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7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
1/327
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CD
co
'iNIVOf
fORONrO
llBRARy
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
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7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
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7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
4/327
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Internet Archive
in 2009 witii funding from
University
of
Toronto
littp://www.arcli
ive.org/details/voyagedecondotti01suar
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
5/327
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
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7/327
VOYAGE
DU
CONDOTTIERE
VERS VENISE
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
8/327
QOSLQUBS
OECVBES
DK SUARES
POSIE
AwNm, l
ToL
ln-4
1917
(puM).
BoccLizn
DU
ZoDUQtB,
1
Tol.
gr.
in-18,
lfl07
(t^i$i).
Images
di
la Orandeur, 1
vol. in-4*, 1906 (puia).
Lais rr
Skes,
1
toI. in-16, \V16(pmi).
CRANSOn
Dl
PSTCBi
(tOlU
pfttM).
Angleterre,
1 toI.
in-S*,
1917.
Ciux DE
Verdun,
1
vol.
inS',
1918.
THTRE
AcaiLLE
Vengeur
($ov
prtnt).
Cremida,
1
vol.
in-18,
191.
Tragkdie
d'Electre,
1
vol.
in-16,
1905.
Ld
Bolrdo.xs
so.tt
en
Fleur,
in-16,
1917.
POLTxiNE
(tous
pre$$e).
10MES D'IDES ET
DE
NATURE
Stm
LA
Mort
de
mon
Frre,
1
vol.
io-lS,
1917.
LiviiB
de
l'Emkraude,
I
vol.
in-18,
1919.
Voyage
du
Ojmdottire,
1
vol. in-18,
1913.
Voici
l'Homme,
1
vol.
gr.
in-8%
1905
(puit).
CHROPnOUES
ET PORTRAITS
8oR
LA
Vie,
3
vol.
in-18,
1907-1909.
Ibis
et
Visions,
1
vol.
in-18,
1912.
Tmms
Hommes, 1
vol.
in-8*,
1913.
CaXMiiQi'E
DE
Cardal,
2
vol.
in-8*,
1914.
PicuT,
1
vol.
in-ie, 1915.
Commentaires
sur
la
Grande
Oobrri, 5
vol.
io-16,
1916-1918.
Cervantes,
1
vol.
in-16,
1916.
XiMiu,
1
vol. iD-18, 1922.
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
9/327
'
ANDR
SURS
VOYAGE
DU
CONDOTTIERE
VERS
VENISE
PAIUS
RMILE-PAUL
FHHES,
EDITEURS
100,
101
ou
rAOBOORO-tAIRT-IOROftl.
iOO
rLACI
BIAOYAD
rL^
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
10/327
JUSTlFICVTIOa
DO
TIRAGE
V
7,775
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
11/327
LIVRE
PREMIER
VERS
VENISE
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
12/327
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
13/327
VOYAGE
DU
CONDOniRE
LE
CONDOTTIERE
Le voyageur
est
encore
ce
qui
importe
le plus dans
un
voyage.
Quoi qu'on
pente,
tant
vaut l'homme,
tant
vaut
l'objet.
Car
enfin
quet-ce
que l'objet, tans
l'homme?
Voir
n'est
point
commun. La
vision
est
la
conqute
de
la
vie.
On
voit
lujourt,
plut
ou
moUteommeon
ett.
Le
monde
ett
plein
d'ttveuglet
aux
yeux
ouvert*
mm
une
taie
;
en tout spec'
tacle,
c'est leur
corne
qu'Ut
contemplent,
et
leur
taie
grite
qu'Ut taitittent.
Let
ides
ne
tomt
rioi,
m
Von
n'y
trouve
une
pemhtre
'tt't
tentimentt, et
let
mdaUlet
que toutet
le
tentation
ont
frappe
dont
un
homme.
Comme
tetUee
qui
compte
dam lavie^un
beau voyage
est
une
uvre
d'art
:
une
eroikm.
De
la plut
humble la
vlut
haute,
la
cration
porte
taioignagettun
oralaur.
Let
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
14/327
2
VOTAOB
DU
CONDOTTlfeRB
jjays
ne
sont
que ce
qu'il
est.
Ils
varient
ave uux
qui
let
parcourent.
Il
n'est
de
vritable
connaissance
que dans
une
oeuvre
dart.
Toute
V
histoire
est
sujette
au
doute. La
vrit
des
historiens
est
une
erreur
infaillilfle.
Qui
voyage
pour
prouver
des
ides,
ne
fait
point
d'autre
preuve
que
d'tre
sans
vie,
et
sans
vertu
la
susciter.
Un
liomme
voyage
pour
sentir
et
pour
vivre.
A
mesure
qu'il
voit
du
pays,
c'est
lui-mme
qui
vaut
mieux
la
peine
d'tre
vu.
Il se
fait
chaque
jour
plus riche de
tout
ce
qu'il
dcouvre.
Voild
pourquoi
le voyage
&(l si
beau,
quand
on
l'a
derrire
soi :
il
n'est
plus,
et
l'on
demeure
Cest
le
moment
o,
il
se
dpouille.
Le
souvenir
le
dcante
de
toute
mdiocrit.
Et le
voyageur, pench
sur
sa
toison
d^or,
oublie
toutes
les
nises de
la
route,
tous
les
ennuis
et
peut-
tre mme
qu'il
a
pous
Mde.
Je
ferai
donc
le
portrait
de
Jan-Flix
Cardal,
le
Condottiere,
dont
c'est
ici le
voyage.
Je
dirai
quel tait
ce
cluivalier
erratit,
que
je
vis
partir de
Bretagne
pour
con-
qurir r
Italie.
Car
dsormais,
dans un
momie en
proie
la cohue et
la
plbe,
la
plus
haute
conqute
est
Vuvre
d^art.
Cardal
a
trente-trois
ans.
Des
annes
cCocan
et
de
brume donnent
de
V
espace
l'me.
C'est
un
homme
qui
a
toujours
t en
passion.
Et
c'est
par
l
qu'on l'a
si
peu
compris.
Parce
qu'il
tait
en
passion,
soit
qu'il
aimt
une
cra-
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
15/327
OYAOB
DU COnDOTTliRK
3
ture
mortelle,
ioit
qu'il
ft
tout entier
une
foi^me
de
Cart
ou
de la vie, il a
paru
toujours absent
de r
ordre
commun,
$aiu rgle,
ou un tyran
pour
autrui.
Mais,
au contraire,
il
n'rui
pas
entrepris
sur le droit
des autres,
s'ils
ne
t'taient
pas
mls
hargneusement
dejetei-
leurs limites
la
traverse
de
son droit,
lui.
Il
ne sparait
pas la
pense
de
Caetm.
On
agit comme
on
peut, et selon les
armes
qvn
le
sicle
nous
prte.
Pour
ce
Breton,
un
livre
n'a
jamais
t qu'une tragdie
qu'il
a
d vivre.
Et
toute
la nature est
entre
dans
sa
mlancolie.
Or, quel acte,
en sa
jeunesse,
ou quel
drame
de
sa saison
plus
mre, lui parut jamais
digne
d'un
regard, qtti
ne
flait
pas d'tre
lev
la
beaut
d'une
ceuvre
?
Cest
la raison
qui le
rend
si
svre
aux
livres
et
asm
Aorninei,
et pourquoi
il
aime
si
forte-
ment
ceux
qu'il
a
choisis.
Il
n'a
rien aim moins que
lui.
Il
n'a
vcu
que pour l'action:
c'est
vivre pour la
ff
.>'
I
iiiRI 7
cre ta
soliluJe.
Il
ne
s't^paryne
pas lui-mme:
parfois^
Conirtl
isole
(ni-dal.
Combien
de
fois
tie
Va-i-il
peu
remarqu,
pour sa
plus
grande peine? Partout
o il
et/, il
fait
contre
/im,
et
lui
seul,
f
union des volonts
les
plus
diverses
et des
penses
contraires.
Et
de
mme, quand
il
sort,
le
soir,
on
s'carte
de
lui.
On
le craint,
stms
le
eonn(Mre. Dans
la
rue, on
a
l'air de
le redouter.
Et les
gens,
pour
se
rassurer, se
liguant
aussitt,
cktrckeiU
en
lui te ritUcule
o
s'attacher,
avec
Ijfses^e
:
emr
Vastimai
deux
pieds, qui porte
le
front
ea
haut,
veut
rire
d'abord
de
celui
qui
le
trouble.
On t'a
cru
anarchiste;
et ii
est
la
hirarchie
faite
homme.
