Suarès - Voyage Du Condottiere

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    'iNIVOf

    fORONrO

    llBRARy

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    VOYAGE

    DU

    CONDOTTIERE

    VERS VENISE

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    QOSLQUBS

    OECVBES

    DK SUARES

    POSIE

    AwNm, l

    ToL

    ln-4

    1917

    (puM).

    BoccLizn

    DU

    ZoDUQtB,

    1

    Tol.

    gr.

    in-18,

    lfl07

    (t^i$i).

    Images

    di

    la Orandeur, 1

    vol. in-4*, 1906 (puia).

    Lais rr

    Skes,

    1

    toI. in-16, \V16(pmi).

    CRANSOn

    Dl

    PSTCBi

    (tOlU

    pfttM).

    Angleterre,

    1 toI.

    in-S*,

    1917.

    Ciux DE

    Verdun,

    1

    vol.

    inS',

    1918.

    THTRE

    AcaiLLE

    Vengeur

    ($ov

    prtnt).

    Cremida,

    1

    vol.

    in-18,

    191.

    Tragkdie

    d'Electre,

    1

    vol.

    in-16,

    1905.

    Ld

    Bolrdo.xs

    so.tt

    en

    Fleur,

    in-16,

    1917.

    POLTxiNE

    (tous

    pre$$e).

    10MES D'IDES ET

    DE

    NATURE

    Stm

    LA

    Mort

    de

    mon

    Frre,

    1

    vol.

    io-lS,

    1917.

    LiviiB

    de

    l'Emkraude,

    I

    vol.

    in-18,

    1919.

    Voyage

    du

    Ojmdottire,

    1

    vol. in-18,

    1913.

    Voici

    l'Homme,

    1

    vol.

    gr.

    in-8%

    1905

    (puit).

    CHROPnOUES

    ET PORTRAITS

    8oR

    LA

    Vie,

    3

    vol.

    in-18,

    1907-1909.

    Ibis

    et

    Visions,

    1

    vol.

    in-18,

    1912.

    Tmms

    Hommes, 1

    vol.

    in-8*,

    1913.

    CaXMiiQi'E

    DE

    Cardal,

    2

    vol.

    in-8*,

    1914.

    PicuT,

    1

    vol.

    in-ie, 1915.

    Commentaires

    sur

    la

    Grande

    Oobrri, 5

    vol.

    io-16,

    1916-1918.

    Cervantes,

    1

    vol.

    in-16,

    1916.

    XiMiu,

    1

    vol. iD-18, 1922.

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    9/327

    '

    ANDR

    SURS

    VOYAGE

    DU

    CONDOTTIERE

    VERS

    VENISE

    PAIUS

    RMILE-PAUL

    FHHES,

    EDITEURS

    100,

    101

    ou

    rAOBOORO-tAIRT-IOROftl.

    iOO

    rLACI

    BIAOYAD

    rL^

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    10/327

    JUSTlFICVTIOa

    DO

    TIRAGE

    V

    7,775

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    11/327

    LIVRE

    PREMIER

    VERS

    VENISE

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    VOYAGE

    DU

    CONDOniRE

    LE

    CONDOTTIERE

    Le voyageur

    est

    encore

    ce

    qui

    importe

    le plus dans

    un

    voyage.

    Quoi qu'on

    pente,

    tant

    vaut l'homme,

    tant

    vaut

    l'objet.

    Car

    enfin

    quet-ce

    que l'objet, tans

    l'homme?

    Voir

    n'est

    point

    commun. La

    vision

    est

    la

    conqute

    de

    la

    vie.

    On

    voit

    lujourt,

    plut

    ou

    moUteommeon

    ett.

    Le

    monde

    ett

    plein

    d'ttveuglet

    aux

    yeux

    ouvert*

    mm

    une

    taie

    ;

    en tout spec'

    tacle,

    c'est leur

    corne

    qu'Ut

    contemplent,

    et

    leur

    taie

    grite

    qu'Ut taitittent.

    Let

    ides

    ne

    tomt

    rioi,

    m

    Von

    n'y

    trouve

    une

    pemhtre

    'tt't

    tentimentt, et

    let

    mdaUlet

    que toutet

    le

    tentation

    ont

    frappe

    dont

    un

    homme.

    Comme

    tetUee

    qui

    compte

    dam lavie^un

    beau voyage

    est

    une

    uvre

    d'art

    :

    une

    eroikm.

    De

    la plut

    humble la

    vlut

    haute,

    la

    cration

    porte

    taioignagettun

    oralaur.

    Let

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    2

    VOTAOB

    DU

    CONDOTTlfeRB

    jjays

    ne

    sont

    que ce

    qu'il

    est.

    Ils

    varient

    ave uux

    qui

    let

    parcourent.

    Il

    n'est

    de

    vritable

    connaissance

    que dans

    une

    oeuvre

    dart.

    Toute

    V

    histoire

    est

    sujette

    au

    doute. La

    vrit

    des

    historiens

    est

    une

    erreur

    infaillilfle.

    Qui

    voyage

    pour

    prouver

    des

    ides,

    ne

    fait

    point

    d'autre

    preuve

    que

    d'tre

    sans

    vie,

    et

    sans

    vertu

    la

    susciter.

    Un

    liomme

    voyage

    pour

    sentir

    et

    pour

    vivre.

    A

    mesure

    qu'il

    voit

    du

    pays,

    c'est

    lui-mme

    qui

    vaut

    mieux

    la

    peine

    d'tre

    vu.

    Il se

    fait

    chaque

    jour

    plus riche de

    tout

    ce

    qu'il

    dcouvre.

    Voild

    pourquoi

    le voyage

    &(l si

    beau,

    quand

    on

    l'a

    derrire

    soi :

    il

    n'est

    plus,

    et

    l'on

    demeure

    Cest

    le

    moment

    o,

    il

    se

    dpouille.

    Le

    souvenir

    le

    dcante

    de

    toute

    mdiocrit.

    Et le

    voyageur, pench

    sur

    sa

    toison

    d^or,

    oublie

    toutes

    les

    nises de

    la

    route,

    tous

    les

    ennuis

    et

    peut-

    tre mme

    qu'il

    a

    pous

    Mde.

    Je

    ferai

    donc

    le

    portrait

    de

    Jan-Flix

    Cardal,

    le

    Condottiere,

    dont

    c'est

    ici le

    voyage.

    Je

    dirai

    quel tait

    ce

    cluivalier

    erratit,

    que

    je

    vis

    partir de

    Bretagne

    pour

    con-

    qurir r

    Italie.

    Car

    dsormais,

    dans un

    momie en

    proie

    la cohue et

    la

    plbe,

    la

    plus

    haute

    conqute

    est

    Vuvre

    d^art.

    Cardal

    a

    trente-trois

    ans.

    Des

    annes

    cCocan

    et

    de

    brume donnent

    de

    V

    espace

    l'me.

    C'est

    un

    homme

    qui

    a

    toujours

    t en

    passion.

    Et

    c'est

    par

    l

    qu'on l'a

    si

    peu

    compris.

    Parce

    qu'il

    tait

    en

    passion,

    soit

    qu'il

    aimt

    une

    cra-

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    OYAOB

    DU COnDOTTliRK

    3

    ture

    mortelle,

    ioit

    qu'il

    ft

    tout entier

    une

    foi^me

    de

    Cart

    ou

    de la vie, il a

    paru

    toujours absent

    de r

    ordre

    commun,

    $aiu rgle,

    ou un tyran

    pour

    autrui.

    Mais,

    au contraire,

    il

    n'rui

    pas

    entrepris

    sur le droit

    des autres,

    s'ils

    ne

    t'taient

    pas

    mls

    hargneusement

    dejetei-

    leurs limites

    la

    traverse

    de

    son droit,

    lui.

    Il

    ne sparait

    pas la

    pense

    de

    Caetm.

    On

    agit comme

    on

    peut, et selon les

    armes

    qvn

    le

    sicle

    nous

    prte.

    Pour

    ce

    Breton,

    un

    livre

    n'a

    jamais

    t qu'une tragdie

    qu'il

    a

    d vivre.

    Et

    toute

    la nature est

    entre

    dans

    sa

    mlancolie.

    Or, quel acte,

    en sa

    jeunesse,

    ou quel

    drame

    de

    sa saison

    plus

    mre, lui parut jamais

    digne

    d'un

    regard, qtti

    ne

    flait

    pas d'tre

    lev

    la

    beaut

    d'une

    ceuvre

    ?

    Cest

    la raison

    qui le

    rend

    si

    svre

    aux

    livres

    et

    asm

    Aorninei,

    et pourquoi

    il

    aime

    si

    forte-

    ment

    ceux

    qu'il

    a

    choisis.

    Il

    n'a

    rien aim moins que

    lui.

    Il

    n'a

    vcu

    que pour l'action:

    c'est

    vivre pour la

    ff

    .>'

    I

    iiiRI 7

    cre ta

    soliluJe.

    Il

    ne

    s't^paryne

    pas lui-mme:

    parfois^

    Conirtl

    isole

    (ni-dal.

    Combien

    de

    fois

    tie

    Va-i-il

    peu

    remarqu,

    pour sa

    plus

    grande peine? Partout

    o il

    et/, il

    fait

    contre

    /im,

    et

    lui

    seul,

    f

    union des volonts

    les

    plus

    diverses

    et des

    penses

    contraires.

    Et

    de

    mme, quand

    il

    sort,

    le

    soir,

    on

    s'carte

    de

    lui.

    On

    le craint,

    stms

    le

    eonn(Mre. Dans

    la

    rue, on

    a

    l'air de

    le redouter.

    Et les

    gens,

    pour

    se

    rassurer, se

    liguant

    aussitt,

    cktrckeiU

    en

    lui te ritUcule

    o

    s'attacher,

    avec

    Ijfses^e

    :

    emr

    Vastimai

    deux

    pieds, qui porte

    le

    front

    ea

    haut,

    veut

    rire

    d'abord

    de

    celui

    qui

    le

    trouble.

    On t'a

    cru

    anarchiste;

    et ii

    est

    la

    hirarchie

    faite

    homme.

    Mai

    il

    est

    vrai

    qu'il

    ne

    se

    place

    pas

    au

    pied

    de

    I chelle.

    Et

    s'il est

    toute

    hirarchie,

    c'est quU est

    prs

    de

    la

    nature.

