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Dialogue http://journals.cambridge.org/DIA Additional services for Dialogue: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here Théories de la pensée, de ses objets et de son discours chez Guillaume d'Occam Élizabeth Karger Dialogue / Volume 33 / Issue 03 / June 1994, pp 437 - 456 DOI: 10.1017/S0012217300039056, Published online: 13 April 2010 Link to this article: http://journals.cambridge.org/ abstract_S0012217300039056 How to cite this article: Élizabeth Karger (1994). Théories de la pensée, de ses objets et de son discours chez Guillaume d'Occam. Dialogue, 33, pp 437-456 doi:10.1017/ S0012217300039056 Request Permissions : Click here Downloaded from http://journals.cambridge.org/DIA, IP address: 195.19.233.81 on 21 Nov 2013

Théories de la pensée, de ses objets et de son discours chez Guillaume d'Occam

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Théories de la pensée, de ses objets et deson discours chez Guillaume d'Occam

Élizabeth Karger

Dialogue / Volume 33 / Issue 03 / June 1994, pp 437 - 456DOI: 10.1017/S0012217300039056, Published online: 13 April 2010

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Theories de la pensee, de ses objets et deson discours chez Guillaume d'Occam*

ELIZABETH KARGER CNRS — Paris

On sait qu'au debut de sa carriere, Occam a admis, comme une hypotheseau moins probable, qu'en plus des choses reelles, toutes singulieres, il y ade purs objets generaux d'intellection, depourvus de tout etre reel, qu'ilappelle des «ficta». Les ficta etant poses, il leur identifiera a la fois les uni-versaux et les concepts. Mais on sait aussi que c'est la une hypothesequ'apres une periode d'hesitation, il finira par abandonner. Ne pouvantdesormais recourir aux ficta, il choisira d'identifier les concepts a desactes d'intellection et les universaux aux concepts generaux1.

Selon qu'il admet ou abandonne I'hypothese des ficta, Occam sera ainsiconduit a souscrire a des theories differentes des universaux et des concepts.C'est la un fait bien connu. Ce qui, par contre, Test moins, c'est qu'il y ad'autres doctrines dont il a egalement donne des versions differentes selonqu'il admettait ou non I'hypothese qu'outre les choses reelles, il y a des ficta.

En effet Occam ne rendra pas compte de la meme fagon des actes d'in-tellection, particulierement des actes d'intellection abstractive, selon qu'ilpostulera ou non ces objets generaux d'intellection que sont les ficta. IIne rendra pas compte non plus de la meme fagon du discours mental, dontles termes, du moins les termes generaux, sont des concepts, selon qu'ilaura on non identifie ceux-ci a des ficta. Ce n'est pas non plus le memerole qu'il assignera, dans le savoir, aux propositions mentales selon la fa-gon dont il aura rendu compte du discours mental.

* Je remercie Claude Panaccio, dont les travaux sur Occam ont d'ailleurs sur plus d'unpoint inspire le present ecrit, de m'avoir donne l'occasion d'en exposer les principalesidees lors d'une reunion de son seminaire a l'Universite du Quebec a Trois-Rivieres.L'interet qu'ont montrd les participants ainsi que les nombreuses et pertinentes obser-vations qu'ils ont faites ont ete pour moi d'un grand encouragement.

Dialogue XXXIII (1994), 437-56© 1994 Canadian Philosophical Association /Association canadienne de philosophie

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En fait la plupart des doctrines occamistes portant sur l'esprit et sesproductions recevront ainsi deux versions differentes, l'une presupposantl'hypothese des ficta, l'autre non. C'est ce que je me propose de mettre enevidence en degageant des textes pertinents ce que je designerai comme«deux theories occamistes de la pensee, de ses objets et de son discours»,l'une s'inscrivant dans le cadre de l'hypothese qu'il y a des ficta, tandisque l'autre fait l'economie de celle-ci2. Chacune de ces theories incluraune theorie des actes intellectifs, une theorie du concept et des univer-saux, une theorie des termes simples du discours mental, et assignera unrole aux propositions mentales dans le savoir.

Commencons par les theories admises d'abord par Occam, celles quipresupposent l'hypothese des «ficta».

1. La premiere theorie occamiste de la pensee, de ses objetset de son discours

On observera en premier lieu qu'en souscrivant a l'hypothese des ficta,Occam n'a pu eviter d'introduire en fait une ontologie comportant deuxsortes d'objets tout a fait heterogenes. Le «statut ontologique» des fictaest en effet radicalement different de celui des choses reelles ou possibles,qu'il faut de toute facon admettre, et ceci pour plusieurs raisons.

D'abord les ficta n'ont, et ne peuvent avoir, d'autre etre qu'etre pense,ou, comme le dit parfois Occam, ils «ont seulement une existence objectivedans un intellect))3. Les choses reelles ou possibles par contre ont, ou peu-vent avoir, une existence independante de tout intellect, du moins de toutintellect cree. Ensuite, alors qu'une chose reelle ou possible peut commen-cer d'exister, unfictum n'a pas cette propriete4. Enfin, alors qu'une chosereelle ou possible, Dieu mis a part, est produite, si elle est reelle, ou peutl'etre, si elle est possible, et ce par une ou plusieurs causes, unfictum, nepouvant etre reellement cause, ne peut a proprement parler etre produit5.

Mais s'il y a ces deux sortes d'entites, il y aura aussi, selon Occam, deuxsortes d'actes intellectifs, ayant pour objet les uns un fictum, les autresune chose. Ces actes intellectifs seront tous appeles «simples» par oppo-sition a ceux, dits «complexes», dont il ne sera question que plus loin, quiont pour objet non unfictum ni une chose, mais une entite composee parl'esprit de ficta et parfois aussi de choses6. Voyons, pour le moment, quelssont ces actes intellectifs «simples».

1.1. La theorie des actes intellectifs simples dans l'hypothesequ'il y a des ficta

Les actes intellectifs qui ont pour objet une chose etant a l'origine de ceuxayant pour objet unfictum, considerons les d'abord. Selon Occam, et ils'agira toujours la d'une these a ses yeux fondamentale, pour tout intel-lect, en particulier pour tout intellect humain, il y a des choses, reelles et

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parfois seulement possibles, qu'il est capable d'apprehender «en elles-memes», c'est-a-dire directement, sans intermediate aucun7. Toute choseainsi apprehendee Test cependant, selon la theorie des actes intellectifsqu'il a d'abord admise, par l'un ou l'autre de deux actes intellectifs sim-ples d'espece differente, a savoir par un acte d'intellection intuitive ou parun acte d'intellection abstractive.

La difference entre ces deux sortes d'actes intellectifs ne reside nulle-ment dans la chose apprehendee. La meme chose en effet peut l'etre parl'un ou par l'autre de ces actes d'intellection8. La difference est celle-ci:en vertu de l'apprehension intuitive qu'il a d'une chose contingente don-nee, l'esprit sait que cette chose existe ou qu'elle n'existe pas, alors qu'iln'a jamais cette connaissance en vertu d'une apprehension abstractive dela meme chose9. Une connaissance d'une chose reelle ou possible donneeest done dite «abstractive» non parce qu'elle serait plus abstraite, c'est-a-dire plus generale, que l'autre, mais parce qu'il y est fait abstraction et del'existence et de la non-existence de la chose apprehendee10. II est cepen-dant possible que plusieurs choses soient a la fois apprehendees par unacte d'intellection intuitive ou abstractive, auquel cas l'esprit saura, envertu de cet acte intellectif, comment elles sont presentement disposees lesunes par rapport aux autres s'il est intuitif, mais non s'il est abstractif11.

II est certes exclu, du moins dans l'ordre de la nature, qu'une chosepuisse etre abstractivement apprehendee avant de l'etre intuitivement12.Cependant, pour des raisons theoriques, Occam est conduit a postuler,non sans reticences, que tout acte d'apprehension intuitive d'une chosedonnee, du moins s'il est de ceux qui presupposent la presence sensible dela chose au sujet, determine immediatement la formation d'un «premier»acte d'apprehension abstractive de cette chose, dont dependent les actesulterieurs par lesquels elle sera abstractivement apprehendee en son ab-sence et qui constituent eux-memes des actes de souvenir13.

