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politique étrangère 1:2005 188 THÉORIES DES RELATIONS INTERNATIONALES Dario Battistella Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Références inédites », 2003, 512 pages Ce livre procède d’un enseignement donné par l’auteur à l’école doctorale de science politique de l’Institut d’études politiques de Bordeaux, et s’inscrit en faux contre le penchant de certains universitaires à récuser l’autonomie des relations internationales comme discipline scientifique et à négliger la théorie, alors que la signification origi- nelle du verbe grec theorein est « d’observer avec émerveillement ce qui se passe pour le décrire, l’identifier et le comprendre ». À rebours de ceux qui doutent de l’existence d’une théorie en la matière, Dario Battistella affirme haut et fort que les relations inter- nationales sont une science sociale, qui se caractérise par un objet d’étude délimité et une démarche scientifique reconnue. Partant de l’origine du mot « international » forgé par le philosophe utilitariste britannique Jeremy Bentham au début du XIX e siè- cle, il s’efforce de définir la spécificité et la cohérence des relations internationales avant de s’interroger sur la méthode la plus appropriée pour étudier ledit objet. Le premier critère de délimitation des relations internationales est l’existence de rela- tions horizontales régulières entre des groupes sociaux basés territorialement et déli- mités politiquement les uns par rapport aux autres. Dans l’histoire de l’Occident, c’est à partir des XVII e et XVIII e siècles que naît un véritable système international fondé sur l’interaction d’États souverains, qui ne reconnaissent au-dessus d’eux aucune autorité légitime pour arbitrer leurs différends. Aussi l’état de nature ou l’anarchie est-il tout à la fois le trait fondamental de la vie internationale et le point de départ de toute réflexion théorique sur celle-ci. Ce postulat de la structure anar- chique du milieu international n’a pas été mis en question par l’évolution ultérieure qui étend le champ des relations internationales aux acteurs non-étatiques, ou privi- légie le raisonnement en termes de globalisation et de mondialisation. Quant à l’étude méthodique des relations internationales, elle est ancienne mais les réflexions des auteurs classiques tels Thucydide, Machiavel, Grotius, Hobbes, Locke et Kant relèvent de ce que Raymond Aron appelait la « connaissance contemplative de l’ordre essentiel du monde », qui n’est plus guère acceptée dans les sciences sociales. Depuis que celles-ci se sont constituées en disciplines à part entière, la notion de théo- rie a pris un sens plus précis et doit être fondée sur l’observation empirique et le rai- sonnement logique. Ainsi les libéraux internationalistes britanniques, au lendemain de la Première Guerre mondiale, se proposaient-ils d’étudier la politique internatio- nale à partir de « la simple exposition des faits politiques tels qu’ils existent dans l’Europe d’aujourd’hui », et les réalistes américains tels que Hans Morgenthau ont voulu « présenter une théorie de la politique internationale s’accordant avec les faits et conséquente avec elle-même », le but poursuivi étant d’apporter « ordre et significa- tion à une masse de phénomènes qui, sans cela, resteraient sans lien et inintelligibles ». Toutefois, deux conceptions de la théorie coexistent. L’une, explicative, ambitionne de donner des relations internationales une explication comparable à celles que don- nent des phénomènes naturels les sciences exactes ; l’autre, compréhensive, prend ses distances par rapport à l’universalisme rationaliste et postule que les objets qu’étudient les sciences sociales sont radicalement différents des objets des sciences Livre PE 1-2005.book Page 188 Lundi, 21. février 2005 6:13 18

THÉORIES DES RELATIONS INTERNATIONALES...demeurent des termes de référence pour les théoriciens contemporains. En effet, depuis que les relations internationales sont devenues

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THÉORIES DES RELATIONS INTERNATIONALESDario BattistellaParis, Presses de Sciences Po, coll. « Références inédites », 2003, 512 pages

Ce livre procède d’un enseignement donné par l’auteur à l’école doctorale de sciencepolitique de l’Institut d’études politiques de Bordeaux, et s’inscrit en faux contre lepenchant de certains universitaires à récuser l’autonomie des relations internationalescomme discipline scientifique et à négliger la théorie, alors que la signification origi-nelle du verbe grec theorein est « d’observer avec émerveillement ce qui se passe pourle décrire, l’identifier et le comprendre ». À rebours de ceux qui doutent de l’existenced’une théorie en la matière, Dario Battistella affirme haut et fort que les relations inter-nationales sont une science sociale, qui se caractérise par un objet d’étude délimité etune démarche scientifique reconnue. Partant de l’origine du mot « international »forgé par le philosophe utilitariste britannique Jeremy Bentham au début du XIXe siè-cle, il s’efforce de définir la spécificité et la cohérence des relations internationalesavant de s’interroger sur la méthode la plus appropriée pour étudier ledit objet.