Mai
il
est
vrai
qu'il
ne
se
place
pas
au
pied
de
I chelle.
Et
s'il est
toute
hirarchie,
c'est quU est
prs
de
la
nature.
Avec
un
amour
de
la
cration,
que
rien
n'gale,U
passe
pour
avide
de dtruire :
c'est
qu'il
pntre. Il
peut
aimer
mme
ce qu'il
n'estime
pas. Tel
est
le
prix
de
la varit
du
moivle,
ses
}feux,
qu'il
voudrait
sauver
jusqu'
ce
qu'il
dteste. Il
a
Vhorreur
de toutes
les
idoles, et
la passion
de
tous
les
dieux. Ainsi
il
a
paru
dur
et
svre,
quand
il
tait le
plu
absent de
soi.
Sotirri
des
Grecs et
des
Anciens,
de
la
Bible et
des
chants
populaires,
je
ne dirai point quels
taient
set
dieux. On
la
verra
bien.
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
20/327
8
VOYAOI
DO
CONDOTTIERI
Avant
tout,
il a
t
musicien
:
la
musique
ett
la
femme
dans
le
pote,
lanature
en
amour.
PourCardal,
la
mort
c'est
la
fin
du chant.
Il n'a
jamais
t
un
instant qu'un
chant
ne
retentit
dans
son
me.
La musique
est
aussi fac-
tion
du rve.
Il
n'est
jamaiji
entre dam une caiiiedrale,
sans
prendre
part
la
messe.
Il
n'a
jamais
eu
une
pense
pour
la poli-
tique,
sans
[l'mir de
ne
pas
tenir Vempire. Il
a
toujours
t
partag
entre
la
passion des hros
et
celle
des
saints.
Cesl
pourquoi
il
tait
artiste.
A
son
sens, une
noble
vie
doit se
vouer
la
cration,
et
finir
par
la
saintet.
On ne
se
dtache
de
soi
qu'en s'immolant.
Il
faut
vivre
pour
son
Dieu et
mourir
soi-mme.
Tel
tait
cet
homme,
qui n'avait
pas moins
faim
d'amour
que
de
puissance.
Ou
plutt, pour
qui la
plus haute
puis-
sance n'a
jamais
t
que la possession
et rexercice
du
plus
bel
amour.
Voil
comment
Cardal s'est crois pour
servir
l'art
vritable et
la
cause de
la grande
action,
vrai
Condottiere
de la
beaut.
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
21/327
BALE
Ttit
duro et ventre
chaud,
Bile
est
une
ville aingu-
liie,
capitale
de
bourgeois.
Elle
est
chimrique
et
grase, religieuse et
cliarnelle.
Le
plus
souvent,
elle a
la
mine
maussade.
Elle
nt
venteuse
:
dans
le
couloir
de la
valle, souille le
grand
vent des montagnes,
qui
pousse
en
fer
de
lance
un
baiser
aigre.
Sous
la
neige
d
hiver,
Ble a
la galt fona.
Les
fumes
bleues,
sur Ict maisons de
bois,
panent de
larges
cuisines
et de festins bourgeois,
d'oies qui rtis-
sent, de
poles
en faence, do
meubles
bieo
cirs
et
d'Iiorloges
qui
rougeoient
contre
les murt
tombret.
L,
on
fait
une cliCre
deoae et
savoureuse,
ei
i
on mange
d'eicellent
poisson.
S'il
pleut, la
pluie bnlle
en
reflets
luisants
sur
les
?ciri
f
es et
les
culs
de
bouteilles sertis
1
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
22/327
10
VOTAOI
DO
CONDOTTIERI
dans
le
plomb. Et
l'on
pense
la chambre
chaude,
par
les
grands
froids,
derrire
les
vitres
paisses,
quand
le
pole
ronfle,
que
le
serpent
de
fonte
rougit, et
quand,
au
crpuscule
qui
tombe,
une
sourde lueur
d'olive
iraine
languissamment
sur
les cuivres
suspendus,
et
la
tranche
d'or
des livres.
Alors
la
ville bien
nourrie
semble
pose
au
bord
du
fleuve
pour
servir
d'htellerie
aux
rois
mages
en
voyage
vers
l'arbre
de Nol.
Ici, le
Khin
n'est
pas
encore le
pre.
Il
roule,
violent et
glauque. Il est
vert
comme
la
feuille
de
saule;
et
quand
un nuage en
toison
traverse
le
ciel,
il
est
laiteux
comme
l'herbe tendre.
Qu'il
est
hardi,
press,
froid et
vif
Ce
n'est
pas
le pre,
mais
le
jeune homme
en son
premier lan.
Il
se
prcipite.
Il est
goste,
et
tout soi.
Il court
grand
bruit.
Tantt
gai,
tantt
triste,
toujours frntique et
jeune ;
il est
tor-
rent.
11
est
chaste aussi.
Je
l'appelle
Siegfried dans la
fort
et
dans
la
forge.
Il
ne
connat pas
la
peur;
il
ne
craint
pas
l'arrt. Il tombe
en
criant
de
joie par-dessus
les
rocs
et les
montagnes.
Il
cume
dans ses
chutes,
et
pas
une ne
le
retient.
Plus
il
roule
de
haut,
et
plus
haut
il
bondit.
Rien ne
le brise.
Rien ne l'cntiave.
Cette
nuit,
dans
mon lit,
je
l'entends.
Sa
clameur
me
soulve.
Et
j'coute.
La
forte
voix appelle.
Elle
a le
murmure
grondeur
des
lions,
et
de
l'action. Elle
appelle,
elle
aopelle.
Elle invite, elle
commande.
A
l'uvrd, en
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
23/327
0TA6I DD
CONDOTTliRB
il
route,
et
toujours
plus
ayant
1 11
est
plus violent,
il a
plus
de
force
agissante
dans oette oodbre
Docturne,
que
dans le
plein midi
de
ses chutes.
L
bas,
il
rompt
les
barrires. Ici, il est
matre,
et
sa
marche
est
irrsistible.
la bia
magnifique I
Quelle
promesse de
labeur
en
sa
puissance
I
VoiU
le
hros
de
l'Hercule
du
Nord.
En
forme
de
coogrea
et
de
saumons,
les
longs nuages
gris
la
queue noire
se
h&tent
vers l'Ouest.
Ils
vont
1
te
et ne
se battent
pas.
Us fuient
le fleuve.
Au pont
de
Wettstein,
lu
matin
rose doore
les rives.
La
frache
lumire
rit sur
de
larges
tilleuls,
tt^te
ronde,
dans le
jardin
des
Chevaliers, je
crois.
Il
est
des villes
o le bois
se
fait passer
pour
de
la
pierre. La
pierre,
ici,
joue le
bois,
surtout parmi
les
arbres.
Ble
cliaufTe
au
soleil son ventre
peint. Tout
btiment
semble du
bois
peint,
mme
la
catlidrale.
Elle
est au
contraire
de
oe
betu
grs
rouge,
qui
Tient
des Vosges, et
que
la
beaut de
Strasbourg
a
sanctiflA.
Je
tte
oette grosse
pierre,
je
touche
avec
volupt
son
grain
rude,
qui
t
la chair
de
poule.
Oeraot
l'glise,
dea
enfants
aux
cheveux
d'argent,
l'il
honnte
et
clair,
se
poursuivent
sans
cris.
Ils sont brusques et
patauds,
brillants
et robustes.
Bio
marchande,
en
ion
opulence
bourgeoise,
sent encore Ici champs. La
sant
fleurit
on teint.
Elle
a
les joues
d'une
paysanne.
Sa
cathdrale
est
coilTe
d'une
toiture
en
rubans.
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
24/327
12
yOTAOI
DO
CONDOTTlftm
Elle a
l'orgueil
d'tre
solide
et
riche. Elle est fire
de ses bonnes
murs, et
rit
en
dedans de sa dbauche.
Elle
lit
la
Bible
d'une
main,
et de
l'autre,
derrire
un
rideau d'exgse et de
raison
austre,
elle flatte
large-
ment ses
passions
et
tend son
verre la
bouteille.
Ble
est une
ville
qui
boit
l'enseigne
de la
temprance.
Elle est pleine
de
riches
et
de
mendiants.
Ses
trois
cents
millionnaires
y
font des
dynasties, comme
ailleurs
les
nobles
;
et on
y
compte un
pauvre,
nourri aux
frais
de la ville, par
sept habitants.
Je hle le
passeur
du
bac.
Un
vieux
birbe
taciturne,
qui
sent
l'eau-de-vie,
me
fait
signe.
