128
U.F.R. DE SCIENCES JURIDIQUES ADMINISTRATIVES ET U.F.R. DE SCIENCES JURIDIQUES ADMINISTRATIVES ET POLITIQUES POLITIQUES Première année de Licence. - U.P.A Année universitaire 2012 - 2013 INTRODUCTION AUX INSTITUTIONS POLITIQUES Cours de M. le Professeur Jean-Marie Denquin DOSSIER DE TRAVAUX DIRIGES 1 er SEMESTRE 1/128

td_semestre_1rev.doc

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: td_semestre_1rev.doc

U.F.R. DE SCIENCES JURIDIQUES ADMINISTRATIVES ETU.F.R. DE SCIENCES JURIDIQUES ADMINISTRATIVES ET POLITIQUESPOLITIQUES

Première année de Licence. - U.P.AAnnée universitaire 2012 - 2013

INTRODUCTION AUX INSTITUTIONS POLITIQUES

Cours de M. le Professeur Jean-Marie Denquin

DOSSIER DE TRAVAUX DIRIGES

1er SEMESTRE

1/98

Page 2: td_semestre_1rev.doc

2/98

Page 3: td_semestre_1rev.doc

FICHE N° 1 TRAVAUX DIRIGES - METHODOLOGIE

I/ Travaux dirigés

1 - Objectif des travaux dirigés - Le but des travaux dirigés est double : préparer l'étudiant à l'examen, mais surtout former l'étudiant à la science juridique, à partir d'exercices pratiques portant sur un thème particulier en relation avec le cours. Les thèmes de travaux dirigés permettent donc également d'approfondir et de développer ce dernier.

Les travaux dirigés ont pour objectif l'acquisition d'une méthode de travail et d'exposition des questions juridiques, lesquelles obéissent à des règles que l'étudiant est invité à observer le plus rapidement possible, s'il veut mettre toutes les chances de succès de son côté et réussir ainsi son année.

2 - Préparation des travaux dirigés - Les travaux dirigés ne peuvent être profitables que si l'étudiant a une bonne connaissance préalable du thème qui va être abordé. Chaque séance demande donc un important effort personnel de préparation, en trois étapes

A - Fiche de travaux dirigés : 1ère lecture - La préparation des travaux dirigés doit commencer par une première lecture rapide de la fiche de la séance. Vous prenez connaissance des documents qui y figurent et vous essayez de dégager les principales questions abordées, sans vous laisser décourager par la difficulté de compréhension de certains textes.

B -Réunir les connaissances nécessaires sur le thème de la fiche - Cette deuxième étape vous permet justement devoir plus clair sur le sujet. Les connaissances peuvent être acquises soit à l'aide d'un manuel et du cours d'amphithéâtre, ce qui est le minimum, soit de façon plus approfondie, par la comparaison des développements relatifs au thème dans deux ou trois manuels et une ou deux lectures complémentaires à choisir dans les indications bibliographiques figurant dans la fiche. Chaque thème peut donner lieu ainsi à la constitution d'un dossier thématique avec textes, opinions doctrinales, résumés d'auteurs etc., qui sont autant d'entraînement au maniement des sources juridiques. Ces dossiers pourront constituer un «fond» documentaire auquel vous pourrez vous référer non seulement pour d'autres séances de T.D. et pour la révision de vos examens, mais aussi pour vos études dans les années suivantes.

C - Fiche de travaux dirigés : 2ème lecture - Une fois acquises les connaissances relatives au thème, vous êtes en mesure de comprendre les textes, de dégager les éventuelles oppositions d'opinion entre les auteurs, de les exposer clairement et synthétiquement et d'argumenter.

La participation orale dans le cadre des travaux dirigés est le meilleur moyen, avec les exercices écrits qui seront demandés par les chargés de travaux dirigés, d'acquérir une démarche juridique et d'assimiler vos connaissances.

3/98

Page 4: td_semestre_1rev.doc

II/ Modalités du contrôle des connaissancesDans le cadre de l'enseignement d’introduction aux institutions politiques de l'unité fondamentale AI, chaque étudiant devra satisfaire aux exigences suivantes :

1) n'avoir pas plus de trois séances d'absence. "L'absence même justifiée, à plus de trois séances de travaux dirigés par semestre et par matière fait perdre le bénéfice de la session pour la matière non suivie." Inutile de préciser qu’une présence à toutes les séances est vivement recommandée.

2) avoir obtenu quatre notes : trois notes constituées par des travaux déterminés par le chargé de travaux dirigés et une note résultant d'un partiel organisé en amphithéâtre. Le partiel du premier semestre comportera deux sujets au choix, que les étudiants traiteront en trois heures. Le partiel du premier semestre ne sera pas affecté d'un coefficient.

L’équipe pédagogique tient à rappeler aux étudiants que les copier/coller et autres plagiats seront sanctionnés par un zéro non rattrapable.

Ce minimum de trois notes n'interdit pas, bien sûr, des exercices supplémentaires, soit à titre d'entraînement personnel, soit à la demande du chargé de travaux dirigés.

Sujet de l’examen de janvier 2011 :

La notion d’Etat

Ou

La Constitution de 1791

Sujet de l’examen de septembre 2012 :

La notion de Constitution

Ou

La IVème république

Sujet de l’examen de janvier 2008 :

La notion de démocratie en droit constitutionnel

Ou

La IVe république

Sujet de l’examen de septembre 2008 :

La notion de Constitution

Ou

Le régime politique de la IIIe république

NB : l'examen de la session de septembre dure 2 heures

4/98

Page 5: td_semestre_1rev.doc

III/ Indications bibliographiques générales.

A/ Manuels conseillés pour l'annéeHAMON (F.), TROPER (M.), Droit constitutionnel, LGDJ, 32ème édition, 2011, 34€

GICQUEL (J.) et GICQUEL (J.E), Droit constitutionnel et Institutions politiques, Montchrestien, coll. "Précis Domat droit public", 26ème éd., 2012. 39,55€

B/ Autres manuels à consulterARDANT (Ph) et Mathieu (Bertrand), Institutions politiques et Droit constitutionnel, L.G.D.J., 24ème éd. 2012. 34,5€

BOURDON (J.), DEBBASCH (Ch.), PONTIER (J.-M.), RICCI (J.-C.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Economica.

CHAGNOLLAUD (D.), Droit constitutionnel contemporain, Dalloz, Cours Dalloz, 3 tomes, 2009. 22,3€ par tome

CHAMPEIL-DESPLATS (V.), Les grandes questions du droit constitutionnel, Les guides de l'étudiant, 2003.

CHANTEBOUT (B.), Droit constitutionnel, 29ème éd., A. Colin, 2012. 34,5€

COHENDET (M. A.), Droit constitutionnel, 5ème éd., Montchrestien 2011. 28,4€

CONSTANTINESCO (V) et Pierré-Caps (S), Droit constitutionnel, PUF, 5e, 2011, 40€

FAVOREU (L.), (dir.), Droit constitutionnel, Dalloz, Précis 14ème édition, 2011. 40,6€

FOILLARD (Philipe), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paradigme PU, 17ème édition, 2011, 22€

GUCHET (Y.), CATSIAPIS (J.), Droit constitutionnel, Ellipses, 1998.

LAVROFF (D. G.), Le droit constitutionnel de la Ve république, Dalloz, 1999.

LECLERCQ (CI.), Institutions politiques et droit constitutionnel, Litec, 10ème

éd., 2001.

LE POURTHIET (A.M), Droit constitutionnel, Economica, 2er, 2008, 39€

OLIVA (E), Droit constitutionnel, Dalloz, Aide Mémoire, 2006, 18€

PACTET (P.), MELIN-SOUCRAMANIEN (F) Droit constitutionnel et Institutions politiques, Armand Colin, 31ème éd., 2012. 34,5€

PORTELLI (H.), Droit constitutionnel, Dalloz, Hypercours, 9ème éd., 2011. 29,4€

ROUVILLOIS (F.), Droit constitutionnel. Fondements et pratiques, 3e, 2 tomes, Flammarion, 2011, 14,20€ par tome

TURPIN (D.), Droit constitutionnel, P.U.F, quadrige, 2007, 29€.

5/98

Page 6: td_semestre_1rev.doc

ZOLLER (E.), Droit constitutionnel, P.U.F., Coll. "Droit fondamental" (Droit politique et théorique), 3ème éd., 2000.

C/ Ouvrages consacrés aux régimes politiques occidentaux.

GREWE (C.), RUIZ-FABRI (H.), Droits constitutionnels européens, 1995.

LAUVAUX (Ph.), Les grandes démocraties européennes, 3ème éd., 2004.

MENY (Y.), Politique comparée. (Les démocraties: Allemagne, Etats Unis, France, Grande-Bretagne, Italie)., L.G.D.J., 6ème éd., 2004.

PORTELLI (H.), Les régimes politiques européens, Livre de Poche, 1994.

QUERMONNE (J.-L.), Les régimes politiques occidentaux, 5ème éd., 2006.

D/ Manuels et Traités classiques.BURDEAU (G.), Traité de science politique, L.G.D.J. (10 volumes).

CARRE DE MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l’Etat, 2 vol., 1920-1922, réimprimé en 1962. (disponible sur Gallica)

CARRE DE MALBERG (R.), La loi expression de la volonté générale, Paris, Sirey, 193 1, réédition Economica, 1984. (disponible sur Gallica)

DUGUIT (L.), Traité de droit constitutionnel, 5 vol., 1923-1927, réimprimé en 1972.

ESMEIN (A.), Eléments de droit constitutionnel, Paris, réimpression de la 6ème

éd. (1914), 2001.

ESMEIN (A.), NEZARD (H.), Eléments de droit constitutionnel, 2 vol., 8ème éd., 1927. HAURIOU (M.), Précis de droit constitutionnel, 2eme éd., 1929, réimprimé en 1965.

KELSEN (H.), Théorie pure du droit, traduction française de la 2ème éd. par Ch. EISENMANN, Paris, Dalloz, 1962.

VEDEL (G.), Manuel élémentaire de droit constitutionnel, P.U.F., 1949, réimprimé en 1984.

E/ Ouvrages d'histoire constitutionnelle.CHEVALLIER (J. -J.) et MAYEUR (J.M), Histoire des Institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à nos jours, Armand Colin, 2000.

CHEVALLIER (J. –J.), Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à 1958, Dalloz, 2001

CHEVALLIER (J.-J.), CARCASSONNE (G.) et DUHAMEL (O.), Histoire de la Ve république, Dalloz, 2009

CHAPSAL (J.), LANCELOT (A.), La vie politique en France 1940-1958, P.U.F., coll. Thémis, science politique, 520 p., 2001.

CHAPSAL (J.), La vie politique en France sous la Vème République (2 tomes), P.U.F., coll. Thémis, science politique, 1992 et 1993.

DUHAMEL (0.) Histoire con

stitutionnelle de la France, 1995, coll. "Points", Le Seuil.

6/98

Page 7: td_semestre_1rev.doc

ELLUL (J.), Histoire des institutions, le XIXème siècle, collection "Quadrige", P.U.F., 1998

GUCHET (Y.), Histoire constitutionnelle de la France 1789-1974, Economica, 3ème éd., 1993.

MORABITO (M.), Histoire constitutionnelle de la France, (1789-1958), Montchrestien, coll. "Précis Domat droit public", 12ème édition, 2012. 34€

REMOND (R.), La vie politique en France (1789-1879), 2 vol., 2ème éd., 1971.

TROPER (M.), La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, Paris, L.G.D.J., 1980.

VELLEY (S.), Histoire constitutionnelle de 1789 à nos jours, Ellipses, 2009.

F/ Ouvrages et manuels d'histoire des Idées politiques.BRAUD (P.) et BURDEAU (F.), Histoire des idées politiques depuis la Révolution, Montchrestien, coll. "Précis Domat Politique", 6ème édition 2002.

CHATELET (F.), DUHAMEL (0.), PISIER (E.), Dictionnaire des œuvres politiques, P.U.F., 1328 pages, 3è édition, 1995.

CHEVALLIER (J.-J.), Les grandes œuvres politiques, de Machiavel à nos jours, Armand Colin, réed. 1998.

CHEVALIER (J. -J.), Histoire de la pensée politique, Petite bibliothèque Payot, 2006. 25€

CROPSEY (J.) et STRAUSS (L.), Histoire de la philosophie politique, PUF, 2010, 30€

GUCHET (Y.), La pensée politique, Armand Collin, coll. Cursus, 1996.

GUCHET (Y.), Histoire des idées politiques I, (des origines à la Révolution française), Armand Colin, coll. U, 1994.

GUCHET (Y.), DEMALDENT (J.-M.); Histoire des idées politiques II (de la Révolution française à nos jours), Armand Colin, 1996.

ORY (P.) (Dir.), Nouvelle histoire des idées politiques, collection Pluriel, Hachette, 1989.

PISIER (E.) et al., Histoire des idées politiques, "Mémento Thémis", P.U.F. 416 p. 1998.

PRELOT (M.), LESCUYER (G.), Histoire des idées politiques, 11ème éd., Dalloz "Précis", 1992

TOUCHARD (J.), Histoire des idées politiques, T.I, P.U.F., coll. Thémis, 416 p. 1993.

TOUCHARD (J.), Histoire des idées politiques, TJI, P.U.F., coll. Thémis, 496 p. 1998

G/ Ouvrages de sociologie politique.BRAUD (P.) Sociologie politique, L.G.D.J., 9ème édition, 2008.

DUHAMEL (0.), Les démocraties, coll. Points, Le Seuil, 1996.

DENQUIN (J.-M.), Science politique, P.U.F., coll. "Droit fondamental / Droit politique et théorique", 5ème éd. 1996.

DUVERGER (M.), Sociologie de la politique, P.U.F., coll. "Thémis", 1973.

7/98

Page 8: td_semestre_1rev.doc

GOGUEL (F.), GROSSER (A.), La politique en France, 8ème éd., 1981.

HERMET (G.), BADIE (B.), BIRNBAUM (P.) et BRAUD (Ph.), Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Armand Collin, 2ème éd., 1996.

H/ Traités, manuels et ouvrages collectifs relatifs à la Vème République1

AVRIL (P.), La Vème République, histoire politique et constitutionnelle, coll. "Droit politique et théorique" (Droit fondamental), P.U.F., 1994, 424 p.

CARCASSONNE (G.), La Constitution, 9ème éd. Seuil, coll. "Points" 2009.

DUHAMEL (0.), Le pouvoir politique en France, Seuil, 1999.

FAVOREU (L.), PHILIP (0.), Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, Dalloz, 14ème éd., 2007.

FAVOREU (L.), MAUS (D.), PARODI (J.-L.), L'écriture de la Constitution de la Vème République, Economica.

GUCHET (Y.), La Vème République, Economica, 3ème édition 1993.

ASSOCIATION FRANCAISE DES CONSTITUTIONNALISTES, Cinquantième anniversaire de la Constitution française, Dalloz, 2008.

Les 50 ans de la Constitution, Litec, 2008.

I/ Dictionnaires et lexiquesAVRIL (P.), GICQUEL (J.), Lexique. Droit constitutionnel, P.U.F. 1994.

DUHAMEL (0.), MENY (Y.), et al., Dictionnaire constitutionnel, P.U.F. 1992.

SIRINELLI (J.-F.), Dictionnaire historique de la vie politique française au XXème

siècle, 1995.

VILLIERS (Michel de) Dictionnaire de droit constitutionnel, Armand Collin, coll. "Cursus".

J/ Principales revues.Actualité juridique. Droit administratif (AJ D.A.)

Annuaire de Législation française et étrangère (A.L.FE.) publié par le Centre français de droit comparé. Annuaire international de justice constitutionnelle (AJJ.C.)

Droits, Revue française de théorie juridique (R.FTJ). Notamment : Droits n°15 et 16, L'Etat, 1992

L'année politique, économique, sociale et diplomatique en France. Notes et études documentaires (N. E. D.) publiées par la Documentation française

Pouvoirs (Notamment la chronique constitutionnelle française de P. AVRIL et J. GICQUEL)

Revue française du droit public et de la science politique en France et à l'étranger (R.D.P.)

Revue d'études constitutionnelles et politiques (R. E C P)

1 Une bibliographie détaillée sur la Vème République figurera dans le dossier de travaux dirigés du second semestre consacré à la Vème République.

8/98

Page 9: td_semestre_1rev.doc

Revue française de droit constitutionnel (R.F. D. C.)

Revue française de sciences politiques (R. F. S. P.)

Revue politique et Parlementaire (R. P. P.)

K/ Recueil de documents.CATSIAPIS (J.), GUCHET (Y.), Documents politiques et constitutionnels, Ellipses, Paris, 1994

DUVERGER (M.), Constitutions et documents politiques, P.U.F., coll. "Textes et documents", 1072 p. 1996

FAVOREU (L.), Recueil de jurisprudence constitutionnelle, Litec.

MAUS (D.), Les grands textes de la pratique constitutionnelle de la Vème République, la documentation française

MENY (Y.), Constitutions et documents politiques, P.U.F.

MONIN (M.), Textes et documents constitutionnels depuis 1958, Armand Colin 2001.

RIALS (S.), Textes constitutionnels français, P.U.F., coll. "Que sais-je

RIALS (S.), Textes constitutionnels étrangers, P.U.F., coll. "Que sais-je

RIALS (S.), Textes politiques français, P.U.F., coll. "Que sais-je

VERPEAUX (M.), Textes révolutionnaires français, P.U.F., coll. "Que sais-je

L. Sites Internet et CD romDalloz études, Droit Constitutionnel, 2008-2009, 19€ (outre les textes constitutionnels et le lexique des termes juridiques, le cdrom contient un certain nombre d’articles permettant d’approfondir les notions vues en cours et en td).

D’une manière générale, vous trouverez beaucoup de documents sur Internet. Inutile de préciser qu’un recopiage pur et simple d’une dissertation trouvée ou de wikipedia sera lourdement sanctionné.

Conseil constitutionnel : http://www.conseil-constitutionnel.fr/ (outre des articles, vous y trouverez les textes des différentes constitutions de la France)

Legifrance : http://www.legifrance.gouv.fr/ (site généraliste pour obtenir des documents officials, textes de lois et jurisprudence)

Assemblée Nationale: http://www.assemblee-nationale.fr/

Sénat : http://www.senat.fr/

Premier Ministre et Gouverment : http://www.premier-ministre.gouv.fr/fr/

9/98

Page 10: td_semestre_1rev.doc

Thèmes des séances de travaux dirigésdu premier semestre

Séance n°1

Méthodologie des travaux dirigésLes constitutions de la France

Séance n°2

La séparation des pouvoirs / La notion de Constitution

Séance n°3

Les systèmes présidentiel et parlementaire :Les Etats-Unis et le Royaume-Uni

Séance n°4

La déclaration des droits de l'homme et du citoyen

Séance n°5

Méthodologie

Séance n°6

L'introduction du régime parlementaire en France : les Chartes de 1814 et 1830

Séance n°7

La IIIème République (1)

Séance n°8

La IIIème République (2)

Séance n°9

La IVème République

Séance n°10

De la IVème à la Vème République

Séance n°11

Méthodologie

10/98

Page 11: td_semestre_1rev.doc

Les Constitutions de la France

Constitution de 1791 - 3 et 4 septembre 1791

Constitution de l'An I - Première République - 24 juin 1793

Constitution de l'An III - Directoire - 5 fructidor An III, 22 août 1795

Constitution de l'An VIII - Consulat - 22 frimaire An VIII, 13 décembre 1799

Constitution de l'An X - Consulat à vie - 16 thermidor An X, 4 août 1802

Constitution de l'An XII - Empire - 28 floréal An XII, 18 mai 1804

Charte de 1814 - 1ère Restauration - 4 juin 1814

Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire - Cent-jours - 23 avril 1815

Charte de 1830, Restauration - 14 août 1830

Constitution de 1848, IIe République - 4 novembre 1848

Constitution de 1852, Second Empire - 14 janvier 1852

Constitution de 1875, IIIe République - 24, 25 février et 16 juillet 1875

Loi constitutionnelle du 2 nov. 1945 - Gouvernement provisoire

Constitution de1946, IVe République - 27 octobre 1946

Constitution de 1958, Ve République - 4 octobre 1958

11/98

Page 12: td_semestre_1rev.doc

FICHE N°2 : LA SEPARATION DES POUVOIRS ET LA NOTION DE

CONSTITUTION

I/ DOCUMENTS REPRODUITSA. la théorie de la séparation des pouvoirs1. Montesquieu, De l'Esprit des Lois - Livre XI, Chapitre VI : De la Constitution d'Angleterre

2. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome 1, extraits

3. JJ Rousseau, Du contrat social, extraits

B. La séparation des pouvoirs au cœur des constitutions ?4. Article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen

5. Philippe ARDANT, Le contenu des Constitutions : variables et constantes, Pouvoirs n° 50, 1989 p. 31

6. Guastini, Le Concept de Constitution, extraits, in Leçons de Théorie Constitutionnelle

C. La séparation des pouvoirs, exemple pratique7. Décision du conseil constitutionnel du 22 juillet 1980, extrait

II/ INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUESL. ALTHUSSER, Montesquieu, la Politique et l'Histoire, Paris, P.U.F., 1974

J. CHEVALIER, La séparation des pouvoirs, in La continuité constitutionnelle en France de 1789 à 1989, Association française des constitutionnalistes (dir.), Economica, Coll. "Droit public positif", 1990

F.FURET, et R. HALEVY, La monarchie républicaine, la constitution de 1791, Paris, Fayard, 1996

P.-M. GAUDEMET, Le principe de la séparation des pouvoirs : mythe et réalité, D. 1961, chr.p. 121.

J.-M. DENQUIN, La séparation des pouvoirs, in S. GOYARD-FABRE, L’Etat au XXème siècle, Vrin, 2004.

R. DERATHÉ, "Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau", in Revue internationale de philosophie, 1955, fasc.3-4, pp 366-386.

Ch. EISENMANN, "La cité de Jean-Jacques Rousseau", in Etudes sur le contrat social de Jean-Jacques Rousseau, Publication de l'Université de Dijon, Paris, 1964, pp. 191 et s.

12/98

Page 13: td_semestre_1rev.doc

EISENMANN, Ecrits de théorie du droit, droit constitutionnel et d'idées politiques, éditions Panthéon-Assas rééd. 2002.

B. de JOUVENEL; Du pouvoir, Histoire naturelle de sa croissance, Hachette, coll. Pluriel

J.-L. SEURIN, Les origines historiques de la séparation des pouvoirs ? in Mélange Auby, l992

M. TROPER, La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, Paris, L.G.D.J., 1980. Voir également son article dans la revue Droits de 1988 (et reproduit chez Leviathan dans La théorie du droit, le droit, l’état, PUF, 2001).

G. VEDEL, Topologie et recherche politique, in Pages de doctrine, T. 1, Paris, L.G.D.J., 1980, p; 415-430.

M. VERPEAUX, Textes révolutionnaires français, paris, P.U.F., coll. "Que sais-je ?", n°3256 - 1791, La première constitution française, Paris, Economica, 1993

M. VERPEAUX (dir.)"La constitution du 24 juin 1993, L'utopie et le droit public français", éditions universitaires de Dijon, 1997, 434 p.

III/ NOTIONS A CONNAITREPouvoir exécutif, législatif et judiciaire.

Responsabilité contractuelle, responsabilité civile, responsabilité pénale, responsabilité politique, responsabilité morale.

Tyrannie de la majorité

IV/ EXERCICES SUGGERESCommentaire de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme

La notion de volonté générale chez J.J. Rousseau

Le pouvoir exécutif en 1791 et 1793

La notion de représentant dans la constitution de 1791

Séparation des pouvoirs et Démocratie

Séparation des pouvoirs et Tyrannies

13/98

Page 14: td_semestre_1rev.doc

I. La théorie de la séparation des pouvoirsDocument n°1 : Montesquieu, De l'Esprit des Lois - Livre XI, Chapitre VI : De la Constitution d'Angleterre

"C'est une expérience éternelle tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites ... La vertu même a besoin de limites".

"Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir".

"Il y a dans chaque Etat trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.

Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassadeurs, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger et l'autre simplement la puissance exécutrice de l'Etat.

La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté ; et, pour qu'on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu'un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.

Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement.

Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécution. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur.

Tout serait perdu si le même homme ou le même corps des principaux, ou des nobles ou du peuple exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d'exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.

Comme dans un Etat libre, tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps eût la puissance législative ; mais, comme cela est impossible dans les grands Etats et est sujet à beaucoup d'inconvénients dans les petits, il faut que le peuple fasse par ses représentants tout ce qu'il ne peut faire par lui même.

L'on connaît beaucoup mieux les besoins de sa ville que ceux des autres villes, et on juge mieux de la capacité de ses voisins que de celles de ses autres compatriotes. Il ne faut donc pas que les membres du Corps législatif soient tirés en général du corps de la nation. Mais il convient que, dans chaque lieu principal, les habitants se choisissent un représentant.

Le grand avantage des représentants, c'est qu'ils sont capables de discuter les affaires. Le peuple n'y est point du tout propre : ce qui forme un des grands inconvénients de la démocratie.

14/98

Page 15: td_semestre_1rev.doc

Il y a toujours dans un Etat des gens distingués par la naissance, les richesses ou les honneurs ; mais s'ils étaient confondus parmi le peuple, et s'ils n'y avaient qu'une voix comme les autres, la liberté commune serait leur esclavage, et ils n'auraient aucun intérêt à la défendre, parce que la plupart des résolutions serait contre eux. La part qu'ils ont à la législation doit donc être proportionnée aux autres avantages qu'ils ont dans l'Etat : ce qui arrivera s'ils forment un corps qui ait droit d'arrêter les entreprises du peuple, comme le peuple a le droit d'arrêter les leurs.

Ainsi, la puissance législative sera confiée, et au corps des nobles, et au corps qui sera choisi pour représenter le peuple, qui auront chacun leurs assemblées et leurs délibérations à part, et des vues et des intérêts séparés.

Des trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est en quelque façon nulle. Il n'en reste que deux ; et, comme elles sont besoin d'une puissance réglante pour les tempérer, la partie du Corps législatif qui est composée de nobles est très propre à produire cet effet.

Le corps des nobles doit être héréditaire. Il l'est premièrement par sa nature ; et d'ailleurs, il faut qu'il ait un très grand intérêt à conserver ses prérogatives, odieuses par elles-mêmes et qui, dans un Etat libre, doivent toujours être en danger.

Mais, comme une puissance héréditaire pourrait être induite à suivre ses intérêts particuliers et à oublier ceux du peuple, il faut que dans les choses où l'on a un souverain intérêt à la corrompre, comme dans les lois qui concernent la levée de l'argent, elle n'ait de part à sa législation que par sa faculté de statuer.

J'appelle "faculté de statuer" le droit d'ordonner par soi-même ; ou de corriger ce qui a été ordonné par un autre. J'appelle "faculté d'empêcher" le droit de rendre nulle une résolution prise par quelque autre : ce qui était la puissance des tribuns de Rome. Et, quoique celui qui a la faculté d'empêcher puisse avoir aussi le droit d'approuver, pour lors cette approbation n'est autre chose qu'une déclaration qu'il ne fait point d'usage de sa faculté d'empêcher, et dérive de cette faculté.

La puissance exécutrice doit être entre les mains d'un monarque, parce que cette partie du gouvernement, qui a presque toujours besoin d'une action momentanée, est mieux administrée par un que par plusieurs ; au lieu que ce qui dépend de la puissance législative est souvent mieux ordonné par plusieurs que par un seul.

Que s'il n'y avait point de monarque, et que la puissance exécutrice fût confiée à un certain nombre de personnes tirées du Corps législatif, il n'y aurait plus de liberté, parce que les deux puissances seront unies, les mêmes personnes ayant quelquefois et pouvant toujours avoir part à l'une et à l'autre.

La puissance exécutrice doit prendre part à la législation par sa faculté d'empêcher ; sans quoi elle sera bientôt dépouillée de ses prérogatives. Mais si la puissance législative prend part à l'exécution, la puissance exécutrice sera également perdue.

Si le monarque prenait part à la législation par la faculté de statuer, il n'y aurait plus de liberté.

Mais, comme il faut pourtant qu'il ait part à la législation pour se défendre, il faut qu'il y prenne part par la faculté d'empêcher (...)".

15/98

Page 16: td_semestre_1rev.doc

Document n°2 : Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome 1, extraits

TYRANNIE DE LA MAJORITÉ

Je regarde comme impie et détestable cette maxime, qu'en matière de gouvernement la majorité d'un peuple a le droit de tout faire, et pourtant je place dans les volontés de la majorité l'origine de tous les pouvoirs. Suis-je en contradiction avec moi-même ?

Il existe une loi générale qui a été faite ou du moins adoptée, non pas seulement par la majorité de tel ou tel peuple, mais par la majorité de tous les hommes. Cette loi, c'est la justice.

La justice forme donc la borne du droit de chaque peuple.

Une nation est comme un jury chargé de représenter la société universelle et d'appliquer la justice qui est sa loi. Le jury, qui représente la société, doit-il avoir plus de puissance que la société elle-même dont il applique les lois ?

Quand donc je refuse d'obéir à une loi injuste, je ne dénie point à la majorité le droit de commander; j'en appelle seulement de la souveraineté du peuple à la souve-raineté du genre humain.

Il y a des gens qui n'ont pas craint de dire qu'un peuple, dans les objets qui n'intéressaient que lui-même, ne pouvait sortir entièrement des limites de la justice et de la raison, et qu'ainsi on ne devait pas craindre de donner tout pouvoir à la majorité qui le représente. Mais c'est là un langage d'esclave.

Qu'est-ce donc qu'une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu'on nomme la minorité ? Or, si vous admettez qu'un homme revêtu de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi

n'admettez-vous pas la même chose pour une majorité ? Les hommes, en se réunissant, ont-ils changé de caractère ? Sont-ils devenus plus patients dans les obstacles en

16/98

Page 17: td_semestre_1rev.doc

devenant plus forts 2 ? Pour moi, je ne saurais le croire; et le pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l'accorderai jamais à plusieurs.

Ce n'est pas que, pour conserver la liberté, je croie qu'on puisse mélanger plusieurs principes dans un même gouvernement, de manière à les opposer réellement l'un à l'autre.

Le gouvernement qu'on appelle mixte m'a toujours semblé une chimère. Il n'y a pas, à vrai dire, de gouvernement mixte (dans le sens qu'on donne à ce mot), parce que, dans chaque société, on finit par découvrir un principe d'action qui domine tous les autres.

L'Angleterre du dernier siècle, qu'on a particulièrement citée comme exemple de ces sortes de gouvernements, était un État essentiellement aristocratique, bien qu'il se trouvât dans son sein de grands éléments de démocratie; car les lois et les mœurs y étaient ainsi établies que l'aristocratie devait toujours, à la longue, y prédominer et diriger à sa volonté les affaires publiques.