    Avec

    un

    amour

    de

    la

    cration,

    que

    rien

    n'gale,U

    passe

    pour

    avide

    de dtruire :

    c'est

    qu'il

    pntre. Il

    peut

    aimer

    mme

    ce qu'il

    n'estime

    pas. Tel

    est

    le

    prix

    de

    la varit

    du

    moivle,

    ses

    }feux,

    qu'il

    voudrait

    sauver

    jusqu'

    ce

    qu'il

    dteste. Il

    a

    Vhorreur

    de toutes

    les

    idoles, et

    la passion

    de

    tous

    les

    dieux. Ainsi

    il

    a

    paru

    dur

    et

    svre,

    quand

    il

    tait le

    plu

    absent de

    soi.

    Sotirri

    des

    Grecs et

    des

    Anciens,

    de

    la

    Bible et

    des

    chants

    populaires,

    je

    ne dirai point quels

    taient

    set

    dieux. On

    la

    verra

    bien.

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

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    8

    VOYAOI

    DO

    CONDOTTIERI

    Avant

    tout,

    il a

    t

    musicien

    :

    la

    musique

    ett

    la

    femme

    dans

    le

    pote,

    lanature

    en

    amour.

    PourCardal,

    la

    mort

    c'est

    la

    fin

    du chant.

    Il n'a

    jamais

    t

    un

    instant qu'un

    chant

    ne

    retentit

    dans

    son

    me.

    La musique

    est

    aussi fac-

    tion

    du rve.

    Il

    n'est

    jamaiji

    entre dam une caiiiedrale,

    sans

    prendre

    part

    la

    messe.

    Il

    n'a

    jamais

    eu

    une

    pense

    pour

    la poli-

    tique,

    sans

    [l'mir de

    ne

    pas

    tenir Vempire. Il

    a

    toujours

    t

    partag

    entre

    la

    passion des hros

    et

    celle

    des

    saints.

    Cesl

    pourquoi

    il

    tait

    artiste.

    A

    son

    sens, une

    noble

    vie

    doit se

    vouer

    la

    cration,

    et

    finir

    par

    la

    saintet.

    On ne

    se

    dtache

    de

    soi

    qu'en s'immolant.

    Il

    faut

    vivre

    pour

    son

    Dieu et

    mourir

    soi-mme.

    Tel

    tait

    cet

    homme,

    qui n'avait

    pas moins

    faim

    d'amour

    que

    de

    puissance.

    Ou

    plutt, pour

    qui la

    plus haute

    puis-

    sance n'a

    jamais

    t

    que la possession

    et rexercice

    du

    plus

    bel

    amour.

    Voil

    comment

    Cardal s'est crois pour

    servir

    l'art

    vritable et

    la

    cause de

    la grande

    action,

    vrai

    Condottiere

    de la

    beaut.

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    21/327

    BALE

    Ttit

    duro et ventre

    chaud,

    Bile

    est

    une

    ville aingu-

    liie,

    capitale

    de

    bourgeois.

    Elle

    est

    chimrique

    et

    grase, religieuse et

    cliarnelle.

    Le

    plus

    souvent,

    elle a

    la

    mine

    maussade.

    Elle

    nt

    venteuse

    :

    dans

    le

    couloir

    de la

    valle, souille le

    grand

    vent des montagnes,

    qui

    pousse

    en

    fer

    de

    lance

    un

    baiser

    aigre.

    Sous

    la

    neige

    d

    hiver,

    Ble a

    la galt fona.

    Les

    fumes

    bleues,

    sur Ict maisons de

    bois,

    panent de

    larges

    cuisines

    et de festins bourgeois,

    d'oies qui rtis-

    sent, de

    poles

    en faence, do

    meubles

    bieo

    cirs

    et

    d'Iiorloges

    qui

    rougeoient

    contre

    les murt

    tombret.

    L,

    on

    fait

    une cliCre

    deoae et

    savoureuse,

    ei

    i

    on mange

    d'eicellent

    poisson.

    S'il

    pleut, la

    pluie bnlle

    en

    reflets

    luisants

    sur

    les

    ?ciri

    f

    es et

    les

    culs

    de

    bouteilles sertis

    1

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    22/327

    10

    VOTAOI

    DO

    CONDOTTIERI

    dans

    le

    plomb. Et

    l'on

    pense

    la chambre

    chaude,

    par

    les

    grands

    froids,

    derrire

    les

    vitres

    paisses,

    quand

    le

    pole

    ronfle,

    que

    le

    serpent

    de

    fonte

    rougit, et

    quand,

    au

    crpuscule

    qui

    tombe,

    une

    sourde lueur

    d'olive

    iraine

    languissamment

    sur

    les cuivres

    suspendus,

    et

    la

    tranche

    d'or

    des livres.

    Alors

    la

    ville bien

    nourrie

    semble

    pose

    au

    bord

    du

    fleuve

    pour

    servir

    d'htellerie

    aux

    rois

    mages

    en

    voyage

    vers

    l'arbre

    de Nol.

    Ici, le

    Khin

    n'est

    pas

    encore le

    pre.

    Il

    roule,

    violent et

    glauque. Il est

    vert

    comme

    la

    feuille

    de

    saule;

    et

    quand

    un nuage en

    toison

    traverse

    le

    ciel,

    il

    est

    laiteux

    comme

    l'herbe tendre.

    Qu'il

    est

    hardi,

    press,

    froid et

    vif

    Ce

    n'est

    pas

    le pre,

    mais

    le

    jeune homme

    en son

    premier lan.

    Il

    se

    prcipite.

    Il est

    goste,

    et

    tout soi.

    Il court

    grand

    bruit.

    Tantt

    gai,

    tantt

    triste,

    toujours frntique et

    jeune ;

    il est

    tor-

    rent.

    11

    est

    chaste aussi.

    Je

    l'appelle

    Siegfried dans la

    fort

    et

    dans

    la

    forge.

    Il

    ne

    connat pas

    la

    peur;

    il

    ne

    craint

    pas

    l'arrt. Il tombe

    en

    criant

    de

    joie par-dessus

    les

    rocs

    et les

    montagnes.

    Il

    cume

    dans ses

    chutes,

    et

    pas

    une ne

    le

    retient.

    Plus

    il

    roule

    de

    haut,

    et

    plus

    haut

    il

    bondit.

    Rien ne

    le brise.

    Rien ne l'cntiave.

    Cette

    nuit,

    dans

    mon lit,

    je

    l'entends.

    Sa

    clameur

    me

    soulve.

    Et

    j'coute.

    La

    forte

    voix appelle.

    Elle

    a le

    murmure

    grondeur

    des

    lions,

    et

    de

    l'action. Elle

    appelle,

    elle

    aopelle.

    Elle invite, elle

    commande.

    A

    l'uvrd, en

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    23/327

    0TA6I DD

    CONDOTTliRB

    il

    route,

    et

    toujours

    plus

    ayant

    1 11

    est

    plus violent,

    il a

    plus

    de

    force

    agissante

    dans oette oodbre

    Docturne,

    que

    dans le

    plein midi

    de

    ses chutes.

    L

    bas,

    il

    rompt

    les

    barrires. Ici, il est

    matre,

    et

    sa

    marche

    est

    irrsistible.

    la bia

    magnifique I

    Quelle

    promesse de

    labeur

    en

    sa

    puissance

    I

    VoiU

    le

    hros

    de

    l'Hercule

    du

    Nord.

    En

    forme

    de

    coogrea

    et

    de

    saumons,

    les

    longs nuages

    gris

    la

    queue noire

    se

    h&tent

    vers l'Ouest.

    Ils

    vont

    1

    te

    et ne

    se battent

    pas.

    Us fuient

    le fleuve.

    Au pont

    de

    Wettstein,

    lu

    matin

    rose doore

    les rives.

    La

    frache

    lumire

    rit sur

    de

    larges

    tilleuls,

    tt^te

    ronde,

    dans le

    jardin

    des

    Chevaliers, je

    crois.

    Il

    est

    des villes

    o le bois

    se

    fait passer

    pour

    de

    la

    pierre. La

    pierre,

    ici,

    joue le

    bois,

    surtout parmi

    les

    arbres.

    Ble

    cliaufTe

    au

    soleil son ventre

    peint. Tout

    btiment

    semble du

    bois

    peint,

    mme

    la

    catlidrale.

    Elle

    est au

    contraire

    de

    oe

    betu

    grs

    rouge,

    qui

    Tient

    des Vosges, et

    que

    la

    beaut de

    Strasbourg

    a

    sanctiflA.

    Je

    tte

    oette grosse

    pierre,

    je

    touche

    avec

    volupt

    son

    grain

    rude,

    qui

    t

    la chair

    de

    poule.

    Oeraot

    l'glise,

    dea

    enfants

    aux

    cheveux

    d'argent,

    l'il

    honnte

    et

    clair,

    se

    poursuivent

    sans

    cris.

    Ils sont brusques et

    patauds,

    brillants

    et robustes.

    Bio

    marchande,

    en

    ion

    opulence

    bourgeoise,

    sent encore Ici champs. La

    sant

    fleurit

    on teint.

    Elle

    a

    les joues

    d'une

    paysanne.

    Sa

    cathdrale

    est

    coilTe

    d'une

    toiture

    en

    rubans.

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    24/327

    12

    yOTAOI

    DO

    CONDOTTlftm

    Elle a

    l'orgueil

    d'tre

    solide

    et

    riche. Elle est fire

    de ses bonnes

    murs, et

    rit

    en

    dedans de sa dbauche.

    Elle

    lit

    la

    Bible

    d'une

    main,

    et de

    l'autre,

    derrire

    un

    rideau d'exgse et de

    raison

    austre,

    elle flatte

    large-

    ment ses

    passions

    et

    tend son

    verre la

    bouteille.

    Ble

    est une

    ville

    qui

    boit

    l'enseigne

    de la

    temprance.

    Elle est pleine

    de

    riches

    et

    de

    mendiants.

    Ses

    trois

    cents

    millionnaires

    y

    font des

    dynasties, comme

    ailleurs

    les

    nobles

    ;

    et on

    y

    compte un

    pauvre,

    nourri aux

    frais

    de la ville, par

    sept habitants.

    Je hle le

    passeur

    du

    bac.

    Un

    vieux

    birbe

    taciturne,

    qui

    sent

    l'eau-de-vie,

    me

    fait

    signe.

    Il

    est

    vtu

    d'une

    laine

    verte,

    qui

    fleure

    la

    mare. Il a la

    joue

    longue

    et

    rouge,

    plus

    ride qu'un

    toit

    de tuiles. Il a du poil

    par-

    tout

    ;

    et

    une boucle

    rousse

    tourne

    en

    anneau

    de

    cuivre

    son

    oreille.

    Est-ce

    qu'il

    chique?

