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Introduction 1. Du droit des sûretés au droit des garanties. Les garanties sont des institutions qui ont pour objet de protéger les créanciers contre les risques du crédit, principalement celui de linsolvabilité de leurs débiteurs. Les principales garanties sont les sûretés mais dautres procédés tendent aux mêmes fins et peuvent donc aussi être utilisés par les créanciers. La catégorie des sûretés est fermée. Celle des garanties ne lest pas. Le nombre et limportance des garanties ne cessent donc de croî- tre. Le droit des sûretés tend ainsi à devenir le droit des garanties. Les garanties personnelles consistent dans ladjonction dun ou plusieurs débiteurs au débiteur principal pour la même dette. Les créanciers disposent ainsi dun droit de poursuite contre une ou plu- sieurs personnes autres que le principal obligé. Le cautionnement est la sûreté personnelle par excellence. Les garanties réelles consistent dans laffectation spéciale dun ou plusieurs biens au paiement de la dette. Le gage, le nantissement, lhypothèque, le privilège, la propriété-garantie sont les principales dentre elles. Le droit des garanties forme avec le droit bancaire et le droit des procédures collectives le droit du crédit. Il est artificiel disoler cha- cune des disciplines composant le droit du crédit tant les liens les unissant sont nombreux. Les garanties sont consenties lors de la four- niture de crédits. Elles sont très souvent mises en œuvre lorsque le débiteur est soumis à une procédure de traitement de ses difficultés. Seules des exigences pédagogiques et des contraintes éditoriales jus- tifient donc un morcellement de létude du droit du crédit. Les garanties sont nécessaires à tout créancier qui entend se pro- téger contre les risques du crédit (§ 1). Elles reposent sur un petit nombre de mécanismes ancestraux qui nont cessé dêtre adaptés ou perfectionnés. Cest ce que révèle leur histoire (§ 2).

Sûretés et garanties de crédit - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782275036397.pdf · Le gage, le nantissement, l’hypothèque, le privilège, la propriété-garantie

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Introduction

1. Du droit des sûretés au droit des garanties. – Les garantiessont des institutions qui ont pour objet de protéger les créancierscontre les risques du crédit, principalement celui de l’insolvabilitéde leurs débiteurs.

Les principales garanties sont les sûretés mais d’autres procédéstendent aux mêmes fins et peuvent donc aussi être utilisés par lescréanciers.

La catégorie des sûretés est fermée. Celle des garanties ne l’estpas. Le nombre et l’importance des garanties ne cessent donc de croî-tre. Le droit des sûretés tend ainsi à devenir le droit des garanties.

Les garanties personnelles consistent dans l’adjonction d’un ouplusieurs débiteurs au débiteur principal pour la même dette. Lescréanciers disposent ainsi d’un droit de poursuite contre une ou plu-sieurs personnes autres que le principal obligé. Le cautionnement estla sûreté personnelle par excellence.

Les garanties réelles consistent dans l’affectation spéciale d’unou plusieurs biens au paiement de la dette. Le gage, le nantissement,l’hypothèque, le privilège, la propriété-garantie sont les principalesd’entre elles.

Le droit des garanties forme avec le droit bancaire et le droit desprocédures collectives le droit du crédit. Il est artificiel d’isoler cha-cune des disciplines composant le droit du crédit tant les liens lesunissant sont nombreux. Les garanties sont consenties lors de la four-niture de crédits. Elles sont très souvent mises en œuvre lorsque ledébiteur est soumis à une procédure de traitement de ses difficultés.Seules des exigences pédagogiques et des contraintes éditoriales jus-tifient donc un morcellement de l’étude du droit du crédit.

Les garanties sont nécessaires à tout créancier qui entend se pro-téger contre les risques du crédit (§ 1).

Elles reposent sur un petit nombre de mécanismes ancestraux quin’ont cessé d’être adaptés ou perfectionnés. C’est ce que révèle leurhistoire (§ 2).

Les garanties ne cessent de se multiplier. Un tel foisonnementimpose des classifications (§ 3). Il justifierait l’énoncé de principesdirecteurs. En l’absence de dispositions communes à l’ensemble desgaranties dans le Code civil, il revient à la doctrine de les recher-cher (§ 4).

§1. Raisons d’être des garanties

2. Les risques du crédit. – Un prêteur ne peut se contenter defaire confiance. Il a besoin de garanties car il s’expose à des risquesimportants1.

Le premier est celui de l’insolvabilité de son débiteur.Le second risque est celui lié à l’immobilisation de la créance en

cas de retard pris par le débiteur pour exécuter son obligation.Avec la crise économique ces risques sont devenus considérables.

Or, dans le même temps, il est de plus en plus important pour lesparticuliers et les entreprises d’avoir accès au crédit. Garanties et cré-dit forment donc un couple indissociable2.

Le développement des premières est parallèle à l’essor constantdu second.

L’utilité des garanties pourrait être moindre si la situation ducréancier chirographaire était satisfaisante. Mais tel n’est pas le cas.

3. Sort du créancier chirographaire. – Le sort du créancier chi-rographaire n’est guère enviable. Il se déduit de l’application de deuxdispositions fondamentales : les articles 2284 et 2285 du Code civil.

L’article 2284 énonce que « quiconque s’est obligé personnelle-ment est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobilierset immobiliers présents et à venir ». Le créancier chirographaire adonc un droit de gage général sur les biens de son débiteur. Il esten droit de saisir tout bien faisant partie du patrimoine pour sefaire payer. Mais l’article 2285 énonce que « les biens du débiteursont le gage commun des créanciers et que le prix s’en distribueentre eux par contribution ». Le créancier chirographaire doit doncsubir la loi du « concours » entre les différents créanciers.

12 Sûretés et garanties du crédit

1. M. BOURASSIN, L’efficacité des garanties personnelles, LGDJ, 2006, préf.M.-N. JOBART-BACHELLIER.2. Ce lien explique le titre d’une chronique restée célèbre, L.-M. MARTIN, « Sûretéstraquées crédit détraqué », Banque et droit, 1975, 11335.

La situation du créancier chirographaire peut être aggravée si ledébiteur a déclaré certains de ses biens insaisissables ou s’il a consti-tué un patrimoine d’affectation grâce à la fiducie ou au statut del’EIRL. Lorsque plusieurs créanciers saisissent un même bien, ils doi-vent en conséquence s’en partager le prix entre eux.

La protection du créancier chirographaire par le droit commun desobligations est insuffisante. L’action oblique consacrée par l’arti-cle 1166 du Code civil permet aux créanciers d’exercer tous les droitset actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusive-ment attachés à la personne.

L’action paulienne de l’article 1167 du Code civil permet aucréancier d’attaquer les actes faits par le débiteur en fraude de sesdroits. Si la fraude est établie, l’acte est déclaré inopposable au créan-cier qui a exercé l’action.

Le créancier peut enfin exercer l’action en simulation prévue parl’article 1321 du Code civil. L’action permet de faire rentrer dans lepatrimoine du débiteur, les biens que ce dernier a fictivement fait sor-tir de son patrimoine.

En aucun cas, ces mécanismes ne confèrent au créancier unecause de préférence. Ils ne font que renforcer son droit de gagegénéral.

En raison de ces principes, tout créancier ne peut donc être payéde l’intégralité de sa créance dès lors que la valeur des biens compo-sant le patrimoine de son débiteur est inférieure au montant total deses engagements.

Le créancier normalement diligent a donc intérêt à se faireconsentir une garantie s’il n’en bénéficie pas de plein droit. Cepen-dant l’existence de garanties en elle-même est-elle légitime ?

4. Légitimité du droit des garanties. – En apparence tout aumoins le droit des garanties semble heurter un principe fondamentalde notre droit : celui de l’égalité entre les créanciers. Par hypothèse,en effet, un créancier tente de se faire payer au détriment des autres.Un droit sans garanties pourrait donc sembler plus satisfaisant3.

Tous les créanciers seraient alors traités également. Cette idée estséduisante mais n’est guère réaliste. Il faudrait en effet que les créan-ciers qui tirent aujourd’hui le plus grand bénéfice de la situationactuelle (le Trésor, le fisc, l’Urssaf) acceptent de redevenir chirogra-phaires. Les pays qui ont ainsi réussi à faire disparaître les causes depréférence sont peu nombreux.

