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synthese du seminaire n°5

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Synthèse du séminaire n°5

(première et deuxième années):

Autour des Fleurs du mal :

Dialogues poétiques et postérités

************

La poésie baudelairienne est perpétuellement en relation avec d’autres œuvres

poétiques de son temps. Ces relations peuvent être de différents types : parfois de l’ordre

d’une fraternité mystique - c’est le cas avec Poe et à un certain degré Nerval et De Quincey - ,

elle est alors imprégnée d’un réseau de correspondances littéraires, parfois de l’ordre de

l’hommage « digéré » (Gautier, Banville), parfois enfin de l’ordre de la confrontation - c’est

particulièrement le cas avec Victor Hugo, parfois même de manière fort indirecte, dans des

poèmes qui peuvent lui-être dédiés (Le Cygne). Mais Hugo répond également à Baudelaire

(Cerigo répond au Voyage à Cythère), ce qui permet de parler véritablement de dialogues

poétiques, en l’occurrence.

I) Dialogues poétiques

A) Les frères d’incompréhension

La présentation de Delacroix pour la peinture ou Edgar Poe pour la littérature dans les

textes de Baudelaire tient certainement à plus d’un égard d’une représentation ou ces

derniers. Le poète se mire en eux et parfois va trop loin dans sa lecture d’une fraternité

mystique, mais la sensibilité commune est néanmoins irrécusable.

Baudelaire choisit une lecture de l’ivrognerie de Poe qui va dans le sens de cette

fraternité, puisqu’il lui donne le même rôle que celui des Paradis Artificiels pour le poète :

Il existe dans l'ivresse non seulement des enchaînements de rêves, mais des séries de raisonnements qui

ont besoin, pour se reproduire, du milieu qui leur a donné naissance (...). Je crois que, dans beaucoup de cas, (...)

l'ivrognerie de Poe était un moyen mnémonique, une méthode de travail, méthode énergique et mortelle, mais

appropriée à sa nature passionnée. Le poète a appris à boire, comme un littérateur soigneux s'exerce à faire des

cahiers de notes. (Baudelaire, Edgar Poe, sa vie, ses œuvres,1856)

Pour aller plus loin, une intéressante étude de Claire Hennequet, ainsi que des lettres

de Baudelaire nous aiderons dans un premier temps à comprendre ce sentiment de

communauté poétique. Il est basé sur l’idée d’une communauté d’esprit, mais aussi de rapport

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à l’existence et qui trouve son expression la plus complète dans la pensée de phrases

communes - soit des structures syntaxiques entières, propres à démontrer cette semblance :

La première lecture des nouvelles de Poe a provoqué en Baudelaire un choc extraordinaire. Charles

Asselineau, ami intime du poète, rapporte dans Charles Baudelaire : sa vie, son œuvre combien celui-ci fut

marqué par cette découverte, qu’il date de la parution du Chat noir, traduit par Isabelle Meunier, dans La

Démocratie pacifique le 27 janvier 1848 :

« Dès les premières lectures il s’enflamma d’admiration pour ce géni inconnu qui affinait au sien par

tant de rapports. J’ai vu peu de possessions aussi complètes, aussi rapides, aussi absolues. A tout venant, où qu’il

se trouvât, dans la rue, au café, dans une imprimerie, le matin, le soir, il allait demandant : - Connaissez-vous

Edgar Poe ? Et, selon la réponse, il épanchait son enthousiasme, ou pressait de questions son auditeur. ».

Cet enthousiasme est d’ordre esthétique et personnel. Baudelaire a découvert chez Poe un genre de

beauté bizarre qui lui plait énormément : en mars 1854 il écrivit à sa mère, à qui il envoyait un volume de poésie

de Poe (non traduites) : « [dans] le petit livre que tu trouveras ci-inclus (…) tu ne trouveras que du beau et

de l’étrange.» . Or le beau mêlé d’étrange est celui-là même que Baudelaire se donne pour horizon esthétique : «

Ce qui n’est pas légèrement difforme a l’air insensible ; - d’où il suit que l’irrégularité, c’est-à-dire l’inattendu, la

surprise, l’étonnement sont une partie essentielle et la caractéristique de la beauté. », peut-on lire dans un de ses

journaux intimes, définition qu’il reprendra dans les « Notes nouvelles sur Edgar Poe » : « l’étrangeté, qui est

comme le condiment indispensable de toute beauté. ». Baudelaire a ressenti entre l’œuvre de Poe et sa propre

poésie - écrite ou en gestation- une affinité profonde : « La première fois que j’ai ouvert un livre de lui, j’ai

vu, avec épouvante et ravissement, non seulement des sujets rêvés par moi, mais des PHRASES pensées

par moi, et écrites par lui vingt ans auparavant.» . Baudelaire lui-même insista fréquemment sur ce

phénomène de fraternité artistique, en mettant en avant ce qu’il appelle leur ressemblance, par exemple dans son

« Avis du traducteur » de 1864 : « pourquoi n’avouerais-je pas que ce qui a soutenu ma volonté, c’était le plaisir

de leur présenter [aux Français] un homme qui me ressemblait un peu, par quelques points, c’est-à-dire une

partie de moi-même ?».

