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REPÈRES POUR MAYOTTE

HistoireGéographie2de

Sous la direction de Jacques Chérel et François Eglin, Professeurs d’Histoire-Géographie au lycée de Mamoudzou

et avec la participation des professeurs d’Histoire-Géographie du lycée de Mamoudzou :Joëlle Andrieu, Olivier Chauveau, Sandrine Chunlaud, Bruno Maris, Emmanuel Pauly, Patrice Roth

En partenariat avec le Vice Rectorat de Mayotte

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Remerciements à :

Archives de la Marine de Lorient (R. Estienne)

Sophie Bouffard

M. Bourlaud (IA-IPR)

Jean-François Hory

Kwezi

Vincent Lietar

Henri-Daniel Liszkowski

Mayotte Hebdo

Musée des Ducs de Bretagne, Nantes

© 2004, Éditions du Baobab,

place mariage, BP 172 Kawéni, 97600 Mamoudzou, Mayotte

CDP, Conseil Général de Mayotte et Vice Rectorat de Mayotte.

Textes et schémas : J. Andrieu, J. Cherel, O. Chauveau, S. Chunlaud, F. Eglin, B. Maris, E. Pauly, P. Roth

Photo de couverture : Porte d’une des chaudières de l’usine sucrière d’Hajangoua, F. Eglin et A. Fabbri

Correction : J. Andrieu, D. Colombet, L. et D. De Smedt

Conception réalisation : Archipel

Impression : Imprimerie Barnéoud

Dépôt légal : septembre 2004

ISBN : 2-908301-54-7

Reproduction, en toute ou partie, interdite

www.editionsdubaobab.com

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e voudrais en premier lieu remercier toute l’équipe, enseignants d’Histoire-Géographie, qui a travaillé avec créativité, talent et efficacité à la rédactionde cet ouvrage.

Il n’était que trop temps que, à Mayotte, des enseignants, à l’image de leurscollègues des régions ultramarines de la France, s’intéressent à l’adaptation desprogrammes nationaux, d’Histoire, de Géographie et d’Éducation civique juridiqueet sociale, aux réalités de Mayotte.

Désormais, dans l’ensemble des lycées de Mayotte, les élèves de la classe deseconde, qu’ils soient mahorais ou métropolitains, pourront, ensemble, découvrirla richesse de la culture, du patrimoine, de la Géographie et de l’Histoire deMayotte.

L’objectif pédagogique recherché est ambitieux :- aborder les fondements du monde contemporain en partant de l’âge d’or swahilipour en arriver à l’économie de plantation à Mayotte à la fin du XIXe siècle- illustrer l’occupation et l’aménagement du territoire à Mayotte- traiter de la citoyenneté et de la réforme de l’État Civil à Mayotte.

La démarche pédagogique est riche. La présentation des différents thèmes abordéssous forme de dossier permet :- d’appréhender, à l’aide de documents variés et illustrés, les données fondamentales- mais aussi de suggérer différents thèmes d’activités aux élèves.

Il n’est plus qu’à souhaiter que cet ouvrage soit le premier d’une longue série, afinque différentes disciplines puissent être abordées avec cette même démarche.

Philippe Couturaud, Vice Recteur de Mayotte.

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isposer de repères sur l’histoire et sur l’espace de son pays est nécessaireà l’équilibre des sociétés et des individus et est indispensable à laconstruction d’un avenir maîtrisé.

Alors que de nouveaux programmes en Histoire et Géographie se mettent enplace au lycée, la référence aux réalités mahoraises est indispensable.Le BO du 24 février 2000 rend obligatoire l’adaptation des programmes aux réalitéslocales dans les DOM… même si ce texte ne s’applique pas immédiatement àMayotte.

Comment les réalités locales, passées et actuelles, s’inscrivent-elles dans deséchelles régionales et mondiales ? Comment Mayotte appartient-elle au mondede l’Océan Indien, de l’Afrique et de la Planète Terre tout en partageant un destincommun avec l’Europe? La prise en compte de ces réalités locales permet d’éclaircirdes concepts généraux, et inversement comprendre ces réalités exige d’avoir recoursà ces concepts.