Introduction 13

3. Ch. MOULY, « Procédures collectives : assainir le régime des sûretés », ÉtudesRoblot, LGDJ, 1984, p. 529.

Plus fondamentalement, il a été démontré que le droit des garan-ties n’est pas véritablement contraire au principe d’égalité entre lescréanciers4. Ce principe qui sert de justification à beaucoup de règlessignifie seulement que les créanciers placés dans la même situationdoivent être traités de manière égalitaire. Il n’interdit nullement deréserver un sort différent à des créanciers ayant une situation juri-dique différente ; il ne s’oppose pas plus à ce que des créancierssoient de simples chirographaires et que d’autres soient titulaires desûretés. Le recours à des garanties est donc légitime. Encore faut-ilque les mécanismes utilisés à cette fin répondent parfaitement auxexigences du crédit. Or, celles-ci sont nombreuses. Toute garantiedoit donc être appréciée au regard de différents critères.

5. Critères d’appréciation d’une garantie. – Une garantie n’estpas satisfaisante par le seul fait qu’elle est simple et peu coûteuse àconstituer. Elle ne l’est que si elle préserve les intérêts des créanciers,de leur débiteur et des tiers concernés (qu’il s’agisse d’autres créan-ciers ou de tiers acquéreurs de biens offerts en garantie).

La garantie est satisfaisante pour un créancier si elle le protègebien contre le risque d’insolvabilité de son débiteur principal. Lecréancier doit donc avoir la certitude de l’emporter sur les autrescréanciers susceptibles de venir en concurrence avec lui. La garantiedoit aussi le protéger contre le risque d’immobilisation de la créance.Sa mise en œuvre doit donc être rapide.

Pour un débiteur, toute garantie est une contrainte. Celle-ci doitcependant demeurer supportable. Le débiteur ne doit donc pas êtreprivé de l’usage des biens nécessaires à son activité professionnelleou à son habitation. Il est également souhaitable que la constitutionde la garantie n’entraîne pour lui aucun gaspillage du crédit. Autre-ment dit, le propriétaire d’un bien doit pouvoir obtenir un crédit cor-respondant à la valeur de réalisation de celui-ci. Plusieurs créanciersdoivent donc pouvoir se faire consentir des garanties sur unmême bien.

Les tiers sont également directement concernés par les garanties.En leur qualité de créancier, ils ont tout intérêt à connaître l’existencedes garanties consenties par leur débiteur car c’est un indice de sasolvabilité. Lorsqu’ils sont également bénéficiaires de garanties, ilsdoivent pouvoir connaître l’existence des créanciers ayant des droitsconcurrents.

14 Sûretés et garanties du crédit

4. M. CABRILLAC, « Les ambiguïtés de l’égalité entre les créanciers », Mélanges Bre-ton et Derrida, p. 31.

Aucune garantie ne satisfait l’ensemble de ces exigences. Il fautpeut-être y voir l’une des raisons de leur multiplication. Notre droitde garanties reste encore trop marqué par son histoire.

§2. Histoire du droit des garanties

6. Un droit cyclique. – Le droit des garanties s’est développé parstrates successives. Il est en effet toujours plus facile pour le législa-teur de créer de nouvelles garanties que d’en supprimer.

Chaque garantie a sa période de gloire. Son utilisation est fonctionde la portée qui lui est reconnue à une époque donnée. Des sûretéssont ainsi tombées en désuétude. D’autres connaissent une nouvellejeunesse. Le droit des garanties est de ce fait en constant renouvel-lement.

La diversité des garanties ne doit cependant pas faire illusion. Lestechniques fondamentales permettant à un créancier de se garantirsont en nombre limité. Ces sûretés modèles étaient reconnues en1804 (A). Le panorama des garanties est par la suite resté longtempsfigé avant de connaître un profond bouleversement à l’époquecontemporaine (B).

A Les sûretés modèles

7. Importance du droit romain. – Les principales sûretés ont étéimaginées ou perfectionnées par les juristes romains. Le constat vautaussi bien pour les sûretés personnelles que pour les sûretés réelles.

Le cautionnement, sûreté personnelle par excellence, est connu dudroit romain. La solidarité familiale, très forte à cette époque, permet-tait de rendre des éléments d’un groupe responsables de la défaillancede l’un d’entre eux. En droit romain, le cautionnement est un ser-vice d’ami.

Notre droit des sûretés réelles doit également beaucoup au droitromain. Il lui emprunte ses principales institutions.

La fiducie semble avoir été la première sûreté réelle à avoir étéconsacrée. La propriété d’un bien du débiteur est alors transférée àson créancier. Ce dernier s’engage à retransférer la propriété du bienune fois que le débiteur a exécuté son obligation. Cette sûreté pré-sente cependant deux inconvénients majeurs. D’une part, le créancierpeut aliéner le bien en méconnaissance des droits du débiteur. D’au-tre part, la technique du double transfert est assez lourde.

Introduction 15

Cette garantie primitive allait être remplacée par deux autres sûre-tés : le gage et l’hypothèque.

Le gage, ou « pignus », a été la sûreté la plus utilisée à l’époqueromaine. Le débiteur transfère alors à son créancier la simple posses-sion de l’un de ses biens. Il en reste propriétaire. Le débiteur retrouvela possession de son bien une fois qu’il a exécuté son obligation. Legage peut porter sur un meuble ou un immeuble. Dans ce dernier cas,il est connu sous le nom d’antichrèse. L’exigence de dépossessionconstitue toutefois une contrainte difficilement supportable lorsquele bien est utile au débiteur.

L’hypothèque, à la différence du gage, ne nécessite aucune dépos-session. Les juristes romains ont redécouvert cette sûreté d’originegrecque. Elle est utilisée pour les immeubles.

Enfin le droit romain a consacré les privilèges qui sont des droitsreconnus à certains créanciers en raison de la qualité de leur créance.Le bénéficiaire se voit alors reconnaître un droit de préférence surl’ensemble des biens de son débiteur ou sur certains d’entre eux.

À l’apogée du droit romain, le droit des sûretés, dans ses princi-pales composantes, était donc né.

8. L’Ancien droit. – L’Ancien droit est une période de régressionde la technique juridique. Le droit des sûretés n’échappe pas à larègle. Les principales sûretés romaines sont ignorées à l’exceptionde la plus fruste d’entre elles, la fiducie, qui est à nouveau pratiquée.

9. Le Code civil. – Les rédacteurs du Code civil devaient large-ment s’inspirer du droit romain, aussi bien pour les dispositionsconsacrées au cautionnement que pour celles relatives aux sûretésréelles. Seule la fiducie n’est pas consacrée. La technique est eneffet considérée comme archaïque.

Chacune des sûretés a alors des caractères propres qui en font unmodèle.

Le cautionnement est la seule sûreté personnelle reconnue. Elle sedistingue par le caractère accessoire de l’engagement de la caution.

Le nantissement est une sûreté avec dépossession. Lorsqu’il apour assiette un meuble, il est désigné sous le nom de gage. Lorsqu’ilporte sur un immeuble, c’est l’appellation d’antichrèse qui estretenue.

L’hypothèque est une sûreté sans dépossession. Elle a pourassiette des immeubles.

Enfin, des privilèges sont reconnus par la loi à des créanciers enraison de leur qualité pour la garantie du paiement de certainescréances.

16 Sûretés et garanties du crédit

B Évolution contemporaine

10. Tendances contradictoires. – De 1804 à aujourd’hui le droitdes garanties s’est profondément transformé5. Il est vrai que les fac-teurs d’évolution sont nombreux. Dans un premier temps, il a fallutenir compte de l’apparition de nouveaux biens. Puis, des conséquen-ces ont été déduites de l’emprise du droit des procédures collectivessur le droit des sûretés. Aujourd’hui, il apparaît que le système degaranties peut influer sur la distribution du crédit. Ainsi la réformede l’hypothèque doit favoriser la distribution du crédit à la consom-mation.

