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Substance Et Individu Dans La Philosophie de La Connaissance de Leibniz - C. Leduc

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Substance Et Individu Dans La Philosophie de La Connaissance de Leibniz - C. Leduc

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    i * i

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  • Universit de Montral

    Facult des tudes suprieures

    Cette thse intitule :

    Substance et individu

    dans la philosophie de la connaissance de Leibniz

    prsente par :

    Christian Leduc

    a t value par un jury compos des personnes suivantes :

    Prsident-rapporteur : M. Richard Bods, Universit de Montral

    Directeur de recherche : M. Franois Duchesneau, Universit de Montral

    Membre du jury : Mme Josiane Boulad-Ayoub, Universit du Qubec Montral

    Examinateur externe : M. Hans Poser, Technische Universitt Berlin

    Reprsentant du doyen de la FES : M. Jacques Cardinal, Universit de Montral

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  • RSUM

    La prsente thse de doctorat vise traiter diffrents thmes relatifs la

    substance et lindividu selon un point du vue pistmologique dans la

    philosophie de Leibniz. La mtaphysique et la logique de Leibniz y sont par

    consquent interprtes la lumire de la thorie de la connaissance quon trouve

    labore paralllement dans luvre. Il sagit en premier lieu de positionner la

    doctrine leibnizienne par rapport aux enjeux du nominalisme, thorie qui fait de

    lindividuel le point dancrage essentiel de toute science. Il faut aussi montrer

    comment la mtaphysique leibnizienne sagence avec le modle rationnel de la

    connaissance qui mise essentiellement sur une gradation des savoirs; bien que la

    thorie leibnizienne rcupre certains aspects des traditions aristotlicienne et

    cartsienne, il nen demeure pas moins quelle dgage une doctrine de la cognition

    originale ayant un impact considrable en mtaphysique. Limplication de la

    notion dindividualit dans le domaine du sensible vise ensuite montrer

    limportance dune explication des phnomnes comme complment lontologie

    leibnizienne; les problmes de lidentification et de la saisie des ralits sensibles

    sont explicits pour prciser la nature de lexprience selon Leibniz et ses

    consquences dans lapprhension des individus. Finalement, ltude des

    rpercussions de lindividuel sur les notions dabstraction et de classification

    conclut cet examen de la philosophie de Leibniz du point de vue de la thorie de la

    connaissance. Le travail consiste valoriser lpistmologie leibnizienne comme

    contribution linterprtation de cette philosophie.

    Mots cls : pistmologie - Mtaphysique - Individuation - Identit -

    Entendement - Exprience - Classification - Ego - Abstrait - Concret

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  • iv

    ABSTRACT

    My thesis deals with several thmes related to the concepts of substance

    and individual in Leibnizs philosophy from an epistemological point of view.

    Therefore, Leibnizs metaphysics and logics are interpreted by means of the

    theory of knowledge elaborated at the same time in his work. First, the leibnizian

    philosophy needs to be determinated in regard of nominalism, a theory in which

    individuals constitutes the main ontological entities. Secondly, I explain how

    Leibnizs metaphysics hangs with the rational model of knowledge, which rests

    on a gradation of notions. Even though the leibnizian epistemology takes over

    certain aspects of the aristotelician and cartesian traditions, it seemed clear that

    Leibniz draws an original doctrine of cognition which has a strong impact in

    metaphysics. Thirdly, I intend to show the implication of the notion of

    individuality in the realm of empirical knowledge, because the explanation of

    phenomena becomes an important complment to leibnizian ontology of

    substance. The problems of identification et distinction of contingent realities are

    explained to prcis the nature of experience and it consquences in the

    perception of individual things. Finally, the study of abstraction and classification

    processes conclude this examine of Leibnizs philosophy. This work consists in

    valorizing the leibnizian epistemology as a original contribution to the

    interprtation of this philosophy.

    Keywords : Epistemology - Metaphysic - Individuation - Identity -

    Understanding - Experience - Classification - Ego - Abstract - Concrte

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  • TABLE DES MATIRES

    Rsum iii

    Abstract iv

    Table des matires v

    Remerciements viii

    INTRODUCTION 1

    I. LINFLUENCE DU NOMINALISME 16

    1. Le nominalisme dans luvre de Leibniz 17

    2. Entia non esse multiplicanda praeter necessitam 22

    2.1. La ralit des genres et des espces 23

    2.2. Le statut de laccident 27

    3. Les termes abstraits et la pense 34

    3.1. La primaut du concept sur le terme 35

    3.2. La signification des termes gnraux 374. Aspects pistmologiques du nominalisme 44

    4.1. Le ralisme pistmologique ou direct 47

    4.2. La connaissance abstractive 52

    Conclusion 57

    II. CONDITIONS PISTMOLOGIQUES DE LLABORATION

    DUNE MTAPHYSIQUE DE LA SUBSTANCE 60

    1. Du concret et de labstrait mtaphysiques 63

    1.1. Les rpercussions pistmologiques du principe

    des indiscernables 63

    1.2. Le fondement abstrait

    de la mtaphysique de la substance 69

    2. Le modle cognitif a priori 79

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  • v i

    2.1. La dfinition relle 79

    2.2. Lapport et les limites du cartsianisme 93

    2.3. La typologie des ides 102

    Conclusion 116

    III. LE MODLE COGNITF A PRIORI

    APPLIQU LA MTAPHYSIQUE DE LA SUBSTANCE 119

    1. Les attributs de la substance 122

    1.1. Le modle gnrique des prdicables 128

    1.2. Les prdicaments ou attributs catgoriques 132

    1.3. La coexistence des deux types 136

    1.4. Les notions transcendantes 139

    2. Lordre hirarchique des attributs catgoriques 143

    2.1. La connaissance intuitive de lunit transcendante 146

    2.2. La connaissance adquate des prdicaments 157

    3. La pluralit des significations de la substance 167

    Conclusion 177

    IV. LINDIVIDUALIT DANS LE CHAMP DE LEXPRIENCE 180

    1. La doctrine de lexprience 183

    1.1. Les acceptions du terme dexprience 185

    1.2. Lexprience distincte 195

    2. La science des phnomnes 206

    2.1. Le savoir historique 207

    2.2. Les lois phnomnales 212

    2.3. Le statut provisoire des dfinitions nominales 2203. Les principes phnomnaux dindividuation 226

    3.1. Lindividuation dans la perception interne 229

    3.2. Lespace et le temps

    comme critres externes dindividuation 238

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  • vii

    Conclusion 250

    V. ABSTRACTION, CLASSIFICATION ET INDIVIDUS 255

    1. La reprsentation des abstraits 257

    1.1. La critique de labstraction 259

    1.2. La division des abstraits 270

    2. Lutilit classifcatoire du modle gnrique 277

    2.1. Le genre 277

    2.2. Lespce 281

    2.3. La species infima 291

    Conclusion 298

    CONCLUSION GNRALE 301

    BIBLIOGRAPHIE 312

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  • REMERCIEMENTS

    Je tiens remercier tous ceux qui mont aid poursuivre et accomplir

    cette thse. Je remercie tout dabord mon directeur de recherche, M. Franois

    Duchesneau, pour son soutien exceptionnel. Ses commentaires pertinents, ses

    relectures et son constant appui moral mont permis dapprofondir mes rflexions

    et de parachever ce travail de longue haleine. Je suis galement reconnaissant

    envers M. Hans Poser, qui a t mon superviseur de stage la Technische

    Universitt de Berlin, pour ses suggestions et son appui. Merci M. Hartmut

    Rudolph la Leibniz-Edition de Postdam, MM. Heinrich Schepers, Martin

    Schneider et Stefan Lorenz la Leibniz-Forschungsstelle de Mnster et M.

    Herbert Breger la Leibniz-Archiv de Hanovre pour leur aide et leurs suggestions

    lors de diffrents stages de recherche. Je tiens aussi remercier Mme Fabienne

    Pironet et M. Daniel Dumouchel au dpartement de philosophie de lUniversit de

    Montral pour leurs commentaires pendant mon examen de synthse. Je dois des

    remerciements Mme Josiane Boulad-Ayoub la Chaire UNESCO de philosophie

    de lUQAM qui, depuis longtemps, ma appuy dans mes dmarches acadmiques.

    Je remercie le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et la

    Facult des tudes suprieures de lUniversit de Montral pour les bourses quils

    mont accordes pour continuer mes tudes doctorales. Je tiens galement

    remercier la Technische Universitt de Berlin pour le sjour de recherche que j y

    ai effectu en 2004-2005, surtout lInstitut fur Philosophie, Wissenschaftstheorie,

    Wissenschafts- und Technikgeschichte. Merci au Centre canadien dtudes

    allemandes et europennes de lUniversit de Montral de mavoir permis de

    participer aux sminaires et aux activits quils organisrent. Un merci particulier

    Mme Jocelyne Doyon du dpartement de philosophie de lUniversit de

    Montral pour son aide prcieuse.

    Je tiens galement remercier les personnes qui, par divers apports, mont

    aid terminer ce travail. Merci Mlissa-Corinne Thriault, Jrmie Griard,

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  • Eliana Herrera Vega, Justin E. H. Smith et Ma-Linh Eddi pour les discussions

    que nous avons eues et, dans bien des cas, les suggestions quils mont soumises.

    Merci Melanie Buhtz et Katrin Mikolaschek pour leur soutien lors de mon

    sjour Berlin et leurs relectures en allemand. Merci Mathilde Allard pour sa

    relecture et ses suggestions. Merci mes parents, Robert et Micheline Leduc, ainsi

    qu ma sur, Marie-Claude Leduc, pour leur soutien inconditionnel et leur aide

    constante. Et merci Sophie Lupien pour son appui, ses suggestions, son aide, sa

    patience et son amour, dont j ai tant eu besoin tout au long de ces quatre annes.