    Un

    jus

    un

    peu jaune

    coule

    au

    coin

    de

    ses

    lvres droites

    et

    minces,

    comme

    deux

    bouts

    de

    filin; en

    mchant,

    il

    prpare

    peut-tre

    une pissure.

    Il

    fait de l'cume.

    Il

    a

    l'air

    d'un

    antique

    matelot

    Caron. Il

    prend

    l'obole

    sans rien

    dire.

    Il

    a

    les

    yeux

    de son fleuve.

    Qu'il nous donne

    de

    l'aviron sur

    la

    tte,

    et

    qu'il

    nous

    jette

    au

    courant

    N'en

    a-t-il

    jamais

    envie ?

    Il ne

    m'en chaut.

    Je ne

    me

    dfie

    pas

    ;

    j'aime

    sa

    figure

    de

    marin.

    Sur

    le

    Vieux Pont, des femmes

    vont

    et

    viennent,

    la

    taille

    ronde

    et

    la jambe gaillarde sous la jupe.

    Hautaine

    et

    vive,

    une

    belle

    jeune

    fille

    riait

    avec

    ses

    amies,

    jetant

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    25/327

    OTAOI DU

    CONDOTTIERI

    13

    en

    aumdne un regard distant aux

    hommes. Int.

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    26/327

    14

    YOYAOt DU

    CONDOTTiftKK

    El

    je

    regarde

    cet

    autre

    passionn,

    aux

    yeux

    glauques,

    lo

    Rhin

    ardent

    et froid qui

    prcipite

    ses

    eaux

    dange-

    reuses, o

    le

    vert do

    gris

    se

    mle au

    bleu

    de

    givre.

    Sous

    la

    PDilz,

    dec

    baigneurs

    soufflent.

    I^es

    corpi

    blancs

    sont

    rouges

    sous

    l'eau

    verte. Ceux

    qui

    plongent

    font

    d'tranges

    saumons,

    qui

    reparaissent

    en

    crachant.

    Ils

    ont

    la tte

    carne,

    les paules

    carres,

    les pieds

    car-

    ns.

    Ils

    sont

    tous blonds et

    roux. Ceux

    qui

    les

    admirent,

    on

    a

    fort

    envie

    de

    les

    jeter par

    dessus

    la

    rampe

    :

    au

    milieu

    du Vieux Pont,

    on

    montre

    une

    chapelle

    nar-

    quoise,

    d'o

    l'on

    lanait

    jadis les

    condamns

    dans le

    fleuve

    :

    un

    joli

    jeu

    en

    cas

    de

    doute;

    car

    le

    doute

    p

    ofite

    l'accus,

    comme on

    dit. Lui

    faisant quitter la terre

    par la

    voie

    la plus haute, quel

    inculp

    n'est

    pas

    cou-

    pable? El c'est un

    bon

    moyen

    pour

    des

    juges

    : lier ses

    scrupules aux

    pieds

    des

    accuss

    :

    ils

    en

    dirscniidniii

    mieux.

    Ville qui

    nai^e

    et

    qui jouit

    d'tre

    secrte,

    franche et

    brutale

    dans

    la

    vertu,

    doctorale

    dans

    le

    vice

    et

    peut

    tre

    hypocrite,

    Ble

    cache beaucoup

    d'ironie

    et de

    sarcasme

    sous le masque bourgeois.

    Mais

    le flux

    grondant

    du

    Rhin

    emporte

    tout

    vers

    la

    mer

    salubre.

    Je

    le

    contemple

    au

    Vieux Pont,

    une

    dernire

    fois. Je

    l'aime fortement.

    Avec

    Ble, c'est le

    Rhin

    que l'on

    quitte,

    le

    frre

    Rhin.

    Je

    ne

    verrai

    plus

    de

    fleuve.

    Parce qu'il

    est

    la marche

    mouvante

    de

    l'Occident,

    sa

    ligne

    vivante

    et

    passionne,

    \i

    profil

    de

    son

    visage

    vers

    la terre,

    le

    Rhin

    est

    le

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    27/327

    VOTACB DO CONDOTTlilB iS

    fleuve

    des fleuves.

    Et

    ptroe

    qu'il

    coule

    toujours

    inclin

    vers

    le

    couchant,

    sans

    que

    jamais

    le

    Nord

    le

    captive,

    il

    est celui

    qui doit

    unir aussi bien

    que

    celui

    qui spare.

    Par

    la

    vertu

    du fleuve, B&le peut plaire

    mme

    qui

    ne

    l'aime

    pas.

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    28/327

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    29/327

    HOLBEIN

    Au

    muie de B-Ue.

    Li plof impastible

    des

    peintres :

    la

    cooscieace,

    c'est

    lODU.

    Jeune homme,

    il est dj

    mr.

    Srieux,

    froid, sa

    solidit

    fait

    peur.

    Homme

    mr,

    il

    n'a

    point

    d'ige,

    sinon

    l'ge

    de la

    force.

    Tout

    est

    carr

    en

    lui.

    Il

    a

    une

    tte

    de

    bourreau,

    dipre

    marchand,

    de matre sans

    piti

    qui

    commande

    au

    logis

    ou i

    la

    guerre. La barbe des

    por-

    teurs

    d'eau

    lui

    largit

    encore le

    Tsage.

    Je

    leoonnait

    celui

    qui

    ricane,

    sans

    dmefrei

    les

    dents,

    la

    Danse

    des

    Morte.

    C'est

    bien

    l'homme

    du fait

    et

    de la matire. On

    ne

    sait

    s'il

    aime la nature

    : il la

    regarde

    de prt,

    en

    tout

    cas;

    il est

    pour elle

    un

    tmoin

    sagace,

    un

    lileneietiz

    confident.

    U

    a

    l'instiael

    de

    l'appirioee,

    et

    il

    nourrit

    le

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    30/327

    18

    VOYAGE DU

    CONDOTTlini

    sentiment

    de

    la

    destruction. Holbein,

    homme

    qu'on

    ne

    trompe

    pas.

    n

    analyse

    avec

    sret,

    avec

    force, avec

    beaucoup

    d'esprit.

    Aprs

    avoir admir

    les

    portraits

    du

    bourg-

    mestre

    Meyer

    et

    de

    sa

    femme,

    si

    l'on

    s'arrte

    celui

    de

    la

    fille,

    on a

    lu tout

    un roman. Iji

    fi;mme

    du

    bourg-

    mestre

    est

    d'une

    exquise

    lgance,

    en

    ses

    atours

    de

    simple

    bourgeoise.

    Jeune fille, elle respire le

    charme

    le

    plus

    svre

    et

    le plus

    dlicat.

    Femme,

    et

    toujours

    jeune,

    marie

    l'homme

    le plus

    considrable

    de la

    ville,

    quelle

    figure

    impntrable

    que

    la

    sienne

    I A

    Ble,

    elle est

    toujours

    la

    plus

    belle.

    Sa

    parure

    est

    somp-

    tueuse;

    elle peut recevoir

    les

    princes et

    les

    rois,

    de

    pas-

    soge

    dans

    la ville

    impriale. Mais

    ses

    traits

    si

    muets et

    si

    purs

    ne sont point

    ceux d'une femme

    heureuse.

    Elle

    est calme,

    et

    s'ennuie.

    Elle n'a point

    d'amour.

    Elle

    ne

    l'attend

    plus

    de

    ce gros

    homme

    placide,

    son

    mari,

    qui,

    dcid

    partisan

    de

    la

    Rforme,

    ne

    peuse

    plus qu'aux

    intrts

    de la

    religion,

    i>olitique,

    paterne,

    sans

    vice

    et

    sans

    malice,

    un gros

    nez,

    qui

    rougit

    en

    hiver,

    une

    grosse

    bouche

    au

    rire

    pais et

    aux

    gros

    reps.

    Or, leur

    fille

    boude,

    ses nattes

    dans

    le

    dos.

    Elle

    est

    sotte

    et

    ruse.

    Elle

    est

    dj

    pitiste. Entre sa mre

    et

    elle,

    il

    y

    a

    tout

    un

    sicle

    :

    la

    Rforme.

    Elle

    a

    le

    gros nez

    de

    son

    pre,

    sans

    en

    avoir

    la

    bonhomie.

    Comme

    toutes

    ces

    femmes,

    dont

    Holbein

    a dessin les

    costumes,

    elle

    touffe

    de

    pesants

    ap[)tits

    sous

    ses

    lourdes

    colles.

    Leurs

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    31/327

    OYAl DU

    CONDOTTllRI

    IQ

    mode*

    D

    sont

    pu u loin

    des

    ntres.

    Seulct

    difT^^ent

    1m jupM

    trop implet.

    Elles

    font

    bastionB

    et

    rcdnns

    :

    o'mI

    l

    derrire que

    la volupt

    so

    retranche,

    elle

    au^^si

    loumoiie et circonspocte

    :

    elle

    a besoin

    de ces

    remporta

    d't.>(re

    pour

    ot

    pu

    se

    lirrer.

    Holbcin

    a

    un got

    dlicieux

    dans

    su

    detaln.

    Il

    des-

    *-

    la pointe

    oomme

    on

    grave.

    Son

    trait

    est

    d'une

    atcsce

    et

    d'une

    pieUion

    uniques.

    Il

    est

    d'argent

    fin

    sur

    do

    beaux papiers

    qui font

    ombre.

    Un peu

    de char-

    bon,

    une

    touche

    lgre

    de

    couleur,

    e(

    la

    feuille

    s'anime,

    r>t

    d'uM

    TT

    lgance

    eo ta teinte

    indcise.

    M

    inTente

    point,

    et il n'a

    pu

    d* (kntaisie.

    Le

    por-

    trait de Dorothe

    kaneogiUMr

    montre

    ce

    qu'il

    peut

    laite

    en quelques

    coups

    de

    crayon

    : la

    coifTe

    rabattue

    jusqu'aux

    paies

    sourcils;

    le

    ool de

    linge

    serrant

    tout

    le

    bu

    du visage,

    jusqu'

    la lvre,

    qu'il

    couvre

    en

    Y' '-*^

    rien

    ne

    se

    voit

    plus

    que

    le

    haut

    de

    la

    bouche

    virt;i

    les joues

    pures

    et l'il

    triste.

    Cut

    le dessin

    le plus

    blouo

    et

    le plus

    ftais.

    U

    figura

    d'Holbein

    ert

    d'one

    brutalit

    redoutable.

    Il

    tient

    aussi

    du

    changeur,

    et

    de foMrier

    de

    village.

    Son

    obstinatioo

    devait

    tre

    sourde

    tout

    sentiment.