Il
est
vtu
d'une
laine
verte,
qui
fleure
la
mare. Il a la
joue
longue
et
rouge,
plus
ride qu'un
toit
de tuiles. Il a du poil
par-
tout
;
et
une boucle
rousse
tourne
en
anneau
de
cuivre
son
oreille.
Est-ce
qu'il
chique?
Un
jus
un
peu jaune
coule
au
coin
de
ses
lvres droites
et
minces,
comme
deux
bouts
de
filin; en
mchant,
il
prpare
peut-tre
une pissure.
Il
fait de l'cume.
Il
a
l'air
d'un
antique
matelot
Caron. Il
prend
l'obole
sans rien
dire.
Il
a
les
yeux
de son fleuve.
Qu'il nous donne
de
l'aviron sur
la
tte,
et
qu'il
nous
jette
au
courant
N'en
a-t-il
jamais
envie ?
Il ne
m'en chaut.
Je ne
me
dfie
pas
;
j'aime
sa
figure
de
marin.
Sur
le
Vieux Pont, des femmes
vont
et
viennent,
la
taille
ronde
et
la jambe gaillarde sous la jupe.
Hautaine
et
vive,
une
belle
jeune
fille
riait
avec
ses
amies,
jetant
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
25/327
OTAOI DU
CONDOTTIERI
13
en
aumdne un regard distant aux
hommes. Int.
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
26/327
14
YOYAOt DU
CONDOTTiftKK
El
je
regarde
cet
autre
passionn,
aux
yeux
glauques,
lo
Rhin
ardent
et froid qui
prcipite
ses
eaux
dange-
reuses, o
le
vert do
gris
se
mle au
bleu
de
givre.
Sous
la
PDilz,
dec
baigneurs
soufflent.
I^es
corpi
blancs
sont
rouges
sous
l'eau
verte. Ceux
qui
plongent
font
d'tranges
saumons,
qui
reparaissent
en
crachant.
Ils
ont
la tte
carne,
les paules
carres,
les pieds
car-
ns.
Ils
sont
tous blonds et
roux. Ceux
qui
les
admirent,
on
a
fort
envie
de
les
jeter par
dessus
la
rampe
:
au
milieu
du Vieux Pont,
on
montre
une
chapelle
nar-
quoise,
d'o
l'on
lanait
jadis les
condamns
dans le
fleuve
:
un
joli
jeu
en
cas
de
doute;
car
le
doute
p
ofite
l'accus,
comme on
dit. Lui
faisant quitter la terre
par la
voie
la plus haute, quel
inculp
n'est
pas
cou-
pable? El c'est un
bon
moyen
pour
des
juges
: lier ses
scrupules aux
pieds
des
accuss
:
ils
en
dirscniidniii
mieux.
Ville qui
nai^e
et
qui jouit
d'tre
secrte,
franche et
brutale
dans
la
vertu,
doctorale
dans
le
vice
et
peut
tre
hypocrite,
Ble
cache beaucoup
d'ironie
et de
sarcasme
sous le masque bourgeois.
Mais
le flux
grondant
du
Rhin
emporte
tout
vers
la
mer
salubre.
Je
le
contemple
au
Vieux Pont,
une
dernire
fois. Je
l'aime fortement.
Avec
Ble, c'est le
Rhin
que l'on
quitte,
le
frre
Rhin.
Je
ne
verrai
plus
de
fleuve.
Parce qu'il
est
la marche
mouvante
de
l'Occident,
sa
ligne
vivante
et
passionne,
\i
profil
de
son
visage
vers
la terre,
le
Rhin
est
le
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
27/327
VOTACB DO CONDOTTlilB iS
fleuve
des fleuves.
Et
ptroe
qu'il
coule
toujours
inclin
vers
le
couchant,
sans
que
jamais
le
Nord
le
captive,
il
est celui
qui doit
unir aussi bien
que
celui
qui spare.
Par
la
vertu
du fleuve, B&le peut plaire
mme
qui
ne
l'aime
pas.
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
28/327
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
29/327
HOLBEIN
Au
muie de B-Ue.
Li plof impastible
des
peintres :
la
cooscieace,
c'est
lODU.
Jeune homme,
il est dj
mr.
Srieux,
froid, sa
solidit
fait
peur.
Homme
mr,
il
n'a
point
d'ige,
sinon
l'ge
de la
force.
Tout
est
carr
en
lui.
Il
a
une
tte
de
bourreau,
dipre
marchand,
de matre sans
piti
qui
commande
au
logis
ou i
la
guerre. La barbe des
por-
teurs
d'eau
lui
largit
encore le
Tsage.
Je
leoonnait
celui
qui
ricane,
sans
dmefrei
les
dents,
la
Danse
des
Morte.
C'est
bien
l'homme
du fait
et
de la matire. On
ne
sait
s'il
aime la nature
: il la
regarde
de prt,
en
tout
cas;
il est
pour elle
un
tmoin
sagace,
un
lileneietiz
confident.
U
a
l'instiael
de
l'appirioee,
et
il
nourrit
le
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
30/327
18
VOYAGE DU
CONDOTTlini
sentiment
de
la
destruction. Holbein,
homme
qu'on
ne
trompe
pas.
n
analyse
avec
sret,
avec
force, avec
beaucoup
d'esprit.
Aprs
avoir admir
les
portraits
du
bourg-
mestre
Meyer
et
de
sa
femme,
si
l'on
s'arrte
celui
de
la
fille,
on a
lu tout
un roman. Iji
fi;mme
du
bourg-
mestre
est
d'une
exquise
lgance,
en
ses
atours
de
simple
bourgeoise.
Jeune fille, elle respire le
charme
le
plus
svre
et
le plus
dlicat.
Femme,
et
toujours
jeune,
marie
l'homme
le plus
considrable
de la
ville,
quelle
figure
impntrable
que
la
sienne
I A
Ble,
elle est
toujours
la
plus
belle.
Sa
parure
est
somp-
tueuse;
elle peut recevoir
les
princes et
les
rois,
de
pas-
soge
dans
la ville
impriale. Mais
ses
traits
si
muets et
si
purs
ne sont point
ceux d'une femme
heureuse.
Elle
est calme,
et
s'ennuie.
Elle n'a point
d'amour.
Elle
ne
l'attend
plus
de
ce gros
homme
placide,
son
mari,
qui,
dcid
partisan
de
la
Rforme,
ne
peuse
plus qu'aux
intrts
de la
religion,
i>olitique,
paterne,
sans
vice
et
sans
malice,
un gros
nez,
qui
rougit
en
hiver,
une
grosse
bouche
au
rire
pais et
aux
gros
reps.
Or, leur
fille
boude,
ses nattes
dans
le
dos.
Elle
est
sotte
et
ruse.
Elle
est
dj
pitiste. Entre sa mre
et
elle,
il
y
a
tout
un
sicle
:
la
Rforme.
Elle
a
le
gros nez
de
son
pre,
sans
en
avoir
la
bonhomie.
Comme
toutes
ces
femmes,
dont
Holbein
a dessin les
costumes,
elle
touffe
de
pesants
ap[)tits
sous
ses
lourdes
colles.
Leurs
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
31/327
OYAl DU
CONDOTTllRI
IQ
mode*
D
sont
pu u loin
des
ntres.
Seulct
difT^^ent
1m jupM
trop implet.
Elles
font
bastionB
et
rcdnns
:
o'mI
l
derrire que
la volupt
so
retranche,
elle
au^^si
loumoiie et circonspocte
:
elle
a besoin
de ces
remporta
d't.>(re
pour
ot
pu
se
lirrer.
Holbcin
a
un got
dlicieux
dans
su
detaln.
Il
des-
*-
la pointe
oomme
on
grave.
Son
trait
est
d'une
atcsce
et
d'une
pieUion
uniques.
Il
est
d'argent
fin
sur
do
beaux papiers
qui font
ombre.
Un peu
de char-
bon,
une
touche
lgre
de
couleur,
e(
la
feuille
s'anime,
r>t
d'uM
TT
lgance
eo ta teinte
indcise.
M
inTente
point,
et il n'a
pu
d* (kntaisie.
Le
por-
trait de Dorothe
kaneogiUMr
montre
ce
qu'il
peut
laite
en quelques
coups
de
crayon
: la
coifTe
rabattue
jusqu'aux
paies
sourcils;
le
ool de
linge
serrant
tout
le
bu
du visage,
jusqu'
la lvre,
qu'il
couvre
en
Y' '-*^
rien
ne
se
voit
plus
que
le
haut
de
la
bouche
virt;i
les joues
pures
et l'il
triste.
