés, il n’y a pas d’islam modéré. En fait, je préconise une dictature éclairée, plutôt qu’une démocratie. Bien que je ne nie pas qu’il y ait certains problèmes, nous devons reconnaître que la Syrie vient de loin et que beaucoup a déjà été réformé durant les quarante dernières années.»

Missio: Les chrétiens au Liban sont-ils solidaires entre eux? Mgr Melki: «Les chrétiens mettent sur pied différents projets sociaux par lesquels ils tentent de manifester leur solidarité avec leurs frères. Mais pour réaliser ces projets, on a besoin d’argent. Le problème majeur réside dans le manque de solidarité entre les différentes Eglises. La solidarité existe à l’intérieur des Eglises mais la coopération fait défaut. C’est chacun pour soi. C’est regrettable, parce que l’Eglise syro-catholique d’Antioche est une des Eglises les plus pauvres. C’est en partie parce que nous sommes bannis dans différents pays comme la Syrie et la Turquie. Même malgré les récentes difficultés, avec le Printemps arabe, il n’y a pas de solidarité entre les différentes Églises chrétiennes au Moyen-Orient. Ces dif-férences ont une origine historique et paraissent difficiles à surmonter. Chacun a besoin de son propre argent, nécessaire pour leurs propres écoles et hôpitaux. Heureusement, nous pouvons de temps en temps compter sur la solidarité de citoyens aisés qui réalisent de bonnes œuvres pour les différentes églises. Mais il est tellement dommage qu’il n’y ait pas plus de solidarité mutuelle. Carlos Slim, l’homme le plus riche du monde, est de parents libanais, qui étaient chrétiens maronites. Et cet homme qui vit au Mexique, ne donne rien en retour au peuple libanais!»

Missio: N’y a-t-il donc aucune solidarité entre les Eglises chrétiennes au Moyen-Orient?Mgr Melki: «Tout de même, oui. Les flux d’argent ne dépas-sent pas les frontières des différentes Eglises chrétiennes, mais dans la foi, nous sommes bel et bien solidaires. Nous nous rendons dans les églises les uns des autres et nous pri-ons ensemble, certainement à l’étranger. Nous n’avons pas le choix, nous avons besoin les uns des autres si nous voulons continuer à vivre notre foi.»

“Les chrétiens ne s’en sortent pas mal sous le président al-Assad.”

“Bien qu’il existe des musulmans modérés, il n’y a pas d’islam modéré.”

Dialoog

Ontmoeting

Solidariteit

Dialogue

Rencontre

Solidarité

Suara 3La voix des peuples

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Page 4: Suara 48: N’ayez pas peur

YÉMEN EGYPTE SYRIE

SYRIE

Depuis le début du printemps arabe, beaucoup de choses ont changé dans le monde arabe. Missio fait le point, en donnant la parole aux chrétiens de cette région

Herlinde Hiele & Caroline Medats

In memoriam | Pape Shenouda III

Le 17 mars 2012, le pape Shenouda III, le leader de la plus importante minorité chrétienne du Moyen Orient, est décédé à l’âge de 88 ans. La disparition de ce 117e successeur de l’évangéliste et père fondateur Saint Marc sur le trône d’Alexandrie, a plongé les chrétiens copte orthodoxe dans une profonde tristesse. Le Prof. Christian Cannuyer, coptologue et orientaliste raconte sur l’action de l’illustre disparu et l’avenir de la com-munauté de foi dont il a été le grand patriarche

Sylvain Kalamba Nsapo

Christian Cannuyer: «La mort du pape Shenouda III est évidemment un événement majeur pour toute l’Egypte, dans la mesure où l’Eglise copte orthodoxe rassemble entre 6 et 8 millions de fidèles. Depuis 40 ans qu’il était à la tête de l’Église, c’était une figure incontournable de la vie du pays. A la télévision, sa mort a été traitée comme un évé-nement national majeur; tous les journalistes portaient le deuil. Toutes les autorités civiles ont exprimé leur émotion, notamment le général Tantawi, chef des Forces armées, les leaders politiques, et aussi les principaux dignitaires musulmans, comme le cheikh de l’université al-Azhar. Bien sûr, le décès du pape a surtout touché ses fidèles, même si nombre de laïcs coptes avaient peu apprécié le soutien qu’il avait manifesté, dans les premiers temps de la révolution, au président Moubarak et l’attitude pruden-tielle qu’il avait adoptée face aux événements…»