Un acte d'intellection intuitive ou abstractive d'une chose donnee en-gendre cependant immediatement un autre acte par lequel l'esprit «abs-trait» xmfictum de la chose apprehendee14. II y aura meme en generaldeux ficta qui seront ainsi abstraits d'une chose donnee, intuitivement ouabstractivement apprehendee.

L'un d'entre eux consistera en une sorte de maquette purement idealede la chose, maquette qui en represente la constitution essentielle, de sorteque si, par impossible, l'esprit avait le pouvoir de produire une chose horsde lui, il pourrait, en suivant le modele que forme un tt\fictum, produireune chose ayant exactement la meme constitution essentielle que celledont le fie turn a ete abstrait et qui serait par consequent de meme especequ'elle. Un tel fictum merite bien d'etre appele une «similitude» de lachose dont il est abstrait et de toutes les choses de meme espece qu'elle15.

Mais l'esprit sera aussi determine a abstraire de cette meme chose, dumoins si elle existe et s'il l'a apprehendee intuitivement, un secondfictum,extremement general celui-la, qui represente toute chose existante16.

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II n'y a pas d'autre fictum que l'esprit puisse abstraire ainsi d'une seulechose directement apprehendee. Neanmoins on peut penser, encorequ'Occam lui-meme hesite a prendre position a ce sujet, que, s'il appre-hende directement a la fois plusieurs individus d'especes differentes, l'es-prit puisse abstraire d'eux un fictum ne representant ni les individus del'une de ces especes seulement, ni tous les individus qui existent, mais tousles individus du genre le plus proche incluant ces differentes especes17.

Un fictum etant cependant un contenu de pensee, il est ipso facto appre-hende par l'esprit qui l'abstrait d'une ou de plusieurs choses, comme il peutl'etre a nouveau par l'esprit qui l'a une premiere fois abstrait des choses.Ces actes d'apprehension seront appeles eux aussi «abstractifs», mais ilsn'ont rien a voir avec les actes d'apprehension abstractive dont il vientd'etre question. En effet, un fictum n'etant pas une chose reelle ou possible,il ne peut etre intuitivement apprehende ni par suite abstractivement, aupremier sens de la connaissance abstractive18. L'expression «connaissanceabstractive)) recouvrira done deux sortes d'actes intellectifs tout a fait dif-ferents, et seul le contexte permettra de resoudre cette ambiguite19.

C'est au second sens de la connaissance abstractive qu'on peut direqu'une connaissance est abstractive parce qu'elle est generale. L'appre-hension d'un fictum constitue en effet l'apprehension non de tel individuen particulier, mais, par exemple, d'un homme, d'un ane ou d'une pierreen general, ou encore d'un animal ou d'un corps en general, ou meme,simplement d'un etant en general20. Une connaissance ou intellection estdone generale, d'apres cette theorie, parce que son objet, ayant ete abs-trait par l'esprit de choses singulieres, est lui-meme general.

Une theorie admettant des fie ta en tant qu'objets generaux d'intellec-tion simple commandera cependant une certaine theorie du concept etdes universaux. Tournons-nous a present vers celle-ci.

1.2. La premiere theorie du concept et des universaux

II va de soi que les universaux seront identifies auxficta. Admettant qu'unconcept soit necessairement un objet d'intellection21, on devra considererqu'un fictum est egalement un concept. Mais faut-il admettre qu'unechose reelle ou possible, du moment qu'elle est apprehendee par l'espritet forme par suite un objet d'intellection, est elle aussi un concept? La re-ponse d'Occam est negative. Prenant le mot «concept» au sens de «con-cept simple», seul un fictum sera, selon lui, un concept, de sorte que con-cepts et universaux coincideront. II s'ensuit la consequence remarquableque, dans le cadre de cette theorie, un concept sera toujours general22. Cer-tains concepts seront des concepts d'espece, d'autres des concepts degenre, tandis que le plus general constituera le concept d'etre.

Observons qu'il ne saurait y avoir, selon cette theorie, de concepts desecond ordre, e'est-a-dire de concepts de concepts. En effet, etant donnequ'un fictum ne peut etre forme que par abstraction a partir d'une ou de

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plusieurs choses intuitivement ou abstractivement apprehendees et qu'ilne peut etre lui-meme apprehende intuitivement, ni par suite abstractive-ment au premier sens du terme, des ficta de ficta ne pourront etre formes.Aussi, lorsque Occam laisse entendre que les ficta sont des intentionssecondes23, faut-il prendre garde au fait qu'il emploie alors le terme «in-tention seconde» pour designer des concepts abstraits des choses par op-position aux choses elles-memes, qui sont les «intentions premieres»24.

Sur la base de cette theorie du concept, Occam developpera une cer-taine theorie du discours mental, et d'abord des termes simples de celui-ci. Voyons maintenant quelle sera cette theorie.

1.3. La premiere theorie des termes simples du discours mental

Sous la plume d'Occam, le verbe «terminare» s'applique a tout ce qui«termine» un acte d'intellection, c'est-a-dire a tout objet d'intellection,alors que le mot «terminus» designe ce qui peut etre sujet ou predicatd'une proposition categorique. Or il est remarquable que, selon la theorieoccamiste du discours mental presupposant l'identincation des conceptsa certains objets d'intellection simple, a savoir les ficta, tout objet d'intel-lection simple puisse etre le sujet ou le predicat d'une proposition men-tale. Cela vaut par consequent non seulement pour les concepts, maisaussi pour les choses reelles ou possibles du moment qu'elles sont appre-hendees intuitivement ou abstractivement. Comme l'ecrit Occam, «l'in-tellect peut prediquer tout ce qui est connu, que ce soit une chose ou unconcept, de tout ce qui est connu»25.

II s'ensuit done de cette theorie que tout esprit, s'il apprehende intuiti-vement ou abstractivement une chose donnee, fut-elle extra-mentale, peutformer des propositions mentales dont cette chose est le sujet ou le predi-cat. Les exemples ne manquent pas illustrant cette possibility. Ainsi le«bienheureux», lui qui apprehende directement Dieu lui-meme, intuitive-ment ou abstractivement, peut former des propositions mentales dontDieu est le sujet et une personne divine le predicat, chose qui nous est im-possible, nous qui n'avons pas cette connaissance directe de Dieu26. Dansun domaine plus terre a terre, l'esprit qui apprehende intuitivement a lafois une blancheur et une noirceur peut former une proposition mentaledans laquelle cette blancheur sera niee de cette noirceur, ces deux qualitesetant elles-memes les «extremes» de la proposition ainsi formee27. D'unefacon generate, il faut, selon Occam, admettre que «tout ce que l'intellectpeut apprehender d'une connaissance simple, il peut le composer avecune autre chose ou avec cette chose elle-meme, disant: ceci est cela»2i.

Que Guillaume ait ainsi, a l'epoque ou il commentait les Sentences,parfaitement admis qu'une chose extra-mentale puisse elle-meme formerle sujet ou le predicat d'une proposition mentale est un fait que les com-mentateurs recents se sont, dans leur ensemble29, refuses a reconnaltreou, du moins, efforces d'attenuer30. C'est un fait que, par contre, Adam

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Wodeham a pleinement reconnu, meme si les editeurs de 1'edition critiquede la Lectura secunda semblent avoir eu quelque mal a admettre quel'auteur put ainsi attribuer a Occam une opinion qui, apparemment, leursemblait n'avoir pu etre la sienne. C'est bel et bien en effet Occam et non,comme les editeurs raffirment en note, Chatton, Burleigh ou Scot, qui estvise par Wodeham, quand il parle de ceux qui «posent qu'une choseextra-mentale est predicat ou sujet», et il faut certainement, a la page sui-vante, lire que le «frere Guillaume [... ] pose comme extremes d'une pro-position les choses elles-memes apprehendees, qu'elles soient dtsficta oudes choses exterieures» et non qu'il les pose comme «exemples» d'uneproposition, ce qui est, a mon avis, depourvu de sens31.