Cut
le dessin
le plus
blouo
et
le plus
ftais.
U
figura
d'Holbein
ert
d'one
brutalit
redoutable.
Il
tient
aussi
du
changeur,
et
de foMrier
de
village.
Son
obstinatioo
devait
tre
sourde
tout
sentiment.
Il
a
la
tioire
qui
coavieDt
ooe
bameur
de dogue.
La
rage
ro
libre
el de
vhrre
uns
dpendre
d'aoeun
lien
est
un
apptit
qu'on
lui
devine.
Taciturne
la
maison,
ivrugne
t
qiMreUenr
la
taverne.
Le
sang
lourd.
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
32/327
20
TOTAOE DU
CONOOTTlai
l'enttement
d'un
thologien,
toutes
les
forces
et toula
la
masse
d'un barbare allemand.
Mais ses
yeux
sans
bont sont
admirables.
On ne
peut avoir l'il
plus
coll
l'objet,
ni plus
dcid
en
sucer
le
contour,
ni
plus
srieux, ni
une paupire plus
patiente
ou
plus
riche
de inflexion.
Quand cet
homme
regarde la
figure humaine,
il
cesse
de
vivre
pour
son
propre
compte
: il n'est
plus
que
l'objet;
et sans feu, sans ardeur
visible,
sans
passion,
il
s'y
attache,
il
le conquiert,
il
le
tire
lui
jusqu'
ce
qu'il le
possMe.
Et
sa
main
docile,
prodige
de
labeur,
obit
cette
profonde
patience.
U
ne
cache
rien.
Il
ne
flatte
rien.
Il
n'aime
peut-tre rien.
D se trahit,
il
s'accuse lui-mme,
s'il
faut.
On ne le
connat
que
par
ses
propres images.
Le portrait
de
sa
femme
est la
sanglante
confession du
malheur
en mnage
;
tout le
drame
quotidien
du
mariage
y
est
cont.
Un
jour,
cet
homme
dur
s'est
laiss gagner
par l'motion
de
la
nature
:
comme
un
grand
pote
se livre
entirement
aux
passions
de
ses
hros,
Holbein
s'e^t
abandonn
son modle
;
et il
a os peindre
ce
portrait
de
sa
femme
qui
est
le
trsor
de
Bie.
Une
harmonie
somptueuse
et sourde,
les
tons
ardents
de la
douleur
et
du reproche,
les
flammes
sous
la
cendre, le rouge
teint
du velours,
la
couleur
gale
l'infaillible
dessin.
Que cette chair
est
triste,
battue,
trempe
de
pleurs
I
Quelle
dsolation
dans
ces
yeux
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
33/327
u8eT\
.s'il
\
OYAGB
DU CONDOTTIERI
21
'
quelle
doeptioD
sans
retour,
et
....
^-..
dans
ces
replis
que
les
larmes
ont
oufOs,
comme
des
brlures, sous
la peau
encore
jeune
I Et
ses
beaux
enfants
ne la
consolent
pas.
Elle
est vieille
trente
ans
;
et,
en
dpit
de
sa
gorge
tou-
jours
fhilche, comme un fruit
qui
vient
seulement
de
mrir,
elle
a
les
sicles
que
les
plaintes
jettent
sur
une
femme,
les
querelles,
l'air humili
et
l'aHliction
hargneuse.
Tel
est
ce
portrait,
image
sans
prix
de
l'infortune conjugale.
Sait-on
jamais pourquoi
une femme
est mal
heureuse
D'abord, sans
doute,
parce
qu'elle
est
femme.
Puis
y
a
bien des raisons
pour n'tre
pas
heureuse,
il
n'en
est
qu'une
au
dsespoir
:
elle
n'est
pas aime,
ou pense
oe
pas
i'lre.
Celle dont la
chair
est
contente,
c'est son
me
qui
souffre
;
et
si l'me
est satisfaite,
c'est la chair
qui
oe
l'est
pas.
L'homme
et
la
femme
ne
sont
pas
faits
pour
se
comprendre, ni
mme
pour
vivre
ensemble.
Dans
le fond,
la
nature
ne
leur
demande
que
de s'unir
uti moment.
Il
ne
s'agit
pas
d'eux,
mais
d'une
tierce
,
qui
est
encore
venir
et
qui
leur
est
inconnue.
iiuibcin
allait
et
venait,
dit-on,
entre
Ble
et
Londres.
Angleterre,
il
a
fort
bien
laiss
sa
.
^lissc.
pendant
cinq
ans.
J'espre
it
d'elle
la
fidlit,
la
patience,
la
mmoire
vertus.
S'il n'y
tenait pas,
c'tait
plus
Uc
iu
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
34/327
tS
VOTAOI DU
CORDOTTltKI
on
m4Dag
anglais
WMUniatter. Il
ptna&it
sa
maison
de
Ble,
quand
il faisait mauvais
temps.
Le
Christ
mort
est une
uvre
terrible.
C'est le
cadavre
en
sa
froide
horreur,
et
rien
de
plus.
Il
est
seul.
Ni
amis,
ni
parents,
ni
disciples.
Il est
seul
abandonn
au
peuple
immonde
qui
dj
grouille
en
lui,
qui
l'assige
et le
gole, invisible.
Il
est
des
Crucifis
lamentables, hideux
et
r^KNiMants
Celui de
Grunwaldt,
Colmar,
pourrit
sur
la
croix
;
mais
il est
droit,
couch
haut
sur
l'espace
qu'il
spare
d'un
signe
sublime,
ce signe
qui
voque
lui
seul
l'amour
et la
piti
du genre
humain. Et il
n'est
pas
dans
l'abandon
:
sas
pieds,
on
le
pleure
;
on
croit
en
lui.
Son
horreur mme
n'est
pas sensible
pour
tant
d'amour
qui
la
veille.
Sa
putrfaction
n'est
pas
sentie.
On
adore
son
supplice,
on
vnre
ses
souiTranoes.
On
ne
lamente
pas
fi
dchance
et
sa dcomposition.
Le
Christ
d'Holbein
est sans
espoir.
U
est
couch
mC'inc la
pierre et
le
tombeau.
II
attend
l'injure
de
la
terre.
La
prison
suprme l'crase.
U
ne
pourrait
pas
se
da'sser.
Il
ne
saurait
mme
pas
lever
la
main
ni
la tte:
la
paroi le
n^jellerait.
Il
est dans
la
mort
de tout
son
long.
D
se
putrfie.
C'est
un
supplici,
et
rien
do
plus,
vous
dis-je.
U n'est
pas
seulement
soumis
la loi
de
la
nature, comme
tous
:
U
n'est
livr
qu'
elle. Et
s'il
y
a
eu une
me
dans
ce
corps,
la
mort
l'iusulte.
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
35/327
VOTAOI
DD
CONDOTTliRB 23
Je
ciit-rviic
lire
dans
U
pense
de
oe
dur
llolbein.
Qu'il
ait
t
le
peintre
des
Rfomit,
on
le
sait,
depuis
l'aioiabie
MlaxM^bton
jusqu'
Henri
VIII,
le
monstrueux
Trimalcion
d
la
thologie et
de
la
royaut.
Certes,
Holbein
lient
pour
Luther
plus
que
pour
Rome. Mais
en
secret
il
est
contre
toute
glise.
Le
profil
aigu
d'nuune,
ce
toalpel
tailler
les
croyances
en
minces
lanires,
ne
ddt pas
lui
suffire.
L'ide
d'Uolbein
est
bien
plus
furie,
d'une
Twleoee
aarare
et
cruelle.
Point
d'iruoie,
mais
un
saroatme
mwrtrier :
la ngation
glioe, ei Doo
le
doute.
Ilolbeio
me
donne
croire
qu'il
ett
un
athe
accompli. Us
sont
trs rares.
Le
Christ
de
Ble me
le
pmuve :
il n'y
a
l
ni
amour, ni un
reste
de respect.
Celte uNTC
robuste
et
nue
respire
une drision calme:
Toilce
que
c'est que
votre Dieu,
quelques
heures
aprs
sa
mort,
dans
le
caveau I
voil
celui
qui
ressuscite
les
morts
L'me
insolente
d'Uolbein,
sa pense impessible, son
instinct de
ngation, il
les montre aussi dans sa Danse
dc6
.Morts.
uvre
de
jeunesse,
elle
n'en est
que
plus
n'a
point
l'espce de
gatt que le
peuple
u..
..
.^^0
a
mise
dans les
jeux macabres. Holbein
ne
rit gure. 11
booffoone
en nihiliste.