Quatre périodes peuvent être distinguées. La première se caracté-rise par le perfectionnement constant des sûretés modèles consacréespar le Code civil (1). Cette période a semble-t-il pris fin en 1980. Àpartir de cette date, les sûretés classiques perdirent une part de leursintérêts pour les créanciers (2) et ceux-ci cherchèrent des garanties desubstitution (3). Il en est résulté une régression et un éclatement denotre droit des garanties. La réforme du droit des sûretés qui devaitpermettre une clarification de notre droit n’atteint que partiellementcet objectif (4).

1. Perfectionnement des sûretés modèles

11. Développement des sûretés sans dépossession. – Le perfec-tionnement des sûretés modèles s’est traduit au cours du XXe sièclepar la multiplication des sûretés mobilières sans dépossession.

Le législateur a en effet encouragé le développement du créditnécessaire au financement de biens utilisés par le constituant telsque l’outillage, le matériel ou les véhicules. Des sûretés ont égale-ment été créées pour tenir compte de l’apparition des biens incorpo-rels tels le fonds de commerce, ou les droits de propriété industrielle.Les sûretés mobilières qui sont alors créées sont qualifiées par lelégislateur de gage, d’hypothèque ou de nantissement, ce qui estsource de confusion. La qualification retenue ne commande plus

Introduction 17

5. HOUIN, « L’évolution du droit des sûretés », RJC 1982, nº spécial, L’évolution dessûretés, p. 3 ; Y. CHARTIER, « Rapport de synthèse du colloque consacré à l’évolution dudroit des sûretés », RJC 1982 ; L. AYNÈS, Rapport de synthèse, Congrès des Notaires. –V. également les travaux du colloque de la Feduci consacré aux sûretés, 1984, les travauxdu congrès de l’Association H. CAPITANT, Journées portugaises, 1996, sp.M. GRIMALDI, « Problèmes actuels des sûretés réelles » ; L. AYNÈS, Problèmes actuelsdes sûretés personnelles ; Ph. SIMLER, Rapport de synthèse ; P. CROCQ, « L’évolutiondes garanties du paiement, de la diversité à l’unité », Mélanges Mouly, t. 2, p. 317 ;« L’actualité du droit des sûretés », LPA, 17 juin 1998.

nécessairement la soumission à un régime juridique donné. Deshypothèques peuvent ainsi avoir pour assiette des meubles (v. infra,nos 533 et s.).

12. Publicité des sûretés. – La réforme de la publicité foncièreintervenue en 1955 a également largement contribué au perfectionne-ment des sûretés réelles. À cette occasion, le législateur a en effet sou-mis à publicité des hypothèques et des privilèges qui jusqu’alorsétaient occultes.

La réforme de la publicité foncière a cependant été une occasionmanquée pour refondre l’ensemble de notre droit des sûretés réelles.Le législateur n’a pas soumis l’ensemble des privilèges à publicité. Iln’en a pas profité pour réduire leur nombre.

2. Phase de déclin des sûretés modèles

13. Crise du cautionnement. – Les années 1980 furent cellesd’une désaffection des créanciers pour les sûretés modèles, qu’ils’agisse du cautionnement ou des sûretés réelles classiques.

Une crise du cautionnement a ainsi pu être décelée. Pendant unepériode d’une dizaine d’années, les juges feront en effet preuve d’unexcès de bienveillance à l’égard des cautions.

Celles-ci s’opposèrent alors quasi systématiquement aux poursui-tes des créanciers, ce qui était facile en raison des nombreux moyensde défense qui leur étaient reconnus.

Les créanciers devaient donc souvent attendre plusieurs annéespour obtenir paiement de ce qui leur était dû. Le cautionnement neles protégeait donc plus du risque d’immobilisation de leurs créances.Par un phénomène de réaction bien compréhensible, les créanciersdevaient rechercher des garanties protégeant mieux leurs intérêts. Ilsfirent alors souscrire par les garants des engagements indépendantsleur interdisant par là même de se prévaloir des droits appartenantau débiteur principal (v. infra, nº 334).

14. Le laminage des droits des titulaires de sûretés réelles. –Les sûretés réelles modèles furent quant à elles gravement affectéespar l’évolution du droit des procédures collectives6.

Pendant longtemps, le droit des procédures collectives a eu pourseule fonction un règlement collectif et organisé des créanciers.

18 Sûretés et garanties du crédit

6. « Sûretés et procédures collectives », Morceaux choisis, Rapport de synthèsede C. SAINT-ALARY-HOUIN, LPA, 20 septembre 2000, p. 40.

Mais depuis 1967, il doit aussi favoriser la survie des entreprisesen difficultés. Cette finalité est même clairement affirmée par l’arti-cle 1 de la loi du 25 janvier 1985. Pour réaliser cet objectif, le légis-lateur impose des sacrifices aux créanciers, qu’ils soient ou non titu-laires de sûretés. Les créanciers doivent accepter des remises,consentir des délais. Ils sont soumis au principe de la suspensiondes poursuites individuelles, ce qui leur interdit de mettre en jeuleur sûreté. La loi de 1985 a ainsi réalisé une véritable traque dessûretés classiques. Dans une moindre mesure, la loi du 31 décembre1989 sur le surendettement des particuliers a eu les mêmes effets.

Ces lois récentes ne limitaient cependant que les prérogatives destitulaires de sûretés modèles, qu’il s’agisse de gages, d’hypothèquesou de privilèges. Rien n’interdisait donc aux créanciers de rechercherd’autres garanties. Ils n’allaient pas s’en priver.

3. Recherche de garanties de substitution

15. Foisonnement des garanties. – Qu’il s’agisse de garantiespersonnelles ou de garanties réelles, la quête de garanties de substitu-tion aux sûretés modèles devait se révéler fort riche7.

Pour remplacer le cautionnement, les créanciers devaient recher-cher ou imaginer des mécanismes leur conférant un droit contre legarant plus fort que celui susceptible d’être exercé contre la caution.La délégation imparfaite, l’engagement solidaire, les garanties indé-pendantes satisfont cette exigence. Dans tous ces cas, le garant estprivé du droit d’opposer au créancier les exceptions dont peut se pré-valoir le débiteur principal.

Des solutions de substitution aux sûretés réelles classiques furentaussi trouvées grâce au droit de rétention, à la réserve de propriété, età l’aliénation fiduciaire. Toutes ces garanties ont un point commun.Le créancier se réserve la possession ou la propriété d’un bien, ce quilui permet d’éviter les conséquences de l’ouverture d’une procédurecollective. Il a ainsi l’assurance d’être payé, n’ayant pas à craindre laconcurrence avec d’autres créanciers. Cette recherche de mécanismesconférant aux créanciers une situation d’exclusivité est une descaractéristiques majeures de l’évolution contemporaine du droit desgaranties. Le droit de propriété peut ainsi apparaître comme la reine

Introduction 19

7. P. ANCEL, « Nouvelles sûretés pour créanciers échaudés », JCP E 1989, Cah. dr.entr., suppl. nº 5.

des sûretés8 alors que ce rôle a été dévolu à l’hypothèque puis aucautionnement.

Le développement de ces garanties de substitution a largementcontribué au renouvellement du droit des sûretés. Il est égalementun facteur de complexité et d’incertitude. L’apparition d’une garantienouvelle suscite en effet toujours des difficultés. Il faut rechercher cequi la distingue des autres sûretés, ce qui pose un problème de quali-fication. Ensuite, il convient de s’interroger sur la validité de la tech-nique utilisée. Les solutions de substitution sont en effet imaginéesdans le seul but de faire échec aux principes gouvernant les sûretéstraditionnelles jugés trop protecteurs des intérêts du débiteur. Enfin,le régime même de la garantie doit souvent être précisé.

Un tel développement des garanties de substitution ne pouvaitcependant se poursuivre sans limites. Toute la politique légale etjurisprudentielle de protection des cautions et des entreprises se trou-vait mise en échec. Une réaction légale et jurisprudentielle était doncinévitable pour réhabiliter les sûretés classiques.

4. Réforme du droit des garanties

16. Processus de réforme. – La réforme du droit des garantiess’imposait. Le droit français était devenu trop complexe, peu lisible.Son éclatement entre divers codes le rendait difficilement accessible.Il ne répondait plus toujours à l’attente des créanciers9.