Missio: Comment peut-on apprécier la force et la fai-blesse de l’Eglise copte sous le règne de Shenouda III? Cannuyer: «Dans la foulée de son prédécesseur, le grand pape Cyrille VI, il a présidé au formidable élan de renou-veau qui a marqué l’Église copte orthodoxe ces cinquante dernières années et dont l’illustration la plus marquante est la véritable résurrection des monastères. Il y a une extraor-dinaire dynamique spirituelle qui féconde la communauté copte. Mais il a aussi dû gérer la montée en puissance de l’islamisme politique qui a causé une détérioration des relations intercommunautaires dans le pays. L’Eglise a quasi occupé tout le champ d’expression de la communauté, inhibant d’une certaine manière le rôle des laïcs. Face au fondamentalisme islamiste, elle a été tentée par le repli identitaire et la fixation sur un discours théologique lui-même très radical, très peu ouvert sur la modernité.»

Missio: Quel est l’avenir de l’Eglise copte margi-nalisée? Saura-t-elle exercer une influence sur la succession du pape Shenouda III?Cannuyer: «L’Église copte est, comme toute l’Égypte, à la croisée des chemins. Parviendra-t-elle à élire un pape capable de l’accompagner sur la voie de la construction dune société «civile» et démocratique, où la religion se pensera en terme de liberté? Telle est la question. Car c’est bien de ‘liberté religieuse’ qu’ont besoin avant tout les minorités chrétiennes en terre d’islam. Pour l’Égypte, il est capital de promouvoir enfin la justice économique et politique et de faire en sorte que la religion - musulmane ou copte - n’ait pas à prendre en charge ce que la société civile assume dans d’autres pays. Il n’est hélas pas sûr que si la révolution est trop unilatéralement accaparée par la mouvance islamiste, on aille dans la bonne direction.»

L’Occident se soucie-t-il vraiment des chrétiens qui vivent en Syrie? Certains pays ont «généreusement» proposé de nous accueillir. Mais cette solution nous déracine et fait de nous des réfugiés. S’il en va ainsi, il n’y aura bientôt plus de disciples du Christ au Moyen-Orient, berceau du christianisme. Depuis le début du Printemps arabe, beaucoup de choses ont changé dans le monde arabe. Missio fait le point, en donnant la parole aux chrétiens de cette région. Comment l’Occident peut-il réellement venir en aide aux chrétiens présents en Syrie et dans tout le Moyen Orient?

Les chrétiens d’Orient sont des citoyens de pays où la majorité de la population pratique l’islam. Le sort de ces chrétiens dépend du pays et du «type» d’islam qui y domine. Nous nous adressons à vous, chrétiens d’Occident, afin que vous souteniez les régimes qui sont ouverts aux croyants d’autres religions et considèrent les gens comme citoyens à part entière. Nous vous demandons de ne pas soutenir les régimes qui nous ramè-nent au Moyen Age, lorsque les chrétiens étaient des ‘d’himmis’, une minorité protégée avec des droits limités.

Les chrétiens d’Orient sont les disciples des anciens Pères de l’Église, qui ont joué un rôle important dans le développement des dogmes et la liturgie. Nous faisons partie du patrimoine de l’Eglise. Le fossé entre l’Occident chrétien et l’Orient chrétien au Moyen Age a eu, de part et d’autre, un effet désastreux. Il est temps que nous tirions des leçons de nos erreurs et que l’Eglise puisse à nouveau respirer à pleins poumons! Nous ne sommes pas des reliques du passé, ni des étrangers. Nous souhaitons la bienveillance de nos frères d’Occident. Nous n’espérons pas seulement une aide matérielle, mais surtout du respect et de la sympathie. L’Archimandrite Ignace DICK, Vicaire Général de l’Eparchie Grecque Melkite Catholique d’Alep.

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20 janvier 2011:Début des manifestations contre le président Saleh.

14 janvier 2011:Le président Ben Ali démissionne et quitte le pays.

25 janvier 2011:Début de la protestation en Egypte.

15 mars 2011:Protestation en Syrie.

Avril 2011:Les manifestations en Syrie se transforment en guerre ouverte entre les insurges et le régime en place.

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juillet2011

Printemps arabe, un automne pour les chrétiens?

11 février 2011:Démission du président Hosni Moubarak.

17 décembre 2010:Mohammed Bouazizi simmole par le feu pour protester contre la confis-cation de sa marchandise par les autorités.

15 février 2011:Début de la révolution en Libye.

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EGYPTE LIBYE YÉMEN SYRIE

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Octobre 2011:Affrontements avec larmée 27 chrétiens coptes tués.

20 octobre 2011:Kadhaffi est tué dans son fief de Syrte.

Janvier 2012:Frères musulmans et Salafistes obtiennent la majorité au parlement.

Octobre 2011:Elections en Tunisie. Les chrétiens ont peur de perdre leur liberté.