L'erreur est venue de ce que, voyant sans cesse les intérêts des grands aux prises avec ceux du peuple, on n'a songé qu'à la lutte, au lieu de faire attention au résultat de cette lutte, qui était le point important. Quand une société en vient à avoir réellement un gouvernement mixte, c'est-à-dire également partagé entre des principes contraires, elle entre en révolution ou elle se dissout.

Je pense donc qu'il faut toujours placer quelque part un pouvoir social supérieur à tous les autres, mais je crois la liberté en péril lorsque ce pouvoir ne trouve devant lui aucun obstacle qui puisse retenir sa marche et lui donner le temps de se modérer lui-même.

La toute-puissance me semble en soi une chose mauvaise et dangereuse. Son exercice me paraît au-dessus des forces de l'homme, quel qu'il soit, et je ne vois que Dieu qui puisse sans danger être tout-puissant, parce que sa sagesse et sa justice sont toujours égales à son pouvoir. Il n'y a donc pas sur la terre d'autorité si respectable en elle-même, ou revêtue d'un droit si sacré, que je voulusse laisser agir sans contrôle et dominer sans obstacles. Lors donc que je vois accorder le droit et la faculté de tout faire à une puissance quelconque, qu'on l'appelle peuple ou roi, démocratie ou aristocratie, qu'on l'exerce dans une monarchie ou dans une république, je dis: là est le germe de la tyrannie, et je cherche à aller vivre sous d'autres lois.

Ce que je reproche le plus au gouvernement démocratique, tel qu'on l'a organisé aux États-Unis, ce n'est pas, comme beaucoup de gens le prétendent en Europe, sa faiblesse, mais au contraire sa force irrésistible. Et ce qui me répugne le plus en Amérique, ce n'est pas l'extrême liberté qui y règne, c'est le peu de garantie qu'on y trouve contre la tyrannie.

Lorsqu'un homme ou un parti souffre d'une injustice aux États-Unis, à qui voulez-vous qu'il s'adresse ? À l'opinion publique ? c'est elle qui forme la majorité; au corps législatif ? il représente la majorité et lui obéit aveuglément; au pouvoir exécutif ? il est nommé par la majorité et lui sert

2 Personne ne voudrait soutenir qu'un peuple ne peut abuser de la force vis-à-vis d'un autre peuple. Or, les partis forment comme autant de petites nations dans une grande; ils sont entre eux dans des rapports d'étrangers. Si on convient qu'une nation peut erre tyrannique envers une autre nation, comment nier qu'un parti puisse l'être envers un autre parti ?

17/98

Page 18: td_semestre_1rev.doc

d'instrument passif; à la force publique ? la force publique n'est autre chose que la majorité sous les armes; au jury ? le jury, c'est la majorité revêtue du droit de prononcer des arrêts: les juges eux-mêmes, dans certains États, sont élus par la majorité. Quelque inique ou déraisonnable que soit la mesure qui vous frappe, il faut donc vous y soumettre 3.

Supposez, au contraire, un corps législatif composé de telle manière qu'il représente la majorité, sans être nécessairement l'esclave de ses passions; un pouvoir exécutif qui ait une force qui lui soit propre, et une puissance judiciaire indépendante des deux autres pouvoirs; vous aurez encore un gouvernement démocratique, mais il n'y aura presque plus de chances pour la tyrannie.

Je ne dis pas que dans le temps actuel on fasse en Amérique un fréquent usage de la tyrannie, je dis qu'on n'y découvre point de garantie contre elle, et qu'il faut y chercher les causes de la douceur du gouvernement dans les circonstances et dans les mœurs plutôt que dans les lois.

(…)

QUE LE PLUS GRAND DANGER DES RÉPUBLIQUES AMÉRICAINES VIENT DE L’OMNIPOTENCE DE LA MAJORITÉ

Les gouvernements périssent ordinairement par impuissance ou par tyrannie. Dans le premier cas, le pouvoir leur échappe; on le leur arrache dans l'autre.

Bien des gens, en voyant tomber les États démocratiques en anarchie, ont pensé que le gouvernement, dans ces États, était naturellement faible et impuissant. La vérité est que, quand une fois la guerre y est allumée entre les partis, le gouvernement perd son action sur la société. Mais je ne pense pas que la nature d'un pouvoir démo-cratique soit de manquer de force et de ressources; je crois, au contraire, que c'est presque toujours l'abus de ses forces et le mauvais emploi de ses ressources qui le font périr. L'anarchie naît presque toujours de sa tyrannie ou de son inhabileté, mais non pas de son impuissance.

Il ne faut pas confondre la stabilité avec la force, la grandeur de la chose et sa durée. Dans les

3 On vit à Baltimore, lors de la guerre de 1812, un exemple frappant des excès que peut amener le despotisme de la majorité. À cette époque la guerre était très populaire à Baltimore. Un journal qui s'y montrait fort opposé excita par cette conduite l'indignation des habitants. Le peuple s'assembla, brisa les presses, et attaqua les maisons des journalistes. On voulut réunir la milice, mais elle ne répondit point à l'appel. Afin de sauver les malheureux que menaçait la fureur publique, on prit le parti de les conduire en prison, comme des criminels. Cette précaution fut inutile: pendant la nuit, le peuple s'assembla de nouveau; les magistrats ayant échoué pour réunir la milice, la prison fut forcée, un des journalistes fut tué sur la place, les autres restèrent pour morts : les coupables déférés au jury furent acquittés.

Je disais un jour à un habitant de la Pennsylvanie: «Expliquez-moi, je vous prie, comment, dans un État fondé par des quakers. et renommé pour sa tolérance, les Nègres affranchis ne sont pas admis à exercer les droits de citoyens. Ils payent l'impôt, n'est-il pas juste qu'ils votent  ? - Ne nous faites pas cette injure, me répondit-il, de croire que nos législateurs aient commis un acte aussi grossier d'injustice et d'intolérance. -Ainsi, chez vous, les Noirs ont le droit de voter ? - Sans aucun doute. - Alors, d'où vient qu'au collège électoral ce matin je n'en ai pas aperçu un seul dans l'assemblée ? - Ceci n'est pas la faute de la loi, me dit l'Américain; les Nègres ont, il est vrai, le droit de se présenter aux élections, mais ils s'abstiennent volontairement d'y paraître. - Voilà bien de la modestie de leur pan. - Oh ! ce n'est pas qu'ils refusent d'y aller, mais ils craignent qu'on ne les y maltraite. Chez nous, il arrive quelquefois que la loi manque de force, quand la majorité ne l'appuie point. Or, la majorité est imbue des plus grands préjugés contre les Nègres, et les magistrats ne se sentent pas la force de garantir à ceux-ci les droits que le législateur leur a conférés. - Eh quoi ! la majorité, qui a le privilège de faire la loi, veut encore avoir celui de désobéir à la toi ? »

18/98

Page 19: td_semestre_1rev.doc

républiques démocratiques, le pouvoir qui dirige 4 la société n'est pas stable, car il change souvent de main et d'objet. Mais, partout où il se porte, sa force est presque irrésistible.

Le gouvernement des républiques américaines me paraît aussi centralisé et plus énergique que celui des monarchies absolues de l'Europe. Je ne pense donc point qu'il périsse par faiblesse 5.

Si jamais la liberté se perd en Amérique, il faudra s'en prendre à l'omnipotence de la majorité qui aura porté les minorités au désespoir et les aura forcées de faire un appel à la force matérielle. On verra alors l'anarchie, mais elle arrivera comme conséquence du despotisme.

Le président James Madison a exprimé les mêmes pensées. (Voyez Le Fédéraliste, nº 51)

« Il est d'une grande importance dans les républiques, dit-il, non seulement de défendre la société contre l'oppression de ceux qui la gouvernent, mais encore de garantir une partie de la société contre l'injustice de l'autre. La justice est le but où doit tendre tout gouvernement; c'est le but que se proposent les hommes en se réunissant. Les peuples ont fait et feront toujours des efforts vers ce but, jusqu'à ce qu'ils aient réussi à l'atteindre, ou qu'ils aient perdu leur liberté.

« S'il existait une société dans laquelle le parti le plus puissant fût en état de réunir facilement ses forces et d'opprimer le plus faible, on pourrait considérer que

l'anarchie règne dans une pareille société aussi bien que dans l'état de nature, où l'individu le plus faible n'a aucune garantie contre la violence du plus fort; et de même que dans l'état de nature, les inconvénients d'un sort incertain et précaire décident les plus forts à se soumettre à un gouvernement qui protège les faibles ainsi qu'eux-mêmes; dans un gouvernement anarchique, les mêmes motifs conduiront peu à peu les partis les plus puissants à désirer un gouvernement qui puisse protéger également tous les partis, le fort et le faible. Si l'État de Rhode lsland était séparé de la Confédération et livré à un gouvernement populaire, exercé souverainement dans d'étroites limites, on ne saurait douter que la tyrannie des majorités n'y rendît l'exercice des droits tellement incertain, qu'on n'en vînt à réclamer un pouvoir entièrement indépendant du peuple. Les factions elles-mêmes, qui l'auraient rendu nécessaire, se hâteraient d'en appeler à lui. »

Jefferson disait aussi: « Le pouvoir exécutif, dans notre gouvernement, n'est pas le seul, il n'est peut-être pas le principal objet de ma sollicitude. La tyrannie des législateurs est actuellement, et sera pendant bien des années encore, le danger le plus redoutable. Celle du pouvoir exécutif viendra à son tour, mais dans une période plus reculée 6. »

J'aime, en cette matière, à citer Jefferson de préférence à tout autre, parce que je le considère comme le plus puissant apôtre qu'ait jamais eu la démocratie.

4 Le pouvoir peut être centralisé dans une assemblée; alors il est fort, mais non stable; il peut être centralisé dans un homme: alors il est moins fort, mais il est plus stable.

5 Il est inutile, je pense, d'avertir le lecteur qu'ici, comme dans tout le reste du chapitre, je parle, non du gouvernement fédéral, mais des gouvernements particuliers de chaque État que la majorité dirige despotiquement.

6 Lettre de Jefferson à Madison, 15 mars 1789.

19/98

Page 20: td_semestre_1rev.doc

Document 3 : JJ Rousseau, Du contrat social, extraits.

Livre II.

CHAPITRE IQUE LA SOUVERAINETÉ EST INALIÉNABLE

Je dis donc que la souveraineté n'étant que l'exercice de la volonté générale ne peut jamais s'aliéner, et que le souverain, qui n'est qu'un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même; le pouvoir peut bien se transmettre, mais non pas la volonté.

En effet, s'il n'est pas impossible qu'une volonté particulière s'accorde sur quelque point avec la volonté générale, il est impossible au moins que cet accord soit durable et constant; car la volonté particulière tend par sa nature aux préférences, et la volonté générale à l'égalité. Il est plus impossible encore qu'on ait un garant de cet accord quand même il devrait toujours exister; ce ne serait pas un effet de l'art mais du hasard. Le souverain peut bien dire: Je veux actuellement ce que veut un tel homme ou du moins ce qu'il dit vouloir; mais il ne peut pas dire: Ce que cet homme voudra demain, je le voudrai encore; puisqu'il est absurde que la volonté se donne des chaînes pour l'avenir, et puisqu'il ne dépend d'aucune volonté de consentir à rien de contraire au bien de l'être qui veut. Si donc le peuple promet simplement d'obéir, il se dissout par cet acte, il perd sa qualité de peuple; à l'instant qu'il y a un maître il n'y a plus de souverain, et dès lors le corps politique est détruit.

LIVRE II. CHAPITRE II

QUE LA SOUVERAINETÉ EST INDIVISIBLE

Par la même raison que la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible. Car la volonté est générale, ou elle ne l'est pas; elle est celle du corps du peuple ou seulement d'une partie. Dans le premier cas cette volonté déclarée est un acte de souveraineté et fait loi. Dans le second, ce n'est qu'une volonté particulière, ou un acte de magistrature, c'est un décret tout au plus.

Mais nos politiques ne pouvant diviser la souveraineté dans son principe la divisent dans son objet, ils la divisent en force et en volonté, en puissance législative et en puissance exécutive, en droits d'impôts, de justice, et de guerre, en administration intérieure et en pouvoir de traiter avec l'étranger: tantôt ils confondent toutes ces parties et tantôt ils les séparent; ils font du souverain un être fantastique et formé de pièces rapportées; c'est comme s'ils composaient l'homme de plusieurs corps dont l'un aurait des yeux, l'autre des bras, l'autre des pieds, et rien de plus. Les charlatans du Japon dépècent, dit-on, un enfant aux yeux des spectateurs, puis jetant en l'air tous ses membres l'un après l'autre, ils font retomber l'enfant vivant et tout rassemblé. Tels sont à peu près les tours de gobelets de nos politiques; après avoir démembré le corps social par un prestige digne de la foire, ils rassemblent les pièces on ne sait comment.

Cette erreur vient de ne s'être pas fait des notions exactes de l'autorité souveraine, et d'avoir pris pour des parties de cette autorité ce qui n'en était que des émanations. Ainsi, par exemple, on a regardé l'acte de déclarer la guerre et celui de faire la paix comme des actes de souveraineté,

20/98

Page 21: td_semestre_1rev.doc

ce qui n'est pas; puisque chacun de ces actes n'est point une loi mais seulement une application de la loi, un acte particulier qui détermine le cas de la loi, comme on le verra clairement quand l'idée attachée au mot loi sera fixée.

En suivant de même les autres divisions on trouverait que toutes les fois qu'on croit voir la souveraineté partagée on se trompe, que les droits qu'on prend pour des parties de cette souveraineté lui sont tous subordonnés, et supposent toujours des volontés suprêmes dont ces droits ne donnent que l'exécution.

LIVRE II. CHAPITRE III

SI LA VOLONTÉ GÉNÉRALE PEUT ERRER

Il s'ensuit de ce qui précède que la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l'utilité publique: mais il ne s'ensuit pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude. On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours. Jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe, et c'est alors seulement qu'il paraît vouloir ce qui est mal.

Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale; celle-ci ne regarde qu'à l'intérêt commun, l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'une somme de volontés particulières: mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s'entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale.

Si, quand le peuple suffisamment informé délibère, les citoyens n'avaient aucune communication entre eux, du grand nombre de petites différences résulterait toujours la volonté générale, et la délibération serait toujours bonne. Mais quand il se fait des brigues, des associations partielles aux

dépens de la grande, la volonté de chacune de ces associations devient générale par rapport à ses membres, et particulière par rapport à l'Etat; on peut dire alors qu'il n'y a plus autant de votants que d'hommes, mais seulement autant que d'associations. Les différences deviennent moins nombreuses et donnent un résultat moins général. Enfin quand une de ces associations est si grande qu'elle l'emporte sur toutes les autres, vous n'avez plus pour résultat une somme de petites différences, mais une différence unique; alors il n'y a plus de volonté générale, et l'avis qui l'emporte n'est qu'un avis particulier.

Il importe donc pour avoir bien l'énoncé de la volonté générale qu'il n'y ait pas de société partielle dans l'État et que chaque citoyen n'opine que d'après lui.

[…]

LIVRE II. CHAPITRE VII

DU LÉGISLATEUR

Pour découvrir les meilleures règles de société qui conviennent aux nations, il faudrait une intelligence supérieure, qui vît toutes les passions des hommes et qui n'en éprouvât aucune, qui n'eût aucun rapport avec notre nature et qui la connût à fond, dont le bonheur fût indépendant de nous et qui pourtant voulût bien s'occuper du nôtre; enfin qui, dans le progrès des temps se ménageant une gloire éloignée, pût travailler dans un siècle et jouir dans un autre . Il faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes.

Le législateur est à tous égards un homme extraordinaire dans l'Etat. S'il doit l'être par son génie, il ne l'est pas moins par son emploi. Ce n'est point magistrature, ce n'est point souveraineté. Cet emploi, qui constitue la république, n'entre point dans sa constitution. C'est une fonction particulière et

21/98

Page 22: td_semestre_1rev.doc

supérieure qui n'a rien de commun avec l'empire humain; car si celui qui commande aux hommes ne doit pas commander aux lois, celui qui commande aux lois ne doit pas non plus commander aux hommes;

autrement ses lois, ministres de ses passions, ne feraient souvent que perpétuer ses injustices, et jamais il ne pourrait éviter que des vues particulières n'altérassent la sainteté de son ouvrage.

22/98

Page 23: td_semestre_1rev.doc

II. La séparation des pouvoirs, au cœur des constitutions ?

Document 4 Article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyenToute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de constitution

Document 5 : Philippe ARDANT, Le contenu des Constitutions : variables et constantes, Pouvoirs n° 50, 1989 p. 31

Page 24: td_semestre_1rev.doc

Que mettent les Français dans leurs Constitutions ? L'inventaire des treize textes7 qui se sont succédé depuis 1791 et des révisions partielles encore plus nombreuses, révèle des matériaux étonnamment divers. La souveraine liberté des Constituants les a autorisés à composer leur oeuvre à leur idée sans souci des frontières, de schémas, de volume - de 34 (1875) à 377 articles (an III) - en fonction de ce que leur paraissaient justifier les circonstances. Car un des caractères de notre histoire constitutionnelle est qu'elle ne s'analyse pas comme la recherche persévérante de la perfection ou d'institutions idéales, elle doit peu aux théories et elle ne s'apprécie pas en termes de progrès. Elle est avant tout une suite de réponses données, dans la hâte souvent, à des problèmes concrets posés à un pouvoir cherchant à assurer ses assises. Sa richesse est due d'abord à son adaptation continuelle à une conjoncture constamment renouvelée8.

Comment s'étonner alors que nos Constitutions se ressemblent si peu ? Certes, des affinités apparaissent, et des parentés étroites même lorsqu'un texte a servi de canevas à un autre : an VIII et 1852, 1814 et 1830, mais ces influences s'épuisent d'un coup, les correspondances rapprochent deux textes au plus, aussi dans l'ensemble les différences l'emportent et de beaucoup. A qui en douterait, il suffit de lire par exemple les textes de 1793 et de l'an III, de 1791 et de 1958, la Constitution de 1848 après les lois constitutionnelles de 1875 ; impossible ensuite de parler de moule commun ou de Constitution à la française.

Pourtant, si on examine les Constitutions non plus séparément mais dans leur succession, si on les replace dans la durée (cent soixante-sept ans entre les deux maillons extrêmes), on s'aperçoit que leur contenu ne varie pas seulement au gré des circonstances, que les changements ont un sens, et qu'à travers les contrastes et les oppositions des évolutions s'affirment.

La matière constitutionnelle tout d'abord s'est considérablement décantée, épurée, allégée. Le droit constitutionnel est probablement la seule branche du droit qui soit moins complexe aujourd'hui qu'il y a deux siècles. Depuis les textes de la Révolution nos Constitutions régissent des domaines moins nombreux, moins vastes et les organisent en profondeur. La matière constitutionnelle se réduit à un fonds commun composé autour du chef de l'Etat, du Gouvernement et du Parlement, pièces d'un puzzle susceptible de configurations multiples à travers des modifications de leur statut, de leurs relations et de leurs attributions. En même temps elle s'enrichit par intermittence grâce à l'apparition de nouveaux protagonistes comme par l'appel à des principes inédits. Ce contenu commun à toutes les Constitutions n'est donc pas immuable ou figé, lui-même a connu en deux cents ans des transformations remarquables. Aussi, l'appauvrissement de la matière constitutionnelle va-t-il de pair avec son renouvellement.

L'APPAUVRISSEMENT DE LA MATIERE CONSTITUTIONNELLE

7 13, 12 ou 11 ? Dans le débat sur le nombre des Constitutions françaises nous retiendrons le premier chiffre en y incluant les textes de 1793 et de 1870, ainsi que l'Acte additionnel de 1815. Au total 1515 articles (255 pour la Constitution de 1791 avec la Déclaration des Droits), auxquels il faut ajouter plus de 250 dispositions retouchées ou ajoutées par les différentes révisions.8 "A parcourir ainsi d'un coup d'oeil toute notre histoire constitutionnelle contemporaine, il se confirme donc bien que les Constitutions ne sont pas des oeuvres systématiques conçues par la raison arbitraire de leurs auteurs, mais des oeuvres vivantes produites par l'histoire", M. Deslandres, Histoire constitutionnelle de la France de 1789 à 1870, t. II, p. 734

Page 25: td_semestre_1rev.doc

En 1789 les Constituants n'avaient pas une vue bien arrêtée de ce qu'il convenait de mettre dans la Constitution. Ils savaient seulement qu'ils voulaient rompre avec le passé et poser les bases d'un ordre nouveau. Ils comprenaient que leur projet de société ne se réaliserait pas par un simple changement du système de Gouvernement, mais qu'il impliquait une transformation en profondeur des relations entre les hommes dans tous les domaines : familial, social, professionnel, économique et politique. La Constitution s'imposait comme l'instrument privilégié de ces changements. Confiants dans le droit, dans l'écrit, dans le caractère solennel du texte, les hommes de la Révolution y inscrivent tout ce qu'il leur paraît indispensable de consacrer et dans le détail : la Constitution est la mise en forme du contrat social. Il en résulte un texte long, minutieux, concret, au contenu dépassant délibérément la seule organisation des pouvoirs publics.

De cette première expérience aurait pu naître une tradition de Constitutions larges, à vocation globale, ancrées dans une société déterminée à l'image de celles qu'on trouve aujourd'hui dans beaucoup de régimes marxistes et d'Etats du Tiers Monde : les dispositions concernant les institutions y côtoient des règles touchant la vie sociale, économique, voire culturelle, le rappel du passé national s'y mêle à l'exposé de la conception des relations internationales. Et c'est bien dans cette voie qu'ont semblé s'engager à la suite du texte de 1791 les Constitutions de la période révolutionnaire. Moins celle assez brève de 1793 (la rupture avec l'Ancien Régime était accomplie, il restait à en finir avec la Royauté) que la plus prolixe de notre histoire, celle de l'an III. Mais dès l'an VIII une évolution s'amorce. En dépit de sursauts : 1848, 1946, le contenu se resserre, le souci du

détail s'atténue, les Constitutions finissent par devenir tout à fait abstraites et presque exclusivement fonctionnelles.

(...)

LA DECONSTITUTIONNALISATION

Changer la société d'Ancien Régime n'allait pas sans rebâtir l'Etat. Il fallait concevoir un système de Gouvernement en rupture avec le pouvoir absolu et donc sans guère de possibilité de se reporter à l'expérience et à des pratiques éprouvées. Du passé est véritablement fait table rase (surtout à partir de 1793), il faut innover, créer de toutes pièces des institutions et des règles. Les Constitutions voient en grand et rédigent de véritables Codes généraux de droit public.

La Constitution englobera l'Etat dans toutes ses dimensions : son organisation et son fonctionnement bien entendu, mais aussi ses institutions sous leurs divers aspects. Des chapitres ou des dispositions concerneront les contributions publiques, la Trésorerie nationale et la comptabilité ; d'autres la Garde nationale ou l'instruction publique ; elles créeront un service de pensions militaires, prévoiront l'institution de services publics d'assistance, se préoccuperont de la recherche et des arts à travers l'Institut de France. Le système électoral a droit à de longs développements à côté d'éléments de Codes de procédure pénale et de la nationalité. De 1791 à l'an VIII ce contenu ne se retrouve pas toujours identique mais le principe est le même : la Constitution a vocation à aménager toutes les fonctions de l'Etat, droit public et droit constitutionnel coïncident largement.

(...)

Page 26: td_semestre_1rev.doc

Cette matière constitutionnelle étendue et riche devait subir un double mouvement de réduction, par lequel le législateur allait progressivement conquérir des compétences jusqu'à jouer un rôle majeur dans l'élaboration du droit public. Un phénomène de déclassement a transféré tout d'abord des matières du domaine de la Constitution à celui de la loi ou du règlement intérieur des Assemblées. Dès la Charte il n'est plus question de la nationalité, les services financiers disparaissent aussi et l'instruction publique ne sera mentionnée, en 1848 et 1946 seulement, qu'au milieu des droits proclamés. Il en sera de même pour les autres fonctions de la puissance publique et la Constitution ne cherchera pas à suivre l'Etat dans la multiplication des ses interventions, à tel point que la lecture des textes contemporains pourrait donner l'impression d'un Etat moins présent dans la société. D'autre part, se manifeste le refus d'un trop grand pointillisme. Dans les domaines qu'il conserve, le Constituant se cantonne à un certain niveau de généralité au-dessous duquel le Parlement devient compétent. Par exemple, lorsqu'il évoque la justice ou l'armée, il se contente de formuler des principes et les précisions chiffrées concernent essentiellement les modalités de procédure (délais ; majorité ...)

Démêler le délibéré du spontané dans cette réduction de la matière constitutionnelle est difficile. En fait, deux conceptions de la Constitution s'affrontent : l'une attachée à une prise en charge de la société dans son ensemble, l'autre favorable à la formulation des seules règles essentielles au fonctionnement des pouvoirs publics. La seconde l'a emporté, car elle avait pour elle d'éviter que la charte solennelle ne s'abaisse à régler des questions subalternes et aussi parce que le transfert de compétence au législateur facilitait

les adaptations. Mais des arrière-pensées plus suspectes s'y mêlaient : Bonaparte justifiait en l'an VIII le raccourcissement du texte par la nécessité de laisser une "large voie aux améliorations " et Louis Napoléon en 1852 précisait qu'il ne fallait retenir que "ce qu'il était impossible ce laisser incertain". On sait ce qu'il en advint.

Quoi qu'il en soit, la matière constitutionnelle présente aujourd'hui des contours plus nets, elle s'est dégraissée. Le Constituant n'y met plus ses rêves, ses espoirs, ses projets, il n'y exprime plus ses peurs et ses rejets, son oeuvre est procédurale et quelque peu prosaïque. En ce sens nos Constitutions se sont détachées de la réalité française. Les mentions à un contexte géographique et à une époque définis y sont peu abondantes. Il suffirait de retirer du texte de 1958 les quelques mentions à la France et aux Français (6 au total) pour le rendre applicable n'importe où.

(...)

NAISSANCE D'UNE TRADITION CONSTITUTIONNELLE

Si des institutions disparaissent ou ne parviennent pas à s'implanter durablement, d'autres, reprises dans des textes successifs, acquièrent la stabilité. Tout n'est pas remis en cause à chaque Constitution et nombre de dispositions du texte de 1958 descendent en droite ligne des expériences précédentes. Comment alors une institution parvient-elle à s'enraciner, comment naissent ces acquis dont la reproduction de texte en texte crée une tradition constitutionnelle ? Pour le comprendre, il faut admettre que derrière son apparente anarchie notre histoire constitutionnelle a un sens. Elle a évolué vers une démocratie plus exigeante et un régime parlementaire plus rationnel. Ce double courant s'est

Page 27: td_semestre_1rev.doc

inscrit dans des règles qui tout naturellement se retrouvent d'un texte à l'autre.

A la Révolution l'aspiration à la démocratie était encore assez floue quant à ses implications juridiques. Aussi les résistances de certains milieux et des mentalités héritées du passé entraînèrent l'insertion dans les Constitutions de dispositions (l'aménagement du droit de suffrage en est un bon exemple) qui allaient apparaître par la suite comme archaïques, insuffisantes, et même insupportables. La réflexion sur la démocratie libérale s'approfondissant et celle-ci pénétrant plus en profondeur la société, le Constituant leur substituera, en les diversifiant et en les enrichissant, des règles devenues aujourd'hui inséparables de notre héritage politique. Elles figurent en bonne place dans la Constitution de 1958 sous la forme des dispositions sur l'Etat, la souveraineté, le suffrage universel, le régime représentatif, la protection des libertés par la loi ... Elles composent la couche la plus ancienne de la tradition constitutionnelle française.

Sur le socle ainsi édifié sont venues se greffer plus récemment des institutions répondant à une prise de conscience des exigences de la démocratie en matière de participation des citoyens aux décisions, de justice indépendantes et d'Etat de droit : le Conseil économique et social, le Conseil supérieur de la Magistrature, le Conseil constitutionnel. Consacrées pour la première fois par la Constitution de 1946, elles se retrouvent dans le texte de 1958, acquérant ainsi une continuité qui les insère peu à peu dans notre patrimoine démocratique. Les innovations qui les accompagnent : l'élection du président au suffrage universel, la constitutionnalisation des partis, le référendum législatif, la vérification

des mandats parlementaires par le Conseil constitutionnel s'inscrivent dans le même courant. Mais celui-ci se heurte à la tradition beaucoup plus qu'il ne la prolonge. L'attachement à la souveraineté parlementaire justifiait en effet une série de refus (du contrôle de la constitutionnalité, du référendum législatif, par exemple) qui sont mis en cause et emportés. La conception de la démocratie a changé, la rupture avec le passé est consommée, une nouvelle tradition constitutionnelle s'amorce.

Parallèlement les Français ont beaucoup hésité sur le choix d'un système d'organisation des pouvoirs publics. Pourtant, l'attirance pour le régime parle-mentaire, manifeste dès la Restauration, s'est confirmée sous le Second Empire et depuis lors nos Constitutions se sont efforcées d'en améliorer les mécanismes. L'autre grande masse des constantes rencontrées dans la Constitution de 1958 se rattache à ce courant parlementaire. Aux strates anciennes : l'initiative législative de l'exécutif, le droit d'entrée des ministres dans les chambres, la responsabilité politique du Gouvernement, la dissolution, se sont ajoutés le bicéphalisme de l'exécutif et, plus tard, les procédures de rationalisation du parlementarisme. Ces règles ont aujourd'hui démontré leur solidité, comme on l'a vu en particulier avec l'échec en 1946 et en 1969 des tentatives de suppression du bicaméralisme, et le texte de 1958 lui-même a poursuivi le mouvement en constitutionnalisant à travers les ordonnances les anciens décrets-lois. A la différence des dispositions issues du courant démocratique, les Constitutions n'ont pas en général ici joué un rôle créateur, elles ont repris des pratiques positives constantes sous les régimes précédents, des règles contenues dans les règlements des assemblées ou encore d'origine étrangère. La tradition

Page 28: td_semestre_1rev.doc

constitutionnelle est d'autant mieux assise alors qu'elle s'ouvre à des pratiques ayant fait antérieurement leurs preuves.