L’enthousiasme que Baudelaire éprouvait pour l’œuvre de Poe s’est accompagné d’un mouvement de

sympathie pour l’auteur. Baudelaire manifesta en effet une profonde empathie pour le personnage de Poe tel

qu’il le découvrit dans les notices nécrologiques parvenues jusqu’à lui, et notamment dans la notice signée «

Ludwig », dont l’auteur est en réalité Rufus W. Griswold, l’exécuteur testamentaire d’Edgar Poe. Poe est décrit

dans cette notice comme un homme malheureux, alcoolique et solitaire, et Baudelaire semble avoir été très

touché par cette vie difficile qu’il racontera à son tour dans son premier article sur Poe : « Edgar Allan Poe, sa

vie et ses ouvrages », paru en 1852. Cette empathie provient sans doute du sentiment de ressemblance, de

fraternité qu’éprouvait Baudelaire envers Poe : les difficultés matérielles et morales de l’auteur d’une œuvre dont

il se sentait très proche lui renvoyaient l’image de ses propres difficultés quotidiennes. « Comprends-tu

maintenant, pourquoi, au milieu de l’affreuse solitude qui m’environne, j’ai si bien compris le génie

d’Edgar Poe, et pourquoi j’ai si bien écrit son abominable vie ?», écrivit-il à sa mère en 1853. »

(Claire Hennequet, Baudelaire traducteur de Poe)

Analysons maintenant un extrait du texte de Poe, Sur le Principe poétique qui montre

que ce n’est pas simplement un goût commun qui lie les deux auteurs, mais aussi une

conception de la poésie. On pourra également remarquer quelques différences notables,

malgré tout :

« Pour récapituler, je définirais donc en peu de mots la poésie du langage: une Création rythmique de la

Beauté. Son seul arbitre est le Gout. Le Gout n’a avec l’Intellect ou la Conscience que des relations collatérales.

Il ne peut qu’accidentellement avoir quelque chose de commun soit avec le Devoir soit avec la Vérité.

Quelques mots d’explication, cependant. Ce plaisir, qui est a la fois le plus pur, le plus élevé et le

plus intense des plaisirs, vient, je le soutiens, de la contemplation du Beau. Ce n’est que dans la

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contemplation de la Beauté qu’il nous est possible d’atteindre cette élévation enivrante, cette émotion de l’âme,

que nous reconnaissons comme le sentiment poétique, et qui se distingue si facilement de la Vérité, qui est la

satisfaction de la Raison, et de la Passion, qui est l’émotion du cœur. C’est donc la Beauté — en comprenant

dans ce mot le sublime — qui est l’objet du poème, en vertu de cette simple règle de l’Art, que les effets doivent

jaillir aussi directement que possible de leurs causes: — personne du moins n’a osé nier que l’élévation

particulière dont nous parlons soit un but plus facilement atteint dans un poème. Il ne s’ensuit nullement,

toutefois, que les excitations de la Passion, ou les préceptes du Devoir ou même les leçons de la Vérité ne

puissent trouver place dans un poème et avec avantage; tout cela peut, accidentellement, servir de différentes

façons le dessein général de l’ouvrage; — mais le véritable artiste trouvera toujours le moyen de les

subordonner à cette Beauté qui est l’atmosphère et l’essence réelle du Poème. »

On remarquera deux choses ici : une même place central accordé au concept du Beau

comme objet central de la Poésie mais pas la même insistance théorique que Baudelaire sur

l’association entre le Beau et la bizarrerie. Si cette association ne fait pas de doute dans les

nouvelles et poèmes de Poe, il ne sent pas nécessaire de l’exprimer dans cette réflexion. Peut-

être est-ce du au fait que le bizarre est un corolaire moderne de la Poésie et que ceci n’est pas

valable en tout temps dans la conception de l’Histoire comme chute (Baudelaire partagerait

sans doute cette idée).

Plus d’un poème de Poe montre un attachement à une musicalité rythmique très libre

qui davantage d’influence sur Verlaine et Mallarmé que Baudelaire : un poème comme Les

Cloches, possède une musique très distincte du ton baudelairien - même si l‘Horloge peut

rappeler ce poème. On retrouvera par contre davantage de son balancement sublime et maudit

dans un vers de l’Azur (Mallarmé).