27 février 2012:Le mandat du président Saleh touche à sa fin.

Mars 2012:Le sommet de la Ligue arabe traite de la Syrie.

12 avril 2012:Appel de l’ONU à cesser la violence. Mais celle-ci se poursuit.

Avril 2012:Tous les partis quittent la concertation en signe de protestation contre la suprématie musulmane.

23 mai 2012:Elections présidentielles postdémission en Egypte.

juillet2011

août2011

septembre2011

octobre2011

décembre2011

janvier2012

février2012

mars2012

avril2012

mai2012

juin2012

Que le Printemps arabe ait débuté en Tunisie fut une réelle surprise pour nous tous. La Tunisie est un pays pacifique où les gens ne réagissent pas vite. Pourtant, notre pays a donné le coup d’envoi à toute une série de révolutions. Les chrétiens et musulmans de Tunisie entretiennent de très bonnes relations. Notre pays témoigne d’un riche passé fait de diversité. Ce passé fait que les Tunisiens ont l’esprit ouvert. Durant les épisodes violents de la révolution, même nos églises ont été protégées par les jeunes musulmans tunisiens. En tant que chrétien et directeur de Missio, je n’ai encore jamais eu peur en Tunisie. Celui qui connaît bien les Tunisiens, sait qu’il n’a rien à craindre. On m’accuse parfois d’être trop optimiste, mais je me considère plutôt comme un «réaliste heureux».

Entretemps, nous avons connu de nouvelles élections, qui ont eu lieu en octobre dernier. Depuis, le pays est à la recherche d’un modèle de société qui soit à la fois adapté aux traditions locales du pays et démocratique. Pour l’instant, certains secteurs souffrent encore d’une mauvaise gestion. Je pense qu’il faut un peu de patience pour apprendre les règles peu à peu. Je n’ai pas peur de l’avenir. Père Jawad Alamat, 41 ans, originaire de la Jordanie, directeur de Missio Tunisie.

Pays Habitants Chrétiens (Source: World Bank 2010) (Source: Opendoors.nl)

Syrie 20 447 000 10 %Liban 4 277 000 39 %Palestine 4 150 000 1 %Israël 7 620 000 2%Jordanie 6 047 000 5 %Irak 32 031 000 1 %Arabie Saoudite 27 450 000 4,5 %Koeweït 2 740 000 15 %Emirats Arabes Unis 7 510 000 5 %Bahrein 1 260 000 5 %Qatar 1 760 000 5 %Yémen 24 053 000 0,01%Oman 2 780 000 1 %Egypte 81 121 000 12 %Libye 6 355 000 0,7 %Tunisie 10 549 000 0,2 %Algérie 35 468 000 0,07 %Maroc 31 951 000 0,06 %

Les chrétiens de Syrie ont peur. Ils ont encore en mémoire ce qui s’est passé en Irak. Beaucoup de chrétiens et de prêtres y ont trouvé la mort, lors de plusieurs attentats contre des églises. Ma famille, qui vit toujours en Irak, a depuis longtemps fui à Erbil, dans le nord. Ils ne se sentaient plus en sécurité à Bagdad. Il y a aussi de nombreux réfugiés irakiens qui séjournent en Syrie, afin d’y introduire une demande d’asile auprès des Nations Unies. Mon oncle est réfugié en Syrie depuis un an. Il a fui l’Irak après y avoir été enlevé et que notre famille ait payé 50.000 dollars de rançon pour le libérer. Nous attendons maintenant de voir ce qui se passera après la révolution en Syrie. Les islamistes accèderont probablement au pouvoir, ce qui constituera un désastre pour les chrétiens de ce pays.

D’après moi, fuir n’est pas une mauvaise décision. Parfois, la vie vous oblige à prendre des déci-sions que vous n’auriez jamais prises en d’autres circonstances. Mais en pareille situation, il faut sauver sa peau. Comment peut-il en être autrement? Continuer à se battre pour avoir le droit de vivre dans votre propre pays? Nous, les chrétiens, sommes en fin de compte une minorité dans cette région du monde et notre religion ne nous a jamais appris à nous battre. Dahlia K., jeune mère de famille, réfugiée irakienne résidant en Belgique.

Les chrétiens revendiquent leur place dans la société égyp-tienne en participant activement à la vie politique. Notre avenir dépendra des politiques que définira le prochain gouvernement. Mon candidat préféré aux élections pré-sidentielles s’appelle Hamdeen Sabahy. C’est un candidat socialiste dont le programme économique est solide. Il promet également de protéger les minorités.

Michael Francis (29 ans), vit à Rozytgat, près de Louxor.