La réforme s’opère cependant dans le plus grand désordre10.Une première source d’évolution est liée à l’importante loi du

26 juillet 2005 réformant le droit des procédures collectives. Cetexte modifie ainsi notablement les règles de poursuite des garantsd’une entreprise en difficultés. Il est cependant tout à fait regrettableque le législateur ait choisi de dissocier la réforme du droit des sûre-tés de celle du droit des procédures collectives. Une occasion uniquevient ainsi d’être manquée de conférer une cohérence à l’ensemble dudroit français du crédit.

Le principal facteur d’évolution est cependant constitué par laréforme du droit des sûretés. Celle-ci ne s’est pas elle non plus réali-sée dans les meilleures conditions.

20 Sûretés et garanties du crédit

8. A. CERLES, « La propriété, reine des sûretés », Mélanges M. Vasseur, p. 39 ;P. CROCQ, op. cit., note 5.9. M. GRIMALDI, « Exposé des motifs du projet de réforme présenté », RDC juillet2005, p. 783 ; « Vers la réforme des sûretés », RJC 2005, 467.10. D. LEGEAIS, « La réforme du droit des garanties ou l’art de mal légiférer », Mélan-ges Ph. Simler, Dalloz-Litec, 2006, p. 367 ; R. DAMMANN, « La réforme des sûretésmobilières : une occasion manquée » : D. 2006, 1298.

Dans un premier temps, par une loi en date du 1er août 2003 diteloi Dutreil, le législateur a profondément réformé le cautionnementen introduisant dans le Code de la consommation un ensemble dedispositions qui constituent un second droit commun du caution-nement.

La véritable réforme est cependant réalisée par l’ordonnance endate du 23 mars 200611 ratifiée par la loi du 20 février 2007 (art. 10).

Un groupe d’experts a été constitué sous la présidence de MichelGrimaldi. Il avait pour vocation de réformer l’ensemble des sûretés.Un projet de refonte du Code civil a été présenté12. Il était initiale-ment prévu que le gouvernement se fasse habiliter à le transposerpar voie d’ordonnance. Le parlement saisi a considéré que le caution-nement et les privilèges étaient des matières qui ne pouvaient êtredéléguées sans contrôle au gouvernement13. La loi d’habilitation endate du 26 juillet 2005 devait ainsi interdire une réforme d’ensembledu droit des sûretés.

La loi du 19 février 2007 introduisant la fiducie en droit françaiscomplète la réforme dans la mesure où la fiducie peut avoir la fonc-tion de sûreté. La fiducie-sûreté fait l’objet de dispositions spécifi-ques introduites par l’ordonnance du 30 janvier 2009.

17. Domaine restreint de la réforme. – Comparée au projet ini-tial, la réforme réalisée a un domaine considérablement réduit. Ledroit des sûretés personnelles est absent, à l’exception de la définitionde la lettre d’intention et de la garantie autonome. Beaucoup des dis-positions qui auraient pu constituer un embryon de théorie généraledes sûretés ont disparu14. Comme il avait été prévu, la réforme neconcerne que le droit civil, ce qui laisse de côté les très nombreusessûretés spéciales du Code de commerce et des autres codes.

La réforme réalisée ne répond ainsi que partiellement à l’attentedes praticiens. Certes, le nouveau droit des sûretés est recodifié et il

Introduction 21

11. Pour une analyse de l’ordonnance : V. nº spécial JCP supplément au nº 20, 17 mai2006, nº spécial Dalloz, D. 2006, 1289 et s. ; nº spécial RLDC juillet-août 2006 ; Dossier« Sûretés mobilières : du nouveau » juillet-août 2007 ; Droit et patrimoine, septem-bre 2007 ; D. ROBINE, Bull. Joly Sociétés 2006, p. 867, nº spécial RLDC 2006, nº 29 ;S. PIEDELIÈVRE, « Premier aperçu de l’ordonnance du 23 mars 2006 », Defrénois2006, art. 38 393 ; D. HOUTCIEFF, « Pleins feux sur l’ordonnance », LPA 2006, 28 avril ;S. PRIGENT, « La réforme du droit des sûretés : une avancée sur la voie de la modernisa-tion » : AJDI 2006 nº 5, p. 346.12. V. Dossier Dr. et patr., septembre 2005, p. 50 et s. D. LEGEAIS, « La réforme dudroit des garanties, une symphonie inachevée » : RD bancaire et fin., mai-juin 2005, p. 67et s.13. V. en ce sens D. R. MARTIN, « Le Code civil à saute-mouton » : D. 2005, p. 1527.14. M. BOURASSIN, D. 2006, 1386.

est présenté de manière plus claire dans le Code civil dans un nou-veau livre IV consacré aux sûretés et composé des articles 2284 et sui-vants. Cependant, le travail de simplification de notre droit des sûre-tés réelles n’a pas été entrepris. De nouvelles sûretés s’ajoutent auxprécédentes. Comme par le passé, pour connaître le droit français, ilfaut consulter au moins quatre codes : le Code civil, le Code de laconsommation, le Code de commerce et le Code monétaire et finan-cier. Ainsi réalisée, la réforme ne permet pas de constituer le modèlede référence pour des systèmes étrangers, alors que telle était pourtantl’ambition initiale.

La réforme est ainsi inachevée15. Une nouvelle loi est en effetnécessaire pour réformer le cautionnement les privilèges et supprimerbeaucoup de gages sans dépossession.

Il convient ainsi d’espérer une prochaine réforme des sûretés quiachèvera le travail de refonte entrepris. L’unification des sûretés civi-les et commerciales devra alors être réalisée. Les travaux menés auplan européen constitueront alors peut-être une nouvelle source d’ins-piration.

§3. Classification des garanties

18. Diversité des classifications. – Il ne peut exister une seuleclassification des garanties, les critères de distinction étant trop nom-breux. Deux distinctions doivent être éclairées. L’une est tradition-nelle. Il s’agit de l’opposition entre sûreté personnelle et sûreté réelle.L’autre est plus récente et ses contours sont plus incertains. Il s’agitalors de distinguer la véritable sûreté de la simple garantie.

A Distinction des sûretés personnelles et des sûretés réelles

19. Critère de distinction. – La distinction entre les sûretés per-sonnelles et les sûretés réelles est fondamentale. Elle fait écho à l’op-position entre le droit personnel et le droit réel.

Une sûreté personnelle fait naître au profit du créancier un droitpersonnel contre au moins une personne autre que le débiteur princi-pal initial. La garantie peut donner naissance à un engagement

22 Sûretés et garanties du crédit

15. D. LEGEAIS, « La réforme du droit des garanties ou l’art de mal légiférer », Mélan-ges Ph. Simler, Dalloz-Litec, 2006, p. 367 ; C. LAZARUS, « La réforme des sûretés parl’ordonnance du 23 mars 2006 et le droit de la consommation : entre occasions manquéeset fausses bonnes idées », LPA 13 août 2007, p. 3.

accessoire. Le cautionnement en est l’exemple parfait. Mais le garantpeut aussi souscrire un engagement indépendant de celui du débiteurprincipal. Il est alors tenu plus rigoureusement que ce dernier.

Toute sûreté personnelle est conventionnelle. L’appellation decautionnement légal ou judiciaire est en effet trompeuse(v. infra, nº 46).

Le titulaire d’une sûreté réelle a un droit sur un ou plusieurs biensde son débiteur. Le plus souvent il s’agit d’un droit réel (v. infra,nº 397). Le créancier est titulaire d’un droit de préférence qui s’exercesur la valeur des biens qui lui sont affectés en garantie.

Les sûretés réelles peuvent être mobilières ou immobilières selonqu’elles ont pour assiette un meuble ou un immeuble. Elles peuventêtre constituées avec ou sans dépossession, être conventionnelles,légales ou judiciaires.

La portée de l’opposition entre sûreté personnelle et sûreté réellene doit pas être exagérée16. Le créancier bénéficie en effet, dans tousles cas, d’une affectation de biens à son profit. Mais lorsque la sûretéest personnelle, les biens affectés appartiennent à un tiers, le garant,et ce dernier ne subit aucune restriction de pouvoirs sur les bienscomposant son patrimoine.