    Il

    a

    la

    tioire

    qui

    coavieDt

    ooe

    bameur

    de dogue.

    La

    rage

    ro

    libre

    el de

    vhrre

    uns

    dpendre

    d'aoeun

    lien

    est

    un

    apptit

    qu'on

    lui

    devine.

    Taciturne

    la

    maison,

    ivrugne

    t

    qiMreUenr

    la

    taverne.

    Le

    sang

    lourd.

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    32/327

    20

    TOTAOE DU

    CONOOTTlai

    l'enttement

    d'un

    thologien,

    toutes

    les

    forces

    et toula

    la

    masse

    d'un barbare allemand.

    Mais ses

    yeux

    sans

    bont sont

    admirables.

    On ne

    peut avoir l'il

    plus

    coll

    l'objet,

    ni plus

    dcid

    en

    sucer

    le

    contour,

    ni

    plus

    srieux, ni

    une paupire plus

    patiente

    ou

    plus

    riche

    de inflexion.

    Quand cet

    homme

    regarde la

    figure humaine,

    il

    cesse

    de

    vivre

    pour

    son

    propre

    compte

    : il n'est

    plus

    que

    l'objet;

    et sans feu, sans ardeur

    visible,

    sans

    passion,

    il

    s'y

    attache,

    il

    le conquiert,

    il

    le

    tire

    lui

    jusqu'

    ce

    qu'il le

    possMe.

    Et

    sa

    main

    docile,

    prodige

    de

    labeur,

    obit

    cette

    profonde

    patience.

    U

    ne

    cache

    rien.

    Il

    ne

    flatte

    rien.

    Il

    n'aime

    peut-tre rien.

    D se trahit,

    il

    s'accuse lui-mme,

    s'il

    faut.

    On ne le

    connat

    que

    par

    ses

    propres images.

    Le portrait

    de

    sa

    femme

    est la

    sanglante

    confession du

    malheur

    en mnage

    ;

    tout le

    drame

    quotidien

    du

    mariage

    y

    est

    cont.

    Un

    jour,

    cet

    homme

    dur

    s'est

    laiss gagner

    par l'motion

    de

    la

    nature

    :

    comme

    un

    grand

    pote

    se livre

    entirement

    aux

    passions

    de

    ses

    hros,

    Holbein

    s'e^t

    abandonn

    son modle

    ;

    et il

    a os peindre

    ce

    portrait

    de

    sa

    femme

    qui

    est

    le

    trsor

    de

    Bie.

    Une

    harmonie

    somptueuse

    et sourde,

    les

    tons

    ardents

    de la

    douleur

    et

    du reproche,

    les

    flammes

    sous

    la

    cendre, le rouge

    teint

    du velours,

    la

    couleur

    gale

    l'infaillible

    dessin.

    Que cette chair

    est

    triste,

    battue,

    trempe

    de

    pleurs

    I

    Quelle

    dsolation

    dans

    ces

    yeux

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    33/327

    u8eT\

    .s'il

    \

    OYAGB

    DU CONDOTTIERI

    21

    '

    quelle

    doeptioD

    sans

    retour,

    et

    ....

    ^-..

    dans

    ces

    replis

    que

    les

    larmes

    ont

    oufOs,

    comme

    des

    brlures, sous

    la peau

    encore

    jeune

    I Et

    ses

    beaux

    enfants

    ne la

    consolent

    pas.

    Elle

    est vieille

    trente

    ans

    ;

    et,

    en

    dpit

    de

    sa

    gorge

    tou-

    jours

    fhilche, comme un fruit

    qui

    vient

    seulement

    de

    mrir,

    elle

    a

    les

    sicles

    que

    les

    plaintes

    jettent

    sur

    une

    femme,

    les

    querelles,

    l'air humili

    et

    l'aHliction

    hargneuse.

    Tel

    est

    ce

    portrait,

    image

    sans

    prix

    de

    l'infortune conjugale.

    Sait-on

    jamais pourquoi

    une femme

    est mal

    heureuse

    D'abord, sans

    doute,

    parce

    qu'elle

    est

    femme.

    Puis

    y

    a

    bien des raisons

    pour n'tre

    pas

    heureuse,

    il

    n'en

    est

    qu'une

    au

    dsespoir

    :

    elle

    n'est

    pas aime,

    ou pense

    oe

    pas

    i'lre.

    Celle dont la

    chair

    est

    contente,

    c'est son

    me

    qui

    souffre

    ;

    et

    si l'me

    est satisfaite,

    c'est la chair

    qui

    oe

    l'est

    pas.

    L'homme

    et

    la

    femme

    ne

    sont

    pas

    faits

    pour

    se

    comprendre, ni

    mme

    pour

    vivre

    ensemble.

    Dans

    le fond,

    la

    nature

    ne

    leur

    demande

    que

    de s'unir

    uti moment.

    Il

    ne

    s'agit

    pas

    d'eux,

    mais

    d'une

    tierce

    ,

    qui

    est

    encore

    venir

    et

    qui

    leur

    est

    inconnue.

    iiuibcin

    allait

    et

    venait,

    dit-on,

    entre

    Ble

    et

    Londres.

    Angleterre,

    il

    a

    fort

    bien

    laiss

    sa

    .

    ^lissc.

    pendant

    cinq

    ans.

    J'espre

    it

    d'elle

    la

    fidlit,

    la

    patience,

    la

    mmoire

    vertus.

    S'il n'y

    tenait pas,

    c'tait

    plus

    Uc

    iu

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    34/327

    tS

    VOTAOI DU

    CORDOTTltKI

    on

    m4Dag

    anglais

    WMUniatter. Il

    ptna&it

    sa

    maison

    de

    Ble,

    quand

    il faisait mauvais

    temps.

    Le

    Christ

    mort

    est une

    uvre

    terrible.

    C'est le

    cadavre

    en

    sa

    froide

    horreur,

    et

    rien

    de

    plus.

    Il

    est

    seul.

    Ni

    amis,

    ni

    parents,

    ni

    disciples.

    Il est

    seul

    abandonn

    au

    peuple

    immonde

    qui

    dj

    grouille

    en

    lui,

    qui

    l'assige

    et le

    gole, invisible.

    Il

    est

    des

    Crucifis

    lamentables, hideux

    et

    r^KNiMants

    Celui de

    Grunwaldt,

    Colmar,

    pourrit

    sur

    la

    croix

    ;

    mais

    il est

    droit,

    couch

    haut

    sur

    l'espace

    qu'il

    spare

    d'un

    signe

    sublime,

    ce signe

    qui

    voque

    lui

    seul

    l'amour

    et la

    piti

    du genre

    humain. Et il

    n'est

    pas

    dans

    l'abandon

    :

    sas

    pieds,

    on

    le

    pleure

    ;

    on

    croit

    en

    lui.

    Son

    horreur mme

    n'est

    pas sensible

    pour

    tant

    d'amour

    qui

    la

    veille.

    Sa

    putrfaction

    n'est

    pas

    sentie.

    On

    adore

    son

    supplice,

    on

    vnre

    ses

    souiTranoes.

    On

    ne

    lamente

    pas

    fi

    dchance

    et

    sa dcomposition.

    Le

    Christ

    d'Holbein

    est sans

    espoir.

    U

    est

    couch

    mC'inc la

    pierre et

    le

    tombeau.

    II

    attend

    l'injure

    de

    la

    terre.

    La

    prison

    suprme l'crase.

    U

    ne

    pourrait

    pas

    se

    da'sser.

    Il

    ne

    saurait

    mme

    pas

    lever

    la

    main

    ni

    la tte:

    la

    paroi le

    n^jellerait.

    Il

    est dans

    la

    mort

    de tout

    son

    long.

    D

    se

    putrfie.

    C'est

    un

    supplici,

    et

    rien

    do

    plus,

    vous

    dis-je.

    U n'est

    pas

    seulement

    soumis

    la loi

    de

    la

    nature, comme

    tous

    :

    U

    n'est

    livr

    qu'

    elle. Et

    s'il

    y

    a

    eu une

    me

    dans

    ce

    corps,

    la

    mort

    l'iusulte.

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    35/327

    VOTAOI

    DD

    CONDOTTliRB 23

    Je

    ciit-rviic

    lire

    dans

    U

    pense

    de

    oe

    dur

    llolbein.

    Qu'il

    ait

    t

    le

    peintre

    des

    Rfomit,

    on

    le

    sait,

    depuis

    l'aioiabie

    MlaxM^bton

    jusqu'

    Henri

    VIII,

    le

    monstrueux

    Trimalcion

    d

    la

    thologie et

    de

    la

    royaut.

    Certes,

    Holbein

    lient

    pour

    Luther

    plus

    que

    pour

    Rome. Mais

    en

    secret

    il

    est

    contre

    toute

    glise.

    Le

    profil

    aigu

    d'nuune,

    ce

    toalpel

    tailler

    les

    croyances

    en

    minces

    lanires,

    ne

    ddt pas

    lui

    suffire.

    L'ide

    d'Uolbein

    est

    bien

    plus

    furie,

    d'une

    Twleoee

    aarare

    et

    cruelle.

    Point

    d'iruoie,

    mais

    un

    saroatme

    mwrtrier :

    la ngation

    glioe, ei Doo

    le

    doute.

    Ilolbeio

    me

    donne

    croire

    qu'il

    ett

    un

    athe

    accompli. Us

    sont

    trs rares.

    Le

    Christ

    de

    Ble me

    le

    pmuve :

    il n'y

    a

    l

    ni

    amour, ni un

    reste

    de respect.

    Celte uNTC

    robuste

    et

    nue

    respire

    une drision calme:

    Toilce

    que

    c'est que

    votre Dieu,

    quelques

    heures

    aprs

    sa

    mort,

    dans

    le

    caveau I

    voil

    celui

    qui

    ressuscite

    les

    morts

    L'me

    insolente

    d'Uolbein,

    sa pense impessible, son

    instinct de

    ngation, il

    les montre aussi dans sa Danse

    dc6

    .Morts.

    uvre

    de

    jeunesse,

    elle

    n'en est

    que

    plus

    n'a

    point

    l'espce de

    gatt que le

    peuple

    u..

    ..

    .^^0

    a

    mise

    dans les

    jeux macabres. Holbein

    ne

    rit gure. 11

    booffoone

    en nihiliste.

    De ces dessin?,

    le plus

    frappant

    est

    le

    dernier, o

    il imagine

    le

    blason

    do la

    Mort

    : il

    en

    donne

    u

    vision

    grimaante

    :

    Nihil.