� Les chiffres sont approximatifs. Certains chrétiens ont peur de révéler leur identité religieuse par peur de représailles.

SuaraLa voix des peuples

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Printemps arabe, un automne pour les chrétiens?

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Lu pour vous | Rudi Vranckx Une pièce sans livres est un corps sans âme, affirmait Cicéron, il y a deux mil-lénaires. Dans cette rubrique Missio se met en quête dune bibliothèque per-sonnelle et confie à son propriétaire la présentation dune de ses lectures pré-férées. Cette fois, c’est au tour de Rudi Vrankcx, journaliste à la VRT. Il a posé son choix sur l’ouvrage de Thomas Friedman: «From Beirut to Jerusalem».

Herlinde Hiele

Missio: De quoi s’agit-il dans ce livre?Rudi Vrankcx: «Friedman, un Juif américain, décrit dans son livre la période où il a vécu à Beyrouth et Jérusalem, à l’époque tourmen-tée des années quatre-vingt. Il était alors correspondant pour le New York Times. Le livre rend compte de nombreux éléments tout en étant à la fois écrit de manière très personnelle et très orientée. Friedman décrit dune manière remarquable la différence entre les deux mondes: celui de Beyrouth et celui de Jérusalem. Il décrit comment, en tant que juif, il a vécu cette réalité.»

Missio: Que trouvez-vous de spécial à ce livre?Vrankcx: «Friedman peut décrire les choses de façon très correcte. Il a par exemple traité de ce qu’il appelle les Hama rules. Il se réfère donc à Hama, la ville où le père de Bachar al-Assad, dans les années quatre-vingt, a fait massacrer des milliers et des milliers de frères musulmans. Hama rules signifie quelque chose comme: ne pas jouer avec mes pieds. L’auteur fait donc référence à la violence dure, tranchante, ouvertement déclarée. Tout le monde peut le voir.

C’est ce qui s’est passé et c’est ce que nous voyons à nouveau en Syrie. Le livre est un mélange d’histoire et d’actualité. Friedman fait de l’historiographie contemporaine, quel-que chose que j’essaie moi-même de faire.» Missio: Y a-t-il une idée de ce livre dont il restera une trace en vous?Vrankcx: «Dans ce livre se trouve une cita-tion: Celui qui veut parler avec moi ne le mérite pas: ce sont ceux qui restent cachés qui en valent la peine. La réalité qui vous est proposée, n’est pas la vraie réalité. Il faut oser se perdre et voir ce qui se cache sous la surface. Au cours de mes reportages sur le Printemps arabe, j’ai beaucoup de fois fait cela, oser me perdre. En Syrie, non, c’était trop dangereux. Mais l’an dernier lorsque je me trouvais au Yémen face à la Malédiction d’Oussama, j’ai complètement assumé.»

Lettre de Madagascar Que Missio puisse donner suite à divers projets partout dans le monde, cela n’est possible qu’avec votre soutien. Aussi lorsque nous recevons des signes de contentement au sujet de l’un de ces projets, telle cette lettre nous venant de Madagascar, nous avons à cœur de vous faire part de ces marques de satisfaction et de ne pas les retenir rien que pour nous. Chers amis,Dans le courant de 2010, nous avons reçu de Missio 4000 dollars à titre de soutien de nos projets. Avec cet argent, nous avons pu, dans le cadre du projet «Oratoria Don Bosco», venir en aide à beaucoup d’enfants et jeunes gens. Notre pro-jet a pour cible les villes de Mahavatse et de Tuléar où nous sommes actifs tant au niveau paroissial que scolaire, tout comme aussi au noviciat. Avec les sommes reçues, nous pouvons acheter des livres et prévoir de la nourriture et des médicaments pour ceux qui en ont un urgent besoin. Plusieurs jeunes, après obtention de leur diplôme dans notre école, ont ainsi pu poursuivre leurs études.

Les parents des enfants sont surpris de ce que nous ne demandons rien en échange de notre assistance. Nous avons commencé un programme spécial de catéchèse pour les parents, auquel cinquante personnes sont actuellement inscrites. Toutes veulent en savoir plus sur la foi chrétienne et souhaitent à terme se faire baptiser.

Merci pour tout.

P. Salvo Bartolo, Toliara, à Madagascar

“Ils sont surpris de ce que nous ne deman-dons rien en échange de notre assistance.”

Intentions de messe, solidarité spirituelle et financière Savez-vous que vos intentions de prière ne doivent pas être exclusivement portées par votre paroisse locale? Elles peuvent également l’être par d’autres communautés chrétiennes en Afrique, en Asie, ou encore en Amérique latine, que vous pouvez soutenir en leur octroyant des intentions de messe, via leurs prêtres respectifs.