Cette démarche doit cependant concilier deux exigences. Elle doit d’abord s’intégreraux programmes, sans venir en surcharge, car le temps scolaire n’est pas extensible.Ensuite, elle doit tenir compte du fait que les élèves préparent des examensnationaux. Aussi, des choix pédagogiques sont à faire.

Ce manuel a comme ambition de fournir les REPÈRES indispensables poureffectuer ces choix, pour contribuer à la recherche scientifique et didactique pourune meilleure approche de Mayotte et à l’adaptation des programmes. Chaque dossierpropose une petite synthèse des connaissances, des documents, des activitésavec des questions, en liaison avec le programme de la classe de 2de. Un futurlivret du professeur apportera des compléments, il sera publié par le CDP.

Il s’adresse à un large public en rendant accessible une documentation souventdispersée et en proposant des pistes nouvelles sur bien des sujets.

Tout ce travail a été possible grâce à un esprit d’équipe. De nombreux collèguesont apporté leur contribution, expérimenté les séquences, relu les dossiers. Ce futun formidable travail d’équipe. Concertations, débats, expérimentations d’activitésont enrichi chaque dossier. Monsieur Le Vice-recteur, Monsieur l’Inspecteur ontapporté soutien et encouragement.Après les départs de collègues en fin de contrat, la relève a été assurée. PatriceRoth et François Eglin ont assumé la continuité de la coordination et la responsa-bilité de la publication. Grâce à eux ce travail a pu aboutir.

Loin d’apporter une vision définitive, cet ouvrage est une incitation au débat et àla poursuite de la recherche.

Jacques Chérel, coordinateur du projet (juillet 2002).

I N T R O D U C T I O N

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histoire comme la géographie s’appréhende à différentes échelles. Du localau mondial, du particulier à l’universel, l’étude historique ou géographiques’enrichit et s’approfondit de ce va-et-vient permanent. Il n’y a donc aucune

contradiction entre l’étude du local et celle, plus générale, des programmesofficiels. Bien au contraire !

L’apprentissage et la connaissance du monde et de son histoire commencent parl’environnement immédiat de l’élève. Cette évidence, reconnue dès les débuts del’école de Jules Ferry, a été malheureusement trop longtemps oubliée. S’il estessentiel de donner à tous les petits français un même ensemble de référenceshistoriques et géographiques pour constituer une culture commune, il est nonmoins essentiel de permettre à chacun de connaître ses origines, l’histoire singulièreet particulière de sa terre tout comme de mieux comprendre son environnementgéographique. Car la finalité d’un enseignement d’histoire, de géographie n’estpas seulement culturelle et intégrative mais elle est avant tout civique. L’école areçu mission de permettre aux garçons et aux filles de s’approprier et de maîtriserles connaissances et les compétences qui leur permettront d’être les citoyens etles travailleurs du monde de demain.

Mais ce monde futur, il commence ici et maintenant. C’est donc ici et maintenant,en partant de ce qui est proche de nos élèves, qu’il faut les aider à acquérir lessavoirs pour. comprendre quels sont les problèmes et les enjeux qu’ils auront àaffronter comme citoyens.

C’est pour affirmer avec force ce principe que la mise en œuvre des programmess’appuie toujours sur des approches localisées, quelles que soient les questions àtraiter. Conçues pour l’espace métropolitain, ces approches sont coupées desréalités que nous connaissons à Mayotte ou à La Réunion. C’est pourquoi desadaptations des programmes nationaux existent pour les différents Départementsd’Outre Mer et pour les Territoires d’Outre Mer. Ces adaptations s’insèrent dansles programmes par des approches locales mais ne s’y ajoutent pas. Car il nes’agit pas de les alourdir.

Il était donc particulièrement important de réaliser un ouvrage consacré àl’histoire et à la géographie de Mayotte. Pour connaître le passé de l’île, pour lereplacer dans l’histoire de la région, de l’Océan Indien, de la France et du monde,pour connaître également la place de l’île et de ses relations aux différenteséchelles spatiales.

