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AVRIL 2015 - N°11 MAG Prix libre ! La substance même de ce qui fondait l’espace public, à savoir le contrôle et la critique du pouvoir, disparaît alors au profit d’un renouvellement de la pratique du secret. LE SECRET

Tad mag n°11

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Numéro thématique : "LE SECRET"

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Page 1: Tad mag n°11

AVRIL 2015 - N°11

mag’

Prix libre !

La substance même de ce qui fondait l’espace public, à savoir le contrôle et la critique du pouvoir, disparaît alors au profit d’un renouvellement de

la pratique du secret.

LE SECRET

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S O M M A I R EEDITàD Qui que tu sois, quoi que tu fasses

le secret a croisé ta route ! Fuyant, rampant, éclatant ou évident : secret y es-tu ?Initiateur, complice ou victime : secret qui veux-tu ?Délicat, grossier, absurde ou libérateur : secret que dis-tu ?

Entendu comme action de dissimuler des réalités par des moyens négatifs ou positifs, le secret est selon le socio-logue Georg Simmel « l’une des plus grandes conquêtes de l’humanité » (1999: 366). Le mot secret vient en fait du latin secretum, qui lui-même dérive du verbe secernere qui signifie sé-parer, diviser. Par définition, le secret instaure une frontière entre celles et ceux qui savent, les initié-e-s, et les autres, les

N°11 - avril 2015mag’

4 Le bon mot de l’ami

PierrotIl n’y a de science que du

caché

6 Jeu des citations : Qui a dit

quoi ?

10 Secret de polichinelle : poésie

l’envol

11 Société secrète : Les graffeurs

vandales, une société secrète ?

15 Secret social : Un secret se crée

19 Secret d’alcôve : inceste et plan Q

24 Poésie : Pie et mélanocéphale

25 Secret urbain : Tantôt

cachés, tantôt montrés. Les taxis

clandestins et leur secret bien

partagé

32 Secret professionnel : Win-

to win ou le secret de la réussite

professionnelle selon Brigitte

41 Jeux Secrets : L’anthropologie n’aur

a

plus de secrets pour vous !

45 Secret d’initiés : Une guerre

d’anthropologues

47 Secret de fabrication : Les

dessous de Roquefort ou le pavé

dans la lavogne

50 Mots secrets : la socialométrie

51 Secrets de séduction : Comment

s’introduire dans le cercle secret

des socio-anthropoloques ?

54 Secrets de Tàd : Horde de mariée

pour collecte de secrets

56 Cri de la moule : paroles de

Toutes des putes

58 Conte-rendu de l’A.U. en images

60 Appel Projet Pantai

64 Professeur Proutskaïa

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ignorant-e-s, néophytes, novices, profanes...

Par leur quête de dévoilement, sociol-ogie et anthropologie sont les sciences qui se consacrent à essayer de révé-ler ce qui est caché... et surtout com-prendre pourquoi ça l’est ! Nos sciences visent en effet à dire ces choses qui ne

se disent pas mais qui existent bel et bien, agissant sur les individus et les groupes sociaux, parfois à leur insu. Il peut s’agir des structures sociales et de leur reproduc-tion, de l’organisation souterraine d’un champ social, mais aussi des impensés des discours de sens commun. Dans ce jeu social, nombreux aussi sont les acteurs sociaux qui développent en retour masques et tactiques. Ces derniers sont faits d’arrangements, de bidouilles, de combines, de plans B : autant de petits secrets que l’on garde pour soi, ou que l’on ne partage que dans l’entre-soi.

Mais plus qu’une définition théorique, le secret est une expéri-ence. Le secret se vit ! C’est dans les tripes, dans les clashs, dans les esclandres et dans la douleur, mais aussi dans la douceur d’une confidence, que le secret se comprend, qu’il se découvre, qu’il se révèle.... qu’il se savoure !

Alors quelles que soient vos préoccupations, professionnelles, personnelles, sexuelles : le numéro de ce TàD Mag va vous aider à approfondir votre quête avouée ou inavouée de secrets !

Quel que soit le côté du secret d’où vous vous préférez agir ce TàDMag va vous permettre d’aller plus loin : vous voulez in-venter un secret, nous avons des sujets ! Vous voulez révéler un secret, nous avons des oreilles ! Vous voulez comprendre, nous avons des explications ! Mais demandez-vous : à qui profitent

les secrets ? Et à qui profite leur révélation ?

Ainsi initiés aux secrets vous serez aiguisés intellectuel-lement pour parer à toutes les situations et ne plus vous laissez surprendre par le secret mais faire de cet objet un allié, un compagnon, une arme : secret bienvenue !

◊ Merci à vous, ce fanzine est à prix libre !! ◊ parution & distribution aléatoire ◊

conception : le TÀD ◊ rédaction : le TÀD ◊ mise en page : le TÀD ◊ Pour quelques raisons, les

articles ne sont pas signés : ◊ association terrain à déminer dit le TÀD ◊ mail : [email protected]

◊ sites : www.terrainademiner.blogspot.com & www.myspace.com/terrainademiner ◊

41 Jeux Secrets : L’anthropologie n’aur

a

plus de secrets pour vous !

45 Secret d’initiés : Une guerre

d’anthropologues

47 Secret de fabrication : Les

dessous de Roquefort ou le pavé

dans la lavogne

50 Mots secrets : la socialométrie

51 Secrets de séduction : Comment

s’introduire dans le cercle secret

des socio-anthropoloques ?

54 Secrets de Tàd : Horde de mariée

pour collecte de secrets

56 Cri de la moule : paroles de

Toutes des putes

58 Conte-rendu de l’A.U. en images

60 Appel Projet Pantai

64 Professeur Proutskaïa

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Chez Pierrot aussi, le secret est de taille. Non pas que Pierrot lui-même utilise tellement le mot « secret », ni même qu’il se soit revendiqué fervent adepte de la secrétologie, mais sa conception de la nature même de la sociologie est bien celle d’une lutte pour le dévoilement d’un ordre caché, secret. En dévoileur convaincu, Pierrot s’attaque donc à de gros secrets, à la fois invisibles et connus, perceptibles et refoulés, à la fois privés et publics ; des secrets qui atténuent les grosses ficelles d’un ordre social profondément inégalitaire. La reproduction des inégalités sociales et scolaires masquée par l’idéologie du « don » ou « du talent », la reproduction des inégalités hommes/femmes, voilées par la croyance en la « nature féminine » et bien d’autres mécanismes à la fois minuscules et vertigineux à l’origine d’une société des inégalités sont autant de terrains de jeux pour un Pierrot qui trifouille, déterre, emmerde le monde et cherche « la vérité » derrière des miroirs déformants.Voila pourquoi, selon Pierrot, la sociologie est une science qui dérange : précisément parce qu’elle cherche, nomme, traduit, dévoile et effraie les partisans de l’ordre établi, tout particulièrement ceux qui tirent privilège des petits et gros secrets qui participent du maintien des inégalités.

Pierre Bourdieu : « La sociologie fait peur, parce qu’elle dévoile des choses cachées et parfois refoulées. Elle révèle par exemple la corrélation entre la réussite scolaire, que l’on identifie à « l’intelligence », et l’origine sociale ou, mieux, le capital culturel hérité de la famille. Ce sont des vérités que les technocrates, les épistémocrates c’est-à-dire bon nombre de ceux qui lisent la sociologie et de ceux qui la financent n’aiment pas entendre ».

Voila pourquoi, également, la sociologie est, selon l’ami Pierrot, « un sport de combat » qui s’affronte à l’ordre social et éprouve le sociologue lui-même.

Le bon mot de l’ami Pierrot(et de son poto Gaston)

« Il n’y a de science que du caché »

N°11 - avril 20154 mag’

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Pierre Bourdieu : « La sociologie est une science spécialement difficile. Une des difficultés majeures réside dans le fait que ses objets sont des enjeux de luttes : des choses que l’on cache, que l’on censure ; pour lesquelles on est prêt à mourir. C’est vrai pour le chercheur lui-même qui est en jeu dans ses propres objets. Et la difficulté particulière qu’il y a à faire de la sociologie tient très souvent à ce que les gens ont peur de ce qu’ils vont trouver ».

Voila pourquoi, enfin, la recherche de « la vérité » et le dévoilement des secrets qui aident au maintien des injustices sociales sont intiment liés à une démarche de résistance et de subversion.

Pierre Bourdieu : « Les chances de contribuer à produire la vérité me semblent en effet dépendre de deux facteurs principaux, qui sont liés à la position occupée : l’intérêt que l’on a à savoir et à faire savoir la vérité ou, inversement, à la cacher ou à se la cacher et la capacité que l’on a de la produire. On connaît le mot de Bachelard : « Il n’y a de science que du caché. » Le sociologue est d’autant mieux armé pour découvrir ce caché qu’il est mieux armé scientifiquement, qu’il utilise mieux le capital de concepts, de méthodes, de techniques accumulé par ses prédécesseurs, Marx, Durkheim, Weber, et bien d’autres, et qu’il est plus « critique », que l’intention consciente ou inconsciente qui l’anime est plus subversive, qu’il a plus intérêt à dévoiler ce qui est censuré, refoulé dans le monde social. Et si la sociologie n’avance pas plus vite, comme la science sociale en général, c’est peut-être, pour une part, parce que ces deux facteurs tendent à varier en raison inverse ».Bref, une fois de plus, l’ami Pierrot a toujours le secret d’un bon mot.

Extraits de l’entretien de Pierre Bourdieu par Pierre Thuillier, La recherche, n°112, juin 1980, pp. 738-743.http://www.larecherche.fr/actualite/aussi/entretien-pierre-bourdieu-sociologie-est-elle-science-texte-01-05-2000-76057

***

N°11 - AVRIL 2015 5 mag’

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N°11 - avril 20156 mag’

1) « Un homme est plus fidèle au secret d’autrui qu’au sien propre ; une femme, au contraire, garde mieux son secret que celui d’autrui. »

A - Jean de La Bruyère B – Dominique Strauss Khan

C – Conchita Wurst D – François Hollande

* JEU *Qui a dit quoi ?

2) « Connais-toi, laisse à Dieu les secrets qu’il veut faire ; L’homme est la seule étude à l’homme nécessaire. »A – Le prophète B – Pierre Bourdieu

C - Alexander Pope D – Le pape François

3) « Lorsque le vin entre, le secret sort. »

A – Brigitte Fontaine B- Le Talmud C – Jean-louis Borloo D – Mon caviste

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N°11 - AVRIL 2015 7 mag’

5) « Les méchants se lient entre eux plus fortement que les bons et leurs liaisons sont bien plus durables, parce qu’ils ne peuvent les rompre impunément, que de la durée de ces liaisons dépend le secret de leurs trames, l’impunité de leurs

crimes, et qu’ils ont le plus grand intérêt à se ménager toujours réciproquement. »

A – Dominique de Villepin B – JudasC – Al Capone D – Jean-Jacques Rousseau

4) « Dire le secret d’autrui est une trahison, dire le sien est une sottise. »

A – Valérie Trierweiler B - VoltaireC – Bill Clinton D – Un indic’

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L ’ e n v o l

J’ai un secret,Je garde mon secret,

Je te livre mon secret.

Tu connais mon secret,tu gardes mon secret...

Gardes mon secret !

J ’a va i s u n s e c re t ,J e g a r d a i s

m o n s e c r e t ,J e t ’ a i l i v r é m o n s e c r e t .

T ’ a s é c o u t é m o n s e c r e t ,

Tu portes mon secret,Tu portes mon secret ?!

Ce n’est plus un secret,J’ai déposé mon secret,

J’ai libéré mon secret.

Tu as connu mon secret,Tu as porté mon secret,

As-tu gardé mon secret ?!

A h . . . j ’ a i m a i s c e s e c r e t ,C e n ’ e s t p a s u n s e c r e t ,

C ’ é t a i t m o n s e c r e t ,

Tu es maintenant dans le secretT u d é t i e n s m o n s e c r e t .

Mais … où est passé mon secret ?