Caroline Medats & Sylvain Kalamba Nsapo

Une messe peut être célébrée à l’intention de toute personne, vivante ou décédée. Ceci ne doit pas nécessairement se faire dans votre paroisse habituelle. Les prêtres résidant en Belgique peuvent donner leurs intentions de messe à Missio, qui à son tour les redistri-buera à d’autres prêtres qui sont dans le besoin, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Ces prêtres célébreront alors des messes pour vos intentions respectives, et pourront ainsi assurer leur subsistance grâce à vos contributions financières. Tel est le geste de solidarité spirituelle et financière auquel nous sommes invités.

Les intentions de messe constituent une manière agréable pour un croyant de participer au bien-être de l’Eglise universelle. Dans beaucoup de pays, les prêtres ne touchent en effet pas de salaire. Les intentions de messe offrent dans ces cas un soulagement certain. Missio a fixé le montant d’une intention de messe à 5,00 euros. On peut naturellement offrir plusieurs intentions de messe. Cette pratique appartient à une tradition séculaire. Depuis les débuts du christianisme en effet, les croyants ont pour habitude d’apporter des offrandes (nourriture, boissons, argent, etc.) lors des célébrations eucharistiques. Cette tradition demeure particulièrement vivante en Afrique où très souvent ce sont les offrandes des paroissiens qui assurent l’essentiel de la subsistance du prêtre.

Dans sa lettre de remerciement qu’a récemment reçue Missio, l’Abbé Godfrey Amobi AJ, du séminaire Uru de Moshi, en Tanzanie, l’atteste en ces termes: « dans l’accomplissement de la mission d’évangélisation, les intentions de messe constituent un soutien et une source d’encouragement.»

“Depuis les débuts du christianisme en effet, les croyants ont pour habitude d’apporter des offrandes lors des célébrations eucharistiques.”

Missio accorde des intentions de messe aux prêtres d’origine étrangère étudiant en Belgique, ainsi qu’aux diocèses et séminaires à travers le monde. En 2011, Missio a distribué pas moins de 64.000 euros sous forme d’intentions de messe. Soit 22.850 euros aux prêtres d’origine étrangère étudiant en Belgique, et 41.750 euros aux sémi-naires en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

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Page 7: Suara 48: N’ayez pas peur

Rétrospective 2011: quelques activités de Missio Dans le cadre de la campagne sur la Solidarité sans détours, plusieurs activités ont été réalisées à travers l’Eglise de Belgique. Nous en rappelons quelques-unes.

24h vélo sans détours vers la solidarité!

La paroisse universitaire de Louvain-la-Neuve, emmenée par le kot Missio, a roulé, lors des 24h vélo, pour les Chrétiens du Proche-Orient. A coup de pédale et pendant 24 heures, les étudiants se sont relayés pour se montrer solidaires des communautés chrétiennes dans le monde. En atten-dant, les résultats et la somme récoltée... chapeau les étudiants... et merci!

Veillée de prière œcuménique

Rassembler des chrétiens des trois familles afin de prier ensemble pour leurs frères du Moyen et du Proche-Orient, telle était l’invitation lancée conjointement par les prêtres maronites du Monastère St-Charbel de Bois-Seigneur Isaac et les permanents diocésains de Missio Brabant-Wallon et Missio Bruxelles. Le choix du monastère St Charbel pour accueillir la veillée du 8 octobre rencontrait à la fois le thème de la campagne 2011 de Missio et la semaine de célébration organisée par le monastère pour la fête de St Charbel. Une occasion idéale pour collaborer.

Tournai: Journée de la Mission Universelle

Le dimanche 23 octobre 2011, le soleil était de la partie à la paroisse de la Conversion de Saint-Paul à Mont-sur-Marchienne. L’Unité Pastorale Marcinelle/Mont-sur-Marchienne accueillait l’édition 2011 de la journée de la Mission Universelle.

Contact avec les médias

Dans son travail de sensibilisation, Missio n’a pas fait l’impasse sur les médias publics. Nos col-laborateurs ont ainsi pu s’exprimer dans le Journal Dimanche ou encore sur les ondes la radio RTBF et RCF. Par ailleurs, notre collaboratrice Armelle Griffon a parlé de la Mission Universelle sur un plateau de télévision le 4 octobre 2011. C’était dans le cadre de l’émission «Il était une foi».