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  • INTRODUCTION

    Aborder le thme de lindividualit du point de vue de lpistmologie ne

    semble pas simposer demble au lecteur de luvre leibnizienne. La perspective

    apparatrait doublement problmatique : que faut-il dabord admettre comme

    prsuppositions thoriques en employant les termes pistmologie ou thorie de la

    connaissance dans le contexte du XVIIe sicle? Par ailleurs, en quoi la philosophie

    leibnizienne de la connaissance jette-t-elle un regard intressant et pertinent sur le

    champ de lindividuel? La tche premire de lhistorien de la philosophie consiste

    prcisment pratiquer un usage prcis des termes et des noncs, en en

    dterminant la signification selon les circonstances discursives particulires.

    Clarifions une premire difficult dordre conceptuel, puisque le terme

    pistmologie prte quivoque. En franais, pistmologie signifie surtout

    philosophie des sciences, cest--dire ltude critique des principes, des

    hypothses et des rsultats des diverses sciences, destine dterminer leur origine

    logique (non psychologique), leur valeur et leur porte objective *. Mais il savre

    quon tend galement employer le terme pour dsigner toutes les disciplines

    ayant pour objet la validit de la connaissance humaine. Le sens du terme anglais,-y

    epistemology , rentrerait ds lors de plus en plus dans lusage philosophique. Les

    vocables Erkenntnislehre ou Erkenntnistheorie en allemand signifient aussi la

    plupart du temps lpistmologie dans ce sens largi3. Dans le prsent travail

    doctoral, lpistmologie sassimilera cette deuxime acception, signifiant par

    consquent le domaine philosophique qui traite des modalits de la connaissance -

    tels la perception, labstraction et le jugement - , sans se ramener ncessairement

    aux discussions sur les fondements de la science. De cette manire, pistmologie

    exprimera de manire univoque philosophie de la connaissance. Il existe certes un

    1 Lalande, Andr (1968), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 293.2 Cf. Baldwin, James Mark (1957), Dictionnary o f Philosophy and Psychology, Gloucester, Mass, Peter Smith, 333-336.3 Schmidt, Heinrich (1969), Philosophisches Wrterbuch, Stuttgart, Alfred Kroener Verlag, 147.

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  • 2terme franais pour dsigner la thorie ou philosophie de la connaissance, soit

    gnosologie4, mais comme son utilisation tend de plus en plus se rarfier, voire

    disparatre - de plus, le terme a t introduit tardivement dans le vocabulaire

    philosophique, sans quil se soit vritablement impos depuis lors - , nous avons

    prfr ceux dpistmologie ou de philosophie de la connaissance qui font

    aujourdhui davantage consensus.

    Or, les questions signales prcdemment demeurent toujours pertinentes :

    comment se justifie lutilisation de termes qui ne trouvent aucune occurrence

    lpoque moderne? Existe-t-il au XVIIe sicle, et en particulier dans la philosophie

    de Leibniz, un corpus distinct de textes qui concerneraient directement les

    problmes de la cognition, tel quon les dsigne surtout partir du criticisme

    kantien? Par ailleurs, quel clairage la philosophie de la connaissance apporterait-

    elle sur le problme de lindividualit? Tentons de rpondre aux deux premires

    interrogations. Lhistoire des interprtations de la philosophie leibnizienne

    tmoigne du fait quaucun consensus ne sest dgag sur la question de savoir si

    lpistmologie tient une place singulire au sein du corpus. Au milieu du XIXe

    sicle, poque laquelle de plus en plus de textes de Leibniz sont rendus

    disponibles lintrieur dimportantes ditions5, les commentateurs nhsitent pas

    en gnral dlimiter une philosophie de la connaissance dans le systme

    leibnizien : des historiens de la philosophie comme Ludwig Feuerbach, Victor

    Cousin, Eduard Zeller6 et plus tardivement mile Boutroux, pour ne citer que les

    plus importants, circonscrivent une discipline pistmologique sui generis au sein

    de la pense de Leibniz. Prenons, par exemple, les affirmations de ce dernier :

    selon Boutroux, la philosophie leibnizienne se manifesterait en trois moments

    dterminants : la substance, la connaissance et Dieu. Le moment de la

    4 Gnosologie, au contraire, s appliquerait lanalyse rflexive de lacte ou de la facult de connatre, tudi en gnral et a priori par une mthode logique analogue celle de Kant Lalande (1968), 387.5 Ldition de Erdmann (1839-40), Leibnitii Opra Philosophica, Berolini, Eichler, runit seulement des textes publis auparavant. Les ditions qui prsentent des textes indits sont celles de Gurhauer (1840), Deutsche Schriften, Berlin, Veit, de Foucher de Careil (1865), uvres de Leibniz, Paris, Didot, et de Gerhardt (1875-1890), Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, Berlin, Weidmann.6 Feuerbach (1837), Cousin (1863), Zeller, (1873).

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  • 3connaissance prolongerait le premier moment sdifiant autour de la doctrine de la

    substance . La question de lorigine des ides dans lentendement et

    ltablissement des diffrents principes de la connaissance formeraient lessentiel

    de ce deuxime moment pistmologique. Lanalyse de Boutroux rsumerait en

    fin de compte une interprtation plus ou moins rpandue de la philosophie

    leibnizienne, laquelle assignerait lpistmologie une fonction thoriqueo

    primordiale .

    Au tout dbut du XXe sicle, Bertrand Russell, dans son ouvrage consacr

    Leibniz, sest aussi employ montrer en quel sens la thorie de la connaissance

    pouvait tre comprise dans le cadre analytique leibnizien. Daprs Russell, les

    philosophes modernes, Descartes dans un premier temps, Leibniz et Locke par la

    suite, auraient confondu les conditions pistmologiques formelles de la vrit

    avec lexplication factuelle des oprations de lesprit. Pour dterminer la valeur

    thorique de lpistmologie leibnizienne, il faudrait viter de confondre celle-ci

    avec les descriptions dordre psychologique :

    The two questions have been confused - at any rate since Descartes - because people have supposed that truth would not be true if not one knew it, but becomes true by being known. Leibniz, as we shall see in discussing God, made this confusion, and Locke might seem to have made it, since he disclaims a merely psychological purpose. But that is no reason for our making it, and in what follows I shall try to avoid it9.

    Il serait donc possible, selon Russell, de distinguer la thorie de la connaissance,

    qui regarde les conditions de la croyance dans le contexte objectif de la

    7 Leibnitz, dans les recherches qui prcdent, se plaait surtout au point de vue de la substance. Sil considrait la perception et la facult de connatre, il y cherchait, avant tout, un attribut qui donnt, de la substance, une notion consquente et distincte. La perception lui apparaissait comme lessence ncessaire dun tre qui doit envelopper une multitude dans lunit. Nous allons le voir maintenant tablir, au sein mme du problme de la connaissance, ce quon peut appeler son centre de perspective, approfondir cette question pour elle-mme, et juger du reste par l Boutroux (1978), 66.8 Pour Eduard Zeller, le problme de la connaissance, tout en constituant un domaine de recherche distinct, slucide tout de mme en considrant le systme dans son entiret : Auch die Frage ber die Wahrheit unserer Vorstellungen und die Merkmale, nach denen sie zu Bercksichtigen des ganzen Systems vollstndig beantworten (1873), 143.9 Russell (1901), 160.

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  • 4proposition, de la psychologie, qui traite des lois phnomnales du psychique.

    Certes, lpistmologie demeure une discipline hybride, car elle ne se rduit pas

    simplement des considrations smantiques sur les critres propositionnels de

    vrit; elle doit galement incorporer des composantes conceptuelles qui manent

    de la cognition10. Mais Russell reconnat en quelque sorte lautonomie

    disciplinaire de Fpistmologie : un espace thorique est rserv dans la doctrine

    leibnizienne ce qui est dfini comme thorie de la connaissance. On remarque

    toutefois que linterprtation de Russell - comme cest le cas des thses quil a

    soutenues sur la logique ou la mtaphysique leibnizienne11 - , est empreinte de ses

    propres proccupations philosophiques : lorsquil rdige Philosophy o f Leibniz,

    Russell entame en parallle une critique de lidalisme et du psychologisme,

    doctrines omniprsentes la fin du XIXe sicle, critique depuis laquelle il entend

    promouvoir latomisme logique12. Do la manire dont est envisage la thorie de

    la cognition dans la philosophie leibnizienne : fpistmologie ne saurait, en

    aucune faon, sidentifier la psychologie pour former une discipline distincte. Le

    problme majeur de cette lecture russellienne consiste dans le fait dadmettre

    lexistence dune psychologie chez Leibniz, thse quon pourrait facilement mettre

    en doute, psychologie de laquelle se distinguerait la thorie de la connaissance.

    la mme poque, Emst Cassirer propose une interprtation qui concde

    aussi un champ doctrinal important la thorie de la connaissance. Le

    commentaire de Cassirer est cependant plus mitig : YErkenntnistheorie de

    Leibniz se situerait, selon Cassirer, dans le sillage largi de la thorie de la

    science : la dtermination des conditions pistmologiques de la vrit prendrait

    appui sur le modle mathmatique qui relierait lordre idal de la logique formelle

    la ralit naturelle :

    10 Russe (1901), 161.11 Hid Ishiguro, notamment, critique linterprtation de Russell : [...] Bertrand Russell in 1900 published his interesting The Philosophy o f Leibniz, which attempted to show that the whole of Leibnizs philosophy follows from five premises, three o f which are logical. This is a most unlikely conclusion, if we remember that most o f Leibnizs voluminous works were attempts to work out diverse problems for himself over a period o f fifty years, or letters on a vast number o f subjects not intended for publication, and hence not parts o f any unitary system o f philosophy - as he himself stated so clearly (1990), 9.12 On Denoting (1905), Mind, 14.

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  • 5Dune science des formes de la pense , la logique doit devenir une science de la connaissance objective. Cette transformation est essentiellement conditionne par la relation la mathmatique : la mathmatique est lintermdiaire ncessaire entre les principes logiques idaux et la ralit de la nature13.