En ce point en effet, la « création rythmique de la beauté » est peut-être un trait de sa

poésie qui n’influença pas autant Baudelaire, que l’imagerie dont elle était porteuse. Par

contre la construction de fin de poème en chutes (cf. Le Corbeau, chez Poe), se retrouve,

comme on l’a déjà dit, tout à fait chez Baudelaire.

[>> Pour l’étude de Nerval, Fantaisie, voir annexe.]

II Postérités

A) Le « spleen » après Baudelaire

La postérité immédiate, celle qui commença dès la fin de la vie de Baudelaire est

décelable chez beaucoup de jeunes poètes des années 1860. Sainte-Beuve lui écrira qu’il est

un oracle pour la jeune génération poétiques et le poète lui-même parle d’une « école

Baudelaire » dans une lettre à sa mère datée de mars 1866.

D’entre ces disciples, il y avait Verlaine. Lorsque celui-ci publie Poèmes saturniens

en 1866, le titre de son recueil est une allusion visible au poème de Baudelaire, Epigraphe

pour un livre condamné. Dans ce premier recueil, l’influence baudelairienne est

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particulièrement perceptible.

Or ceux-là qui sont nés sous le signe SATURNE,

Fauve Planète, chère aux nécromanciens,

Ont entre tous , d’après les grimoires anciens,

Bonne part de malheur et bonne part de bile.

(Poème dédicace)

- Aujourd’hui, l’Action et le Rêve ont brisé

Le pacte primitif par les siècle usé,

Et plusieurs ont trouvé funeste ce divorce

De l’harmonie immense et bleue de la Force

(Prologue)

La référence baudelairienne du titre du recueil et du poème dédicace est explicitée

dans le poème Prologue : le paradoxe de continuer à représenter le réel et d’aimer la beauté

(le pacte primitif, l’harmonie immense) forme la base de l’inadéquation moderne de

« plusieurs » au premier rang desquels, il ne fait pas de doute que Verlaine place Baudelaire.

La synesthésie, sans doute héritée de Baudelaire, est notable dans le vers « De l’harmonie

immense et bleue de la Force ».

C’est dans la section « Aquarelles » du recueil Romances sans paroles que paraît le

poème de Verlaine baptisé Spleen. Malgré une nette distance avec le style baudelairien - aussi

bien dans ce poème -, encore si visible dans les Poèmes saturniens, ces vers de 1874, ne

serait-ce que par leur titre témoigne que Baudelaire reste une figure tutélaire et les Fleurs du

mal, une pierre d’angle de la poésie nouvelle d’alors, un ouvrage de référence.

Les roses étaient toutes rouges,

Et les lierres étaient tout noirs.

Chère, pour peu que tu te bouges,

Renaissent tous mes désespoirs.

Le ciel était trop bleu, trop tendre

La mer trop verte et l'air trop doux.

Je crains toujours,- ce qu'est d'attendre!

Quelque fuite atroce de vous.

Du houx à la feuille vernie

Et du luisant buis je suis las,

Et de la campagne infinie

Et de tout, fors de vous, hélas!

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Ici l’influence stylistique de Baudelaire est beaucoup moins sensible que dans les

Poèmes Saturniens. Seul le titre du poème est une référence directe à Baudelaire, et avec lui

le type de mélancolie sous-jacent.

Rythmiquement, le choix de l’octosyllabe associé par distiques s’éloigne de la sombre

majesté rhétorique des alexandrins baudelairiens - ce qu’accentue encore le lexique très

simple, entièrement mis au service d’une musicalité à la fois légère et triste, qui de ce fait,

même distingue le spleen verlainien de ce poème de son inspirateur.

La naissance du spleen n’est cette fois-ci absolument pas liée à l’automne parisien : on

retrouve, comme chez Mallarmé la capacité du spleen à naitre dans le ciel « trop bleu ».

Comme on le verra plus loin, c’est bien autre chose que la tristesse amoureuse de ce poème

que Mallarmé met dans la violence paradoxale de ce bleu du ciel, mais le renversement de

l’image spleenétique baudelairienne est cependant comparable.

D’autres poètes se réfèrent avec plus ou moins de réussite à Baudelaire. Parmi les

réussite, on notera le poème de Laforgue, publié de manière posthume dans Poèmes Inédits

(1890). L’autodénigrement tragi-comique, déjà présent dans les Fleurs du mal prend une

toute autre dimension dans la poésie de Laforgue.

Turquet-Milnes et Gladys Rosaleen dans leur ouvrage The influence of Baudelaire in

France and England (1913) rappelle combien Laforgue était partagé entre une sincère

admiration pour Baudelaire et une distance certaine vis-à-vis de « l’école Baudelaire » dont il

écrit cette critique : « Tous ses élèves ont glisse dans le paroxysme, dans l’horrible plat

comme des carabins d'estaminets ». Il y a dans cet adverbe « tous » une véritable volonté de

prise de distance - en un sens cela signifie que Laforgue ne se place pas dans ces élèves de

Baudelaire. Pourtant son admiration pour Baudelaire (ses notes de 1885 à propos de ce

dernier en témoignent) et l’influence de ce dernier sur son œuvre ne font pas de doute.