ColumnMichel Coppin

Chers amis de Missio,Pendant deux semaines, notre pays a accueilli, et invité, Paul Karam. Paul Karam appartient à l’Eglise maronite et est le directeur de Missio au Liban. Missio l’avait invité à venir nous parler des chrétiens du Moyen Orient, et plus particulièrement de la situation actuelle des communautés chrétiennes au Liban, en Syrie et en Irak. Quelques points de son argumentation restaient pour moi en suspens. Au Liban, dix-huit religions sont reconnues par la con-stitution. Lors de l’indépendance, les postes politiques et militaires ont été proportionnellement répartis entre les diverses communautés religieuses.

Le président est toujours un maronite, le président du parlement un chiite, le premier un sunnite, etc. Selon Paul Karan le Liban se trouve être de cette manière le seul état démocratique de la région. Le pape Jean-Paul II a commencé sa Lettre Apostolique traitant du Liban en spécifiant ceci: le Liban n’est pas seulement une nation, mais est aussi un témoignage pour le monde. Pourquoi un témoignage? Parce que, malgré tout, chrétiens et musulmans font tout pour y vivre ensemble en paix. Cest là une situation particulière, mais qui est aussi extrêmement fragile.

Quant à la question du Printemps arabe. Paul Karam a été très clair. Lor-sque vous parlez du printemps, vous devez en voir aussi les fleurs. Où les voyez-vous: en Egypte? Ou’en Lybie où la nouvelle constitution a été basée sur la Charia. Avant la guerre du golfe vivaient en Irak trois millions de chrétiens. Actuellement, il n’en reste que quelques dizaines de mille. Qu’en est-il des chrétiens en Syrie? Ils étaient nombreux, mais beaucoup sont par-tis. Les bâtiments de Missio dans la ville d’Alep ont été gravement endom-magés par l’explosion dobus. A Homs, des familles ont été expulsées de leur demeure. En ce qui concerne l’avenir, on en est réduit aux conjonctures. Mais si des flots de réfugiés se forment, ils se dirigeront vers le Liban. Et cela risque à son tour de miner le fragile équilibre de la paix dans ce pays.

Celui qui est chrétien au Liban, peut l’être ouvertement, sans devoir crain-dre les autres. Les églises sont remplies le dimanche et les séminaristes ne manquent pas. Paul Karam nous a invités à ne pas avoir peur de témoigner ouvertement que nous sommes chrétiens. Nous avons reçu un message précieux de notre guide le Christ, message dont nous ne devons pas avoir honte. Ce qui ne nous est pas toujours compréhensible est la multitude de communautés chrétiennes existant dans cette région. Cette situation tient aux très anciennes traditions chrétiennes qui colorent le Moyen Orient. Elles n’ont pas été envoyées par d’autres, mais descendent directement des apôtres. Elles ont même envoyé des missionnaires en Occident. La grande variété de traditions découle de leur manière orientale de penser, qui est donc moins une pensée romaine. Cela doit se comprendre comme une diversité dans l’unité. Il nous est apparu évident que notre conférencier plaidait en faveur de la rencontre, du dialogue et de la solidarité entre les différents groupes religieux et cela de façon biblique. La visite de Paul Karam dans tous les coins de notre pays était plus qu’un approfondisse-ment de notre campagne, c’était un témoignage de solidarité chrétienne et de paix. S’étonnera-t-on alors que le pape Benoît XVI puisse se rendre prochainement au Liban, pour y remettre aux chrétiens du Moyen Orient son exhortation apostolique post-synodale.

OURS 12ième année

Suara est un mot indonésien qui signifie ‘voix’. Suara veut être la voix des sans-voix et de tous les peuples qui crient dans le ‘désert’. Au-delà d’être la voix des “sans-voix”, il nous revient de faire en sorte que les “sans-voix” en arrivent à avoir leur propre voix.

Directeur national de Missio: Michel CoppinRédaction en chef: Kenny FrederickxRédaction finale: Sylvain Kalamba Nsapo

Ont collaboré: Emmanuel Babissagana, Michel Coppin, Catherine De Ryck, Jacques Henrard, Herlinde Hiele, Anneleen Wouters, Michel Musimbi et Anneleen Wouters.Photos et illustrations: Lode Caes, Christine Laureys, Freegan Kollektiva, Frerieke, Missio, Shutterstock en Xavier VankeirsbulckEditeur Responsable: Michel Coppin, Bd du Souverain 199, 1160 Bruxelles.Mise en page et impression: Halewijn Printing & PublishingMissio est une organisation internati-onale de solidarité et d’échange entre

communautés chrétiennes et de promo-tion des rencontres interculturelles et interreligieuses. Près de 130 pays sont reliés à Missio qui soutient plus de 1000 communautés chrétiennes locales. Notre organisation prend soin de 112.053 institutions (les services de santé, la lutte contre la pauvreté, la formation pasto-rale et sociale, l’enseignement, etc).