    Sans circonscrire un domaine particulier dmarquant les questions

    pistmologiques du reste des rflexions leibniziennes, Cassirer insiste sur

    limportance dincorporer la philosophie de la connaissance lexamen de la

    mthodologie de Leibniz. Ncessaire une complte analyse de la logique, la

    thorie de la connaissance sarrime au paradigme mathmatique pour constituer

    lun des fondements de YArs inveniendi14. La question plus restreinte de

    lautonomie structurelle de lpistmologie nest pas formule de manire prcise

    par Cassirer; on peut toutefois prsumer, daprs limportance accorde aux

    problmes de la connaissance, que linterprtation de Cassirer considre

    lpistmologie, la manire de Russell ou de Boutroux, en tant que corps de

    doctrine distinct lintrieur de la philosophie leibnizienne.

    Pourtant, tous les commentateurs leibniziens ne convergent pas vers cette

    interprtation : certains ont mme vivement critiqu la thse suivant laquelle la

    philosophie de la connaissance se distinguerait formellement de lensemble du

    systme. Les objections les plus connues sont probablement celles de Yvon

    Belaval : dans un texte intitul Y a-t-il une pistmologie leibnizienne?, Belaval

    rpond la question du titre par la ngative. Lpistmologie snonce ici dans son

    sens commun, tant comme Erkenntnislehre que comme philosophie de sciences.

    Concentrons-nous sur les arguments du texte visant condamner lhypothse de

    lautonomie doctrinale dune thorie leibnizienne de la connaissance. Larticle de

    Belaval soppose notamment linterprtation de Russell, mais sintresse aussi

    celle de Rudolf Zocher, plus contemporaine, labore dans un ouvrage intitul

    Leibniz Erkenntnislehre. sa manire, Zocher stipule lautonomie disciplinaire

    13 Cassirer (1902), 123.14 Cassirer (1902), 115-122.

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  • 6de F pistmologie dans Fuvre leibnizienne. Sans constituer une vritable

    doctrine de la connaissance, Leibniz aurait avanc certaines thses

    pistmologiques - par exemple, la distinction entre les vrits de raison et celles

    de fait - , que le criticisme kantien aurait, par la suite, mises pleinement en

    valeur15. La question de Va priori et de Va posteriori, la typologie des ides ou les

    considrations sur linnisme seraient autant de contributions importantes au

    dveloppement de Fpistmologie moderne. Finalement, Zocher postule que la

    philosophie de la connaissance jouit dune certaine autarcie au sein de la

    philosophie leibnizienne16. Or, Belaval soppose ce genre dinterprtation,

    dfendue tant par Russell que Zocher, qui traduirait les rflexions

    pistmologiques de Leibniz de manire anachronique, partir dun schma

    thorique qui ne saurait sappliquer au XVIIe sicle.

    Daprs Belaval, le problme principal rside dans lvaluation de la

    philosophie leibnizienne partir dun cadre explicatif kantien, voire no-kantien.

    Zocher ne lavouait pas explicitement, mais il chercherait analyser la thorie

    leibnizienne de la connaissance en des termes qui lui sont trangers. Belaval juge

    que le fondement philosophique de la pense leibnizienne ne se trouve pas dans

    une thorie de la cognition, comme cest le cas de la philosophie transcendantale

    de Kant. Le primat ne serait donc pas donn au Cogito, mais aux structures

    ontologiques dans lesquelles sactualise le sujet pensant. La doctrine leibnizienne

    ne se proccuperait pas initialement de la nature de la reprsentation humaine,

    mais avant tout des dterminations de ltre :

    Il ny a et il ne saurait y avoir chez lui, au premier sens que nous considrons, un systme pistmologique complet, homogne, parce que le leibnizianisme est encore une philosophie de ltre et non du Cogito, que ce Cogito soit constatatif, comme chez Descartes, ou constitutif, synthtique,

    15 Zocher (1952), 2116 Die sachliche Autarkie der Erkenntnis, d.h. die der Autonomie der Wahrheit entsprechende, nur auf diese und zugleich damit nur auf sich selbst, nicht aus irgendwelche, dem Erkennen an sich fremde Geistigkeit gegrndete Erkenntnisverfassung (1952), 32. Une analyse plus dtaille du texte de Zocher par Yvon Belaval se trouve dans le compte rendu de louvrage : (1953).

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  • 7comme chez Kant. [...] contre le psychologisme, Leibniz nabandonne jamais, en le renouvelant, le formalisme onto-logique dAristote17.

    En rsum, il ne faudrait pas commettre lerreur de cristalliser les positions

    pistmologiques leibniziennes, par lexemple ladoption de la thse inniste, en

    une vritable Erkenntnislehre. Russell et, surtout, Zocher ont eu tort dadmettre

    une autonomie structurelle la philosophie leibnizienne de la connaissance, de la

    reconnatre comme pistmologie, puisque celle-ci sincorpore des domaines

    auxquels Leibniz sest directement intress, tels ceux de la logique et de la

    mtaphysique. Linnisme, pour ne reprendre que cet exemple, constituerait en fait

    un appui thorique supplmentaire pour corroborer les catgories de ltre hrites

    de laristotlisme et faire obstacle aux drives sensualistes de la doctrine

    lockienne; linnisme ne constituerait pas, de prime abord, une thse cognitive1 8rpondant au problme du fondement de la connaissance . Belaval sinsurge par

    consquent contre une lecture dcontextualise des textes leibniziens abordant le

    problme de la connaissance pour y localiser une pistmologie complte et

    systmatique.

    Plus rcemment, Heinrich Schepers, co-diteur des Philosophische

    Schriften et du Philsophischer Briefwechsel la Leibniz-Forschungstelle de

    Mnster, a soutenu une interprtation analogue celle de Belaval. Dans une

    rplique Marcelo Dascal, qui notait labsence dune section consacre aux

    ouvrages de thorie de la connaissance dans le quatrime tome de la srie des

    uvres philosophiques19, Schepers avance dautres arguments qui se rallieraient au

    point de vue de Belaval. Notons-en les deux principaux : Schepers assimile, lui

    aussi, la philosophie ou thorie de la connaissance Y Erkenntnislehre qui a fait

    son apparition dans la premire moiti du XIXe sicle. En appliquant le terme au

    contenu et au contexte de la philosophie de Leibniz, on effectue, encore une fois,

    une projection anachronique dans ltude de lhistoire de la philosophie. UArs

    inveniendi leibnizienne, par llaboration doutils danalyse et de synthse, ne

    17 Belaval (1976), 50; cf. sur linterprtation du formalisme leibnizien : Belaval (1960), 74-83.18 Belaval (1976), 50.19 Dascal (2003).

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  • 8saurait aucunement sapparenter lexamen de la cognition humaine tel que le

    proposait la tradition post-kantienne20. En somme, lpistmologie na pas sa place

    au sein de la philosophie leibnizienne, car la discipline nexiste tout simplement

    pas lpoque moderne. Le deuxime argument consiste dmontrer que les

    ouvrages traitant de thmes pistmologiques - les principaux sont sans conteste

    les Meditationes de cognitione, veritate, et ideis et les Nouveaux Essais sur

    l entendement humain - doivent tre rinsrs dans les circonstances thoriques

    plus gnrales de la doctrine leibnizienne : les Meditationes, par exemple,

    comportent certes des considrations sur la connaissance, notamment par la

    typologie des ides qui y est expose. Mais lobjectif ultime de louvrage

    outrepasse ces explications de nature pistmologique et vise montrer lutilit

    des genres de connaissance dans le rglement de problmes mtaphysiques, telle la

    preuve ontologique de lexistence de Dieu examine la fin du texte. Pour

    Schepers, autant Descartes que Leibniz ne sauraient proposer une thorie de la

    connaissance, car leur doctrine des ides fait partie dun projet mtaphysique

    premier. De mme, les Nouveaux Essais, loin de prsenter les fondements dune

    pistmologie rationaliste sopposant lempirisme de Locke, tenteraient plutt de

    promouvoir les thses de la mtaphysique leibnizienne comme solution de

    rechange la doctrine de VEssay:

    Later in the Nouveaux Essais Leibniz will take up Lockes thread and give the impression of wanting to oppose a rationalistic and an empiristic epistemology. But the real aim is to convey his metaphysics to Locke and the Lockeans between the lines21.

    Le raisonnement de Schepers rejoint en grande partie celui de Belaval : il est

    difficile de dlimiter un champ pistmologique distinct puisque celui-ci ne se

    concilierait aucunement avec le projet leibnizien densemble; les considrations

    sur la cognition ont mrit lattention de Leibniz parce que celles-ci sinscrivent

    dans des prises de position logiques ou mtaphysiques. Les deux commentateurs

    20 Schepers (2004), 122.21 Schepers (2004), 123.

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  • 9sentendent somme toute pour affirmer le caractre relatif, voire inexistant, de la

    thorie de la connaissance dans la philosophie leibnizienne. Certains textes traitent

    videmment de problmes quon retrouve ultrieurement dans Y Erkenntnislehre

    post-kantienne, mais cela ne suffit pas pour comparer les deux perspectives selon

    des critres de similarit disciplinaire.