Certes, c'est la une doctrine qu'Occam recusera quand il en viendra,dans les Quodlibets notamment, a abandonner definitivement l'hypothesedes ficta32. Mais, avant d'avoir franchi cette etape, il n'a jamais denoncecomme absurde l'idee qu'une proposition mentale put contenir une choseextra-mentale comme l'un de ses termes. II est vrai qu'il recuse avec vi-gueur la notion de proposition in re defendue en particulier par WalterBurleigh. Mais ce qui lui semble alors inacceptable dans cette notion,c'est exclusivement l'idee qu'une proposition puisse contenir une chosecommune extra-mentale comme sujet ou comme predicat, et cela parceque la notion elle-meme de chose commune extra-mentale est, a ses yeux,absurde et non parce que la notion de proposition in re le serait33.

Revenons cependant a la theorie dont on vient d'insister sur l'une desplus surprenantes consequences. Si les objets des actes d'intellection sim-ple, concepts ou choses, peuvent etre, les uns comme les autres, sujets oupredicats d'une proposition mentale, c'est qu'ils sont des termes du dis-cours mental, et plus particulierement des termes simples. Certains termessimples du discours mental seront par suite generaux, a savoir les con-cepts, et d'autres seront singuliers, a savoir les choses reelles ou possiblesintuitivement ou abstractivement apprehendees. La consequence remar-quable s'ensuit qu'il y aura des termes singuliers simples du discoursmental, alors meme qu'il n'y a pas de concepts singuliers.

Mais, demandera-t-on, une telle theorie est-elle compatible avec cer-tains principes semantiques admis par Occam comme etant valables pourtoute forme de discours? L'un de ces principes veut en effet que tout termesimple (non equivalent a un terme complexe) «signifie» certaines chosespour lesquelles, etant employe comme sujet ou predicat dans une propo-sition, il pourra «supposer». II n'y a certes aucune difficulte a appliquer ceprincipe aux concepts. On admettra en effet qu'en tant que terme du dis-cours mental, un concept, c'est-a-dire un fictum, signifie les choses dont ilest une «similitude» et qu'il peut supposer pour elles34. Mais une chosereelle ou possible peut-elle avoir une signification et supposer pour cequ'elle signifie? La reponse d'Occam est affirmative. En tant que terme dudiscours mental, une chose reelle ou possible sera tout simplement a elle-meme son propre signifie et c'est des lors pour elle-meme que, sujet ou

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predicat d'une proposition, elle pourra supposer35. Observons que la si-gnification ainsi reconnue aux concepts comme aux choses, en tant qu'ilssont des termes du discours mental, est «naturelle», puisqu'elle est deter-minee par des facteurs auxquels ne participe en rien la volonte du sujet36.

Les theories occamistes du discours mental, qu'elles presupposent ounon Phypothese des ficta, admettent cependant comme principe fonda-mental que le pouvoir expressif de ce discours ne peut etre moindre quecelui du discours oral. Pour toute proposition orale, l'esprit doit pouvoiren effet former une proposition mentale qui lui «corresponde», c'est-a-dire qui lui soit equivalente en signification37. Or tel ne saurait etre le cassi le discours mental ne contenait d'autres termes simples que ceux, natu-rellement signifiants, formes par des choses et par des concepts.

En effet, en tant que terme du discours mental, une chose, signifiantnaturellement une chose donnee puisqu'elle se signifie naturellement elle-meme, constituera l'equivalent d'un nom propre ou d'un pronom de-monstratif tandis qu'un concept, signifiant naturellement les chosesd'une meme espece, ou celles d'un meme genre, ou toutes les choses exis-tantes, constituera l'equivalent d'un terme tel que «homme» ou «animal»ou «etant», qui sont tous des termes «absolus». Admettant que l'espritpuisse, par un acte mental correspondant a la copule, composer, affirma-tivement ou negativement, l'un de ces termes avec un autre38, il pourrasans doute former quelques propositions mentales, telles que l'equivalentmental de la proposition «Pierre est un homme» ou de la proposition «unhomme n'est pas un ane». Mais ces propositions ne pourront qu'affirmerou nier un terme absolu, singulier ou general, d'un autre terme absolu. Sil'esprit ne disposait d'autres termes, il ne pourrait par consequent formerl'equivalent mental de propositions aussi elementaires que «Pierre est as-sis» ou «Pierre est le pere de Jean», qui comportent un terme «connota-tif», ni meme former des equivalents mentaux distincts pour chacune despropositions «tout homme est un animal» et «quelque homme est un ani-mal», qui different par leur terme syncategorematique initial.

Aussi Occam admettra-t-il que le discours mental comporte d'autrestermes simples que ceux, naturellement signifiants, formes par des choseset par des concepts, qui sont tous des termes absolus. II devra comporteraussi des termes correspondant aux termes oraux connotatifs tels que «as-sis» ou «pere», ainsi que d'autres correspondant aux termes oraux synca-tegorematiques tels que «tout», «quelque», «aucun». Ces termes simplesadditionnels du discours mental ne sont pas cependant des entites addition-nelles, car ce sont tous des concepts, c'est-a-dire des ficta, en tant que telsabstraits de choses individuellement apprehendees. Ce qui les distingue destermes absolus du discours mental, ce n'est done ni leur origine, ni ce qu'ilssont, mais la signification conformement a laquelle ils seront employes.

En effet s'il est vrai qu'en tant que termes du discours mental, tous lesconcepts ont une signification naturelle, donnee par les choses dont ilssont une «similitude», il faut, selon Occam, admettre que certains ont en

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outre une signification qui leur est assignee par la volonte du sujet. Plusprecisement, on admettra que, pour certains au moins des termes orauxautres que les termes absolus, le sujet «institue» un certain concept, depreference abstrait de ce terme lui-meme, a avoir les memes proprietes se-mantiques que lui, et notamment, si le terme oral est connotatif, a signi-fier les choses que ce terme oral signifie et a les signifier de la meme ma-niere que lui et, si le terme oral est syncategorematique, a exercer dansune phrase les memes fonctions semantiques que lui39. Ainsi, par exem-ple, un concept abstrait du terme oral «pere» pourra etre institue a signi-fier les choses que ce terme oral signifie, c'est-a-dire des animaux et leurprogeniture, et de la meme maniere que lui, c'est-a-dire les unes principa-lement et les autres secondairement. De meme, un concept abstrait dusyncategoreme oral «tout» pourra etre institue a exercer dans une phraseles memes fonctions semantiques de «distribution» que lui.

Des lors un concept donne peut, en tant que terme du discours mental,etre employe soit conformement a sa signification naturelle, soit, s'il en aune, conformement a sa signification non naturelle, c'est-a-dire confor-mement a la signification ou aux fonctions semantiques qui lui ont ete vo-lontairement assignees par le sujet. Dans le premier cas, il formera unterme general absolu, dans le second, il formera un terme d'une autre ca-tegorie, et ce pourra etre un terme connotatif ou syncategorematique40.

Les termes simples du discours mental sont ainsi, selon cette theorie,doublement differents les uns des autres. D'une part certains, les termessimples singuliers, sont des choses reelles ou possibles alors que les autressont des concepts et done desficta. D'autre part, parmi les termes simplesautres que les termes singuliers, certains sont employes conformement aleur signification naturelle, et ce sont les termes generaux absolus, tandisque d'autres le sont conformement a une signification qui leur a ete assi-gnee par le sujet, et ce sont les autres termes indispensables au discours,et notamment les termes connotatifs et syncategorematiques. Les uns etles autres ont neanmoins en commun d'etre des objets d'intellection.

Tels etant, selon cette theorie, les termes simples du discours mental,voyons comment il conviendra de concevoir les propositions mentales quien sont composees et quel role leur sera par suite assigne dans le savoir.

