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42 TERRITORIAL JURIDIQUE | PRATIQUE Zepros 6 | Octobre 2018 n Qu’estce que la taxe sur les friches commerciales TFC? Il s’agit d’un impôt local facultatif, créé par la loi de finances rectifica- tive pour 2006. Elle figure au- jourd’hui à l’article 1530 du Code général des impôts. Concrète- ment, lorsqu’elle a été instituée sur un territoire, la taxe est appli- quée aux propriétaires de locaux inoccupés, afin de les inciter à exploiter ou faire exploiter leur bien. Ce dispositif a ainsi vocation à lutter contre la désertification commerciale, phénomène qui s’est récemment aggravé et touche particulièrement les villes moyennes. n Quels sont les locaux susceptibles d’être concernés par la TFC? Il s’agit bien sûr des locaux à usage commercial, mais pas seulement. Elle peut concerner des locaux à usage agricole, des immeubles de bureaux, des locaux occupés par des administrations publiques, des associations et des établisse- ments d’enseignement privé, ou, encore, les ateliers des artisans dès lors que l’outillage n’est pas suffisant pour leur conférer le caractère d’établissement indus- triel. En effet, les établissements industriels sont exclus du champ d’application de la taxe, de même que les locaux à usage d’habi- tation ou encore ceux à usage professionnel. n À partir de quand peuventils se voir appliquer la TFC? La taxe est applicable aux locaux précités dès lors qu’ils n’ont pas été affectés depuis deux ans au moins au 1 er janvier de l’année d’imposition, de manière continue, à une activité entrant dans le champ de la cotisation financière des entreprises (CFE). Mais l’administration fiscale va encore plus loin car elle considère que, si au cours de la période de référence, le local a été affecté à une activité quelconque, quand bien même celle-ci ne relève pas du champ de la CFE, mais d’une activité non professionnelle ou entrant dans le champ de la taxe d’habitation, il n’est pas suscep- tible d’être soumis à la taxe. Cette interprétation particulière- ment extensive, et même contra legem, du texte du Code général des impôts, induit une application limitée du dispositif. n Le propriétaire concerné par la TFC disposetil de voies pour s’exonérer de son acquittement? Oui. La taxe n’est pas applicable si l’inexploitation du local est indépendante de la volonté du contribuable. L’administration fiscale précise que l’appréciation de ce critère relève de circons- tances de fait, que le redevable doit établir de manière précise : il doit justifier qu’« une circonstance indépendante de sa volonté a fait obstacle de manière inéluctable à la poursuite de l’exploitation ou qu’il a effectué toutes les démarches pour vendre ou louer son bien » (Bulletin officiel des finances publiques, IF - AUT - Taxes et prélèvements additionnels aux impôts fonciers - Taxe sur les friches commerciales, BOI-IF- AUT-110-20140625 du 25 juin 2014.). Peuvent notamment bénéficier de cette exonération les biens ayant vocation à disparaître dans un avenir proche (un an) ou les locaux qui ne trouvent pas preneur alors qu’ils ont été mis en location ou en vente à un prix n’excédant pas celui du marché. Typiquement donc, dans les zones peu attractives, cette cause d’exonération est susceptible de prospérer. n Comment mettre en œuvre ce dispositif sur un territoire? Il appartient à la collectivité qui souhaite instaurer la TFC de déli- bérer avant le 1 er octobre de l’année précédant celle de l’imposition, et de fixer à cette occasion les taux applicables. Les taux légaux sont respective- ment fixés à 10 % la première année d’imposition, 15 % la deuxième année et 20 % à compter de la troisième année. Mais ils peuvent être majorés jusqu’à hauteur du double par la collectivité, cette majoration pouvant concerner un, plusieurs ou tous les taux et être modulée selon le taux. La taxe est néces- sairement instituée sur l’ensemble du territoire de la collectivité. n Quelle est l’autorité compétente pour instaurer la TFC? Le texte pose des difficultés d’interprétation à ce sujet. Il est prévu que la taxe peut être instaurée par les communes