Par leurs régimes, sûretés personnelles et sûretés réelles s’oppo-sent également. Les sûretés personnelles sont sous l’influence dudroit des contrats alors que les sûretés réelles sont sous l’influencedu droit des biens. Il s’en déduisait que les premières, soumises auprincipe de la liberté contractuelle, laissaient plus de place à lavolonté individuelle que les secondes. Traditionnellement en effet,le droit des biens est fortement marqué par l’ordre public. Cependant,l’évolution contemporaine du droit des garanties révèle un inverse-ment de cette tendance17.

Après, comme avant la réforme, une sûreté conserve une place àpart. Il s’agit du droit de rétention. L’article 2286 du Code civil qui leconsacre précède les dispositions consacrées aux sûretés personnelleset réelles.

B Distinction des sûretés et des garanties

20. Intérêts de la distinction. – La distinction entre garantieset sûretés est si récente qu’aucun critère de distinction n’est encore

Introduction 23

16. P. CROCQ, obs. RTD civ. 2001, p. 402.17. Ph. DUPICHOT, « Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés »,Thèse Paris II, 2003, sous la direction de M. GRIMALDI.

unanimement retenu18. Les deux termes sont encore souvent pris l’unpour l’autre. C’est le développement des solutions de substitution auxsûretés modèles qui a imposé la distinction. En effet, dans le Codecivil, la qualification de sûreté est réservée à un petit nombre d’insti-tutions. Or, aujourd’hui, les créanciers utilisent à des fins de garantiedes mécanismes qui n’ont pas été conçus pour cela ou de pures créa-tions de la pratique. Toutes ces techniques ne sauraient pourtant êtreassimilées. D’une part, le terme de sûreté a un sens juridique précisqu’il convient de lui conserver. D’autre part, des dispositions ne s’ap-pliquent qu’aux sûretés alors que le domaine d’application d’autresrègles est plus étendu19. Deux dispositions récentes montrent l’intérêtde la distinction. L’article 1108-1 du Code civil autorise la conclu-sion par voie électronique à certaines conditions des seules sûretésréelles ou personnelles. Le nouvel article L. 650-1 du Code de com-merce déduit de la présence de garanties disproportionnées le main-tien d’une responsabilité pour soutien abusif de crédit.

Un critère de distinction est donc nécessaire pour dresser une listedes sûretés et des principales garanties.

21. Définition de la sûreté. – Il n’existe aucune définition légalede la sûreté ou de la garantie. Pour les rédacteurs du Code civil, iln’existait cependant que quatre sûretés : le cautionnement, le nantis-sement, l’hypothèque et le privilège. Dès lors, il est permis de réser-ver la qualification de sûreté aux seuls mécanismes qui en ont tous lescaractères essentiels20. Toute sûreté se caractérise en premier lieu parsa finalité particulière. Elle permet à son bénéficiaire d’échapper à laloi du concours entre les créanciers. La sûreté est donc un avantagequi s’ajoute aux droits que le créancier tient normalement de sondroit de gage général21, avantage résultant de l’adjonction d’unecréance ou d’une affectation particulière d’un bien. La garantie, aucontraire, ne tend pas directement au recouvrement de la créance.

24 Sûretés et garanties du crédit

18. P. CROCQ, Propriété et garantie, LGDJ, 1995, préface M. GOBERT, nº 262 ;C. GINESTET, « La qualification des sûretés », Defrénois 1999, art. 36 927 et 369 940 ;A.-M. TOLEDO, « La notion de sûreté ; Recherche sur les sûretés dans le droit du com-merce international » ; Thèse Paris I, 1997.19. Art. 767, al. 7, 1188, 1752-2 du Code civil ; art. 40, 50, 51 et 93 L. 25 janvier 1985 ;art. 217-9 et 340, L. 1966 ; art. 2, 312-8, C. consom. – Pour une illustration de l’intérêt dela distinction à propos du droit de rétention, CA Pau, 11 octobre 1994 et CA Aix, 2 mars1995, RTD civ. 1995, 931, obs. P. CROCQ. « Si le droit de rétention est une sûreté, il doitêtre déclaré conformément à l’article 51 de la loi du 25 janvier 1985 ».20. A. MARTIN-SERF, « L’interprétation extensive des sûretés réelles en droit commer-cial », RTD com. 1980, 293.21. P. CROCQ, op. cit.

En second lieu, toute sûreté produit un effet particulier. Sa miseen œuvre a toujours un effet satisfaisant pour le créancier, à savoirl’extinction de sa créance22.

Ensuite, la sûreté est une technique particulière. Elle est ainsidéfinie par P. Crocq : « La technique de constitution d’une sûreté estl’affectation à la satisfaction du créancier d’un bien, d’un ensemblede biens ou d’un patrimoine, par l’adjonction aux droits résultant nor-malement pour lui du contrat de base d’un droit d’agir accessoire àson droit de créance ». De cette définition se dégagent trois élémentsfondamentaux.

La sûreté confère nécessairement un droit d’agir à son bénéfi-ciaire, c’est-à-dire un droit de poursuivre une personne ou un droitde faire vendre ou de se faire attribuer une chose23. La sûreté supposeune affectation de biens figurant dans le patrimoine du débiteur prin-cipal ou d’un tiers24. L’affectation peut avoir un caractère préférentielou exclusif25.

La sûreté s’inscrit dans un rapport d’accessoire à principal avec lacréance qu’elle garantit. Sa source est donc distincte de celle donnantnaissance à la créance principale. La sûreté ne peut en conséquenceêtre inhérente au rapport d’obligation26. Elle doit toujours pouvoirêtre constituée postérieurement à la naissance de la créance garantie.

Cette analyse ne suffit cependant pas à éviter toute incertitude.Force est de constater que tout critère s’avère délicat à mettre enœuvre et que chaque auteur retient sa propre classification. Commel’écrit M. Cabrillac27, « Chacun a son opinion et l’inscrit dans le largeéventail qui va de la conception crispée qui veut qu’il n’y ait point desûretés en dehors de la trilogie traditionnelle à la conception laxiste

Introduction 25

22. L’exception d’inexécution ne peut être une sûreté au regard de ce critère.23. Le droit de rétention n’est pas au regard de ce critère une véritable sûreté. En ce sensCass. com., 20 mai 1997, JCP E 1998, 211, obs. Ph. DELEBECQUE ; RTD civ. 1997, 707,obs. P. CROCQ.24. C’est l’hypothèse du cautionnement. C’est en retenant une conception large de lanotion d’affection que la jurisprudence a pu considérer que le privilège mobilier généralétait une sûreté. Il n’y a pas dans un tel cas affectation spéciale d’un bien au profit ducréancier. La Cour de cassation en déduit que le créancier a droit à être informé de l’ou-verture de la procédure collective, comme tout titulaire de sûreté ; Cass. com., 4 juillet2000, JCP G 2001, I, 298, nº 11, obs. M. C. ; RD bancaire et fin., septembre-octobre2000, comm. 200, obs. F.-X. L. ; RTD com. 2001, 228, obs. A. MARTIN-SERF ; D.2000, AJ, 353, note P. PISONI ; RTD civ. 2001, p. 399, obs. P. CROCQ.25. Cas du droit de rétention ou de l’utilisation du droit de propriété à des fins de garan-tie.26. Le crédit-bail n’est pas pour ce motif une véritable sûreté.27. « Les sûretés réelles entre vins nouveaux et vieilles outres », Études P. Catala,p. 715.

qui, dilatant à l’infini le champ des sûretés, embrasse tout ce qui peutprocurer à un créancier un avantage sur les autres ». Force est deconstater que la Cour de cassation adopte des solutions au coup parcoup, déduisant la qualification d’un mécanisme de la solution qu’ilapparaît opportun de lui appliquer, alors que la démarche inverseserait plus cohérente.

La réforme du droit des sûretés aurait pu être l’occasion de définirla sûreté. Tel n’a pas été le cas. Cependant, la réforme met fin à cer-taines incertitudes dans la mesure où plusieurs garanties font leurapparition dans le Code civil.

22. Liste des véritables sûretés. – L’un des apports majeurs del’ordonnance en date du 23 mars 2006 consiste dans la codificationde certaines garanties. Pour autant, toute difficulté de qualification nedisparaît pas.