En définitive, on peut considérer qu'une innovation constitutionnelle a d'autant plus de chances de se pérenniser qu'elle s'inscrit directement dans l'évolution de la démocratie ou du régime parlementaire. C'est pourquoi il n'est pas sûr que les pouvoirs propres du Président ou l'article 16 par exemple aient un avenir durable, à moins d'imaginer que le renforcement de l'exécutif soit une tendance irréversible, ce qui n'est d'ailleurs pas impossible. D'autre part, pour être exact, il faut reconnaître que toutes les constances figurant dans la Constitution de 1958 n'entrent pas dans les deux catégories esquissées. Il en est de fort anciennes, comme le principe du chef de l'Etat unique, la Haute Cour, la périodicité des sessions parlementaires, qui ne sont liées ni à la démocratie ni au régime parlementaire. Elles se sont enracinées car l'expérience a montré leurs vertus. Elles peuvent pourtant se révéler fragiles si l'équilibre entre les forces politiques, sur lequel elles reposent, change. Ce fut le cas de 1946 à 1954 pour le régime des sessions. Il peut arriver aussi qu'elles soient dépassées par l'évolution du contexte dans lequel

elles peuvent être amenées à jouer : le principe traditionnel selon lequel il appartient au Parlement de déclarer la guerre est-il aujourd'hui bien réaliste ?

Jamais peut-être depuis 1789 le débat constitutionnel n'a été en France aussi dépassionné qu'aujourd'hui. Le contenu de la Constitution n'est plus contesté ; les dispositions critiquées un temps : l'article 49-3 et les ordonnances, ont été légitimés par leur utilisation par la droite puis par la gauche, quant à l'article 16 il ne fait plus vraiment peur depuis son unique application il y a près de trente ans. Et s'il est périodiquement question d'innovation, elles portent sur des techniques qui ne remettent pas en cause les options essentielles : référendum d'initiative populaire, contrôle de constitutionnalité par voie d'exception. Est-ce à dire que la Constitution soit immobile et définitivement figée ? Il n'en est rien ; elle s'enrichit au contraire tant par la voie de la révision que par l'action du Conseil constitutionnel qui élargit son contenu matériel au-delà du texte de 1958, lève les incertitudes et comble les lacunes révélées par la pratique. Evitant ainsi que n'apparaissent des rigidités, des impasses, des blocages, le Conseil s'affirme comme le plus sûr protecteur de la Constitution de 1958.

Document 6 : Guastini, Le Concept de ConstitutionLe terme « Constitution » est utilisé dans quatre principales acceptions […]

(1) Parfois on parle de Constitution pour se référer à un ensemble de faits (politiques) : il s’agit de l’ensemble des faits que l’on désigne aussi sous le nom de « régime politique ».

(2) Dans d’autres cas (plus fréquent, à la vérité), on parle de Constitution pour se référer non à un ensemble de faits, mais à un ensemble de normes : en gros, l’ensemble des normes qui « donnent forme » à l’Etat, qui en déterminent l’organisation – politique et territoriale -, et qui règlent ses relations avec les citoyens.

(3) Le plus souvent, on parle aussi de Constitution pour se référer pas tant à un ensemble de normes qu’à un document normatif particulier : le document

Page 29: td_semestre_1rev.doc

normatif qui formule et codifie les normes mentionnées au point précédent (ou au moins, les principales d’entre elles).

(4) Occasionnellement, enfin, on parle de Constitution pour se référer à un type spécifique de système politique : un système de type libéral dans lequel le pouvoir politique est limité de façon variable par des normes ad hoc

III. La séparation des pouvoirs, exemple pratiqueDocument 7 : Décision du conseil constitutionnel du 22 juillet 1980, extrait

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 64 de la Constitution en ce qui concerne l'autorité judiciaire et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en ce qui concerne, depuis la loi du 24 mai 1872, la juridiction administrative, que l'indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le Gouvernement ; qu'ainsi, il n'appartient ni au législateur ni au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d'adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence.

Page 30: td_semestre_1rev.doc

FICHE N°3 RÉGIME PARLEMENTAIRE ET PRÉSIDENTIEL LE CAS BRITANNIQUE ET

LE CAS AMÉRICAIN

I/ DOCUMENTS REPRODUITSA. La notion de parlementarisme1. G. VEDEL « Le régime présidentiel » 1995 Encyclopædia Universalis (extraits)

2. Maurice HAURIOU, Précis de Droit constitutionnel

3. J.C. Zarka, Monisme ou dualisme, LGDJ 1992 p. 28

B. Le régime des Etats-Unis4. Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, tome 1, Du pouvoir exécutif

C. Le régime de la Grande Bretagne5. Paul BASTID : L’idée de Constitution, economica

II/ INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES1. Manuels généraux de droit constitutionnel comparé

P. LAUVAUX, Les grandes démocraties contemporaines, PUF, 3ème éd. 2004.

Y. MÉNY et Y. SUREL, Politique comparée, Montchrestien, 6ème éd. 2001.

2. Sur le Royaume-UniM. CHARLOT Le pouvoir politique en Grande-Bretagne, PUF (Thémis), 2ème

éd. 1998.

P. KINDER-GEST Les institutions britanniques, PUF Que sais-je ? 1999.

J. LERUEZ Les institutions du Royaume-Uni, La Documentation française, 1999.

J. LERUEZ Le système politique britannique. De Winston Churchill à Tony Blair. Armand Colin 2ème éd. 2001.

La Grande-Bretagne, Pouvoirs, n°37, 1986.

Le Royaume-Uni de Tony Blair, Pouvoirs, n°93, 2000.

3. Sur les Etats-UnisB. GILSON, La découverte du régime présidentiel, L.G.D.J., t. 34, 1968.

P. LAUVAUX, Destins du présidentialisme, PUF, 2002.

Page 31: td_semestre_1rev.doc

M.-F.TOINET, La présidence américaine, Montchrestien, coll. Clefs, 2ème éd. 1996.

M.-F.TOINET, Le système politique des Etats-Unis, PUF, coll. Thémis, 1990.

E. ZOLLER, Splendeurs et misères du constitutionnalisme les enseignements de l'exemple américain, R.D.P., 1994, p. 157 et ss.

E. ZOLLER, De Nixon à Clinton, PUF, 2002.

E. ZOLLER, Les grands arrêts de la Cour Suprême des Etats-Unis, PUF, 2002.

Les Etats-Unis, Pouvoirs, n°29, 1984.

La Cour Suprême des Etats-Unis, Pouvoirs, n°59, 1991.

III/ NOTIONS A CONNAITRERégime parlementaire. Régime présidentiel. Séparation stricte / séparation souple des pouvoirs

GB : Constitution coutumière. Conventions de la constitution. Cabinet fantôme. Discipline de vote.

USA : L'impeachment. Le recall. La "triple couronne".

IV/ EXERCICES SUGGERESL'élection présidentielle aux Etats-Unis.

La transition du pouvoir entre les présidents des Etats-Unis.

Le Premier Ministre en Grande-Bretagne.

Le régime des Etats-Unis est il un régime de séparation stricte des pouvoirs

Le régime de la Grande Bretagne est il un régime de séparation souple des pouvoirs

Page 32: td_semestre_1rev.doc

I. La notion de parlementarismeDocument 1 : G. VEDEL « Le régime présidentiel » 1995 Encyclopædia Universalis (extraits)La classification juridique des divers systèmes constitutionnels peut s’opérer d’après des points de vue différents. Selon les cas, certains auteurs les classent en s’appuyant sur le principe de légitimité retenu (dictature du prolétariat, souveraineté du peuple, souveraineté nationale, par exemple) ; d’autres, en se référant au degré de mutabilité des institutions (constitutions souples ou rigides). Cependant, encore qu’elle soit susceptible de se combiner avec d’autres et qu’elle ne recouvre qu’un aspect partiel des systèmes constitutionnels, la classification qui est la plus fréquemment utilisée et que rappellent tous les ouvrages de droit constitutionnel s’opère par référence au principe de la séparation des pouvoirs.

Après avoir recensé les régimes qui méconnaissent la séparation des pouvoirs, soit au profit de l’exécutif (dictature), soit au profit du législatif (gouvernement d’assemblée, dit aussi gouvernement conventionnel), les auteurs classiques distinguaient, parmi les régimes respectueux du principe de séparation, deux variétés :

D’une part, les régimes pratiquant une séparation souple des pouvoirs se caractérisent par le fait que, si le législatif et l’exécutif ont des compétences et des champs d’action distincts, ils n’exercent pas moins l’un sur l’autre une influence réciproque ; cela se réalise notamment là où les Chambres contrôlent l’action gouvernementale, peuvent renverser le gouvernement, et là où le gouvernement participe à l’élaboration des lois, peut poser la question de confiance et, le cas échéant, recourir à la dissolution de l’une des Chambres.

D’autre part, les régimes pratiquant une séparation stricte ou rigide des pouvoirs se manifestent en ce que chaque pouvoir, enfermé dans des compétences et un champ d’action déterminés, ne saurait influencer activement l’autre pouvoir. Tel était notamment, au moins d’un point de vue théorique, le régime institué en France par la Constitution de 1791. On pourrait aussi ranger parmi les régimes de séparation rigide des pouvoirs, ceux dans lesquels l’exécutif, ainsi séparé du législatif, est de forme collégiale, ce qui a amené certains auteurs à employer pour les désigner l’épithète « directorial », car c’est la Constitution française de l’an III qui en fournit le modèle.

Le régime présidentiel, dans l’analyse juridique classique, est le régime de séparation rigide des pouvoirs dans lequel l’exécutif est confié à un président. Pourtant, s’il n’était pas inutile, ne serait-ce que pour comprendre le vocabulaire, de rappeler comment se situe et s’articule dans l’analyse juridique traditionnelle le régime présidentiel, il faut bien dire que la réalité politique qu’il offre aux États-Unis, qui en est le modèle le plus parfait, et peut-être le seul, est très différente du schéma qu’on vient de rappeler. Les institutions et la vie politique ne sont que partiellement dessinées par les règles constitutionnelles qui prétendent les régir. La pratique politique a fortement transformé et déformé le système de cloisonnement entre exécutif et législatif qui fonde juridiquement le régime et dont l’assouplissement, sinon l’effraction sont nécessaires pour la conduite des affaires nationales et internationales d’un État. Le système de partis, d’autre part, est un élément déterminant

Page 33: td_semestre_1rev.doc

de la réalité politique. Aux États-Unis, la corrélation est étroite entre l’agencement vécu des pouvoirs et des forces politiques et le système de partis américain.

Enfin, les transformations et la véritable mutation qu’ont subies les régimes parlementaires à l’époque moderne, combinées avec celles éprouvées par le régime présidentiel, ont abouti à un résultat paradoxal : le régime présidentiel à l’américaine présente aujourd’hui certains traits que, naguère, on relevait comme caractéristiques du parlementarisme (et notamment la recherche incessante de compromis entre législatif et exécutif), cependant que, dans le régime parlementaire anglais contemporain, caractérisé par le leadership gouvernemental et l’inconditionnalité de la majorité, fruits l’un et l’autre du système de partis, des observateurs politiques notent un « présidentialisme » larvé.

1. Les règles juridiques

Ce sont essentiellement les vues de Locke et de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs qui constituent le fondement même des règles constitutionnelles gouvernant le régime présidentiel : les deux pouvoirs « politiques », législatif et exécutif, sont indépendants l’un de l’autre, chacun exerçant ses compétences de façon autonome.

Mais c’est un accident de l’histoire qui a donné à l’exécutif la forme d’une présidence élective. En effet, les États-Unis, qui, les premiers, appliquèrent systématiquement le principe de séparation, étaient une fédération de colonies révoltées contre leur monarque et donc condamnées à un gouvernement républicain. Dans le même temps, la monarchie britannique, qui, sur la lancée de la révolution de 1688 et du Bill of rights, avait fourni le

modèle de la séparation des pouvoirs, commençait, en infléchissant celle-ci, à inventer le régime parlementaire.

Le législatif et l’exécutif

Comme tout système démocratique, un régime présidentiel comporte une ou deux assemblées élues. Dans le système américain, la dualité des Chambres au sein du Congrès tient au fédéralisme qui veut que l’une des deux Chambres (la Chambre des représentants) représente les citoyens des États-Unis en tant que tels et que, par suite, chaque État y envoie des députés en raison de son importance, cependant que l’autre (le Sénat) représente les États membres eux-mêmes, ayant chacun, quelles que soient son étendue ou sa population, un nombre uniforme de deux sénateurs. Néanmoins, la Constitution française de 1848 (cf. infra ), dans la logique de l’État unitaire, n’avait prévu qu’une seule Chambre. L’essentiel est que le pouvoir législatif est confié dans sa totalité à une ou deux assemblées.

L’exécutif est, quant à son origine et à sa nature, caractérisé par deux traits. En premier lieu, la désignation du président n’appartient pas aux membres du législatif et, en fait, a lieu au suffrage universel. Sans doute, dans la Constitution américaine de 1787, la désignation des membres du collège électoral devant désigner, à leur tour, le président incombait-elle aux législatures des États (c’est-à-dire aux parlements locaux). Mais le double effet des révisions constitutionnelles et de l’évolution vers le suffrage universel a abouti à ce que ce soient les citoyens qui élisent eux-mêmes les membres du collège électoral, dont le vote se porte en principe sur le candidat du parti pour le compte duquel ils ont été élus. Finalement, dans la plupart des cas, tout se passe comme si les

Page 34: td_semestre_1rev.doc

citoyens élisaient eux-mêmes le président. L’essentiel est que l’investiture de celui-ci ne procède en rien des membres du législatif (sauf le cas, rarissime, où une majorité absolue ne se dégagerait pas au sein du collège électoral et où, en vertu de la Constitution, le choix reviendrait alors à la Chambre des représentants).

L’autre trait caractéristique de l’institution est que le président n’est pas le « chef de l’exécutif » ; il est l’exécutif. Il n’est pas seulement chef de l’État, mais aussi chef du gouvernement au sens le plus fort du terme et réunit donc sur sa tête toutes les compétences majeures de l’exécutif. Encore que le terme de cabinet soit souvent employé pour désigner l’ensemble des ministres, il n’existe pas de « gouvernement de cabinet ». Le président prend conseil de ses ministres, mais décide seul. On verra plus loin qu’il nomme et révoque à son gré les ministres.

Ainsi le régime présidentiel s’oppose-t-il sur des points essentiels au régime parlementaire : origine élective du président, étrangère à toute intervention des Chambres ; absence de distinction entre chef d’État et chef de gouvernement ; direction « monarchique », sans gouvernement de cabinet.

L’autonomie de chacun des deux pouvoirs

L’autonomie de chacun des deux pouvoirs au regard de l’autre se manifeste par deux caractères, qui font de nouveau contraste avec le régime parlementaire.

Tout d’abord, chaque pouvoir a ses compétences propres dans l’exercice desquelles l’autre n’intervient pas, sinon exceptionnellement, par l’exercice de la « faculté d’empêcher ». Aux Chambres, donc, le pouvoir législatif et le pouvoir financier sans partage. À la lettre, le

président des États-Unis ne pourrait proposer ni la loi ni le budget et ne pourrait intervenir dans les travaux et discussions du Congrès les concernant. Réciproquement, les tâches de l’exécutif reviennent au seul président sans participation des Chambres : le maintien de l’ordre, l’administration, la politique étrangère, la défense nationale sont la seule affaire du président.

Ensuite, il n’existe pas de procédures juridiques permettant à l’un des pouvoirs de mettre en cause l’investiture de l’autre. Le président ne possède pas le pouvoir de dissoudre la ou les Chambres ; normalement, il n’exerce pas d’influence sur la durée de leurs sessions ; les moyens habituels d’influence du gouvernement sur le parlement en régime parlementaire lui sont refusés, notamment celui d’intervenir dans les discussions législatives. Le cabinet n’est pas un « pont » jeté entre le président et les Chambres, puisque les ministres ne sont pas membres de celles-ci et n’appartiennent pas nécessairement à leur majorité ni même au parti du président.

Mais, réciproquement, les Chambres ne peuvent agir contre l’exécutif. Élu pour une durée déterminée, le président ne peut être renversé par les Chambres et n’a pas besoin de leur confiance. Les ministres sont ses agents et ne sont pas politiquement responsables devant elles ; en revanche, il appartient au président de mettre fin à leurs fonctions.

Sans doute existe-t-il une responsabilité pénale dans la mise en jeu de laquelle les assemblées peuvent intervenir, telle que l’impeachment prévu par la Constitution des États-Unis et qui permettrait au Sénat, sur mise en accusation de la Chambre des représentants, de destituer le président à une majorité renforcée. Mais alors qu’en Grande-Bretagne l’impeachment a été l’une des

Page 35: td_semestre_1rev.doc

sources de la responsabilité politique du cabinet, aux États-Unis il a gardé son caractère pénal et, malgré une tentative faite en 1868, n’a pas dégénéré en procédure sanctionnant un simple désaccord politique.

Pourtant, fidèles en cela aux enseignements de Montesquieu, au nombre des checks and balances (« freins et contrepoids ») destinés à assurer l’équilibre des pouvoirs, les constituants américains ont prévu des procédures par lesquelles pouvoir législatif et pouvoir exécutif, sans intervenir activement l’un dans le domaine de l’autre, peuvent entraver les décisions l’un de l’autre. Aux États-Unis, le Sénat est investi du pouvoir d’approuver la nomination des ministres, des ambassadeurs, des juges de la Cour suprême et des hauts fonctionnaires ; de même, la ratification des traités n’est pas possible sans son accord à une majorité des deux tiers. De son côté, le président possède l’importante prérogative du veto, qui lui permet de s’opposer aux lois votées par le Congrès et qui ne peut être brisé que par un nouveau vote du texte refusé (à la majorité des deux tiers dans chaque Chambre).

On ne peut pas dire que, par nature, l’existence d’une juridiction exerçant un contrôle de constitutionnalité soit un élément nécessaire du régime présidentiel. C’est si vrai que la Constitution des États-Unis ne prévoit nullement que la Cour suprême soit investie de telles fonctions. C’est la Cour suprême qui, en 1803, en vertu d’un raisonnement juridique d’ailleurs exact, reconnut aux juges le pouvoir d’accueillir « l’exception d’inconstitutionnalité » par laquelle un plaideur prétend écarter à son encontre l’application d’une loi (ou de tout autre acte) en alléguant qu’elle est contraire à la Constitution. Mais, depuis lors, ce pouvoir de la Cour suprême s’est incorporé au régime présidentiel américain et, malgré les excès du « gouvernement des juges » auxquels la Cour suprême a renoncé depuis la Seconde Guerre mondiale, a fini par en faire partie intégrante. C’est, en effet, un instrument propre à régler les conflits juridiques qu’entraîne nécessairement un régime de séparation des pouvoirs et à assurer, d’autre part, le « concert » du législatif et de l’exécutif. (…)

Document 2 : Maurice HAURIOU, Précis de Droit constitutionnelLe gouvernement parlementaire. - C’est la forme du gouvernement représentatif qui, vraisemblablement, a évolué conformément à l’idée primitive, puisque c’est celle qui a évolué en Angleterre, son pays d’origine.

Forgé au cours du XVIIIème siècle, par de légères modifications au gouvernement représentatif du XVIIème siècle, le régime parlementaire est passé en France en 1814 sous la Restauration, et, après des vicissitudes, a fini par s’y acclimater ; (...).

On peut donner du gouvernement parlementaire la définition suivante : C’est une forme de gouvernement, à base de régime représentatif et de séparation des pouvoirs souple, dans laquelle une collaboration continuelle est établie entre le pouvoir exécutif et le Parlement, composé de deux chambres, par l’intermédiaire d’un organe exécutif, qui est le cabinet des ministres, lequel partage avec le chef de l’Etat la direction du gouvernement, mais ne peut gouverner qu’en s’assurant la confiance continuelle du Parlement,

Page 36: td_semestre_1rev.doc

parce qu’il est politiquement responsable devant celui-ci.

Le pouvoir exécutif est partagé entre un chef de l’Etat (monarque héréditaire ou président de la République élu) et des ministres nommés par le chef de l’Etat et responsables devant lui, mais responsables aussi et surtout devant le Parlement, ne pouvant gouverner, par conséquent, qu’avec la confiance du Parlement. Ces ministres forment, par leur réunion, un cabinet ou comité dans lequel sont arrêtées les décisions gouvernementales les plus importantes, et il en résulte une solidarité entre les ministres qui rend tout le cabinet responsable pour toute décision importante.

L’un des ministres assume le rôle de président du Conseil ou de premier ministre, c’est lui qui dirige la politique générale du cabinet et qui seul, en principe, peut poser la question de confiance au nom du cabinet et engager la responsabilité solidaire de celui-ci.

La responsabilité politique des ministres devant le Parlement consiste en ce que, sur un vote de l’une des Chambres impliquant la défiance, le cabinet peut être amené à donner sa démission. Cette responsabilité, purement politique et non criminelle, s’est

surajoutée en Angleterre, au cours du XVIIIème siècle, à la procédure criminelle de l’impeachment. C’est elle qui fonctionne couramment aujourd’hui ; l’impeachment ne joue plus que rarement, lorsque les ministres sont traduits en Haute Cour de justice pour crime politique commis dans l’exercice de leurs fonctions.

Quant au pouvoir législatif, il est confié à deux chambres, dont l’une au moins, la chambre basse, est élue par le peuple et dont l’ensemble constitue le Parlement. Ce Parlement doit avoir des moyens de pression sur les organes exécutifs, tout au moins par le refus du vote du budget.

On voit que le gouvernement parlementaire se caractérise essentiellement par la responsabilité collective du cabinet devant le Parlement, par les liaisons et collaborations que cette responsabilité entraîne forcément entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le rouage essentiel de ce gouvernement est donc le cabinet, aussi l’appelle-t-on gouvernement de cabinet tout autant que gouvernement parlementaire et, même, cette appellation serait préférable en ce qu’elle exprimerait mieux cette vérité que ce n’est pas le Parlement qui doit gouverner, mais le cabinet.

Document 4 : Monisme ou dualisme : J.C. Zarka, LGDJ 1992 p. 28Le parlementarisme moniste est un type de parlementarisme où le gouvernement, dans la définition de sa politique, ne dépend que de la seule majorité parlementaire. Ce parlementarisme moniste se distingue du parlementarisme dualiste ou orléaniste où le Cabinet doit tenir compte non seulement de la volonté parlementaire majoritaire, mais aussi de la position personnelle du Chef de l'Etat. Historiquement, le parlementarisme orléaniste correspond à la première phase de l'évolution du régime parlementaire français sous la Charte de 1830 et la monarchie de juillet. C'est ce parlementarisme dualiste qui a également caractérisé les premières années de la III° République.

Mais, à la suite de la crise du 16 mai 1877, le parlementarisme moniste a succédé au dualisme originaire et a été explicitement affirmé par le Président

Page 37: td_semestre_1rev.doc

Jules Grévy dans son message aux Chambres du 7 février 1879 ; message où le 3ème Président de la III° République déclare qu'il n'entrera "jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels".

II. Le régime des Etats-UnisDocument 5 : Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, tome 1, Du pouvoir exécutif

Les législateurs américains avaient une tâche difficile à remplir : ils voulaient créer un pouvoir exécutif qui dépendît de la majorité, et qui pourtant fût assez fort par lui-même pour agir avec liberté dans sa sphère.

Le maintien de la forme républicaine exigeait que le représentant du pouvoir exécutif fût soumis à la volonté nationale.

Le Président est un magistrat électif. Son honneur, ses biens, sa liberté, sa vie, répondent sans cesse au peuple du bon emploi qu'il fera de son pouvoir. En exerçant ce pouvoir, il n'est Pas d'ailleurs complètement indépendant: le Sénat le surveille dans ses rapports avec les puissances étrangères, ainsi que dans la distribution des emplois; de telle sorte qu'il ne peut ni être corrompu ni corrompre.

Les législateurs de l'Union reconnurent que le pouvoir exécutif ne pourrait remplir dignement et utilement sa tâche, s'ils ne parvenaient à lui donner plus de stabilité et plus de force qu'on ne lui en avait accordé dans les États particuliers.

Le Président fut nommé pour quatre ans, et put être réélu. Avec de l'avenir, il eut le courage de travailler au bien public, et les moyens de l'opérer.

On fit du Président le seul et unique représentant de la puissance exécutive de l'Union. On se garda même de subordonner ses volontés à celles d'un conseil: moyen dangereux, qui, tout en affaiblissant l'action du gouvernement, diminue la responsabilité des gouvernants.

Le Sénat a le droit de frapper de stérilité quelques-uns des actes du Président; mais il ne saurait le forcer à agir, ni partager avec lui la puissance exécutive.

L'action de la législature sur le pouvoir exécutif peut être directe; nous venons de voir que les Américains avaient pris soin qu'elle ne le fût pas. Elle peut aussi être indirecte.

Les Chambres, en privant le fonctionnaire public de son traitement, lui ôtent une partie de son indépendance; maîtresses de faire les lois, on doit craindre qu'elles ne lui enlèvent peu à peu la portion de pouvoir que la Constitution avait voulu lui conserver.

Cette dépendance du pouvoir exécutif est un des vices inhérents aux constitutions républicaines. Les Américains n'ont pu détruite la pente qui entraîne les Assemblées législatives à s'emparer du gouvernement, mais ils ont rendu cette pente moins irrésistible.

Le traitement du Président est fixé, à son entrée en fonction, pour tout le temps que doit durer sa magistrature. De plus, le Président est armé d'un veto suspensif, qui lui permet d'arrêter à leur passage les lois qui pourraient détruire la portion d'indépendance que la Constitution lui a laissée. Il ne saurait pourtant y avoir qu'une lutte inégale entre le Président et la législature, puisque celle-ci, en persévérant dans ses desseins, est toujours maîtresse de vaincre la résistance qu'on lui oppose; mais le

Page 38: td_semestre_1rev.doc

veto suspensif la force du moins à retourner sur ses pas; il l'oblige à considérer de nouveau la question, et, cette fois, elle ne peut plus la trancher qu'à la majorité des deux tiers des opinants. Le veto, d'ailleurs, est une sorte d'appel au peuple. Le pouvoir exécutif, qu'on eût pu, sans cette garantie, opprimer en secret, plaide alors sa cause, et fait entendre ses raisons. Mais si la législature persévère dans ses desseins, ne peut-elle pas toujours vaincre la résistance qu'on lui oppose? À cela, je répondrai

qu'il y a dans la Constitution de tous les peuples, quelle que soit, du reste, sa nature, un point où le législateur est obligé de s'en rapporter au bon sens et à la vertu des citoyens. Ce point est plus rapproché et plus visible dans les républiques, plus éloigné et caché avec plus de soin dans les monarchies; mais il se trouve toujours quelque part. Il n'y a pas de pays où la loi puisse tout prévoir, et où les institutions doivent tenir lieu de la raison et des mœurs.

III. Le régime britannique Document 6 : Paul BASTID : L’idée de Constitution, economicaLe régime britannique repose sans doute essentiellement sur la common law, qui est un droit coutumier, et sur des usages politiques appelés conventions de la constitution. Ces deux éléments n’ont pas d’ailleurs la même signification juridique, le premier seul pouvant être invoqué devant la justice et sanctionné par elle. Mais, à côté de cette masse énorme, un certain nombre de textes célèbres sont traditionnellement considérés comme fondamentaux, du fait de l’objet dont ils traitent, du fait aussi de leur portée historique et de la vénération particulière qui s’attache à eux, bien que juridiquement ils ne diffèrent pas des autres. On distingue parmi eux des traités, des pactes, des statuts ou lois. 

Les traités sont l’acte d’union avec l’Ecosse (qui date de 1707), qui subsiste encore intégralement de nos jours, et l’acte d’union avec l’Irlande, qui date de 1800 mais qui ne vaut plus, et avec de nombreuses modifications, que pour la partie Nord de l’île. 

La rubrique des pactes renferme la Grande Charte de 1215, le Bill des droits de 1688 et l’Acte d’établissement de 1701. Ces actes

se caractérisent en ce que le prince y intervient comme partie contractante, vis-à-vis de laquelle la nation apparaît avec une personnalité distincte et indépendante. 

La Grande Charte est un compromis passé par le roi Jean sans Terre avec ses barons révoltés, qui se comportent comme  des belligérants. S’il est célèbre, c’est qu’il a avant tout pour objet de garantir la liberté individuelle en établissant des règles tutélaires pour l’accusation et le jugement des sujets : nul  ne pourra être arrêté, détenu, lésé dans sa personne ou dans ses biens, sauf par le jugement de ses pairs et selon la loi. Il vise aussi le principe du consentement de l’impôt : aucune aide ne sera levée sans l’avis du commun conseil du royaume, sauf dans trois cas spécifiés qui se rapportent au droit féodal de l’époque et qui appartiennent au passé. 

L’acte de 1688 est un pacte passé par les deux chambres avec Guillaume d’Orange, qui bouleverse l’ordre successoral au profit de ce dernier et qui énonce en treize articles tous les droits violés par Jacques II. Il est donc fait défense

Page 39: td_semestre_1rev.doc

au monarque de suspendre les lois, de dispenser de leur exécution, d’instituer des tribunaux d’exception, d’infliger des amendes excessives, de restreindre le droit de pétition des sujets ou la liberté de la parole dans le Parlement, d’intervenir dans les élections parlementaires. On renouvelle l’interdiction de voter des impôts sans le concours des deux chambres et on y ajoute la défense d’entretenir sans le même concours une armée permanente. 

L’acte de 1701, qui transporte définitivement la royauté dans la maison de Brunswick-Hanovre, contient huit articles obligeant éventuellement “quiconque viendra à occuper le trône“. S’il vise certains objets de circonstance, il formule aussi le principe important de l’inamovibilité des juges.  

Les statuts ou lois sont les actes votés par les deux chambres régulièrement constituées et qu’a sanctionnés la Couronne. Parmi les textes qui méritent certainement de figurer dans l’ordre constitutionnel en raison de leur contenu, il faut ranger la «Petition of rights» de 1628. C’est la constatation écrite de règles coutumières faite par les communes, acceptée par le roi Charles 1er. Son objet du reste n’est pas différent de celui du «Bill of rights» de 1688, qui n’a fait que confirmer ou compléter ses dispositions. Il faut mentionner également «l’Act Habeas Corpus» de 1679. 

Il résulte de tout cela un manque de cohérence et de rigueur qui est  le propre de ce qu’on appelle la constitution anglaise. Toujours est-il que ses sources sont multiples et que certaines sont écrites. 

Page 40: td_semestre_1rev.doc

FICHE N°4 LA DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN

I/ DOCUMENTS REPRODUITS1. Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789

2. B. Constant : de la liberté des anciens comparée à celle des modernes, in De l’esprit de conquête et de l’usurpation

3. Patrick Thierry, extrait de la revue Tocqueville, vol 26, n°2, 2005,

4. R. Carré de Malberg, Contribution à une théorie générale de l’Etat, tome 2, pp 167 et s

5. Guastini, Interprétation Constitutionnelle, extraits, déclarations ou créations de droits ?

II/ INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUESP. DELVAUX, «Analyse lexicale des débats de la Constituante sur la Déclaration des Droits de l'Homme», Droits 3, 1985.

GAXIE (D.), La démocratie représentative, Montchrestien, 1996.