    A premire vue, les arguments de Belaval et de Schepers refusant la

    prsence dune pistmologie au sein de la philosophie leibnizienne semblent plus

    solides que ceux de leurs prdcesseurs, puisque lancrage historique est considr

    de manire rigoureuse. Dune part, lusage du terme pistmologie est certes

    problmatique; Leibniz ne lemploie aucun moment, car le vocable apparat

    seulement au XIXe sicle. Il serait ainsi fautif de concevoir le projet leibnizien

    dans une optique kantienne : celui-ci nest pas une tape menant au criticisme ou

    au postkantisme. Dautre part, il est vrai que les textes qui contiennent des prises

    de position sur la nature de la cognition donnent souvent prsance, soit la

    logique, soit la mtaphysique. Par exemple, la typologie des ides qui est

    reproduite dans le Discours de mtaphysique sinsre sans contredit dans le

    contexte gnral de la doctrine de la substance individuelle22. Le questionnement

    quon y trouve sur la nature des ides, en rponse la controverse opposant

    Amauld et Malebranche23, fait suite aux chapitres prcdents ayant trait aux

    substances immatrielles. La caractrisation de la substance pensante ncessite

    videmment lexplication de son actualisation perceptive, se manifestant sous la

    forme dides ou de notions. De faon similaire, les concepts pistmologiques

    rencontrs dans des textes comme le De synthesi et analysi universali seu Arte

    inveniendi et judicandi, les Gnrales inquisitiones de analysi notionum et

    veritatum ou le De concreto et abstracto24 snoncent comme composantes des

    mthodes dinvention et de dmonstration que Leibniz labore comme fondements

    22 Discours de mtaphysique 24.23 Meditationes de cognitione, veritate, et ideis, A, VI, 4, 585.24 De synthesi et analysi universali seu Arte inveniendi et judicandi A, VI, 4, 538-545, Gnrales inquisitiones de analysi notionum et veritatum, A, VI, 4, 739-788, De concreto et abstracto, A, VI, 4, 987-994.

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  • 10

    de la logique. Lintrt premier de lanalyse et de la synthse se base sur le projet

    logique leibnizien qui devait mener ltablissement dun langage formel.

    Mais la prdominance de la mtaphysique et de la logique suffit-elle

    rejeter lide dune philosophie leibnizienne de la connaissance? Certes, le point

    de vue de Belaval et de Schepers est tout fait recevable : lhistoire de la

    philosophie ne doit pas saccomplir par extrapolations ou mtachronismes qui

    consisteraient remodeler le leibnizianisme selon des critres de Y Erkenntnislehre

    kantienne ou post-kantienne. Toutefois, faut-il sacharner relativiser les thses

    leibniziennes lgard de la connaissance humaine, seule fin de les subordonner

    la mtaphysique ou la logique. notre avis, il serait quelque peu rducteur de

    ne pas proposer une interprtation plus systmatique des positions leibniziennes en

    matire de cognition. Nous croyons que la richesse et la complexit de la

    philosophie leibnizienne de la connaissance sapprcient lorsque celle-ci est

    envisage comme corps de doctrine distinct. En ne lassimilant pas ncessairement

    Y Erkenntnislehre du XIXe sicle, il faudrait toutefois constater la cohrence et

    lautonomie thorique des thses pistmologiques leibniziennes. Certains textes

    seraient mme par moments peu intelligibles si une pistmologie, comme

    discipline propre, ntait au dpart prsuppose : par exemple, la trs instructive

    Lettre sur ce qui passe les sens et la matire Sophie Charlotte ou plusieurs

    chapitres des Nouveaux Essais ne sauraient sclairer par de simples motivations

    logiques ou mtaphysiques.

    Plusieurs raisons justifient la prsence dune pistmologie leibnizienne.

    Cette thse de doctorat visera entre autres en expliquer une partie. Dans le cadre

    de cette introduction, insistons tout simplement sur deux exemples particuliers,

    lesquels aident lgitimer la conciliation des thses pistmologiques de Leibniz

    en une doctrine distincte. Le premier concerne la distinction entre les dfinitions

    relles et les dfinitions nominales qui sera abondamment traite par la suite. On pourrait facilement stipuler que la thorie leibnizienne de la dfinition, qui reprend

    la dichotomie classique entre le rel et le nominal, fait partie du domaine gnral

    25 Lettre Sophie Charlotte, GP, VI, 499-508.

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  • 11

    de la logique. En effet, tant laristotlisme antique que la tradition mdivale

    incorporent la plupart du temps ltude des caractristiques de la dfinition aux

    ouvrages de logique. lpoque moderne, le lien entre la thorie de la dfinition et

    la logique parat de mme manifeste : Amauld et Nicole, dans la Logique ou l art

    de penser, ou Joachim Jungius, dans la Logica hamburgensis, consacrent, par

    exemple, plusieurs chapitres la dfinition comme composante ncessaire

    lanalyse de la proposition26. Or, il semble que la distinction entre le rel et le

    nominal, dans la philosophie leibnizienne, ne saccomplirait pas entirement, si

    elle ne sappuyait galement sur des genres distincts de connaissance, relevs par

    la typologie des ides. Le rel et le nominal ne se rapportent pas demble la

    dualit entre les dfinitions de la chose et celles du nom, mais des contenus

    conceptuels indpendants. La dfinition relle procde de notions purement

    rationnelles, alors que la dfinition nominale sinstaure par le moyen de77lexprience . Et cela, ni les principes formels de la logique, ni ceux de la

    mtaphysique ne sauraient lexpliciter de manire complte. Mieux, la distinction

    entre le rel et le nominal aura des consquences logiques et mtaphysiques, par

    exemple sur la manire dont sont sparment envisages les notions de substance

    et dindividu - ce sera notamment lobjet du quatrime chapitre. Encore une fois,

    il ne sagit pas disoler la philosophie de la connaissance dans le contexte de la

    pense leibnizienne, mais den montrer la contribution dcisive et lautonomie de

    principe.

    Le deuxime exemple a trait la notion d'ego : certes, la philosophie

    leibnizienne, comme le note Belaval, ne se fonde pas au dpart sur une

    connaissance du moi partir de laquelle un ensemble dductif prendrait forme, tel

    que le stipulait Descartes. Il nempche que largument du cogito joue, selon

    Leibniz, un rle pistmologique notable, entre autres dans le fondement des

    vrits contingentes. Sans la conscience du moi, cest--dire lexpression de

    lexistence singulire dans lacte rflexif, tout jugement de fait serait dpourvu

    26 Logique ou l art de penser (1965), part. I, chap. XII-XIV, Logica hamburgensis (1957), 4.1.1-3.27 Meditationes, A , VI, 4, 587.

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  • 12

    dassises dans la reprsentation du concret . De plus, la conscience perceptive du

    moi permet dincarner la multiplicit dans lunit substantielle; en ce sens, la

    fonction pistmologique du cogito se rpercute sur la manire dont Leibniz rend

    compte de la mtaphysique de la substance sur le plan du concret : lenracinement

    de la substance dans lexistence sexpliquerait donc par le cogito, comme prcepte

    pistmologique. Sans interprter le cogito leibnizien partir doutils explicatifs

    cartsiens, pire, kantiens, il faut pourtant dceler la valeur pistmologique dune

    telle notion dans son lien avec larchitecture mtaphysique.

    Ces deux exemples seront dtaills par la suite au moment opportun. De

    manire gnrale, lautonomie de la philosophie de la connaissance chez Leibniz

    se mesura surtout dans les prochains chapitres lorsque lon prendra en

    considration les problmes de la substance et de lindividu. Nous croyons que ces

    problmes dvoileront lampleur de lintrt de Leibniz pour les questions

    relatives la cognition. Plus quun complment la mtaphysique ou la logique, le

    thme de la connaissance permettrait darticuler les positions leibniziennes en un

    sens distinctif et pertinent. Le substantiel et lindividuel sont videmment des

    notions centrales de la philosophie leibnizienne, mais peu de commentateurs sy

    sont intresss du point de vue de la reprsentation humaine. La question nest pas

    anodine : comment Leibniz rend-il compte de la connaissance des individus?

    Plusieurs ouvrages reviennent prcisment sur les incompatibilits entre lanalyseJ Q

    a priori de la notion de substance et les limites de lentendement humain . La

    mtaphysique de la substance, thorie qui structure toute la pense leibnizienn,

    semble alors impliquer des difficults dordre pistmologique. Les solutions

    apportes par Leibniz montreront par consquent ltendue de la dimension

    cognitive comme apport thorique essentiel.

    Deux raisons nous ont dabord convaincu dexaminer les liens entre le

    nominalisme et la philosophie leibnizienne dans le premier chapitre: dune part,

    Leibniz compare par moments sa propre doctrine celle des nominalistes. Sachant

    que linfluence de la pense mdivale sur celle de Leibniz est loin dtre

    28 Animadversiones in partent generalem principiorum cartesianorum, GP, IV, 357.29 Discours de mtaphysique 9, Nouveaux Essais, 3.3, A, VI, 6,288-296.

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  • 13

    ngligeable, cette dclaration devait tre prise en considration, pour tenter de

    rsoudre la question de savoir si les fondements de la philosophie leibnizienne

    sassocient en totalit ou en partie ceux de la tradition nominaliste. Dautre part,

    la notion dindividu tant centrale tant chez les nominalistes que chez Leibniz, il

    nous paraissait primordial dexpliquer jusqu quel point il existe des affinits ou

    des dsaccords sur cette question : les composantes dordre mtaphysique, logique

    et, bien entendu, pistmologique devront tre analyses afin de comparer ces

    deux ensembles doctrinaux.

    Pour faire suite cet examen, le deuxime chapitre essaiera de dgager les

    principes a priori de lpistmologie leibnizienne en vue de fournir une dfinition

    du substantiel. Mme si lapprhension humaine de la notion concrte de

    substance demeure inconcevable, Leibniz entend proposer des outils analytiques

    pour en exprimer distinctement lessence abstraite. La doctrine de la dfinition

    relle, reprise des traditions aristotlicienne et scolastique, prend toutefois une

    direction particulire pour Leibniz : tant donn que tout type de dfinition doit

    signifier lessence de la chose, la spcificit de la dfinition relle consiste

    lnoncer de faon complte, cest--dire den exprimer la possibilit. En ce sens,

    Leibniz se dissocie tant de la conception scolastique que de celle dfendue par

    Locke, plus contemporaine, qui proposait la distinction entre lessence relle et

    lessence nominale. Le paradigme pistmologique leibnizien a priori prend

    galement appui sur une typologie des connaissances rcupre en partie de la

    philosophie cartsienne. La contribution du cartsianisme est toutefois limite,

    puisque Leibniz propose ses propres distinctions entre lobscur et le clair, le

    confus et le distinct, linadquat et ladquat et, finalement, entre le suppositif et

    lintuitif30. Enrichie de composantes originales, on remarquera que la gradation des

    notions forme le cur de la thorie leibnizienne de la connaissance.

    partir de ce modle gnral de la cognition, nous tenterons une

    reconstruction de lontologie leibnizienne de la substance dans le troisime

    30 La version la plus connue est bien entendu celle quon rencontre dans les Meditationes et le Discours de mtaphysique, mais dautres ouvrages viennent complter le tableau, entre autres YIntroductio ad Encyclopaediam arcanam, (A, VI, 4, 525-531) et les Nouveaux Essais (2.31.1-3; 3.4.2-17).