Je remercie bien vivement l’équipe de professeurs, coordonnée par JacquesChérel, qui a su mener à bien ce travail essentiel, tout à fait bénévolement.À l’avenir les élèves et leurs professeurs auront à leur disposition un supportpédagogique commode et de qualité pour entrer dans la connaissance du monde,de sa géographie et de son histoire, par la porte « Mayotte ».

Michel Bourlaud IPR - IA d’Histoire et de Géographie

P R É F A C E

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INTRODUCTIONPRÉFACE

APPRENDRE A CONSTRUIRE L’HISTOIRE :LES FONDEMENTS DU MONDE CONTEMPORAIN

Mayotte et l’âge d’or swahili : un carrefour de civilisations (XIIe - XVe siècle) J. ChérelProgramme : la Méditerranée au XIIe

L’Océan indien et les grandes découvertes :l’archipel des Comores, étapes de rafraîchissement (XVe - XVIe) J. ChérelProgramme : Humanisme et Renaissance

Compagnie des Indes et Comores sous l’Ancien régime et la Révolution (XVIIe - XVIIIe) J. ChérelProgramme : Révolution française, rupture avec l’Ancien Régime

Présence française et fin de l’esclavage dans l’Océan indien durant la Révolution et la première moitié du XIXe J. Andrieu, F. EglinProgramme : Révolution française et Droits de l’Homme

Économie de plantation à Mayotte au XIXe siècle : une révolution industrielle coloniale F. EglinProgramme : L’Europe, nouvelle économie et le monde

La légende du BWI

PETIT ATELIER MAHORAIS DE GÉOGRAPHIE :LES HOMMES OCCUPENT ET AMÉNAGENT LA TERRE

Mayotte, une petite île de l’Océan indien face aux enjeux de la planète J. Chérel

La population à Mayotte : le modèle démographique mahorais ? B. Maris, J. Chérel, P. Roth, F. Eglin

Programme : 6 milliards d’hommes

PARTIE 1

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SOMMAIRE

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Nourrir les hommes à Mayotte et à Madagascar J. Chérel, P. Roth, O. Chauveau, F. EglinProgramme : nourrir les hommes

Maîtriser l’eau à Mayotte E. PaulyProgramme : l’eau entre abondance et rareté

Mamoudzou Petite Terre : l’agglomération capitale P. RothProgramme : dynamique urbaine et environnement urbain

Du village à la ville : Mamoudzou face aux défis du présent et de l’avenir P. RothProgramme : dynamique urbaine et environnement urbain

Mayotte et la mer S. Chunlaud, F. Eglin, P. Roth Programme : les littoraux, espaces attractifs

Les cyclones à Mayotte : les sociétés face aux risques naturels S. Chunlaud, F. EglinProgramme : les sociétés face aux risques

ÉDUCATION CIVIQUE JURIDIQUE ET SOCIALE

La réforme de l’État Civil à Mayotte E. Pauly

ANNEXES

Repères chronologiques

PARTIE 3

PARTIE 4

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Mayotte et l’âge d’or swahili : un carrefour de civilisations (XIIe-XVe siècle)

Mayotte : un métissage culturel ?

Mayotte et « l’âge d’or swahili »

L’ensemble Swahili : l’originalité culturelle de l’Afrique orientale

L’Océan Indien et les grandes découvertes :« l’archipel des Comores, étape de rafraîchissement »

Les routes des épices : la mise en place de l’« espace monde »

Chinois et Indiens dans l’Océan indien au XVe siècle

Les progrès scientifiques, clés du succès des Portugais ?

La « découverte » de Mayotte et des Comores au xve siècle : des escales de « rafraîchissement » sur la route des Indes

L’évolution des représentations de l’Océan indien

Compagnie des Indes et Comores sous l’AncienRégime et la Révolution : (XVIIe-XVIIIe siècle)

La présence française dans l’Océan Indien

L’archipel des Comores et les grandes routes commerciales

La compagnie des Indes : reflet de l’absolutisme royal

La révolution, les libertés et la compagnie des Indes

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PARTIE 1

Apprendre à construire l’Histoire…Les fondements du monde contemporain

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Présence française et fin de l’esclavage dans l’Océan Indien durant la révolution et la première moitié du XIXe siècle

La population esclave de Bourbon au lendemain de l’abolition de la traite (1817)

Traite illégale et razzias malgaches dans l’Océan indien (1793-1814)

L’exception mahoraise

L’économie de plantation à Mayotte au XIXe siècle :une révolution industrielle coloniale

La production sucrière : une production mécanisée

Les migrations du travail : l’immigration sucrière

Les conditions de travail et de vie : salariés ou esclaves ? (révolte de 1856)

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La Mosquée de Polé © Bruno Marie, Archipel

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Mayotte et l’âge d’or swahili :un carrefour de civilisations (XIIe-XVe siècle)

Mayotte : un métissage culturel ?