S. RIALS (Dir.) La Déclaration de 1789, revue Droits 8, 1988

S. RIALS, La déclaration des droits de l'homme, coll. "Pluriel", Hachette, 1988

J. MORANGE, La déclaration des droits de l'homme, P.U.F., coll. "Que sais-je ?"

P. WACHSMANN, Naturalisme et volontarisme dans la déclaration de droits de l'homme et du citoyen, revue Droits, n°2, 1986.

« La Représentation », revue Droits 6, 1987.

III/ NOTIONS A CONNAITREEtat, démocratie, dictature, anarchie, théocratie, monarchie, oligarchie, technocratie, république.

Représentant / représentation, Loi, Nation, Souveraineté, Souveraineté nationale, Souveraineté populaire, Peuple, droits naturels, droits inaliénables, droits imprescriptibles.

IV/ EXERCICE A FAIRERechercher les 5 premiers amendements de la constitution américaine (Bill of Rights) et les comparer avec la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

V/ EXERCICES SUGGERESDroits de l'homme et droits du citoyen dans la Déclaration des droits de l'homme

Page 41: td_semestre_1rev.doc

Commentaire de l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen

La déclaration des droits de l’homme suffit elle à en assurer le respect ?

Document n°1 : Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que leurs actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l'Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre suprême, les droits suivants de l'Homme et du Citoyen.

Art. 1er. -Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

Art. 2. -Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.

Art. 3. -Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer

d'autorité qui n'en émane expressément.

Art. 4. -La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

Art. 5. -La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

Art. 6. -La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Art. 7. -Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance.

Art. 8. -La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi

Page 42: td_semestre_1rev.doc

établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Art. 9. -Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Art. 10. -Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.

Art. 11. -La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Art. 12. -La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

Art. 13. -Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Art. 14. -Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

Art. 15. -La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.

Art. 16. -Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.

Art. 17. -La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

Document n°2 : B. Constant : de la liberté des anciens comparée à celle des modernes, in De l’esprit de conquête et de l’usurpation

Messieurs,

Je me propose de vous soumettre quelques distinctions, encore assez neuves, entre deux genres de liberté, dont les différences sont restées jusqu’à ce jour inaperçues, ou du moins trop peu remarquées. L’une est la liberté dont l’exercice était si chère aux peuples anciens; l’autre celle dont la jouissance est particulièrement précieuse aux nations modernes.

Premièrement, la confusion de ces deux espèces de liberté a été parmi nous, durant des époques trop

célèbres de notre révolution, la cause de beaucoup de maux. La France s’est vue fatiguée d’essais inutiles, dont les auteurs, irrités par leur peu de succès, ont essayé de la contraindre à jouir du bien qu’elle ne voulait pas, et lui ont disputé le bien qu’elle voulait.

En second lieu, appelés par notre heureuse révolution (je l’appelle heureuse, malgré ses excès, parce que je fixe mes regards sur ses résultats) à jouir des bienfaits d’un gouvernement représentatif, il est curieux et utile de rechercher pourquoi ce gouvernement, le seul

Page 43: td_semestre_1rev.doc

à l’abri duquel nous puissions aujourd’hui trouver quelque liberté et quelque repos, a été presque entièrement inconnu aux nations libres de l’Antiquité. [...]

Demandez-vous d’abord, Messieurs, ce que de nos jours, un Anglais, un Français, un habitant des États-Unis de l’Amérique, entendent par les mots de liberté.

C’est pour chacun le droit de n’être soumis qu’aux lois, de ne pouvoir être arrêté ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité d’aucune manière, par l’effet de la volonté arbitraire d’un ou de plusieurs individus. C’est pour chacun le droit de se réunir à d’autres individus, soit pour conférer sur ses intérêts, soit pour professer le culte que lui et ses associés préfèrent, soit simplement pour emplir ses jours et ses heures d’une manière plus conforme à ses inclinations, à ses fantaisies. Enfin, c’est le droit, pour chacun, d’influer sur l’administration du gouvernement, soit par la nomination de tous ou de certains fonctionnaires, soit par des représentations, des pétitions, des demandes, que l’autorité est plus ou moins obligée de prendre en considération. Comparez maintenant à cette liberté celle des anciens.

Celle-ci consistait à exercer collectivement, mais directement, plusieurs parties de la souveraineté tout entière, à délibérer, sur la place publique, de la guerre et de la paix, à conclure avec les étrangers des traités d’alliance, à voter les lois, à prononcer les jugements, à examiner les comptes, les actes, la gestion des magistrats, à les faire comparaître devant tout le peuple, à les mettre en accusation, à les condamner ou à les absoudre; mais en même temps que c’était là ce que les anciens nommaient liberté, ils admettaient comme compatible avec cette liberté collective l’assujettissement complet de l’individu à l’autorité de l’ensemble. [...]

Ainsi chez les anciens, l’individu souverain presque habituellement dans les affaires publiques est esclave dans tous ses rapports privés. Comme citoyen, il décide de la paix et de la guerre; comme particulier, il est circonscrit, observé, réprimé dans tous ses mouvements; comme portion du corps collectif, il interroge, destitue, condamne, dépouille, exile, frappe de mors ses magistrats ou ses supérieurs; comme soumis au corps collectif, il peut à son tour être privé de son état, dépouillé de ses dignités, banni, mis à mort, par la volonté discrétionnaire de l’ensemble dont il fait partie. Chez les modernes, au contraire, l’individu, indépendant dans sa vie privée, n’est, même dans les États les plus libres, souverain qu’en apparence. Sa souveraineté est restreinte, presque toujours suspendue; et si, à des époques fixes, mais rares, durant lesquelles il est encore entouré de précautions et d’entraves, il exerce cette souveraineté, ce n’est jamais que pour l’abdiquer. [...]

De ce que la liberté moderne diffère de la liberté antique, il s’ensuit qu’elle est aussi menacée d’un danger d’espèce différente.

Le danger de la liberté antique était qu’attentifs uniquement à s’assurer le partage du pouvoir social, les hommes ne fissent trop bon marché des droits et des jouissances individuelles.

Le danger de la liberté moderne, c’est qu’absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne renoncions trop facilement à notre droit de partage dans le pouvoir public.

Les dépositaires de l’autorité ne manquent pas de nous y exhorter. Ils sont si disposés à nous épargner toute espèce de peine, excepté celle d’obéir et de payer ! Ils nous diront : quel est le but de vos

Page 44: td_semestre_1rev.doc

efforts, le motif de vos travaux, l’objet de toutes vos espérances ? N’est-ce pas le bonheur ? Eh bien, ce bonheur, laissez-nous faire, et nous vous le donnerons. Non, ne

laissons pas faire; quelque touchant que soit un intérêt si tendre, prions l’autorité de rester dans ses limites; qu’elle se borne à être juste. Nous nous chargeons d’être heureux.

Document 3 : extrait de la revue Tocqueville, vol 26, n°2, 2005, Patrick ThierryLa méfiance de Madison concerne moins la confusion des fonctions que l'exercice effectif de la souveraineté par le peuple. L'absence initiale d'un Bill of Rights donne lieu à une discussion qui marque l'écart entre les deux [Madison et Jefferson] : ce genre de texte sera inefficace contre les excès (et les désordres) du pouvoir populaire, selon Madison. Aussi, c'est en termes de majorité et de minorité qu'il pose la question de la limite de la souveraineté : des « majorités intéressées » peuvent instrumenter le gouvernement républicain. Jefferson se soucie donc avant tout de « la réalité de la participation des citoyens à la res publica » alors que Madison s'inquiète plutôt de la difficulté de l'exercice.

(…)

Les conceptions de la liberté de Jefferson et Madison sont « diamétralement opposées », en raison de leurs postulats anthropologiques : celui, de facture calviniste, d'un homme déchu mû par des pulsions égoïstes chez Madison et celui d'un homme équipé par la nature d'un « sens moral » et capable par conséquent de chercher la convergence d'intérêts avec ses semblables, pour Jefferson.

Document 4 : R. Carré de Malberg, Contribution à une théorie générale de l’Etat, tome 2, pp 167 et s.

La notion de souveraineté nationale est, en France, l'un des principes fondamentaux du droit public et de l'organisation des pouvoirs.

On a dit de ce principe qu'il est le plus important des conquêtes qu'ait réalisées la Révolution. De fait, il est consacré, dès le début des événements de 1789 par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, art. 3 : "le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément". Depuis lors, et sauf une seule interruption en 1814, la souveraineté nationale a été, en théorie du moins, admise explicitement ou implicitement par les Constitutions de la France (...). Il existe, à l'égard de la

souveraineté nationale, deux courants d'interprétation, deux tendances divergentes. Les uns ont exalté le principe et ont prétendu qu'il produit des conséquences très absolues. D'autres soutiennent qu'il n'y a là qu'une formule théorique et politique, vide de sens juridique. Ces deux points de vue sont pareillement erronés, ainsi qu'on va le voir.

Le principe de la souveraineté nationale a souvent été interprété à la lueur des théories de Rousseau., théories sur l'influence des idées du temps de la Révolution a été si considérable. La souveraineté nationale se confondrait ainsi avec la souveraineté populaire. Elle s'analyserait en une souveraineté individuelle des membres de la

Page 45: td_semestre_1rev.doc

Nation ; et, par suite, il faudrait dire qu'en France, sur quarante millions de nationaux, chacun détient un quarante-millionième du pouvoir souverain, envisagé, soit quant à sa source première, soit au moins quant à son exercice (...).

Mais ce n'est certainement pas en ce sens qu'a été dégagé le principe. Pour le démontrer, il convient d'insister dès maintenant sur ce point essentiel, à savoir que l'idée de souveraineté nationale, telle qu'elle a été introduite dans le droit public moderne de la France par les fondateurs mêmes de ce droit, n'avait qu'une portée négative (...) Si l'on veut saisir la véritable portée originaire du principe de la souveraineté nationale, il faut, avant tout, s'attacher aux circonstances historiques dans lesquelles ce principe a été proclamé en 1789 par l'Assemblée Nationale. On ne doit pas perdre de vue, en effet, que ce principe est spécial au droit public français.

Dans les derniers siècles de l'ancienne monarchie, le roi, soutenu par des juristes dévoués à ses prétentions absolutistes, était parvenu à se poser comme le propriétaire personnel de la puissance étatique et même comme constituant à lui seul l'Etat. La Révolution est venue faire cesser cette confusion. L'oeuvre capitale de la Constituante, dans cet ordre d'idées, a consisté à séparer l'Etat et la personne royale ; et pour cela, la Constituante fait intervenir la Nation, qu'elle oppose au roi comme le véritable élément constitutif de l'Etat, et, par suite, comme seule légitime propriétaire de la puissance souveraine. En effet, l'idée essentielle dégagée par les hommes de 1789 et qui devient la base même de tout le nouveau droit public, a été que l'Etat n'est pas autre chose que la personnifi-cation de la nation. L'Etat, c'est la personne publique, en qui se résume la collectivité nationale. Donc, l'Etat ne peut s'absorber

dans le roi, mais il s'identifie avec la nation. Et alors, la souveraineté étatique n'est plus dans le roi, elle a son siège dans la nation elle-même (...).

La souveraineté, ou puissance étatique, ce n'est pas autre chose, en effet, que le pouvoir social de la nation, un pouvoir qui est essentiellement national en ce sens et par ce motif qu'il se fonde uniquement sur les exigences de l'intérêt de la nation et qu'il n'existe que dans cet intérêt national (...). Le vrai souverain, ce n'est plus le roi, ni aucun gouvernant quel qu'il soit, c'est exclusivement la nation. Par suite, la puissance exercée par les gouvernants n'est pas pour eux un attribut personnel, elle ne leur appartient pas en propriété et ne devient pas pour eux un bénéfice propre : mais elle est un dépôt qu'ils détiennent pour la compte de la nation et qui ne doit servir, entre leurs mains, qu'au bien de la communauté nationale. Plus exactement, il faut dire que les gouvernants ne possèdent pas, à proprement parler, la souveraineté elle-même ; ils n'en ont, ce qui est bien différent, que l'exercice ; ils ne sont investis que d'une simple compétence ; et en cela, ils ne sont que les administrateurs d'un bien étranger, d'un pouvoir qui est purement celui de la nation. Tel est le premier sens du principe de souveraineté nationale.

D'autre part, l'Assemblée Nationale formule et consacre cette idée, non moins importante, que, parmi les hommes composant la nation, il n'en est aucun qui puisse prétendre à l'exercice du pouvoir souverain, en se fondant sur un droit de commandement inné en sa personne, ou en alléguant, soit une supériorité personnelle, soit une vocation spéciale à cet exercice. En effet, la souveraineté, c'est proprement le droit qu'a la communauté nationale de faire respecter ses intérêts supérieurs au

Page 46: td_semestre_1rev.doc

moyen de sa puissance supérieure : c'est par conséquent un droit qui n'appartient qu'à la nation. Si donc la souveraineté ne se conçoit comme légitime que dans la collectivité, il en résulte que les membres individuels du corps national sont, en ce qui concerne son exercice, égaux les uns aux autres, en ce sens qu'aucun d'eux ne saurait invoquer de droit originaire à prendre personnellement en main ce pouvoir de la nation (...).

Personne ne peut exercer la souveraineté nationale que du chef de la nation et en vertu d'une concession nationale. Cette concession, l'Assemblée constituante admet qu'elle s'opère dans la Constitution. C'est par la Constitution que le pouvoir national se trouve transféré, quant à son exercice, dans les gouvernants, et il ne peut y avoir d'autres ayants-droit à cet exercice que ceux appelés par la Constitution (...).

Maintenant, en quel sens l'Assemblée Nationale de 1789 transférait-elle la souveraineté' à la Nation ? Voulait-elle dire par là que

la souveraineté siège originairement dans la personne individuelle de tous les nationaux et de chacun d'eux ? Bien certainement non. Il suffit pour l'établir de rappeler, dans la Constitution de 1791, la disposition de l'art. 1er du préambule du titre III : "la souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la Nation, aucune section du peuple, aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice". Le principe posé par ce texte est des plus nets. La souveraineté y est dite nationale, en ce sens qu'elle réside indivisiblement dans la nation toute entière, et non point divisément dans la personne, ni davantage dans aucun groupe de nationaux. La nation est donc souveraine, en tant que collectivité unifiée, c'est-à-dire en tant qu'entité collective, qui, par là même qu'elle est le sujet de la puissance et des droits étatiques, doit être reconnue comme une personne juridique ayant une individualité et un pouvoir à la fois supérieurs aux nationaux et indépendants d'eux (...)

Document 5 : Guastini, Interprétation Constitutionnelle, extraits, déclarations ou créations de droits ?

Les droits subjectifs (notamment les droits-libertés) proclamés dans les constitutions, sont-ils « déclaré » ou bien « créés » ex novo par le texte ? « Déclarés » signifie que les droits en question existaient – en tant que droits « naturels » – avant la constitution et, que par conséquent, les constituants se sont bornés à les reconnaître, à les « positiviser ». « Créés » signifie que les droits en question sont des droits « positifs », n’ayant aucune existence antérieure et indépendante de la constitution : les constituants ne les ont pas reconnus, ils les ont conférés aux citoyens9.

Les deux réponses possibles à cette question ont des conséquences juridiques assez importantes.

Si les droits constitutionnels ont tout simplement été déclarés par les constituants, alors : (a) en premier lieu, le catalogue de droits contenu dans une constitution n’est pas forcément exhaustif (la reconnaissance a pu être incomplète), de sorte que les juges constitutionnels sont autorisés à en « découvrir » de nouveaux ; (b) en second lieu, les droits concernés sont absolument inviolables au sens où ils ne peuvent même pas être supprimés 9 Cf. M. Troper, Pour une théorie juridique de l’État, Paris, 1994, pp. 317 et s.

Page 47: td_semestre_1rev.doc

par une révision constitutionnelle (puisqu’ils n’ont pas été créés par une autorité normative humaine, ils peuvent encore moins être supprimés par une telle autorité).

Si, en revanche, les droits constitutionnels ont originairement été créés par les constituants, alors : (a) premièrement, les seuls droits existants sont ceux qui ont été expressément mentionnés dans le texte, et le juge constitutionnel n’a pas le pouvoir d’en trouver d’autres ; (b) deuxièmement, les normes conférant ces droits (en absence de toute interdiction explicite de révision) peuvent tout à fait être abrogées ou modifiées comme toute autre norme positive.

On s’aperçoit toutefois très aisément que le problème dont on discute n’est pas un problème d’interprétation textuelle (on parle de déclarations des droits en général et non pas d’un texte constitutionnel déterminé) : il s’agit plutôt d’un problème de philosophie du droit (positivisme juridique ou droit naturel ?), même s’il est chargé de conséquences pratiques considérables.

Page 48: td_semestre_1rev.doc

FICHE N°6 L'INTRODUCTION DU RÉGIME PARLEMENTAIRE EN FRANCE : LES CHARTES DE 1814 ET 1830

I/ DOCUMENTS REPRODUITS 1. R. Capitant, " Régimes parlementaires", Mélanges Carré de Malberg, Sirey, 1933, pp. 33-47 (extraits)

2. Le préambule de la charte de 1814

3. Chateaubriand, De la Monarchie selon la charte, extraits

4. Loi du 29 juin 1820 sur les élections

5. L’adresse des 221

6. L’ordonnance de dissolution de la chambre de 1830

II/ INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES CHATEAUBRIAND, Ecrits politiques 1814-1816, Droz, Genève, 2002.

B. CONSTANT, Cours de politique constitutionnelle, Paris, 1817, 4 vol.

DUVERGIER DE HAURANNE, Histoire du gouvernement parlementaire en France (1814-1848), Paris, 1857-1871, 10 vol.

A. LAQUIEZE, Les origines du régime parlementaire en France (1814-1848), P.U.F., 2002.

M. PRELOT et J. BOULOUIS, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, 1975.

III/ NOTIONS A CONNAITRERégime parlementaire moniste, régime parlementaire dualiste.

Suffrage censitaire, suffrage universel

IV/ EXERCICES SUGGERESLe pouvoir ministériel sous les Chartes.

Les pouvoirs du Roi en 1791 et en 1814.

Pouvoir du roi et Pouvoirs des Ministres

Les chartes sont elles un retour à l’ancien régime

Page 49: td_semestre_1rev.doc

Document 1 : René Capitant : Régimes parlementaires, in Mélanges Carré de Malberg, Extraits

La monarchie limitée ne possède encore aucune des caractéristiques du régime parlementaire; car les ministres, subordonnés au monarque ou au président, s'absorbent dans l'unité de l'Exécutif et l'indépendance des pouvoirs exclut leur responsabilité politique.

Mais le régime parlementaire va bientôt s'annoncer par l'apparition d'un nouveau pouvoir, que Benjamin Constant appelle le « pouvoir ministériel » par opposition au « pouvoir royal », et qui, réalisant une scission au sein de l'Exécutif, vient rompre le dualisme de la monarchie limitée. Les ministres s'émancipent, se libèrent du monarque et forment un organe de gouvernement distinct. En même temps ils se groupent en collège, deviennent un conseil, un « cabinet », afin de retrouver dans leurs délibérations en commun le principe d'unité qu'ils recevaient autrefois de leur subordination individuelle au chef d'État. Enfin ils conquièrent une zone de compétence propre qui se trouve retranchée à la compétence du monarque, et qui, par son étendue, fait d'eux l'organe prépondérant du gouvernement. Alors se trouve réalisé le gouvernement de cabinet.

A lui seul, lorsqu'il n'est pas accompagné de la responsabilité politique des ministres, le gouvernement de cabinet n'est pas encore le régime parlementaire; il n'est qu'un acheminement vers celui-ci. Il eut, d'ailleurs, sa période d'application sous la Restauration et forma alors vraiment la transition entre la monarchie de 91, imitée de Montesquieu, et la monarchie parlementaire de juillet. A la même époque, il eut ses théoriciens, dont le premier est Benjamin Constant. Cet auteur ne connaît et ne revendique d'autre

responsabilité pour les ministres qu'une responsabilité pénale et tout au plus une responsabilité morale. Ni dans son œuvre, ni d'ailleurs dans le droit positif de la Restauration, n'existe ce qu'on appelle aujourd'hui la responsabilité politique des ministres et qui est la condition du régime parlementaire. Le seul apport vraiment original, et d'ailleurs capital, de Benjamin Constant est la distinction entre « pouvoir ministériel » et « pouvoir royal ». Il est donc bien le théoricien du gouvernement de cabinet.

Mais, si la Restauration ne connut pas pleinement le régime parlementaire, elle en prépara pourtant l'avènement d'une autre façon encore. C'est qu'elle vit se développer chez le monarque, pour autant du moins qu'on songe à Louis XVIII, un esprit de conciliation, qui, sans aller jusqu'à le faire renoncer aux prérogatives de l'Exécutif, le porta du moins à n'en faire usage qu'avec une modération qui bien souvent permit le développement d'un véritable parlementarisme de fait, sinon de droit. Sans doute, l'Exécutif a conservé toutes ses prérogatives. Il reste indépendant en face des assemblées. Le régime s'inspire toujours de cet idéal d'opposition et de discussion cher à Montesquieu; mais, après l'expérience de la période révolutionnaire, après les crises qui, soit pendant le règne de Louis XVI, soit sous le Directoire, ont montré le danger des conflits irréductibles, on comprend enfin l'idée profonde de l'auteur chez qui le conflit des pouvoirs n'est que le moyen de leur « concert », et pour qui la divergence des opinions doit précéder leur synthèse. La sagesse du Roi lui fait apercevoir que la Charte lui commande en fait, sinon en droit, de céder parfois, de ne

Page 50: td_semestre_1rev.doc

jamais abuser de ses prérogatives, de pousser lui-même à ces transactions dont sera faite la vie du régime. Il comprend le danger du veto obstiné de Louis XVI et il recherche l'accord avec la majorité des Chambres comme une condition du fonctionnement paisible et normal de la Charte. Il n'est pas - et les ministres non plus - juridiquement tenu de se soumettre; mais il préférera bien souvent se séparer des cabinets qui n'ont pas su garder la confiance des assemblées, plutôt que de les maintenir au pouvoir contre le gré de celles-ci. Ainsi se développe une sorte de parlementarisme octroyé par la sagesse du Roi, mais toujours révocable. Les doctrinaires, en 1816, n'en ont pas encore pris conscience, dans le célèbre débat où Royer-Collard et de Serre prennent la parole pour exalter les prérogatives royales; mais Guizot, le plus jeune et le premier parmi eux, écrira bientôt que « l'harmonie des pouvoirs » est la condition du fonctionnement de la Charte. Déjà, d'ailleurs, et avec un incomparable éclat, Chateaubriand avait affirmé l'impérieuse obligation de fait qui, sous l'empire de la Charte, impose aux ministres de « disposer de la majorité ». Saris majorité, ni budget, ni législation, ni gouvernement possibles. Si la majorité change de camp, écrit-il, « le ministre reste et le gouvernement s'en va ». Toute la théorie de la Restauration est dans ces quelques mots. « Le gouvernement s'en va » avec la confiance de l'assemblée; c'est bien ce qu'a compris Louis XVIII, c'est bien ce que les 224 rappelleront à Charles X. « Mais le ministre reste », car juridiquement et en droit strict il peut rester : « la majorité, comme dit encore Chateaubriand, ne peut pas physiquement le prendre par le manteau et le mettre dehors ». C'est le signe que le régime parlementaire n'est pas encore entièrement constitué.

C'est de 1830 que date la responsabilité politique des ministres, et du même coup le régime parlementaire. Thiers l'a constaté au lendemain même de la Révolution, le véritable résultat de celle-ci a été d'introduire « le principe de la déférence aux vœux de la majorité des Chambres ». Ce principe, le nouveau roi, Louis-Philippe « l'a admis et irrévocablement fondé, le jour où, dans le Palais-Bourbon, tête nue, la main levée, entouré de sa famille, des pairs, des députés, des chefs de l'armée, de tous les Français enfin qu'il était possible de faire assister à ce contrat auguste, il a accepté la couronne aux conditions de la Charte ». « Pour ce principe,

Page 51: td_semestre_1rev.doc

ajoute-t-il, il valait la peine de faire une révolution »10.

Ce principe, nous l'appelons aujourd'hui la responsabilité politique des ministres, et nous entendons par là l'obligation juridique pour ceux-ci de se démettre s'ils perdent la confiance de l'assemblée. On ne remarque pas toujours à quel point cette appellation est mal choisie. Elle fait penser à une sorte de diminutif de la responsabilité pénale; elle évoque l'idée de faute et de sanction, comme si la perte du pouvoir était pour le ministre une première et légère peine que viendra renforcer, si la gravité de l'infraction l'exige, la mise en jeu d'une responsabilité pénale véritable. Or, rien ne serait plus faux qu'une telle interprétation. Responsabilité pénale et responsabilité politique se développent, en réalité, malgré la similitude des dénominations, dans des plans bien distincts. La responsabilité politique a pour but de maintenir l'accord entre la politique ministérielle et la politique de la majorité de l'assemblée; elle entre en jeu dès qu'un désaccord se manifeste, et ce serait évidemment méconnaître profondément la réalité politique

que d'apercevoir une faute en une telle divergence. Le premier devoir d'un gouvernement parlementaire est de rester fidèle à son programme; il n'y aurait de faute de sa part qu'à vouloir l'imposer à une majorité hostile et, s'il se retire devant un vote de défiance, c'est pour se conformer à la règle, non pour subir une peine ni pour la prévenir.

L'expression étymologiquement désigne, eu réalité, une institution du gouvernement de cabinet, antérieure à la règle que l'arbitraire de la langue politique lui fait aujourd'hui désigner. Les ministres, maîtres de leurs actes, en ont la responsabilité morale. Ils ont, en outre, l'obligation d'en répondre devant l'assemblée, c'est-à-dire de s'expliquer sur eux, de répondre aux questions qui leur sont posées : c'est la responsabilité politique. Mais, si la responsabilité ministérielle ne signifiait aujourd'hui rien de plus, il serait bien erroné d'y voir l'institution caractéristique du régime parlementaire. Le mot a changé de sens et désigne, nous l'avons dit, une nouvelle prérogative du Parlement, le droit pour celui-ci d'obliger à la retraite les ministères qui ont perdu sa confiance.

Document 2 : Le préambule de la charte de 1814

La divine Providence, en nous rappelant dans nos Etats après une longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets : nous nous en sommes occupés sans relâche ; et cette paix si nécessaire à la France comme au reste de l'Europe, est signée.

Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume, nous l'avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que l'autorité

tout entière résidât en France dans la personne du roi, ses prédécesseurs n'avaient point hésité à en modifier l'exercice, suivant la différence des temps ; que c'est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation et l'extension de leurs droits à Saint Louis et à Philippe le Bel ; que l'ordre judiciaire a été établi et développé par les lois de Louis XI, de Henri Il et de Charles IX ; enfin, que Louis XIV a réglé presque toutes les parties de

10 (1) A. Tamils, La Monarchie de 1830. Paris, i831, p. 46.

Page 52: td_semestre_1rev.doc

l'administration publique par différentes ordonnances dont rien encore n'avait surpassé la sagesse.

Nous avons dû, à l'exemple des rois nos prédécesseurs, apprécier les effets des progrès toujours croissants des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la direction imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, et les graves altérations qui en sont résultées : nous avons reconnu que le voeu de nos sujets pour une Charte constitutionnelle était l'expression d'un besoin réel ; mais en cédant à ce voeu, nous avons pris toutes les précautions pour que cette Charte fût digne de nous et du peuple auquel nous sommes fiers de commander. Des hommes sages, pris dans les premiers corps de l'Etat, se sont réunis à des commissions de notre Conseil, pour travailler à cet important ouvrage.

En même temps que nous reconnaissions qu'une Constitution libre et monarchique devait remplir l'attente de l'Europe éclairée, nous avons dû nous souvenir aussi que notre premier devoir envers nos peuples était de conserver, pour leur propre intérêt, les droits et les prérogatives de notre couronne. Nous avons espéré qu'instruits par l'expérience, ils seraient convaincus que l'autorité suprême peut seule donner aux institutions qu'elle établit, la force, la permanence et la majesté dont elle est elle-même revêtue ; qu'ainsi lorsque la sagesse des rois s'accorde librement avec le voeu des peuples, une Charte constitutionnelle peut être de longue durée ; mais que quand la violence arrache des concessions à la faiblesse du gouvernement, la liberté publique n'est pas moins en danger que le trône même.

Nous avons enfin cherché les principes de la Charte constitutionnelle dans le caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles passés.

Ainsi, nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les souvenirs à toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes.

Nous avons remplacé, par la Chambre des députés, ces anciennes Assemblées des Champs de Mars et de Mai, et ces Chambres du tiers-état, qui ont si souvent donné tout à fois des preuves de zèle pour les intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l'autorité des rois. En cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue, nous avons effacé de notre souvenir, comme nous voudrions qu'on pût les effacer de l'histoire, tous les maux qui ont affligé la patrie durant notre absence. Heureux de nous retrouver au sein de la grande famille, nous n'avons su répondre à l'amour dont nous recevons tant de témoignages, qu'en prononçant des paroles de paix et de consolation. Le voeu le plus cher à notre coeur, c'est que tous les Français vivent en frères, et que jamais aucun souvenir amer ne trouble la sécurité qui doit suivre l'acte solennel que nous leur accordons aujourd'hui.

Sûrs de nos intentions, forts de notre conscience, nous nous engageons, devant l'Assemblée qui nous écoute, à être fidèles à cette Charte constitutionnelle, nous réservant d'en juger le maintien, avec une nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la même balance les rois et les nations.

A CES CAUSES - NOUS AVONS volontairement, et par le libre exercice de notre autorité royale, ACCORDÉ ET ACCORDONS. FAIT CONCESSION ET OCTROI à nos sujets, tant pour nous que pour nos successeurs, et à toujours, de la Charte constitutionnelle qui suit :

Page 53: td_semestre_1rev.doc

Document 3 : Chateaubriand, De la Monarchie selon la charte, extraits« La doctrine royale sur la prérogative constitutionnelle est que rien ne procède directement du roi dans les actes du gouvernement ; que tout est l’œuvre du ministère, même la chose qui se fait au nom du roi et avec sa signature, projets de loi, ordonnances, choix des hommes.

Le roi dans la monarchie représentative est une divinité que rien ne peut atteindre : inviolable et sacrée, elle est encore infaillible ; car s'il y erreur, cette erreur est du ministre et non du roi. Ainsi, on peut tout examiner sans blesser la majesté royale, car tout découle d'un ministère responsable.

Quand donc les ministres alarment des sujets fidèles, quand ils emploient le nom du roi pour faire passer de fausses mesures, c'est qu'ils abusent de notre ignorance ou qu'ils ignorent eux-mêmes la nature du gouvernement représentatif.