La Glaneuse

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N°11 - AVRIL 2015 9 mag’

Les graffeurs forment une communauté de personnes qui se caractérise par l’acte légal ou non d’inscrire, de façon

répétitive à l’aide d’une bombe aérosol, un marqueur ou autre, un pseudonyme (ou un nom de crew, de groupe) sur un support exposé à une certaine visibilité publique.

Selon Alain Milon, « leur logique peut sembler paradoxale » : tout en recherchant le plus de visibilité et de médiatisation possible, ils s’arrangent pour que leurs travaux soient suffisamment

Les graffeurs vandales, une société secrète ?

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N°11 - avril 201510 mag’

incompréhensibles pour ne pas être « clairement » identifiés. Ces expressions murales fonctionnent comme une sorte d’échange de codes entre initiés1 », communication que Luciano Spinelli attribue à celle d’une société secrète2. Que leur contenu soit adressé aux initiés, cela ne fait aucun doute, bien qu’il arrive parfois que l’illisibilité des signatures soit relative et qu’elles soient donc lisibles par les non initiés. Qu’ils cherchent à préserver leur identité pour ne pas risquer d’être dénoncés, c’est tout aussi clair. Pour autant, peut-on qualifier cette communauté de société secrète ?

Georg Simmel explique que, dans le cas d’une « société secrète », le secret n’est pas un élément de l’interaction entre les

personnes mais constitue l’élément fondamental de cette société. Il existe, selon lui, deux grands types de sociétés secrètes : d’une part, celles où le secret concerne des éléments spécifiques, il est donc partiel, transitoire et aurait, de fait, une visée protectrice au sein même du groupe. D’autre part, les sociétés où le secret, partagé

par tous les membres, devient élément fondateur et acquiert un caractère permanent au sein du système élaboré. L’équilibre et la continuité de ce dernier reposent alors sur la confiance et la capacité qu’ont ses membres de préserver le secret qui les unit3.

Quel type de secret se cache donc sous les jupes des graffs ? Concerne-t-il des éléments spécifiques au groupe ? Peut-on dire qu’il participe de sa structuration ? Pour le savoir, examinons

de plus près la question du pseudonyme et des lieux de graff car c’est justement dans le rapport à l’identité et aux conditions matérielles de la réalisation de l’acte graphique que nous allons trouver des éléments de réponse.1 MILON (A.), « Tags et graffs mural, Visage et paysage de la ville », p. 144.2 SPINELLI (L.), « Une représentation symbolique de communication urbaine : le graffiti », op. cit. Article consulté en ligne le 7/02/10 à l’adresse : http://www.graffiti.org/faq/spinelli.3 SIMMEL (G.), « Le secret et la société secrète », in Sociologie. Études sur les formes de la socialisation, Paris, PUF, coll. sociologies, 1999, p. 347- 405.

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N°11 - AVRIL 2015 11 mag’

Secret des noms

D’un point de vue individuel, l’usage d’un pseudonyme permet de dissimuler l’identité civile face à ceux qui ne graffent pas mais aussi les pairs que l’on ne connait pas encore suffisamment :

« Je cache mon identité par le pseudonyme ! C’est une sorte de parallèle que j’affiche dans la rue parce que je n’affiche pas mon nom ni mon prénom.

Les gens ne connaissent que mon pseudonyme, sauf ceux qui sont proches. Exposer son pseudo, c’est sortir de l’anonymat, ou s’y plonger ! Ça dépend de quel côté tu regardes, du côté du pseudonyme ou de la véritable identité !... C’est un peu comme plonger dans l’anonymat pour en sortir !... » (Monsieur N)

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N°11 - avril 201512 mag’

Le pseudonyme protège donc en même temps qu’il expose publiquement. Il peut d’ailleurs faire lui-même l’objet de dissimulations : selon Slok, dans les années quatre-vingts, il était courant que les initiés ne découvrent l’identité graphique de leurs acolytes qu’au moment du passage à l’acte. Aujourd’hui, cette pratique ne semble pas si répandue, les échanges entre peintres s’amorçant souvent bien en amont de la rencontre physique, via les sites internet et les réseaux sociaux sur lesquels circulent constamment les pseudonymes des uns et des autres. Le fait d’avoir plusieurs blazes4, l’un étant dédié aux pratiques légales, l’autre aux pratiques illicites, s’avère par contre être assez fréquent au sein des initiés. Ceux qui n’ont qu’un seul pseudonyme s’attachent, quant à eux, à développer d’autres stratégies de protection : en vandale, ils privilégient par exemple l’affichage du nom de crew au détriment du pseudonyme.

On voit donc combien, sur le seul plan de l’auto-désignation, les stratégies clandestines relatives à la protection de l’anonymat s’avèrent multiples, le secret se faufilant entre les mailles des appellations. Il s’opère une sorte de jonglage entre les noms utilisés en contextes légal et illégal, entre l’affichage individuel (le blaze) et collectif (le nom de crew). Ce sont les différents contextes de graff ajouté au degré de confiance accordé à ses homologues qui vont, tout au long de la « carrière », amener le graffeur à parfaire certaines tactiques, à dévoiler certaines facettes de son identité plutôt que d’autres. Au-delà de l’aspect identitaire, le secret s’exprime également sur un plan plus matériel : il enveloppe l’existence de certains lieux de graff, en particulier les dépôts de trains et de métros considérés comme des « bons plans » par les initiés.

4 Nom donné au pseudonyme.

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N°11 - AVRIL 2015 13 mag’

Secret des lieuxUn bon plan correspond à une gare ou un dépôt de trains

peu ou parfois même non surveillés. Ajouté à la rareté de ce type de lieux, l’augmentation du nombre de trainistes5, conduit ces derniers, lorsqu’ils en trouvent un, à taire la localisation du lieu, s’octroyant ainsi l’exclusivité de sa fréquentation :

« Par exemple l’Eurostar il n’est pas souvent tapé6, du coup quand il l’est, le panel fait parler de lui mais on ne parle jamais de l’endroit où il a été tapé, c’est normal. Sinon tu peux te faire griller le plan !7» (Monsieur D)

Certains vont même jusqu’à falsifier les informations le concernant, ceci pour brouiller les pistes et décourager les éventuels intéressés :

« Moi, ce dépôt, au départ j’en parlais à tout le monde, j’étais vraiment con ! C’est le plan il est à

¾ d’heures de chez moi, y’a personne, y’a pas un chat, y’a rien, je vais tout faire pour le garder ! Donc

maintenant quand on me demande, je dis qu’il y’a une alarme ! Tu vois, bon…elle y est pas mais…les gens ils me demandent si j’y vais toujours et je leur réponds que non non non, y’a une alarme et tout, c’est super chaud ! » (Monsieur X)

Ces précautions visent à préserver le lieu d’une éventuelle sur-fréquentation, laquelle pourrait en effet engendrer le renforcement du dispositif sécuritaire et donc en compliquer, voire en condamner définitivement l’accès. Mais elle est aussi le reflet du rapport concurrentiel existant entre peintres et groupes de peintres. Réussir à graffer sur certains trains ou métros procure une certaine notoriété à l’auteur qui est alors reconnu et envié par ses pairs pour la performance réalisée. Il s’agit donc pour lui, s’il veut pérenniser ce statut, de protéger ses sources, notamment l’accès aux dépôts.

5 Nom donné aux graffeurs spécialisé dans les pratiques de train.6 Graffé.

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N°11 - avril 201514 mag’

Certaines conditions peuvent néanmoins amener un graffeur à lever les voiles du secret : s’il partage volontiers ses bons plans avec des personnes de confiance (en particulier les membres de son crew), il peut aussi le faire avec des personnes extérieures, sous la forme d’un échange par exemple : si on lui sert de guide dans une session rue7, il servira à son tour de guide dans les dépôts qu’il connait. Si on l’accompagne dans des gares qu’il ne connait pas, il dévoilera certains de ses secrets le jour où il sera sollicité, notamment si ce sont des personnes qui l’ont aiguillé à un moment donné. Échange de bons procédés, un don contre don en quelque sorte, c’est aussi et surtout un lien de confiance qui se construit.

Les graffeurs, une société secrète ?Alors, peut-on qualifier la communauté des graffeurs

de société secrète ? Les exemples donnés ont révélé une nette corrélation entre secret et stratégies de protection : celles-ci se déploient vis-à-vis de l’extérieur du groupe mais également à l’intérieur, notamment dans le rapport à l’identité ou aux conditions matérielles de réalisation de l’acte graphique. Pour autant, le secret ne semble pas être un élément fondateur du groupe, l’usage qui en est fait oscillant sans cesse au gré des besoins et des expériences individuelles. Il ne s’agit donc pas d’une société fondée sur le secret mais plutôt d’une société capable de le mobiliser dans une perspective protectrice, avec cela de spécifique qu’il contribue parfois à définir les interactions à l’intérieur même du groupe.

7 Contexte illicite.

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N°11 - AVRIL 2015 15 mag’

L’objectif du texte suivant est de montrer comment un secret se crée. L’extrait d’entretien choisi a été réalisé auprès d’une usagère d’un

service social justement parce que cette dernière ne souhaitait pas répondre aux questions posées. Cette usagère sera nommée « Madame ». A travers le découpage de son entretien, nous allons essayer de dégager les étapes et les interactions qui participent à la construction de son secret.

Quand l’entretien débute les premières réponses télégraphiques apportées par l’informatrice présagent un entretien difficile.

Enquêtrice : Je voudrais vous poser quelques questions sur votre parcours pour savoir un petit peu comment ça s’est passé

quand vous êtes arrivée, quelle association vous avez rencontré, etc. Peut-être vous pourriez me décrire un peu votre situation avant de partir d’Afrique…Madame : Avant de partir ?Enquêtrice : Oui, si vous aviez un travail, votre situation familiale…Madame : Pas de travail. Enquêtrice : Et quelle était votre situation familiale ?Madame : No, it’s the past (… ???...)Enquêtrice : Vous ne vous rappelez pas ? (Sourire). Madame : It is very very difficult… It was very hard situation, so now it’s the past, so... (elle refuse de répondre davantage)

Réponse en anglais de l’enquêtée : on comprend que la parole et

Un secret se crée

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N°11 - avril 201516 mag’

les événements associés à cette période sont rangés, classés et qu’il n’est pas question de ré-ouvrir le dossier. Le passé c’est le passé ! D’ailleurs, elle exprime ses sentiments au sujet de cette période : c’est dur, elle le dit. Ce faisant nous voyons comment, au sein de l’interaction, les propos qui invoquent les sentiments construisent la valeur (sentimentale) du contenu de ce qui ne se dit pas et qui, juste précédemment, n’était encore que du registre de la non-réponse. Après quelques tentatives l’enquêteur respecte son silence et en ce sens il reconnaît également la valeur du contenu de ce que son informatrice ne souhaite pas dire… Et puis, l’informatrice s’explique sur son silence.

Enquêtrice : Vous pouvez me dire comment vous avez quitté l’Afrique ?Madame : Toutes ces questions on me les a déjà posé avant,

donc…Enquêtrice : Ah, mais je ne connais pas vos réponses…Madame: Oui, mais ces questions ne sont pas nécessaires… Enquêtrice : Hum… Est-ce que je peux vous demander par quels pays d’Europe vous êtes passée ?Madame : Cette question que vous me posez, it’s for people just arrived. Ces questions là c’est pour les gens qui viennent juste d’arriver en France ou en Europe. Mais pour moi, je suis depuis longtemps ici, donc ces questions on me les a déjà posées plusieurs fois. Et là ça m’intéresse pas, parce que c’est pas la peine. On me pose les questions, on me pose les questions, on me pose les questions, mais ça sert à rien.