    La

    mort

    partout.

    El

    trs seule, ci

    bien

    saoule.

    Quoique

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    36/327

    24

    TOTAGE

    DD

    COKDOTTIRI

    femme,

    et par

    drogation

    aux rgles

    de

    l'hraldique,

    la

    mort

    a des

    tenants :

    et

    c'est

    Adam

    et

    Eve,

    la

    femelle

    et

    le

    mle.

    La

    tte de

    mort

    tient

    tout

    le champ

    de

    l'cu.

    Elle

    ricane :

    elle a

    des vers

    et

    des

    serpents

    entre

    les

    dnis. L'cu est

    timbr

    du casque,

    tar

    de

    front

    ;

    et

    certes

    le heaume

    a

    onze

    grilles.

    Un manteau

    imprial

    l'entoure

    ;

    les plis

    en

    descendent,

    comme

    deux

    serres

    de rapace

    pour

    treindre

    la

    terre.

    Et,

    en guise

    de

    cimier,

    un

    morne

    sablier

    que

    les

    deux

    bras

    du

    squelette

    encadrent d'un

    losange

    dcharn,

    se

    dresse:

    les mains

    runies

    au

    plus

    haut

    brandissent

    une

    pierre

    norme,

    qu'elles

    vont

    lcher,

    pour

    l'craser

    comme

    tous

    les

    autres,

    sur

    quiconque

    passe.

    A

    quarante-six

    ans,

    Holbein

    est

    mort

    de

    la peste.

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    37/327

    III

    HiCC

    EST ITALIA

    D

    Faido

    Cmy

    m

    ttplmhrt.

    J'ai laiss les

    Alpes

    dans la

    nuit.

    J'ai descendu

    les

    degrs d'une nature grise

    et

    noire. J'ai

    quitt

    un

    esptee

    inorne,

    hriss

    de

    forts

    malheureuses, pour

    une autre

    contre,

    qui

    s'abaisse

    imablemaot,

    qui

    s'ofTre

    et

    qui

    s'tale.

    Et le ciel n'est

    |iliii

    le

    mme.

    Le

    gai

    nmtin

    a le

    rveil

    du

    ooq. La

    lumire

    ne

    se

    lve

    pas: elle

    sort,

    comme si

    elle

    s'tait

    cache

    ;

    elle

    arrive

    d'un

    bond,

    rayonnante

    et

    chaude.

    L'air

    vif appelle au

    jeu la

    ma-

    tine bleue et

    blonde.

    Tout tait

    dur,

    roide

    et

    vertical.

    A

    p

    r

    se

    nt

    ,

    leelbrmei

    prennent

    la

    molle

    aisance

    des

    courbes

    ;

    toutes

    les lignes

    cbertbent,

    avec

    une

    sorte

    de lendie

    dsir,

    pouser

    l'horiaon.

    Les

    monts

    muM

    n'ont plus

    rien

    d'austre;

    et

    sur

    les

    sommets,

    les

    minet

    sont

    joyeuses:

    on

    les

    re-

    s

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    38/327

    26

    TOTAOI

    DU

    CONDOTTIBI

    garde, sans

    croire au

    temps

    ni la

    guerre

    ;

    elles ne

    sont

    l que

    pour

    omor

    le

    paysage.

    Ce

    ne

    sont

    plus

    les

    pignons

    qui

    cherchent

    noise

    aux

    nuages,

    ou

    qui

    les

    piquent,

    coinant la brune.

    Les

    toits

    sont plats;

    des piliers

    les

    portent,

    comme

    une

    tente

    ouverte

    sur la

    maison.

    Les

    coteaux de la

    valle

    sont des

    jardins.

    La

    vigne

    y

    court en

    arcs,

    en

    festons

    de

    fle. Les

    villes ont

    des

    noms,

    qui

    chantent

    comme

    des

    oiseaux

    :

    Bellinzona

    gazouille,

    et

    fait rire

    ;

    Lugano

    roucoule

    ;

    Por-

    lezza bat de

    l'aile,

    et

    Bellagio

    fait

    la

    roue.

    Li

    lumire,

    surtout, la

    lumire est un

    nouvel

    espace,

    o

    l'on

    baigne.

    Les corps en

    sont

    pntrs.

    Elle

    caresse

    les surfaces

    comme une

    peau,

    elle

    les

    imprgne.

    J'y

    nage,

    et

    mes yeux

    ravis

    n'ont

    pas

    besoin

    de

    se

    fermer

    dans

    ce fluide.

    En

    vrit,

    quand

    l

    haut,

    sur

    la terrasse,

    au-dessus

    de

    la

    ville,

    je

    dcouvre

    Lugano

    et

    le

    lac, la

    lumire

    a

    dj

    trop

    d'clat.

    Voici

    l'Italie.

    C'est

    elle, c'est elle 1

    Que

    la

    vie

    semble

    lgre

    I

    Et

    lgr,

    c'est

    trop

    peu

    dire

    :

    tout

    le

    pays a

    l'air

    liquide

    dans

    la clart.

    La vie

    y

    flotte

    comme

    une

    eau,

    qui

    pouse

    tous

    les

    bords

    de

    la dure.

    Les

    femmes

    ont les

    yeux

    ardents,

    pleins

    d'un

    feu

    caressant

    et sombre. Elles portent

    aux

    oreilles

    de

    laides

    anneaux d'or

    ;

    et

    le

    bout du lobe

    fait

    chaton

    de

    rubis

    la

    bague

    jaune

    qui

    brille.

    La

    dmarche

    de

    ces

    cratures

    est

    leur

    premier

    charme.

    Elle

    promet

    le bonheur

    dans

    un

    noble

    abandon,

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    39/327

    TOTAtit

    un

    CONDOTTIKI

    t7

    et

    la

    volupt

    dans

    le

    rythme.

    Elle

    ne

    e

    jette

    pas

    gros-

    sirement

    dans

    l'amour;

    mais

    elle le fuit

    moins

    encore.

    Elle

    fait

    une

    promesse

    qui

    sera

    tenue aux

    honmies

    de

    la

    race.

    Elles

    vont,

    souples

    et

    lentes,

    sur un rythme royal

    et

    fauve,

    i

    la

    joie

    qu'elles

    annoncent

    et

    qu'elles

    attendent.

    Beaucoup

    ne

    sont

    que

    de

    belles

    btes. Leur

    grce est

    trop

    ptillante,

    pour

    des

    femmes. Leur

    corps

    est

    trop

    court,

    ou

    trop

    rude

    dans

    la

    maigreur.

    Elles

    semblent

    violentes

    et

    passives:

    elles

    ont

    trop

    de

    feu noir,

    d'un

    bois

    qu'il

    faut

    allumer

    pour

    qu'il

    s'enflamme.

    Enfn,

    elles ne

    sont

    point

    dangereuses : on ne

    sent

    pas en elles

    ces

    ardentes

    ennemies

    qu'il faut

    rduire.

    Qu'on

    est

    loin

    du

    .Nord,

    Lugano La petite ville

    sur

    le

    lac

    e9t

    un

    nid

    de

    flicit.

    L'air

    est

    suave,

    doux

    et

    clin

    comme

    la

    plume.

    L'ombre

    brille,

    elle

    est

    trempe

    de

    soleil

    liquide.

    La clart

    joue

    autour

    dt

    piliers,

    dans

    les

    rues

    arcades. Au

    dessus

    des chapiteaux

    informes,

    la barre

    d'appui

    est

    tendue corde

    g

    ro

    M

    ite

    de

    l'arc.

    Et

    les

    ruelles

    troites,

    de

    coude en

    coude,

    fuient

    entre

    des

    maisons

    trop

    hautes

    ;

    la

    chausse

    de

    granit luit

    comme

    une

    eao

    ille d'huile

    au

    fond

    d'un

    puits. Il

    fait

    frais

    dans cet

    Tenellee

    profondee.

    Sur

    le

    dos,

    les

    femmes

    et

    les

    jeunes

    garons

    chargent

    de

    vastes

    hottes

    en

    forme

    de

    ruches

    renverses.

    Le

    mareh eo

    plein tcot

    olale

    dee

    mniee

    eouieurs

    que

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    40/327

    28

    VOTAOI DU

    CONDOTTlftm

    les

    corsages

    et les

    jupes

    :

    le

    rouge

    et

    le

    jaune

    crus, le

    ert et le

    caca

    d'oie.

    I^es

    fruits

    sont

    trop gros,

    et

    d'une

    lenteur

    si

    lourde

    qu'ils ont

    un

    got

    de musc

    :

    les

    rai-

    tins

    en

    olives

    ont la

    taille

    des

    mirabelles

    ;

    et

    sous

    la

    peau

    noire,

    la

    chair

    molle est verte

    comme

    l'algue.

    Les

    gourdes

    violettes

    des

    aubergines

    frlent

    les

    fesses

    des

    melons.

    Et

    les

    pommes

    d'amour en tas

    sont

    si

    rouges,

    et

    d'un

    si

    beau feu

    qu'elles

    triomphent

    dans

    ce

    parterre

    de

    lgumes,

    telles

    les roses

    parmi les

    fleurs.

    Une

    vieille,

    au

    profil aigu

    deSybille, vend

    des illets

    l'odeur

    enivrante:

    ils

    sentent la

    peau

    brune et le

    piment. De

    l'eau

    bleue

    coule

    dans

    une

    vasque

    moussue.

    Une

    jeune

    fille, la

    cruche

    sur

    l'paule, va

    la fontaine,

    comme Rachel ou

    l'esclave

    de

    Nausicaa. Sa

    gorge

    im-

    mobile

    est serre

    dans

    une

    guimpe

    blanche, et

    ses han-

    ches

    ondulent sous la jupe

    carlatc. Elle

    a

    le

    pas

    d'une

    prtresse. Ses gestes

    sont

    hiratiques,

    tous ses

    mouve-

    ments srs et

    larges.

    Elle est

    simple avec

    noblesse

    ;

    et

    ans

    tre

    ni teinte ni

    triste, elle

    est grave.

    Devant

    les

    portes,

    sous

    les

    tentes

    qui

    enferment

    une

    ombre

    presque

    violette,

    les

    vieilles

    gens

    se saluent

    en

    causant:

    ils

    ont des

    traits

    terribles et des

    manires

    puriles.