1.4. Le role des propositions mentales dans le savoir selon la premieretheorie du discours mental

Les termes simples du discours mental etant disponibles, le sujet pourraformer avec eux des termes complexes, mais aussi des propositions men-tales. Les termes simples etant cependant tous des objets d'intellection,les termes complexes qu'il formera le seront aussi, ainsi que les proposi-tions mentales. II s'ensuit que tout terme complexe ainsi que toute propo-sition mentale, du moment qu'ils sont formes, seront ipso facto apprehen-des, et ce par un acte d'intellection qu'on appellera «complexe»41.

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Pour qu'il y ait savoir, il faut qu'une proposition mentale soit apprehendee.Mais il ne suffit pas qu'une proposition mentale, fut-elle vraie, soit appre-hendee pour qu'il y ait savoir. Encore faut-il que l'esprit, par un acte d'as-sentiment, juge qu'elle est vraie. Lorsque tel est le cas, c'est neanmoins encorela proposition mentale, deja objet de l'acte d'apprehension, qui sera l'objetde l'acte d'assentiment42. L'objet du savoir n'etant autre que l'objet de l'acted'assentiment, cet objet sera ainsi necessairement une proposition mentale.

C'est la une doctrine qui sera profondement modifiee lorsque Occam,ayant l'abandonne l'hypothese des ficta, concevra autrement les proposi-tions mentales. Passant a la seconde partie de cet essai, voyons mainte-nant quel sera le contenu des theories qu'il substituera alors a celles qu'onvient d'exposer.

2. La seconde theorie occamiste de la pensee, de ses objetset de son discours

On sait que, convaincu en particulier par l'argumentation vigoureuse deWalter Chatton43, Occam a fini par reconnaitre que la notion defictum esten fait intenable et qu'il importe par consequent d'en eliminer l'hypothese.L'abandon de l'hypothese qu'il y a des ficta affectera cependant en premierlieu la theorie des actes intellectifs. S'il n'y a pas de ficta, il n'y aura pluslieu en effet d'admettre qu'il y a des actes intellectifs consistant a abstraireun fictum d'une ou de plusieurs choses individuellement apprehendees.Considerons done d'abord quelle est la doctrine des actes simples d'intel-lection intuitive et abstractive qui viendra remplacer celle precedemmentexposee, ou par «acte simple d'intellection» il faut desormais entendre unacte d'intellection qui n'est pas lui-meme compose d'actes d'intellection44.

2.1. La theorie des actes simples d'intellection intuitive et abstractiveen I'absence de l'hypothese qu'il y a des ficta

La doctrine de la connaissance intuitive demeurera inchangee, ou pres-que. L'apprehension intuitive d'une chose contingente donnee sera en ef-fet toujours caracterisee comme etant une apprehension de cette chose envertu de laquelle l'esprit sait qu'elle existe ou qu'elle n'existe pas45. Ce-pendant, si la possibility est toujours reconnue que plusieurs chosessoient a la fois intuitivement apprehendees, elles devront l'etre par autantd'actes intellectifs distincts formes en meme temps par l'esprit46.

La doctrine de la connaissance abstractive sera par contre profonde-ment modifiee. Occam admettra en effet, comme il l'avait postule dans latheorie precedente, que tout acte d'intellection intuitive determine imme-diatement la «premiere» formation d'un acte simple d'intellection abstrac-tive, mais c'est d'une tout autre maniere qu'il faut concevoir maintenant,selon lui, cet acte abstractif. II devra en effet etre concu a present commeetant non un acte singulier d'intellection, consistant a apprehender la

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chose meme qui a ete intuitivement apprehendee, et rien qu'elle, maiscomme etant toujours general, consistant a apprehender, de maniere cer-tes «confuse», une multitude de choses47. II faudra en outre reconnaitre lapossibility qu'a partir de l'apprehension intuitive d'une chose donnee, l'es-prit soit immediatement determine a former non un seul acte simple d'in-tellection abstractive, mais deux.

Plus concretement, voici comment, selon cette nouvelle doctrine, onpasse des actes d'intellection intuitive, de ceux du moins qui presuppo-sent la presence sensible de la chose apprehendee, a la «premiere» forma-tion d'actes simples d'intellection abstractive. Si les conditions d'ordresensible a l'apprehension intuitive d'une chose donnee sont propices, l'es-prit sera immediatement determine a former a la fois un acte par lequel ilapprehendera non seulement cette chose mais, de facon certes confuse,toutes celles de meme espece qu'elle, et un autre par lequel il apprehen-dera, outre la chose intuitivement apprehendee, toutes celles qui, commeelle, existent**. Par contre, si les conditions d'ordre sensible a l'apprehen-sion intuitive d'une chose donnee ne sont pas favorables, l'esprit ne seraimmediatement determine a former que le second de ces actes abstractifssimples, celui qui constitue une apprehension confuse de toutes les chosesexistantes49. Ces actes abstractifs sont l'un et l'autre generaux, dans lamesure ou par eux l'esprit apprehende, non distinctement telle ou tellechose, mais confusement une multitude de choses.

II n'y a pas d'autres actes simples d'intellection abstractive que l'espritsoit immediatement determine a former a partir de l'apprehension intui-tive d'une seule chose. Par contre, s'il apprehende intuitivement plusieurschoses d'especes differentes, l'esprit sera immediatement determine a for-mer un acte simple d'intellection abstractive par lequel il apprehenderaconfusement non les seuls individus de la meme espece que l'un ou l'autredes individus intuitivement apprehendes, mais tous les individus du genrele plus proche incluant ces differentes especes50. Cet acte intellectif est evi-demment, pour les memes raisons que les precedents, lui aussi, general.

Un acte d'intellection abstractive etant ainsi forme pour la premierefois a partir d'une apprehension intuitive d'une ou de plusieurs choses,l'esprit en gardera comme une trace qui lui permettra de le former a nou-veau. Dans ses formations ulterieures comme dans sa «premiere» forma-tion, il s'agira cependant d'un acte general d'intellection, car il consisteratoujours en une apprehension confuse des choses d'une meme espece, oude celles d'un meme genre ou de toutes les choses existantes, c'est-a-dire,dans tous les cas, d'une apprehension confuse d'une multitude de choses.

Ce n'est done pas le fait de porter sur un objet lui-meme general qui ex-plique maintenant la generality de certains actes de pensee. Lorsque l'es-prit croit penser a un homme en general51, ce qu'il apprehende en fait,dans le cadre de cette nouvelle doctrine de l'abstraction, ce sont tous leshommes, qu'il apprehende, il est vrai, de maniere confuse, c'est-a-diresans etre, en vertu de cet acte d'apprehension, capable d'en identifier

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aucun52. Toute hypothese qu'il y aurait des objets generaux d'intellectionest desormais manifestement superflue.

Du moment cependant qu'aucun objet general d'intellection n'est ad-mis, comment Occam concevra-t-il les universaux et les concepts? C'estce que nous allons voir a present.

2.2. La seconde theorie du concept et des universaux

La strategie adoptee par Occam est d'abandonner tout d'abord l'idee quele mot «concept» doive necessairement designer des objets d'intellection.II sera des lors permis d'identifier les concepts, pris au sens de conceptssimples, aux actes simples d'intellection, et c'est la effectivement l'optionqu'il retiendra.

Les actes d'intellection intuitive et les actes d'intellection abstractiveetant, les uns comme les autres, des actes simples d'intellection, ils forme-ront, les uns et les autres, des concepts. Les premiers, etant des actes d'ap-prehension d'une chose et d'une seule, formeront des concepts singuliers etles seconds, etant des actes d'apprehension d'une multitude de choses, desconcepts generaux^. Ceux-ci, etant formes par des actes d'apprehensiondes choses d'une meme espece, ou de celles d'un meme genre ou de toutesles choses existantes, seront des concepts d'espece, ou de genre ou d'etre engeneral. A ces concepts generaux seront, a leur tour, identifies les univer-saux. Concepts et universaux cesseront done de co'incider, puisqu'il y a desconcepts, a savoir les concepts singuliers, qui ne sont pas des universaux.