mais également par les établisse- ments publics de coopération intercommunale à fiscalité propre compétents en matière d’aména- gement des zones d’activités commerciales. Or, à ce jour, tous les EPCI à fiscalité propre sont compétents à titre obligatoire en la matière, de sorte qu’on perçoit mal l’intérêt de cette précision. Le texte précise que les EPCI peuvent instituer cette taxe « en lieu et place de la commune ». Il faudrait donc considérer que si l’EPCI dont relève une commune n’a pas déjà instauré la taxe dans le ressort intercommunal, elle est alors fondée à délibérer pour la mettre en place sur son territoire. n Les collectivités se sontelles saisies de ce dispositif? Peu de collectivités ont mis en place la TFC sur leur territoire. En 2012, on dénombrait 59 com- munes et 17 EPCI (rapport séna- torial sur les outils fonciers à disposition des élus locaux, enre- gistré à la présidence du Sénat le 1 er octobre 2013) et, à ce jour, environ 31 EPCI (représentant 920 communes) et 235 com- munes (source: AMF, Taxe sur les friches commerciales, avril 2018). n Comment s’explique cette faible proportion? D’une part, il existe des difficultés de recensement des locaux vacants (situation en voie d’amé- lioration avec le fichier annuel des locaux commerciaux et professionnels, gratuitement mis à disposition des collectivités par l’administration fiscale via le portail internet de la gestion publique). D’autre part, ce dispositif n’appa- raît pas adapté aux territoires peu attractifs: dans ces zones, la taxe peut avoir pour effet d’accentuer les difficultés financières des pro- priétaires de locaux vacants et de faire fuir les investisseurs poten- tiels. Au contraire, elle peut être un outil incitatif efficace au sein des territoires attractifs: elle incite les propriétaires à remettre plus rapidement leurs biens sur le marché, sans qu’ils ne soient tentés d’attendre une conjoncture économique plus favorable pour louer ou vendre leur local à un prix plus élevé. n Quelles sont les perspectives d’amélioration de cet outil? La TFC n’est qu’un outil parmi d’autres pour permettre la revita- lisation commerciale des villes: elle doit s’inscrire dans un projet plus global et transversal en la matière (dispositifs d’aide à l’implantation commerciale en centre-ville, politiques de mobilité et de stationnement). Par ailleurs, l’Association des maires de France recommande que son champ d’application soit restreint, par exemple aux seuls locaux commerciaux, et qu’elle puisse être appliquée ou modulée en fonction des zones du territoire (par exemple, être concentrée sur la zone « centre » de la ville). n Existetil d’autres démarches de revitalisation du com merce en centreville? Oui. Le gouvernement a lancé, fin 2017, le programme « Action cœur de ville » en faveur de la revi- talisation des villes moyennes. 222 communes ont été sélection- nées pour bénéficier de ce pro- gramme, mobilisant plus de cinq milliards d’euros. Elles doivent signer une convention de revitali- sation pluriannuelle avec l’État, les partenaires nationaux du programme (Caisse des dépôts, Action Logement, Agence natio- nale de l’habitat), les régions et les autres partenaires locaux. La convention s’articule autour de cinq axes: développement d’une offre d’habitat attractive en centre-ville, favorisation d’un développement économique et commercial équilibré, dévelop- pement de l’accessibilité et de la mobilité, mise en valeur des formes urbaines, de l’espace pu- blic et du patrimoine et fourniture de l’accès aux équipements et ser- vices publics. Les premières conventions ont été signées début juin. TAXE SUR LES FRICHES COMMERCIALES : UN DISPOSITIF À SAISIR ? Par Stella Flocco avocate au cabinet Seban & Associés Un outil intéressant Créée il y a plus de dix ans, la taxe sur les friches commer- ciales ou taxe sur les locaux commerciaux vacants est un outil pour lequel les collectivités locales pourraient témoi- gner un regain d’intérêt, compte tenu de l’aggravation constatée de la vacance commerciale sur le territoire fran- çais, en particulier dans les centres-villes des communes moyennes.