De ces dessin?,
le plus
frappant
est
le
dernier, o
il imagine
le
blason
do la
Mort
: il
en
donne
u
vision
grimaante
:
Nihil.
La
mort
partout.
El
trs seule, ci
bien
saoule.
Quoique
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
36/327
24
TOTAGE
DD
COKDOTTIRI
femme,
et par
drogation
aux rgles
de
l'hraldique,
la
mort
a des
tenants :
et
c'est
Adam
et
Eve,
la
femelle
et
le
mle.
La
tte de
mort
tient
tout
le champ
de
l'cu.
Elle
ricane :
elle a
des vers
et
des
serpents
entre
les
dnis. L'cu est
timbr
du casque,
tar
de
front
;
et
certes
le heaume
a
onze
grilles.
Un manteau
imprial
l'entoure
;
les plis
en
descendent,
comme
deux
serres
de rapace
pour
treindre
la
terre.
Et,
en guise
de
cimier,
un
morne
sablier
que
les
deux
bras
du
squelette
encadrent d'un
losange
dcharn,
se
dresse:
les mains
runies
au
plus
haut
brandissent
une
pierre
norme,
qu'elles
vont
lcher,
pour
l'craser
comme
tous
les
autres,
sur
quiconque
passe.
A
quarante-six
ans,
Holbein
est
mort
de
la peste.
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
37/327
III
HiCC
EST ITALIA
D
Faido
Cmy
m
ttplmhrt.
J'ai laiss les
Alpes
dans la
nuit.
J'ai descendu
les
degrs d'une nature grise
et
noire. J'ai
quitt
un
esptee
inorne,
hriss
de
forts
malheureuses, pour
une autre
contre,
qui
s'abaisse
imablemaot,
qui
s'ofTre
et
qui
s'tale.
Et le ciel n'est
|iliii
le
mme.
Le
gai
nmtin
a le
rveil
du
ooq. La
lumire
ne
se
lve
pas: elle
sort,
comme si
elle
s'tait
cache
;
elle
arrive
d'un
bond,
rayonnante
et
chaude.
L'air
vif appelle au
jeu la
ma-
tine bleue et
blonde.
Tout tait
dur,
roide
et
vertical.
A
p
r
se
nt
,
leelbrmei
prennent
la
molle
aisance
des
courbes
;
toutes
les lignes
cbertbent,
avec
une
sorte
de lendie
dsir,
pouser
l'horiaon.
Les
monts
muM
n'ont plus
rien
d'austre;
et
sur
les
sommets,
les
minet
sont
joyeuses:
on
les
re-
s
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
38/327
26
TOTAOI
DU
CONDOTTIBI
garde, sans
croire au
temps
ni la
guerre
;
elles ne
sont
l que
pour
omor
le
paysage.
Ce
ne
sont
plus
les
pignons
qui
cherchent
noise
aux
nuages,
ou
qui
les
piquent,
coinant la brune.
Les
toits
sont plats;
des piliers
les
portent,
comme
une
tente
ouverte
sur la
maison.
Les
coteaux de la
valle
sont des
jardins.
La
vigne
y
court en
arcs,
en
festons
de
fle. Les
villes ont
des
noms,
qui
chantent
comme
des
oiseaux
:
Bellinzona
gazouille,
et
fait rire
;
Lugano
roucoule
;
Por-
lezza bat de
l'aile,
et
Bellagio
fait
la
roue.
Li
lumire,
surtout, la
lumire est un
nouvel
espace,
o
l'on
baigne.
Les corps en
sont
pntrs.
Elle
caresse
les surfaces
comme une
peau,
elle
les
imprgne.
J'y
nage,
et
mes yeux
ravis
n'ont
pas
besoin
de
se
fermer
dans
ce fluide.
En
vrit,
quand
l
haut,
sur
la terrasse,
au-dessus
de
la
ville,
je
dcouvre
Lugano
et
le
lac, la
lumire
a
dj
trop
d'clat.
Voici
l'Italie.
C'est
elle, c'est elle 1
Que
la
vie
semble
lgre
I
Et
lgr,
c'est
trop
peu
dire
:
tout
le
pays a
l'air
liquide
dans
la clart.
La vie
y
flotte
comme
une
eau,
qui
pouse
tous
les
bords
de
la dure.
Les
femmes
ont les
yeux
ardents,
pleins
d'un
feu
caressant
et sombre. Elles portent
aux
oreilles
de
laides
anneaux d'or
;
et
le
bout du lobe
fait
chaton
de
rubis
la
bague
jaune
qui
brille.
La
dmarche
de
ces
cratures
est
leur
premier
charme.
Elle
promet
le bonheur
dans
un
noble
abandon,
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
39/327
TOTAtit
un
CONDOTTIKI
t7
et
la
volupt
dans
le
rythme.
Elle
ne
e
jette
pas
gros-
sirement
dans
l'amour;
mais
elle le fuit
moins
encore.
Elle
fait
une
promesse
qui
sera
tenue aux
honmies
de
la
race.
Elles
vont,
souples
et
lentes,
sur un rythme royal
et
fauve,
i
la
joie
qu'elles
annoncent
et
qu'elles
attendent.
Beaucoup
ne
sont
que
de
belles
btes. Leur
grce est
trop
ptillante,
pour
des
femmes. Leur
corps
est
trop
court,
ou
trop
rude
dans
la
maigreur.
Elles
semblent
violentes
et
passives:
elles
ont
trop
de
feu noir,
d'un
bois
qu'il
faut
allumer
pour
qu'il
s'enflamme.
Enfn,
elles ne
sont
point
dangereuses : on ne
sent
pas en elles
ces
ardentes
ennemies
qu'il faut
rduire.
Qu'on
est
loin
du
.Nord,
Lugano La petite ville
sur
le
lac
e9t
un
nid
de
flicit.
L'air
est
suave,
doux
et
clin
comme
la
plume.
L'ombre
brille,
elle
est
trempe
de
soleil
liquide.
La clart
joue
autour
dt
piliers,
dans
les
rues
arcades. Au
dessus
des chapiteaux
informes,
la barre
d'appui
est
tendue corde
g
ro
M
ite
de
l'arc.
Et
les
ruelles
troites,
de
coude en
coude,
fuient
entre
des
maisons
trop
hautes
;
la
chausse
de
granit luit
comme
une
eao
ille d'huile
au
fond
d'un
puits. Il
fait
frais
dans cet
Tenellee
profondee.
Sur
le
dos,
les
femmes
et
les
jeunes
garons
chargent
de
vastes
hottes
en
forme
de
ruches
renverses.
Le
mareh eo
plein tcot
olale
dee
mniee
eouieurs
que
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
40/327
28
VOTAOI DU
CONDOTTlftm
les
corsages
et les
jupes
:
le
rouge
et
le
jaune
crus, le
ert et le
caca
d'oie.
I^es
fruits
sont
trop gros,
et
d'une
lenteur
si
lourde
qu'ils ont
un
got
de musc
:
les
rai-
tins
en
olives
ont la
taille
des
mirabelles
;
et
sous
la
peau
noire,
la
chair
molle est verte
comme
l'algue.
Les
gourdes
violettes
des
aubergines
frlent
les
fesses
des
melons.
Et
les
pommes
d'amour en tas
sont
si
rouges,
et
d'un
si
beau feu
qu'elles
triomphent
dans
ce
parterre
de
lgumes,
telles
les roses
parmi les
fleurs.
Une
vieille,
au
profil aigu
deSybille, vend
des illets
l'odeur
enivrante:
ils
sentent la
peau
brune et le
piment. De
l'eau
bleue
coule
dans
une
vasque
moussue.
Une
jeune
fille, la
cruche
sur
l'paule, va
la fontaine,
comme Rachel ou
l'esclave
de
Nausicaa. Sa
gorge
im-
mobile
est serre
dans
une
guimpe
blanche, et
ses han-
ches
ondulent sous la jupe
carlatc. Elle
a
le
pas
d'une
prtresse. Ses gestes
sont
hiratiques,
tous ses
mouve-
ments srs et
larges.
Elle est
simple avec
noblesse
;
et
ans
tre
ni teinte ni
triste, elle
est grave.
Devant
les
portes,
sous
les
tentes
qui
enferment
une
ombre
presque
violette,
les
vieilles
gens
se saluent
en
causant:
ils
ont des
traits
terribles et des
manires
puriles.