II y a ainsi, entre cette theorie du concept et la theorie precedente, unedifference remarquable : alors que, selon la precedente theorie, il n'y avaitpas de concepts singuliers, il y en a selon la presente theorie. Ils ne serontcependant jamais formes par des actes d'intellection abstractive puisque,si on met a part le cas d'une connaissance abstractive de Dieu, connais-sance qui ne nous est pas normalement accessible, tout acte d'intellectionabstractive est necessairement general54.

Une autre difference notable entre les deux theories est celle-ci: alorsqu'il ne pouvait y avoir, selon la theorie precedente, de concepts de secondordre, e'est-a-dire de concepts de concepts, il y en aura selon la presentetheorie. Les concepts etant identifies a des actes intellectifs, qui sont eux-memes des entites reelles, rien n'empeche en effet qu'un concept soit lui-meme intuitivement apprehende, determinant l'esprit a l'apprehenderabstractivement en meme temps que tous ceux de meme espece que lui eta former ainsi un concept general de second ordre qu'on appellera desor-mais «intention seconde»55.

La necessite de rendre compte des termes simples du discours mentalconduira cependant Occam, comme nous allons le voir a present, a ad-mettre que ces concepts, qu'on peut appeler eux-memes «intuitifs» et«abstractifs», ne sont pas les seuls que l'esprit soit determine a former aucours de son commerce avec les choses.

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448 Dialogue

2.3. La seconde theorie des termes simples du discours mental

Selon la theorie du discours mental a laquelle Occam souscrit desormais,les concepts intuitifs et abstractifs formeront des termes simples de ce dis-cours, les premiers formant bien entendu des termes singuliers et les se-conds des termes generaux. Or, en tant que termes du discours mental,ces concepts seront, les uns comme les autres, naturellement signifiants.En effet un concept intuitif, etant un acte d'apprehension d'une chosedonnee, signifiera la chose apprehendee et pourra supposer pour elle, etun concept abstractif, etant un acte d'apprehension confuse d'une multi-tude de choses, signifiera ces choses dont il est une apprehension etpourra supposer pour elles56.

Cependant, si son pouvoir expressif doit etre a la mesure de celui dudiscours oral, il est manifeste que le discours mental devra comporterd'autres termes simples que ceux, naturellement signifiants, que formentles concepts intuitifs et abstractifs. En effet, en tant que terme du discoursmental, un concept intuitif, signifiant naturellement une chose donnee,formera l'equivalent d'un nom propre ou d'un pronom demonstratif57

alors qu'un concept abstractif, signifiant naturellement les choses d'unememe espece, ou celles d'un meme genre, ou toutes les choses existantes,formera l'equivalent d'un terme general «absolu», tel que «homme»,«animal» ou «etant». Or il est bien evident que ces termes ne sauraientsuffire pour que l'esprit puisse, pour toute proposition orale, former uneproposition mentale qui lui soit equivalente.

Aussi Occam admettra-t-il que le langage mental comporte des termessimples additionnels, dont des termes connotatifs et des syncategoremes,et que ces termes sont eux aussi des concepts. Mais il admettra en outreque ces termes additionnels sont, a l'exception peut-etre des syncatego-remes mentaux, des termes naturellement signifiants. Or une telle doctrineexige que d'autres concepts soient reconnus que les concepts intuitifs etabstractifs, puisque les termes naturellement signifiants que forment cesconcepts sont tous des termes absolus.

Effectivement les concepts abstractifs, c'est-a-dire les concepts d'es-pece, de genre, et d'etre, ne sont pas, si Ton en croit Occam, les seuls con-cepts generaux que l'esprit soit determine a former a partir de son contactintuitif avec les choses, mais il y en a bien d'autres. Ainsi, apprehendantintuitivement a la fois plusieurs choses de meme espece, deux blancheurspar exemple, l'esprit sera, nous dit-il, immediatement determine a formerle concept specifique de blancheur, mais il sera aussi determine a former,«par la mediation de ce concept specifique», un autre concept general, leconcept de similitude58.

En fait, il semble bien qu'a partir de son contact intuitif avec les choses,l'esprit soit, selon Occam, determine a former toute une serie de conceptsgeneraux, ceux d'espece, de genre et d'etre n'etant que les premiers de laserie, ceux qu'il est «immediatement» determine a former, n'etant que

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«mediatement» determine a former les autres. Mais il faut alors admettrequ'en plus des concepts abstractifs, il existe quantite d'autres concepts ge-neraux, dont la «premiere» formation par l'esprit se fait elle aussi a partird'une apprehension intuitive d'une ou de plusieurs choses, mais de ma-niere seulement «mediate» et non, comme celle des concepts abstractifs,de maniere «immediate».

Or le concept de similitude forme un terme naturellement significant dudiscours mental, un terme qui est evidemment un terme relatif59 et, parconsequent, connotatif60. Parmi les concepts generaux dont la «pre-miere» formation par l'esprit, a partir d'une apprehension intuitive d'uneou de plusieurs choses, se fait de maniere seulement «mediate», en voiladone un qui constitue un terme connotatif du discours mental61. On esttente de penser qu'il en va de meme de tous ces concepts et qu'ensembleils constituent les termes connotatifs, tous naturellement signifiants, dudiscours mental.

Mais les syncategoremes mentaux sont-ils, eux aussi, des termes natu-rellement signifiants du discours mental, et sont-ils par suite formes euxaussi par des concepts dont on n'aurait pas encore rendu compte? Surcette question, Occam s'est montre beaucoup plus indecis, paraissantavoir hesite entre deux doctrines. Dans certains textes en effet, il admetque les syncategoremes mentaux sont des concepts «institues a signi-fier»62, alors que dans d'autres il admet que, comme tous les autres termessimples du discours mental, ce sont des concepts formant des termes na-turellement signifiants, ayant en l'occurrence naturellement la proprietesemantique de «consignifier»63, caracteristique des syncategoremes64.Nulle part cependant il n'explique comment, dans cette seconde hypo-these, l'esprit pourrait etre determine a former les concepts requis65.

II existe done, semble-t-il, deux versions de la seconde theorie occa-miste des termes simples du discours mental. Selon l'une, ces termes sonttous naturellement signifiants, selon l'autre, il faut excepter les syncatego-remes mentaux qui sont, eux, «institues a signifier». Selon l'une et l'autreversion cependant, ces termes sont tous des concepts, eux-memes identi-fies a des actes d'intellection.

Telle etant, selon la theorie a laquelle il souscrit desormais, la naturedes termes simples du discours mental, voyons comment il conviendra,selon Occam, de concevoir les propositions mentales qui en seront for-mees et quel role il faudra par suite leur assigner dans le savoir.

2.4. Le role des propositions mentales dans le savoirselon la seconde theorie du discours mental

L'esprit, disposant de termes simples, pourra, comme il le pouvait selonla precedente theorie, former avec eux des termes complexes mais aussides propositions mentales. Etant composees d'actes d'intellection, celles-ci seront toutefois elles-memes identifiers a des actes, et non plus, comme

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dans la precedente theorie, a des objets d'intellection. II s'ensuit qu'uneproposition mentale, telle qu'elle est maintenant concue, n'est pas ipsofacto apprehendee par le sujet qui la forme, a moins d'appeler «apprehen-sion» d'une proposition mentale l'acte meme de sa formation66. Ce qu'aproprement parler le sujet formant une proposition mentale apprehende,ce sont, selon cette nouvelle theorie, les choses memes qu'il apprehendepar les actes d'intellection qui forment chacun de ses extremes67.

Le savoir implique cependant, sur ce point la doctrine d'Occam de-meure inchangee, outre l'acte de formation d'une proposition mentalevraie, un acte d'assentiment68. Mais la proposition n'etant pas elle-memeapprehendee, ou en tout cas ne l'etant pas necessairement, elle n'est pasnon plus, on du moins elle n'est pas necessairement, l'objet de cet acted'assentiment. Elle est desormais ce au moyen de quoi l'esprit juge, memesi, n'etant pas elle-meme apprehendee, elle ne peut etre l'objet de sonjugement69. Et si Ton demande quel est l'objet de ce jugement ou de cetacte d'assentiment, et quel est par suite l'objet du savoir, il se peut qu'ilfaille repondre qu'il riy en ait aucun.