Elle garde ses secrets car questionnée déjà à plusieurs reprises, elle estime avoir déjà donné, sans retour. Ces propos-là, elle les

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N°11 - AVRIL 2015 17 mag’

répète à plusieurs reprises comme autant de réponses qu’elle a du apporter aux questions qui lui étaient posées. Mais les multiples entretiens dont elle a fait l’objet l’ont amenée aussi à connaître/pressentir que son histoire valait également pour les autres, pour les travailleurs sociaux notamment qui, tour à tour depuis son arrivée en France, lui ont demandé de répondre aux mêmes questions, d’être transparente et qui, en échange, devaient lui apporter de l’aide. Le récit a donc également une valeur d’échange : son contenu est délivré pour rapporter quelque chose. À défaut de contrepartie, il sera bien gardé.

Enquêtrice : Pourquoi ça sert à rien ?Madame : Non ça sert à rien, parce que ça change rien. Je n’ai

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N°11 - avril 201518 mag’

pas… Ça change pas grand-chose, non. Toutes les questions, toutes les questions, toutes les questions, ils donnent pas l’appartement, ils donnent pas la maison, il font rien du tout, rien. C’est juste pour parler, c’est comme pour à l’école... J’ai parlé pour vide.Enquêtrice : Oui… Après, moi je suis pas travailleur social. Je fais une enquête, j’ai rien à proposer, je peux pas résoudre les difficultés… Mais je ne sais absolument pas ce que les autres personnes vous ont demandé… je sais rien sur vous. Donc c’est pour comprendre un petit peu… Madame : Imaginez, on m’a demandé les questions, demandé questions, demandé questions, demandé questions… je raconte l’histoire (…) où j’ai pleuré tout le temps, j’ai pleuré tout le temps et voilà, ils sont au courant. Voilà, je voulais arrêter, mais il n’y avait pas le choix. Avant j’avais pas les papiers, pas

de travail, j’ai dit que je voulais arrêter (…) Mais je fais quoi ? Voila et ils me demandaient : comment tu veux faire ? Comment

tu veux faire ? Comment ? Voila, j’ai dit tout ! Après, il peut rien faire. Voila, il peut rien faire, hein. Aujourd’hui, grâce à Dieu, j’ai eu une carte de séjour, voila…

Aux questions qui lui ont été posées, l’informatrice a répondu, départageant ainsi ceux qui savent et qui sont tenus au secret professionnel de ceux qui ne savent pas ou ne sauront jamais. Si l’enquêtrice fait partie de ceux qui ne sauront pas ce contenu, elle fait aussi partie de ceux à qui a été confié ô combien certaines usagères sont enjointes à raconter l’histoire de leur vie... pour du beurre.

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N°11 - AVRIL 2015 19 mag’

Il m’arrive d’aller à un rendez-vous mensuel plutôt mondain à Montpellier, le Bistrot des Ethnologues, dans lequel il est possible d’entendre un

chercheur – généralement anthropologue ou sociologue- parler de son dernier bouquin. La fréquentation y est très inégale : d’un public de 30 personnes pour écouter des chercheurs peu connus, l’effectif peut doubler voire tripler dès que le chercheur est un tant soit peu médiatisé ou que son sujet touche à la sexualité. Ces derniers mois, deux auteurs ont bondé la salle du bistrot, Dorothée Dussy pour son livre Le berceau des dominations1 sur l’inceste, et Jean-François Bayard pour son livre Le plan cul. Ethnologie d’une pratique sexuelle2. Les deux ouvrages traitent indirectement du secret et c’est pour cette raison que je me permets ici d’en faire un papier conjoint, bien que tout les oppose.

Dussy déballe une recherche osée avec une trilogie sur l’inceste qu’elle ouvre avec un premier livre sur les incesteurs : « sans complaisance mais sans mettre l’incesteur en position d’étrangeté ». Elle se risque ainsi au travail empathique auprès d’hommes reconnus comme coupables d’inceste. Son écriture est simple, directe, parfois provocatrice. Affectée dans sa recherche, l’auteure ne

1 Dorothée Dussy, Le berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste, livre 1, La Discussion, Marseille, 2013, 268 pages. 2 Jean-François Bayard, Le Plan cul. Ethnologie d’une pratique sexuelle, Fayard, 2014, 200 pages.

Du système-silence jusqu’à l’honnête dissimulation

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N°11 - avril 201520 mag’

s’en cache pas : les nausées pendant les entretiens, ses souvenirs d’enfance qui resurgissent... En toute pudeur, elle réussit à restituer une recherche sérieuse, scientifiquement solide, tout en déminant avec fougue un système bien ficelé par le

silence et la domination masculine. En France, ce sont donc 5% de la population qui sont victimes d’abus sexuels intrafamiliaux (une fourchette basse selon

les enquêtes quantitatives), ce qui donne une idée du nombre de personnes ayant commis ces incestes. Une prévalence de l’inceste qui transcende les milieux sociaux. Les hommes rencontrés dans cette recherche sont les rares personnes à avoir été reconnus coupables et incarcérées. Tout d’abord, l’inceste demeure souvent secret, grâce au silence tenu par l’enfant, l’incesteur et souvent la cellule familiale et à une légitimation du silence par la société dans son ensemble. Ensuite, lorsque le silence est brisé, les accusations énoncées par les victimes subissent systématiquement des soupçons. L’auteure y démine aussi logiquement le viol ainsi que la prostitution. Elle souligne la prégnance d’une représentation idéaltype du viol, celle du méchant inconnu qui t’attrape dans la rue, qui est en fait une goutte d’eau dans l’océan des situations réelles de viols. L’agresseur sexuel est presque toujours quelqu’un que connaît la victime. L’analyse de l’inceste connecte aussi avec la prostitution, lorsqu’on apprend que l’incesteur peut avoir recours à des contre-

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N°11 - AVRIL 2015 21 mag’

parties matérielles avec l’enfant ou encore lorsqu’il y a procès des années plus tard : la demande d’indemnisation de la victime peut la placer en position de pute. Il devient flagrant que l’échange économicosexuel n’est pas juste un service sexuel mais bien l’adaptation à une sexualité masculine pensée uniquement comme pulsionnelle. Les incesteurs révèlent bien dans leur propos que leur appropriation désubjectivante des enfants est pour eux naturalisée et justifiée par leurs besoins sexuels.

Par ce « voyage subversif au cœur de familles que rien, ou presque, ne distingue des vôtres », Dussy s’adresse au lecteur en le tutoyant, en lui signifiant que l’inceste est bien plus proche de lui qu’il veut bien le penser, le voir et le dire. Sa théorie du système-silence qui rend possible l’inceste, questionne l’anthropologie en tant que discipline qui a fait du tabou de l’inceste un de ses domaines de prédilection depuis ses origines. Le tabou de l’inceste a donc clairement un sens double : celui de l’interdit de l’inceste mais surtout celui du

silence de l’inceste, acte peut-être interdit mais qui en réalité a bel et bien lieu partout dans le monde et dans tous les milieux sociaux.

Voilà donc de l’ethnologie, dans le titre « anthropologie », qui envoie le bois dans une édition du CNRS très peu chère avec l’argument que cette recherche est publique et déjà financée pour l’auteure.

Bayard, politologue et africaniste en place et auteur de L’illusion identitaire, L’Islam républicain, L’État en Afrique, entre autres, s’est fait convaincre par son éditeur d’apposer

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« Ethnologie d’une pratique sexuelle » sous son titre Le plan cul. Malheureusement, pas l’once d’une ethnologie dans le livre qui se vend 17 euros. Mais pas non plus vraiment d’informations sur « le plan cul » en général. Amateurs d’ethnographies, si vous vous attendiez ici à connaître la vie sexuelle des Français en 2015, vous vous mettrez le doigt dans... l’oeil (eh oui !).

Outre la difficulté à comprendre d’où l’auteur parle et de quoi, il reste évident que le titre n’est pas approprié. Pas question ici de plan cul mais plutôt d’« honnête dissimulation ». Le secret y est traité comme une posture - souvent conformiste - du « quant à soi » et comme un rempart contre l’adoxia (la marginalisation) dans une société soi-disant « libérée » et au sein de classes sociales relativement privilégiées. Bayard mobilise des flots de théories comme pour compenser l’absence d’incarnation de sa recherche, et s’appuie sur le récit des pratiques sexuelles de deux types gravitant dans des milieux

sociaux assez proches... La dissimulation de ces pratiques (à leur conjointe, leurs amis, leur famille...)

exprimerait selon l’auteur leur capacité à être entiers, multiples et subversifs. On serait pourtant tenté d’y voir tout le contraire. On comprend que le plan de Bayard, c’est d’être un peu fasciné (excité ?) par ces deux coquinous qu’on trouvera pourtant assez antipathiques. Faillite empathique, donc, de la part de ce politologue qui se rêve ethnologue français de la fesse bourgeoise. Le livre peut avoir en revanche un très fort pouvoir d’attractivité, surtout si vous le lisez dans les transports en commun ou en salle d’attente,

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grâce à sa couverture certes mensongère mais explicite. L’ethnologie aurait donc des pouvoirs séduction mais aussi de vente comme le prouve le sous-titre voulu par l’éditeur racoleur : « vous voulez lire du cul, eh bien, en voilà du vrai de l’authentique, du prouvé, du vécu ! ». Dommage que les ethnologues fraîchement diplomés ne puissent pas bénéficier de cette force de vente pour trouver un plan job mieux payé qu’un racolage. On peut enfin remercier Bayard d’avoir reconnu qu’il n’était pas ethnologue, à son grand regret, et au Bistrot des Ethnologues de nous avoir permis d’apprécier les spécificités et l’apport palpable d’une discpline grâce à la rencontre avec Dussy. Eh non, ce n’est pas un secret, pour faire de l’ethnologie il nous faut un chercheur qui balance

du vrai, du solide, du propos, des tripes... et qui fait bouléguer les têtes et la société. Sauvons donc l’ethnologie, arrêtons les

académismes « plan plan ».

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Pie et Mélanocéphale

La Glaneuse

L’oisillon dans son nid n’avait pas prédit,Que la pie toute fière lui ferait la misère.

Une fois, deux fois, trois fois, il se plia à sa loiLe mélanocéphale n'avait pas le choix...

Une fois, deux fois, trois fois, ça n’alla pas au-delàCar l’œil de l’oisillon s’affûta d’mois en mois.

Une fois, deux fois, trois fois, à la pie, il signifia :« si tu retouches à moi, tu finiras bien bas ! »

Une fois, deux fois, trois fois, il la stoppaA la 4, il lui mit un coup d’savate dans l’ foie

L’oisillon de tout ça, une grande fêlure garda

Mais apprit, pas à pas, à ne plus subir sa loi.

Pie Maquerelle prit, quand à elle, du plomb dans l’aile,et disparut bien haut pour brûler…sa chandelle.