Mayotte et « l’âge d’or swahili »

L’ensemble Swahili : l’originalité culturelle de l’Afrique orientale

I

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documents

IVe VIe Xe XIe XIIe XIIIe XIVe

fin des Abassides (Bagdad) et chute de Chiraz ; émigration présence de perses et d’Arabes à Mayotte

essor des Cités États swahilies de l’Afrique orientale,arrivée de marchands de chiraziens chiites, puis de chiraziens sunnites aux Comores.

présence à Mayotte d’Indiens musulmans (soufi) selon

l’archéologie ; œuvre d’Idrissi

arrivée d’Indonésiens (les Mafani) et de Bantous swahilis musulmans

présence de Bantous (Zendj) sur la côte africaine puis dans les îles (Beja, Wamizi)

passages de marins et marchands indonésiens et malais (WakWak)

REPÈRES CHRONOLOGIQUES

Les tombeaux de Tsingoni © Bruno Marie, Archipel

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LE POINT…

L’Afrique swahilie (« rivage » en arabe) est le prolongement de la Méditerranée musulmane enOcéan Indien. Elle est une région de contacts de civilisations africaines (bantoues, nilotiques),indienne, malaise et arabo-persanne (cf. la chronologie). En effet très tôt des marchands arabo-persans se sont installés le long de la côte africaine sur des îles ou dans des estuaires. Ils ont créé des Cités États, qui sont devenues des centres attractifs où s’opérèrent les échangesentre cultivateurs, forgerons bantous ou nilotiques et marchands indiens ou arabes. Une civilisationmétissée s’est développée, avec une langue originale, le swahili. Dès le XIIe siècle, le célèbre géographe arabe Al Idrisi témoignait de l’existence de ce pays bantou des Zandjs (origine du motZanzibar) et des îles de la Lune (Komr… Comores) dans sa « Première Géographie de l’Occident ».

L’Islam s’est installé par vagues successives. Celle des chiraziens aux XIIIe et XIVe siècles, a cherchéà imposer le sunnisme. Si la religion musulmane constitue le lien socioculturel, elle n’efface pas les cultes africains animistes, qui perdurent à travers de nombreux rites et pratiques. Une vision originale du monde en découle : des « lieux maléfiques occupés par les djinns noirs (poulet ou zébunoirs) s’opposent aux lieux bénéfiques soumis aux djinns lumineux arabo-persans » (J.-L. Guébourg).

Les grandes cités de Sofala, de Kilwa, de Zanzibar, de Mombasa, de Lamu… forment « l’arc swahi-li » le long de la côte orientale de l’Afrique. Elles sont organisées en réseaux jusqu’aux îles des Comores et au nord de Madagascar. Elles entretiennent des relations régulières avec le GolfePersique et l’Inde selon un commerce maritime « quadrangulaire ». Les voyages des navires sontrythmés par la direction des vents et des courants.

Ces « Cités États » se sont développées à partir du port, souvent une simple plage, sur laquelle des « bateaux de toile » et des boutres viennent s’échouer à marée basse. Dans les entrepôts s’entassent les produits, dont le trafic enrichit une société de commerçants. La ville est blanche carle matériau utilisé est le corail, associé à la pierre volcanique noire aux Comores. Les habitationssont regroupées autour de la mosquée et du palais du sultan. À l’extérieur du n’gomé (fortification)se trouvent les faubourgs (n’gombo) aux cases de pierre et toits de palme. On peut parler d’un « âge d’or swahili » du XIVe au XVIIIe siècle, tant sont actifs Zanzibar, Lamu, Ngazidja, Anjouan…

Mayotte participe à ce monde swahili. L’île est « une plaque tournante et le microcosme de l’OcéanIndien occidental » (Allibert). L’ensemble constitué par les Comores et le nord de Madagascar apparaît comme la marge ultime du monde « méditerranéen ». Il est à la fois un « pont » entreMadagascar et l’Afrique, une destination du monde indien, un élément du monde musulman arabo-persique, un relais entre l’Orient et la Méditerranée.