    A

    Sainte-Marie,

    on

    sonne pour

    un mort

    ;

    mais

    personne

    ne

    s'attriste:

    chacun prend

    son

    parti

    de

    la

    mort

    pour

    les

    autres. Dans l'glise,

    claire,

    laide et

    dore,

    les

    femmes

    prosternes

    remuent

    ardemment

    les

    lvres,

    et des

    enfants courent; il

    y

    a mme

    un

    chien, La va-

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

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    OTAOI

    DU

    CONDOTTiftRC 19

    peur

    d'encens

    est

    pique par

    les

    flammes des cierges.

    Les

    hommes

    allendont

    sous

    le

    porche.

    Ils

    sont solennels

    et

    ridicules.

    Ils ont

    par

    moment une ombre hroque,

    et

    parfois une

    ralit absurde :

    je

    les admire,

    si

    je

    veux;

    et

    si

    je

    ne veux plus,

    ils

    me donnent

    rire.

    On

    en ren-

    contre

    qui

    feraient de

    magninques

    assassins

    : on

    leur

    suppose

    le

    couteau

    dans

    la

    manche, et la

    mme

    frocit

    dans

    l'me que

    sur le

    visage

    ;

    ils ont le

    front

    boucan,

    le nez

    en coin, le menton en

    serpe

    et

    la

    peau

    trois

    fois

    cuite.

    On se raille de

    souponner ea

    eax le crime;

    puis,

    on

    se

    rappelle que

    les

    meilleurs rgicides sortent

    de

    ces cantons,

    ceux

    dont

    le

    poignard, bien

    pouss

    de bas

    en haut,

    ne

    manque

    ni

    sa reine,

    ni

    son

    homme.

    Toute

    vie,

    pourtant,

    parat

    heureuse

    sur

    les

    bords

    de

    ce

    lac,

    que

    le ciel

    ddie

    l'idylle. Qu'est-ce que le

    bon-

    heur, pour la

    plupart

    des Cret

    mortels,

    sinon

    la

    certi-

    tude

    de

    l'amour.

    Cette

    terre est

    une

    terre

    d'amour. Ils

    ne

    sont

    mme

    pas

    vtus

    comme des gens qui

    pour-

    raient

    porter

    le

    deuil. On

    dirait qu'ils figurent dans

    une comdie

    amoureuse

    :

    culottes

    et

    gutres aux

    jambes,

    le

    feutre

    vert sur la

    ttc,

    la

    veste

    d'ocre

    aux

    tons

    de

    rouille

    ou

    de morille,

    ils

    Tont

    monter

    l'chelle

    de

    cordes

    ;

    Ils

    sont,

    quips

    pour

    It ven-

    geance

    et

    le rapt

    Au

    bout

    du

    compte,

    ils

    flnent

    ea

    esprant l'heure de

    la

    soupe. Us sont

    trop

    vifs,

    hors

    de

    propos

    :

    mimes,

    de

    la tte aux

    (rfeds,

    et tout

    Yisage,

    et toujours

    au

    bout

    de

    l'expresek.

    En Toll

    un qui

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    30

    >uiA

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    OTAGI

    DO

    CONDOTTliRB

    31

    n

    n'importe. Tout

    est fte,

    ce

    soir;

    et

    mme

    1o

    crpuscule

    est

    tans mlancolie. Un

    excs

    de

    galt

    p

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    PANDARA.

    A

    BtOagio.

    Ci:>T

    la

    journe

    des

    odeurs.

    Je sui-i

    euviroDo

    de

    parfums.

    L'air sent comme

    un

    fruit

    mr.

    La

    terre

    a

    son

    odeur forte de

    matrice,

    de

    chair

    chaude

    et

    de

    sueur.

    Les

    fleurs

    se

    cherchent

    de tous leurs

    yeux. Les

    fleurs

    dans

    la lumire sont

    des

    rtiues

    colores,

    qui

    ne vivent

    que

    de

    voir

    et d'tre vuea.

    L

    haut,

    Serbclloni,

    la

    villa

    dans

    les

    arbres,

    est

    le

    sommet vgtal

    de

    Bellagio,

    coiff

    de lumire.

    Elle

    porte

    le ciel comme un ptase

    bleu.

    Serbelloni,

    Bellagio,

    noms

    lgers, pleins d'ailes

    et

    de

    mirages,

    ils

    ont

    presque

    du

    bcllAtre,

    tant

    ils

    tournait autour

    de

    la

    voyelle

    et

    de

    la belle.

    Tout

    eat calme, parfum,

    fkste

    et

    volupt.

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    46/327

    34

    TOTAOB DU

    CONDOTTtftRB

    La senteur

    cuisante

    des

    lauritTS me

    poursuit.

    I>es

    lourdes

    ombelles

    en

    bouquets

    blancs

    ou

    roses

    sortant

    des

    branches et

    viennent

    la

    rencontre

    du

    passant,

    qui

    s'lve sur la

    colline,

    parmi

    les

    fleurs et

    les

    fruits. La

    brise tempre

    l'ardeur du

    soleil. Et

    la

    clart

    aussi

    frappe

    comme un

    parfum :

    l'anis,

    le

    santal

    et

    l'ambre

    flottent

    sur

    la

    pente

    dore

    des

    alles.

    Par touffes

    folles, le

    jasmin

    et

    le

    chvrefeuille

    pen-

    dent

    chevels;

    les

    chnes

    enlacs

    de

    lierre se

    joignent

    les mains

    au-dessus

    des

    alos

    ;

    l'encens

    cruel

    des

    tub-

    reuses

    uionte la It te

    ;

    et

    de

    monstrueuses

    fleurs

    en

    uf,

    pareilles

    des

    ananas

    livides,

    jaunissent

    au

    cur

    des

    magnolias.

    Elles

    rpandent

    un

    baume

    si

    pais,

    d'une

    fadeur

    si

    dense qu'on

    le

    gote

    sur

    les

    lvres,

    et

    qu'on est

    tent

    de

    le

    mcher

    :

    toutes

    les

    odeurs

    y

    entrent et

    s'y confondent

    :

    l'oranger et

    le

    melon,

    le

    citron

    et

    l'amande.

    Tout est

    blanc, tout

    est

    jaune de

    soleil,

    le

    blanc

    et

    le

    jaune, sources des

    parfums.

    Je

    ferme

    les

    yeux,

    dans un

    lger

    vertige.

    Je

    revois

    le

    chemin

    de

    Porlezza

    au

    lac

    de

    Crae,

    comme

    un

    sentier

    trac,

    pour

    des

    fes

    encore

    enfants,

    dans

    une

    fort

    putrile. Ici,

    plus

    d'horreur

    sacre sous

    l'ombre

    des

    chnes,

    au

    fond des

    antres

    humides

    o

    la

    mousse

    n'a

    jamais sch.

    Puis,

    les

    feuilles s'cartent,

    et

    le

    lac

    parait

    si

    bleu,

    si

    clin,

    caressant comme

    l'il

    d'un

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    47/327

    OTAOI DD

    CONDOTTIERI

    35

    chat.

    Et toutes

    eet

    eolombei,

    les

    maisons

    blanohM.

    Les

    janlins

    et

    les

    teiruses

    s'tagent

    sur

    les

    hauteurs

    comme

    une gamme. La

    vigne

    et les p&les

    oliviers

    portent

    l'aooord

    en

    soonliDe.

    jusqu' la fort verte

    et les

    miisns

    ooires

    des

    noyers

    sor

    les

    cimes.

    Les

    palais

    blancs et

    les

    villas

    laiteuses se

    penchent sur

    l'eau

    qui

    les mire.

    La

    moire

    du

    lac est ride

    de

    colonnes

    et de frontons.

    Les

    barques gaies, les voiles

    latines

    gli&sent

    sur

    le miroir.

    On accoste

    la

    rive

    heureuse,

    et

    l'on

    est

    terre

    avant

    d'tre au

    port

    On

    rve

    d'une

    vie

    calme

    et

    tutueuse,

    que traverse l'orage d'une

    seule

    passion.

    On

    monte,

    on monte. Les

    ruelles

    pierreuses,

    rouges

    au

    soleil,

    sont

    violettes

    dans

    l'ombre.

    Un

    ruisseau

    coule

    au

    milieu.

    L'ordure

    inmea

    son air

    de

    batitude;

    les

    mouches

    ronflent

    contre

    les bornes.

    U

    y

    a encore

    des

    b'ues

    noires aux

    branches

    des

    figuiers,

    par dessus

    les

    murs.

    A

    Serbelloni,

    partout

    des

    bancs.

    Les

    peupliers

    d'Italie

    >nt

    la

    pyramide,

    et les

    eboet

    en

    dme s'arrondissent

    litre

    les

    oloebetoot aigus

    des

    eypie.

    Les bosqoets,

    las

    retraites

    se cacbeoi

    derrire

    les

    eherelures

    complices

    du

    lierre.

    L'invitation

    aox baisers passe dans la

    brise

    ;

    los

    feuilles

    se

    caressent oooune

    des chattes.

    L'air

    est

    si

    Un,

    1 tide

    et si

    tendre,

    U

    a des

    louches si

    subtiles

    et

    si

    ntes

    qu'on

    le

    sent eomme

    une

    main,

    comme un bai*

    ior

    entre

    les

    ebeteui

    et

    la nuque. Et

    telles

    des

    lvres

    timides,

    il

    gUase

    sur

    la

    fracheur

    des seins

    ;

    les jeunes

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    48/327

    36

    VOYAGE

    DV

    CONDOTTltnt

    femmes

    lui

    abandonnent

    leur goi^c sous la guimpe.

    Je

    frlu

    une

    nymphe

    blonde,

    qui

    a

    l'odeur

    de

    ral)ricot.

    A

    Bellagio sur

    le lac,

    et

    Scrbelloni sur

    Itellagio,

    on

    est

    la

    fourche

    des

    eaux.

    La vue

    de

    Serbelloni

    ne

    laisse

    rien

    chapper

    :

    elle

    offre

    tout

    le pays

    sur

    un plateau

    de

    venneil.

    Bellagio,

    c'est

    Belle

    aise. Vers le

    Ponant,

    la

    Treoiezzina

    se dessine,

    le

    jardin

    dans

    le

    parc

    des volup-

    ts

    lombardes :

    une

    colonnade de

    marbre

    sur

    une

    main

    de

    terre

    se

    profile

    dans l'eau. La

    villa

    Carlotta,

    la

    villa

    Poldi,

    les

    noms de

    Milan

    chers

    Stendhal

    :

    mais

    les

    Mi-

    lanais n'y

    sont

    plus, il me

    semble.

    Mme un

    villa^^^e

    s'appelle

    Dongo,

    comme

    Fabrice.