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Prendre un taxi informel à la gare centrale pour aller au marché le dimanche matinLe dimanche matin lorsque l’on s’installe sur le parvis de la gare centrale et que l’on observe les va et vient entre le hall de la gare et l’avenue adjacente, on remarque parmi l’effervescence des flux de personnes, des hommes qui, sortant du hall de la gare, se dirigent d’un pas assuré vers une voiture où sont déjà installés des passagers. Ils en ouvrent la portière et y prennent place. Une fois ces personnes entrées et installées, la voiture démarre. Elle les mènera, en fait, dans un marché situé à une dizaine de kilomètres de la gare dans la périphérie de la ville ; un endroit quasiment pas desservi par les transports publics le dimanche matin et de fait difficilement accessible par les personnes qui n’ont pas de véhicule. Pour ces personnes là il existe tout même un moyen de se rendre dans ce marché puisqu’il s’est mis en place un réseau de taxis informels dont les chauffeurs proposent de conduire celles et ceux qui le souhaitent au marché et ce pour la somme deux euros. Ainsi, tous les dimanches, plusieurs chauffeurs assurent le transport de clients pour ce marché. Ils effectuent des allers-retours entre la gare et le marché, toute la journée : leurs courses sont rythmées par les arrivées des trains, les prises de rendez-vous par téléphone de certains clients et les rencontres fortuites. Ce qui est en train de se passer dans et aux alentours de ces voitures le dimanche matin aux abords de la gare peut être vu par de nombreux passants mais pas forcément perçu et compris par eux. L’activité de ces taxis est intelligible pour celles et ceux qui y sont initiés et présente de ce point de vue des similitudes avec le fonctionnement et les pratiques des sociétés

Tantôt cachés, tantôt montrés : les taxis

clandestins et leur secret bien partagé

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secrètes dont parle Georg Simmel1. Outre l’initiation sur laquelle il repose en partie, ce réseau de taxis informels est proche des sociétés secrètes à la fois par le nombre restreint d’individus qu’il fédère ainsi que par les techniques de dissimulation que ses membres mettent en œuvre lors des courses afin de se rendre les plus discrets possible. Comme l’écrit Jean Rémy à propos des thèmes de la grande ville et des sociétés secrètes explorés par Georg Simmel, les sociétés secrètes « ont un devoir de discrétion et leur liberté d’action dépend pour une bonne part de leur non visibilité. Ceci suppose que les groupes porteurs adoptent une stratégie spatiale (…). Ainsi, un jeu

social se construit, évoluant entre transparence et non transparence, selon des pondérations et des modalités variables »2. On comprend

donc à la lecture de ces lignes empruntées à Jean Rémy, qu’une des conditions pour que ces taxis fonctionnent et progressent dans la

ville est qu’ils se rendent invisibles. Bien sûr, l’invisibilité absolue leur est techniquement impossible. Les taxis, leurs chauffeurs et leurs passagers, sont invisibles au sens où ils cherchent à passer inaperçus, à ne pas être identifiés comme étant des chauffeurs ou des passagers de taxis informels tout en demeurant lisibles les uns pour les autres. Il s’agit alors pour eux d’agir sur la perception que l’environnement a de leur présence et de leurs actions par le biais de différentes techniques de dissimulation et corporelles qui varient, en fait, selon les espaces urbains que les taxis traversent. C’est ce que nous verrons à présent dans les lignes qui suivent.

De l’invisibilité des taxis aux alentours de la gare…Pour se faire les plus discrets possible, les chauffeurs déploient différentes tactiques qui nécessitent, la plupart du temps, la

collaboration de leurs passagers. Elles consistent soit en des opérations de dissimulation que l’on peut repérer lors de certaines étapes de la course, soit en des attitudes d’effacement.

1 Simmel, Georg, Secret et sociétés secrètes, Paris, Circé, 1996.2 Rémy, Jean, Georg Simmel : ville et modernité, Paris, L’Harmattan, 1995, pp.73-74.

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N°11 - AVRIL 2015 27 mag’Opérations de dissimulation Pour minimiser les risques de se faire prendre, les chauffeurs et les passagers ont donc recours à plusieurs techniques de dissimulation lors de leurs déplacements dans la ville. Parmi elles, il y en a une qui consiste pour les passagers assis sur la banquette arrière à s’installer à la place du passager avant qui vient de quitter le véhicule. La plupart du temps, les individus passent à l’avant sans que le chauffeur ne les y engage verbalement. Cette absence de communication verbale montre qu’il existe un savoir que chauffeurs et passagers partagent et que les seconds vont mobiliser pour agir au moment venu, c’est-à-dire quand le siège se vide. Pour prévenir les malentendus potentiels et réduire les incertitudes, il arrive cependant qu’untel chauffeur anticipe le moment venu en déclarant à ses passagers qu’il faudra que l’un d’entre eux, en général celui qui est installé du côté droit de la banquette arrière, passe à l’avant.

A cette technique, s’en ajoute une autre que quelques chauffeurs utilisent : le chauffeur demande à ses passagers leurs prénoms et leur donne le sien en retour. Cet échange d’informations se fait généralement en début de course. C’est par exemple une des techniques utilisée par Marouf, qui, à défaut de connaître ses passagers, fait en sorte de connaître au moins leurs prénoms. La connaissance des prénoms pourra, si besoin est, devenir une technique de dissimulation. Elle fournit à leurs porteurs une ressource qu’ils peuvent mobiliser pour agir dans le cas d’un contrôle de police et, peut-être, sur la tournure que pourrait prendre ce contrôle s’il advient. Ainsi, au moment venu, que nul dans la voiture ne souhaite qu’il se produise, connaître le prénom des uns et des autres, et le déclarer au policier, est envisagé par les individus comme un moyen pour eux de donner une impression autre des liens qui les unissent et qui font qu’ils participent au même trajet. La connaissance de leurs prénoms

apparaît alors comme un art par anticipation en ce sens qu’il prévoit et se munit en conséquence. Son but est de faire passer une relation marchande entre inconnus pour une relation non-marchande entre personnes qui se connaissent. Cette pratique vise non seulement à transmettre au passager

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une ressource qu’il pourra mobiliser pour agir en cas de contrôle mais aussi à porter à la connaissance de celui-ci une règle tacite sur laquelle repose la relation de confiance entre le chauffeur et son passager. L’échange des prénoms en début de course est une façon pour le chauffeur de sous-entendre à son passager qu’il ne doit pas le dénoncer, même dans un moment critique comme un contrôle de police. Le chauffeur en livrant cette information au passager, le place ainsi dans une position d’initié et de complice, c’est-à-dire de celui qui sait et qui doit se comporter en conséquence, en protégeant le secret ; l’activité informelle et ce faisant le chauffeur. Le réseau de taxis se fonde en effet sur la confiance et le secret partagé. « La capacité des acteurs à se taire et à garder le secret apparaît bien ici comme une qualité essentielle des membres de ces réseaux parallèles, qualité qui fonde la confiance mutuelle au sein du groupe »3.

A ces pratiques de dissimulation s’ajoute une autre forme de tactiques visant à se rendre invisible. Il s’agit d’attitudes d’effacement plus diffuses que les chauffeurs et les passagers vont utiliser et dont on rendra compte à présent.

S’effacer (et se taire) pour se faire oublierLorsqu’ils se trouvent aux environs de la gare centrale, les taxis sont très souvent en mouvement. Plus les taxis bougent moins ils attirent l’attention des passants. C’est pourquoi, lorsqu’ils se trouvent aux abords de la gare, les chauffeurs évitent au maximum de laisser leur véhicule à l’arrêt. Ils vont davantage privilégier des allée et venues, en longeant la chaussée de l’avenue à allure réduite, de sorte à laisser le temps à ceux qui le voudraient de les repérer. De cette manière, ils se donnent également à eux-mêmes le temps et l’allure de pouvoir observer leur environnement. Dans les cas où les voitures sont à 3 Montenach, Anne, « Une économie du secret. Le commerce clandestin de viande en carême (Lyon, fin du XVIIe siècle) », Rives méditerranéennes, 2004/17, pp. 85-103. Le texte fait référence à la version électronique de l’article, disponible en ligne à l’adresse : http://rives.revues.org/538.

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l’arrêt ou stationnées, soit parce qu’elles déposent ou récupèrent un passager, elles le sont en divers endroits du périmètre et non groupées en un même lieu. Les escales sont brèves : généralement elles durent le temps qu’un ou des passagers montent dans la voiture. En somme, l’on pourrait résumer les espaces de l’invisibilité des taxis par deux éléments qui les caractérisent : le mouvement et la dispersion. Les notions de mouvement et de dispersion sont en effet largement structurantes des modalités de circulation des taxis dans les situations où leurs chauffeurs cherchent à se rendre invisibles.

Du côté des passagers, c’est également la dispersion qui caractérise leurs façons d’occuper l’espace quand ceux-ci attendent les voitures. Ils ne sont pas groupés en un même endroit mais plutôt postés en différents points des trottoirs qui bordent l’avenue où passent les taxis. Ainsi dispersés, les passagers sont moins remarquables que s’ils étaient groupés au même endroit. La dispersion se double ici d’une attitude d’effacement que les individus adoptent quand ils attendent le passage d’une voiture ou qu’ils vont à sa rencontre. Ainsi, quand les passagers se trouvent dans le centre-ville, ils adoptent des manières d’agir et de mouvoir leur corps dans l’espace urbain qui visent à faire oublier leur présence. Dans ce secteur de la ville, les rituels de rencontre entre chauffeurs et passagers mettent en jeu de façon spécifique le corps, les apparences et la communication non verbale. Sur ce dernier aspect, il est frappant de constater que la parole est peu, voire pas du tout, utilisée par les passagers au moment où ils montent dans la voiture. Le silence est en effet constitutif de ces rencontres. Le chargement des passagers doit être exécuté rapidement et c’est entre autres pour cette raison que tout ce qui peut être une source de ralentissement est évité ; l’échange verbal, notamment les salutations et les politesses, en fait partie. Outre le fait de gagner du temps, le silence qui accompagne ces rencontres, lorsqu’elles se déroulent aux alentours de la gare, est aussi lié au secret qui entoure l’activité des taxis informels. La

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capacité qu’ont les individus à se taire quand ils se rencontrent, à ne pas poser de mots sur leurs actes au moment où ils les accomplissent,

constitue une sorte de dissmulation.

…à leur visibilité au marché Au marché, les techniques pour se rendre invisibles ne sont plus utilisées par les taxis. Ainsi, à l’invisibilisation de rigueur en centre-ville se substitue un autre régime d’exposition : celui de la visibilité voire de l’hyper-visibilité. Les modes d’occupation et d’appropriation de l’espace urbain s’en trouvent modifiées. Là où les chauffeurs et les passagers cherchaient à s’effacer (aux alentours de la gare centrale) ils s’affichent avec beaucoup plus d’aplomb. Il semblerait que les contraintes extérieures qui pèsent sur l’activité des taxis ne sont plus, ou tout du moins qu’elles ne pèsent plus avec la même intensité dans cette portion de l’espace urbain. On observe alors un changement notoire dans les modalités d’exercice de l’activité : le mode de stationnement, sa durée, les rencontres et la façon de communiquer changent radicalement. Au marché, les taxis sont concentrés devant le portail de son enceinte, ils sont stationnés le long de la chaussée adjacente, ils débordent sur la voie de circulation parce que garés en double file, et ce sous le regard

d’agents de police affectés à la circulation. Le marché constitue pour les chauffeurs un moment de halte : ils en profitent pour faire une pause plus ou moins longue, faire un tour à l’intérieur du marché, parfois quelques courses, discutent les uns avec les autres. Dans cet endroit de la ville, les haltes et la concentration des taxis suppléent leur mouvement et leur dispersion. Les rencontres entre chauffeurs et passagers se trouvent elles aussi modifiées. Les chauffeurs se tiennent à l’extérieur de leur voiture et vont à la rencontre des chalands qui sortent du marché. Ils les interpellent bruyamment en scandant de toute la force de leur voix la destination qu’ils proposent. La façon dont les chauffeurs et les passagers s’engagent dans l’interaction met en jeu les corps et la parole des acteurs d’une manière qu’on pourrait dire évidente, car elle se manifeste sans peine aux sens

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que sont la vue et l’ouïe. Les individus se ne se cachent pas, ou plus exactement ils cessent de se cacher. Ils s’exposent, se montrent et leurs discours est sonore.

Entre la gare centrale et le marché un glissement s’opère : il s’effectue de la dissimulation au dévoilement de l’activité des taxis, du secret à la publicité.

Tout le monde est « dans le secret » Le plus surprenant est qu’au marché, les interactions entre chauffeurs et passagers se déroulent sous le regard des agents de police sans que ceux-ci n’interviennent ou n’y mettent un terme. Le fait qu’ils ferment les yeux sur des transactions illégales que tout le monde voit laisse à penser qu’il existe une sorte de laisser-faire concernant l’activité de ces taxis. La clémence dont preuve ces agents, et plus largement plusieurs édiles locaux et les taxis réguliers de la ville qui connaissent l’existence de cette activité, est le signe d’une tolérance à l’égard des taxis clandestins. En fait, tant que les chauffeurs se limitent à conduire des clients au marché, qu’ils ne cherchent pas à intercepter les clients des taxis réguliers et que leur activité se déroule selon des formes convenues, leur activité est tolérée. Les pratiques de dissimulation que mettent en œuvre les chauffeurs et les passagers lorsqu’ils se trouvent aux alentours de la gare centrale doivent être comprises alors comme une façon pour eux de négocier un droit à faire ce qui leur est officiellement interdit. L’activité des taxis que nous venons de présenter est un secret partagé non seulement par leurs chauffeurs et leurs passagers mais également par les agents de police, les pouvoirs publics et les taxis réguliers de la ville. Finalement, tout ce beau monde est « dans le secret ».