Sur un fond africain, sans cesse renouvelé, les « hommes ont ainsi transposé des parcelles de civilisation » sur cette côte (J.-L. Guébourg). Un espace swahili est né des contacts noués par des échanges séculaires. On peut donc définir la civilisation swahilie comme une civilisation de contacts. C’est l’apport fondamental de l’Afriqueorientale à la civilisation humaine.

ITINÉRAIRE :

Ce dossier aborde le thème de la rencontre et des contacts de civilisations. Il porte sur les différentesinfluences qui ont contribué à façonner la culture métissée de Mayotte et plus largement del’Afrique orientale swahilie. L’étude évoque l’influence de l’Islam dans un milieu animiste, « l’âge d’or swahili » particulièrement favorable à la rencontre de civilisations. L’Afrique orientale est donc une région remarquable de carrefour entre des civilisations différentes. À ce titre elle peutêtre étudiée en complément de la « Méditerranée au XIIe siècle ». La diversité des sources permetune petite réflexion sur les sources et les méthodes historiques.

J. Chérel

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documents

I Mayotte : un métissage culturel ?

A. La fondation de Tsingoni

Doc. 1 Le Roi Mwalimu Boro et les Arabes

« Il a appelé sa sœur. Elle est venue. Il lui a dit : « Toi ma sœur, je ne vivrai pas au même endroit que toi. Je veux t’envoyerdans une autre ville. » Il l’a envoyée à Tsingoni. Ce sont eux les premiers monarques de Mayotte. Lui le Roi était ici àM’tsamboro. Il s’appelait Mwalimu Boro. Sa sœur s’appelait Fan Tsingoni. Mwalimu Boro respectait l’Arabe, car il était instruit.Ce roi était mahorais, il avait du sang chendzi (du sang de noir). Les Arabes ? ils étaient des maîtres, foundi. Dans chaque école,ils assuraient un enseignement et une fois leur travail terminé, ils partaient. »

Chronique et tradition orale, Cahiers des archives n° 1- 1997, récits de personnes âgées : 1997.

Doc. 2 L’arrivée des chiraziens

« Trois frères auraient quitté Chiraz, suite à la rébellion sunnite de 1397-1398. L’un s’arrêta à Pate, en contact avec Anjouan ;un autre, Mohammed, s’établit à la Grande Comore, le troisième, Athman, à Mayotte. Ce dernier y épousa la fille de Massilahade M’tsamboro. Haissa d’Anjouan épousa ensuite la fille de son frère Athman et s’installa à Tsingoni pour y construire la mosquéeen 1441 ».

Chronique de Sheik Mkadara 1933 ; citée par C. Allibert.