Enfin, examinons le poème de Laforgue baptisé Spleen pour comprendre où se situe la

filiation et où commence l’originalité, la différence intrinsèque.

Tout m'ennuie aujourd'hui. J'écarte mon rideau,

En haut ciel gris rayé d'une éternelle pluie,

En bas la rue où dans une brume de suie

Des ombres vont, glissant parmi les flaques d'eau.

Je regarde sans voir fouillant mon vieux cerveau,

Et machinalement sur la vitre ternie

Je fais du bout du doigt de la calligraphie.

Bah ! sortons, je verrai peut-être du nouveau.

Pas de livres parus. Passants bêtes. Personne.

Des fiacres, de la boue, et l'averse toujours...

Puis le soir et le bec de gaz et je rentre à pas lourds...

Je mange, et baille, et lis, rien ne me passionne...

Bah ! Couchons-nous. - Minuit. Une heure. Ah ! chacun dort !

Seul, je ne puis dormir et je m'ennuie encor.

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La « mélodie » de Laforgue est volontairement, de part son choix lexical une petite

musique, moins grandiloquente que celle de Baudelaire et cependant dans la même filiation.

Les mêmes images du bec de gaz, de la boue, de la brume et de la pluie parisienne sont ici

réinterprétée sur un ton tout à fait distinct. La lassitude vis-à-vis de la littérature elle-même,

exprimée ponctuellement chez le poète des Fleurs du mal devient un topos de la génération

décadente et symboliste, sensible ici au premier vers de chacun des tercets comme dans le

premier vers du célèbre Brise Marine de Mallarmé (« La chair est triste hélas! Et j’ai lu tous

les livres »).

Le vocabulaire de ce poème et plus généralement de la poésie de Laforgue est typique

d’un mélange d’une langue triviale (mais moins subtile et moins poussée que l’argot chez

Tristan Corbière), qui possède la caractéristique particulière d’être mêlé à une recherche de

musicalité, notamment dans un traitement rythmique de la syntaxe très nouveau. Ceci à la fois

provient et se distingue de l’influence baudelairienne, - Laforgue pousse un trait stylistique

qui émerge chez Baudelaire, à l’extrême.

Dans Les Fleurs du mal, Laforgue trouvera des vers qui seront les ferments de son

style : « La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison! » (Le Balcon) ou « Ta gorge triomphante

ainsi qu’une belle armoire » (Le Beau Navire)

B) Cheminement de voyance

L’influence de Baudelaire sur Rimbaud ne fait pas de doute, étant revendiqué par le

poète lui-même, notamment dans la célèbre lettre du voyant. Mais le degré d’influence,

cependant, est discuté. Et la formulation même des mots de Rimbaud sur Baudelaire tend à

cette discussion. Nous citons ce passage :

« Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. Encore a-t-il vécu dans un milieu trop

artiste ; et la forme si vantée en lui est mesquine. Les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles. »

La critique de la forme vient temporiser la hauteur presque idolâtre de l’hommage.

Mais rien d’incroyable à cela, Rimbaud n’étant pas le seul à prendre des distance avec la

forme, encore très classique de Baudelaire. Cette critique ne vient qu’en second lieu, et il

demeure évident que ce jugement sur la poésie baudelairienne est d’un ordre tout à fait

différent des éloges qui le précède immédiatement. C’est d’ailleurs tout à fait explicite

puisque « inspecter l'invisible et entendre l'inouï étant autre chose que reprendre l'esprit des

choses mortes » désigne une critique évidente des parnassiens. Une poésie d’ekphrasis

comme celle d’Emaux et Camées ne peut, de fait, inspecter l’invisible et l’inouï, mais

seulement le visible artistique. Rimbaud voit donc, dans la poésie de Baudelaire, malgré la

critique d’une forme « mesquine » (c’est-à-dire trop classique, particulièrement dans l’usage

de l’héritage rhétorique), les ferments de ses propres recherches poétiques qui le mèneront à

Illuminations et Une Saison en Enfer.

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Une tendance critique (Marcel Ruff et d’autres) tend à minimiser cette influence,

tandis qu’une autre (Mario Matucci)1. Yves Bonnefoy tient sur ce point une lecture

intermédiaire mais où l’influence reste très clairement identifiée. Ecoutons d’abord le texte :

O mon Bien ! O mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point ! Chevalet féerique ! Hourra pour l'œuvre

inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira

par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendus à

l'ancienne inharmonie. O maintenant, nous si digne de ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse

surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés: cette promesse, cette démence ! L'élégance, la science, la

violence ! On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés

tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit, -

ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, - cela finit par une débandade de parfums.