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  • 14

    chapitre. nouveau, la tche consiste interprter la notion abstraite de substance

    laide des conditions a priori de la connaissance humaine. Une premire tape

    reposera sur lanalyse de lattribut : en effet, elle aussi hrite de la tradition

    aristotlicienne, la notion dattribut snonce en plusieurs sens dans lontologie

    leibnizienne : lattribut sexprime dabord comme prdicable se traduisant en

    genre ou espce, comme Porphyre lavait initialement prsent dans son

    commentaire des Catgories dAristote et comme la scolastique tardive lexploitait

    encore au XVIIe sicle, par exemple chez Suarez; ensuite, lattribut sexplicite

    comme prdicament se rapportant au substantiel, une acception quon trouve

    galement dans le trait des Catgories, mais laquelle Leibniz semble surtout

    sintresser partir de la version quen propose Jungius dans la Logica

    Hamburgensis', finalement, lattribut pourrait aussi sassimiler la notion

    scolastique de transcendant. Lhypothse que nous suggrerons est la suivante :

    que les types ontologiques dattribut, surtout les prdicaments et les transcendants,

    sagenceraient au classement des genres de connaissance. En ce sens, une

    hirarchisation des attributs de la substance, comprenant notamment lunit,

    laction, lindividualit et lautonomie, saffirmerait de manire dterminante au

    moyen de la structuration cognitive que permet la typologie des ides. Le chapitre

    se terminera sur lexamen de lattribut comme composante de la dfinition de la

    substance : nous tenterons de marquer lapport de ces aspects pistmologiques

    dans les discussions contemporaines sur lvolution du concept de substance dans-3 i

    luvre leibnizienne .

    la suite de lexamen des principes rationnels du savoir, nous nous

    tournerons dans le quatrime chapitre vers les conditions de la connaissance

    empirique : en effet, Leibniz nen demeure pas un modle strictement intellectif

    pour rendre compte de la reprsentation humaine, mais expose galement une

    thorie de lexprience comme complment essentiel la philosophie de la

    connaissance. Malgr une vive opposition lempirisme strict, tel que Locke le

    suggrait, Leibniz dgage tout de mme une notion dexprience distincte

    31 Les interprtations de Catherine Wilson (1989) et de Michel Fichant (2004a), (2004b) seront surtout prises en considration.

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  • 15

    autorisant llaboration des sciences des phnomnes, lesquelles prennent en

    considration les concepts sensibles. La reprsentation dans le sens commun des

    perceptions externes seffectuerait par lentremise des principes a priori de

    lentendement. Il sagira danalyser en dtail la dfinition nominale qui dcoule de

    ces types conceptuels et den tirer les consquences sur le plan de la reprsentation

    des choses particulires. Le chapitre se clora sur les diffrents principes

    dindividuation que Leibniz avance pour dterminer lidentit des phnomnes de

    la nature. On constatera quel point la philosophie leibnizienne tend vers des

    points de vue multiples sur la question de lindividuel, soit depuis la substance,

    soit depuis lindividu phnomnal peru dans lexprience.

    En dernire analyse, le cinquime chapitre reprendra certaines

    considrations sur le modle des prdicables voqus prcdemment. Cest

    notamment grce ce modle des genres et des espces que la classification des

    individus est possible dans la perspective leibnizienne. Au pralable, les questions

    de labstraction et de la division des abstraits devront tre apprhendes. Contre

    Locke qui rend compte de la signification des termes gnraux par le processus

    cognitif dabstraction, Leibniz propose au contraire un classement des abstraits qui

    drivent de diffrents types de connaissance, intellectif ou empirique. Ensuite, il

    sera envisageable de dterminer en quel sens Leibniz utilise les notions

    porphyriennes de genre et despce afin dlaborer un schma taxinomique

    permettant de catgoriser les choses particulires. Notre attention se portera

    finalement sur le concept despce dernire comme aboutissement du modle

    gnrique en ce qui concerne le problme de lindividuation des tres. nouveau,

    cest par des moyens pistmologiques que la rification des phnomnes se

    ralisera sur le plan de la reprsentation.

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  • CHAPITRE PREMIER

    L INFLUENCE D U NOM INALISM E

    Depuis son apparition aux XIIe et XIIIe sicles, le nominalisme na jamais

    cess de susciter des adhsions; chaque poque subsquente, plusieurs

    philosophes se sont rclams de formes de nominalisme, qui provenaient souvent

    de contextes doctrinaux diffrents. La tradition nominaliste a probablement joui de

    ce constant soutien pour la raison suivante : le nominalisme implique dans

    lensemble peu de prsuppositions thoriques. lorigine, on ragissait avant tout

    la thse platonicienne selon laquelle il existerait des formes intelligibles, cest--

    dire un monde transcendant constitu duniversaux1. Cest pourquoi cette tradition,

    dont les implications doctrinales sont dpouilles, a pu concilier des mouvements

    et des principes quon aurait au dpart difficilement mis en relation. La question

    demeure certes de savoir quel degr une philosophie peut tre considre comme

    nominaliste. Encore aujourdhui, des philosophes sen rclament2, mais il semble

    que le courant ait pris diverses formes et quil faille resituer chacune de ses

    variantes au sein de contextes historiques particuliers. Le prsent chapitre tentera

    un pareil exercice, en analysant les liens du nominalisme avec la philosophie de

    Leibniz. Tanire-plan de luvre et des thses principales, il savre que le

    nominalisme, de laveu mme de Leibniz, fait partie du parcours philosophique

    leibnizien. Pointant, sur certains points, la doctrine nominaliste parat difficile

    assimiler de faon intgrale la pense leibnizienne; lment constitutif ou

    extrieur, la question ne se tranche pas aussi facilement et laisse un espace

    interprtatif assez considrable tous ceux qui sy intressent. Une parent forte

    1 Vignaux (1948), Henry (1972).2 Notons la position nominaliste la plus connue des dernires dcennies, et probablement la plus radicale, celle de Nelson Goodman et de W.V.O. Quine : By renouncing abstract entities, we of course exclude ail predicates which are not predicates o f concrte individuals or explained in terms o f predicates o f concrte individuals. Moreover, we reject any statement o f dfinition - even one that explains some predicates o f concrte individuals in terms o f others - if it commits us to abstract entities (1947), 106.

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  • 17

    entre les deux semble demble vidente : puisque les individus constituent le ple

    central tant de la mtaphysique des Nominales et que de celle de Leibniz, il serait

    envisageable de lier, du moins en partie, ces ensembles thoriques. Mais il faudrait

    encore savoir quelles raisons ont incit Leibniz poser de manire exclusive les

    individus ou substances comme composantes ontologiques. Ltude des

    compatibilits et incompatibilits entre les deux doctrines prendra initialement

    appui sur cet engagement ontologique qui a des rpercussions notables sur maintes

    thses leibniziennes.

    1. Le nominalisme dans luvre de Leibniz

    Quels sont les textes qui signalent une prise de position nominaliste de la

    part de Leibniz? Plusieurs commentateurs ont interprt la philosophie

    leibnizienne comme nominaliste, ou ont identifi des points communs entre cette

    philosophie et le nominalisme : leur point de vue repose surtout sur des

    affirmations de Leibniz qui cautionneraient ce rapprochement. De nombreux

    passages indiquent que Leibniz considre comme positif lapport de la doctrine

    nominaliste, envers laquelle il manifeste mme une certaine approbation. Dj

    dans la dissertation de 1663, Disputatio metaphysica de principio individui,

    Leibniz adopte en partie un point de vue nominaliste, du moins celui des

    philosophes du XIVe, comme doctrine sopposant au ralisme. Sur la question de

    lindividuation des tres, il conclut que tout individu sindividualise comme entit

    totale4, thse dfendue contre la position de Duns Scot qui proposait une solution

    de nature raliste : en effet, Leibniz associe la thse de Vhaecceit scotiste - que

    Leibniz adoptera lui-mme par la suite comme rponse au problme de

    lindividuation, notamment dans la Confessio philosoph - , une ontologie

    3 Les principaux sont sans contredit les suivants : Couturat (1901), Mates (1980), (1986), Mugnai (1992), Rauzy (2001).4 Pono igitur : onrne individuum sua tota entitate individuatur Disputatio metaphysica de principio individui 4, A, VI, 1,11.5 Confessio philosophi, A, VI, 3, 147-148 : le problme de lindividuation par Vhaecceit sera examin en dtail dans les quatrime et cinquime chapitres.