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***Récemment arrivée dans une nouvelle région, je m’empresse de m’inscrire au Pôle Emploi pour percevoir les indemnités ouvertes grâce à ma dernière période de salariat. Lors du rendez-vous d’inscription j’accepte ce que me propose ma conseillère, au demeurant fort sympathique : participer à une journée d’ateliers

« ciblage/réseau » pour me « mettre un peu dans le bain » de ma recherche d’emploi. Et je ne serai pas déçue ! Moi qui m’attendais à une vulgaire « remobilisation » de chômeur-se-s, j’ai carrément eu droit à un bouleversement complet de mes représentations. Une véritable leçon de résistance, d’humilité et d’empathie. Une leçon de vie...

Win-to-winou le secret de la réussite professionnelle

Selon Brigitte, prestataire des ateliers Pôle Emploi « Cibler les entreprises » et « Chercher un emploi avec son réseau. » Septembre 2014.

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Le jour J, dans la petite salle du « Pôle Emploi Cadres », nous sommes sept : six demandeur-se-s d’emploi et la formatrice qui, en attendant que tout le monde s’installe, finit d’envoyer quelques mails via son smartphone. Ambiance tristounette et impersonnelle typique d’un Pôle Emploi. Ça commence. Il n’y a pas de présentation, pas de tour de table : elle s’appelle Brigitte et nous explique directement le programme de la journée. En gros, elle va nous donner des clés pour nous aider à avoir « l’attitude adéquate » dans notre recherche d’emploi. Car, comme elle l’annonce d’emblée :« Généralement, vous n’avez pas la bonne attitude de recherche d’emploi. Vous faîtes toujours cette erreur. Et c’est vraiment purement français, ça, comme je vais vous l’expliquer. C’est notre tradition des grosses sociétés paternalistes, et quoi qu’on dise, on a quand même un gros retard en management. Donc on va travailler sur tous ces freins et ces chocs culturels pour comprendre ce qui peut vous freiner dans votre attitude. »Houlala, ça y est, je kiffe ! Mes yeux brillent, je sors mon

cahier : faut absolument garder une trace de tout ce qui sortira de la bouche de Brigitte ! Je me missionne de noter ce genre de phrases toute la journée, méthodiquement. D’instinct, je sens qu’elle en a plein sa besace. Et moi qui avait peur de m’ennuyer ! Voilà que ma participation à cette journée s’emplit de sens. Ah, merci Brigitte ! Merci d’exister telle que tu es. Ce que j’ai tout de suite aimé chez toi, c’est ton usage immodéré du « vous » lorsque tu nous explique la vie, le fait que tu nous mettes a priori tous et toutes dans le même sac, le fait que tu saches, sans même avoir la moindre information sur aucun-e des participant-e-s, quelles sont nos attitudes et nos croyances les plus profondes... Oui, Brigitte nous a compris ! « Nous », la masse informe et anonyme des demandeur-se-s d’emploi. Et Brigitte va nous aider à comprendre nos erreurs, et à nous améliorer. Elle annonce son idée force : « Comme je dis toujours : le monde est petit pour qui veut le rendre petit ! La règle d’or c’est : ne pas mettre à distance des personnes qui peuvent m’être utiles. »

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Génial ! Alors attaquons d’abord le volet « ciblage ». Là, Brigitte nous explique tout de suite qu’il y a aujourd’hui une concurrence accrue sur le marché du travail, du fait du fort taux de chômage. Oui, parce que Brigitte touche grave sa bille en économie. Sans perdre de temps, elle nous prodigue donc directement le gros de son conseil au niveau du « ciblage » : « Aujourd’hui, on est passés de la recherche d’emploi au marketing de l’emploi. Le problème c’est que vous êtes restés sur l’ancien modèle. Vous avez toujours la même attitude, d’attendre qu’on vienne vous chercher, c’est ça le problème ! Bon, je vais faire un parallèle avec le marketing, les 5 P du marketing, que vous devez tous connaître. Bon, je vais parler pour quelqu’un qui sait où il en est, qui est, si on poursuit le parallèle, un produit finalisé, en quelque sorte. Un produit finalisé, c’est

quand vous savez ce que vous avez à proposer, quand vous avez fait une mise en adéquation entre le produit, c’est-à-dire vous et vos compétences, et le marché. Donc faut commencer par faire le point sur vous, sur

votre projet professionnel. Voir quels sont vos points forts et vos points faibles, enfin... vos axes de progrès. Donc là c’est important d’être honnête avec soi-même à un moment... Il faut pas être trop optimiste... ni trop pessimiste. Mais attention au manque d’honnêteté avec vous-mêmes ! »

Je regarde mes camarades chômeur-se-s : ça ne bronche pas. Brigitte nous ouvre les yeux. Alors elle nous dit que là, c’est un temps où elle va nous laisser bosser individuellement sur la définition de notre « produit ». La bonne nouvelle, c’est qu’on peut quand même choisir des trucs. On a même un tableau à compléter pour ça. Dans les colonnes, on peut lister : les lieux où on accepte de travailler, les conditions de travail que l’on souhaite avoir, les secteurs d’activités nous intéressant et le type de structure visées. Enfin, « dans l’idéal ». Tout ça pour nous aider à être honnêtes avec nous-mêmes. C’est bien pratique ! A la fin de l’exercice, elle nous explique comment trouver sur Internet la liste des entreprises dans les secteurs qui nous intéressent. Voilà,

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c’est la pause repas, on reprend à 13h50, comme ça on finira pas trop tard.

Ça y est, on redémarre. Maintenant c’est l’atelier « réseau ». C’est essentiel le réseau. Car sans le savoir, on en a tous, du réseau. D’ailleurs des scientifiques ont montré que dans une chaîne entre nous et n’importe quel autre être humain sur terre, il n’y avait jamais plus de dix autres personnes/maillons. C’est dingue, non ? Et ça marche à tous les coups, ils ont bien vérifié. Donc pour que tout devienne possible, il faut juste utiliser son réseau. Une participante fait remarquer qu’on a surtout du réseau quand on travaille, mais qu’une fois qu’on se retrouve au chômage, notre réseau s’évapore comme par hasard et que là ça devient beaucoup plus difficile de l’utiliser. Pour la première fois de la journée, il semble qu’une autre personne que Brigitte prenne la parole. Et cette personne, on sent bien que quelque chose lui pèse, il y a comme une émotion contenue dans sa voix, une certaine amertume aussi... On pourrait croire qu’elle exprime une difficulté, peut-être même une souffrance. Heureusement, Brigitte la recadre illico :

« Ha non, je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Tout dépend de vous et de votre attitude. C’est peut-être que vous n’êtes pas encore prête à retourner vers l’emploi, que vous avez des choses à régler d’abord. C’est un autre problème, ça. [...]Trouver du travail, ce n’est pas difficile en soi. C’est difficile pour vous, parce que vous n’avez pas confiance en vous. Donc c’est bien une question d’attitude. Donc il va falloir serrer ça dès le départ. »

Tout ça avec une voix douce et un beau sourire. Devant tant de bienveillance, la participante bravache acquiesce rapidement. On sent qu’elle accepte de retravailler sur son attitude. Parce que c’est pour son bien. Et parce qu’elle voudrait vraiment retrouver un travail. Saisissant la perche tendue par l’interjection inopinée, Brigitte enchaîne et développe sa thèse centrale, celle qu’elle n’avait fait que suggérer au cours de la matinée : « Justement, ce genre de propos rejoint ce que je voulais vous dire cet après-midi. Bon on va partir du contexte socio-historique, je vais vous la faire rapide, évidemment c’est des

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notions assez complexes, mais en gros : on est dans une culture paternaliste. Ça c’est un peu la politique keynesienne des gouvernements socialistes. C’est typiquement français, parce qu’on a une tradition de grandes sociétés familiales et d’une forte intervention de l’État. C’est l’État-providence. Mais bon, le problème c’est que depuis 70, c’est-à-dire en gros depuis le choc pétrolier (j’vous passe les détails) et ben on s’enlise parce qu’on a continué à dépenser l’argent qu’on n’avait plus. Enfin, c’était l’ancien modèle, et puis après il y a eu le modèle libéral. Mais les deux modèles se valent, hein, là on fait pas de la politique ! Mais c’est juste qu’il faut regarder un peu ça au niveau de l’analyse transactionnelle. Je ne sais pas si vous connaissez, mais en gros, c’est une approche des relations parents/enfants où, en gros, l’enfant cherche la valorisation, la reconnaissance, même si c’est en se rebellant, et le parent lui, sanctionne. Et le problème c’est que nous sommes élevés et éduqués là-dedans ! Et donc on reproduit ça dans le monde du travail. Alors qu’aujourd’hui, ce qu’il faut c’est plutôt passer dans un mode collaboratif avec l’entreprise.

C’est un peu ce qu’on appelle le win-to-win. Faut se placer d’adulte à adulte. »

Quand je vous disais qu’elle touche sa bille, la Brigitte. Décidément, je me régale moi, aujourd’hui !Et puis à sa manière, elle est très à l’écoute Brigitte : on dirait qu’elle commence à sentir qu’on a du mal à la suivre... Elle nous réassure : « Oui, je sais, ce que je dis là, c’est pas facile. Car c’est un bouleversement complet de l’économie. Les entreprises elles-mêmes sont encore très incohérentes, c’est un changement difficile pour elles aussi. Donc vous, c’est pas votre faute si vous pensez encore comme vous pensez. C’est le poids de ce modèle... On n’est pas éduqués à être acteur de sa vie ! On est des adultes assistés. Et puis on n’a pas payé l’école ! Bon, c’est une super chance d’être aidé quand on est enfant, mais après, c’est autre chose quand on devient adulte ! »

Elle est cool, Brigitte, de nous déculpabiliser, d’être si compréhensive quant à nos limites. Pour être sûre que

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l’on comprenne bien, elle nous donne en vrac quelques exemples concrets pour illustrer sa théorie du paternalisme à la française : « Par exemple, dans le système win-to-win, y a pas à remercier un patron qui vous donne un emploi ! Vos compétences, vous les avez pas eues dans un paquet de Bonux ! Donc faut se positionner d’adulte à adulte. Donc point de départ : vous n’êtes pas demandeurs d’emploi, vous êtes pourvoyeurs de services ! […] Avant, l’objectif était de garder sa place... Aujourd’hui, la vraie question c’est : comment évoluer ? C’est l’idée de tremplin ! Vous allez à Londres, par exemple, personne ne veut rester dans le même job plus de trois ans ! Y a davantage cette culture de l’instabilité, et du coup, y a plus d’audace. Pour eux c’est normal de changer, de progresser ! Il faut avoir cette logique de toujours avancer. Et pareil, quand on se fait licencier, souvent on le prend pour soi... Encore une fois, c’est parce qu’on est dans une logique paternaliste. Mais ça n’a rien à voir avec vous, c’est de l’économie ! Donc y a pas besoin de chercher la reconnaissance dans l’entreprise. Ça, c’est juste un manque de confiance en soi ! »

L à , l a même participante que

précédemment réagit d’un timide « ben oui, c’est bien ça le problème ». Brigitte rebondit du tac au tac :« Ouais, et le manque de confiance en soi, faut le régler ! Mais ça, me demandez pas comment on fait ! Ça, c’est le travail de toute une vie ! [rires] »

