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Professeur Jacques Lucan - THA VIII - 2013 Konstantinos Katsas, Thomas Lepelletier, Martin Noël PARTIE ET TOUT IDENTITE ET EXPRESSION

théorie d'architecture, partie et tout

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Professeur Jacques Lucan - THA VIII - 2013Konstantinos Katsas, Thomas Lepelletier, Martin Noël

PARTIE ET TOUTIDENTITE ET EXPRESSION

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Sommaire

Préambule, maison à Con�gnon (GE), localarchitecture 2

La question de l’entité, du rapport au tout 4

Expression de l’entité comme partie 9

Importance relative du tout et de la partie, expression et identité 15

Conclusion 18

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5plan, maison à Con�gnon, localarchitecture

Préambule, maison à Con�gnon (GE), localarchitecture Localarchitecture a terminé il y a peu un projet de maison familiale à

Con�gnon. L’habitation est à peu près centrée sur une parcelle en longueur, tirant partie de la totalité de la surface constructible. Pro�tant de la pente douce, la maison est composée de trois volumes dont la hauteur varie, décalés dans le terrain. Des percements latéraux orientent l’espace vers le jardin de chaque côté. Cette lecture rapide du bâtiment amène à interroger la signi�cation et la valeur de ces trois volumes. Fortement liées dans la lecture d’ensemble, il n’en reste pas moins que ces trois maisonnettes dégagent une certaine autonomie. La notion d’entité, ou de partie, apparaissant dans cette habitation guide cette ré�exion. Quelle position prendre aujourd’hui par rapport à la notion de tout et de partie à l’heure où cette question est souvent résolue par la forme unitaire, où la présence picturale n’a sans doute jamais été aussi forte ? Quelques projets – dont celui de localarchitecture – jouent encore de l’expression a�rmée d’une unité composée, travaillant le rapport de la partie au tout dans un ensemble homogène, cohérent. L’identité des parties et leur expression, relativement à celles du tout, sont à interroger.

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5élévation, maison à Con�gnon, localarchitecture

vue extérieure, maison à Con�gnon, localarchitecture

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La question de l’entité, du rapport au tout

L’entité, « ce qui constitue l’essence d’un être »[1] peut aussi désigner «une chose représentable uniquement par un concept, (ou bien) à laquelle on accorde une existence purement logique »[2]. Il s’agit d’une abstraction considérée comme un être ayant son individualité. Heidegger dans «Being and Time» utilise d’ailleurs ce terme a�n d’éviter d’utiliser le mot «chose». Cela est dû au fait qu’une chose présuppose la compréhension de son existence, au contraire de l’entité qui n'est conçue que par l'esprit. Bref, le terme semble adapté, par la richesse idéologique qu’il présente, et notamment la distinction possible entre matérialité et identité théo-rique.Le problème n’est pas récent. De tout temps, les architectes et théori-ciens ont interrogé la notion de tout et partie a�n d’en dé�nir une vision claire. Sans remonter trop loin, Viollet-le-Duc aborde la question dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture sous le terme Unité. Bien qu’aujourd’hui il semble que ce mot ait évolué, impliquant d’autres enjeux théoriques – rattaché à un paradigme quelque peu di�érent, celui de la forme unitaire – la ré�exion de l’auteur sur un rapport au tout, à l’ensemble dans le projet, est très juste. Appuyant sont propos sur ceux de son prédécesseur Quatremère de Quicy, Viollet-le-Duc dé�nit alors “la loi d'unité s'établit, […] (qui) n'existe que par l'unité d'intention et de conception.” Il en découle un questionnement juste, annonçant sans doute quelques préoccupations chères à Kahn: “Sur quoi établirait-on, en architecture, la loi d'unité, si ce n'était sur la structure, c'est-à-dire sur le moyen de bâtir? Serait-ce sur le goût? Mais le goût, en architecture, est-il autre chose que l'emploi convenable des moyens? Serait-ce sur certaines formes adoptées arbitrairement par un peuple, par une secte? Mais alors, si nous avons à côté de ces formes d'autres formes arbitrairement adoptées par un autre peuple ou une autre secte, nous aurons deux unités.”[3] Par ailleurs, l’auteur poursuit, toujours en référence à Quatremère de Quincy, en rappelant l’existence de «di�érentes sortes d'unités partielles, d'où résulte l'unité générale d'un édi�ce»[4]. Là encore, les unités partielles dé�nies ne semblent plus opérantes dans un contexte contemporain,