Ainsi considerons un individu, qu'on appellera Paul, dont il est vrai dedire qu'il sait qu'une pierre n'est pas un ane. Certes il ne peut savoir celasans former une proposition mentale qui correspond a «une pierre n'estpas un ane». Toutefois on admettra que Paul n'est pas porte aux actes depensee reflexive et que, ne sachant pas qu'il sait, il n'apprehende pas cetteproposition elle-meme. Quel est alors l'objet de son savoir? II faut, selonOccam, repondre qu'd proprement parler il riy en a pas. Certes il saitqu'une pierre n'est pas un ane, mais il n'est pas legitime de conclure de laqu'il y a quelque chose que Paul sache70.

Sans doute n'est-il pas impossible qu'il y ait un autre individu, ou Paullui-meme a ses rares moments de retour sur soi, qui, sachant qu'unepierre n'est pas un ane et sachant qu'il le sait, non seulement forme cetteproposition mentale, mais encore, par un autre acte a"apprehension, laprenne elle-meme pour objet de pensee. En ce cas et en ce cas seulement,on pourra dire qu'ily a quelque chose qu'il sait, et ce sera cette propositionmentale qu'il a elle-meme apprehendee. Mais dans tous les autres cas, quisont ceux d'un savoir que je qualifierai de «non reflexif», il y a savoir sansqu'on puisse dire qu'il y a quelque chose qui soit su71.

II est tout a fait surprenant que la presence de cette doctrine dans lesecrits d'Occam, remarquee par quelques commentateurs actuels72, ait ap-paremment echappe aux contemporains d'Occam. Ainsi Wodeham attri-bue a Occam exclusivement la doctrine selon laquelle une propositionmentale est non un acte, mais un objet d'intellection et forme ainsi l'objettout designe du savoir73.

Nous sommes parvenus au terme de cette etude. Elle aura, je l'espere,permis de mesurer a quel point Occam a du modifier le contenu de sesdoctrines concernant non seulement les universaux et les concepts, maisaussi les actes intellectifs, les termes du discours mental et le role des pro-

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positions mentales dans le savoir a partir du moment ou il a definitive-ment renonce a l'hypothese des «ficta», qu'il avait d'abord admise. Onpourrait presque dire que, dans le domaine de la philosophie de l'esprit,il y a non un occamisme mais plutot deux.

Notes

1 C'est surtout Ph. Boehner qui a contribue a etablir ces faits, notamment dans«The Relative Date of Ockham's Commentary on the Sentences)), FranciscanStudies, vol. 11 (1951), p. 305-316; reimprime dans Collected Articles on Ock-ham, Saint-Bonaventure, NY, The Francisan Institute, 1958, p. 96-110.

2 Le texte auquel je puiserai la premiere theorie, celle qui contient l'hypothese desficta, est essentiellement le Commentaire des Sentences et ceux auxquels je pui-serai la seconde, qui n'admet pas cette hypothese, sont les Quodlibets, la Sommede logique et les Questions sur la physique. Les references a ces textes et a d'autrestextes d'Occam seront toutes a l'edition critique des oeuvres philosophiques ettheologiques d'Occam, publiee par le Franciscan Institute a Saint-Bonaventure,NY, dont les differents volumes sont parus entre 1967 et 1988 et dont on m'ex-cusera de ne pas citer, pour chaque volume, le nom du ou des editeurs. L'abre-viation «OTh.» sera employee pour «Opera Theologica» et «OPh.» pour «OperaPhilosophical. Les textes d'Occam et des autres auteurs latins qui seront cites leseront en francais, traduits par moi.

3 Cf. Commentaire du livre I des Sentences [Ordinatio] (dorenavant «Ord.»),dist. 2, quest. 8, dans OTh. II, p. 271, lig. 16. Au sujet de la notion, chez Occam,d'existence objective d'une chose dans un intellect, voir ci-dessous la note 30.

4 Cf. Ord., dist. 30, quest. 5, dans OTh. IV, p. 393, lig. 16-p. 394, lig. 4.5 Cf. Ord., dist. 3, quest. 6, dans OTh. II, p. 520, lig. 14-19.6 Dans les Questions sur le livre IV des Sentences [Reportatio IV] (dorenavant

«Rep.»), quest. 14, dans OTh. VII, p. 295, lig. 5-6, Occam ecrit que «un acte estcomplexe qui se termine a un complexe», d'ou il s'ensuit qu'il est simple s'il setermine a un incomplexe.

7 Cf. Ord., dist. 3, quest. 2, dans OTh. II, p. 401, lig. 15-18. L'intellect humain estnaturellement capable d'apprehender ainsi une chose si elle est reelle et il Testpar assistance divine speciale si, n'ayant «ni presence, ni existence)), elle n'estque possible (cf. Questions variees, quest. 6, art. 11, dans OTh. VIII, p. 290,lig. 90-91).

8 Cf. Ord., Prol., quest. 1, dans 077;. I, p. 31, lig. 8-9.9 Ibid., p. 31, lig. 10-14 et p. 32, lig. 4-9.

10 Ibid.,p. 31, lig. 4-5.11 Ibid., p. 31, lig. 17-22 et p. 32, lig. 10-15.12 Cf Ord., Prol., quest. 1, dans OTh. I, p. 72, lig. 3-5.13 Cf. Rep. II, quest. 12-13, dans OTh. V, p. 263, lig. 7-16.14 «Je connais d'abord quelques choses singulieres en particulier intuitivement ou

abstractivement [... ] et, ayant cette connaissance, aussitot [... ] si rien ne l'em-peche, suit naturellement un autre acte, distinct du premier, qui se termine a un

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certain etre objectif qui est tel que Test dans son etre subjectif la chose que j'aivue d'abord. Et cet acte second produit ces universaux et intentions secondes»{Questions variees, quest. 5, dans OTh. VIII, p. 175, lig. 404-411).

15 Cf. Ord., dist. 2, quest. 8, dans OTh. II, p. 272, lig. 2-13.16 Dans un texte ou il est presuppose que les concepts sont des ficta, Occam ecrit

en effet:«[.. .] il n'y a pas d'inconvenient [... ] a ce que soit, des le premier ins-tant, cause a la fois une connaissance d'un [concept] tout a fait general et d'un[concept] d'espece specialissime» (Ord., dist. 3, quest. 5, dans OTh. II, p. 478,lig. 1-3).

17 Dans Ord., dist. 8, quest. 2, dans OTh. Ill, p. 190-194, ou il presuppose que lesconcepts sont des ficta, Occam admet, comme une opinion recevable, quequelqu'un, voyant des boeufs et des anes, puisse abstraire d'eux un concept quileur est commun, soit qu'il ne soit commun qu'a ces deux especes (p. 190,lig. 12-17), soit qu'il doive en inclure aussi d'autres (p. 194, lig. 15-25).

18 Cf. Rep. II, quest. 12-13, dans OTh. V, p. 307, lig. 20-24.19 Cf. Ord., Prol., quest. 1, dans OTh. I, p. 30, lig. 12-15 et p. 31, lig. 4-6.20 «Unfictum [... ] est ce qui termine immediatement un acte d'intellection quand

aucune chose singuliere n'est apprehendee» (Ord., dist. 2, quest. 8, dansOTh. II, p. 274, lig. 13-16).

21 Cf. Ord., dist. 2, quest. 8, dans OTh. II, p. 268, lig. 14-15.22 «Aucun concept, si ce n'est peut-etre un concept institue au gre du sujet (on

verra plus loin a quoi il est ici fait allusion) ne peut etre [... ] propre a une seulechose» (Ord., dist. 2, quest. 9, dans OTh. II, p. 307, lig. 21-22).