Le premier critère de délimitation des relations internationales est l’existence de rela-tions horizontales régulières entre des groupes sociaux basés territorialement et déli-mités politiquement les uns par rapport aux autres. Dans l’histoire de l’Occident,c’est à partir des XVIIe et XVIIIe siècles que naît un véritable système internationalfondé sur l’interaction d’États souverains, qui ne reconnaissent au-dessus d’euxaucune autorité légitime pour arbitrer leurs différends. Aussi l’état de nature oul’anarchie est-il tout à la fois le trait fondamental de la vie internationale et le pointde départ de toute réflexion théorique sur celle-ci. Ce postulat de la structure anar-chique du milieu international n’a pas été mis en question par l’évolution ultérieurequi étend le champ des relations internationales aux acteurs non-étatiques, ou privi-légie le raisonnement en termes de globalisation et de mondialisation.

Quant à l’étude méthodique des relations internationales, elle est ancienne mais lesréflexions des auteurs classiques tels Thucydide, Machiavel, Grotius, Hobbes, Lockeet Kant relèvent de ce que Raymond Aron appelait la « connaissance contemplative del’ordre essentiel du monde », qui n’est plus guère acceptée dans les sciences sociales.Depuis que celles-ci se sont constituées en disciplines à part entière, la notion de théo-rie a pris un sens plus précis et doit être fondée sur l’observation empirique et le rai-sonnement logique. Ainsi les libéraux internationalistes britanniques, au lendemainde la Première Guerre mondiale, se proposaient-ils d’étudier la politique internatio-nale à partir de « la simple exposition des faits politiques tels qu’ils existent dansl’Europe d’aujourd’hui », et les réalistes américains tels que Hans Morgenthau ontvoulu « présenter une théorie de la politique internationale s’accordant avec les faits etconséquente avec elle-même », le but poursuivi étant d’apporter « ordre et significa-tion à une masse de phénomènes qui, sans cela, resteraient sans lien et inintelligibles ».

Toutefois, deux conceptions de la théorie coexistent. L’une, explicative, ambitionnede donner des relations internationales une explication comparable à celles que don-nent des phénomènes naturels les sciences exactes ; l’autre, compréhensive, prendses distances par rapport à l’universalisme rationaliste et postule que les objetsqu’étudient les sciences sociales sont radicalement différents des objets des sciences

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de la nature, et que l’on peut simplement interpréter les relations internationales àpartir du sens que leur donnent les acteurs eux-mêmes. La théorie explicative nes’est imposée qu’à partir de la révolution béhavioriste des années 1950, et le néoréa-lisme d’un Kenneth Waltz ou le néolibéralisme institutionnel d’un Robert Keohanesont représentatifs de cette conception de la recherche et de la démarche hypothé-tico-déductive qui la sous-tend. Mais ses prétentions scientifiques, notamment auplan de la prédiction, ont été démenties par les mutations du système internationalliées à la fin de la guerre froide, et on assiste depuis lors au renouveau de la théoriecompréhensive, que Raymond Aron avait prônée dans son article séminal paru en1967 dans la Revue française de science politique : « Qu’est-ce qu’une théorie des rela-tions internationales ? ».

Se fondant sur les difficultés qu’il avait rencontrées en composant son ouvrage Paixet guerre entre les nations (1962), il avait abouti à la conclusion qu’il ne peut y avoir dethéorie générale des relations internationales à cause de « l’indétermination de laconduite diplomatico-stratégique » et de l’impossibilité de discriminer les variablesendogènes au système international (la configuration en pôles de puissance) desvariables exogènes (les rapports de force économiques ou les régimes internes desÉtats). Selon lui seule l’approche sociologique permet de comprendre en profondeurla diversité des systèmes internationaux et d’étudier le comportement des acteurs àpartir de la façon dont ils définissent les enjeux et les solutions des problèmes aux-quels ils sont confrontés. Ainsi la démarche scientifique en relations internationalesvarie non seulement en fonction de l’idée que l’on se fait de la théorie mais aussiselon le niveau d’analyse que l’on retient pour expliquer ou comprendre le monde.