Doc. 3 Le mythe fondateur de la société féodale à Mayotte

«Deux princesses d’un pays de la côte orientale de l’Afrique, proche de Zanzibar abandonnèrent leur patrie à la suite d’uneguerre et trouvèrent refuge aux Comores. Embarquées sur un boutre avec une suite nombreuse, elles abordèrent à Mayottesur la côte occidentale, dans la baie de Chingoni. Se dirigeant vers le centre du pays, elles se fixèrent à un endroit, l’actuelKwalé.L’aînée des princesses, s’appelait Mamoukoualé et la cadette Matsingo. Un jour une querelle assez vive éclata entre elles et lacadette se décida à quitter sa sœur et à aller vivre ailleurs. Elle partit en emmenant ses partisans. C’était une « mwalimou(1) » :elle avait toujours avec elle un coq rouge très grand, qu’elle adorait. S’adressant aux gens de sa suite, elle leur dit : « voyez cecoq(2), je lui attache un « hirizi » (gri-gri) au cou ; il va marcher devant nous et nous montrer le chemin. Suivons cet animal, etlà où il s’arrêtera, sera le terrain favorable pour bâtir le village. Le coq s’arrêta là où se trouve Tsingoni.Amadi Charifu, prince swahili, s’enfuit également de son pays pour éviter les guerres civiles et débarqua à Soulou. Il futaccueilli solennellement par la princesse Matsingo. Elle devint plus tard son épouse. De leur union naquit Foméali, qui fut lepremier Béja(3) de Mayotte. Ce sont ses descendants qui régnèrent à Tsingoni. Le ministre Oiziri du souverain, qui était unsimple roturier africain, nommé Mari, le quitta très peu de temps après son arrivée et alla s’établir à Mamoukwalé : il se mariaavec la princesse.Étant donné sa condition première leurs descendants ne sont pas considérés comme race noble. Les descendants de ces deuxvillages se dispersèrent dans tout Mayotte et contribuèrent à former les autres villages de l’île. Les gens de Kwalé peuplèrentle Nord et l’Est, tandis que ceux de Tsingoni peuplèrent l’Ouest et le Sud. C’est pourquoi les Mahoré de l’Ouest et du Sud sontde teint blanchâtre, ils descendent de la race noble de Amadi et de Matsingo, tandis que les descendants de Mamoukwalé àl’Est et au Nord sont de teint plus foncé. Les premiers ont du sang arabe. »

Texte de Fomeali, dit « Aujas », fils d’Amadi Charifu, prince swahili, et de Matsingo, premier béja de Mayotte - 1911

(cité par C. Allibert « Mayotte » p. 88)

(1) mot arabe : devin, guérisseur, savant en sciences occultes ;(2) le coq est un symbole arabe ou perse.(3) souverain

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documents

B. Les croyances swahilies : la rencontre de l’Afrique et du Monde arabe

Doc. 4 Le monde invisible des djinns

« - Comment fais-tu, Halima, quand il y a quelque chose dans ta vie que tu ne peux régler toi-même? Quand tu dois aller voirquelqu’un, qui vas-tu voir ?- Si j’ai un problème qui me pèse et que je ne sais pas quoi faire, je vais voir le mwalimu(1). - Lequel vas-tu voir ?…- S’il y en a un dans la famille, c’est lui qu’on va voir. Mais pour nous, il habite trop loin.- Et si tu es malade, est-ce que tu vas voir le médecin?- Je vais d’abord voir le mwalimu, c’est lui qui me dit : « Ah, non, ce n’est pas une maladie due à quelque chose (que je doisdécouvrir), c’est une maladie qui se transmet, et tu dois aller à l’hôpital si tu veux être soignée ».- C’est donc le mwalimu qui distingue les différentes sortes de maladies.- Oui, c’est cela.- Si c’est une maladie due à un djinn?- C’est également le mwalimu qui le dit. « ça c’est une maladie de djinn, tu iras chez foundi(2) untel. » Il indique celui qui estpropice, le moment de la journée où on doit y aller…- Comment voit-il cela ?- Il a des cartes, il tire les cartes, ou il utilise les graines, oui il les éparpille et il regarde.(3)