TAXE SUR LES FRICHES COMMERCIALES : UN ......2018/10/05  · la taxe sur les friches commerciales 0TFC1? Il s’agit d’un impôt local facultatif, créé par la loi de finances rectifica-tive

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Page 1: TAXE SUR LES FRICHES COMMERCIALES : UN ......2018/10/05  · la taxe sur les friches commerciales 0TFC1? Il s’agit d’un impôt local facultatif, créé par la loi de finances rectifica-tive

42TERRITORIAL

JURIDIQUE | PRATIQUE Zepros 6 | Octobre 2018

n Qu’est-ce que la taxe sur les frichescommerciales (TFC)?

Il s’agit d’un impôt local facultatif,créé par la loi de finances rectifica-tive pour 2006. Elle figure au-jourd’hui à l’article 1530 du Codegénéral des impôts. Concrète-ment, lorsqu’elle a été instituée sur un territoire, la taxe est appli-quée aux propriétaires de locauxinoccupés, afin de les inciter à exploiter ou faire exploiter leur bien.Ce dispositif a ainsi vocation à lutter contre la désertification commerciale, phénomène qui s’est récemment aggravé et touche particulièrement les villesmoyennes.

n Quels sont les locauxsusceptibles d’être concernés par la TFC?

Il s’agit bien sûr des locaux à usagecommercial, mais pas seulement.Elle peut concerner des locaux àusage agricole, des immeubles de bureaux, des locaux occupés par des administrations publiques,des associations et des établisse-ments d’enseignement privé, ou, encore, les ateliers des artisansdès lors que l’outillage n’est passuffisant pour leur conférer le caractère d’établissement indus-triel. En effet, les établissementsindustriels sont exclus du champd’application de la taxe, de mêmeque les locaux à usage d’habi-tation ou encore ceux à usage professionnel.

n À partir de quand peuvent-ils se voir appliquer la TFC?

La taxe est applicable aux locauxprécités dès lors qu’ils n’ont pasété affectés depuis deux ans aumoins au 1er janvier de l’année d’imposition, de manière continue,à une activité entrant dans lechamp de la cotisation financièredes entreprises (CFE).Mais l’administration fiscale va encore plus loin car elle considèreque, si au cours de la période de

référence, le local a été affecté à une activité quelconque, quandbien même celle-ci ne relève pasdu champ de la CFE, mais d’uneactivité non professionnelle ou entrant dans le champ de la taxed’habitation, il n’est pas suscep-tible d’être soumis à la taxe. Cette interprétation particulière-ment extensive, et même contralegem, du texte du Code généraldes impôts, induit une applicationlimitée du dispositif.

n Le propriétaire concerné par la TFCdispose-t-il de voiespour s’exonérer de son acquittement?

Oui. La taxe n’est pas applicable si l’inexploitation du local est indépendante de la volonté ducontribuable. L’administration fiscale précise que l’appréciationde ce critère relève de circons-tances de fait, que le redevable doit établir de manière précise : il doit justifier qu’«une circonstanceindépendante de sa volonté a faitobstacle de manière inéluctable àla poursuite de l’exploitation ou qu’ila effectué toutes les démarchespour vendre ou louer son bien »(Bulletin officiel des finances publiques, IF - AUT - Taxes et prélèvements additionnels aux impôts fonciers - Taxe sur lesfriches commerciales, BOI-IF-AUT-110-20140625 du 25 juin2014.).Peuvent notamment bénéficier de cette exonération les biens ayant vocation à disparaître dans un avenir proche (un an) ou les locaux qui ne trouvent paspreneur alors qu’ils ont été mis en location ou en vente à un prixn’excédant pas celui du marché. Typiquement donc, dans les zones peu attractives, cette caused’exonération est susceptible de prospérer.

n Comment mettre en œuvre ce dispositifsur un territoire?

Il appartient à la collectivité qui souhaite instaurer la TFC de déli-bérer avant le 1er octobre de l’annéeprécédant celle de l’imposition, et de fixer à cette occasion les taux applicables.Les taux légaux sont respective-ment fixés à 10 % la première année d’imposition, 15 % ladeux ième année et 20 % à compter de la troisième année.Mais ils peuvent être majorésjusqu’à hauteur du double par la collectivité, cette majoration pouvant concerner un, plusieursou tous les taux et être moduléeselon le taux. La taxe est néces-sairement instituée sur l’ensembledu territoire de la collectivité.

n Quelle est l’autoritécompétente pour instaurer la TFC?