[1] Dé�nition du dictionnaire Larousse, issue de www.larousse.fr[2] de�nition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, issue de www.cnrtl.fr[3] Viollet-le-Duc, E. (1856), Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècles, issu de la consultation en ligne fr.wikisource.org.[4]Quatremère de Quincy, (1832) Dictionnaire de l’architecture, Unité

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Entité construite Assemblage d’entité construitedans un système de construction

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reste que le principe d’une déclinaison de l’unité, donc de la cohérence du tout en éléments partiels, paraît encore tangible, par la possibilité de raisonner ainsi à di�érents niveaux de lecture dans le projet. Faudrait-il encore les redé�nir. Le tout du projet se décline ainsi en parties, en entités, auxquelles s’appliqueraient ces règles d’unité partielle. Viollet-le-Duc achève sa ré�exion en mettant en avant une seule unité, dépendant toute entière de la cohérence de l’expression structurelle. Jusque là, la dé�nition spatiale est en rapport à la travée, à la structure. Il en va de même pour l’entité ou la partie. Celle-ci se trouve cependant bouleversée avec les modernes. Le Corbusier et le plan-libre pose la paroi comme élément prépondérant de la subdivision. « La notion de subdivi-sion est capitale car elle sous entend une entité. Cette entité est justement celle de cette structure en ossature […] »[5].La structure reste importante dans ce cas. Elle pré�gure l’entité qui compose le tout mais n’est plus au cœur des relations entre les parties, régies par d’autres principes qui répondraient bien, semble-t-il, à des unités partielles, plus ou moins pondérées. La dissociation amorcée par Le Corbusier entre plan et façade fait apparaître avec plus de clarté le fait que l’unité d’ensemble est bien distincte spatialement et visuellement par exemple.

[5] Mestelan, P. (2005) L’ordre et la règle, p.96, (PPUR)

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L.Kahn énonce aussi a contrario une autre idée de la relation entre tout et partie. Sa recherche d’une libre articulation volumétrique vise à dépas-ser le plan libre en retrouvant la correspondance entre structure et espace. “Une pièce doit être une entité construite ou un segment ordonné d’un système de construction”[6] Dans son projet de l’H.Adler House, l’enti-té élémentaire à plan carré, constituée de quatre piédroits de section carré soutenant une couverture en pavillon et délimitée par des parois non portantes, dé�nit une pièce. L’habitation résulte �nalement de la répétition de cette unité : “Un système à travées est un ensemble de pièces.” Pour L.Kahn une pièce correspond à un espace et à une fonction de la maison. C’est un travail de décomposition de la maison pour ensuite la recomposer.Le même processus est utilisé par L.Kahn pour la réalisation du musée d’art Kimbell. Les entités, ayant les caractéristiques nécessaires d’après l’architecte pour être considérés comme espaces, sont ici juxtaposées et répétées. Il adopte une unité structurelle en béton armé sur base rectan-gulaire. La longue travée se constitue de quatre piédroits et d’un voile à section cycloïdale, incisée au sommet sur toute sa longueur pour permettre le passage de la lumière naturelle. Cette unité est répétée à trois séries a�n de couvrir un espace rectangulaire. L’ensemble des unités dé�nit un espace abrité continu et libre, délimité par des panneaux. Kahn associe l’entité à la pièce, la structure à l’espace, à l’unité. Pourtant, au musée, le rapport qu’entretiennent les parties au tout ne semble pas correspondre simplement à une spatialité. La compréhension est plus �ne, plutôt propre à l’ensemble construit.