    Des

    ruines

    riantes,

    de

    Tieux

    chteaux,

    d'antiques tours, des

    torrents

    lointains,

    pareils

    un fil

    de

    lait

    sur

    la montagne,

    tout

    est plaisir

    dans

    la

    lumire.

    Point

    de

    deuil. Et si

    j'ai

    chemin

    lo

    long

    d'un cimetire, je n'y

    crois

    pas.

    Je

    descends

    vers

    le lac. Des

    oranges

    mures

    pendent

    sous la

    longue

    feuille. Et

    comme

    des

    clairs

    brillants,

    qui

    sortent de la

    terre,

    les

    lzards

    filent

    sur

    les

    cailloux

    d'argent.

    Belle

    comme

    un

    sentier

    royal,

    une

    alle

    de

    grand

    cyprs

    s'abaisse,

    toujours

    plus

    large,

    vers

    la

    ma-

    rine. Autour

    d'un

    clocher carr,

    plein

    de

    ciel

    et

    de

    so-

    leil, es

    pointes

    des

    cyprs

    piquent

    l'espace

    de

    lances

    pacifiques;

    et

    l'odeur

    rayonne

    du

    bois

    incorruptible.

    Dans le

    clocher,

    un

    rayon

    d'or

    fait

    corde

    la

    cloche.

    L'aile

    finit sur l'eau blouissante

    :

    au del,

    sur

    l'autre

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    49/327

    CONDOTTIERI

    37

    ri?e,

    dni

    les forts

    de

    la

    montagne,

    les

    demeuret

    blanches

    dorment,

    repues

    de

    clart,

    comme

    des brebis

    sur

    und pente.

    Une

    barque

    est

    amarre

    dans les fleurs.

    Tandis

    que

    les

    flots du

    lac multiplient

    languistamment son

    sourire,

    des

    femmes

    tendues

    sourient

    vaguement

    leur propre lan-

    gueur.

    Elles sont

    toutes

    en blanc,

    comme

    des fleurs.

    On

    dirait

    qu'elles

    attendent aussi qu'on

    les

    cueille.

    Une

    pense plane

    entre le ciel

    et l'eau, comme

    un

    oiseau

    invisible

    : c'est

    que

    tous

    les

    voiles,

    ici,

    ne sont

    que

    d'un

    moment,

    un cran fragile

    entre la

    volupt

    et

    le

    4t.

    Ia

    grftoe du

    lac

    esi ainsi taile

    d'amnit

    et

    de

    complaisance.

    Ce

    n'est pu

    la

    mer,

    ni

    tes

    tragdies

    brusques

    ;

    ce n'est pas le fleuve et son

    temel

    renou-

    vellement.

    Le

    lac

    est

    le

    miroir

    du

    sjour.

    Tout

    y

    fait

    scne

    et

    tableau

    dans

    on

    cadre

    juste.

    Et partout

    la

    mon-

    tagne

    y

    enferme

    un

    monde clos sur

    son

    bonheur.

    Le

    devoir

    n'a plus

    de sent

    ;

    laduie

    n'a plus de plans;

    tout

    est

    dans l'instant,

    et

    le

    plaisir est

    le seul

    espace.

    Ces

    jeones flammes

    aux bras nus,

    ces ttet ployes,

    cette

    bngoenr

    que

    le

    rythme

    de la

    gorge

    soulve

    si

    douce-

    ment,

    comme

    un

    antre flot o

    l'on

    ne

    rsisto

    pu,

    quelles

    plages

    voluptueuses

    Les regards

    et

    les paroles

    roucoulent.

    Toutes les

    colombu

    ne

    sont pu borromes.

    tene

    complaisante

    I

    Aisuraient,

    c'est

    ici quePan-

    dams

    a pris

    flamme,

    aprs la diute de Troie.

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    50/327

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    A

    ET

    LA

    DANS

    MILAN

    CoMHi

    It

    vie

    det

    hommes

    sert

    de

    Tfitement

    leur

    me, le*

    Tilles

    ont

    uoe

    Ogure,

    un

    regard, une voix.

    Et

    oonune

    l'eflt

    d

    leur viiage

    est

    inconnu

    i

    la

    plu-

    part

    des

    gMM,

    les

    villes

    ignorent

    leur

    figure.

    Mais

    l'teangw,

    qui

    n'est

    li

    que

    pour

    voir,

    la

    oosidre

    ei

    la

    poMre. L'tranger

    est reonemi,

    mme

    quand

    il aime:

    c'est

    qu'il

    ouvre

    lee

    yeux,

    d'abord, et

    qu'il

    voit.

    Qui

    arrive

    Milan,

    un

    soir

    d't,

    l'heure

    o

    la ville

    sent

    son

    ventre,

    et

    o il

    grouille

    de

    Ikim,

    tombe dans

    uoe

    roue

    de

    lumire

    crue

    el

    de

    bruit.

    Comme

    lee

    vragons

    que

    l'on vient de

    Iti

    iee

    r

    sur les plaque

    tour-

    nantes,

    dans

    cette

    ville

    tout

    tourne

    el

    (ait

    un

    tinta-

    marre

    de

    formille.

    La

    gare

    est

    un

    tunnel

    de

    verre,

    clatant

    de clart

    blanche.

    En

    tous

    sens,

    la cohue

    se

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    52/327

    40

    TOTAOI

    DU

    CO:iDOTTllll

    prcipite;

    un immense

    troupeau

    pitine

    sous

    une

    vote,

    le

    dos

    patient

    ;

    les

    ttes

    sont ployes

    ;

    on ne

    voit

    point

    les

    bouches

    ;

    on n'entend

    que

    le brouhaha de

    ce

    btail

    noir;

    et

    tous, bientt,

    se pressent

    dans

    un passage

    souterrain

    ;

    on

    monte des

    escaliers,

    on

    en

    descend

    ;

    l'odeur

    du poisson

    pourri,

    des

    onguents

    et

    du cuir

    ;

    les

    pieds

    roulent

    la

    charge

    d'une

    pre

    lutte

    ;

    et

    partout,

    dans

    le

    caveau,

    sur

    les

    degrs

    ou sur le

    pav

    de la rue,

    la

    mme

    lumire

    crue

    clatante et

    factice.

    Toute

    la

    ville

    n'est

    qu'une

    gare.

    Le

    tumulte,

    le mou-

    vement

    sec

    des

    quais

    court

    les

    rues

    ;

    et

    ce

    dme

    fameux

    est

    une

    gare

    de

    marbre.

    Qui

    put

    jamais prier dans

    cet

    entrept

    de

    statues

    et

    d'ornements,

    ayant

    fait

    ses

    pre-

    mires

    prires

    Chartres,

    ou

    seulement,

    l'ombre

    du

    Kreiz-Ker?

    A Milan,

    la rue

    mme

    du plaisir,

    et

    des

    livres,

    l o

    l'on

    va

    boire

    et

    chercher

    chacun sa

    pture,

    n'est

    qu'une

    galerie

    vitre,

    une

    gare

    dans

    une

    gare.

    Et

    la foule

    se

    hte,

    portant

    des paquets,

    tous

    la

    tte incli-

    ne,

    les

    yeux

    fixs

    sur

    les

    mains,

    le

    pas rapide,

    comme

    on

    court

    au buffet,

    entre

    deux haltes,

    comme

    on

    va

    prendre

    le train.

    O

    qu'on

    lve

    le front,

    on

    reoit,

    comme

    un

    jet,

    le

    r^ard

    brutal

    de

    ces

    moroses

    yeux

    blancs,

    de

    ces

    yeux

    ronds

    qui font

    har

    la

    parodie

    de

    la

    lumire.

    Nul

    ne

    verra plus

    le clair

    de

    lune

    dans

    Milan.

    Et

    si

    l'on

    baisse

    les

    yeux,

    soudain

    l'on

    se

    croit pris

    au

    pige:

    de

    toutes

    parts,

    perte

    de

    vue,

    les

    mailles

    plates

    d'un

    filet

    de

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    53/327

    VOTAOI DD

    CONDOTTIERI

    II

    fer

    :

    le

    rseau

    des

    rails

    parle

    de

    la

    vieille

    terre

    dans

    les

    chanes.

    LA

    dessus,

    roule

    ternellement

    un

    tas

    de

    lon-

    gues

    boites, les unes

    bleues,

    les

    autres jaunes,

    o

    sage-

    ment

    ranges,

    poses

    de

    biais,

    sont

    enfermes

    des

    formes

    humaines;

    et

    quand la

    botte

    disparat

    dans

    une

    fue,

    elle

    semble

    une

    voiture

    pleine

    de

    fourmis

    moostraeiises. Je crois

    reconnatre

    dans

    Milan,

    fourmi-

    lire

    ronde,

    la

    ville la plus

    chinoise de

    l'Europe,

    telle

    que sera

    la

    Chine, lorsque

    la science

    en

    aura

    fait

    le

    plus

    pullulant

    firomage

    aotomates

    de

    la

    plante.

    Nuit

    et

    jour,

    en

    tous

    sens,

    tourne cette

    rose

    des

    vents

    mis-

    rable,

    avec une

    clameur de fr et

    de

    supplices:

    toutes

    les

    bottes

    se

    succdent

    sur

    les rails en

    grinant,

    et

    une

    cloche

    de

    fer

    blane, un gong

    au

    timbre

    de

    casserole,

    tintant dix

    fois par

    minute,

    marque le

    pas de

    ces biBi

    sans pattes.

    Peu

    de

    mendiants

    :

    sans

    doute,

    on

    ne

    les

    admet pas

    dans

    les

    gares, ou

    oo

    les crase.

    Mais

    une

    foule d'es-

    claves

    : chaque

    homme porte un

    signe

    qui

    fait

    aussitt

    savoir

    s'il

    voyage

    en

    wagon-lit,

    ou en

    troisime

    elaase.

    Ils

    ne

    mendient

    pas,

    non

    :

    ils

    ont

    la dignit

    des mal-

    heureux

    qui

    meurent

    d'un

    salaire

    ;

    et il

    suffit

    de

    voir

    ces

    visages fltris,

    ces

    peaux

    vertes, cet

    air de

    hAte

    et

    de crainte,

    ces

    haillons dcents, pour

    admirer

    combien

    le

    droit

    de

    voyager

    en

    dernire

    cliiie

    ajoute

    de

    booheor

    et

    de

    noUeste

    au sort de

    l'homme.