Le texte pose des difficultés d’interprétation à ce sujet. Il estprévu que la taxe peut être instaurée par les communes mais également par les établisse-ments publics de coopération intercommunale à fiscalité proprecompétents en matière d’aména-gement des zones d’activités commerciales. Or, à ce jour, tousles EPCI à fiscalité propre sontcompétents à titre obligatoire enla matière, de sorte qu’on perçoitmal l’intérêt de cette précision. Le texte précise que les EPCI peuvent instituer cette taxe « enlieu et place de la commune ». Il faudrait donc considérer que sil’EPCI dont relève une communen’a pas déjà instauré la taxe dansle ressort intercommunal, elle estalors fondée à délibérer pour lamettre en place sur son territoire.

n Les collectivités se sont-elles saisies de ce dispositif?

Peu de collectivités ont mis en place la TFC sur leur territoire. En 2012, on dénombrait 59 com-munes et 17 EPCI (rapport séna-torial sur les outils fonciers à disposition des élus locaux, enre-

gistré à la présidence du Sénat le 1er octobre 2013) et, à ce jour, environ 31 EPCI (représentant 920 communes) et 235 com-munes (source: AMF, Taxe sur lesfriches commerciales, avril 2018).

n Comment s’expliquecette faible proportion?

D’une part, il existe des difficultésde recensement des locaux vacants (situation en voie d’amé-lioration avec le fichier annuel des locaux commerciaux et professionnels, gratuitement misà disposition des collectivités par l’administration fiscale via le portail internet de la gestion publique).D’autre part, ce dispositif n’appa-raît pas adapté aux territoires peuattractifs: dans ces zones, la taxepeut avoir pour effet d’accentuerles difficultés financières des pro-priétaires de locaux vacants et defaire fuir les investisseurs poten-tiels. Au contraire, elle peut être un outil incitatif efficace au sein des territoires attractifs: elle inciteles propriétaires à remettre plus rapidement leurs biens sur le marché, sans qu’ils ne soient tentés d’attendre une conjonctureéconomique plus favorable pourlouer ou vendre leur local à un prixplus élevé.

n Quelles sont les perspectivesd’amélioration de cet outil?

La TFC n’est qu’un outil parmi d’autres pour permettre la revita-lisation commerciale des villes : elle doit s’inscrire dans un projetplus global et transversal en la matière (dispositifs d’aide à

l’implantation commerciale en centre-ville, politiques de mobilitéet de stationnement).Par ailleurs, l’Association desmaires de France recommande que son champ d’application soit restreint, par exemple auxseuls locaux commerciaux, etqu’elle puisse être appliquée ou modulée en fonction des zones du territoire (par exemple,être concentrée sur la zone « centre » de la ville).

n Existe-t-il d’autres démarches de revitalisation du com-merce en centre-ville?

Oui. Le gouvernement a lancé, fin 2017, le programme « Actioncœur de ville » en faveur de la revi-talisation des villes moyennes. 222 communes ont été sélection-nées pour bénéficier de ce pro-gramme, mobilisant plus de cinqmilliards d’euros. Elles doivent signer une convention de revitali-sation pluriannuelle avec l’État, les partenaires nationaux du programme (Caisse des dépôts,Action Logement, Agence natio-nale de l’habitat), les régions et les autres partenaires locaux. La convention s’articule autour de cinq axes : développement d’une offre d’habitat attractive en centre-ville, favorisation d’undéveloppement économique et commercial équilibré, dévelop-pement de l’accessibil ité et de la mobilité, mise en valeur desformes urbaines, de l’espace pu-blic et du patrimoine et fourniturede l’accès aux équipements et ser-vices publics. Les premièresconventions ont été signées début juin. �

TAXE SUR LES FRICHES COMMERCIALES : UN DISPOSITIF À SAISIR ? Par Stella Flocco avocate au cabinet Seban & Associés

Un outil intéressantCréée il y a plus de dix ans, la taxe sur les friches commer-ciales ou taxe sur les locaux commerciaux vacants est unoutil pour lequel les collectivités locales pourraient témoi-gner un regain d’intérêt, compte tenu de l’aggravationconstatée de la vacance commerciale sur le territoire fran-çais, en particulier dans les centres-villes des communesmoyennes.