[6] Kahn, L. (1969), Silence and Light, dans Lucan, J. (2009) Composition, non-composition : Architec-tures et théories, XIXe-XXe siècles, p.491. (PPUR)

Kimbell Art Museum, Forth Worth, L. Kahn

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En art, la notion de tout et partie trouve une forme très riche, concrète et matérielle. Dans son œuvre, Robbert Morris recherche les rapports et les relations entre di�érentes entités, entre di�érents objets. Dans « Notes on Sculpture » (1966), l’artiste utilise la formule de « forme unitaire » pour décrire des polyèdres, réguliers et simples, ou complexes et irréguliers. Morris aborde ainsi directement la problématique du tout et des ses parties : « […] à l’expérience, il s’avère que […] la con�guration de certains solides se perçoit comme un tout, tandis que pour d’autres elle a tendance à se diviser en parties. »[7] L’irrégularité d’un solide facilite sa fragmentation visuelle alors les volumes les plus simples « o�rent le maximum de résistance à leur appréhension par un observateur en tant qu’objets formés de parties distinctes. Ils semblent dépourvus de lignes de fracture à partir desquelles ils pourraient se diviser […]. »[8] Ce sont les lignes de fracture qui engendrent la fragmentation visuelle d’un polyèdre, et Morris attribue en outre à la forme de certains polyèdres une énergie uni�ca-trice intrinsèque engendrant leur aspect « unitaire ».

[7] Morris, R. (1966) Notes on sculptures, part I, lecture en ligne sur http://mariabuszek.com/uc-d/ContemporaryArt/Readings/MorrisNotesI-II.pdf, mais voir aussi, sous le même titre, Artforum, vol. 14 (1966), n° 6, pp. 42-44.[8] Ibidem 7

performances de Robbert Morris

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Le travail de Morris présente des objets ayant les mêmes attributs, la même couleur, les mêmes dimensions et textures. D’après Morris ces objets o�rent une forte sensation de gesalt car ils sont si fortement liés entre eux en raison de leurs propriétés que les isoler un par un est prati-quement impossible. La perception d’ensemble prime. Cette compré-hension du tout est due à notre expérience de notre perception et non pas à une simple perception des choses. La part phénoménologique est ici à souligner, importante dans la compréhension de l’évolution de la relation entre tout et partie. Ce bref aperçu de ce qu’a pu être, ou de ce que peut être, l’entité et l’unité dans le projet d’architecture, la relation entre les parties et le tout, a le mérite, s’il n’est exhaustif, de mettre en avant le fait qu’il n’y a pas nécessairement de corrélation entre la spatialité, la structure et la logique qui lie et unit les parties d’un tout. Sans pour autant résumer le problème à une question formelle, il semble juste de tenter de com-prendre ce qui peut aujourd’hui in�uencer la conception et régir le rapport entre partie et tout. La maison de localarchitecture présente à ce titre une approche assez classique et conforme à certaines théories évoquées auparavant, mais manifeste aussi d’une contemporanéité certaine dont il sera question. Parallèlement, le projet de Fujimoto pour deux maisons mitoyennes est intéressant, car formellement proche, et pourtant beaucoup plus percutant quant à l’impact pictural sur la gestion de l’équilibre entre tout et partie aujourd’hui.

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Expression de l’entité comme partie

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La maison de localarchitecture présente une approche assez classique et conforme à certaines théories évoquées auparavant, mais manifeste aussi d’une contemporanéité certaine dont il sera question. Parallèle-ment, le projet de Fujimoto pour deux maisons mitoyennes, 7/2 House à Hokkaido, est intéressant, car formellement proche, et pourtant beau-coup plus percutant quant à l’impact pictural sur la gestion actuelle de l’équilibre entre tout et partie. Si cet aspect sera traité plus loin, chacun des projets développe une expression - et donc une signi�cation - bien distincte de l’entité comme partie d’un tout.