Le droit de rétention est désormais défini dans le livre IV du Codecivil consacré aux sûretés. On pourrait en déduire qu’il s’agit d’unevéritable sûreté, même s’il conserve son statut de garantie inclassablene figurant ni parmi les sûretés réelles ni parmi les sûretés personnel-les. Cependant, pour un courant de la doctrine, il ne faudrait pas tirerde conséquence excessive de la codification, les rédacteurs de l’or-donnance n’ayant pas cherché à trancher les difficultés théoriques28.Le débat n’est donc peut-être pas clos.

La liste des sûretés personnelles s’enrichit par la définition don-née dans le Code civil de la garantie autonome et de la lettre d’inten-tion. La qualification de sûreté de la première ne faisait déjà pas dedoute. S’agissant de la lettre d’intention, la doctrine opérait des dis-tinctions. Seules celles qui produisaient des effets comparables à uncautionnement étaient considérées comme des sûretés. La nouvellerédaction invite à qualifier de sûretés l’ensemble des lettres d’inten-tion, même si cette analyse risque de priver ce mécanisme de sonintérêt.

La liste des sûretés réelles est également enrichie. En effet, la pro-priété garantie est consacrée comme sûreté et la fiducie de même quela réserve de propriété qui en constituent les principales applicationstrouvent leur place dans le Code civil. Alors qu’il était permis d’endouter, la propriété garantie est donc une véritable sûreté.

23. Principales garanties. – Les garanties sont tous les avantagesspécifiques à un ou plusieurs créanciers dont la finalité est de

26 Sûretés et garanties du crédit

28. Ph. SIMLER, « Dispositions générales du livre IV nouveau du Code civil », nº spé-cial JCP 17 mai 2006, p. 5.

suppléer à l’exécution régulière d’une obligation ou d’en prévenirl’inexécution29. À la différence de celle de sûreté, la notion de lagarantie a donc un caractère fonctionnel. Beaucoup d’institutionsont ainsi une fonction de garantie sans pour autant constituer dessûretés.

Certaines d’entre elles peuvent constituer de véritables substitutsaux sûretés modèles. Elles feront pour cette raison l’objet de dévelop-pements particuliers. Tel est le cas de la délégation, de la solidarité,de la promesse de porte-fort.

Les garanties les plus nombreuses ne peuvent cependant rempla-cer totalement les sûretés traditionnelles : soit elles n’offrent pas lamême sécurité, soit elles ne peuvent jouer que dans des cas biensdéterminés. L’ensemble des garanties est donc assez hétéroclite.

Certaines de ces garanties ont une source légale.Les actions directes permettent à leurs titulaires d’obtenir un paie-

ment direct de ce qui leur est dû par le débiteur de leur débiteur. Lesactions directes ont une source légale, ce qui les rapproche des privi-lèges. Cependant les actions directes, de par leurs effets, sont égale-ment très proches des voies d’exécution30. Leur qualification est donccontroversée, un courant de la doctrine les assimilant même à dessûretés31.

Les entrepreneurs de construction bénéficient d’une garantiecontre l’insolvabilité du maître d’ouvrage32.

La compensation permet l’extinction de deux dettes réciproques,certaines liquides et exigibles. La compensation peut être légale, judi-ciaire ou conventionnelle. Sa fonction de garantie est incontestable,mais c’est avant tout un mode simplifié d’extinction des obliga-tions33.

Les garanties les plus nombreuses sont des créations de la pra-tique.

Introduction 27

29. P. CROCQ, op. cit., nos 283 et s.30. Pour une analyse de l’action directe, C. JAMIN, La notion d’action directe, LGDJ,1991. V. infra nos 23 et 610.31. M. CABRILLAC, « Les sûretés réelles entre vins nouveaux et vieilles outres », Étu-des P. Catala, op. cit., p. 716. La qualification de sûreté est retenue au motif que lesactions directes offrent à leurs titulaires le droit de se faire payer par priorité sur descréances figurant dans les patrimoines de leurs débiteurs.32. Art. 1799-1 du Code civil : JCP E 1995, I, 482, nº 16, obs. Ph. SIMLER etPh. DELEBECQUE.33. M. PÉDAMON, « La compensation dans les procédures collectives », RJC 1992,p. 86 et s. ; Cass. com., 9 mai 1995, JCP E 1995, II, 702, rapport J.-P. RÉMERY. –V. infra, nº 703.

Les engagements pris par une personne de se substituer à uneautre comme caution sont des garanties34.

La convention de ducroire est celle par laquelle une personneappelée ducroire se porte garant vis-à-vis de son cocontractant de labonne fin d’une opération35.

La clause de domiciliation est celle par laquelle un bailleur ou unsalarié prend l’engagement de faire verser ses loyers ou ses salairessur un compte bancaire déterminé.

Les sûretés négatives sont des clauses contractuelles par lesquel-les un débiteur prend des engagements de ne pas faire à l’égard deson créancier pour ne pas compromettre la valeur de son droit degage36. Le débiteur peut ainsi prendre l’engagement de ne pas aliénerun bien, de ne pas constituer de sûreté sur un bien donné. Par laclause pari passu, le débiteur s’engage à ne pas accorder à un autrecréancier une sûreté sans proposer au créancier garanti le même avan-tage. Un créancier peut également se voir conférer un droit de regardsur le patrimoine de son débiteur37.

Par la clause de maintien de l’emprunt à son rang, le souscripteurs’oblige à octroyer au bénéficiaire des garanties similaires à cellesqu’il peut consentir à des tiers38.

Même si la technique utilisée est fondamentalement différentepuisqu’il s’agit de conclure un contrat pour se protéger d’un risque,l’assurance a aussi une fonction de garantie. Tel est tout particulière-ment le cas de l’assurance-vie39.

28 Sûretés et garanties du crédit

34. Cass. com., 26 avril 2000, JCP E 2000, 1234, note Y. GUYON ; Bull. Joly 2000,p. 703, note A. COURET. – Cass. com., 24 juin 2003, RD bancaire et fin.,septembre-octobre 2003, comm. 183, obs. D. L. Il en va de même de l’engagement prispar une société à l’égard du crédit-bailleur, en cas de défaillance de sa filiale, souscripteurd’un contrat de crédit-bail immobilier, de reprendre les obligations de sa filiale au titre ducontrat : CA Paris, 4 octobre 2002, RD bancaire et fin., mai-juin 2003, comm. 114, obs.A. C.35. Le ducroire reçoit parfois une consécration légale (art. L. 442-4 du Code monétaireet financier). Pour une analyse de cette garantie, I. RIASSETTO, « Du caractère indemni-taire du ducroire de banque et de bourse », Mélanges AEDBF III, p. 247 ; D. HENNEBE-BELLE, JCP E 2000, 1366.36. Y. CHAPUT, « Les clauses de garantie », in Les principales clauses des contratsconclus entre professionnels, PUF, Aix 1990, 119.37. Y. GUYON, « Le droit de regard du créancier sur le patrimoine et l’activité de sondébiteur », RJC 1982, nº spécial, 12 et s.38. Ph. SIMON, « Financement d’entreprises : “le fil à la patte” des sûretés négatives »,D. Aff. nº 21, 96, p. 635.39. S. HOVASSE-BANGET, « La fonction de garantie de l’assurance-vie », Defrénois1998, p. 81, 510 et s.

La Cour de cassation veille cependant à ce que le concept degarantie ne soit pas appliqué à un trop grand nombre d’institutions.C’est ainsi qu’elle a considéré que l’engagement d’une société qui apour objet la reprise des biens vendus à un tiers par une autre société,en cas de défaillance de celle-ci, n’était pas une garantie40.

§4. Principes communs à l’ensemble des garanties

24. Existence d’une théorie générale. – Le droit des garantiessemble rebelle à toute théorie générale. Il existe pourtant un droitcommun du droit des sûretés41. La réforme du droit des sûretés réali-sée par l’ordonnance en date du 23 mars 2006 aurait pu être l’occa-sion pour en poser les fondements. Le projet Grimaldi s’était engagétimidement dans cette voie en énonçant des définitions. Le texte défi-nitif est malheureusement beaucoup moins ambitieux.

La première difficulté d’identifier le droit commun tient à ce quele droit des garanties est un droit carrefour qui entretient de nom-breux liens avec les principales branches du droit. Ceux l’unissantau droit des procédures collectives ont déjà été soulignés.