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  • 18

    raliste qui admet lexistence des universaux6. Sans avouer clairement son

    adhsion au nominalisme, Leibniz rejette sans quivoque les arguments de Duns

    Scot associs traditionnellement au ralisme ontologique. Cependant, le texte le

    plus compromettant ce sujet demeure la Dissertatio de stylo philosophico Nizolii

    de 1670 - prface la rdition de 1674 de louvrage de Nizolius paru pour la

    premire fois en 1553. Dans un passage bien connu, Leibniz fait lloge du

    nominalisme qui, parmi les diffrentes sectes scolastiques, se dmarque par sa

    profondeur, et par un possible accord thorique avec la philosophie moderne7. Il

    sensuit une description des principales thses de la doctrine, dont certaines

    auxquelles Leibniz souscrit. Dans la Dissertatio, Leibniz distingue galement une

    thorie nominaliste plus modre, issue principalement des travaux de Guillaume

    dOccam, dune variante plusquam nominalis, par-dessus tout celle de Hobbes,

    laquelle il semble rattacher la philosophie de Nizolius : un nominalisme extrme

    postule non seulement que les universaux se rduisent des noms, mais galement

    que la vrit dpend de la volont humaine, puisque les termes dune proposition

    seraient dfinis par conventions. Quelques annes plus tard, lpoque qui suit les

    importants travaux de logique et de mtaphysique - qui menrent notamment au

    Discours de mtaphysique et aux Gnrales inquistiones de analysi notionum et

    veritatum - , lopuscule intitul De realitate accidentium ritre lappartenance de

    la philosophie leibnizienne la position ontologique nominaliste, qualifie cette

    fois-ci de provisionnelle : il admet que les abstraits ne sont pas des choses relles,

    mais quils doivent tre considrs comme des manires de parler; le De realitateg

    accidentium saccorde donc nouveau avec lune des thses centrales de lcole .

    Do les hsitations dterminer lexactitude dune interprtation

    nominaliste de la philosophie leibnizienne : des passages importants corroborent

    lhypothse qui les associe fortement. On aurait de mme de la difficult rendre

    6 Disputatio metaphysica de principio individui 20, A, VI, 1, 16-17; sur la position de Duns Scot : Ordinatio, 2, d. 3, pars I; sur le prtendu ralisme de Duns Scot : Boulnois (1992).7 Quam vero longe sint acumine inferiores superioris et hujus seculi Scholastici, documento esse potest secta Nominalium, omnium inter Scolasticas profundissima, et hodieme reformata philosophandi rationi congruentissima Dissertatio, A, VI, 2, 427.8 [...] quam si abstracta non ut res, sed ut compendia loquendi considerem, [...] et eatenus sum nominalis, saltem per provisionem De realitate accidentium, A, VI, 4 , 996.

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  • 19

    compte de lengagement de Leibniz comme dune premire tape doctrinale

    laquelle ce dernier aurait renonc dans luvre plus tardive. Le De realitate

    accidentium de 1688 prouve le contraire, car mme aprs avoir conu sa

    mtaphysique autour de la notion de substance individuelle - dans le Discours de

    mtaphysique et dans la correspondance avec Amauld - il ne dsavoue par une

    certaine forme de nominalisme. la limite, mme les ouvrages de la maturit, qui

    se concentrent sur le concept de monade, ne sont pas entirement incompatibles

    avec le nominalisme qui consiste avant tout refuser la thse de la ralit des

    universaux9. Auquel cas naurait-on pas affaire un nominalisme appauvri, ou

    minimal, que presque toute la pense moderne partage, par une franche opposition

    au ralisme platonicien10 - thse qui ne rapparat vraiment avec force quau XIXe,

    mais dune faon bien diffrente, dans lontologie de certains logiciens et

    philosophes comme Bolzano ou Frege11?

    Un problme supplmentaire sajoute concernant limportance accorde

    par Leibniz cette doctrine : sauf dans les ouvrages cits et dans une lettre

    Thomasius12 contemporaine de lcriture de la Dissertatio, les allusions au

    nominalisme sont assez rares dans luvre, bien quelles soient visiblement trs

    claires quant leurs desseins. Elles reviennent quelques endroits, mais ne visent

    plus dterminer la valeur dun engagement nominaliste : les occurrences du

    terme nominalisme servent ou bien dsigner un genre de philosophie, par

    exemple celui dOccam, ou bien, de manire sous-entendue, raffirmer une13opposition la version radicale ou extrme que propose entre autres Hobbes .

    Cest pourquoi le thme du nominalisme apparat rarement au premier plan dans le

    commentaire leibnizien - la plupart des interprtes lomettent tout simplement14.

    9 lpoque de maturit, les Nouveaux Essais raffirment galement limportance des thses nominalistes : 3.6.32, A, VI, 6, 323.10 Au mme sens o Leibniz lentend : Idem dicendum est de nostri temporis philosophiae Reformatoribus, eos si non plusquam Nominales (cest--dire surtout la position de Hobbes) tamen Nominales esse feres omnes Dissertatio, A, VI, 2,429.11 Bolzano (1837) Wissenschaftlehre, Frege (1892) S im und Bedeutung.12 Lettre Thomasius de 1669, A, II, 1, 119-120.13 Notationes gnrales, A , VI, 4, 536.14 Les travaux de Benson Mates, cits prcdemment, ont relanc le dbat ce sujet, et constitue peut-tre lune des interprtations les plus explicites, puisque Mates stipule que le projet leibnizien

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  • 20

    Les quelques affirmations de la part du philosophe pourraient mme, selon

    certains, empcher de bien expliquer la nature dune pense plus conceptualiste

    que nominaliste15.

    Finalement, on se heurte une dernire difficult : quelle tait la

    connaissance par Leibniz des textes et dbats relatifs aux diverses tendances au

    sein du nominalisme? Contrairement aux travaux de plusieurs philosophes

    mdivaux - notons simplement ceux de Thomas d'Aquin ou de Duns Scot, dont

    les thses sont abondamment discutes dans luvre - , Leibniz ne semble pas

    avoir lu de manire rigoureuse les principaux ouvrages des tenants du

    nominalisme. Des thses dauteurs mdivaux importants, de Pierre Ablard et

    Roscelin de Compigne Guillaume dOccam et Jean Buridan, Leibniz ne

    connatrait que les grandes lignes, et encore. Selon Richard Bods, il stait forg

    une reprsentation gnrale du mouvement, pour lessentiel partir de

    lenseignement de Jakob Thomasius. La description rapide, mais assez savante,

    des moments importants de lhistoire du nominalisme expose dans la

    Dissertatio16 constituerait une reprise du tableau densemble que brossait

    Thomasius, prsent sous forme de cours lUniversit de Leipzig17. Il serait alors

    audacieux daffirmer que Leibniz saisissait avec prcision les enjeux thoriques

    dont il traite dans la prface au De veris principiis: il n a peut-tre jamais pris

    connaissance, de faon approfondie, douvrages aussi capitaux que la Dialectica

    dAblard ou la Summa logicae dOccam. De plus, lenseignement de Thomasius

    apparat avoir omis de nombreux aspects essentiels aux discussions des

    Nominales, surtout les dbats assez complexes et subtils portant sur le concept de

    supposition et lvolution des diffrentes thories de la rfrence aux XIIIe et XIVe

    sicles, car Leibniz nen fait mention nulle part. Certes, ces querelles, sauf dans

    se qualifie de nominaliste : A very important aspect o f Leibnizs metaphysics - and one that has too often been neglected by expositors and interpreters - is his tendency toward nominalism. There can be little doubt that he was a nominalist - certainly in the earlier portion o f his philosophical career, and, in my opinion, in the later as well (1986), 170.15 Cest notamment lexplication que donne Louis Couturat (1901), 457-472, reprise en partie par Massimo Mugnai, qui aboutit au mme constat, mais partir darguments diffrents : (1992), 22- 27.16 Dissertatio, A, VI, 2,427-430.17 Bods (1993), 232-34.

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  • 21

    quelques lieux de la scolastique tardive, ne sont plus dune trs grande actualit

    dans la deuxime moiti du XVIIe sicle.

    Sans entrer dans le dtail de ces problmes dexgse - cette discussion

    dborde le cadre du prsent chapitre - , nous pouvons tout de mme prsupposer

    que les leons professes Leipzig par Thomasius ont servi de base principale

    Leibniz pour interprter les thses du nominalisme. Hormis cet hritage important,

    la prise de position de Leibniz se concrtise aussi lorsquil se confronte certaines

    doctrines se revendiquant du nominalisme : encore une fois, lcriture de la

    Dissertatio constitue une occasion unique pour confirmer les ractions de Leibniz

    face une pense nominaliste. Dune part, la prface met en contexte la position

    leibnizienne, car Nizolius fait constamment rfrence aux uvres philosophiques

    qui demeurent les sources principales de la pense nominaliste mdivale. Dautre

    part, Nizolius tente sa manire dradiquer de la philosophie tout ce qui tend vers

    un platonisme ontologique. On peut ds lors constater comment Leibniz justifie sa

    propre conception du nominalisme par opposition aux thses de Nizolius. Par

    ailleurs, les dsaccords avec la philosophie de Hobbes fournissent dautres dtails

    sur la position leibnizienne. Par exemple, dans le De synthesi et analysi univers ali,

    on peut aussi juger du poids des thses leibniziennes : non que Hobbes aurait

    apport Leibniz des renseignements intressants au sujet de la tradition - Hobbes

    ne cite peu prs jamais ses sources - , mais il sagit dune thorie nominaliste

    contemporaine, quil respecte et connat bien, mais laquelle il entend sopposer.

    Le plusquam nominalis Hobbes illustre selon Leibniz les excs dune pense qui

    se veut trop radicale et qui gnre de nombreuses inconsquences. En sen

    loignant, Leibniz expose une doctrine qui lui est propre et il explicite les

    fondements dune philosophie antiraliste.

    Leibniz avait par consquent acquis par sa formation universitaire et la

    lecture de quelques textes, dont ceux de Nizolius et de Hobbes, des outils pour une

    reprsentation, non complte, mais suffisante de ce courant; ce point de vue nous

    permettra dailleurs de juger des thses quil avance par rapport la tradition

    nominaliste. En somme, il sagit dexaminer la problmatique en prenant en

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  • 22

    considration ces spcificits. tant donn que les sources sur lesquelles doit se

    fonder une interprtation peuvent mener des malentendus, il est impratif que de

    telles contraintes soient demble prises en considration. Elles ne doivent

    pourtant pas nous empcher de comparer les thses leibniziennes et celles des

    diffrents dfenseurs du nominalisme; cette dmarche est mme essentielle, sinon

    poser le problme dune interprtation nominaliste de la philosophie leibnizienne

    se restreindrait peu de choses. Nous essayerons par l de comprendre la porte

    du nominalisme au-del des premiers crits; de telle sorte quon puisse davantage

    en apprcier limportance dans le dveloppement de la pense leibnizienne. Une

    telle reconstruction dbouchera finalement sur une question, notre avis,

    essentielle : comment les positions en prsence concernant le problme de

    lindividualit sont-elles comparables eu gard la possibilit de se reprsenter

    conceptuellement les entits singulires?