Oui, car Brigitte sait rester à sa place. Elle n’est pas psy, et comme elle le précise par la suite, elle ne fait pas « du social ». Là, on se sent traité-e-s comme des adultes, enfin. Et ça nous fait du bien à tous. D’ailleurs, elle tient à nous rappeler que nous vivons un grand moment historique, au niveau national :« Ce dont je vous parle là, pour nous, Français, c’est le chantier du XXIème siècle... On vit quand même dans un beau pays. On est encore parmi les meilleurs du monde. Il ne faut pas oublier les choses essentielles : personne ne meurt de faim ici ! Mais le travail aujourd’hui il est là : dans le fait d’arriver à se positionner comme facteur de notre propre réussite. […] Tout est dans l’attitude de winner, comme on dit. »

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Mais où donc Brigitte est-elle allée chercher toutes ces idées innovantes ? Débordée par son enthousiasme, elle ne tarde pas à nous le révéler :« Bon, désolée, je la fais très à l’américaine là, mais faut dire que je rentre d’un séminaire à Chicago, et c’est vrai que là-bas y a une énergie tellement communicative ! »

Dis-donc, on a de la chance que Brigitte nous communique à son tour toute cette belle énergie américaine ! J’aurais jamais pensé pouvoir bénéficier d’une privilège pareil grâce à mon Pôle Emploi ! Et gratuitement en plus ! Ah, on sentait bien qu’elle revenait d’ailleurs Brigitte... Mais bref, elle s’est un peu égarée, et voudrait bien revenir sur le sujet essentiel : le réseau.« Bon, le réseau, ça se crée sur le long terme, c’est un travail de longue haleine. Des personnes qui vous paraissent inutiles aujourd’hui peuvent très bien vous servir demain ! Tenez, moi, par exemple, ça m’est arrivé avec une ancienne stagiaire, qui finalement a obtenu une super place et à qui j’envoie des gens maintenant. Ben j’vais

vous dire, heureusement qu’on a gardé contact ! Donc si vous n’avez pas l’impression d’avoir un réseau, c’est parce que vous ne voulez pas voir ! »

C’est vrai ça, on a souvent tendance à se voiler la face quant à son réseau... Heureusement, il y a aussi un exercice sur ce point et pour que ce soit pas trop compliqué, c’est encore un tableau à remplir. Brigitte nous laisse faire, et quitte la pièce avec son smartphone pour une trentaine de minutes. Au boulot ! Dans les lignes du tableau, il y a écrit : parents, amis, anciens collègues, relations lointaines, et relations indirectes. Et dans les colonnes, il faut indiquer : nom, prénom, lien que nous avons avec cette personne, et genre de ressource qu’elle peut nous apporter (soutien, information, contact, emploi). On complète et ensuite on remet le nom des personnes de notre réseau dans un autre tableau à quatre colonnes : aide matérielle, sources d’informations, intermédiaire et soutien. Oui, c’est important aussi le soutien, même pour les winners, faut pas croire. Enfin, grâce aux tableaux, chacun est à sa place, tout est clair.

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Brigitte regagne la pièce et nous demande si l’exercice s’est bien passé. Elle décide de faire un petit tour de table, pour voir ce qu’on en a tiré, et d’ailleurs on peut en profiter pour se présenter brièvement. C’est vrai ça, il est près de 15 heures, on est ensemble depuis 9 heures du matin, et on sait toujours pas qui est qui ! Brigitte précise que c’est fait exprès, c’est pour qu’on soit plus à l’aise. Ha oui ? Peut-être que c’est encore une innovation venue des États-Unis ! Bon, nous les Français, ça nous chamboule un peu de devoir prendre la parole alors qu’on ne s’y attendait plus, mais on se prête quand même au jeu. Sans trop s’attarder non plus, car on a bien vu que Brigitte aime bien quand ça avance. Et ça marche ! En fait, on s’est bien tous découverts un peu plus de réseau que ce qu’on aurait pensé au départ. Youpi ! Mais attention, nous dit Brigitte, maintenant va falloir oser s’en servir ! Et oui, parce que là aussi, on ne le sait pas, mais on a des freins typiquement français. Brigitte explique :« Faut pas se mettre

de barrières. Il faut être constamment à la recherche de

nouvelles opportunités. Mais ce n’est pas de l’opportunisme... dans le mauvais sens du terme. Je sais, c’est pas dans notre culture au départ, ça nous paraît bizarre. Mais faut dépasser ces idées-là. Parce qu’on est dans un échange : c’est win to win. Il y a un réel intérêt, et donc pour plein de gens, ça se fait très naturellement. Bon, faut être clair, on n’est pas chez les Bisounours : la personne que vous allez appeler se dit bien que vous voulez quelque chose. Mais vous n’allez pas lui demander tout de suite, vous allez d’abord prendre des nouvelles, pour créer un lien. Mais sans en faire trop, bien sûr. Y a une différence entre la politesse, qui est de prendre des nouvelles, et l’hypocrisie. Et puis surtout vous demandez jamais directement un emploi. Personne n’aime qu’on lui demande un emploi. Non, vous demandez d’abord des informations. Ça, ça coûte rien de donner des informations. »

Brigitte nous donne alors des tas de précieux conseils pratiques pour constituer et entretenir notre réseau : essayer de déjeuner avec les personnes au moins une fois par an, oser

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prendre son téléphone pour appeler ceux qu’on a pas vu depuis longtemps, avoir un carnet où noter les principales informations personnelles sur les gens pour pouvoir leur montrer qu’on s’intéresse à eux tout en évitant de surcharger sa mémoire, s’ouvrir sur les réseaux de nos proches, favoriser les rencontres pour qu’on nous rende la pareille... Et puis bien sûr, évidemment, on utilise les réseaux sociaux ! Notamment Viadéo ou Linked’In qui sont vraiment des réseaux pros, mais là, elle ne développe pas parce que si on veut, on peut s’inscrire à une autre journée de formation spécifiquement axée sur les réseaux sociaux d’Internet. Mais dis-donc, notre formatrice c’est vraiment Brigitte-les-bons-tuyaux ! Oui, parce que « c’est ça être acteur de sa vie et de son parcours professionnel. »

Voilà, c’est presque fini pour aujourd’hui. Brigitte nous a à peu près tout dit. Comme ça on finit un peu plus tôt que prévu, c’est bien. Avant de nous laisser, Brigitte nous fait sans doute la plus touchante de ses envolées mobilisatrices :« C’est vrai que

parfois je suis un peu dure en coaching... Et aux personnes qui se présentent comme des victimes de leur entreprise, je dis toujours : mais pourquoi vous êtes pas partis avant ?? C’est comme dans un couple : si ça va pas, on part ! Et si on reste par confort, alors on assume ! Si c’est votre choix, alors faut pas se plaindre ! C’est aussi ça, se mettre face à soi-même, être honnête avec soi-même. C’est comme beaucoup de gens qui disent « le Pôle Emploi n’a rien fait pour moi ! Et patati et patata... » Mais c’est normal ! Moi je leur réponds toujours : et toi, qu’est-ce que tu as fait pour le Pôle Emploi ? »

Moi ce que je me demande, Brigitte, c’est qu’est-ce qu’on a fait au Pôle Emploi pour mériter ça ?

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1 ) Bourdieu en quelques mots…

Niveau 1

Retrouve dans ce méli-mélo les termes favoris de Pierre Bourdieu :

Conditionnement / Visée / Habitus / Doxa / Structure / Reproduction / Légitime / Règles / Fins / Praxis / Terrain / Bourgeois / Populaire / Social.

Niveau 2

Retrouve le titre d’un des ouvrages de Pierre Bourdieu.

JEUX

Évaluez vos compétences en Anthropologie !Si vous franchissez ces 4 épreuves, c’est que l’anthropologie n’a plus de secret pour vous !

S G D K L K M V L H A B I T U SR C O N D I T I O N N E M E N TE A X V N P H S O C I A L O K RP R A X I S D E L F D P C B D UR G M V L Q X E Q S X O X S H CO P O P U L A I R E A P L B C TD P E U Q I T A R P R A X I S UU M D N L R O I A D E C N F M RC S I N B V Z H L E G I T I M ET E R R A I N N O S L Q C N Z OI B H K O P S B K L E M C S P ZO W F K L M O G C J S E N S B CN V H Y B O U R G E O I S Q O Y

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2) Sur le terrain…

Cherche le chemin pour rejoindre ton prochain terrain d’étude

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3) Le Hau

Rend les mots qui ont été pris dans le texte de Marcel Mauss : propriétés / beau-frère / Potlatch / obligatoires / frère.

«  D’une part, Turner nous le dit : «  Après les fêtes de la naissance, après avoir reçu et rendu les oloa et les tonga - autrement dit les biens masculins et les biens féminins - le mari et la femme n’en sortaient pas plus riches qu’avant. Mais ils avaient la satisfaction d’avoir vu ce qu’ils considéraient comme un grand honneur : des masses de propriétés rassemblées à l’occasion de la naissance de leur fils. » D’autre part, ces dons peuvent être……….. , permanents, sans autre contre-prestation que l’état de droit qui les entraîne. Ainsi, l’enfant, que la sœur, et par conséquent le………, oncle utérin, reçoivent pour l’élever de leur…….. et beau-frère, est lui-même appelé un tonga, un bien utérin. Or, il est « le canal par lequel les biens de nature indigène, les tonga, continuent à couler de la famille de l’enfant vers cette famille. D’autre part, l’enfant est le moyen pour ses parents d’obtenir des biens de nature étrangère (oloa) des parents qui l’ont adopté, et cela tout le temps que l’enfant vit ». « Ce sacrifice [des liens naturels crée une] facilité systématique de trafic entre propriétés indigènes et étrangères ». En somme, l’enfant, bien utérin, est le moyen par lequel les biens de la famille utérine s’échangent contre ceux de la famille masculine. Et il suffit de constater que, vivant chez son oncle utérin, il a évidemment un droit d’y vivre, et par conséquent un droit général sur ses propriétés, pour que ce système de « fosterage » apparaisse comme fort voisin du droit général reconnu au neveu utérin sur les ………… de son oncle en pays mélanésien. Il ne manque que le thème de la rivalité, du combat, de la destruction, pour qu’il y ait …………. ».Extrait de « Essai sur le don » de Marcel Mauss.

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4 ) Le tabou

Retrouve dans ce schéma de la parenté sociale qui est le père biologique d’Ego !

Indice : le frère du père de la mère d’Ego est le père d’Ego.

O = femmes, D = hommes

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Secrets d’initiés

Tiens ? Un documentaire critique de l’anthropologie ? Avec des morceaux de secrets dedans ? J’ai sauté sur l’occasion...

Dans son film Secrets of Tribe, le réalisateur brésilien José Padilha révèle en 2010 comment des anthropologues français et états-uniens auraient agi bien au-delà de leurs recherches au sein des tribus amazoniennes qu’ils étudiaient. Si on déplore au passage les méthodes cinématographiques du réalisateur qui adopte les codes des documentaires « à l’américaine » avec musique angoissante et manipulation peu scientifique de multiples sources photo et vidéo, en s’accrochant un peu, on en apprend pas mal...

Trois chercheurs reconnus pour leur connaissance des Yanomami sont pointés du doigt : Napoleon Chagnon, Kenneth Good et Jacques Lizot. Pour le premier, j’avais découvert ses aventureux « travaux » grâce à un reportage photo du magazine Géo dans la salle d’attente de mon kiné : tenue coloniale, équipe armée, sensationnalisme du gars qui part à la rencontre des derniers cannibales... Un peu le genre d’anthropreneur mâle blanc dominant sans aucun problème de légitimité à faire du business ou à assouvir son autorité sur tout ce qui bouge dans la forêt. Le genre de type qu’on aimerait entarter dans un rituel du TàD. Dans le documentaire, le Napoleon est soupçonné d’avoir décimé et rendu malades des centaines d’Indiens en réalisant d’énormes campagnes intensives de vaccination, en accord avec des chercheurs en génétique et des laboratoires privés. Selon lui pour les sauver de terribles épidémies, selon d’autres pour tester de nouveaux vaccins sur des populations « à terrain immunitaire vierge »... Des détracteurs parlent de « pratiques génocidaires ».