- Et si tu rêves ? - Je vais demander au mwalimu ; « hier j’ai rêvé telle ou telle chose », il va sortir ses cartes et me dire ce que je dois faire, leschoses que je dois aller chercher.- Est-ce qu’on paye le mwalimu?- Oui, on lui paye le shifunga muhono(4) ou encore le shipua mwizi(5).- Donc si cela est nécessaire le mwalimu donne le nom du foundi de djinns, qu’il faut aller voir ?- Quand on apprend qu’on a une maladie due à un djinn, on est satisfait ou ennuyé?- On est ennuyé !- Mais si on est ami avec son djinn, c’est une aide, on a de la chance?- Oui, s’il m’aide… Tu vois, Bako, mon mari, ses ennuis, voilà combien d’années maintenant qu’il n’a pas de travail ? Moi, j’aifait tout ce que j’ai pu, les quelques bijoux que j’avais y sont tous passés(6)! Et puis voilà qu’un jour, j’allais à Mamoudzou…Tout cela c’est le seigneur Dieu, qui est intervenu. Je passe devant chez Ma Hasani, et quand j’arrive chez Maridja Sidi… j’entendsun accordéon qui joue. Et je vois une femme debout devant moi qui me dit : comment ça va, mwamanga(7) ? - Ça va, je vais à Mamoudzou.- Est-ce que tu aurais des problèmes?- Pourquoi ?- Hé ! Vous, on va vous tuer. Toi qui es déjà dans l’adversité, un foundi t’a dit d’aller chercher une poule noire (l’espritd’Afrique), et que le remède serait fait un samedi du huitième mois de la dernière dizaine de lune…- Je ne lui avais rien dit ! Et elle le savait ! C’était le trumba(8), elle avait le trumba dans sa tête. À partir de ce moment-là je nel’ai pas lâchée…- Bon le genre de poulet qui convient pour toi, ce n’est pas le noir, mais un petit poulet rouge, un petit coq… Avec cela tuprendras une « noix kubu(9) » de cocotier… et aussi une noix koma et aussi 2 fois sept coquillages,… plus sept mesures deriz(10)… plus 3 petites pierres rouges de la rivière. Tout cela, tu le prends, tu le mets de côté jusqu’à la nouvelle lune… Etc’est moi-même qui viendrai… »

d’après enquête de S. Blanchy « Le monde invisible dans la vie quotidienne traditionnelle aux Comores »

(1) mot arabe : devin, guérisseur, savant en sciences occultes ;(2) le maître, le savant… ici le spécialiste des djinns ;(3) la règle est la même qu’en Afrique orientale ; il utilise aussi le bao (planchette de sable) (4) sens : « pour attacher la main » ;(5) sens : « pour aller cueillir la racine », c’est-à-dire donner les bonnes plantes.(6) C’est la fortune de la femme, le symbole de sa beauté.(7) belle sœur. En fait pour Halima, c’est le djinn qui parle…(8) djinn malgache, = celui qui boit beaucoup… d’alcool ; l’accordéon signale sa présence !(9) les noix de coco se distinguent : koma : petite noix sans chair, koma : noix verte avec eau… Elles entrent dans la confection des amulettes (hirizi).

Chez les Indiens elle est le symbole de pureté.(10) Les chiffres 7,3 sont bénéfiques…

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Doc. 5 Le gnoma za madjini (le concert des djinns) ou le phénomène de possession

« Une femme, atteinte de maux de tête et de convulsions, est placée sous un drap blanc dans une maison… Par un signe dufoundi, tous les adeptes, toujours disposés en cercle, se mettent à genoux et chantent tous ensemble d’une voix, un récit defoi : « Madadi ya Djaïlani, maladi ya Djaïlani, Haouthou ya Haouthou, madadi ya Djailani »Puis un autre chant, toujours en arabe, à base coranique, accompagné du rythme des tambours suit. Sa main droite sur lapoitrine se soulève, s’abaisse, frappe au sol, à droite, à gauche et revient à la poitrine en cadence. Soudain, la nouvelle adeptesous les draps blancs, s’écroule et pousse des cris stridents. Elle est en transe, s’agite comme un animal égorgé et en agonie.Le foundi s’empare du vase de braises, c’est alors que le djinn décide de se présenter « je m’appelle Ibn Idarouss et ma ville,c’est Aden… »La possédée prend les flacons de parfum et asperge les participants auxquels on fait passer les offrandes. Elle parfume ensuitesa farassi (une chèvre blanche) et veut l’enfourcher, mais l’animal s’agite et elle le laisse tranquille. Quelques minutes après,les esprits s’en vont et ces gens qui étaient à l’instant inconscients, se relèvent du sol et ouvrent des yeux innocents en demandantce qui s’est passé. »

« séance » du 6 août 1984, à partir de 21 heures, à Mitsamiouli, (Comores) rapportée par S. Blanchy