Rire des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d'ici, sacrés

soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des

anges de flamme et de glace.

Petite veille d'ivresse, sainte ! quand ce ne serait que pour le masque dont tu as gratifié. Nous t'affirmons,

méthode ! Nous n'oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous

savons donner notre vie tout entière tous les jours.

Voici le temps des Assassins.

En suivant A. Guyaux, on n’évoquera pas, ici, l’influence directe des Fleurs du mal

mais celle d’un autre texte, Les Paradis Artificiels, qu’on est en droit de considérer (avec

Pichois) par plus d’un aspect comme un poème en prose à part entière et dont le rapport à ce

texte à déjà été observé. La phrase qui clôt le poème est une allusion évidente (par

l’étymologie du mot « assassin ») au Club des Haschischins, à Gautier et Baudelaire.

Le sentiment d’une « ancienne inharmonie » pour désigner le monde extérieur à la

séance de haschich correspond tout à fait à la difficulté de rapport à l’existence dans le monde

moderne telle qu’on la relève dans les Fleurs ou Les Paradis Artificiels. Comme chez

1 « Nous nous efforcions alors de préciser une influence qui avait déjà été reconnue, à partir de G. Kahn, surtout

en ce qui concerne les rapports Voyage-Bateau Ivre et les rapports entre Correspondances, dans leurs

composantes swedenborgiennes, et Voyelles ou l'univers analogique de Délires II. Par la suite, l'influence de

Bénédiction et du Reniement de Saint-Pierre, au niveau du rythme et des images, a été mentionné par Yves

Bonnefoy et confirmée par Marcel Ruff qui signale également des réminiscences baudelairiennes dans les

Etrennes des Orphelins. Cependant, quand on parle de rap port entre les deux poètes, le problème n'est pas de

retrouver l'écho de l'un dans la poésie de l'autre, mais de voir de quelle façon l'univers baudelairien peut avoir

marqué l'univers rimbaldien. Dans ce sens, l'enquête ne peut se limiter aux poésies de l'adolescent de Charleville,

elle doit être élargie à la partie la plus authentique de son œuvre qui va, à notre avis, des Derniers Vers aux

Illuminations et à Une Saison en Enfer. C'est justement à ces écrits que nous avions appliqué notre enquête,

sollicitant Baudelaire lorsque l'hermétisme de l'expression semblait total. Le résultat se révéla d'autant plus »

(Mario Matucci, De Baudelaire à Rimbaud : le chemin de la voyance in Cahiers de l'Association internationale

des études francaises, 1984, N°36. pp. 239-251)

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Baudelaire, comme dans le poème Prologue de Verlaine, il y a le sentiment d’une décadence

profonde de la société, une nostalgie du « pacte primitif » qui fait que cette « ancienne

inharmonie » ne désigne rien d’autre que le réel moderne, hors de l’ivresse. L’obscurité de

Rimbaud, perceptible dans ce poème et dans l’ensemble d’une Saison en Enfer n’est pas du

même type que l’hermétisme mallarméen : elle provient principalement d’un réseau

allégorique propre à l’univers poétique de l’auteur, que le lecteur doit apprendre à dégager.

Le rapport au christianisme, ambigu chez Baudelaire, devient véritablement

conflictuel chez Rimbaud (« On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du

mal ») et s’exprime, entre autres, par des raccourcis idéologiques (il n’est aucunement

question dans la Bible d’un « arbre du bien et du mal » mais de l’arbre de la connaissance du

bien et du mal - ce qui change absolument tout). La volonté de s’extirper d’une certaine

morale chrétienne devient capitale chez Rimbaud, alors que Baudelaire écrit toujours par

rapport à elle, même dans la révolte. Chez Rimbaud l’âge d’or, le « pacte primitif » dont parle

Verlaine ne se trouve que dans l’Antiquité préchrétienne - ce qui n’est pas le cas de

Baudelaire, pour qui ce n’est pas le christianisme, le responsable de la rupture du « pacte ».

« Baudelaire parle du haschisch comme Laclos des liaisons dangereuses : il fait le tableau d'une volupté

pour la condamner, parce qu'elle se condamne elle-même. Le haschisch promet l'ivresse, mais l'ivresse ne promet

rien sinon la retombée, le réveil, le carrousel infernal du recommencement. Ainsi le début de son dernier

paragraphe ("Morale"), traduit l'amer sentiment du "lendemain" :

« Mais le lendemain ! tous les organes relâchés, fatigués, les nerfs détendus, les titillantes envies de

pleurer, l'impossibilité de s'appliquer à un travail suivi, vous enseignent cruellement que vous avez joué un jeu

défendu. La hideuse nature, dépouillée de son illumination de la veille, ressemble aux mélancoliques débris

d'une fête (Le Poème du haschisch). »

« Le lendemain consacre l'erreur. C'est là que réside "le caractère immoral du haschisch » (ibid.).