Numéro de compte de l’ASBL Missio (Boulevard du Souverain 199, 1160 Bruxelles):IBAN: BE19 0000 0421 1012 BIC: BPOTBEB1

Il ne nous est pas permis de délivrer une attestation fiscale pour les versements effectués sur ce compte.

MissioSecrétariat NationalBd. du Souverain 199, 1160 BruxellesTél.: 02 679 06 30 - Fax: 02 672 55 69E-mail: [email protected] web: http://www.missio.be/

Missio Brabant-WallonCh. de Bruxelles, 67, 1300 WavreTél.: 010 23 52 62E-mail: [email protected]

Missio BruxellesRue de la Linière, 14, 1060 BruxellesTél.: 02 533 29 80E-mail: [email protected]

Missio Eupen Bergkapellestrasse 46, 4700 EupenTél.: 087 55 25 03E-mail: [email protected]

Missio LiègeMaison des BruyèresRue des Bruyères 127/129, 4000 LiègeTél.: 04 229 79 40E-mail: [email protected]

Missio NamurRue du Séminaire, 11, 5000 NamurTél.: 081 25 64 46E-mail: [email protected]

Missio TournaiRue des Jésuites, 28, 7500 TournaiTél.: 069 21 14 59Fax: 069 84 38 15 E-mail: [email protected]

Au cours de la campagne 2011, le lecteur a peut-être constaté que Missio utilise tantôt le terme “Moyen Orient”, tantôt le vocable “Proche-Orient”. La raison est simple: selon nous, il n’y a pas de différence. A en croire l’historien Christian Cannuyer, on est dans le domaine du conventionnel. «Le terme Moyen Orient est plus récent (fin 19e s.), mais il désigne en gros la même région que Proche-Orient. Quelques puristes ont voulu limiter le Proche-Orient aux pays qui faisaient autrefois partie de l’empire ottoman, considérant que le Moyen Orient comprenait en outre l’Iran, l’Afghanistan, les pays caucasiques, etc. Mais cette distinction ne s’est nullement imposée et on peut tenir les deux termes pour des quasi-synonymes.»

SuaraLa voix des peuples

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Page 8: Suara 48: N’ayez pas peur

Emilio Platti | Au coeur de la révolution en Egypte Professeur et Dominicain, Emilio Platti partage son temps entre Louvain (Belgique) et Caire (Égypte). Il se trouvait également dans la capitale égyptienne dès le début de la révolution jusque fin avril 2012. Missio l’a interrogé à propos de ce qu’il a vécu sur la Place Tahrir, au centre de la révolution, et s’est penché sur le sort des chrétiens en Égypte. Les chrétiens, principalement des coptes, représentent dix pour cent de la population égyptienne

Catherine De Ryck & Caroline Medats

Missio: Quelle est la situation en Égypte aujourd’hui, presque un an et demi après le début de la révolution? Emilio Platti: «Les gens sont nerveux et per-plexes. Il y a beaucoup de chaos. Les Frères Musulmans, une organisation politique sunnite en faveur d’une société islamique plus stricte, et les salafistes, des sunnites qui veulent mettre en pratique les textes islamiques de façon rigoureuse et rigoris-te, ont remporté les élections législatives. L’élection présidentielle approche, mais il n’y a toujours aucune Constitution. La population craint le pouvoir militaire. La nuit, on dénombre des victimes touchées par des forces anonymes qui auraient des liens avec l’armée et l’ancien régime.» Missio: Quelle était la principale revendication des manifestants sur la Place Tahrir? Platti: «Au début de la révolution, la popu-lation souhaitait mettre fin à l’humiliation et au harcèlement provoqués par les ser-vices de sécurité. J’ai plus d’une fois fait moi-même l’expérience de leur arrogance. Avant le 24 janvier 2011, les forces de sécurité étaient intouchables.»

Missio: Comment avez-vous vécu la révolution? Platti: «Après la prière du vendredi, je me trouvais toujours sur la Place Tahrir, mais pas comme manifestant. C’était très instructif. C’était une véritable expérience. Les jeunes contrôlaient toute personne qui s’engageait sur la place, afin d’assurer la sécurité. Les manifestations devaient se dérouler sans vio-lence. Il n’y avait pas de police.» Missio: Avez-vous perçu une évolution au sein de la révolution? Platti: «Sur la Place Tahrir, j’ai senti un énorme changement dans les slogans et l’atmosphère. Au début, les gens sur la Place Tahrir étaient emplis d’idéalisme. Ils souhai-taient la fin de l’état policier, de la répres-sion et de la nomenklatura corrompue. Ils militaient en faveur de la démocratie et de la liberté. Tout le monde s’y réunissait en tant qu’Egyptien, et non pas comme chré-tien ou musulman. L’accent était mis sur la