Doc. 6 Le syncrétisme religieux

«Au XIVe siècle, période durant laquelle le mysticisme était beaucoup plus prospère, les souverains, émirs, riches particulierscréèrent des institutions mystiques comme les hanqah, d’origines persanes abritant des soufis, les zawiya (ou ziraya), lieu sacré(comme à Polé)… Dans sa stratégie de conquête, l’Islam, pour se légitimer comme seule religion détentrice de la vérité a tentéde jeter le discrédit sur les pratiques religieuses d’avant l’islamisation. On pourrait aller jusqu’à dire, sans exagération aucune,que le nom de « concert des djinns » a été donné par la culture savante de la nouvelle religion, pour discréditer les pratiquespopulaires. Mais jamais elle n’a réussi à les faire disparaître : on trouve toujours dans la nouvelle religion des vestiges del’ancienne… D’où le terme de syncrétisme qu’on emploie souvent pour rendre compte de ce phénomène. »

d’après A. C. Ahmed « Islam et politique aux Comores » p. 47…

C. Quelle est l’origine des langues parlées à Mayotte ?

Doc. 7 Le shimaoré : une langue bantoue aux héritages divers

« Mayotte par son appartenance à l’aire bantoue et ses attaches à l’aire malgache affirme par ses langues une partie de sonhistoire. Elle parle le shimaoré, une langue bantoue marquée par la culture sudarabique et ayant une ressemblance avec diversdialectes swahilis de l’Afrique orientale… L’île possède un bilinguisme important avec les dialectes antalaotse et malgache(shibushi) : c’est-à-dire malayo-polynésien… Il s’agit d’un apport ancien, qui remonte aux premières venues malgaches dansl’archipel. De fait l’univers bantou et le monde malayo-polynésien s’interpénètrent avec des migrations malaises ou indonésienneset des migrations africaines, certaines sans doute bien avant le Xe siècle »

d’après C. Allibert, « Mayotte, microcosme de l’Océan Indien » p. 174

NOMS SWAHILIS :Mont Choungui : en swahili « shungi » = crête, pointe ; Plage N’Gouja : = Zanzibar ;M’Gombani : = bananier ;Mosquée de Polé : = doux, bienveillantVahibe : = grande liane en malgacheVillage de Kwalé : = existe au Kenya Site de Bagamoyo : = village en TanzanieMakua (personne très noire) : = peuple du Mozambique

d’après J. Ph. Brandon, revue des « Naturalistes, Historiens, Géographes de Mayotte » N° 5, 2001

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D. Les Cités arabo-bantoues : Bagamoyo et Polé

Doc. 8 Bagamoyo et Polé (Petite Terre) : village et mosquée (archéologie)

« Bagamoyo est une ville de Tanzanie, face à Zanzibar ; Cette cité est ancienne comme en témoigne la découverte de tessonsde poteries du IXe siècle. Elle paraît se trouver au centre de courants d’échanges entre Chiraz (Golfe Persique), Manda(Kenya) et Madagascar. L’énorme nécropole révèle des éléments montrant la présence de populations d’Afrique australe etd’Asie. C’était un lieu de départ des esclaves. Bagamoyo à Mayotte pourrait être un lieu d’arrivée d’esclaves, comme lemontre la découverte de crânes aux dents ciselées. Une population musulmane s’y est implantée, à partir du XIe siècle, selonles sépultures qui montrent des rites et courants variés. Les traces de four de type malgache indonésien, les objets de filageet de tissage témoignent d’activités nombreuses et d’échanges commerciaux. Au XIVe siècle, le site est prospère.L’organisation sociale semblait de type africain bantou, avec une présence de Swahilis et de descendants des chiraziens.

La mosquée de Polé date du XIVe siècle. Elle est entourée de tombes simples à l’Ouest et du tombeau du fani Kashkazi auNord, le fondateur de la mosquée… Le site continue de jouir d’une grande vénération comme en témoignent les nombreusesfêtes qui s’y produisent, ainsi que les dépôts de bouteilles de « parfum », pratiques relevant davantage de croyancespréislamiques. »

d’après H. D. Liszkowski, « Mayotte et les Comores » - 2000

Doc. 9 Plan de la mosquée de Polé

d’après H. D. Liszkowski, « Mayotte et les Comores » - 2000

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TombeauMihrab

puits

Salle de prière

présence de bouteilles de parfumsalle d’ablutions