    En

    plaine,

    ouverte A tous

    les

    veots,

    inerle

    et

    dou

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    54/327

    42

    YOTAOK

    DO

    COMDOTTliai

    OUI

    la

    canicule, touffante

    et

    glaciale,

    baiM

    et

    pros-

    pre,

    riche

    et nulle,

    cette

    ville on

    forme

    de roue,

    avec

    un dme

    pour waiou

    au

    moyeu

    d'une place,

    Milan

    tourne

    la

    croix des routes,

    et

    tous

    les rais de

    l'indus-

    trie ou

    du

    commerce.convergent

    ce centre de

    l'Italie.

    Londres

    est

    le

    poulpe

    gant,

    qui

    cache

    sa

    tte

    sous

    le

    fleuve,

    Tower

    Bridge

    ;

    et

    ses

    mille bras, tous

    les

    jours,

    collent

    la

    terre une nouvelle

    ventouse, un

    lichen

    de

    maisons basses

    qui

    soufflent de

    la

    fume au

    ciel,

    et qui

    pompent les sucs de

    l'univers

    ;

    Londres a la

    voix

    sous-

    marine,

    et

    les

    rauques

    sirnes

    parlent

    pour

    elle

    ;

    et

    peu

    peu, toute

    l'Angleterre

    s'est

    faite

    pieuvre

    autour

    de

    Londres,

    la gueule, o langue sans

    repos,

    la

    Tamise

    gote, avale, crache

    et

    salive.

    Les

    tentacules

    cherchent

    le sang

    de

    tout

    le globe

    ;

    et

    rAugleterre meurt

    si

    l'on

    retourne

    sur

    sa

    tte

    le

    capuchon

    des

    mers,

    ou

    si

    l'on

    tranche

    les

    bras

    du

    monstre.

    Je

    pourrais

    dire la

    figure

    de Rome, cette idole aux sept mamelles,

    nourrice

    dont

    on a dcoll la

    tte

    : et le

    visage

    de

    Paris, ce

    triple cer-

    veau

    coDceotrique

    un

    ravissant

    sexe

    de

    femme,

    o

    sinue

    la

    Seine

    :

    et

    tantt

    la

    France

    est

    sage

    de

    celte

    pense, tantt elle

    est folle

    de

    cette

    folie.

    Milan

    tourne

    aborbe

    et

    n'invente point

    ;

    peine

    si

    Milan

    digre

    ;

    tout

    y

    est factice,

    comme le

    foyer

    dans

    une auberge.

    C'est le luxe, le tumulte

    et

    la

    richesse

    d'une

    htellerie.

    Mais

    qui voudrait passer

    sa

    vie

    dans

    une

    gare

    ou

    un

    march

    T

    Milan

    est

    la

    ville

    carrefour.

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    55/327

    OTAOI

    DU

    CONDOTTliRB 48

    L'preuve

    du

    Dme et la

    preinire

    du

    voyage en

    l'ai

    .

    Il

    resplendit

    au

    luilieu

    de

    renfcr,

    uue

    montagne

    de

    inarbrc

    blanc.

    11

    est

    tuoroie

    et

    mivre.

    On

    l'appelle

    dnie,

    et

    il n'est fait

    que

    d'aiguilles. glise iiuinense, il

    semble

    n'tre

    qu'une

    chAsse

    ou

    un

    reliquaire.

    11

    fait

    penser

    l'orflvre,

    et

    non

    l'architecte.

    Prodige

    de

    ri-

    cliesse

    et de faux

    got,

    c'est

    la viei^e du Nord costume

    artle

    de

    ce

    peuple

    semble

    ainsi

    marcher

    sur des

    jambes

    de

    bois.

    A

    Milan,

    on

    boit

    du

    lait

    dlicieux, pis

    et

    parfum.

    Mais

    partout on vend

    de

    la

    bire

    : ce

    pays

    est

    plein

    d'Allemands.

    On

    a

    cru les

    y

    aimer

    ;

    puis

    on les a

    subis

    :

    ils

    y

    sont,

    prsent,

    moqus,

    has

    et

    redouts.

    Le

    ventre de

    l'Italie

    moderne

    est ici,

    et

    peut-tre

    le

    cur

    s'y

    noie.

    Sous un

    ciel

    sans nuances,

    la

    vie

    y

    est

    violente

    et

    lourde,

    chaude

    et

    criarde,

    trapue

    et

    frn-

    tique.

    Plus de

    richesse,

    plus

    de

    force,

    plus de

    brutalit

    qu'ailleurs.

    Des

    maisons

    plus

    hantes

    et

    plus

    sombres,

    ou

    plus

    blanches

    et

    plus

    cossues,

    la misre

    et la fortune

    plus

    st'pares

    que

    dans le

    reste de

    l'Italie. Tout

    ce qui

    dure

    encore

    de

    vieilles

    pierres,

    palais et

    ^lises,

    se

    cache

    dans

    les coins.

    L'ingnieur

    les

    relique,

    comme

    des

    parents

    pauvres,

    dans l'exil

    des quartiers

    sordides.

    L'Hpital

    Majeur fuit

    les

    regards

    sous les rues

    vermi

    neuses

    d'un

    quartier

    qu'empestent

    les

    lgumes

    pourris

    et

    les

    trognons

    de

    choux.

    Et

    le

    charmant

    petit

    palais

    Visconti

    di Modrone

    montre sa

    jolie

    faade

    aux

    berges

    moisies du canal

    :

    elle

    so

    laisse

    deviner

    entre

    les bran-

    ches

    d'acacia, comme un

    visage

    derrire

    les

    doigts

    carts

    et

    les

    cheveux

    rpandus.

    La

    plaisante

    et

    mlan-

    colique demeure I la

    seule de

    .Milan, o

    l'on

    voult

    lire,

    dormir

    et

    aimer.

    Elle

    semble

    faite

    pour

    donner

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    59/327

    OTAGB DU CONDOTTIRK

    47

    t9ile

    des

    amours

    secrtes,

    et

    peut'tre

    coupables.

    Une

    terrasse,

    planta de

    vieux arbres,

    de

    jasmins et de

    roses,

    tombe

    pie

    sur le

    miroir

    des eaux

    mortes

    ;

    elle

    fltt

    borde d'un balcon

    sculpt,

    balustrade

    de

    pierre

    pompeuse

    et un

    peu

    lourde,

    mats

    pourtant

    lgante

    :

    par

    les

    jours

    de la rampe,

    la

    verdure et les

    fleurs

    ani-

    ment le

    silence,

    et leur

    prsence

    passionne

    est une

    fte

    dans

    ce

    canton

    misrable

    de

    la

    ville.

    Des amours

    portent

    un

    cusson

    ;

    les cornes

    d'abondance

    se

    vident

    de

    leurs pches

    et

    de

    leurs raisins dlicatement

    mode*

    ls

    ;

    la

    vigne vierge

    et

    les

    branches

    caressent

    chaque

    volute,

    chaque

    rinceau

    de

    celte

    balustrade. A

    travers

    les

    feuilles, une loge

    six ares

    te

    deasine entre doux

    ailes

    ;

    un

    double

    rang de

    colonnes est

    fleuri

    de

    roaes.

    Le

    doux

    Jardin

    voil,

    la

    charmante retraite

    Un jet

    d'eau

    lance

    sa

    poussire

    ehangeante

    dans

    le

    soleil.

    Le

    canal

    mire les

    rameaux, et

    relient

    les liMdllei sur

    l'eau

    morose. Dans

    Milan, il

    n'est

    point

    d'autre refuge au

    rve,

    l'amour et

    la

    mlancolie.

    Milan

    grouille

    de peuple. Dans les

    laubouifs,

    les

    mai ^)ns

    sont

    (larcilles des ruches

    coupes

    par lo

    milieu

    : sur

    la

    Uctd

    peinte

    en

    oouleurs

    crapuleuses,

    toutes

    feolref

    ouvertes,

    les

    aivolet

    g

    ofgw de

    gens,

    on

    dirait

    des

    ceffea

    mouehea.

    Bi

    le

    pousiira

    que

    le

    vent

    fouette, stupoudro eea

    gnMen.

    Les

    haillons

    flottent.

    Des linges

    ti>iects

    et

    U

    lessive

    de

    la

    veille

    sont

    tendus

    sur

    des

    cordes

    :

    les

    chemisas

  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    60/327

    48

    YOTAGI

    DU

    CORDOTTltni

    et

    les

    jupons

    rouges,

    let

    maillots

    verts,

    les

    serviettes

    taches

    de

    vin, les

    langes

    souills,

    les

    traversins,

    les

    draps pisseux

    schent l'air

    ;

    et

    il

    me

    semble

    qu'ils

    fument.

    Des

    femmes

    l'il

    sombre,

    et la

    tignasse noire,

    lancent un

    regard

    entre

    les

    manches

    d'une

    camisole

    pendue, ou

    les

    deux

    jambes d'un

    pantalon

    blanc

    que

    le

    vent

    du

    sud agite.

    La

    misre au

    soleil

    a la

    beaut

    du

    crime :

    elle n'est

    pas

    comme

    dans

    le Nord,

    o l'horreur

    de

    la dgrada-

    tion

    parait toujours

    la

    suivre.

    A la

    laideur

    mme,

    elle

    emprunte

    une

    sorte

    d'nergie,

    et

    parfois

    une

    galle

    cynique

    :

    ainsi

    les plaies

    empruntent

    une espce

    d'lo-

    quence

    la

    couleur.

    Dans

    le Nord,

    tout parle

    d'une

    chute

    ignoble

    au

    fond de la

    boue

    et

    de

    l'ignominie

    ;

    tel

    un

    vieillard

    paralytique

    qu'on

    fourre

    l'hpital

    :

    il

    sait

    bien

    qu'il

    n'en

    sortira plus,

    et

    qu'il

    mrit,

    les

    pieds

    en

    avant,

    pour

    l'auberge de

    sous terre.

    Le

    pittoresque

    de

    la

    misre, au

    midi,

    n'est

    pas une

    illusion

    :

    le

    soleil

    est

    une

    fortune.

    U

    y

    a de

    la

    beaut

    partout o

    les

    yeux

    rencontrent

    la

    nature

    dans

    la

    lumire.

    Sur

    la

    place

    o

    Lonard de

    Vinci

    fait figure

    d'un

    convalescent

    qui

    va

    au

    bain,

    une

    dispute

    m'attire.

    L^s

    injures

    volent

    comme

    des

    copeaux

    ;

    le

    rabot

    de

    la

    haine

    court dans

    tous

    les

    gestes.

    Parmi

    les

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    deux

    Anglais

    regardent

    indiffrents

    ;

    deux

    autres

    affectent

    un

    mpris

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    et

    sans

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    sinon

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  • 7/26/2019 Suars - Voyage Du Condottiere

    61/327

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    49

    bien

    que les adversaires

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