A
Sainte-Marie,
on
sonne pour
un mort
;
mais
personne
ne
s'attriste:
chacun prend
son
parti
de
la
mort
pour
les
autres. Dans l'glise,
claire,
laide et
dore,
les
femmes
prosternes
remuent
ardemment
les
lvres,
et des
enfants courent; il
y
a mme
un
chien, La va-
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
41/327
OTAOI
DU
CONDOTTiftRC 19
peur
d'encens
est
pique par
les
flammes des cierges.
Les
hommes
allendont
sous
le
porche.
Ils
sont solennels
et
ridicules.
Ils ont
par
moment une ombre hroque,
et
parfois une
ralit absurde :
je
les admire,
si
je
veux;
et
si
je
ne veux plus,
ils
me donnent
rire.
On
en ren-
contre
qui
feraient de
magninques
assassins
: on
leur
suppose
le
couteau
dans
la
manche, et la
mme
frocit
dans
l'me que
sur le
visage
;
ils ont le
front
boucan,
le nez
en coin, le menton en
serpe
et
la
peau
trois
fois
cuite.
On se raille de
souponner ea
eax le crime;
puis,
on
se
rappelle que
les
meilleurs rgicides sortent
de
ces cantons,
ceux
dont
le
poignard, bien
pouss
de bas
en haut,
ne
manque
ni
sa reine,
ni
son
homme.
Toute
vie,
pourtant,
parat
heureuse
sur
les
bords
de
ce
lac,
que
le ciel
ddie
l'idylle. Qu'est-ce que le
bon-
heur, pour la
plupart
des Cret
mortels,
sinon
la
certi-
tude
de
l'amour.
Cette
terre est
une
terre
d'amour. Ils
ne
sont
mme
pas
vtus
comme des gens qui
pour-
raient
porter
le
deuil. On
dirait qu'ils figurent dans
une comdie
amoureuse
:
culottes
et
gutres aux
jambes,
le
feutre
vert sur la
ttc,
la
veste
d'ocre
aux
tons
de
rouille
ou
de morille,
ils
Tont
monter
l'chelle
de
cordes
;
Ils
sont,
quips
pour
It ven-
geance
et
le rapt
Au
bout
du
compte,
ils
flnent
ea
esprant l'heure de
la
soupe. Us sont
trop
vifs,
hors
de
propos
:
mimes,
de
la tte aux
(rfeds,
et tout
Yisage,
et toujours
au
bout
de
l'expresek.
En Toll
un qui
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
42/327
30
>uiA
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
43/327
OTAGI
DO
CONDOTTliRB
31
n
n'importe. Tout
est fte,
ce
soir;
et
mme
1o
crpuscule
est
tans mlancolie. Un
excs
de
galt
p
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
44/327
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
45/327
PANDARA.
A
BtOagio.
Ci:>T
la
journe
des
odeurs.
Je sui-i
euviroDo
de
parfums.
L'air sent comme
un
fruit
mr.
La
terre
a
son
odeur forte de
matrice,
de
chair
chaude
et
de
sueur.
Les
fleurs
se
cherchent
de tous leurs
yeux. Les
fleurs
dans
la lumire sont
des
rtiues
colores,
qui
ne vivent
que
de
voir
et d'tre vuea.
L
haut,
Serbclloni,
la
villa
dans
les
arbres,
est
le
sommet vgtal
de
Bellagio,
coiff
de lumire.
Elle
porte
le ciel comme un ptase
bleu.
Serbelloni,
Bellagio,
noms
lgers, pleins d'ailes
et
de
mirages,
ils
ont
presque
du
bcllAtre,
tant
ils
tournait autour
de
la
voyelle
et
de
la belle.
Tout
eat calme, parfum,
fkste
et
volupt.
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
46/327
34
TOTAOB DU
CONDOTTtftRB
La senteur
cuisante
des
lauritTS me
poursuit.
I>es
lourdes
ombelles
en
bouquets
blancs
ou
roses
sortant
des
branches et
viennent
la
rencontre
du
passant,
qui
s'lve sur la
colline,
parmi
les
fleurs et
les
fruits. La
brise tempre
l'ardeur du
soleil. Et
la
clart
aussi
frappe
comme un
parfum :
l'anis,
le
santal
et
l'ambre
flottent
sur
la
pente
dore
des
alles.
Par touffes
folles, le
jasmin
et
le
chvrefeuille
pen-
dent
chevels;
les
chnes
enlacs
de
lierre se
joignent
les mains
au-dessus
des
alos
;
l'encens
cruel
des
tub-
reuses
uionte la It te
;
et
de
monstrueuses
fleurs
en
uf,
pareilles
des
ananas
livides,
jaunissent
au
cur
des
magnolias.
Elles
rpandent
un
baume
si
pais,
d'une
fadeur
si
dense qu'on
le
gote
sur
les
lvres,
et
qu'on est
tent
de
le
mcher
:
toutes
les
odeurs
y
entrent et
s'y confondent
:
l'oranger et
le
melon,
le
citron
et
l'amande.
Tout est
blanc, tout
est
jaune de
soleil,
le
blanc
et
le
jaune, sources des
parfums.
Je
ferme
les
yeux,
dans un
lger
vertige.
Je
revois
le
chemin
de
Porlezza
au
lac
de
Crae,
comme
un
sentier
trac,
pour
des
fes
encore
enfants,
dans
une
fort
putrile. Ici,
plus
d'horreur
sacre sous
l'ombre
des
chnes,
au
fond des
antres
humides
o
la
mousse
n'a
jamais sch.
Puis,
les
feuilles s'cartent,
et
le
lac
parait
si
bleu,
si
clin,
caressant comme
l'il
d'un
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
47/327
OTAOI DD
CONDOTTIERI
35
chat.
Et toutes
eet
eolombei,
les
maisons
blanohM.
Les
janlins
et
les
teiruses
s'tagent
sur
les
hauteurs
comme
une gamme. La
vigne
et les p&les
oliviers
portent
l'aooord
en
soonliDe.
jusqu' la fort verte
et les
miisns
ooires
des
noyers
sor
les
cimes.
Les
palais
blancs et
les
villas
laiteuses se
penchent sur
l'eau
qui
les mire.
La
moire
du
lac est ride
de
colonnes
et de frontons.
Les
barques gaies, les voiles
latines
gli&sent
sur
le miroir.
On accoste
la
rive
heureuse,
et
l'on
est
terre
avant
d'tre au
port
On
rve
d'une
vie
calme
et
tutueuse,
que traverse l'orage d'une
seule
passion.
On
monte,
on monte. Les
ruelles
pierreuses,
rouges
au
soleil,
sont
violettes
dans
l'ombre.
Un
ruisseau
coule
au
milieu.
L'ordure
inmea
son air
de
batitude;
les
mouches
ronflent
contre
les bornes.
U
y
a encore
des
b'ues
noires aux
branches
des
figuiers,
par dessus
les
murs.
A
Serbelloni,
partout
des
bancs.
Les
peupliers
d'Italie
>nt
la
pyramide,
et les
eboet
en
dme s'arrondissent
litre
les
oloebetoot aigus
des
eypie.
Les bosqoets,
las
retraites
se cacbeoi
derrire
les
eherelures
complices
du
lierre.
L'invitation
aox baisers passe dans la
brise
;
los
feuilles
se
caressent oooune
des chattes.
L'air
est
si
Un,
1 tide
et si
tendre,
U
a des
louches si
subtiles
et
si
ntes
qu'on
le
sent eomme
une
main,
comme un bai*
ior
entre
les
ebeteui
et
la nuque. Et
telles
des
lvres
timides,
il
gUase
sur
la
fracheur
des seins
;
les jeunes
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
48/327
36
VOYAGE
DV
CONDOTTltnt
femmes
lui
abandonnent
leur goi^c sous la guimpe.
Je
frlu
une
nymphe
blonde,
qui
a
l'odeur
de
ral)ricot.
A
Bellagio sur
le lac,
et
Scrbelloni sur
Itellagio,
on
est
la
fourche
des
eaux.
La vue
de
Serbelloni
ne
laisse
rien
chapper
:
elle
offre
tout
le pays
sur
un plateau
de
venneil.
Bellagio,
c'est
Belle
aise. Vers le
Ponant,
la
Treoiezzina
se dessine,
le
jardin
dans
le
parc
des volup-
ts
lombardes :
une
colonnade de
marbre
sur
une
main
de
terre
se
profile
dans l'eau. La
villa
Carlotta,
la
villa
Poldi,
les
noms de
Milan
chers
Stendhal
:
mais
les
Mi-
lanais n'y
sont
plus, il me
semble.
Mme un
villa^^^e
s'appelle
Dongo,
comme
Fabrice.