Le deuxième chercheur mis en cause, encore états-unien mais plutôt

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dans le genre frêle, raconte comment il s’est marié à une jeune Yanomami - encore mineure - avant de la ramener chez lui aux States une fois majeure, de lui faire des enfants, et de la laisser repartir chez elle après des années de déprime. Le Kenneth est donc quant à lui accusé d’avoir consommé avec une mineure sous couvert des mœurs locales. Sur les deux affaires, le réalisateur ne fait plus de secrets : documents à l’appui, témoignages, on voit bien qu’on a affaire à deux sinistres individus qui, finalement, se tirent dans les pattes pour défendre leur statut de grand spécialiste des Indiens Yanomami, chacun à leur façon.

Pour le troisième, le seul Français mis en cause, ça change de forme. Jacques Lizot n’y est pas interviewé. Aurait-il refusé ? En tout cas le secret autour du type en ressort bien plus fortement. Des Indiens témoignent de pratiques pédophiles que le chercheur, disciple de Lévi-Strauss et calé au Collège de France, aurait systématiquement réclamé auprès de jeunes garçons yanomami en échange d’armes ou d’objets lors de ses terrains débutés dans les années 1960. Le film montre comment tout le monde outre-atlantique semblait connaître les agissements du grand spécialiste français avec les petits garçons, mais surtout comment les institutions françaises étouffent l’affaire depuis quarante ans (en attendant que le Lizot en question trépasse avant que la lumière se fasse ?). Du bon secret qui pue. On en vient presque à trouver les deux premiers anthropologues sympathiques.

On peut d’ailleurs noter la traduction française du titre du film qui de « Secrets de tribu » en anglais devient « Yanomami : une guerre d’anthropologues ». Un peu comme si toutes ces histoires n’étaient que fabulations entre pairs concurrents sur le « marché » des Yanomami. En tout cas, si vous n’aimiez déjà pas les anthropologues, vous pourrez trouver dans ce film des arguments chocs pour les conchier.

Pour en savoir plus : http://nemesistv.info/video/6B3RB8RU98X6/yanomami-une-guerre-d-anthropologues#sthash.if4UBruC.dpuf

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Le pavé dans la lavogne1

Être ethnologue dans un office de tourisme, ça peut sembler étrange, surtout lorsqu’il s’agit de faire l’ethnographie d’un fromage (en l’occurrence ici, le Roquefort). Et cela peut paraître d’autant plus étrange que l’histoire dure depuis 1 Sur les Causses, cuvettes naturelles au sol argileux pavées de calcaire pour gagner en imperméabilité et endurer les piétinements répétés des brebis venant s’y abreuver.

6 ans ! Imaginez le nombre de litres de lait produits, la quantité de fromages fabriqués, affinés et consommés depuis que j’ai commencé ! Des chiffres barbares qui ne feraient qu’accentuer le caractère « exceptionnel » de mon emploi auquel les élus n’ont toujours rien compris. Vous non plus, d’ailleurs ? C’est normal, c’est fait exprès. Et pourtant, je m’efforce assez régulièrement de clarifier mon propos… Cependant, que voulez-vous, la recherche

Secret de fabricationLES DESSOUS DE ROQUEFORT

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appliquée, c’est un peu comme un gratin de choux qui n’aurait pas cuit à l’intérieur, tout en brûlant à l’extérieur : c’est un peu trop d’un côté, mais pas assez de l’autre. Résultat, malgré votre penchant pour le chou, en voyant le gratin carbonisé, vous n’aurez certainement pas envie d’y goûter. Et bien c’est un peu le même processus qui conduit la recherche appliquée à se retrouver sur la touche. Alors que l’Université voit en elle une ambiguïté à la limite du soutenable déontologique, le monde du travail (j’entends par là le vrai, le dur) pense que la recherche c’est bien, dans la mesure où elle reste… à l’Université ! À moins qu’elle ne soit rentable ! Ça y est, vous avez fait le lien entre l’intérieur et l’extérieur du gratin ?! Un peu trop d’un côté, et pas assez de l’autre ?! Ahhhhh bon entendeur ! Alors que faire lorsque, après avoir obtenu un Bac + 8, on nous demande gentiment d’aller gagner notre croûte en dehors des bancs de l’Université sous prétexte que les bancs du

parvis, ils sont surpeuplés ? Et bien on y va ! On met en avant nos formations universitaires, tiens pardi, parce qu’avec elles, tout est possible (du moins c’est ce que l’on croit) ! Alors, si elles n’ont aucun effet sur les négociations salariales (faut pas pousser mémé dans les orties), elles pourraient au moins être un gage de légitimité aux yeux des employeurs ! Qu’elle nous serve à cela au moins, l’Université ! A nous donner un peu de légitimité ! Et bien ce n’est pas si évident, surtout en matière de sciences humaines. Il faut dire que l’approche qualitative, ça n’a pas le vent en poupe, à plus forte raison si vous n’avez pas pensé à élaborer des instruments de mesure capables de démontrer l’impact et l’utilité sociale de vos travaux. Évidemment, on connaît les instruments de mesure de masse, du temps, électriques, mécaniques, météorologiques, spatiaux ou de navigation ! Mais la démarche qualité

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dans le social, hein ? J’imagine, à cet instant précis, votre esprit divaguant vers les statistiques ! Et bien sachez qu’il existe aujourd’hui d’autres méthodes : la socialométrie, par exemple, constitue un don du ciel pour tout bon chercheur qui se respecte, en contexte appliqué ! (je vous invite à vous reporter à la rubrique des mots/des armes pour plus d’infos sur ce sujet). Du coup, moi, à Roquefort, j’ai utilisé plusieurs outils d’évaluation socialométriques : par exemple, pour mesurer l’utilité sociale du projet ethno-pédagogique mené à l’école du village, j’ai demandé aux enfants qu’ils rédigent un texte à l’intérieur duquel ils livrent leurs ressentis, leurs impressions vis-à-vis du projet : pour ce faire, je leur ai fourni à chacun un socialobille et quelques socialofeutres. Le résultat est assez saisissant !

On mesure avec précision l’impact du projet sur le plan des liens intergénérationnels par

exemple ! De la même manière, dans le cadre des enquêtes réalisées autour de l’organisation de la filière fromagère, j’ai pu mesurer, à l’aide d’un

socialofistomètre (instrument qui s’utilise à peu près comme un socialoenculomètre), le rapport de domination existant entre producteurs de lait et industriels. Les conclusions sont formelles : il faut repenser l’organisation de la filière !Non, vraiment, la socialométrie constitue un rempart scientifique inviolable contre lequel les mécréants de tous bords viendront se briser les os ! Bref, nous, les ethnologues d’en bas, on affine sévèrement nos méthodes ! L’Université peut être fière de nous !À Roquefort en tout cas, les brebis, elles se marrent de me voir faire. La prochaine fois je leur laisserai la parole tiens, parce que grâce au socialobêlomètre, on connaît maintenant avec exactitude le fond de leur pensée ! À bon entendeur, salut.

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N°11 - avril 201550 mag’

Domaine des sciences de l’Homme concernant la mesure de l’utilité sociale de la recherche en sciences humaines. Exemples d’appareils fréquemment utilisés : le socialothermomètre, le socialodominatiomètre, le socialoenculomètre, le socialofistomètre (en conditions extrêmes), le socialidentitomètre…

Exemple d’utlisation : lorsque vous êtes face à un élu qui vous demande quels sont les résultats concrets de votre recherche (à quoi elle sert en d’autres termes), vous pouvez lui répondre : « Mais, cher Monsieur, je dispose d’un ensemble

d’indicateurs socialométriques me permettant de mesurer

l’utilité sociale des recherches que je mène actuellement sur

le territoire ! Grâce à ce dispositif, mon travail répond à une

démarche qualité inégalable ! »

DES MOTS DES ARMES

SOCIALOMÉTRIE

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N°11 - AVRIL 2015 51 mag’

Femme sensible, délicate et souvent impénétrable, la socio-ethnologue 2015 reste farouche et difficilement apprivoisable. Souvent isolée en

elle même ou parmi les autres, cette espèce en voie de compassion ne demande, pourtant, secrètement qu’à s’épanouir et faire rayonner son amour dominant. Ce qu’elle aime par dessus tout c’est être surprise dans son rapport à elle même, aux autres et à l’environnement qui l’entoure.

Mettez votre peur au compost et laissez vous aller à ce voyage vers la séduction, le renouveau et sûrement le grand

Comment vous introduire dans le cercle

secret d’une socio-ethnologue ?

Les Techniques Secrètes de séduction qui marchent à coup sûr

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N°11 - avril 201552 mag’

BOOM intérieur … Attachez la ceinture de votre cœur et bramez gaiement ! C’est parti !

- Adopter une attitude détendue en toutes circonstances de quoi prouver votre capacité d’adaptabilité à toutes « situations de terrain ».- Pour l’apéro, apportez des produits locaux pour témoigner de votre « ancrage dans le territoire local ».- Proposez du chocolat, remède anti-dépresseur, au moment où votre socio-ethnologue s’épanche et se confie sur son devenir professionnel, visiblement précaire malgré son « étayage théorique » .- Entre deux cacahuètes, en une seule phrase et sans reprendre votre souffle, placez les mots : déterminisme, sexiste, mondialisation. Le tout en gardant une posture physique décontractée, « pertinente » mais aussi un peu formelle . - Sous la douche, chantonnez, l’air de rien, un chant inuit ou un chant régional alsacien, breton ou occitan (pour le savon, pensez au Tahiti douche, fraîcheur fonds marins).- Au cours de la discussion, proscrire la phrase prohibée : « Et sinon, c’est toi qui cuisine à la maison ? ».- Si votre échange tourne autour d’un sujet ethnologique n’employez jamais «  Ah oui, c’est exotique ! ».- À un moment de la rencontre, vous chercherez sûrement à alimenter le débat, ne pensez pas bien faire en lançant des thèmes comme « le voile », « l’excision »,

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« le primitif » ou encore « l’interculturel ».- Si vous l’invitez à domicile, évitez la déco surchargée en masques africains et le mafé au menu…- Faîtes croire que vous venez d’un milieu ouvrier, ou bien que vous êtes fils de mineur fraîchement diplômé de science politique : vous deviendrez une figure « transfuge », fascinante et emblématique. - Montrez vous globalement « populaire », mais sans les dents pourries.- Vestimentairement, adoptez les sandales ouvertes typiquement « bal traditionnel  », n’hésitez pas à enfiler un pull en poil de lama du Pérou tout en affichant une montre Swatch suisse, preuve de votre assise contemporaine et de votre engouement pour une vie rythmée et non monotone. - Si votre socio-ethnologue vous parle de son carnet de terrain, ne répondez jamais «  j’comprends rien à ce que tu racontes, là ».- Adoptez l’agenda «  Moleskine  », preuve de votre esprit voyageur.- La sortie culturelle à éviter  : le Décathlon de la zone industrielle, un samedi après midi.- Comme proposition de prénoms originaux et « différents » pour vos enfants, évitez les prénoms tels que  : Okaida, Youkoulélé ou encore Pocahontas.- Et enfin : la phrase politique ultime qui séduit et fait vibrer la socio-ethnologue de tout son être : « Tu sais, moi je suis pas comme les autres mecs! ».

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Depuis l’été 2014, l’association Terrain à Déminer propose un nouveau dispositif d’animation socio-ludique tout terrain ! Nous avons

décidé d’invoquer des Mariées : femmes engagées, tantôt contraintes, tantôt émancipées, à la fois amoureuses et révoltées pour maculer leurs blancs manteaux de réalités dérangeantes et de secrets de polichinelle.

Le secret-ariat mobile du Tàd : un centre de traitement des secrets

Dans vos fêtes et festivals, les Mariées se faufilent partout et enveloppent les badauds de leurs dentelles pour les inciter à participer à une grande collecte de secrets sur papier. Alors prenez un de vos secrets, qu’il soit lourd ou léger, et à l’aide d’un questionnaire d’auto-analyse secrétologique et d’une balance hors pair, sondez-le et pesez-le ! Puis choisissez le traitement que vous souhaitez donner à ce secret : secret à enfouir à jamais, secret à désintégrer par le feu, secret à divulguer publiquement ?