Rimbaud ne parle pas d'un "lendemain", mais d'une "matinée", à laquelle il joint par complément du

nom, la même ivresse. Pour lui, c'est encore la fête. Le cadre temporel est bien le même pour les deux auteurs :

un jour et le suivant, un soir et le lendemain matin. Mais le temps n'a pas la même continuité. Baudelaire brise

les deux journées, les détache, met entre elles une terrible césure où se rétablit la conscience du réel et que l'on

retrouve par exemple dans La Chambre double, alors que Matinée d'ivresse entretient la confusion des temps

perméables à l'ivresse. La "petite veille d'ivresse" et la "matinée d'ivresse" se rejoignent par l'ivresse qui les

habite. Et la "promesse" dessine entre la "veille" et la "matinée" une passerelle qui permet à la narration de

s'achever en s'ouvrant sur une perspective : "Voici [...]". » (A. Guyaux, Matinée d'ivresse au miroir des Paradis

artificiels, p.77-78)

Pourtant, l’allusion la plus évidente et celle qui fait, selon nous, le moins de doute à

Baudelaire n’est pas liée aux Paradis Artificiels mais au passage de la notice sur Poe que

nous avons déjà évoqué : « Je crois que, dans beaucoup de cas, (...) l'ivrognerie de Poe était

un moyen mnémonique, une méthode de travail, méthode énergique et mortelle, mais

appropriée à sa nature passionnée ».

La célèbre assertion « Nous t'affirmons, méthode ! » doit sans doute être lu sous cet

angle : la séance de haschich est une méthode comme l’ivrognerie de Poe l’était.

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C) Du Spleen à l’Azur

Des poètes de l’ « école Baudelaire », le plus proche dans l’inspiration de ces premiers

poèmes est Mallarmé. Son poème Le Guignon est un écho volontaire du poème du même

nom tiré des Fleurs du mal.

Le sonnet nommé Angoisse appartient encore à la période de jeunesse de Mallarmé où

l’influence de Baudelaire est très clairement perceptible. Le premier choix du titre (A une

putain) et surtout celui de sa première publication (A celle qui est tranquille) souligne

particulièrement l’influence de Baudelaire. C’est d’ailleurs sans doute pour se démarquer de

cette influence que Mallarmé choisit finalement le titre Angoisse. Cependant le contenu du

poème reste encore éminemment baudelairien. Les subtils jeux rythmiques et audaces dans

l’usage de l’alexandrin qui caractérisent la poésie mallarméenne ne sont pas sensibles ici, et

c’est un vers dont la solennité classique associée au thème en de la prostitution et à une voix

poétique décadente rappelle inévitablement la tonalité de bien des poème des Fleurs du mal.

Ceci est même accentué par la construction de la chute dans les deux derniers (tout comme

dans Le Sonneur ou L’Azur) hérité de Poe, mais certainement par l’intermédiaire de

Baudelaire. Par ailleurs, la présence d’un vers-pivot pour la signification du poème au dernier

vers du second quatrain se retrouve à diverses reprises chez Baudelaire (l’exemple le plus

évident parmi les poèmes qu’on a vu est le vers 8 de Correspondances). Enfin l’allusion au

poème la Beauté dans le vers qui clôt le premier tercet est évidente :

Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête

En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser

Dans tes cheveux impurs une triste tempête

Sous l'incurable ennui que verse mon baiser :

Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes

Planant sous les rideaux inconnus du remords,

Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,

Toi qui sur le néant en sais plus que les morts.

Car le Vice, rongeant ma native noblesse

M'a comme toi marqué de sa stérilité,

Mais tandis que ton sein de pierre est habité

Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse,

Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,

Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.

L’Azur est un poème central de la réappropriation mallarméenne de la thématique du

spleen et de l’Idéal. Il fut écrit en 1864 et lu à Baudelaire par Emmanuel Des Essarts peu de

temps après son achèvement. L’ami de Mallarmé informe ainsi l’évènement : « Baudelaire les

a écoutés [les vers de L’Azur] sans désapprobation, ce qui est un grand signe de faveur. S’il

ne les avait pas aimé, il les aurait interrompus. » Même si on ne peut pas tirer de conclusion

précise sur le jugement de Baudelaire, la phrase de Des Essarts ne semble pas être une simple

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flatterie adressée à Mallarmé2.