nation. Un des slogans était éloquent: «La tête haute, vous êtes Egyptien». Jai vu un moine et un imam main dans la main. La croix et le croissant, symboles respectifs de la chrétienté et de l’islam, étaient représentés côte à côte. C’était la première phase de la révolution. En novembre, le ton a changé. La population de la Place Tahrir craignait que les militaires ne restent au pouvoir et qu’ils ne conservent leurs larges privilèges. Cette crainte s’exprima également dans les slogans. Des centaines de manifestants furent abattus lors de tirs depuis le ministè-re. Un imam, également connu sous le nom de cheikh de la révolution et professeur à l’université réputée d’al-Azhar, y perdit la

vie. Cette information ne fut malheureu-sement pas relayée par les médias.» Missio: Quelle était la situation des chrétiens avant le déclenchement de la révolution? Platti: «Avant le déclenchement de la révolution, les Coptes se montraient très critiques. Ils en avaient assez d’être trai-tés comme des citoyens de seconde zone. Ils avaient du mal à accéder aux emplois dans l’administration publique. Moubarak tenait les rênes du pouvoir. En outre, le sys-tème électoral en Égypte rend très difficile l’élection de minorités. Mais Moubarak a visé les frères musulmans et les salafistes, et pas les chrétiens. De plus, ils voulaient également construire plus d’églises mais ils oubliaient que plusieurs églises magni-fiques avaient été bâties. Il suffit de penser à la cathédrale flambant neuve d’Assouan. Parfois, ils sont donc trop exigeants. Il y a du ressentiment parmi les chrétiens. En fin de compte, ils doivent accepter qu’ils ne constituent qu’une minorité. Mais ils ne peuvent certainement pas être considérés comme des citoyens de seconde zone.»

Missio: Quelle est la situation des chrétiens en Égypte aujourd’hui? Platti: «Le sort des chrétiens a changé après les élections législatives. En mars-avril 2012, des lieux de culte salafistes ont été attaqués. Des mausolées de soufis (les partisans du soufisme, la dimension mystique la plus profonde de l’islam) ont subi le même sort au Caire et à Alexandrie. L’armée y a mis fin. Les salafistes veulent purifier l’islam et s’opposent à la vénérati-on des Saints. Le culte des Saints est, selon eux, une forme de polythéisme.» Missio: Comment voyez-vous l’avenir de l’Égypte et du reste de la région? Platti: «Je ne perçois pas l’avenir proche de façon très positive. Les sondages en Égypte ne sont actuellement pas en faveur de la jeu-nesse démocratique. Je pense qu’en Égypte, l’armée va conclure un compromis mais qu’elle conservera ses larges privilèges. Au sein du sunnisme, le wahhabisme l’emporte dans toute la région, en partie grâce aux pétrodollars. Il s’agit d’une forme rigoureuse de l’islam où la «purification» est primordi-ale. Les Wahabites rejettent également les formes moins rigoureuses de l’islam.

Les islamistes politiques, tels que les frères musulmans, les salafistes et les wahabites, ont maintenant l’opportunité d’appliquer leur modèle religieux. Ils ont récupéré la révolution et voient maintenant la possi-bilité de mettre en avant leur légitimité. Les chrétiens de toute la région ne sont pas directement impliqués dans le conflit entre les musulmans, mais ils en sont les vic-times. En ce moment, j’ai des craintes pour les chrétiens du Moyen Orient. En Syrie, les militants sunnites ont repris en main la révolution contre le régime. Actuellement, la situation évolue vers une guerre civile entre militants sunnites et les alawites, un mouvement au sein de l’islam chiite.

Bien sûr, les chrétiens ont vécu dans de bon-nes conditions. Mais il importe de savoir que les autorités sunnites en Egypte ont des opinions totalement différentes de celles des wahabites. La démocratie, la liberté et les droits de l’homme jouent un rôle impor-tant. Mais les médias n’en font pas écho. Ils sont constamment en train de présenter une fausse image de l’Islam.» Missio: Qu’en sera-t-il de l’avenir lointain? Platti: « l sera positif. La démocratie et la citoyenneté dépasseront l’Islam politique et seront la base d’une nouvelle société. D’ailleurs, la démocratie est déjà impor-tante dans le contexte de la revolution égyptienne. Une perspective progressiste remplacera le modèle islamique.»

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“J’ai des craintes pour les chrétiens du Moyen Orient.”

“La tête haute, vous êtes Egyptien.”

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