Car le roi étant environné de ministres responsables, tandis qu'il s'élève au-dessus de toute responsabilité, il est évident qu'il doit es laisser agir d'eux-mêmes, puisqu'on s'en prendra à eux seuls de l'événement. S'ils n'étaient que les exécuteurs de la volonté royale, il y aurait injustice à les poursuivre pour des desseins qui ne seraient pas les leurs.

Que fait donc le roi dans son conseil ? Il juge, mais il ne force point le ministre. Si le ministre obtempère à l'avis du roi, il est sûr de faire une chose excellente et qui aura l'assentiment général ; s'il s'en écarte et que, pour maintenir sa propre opinion, il argumente de sa responsabilité, le roi n'insiste plus : le ministre agit, fait une faute,

tombe ; et le roi change son ministre.

Et quand bien même le roi dans son conseil eût adopté l'avis du ministère, si cet avis entraîne une fausse mesure, le roi n'est encore pour rien dans tout cela : ce sont les ministres qui ont surpris sa sagesse, en lui présentant les choses sous un faux jour, en le trompant par corruption, passion, incapacité. Encore un coup ; rien n'est l'ouvrage du roi que la loi sanctionnée, le bonheur du peuple, la prospérité de la patrie.

Quel moyen les chambres ont-elles de se faire écouter ? Si les ministres refusent de répondre, elles en seront pour leur interpellation, compromettront leur dignité et paraîtront ridicules, comme on l'est en France quand on fait une fausse démarche.

La chambre des députés a plusieurs moyens pour maintenir ses droits. Posons donc les principes :

Les chambres ont le droit de demander tout ce qu'elles veulent aux ministres.

Les ministres doivent toujours répondre, toujours venir, quand les chambres paraissent le souhaiter.

Les ministres ne sont pas toujours obligés de donner les explications qu'on leur demande ; ils peuvent les refuser, mais en motivant ce refus sur des raisons d'État.

D'ailleurs les chambres ne se mêleront jamais d'administration, ne feront jamais de demandes inquiétantes, elles n'exposeront jamais les ministres à se compromettre, si les ministres sont ce qu'ils doivent être, c'est à dire maîtres des chambres par le fond, et leur serviteur par la forme.

Page 54: td_semestre_1rev.doc

Quel moyen conduit à cet heureux résultat ? Le moyen le plus simple du monde : le ministère doit disposer de la majorité et marcher avec elle ; sans cela, point de gouvernement.

Il suit de là que sous la monarchie constitutionnelle c'est l'opinion

publique qui est la source et le principe de tout ministère ; et par une conséquence qui dérive de celle-ci le ministère doit sortir de la majorité de la chambre des députés puisque les députés sont les principaux organes de l'opinion populaire ».

Document 4 : Loi du 29 juin 1820 sur les élections« Art. 1er - Il y a dans chaque département un collège électoral de département et des collèges électoraux d'arrondissement. Néanmoins tous les électeurs se réuniront en un seul collège dans les départements qui n'avaient, à l'époque du 5 février 1817, qu'un député à nommer, dans ceux où le nombre d'électeurs n'excède pas trois cents, et dans ceux qui, divisés en cinq arrondissements de sous-préfecture, n'auront pas au-delà de quatre cents électeurs.

Art. 2 - Les collèges de département sont composés des électeurs les plus imposés, en nombre égal au quart de la totalité des électeurs du département. Les collèges de département nomment cent soixante-douze nouveaux députés, conformément au tableau annexé à la présente loi. Ils procéderont à cette nomination pour la session de 1820. La nomination des deux cent cinquante-huit députés actuels est attribuée aux collèges d’arrondissement électoraux à former dans chaque département en vertu de l'art. 1er, sauf les exceptions portées au paragraphe 2 du même article. Ces collèges nomment chacun un député. Ils sont composés de tous les électeurs ayant leur domicile politique dans l'une des communes comprises dans la circonscription de chaque arrondissement électoral. Cette circonscription sera provisoirement déterminée, pour chaque département, sur l'avis du conseil général, par des ordonnances du Roi, qui seront soumises à

l'approbation législative dans la prochaine session. Le cinquième des députés actuels qui doit être renouvelé, sera nommé par les collèges d'arrondissement. Pour les sessions suivantes, les départements qui auront à renouveler leur députation, la nommeront en entier d'après les bases établies par le présent article.

Art. 3 - la liste des électeurs de collège sera imprimée et affichée un mois avant l'ouverture des collèges électoraux. Cette lite contiendra la quotité et l'espèce des contributions de chaque électeur, avec l'indication des départements où elles sont payées.

Art. 4 - Les contributions directes ne sont comptées, pour être électeur ou éligible, que lorsque la propriété foncière aura été possédée, la location faite, la patente prise et l'industrie sujette à patente exercée une année avant l'époque de la convocation du collège électoral. Ceux qui ont des droits acquis avant la publication de la présente loi, et le possesseur à titre successif, sont seuls exemptés de cette condition.

Art. 5 - Les contributions foncières payées par une veuve sont comptées à celui de ses fils, à défaut de fils à celui de ses petits-fils, et, à défaut de fils et petit-fils, à celui de ses gendres qu'elle désigne.

Art. 6 - Pour procéder à l'élection des députés, chaque électeur écrit secrètement son vote sur le bureau, ou l'y fait écrire par un autre

Page 55: td_semestre_1rev.doc

électeur de son choix sur un bulletin qu'il reçoit à cet effet du président. Il remet son bulletin,

écrit et fermé, au président qui le dépose dans l'urne destinée à cet usage ».

Document 5 : L’adresse des 221L'adresse des 221 fut adressée le 18 mars 1830 par la chambre des députés et à l'intention de Charles X de France. Profitant de l'ouverture de la session parlementaire de 1830, 221 députés libéraux expriment leur mécontentement. Charles X et le prince de Polignac sont en effet en train de diminuer leur pouvoir, considérant que ces députés abusent de leur position pour leur profit au détriment du bien national. Les députés, eux, se considèrent comme légitimes représentants de la nation, dont les choix politiques dépendent donc.

« Aujourd'hui jeudi 18 mars, à onze heures et demie, après la messe, le Roi a reçu, dans la salle du Trône, la grande députation de la Chambre des députés des départements, chargée de présenter à S.M., l'adresse votée par la Chambre […] La députation présentée à S.M. par le grand maître (M; de Dreux-Brézé), M. Royer-Collard, président de la Chambre, a lu à S.M. l'adresse conçue en ces termes :

"Sire

C'est avec une vive reconnaissance que vos fidèles sujets les députés des départements réunis autour de votre trône, ont entendu de votre bouche auguste le témoignage flatteur de la confiance que vous leur accordez. Heureux de vous inspirer ce sentiment, Sire, ils le justifient par l'inviolable fidélité dont ils viennent vous renouveler le respectueux hommage ; ils sauront le justifier encore par le loyal accomplissement de leur devoir.

Nous nous félicitons avec vous, Sire, des événements qui ont consolidé la paix de l'Europe, affermi l'accord établi entre vous et vos alliés, et fait cesser en Orient le fléau de la guerre. Puisse le peuple infortuné que vos généreux secours ont arrachés à une destruction qui paraissait inévitable, trouver dans l'avenir que la protection de V.M. lui prépare son indépendance, sa force et sa liberté.

Nous faisons des vœux, Sire, pour le succès des soins que vous consacrez de concert avec vos alliés à la réconciliation des princes de la maison de Bragance. C'est un digne objet de la sollicitude de V.M. que de mettre un terme au maux qui affligent le Portugal, sans porter atteinte au principe sacré de la légitimité, inviolable pour les Rois, et non moins pour les peuples.

Votre majesté avait suspendu les effets de son ressentiment contre une puissance barbaresque ; mais elle juge ne pouvoir différer plus longtemps de poursuivre la réparation éclatante d'une insulte faite à son pavillon. Nous attendront avec respect les communications que V.M. croira sans doute nécessaire de nous adresser sur un sujet qui touche à de si grands intérêts. Sire, toutes les fois qu'il s'agira de défendre la dignité de votre couronne, et de protéger le commerce français, vous pouvez compter sur l'appui de votre peuple autant que sur son courage.

La Chambre s'associera avec reconnaissance aux mesures que vous lui proposerez pour fixer, en l'améliorant, le sort des militaires en retraite […]

Accourus à votre voix de tous les points de votre royaume, nous vous apportons de toutes parts, Sire, l'hommage d'un peuple fidèle,

Page 56: td_semestre_1rev.doc

encore ému de vous avoir vu le plus bienfaisant de tous au milieu de la bienfaisance universelle, et qui révèle en vous le modèle accompli des plus touchante vertus. Sire, ce peuple chérit et respecte votre autorité ; quinze ans de paix et de liberté qu'il doit à votre auguste frère et à vous ont profondément enraciné dans votre cœur la reconnaissance qu'il attache à votre royale famille ; sa raison mûrie par l'expérience et par la liberté des discussions, lui dit que c'est surtout en matière d'autorité que l'antiquité de la possession est le plus saint de tous les titres et que c'est pour son bonheur autant que pour votre gloire que les siècles ont placé votre trône dans une région inaccessible aux orages. Sa conviction s’accorde donc avec son devoir pour lui présenter les droits sacrés de votre couronne comme la plus sûre garantie de ses libertés, et l'intégrité de vos prérogatives, comme nécessaires à la conservation de ses droits.

Cependant, Sire, au milieu des sentiments unanimes de respect et d'affection dont votre peuple vous entoure, il se manifeste dans les esprits une vive inquiétude qui trouble la sécurité dont la France avait commencé à jouir, altère les sources de sa prospérité, et pourrait, si elle se prolongeait, devenir funeste à son repos. Notre conscience, notre honneur, la fidélité que nous avons jurée, et que nous garderons toujours, nous imposent le devoir de vous en dévoiler la cause.

Sire, la Charte que nous devons à la sagesse de votre auguste prédécesseur, et dont V.M. a la ferme volonté de consolider le bienfait, consacre, comme un droit, l'intervention du pays dans la délibération des intérêts publics. Cette intervention devait être, elle est en effet indirecte, sagement

mesurée, circonscrite dans des limites exactement tracées, et que nous ne souffrirons jamais qu'on ose tenter de franchir ; mais elle est positive dans son résultat, car elle fait du concours permanent des vues politiques de votre Gouvernement avec les vœux de votre peuple la condition indispensable de la marche régulière des affaires publiques. Sire, notre loyauté, notre dévouement nous condamnent à vous dire que ce concours n'existe pas.

Une défiance injuste des sentiments et de la raison de la France est aujourd'hui la pensée fondamentale de l'Administration. Votre peuple s'en afflige, parce qu'elle est injurieuse pour lui ; il s'en inquiète, parce qu'elle est menaçante pour ses libertés!

Cette défiance ne saurait approcher de votre noble cœur. Non, Sire, la France ne veut pas plus de l'anarchie que vous ne voulez du despotisme ; elle est digne que vous ayez foi dans la loyauté, comme elle a foi dans vos promesses.

Entre ceux qui méconnaissent une nation si calme, si fidèle, et nous qui, avec une conviction profonde, venons déposer dans votre sein les douleurs de tout un peuple, jaloux de l'estime et de la confiance de son Roi, que la haute sagesse de V.M. prononce ! Ses royales prérogatives ont placé dans ses mains les moyens d'assurer, entre les pouvoirs de l'État, cette harmonie constitutionnelle, première et nécessaire condition de la force du trône et de la grandeur de la France."

Le Roi a répondu :

"Monsieur, j'ai entendu l'adresse que vous me présentez au nom de la Chambre des députés" ».

Page 57: td_semestre_1rev.doc

Document 6 : L’ordonnance de dissolution de la chambre de 1830« Charles etc…

Vu l'art. 50 de la Charte constitutionnelle,

Étant informé des manœuvres qui ont été pratiquée sur plusieurs points de notre royaume,

pour tromper et égarer les électeurs pendant les dernières opérations de collèges électoraux,

Notre conseil entendu,

Nous avons ordonné et ordonnons :

Art. 1er - La Chambre des députés des départements est dissoute.

Art. 2 - Notre ministre secrétaire d'État de l'Intérieur est chargé de l'exécution de la présente ordonnance.

Page 58: td_semestre_1rev.doc

FICHE N°7 LE PARLEMENTARISME EN FRANCE : LA IIIÈME REPUBLIQUE (I)

I/ DOCUMENTS REPRODUITS1. Chronologie sommaire de la IIIe république

2. Lettre du Maréchal de Mac Mahon à Jules Simon (16 mai 1877)

3. Intervention de Léon Gambetta à la Chambre des députés, 17 mai 1877.

4. Message aux Chambres du Président de la République, 18 mai 1877.

5. Message du Maréchal de Mac-Mahon aux Chambres, 14 décembre 1877.

6. Message du Président Grévy au Sénat, 6 février 1879.

II/ INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUESActes du Colloque de Rennes, Centenaire de la IIIème République, 15/17 mai 1975, Editions Universitaires.

P. ALBERTINI, Le droit de dissolution et les systèmes constitutionnels français, Paris, P.U.F., 1978.

L. BLUM, Lettres sur la réforme gouvernementale, 1918 L. BLUM, La réforme gouvernementale, 1936

F. BURDEAU, La Troisième République, Paris, Montchrestien, 1996.

R. CARRE DE MALBERG, La loi expression de la volonté générale, Economica, 1988.

J. GICQUEL et L. SFEZ, Problème de la réforme de l'Etat en France depuis 1934, 1963.

F. GOGUEL, La politique des partis sous la IIIème République, 1958

J. GREVY, La République des opportunistes 1870-1885, Paris, Perrin, 1995.

J.-M. MAYEUR, Les débuts de la IIIème République 1871-1898, Le Seuil, Coll. Point

J. OLLE-LAPRUNE, La stabilité des ministres sous la IIIème République, 1962

M. REBERIOUX, La République radicale ?, 1898-1914, Le Seuil, Coll. Point

A.SOULIER, L'instabilité ministérielle sous la Troisième République, 1939.

A. TARDIEU, Le souverain captif, 1936

A. TARDIEU, La révolution à refaire, 1937.

III/ EXERCICES SUGGERESLe Président de la république sous la IIIème République

La crise de mai 1877

Page 59: td_semestre_1rev.doc

Document 1 : Chronologie sommaire de la IIIe république1870 4 septembre : Chute du Second Empire. Proclamation de la République.

1871 28 janvier : Armistice franco-allemand, capitulation de Paris.

1871 26 mars : Élections de la commune de Paris.

1871 28 mars : Proclamation de la commune à l'hôtel de ville.

1871 10 mai : Traité de Francfort instituant la paix avec l'Allemagne en contrepartie de l'Alsace, la Lorraine et d'indemnités.

1871 21 mai : L'armée de Versailles entre dans Paris, début de la semaine sanglante.

1871 28 mai : Chute du dernier bastion communard.

1871 31 août : Thiers est élu président de la république et l'assemblée nationale devient constituante.

1873 24 mai : Le maréchal Mac-Mahon est élu président de la république.

1875 30 janvier : Amendement Wallon instituant la république.

1876 5 mars : Victoire des républicains aux élections législatives.

1877 25 juin : Dissolution de l'Assemblée nationale.

1877 28 octobre : Victoire des républicains aux élections législatives.

1879 30 janvier : Démission du président Mac-Mahon.

1881 16 juin : Loi Jules Ferry sur la gratuité de l'enseignement primaire.

1881 30 juin : Loi sur la liberté de réunion.

1881 29 juillet : Loi sur la liberté de la presse.

1884 21 mars : Loi "Wladeck-Rousseau" reconnaissant le droit syndical.

1884 5 avril : Loi d'organisation municipale prévoyant le suffrage universel pour les élections.

1892 6 septembre : Révélation du scandale du canal de Panama.

1894 15 octobre : Arrestation du capitaine Dreyfus soupçonné d'espionnage.

1901 1 juillet : Loi sur les associations à but non lucratif.

1905 25 avril : Fondation de la Section Française de l'Internationale Ouvrière (SFIO).

1913 7 août : Le service militaire et porté à trois ans.

1914 28 juin : Assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche à Sarajevo.

1914 31 juillet : Assassinat à Paris de Jean Jaurès hostile à la guerre par R. Villain.

1917 15 mai : Le général Pétain remplace le général Nivelle à la tête des armées françaises.

1918 11 novembre : Capitulation de l'Allemagne à Rethondes.

1919 28 juin : Signature du traité de Versailles où la France obtient l'Alsace-Lorraine, des indemnités et occupe la rive gauche du Rhin.

1919 30 novembre : Victoire du Bloc national aux élections législatives (Chambre "Bleu Horizon";).

Page 60: td_semestre_1rev.doc

1919 30 décembre : Du congrès de Tours naît la scission entre SFIO et PCF.

1924 11 mai : Le Cartel des gauches remporte les élections législatives.

1926 23 juillet : Poincaré prend la tête d'un gouvernement d'union nationale.

1928 25 juin Adoption d'une loi monétaire dévaluant le franc marquant l'abandon du franc germinal.

1933 28 décembre : Début de l'affaire Stavisky.

1934 6 février : La manifestation de l'extrême-droite et d'anciens combattants tourne à l'émeute.

1936 3 mai : Le Front populaire remporte les élections législatives ; début des grèves.

1936 7 juin : Accords de Matignon entre patronat et syndicats.

1937 13 février : Léon Blum annonce une pause dans les réformes.

1938 8 avril : Édouard Daladier remplace Léon Blum à la tête du gouvernement mettant fin au Front Populaire.

1940 17 juin : Appel radiophonique du maréchal Pétain à cesser le combat.

1940 18 juin : Appel à la résistance du général De Gaulle réfugié à Londres.

1940 22 juin : Signature de l'armistice à Rethondes ; la moitié nord et les côtes atlantiques sont occupés par l'armée allemande.

1940 10 juillet : Le Parlement accorde au maréchal Pétain les pleins pouvoirs (569 voix pour 80 contre et 17 absentions).

1940 10 juillet : Pétain abroge la constitution de la IIIeme République et devient chef de l'état.

Document n°2 : Lettre du Maréchal de Mac-Mahon à Jules Simon (datée du 16 mai 1877).

Monsieur le Président du Conseil,

Je viens de lire dans le Journal Officiel le compte rendu de la séance d'hier.

J'ai vu avec surprise que ni vous ni le garde des Sceaux n'aviez fait valoir à la tribune toutes les graves raisons qui auraient pu prévenir l'abrogation d'une loi sur la presse votée il y a moins de deux ans, sur la propositions de Monsieur Dufaure et dont tout récemment vous demandiez vous même l'application aux tribunaux ; et cependant dans plusieurs délibérations du Conseil et dans celle d'hier matin même, il avait été décidé que le Président du Conseil et le garde des Sceaux se chargeraient de la combattre.

Déjà on avait pu s'étonner que la Chambre des députés, dans ses dernières séances, eût discuté toute une loi municipale, adopté même une disposition dont au Conseil des ministres vous avez vous-même reconnu tout le danger, comme la publicité des délibérations des conseils municipaux, sans que le ministre de l'intérieur eût pris part à la discussion.

Cette attitude du Chef du Cabinet fait demander s'il a conservé sur la Chambre l'influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues.

Une explication à cet égard est indispensable car, si je ne suis pas responsable comme vous envers le parlement, j'ai une responsabilité envers la France, dont aujourd'hui plus que jamais je dois me préoccuper.

Page 61: td_semestre_1rev.doc

Agréez, Monsieur le Président du Conseil, l'assurance de ma plus haute considération.

Document n°3 : Intervention de Léon Gambetta le 17 mai 1877Chambre des députés, séance du 17 mai 1877 (Journal officiel du 18 mai 1877, page 3774)

M. Gambetta. Eh bien, messieurs, que venons-nous faire aujourd'hui à cette tribune ? Nous venons demander à la Chambre de s'élever au-dessus des premiers sentiments que font naître dans les esprits les brusques incidents de la vie politique. Ne jugeons pas ce qui s'est fait hier, ce qui figure aujourd'hui au Journal officiel, avec les premières impressions de la spontanéité. Non 1 il faut savoir aller au fond des choses. Messieurs, vous pouvez très bien, vous devez loyalement, sincèrement, en restant des serviteurs dévoués et pacifiques du pays, dire au Président de la République : On vous a conseillé une mauvaise politique, et nous, nous qui ne sollicitons en aucune manière de nous asseoir dans vos conseil s, nous venons vous conjurer de rentrer dans la vérité constitutionnelle, car, cette vérité constitutionnelle, elle est à la fois notre protection et la vôtre ! (Nouveaux et vifs applaudissements au centre et à gauche.)

Et en effet, qu'est-ce que nous venons demander ? Que la Constitution soit une réalité ; que le gouvernement du pays par le pays, ce gouvernement pour lequel la nation française combat depuis bientôt quatre-vingt dix ans, soit loyalement et réellement pratiqué. Et nous disons à M. le Président de la République : Non ! Elle n'est pas vraie, elle n'est pas vraie, cette phrase que vous ont suggérée des conseillers bien connus, et dans laquelle vous prétendez que vous auriez une responsabilité en dehors de votre responsabilité légale, une

responsabilité au dessus de la responsabilité du Parlement, au-dessus de la, responsabilité de vos ministres, au-dessus de la responsabilité qui vous est départie et qui est déterminée, limitée par la Constitution ! (Vive approbation à gauche.) Ce sont ces conseillers qui vous engagent, qui vous précipitent dans la voie fatale, en étendant votre responsabilité au-delà des limites protectrices que lui assigne la Constitution du 25 février 1875 ; ce sont eux qui sont vos véritables ennemis et qui vous mènent à votre perte

... Messieurs, il faut en finir avec cette situation, et il vous appartient d'y mettre un terme par une attitude à la fois virile et modérée. Demandez, la Constitution à la main, le pays derrière vous, demandez qu'on dise enfin si l'on veut gouverner avec le parti républicain dans toutes ses nuances, ou si, au contraire, en rappelant des hommes repoussés trois ou quatre fois par le suffrage populaire, on prétend imposer à ce pays une dissolution qui entraînerait une consultation nouvelle de la France ! Je vous le dis, quant à moi, mon choix est fait, et le choix de la France est fait aussi ; si, l'on se prononçait pour la dissolution, nous retournerions avec certitude et confiance devant le pays qui nous connaît, qui nous apprécie, qui sait que ce n'est pas nous qui troublons la paix au dedans, ni qui compromettons la paix au dehors. Je !e répète, le pays sait que ce n'est pas nous ; et si une dissolution intervient, une dissolution que vous aurez

Page 62: td_semestre_1rev.doc

machinée, que vous aurez provoquée, prenez garde qu'il ne s'irrite contre eux qui le fatiguent et l'obsèdent ! Prenez garde que, derrière des calculs de dissolution, il ne cherche d'autres calculs et ne dise : La dissolution, c'est la préface de la guerre ! Criminels seraient ceux qui la poursuivent dans cet esprit !

... Messieurs, voici l'ordre du jour qui a été délibéré par la représentation parlementaire de tous les groupes de cette Chambre qui forment la majorité républicaine

" La Chambre,

"  Considérant qu'il lui importe dans la crise actuelle et pour remplir le mandat qu'elle a reçu du pays, de rappeler que la prépondérance du pouvoir parlementaire, s’exerçant par la responsabilité ministérielle, est la

première condition du gouvernement du pays par le pays, que les lois constitutionnelles ont eu pour but d'établir ;

Déclare que la confiance de la majorité ne saurait être acquise qu'à un cabinet libre de son action et résolu à gouverner suivant les principes républicains qui peuvent seuls garantir l'ordre et la prospérité au dedans et la paix en dehors,

" Et passe à l'ordre du jour. "

" Signé : Lepère, Devoucoux. "

(Le scrutin -est ouvert et les votes sont recueillis.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin

Nombre de votants 496

Majorité absolue 249

Pour l'adoption 347

Contre .............................. 149

Document n°4 : Message aux Chambres du Président de la République (daté du 18 mai 1877).

 

Messieurs les sénateurs

Messieurs les députés,

J'ai dû me séparer du ministère que présidait M. Jules Simon et en former un nouveau. Je dois vous faire l'exposé sincère des motifs qui m'ont amené à prendre cette décision.

Vous savez tous avec quel scrupule, depuis le 25 février 1875, jour où l'Assemblée nationale a donné à la France une constitution républicaine, j'ai observé, dans l'exercice du pouvoir qui m'est confié, toutes les prescriptions de cette loi fondamentale.

Avec les élections de l'année dernière, j'ai voulu choisir pour ministres des hommes que je supposais être en accord de sentiments avec la majorité de la Chambre des Députés. J'ai formé,

dans cette pensée, successivement deux ministères. Le premier avait à sa tête M. Dufaure, vétéran de nos assemblées politiques, l'un des auteurs de la Constitution, aussi estimé pour la loyauté de son ca-ractère qu'illustre par son éloquence. M. Jules Simon, qui a présidé le second, attaché de tout temps à la forme républicaine, voulait, comme M. Dufaure, la concilier avec tous les principes conservateurs.

Malgré le concours loyal que je leur ai prêté, ni l'un ni l'autre de ces ministères n'a pu réunir dans la Chambre des Députés, une majorité solide acquise à ces propres idées. M. Dufaure a vainement essayé l'année dernière, dans la discussion du budget, de prévenir des innovations qu'il regardait justement comme très fâcheuses.

Page 63: td_semestre_1rev.doc

Le même échec était réservé au Président du dernier cabinet sur des points de législation très graves au sujet desquels il était tombé d'accord avec moi qu'aucune modification ne devait être admise.

Après ces deux tentatives, également dénuées de succès, je ne pourrais faire un pas de plus dans la même voie sans faire appel ou demander appui à une autre fraction du parti républicain, celle qui croit que la République ne peut s'affermir sans avoir pour complé-ment et pour conséquence la modification radicale de toutes nos grandes institutions administratives, judiciaires, financières et militaires.

Ce programme est bien connu, ceux qui le professent sont d'accord sur tout ce qu'il contient. Ils ne diffè-rent entre eux que sur les moyens à employer et le temps opportun pour l'appliquer.

Ni ma conscience, ni mon patriotisme ne me permettent de m'associer, même de loin et pour l'avenir, au triomphe de ces idées. Je ne les crois opportunes ni pour aujourd'hui ni pour demain. A quelque époque qu'elles dussent prévaloir, elles n’engendreraient que le désordre et l'abaissement de la France. Je ne veux ni en tenter l'application moi-même, ni en faciliter l'essai à mes successeurs.

Tant que je serais dépositaire du pouvoir j'en ferais usage dans toute l'étendue de ses limites légales, pour m'opposer à ce que je regarde comme la perte de mon pays.

Mais je suis convaincu que ce pays pense comme moi. Ce n'est pas le triomphe de ces théories qu'il a voulu aux élections dernières. Ce n'est pas ce que lui ont annoncé ceux —c'étaient presque tous les candidats— qui se prévalaient de mon nom et se déclaraient résolus à soutenir mon pouvoir. S'il était interrogé de nouveau et de manière à prévenir tout malentendu, il repousserait, j'en suis sûr, cette confusion.

J'ai donc dû choisir, et c'était mon droit constitutionnel, des conseillers qui pensent comme moi sur ce point qui est en réalité le seul en question. Je n'en reste pas moins, aujourd'hui comme hier, fermement résolu à respecter et à maintenir des institutions qui sont l'œuvre de l'Assemblée de qui je tiens le pouvoir et qui ont constitué la République.

Jusqu'en 1880 je suis le seul qui pourrait proposer d'y introduire un changement et ne médite rien de ce genre

Tous mes conseillers sont comme moi, décidés à pratiquer loyalement les institutions et incapables d'y porter aucune atteinte. Je livre ces considérations à vos réflexions comme au jugement du pays.

Pour laisser calmer l'émotion qu'ont causée les derniers incidents je vous inviterai à suspendre vos séances pendant un certain temps. Quand vous les reprendrez, vous pourrez vous mettre, toute autre affaire cessante, à la discussion du budget, qu'il est si important de mener bientôt à terme.

D'ici là, mon gouvernement veillera à la paix publique : au dedans il ne souffrirait rien qui la compromette. Au dehors, elle sera maintenu, j'en ai la confiance, malgré les agitations qui troublent une partie de l'Europe, grâce aux bons rapports que nous entretenons et voulons conserver avec toutes les puissances, et à cette politique de neutralité et d'abstention qui vous

Page 64: td_semestre_1rev.doc

a été exposée tout récemment et que vous avez confirmée par votre approbation unanime.

Sur ce point, aucune différence d'opinion ne s'élève entre les partis. Ils veulent tous le même but par le même moyen. Le nouveau ministère pense exactement comme l'ancien, et pour bien attester cette conformité de sentiment la direction politique étrangère est restée dans les mêmes mains.

Si quelques imprudences de parole ou de presse compromettaient cette accord que nous voulons tous, s'emploierais, pour les réprimer, les moyens que la loi met en mon pouvoir et, pour les prévenir, je fais appel au patriotisme qui, dieu merci, ne fait défaut en France à aucune classe de citoyens.

Mes ministres vont vous donner lecture du décret qui, conformément à l'article 2 de la loi

constitutionnelle du 16 juillet 1875, ajourne les chambres pour un mois.

"Le Président de la République française,

Vu l'article 2 de la loi du 16 juillet 1875,

Décrète :

Art. premier — Le Sénat et la Chambre des Députés sont ajournés au 16 juin 1877.

Art. 2. — Le présent décret sera porté au Sénat par le Président du Conseil et à la Chambre des Députés par le Ministre de l'intérieur.

 

Fait à Versailles, le 18 mai 1877

Maréchal de Mac-Mahon

Duc de Magent

Document 5 : Message aux Chambres du Président de la République (daté du 14 décembre1877).

 

Messieurs les Sénateurs,

Messieurs les Députés,

 

Les élections du 14 octobre ont affirmé, une fois de plus, la confiance du pays dans les institutions républicaines.

Pour obéir aux règles parlementaires, j'ai formé un cabi-net choisi dans les deux chambres, composé d'hommes résolus à défendre et à maintenir ces institu-tions par la pratique sincère des lois constitutionelles.

L'intérêt du pays exige que la crise que nous traversons soit apaisée : il exige avec non moins de force qu'elle ne se renouvelle pas.

L'exercice du droit de dissolution n'est, en effet, qu'un mode de consultation suprême auprès d'un juge sans appel, et ne saurait être érigé en système de gouvernement. J'ai cru devoir user de ce droit et je me conforme à la réponse du pays.

La Constitution de 1875 a fondé une République parlementaire en établissant mon irresponsabilité, tandis qu'elle a institué la responsabilité solidaire et indivi-duelle des ministres.

Ainsi sont déterminés nos devoirs et nos droits respectifs. L'indépendance des ministres est la condition de leur responsabilité. Ces principes, tirés de la Constitution, sont ceux de mon gouvernement.