Tout comme dans Tristesse d’été, on retrouve dans L’Azur cette mise en valeur de la

solitude poétique non par la grisaille parisienne des Fleurs du mal mais par le douloureux

contraste entre un ciel d’un bleu limpide et l’intériorité poétique solitaire. Malgré le clair

détachement de l’influence directe de Baudelaire dans les grands poèmes de Mallarmé, c’est

ainsi qu’il faut comprendre pour ce notamment la phrase de Valéry : « Ni Verlaine, ni

Mallarmé, ni Rimbaud n’eussent été ce qu’ils furent sans la lecture qu’ils firent des Fleurs du

Mal à l’âge décisif » (Situation de Baudelaire, 1924). En effet, l’azur, ce mot talisman de

l’univers poétique mallarméen qui se retrouve dans de nombreux poèmes (Les Fleurs,

Renouveau, « Las de l’amer repos… », Soupir , Don du poëme, Hérodiade, L’Après-midi

d’un Faune…) n’aurait jamais pu être sans le spleen baudelairien.

En 1893, alors que son œuvre poétique est déjà pour une grande partie derrière lui (il

reste surtout à venir le chef d’œuvre de 1897 les grands vers du Coup de dés), Mallarmé écrit

un sonnet baptisé Le Tombeau de Charles Baudelaire qui fut publié en tête d’un numéro de la

revue La Plume « consacré à Baudelaire en vue de l’érection d‘un monument à sa mémoire ».

Léon Deschamps, directeur de La Plume, demande à Mallarmé d’accepter la

présidence d’honneur du comité. Il s’agit de préparer une souscription pour ériger un

monument à Baudelaire. Rodin avait accepté d’exécuter le travail. Mallarmé suggéra Leconte

de l’Isle pour la présidence d’honneur du Comité, et fut nommé pour sa part, président. De

Mallarmé, Verlaine écrivit : « [qu’il]restera[it] tant qu’il y aura une langue française pour

témoigner de son effort gigantesque » (Les Poètes Maudits)

Avec un texte en marge de La Symphonie littéraire qu’il consacra dans sa jeunesse à

Gautier, Baudelaire et Banville, c’est le seul texte que l’on connait de Mallarmé désignant

clairement l’admiration envers le poète qui l’influença tant.

Le temple enseveli divulgue par la bouche

Sépulcrale d'égout bavant boue et rubis

Abominablement quelque idole Anubis

Tout le museau flambé comme un aboi farouche

Ou que le gaz récent torde la mèche louche

Essuyeuse on le sait des opprobres subis

Il allume hagard un immortel pubis

Dont le vol selon le réverbère découche

Quel feuillage séché dans les cités sans soir

Votif pourra bénir comme elle se rasseoir

Contre le marbre vainement de Baudelaire

2 Baudelaire critique n’a jamais été renommé pour son caractère conciliant : si les critiques d’art cinglantes des

Salons ne suffisaient pas pour s’en persuader, il n’y aurait qu’à se tourner vers son alter ego Samuel Cramer,

protagoniste de La Fanfarlo, et le jugement cassant qu’il porte sur Walter Scott, pourtant juste devant la femme

qu’il cherche à séduire et qui lisait cet auteur.

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Au voile qui la ceint absente avec frissons

Celle son Ombre même un poison tutélaire

Toujours à respirer si nous en périssons.

Ce sonnet, un des plus hermétiques de Mallarmé résiste fort à l’analyse sémantique, à

l’interprétation. Si les tropes et la forme rythmique, évoque un style assez classique, proche

de celui des Fleurs du mal, la syntaxe est bel et bien propre à l’univers mallarméen, ainsi que

la grande modernité du choix typographique de ce poème - l’absence de ponctuation.

Une analyse en détail nous montre effectivement comment, dès le premier quatrain,

les images poétiques et le lexique baudelairien devient un langage, reconnaissable, mais

utilisé différemment au symbolisme plus fermé encore. Réécoutons le premier quatrain :

Le temple enseveli divulgue par la bouche

Sépulcrale d'égout bavant boue et rubis

Abominablement quelque idole Anubis

Tout le museau flambé comme un aboi farouche

Le temple qui ouvre le poème rappelle peut-être celui des correspondances, avec cette

possibilité de lecture : le « temple enseveli » pouvant désigner la Nature, recouverte et cachée

par la vie urbaine (et en effet, la bouche d’égout, est avec le peu de ciel et l’arbre coincé dans

ses grilles tout ce qui reste de la nature dans le béton parisien), celle-ci lance toujours, comme

dans Correspondances, un langage symbolique à décrypter (l’idole Anubis) et adressé à

l’homme. La connotation de du mot « bouche » va dans ce sens, accentué en cela d’un côté

par la syntaxe (beaucoup plus mallarméenne que baudelairienne) qui sépare disloque le

syntagme nominal bouche d’égout par l’insertion de l’adjectif « sépulcrale », de l’autre par

l’enjambement externe des deux éléments du syntagme. La première lecture a donc tendance

à poser le terme bouche dans son sens premier. A ceci associé, le verbe du premier vers,

« divulgue », achève la connotation d’un message, inévitablement caché. La boue et le rubis

sont bel et bien des mots de la mythologie des Fleurs du mal, utilisés pour exprimer des

valeurs antithétiques, particulièrement dans Spleen et Idéal.