23 Comme il le fait dans Ord., dist. 2, quest. 8, dans OTh. II, p. 274, lig. 9-10 etdans le texte cite a la note 14.

24 C'est en ce sens que les «anciens» prenaient la distinction entre «intention pre-miere» et «intention seconde», si Ton en croit Wodeham (Lectura secunda in li-brum primum sententiarum, dist. 23, ed. R. Wood, assistee de G. Gal, Saint-Bonaventure, NY, The Franciscan Institute, 1990, vol. Ill, p. 304, lig. 25-29).

25 Ord., Prol., quest. 2, dans OTh. I, p. 110, lig. 5-7.26 Dans Ord., Prol., quest. 9, dans OTh. I, p. 270, lig. 1-2, s'agissant de la theologie

des bienheureux, Occam admet qu'elle inclut «des verites dans lesquelles Dieului-meme est sujet parce qu'il est apprehende [par le bienheureux] en lui-memeet non pas dans un concept seulement».

27 Cf. Rep. II, quest. 12-13, dans OTh. V, p. 280, lig. 21-p. 281, lig. 4.28 Ord., Prol., quest. 1, dans OTh. I, p. 49, lig. 16-18.29 Une exception notable etant celle de E. P. Bos. Voir son «William of Ockham

and the "Predication of a Thing"», dans E. P. Bos et H. A. Krop, dir., Ockhamand Ockhamists, Nimegue, Ingenium Publishers, 1987, p. 71-79.

30 Ainsi, si Ton en croit l'un de ses meilleurs interpretes, Marilyn Adams, Occamn'aurait jamais pense qu'une chose extra-mentale put constituer un terme d'uneproposition mentale «en tant que cette chose existe en realite», mais seulementen tant qu'elle a, dans l'intellect qui l'apprehende, un mode d'existence propreaux objets de pensee, mode «non reel» d'existence que, selon elle, Occam enten-dait designer en parlant d'existence «objective» (cf. «Ockham's Nominalism

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and Unreal Entities)), Philosophical Review, vol. 86 [1977], p. 144-176; p. 149,note 16; et William Ockham, Notre Dame, IN, University of Notre Dame Press,1987, p. 77-78). Mais c'est la attribuer a Occam une doctrine, admise certes parnombre de ses aines, qu'il a toujours combattue. Dire d'une chose extra-mentalereellement existante qu'elle «existe dans un intellect)) — fut-ce l'intellectdivin — «objectivement», c'est, de la part d'Occam, comme l'a bien comprisAdam Wodeham (cf. Lectura secunda..., dist. 8, quest. 2, ed. citee, vol. Ill,p. 44, lig. 5-10), recourir a une expression mitaphorique dont le sens est seule-ment que cette chose est apprehendee par cet intellect, sans qu'elle doive pourautant acquerir en lui aucun mode d'existence {cf. Ord., dist. 36, quest. 1, dansOTh. IV, p. 534, lig. 7-8 et p. 550, lig. 8-15).

31 Lectura secunda..., Prol., quest. 6, ed. citee, vol. I, p. 148, lig. 23-36 et p. 149,lig. 9-10. Le fait que, dans le premier texte, ce soit Occam qui est cite, confirmeque c'est bien lui qui, des ses premieres lignes, est vise.

32 Cf. Quodlibets (dorenavant «Quod») IV, quest. 35, dans OTh. IX, p. 472-474,lig. 65-128.

33 Cf. Commentaire du Peri Hermeneias,\, Prooemium, OPh. II, p. 362-363,lig. 10-19, et Ord., Prol., quest. 3, dans OTh. I, p. 134, lig. 5-7. II existe meme un texteou Occam envisage la possibility d'une proposition dont non seulement chacundes extremes mais meme la copule, qui serait en ce cas un respectus d'inherence,serait une chose singuliere extra-mentale. Comme il le reconnalt lui-meme, lecomplexe propositionnel dont tels seraient les composants aurait alors tout en-tier une existence extra-mentale {Rep. II, quest. 1, dans OTh. V, p. 22, lig. 21-p. 23, lig. 2).

34 «Un fictum [... ] peut etre un terme d'une proposition et supposer pour toutesles choses dont il est une image ou une similitude)) {Ord., dist. 2, quest. 8, dansOTh. II, p. 279, lig. 6-11).

35 S'agissant, dans un texte deja cite {cf. note 26), de propositions vraies apparte-nant a la theologie des bienheureux, propositions dont le sujet est Dieu lui-meme, Occam affirme en effet que leur sujet «suppose pour lui-meme» {Ord.,Prol., quest. 9, dans OTh. I, p. 270, lig. 4).

36 La signification «naturelle» s'oppose a la signification «adplacitum», qui est ac-cordee a une chose par la volonte de celui ou de ceux qui l'utilisent comme si-gne, telle la signification accordee a une certaine production de la voix par ceuxqui l'utilisent comme un terme du discours oral.

37 Dans le Commentaire des Sentences, ce principe est affirme, entre autres, aux en-droits suivants: Ord., Prol., quest. 3, dans OTh. I, p. 134, lig. 17-18; Ord.,dist. 2, quest. 8, dans OTh. II, p. 282, lig. 17; et Ord., dist. 27, quest. 2, dansOTh. IV, p. 208, lig. 11-12.

38 C'est la une conception de la copule mentale contenue dans Rep. II, quest. 12-13, dans OTh. V, p. 280, lig. 17-21.

39 «[L'esprit] abstrait de mots oraux signifiant d'une certaine facon des conceptsgeneraux predicables de ces mots et impose ces concepts a signifier les chosesextra-mentales elles-memes que ces mots signifient et [a les signifier] de lameme maniere qu'eux» {Ord., dist. 2, quest. 8, dans OTh. II, p. 286, lig. 6-9,

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supprimant le point que les editeurs ont insere a la ligne 8). Sur cette doctrineoccamiste, on consultera l'interessant article de Hester Gelber : «I Cannot Tella Lie: Hugh of Lawton's Critique of William of Ockham on Mental Lan-guage», Franciscan Studies, vol. 44 (1984), p. 141-179, particulierement auxpages 146-153.

40 «Aucun des concepts "syncategorematique", "connotatif" ou "negatif " [... ]ne peuvent convenir a certains concepts plutot qu'a d'autres par eux-memes,mais seulement en vertu de la volonte des utilisateurs» (ibid., p. 285, lig. 15-20).

41 C/note 6.42 Dans un acte de jugement, «l'intellect non seulement apprehende un objet [no-

tamment un "complexe", c'est-a-dire ici une proposition mentale], mais lui ac-corde ou lui refuse son assentiment» (Ord., Prol., quest. 1, dans OTh. I, p. 16,lig. 12-14).

43 Cf. G. Gal «Gualteri de Chatton et Guillelmi de Ockham controversia de naturaconceptus universalis», Franciscan Studies, vol. 5 (1967), p. 191-212.

44 Sur cette doctrine des actes intellectifs et sur celle du discours mental qui en de-pend, nous avons deja la tres interessante etude de C. Panaccio «Intuition, abs-traction et langage mental dans la theorie occamiste de la connaissance», Revuede metaphysique et de morale, vol. 97, n° 1 (1992), p. 61-81.

45 Cf. Quod. V, quest. 5, dans OTh. IX, p. 496, lig. 17-19.46 Voir le texte cite plus bas a la note 50.47 Selon Quod. I, quest. 13, dans OTh. IX, p. 74, lig. 46-48, «la connaissance abs-

tractive qui est premiere par priorite de generation et qui est simple n'est pas uneconnaissance propre a une chose singuliere, mais est parfois, et meme toujours,une connaissance generale» et selon les Questions sur la physique (dorenavant«Phys.»), quest. 6, dans OPh. VI, p. 408, lig. 53-54, «par une telle connaissanceconfuse [qui est elle-meme une connaissance generate], des choses singulieresextra-mentales sont apprehendees».

48 «Quand l'objet est convenablement situe [par rapport au sujet], un concept spe-cifique et le concept d'etre sont causes en meme temps par la chose singuliereextra-mentale» (Quod. I, quest. 13, dans OTh. IX, p. 78, lig. 146-148), les con-cepts etant identifies ici a des actes d'intellection.