Page 65: td_semestre_1rev.doc

Document n°6 : Message du Président Grévy au Sénat (daté du 6 février 1879). Messieurs les Sénateurs,

L'Assemblée nationale, en m'élevant à la présidence de la République m'a imposé de grands devoirs. Je m'appliquerai sans relâche à les accomplir, heureux, si je puis, avec le concours sympathique du Sénat et de la Chambre des Députés, ne pas rester en dessous de ce que la France est en droit d'attendre de mes efforts et de mon dévouement.

Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels.

Page 66: td_semestre_1rev.doc

FICHE N°8 LE PARLEMENTARISME EN FRANCE : LA IIIÈME REPUBLIQUE (2)

I/ DOCUMENTS REPRODUITS1. Lettre de Raymond POINCARE au journal " Le temps " (extraits)

2. Message du Président de la République, Alexandre Millerand, à la Chambre des députés

3. R. CARRE DE MALBERG : l'instabilité ministérielle sous la IIIeme

République

4. la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940

5. actes constitutionnels n°1,2 et 3

II/ INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUESVoir la fiche précédente

R. de Lacharrière, "Le système des décrets-lois et le régime parlementaire", Revue d'histoire politique et constitutionnelle, 1939, pp. 122 et ss.

A. Esmein, "De la délégation du pouvoir législatif, R.D.P., 1894, p. 200 et ss.

III/ EXERCICES SUGGERES- Les caractéristiques du parlementarisme de la IIIème République

- Le président du Conseil sous la IIIème République

Page 67: td_semestre_1rev.doc

Document n°1 :Lettre de Raymond POINCARE au journal " Le temps " (extraits)

9 août 1920

A propos d'un discours

La dualité des présidences et la distinction qu'elle a entraînée entre le chef de l'Etat et le chef du gouvernement ont eu pour effet d'investir, en partie, le second, des prérogatives que la Constitution avait réservées au premier. On se rappelle que Gambetta, appelé par Grévy à former un cabinet, avait, d'abord exprimé le désir que le président de la République ne traitât pas les affaires, en dehors de lui, avec les autres  ministres et si la même prétention  n'a peut être pas été formulée depuis lors avec autant de netteté, beaucoup de présidents du Conseil n'en n'ont pas moins pris ombrage de conversations dont un hasard avait pu les tenir éloignés, et tous, ou à peu près tous, ont considéré qu'ils représentaient l'ensemble du gouvernement, non seulement vis-à-vis des Chambres, mais vis-à-vis de l'Elysée. Dès lors, s'est présentée une redoutable alternative : ou bien  l'un des deux chefs devait, dans l'action quotidienne, s'effacer devant l'autre, ou bien il fallait craindre que ne surgissent entre eux de perpétuels conflits. Pas plus dans l'ordre civil qu'aux armées, deux hommes ne peuvent exercer, côte à côte, le même commandement. On a vu dans l'histoire, des rois de jour et des rois de nuit, des généraux qui se relayaient tour à tour, des consuls qui se  succédaient à bref intervalle, on a vu l'Empire romain partagé  entre des Augustes et des Césars; on n'a pas vu jusqu'ici le char des Etats modernes conduit à la fois par deux cochers.

Soit, dit-on, l'un de ces deux chefs doit se subordonner à l'autre, mais c'est au président de la République qu'appartient la primauté. Il exerce une magistrature moins éphémère

que la  présidence du conseil; il est le défenseur attitré des grands intérêts nationaux : il a en main la chaîne qui relie le passé au présent et le présent à l'avenir; il représente la tradition; il est placé sur un  sommet  d'où les événements lui apparaissent un peu sous l'aspect de l'éternité: c'est  naturellement à lui de parler et d'agir au nom de la France.

Dans le pays et jusque dans les Chambres, dans tous les groupes des Chambres, est, en effet, profondément enracinée l'idée que le  président de la République a des pouvoirs propres, extrêmement  étendus, et qu'il lui arrive même quelquefois d'en user. Tant que les choses vont bien, on félicite avec raison le président du Conseil. Lorsqu’elles tournent mal, on s'en prend à l'action mystérieuse et lointaine du personnage  qui tient, s'imagine-t-on tous les fils. On lui reproche tantôt son ingérence, tantôt son abstention. On lui prête les combinaisons les plus noires et les intrigues les plus savantes, et au moment même  où il constate qu'il a les poignets liés  par la Constitution, tous les  mécontents sont d'accord pour le rendre  responsable de leurs déceptions. (...)

Lorsqu'on parcourt les lois constitutionnelles, on est d'abord frappé de l'immensité des pouvoirs qui sont dévolus au Président. Il a l'initiative des lois,  il les promulgue, il en surveille et en assure l'exécution. Il a le droit de faire grâce. Il dispose de la force armée. Il nomme à tous les emplois civils et militaires. Il préside aux solennités nationales. C'est auprès de lui que sont accrédités les envoyés et les ambassadeurs des grandes puissances étrangères. Il peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés.

Page 68: td_semestre_1rev.doc

Il prononce la clôture des sessions. Il est  maître d'ajourner les deux Chambres pendant un mois. Il a le droit de message. Il négocie et ratifie les traités. Il n'y a que la guerre qu'il n'ait pas la faculté de déclarer sans l'assentiment  préalable des deux Chambres. Aucun souverain ne parait, à première vue, disposer de plus larges moyens d'actions.

Mais reprenons la loi des 25-28 février 1875, et reportons-nous à la fin de l'article 3 : nous y trouvons dans l'ombre d'un petit paragraphe, cette phrase ironique "chacun des actes du Président de la République doit être  contresigné par un Ministre". Ainsi, le Président n'a le droit de faire seul aucun acte quel qu'il soit. Signées d'un Ministre toutes les nominations ; signées d'un Ministre toutes les grâces ; signées d'un Ministre les messages eux-mêmes. Il faut donc que le Président soit d'accord avec les Ministres, à chaque pas qu'il fait dans la vie politique. Et, entre les Ministres et lui, qui aura le dernier mot, chaque fois que s'élèvera un dissentiment ? Vous voulez que ce soit lui. Je le veux bien aussi. Mais la Constitution ne le veut pas. Elle

le dispense, en effet, de toute responsabilité, sauf en cas de haute trahison, et elle déclare que les Ministres, eux, ne sont pas responsables devant lui, mais devant les Chambres.

Entre un signataire qui doit compte au Parlement de la décision prise et un signataire que n'en doit tenir compte à personne quel est celui qui, en conseil des Ministres l'emportera ? Sans doute, le Président a la ressource extrême d'acculer son collaborateur à la démission et de le remplacer. Mais si, le lendemain, le démissionnaire porte la question à la tribune, le Président ne peut se justifier que par intermédiaire, et à la condition de trouver un nouveau Ministre qui l'approuve et soit assuré d'une majorité.

Bref, la Constitution ne laisse au Président que l'autorité morale que lui peuvent avoir donnée son expérience, sa connaissance des hommes et des services. Que ce soit beaucoup ou que ce soit peu,  l'état actuel de l'Europe ne nous permet pour l'instant, ni d'en rien retrancher, ni d'en rien ajouter. Quiéta non movere.

Raymond POINCARE

Document 2 : Message du Président de la République, Alexandre Millerand, à la Chambre des députés

Lu à la Chambre des députés par le président du Conseil François Marsal, le 10 juin 1924 (Journal officiel des Débats de la Chambre des députés, 11 juin 1924, page 2285)

Messieurs les députés,

Lorsque l'Assemblée nationale me fit l'honneur de m'appeler par 695 suffrages à la magistrature suprême, elle savait. Par mes déclarations publiques, que je n'acceptais d'aller à l'Elysée que pour y défendre " une politique

nationale de progrès social, d'ordre, de travail et d'union ".

L'engagement solennel que j'avais pris devant le pays, je l'ai fidèlement tenu.

La France a soif de paix, de labeur et de concorde.

Elle veut, au dehors, une politique qui lui assure, d'accord avec ses alliés, la sécurité, les réparations, l'application du traité de Versailles, le respect de tous les actes diplomatiques qui ont institué le nouvel ordre européen.

Page 69: td_semestre_1rev.doc

Cette politique extérieure appelle une politique Intérieure inspirée des enseignements de la guerre, fondée sur l'entente entre les Français, le respect des opinions et des croyances, le souci d'introduire dans les relations sociales toujours plus d'équité et de bonté, la volonté de sauvegarder le crédit de la France en maintenant entre les recettes et les dépenses publiques un rigoureux équilibre.

Ces idées ont toujours dirigé mon action.

Elles continueront de la guider.

En disposant que le président de la République n'est responsable devant les Chambres que dans le cas de haute trahison, la Constitution a voulu, dans un intérêt national de stabilité et de continuité, que le pouvoir présidentiel fût, pendant sept années, maintenu à l'abri des fluctuations politiques.

Vous respecterez la Constitution.

Si vous la méconnaissiez, s'il était entendu désormais que l'arbitraire d'une majorité peut obliger le président de la République à se retirer pour des motifs politiques, le président de la République ne serait plus qu'un jouet aux mains des partis.

Vous m'aiderez à écarter un si redoutable péril.

Je me suis refusé à déserter mon poste.

Ce n'est pas du Parlement, chargé de voter les lois et de veiller à leur respect, que peuvent venir le signal et l'exemple de leur violation.

De dangereux conseillers -s'efforcent, dans un intérêt de parti, d'obtenir que la nouvelle législature débute par un acte révolutionnaire.

La Chambre refusera de les suivre.

Fidèle à ses traditions, le Sénat voudra demeurer, comme il le fit dans les plus graves conjonctures, le défenseur de la Constitution.

Une question constitutionnelle aussi Importante pour l'avenir des institutions républicaines que celle 0009 par la crise actuelle ne peut être réglée dans l'ombre par des décisions d'individualité ou de groupe.

Je fais avec confiance appel à la sagesse des deux Chambres, à leur prudence, à leur amour de la France et de la République.

Conscient de mon devoir, j'ai assumé des responsabilités.

L'heure est venue pour le Parlement de prendre les siennes.

Document 3 R. CARRE DE MALBERG : l'instabilité ministérielle sous la IIIeme République

Dans l'état actuel des pratiques parlementaires françaises, le Cabinet apparaît, non point comme l'agent d'exercice d'un pouvoir qui aurait originairement son siège dans le Président, non pas même comme l'intermédiaire servant de lien entre deux autorités qui figureraient deux pouvoirs distincts, mais bien comme un comité gouvernemental dominé uniquement par la puissance et les volontés du Parlement. Cette

évolution devait inévitablement se produire. Les constituants de 1875, se plaçant à ce point de vue d'un pays tel que la France ne pouvait se passer d'un chef du Gouvernement ayant les caractères d'un chef d'Etat véritable - et un chef de cette sorte était, en effet, indispensable, ne fût-ce que pour des raisons d'ordre international et de représentation extérieure - ont été logiquement amenés, une fois l'institution de la Présidence

Page 70: td_semestre_1rev.doc

admise, à ériger le Président en titulaire initial et spécial du pouvoir exécutif. On a même prétendu qu'ils avaient voulu faire de lui un "représentant" de la nation qui compare le Président actuel à un monarque. En tout cas, c'est à sa personne qu'ils ont attaché les attributs du pouvoir exécutif. Et par la même, la Constitution de 1875 a cru consacrer la dualité organique des pouvoirs. Mais elle établissait en même temps le régime parlementaire, qui, d'après ses origines anglaises, est bien fondé historiquement sur un principe de dualisme, mais dont les tendances pratiques sont tournées vers ce but final : assurer la domination de l'Exécutif par les  assemblées. Le parlementarisme  prétend maintenir un certain équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif : mais, en raison des fortes prérogatives qu'il confère au Corps législatif, cet équilibre est tout à fait instable. En réalité, cette sorte de gouvernement a un caractère mixte, qui fait d'elle aussi un régime transitoire : le terme normal de l'évolution qui a débuté par la forme parlementaire, c'est la pleine suprématie du Parlement. On en a fait l'épreuve en France sous la Constitution actuelle, et l'on a pu constater qu'en adoptant le gouvernement parlementaire, les constituants de 1875, quelles qu'aient été d'ailleurs, leurs intentions ou préférences politiques, avaient introduit dans la Constitution française un germe de gouvernement selon la volonté maîtresse des Chambres, germe dont le développement devait naturellement entraîner la disparition du dualisme théorique inscrit dans les textes constitutionnels. (...)

Sous la Constitution de 1875, le Président, élu par le personnel parlementaire, ne possède point, en face des Chambres, de force politique qui lui permette d'exercer une action comparable à celle du monarque anglais. De leur côté, les

ministres, n'ayant pas suffisamment le caractère de chefs attitrés de la majorité, n'ont   pu, bien souvent, exercer sur celle-ci qu'un ascendant restreint et précaire. On sait, d'ailleurs, que le peuple français se méfie de l'autorité gouvernementale et ne serait guère disposé à la seconder, dans le cas où elle tenterait de réagir contre la volonté des assemblées. Aussi, le Cabinet ministériel n'use-t-il qu'avec une extrême réserve des pouvoirs que la Constitution a accordés à l'Exécutif. Même une institution aussi conforme à l'esprit du parlementarisme et aux tendances de la démocratie que la dissolution est demeurée inutilisés depuis de longues années et semble aujourd'hui devenue presque  inutilisable.

Au surplus, et quoi qu'en aient dit certains auteurs qui prétendent que le Président a été  doté d'attributions qui en font l'égal d'un monarque constitutionnel, les pouvoirs dont dispose le Gouvernement sous la Constitution de 1875, n'ont , ni la même étendue ni la même force que ceux du roi d'Angleterre. Chez les Anglais, la Couronne a, en vertu de sa propre puissance historique, des attributs qui découlent de ce que le roi a été primitivement le souverain effectif : attributs, que le monarque ne tient pas de la forme actuellement encore, vis à vis du Parlement, une autorité munie d'un pouvoir indépendant, attributs enfin, dont l'exercice par les ministres assure au Cabinet une certaine indépendance ou initiative. En France, au contraire, le Gouvernement tient ses pouvoirs d'une Constitution, qui est elle-même l'oeuvre d'une assemblée nationale et dont le maintien dépend de la volonté parlementaire. Et en outre, la Constitution de 1875 ne fait du Gouvernement qu'un Exécutif; elle résume sa conception à cet égard dans la formule de l'art. 3 (loi constitutionnelle du 25 février

Page 71: td_semestre_1rev.doc

1875) "il surveille et assure l'exécution des lois». Parmi les attributions présidentielles qui ont été énumérées par les auteurs comme comparables à celles d'un monarque, certaines ne sont, en réalité, que d'ordre exécutif : tel est le cas de la promulgation des lois. D'autres, comme l'initiative législative, ne contiennent aucun droit effectif de décision propre : il est bien vrai que les Chambres sont tenues de délibérer sur les projets législatifs gouvernementaux dont elles sont saisies par un décret présidentiel; mais l'acte consistant à prendre l'initiative d'une loi n'est pas, à proprement parler, un acte de puissance législative; Il n'est que l'un des éléments de la préparation des lois, l'une des opérations préliminaires qui aboutiront, peut-être, à l'adoption de la loi, cette dernière seule implique une faculté de puissance véritable. D'autre part, certaines attributions présidentielles, impliquant en apparence un pouvoir de décision propre, comme celles relatives aux traités, se résolvent effectivement en exécution de lois d'autorisation. D'autres  pouvoirs, tels que celui de convoquer les Chambres et de clore leurs sessions, n'ont qu'une valeur nominale, étant données les conditions d'exercice, si restrictives, auxquelles la Constitution de 1875 les a subordonnés. D'autres encore, qui donneraient au Gouvernement une force réelle, tels que le droit de dissolution ou celui de demander une nouvelle délibération des lois, sont demeurés sans emploi, l'expérience ayant révélé qu'ils n'étaient point susceptibles d'être mis en oeuvre à l'encontre d'un

Parlement, auquel la Constitution a assuré, par ailleurs, une supériorité certaine, qui interdit au Gouvernement toute velléité de se mesurer  avec lui. En somme, si l'on fait abstraction de certains règlements présidentiels, qui ont adopté des mesures dépassent certainement la simple exécution des lois, règlements qui constituaient en cela des initiatives peu conformes à la Constitution et qui ne peuvent s'expliquer que par une tolérance des Chambres, on constate, pour le surplus, qu'il n'y a peut-être qu'un seul pouvoir initial d'action et de décision dont l'autorité gouvernementale ait continué à faire usage depuis 1875; et elle en a usé, parce qu'il y avait là une nécessité, résultant de la situation internationale de la France au regard de l'Europe contemporaine ; ce pouvoir, c'est celui de conclure des ententes politiques ou des alliances avec les puissance étrangères ; il a pu être exercé en dehors des Chambres mais d'ailleurs avec leur constante approbation.(cf. Joseph-Barthélémy, Démocratie et politique étrangère, p. 109 et s.). Sous cette réserve, le Gouvernement n'est actuellement, en France, et la Constitution de 1875 elle-même n'en a fait qu'un simple Exécutif, une autorité réduite à un rôle d'exécution. On ne saurait, dès lors, s'étonner que, dans le régime parlementaire français, le Cabinet, chargé d'exercer les pouvoirs du Gouvernement, ne possède vis-à-vis des Chambres, avec des moyens d'action si réduits, qu'une influence et une puissance bien inférieure à celles dont jouit le ministère dans certains pays de parlementarisme étrangers.

Document 4 : la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940L'Assemblée nationale a adopté, Le Président de la République promulgue la loi constitutionnelle dont la teneur suit :Article unique.

Page 72: td_semestre_1rev.doc

L'Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain, à l'effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l'État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie Elle sera ratifiée par la Nation et appliquée par les Assemblées qu'elle aura créées.

La présente loi constitutionnelle, délibérée et adoptée par l'Assemblée nationale, sera exécutée comme loi de l'État.

Fait à Vichy, le 10 juillet 1940

Albert Lebrun

Par le président de la République, Le maréchal de France, président du conseil,

Philippe Pétain.

Document 5 : actes constitutionnels n°1,2 et 3

Acte constitutionnel n° 1 du 11 juillet 1940.Nous, Philippe Pétain, maréchal de France,

Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,

Déclarons assumer les fonctions de chef de l'État français.

En conséquence, nous décrétons :

L'art. 2 de la loi constitutionnelle du 25 février. 1875 est abrogé.

Acte constitutionnel n° 2 du 11 juillet 1940, fixant les pouvoirs du chef de l'État français

Nous, maréchal de France, chef de l'État français; Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,

Décrétons:

Article premier.

§ premier. Le chef de l'État français a la plénitude du pouvoir gouvernemental, il nomme et révoque les ministres et secrétaires d'État, qui ne sont responsables que devant lui.

§ 2. Il exerce le pouvoir législatif, en conseil des ministres :

1° Jusqu'à la formation de nouvelles Assemblées ;

2° Après cette formation, en cas de tension extérieure ou de crise intérieure grave, sur sa seule décision et dans la même forme. Dans les mêmes circonstances, il peut édicter toutes dispositions d'ordre budgétaire et fiscal.

Page 73: td_semestre_1rev.doc

§ 3. Il promulgue les lois et assure leur exécution.

§ 4. Il nomme à tous les emplois civils et militaires pour lesquels la loi n'a pas prévu d'autre mode de désignation.

§ 5. Il dispose de la force armée.

§ 6. Il a le droit de grâce et d'amnistie.

§ 7. Les envoyés et ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui.

Il négocie et ratifie les traités.

§ 8: Il peut déclarer l'état de siège dans une ou plusieurs portions du territoire.

§ 9. Il ne peut déclarer la guerre sans l'assentiment préalable des Assemblées législatives.

Article 2.

Sont abrogées toutes dispositions des lois constitutionnelles des 24 février 1875, 25 février 1875 et l6 juillet 1875, incompatibles avec le présent acte.

Acte constitutionnel n° 3 du 11 juillet 1940, prorogeant et ajournant les chambres.

Nous, maréchal de France, chef de l'État français; Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,

Décrétons:

Article premier. Le Sénat et la Chambre des députés subsisteront jusqu'à ce que soient formées les Assemblées prévues par la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940.

Article 2. Le Sénat et la Chambre des députés sont ajournés jusqu'à nouvel ordre.

Ils ne pourront désormais se réunir que sur convocation du chef de l'État

Article 3. L'art. 1er de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 est abrogé.

Page 74: td_semestre_1rev.doc

FICHE N°9 LA IVÈME REPUBLIQUE

I/ DOCUMENTS REPRODUITS1. Conseil d'Etat - Avis n° 60.497

2. Intervention de M. Paul Reynaud à l'Assemblée nationale constituante, 28 septembre 1946

3. La pratique de la question de confiance sous la IVème République, par Claude-Albert Colliard, R.D.P. 1948, p. 220 et s (extraits)

II/ INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES« Les Institutions de la IVème République », Documentation française, n°1-10, 1995, pp. 3-43

AVRIL (P.) et GICQUEL (J.), « La IVème République entre deux Républiques », Pouvoirs, 1996, n°76, p. 27-43.

LEFORT (B.), « Les partis et les groupes », Pouvoirs, 1996, n°76, pp. 61-79

MASSOT (J.), « Le Président du Conseil », Pouvoirs, 1996, n°76, pp. 45-59

WILLIAMS (P.)° "La vie politique sous la IVème République", Armand Colin

III/ NOTIONS A CONNAITREParlementarisme rationalisé, Régime d’assemblée, Bicamérisme égalitaire et inégalitaire.

IV/ EXERCICES SUGGERESComparer le Parlement sous la IIIème et la IVème République

Peut-on parler de parlementarisme rationalisé sous la IVème République ?

La loi sous la IIIème et la IVème République

Président de la République et Président du Conseil sous les IIIème et IVème

République

Page 75: td_semestre_1rev.doc

Document n°1 : Conseil d'Etat - Avis n° 60.497

6 février 1953

TRADITION RÉPUBLICAINE

Domaine de la loi et du règlement. - Tradition constitutionnelle

républicaine.Le Conseil d'État (Commission représentant les sections de l'intérieur, des finances, des travaux publics, la section sociale et la section du contentieux) saisi par M. le ministre d'État de la question de savoir « quelles sont la définition et la portée exacte de l'interdiction contenue dans l'article 13 de la Constitution, dans quelle mesure le gouvernement, à ce expressément autorisé par une loi, peut exercer son pouvoir réglementaire en des matières législatives et, en conséquence, abroger, modifier ou remplacer des textes de loi par des dispositions réglementaires » ;

Vu la Constitution du 27 octobre 1946,

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Constitution du 27 octobre 1946 «l'Assemblée nationale vote seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit » ;

Considérant qu'il ressort des débats ayant précédé l'adoption de cette disposition, dont le principe figurait déjà dans l'article 55 du projet de Constitution élaboré par la première Assemblée nationale constituante, ainsi que de la procédure organisée aux articles 14 et suivants de la Constitution pour la discussion et le vote des lois, que les auteurs de ce texte ont entendu interdire le recours aux décrets pris en vertu des lois de pleins pouvoirs telles qu'elles furent votées sous la IIIe République ;

Considérant d'autre part que le législateur peut, en principe, déterminer souverainement la

compétence du pouvoir réglementaire ; qu'il peut, à cette fin, décider que certaines matières relevant de la compétence du pouvoir législatif entreront dans la compétence du pouvoir réglementaire ; que les décrets pris en ces matières peuvent modifier, abroger ou remplacer des dispositions législatives ; qu'ils pourront être eux-mêmes modifiés par d'autres décrets jusqu'à ce que le législateur, évoque à nouveau les matières en question dans des conditions excluant dorénavant la compétence du pouvoir réglementaire ;

Considérant toutefois que certaines matières sont réservées à la loi soit en vertu des dispositions de la Constitution, soit par la tradition constitutionnelle républicaine résultant notamment du Préambule de la Constitution et de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, dont les principes ont été réaffirmés par le Préambule ; que le législateur ne peut, dès lors, étendre à ces matières la compétence du pouvoir réglementaire ; mais qu'il se borne à poser les règles essentielles en laissant au gouvernement le soin de les compléter ;

Considérant enfin, qu'en vertu de l'article 3 de la Constitution, la souveraineté nationale appartient au peuple français qui « l'exerce par ses députés à l'Assemblée nationale, en toutes autres matières que les matières constitutionnelles » ; que l'extension de la compétence du pouvoir réglementaire serait contraire à l'article 3 si, par sa généralité et son imprécision, elle manifestait la volonté de l'Assemblée nationale d'abandonner au gouvernement l'exercice de la souveraineté nationale.

Page 76: td_semestre_1rev.doc

Est d'avis qu'il y a lieu de répondre à la question posée dans le sens des

observations qui précèdent.

Document 2 : Intervention de M. Paul Reynaud à l'Assemblée nationale constituante, 28 septembre 1946.

Le minimum que le peuple français a le droit d'exiger d'une Constitution nouvelle, c'est de ne pas y retrouver les tares du régime d'avant la guerre. Quelles étaient ces tares ? (Rires et applaudissements au centre et à droite.)

Elles provenaient toutes d'un vice fondamental que tous les hommes d'Etat de la Troisième République ont souligné: le pouvoir législatif opprimait le pouvoir exécutif, et il l'opprimait de deux manières. D'abord en renversant les ministères comme des châteaux de cartes, à telles enseignes que nous avons eu, pendant les soixante-dix années de la Troisième République, cent huit ministères, alors que l'Angleterre n'en a eu que vingt et un. ( ... ) Par ailleurs, le pouvoir législatif imposait au pouvoir exécutif des dépenses nuisibles au crédit de l'Etat. ( ... )

L'instabilité ministérielle est un mal dont le remède était écrit dans la Constitution de 1875 : c'était la dissolution de la Chambre avec le concours du Sénat. Malheureusement, nous avons eu un maréchal - déjà ! - et le résultat a été que ce ressort de la Constitution de 1875 n'a plus jamais joué depuis le maréchal de Mac-Mahon.

Que penser de la disposition du projet qui institue la dissolution ? (...) Nous sommes tous bien d'accord: les dispositions prises en ce qui concerne la dissolution n'auront aucune efficacité. ( ... )

Vous voulez que l'on continue à montrer la France du doigt comme

le pays qui est incapable d'assurer la stabilité ministérielle. Vous voulez que nous retombions à cet égard dans l'ornière de la IIIe République. C'est cela votre " neuf " !

Nous apportez-vous des solutions meilleures sur le plan financier ? (...)

En supprimant le Sénat, vous avez supprimé, croyez-moi, ce qui, pour le ministre des finances, constituait le plus utile recours dans sa tâche redoutable qui est la défense des finances publiques. Vous avez supprimé le Sénat. Car enfin, entre nous, le Conseil de la République, c'est une farce... (Rires à droite.) ( ... )

Pour ce qui est de faire partie du Parlement, alors on tresse des guirlandes sur le fronton de l'édifice. Pour ce qui est de l'impossibilité de poursuites sans levée de l'immunité parlementaire, parfait. Pour ce qui est de voir ses propos reproduits au Journal officiel, d'accord. Mais, pour un pouvoir politique quel qu'il soit, zéro...

Or, vous savez bien que dans les " navettes " le ministre des finances trouvait un moyen précieux d'agir sur la volonté des députés lorsque ceux-ci, toujours entraînés, bien entendu, par les sentiments les plus nobles, demandaient des dépenses publiques que le ministre jugeait excessives, car il est, lui, responsable des finances publiques, - c'est ce que je vous demande de ne pas oublier.

Reste la dernière arme dont disposait ce malheureux ministre.

Page 77: td_semestre_1rev.doc

( ... ) Cette arme capitale, c'était celle des décrets-lois dont je vous ai déjà dit qu'avec la complexité de la vie moderne, il est impossible de s'en passer. (Interruption et protestations à l'extrême gauche et à gauche.) Et vous y reviendrez. ( ... )

Vous voyez donc, Mesdames, Messieurs, que, sur tous les tableaux, le projet qui vous est soumis a diminué les droits du

pouvoir exécutif. Or, le problème était précisément de les accroître et de mettre fin à l'écrasement du pouvoir exécutif par le pouvoir législatif.

Ma conclusion est que vous avez tourné le dos à la solution du problème constitutionnel français. En tous cas, vous laissez subsister d'une façon évidente la tare d'avant-guerre, c'est-à-dire l'instabilité ministérielle.

Document 3 : La pratique de la question de confiance sous la IVème République, par Claude-Albert Colliard, R.D.P. 1948, p. 220 et s (extraits).

LE FORMALISME DE LA QUESTION DE CONFIANCE

(...) La pratique constitutionnelle contemporaine montre qu'à côté de la question de confiance au sens strict, le Président du Conseil, au lieu de poser formellement la question de confiance, se borne à une déclaration différente à laquelle il entend donner une portée en quelque sorte équivalente. Cette pratique doit être d'abord rappelée avant d'indiquer les conséquences et d'en apprécier la légalité constitutionnelle.

a) Au cours de l'existence du cabinet Ramadier, la question de confiance a été posée plusieurs fois formellement, le 20 mars 1947 à propos des crédits militaires d'Indochine, le 2 mai sur la politique économique, le 2 juillet à propos de la politique du blé, le 9 août sur le projet de loi électorale municipale, le 2 septembre sur la politique économique du gouvernement. Mais, à côté de la véritable question de confiance, a été posée, à diverses reprises, ce qu'on pourrait appeler la pseudo-question de confiance.

La pseudo-question de confiance est une déclaration par laquelle le Président du Conseil affirme que le cabinet se retirera si le texte est voté, ou au contraire n'est pas voté. L'affirmation peut être quelquefois moins précise, le Président du Conseil indique par exemple : "si le projet n'est pas voté,... le gouvernement ne pourra poursuivre sa politique et tirera, le moment venu les conséquences qui s'imposent".

Mais malgré ces subtilités de langage, le sens de la pseudo-question de confiance est clair : le gouvernement donnera à un vote de l'Assemblée un sens politique précis et considérera comme un désaveu de sa politique générale le vote émis par l'Assemblée contrairement à ses désirs propres. La pseudo-question de confiance échappe au formalisme rigoureux de la véritable question de confiance. La formule n'est plus sacramentelle et son prononcé n'implique pas une préalable discussion à ce sujet du Conseil des Ministres. Elle marque l'importance de la fonction de Président du Conseil qui peut l'utiliser à son gré. Parfois aussi elle signifie l'impuissance du Président, non pas dans le Conseil des Ministres ou dans le gouvernement mais au sein

Page 78: td_semestre_1rev.doc

de son propre parti dont il devient prisonnier (...).

b) C'est l'affirmation par laquelle le Gouvernement, par la bouche du Président du Conseil, agissant seul, indique qu'il considère que le vote qui sera émis par l'Assemblée nationale est un vote qui concerne non pas la question technique en cause mais la politique générale du gouvernement et qu'en conséquence si la solution adoptée par l'Assemblée est contraire à ce qu'il souhaite, il se retirera. Ce faisant, le Président du Conseil limite en quelque sorte la stabilité constitutionnelle du gouvernement. En appliquant la constitution, le gouvernement n'est contraint juridiquement de se retirer que si votent contre lui plus de la moitié des membres de l'Assemblée, au cours d'un scrutin public intervenu un jour franc après la question de confiance. En adoptant la pseudo-question de confiance, le gouvernement entend se retirer si intervient, immédiatement un scrutin au cours duquel la majorité des membres présents de l'Assemblée se prononce contre lui. Ainsi, l'instabilité ministérielle contre laquelle s'efforçait de lutter, d'une manière d'ailleurs discutable l'article 49 va se trouver accentuée (...).