vue extérieure, maison à Con�gnon, localarchitecture

vue extérieure, maisons mitoyennes à Hokkaido, Fujimoto

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Le projet de localarchitecture est composé de trois volumes décalés dans le terrain. Chacun dé�nit une «pièce» dont la hauteur varie principa-lement suivant fonction. L’espace de jour (séjour et cuisine) occupe la partie centrale, tandis que la chambre des parents occupe le corps haut de la maison. Les chambres d’enfants sont réparties dans la partie basse du volume. Il y a là une conformation formelle de l’entité en correspon-dance avec une spatialité et une fonction propre au programme. Les espaces sont contenus dans les entités et clos par les pans de toiture de chaque entité, ils sont achevés. Chose importante, chacun possède sa lumière propre, passant par deux larges baies vitrées latérales. La partie et l’espace qu’elle abrite acquièrent par là une certaine autonomie. Le rapport avec la notion de pièce de Kahn semble implicite. L’entre-partie, souligné par la présence de blocs de service, appuyant eux mêmes les limites spatiales, gère les relations entre entités par des règles précises, assez pragmatiques. L’enchaînement de la première chambre, de la pièce principale et de la seconde chambre est linéaire, articulé en deux volées d’escaliers - un pour chaque pièce. L’autonomie de chaque partie se trouve renforcée par ces di�érences de niveau, associées à autant d’espaces clos.Maintenant, il faut aussi admettre l’indéniable continuité visuelle et spatiale de la maison. Les blocs techniques, vus précédemment comme des murs, gardent une distance théorique avec le plafond, concrétisée par la présence d’un joint négatif. L’hypothèse que l’expression assumée des parties permette une plus grande continuité spatiale intérieure semble pouvoir clari�er le paradoxe. La force des entités est de clore, de limiter un espace au delà de sa limite physique. Les trois pièces qui com-posent la maison peuvent ainsi se mettre ouvertement en relation sans bouleverser une lecture spéci�que de chaque espace. Il viendrait alors que plus les parties sont conçues autonomes, cohérentes et intelligibles spatialement et formellement, plus le tout qu’elles forment par leur mise en relation, leur rapport, peut être unitaire. Le résultat est un tout fragmenté par la lecture des entités mais conservant une certaine neutralité et unité, ici exprimées notamment dans les choix de traite-ment du sol et du plafond. Il s’agirait d’un juste équilibre des « lignes de fractures » que dé�nit Morris.

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vue intérieure, maison à Con�gnon, localarchitecture

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Un dernier point, quoi bouleverse la lecture simple d’entités �nies qui se côtoient est la présence d’un quatrième volume, tronqué, accueillant le garage. Cet élément souligne apparemment le principe de répétition liant les parties. Le tout, s’il apparaît unitaire, n’est pas nécessairement achevé. A ce point il semble évident que la dé�nition spatiale ne prime pas, même s’il est importante, dans le principe qui régie le rapport du tout et des parties.

Formellement très proche, le projet de Fujimoto donne une lecture toute autre. La partie se présente ici comme une entité formelle arti�-cielle, au service de l’ensemble plutôt que du programme. Il n’y a appa-remment aucune conformation utilitaire. Les sept maisonnettes appré-ciables depuis l’extérieur pour le visiteur cachent la partition intérieure dictée par le programme de deux petites maisons mitoyennes. A l’inté-rieur, la partition des espaces et des pièces ne suit pas non plus la forme générale de l’ensemble, plus précisément celles des sept toitures à deux pans. En résulte des situations assez exceptionnelles où le revirement de toiture se tient au milieu de la pièce. Il est certain que la toiture prend une force considérable. Toutes les pièces possèdent des dimensions réduites, d’une dizaine de mètres carrés, pour une hauteur convention-nelle de deux à 5 mètres environ. Ces proportions interdisent en soi toute séparation spatiale et �xe son unité. Partant, les deux maisons présente-raient une séquence autonome, unitaire, par son statut de contenu abrité dans un ensemble avec lequel il ne tisse pas de lien. Les perce-ments des fenêtres répondent à une possible logique à l’extérieur, tandis que leurs positions et dimensions intérieures sont déroutantes. De plus, chaque espace ne possède pas sa propre ouverture, dès lors totalement dépendant de la pièce voisine par une fenêtre intérieure. Les deux maisons se développent ainsi comme un enchaînement de pièces - également très linéaire - cette fois-ci fondamentalement liées entre elles.Pourtant, comme à Con�gnon, un paradoxe demeure. La fragmentation est très importante, chaque pièce étant séparée de sa voisine par un mur toute hauteur, et leur relation limitée dès lors à la porte qui conserve son linteau et dans certains cas à la fenêtre intérieure qui distribue la lumière. La relation entre le tout visible de l’extérieur, les entités formelles qu’il présente avec évidence, et les deux parties programmatiques intérieures est complexe.