Par ailleurs, Charles Mauron a souligné (dans ses commentaires des poésies de

Mallarmé que l’idée du poème, son atmosphère, avait pu être inspiré par ces vers du Vin des

Chiffonniers :

Souvent à la clarté rouge d’un réverbère

Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre,

Au cœur d’un vieux faubourg, labyrinthe fangeux…

On retrouve ici les deux thèmes émergeant du premier quatrain qui s’éclaire

désormais un peu plus : la saleté boueuse (« labyrinthe fangeux » / « bavant boue ») et la

flamme d’un réverbère (évoquée dès le vers 4 mais explicité au vers 8). On notera aussi que

l’évocation de ce « museau flambé » appuie encore, par sa fonction de personnification

animalisante, cette lecture d’une Nature qui reste présente, mais cachée dans la réalité

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urbaine.

Le second quatrain voit l’apparition progressive de l’image de la prostituée, qui

semble appelée par l’évocation du réverbère : le vers 2 peut évoquer, que c’est au pied de la

lumière nocturne du réverbère que nait l’activité de prostitution. L’adjectif « immortel »

associé à l’idée de la prostituée est bel et bien typique d’une esthétique baudelairienne, et se

retrouve à maints endroits des Fleurs du mal. La prostituée, elle, n’est pas nommée en tant

que tel, mais c’est elle évidemment elle qui est « essuyeuse on le sait des opprobres subis ».

Les deux derniers tercets évoquent l’ombre de Baudelaire dans une syntaxe

particulièrement hermétique, commençant à la manière d’une question (v. 9-11) mais

s’achevant de manière fort opaque dans le second tercet, particulièrement dans ce dernier vers

ou le mot si vient comme suspendre la résolution attendu dans la chute d’un sonnet

(particulièrement chez Baudelaire).

Le premier tercet marque un mouvement de déplacement encore une fois progressif :

si « elle » désigne la prostituée, elle n’est alors plus sous la lumière d’un réverbère mais

adossée, soit à la tombe, soit au monument commandé à Rodin en l’honneur du poète.

Le feuillage désignerait selon Evelyne Caduc les lauriers poétiques, ce qui la mène à

traduire le tercet par cette phrase : « Quelle couronne de lauriers artificiels pourrait orner le

tombeau de Baudelaire aussi dignement que l'image de cette femme, adossée non plus au

réverbère, mais au marbre du sépulcre ? »

Le terme « votif » rappelle à une éminente spécialiste de Mallarmé, Mme Noulet,

l’autre texte de Mallarmé sur Baudelaire, Symphonie Littéraire qu’il écrivit à l’âge de 23 ans,

et où il peignait ce que lui évoquait la poésie des Fleurs du mal : « Là-haut, et à l’horizon, un

ciel livide d’ennui, avec les déchirures bleues qu’à faites la Prière proscrite. ». C’est à sans

doute à cette Prière proscrite, qui chez Mallarmé n’est plus seulement associé à l’absence de

réponse divine, mais à l’absence de Dieu, qu’on doit la naissance du thème de l’Azur dans la

poésie mallarméenne - c’est d’ailleurs suggéré ici par les déchirures bleues : derrière le bleu

calme du ciel, il y a une profonde déchirure, celle de la découverte du vide de ce ciel.

Quant à la signification de cette ombre - probablement le sens de postérité littéraire au

sens strict, n’y est pas évoqué. C’est plutôt l’atmosphère, l’empreinte laissée par la poésie

baudelairienne sur ses lecteurs. Le « poison tutélaire » enfin possède un double sens, il se

rattache à la fois à la prostituée et à la poésie baudelairienne.

Pour conclure on notera que l’influence de Baudelaire sur la poésie française du

XXème siècle est bien moindre que sur celle du XIXème finissant - comme le rappelle A.

Guyaux, trois grands poètes Reverdy, Jouve et Bonnefoy revendiquent cet héritage poétique,

mais la plupart des autres auteurs majeurs de la poésie française ne trouve pas là leur source -

ou en tout cas pas leur source directe, car la citation de Valéry évoquée plus haut suggère

inévitablement qu’à travers Mallarmé, Verlaine et Rimbaud, une postérité indirecte bien plus

vaste s’est ouverte aux Fleurs du mal.