Des
ruines
riantes,
de
Tieux
chteaux,
d'antiques tours, des
torrents
lointains,
pareils
un fil
de
lait
sur
la montagne,
tout
est plaisir
dans
la
lumire.
Point
de
deuil. Et si
j'ai
chemin
lo
long
d'un cimetire, je n'y
crois
pas.
Je
descends
vers
le lac. Des
oranges
mures
pendent
sous la
longue
feuille. Et
comme
des
clairs
brillants,
qui
sortent de la
terre,
les
lzards
filent
sur
les
cailloux
d'argent.
Belle
comme
un
sentier
royal,
une
alle
de
grand
cyprs
s'abaisse,
toujours
plus
large,
vers
la
ma-
rine. Autour
d'un
clocher carr,
plein
de
ciel
et
de
so-
leil, es
pointes
des
cyprs
piquent
l'espace
de
lances
pacifiques;
et
l'odeur
rayonne
du
bois
incorruptible.
Dans le
clocher,
un
rayon
d'or
fait
corde
la
cloche.
L'aile
finit sur l'eau blouissante
:
au del,
sur
l'autre
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
49/327
CONDOTTIERI
37
ri?e,
dni
les forts
de
la
montagne,
les
demeuret
blanches
dorment,
repues
de
clart,
comme
des brebis
sur
und pente.
Une
barque
est
amarre
dans les fleurs.
Tandis
que
les
flots du
lac multiplient
languistamment son
sourire,
des
femmes
tendues
sourient
vaguement
leur propre lan-
gueur.
Elles sont
toutes
en blanc,
comme
des fleurs.
On
dirait
qu'elles
attendent aussi qu'on
les
cueille.
Une
pense plane
entre le ciel
et l'eau, comme
un
oiseau
invisible
: c'est
que
tous
les
voiles,
ici,
ne sont
que
d'un
moment,
un cran fragile
entre la
volupt
et
le
4t.
Ia
grftoe du
lac
esi ainsi taile
d'amnit
et
de
complaisance.
Ce
n'est pu
la
mer,
ni
tes
tragdies
brusques
;
ce n'est pas le fleuve et son
temel
renou-
vellement.
Le
lac
est
le
miroir
du
sjour.
Tout
y
fait
scne
et
tableau
dans
on
cadre
juste.
Et partout
la
mon-
tagne
y
enferme
un
monde clos sur
son
bonheur.
Le
devoir
n'a plus
de sent
;
laduie
n'a plus de plans;
tout
est
dans l'instant,
et
le
plaisir est
le seul
espace.
Ces
jeones flammes
aux bras nus,
ces ttet ployes,
cette
bngoenr
que
le
rythme
de la
gorge
soulve
si
douce-
ment,
comme
un
antre flot o
l'on
ne
rsisto
pu,
quelles
plages
voluptueuses
Les regards
et
les paroles
roucoulent.
Toutes les
colombu
ne
sont pu borromes.
tene
complaisante
I
Aisuraient,
c'est
ici quePan-
dams
a pris
flamme,
aprs la diute de Troie.
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
50/327
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
51/327
A
ET
LA
DANS
MILAN
CoMHi
It
vie
det
hommes
sert
de
Tfitement
leur
me, le*
Tilles
ont
uoe
Ogure,
un
regard, une voix.
Et
oonune
l'eflt
d
leur viiage
est
inconnu
i
la
plu-
part
des
gMM,
les
villes
ignorent
leur
figure.
Mais
l'teangw,
qui
n'est
li
que
pour
voir,
la
oosidre
ei
la
poMre. L'tranger
est reonemi,
mme
quand
il aime:
c'est
qu'il
ouvre
lee
yeux,
d'abord, et
qu'il
voit.
Qui
arrive
Milan,
un
soir
d't,
l'heure
o
la ville
sent
son
ventre,
et
o il
grouille
de
Ikim,
tombe dans
uoe
roue
de
lumire
crue
el
de
bruit.
Comme
lee
vragons
que
l'on vient de
Iti
iee
r
sur les plaque
tour-
nantes,
dans
cette
ville
tout
tourne
el
(ait
un
tinta-
marre
de
formille.
La
gare
est
un
tunnel
de
verre,
clatant
de clart
blanche.
En
tous
sens,
la cohue
se
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
52/327
40
TOTAOI
DU
CO:iDOTTllll
prcipite;
un immense
troupeau
pitine
sous
une
vote,
le
dos
patient
;
les
ttes
sont ployes
;
on ne
voit
point
les
bouches
;
on n'entend
que
le brouhaha de
ce
btail
noir;
et
tous, bientt,
se pressent
dans
un passage
souterrain
;
on
monte des
escaliers,
on
en
descend
;
l'odeur
du poisson
pourri,
des
onguents
et
du cuir
;
les
pieds
roulent
la
charge
d'une
pre
lutte
;
et
partout,
dans
le
caveau,
sur
les
degrs
ou sur le
pav
de la rue,
la
mme
lumire
crue
clatante et
factice.
Toute
la
ville
n'est
qu'une
gare.
Le
tumulte,
le mou-
vement
sec
des
quais
court
les
rues
;
et
ce
dme
fameux
est
une
gare
de
marbre.
Qui
put
jamais prier dans
cet
entrept
de
statues
et
d'ornements,
ayant
fait
ses
pre-
mires
prires
Chartres,
ou
seulement,
l'ombre
du
Kreiz-Ker?
A Milan,
la rue
mme
du plaisir,
et
des
livres,
l o
l'on
va
boire
et
chercher
chacun sa
pture,
n'est
qu'une
galerie
vitre,
une
gare
dans
une
gare.
Et
la foule
se
hte,
portant
des paquets,
tous
la
tte incli-
ne,
les
yeux
fixs
sur
les
mains,
le
pas rapide,
comme
on
court
au buffet,
entre
deux haltes,
comme
on
va
prendre
le train.
O
qu'on
lve
le front,
on
reoit,
comme
un
jet,
le
r^ard
brutal
de
ces
moroses
yeux
blancs,
de
ces
yeux
ronds
qui font
har
la
parodie
de
la
lumire.
Nul
ne
verra plus
le clair
de
lune
dans
Milan.
Et
si
l'on
baisse
les
yeux,
soudain
l'on
se
croit pris
au
pige:
de
toutes
parts,
perte
de
vue,
les
mailles
plates
d'un
filet
de
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
53/327
VOTAOI DD
CONDOTTIERI
II
fer
:
le
rseau
des
rails
parle
de
la
vieille
terre
dans
les
chanes.
LA
dessus,
roule
ternellement
un
tas
de
lon-
gues
boites, les unes
bleues,
les
autres jaunes,
o
sage-
ment
ranges,
poses
de
biais,
sont
enfermes
des
formes
humaines;
et
quand la
botte
disparat
dans
une
fue,
elle
semble
une
voiture
pleine
de
fourmis
moostraeiises. Je crois
reconnatre
dans
Milan,
fourmi-
lire
ronde,
la
ville la plus
chinoise de
l'Europe,
telle
que sera
la
Chine, lorsque
la science
en
aura
fait
le
plus
pullulant
firomage
aotomates
de
la
plante.
Nuit
et
jour,
en
tous
sens,
tourne cette
rose
des
vents
mis-
rable,
avec une
clameur de fr et
de
supplices:
toutes
les
bottes
se
succdent
sur
les rails en
grinant,
et
une
cloche
de
fer
blane, un gong
au
timbre
de
casserole,
tintant dix
fois par
minute,
marque le
pas de
ces biBi
sans pattes.
Peu
de
mendiants
:
sans
doute,
on
ne
les
admet pas
dans
les
gares, ou
oo
les crase.
Mais
une
foule d'es-
claves
: chaque
homme porte un
signe
qui
fait
aussitt
savoir
s'il
voyage
en
wagon-lit,
ou en
troisime
elaase.
Ils
ne
mendient
pas,
non
:
ils
ont
la dignit
des mal-
heureux
qui
meurent
d'un
salaire
;
et il
suffit
de
voir
ces
visages fltris,
ces
peaux
vertes, cet
air de
hAte
et
de crainte,
ces
haillons dcents, pour
admirer
combien
le
droit
de
voyager
en
dernire
cliiie
ajoute
de
booheor
et
de
noUeste
au sort de
l'homme.