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Correspondance extérieur - intérieur, habitation à Con�gnon

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Non-correspondance extérieur - intérieur, habitations à Hokkaido

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L’hypothèse serait que les parties que l’observateur appréhende servent un tout plus vaste, d’échelle et d’image sociologique. Moins bien dé�nie pour elle même - dès lors l’inadéquation partie/espace relevée - l’entité laisse plus de place à une lecture mentale d’un ensemble. Le tout, expri-mé ainsi au travers de parties moins fortes, en ce qu’elles ne dé�nissent pas d’espaces propres, est plus cohérent en tant que “tout”. Pour autant, l’espace intérieur, qui n’est pas cadré ou “légiféré” par les entités doit recourir à modalités proches d’une logique de cloisonnement systéma-tique pour être agencé, fragmenté. Il en résulte un tout fort, habilement souligné dans l’en�lade de pièce de la circulation latérale, mais qui se traduit dans un espace intérieur plus irrégulier, discontinu dans sa lecture spatiale.Ici, les volumes extérieurs sont �nis. Rien d’inachevé ou de tronqué, la double maison s’achève en même temps que les sept façades. Le principe de répétition, de justaposition est sensible, ne faisant pour autant pas penser à un bâtiment évidemment �ni.

Dans ce projet plus encore qu’à Con�gnon, le principe ayant conduit à l’élaboration du tout ne s’accorde pas à la spatialité. Autre chose l’in�uence. Le terme entité à été avancé au début de ce travail car il com-prenait une part abstraite dans sa signi�cation propre à permettre de distinguer l’aspect concret, matériel, d’une approche plus théorique. Le projet de Fujimoto est exemplaire de cette distinction. Les entités renvoient à quelque chose de l’ordre de l’abstrait. C’est précisément cette dimension qui fait songer à la validité actuelle de l’hypothèse d’unité partielle.

vues intérieures, habitations à Hokkaido, Fujimoto

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Importance relative du tout et de la partie, expression et identité

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Les deux projets sont formellement très similaires. La forme de l’entité construite à Con�gnon, arti�cielle chez Fujimoto, dérive de l’usage actuel de formes simples, connotées, au fort impact visuel. Il est clair que l’on ne peut facilement évacuer cette question formelle. Venturi avec sa contribution autour de la notion de hangar décoré a aidé à dé�nir l’Iconic Turn. Les années 1960, Gordon Cullen, Kevin Lynch, proposent dans leurs ré�exions déjà une autre approche, elles sont cependant relatives à la ville, où la perception visuelle, par l’image, prime. Brièvement il s’agit de rappeler que ces préoccupations ont boulversé notre rapport à l’objet architectural. S’en suit notamment l’instauration de l’ère du hangar décoré, du symbole ou de l’icône dans la ville. Cette approche visuelle et imagée implique un sens, un aspect communicatif important. Plus que la ville, il semble qu’il soit aujourd’hui possible de traduire le croisement de tendances minimalistes ou prônant un nouvel archaïsme – aussi bien d’ailleurs dans la méthode ou le processus que dans l’image – par l’in�uence toujours plus grande de l’impact visuel et communicatif. Non pas qu’il s’agisse de construire à toutes les échelles des repères dans le tissu construit mais plutôt des bâtiments évocateurs, parlants.