Le droit des garanties est étroitement lié au droit de l’exécutionforcée. Les voies d’exécution constituent en effet le prolongementprocédural du droit des garanties. L’importante réforme des procédu-res d’exécution intervenue le 9 juillet 1991 a révélé la communautéunissant ces deux corps de règles42. Dans les deux cas, des institu-tions ont pour but de satisfaire le créancier. Les mesures conservatoi-res ont même une nature mixte.

Le droit des garanties trouve ses racines dans le droit des contratset le droit des biens. Beaucoup de principes issus du droit patrimo-nial, du droit bancaire ou du droit des sociétés ont également voca-tion à s’appliquer.

Enfin le droit international privé permet de déterminer la loi appli-cable aux garanties. Le droit des sûretés se trouve ainsi confronté àd’autres corps de règles. C’est son intérêt. C’est également la causede sa relative complexité.

Introduction 29

40. Cass. com., 18 mars 1997, Bull. Joly 1997, 567, obs. P. LE CANNU ; JCP E 1997,II, 970, note V. GRELIÈRE.41. M. BOURASSIN, op. cit., D. 2006, 1386.42. M. BANDRAC, « Procédures civiles d’exécution et droit des sûretés », in La réformedes procédures civiles d’exécution, nº spécial, RTD civ., 1993, p. 49. G. TAORMINA,« Réflexions sur le droit des sûretés à l’épreuve du droit de l’exécution forcée », RRJ2003-3, p. 1867.

La multiplication des régimes spéciaux est également un obstacleà l’énoncé de principes communs43. Le nombre de garanties ne cessede croître et le législateur semble aujourd’hui être un adepte du« sur-mesure ». Un facteur de confusion supplémentaire tient au faitque les dispositions applicables au droit des sûretés sont éparpilléesdans plusieurs codes : Code civil, Code de la consommation, Codedes marchés financiers, Code de commerce, Code de l’habitation.

Malgré ces obstacles, il apparaît possible de dégager quelquesprincipes inspirant l’ensemble de la matière.

25. Soumission au droit des procédures collectives. – La sou-mission du droit des sûretés au droit des procédures collectives estclairement affirmée par l’ordonnance. Le nouvel article 2287 duCode civil énonce ainsi que « les dispositions du présent livre nefont pas obstacle à l’application des règles prévues en cas d’ouvertured’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou deliquidation judiciaire ou encore en cas d’ouverture d’une procédurede traitement des situations de surendettement des particuliers ». Leprincipe inverse avait pourtant à juste titre été souhaité par les rédac-teurs du projet. Il était au moins permis d’espérer une certaine neu-tralité de ce droit. Or, force est de constater que le droit des procédu-res collectives commande aujourd’hui les choix essentiels descréanciers44. Les garanties personnelles perdent de leur efficacitélorsque s’ouvrent des mesures de prévention des difficultés. Les sûre-tés comportant un droit de rétention et la propriété-garantie sontavantagées lorsque s’ouvre une procédure collective même si l’or-donnance en date du 18 décembre 2008 introduit une certaine neutra-lité du droit des procédures collectives en limitant leur portée lorsquela survie de l’entreprise est en jeu.

26. Part respective de la loi et de la liberté contractuelle. –Avant la réforme, le droit des garanties laissait assez peu de place àla liberté contractuelle. Le droit des sûretés réelles était assez rigide.L’ordonnance renforce le rôle attribué aux parties qui ont la possibi-lité d’introduire des clauses nouvelles. Des prohibitions traditionnel-les telles celles du pacte commissoire disparaissent. Assez

30 Sûretés et garanties du crédit

43. Les régimes spéciaux applicables à une même garantie tendent eux aussi à se multi-plier. Il n’existe plus un droit du gage ou du cautionnement, M. DAGOT, « Sûretés mono-valentes et sûretés polyvalentes », JCP N, 1999, p. 381. Le même constat peut être faitpour le cautionnement en raison de la loi du 1er août 2003.44. F. MACORIG-VANIER, « Les apports de la réforme du 18 décembre 2008 enmatière de sûretés », Dr et patr. janvier 2010, p. 26. ; P. CROCQ, « L’ordonnance du18 décembre 2008 et le droit des sûretés », Rev. proc. coll., 2009, p. 75.

paradoxalement, la liberté des parties devient moins importante enmatière de sûretés personnelles45. Le souci de protection des garantstend à l’emporter. De même, la codification de la lettre d’intention etde la garantie autonome pourrait freiner le développement de cesgaranties. Compte tenu de cette évolution, l’ordre public doits’adapter46.

27. Vers l’avènement d’un droit de professionnels. – Comme ledroit des contrats en général, le droit des garanties est sensible à ladistinction entre les professionnels et les profanes47. Progressivement,un droit des garanties propres aux professionnels semble prendre sonautonomie. Plusieurs exemples sont significatifs. Tout d’abord, lescautions averties, c’est-à-dire principalement les cautions dirigeantes,ne bénéficient pas de l’intégralité de la protection aujourd’hui réser-vée aux cautions profanes. L’évolution n’est cependant pas linéaire.La loi du 1er août 2003, très protectrice, s’applique ainsi à tous lesdirigeants-cautions. Ensuite, les cessions de créances à titre de garan-tie ne peuvent être consenties que par des professionnels. Enfin, uneprocédure de constitution des garanties particulières a été instauréelorsqu’un établissement de crédit demande des sûretés à un entrepre-neur individuel.

Mais c’est peut-être le droit des marchés financiers qui illustre lemieux l’avènement d’un droit corporatiste. Les garanties constituéessont les plus absolues qui puissent se concevoir et, pour en renforcerencore l’efficacité, le législateur n’hésite pas à affirmer que le droitdes procédures collectives ne leur est pas applicable ! (v. infra,nos 421 et s.).

Inversement, le droit des garanties et tout particulièrement le droitdu cautionnement est fortement influencé par le droit de la consom-mation48. La caution bénéficie ainsi des mécanismes de protectiondes consommateurs49. Il y a ainsi consummérisation et socialisationdu droit des sûretés50.

Introduction 31

45. Ph. DUPICHOT, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, Éd Pan-théon –Assas 2005, Préf. M. GRIMALDI.46. N. BORGA, L’ordre public et les sûretés conventionnelles, Dalloz, 2009, préf.S. PORCHY-SIMON.47. Ph. THÉRY, « La différenciation du particulier et du professionnel : un aspect del’évolution du droit des sûretés », Dr. et patr., avril 2001, p. 53.48. La loi du 1er août 2003 est particulièrement significative de cette évolution.49. Ch. ALBIGES, « L’influence du droit de la consommation sur l’engagement de lacaution », Mélanges en l’honneur de J. Calais-Auloy, Dalloz, 2003, p. 1.50. N. MOLFESSIS, « Le principe de proportionnalité », Banque et droit, mai-juin 2000,p. 4.

28. La prise en compte de l’évolution technologique. – Le droitdes sûretés est nécessairement marqué par le passage de l’époque dupapier à celle de l’électronique. Les adaptations concernant l’en-semble des contrats profitent ainsi aux sûretés telles les règles relati-ves à la preuve électronique. De même, l’acte authentique peutaujourd’hui avoir une forme électronique. Le système hypothécaires’adapte aussi aux nouvelles technologies avec la possibilité d’in-scrire en ligne les hypothèques. Cependant, le droit des sûretés résisteaux avancées de la technologie. Il existe une crainte de voir la protec-tion des garants diminuée si les sûretés peuvent être conclues sansprésence physique. Pour cette raison, l’article 1108-2 du Code civilfait exception au principe posé par l’article précédent facilitant l’écritélectronique. Ainsi, les actes sous seing privé relatifs à des sûretéspersonnelles ou réelles de nature civile ou commerciale ne peuventpas être passés par voie électronique, sauf s’ils sont passés par unepersonne pour les besoins de sa profession.

29. Exigence de bonne foi. – Comme l’ensemble du droit descontrats, les sûretés sont soumises à l’exigence de bonne foi. Lecréancier, quand il fait souscrire la garantie ou lorsqu’il la met enœuvre, doit tenir compte des intérêts du garant.

Un créancier manque ainsi à son devoir de bonne foi s’il se faitconsentir des garanties excessives par rapport au patrimoine de sondébiteur et au montant de sa créance.