OPPORTUNITE POLITIQUE ET QUESTION DE CONFIANCE

(...) La question de confiance est une phase de l'éternel duel que se livrent, en France au moins, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Ce duel a ses règles, il comporte ses bottes, peut-être même ses coups de Jarnac, mais l'un des duellistes, l'exécutif à qui il appartient de pousser la botte peut choisir le terrain du combat. La manière de poser la question de confiance est capitale. Battu sur le vote de la confiance, le gouvernement est contraint de se

retirer, mais le gouvernement peut poser la question de confiance tantôt simplement sur l'urgence à discuter un texte, tantôt sur l'adoption d'un texte, tantôt sur le rejet d'un texte tantôt sur un ordre du jour (...).

L'histoire de la IVème République montre déjà de manières combien diverses la question de confiance a été utilisée. Normalement, elle sanctionne un débat de politique générale et est posée à l'occasion d'un ordre du jour. Parfois plusieurs ordres du jour sont déposés et le président choisit celui sur l'adoption duquel il pose la question de confiance. Il peut être habile de la part du Président du conseil de choisir l'ordre du jour le plus bref et aussi le plus vague, généralement appelé ordre du jour pur et simple et libellé ainsi :

" L'Assemblée nationale approuvant les déclarations du Président du Conseil sur la politique générale fait confiance au gouvernement et, repoussant toute addition, passe à l'ordre du jour «. C'est cette tactique qui a été adoptée par le Président Ramadier dans la séance du 2 juillet 1947, à propos des débats relatifs à la politique économique du gouvernement. Des ordres du jour très longs avaient d'abord été déposés, se référant explicitement à certains points très techniques du programme économique (...). Il n'était plus fait allusion à ces mesures dans l'ordre du jour très simple finalement adopté par le gouvernement. La question de confiance peut être aussi utilisée pour obtenir le vote d'un texte, d'un projet gouvernemental, par exemple, de crédits, ainsi le 20 mars 1947 pour les crédits d'Indochine. Elle apparaît alors comme un moyen de pression utilisé par le gouvernement pour faire adopter par l'Assemblée le texte qui lui convient. Le Président du Conseil mesure d'ailleurs dans cette hypothèse la force de résistance de

Page 79: td_semestre_1rev.doc

l'Assemblée. Un bel exemple de tactique parlementaire est fourni par le débat du 2 septembre 1947 sur la politique économique du gouvernement. Le Président Ramadier défendait le projet gouvernemental de subventions économiques, mais, s'étant rendu compte que la subvention concernant l'acier était très impopulaire à l’Assemblée, il posa la question de confiance uniquement sur la partie du texte qui concernait la subvention pour le charbon, abandonnant au vote ordinaire la subvention pour l'acier qui fut repoussée à mains levées (...).

L'utilisation de la question de confiance pour obtenir le vote d'articles d'un projet de loi apparaît comme très délicate avec la réglementation de l'article 49. D'après les débats intervenus à propos de ce texte, la question de confiance devait sanctionner seulement la politique générale du gouvernement, mais, récemment, lors des débats relatifs au prélèvement exceptionnel, le Président Schuman a utilisé la question de confiance pour repousser des amendements relatifs à divers articles du projet de loi. Cette technique amène à poser plusieurs fois la question de confiance au cours d'un même débat. La question de confiance n'est plus, dès lors, le coup de pistolet tiré une seule fois dans le duel exécutif-législatif, elle devient la rafale d'une arme automatique.

(...) Utilisée ainsi tour à tour pour la prise en considération d'un texte, pour sa discussion d'urgence, pour le rejet d'une proposition ou d'un amendement, pour le vote d'un crédit, la question de confiance semble être entre les mains du Président du Conseil une arme à tous usages (...).

LA PORTEE DU VOTE

Le vote sur la question de confiance a lieu au scrutin public, mais non au scrutin public à la tribune, donc l'intervention de boîtiers est possible. Les résultats de ce vote ont une importance particulière sur la vie du ministère. Diverses hypothèses se rencontrent et il faut soigneusement distinguer la portée juridique et la portée politique de ce vote.

a) Juridiquement le vote n'a de portée au sens strict que dans une hypothèse particulière, celle où la confiance est refusée au cabinet par la majorité absolue des députés de l'Assemblée. Un tel vote, acquis à une telle majorité, oblige juridiquement le gouvernement à démissionner. La démission constitue pour le gouvernement une véritable obligation juridique. Une seconde conséquence juridique pourra apparaître, par la suite, d'une manière d'ailleurs lointaine, ce refus de confiance, à cette majorité, constituant l'une des hypothèses de crise ministérielle susceptible de permettre le jeu de la dissolution, aux termes de l'article 51, si les autres conditions sont réalisées.

b) Là se limite la stricte portée juridique de l'article 49. Toutes les autres conséquences sont d'ordre politique. L'examen des diverses éventualités montre combien il fut artificiel, de la part des auteurs de la constitution d'édifier ce qu'ils croyaient être une barrière contre l'instabilité ministérielle. N'ont-ils pas oublié que la responsabilité politique, telle que la connaît la tradition parlementaire, ne se laisse pas enfermer dans les cadres trop juridiques ?

Si, sur la question de confiance, une majorité contenant la majorité absolue des députés de l'Assemblée, se prononce contre le gouvernement, celui-ci a l'obligation juridique de démissionner. Dans tous les autres cas, aucune obligation juridique ne

Page 80: td_semestre_1rev.doc

pèse sur lui. Mais la réalité politique n'est-elle pas différente ? Un gouvernement se maintiendra-t-il au pouvoir, s'il est battu sur la question de confiance, sans que, du fait de congés ou d'abstentions la majorité absolue des députés se soit prononcée contre lui ? Certainement non. Et c'est ce qui explique précisément la technique politique de la pseudo-question de confiance, l'engagement que prend le gouvernement de démissionner si une majorité se prononce contre lui, même inférieure à la majorité absolue des membres de l'Assemblée.

(...) Le gouvernement parlementaire n'est pas une procédure, c'est un mode d'organisation de la vie politique.

Et les obligations juridiques strictement définies et délimitées ne pèsent rien en face de cette réalité de bon sens qu'un gouvernement qui ne dispose pas d'une majorité suffisante au sein de l'Assemblée ne peut gouverner. C'est la vie parlementaire elle-même qui a entraîné les violations du texte de l'article 49 que nous avons signalées. C'est la réalité politique, qui par opposition à un "juridisme" pointilleux explique ces violations et justifie cette sorte de transformisme constitutionnel, et ce rétablissement d'une question de confiance, type IIIème République, est supérieur, sous l'angle de la vie, à la malheureuse tentative d'organisation de la responsabilité qu'a fait, se réglant sur des méchants modèles, l'article 49.

Page 81: td_semestre_1rev.doc

FICHE N°10 DE LA IV ÈME A LA V ÈME

REPUBLIQUE L’ÉTABLISSEMENT DE LA V ÈME RÉPUBLIQUE ET SES ORIGINES

INTELLECTUELLES

I/ DOCUMENTS REPRODUITS1. la loi constitutionnelle du 3 juin 1958

2. discours de Bayeux du 16 juin 1946

3. discours d’investiture du général De Gaulle, Assemblée nationale, 1er juin 1958

4. discours de De Gaulle du 4 septembre 1958

5. Discours de Michel Debré devant le Conseil d’Etat le 27 août 1958

II/ INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUESBERSTEIN (S.), « Le legs de la IV ème République », Pouvoirs, 1996, n°76, pp. 117-127

DENQUIN (J-M), 1958 : la genèse de la Vème République, PUF 1988

ROUVILLOIS (F.) Les origines de la Vème République, PUF., 1998

WAHL (N.), « Aux origines de la nouvelle constitution », R.F.S.P. 1959 p. 167

III/ NOTIONS A CONNAITREPouvoir constituant originaire et pouvoir constituant dérivé, Régime parlementaire, régime d'assemblée, régime présidentiel, régime mixte (ou semi-présidentiel), présidentialisme, souveraineté nationale et populaire.

IV/ EXERCICE SUGGERECommentez l’extrait du discours d’Epinal commençant par « Il nous paraît nécessaire que l’Etat ... soit d’un groupement des partis »

Page 82: td_semestre_1rev.doc

Document 1 : la loi constitutionnelle du 3 juin 1958

Article unique

Par dérogation aux dispositions de son article 90, la Constitution sera révisée par le gouvernement investi le 1er juin 1958 et ce, dans les formes suivantes :

Le Gouvernement de la République établit un projet de loi constitutionnelle mettant en oeuvre les principes ci-après :

1° Seul le suffrage universel est la source du pouvoir. C'est du suffrage universel ou des instances élues par lui que dérivent le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ;

2° Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le Gouvernement et le Parlement assument chacun pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude de leurs attributions ;

3° Le Gouvernement doit être responsable devant le Parlement ;

4° L'autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d'assurer le respect des libertés essentielles telles qu'elles sont définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la Déclaration des droits de l'homme à laquelle il se réfère ;

5° La Constitution doit permettre d'organiser les rapports de la République avec les peuples qui lui sont associés.

Pour établir le projet, le Gouvernement recueille l'avis d'un comité consultatif ou siègent notamment des membres du Parlement désignés par les commissions compétentes de

l'Assemblée nationale et du Conseil de la République. Le nombre des membres du comité consultatif désignés par chacune des commissions est au moins égal au tiers du nombre des membres de ces commissions ; le nombre total des membres du comité consultatif désignés par les commissions est égal aux deux tiers des membres du comité.

Le projet de loi arrêté en Conseil des ministres, après avis du Conseil d'État, est soumis au référendum. La loi constitutionnelle portant révision de la Constitution est promulguée par le président de la République dans les huit jours de son adoption.  

La présente loi sera exécutée comme loi de l'État.

Fait à Paris, le 3 juin 1958.

 

René CotyPar le président de la République,

Le président du Conseil des ministres, C de Gaulle Le ministre d'État, Guy Mollet Le ministre d'État, Pierre Pflimlin Le ministre d'État, Félix Houphouët-Boigny Le ministre d'État, Louis Jacquinot Le garde des sceaux, ministre de la justice, Michel Debré

Page 83: td_semestre_1rev.doc

Document 2 : discours de Bayeux du 16 juin 1946[Après l'Appel du 18 juin 1940, le discours du 16 juin 1946 est l'un des plus importants discours du général de Gaulle. Le lieu et le moment sont également symboliques. Bayeux est la première ville libérée par les alliés, celle que visita aussitôt le Général, celle dont l'accueil enthousiaste confirma la légitimité de son combat et de son gouvernement et dissuada les États-Unis de placer la France sous leur administration (l'AMGOT), ainsi qu'ils l'avaient prévu. Pour le second anniversaire de la libération de la ville, De gaulle choisit Bayeux pour faire sa rentrée politique. De Gaulle a gardé le silence depuis sa démission de la présidence du gouvernement, le 20 janvier précédent. Le projet élaboré par la première Constituante a été rejeté par le peuple français le 5 mai. La France se trouve sans gouvernement : Félix Gouin a démissionné à son tour. Une seconde Constituante va se réunir. C'est le moment que choisit de Gaulle, espérant influencer ses travaux, pour exposer ses idées constitutionnelles - jusque-là assez imprécises - dans un discours de référence. Sur le moment, il n'est pas entendu (voir le discours d'Épinal), mais ce sont ces idées qui inspireront la Constitution de 1958.]

Dans notre Normandie, glorieuse et mutilée, Bayeux et ses environs furent témoins d'un des plus grands événements de l'Histoire. Nous attestons qu'ils en furent dignes. C'est ici que, quatre années après le désastre initial de la France et des Alliés, débuta la victoire finale des Alliés et de la France. C'est ici que l'effort de ceux qui n'avaient jamais cédé et autour desquels s'étaient, à partir du 18 juin 1940, rassemblé l'instinct national et reformée la puissance française tira des événements sa décisive justification.

En même temps, c'est ici que sur le sol des ancêtres réapparut l'État ; l'État légitime, parce qu'il reposait sur l'intérêt et le sentiment de la nation ; l'État dont la souveraineté réelle avait été transportée du côté de la guerre, de la liberté et de la victoire, tandis que la servitude n'en conservait que l'apparence ; l'État sauvegardé dans ses droits, sa dignité, son autorité, au milieu des vicissitudes du dénuement et de l'intrigue ; l'État préservé des ingérences de l'étranger ; l'État capable de rétablir autour de lui l'unité nationale et l'unité impériale, d'assembler toutes les forces de la patrie et de l'Union Française, de porter la victoire à son terme, en commun avec les Alliés, de traiter d'égal à égal avec

les autres grandes nations du monde, de préserver l'ordre public, de faire rendre la justice et de commencer notre reconstruction.

Si cette grande oeuvre fut réalisée en dehors du cadre antérieur de nos institutions, c'est parce que celles-ci n'avaient pas répondu aux nécessités nationales et qu'elles avaient, d'elles-mêmes, abdiqué dans la tourmente. Le salut devait venir d'ailleurs.

Il vint, d'abord, d'une élite, spontanément jaillie des profondeurs de la nation et qui, bien au-dessus de toute préoccupation de parti ou de classe, se dévoua au combat pour la libération, la grandeur et la rénovation de la France. Sentiment de sa supériorité morale, conscience d'exercer une sorte de sacerdoce du sacrifice et de l'exemple, passion du risque et de l'entreprise, mépris des agitations, prétentions, surenchères, confiance souveraine en la force et en la ruse de sa puissante conjuration aussi bien qu'en la victoire et en l'avenir de la patrie, telle fut la psychologie de cette élite partie de rien et qui, malgré de lourdes pertes, devait entraîner derrière elle tout l'Empire et toute la France.

Elle n'y eût point, cependant, réussi sans l'assentiment de l'immense

Page 84: td_semestre_1rev.doc

masse française. Celle-ci, en effet, dans sa volonté instinctive de survivre et de triompher, n'avait jamais vu dans le désastre de 1940 qu'une péripétie de la guerre mondiale où la France servait d'avant-garde. Si beaucoup se plièrent, par force, aux circonstances, le nombre de ceux qui les acceptèrent dans leur esprit et dans leur coeur fut littéralement infime. Jamais la France ne crut que l'ennemi ne fût point l'ennemi et que le salut fût ailleurs que du côté des armes de la liberté. À mesure que se déchiraient les voiles, le sentiment profond du pays se faisait jour dans sa réalité. Partout où paraissait la croix de Lorraine s'écroulait l'échafaudage d'une autorité qui n'était que fictive, bien qu'elle fût, en apparence, constitutionnellement fondée. Tant il est vrai que les pouvoirs publics ne valent, en fait et en droit, que s'ils s'accordent avec l'intérêt supérieur du pays, s'ils reposent sur l'adhésion confiante des citoyens. En matière d'institutions, bâtir sur autre chose, ce serait bâtir sur du sable. Ce serait risquer de voir l'édifice crouler une fois de plus à l'occasion d'une de ces crises auxquelles, par la nature des choses, notre pays se trouve si souvent exposé.

Voilà pourquoi, une fois assuré le salut de l'État, dans la victoire remportée et l'unité nationale maintenue, la tâche par-dessus tout urgente et essentielle était l'établissement des nouvelles institutions françaises. Dès que cela fut possible, le peuple français fut donc invité à élire ses constituants, tout en fixant à leur mandat des limites déterminées et en se réservant à lui-même la décision définitive. Puis, une fois le train mis sur les rails, nous-mêmes nous sommes retirés de la scène, non seulement pour ne point engager dans la lutte des partis ce qu'en vertu des événements nous pouvons symboliser et qui appartient à la nation tout entière,

mais encore pour qu'aucune considération relative à un homme, tandis qu'il dirigeait l'État, ne pût fausser dans aucun sens l'oeuvre des législateurs.

Cependant, la nation et l'Union française attendent encore une Constitution qui soit faite pour elles et qu'elles aient pu joyeusement approuver. À vrai dire, si l'on peut regretter que l'édifice reste à construire, chacun convient certainement qu'une réussite quelque peu différée vaut mieux qu'un achèvement rapide mais fâcheux.

Au cours d'une période de temps qui ne dépasse pas deux fois la vie d'un homme, la France fut envahie sept fois et a pratiqué treize régimes, car tout se tient dans les malheurs d'un peuple. Tant de secousses ont accumulé dans notre vie publique des poisons dont s'intoxique notre vieille propension gauloise aux divisions et aux querelles. Les épreuves inouïes que nous venons de traverser n'ont fait, naturellement, qu'aggraver cet état de choses. La situation actuelle du monde où, derrière des idéologies opposées, se confrontent des Puissances entre lesquelles nous sommes placés, ne laisse pas d'introduire dans nos luttes politiques un facteur de trouble passionné. Bref, la rivalité des partis revêt chez nous un caractère fondamental, qui met toujours tout en question et sous lequel s'estompent trop souvent les intérêts supérieurs du pays. Il y a là un fait patent, qui tient au tempérament national, aux péripéties de l'Histoire et aux ébranlements du présent, mais dont il est indispensable à l'avenir du pays et de la démocratie que nos institutions tiennent compte et se gardent, afin de préserver le crédit des lois, la cohésion des gouvernements, l'efficience des administrations, le prestige et l'autorité de l'État.

Page 85: td_semestre_1rev.doc

C'est qu'en effet, le trouble dans l'État a pour conséquence inéluctable la désaffection des citoyens à l'égard des institutions. Il suffit alors d'une occasion pour faire apparaître la menace de la dictature. D'autant plus que l'organisation en quelque sorte mécanique de la société moderne rend chaque jour plus nécessaires et plus désirés le bon ordre dans la direction et le fonctionnement régulier des rouages. Comment et pourquoi donc ont fini chez nous la Ire, la IIe, la IIIe Républiques ? Comment et pourquoi donc la démocratie italienne, la République allemande de Weimar, la République espagnole, firent-elles place aux régimes que l'on sait ? Et pourtant, qu'est la dictature, sinon une grande aventure ? Sans doute, ses débuts semblent avantageux. Au milieu de l'enthousiasme des uns et de la résignation des autres, dans la rigueur de l'ordre qu'elle impose, à la faveur d'un décor éclatant et d'une propagande à sens unique, elle prend d'abord un tour de dynamisme qui fait contraste avec l'anarchie qui l'avait précédée. Mais c'est le destin de la dictature d'exagérer ses entreprises. À mesure que se fait jour parmi les citoyens l'impatience des contraintes et la nostalgie de la liberté, il lui faut à tout prix leur offrir en compensation des réussites sans cesse plus étendues. La nation devient une machine à laquelle le maître imprime une accélération effrénée. Qu'il s'agisse de desseins intérieurs ou extérieurs, les buts, les risques, les efforts, dépassent peu à peu toute mesure. À chaque pas se dressent, au-dehors et au-dedans, des obstacles multipliés. À la fin, le ressort se brise. L'édifice grandiose s'écroule dans le malheur et dans le sang. La nation se retrouve rompue, plus bas qu'elle n'était avant que l'aventure commençât.

Il suffit d'évoquer cela pour comprendre à quel point il est nécessaire que nos institutions

démocratiques nouvelles compensent, par elles-mêmes, les effets de notre perpétuelle effervescence politique. Il y a là, au surplus, pour nous une question de vie ou de mort, dans le monde et au siècle où nous sommes, où la position, l'indépendance et jusqu'à l'existence de notre pays et de notre Union Française se trouvent bel et bien en jeu. Certes, il est de l'essence même de la démocratie que les opinions s'expriment et qu'elles s'efforcent, par le suffrage, d'orienter suivant leurs conceptions l'action publique et la législation. Mais aussi tous les principes et toutes les expériences exigent que les pouvoirs publics : législatif, exécutif, judiciaire, soient nettement séparés et fortement équilibrés et, qu'au-dessus des contingences politiques, soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons.

Il est clair et il est entendu que le vote définitif des lois et des budgets revient à une Assemblée élue au suffrage universel et direct. Mais le premier mouvement d'une telle Assemblée ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième Assemblée, élue et composée d'une autre manière, la fonction d'examiner publiquement ce que la première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets. Or, si les grands courants de politique générale sont naturellement reproduits dans le sein de la Chambre des Députés, la vie locale, elle aussi, a ses tendances et ses droits. Elle les a dans la Métropole. Elle les a, au premier chef, dans les territoires d'outre-mer, qui se rattachent à l'Union Française par des liens très divers. Elle les a dans cette Sarre à qui la nature des choses, découverte par notre victoire, désigne une fois de plus sa place auprès de nous, les fils des Francs. L'avenir des 110 millions

Page 86: td_semestre_1rev.doc

d'hommes et de femmes qui vivent sous notre drapeau est dans une organisation de forme fédérative, que le temps précisera peu à peu, mais dont notre Constitution nouvelle doit marquer le début et ménager le développement.

Tout nous conduit donc à instituer une deuxième Chambre dont, pour l'essentiel, nos Conseils généraux et municipaux éliront les membres. Cette Chambre complétera la première en l'amenant, s'il y a lieu, soit à réviser ses propres projets, soit à en examiner d'autres, et en faisant valoir dans la confection des lois ce facteur d'ordre administratif qu'un collège purement politique a forcément tendance à négliger. Il sera normal d'y introduire, d'autre part, des représentants, des organisations économiques, familiales, intellectuelles, pour que se fasse entendre, au-dedans même de l'État, la voix des grandes activités du pays. Réunis aux élus des assemblée locales des territoires d'outre-mer, les membres de cette Assemblée formeront le grand Conseil de l'Union française, qualifié pour délibérer des lois et des problèmes intéressant l'Union, budgets, relations extérieures, rapports intérieurs, défense nationale, économie, communications.

Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder, sous peine d'aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le Gouvernement ne serait bientôt plus rien qu'un assemblage de délégations. Sans doute aura-t-il fallu, pendant la période transitoire où nous sommes, faire élire par l'Assemblée nationale constituante le président du Gouvernement provisoire, puisque, sur la table rase, il n'y avait aucun autre procédé acceptable de désignation. Mais il ne peut y avoir là qu'une disposition du moment. En vérité, l'unité, la cohésion, la discipline

intérieure du Gouvernement de la France doivent être des choses sacrées, sous peine de voir rapidement la direction même du pays impuissante et disqualifiée. Or, comment cette unité, cette cohésion, cette discipline, seraient-elles maintenues à la longue si le pouvoir exécutif émanait de l'autre pouvoir auquel il doit faire équilibre, et si chacun des membres du Gouvernement, lequel est collectivement responsable devant la représentation nationale tout entière, n'était, à son poste, que le mandataire d'un parti?

C'est donc du chef de l'État, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le président de l'Union française en même temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir exécutif. Au chef de l'État la charge d'accorder l'intérêt général quant au choix des hommes avec l'orientation qui se dégage du Parlement. À lui la mission de nommer les ministres et, d'abord, bien entendu, le Premier, qui devra diriger la politique et le travail du Gouvernement. Au chef de l'État la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets, car c'est envers l'État tout entier que ceux-ci et celles-là engagent les citoyens. À lui la tâche de présider les Conseils du Gouvernement et d'y exercer cette influence de la continuité dont une nation ne se passe pas. À lui l'attribution de servir d'arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine. À lui, s'il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d'être le garant de l'indépendance nationale et des traités conclus par la France.

Des Grecs, jadis, demandaient au sage Solon : « Quelle est la meilleure Constitution ? » Il

Page 87: td_semestre_1rev.doc

répondait : « Dites-moi, d'abord, pour quel peuple et à quelle époque ? » Aujourd'hui, c'est du peuple français et des peuples de l'Union française qu'il s'agit, et à une époque bien dure et bien dangereuse ! Prenons-nous tels que nous sommes. Prenons le siècle comme il est. Nous avons à mener à bien, malgré d'immenses difficultés, une rénovation profonde qui conduise chaque homme et chaque femme de chez nous à plus d'aisance, de sécurité, de joie, et qui nous fasse plus nombreux, plus puissants, plus fraternels. Nous avons à conserver la liberté sauvée avec tant et tant de peine. Nous avons à assurer le destin de la

France au milieu de tous les obstacles qui se dressent sur sa route et sur celle de la paix. Nous avons à déployer, parmi nos frères les hommes, ce dont nous sommes capables, pour aider notre pauvre et vieille mère, la Terre. Soyons assez lucides et assez forts pour nous donner et pour observer des règles de vie nationale qui tendent à nous rassembler quand, sans relâche, nous sommes portés à nous diviser contre nous-mêmes ! Toute notre Histoire, c'est l'alternance des immenses douleurs d'un peuple dispersé et des fécondes grandeurs d'une nation libre groupée sous l'égide d'une État fort.

Document 3 : discours d’investiture du général De Gaulle, Assemblée nationale, 1er juin 1958."La dégradation de l'Etat qui va se précipitant : l'unité française immédiatement menacée ; l'Algérie plongée dans la tempête des épreuves et des émotions : la Corse subissant une fiévreuse contagion ; dans la métropole des mouvements en sens opposé renforçant d'heure en heure leur passion et leur action ; l'armée, longuement éprouvée par des tâches sanglantes et méritoires, mais scandalisée par la carence des pouvoirs ; notre position internationale battue en brèche jusqu'au sein même de nos alliances : telle est la situation du pays. En ce temps même où tant de chances, à tant d'égards, s'offrent à la France, elle se trouve menacée de dislocation et, peut-être, de guerre civile.

C'est dans ces conditions que je me suis proposé pour tenter de conduire, une fois de plus au salut le pays, l'Etat, la République et que, désigné par le chef de l'Etat, je me trouve amené à demander à l'Assemblée nationale de m'investir pour un lourd devoir.

De ce devoir, il faut les moyens.

Le Gouvernement, si vous voulez l'investir, vous proposera de les lui attribuer aussitôt. Il vous demandera les pleins pouvoirs, afin d'être en mesure d'agir dans les conditions d'efficacité, de rapidité, de responsabilité que les circonstances exigent. Il vous les demandera pour une durée de six mois, espérant, qu'au terme de cette période l'ordre rétabli dans l'Etat, l'espoir retrouvé en Algérie, l'union refaite dans la nation, permettront aux pouvoirs publics de reprendre le cours normal de leur fonctionnement.

Mais ce ne serait rien que de remédier provisoirement, tant bien que mal, à un état de choses désastreux, si nous ne nous décidions pas à en finir avec la cause profonde de nos épreuves. Cette cause - l'Assemblée le sait et la nation en est convaincue -, c'est la confusion et, par là-même, l'impuissance des pouvoirs. Le Gouvernement que je vais former, moyennant votre confiance, vous saisira sans délai d'un projet de réforme de l'article 90 de la Constitution, de telle sorte que l’Assemblée nationale donne

Page 88: td_semestre_1rev.doc

mandat au Gouvernement d'élaborer, puis de proposer au pays, par la voie du référendum, les changements indispensables. Au terme de l'exposé des motifs qui vous sera soumis en même temps que le texte, le Gouvernement précisera les trois principes qui doivent être, en France, la base du régime républicain et auquel il prend l'engagement de conformer son projet. Le suffrage universel est la source de tout pouvoir. Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés, de façon que le Gouvernement et le Parlement assument, chacun pour sa part et sous sa responsabilité, la plénitude de ses attributions. Le Gouvernement doit être responsable vis-à-vis du Parlement.

L'occasion solennelle d'organiser les rapports de la République française avec les peuples qui lui sont associés sera offerte au pays par la même réforme constitutionnelle. Cette organisation nouvelle, le

Gouvernement prendra l'engagement de la promouvoir dans le projet qu'il proposera aux suffrages des Françaises et des Français.

A partir de ce double mandat, à lui conféré par l'Assemblée nationale, le Gouvernement pourra entreprendre la tâche immense qui lui sera ainsi fixée. Quant à moi, pour l'assumer, il me faut, assurément et d'abord, votre confiance. Il faut, ensuite, que sans aucun délai - car les événements ne nous en accordent pas - le Parlement vote les projets de loi qui lui seront soumis. Ce vote acquis, les assemblées se mettront en congé jusqu'à la date prévue pour l'ouverture de leur prochaine session ordinaire. Ainsi le Gouvernement de la République, investi par la représentation nationale et pourvu, d'extrême urgence, des moyens de l'action, pourra répondre de l'unité, de l'intégrité, de l'indépendance du pays.

Document 4 : discours de De Gaulle du 4 septembre 1958C'est en un temps où il lui fallait se réformer ou se briser que notre peuple, pour la première fois, recourut à la République. Jusqu'alors, au long des siècles, l'Ancien Régime avait réalisé l'unité et maintenu l'intégrité de la France. Mais, tandis qu'une immense vague de fond se formait dans les profondeurs, il se montrait hors d'état de s'adapter à un monde nouveau. C'est alors qu'au milieu de la tourmente nationale et de la guerre étrangère apparut la République ! Elle était la souveraineté du peuple, l'appel de la liberté, l'espérance de la justice. Elle devait rester cela à travers les péripéties agitées de son histoire. Aujourd'hui, autant que jamais, nous voulons qu'elle le demeure.

Certes la République a revêtu des formes diverses au cours de ses règnes successifs. En 1792 on la vit, révolutionnaire et guerrière, renverser trônes et privilèges, pour succomber, huit ans plus tard dans les abus et les troubles qu'elle n'avait pu maîtriser. En 1848, on la vit s'élever au-dessus des barricades, se refuser à l'anarchie, se montrer sociale au-dedans et fraternelle au-dehors, mais bientôt s'effacer encore, faute d'avoir accordé l'ordre avec l'élan du renouveau. Le 4 septembre 1870, au lendemain de Sedan, on la vit s'offrir au pays pour réparer le désastre. De fait, la République sut relever la France, reconstituer les armées, recréer un vaste empire renouer des alliances solides, faire de bonnes lois sociales, développer

Page 89: td_semestre_1rev.doc

l'instruction. Si bien qu'elle eut la gloire d'assurer pendant la Première Guerre mondiale notre salut et notre victoire. Le 11 novembre, quand le peuple s'assemble et que les drapeaux s'inclinent pour la commémoration, l'hommage, que la patrie décerne à ceux qui l'ont bien servie, s'adresse aussi à la République.