    2. Entia non esse multiplicanda praeter necessitam

    Une premire condition minimale dtermine les thories nominalistes sur le

    plan mtaphysique : il ne faut pas multiplier les entits au-del de ce qui est 18ncessaire . Bien quil dsigne la plupart du temps le programme ontologique et

    logique dOccam19, ce premier critre sapplique facilement toute mtaphysique

    tendance nominaliste. Leibniz est bien conscient de cette exigence : il faut viter

    dalourdir une thorie avec un trop grand nombre de composantes, car sa viabilit

    et sa rigueur en seraient affectes. La meilleure manire de juger de lefficacit

    dune thorie rside en ce quon reconnat quelle explique le plus de choses avec

    le moins de moyens possible; la simplicit des voies divines se rpercute par

    consquent sur la faon dont nos principes et hypothses doivent se construire,

    tandis que nous vitons de les complexifier inutilement. Le Discours de

    mtaphysique le souligne, en prenant lexemple loquent des principes

    astronomiques :

    18 Dissertatio, A , VI, 2 ,428 .19 Adams, M. M. (1987), 143.

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  • 23

    [...] en matire de sagesse les dcrets ou hypothses tiennent lieu de dpense mesure quelles sont plus indpendantes les unes des autres : car la raison veut quon vite la multiplicit dans les hypothses ou principes, peu prs comme le systme le plus simple est toujours prfr en Astronomie .

    De la mme manire, la mtaphysique ne saurait contrevenir au critre de

    simplicit hypothtique. Pourtant, en ce domaine, beaucoup ont peupl leur

    ontologie dentits auxquelles il et t possible de renoncer : entre une

    mtaphysique qui postule des composantes accessoires, telles les formes

    intelligibles, et une autre qui ny a pas recours, tout en offrant les mmes

    possibilits explicatives, le choix simpose demble. Il ne sert rien de poser des

    catgories de ltre reproduisant simplement des lments de la pense ou du

    langage. Tout le mouvement nominaliste, dOccam Goodman, acquiesce ce

    critre thorique de simplicit. La cible principale vise demeure toujours 2 ]aujourdhui le ralisme ontologique puisque la prolifration dentits

    mtaphysiques se dploie encore largement lintrieur dune telle philosophie22.

    Bien que Leibniz nait jamais produit de critique en bonne et due forme du

    ralisme en matire 'duniversaux, il ritre souvent quelques arguments

    confirmant cette optique.

    2.1. La ralit des genres et des espces

    lorigine, les dbats portant sur la ralit des universaux sont issus dune

    introduction au trait aristotlicien des Catgories prsente par Porphyre.

    20 Discours de mtaphysique 5, A, VI, 4, 1537; la Dissertatio mentionnait dj la mme thse : Hypothesin eo esse meliorem, quo simpliciorem A, VI, 2 ,428.21 Nous utiliserons lavenir cette expression de ralisme ontologique pour dsigner une mtaphysique qui pose lexistence duniversaux comme les genres et les espces, c est--dire une ontologie du type platonicien; tandis que le ralisme pistmologique ou direct rfrera une doctrine qui soutient quun accs cognitif direct au rel est possible, par exemple par lintuition sensible.22 On pense notamment aux thories ralistes dAlonzo Church ((1944) Introduction to mathematical Logic, Princeton: Princeton University Press) et de Gustav Bergmann ((1959) Meaning and Existence, Madison : University o f Wisconsin Press.) auxquelles sopposrent Goodman et Quine.

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  • 24

    Ulsagoge - auquel se rfrent la plupart des acteurs de ce quon a lhabitudeJ'Xdappeler la Querelle des universaux , de Boce Occam ou Buridan - semblait

    rintroduire des composantes platoniciennes dans lontologie aristotlicienne :

    cest en voquant la possibilit de considrer les genres et les espces comme des

    ralits de la nature que lopposition entre ralistes et nominalistes a par la suite

    pris forme. Le texte dbute en formulant ces trois questions :

    Tout dabord concernant les genres et les espces, la question de savoir (1) sils existent ou bien sils ne consistent que dans de purs concepts, (2) ou, supposer quils existent, sils sont des corps ou des incorporels, et, (3) en ce dernier cas, sils sont spars ou bien sils existent dans les sensibles et en rapport avec eux [.. .]24.

    A la premire interrogation de Porphyre : les genres et les espces sont-ils des

    ralits autres que mentales? la rponse leibnizienne ne peut tre que ngative. Des

    trois questions quon trouve au dbut de Ylsagoge, Leibniz sintresse surtout la

    premire; il naborde pas la deuxime, connotation stocienne, quant la nature

    corporelle ou incorporelle des prdicables, mais il revient dune certaine manire

    sur la troisime qui vise expliciter le lien entre les choses particulires et les

    prdicables - ce sera lobjet dune partie de ce chapitre. Or, on remarque demblefyc

    que Leibniz ne cite pas le texte de Porphyre, ni dans la Dissertatio, ni ailleurs , et

    ne fait pas rfrence son interprtation lorsquil examine le statut des catgories

    universelles de ltre. Il parat nanmoins envisageable de prsenter les solutions

    que lui inspirent les questions de Porphyre. Concentrons-nous dabord sur la

    premire question. Porphyre prsente le problme comme suit : les prdicables

    sont-ils des catgories relles ou de simples modifications de lme, laquelle se

    reprsenterait les choses de manire gnrale. Ds la Dissertatio, les universaux et

    les abstraits rels sont relgus aux domaines des noms et des concepts, car il

    23 de Libra (1996).24 Isagoge, 1.2, traduit par de Libra et Segonds (1998), 1.25 Le nom de Porphyre apparat dans lpigramme tir des Annales Boiorum de Johann Turmaier Aventinus, desquelles Leibniz tire la citation, qui voque succinctement la querelle des universaux, (A, VI, 2, 428) et dans les notes quil a prises la lecture du De veris principiis (A, VI, 2,455-57); sinon la position de Porphyre nest pas directement considre dans les analyses de Leibniz.

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  • 25

    serait erron de les considrer comme des ralits existant hors de la pense.

    nouveau, par lexemple des hypothses en astronomie, le critre de la simplicit

    thorique est voqu par Leibniz pour cautionner la thse nominaliste:

    Si un astronome peut expliquer la raison des phnomnes clestes avec peu de suppositions, seulement par des mouvements circulaires simples, cette hypothse sera certainement prfrable une autre qui a besoin de plusieurs orbites diffremment entrelaces afin dexpliquer les choses clestes. partir de ce principe les Nominales en ont dduit la rgle selon laquelle toute la nature des choses peut tre explique sans lusage des universaux et des formes relles; rien nest plus vrai que cette opinion et rien nest plus digne dun philosophe de notre poque [.. ,]26.

    cet gard, Leibniz saccorde avec la doctrine de Nizolius: tout au long du De

    veris principiis, la ralit des prdicables porphyriens est exclue. Le dplacement

    qui consiste dire que les universaux ne sont que des noms guide toute cette01dmarche laquelle Leibniz se rallie en partie . Selon Nizolius, la pense

    dialectique - nom quil donne au courant raliste de tradition tant platonicienne

    que pripatticienne - se canalise prcisment autour de la thse de la ralit des

    universaux. Le platonisme et surtout les interprtations dinspirations no

    platoniciennes de laristotlisme, suggres par des commentateurs comme

    Porphyre ou Boce, se sont constitus en sappuyant sur lhypothse de lexistence

    relle des genres et des espces. Les prdicables porphyriens sont la cause dune

    drive raliste au sein de la tradition dialectique28. Il suffirait alors de remplacer

    lontologie dinspiration aristotlicienne et porphyrienne pour se dbarrasser des

    prmisses errones de la doctrine dialectique :

    Car si de tels universaux sont faux, comme nous le disons et le prouverons, alors tombe aussitt en mme temps que ceux-ci toute la dialectique, qui est pour ainsi dire fonde sur ces colonnes; et comme la dialectique, scroule en

    26 Dissertatio, A VI, 2 ,428 . moins dune indication contraire, nous traduisons.27 Loquor autem de universalibus realibus, ut vocant, hoc est, quae in rebus extra vocem ac mentem nostram consistere dicuntur, non de iis, quae in vocibus et nominibus sunt. Nam nos quod; una cum Nominalibus sine ulla dubitatione consitemur universalia in vocibus ac nominibus reperiri, et voces vere communes universalesque De veris principiis (1956), 46.28 De veris principiis (1956), 63.

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  • 26

    mme temps une grande partie de cette philosophie qui est aujourdhui encore en usage29.

    Le contrepoids dune mtaphysique nominaliste simpose donc, daprs Nizolius,

    en raison de la tendance raliste fondamentale de la pseudo-philosophie. Il parat

    envisageable dexpliquer lusage de la gnralit non pas en postulant des ralits

    universelles propres, mais en expliquant la manire dont luniversalit des termes

    sharmonise avec une mtaphysique de type nominaliste. En promouvant une

    ontologie exempte duniversaux, Nizolius est finalement conduit une rforme

    des catgories dAristote.

    Lontologie propose nadmet en ralit que quatre composantes qui

    suivent deux divisions : la substance et la qualit, la chose singulire et la

    multitude de choses singulires . Toute autre catgorie, dont videmment les

    prdicables de Porphyre, ne saurait trouver place au sein du modle de Nizolius.