Le temps des révélations : performance intimiste

Suite à la collecte, le Tàd propose une restitution (t)ad hoc au public : statistiques sur la collecte effectuée, analyse de la teneur de la récolte obtenue, criée des secrets destinés à être révélés. Mais ce temps

Horde de mariées pour collecte de secrets

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partagé avec le public sera aussi l’occasion pour nos jeunes Mariées de sortir de leur archétype, de lever les voiles et de révéler quelques vrais faux secrets qui en disent long sur notre société...

Ambiançages pas si sages

Pendant le bal, le repas ou à d’autres temps forts, interstices de spectacle, la horde des Mariées peut aussi se regrouper et offrir quelques chansonnettes exutoires de leur répertoire féminin et féministe …

Le Tàd remercie l’association Teuf Teuf qui a accueilli le dispositif à Ganges le 27 juin 2014 lors des Veillées festives et populaires et le festival Vogue la Galère qui a accueilli la horde à Lyon en septembre 2014.

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N°11 - avril 201556 mag’

Les filles qui naissent toutes nues, C’est trop des putes,Les filles qui montrent leurs seins à leur bébé quand elles les allaitent,C’est trop des putes, Les filles qui enlèvent leur culotte devant leur gynéco,c’est trop des putes, Les filles qui sont à poil dans leur douche,C’est trop des putes.

Toutes des putes, Toutes des putains,C’est vraiment toutes des putes, Toutes des putes, Toutes des putains,C’est toutes des putes.

Les filles qui se touchent pour mettre des tampons,C’est trop des putes,Les filles qui ne portent rien sous leurs sous-vêtements,C’est trop des putes,Les filles qui se laissent p’loter pour une mammographie,C’est trop des putes,Les filles qui sont toutes nues devant le médecin légiste,C’est trop des putes,

Toutes des putes, Toutes des putains,C’est vraiment toutes des putes, Toutes des putes, Toutes des putains,

TOUTES DES PUTES - Giedré

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C’est toutes des putes, des putes, des putes, des putes, des putes, des putes.

Ouais toutes des putes, Toutes des putains,C’est vraiment toutes des putes, Toutes des putes, Toutes des putains.C’est toutes des putes.

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N°11 - avril 201558 mag’

Quelques temps forts en images de l’Anti-Université d’Hiver du Tàd

du 4 au 8 février 2015, Lyas, Ardèche

Séance de coloriage anti-stress

Préparation collective de daube et polenta

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Préparation de costumes carnavalesques

Découverte du mini-golf

Impression manuelle de fanzines

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Premiers États généreux du Pantai du 15 au 17 mai 2015

ProposLe pantai, qui signifie littéralement « rêve » en langue d’oc est un mot hérité du grec pantos qui signifie « image, rêve, illusion, fantaisie ». Depuis la seconde moitié du XXe siècle, il revêt - en particulier dans les mouvements culturels niçois - une signification plus large, celle d’un esprit créateur, d’un possible réalisé avec peu de moyens. Il porte des connotations utopiques et les stigmates d’un idéal de culture populaire, à la fois fantasme et fantôme. Le pantai participe aussi du mythe d’un esprit nissart, qui serait créatif, grivois, satirique, fier mais ouvert, indépendant mais accueillant et qui se serait ressourcé dès les années 1990 dans des sources post-situationnistes et occitanistes. Pour une bonne partie de la jeunesse alternative et/ou régionaliste, le pantai semblerait constituer une voie percutante d’invention d’un nouveau folklore qui ne serait ni identitaire ni mainstream. Une sorte de pas de côté culturel qui, par l’autonomisation de la création populaire, initierait la conscientisation politique individuelle et collective.

Dimenchada ascensionnelleLes Premiers États Généreux du Pantai se proposent de rassembler tous les adeptes et activistes en pantai de toute sorte, de regrouper toutes les définitions et réalisations possibles du pantai contemporain, et de lancer

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N°11 - AVRIL 2015 61 mag’les hostilités pan-occitanes et internationales pour des États généreux réguliers, à fréquence variable, dans un lieu différent à chaque édition. Tel un « potlatch », un don ostentatoire non marchand, cette première édition organisée en Languedoc, à Viols le Fort, obligera les participants à réitérer l’événement à leur domicile. Tables rondes itinérantes sans tables, ateliers expérimentatoires, conférences désarticulées, repas improvisés, siestes hallucinatoires, nuits transcendentales... chaque moment sera efficacement employé à découvrir ou confirmer notre attirance pour le pantai, espace de résistance à la normalité dominante mais aussi de création émancipée et excitante. Le vendredi sera consacré aux Noces de Ricardo et Roger, et aux retrouvailles des Diables Bleus survivants, plus de dix ans après leur disparition officielle. Le samedi sera orchestré par le TàD pour une réflexion de fond et de forme sur le pantai dans ses particulartiés et son universalité. Le dimanche sera une journée d’atterrissage politique et affectif, pour une redescente en douceur mais efficace.

Appel à participation pour la TRIST(Table Ronde Itinérante Sans Table)Nous appelons tous les contributeurs à partager leur expérience pantai, à explorer leur propre définition du pantai, à tenter un truc complètement pantai avec le public, bref à donner corps au concept du pantai, afin de le faire découvrir aux novices mais aussi de bousculer les idées reçues des initiés. Nous serons particulièrement attentifs aux propositions de définitions par défaut : qu’est-ce que le pantai n’est pas ? Nous songerons ensemble à confronter la notion de pantai à celles de projet, de travail ou encore de réalisme... Selon son habituel déroulement,

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N°11 - avril 201562 mag’

notre Table Ronde Itinérante Sans Table sera composée de diverses interventions et expérimentations aussi audacieuses et délirantes les unes que les autres selon des contraintes de techniques et de temps : chaque participation sera acoustique ou autonome dans ses moyens techniques et durera vingt minutes au maximum. À la suite de quoi chaque intervenant se soumettra à des échanges avec les participants, pendant une dizaine de minutes, eux aussi soumis à quelques contraintes ludiques (champs des questions prédéfinis). La TRIST sera encadrée par le TàD et les charmantes Tadettes qui se feront un plaisir d’accompagner tranquillement les contributeurs dans cette expérience forte en émotions. La TRIST sera présidée par Christian Rinaudo (séance inaugurale) et Thierry Lagalla (séance de clôture).Les propositions de participations sont à envoyer à Anaïs [email protected]

Appel à exposition « Pantai ! »Dans le cadre de ces EGP le TàD inaugurera également une exposition sur le pantai. Cette exposition sera par la suite présentée lors de différents événements. Nous entamons la phase de collectage à laquelle nous souhaitons vous associer. Nous sollicitons donc tous ceux et celles qui le désirent à nous faire parvenir des objets et des documents relatifs au pantai. Entre autres :⁃ tout sur la fête de la Santa Capelina (vidéos, photos, chapeaux, recettes, témoignages etc)⁃ portraits en tout genre de « travailleurs du chapeau »,

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N°11 - AVRIL 2015 63 mag’de ceux qui aiment à imaginer et « pantaier », de personnages marquants dans l’histoire du pantai ;⁃ traces et manifestations du mouvement pantai nissart alternatif (calendrier, embarcation du Passagin...)⁃ traces et manifestations de l’esprit pantai partout ailleurs dans le monde (Uruguay, Pas de Calais, Qatar...)⁃ un cabinet de curiosités participatif fonctionnera sur place.Tous les contributeurs sont invités à contacter Amandine Plancade. [email protected]

Programme Un programme détaillé sera envoyé fin avril suite à vos propositions.Vendredi de noces : la journée décollage avec cérémonie, secrets de mariées, KSOS- The very social park, concerts etcSamedi : la journée TRIST avec séances inaugurale et de clôture, apéro-dédicace surprise, vernissage de l’exposition Pantai !, concert et baletiDimanche : la journée d’atterrissage + ateliers volontaires.

LogistiqueEnvoyer donc vos propositions de participation à la TRIST et/ou à l’exposition Pantai !, et répondez à l’invitation aux noces en spécifiant vos dates d’arrivée et de départ, le nombre qui vous serez, et vos besoins en accueil (place pour camion, lit au calme, emplacement de tente etc).

Pour toute question, voir avec Anaïs 06 47 14 41 67.

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L’avis/la vie du Professeur Proutskaïa

Mes très chers lecteurs,

Je me dois de vous alerter d’une menace grandissante dans notre pays, celle d’un projet secret d’atteinte à nos bonnes vieilles valeurs franchouillardes que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Souvent enfermé dans mon cabinet de re-chercheur en mécanique sociale, je restais à l’abri de toute menace terroriste. C’est lors d’un contrat très précaire dans une université française en train de couler que j’eus l’occasion de voyager avec un déplorable dispositif dit solidaire : le covoiturage. Déplorable car il ne m’a fallu que très peu de temps pour comprendre que les discussions allaient vite prendre une tournure justement routinière, que mes covoyageurs resteraient pour la plupart circonspets en écoutant mes activités professionnelles hors normes, et que le blablabla n’était qu’un vain prétexte à l’économie de jeunes entepreneurs faussement écolos mais vraiment radins. Si Claude Lévi-Strauss disait justement : « On serait tenté de caractériser les sciences sociales comme des sciences qui ne sont pas plus sociales que les autres, mais beaucoup moins scientifiques », et bien détachons-nous une énième fois de cette tentation grâce à ma méthodologie hautement sociale et à mes résultats indubitablement scientifiques. Sur les 16 covoiturages effectués entre septembre et décembre 2014, plus de 73% des co-voitureurs s’enorgueillissaient

de faire « du management » ou y faisaient référence dans leur quotidien : du businessman jusqu’à l’ingénieur en aéronaval en passant par le policier, les étudiants en sport, l’étudiante en commerce... et j’en passe. Tous ceux-là étaient initiés - ou en voie de l’être - à l’art du management. Mais qu’est-ce que le management ? Comme tout bon chercheur mécanicien, je m’en suis remis à Wikipédia qui nous offre cette définition :

« Le management d’une grande organisation est un ensemble bidimensionnel de principes et de règles d’action empiriques contingents dont l’application systématique doit assurer l’efficience de la coordination des activités collectives et, conjointement, la motivation pour une coopération active et gratifiante de la part des membres de l’organisation. » (Dr Wikipedia)

Ma perspicacité légendaire n’y voyait qu’une tentative de brouillage de pistes. Et c’est en creusant mes recherches dans des livres de management, car il y en a - mais oui, il existe même des écoles ! -, que j’ai fait la découverte suivante : un groupuscule de néo-libéraux, fortement appuyés par de grosses sommes d’argent, aurait pour projet secret un programme de radicalisation capitaliste de la population mondiale planifié sur une trentaine d’années. Projet ambitieux me direz-vous mais finalement réalisable puisque toute la stratégie de ce projet

résiderait dans le secret, dans l’invisibilité de sa mise en œuvre. Et sans le covoiturage, je dois bien avouer que je n’aurais jamais rien vu de ce machiavélique projet. J’ai pu en effet constater auprès des covoitureurs baignés dans leur activité manageriale qu’ils ne s’étaient à aucun moment rendus compte de la radicalisation de leur propos, de leur posture, de leur quotidien et donc de leur vision du monde. Ils pensaient juste être devenus responsables, modernes, adaptés au progrès, flexibles et réalistes. Sans en avoir conscience, ils avaient progressivement transformé leur vocabulaire, échangé des mots par d’autres et oublié leurs fonctions sociales extérieures au profit, à l’efficacité et à la rentabilité. Non, chers lecteurs, ce n’est pas un cauchemard : sous nos yeux, s’opère une véritable invasion invisible de notre cher monde pourtant attaché à ses vieilles traditions bordéliques de fête, de retard et de non efficacité. Nous risquons de dériver, et rapidement, vers une société dans laquelle nous nous managerons les uns les autres. Je vous invite donc à rester vigilants avec votre entourage en relevant les comportements décrits dans notre brochure de prévention du terrorisme néo-libéral.