En
plaine,
ouverte A tous
les
veots,
inerle
et
dou
7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere
54/327
42
YOTAOK
DO
COMDOTTliai
OUI
la
canicule, touffante
et
glaciale,
baiM
et
pros-
pre,
riche
et nulle,
cette
ville on
forme
de roue,
avec
un dme
pour waiou
au
moyeu
d'une place,
Milan
tourne
la
croix des routes,
et
tous
les rais de
l'indus-
trie ou
du
commerce.convergent
ce centre de
l'Italie.
Londres
est
le
poulpe
gant,
qui
cache
sa
tte
sous
le
fleuve,
Tower
Bridge
;
et
ses
mille bras, tous
les
jours,
collent
la
terre une nouvelle
ventouse, un
lichen
de
maisons basses
qui
soufflent de
la
fume au
ciel,
et qui
pompent les sucs de
l'univers
;
Londres a la
voix
sous-
marine,
et
les
rauques
sirnes
parlent
pour
elle
;
et
peu
peu, toute
l'Angleterre
s'est
faite
pieuvre
autour
de
Londres,
la gueule, o langue sans
repos,
la
Tamise
gote, avale, crache
et
salive.
Les
tentacules
cherchent
le sang
de
tout
le globe
;
et
rAugleterre meurt
si
l'on
retourne
sur
sa
tte
le
capuchon
des
mers,
ou
si
l'on
tranche
les
bras
du
monstre.
Je
pourrais
dire la
figure
de Rome, cette idole aux sept mamelles,
nourrice
dont
on a dcoll la
tte
: et le
visage
de
Paris, ce
triple cer-
veau
coDceotrique
un
ravissant
sexe
de
femme,
o
sinue
la
Seine
:
et
tantt
la
France
est
sage
de
celte
pense, tantt elle
est folle
de
cette
folie.
Milan
tourne
aborbe
et
n'invente point
;
peine
si
Milan
digre
;
tout
y
est factice,
comme le
foyer
dans
une auberge.
C'est le luxe, le tumulte
et
la
richesse
d'une
htellerie.
Mais
qui voudrait passer
sa
vie
dans
une
gare
ou
un
march
T
Milan
est
la
ville
carrefour.
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55/327
OTAOI
DU
CONDOTTliRB 48
L'preuve
du
Dme et la
preinire
du
voyage en
l'ai
.
Il
resplendit
au
luilieu
de
renfcr,
uue
montagne
de
inarbrc
blanc.
11
est
tuoroie
et
mivre.
On
l'appelle
dnie,
et
il n'est fait
que
d'aiguilles. glise iiuinense, il
semble
n'tre
qu'une
chAsse
ou
un
reliquaire.
11
fait
penser
l'orflvre,
et
non
l'architecte.
Prodige
de
ri-
cliesse
et de faux
got,
c'est
la viei^e du Nord costume
artle
de
ce
peuple
semble
ainsi
marcher
sur des
jambes
de
bois.
A
Milan,
on
boit
du
lait
dlicieux, pis
et
parfum.
Mais
partout on vend
de
la
bire
: ce
pays
est
plein
d'Allemands.
On
a
cru les
y
aimer
;
puis
on les a
subis
:
ils
y
sont,
prsent,
moqus,
has
et
redouts.
Le
ventre de
l'Italie
moderne
est ici,
et
peut-tre
le
cur
s'y
noie.
Sous un
ciel
sans nuances,
la
vie
y
est
violente
et
lourde,
chaude
et
criarde,
trapue
et
frn-
tique.
Plus de
richesse,
plus
de
force,
plus de
brutalit
qu'ailleurs.
Des
maisons
plus
hantes
et
plus
sombres,
ou
plus
blanches
et
plus
cossues,
la misre
et la fortune
plus
st'pares
que
dans le
reste de
l'Italie. Tout
ce qui
dure
encore
de
vieilles
pierres,
palais et
^lises,
se
cache
dans
les coins.
L'ingnieur
les
relique,
comme
des
parents
pauvres,
dans l'exil
des quartiers
sordides.
L'Hpital
Majeur fuit
les
regards
sous les rues
vermi
neuses
d'un
quartier
qu'empestent
les
lgumes
pourris
et
les
trognons
de
choux.
Et
le
charmant
petit
palais
Visconti
di Modrone
montre sa
jolie
faade
aux
berges
moisies du canal
:
elle
so
laisse
deviner
entre
les bran-
ches
d'acacia, comme un
visage
derrire
les
doigts
carts
et
les
cheveux
rpandus.
La
plaisante
et
mlan-
colique demeure I la
seule de
.Milan, o
l'on
voult
lire,
dormir
et
aimer.
Elle
semble
faite
pour
donner
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OTAGB DU CONDOTTIRK
47
t9ile
des
amours
secrtes,
et
peut'tre
coupables.
Une
terrasse,
planta de
vieux arbres,
de
jasmins et de
roses,
tombe
pie
sur le
miroir
des eaux
mortes
;
elle
fltt
borde d'un balcon
sculpt,
balustrade
de
pierre
pompeuse
et un
peu
lourde,
mats
pourtant
lgante
:
par
les
jours
de la rampe,
la
verdure et les
fleurs
ani-
ment le
silence,
et leur
prsence
passionne
est une
fte
dans
ce
canton
misrable
de
la
ville.
Des amours
portent
un
cusson
;
les cornes
d'abondance
se
vident
de
leurs pches
et
de
leurs raisins dlicatement
mode*
ls
;
la
vigne vierge
et
les
branches
caressent
chaque
volute,
chaque
rinceau
de
celte
balustrade. A
travers
les
feuilles, une loge
six ares
te
deasine entre doux
ailes
;
un
double
rang de
colonnes est
fleuri
de
roaes.
Le
doux
Jardin
voil,
la
charmante retraite
Un jet
d'eau
lance
sa
poussire
ehangeante
dans
le
soleil.
Le
canal
mire les
rameaux, et
relient
les liMdllei sur
l'eau
morose. Dans
Milan, il
n'est
point
d'autre refuge au
rve,
l'amour et
la
mlancolie.
Milan
grouille
de peuple. Dans les
laubouifs,
les
mai ^)ns
sont
(larcilles des ruches
coupes
par lo
milieu
: sur
la
Uctd
peinte
en
oouleurs
crapuleuses,
toutes
feolref
ouvertes,
les
aivolet
g
ofgw de
gens,
on
dirait
des
ceffea
mouehea.
Bi
le
pousiira
que
le
vent
fouette, stupoudro eea
gnMen.
Les
haillons
flottent.
Des linges
ti>iects
et
U
lessive
de
la
veille
sont
tendus
sur
des
cordes
:
les
chemisas
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60/327
48
YOTAGI
DU
CORDOTTltni
et
les
jupons
rouges,
let
maillots
verts,
les
serviettes
taches
de
vin, les
langes
souills,
les
traversins,
les
draps pisseux
schent l'air
;
et
il
me
semble
qu'ils
fument.
Des
femmes
l'il
sombre,
et la
tignasse noire,
lancent un
regard
entre
les
manches
d'une
camisole
pendue, ou
les
deux
jambes d'un
pantalon
blanc
que
le
vent
du
sud agite.
La
misre au
soleil
a la
beaut
du
crime :
elle n'est
pas
comme
dans
le Nord,
o l'horreur
de
la dgrada-
tion
parait toujours
la
suivre.
A la
laideur
mme,
elle
emprunte
une
sorte
d'nergie,
et
parfois
une
galle
cynique
:
ainsi
les plaies
empruntent
une espce
d'lo-
quence
la
couleur.
Dans
le Nord,
tout parle
d'une
chute
ignoble
au
fond de la
boue
et
de
l'ignominie
;
tel
un
vieillard
paralytique
qu'on
fourre
l'hpital
:
il
sait
bien
qu'il
n'en
sortira plus,
et
qu'il
mrit,
les
pieds
en
avant,
pour
l'auberge de
sous terre.
Le
pittoresque
de
la
misre, au
midi,
n'est
pas une
illusion
:
le
soleil
est
une
fortune.
U
y
a de
la
beaut
partout o
les
yeux
rencontrent
la
nature
dans
la
lumire.
Sur
la
place
o
Lonard de
Vinci
fait figure
d'un
convalescent
qui
va
au
bain,
une
dispute
m'attire.
L^s
injures
volent
comme
des
copeaux
;
le
rabot
de
la
haine
court dans
tous
les
gestes.
Parmi
les
trangers,
deux
Anglais
regardent
indiffrents
;
deux
autres
affectent
un
mpris
altier
et
sans
me
:
sinon
du
poing,
ils
voudraient
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0TA6I
DU COlfDOTTliRI
49
bien
que les adversaires
jouent
du
couteau.
Un
gnw
d'AUemandt roulentdes
yeux