    La spcificit de la reprsentation du carr ontologique du De veris principiis par

    rapport la version dAristote rside surtout dans le remplacement du concept

    duniversel par celui de multitudo. Grce la notion de multitudo, Nizolius tentait

    non seulement dinvalider la mtaphysique des Reales, mais aussi dintroduire un

    lment qui vitait les inconvnients quengendrait le concept duniversel; elle

    assurait lexpression de classes dobjets, en cartant les ambiguts gnres par le

    concept aristotlicien duniversel. Une rvaluation du carr ontologique suivait

    lexigence dune rnovation de lontologie; il fallait rviser les prdicables de

    Porphyre - comportant trop dengagements ralistes - dans un sens nominaliste.

    Or, sauf sur la notion de multitudo, Leibniz saccorde avec lauteur quant

    au rejet de toute entit autre que singulire dans lordre rel des choses31. Les

    genres et les espces ne peuvent tout simplement pas constituer des entits

    distinctes au mme titre que les substances individuelles. Ils nuisent lavancement de la philosophie; de mme, la prsence de luniversalit dans le

    29 De veris principiis (1956), 69.30 De veris principiis (1956), 1.1.3.31 En ce qui concerne la notion de qualit, Leibniz semble aussi en dsaccord avec Nizolius, qui lui prfre celle plus classique daccident, la qualit tant davantage un concept cognitif que rel : Filum cogitandi sive de Logica nova condenda, A, VI, 4, 536.

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  • 27

    langage pourrait sexpliquer par des raisons plus simples et adquates. Les textes

    leibniziens consacrs au problme tiennent ainsi pour acquis un travail dpuration

    mtaphysique dj effectu par les Nominales, et entendent, la manire de

    Nizolius, proposer une thorie ontologie nominaliste qui aurait pour consquence

    immdiate de neutraliser les thses ralistes. Leibniz sappuie donc sur une

    tradition dont il ne questionne pas toujours les fondements : par exemple, il

    ninvoque pas le clbre argument aristotlicien du troisime homme32 et ne se

    proccupe pas des autres prdicables porphyriens de division ou du propre quil

    juge inutile de considrer en tant que ralits autres que rationnelles33.

    Lradication des genres et des espces apparat Leibniz comme un fait

    accompli; pour lui, le dbat se situe sur un autre registre, celui de la gnralit des

    concepts et des termes. Il nest plus ncessaire son poque de combattre le

    ralisme ontologique - on semble sentendre pour en confirmer linvalidit; les

    difficults propres une mtaphysique nominaliste doivent maintenant attirer

    lattention. On saperoit ainsi que la vision du problme na plus vraiment voir

    avec la situation des XIIIe ou XIVe sicles : le ralisme ontologique ne constitue

    plus une thse marquante; les genres et les espces ne forment plus des entits

    propres et sparables, mais partir de telles assurances, dautres questions

    demeurent encore dimportance.

    2.2. Le statut de laccident

    Parmi ces questions qui ont trait la querelle des universaux, lune

    concerne la catgorie daccident, laquelle est galement problmatique.

    Intimement li la notion de substance, laccidentel joue certes un rle

    32 II le fera dans dautres occasions pour critiquer la notion dabstraction que nous examinerons plus loin.33 Leibniz note en marge de son dition du De veris principiis que seuls les genres et les espces sauraient tre compris par les ralistes comme des entits relles : Proprie duo tantum sunt Universalia genus et species : reliqua tria, quae adjectiva sunt, praedicabilia sunt, universalia non sunt A, VI, 2,451 ; Leibniz a cependant entam une rflexion quant aux prdicables, dans le cadre de la constitution dun langage formel : De arte inveniendi in genere, A, VI, 4, 79-83; Characteristiac verbalis, A, VI, 4, 333-337.

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  • 28

    dterminant dans la mtaphysique leibnizienne - sujet dont traiteront en partie les

    chapitres ultrieurs de la thse. Pourtant, une interrogation est directement relie

    lexamen en cours : quel est le statut ontologique de laccident et comment peut-on

    viter den fournir une dfinition trop raliste? Au dpart, on sait que Porphyre

    incluait laccident au sein des cinq prdicables34. Le problme nest pas tant

    dincorporer laccident la liste des modifications de ltre, que den envisager la

    ralit mtaphysique. Le prdicable daccident pourrait-il tre considr en tant

    quentit naturelle, au mme titre que les genres ou espces35? Dans VIsagoge,

    laccident se dfinit comme ce qui arrive et sen va sans provoquer la perte du

    sujet . Ce passage laissait entendre que laccident possderait, le cas chant,

    une existence propre, spare de la substance. Le texte demeure ce sujet ambigu :

    enjoignant laccident lensemble des prdicables, Porphyre ouvrait la voie une

    interprtation raliste des entits non-substantielles.

    La tradition nominaliste sest videmment penche sur le problme de la

    ralit de laccident. Comment fallait-il dfinir laccident en respectant les

    postulats mtaphysiques du nominalisme? La distinction se trouve notamment

    chez Occam. Dans la Summa logicae, Occam expose les diffrentes dfinitions

    admises du terme accident. Une premire acception rfre au concept daccident

    comme quelque chose dinhrent la substance et quon ne saurait soustraire du

    sujet sans le corrompre ou lanantir37; cest essentiellement la notion que Leibniz

    a adopte, qui est intimement lie sa conception de la substance individuelle. Il

    importe cependant de considrer la deuxime dfinition propose par Occam, tout

    aussi dterminante lpoque mdivale : laccident serait un prdicable, cest--

    dire quil ne signifierait pas quelque chose dabsolument indissociable du sujet,

    mais se rattacherait plusieurs substances. En ce sens, un accident, un prdicat,

    34 Isagoge, V .l-5.35 Boce soulve galement la possibilit de concevoir laccident comme entit relle: Si vero particularis substantiae copulatur, sit substantia particularis, ut est Socrates vel Plato, et quidquid in substantia individuum reperitur. Atcum miscetur universalitas accidenti, sit accidens universale [...] In Categorias Aristotelis (1869), 170b; cest partir de telles affirmations que les ralistes ont pu valider leurs arguments.36 Isagoge, V .l, traduit par de Libra et Segonds (1998), 15.37 Uno modo dicitur accidens aliqua res realiter inhaerens substantiae, ad modum quo calor est realiter in igne et albedo in pariete Summa logicae (1974), I, 25.

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  • 29

    pourrait tre sparable ou insparable du sujet. Par exemple, la noirceur ne saurait

    se retrancher de la substance du corbeau sans en dtruire lessence parce que celle-

    ci fait partie de ltre du corbeau. Au contraire, il serait tout fait possible de

    concevoir un autre individu dpourvu de noirceur, par exemple un homme,

    Socrate, sans pour autant que ltre en question soit corrompu38. Il nest alors plus

    question de laccident comme dune modification foncirement lie au sujet, mais

    bien dun prdicable attribuable plusieurs individus. Lobjectif dOccam et des

    autres nominalistes consiste certes dmontrer que ce deuxime sens du terme

    accident na pas de ralit autre que mentale; les accidents font partie de la nature

    comme modes inhrents la substance. Toute la question de la similitude entre

    diffrents accidents singuliers, lorigine des notions gnrales de genre et

    despce, sy rapporte bien videmment; la discussion a par consquent une grande

    importance quant au problme des universaux, car elle dvoile les prsupposs

    ontologiques, ralistes ou nominalistes, au fondement des deux principales

    dfinitions de laccident.

    La question est directement traite par le De realitate accidentium, lequel

    nous aidera clarifier la position leibnizienne. La solution dernire apporte par

    Leibniz dans ce texte ne savre pas entirement concluante et laisse ouverte la

    question du statut mtaphysique de laccident. en rapport avec les ralits

    substantielles. Largumentation indique nanmoins quil serait trompeur de

    considrer laccident comme une ralit propre et entire. Voyons tout dabord les

    principales options que Leibniz entend analyser :

    On peut lgitimement se demander si les accidents possdent une ralit plus modale et en quoi celle-ci consiste. Certes, si nous faisons des accidents des entits relles, ou bien cette ralit est une partie de la ralit de la substance, ou bien elle ajoute la substance une ralit nouvelle. Si elle est une partie de la ralit de la substance, il sensuit que soit la substance elle-mme disparat en changements accidentels, soit elle devient autre chose [...] .

    38 Cest le quatrime sens quOccam explicite et qui pose le plus problme : Ibidem.39 De realitate accidentium, A, VI, 4, 994.

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    Le passage tant dense, mieux vaut dcortiquer chaque thse de manire en saisir

    la porte. Leibniz distingue au dpart deux possibilits : 1/ laccident aurait une

    ralit propre et diffrerait dune certaine manire de la substance, 2/ laccident

    serait un mode de la substance, insparable du point de vue de ltre, mais quon

    distinguerait au moyen de lentendement. Selon la deuxime acception, dans le cas

    o laccident est entendu comme entit distincte, il sagirait seulement dune

    manire de parler, dune faon de se reprsenter par concepts les modifications de

    la nature. La dernire possibilit sintgre videmment la conception

    leibnizienne de la substance - surtout lpoque contemporaine du De realitate

    accidentium, lorsque Leibniz dfend la notion de substance individuelle dans le

    Discours de mtaphysique. On comprend finalement que cette deuxime thse

    serait la plus plausible aux yeux de Leibniz.

    Il faut toutefois revenir sur la premire thse qui se comprend son tour de

    diverses faons : 1.1/ laccident, sil avait une ralit distincte, constituerait tout de

    mme une partie de la ralit de la substance. Cela peut nouveau signifier deux

    thses diffrentes : 1.1.1/ ou bien la substance se transforme en plusieurs

    accidents, 1.1.2/ ou bien elle devient autre chose. Quen est-il de la thse 1.1.1? Il

    sagit prcisment de savoir comment une substance perdure bien quelle subisse

    de nombreux changements. Leibniz soulve la possibilit selon laquelle une partie

    de la substance demeu