paysage de bord de route, Strip, Las Vegas, Venturi, 1972

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Ainsi, l’usage d’une forme archétypale à Con�gnon et chez Fujimoto comme aspect de base de l’entité, ne peut avoir qu’une seule correspon-dance spatiale ou structurelle, allant dans le sens des paradoxes soulevés précédemment. L’entité a désormais une identité visuelle et symbolique, une expression relative au poids de l’ensemble. La forme de maisonnette a une présence mentale forte, commune et quasiment universelle. Elle parle d’abri certes, mais elle traduit une dimension humaine, domes-tique. Elle marque un territoire : ici l’homme habite. Sur ce point, Fujimo-to emploi la forme comme dialectique au contexte, pour rompre une lecture d’ensemble massive ou trop évidente. Le projet à Con�gnon aborde lui une simplicité formelle qui facilite la cohésion des parties tout en conservant leur autonomie.

vue extérieure, maison à Con�gnon, localarchitecture

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L’importance générale est d’ailleurs à la compréhension de l’entité (pour ses propriétés constitutives de l’ensemble). La maison devient un agencement, une succession d’espaces propres. Le tout relève alors simplement de la cohérence de la relation entre ces espaces: même indé-pendants, ils forment une seule maison. Reste que l’entité est primor-diale. Le projet se comprend visuellement comme la mise en rapport d’espaces fermés. L’identité de l’entité à la base du projet semble induire l’expression de l’ensemble. L’unité de forme et de matérialité, toujours en référence aux propos de Morris, semble régir l’équilibre entre tout est partie. L’approche formelle est indéniable.Pour le projet 7/2 house, Fujimoto, accorde une toute autre importance à la partie, préférant souligner l’e�et d’ensemble. La partie, en tant qu’ entité, donc en tant qu’ élément autonome, porteur de propriétés consti-tutives de l’ensemble, reste abstrait. La partie ici correspond à une notion d’échelle, d’image sociologique, de rapport au contexte. Ce point a forte-ment à voir avec l’usage d’une forme archétypique abordé auparavant. Ainsi le contenu est sans relations aucune au contenant. La partie ne révèle pas l’espace mais la fonction, concerne uniquement l’enveloppe. L’espace intérieur, dissocié, discontinu, a plus à voir sur le principe avec l’espace ouvert. Le tout, l’unité s’exprime alors su�samment puissam-ment pour permettre une liberté quasi totale de façade.

vue extérieure, maisons mitoyennes à Hokkaido, Fujimoto

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Conclusion

La notion de tout et de partie, et plus largement d’unité, a toujours passionné. Mettre la main sur ce qui régit un équilibre, qu’il soit composi-tionnel, additionnel ou tout autre semble engageant. La cohésion formi-dable des parties reste de l’ordre de l’indicible. On l’a vu, la dé�nition du rapport entre le tout et les entités qui le composent a évolué au cours de l’histoire. Quelques projets actuels, dont sur certains points la maison de localarchitecture à Con�gnon, mais plus encore le projet de Fujimoto, ne semblent plus vraiment répondre aux dé�nitions classiques qui conçoivent l’unité des parties autours d’une identité structurelle ou spatiale de l’entité. La présence toujours plus forte de l’aspect pictural, pour ce qu’il induit formellement mais aussi symboliquement peut être une hypothèse. Ainsi l’unité, le rapport et l’équilibre entre le tout et ses entités seraient tenus en premier lieu par des enjeux de sens culturels plutôt que de spatialité ou de structure. Le tout se traduirait comme l’expression de l’identité visuelle des parties, de leurs caractères culturels et symboliques. Bien entendu cet aspect s’associe dans de nombreux cas à la spatialité et à la structure. On assisterait ainsi à une intrication des valeurs visuelles à ce qui pouvait régir l’unité auparavant. Dans ce sens, il semble intéressant de ré�échir à une nouvelle actualisation de l’idée d’unité partielles de Quatremère de Quincy, non pas pour ce qu’il a dé�ni en tant que telles, mais plutôt parce qu’il s’agirait de cerner le rapport entre tout et parties à di�érents niveaux, qui peuvent posséder leur auto-nomie théorique.

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vue intérieure, maison à Con�gnon, localarchitecture

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