49 «Dans ce cas [ou un individu venant de loin est intuitivement apprehende] laconnaissance abstractive que j 'ai en premier par une priorite de generation estune connaissance de l'etre et de rien qui en soit une partie propre» (cf. Quod. I,quest. 13, dans OTh. IX, p. 74, lig. 53-55).

50 «La connaissance d'un genre est causee dans l'esprit par des individus de diffe-rentes especes, et ce en meme temps que les connaissances propres de ces indi-vidus» (Phys., quest. 7, dans OPh. VI, p. 411-412, lig. 33-35).

51 Ce en quoi il est surement victime d'une illusion (Wodeham, Lecturasecunda..., dist. 8, quest. 1, ed. citee, vol. Ill, p. 31, lig. 9-18).

52 «Avoir cette intellection confuse d'un homme n'est rien d'autre qu'avoir une in-tellection par laquelle un homme n'est pas apprehende plutot qu'un autre [ . . . ] ,mais [par laquelle] un homme est apprehende plutot qu'un ane» (Phys.,quest. 6, dans OPh. VI, p. 408, lig. 54-60).

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Occam 455

53 D'apres Phys., quest. 7, dans OPh. VI, p. 411, lig. 9-11 en effet «un concept ge-neral est une connaissance confuse done un concept propre [singulier] est uneconnaissance propre», la connaissance propre d'une chose etant la connais-sance intuitive de celle-ci (lig. 13-16).

54 Comme le rappelle Occam dans Quod. V, quest. 7, dans OTh. IX, p. 506, lig. 63-68, il est absolument impossible que nous ayons un concept singulier d'une chosedonnee (autre que Dieu) qui soit une connaissance abstractive simple de cettechose. Cela n'empeche nullement, comme il le reconnait dans Ord., dist. 2,quest. 9, dans OTh. II, p. 308, lig. 5-8, que si Ton identifie les concepts non a desficta, qui sont toujours generaux, mais a des actes d'intellection, il y ait des con-cepts singuliers simples. Ceux-ci seront toutefois non des actes d'intellection abs-tractive, comme l'a suppose C. Panaccio dans Les mots, les concepts et les choses(Montreal, Bellarmin; Paris, Vrin, 1992) aux pages 122-123, mais des actes d'in-tellection intuitive. Ces deux textes d'Occam sont done parfaitement compatibles.

55 Cf. Quod. IV, quest. 35, dans OTh. IX, p. 471, lig. 60-64.56 «De meme qu'un son vocal suppose par institution pour son signifie, de meme

cette intellection [a savoir l'apprehension intuitive d'une chose donnee] supposenaturellement pour la chose dont elle est [une intellection]. Mais en plus de cetteintellection d'une chose singuliere, l'esprit forme d'autres intellections qui nesont pas de cette chose plutot que de cette autre, de meme que le son vocal"homme" ne signifie pas Socrate plutot que Platon et par suite ne suppose paspour Socrate plutot que pour Platon» (Phys., quest. 7, dans OPh. VI, p. 411,lig. 22-27).

57 Du moins a une occasion d'emploi donnee. Voir a ce sujet l'article de C. Panac-cio cite a la note 44.

58 Quod. IV, quest. 17, dans OTh. IX, p. 386, lig. 142-146.59 Ibid.Mg. 136-142.60 Cf. Somme de logique, I, chap. 10, dans OPh. I, p. 35-38.61 Etant constitue par un concept dont il n'y a aucune raison de douter qu'il soit

un concept simple, ce terme sera lui-meme simple. Selon la seconde theorie oc-camiste du discours mental comme selon la premiere, il existe done des termessimples de ce discours qui sont connotatifs. Je rejoins ainsi la conclusion deC. Panaccio dans son etude «Connotative Terms in Ockham's Mental Lan-guage», Cahiers d'epistemologie, n° 9016, Montreal, Universite du Quebec aMontreal, 1990.

62 Cf. Quod. IV, quest. 35, dans OTh. IX, p. 471, lig. 44-48.63 Cf. Somme de logique, I, chap. 1, dans OPh. I, p. 7, lig. 19-21.64 Cf. Somme de logique, III-4, chap. 10, dans OPh. I, p. 798, lig. 197-200.65 Dans «Ockham on Mental Language)) (J. C. Smith, dir., Historical Foundations

of Cognitive Science, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1990, p. 53-70),Calvin Normore formule plusieurs hypotheses ingenieuses pour tenter de com-bler cette lacune (p. 60).

66 Cf. Quod. V, quest. 6, dans OTh. IX, p. 501, lig. 20-21.67 Cf. Phys., quest. 6, dans OPh. VI, p. 409-410, lig. 110-114 :«[ . . . ] la proposition

dans l'esprit "un homme est un animal" est un acte d'intellection par lequel est

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apprehende tout homme et un acte par lequel est apprehende tout animal con-fusement et qu'un homme et un animal sont numeriquement identiques — carcela est signifie par la proposition — de sorte que par cette proposition plusieurschoses sont apprehendees, et non une chose composee ni une chose simple».

68 Cf. Quod. V, quest. 7, dans OTh. IX, p. 501, lig. 26-28 : «[...] l'acte d'assenti-ment [... ] differe de la premiere apprehension d'une proposition, qui en est laformation)).

69 Cf. Quod. Ill, quest. 8, dans OTh. IX, p. 234, lig. 25-27 : «Quoiqu'il [l'hommefruste] accorde et sache qu'il en est, ou qu'il n'en est pas, de telle ou telle maniereen realite, et ce au moyen d'une proposition formee par son intellect, cependantcela il ne le percoit pas».

70 Peu apres le texte cite a la note precedente, on lit en effet:«[...] si tu demandessi quelque chose est su par cet acte [consistant a accorder qu'une pierre n'est pasun ane au moyen d'une proposition mentale non elle-meme apprehendee], je disqu'a proprement parler il ne convient pas de dire que quelque chose est su parcet acte, mais que par cet acte il est su qu'une pierre n'est pas un ane» (ibid.,lig. 30-32).

71 «L'acte d'assentiment, comme l'acte de savoir est double, l'un par lequel il estsu que quelque chose est ou n'est pas, comme je sais qu'une pierre n'est pas unane, et pourtant je ne sais ni une pierre ni un ane, mais je sais qu'une pierre n'estpas un ane [... ] l'autre par lequel quelque chose est su, de sorte que l'acte desavoir se rapporte a quelque chose» (ibid., p. 233, lig. 13-17). Voir aussi Quod. V,quest. 6, dans OTh. IX, p. 500, lig. 16-18.

72 Notamment par Gabriel Nuchelmans (cf. Theories of the Proposition, Amster-dam, North-Holland, 1973, p. 198, et «Adam Wodeham on the Meaning ofDeclarative Sentences)), Historiographia Linguistica, vol. 7, n° 1-2 [1980],p. 177-187,185), et par Katherine Tachau (cf. Vision and Certitude in the Age ofOckham, Leyde, Brill, 1988, p. 304-305, note 99).

73 Cf. Lectura secunda..., dist. 1, quest. 1, ed. citee, vol. I, p. 186, lig. 19-25, oul'auteur explique que, dans l'un des sens dans lesquels on peut la comprendre,la these qu'une proposition est precisement l'objet d'un acte d'assentiment im-plique qu'on ait «pose que le sujet ou le predicat est cela qui est apprehende, quece soit une chose ou xmfictum» de sorte que l'acte d'assentiment aura «la chosememe pour objet immediat partiel mais le tout complexe dont elle est une partiepour objet total». C'est, poursuit-il (lig. 29), en ce sens qu'Occam a admis cettethese. Wodeham a en cela parfaitement raison s'agissant de l'Occam du Com-mentaire des Sentences, auquel il renvoie d'ailleurs, mais il est surprenant qu'iln'indique pas que Guillaume a, plus tard, souscrit a une tout autre doctrine.