Lorsque le législateur français limite la liberté du créancier de sefaire consentir un cautionnement solidaire51 ou d’obtenir d’une cau-tion d’un crédit à la consommation un engagement qui excède sesressources, il semble se conformer à un tel principe. Il en va demême lorsque le juge contrôle la sûreté inutile c’est-à-dire « cellequi outrepasse la mesure nécessaire au paiement de la créance »52.

Du principe de bonne foi, il est aussi permis de déduire la règleselon laquelle le créancier bénéficiaire d’un cautionnement doit s’ef-forcer de minimiser le préjudice subi par la caution. Il doit ainsi met-tre en œuvre les facultés que lui confère sa sûreté réelle sous peine dese voir opposer le bénéfice de subrogation.

30. Défiance à l’égard des garanties. – En principe, un créanciera toute liberté pour se faire consentir les garanties qu’il souhaite obte-nir du débiteur et pour les mettre en œuvre en cas de défaillance de ce

32 Sûretés et garanties du crédit

51. Cass. com., 19 juin 1997, JCP E 1997, 1007, note D. LEGEAIS ; JCP E 1998, 173,obs. Ph. SIMLER.52. J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, op. cit., nº 199 ; S. PIEDELIÈVRE, « Lecautionnement excessif », Defrénois, 1998, art. 36836, p. 849 et s.

dernier53. De même un créancier ne peut se voir imposer la substitu-tion d’une garantie à celle dont il dispose54. Une évolution semblepourtant se dessiner, le législateur et le juge sanctionnant les abusaussi bien dans la phase de constitution des garanties que dans cellede leur mise en œuvre55. L’article L. 350-1 du Code de commercesanctionne ainsi la prise de garanties disproportionnées lorsqu’uncréancier consent des crédits à une entreprise en difficultés.

La théorie de l’abus du droit aurait ainsi en droit des garanties unrôle équivalent à celui qui lui est aujourd’hui reconnu en droit descontrats et dans le droit de l’exécution forcée. Le juge intervient dèslors qu’il apparaît que le créancier a profité de manière excessive desa qualité56.

Le législateur lui-même semble vouloir limiter la prise de garan-ties. Le cautionnement est par exemple interdit dès lors que le bail-leur dispose d’une assurance le garantissant des risques de non rem-boursement du loyer. La prise de garanties ne doit pas non pluss’avérer une technique permettant de contourner la volonté du légis-lateur d’offrir aux professionnels la possibilité de limiter leur risque.Pour cette raison, en toute logique, le législateur devrait interdire laprise de garanties par l’établissement de crédit finançant l’EIRL. Enl’absence de texte prohibant l’interdiction, il semble cependant diffi-cile d’adopter cette analyse. Un conjoint aurait ainsi le droit de seporter caution. Un créancier pourrait aussi se faire consentir unesûreté sur un bien d’un patrimoine autre de celui qui lui est affecté.Implicitement, le ministère adopte cette solution puisque dans uneréponse ministérielle, il est précisé que les chefs d’entreprise ont lapossibilité de saisir le médiateur du crédit pour le cas où les garanties

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53. Cass. com., 2 juin 2004, RD bancaire et fin., juillet-août 2004, obs. D. L. : sauffraude ou abus, le créancier qui bénéficie de plusieurs sûretés ne commet pas de fauteen choisissant le moyen d’obtenir le paiement de sa créance.54. Cass. 1re civ., 5 juillet 2006, Banque et droit novembre-décembre 2006, p. 51, obs.N. R.55. N. BORGA, op cit., p. 539 ; J. MESTRE, « Réflexions sur l’abus du droit de recou-vrer sa créance », Mélanges Raynaud, 439 et s. ; Ch. MOULY, « L’abus de la caution »,RJC 1982 ; v. également les observations de Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE relatives àla loi du 10 février 1994 limitant la liberté des établissements de crédit de se faire consen-tir des sûretés par un entrepreneur individuel, JCP E 1994, I, 365, nº 13. – V. aussi,Cass. com., 5 décembre 1995, RJDA 4/96, nº 456, constatant un abus du créancier dansla poursuite d’une caution.56. C. THIBIERGE-GUELFUCCI, « Libres propos sur la transformation du droit descontrats », RTD civ. 1997, 357 et s. ; « L’abus de droit dans les contrats », Cah. dr. entr.1998/6 ; D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : La nouvelle devise contractuelle,L’avenir du droit, p. 603 ; contra Cass. com., 19 novembre 2002, Defrénois 2003,p. 1616, obs. Ph. THÉRY.

sur les actifs affectés à l’activité seraient mal appréciées par les orga-nismes de prêt et conduiraient à des demandes de garanties excessi-ves au regard des prêts sollicités.57

Cependant, si les sûretés se trouvaient prohibées, il conviendraitd’envisager par les techniques différentes la prise en charge du risqueentrepreneurial. Des pistes ont été évoquées tel le cautionnementmutuel ou la prise en charge du risque par la société via des organis-mes tels OSEO ou la SIAGI, filiale de l’assemblée permanente deschambres de métiers et de l’artisanat58.

31. Le principe de transparence. – Le principe de transparencesemble aujourd’hui éclairer l’ensemble des relations d’affaires. Ledroit des garanties est directement concerné par cette évolution. Lestiers ont tout intérêt à connaître l’ensemble des garanties consentiespar une personne. Cela leur permet de mieux apprécier sa solvabilité.La transparence des garanties qui se traduit par leur publicité permetégalement de prévenir des conflits entre titulaires de sûretés réelles.

C’est au nom du principe de transparence que des sûretés réellesnouvelles sont soumises à publicité et que des propositions sont faitespour encourager cette évolution de notre droit59.

Il existe cependant des réticences de la part de ceux qui pensentque le secret des affaires doit demeurer. Le législateur lui-même n’estpas toujours très cohérent. Un privilège occulte a ainsi été reconnu ausyndicat de copropriétaires. La propriété garantie demeure le plussouvent occulte.

32. Plan de l’ouvrage. – La distinction des garanties personnel-les et des garanties réelles s’impose logiquement. Elle est consacréepar l’ordonnance en date du 23 mars 2006.

Le droit des garanties personnelles se rattache essentiellement audroit des contrats. Une personne s’engage à l’égard du créancier.Deux questions sont alors essentielles : d’une part, dans quellemesure faut-il protéger ce garant ? D’autre part, en se prévalant du

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57. Rép. Min. nº 81 762 : JOAN Q, 19 octobre 2010, p. 11390, JCP E 2010, 1960.58. OSEO et la SIAGI ont aini pris l’engagement de ne prendre que des garanties sur lesactifs affectés à l’activité.59. Ch. MOULY, « La transparence des sûretés réelles », in Les garanties et le créditaux entreprises, CNC, septembre 1993 ; J. BEAUCHARD, La publicité des garanties,Diagnostic et prospective, GP 1993 ; C. JACQUET, Rapport sur le cautionnement, Tra-vaux du Congrès des notaires, nº 41. A.-M. MORGAN DE RIVERY, « La publicité dugage », RJC 1994, nº spécial, p. 85 ; D. LEGEAIS, Les garanties conventionnelles surcréances, Economica, 1986, préf. Ph. RÉMY, sp. nº 603 ; E. GARAUD, « La transparenceen matière commerciale », Thèse Limoges, 1995.

principe de l’autonomie de la volonté, les créanciers peuvent-ils sanslimites créer des garanties nouvelles ?

Le droit des garanties réelles fait naître des difficultés d’une autrenature. Ce droit se rattache essentiellement au droit des biens. Orcelui-ci est traditionnellement plus rigide que celui des contrats. Lesdroits réels sont en principe soumis à la règle du numerus clausus.Leur régime a un caractère impératif car c’est la sécurité du com-merce juridique qui est en jeu. Le droit des garanties réelles est éga-lement beaucoup plus dépendant du droit des procédures collectivesque celui des garanties personnelles. Le droit des garanties réelles adès lors essentiellement pour but d’organiser le classement des créan-ciers exerçant leur droit de préférence, de prévenir des conflits. Il n’yparvient qu’imparfaitement, tant les règles du jeu sont aujourd’huicomplexes.

L’étude des garanties personnelles précédera donc celle desgaranties réelles.

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