Cependant, le régime comportait des vices de fonctionnement qui avaient pu sembler supportables à une époque assez statique, mais qui n'étaient plus compatibles avec les mouvements humains, les changements économiques, les périls extérieurs qui précédaient la Deuxième Guerre mondiale. Faute qu'on y eût remédié, les événements terribles de 1940 emportèrent tout. Mais quand, le 18 juin, commença le combat pour la libération de la France, il fut aussitôt proclamé que la République à refaire serait une République nouvelle. La Résistance tout entière ne cessa pas de l'affirmer.

On sait, on ne sait que trop, ce qu'il advint de ces espoirs. On sait, on ne sait que trop, qu'une fois le péril passé, tout fut livré et confondu à la discrétion des partis. On sait, on ne sait que trop, quelles en furent les conséquences. À force d'inconsistance et d'instabilité et quelles que puissent être les intentions, souvent la valeur des hommes, le régime se trouve privé de l'autorité intérieure et de l'assurance extérieure sans lesquelles il ne pouvait agir. Il était inévitable que la paralysie de l'État amenât une grave crise nationale et qu'aussitôt la République fût menacée d'effondrement.

Le nécessaire a été fait pour obvier à l'irrémédiable à l'instant même où il était sur le point de se produire. Le déchirement de la nation fut de justesse empêché. On a pu sauvegarder la chance ultime de la République. C'est dans la légalité que moi-même et mon

Gouvernement avons assumé le mandat exceptionnel d'établir un projet de nouvelle Constitution et de le soumettre à la décision du peuple.

Nous l'avons fait sur la base des principes posés lors de notre investiture. Nous l'avons fait avec la collaboration du Conseil consultatif institué par la loi. Nous l'avons fait, compte tenu de l'avis solennel du Conseil d'État. Nous l'avons fait après délibérations très libres et très approfondies de nos propres conseils de ministres : ceux-ci, formés d'hommes aussi divers que possible d'origines et de tendances mais résolument solidaires. Nous l'avons fait sans avoir entre-temps attenté à aucun droit ni à aucune liberté publique. La nation, qui seule est juge, approuvera ou repoussera notre oeuvre. Mais c'est en toute conscience que nous la lui proposons.

Ce qui, pour les pouvoirs publics, est désormais primordial, c'est leur efficacité et leur continuité. Nous vivons en un temps où des forces gigantesques sont en train de transformer le monde. Sous peine de devenir un peuple périmé et dédaigné, il nous faut dans les domaines scientifique, économique et social évoluer rapidement. D'ailleurs, à cet impératif répondent le goût du progrès et la passion des réussites techniques qui se font jour parmi les Français, et d'abord dans notre jeunesse. Il y a là des faits qui dominent notre existence nationale et doivent par conséquent commander nos institutions.

La nécessité de rénover l'agriculture et l'industrie, de procurer les moyens de vivre, de travailler, de s'instruire de se loger, à notre population rajeunie, d'associer les travailleurs à la marche des entreprises, nous pousse à être, dans les affaires publiques, dynamiques et expéditifs. Le devoir de ramener la

Page 90: td_semestre_1rev.doc

paix en Algérie, ensuite celui de la mettre en valeur, enfin celui de régler la question de son statut et de sa place dans notre ensemble, nous imposent des efforts difficiles et prolongés. Les perspectives que nous ouvrent les ressources du Sahara sont magnifiques certes, mais complexes. Les rapports entre la métropole et les territoires d'outre-mer exigent une profonde adaptation. L'univers est traversé de courants qui mettent en cause l'avenir de l'espèce humaine et portent la France à se garder, tout en jouant le rôle de mesure, de paix, de fraternité, que lui dicte sa vocation. Bref, la nation française refleurira ou périra suivant que l'État aura ou n'aura pas assez de force, de constance, de prestige, pour la conduire là où elle doit aller.

C'est donc pour le peuple que nous sommes, au siècle et dans le monde où nous sommes, qu'a été établi le projet de Constitution. Que le pays puisse être effectivement dirigé par ceux qu'il mandate et leur accorde la confiance qui anime la légitimité. Qu'il existe, au-dessus des luttes politiques, un arbitre national, élu par les citoyens qui détiennent un mandat public, chargé d'assurer le fonctionnement régulier des institutions, ayant le droit de recourir au jugement du peuple souverain, répondant, en cas d'extrême péril, de l'indépendance, de l'honneur, de l'intégrité de la France et du salut de la République. Qu'il existe un Gouvernement qui soit fait pour gouverner, à qui on en laisse le temps et la possibilité, qui ne se détourne pas vers autre chose que sa tâche, et qui, par là, mérite l'adhésion du pays. Qu'il existe un Parlement destiné à représenter la volonté politique de la nation, à voter les lois, à contrôler l'exécutif, sans prétendre sortir de son rôle. Que Gouvernement et Parlement collaborent mais demeurent séparés quant à leurs responsabilités et qu'aucun

membre de l'un ne puisse, en même temps, être membre de l'autre. Telle est la structure équilibrée que doit revêtir le pouvoir. Le reste dépendra des hommes.

Qu'un Conseil économique et social, désigné en dehors de la politique par les organisations professionnelles et syndicales du pays et de l'outre-mer, fournisse ses avis au Parlement et au Gouvernement. Qu'un Comité constitutionnel, dégagé de toute attache, ait qualité pour apprécier si les lois votées sont conformes à la Constitution et si les élections diverses ont eu lieu régulièrement. Que l'autorité judiciaire soit assurée de son indépendance et demeure la gardienne de la liberté de chacun. La compétence, la dignité, l'impartialité de l'État en seront mieux garanties.

Qu'entre la nation française et ceux des territoires d'outre-mer qui le veulent, soit formée une Communauté, au sein de laquelle chaque territoire va devenir un État qui se gouvernera lui-même, tandis que la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et financière, celle des matières premières, le contrôle de la justice, l'enseignement supérieur, les communications lointaines, constitueront un domaine commun dont auront à connaître les organes de la Communauté : président, Conseil exécutif, Sénat, Cour d'arbitrage. Ainsi, cette vaste organisation rénovera-t-elle l'ensemble humain groupé autour de la France. Ce sera fait en vertu de la libre détermination de tous. En effet, chaque territoire aura la faculté, soit d'accepter, par son vote au référendum, la proposition de la France, soit de la refuser et, par là même, de rompre avec elle tout lien. Devenu membre de la Communauté, il pourra dans l'avenir, après s'être mis d'accord avec les organes communs,

Page 91: td_semestre_1rev.doc

assumer son propre destin indépendamment des autres

Qu'enfin, pendant les quatre mois qui suivront le référendum, Ie Gouvernement ait la charge des affaires du pays et fixe, en particulier, le régime électoral. De cette façon pourront être prises, sur mandat donné par le peuple, les dispositions nécessaires à la mise en place des nouvelles institutions.

Voilà, Françaises, Français, de quoi s'inspire et en quoi consiste la Constitution qui sera le 28 septembre soumise à vos suffrages. De tout mon coeur, au nom de la France, je vous demande de répondre : « Oui ».

Si vous ne le faites pas, nous en reviendrons le jour même aux

errements que vous savez. Si vous le faites, le résultat sera de rendre la République forte et efficace, pourvu que les responsables sachent désormais le vouloir !

Mais il y a aussi, dans cette manifestation positive de la volonté nationale, la preuve que notre pays retrouve son unité et, du coup, les chances de sa grandeur. Le monde, qui discerne fort bien quelle importance notre décision va revêtir pour lui-même, en tirera la conclusion. Peut-être l'ail, dès à présent, tirée ! Un grand espoir se lèvera sur la France. Je crois qu'il s'est déjà levé !

Vive la République ! Vive la France !

Document 5. Discours de Michel Debré devant le Conseil d’Etat le 27 août 1958, extraits

L'objet de la réforme constitutionnelle est donc clair.

Il est d'abord, et avant tout, d'essayer de reconstruire un pouvoir sans lequel il n'est ni Etat, ni démocratie, c'est-à-dire, en ce qui nous concerne, ni France, ni République.

Il est ensuite, dans l'intérêt supérieur de notre sécurité et de l'équilibre du monde, de sauvegarder et de rénover cet ensemble que nous appelons traditionnellement la France d'outre-mer.

Ces deux objectifs, à elle seule la Constitution ne permet pas de les atteindre. Mais elle doit être construite de telle sorte qu'elle ne soit pas un obstacle et qu'au contraire elle y aide puissamment.

Une première volonté a dominé ce projet : refaire le régime parlementaire de la République. Une seconde volonté à conduit à préciser comment, autour de la

France, on pouvait établir une Communauté.

 

I. Donner à la France un régime parlementaire

Le Gouvernement a voulu rénover le régime parlementaire. Je serai même tenté de dire qu'il veut l'établir, car pour de nombreuses raisons, la République n'a jamais réussi à l'instaurer.

La raison de ce choix est simple. Le régime d'assemblée, ou régime conventionnel, est impraticable et dangereux. Le régime présidentiel est présentement hors d'état de fonctionner en France.

L'impossible régime d'assemblée

Le régime d'assemblée, ou conventionnel, est celui où la totalité du pouvoir, en droit et en fait, appartient à un Parlement, et plus précisément, à une Assemblée. L'Assemblée n'est pas seulement le

Page 92: td_semestre_1rev.doc

pouvoir législatif et le contrôle budgétaire. Elle est la politique et le Gouvernement, qui tient d'elle l'origine de son autorité et qui, dépendant de son arbitraire, n'est que son commis. Ses décisions ne peuvent être critiquées par personne, fussent-elles contraires à la Constitution. Leur domaine est illimité et l'ensemble des pouvoirs publics est à leur discrétion. Le fonctionnement de l'Assemblée la met en mesure d'exercer cette tâche : sessions qui n'ont pratiquement pas de fin ; commissions multiples et puissantes ; système de vote par délégation qui permet de multiplier les séances et les scrutins.

Ai-je besoin de continuer la description ? Ce régime est celui que nous avons connu. On a tenté de corriger ses défauts en modifiant le règlement de l'Assemblée. Peine perdue ! Celles des modifications contraires au fonctionnement du régime conventionnel ne sont pas appliquées, ou elles sont impuissantes. On a tenté un nouveau remède en augmentant les pouvoirs de la deuxième assemblée. Peine également perdue ! La division en deux chambres est une bonne règle du régime parlementaire, car elle permet à un gouvernement indépendant de trouver, par la deuxième assemblée, un secours utile contre la première ; en régime conventionnel, on neutralise ou plutôt on diminue l'arbitraire d'une assemblée par l'autre sans créer l'autorité. On a tenté enfin un remède par des coalitions ou contrats entre partis. Peine toujours perdue ! L'entente entre fractions ne résiste pas au sentiment d'irresponsabilité que donne à chacune d'entre elles et à ses membres le fonctionnement du régime d'assemblée.

 

Les difficultés majeures du régime présidentiel

Le régime présidentiel est la forme du régime démocratique qui est à l'opposé du régime d'assemblée. Sa marque est faite de l'importance du pouvoir donné en droit et en fait à un chef d'Etat élu au suffrage universel.

Les pouvoirs, dans un tel régime, ne sont pas confondus. Ils sont au contraire fort rigoureusement séparés. Les assemblées législatives sont dépourvues de toute influence gouvernementale : leur domaine est celui de la loi, et c'est un domaine bien défini. Elles approuvent également le budget et, normalement, les traités. En cas de conflit, le Président, pour le résoudre, dispose d'armes telles que le veto ou la promulgation d'office. La justice occupe une place à part et d'ordinaire privilégiée afin d'assurer la défense des individus contre ce chef très puissant et contre les conséquences d'une entente entre ce chef et les assemblées.

Les qualités du régime présidentiel sont évidentes. L'Etat a un chef, la démocratie un pouvoir et la tentation est grande, après avoir pâti de l'anarchie et de l'impuissance, résultats d'un régime conventionnel, de chercher refuge dans l'ordre et l'autorité du régime présidentiel.

Ni le Parlement dans sa volonté de réforme manifestée par la loi du 3 juin, ni le Gouvernement lorsqu'il a présenté, puis appliqué cette loi, n'ont succombé à cette tentation, et c'est, je crois, sagesse. La démocratie en France suppose un Parlement doté de pouvoirs politiques. On peut imaginer deux assemblées législatives et budgétaires uniquement, c'est-à-dire subordonnées. Mais nous devons constater que cette conception ne coïncide pas avec l'image traditionnelle et, à bien des égards, légitime, de la République.

A cette raison de droit, s'ajoutent deux raisons de fait qui sont, l'une et l'autre, décisives.

Page 93: td_semestre_1rev.doc

Le Président de la République a des responsabilités outre-mer ; il est également le président de la Communauté. Envisage-t-on un corps électoral comprenant, universellement, tous les hommes, toutes les femmes de la France métropolitaine, de l'Algérie, de l'Afrique noire, de Madagascar, des îles du Pacifique ? Cela ne serait pas raisonnable et serait gravement de nature à nuire à l'unité de l'ensemble comme à la considération que l'on doit au chef de l'Etat.

Regardons, d'autre part, la situation intérieure française et parlons politique. Nous voulons une forte France. Est-il possible d'asseoir l'autorité sur un suffrage si profondément divisé ? Doit-on oublier qu'une part importante de ce suffrage, saisie par les difficultés des années passées, adopte, à l'égard de la souveraineté nationale, une attitude de révolte qu'un certain parti encadre avec force pour des objectifs que des hommes d'Etat et de gouvernement ne peuvent accepter ?

La cause me paraît entendue. Le régime présidentiel est actuellement dangereux à mettre en oeuvre.

 

II. Les conditions du régime parlementaire

Pas de régime conventionnel, pas de régime présidentiel : la voie devant nous est étroite, c'est celle du régime parlementaire. A la confusion des pouvoirs dans une seule assemblée, à la stricte séparation des pouvoirs avec priorité au chef de l'Etat, il convient de préférer la collaboration des pouvoirs : un chef de l'Etat et un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et responsable devant le second, entre eux un partage des attributions donnant à chacun une semblable importance dans la marche de l'Etat et assurant les

moyens de résoudre les conflits qui sont, dans tout système démocratique, la rançon de la liberté.

Le projet de Constitution, tel qu'il vous est soumis, a l'ambition de créer un régime parlementaire. Il le fait par quatre séries de mesures ou séries de mesures :

1° un strict régime des sessions ;

2° un effort pour définir le domaine de la loi ;

3° une réorganisation profonde de la procédure législative et budgétaire ;

4° une mise au point des mécanismes juridiques indispensables à l'équilibre et à la bonne marche des fonctions politiques.

(…)

2° L'article où l'on a tenté de définir le domaine de la loi est de ceux qui ont provoqué le plus d'étonnement. Cette réaction est surprenante. Du point de vue des principes, la définition est normale et c'est la confusion de la loi, du règlement, voire de la mesure individuelle qui est une absurdité. Du point de vue des faits, notre système juridique était arrivé à un tel point de confusion et d'engorgement qu'un des efforts les plus constants, mais tenté en vain au cours des dix dernières années, était de " désencombrer " un ordre du jour parlementaire accablé par l'excès des lois passées depuis tant d'années en des domaines où le Parlement n'a pas normalement compétence législative. Un observateur de notre vie parlementaire aurait pu, entre les deux guerres, mais davantage encore depuis la Libération, noter cette double déviation de notre organisation politique : un Parlement accablé de textes et courant en désordre vers la multiplication des interventions de détail, mais un Gouvernement traitant sans intervention

Page 94: td_semestre_1rev.doc

parlementaire des plus graves problèmes nationaux. Le résultat de ces deux observations conduisait à une double crise : l'impuissance de l'Etat du fait que l'administration était ligotée par des textes inadmissibles, la colère de la nation du fait qu'une coalition partisane placée au Gouvernement la mettait devant de graves mesures décidées sans avoir été préalablement soumises à un examen sérieux. Définir le domaine de la loi, ou plutôt du Parlement, ce n'est pas réduire la vie parlementaire, c'est également, par détermination des responsabilités du Gouvernement, assurer entre le ministère et les assemblées une répartition nécessaire des tâches.

Tout ce qui touche aux libertés publiques et aux droits individuels ne peut être réglementé que par la loi. Tout ce qui touche aux pouvoirs publics et aux structures fondamentales de l'Etat ne peut être réglementé que par la loi. En d'autres domaines - attributions de l'Etat dans la vie économique et sociale notamment -, la loi fixe les principes. Le budget, les traités importants sont du domaine de la loi. Le Parlement doit ratifier l'état de siège. Il est seul compétent pour déclarer la guerre. Votre commission envisage qu'une loi organique pourra, après examen, étendre ce domaine ; à ce correctif, qu'il faudra employer avec prudence, le Gouvernement ne fait pas obstacle, car il donnera une souplesse utile à un partage dont le principe est nécessaire.

La définition du domaine de la loi donne au règlement, c'est-à-dire à la responsabilité du Gouvernement, un domaine étendu. Il faut en outre qu'une arme soit donnée au Gouvernement pour éviter les empiétements à venir : c'est l'exception d'irrecevabilité qui peut être contestée par l'Assemblée, auquel cas le Conseil constitutionnel, dont nous

parlerons tout à l'heure, a mission d'arbitrer.

Le Gouvernement peut accepter, à l'occasion, une intervention parlementaire hors le domaine de la loi. Cette intervention ne modifie pas le partage ni ses conséquences. En sens inverse, le Parlement peut déléguer au Gouvernement le droit de statuer en matière législative ; à l'expiration de la délégation, le législateur retrouve son domaine.

3° Notre procédure législative et budgétaire était une des marques les plus nettes du caractère d'assemblée qui était celui de notre régime démocratique. Le texte soumis à vos délibérations propose des modifications qui peuvent à certains paraître secondaires ; en droit et en fait, elles sont fondamentales.

Le Gouvernement peut exercer une influence décisive dans la fixation de l'ordre du jour des assemblées. Il a le droit en effet d'exiger la priorité pour ses projets, également pour les propositions qu'il accepte. Ainsi on ne verra plus un Gouvernement déposer un projet et se désintéresser de son sort. Ainsi on ne verra plus une assemblée obliger le Gouvernement à une discussion d'ordre politique simplement pour obtenir le fonctionnement de la procédure législative. Si ce Gouvernement " nourrit " les assemblées, celles-ci travailleront de concert avec lui. Cette règle a sa contrepartie normale : un jour par semaine est réservé aux questions des parlementaires. La voix de l'opposition est ainsi assurée de se faire entendre.

Le nombre des commissions permanentes est réduit à six dans chaque assemblée et en aucun cas le texte établi par la commission ne peut se substituer au texte du Gouvernement. Les commissions sont d'utiles organes d'étude et de contrôle à condition qu'elles ne soient pas trop spécialisées - elles se substituent alors à

Page 95: td_semestre_1rev.doc

l'administration ou exercent sur les services une influence qui n'est pas d'une bonne nature - et à condition qu'elles donnent un avis sur le texte qui leur est présenté, sans avoir l'inadmissible responsabilité d'en établir un autre, contre lequel le Gouvernement, qui, lui, est responsable, se trouve dans une situation défensive, c'est-à-dire périlleuse et, en toute hypothèse, absurde.

La procédure législative est profondément rénovée et, j'ose le dire, améliorée. La règle est de nouveau celle des lois de 1875 : il faut l'accord des deux assemblées. Est également maintenue en vigueur la règle traditionnelle du Parlement français : celle du droit d'amendement de chaque parlementaire. Mais des transformations importantes ont été décidées.

D'abord, le droit d'amendement peut être réglementé ; c'est-à-dire que les assemblées peuvent fixer un délai au delà duquel il est interdit de déposer de nouveaux amendements : ce délai est celui de l'examen en commission. Le Gouvernement peut également demander un vote d'ensemble pour rejeter une série d'amendements.

Ensuite le Gouvernement peut hâter la discussion législative en provoquant, après qu'une première lecture dans chaque chambre ait révélé des oppositions, la réunion d'une commission paritaire de députés et de sénateurs. Le texte issu des délibérations de cette commission est proposé aux deux chambres. Au cas où cette procédure n'aboutit pas, et après un nouvel examen par les deux chambres, le Gouvernement peut demander à l'Assemblée nationale de statuer en dernier ressort. Cette procédure a fait ses preuves à l'étranger. Elle est de nature à créer une véritable et efficace délibération parlementaire.

Cette description de la nouvelle procédure législative ne serait pas

complète si elle n'était suivie de l'indication des règles précises que le projet fixe à la procédure budgétaire. Le temps des débats est limité pour les deux chambres et les amendements qui diminuent les recettes ou augmentent les dépenses sont interdits. Quand le temps des débats est écoulé - à condition que le budget ait été déposé en temps voulu -, le Gouvernement peut promulguer la loi de finances. Les expériences que nous avons vécues depuis trop d'années justifient cette procédure qui peut paraître brutale à qui ne connaît pas la brutalité semblable de tous les régimes parlementaires disciplinés.

Une dernière innovation est à signaler, dont l'objet est de diminuer l'arbitraire, tant gouvernemental que parlementaire, en tout ce qui touche les pouvoirs publics. La Constitution ne peut pas tout réglementer en ce domaine. Il n'est pas bon, cependant, qu'une loi soit hâtivement rédigée et votée. Une procédure particulière, simplement marquée par un long temps de réflexion et des pouvoirs accrus du Sénat est destinée à faire des lois organiques des textes dotés d'une plus grande stabilité, c'est-à-dire, comme il se doit, entourés d'un plus grand respect. Le fonctionnement des assemblées, les grandes règles de l'organisation de l'Etat, la magistrature feront l'objet, notamment, de lois organiques.

4° Le projet de Constitution, rédigé à la lumière d'une longue et coûteuse expérience, comporte certains mécanismes très précis qui n'auraient pas leur place dans un texte de cette qualité si nous ne savions qu'ils sont nécessaires pour changer les moeurs. Quand on veut briser de mauvaises habitudes, il faut de rigoureux impératifs. C'est dans cette catégorie de mesures qu'il faut ranger l'obligation du vote personnel, les incompatibilités qui accompagnent la fonction

Page 96: td_semestre_1rev.doc

ministérielle, le contrôle de la constitutionnalité des lois, enfin la procédure minutieuse de la motion de censure.

L'obligation de vote personnel est une exigence morale et politique à la fois. Depuis plus d'un demi-siècle le Parlement français est le seul au monde qui puisse délibérer en l'absence de parlementaires, grâce au système inouï des " boîtiers ". On ne peut, à la vérité, trouver meilleure preuve du régime d'assemblée, car ce mécanisme permet d'assurer la permanence parlementaire et de réduire en servitude le Gouvernement. Aucun effort réglementaire n'a permis de redresser la situation. Bien au contraire, le recours, dans la précédente Constitution, à des majorités qualifiées pour des votes, sinon ordinaires, du moins courants, a abouti à donner obligatoirement le caractère constitutionnel au vote par délégation. On ne peut imaginer manifestation plus nette, ni cause plus dangereuse, de la déviation de notre régime. La délégation de vote est si coutumière que le projet n'a pas osé l'annuler totalement, mais les dispositions prises doivent le faire disparaître. La délégation, en effet, doit demeurer très exceptionnelle. Quand elle sera admise, nul ne pourra avoir plus de deux bulletins. C'est déjà un immense et profond changement et il faut souhaiter que la loi d'application soit des plus strictes.

L'incompatibilité des fonctions ministérielles et du mandat parlementaire a fait, et fera encore, couler beaucoup d'encre. On peut estimer en effet qu'une telle mesure n'est pas dans la nature du régime parlementaire. Certes, il faut des incompatibilités, mais, dans les pays parlementaires anglo-saxons, elles existent plutôt entre le mandat local et le mandat parlementaire ; c'est le régime présidentiel qui pratique la césure entre ministre et député ou

sénateur. Cependant, la pratique française, qui ne connaît quasiment aucune incompatibilité, a favorisé l'instabilité d'une manière telle qu'il serait coupable de ne pas réagir ! La fonction ministérielle est devenue un galon, une étoile ou plutôt une brisque comme les militaires en connaissent et qui rappelle une campagne. On reconnaît les politiciens chevronnés au nombre de brisques qu'ils portent sur la manche ! Le pouvoir n'est plus exercé pour le pouvoir : il est ambitionné pour le titre qu'il donne et les facilités de carrière ou d'influence qu'il procure à ceux qui l'ont approché ou qui sont susceptibles de l'approcher encore. Au début de la IIIe République, les moeurs étaient différentes. C'était le temps où le vote personnel était encore de rigueur et les parlementaires qui devenaient ministres ne votaient plus, ne siégeaient plus. Jules Ferry, à la veille du débat sur l'affaire de Langson, dont il devinait qu'il pouvait lui être fatal, rappela cependant cette règle à ses ministres. Quelle chute dans nos moeurs depuis cette époque ! La règle de l'incompatibilité est devenue une sorte de nécessité pour briser ce qu'il était convenu d'appeler la " course aux portefeuilles ", jeu mortel pour l'Etat. Le projet l'étend de telle sorte qu'il est bien entendu pour tous que l'on ne pourra désormais accéder à une fonction ministérielle qu'à condition de s'y consacrer entièrement.

Il fallait enfin supprimer cet arbitraire parlementaire qui, sous prétexte de souveraineté, non de la nation (qui est juste), mais des assemblées (qui est fallacieux), mettait en cause, sans limites, la valeur de la Constitution, celle de la loi et l'autorité des gouvernements.

La création du Conseil constitutionnel manifeste la volonté de subordonner la loi, c'est-à-dire la volonté du Parlement, à la règle

Page 97: td_semestre_1rev.doc

supérieure édictée par la Constitution. Il n'est ni dans l'esprit du régime parlementaire, ni dans la tradition française, de donner à la justice, c'est-à-dire à chaque justiciable, le droit d'examiner la valeur de la loi. Le projet a donc imaginé une institution particulière que peuvent seules saisir quatre autorités : le Président de la République, le Premier ministre, les deux présidents d'assemblées. A ce conseil d'autres attributions ont été données, notamment l'examen du règlement des assemblées et le jugement des élections contestées, afin de faire disparaître le scandale des invalidations partisanes. L'existence de ce conseil, l'autorité qui doit être la sienne représentent une grande et nécessaire innovation. La Constitution crée ainsi une arme contre la déviation du régime parlementaire.

La difficile procédure de la motion de censure doit tempérer le défaut que nous connaissons bien et depuis trop longtemps. La question de confiance est l'arme du Gouvernement, et de lui seul. Les députés ne peuvent user que de la motion de censure, et celle-ci est entourée de conditions qui ne sont discutées que par ceux qui ne veulent pas se souvenir. L'expérience a conduit à prévoir en outre une disposition quelque peu exceptionnelle pour assurer, malgré les manoeuvres, le vote d'un texte indispensable.

[…] 

IV. Le Président de la République

Si vous me permettez une image empruntée à l'architecture, je dirai qu'à ce régime parlementaire neuf, et à cette Communauté qui commence à s'ébaucher, il faut une clef de voûte. Cette clef de voûte, c'est le Président de la République.

Ses pouvoirs

Chaque fois, vous le savez, qu'il est question, dans notre histoire constitutionnelle, des pouvoirs du Président de la République, un

curieux mouvement a pu être observé : une certaine conception de la démocratie voit, a priori, dans tout Président de la République, chef de l'Etat, un danger et une menace pour la République. Ce mouvement existe encore de nos jours. N'épiloguons pas et admirons plutôt la permanence des idéologies constitutionnelles.

Le Président de la République doit être la clef de voûte de notre régime parlementaire. Faute d'un vrai chef d'Etat, le Gouvernement, en l'état actuel de notre opinion, en fonction de nos querelles historiques, manque d'un soutien qui lui est normalement nécessaire. C'est dire que le Président de notre République ne peut être seulement, comme en tout régime parlementaire, le chef d'Etat qui désigne le Premier ministre, voire les autres ministres, au nom de qui les négociations internationales sont conduites et les traités signés, sous l'autorité duquel sont placées l'armée et l'administration. Il est, dans notre France, où les divisions intestines ont un tel pouvoir sur la scène politique, le juge supérieur de l'intérêt national. A ce titre, il demande, s'il estime utile, une deuxième lecture des lois dans le délai de leur promulgation (disposition déjà prévue et désormais classique) ; il peut également (et ces pouvoirs nouveaux sont d'un intérêt considérable) saisir le Comité constitutionnel s'il a des doutes sur la valeur de la loi au regard de la Constitution. Il peut apprécier si le référendum, qui doit lui être demandé par le Premier ministre ou les présidents des assemblées, correspond à une exigence nationale. Enfin, il dispose de cette arme capitale de tout régime parlementaire qui est la dissolution.

Est-il besoin d'insister sur ce que représente la dissolution ? Elle est l'instrument de la stabilité gouvernementale. Elle peut être la récompense d'un Gouvernement

Page 98: td_semestre_1rev.doc

qui paraît avoir réussi, la sanction d'un Gouvernement qui paraît avoir échoué. Elle permet entre le chef de l'Etat et la nation un bref dialogue qui peut régler un conflit ou faire entendre la voix du peuple à une heure décisive.

Ce tableau rapidement esquissé montre que le Président de la République, comme il se doit, n'a pas d'autre pouvoir que celui de solliciter un autre pouvoir : il sollicite le Parlement, il sollicite le Comité constitutionnel, il sollicite le suffrage universel. Mais cette possibilité de solliciter est fondamentale.

En tant que Président de la Communauté, le Président de la République dispose de pouvoirs qui ne sont pas de même nature, car il n'est plus, là, le chef d'un Etat parlementaire. Il est le chef d'un régime politique collégial, destiné par l'autorité de son Président, et par l'autorité des gouvernements membres, à faciliter la création d'une politique commune. Le Président de la Communauté représente toute la Communauté et c'est à cet égard que son autorité en matière de défense nationale et d'affaires étrangères est essentielle. Il préside le Conseil exécutif, il saisit le Sénat de la Communauté.

A ces pouvoirs normaux de chef de l'Etat, soit en tant que Président de la République parlementaire, soit en tant que Président de la Communauté, le projet de Constitution ajoute des pouvoirs exceptionnels. On en a tant parlé qu'on n'en parle plus, car, sans doute, certains esprits s'étaient un peu hâtés de critiquer avant de lire attentivement. Quand des circonstances graves, intérieures ou extérieures, et nettement définies par un texte précis, empêchent le fonctionnement des pouvoirs publics, il est normal à notre époque dramatique, de chercher à donner une base légitime à l'action de celui qui

représente la légitimité. Il est également normal, il est même indispensable, de fixer à l'avance certaines responsabilités fondamentales. A propos de cet article on a beaucoup parlé du passé. On a moins parlé de l'avenir, et c'est pourtant pour l'avenir qu'il est fait. Doit-on, en 1958, faire abstraction des formes modernes de guerre ? A cette question la réponse est claire : on n'a pas le droit, ni pour ce cas ni pour d'autres, d'éliminer l'hypothèse de troubles profonds dans notre vie constitutionnelle. C'est pour l'hypothèse de ces troubles profonds qu'il faut solennellement marquer où sont les responsabilités, c'est-à-dire les possibilités d'action.