Ce sont ces spécificités de la discipline que Dario Battistella expose en détail dans sonouvrage, en la situant dans le prolongement de l’histoire des idées politiques ; il pré-sente ensuite un panorama complet des théories générales qui cherchent, à partird’une vision globale, à éclairer les relations internationales dans leur ensemble.Enfin, il évoque les débats suscités par l’application de ces approches générales dansdes secteurs partiels, tels que la coopération, l’intégration, la sécurité, la guerre et lapaix, etc. Le but affiché est avant tout pédagogique, puisqu’il s’agit de mettre à la dis-position des étudiants et des enseignants un manuel dont la consultation est aiséegrâce à un index des noms et des concepts soigneusement établi. Mais l’auteur ambi-tionne également de fournir au citoyen une grille de lecture des événements interna-tionaux, et de le convaincre de l’utilité des théories pour « se faire une idée plusrigoureuse des réponses à donner aux grandes questions de l’actualité ». Il ne sauraitêtre question de résumer la substance d’un livre qui a vocation à devenir l’ouvragede référence en langue française sur les théories des relations internationales et l’onse bornera à quelques observations sur la démarche de l’auteur et les conclusionsauxquels il aboutit au terme de son exploration de l’immense littérature consacrée àson sujet et qu’il a su parfaitement maîtriser.

En premier lieu, on relève que Dario Battistella ne dédaigne pas l’apport des classi-ques de la pensée politique au développement de la production théorique et constateque les trois traditions (réaliste, libérale et globaliste) auxquelles ils se rattachentdemeurent des termes de référence pour les théoriciens contemporains. En effet,depuis que les relations internationales sont devenues une discipline – la première

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chaire de « Politique internationale » a été créée en 1919 à l’University College ofWales à Aberyswyth, en Grande-Bretagne –, on observe une certaine continuité à cetégard puisque réalistes et libéraux existent toujours, tandis que les globalistes ontinspiré des courants aussi divers que le transnationalisme, le marxisme et le cons-tructivisme. En outre, les controverses entre spécialistes sur des questions clés tellesque le but, la méthode, l’objet et la faisabilité d’une science des relations internatio-nales n’ont toujours pas été tranchées. Au terme de son survol de l’histoire de la dis-cipline et des débats épistémologiques qui l’ont jalonnée, l’auteur conclut àl’émergence de trois paradigmes dominants – le réalisme, le libéralisme et le cons-tructivisme – et à l’impossibilité d’une connaissance cumulative en relations interna-tionales. Il faut donc se rendre à l’évidence que l’on ne parviendra jamais à « unevérité définitive sur l’état du monde » et qu’il faudra se contenter « d’un corpus, deproblématiques et de concepts organisateurs permettant de saisir les grandes ten-dances de la politique internationale » (Marie-Claude Smouts). C’est à l’étudedétaillée de ces corpus généraux et de ces problématiques sectorielles que l’auteurs’est attaché, avec le souci de présenter sur un pied d’égalité six approches générales,et de souligner la prééminence du paradigme réaliste dès lors qu’il s’agit d’analysespartielles portant soit sur des thèmes classiques – la conduite de la politique étran-gère, les causes de la guerre et les conditions de la paix, la notion de sécurité – soitsur des problématiques plus contemporaines – les phénomènes d’intégration régio-nale, les processus de coopération et l’économie politique internationale.

C’est dire que dans le débat sur les théories des relations internationales, l’auteur nedissimule pas sa prédilection pour une approche réaliste, même si son souci premierest de rendre compte d’une manière équitable de la diversité des écoles de penséedans ce domaine. En tout cas, son ouvrage offre un vaste panorama des idées con-temporaines en la matière et se fonde sur une connaissance encyclopédique de la lit-térature française et anglo-saxonne. Toutes les propositions qu’il avance sontsolidement argumentées et bien étayées et chaque chapitre est assorti d’une biblio-graphie commentée qui fournit au lecteur des orientations précieuses pour desrecherches complémentaires. On regrettera seulement que Dario Battistella n’ait pasabordé la question des rapports entre théorie et pratique et ne se soit pas prononcésur l’utilité des théories pour éclairer la pratique diplomatique. De même, on peutdéplorer qu’il ait exclu du champ de ses investigations les études stratégiques au pré-texte qu’elles constituent la dimension policy-relevant des études de sécurité, alorsque le rôle du facteur militaire dans les relations internationales ne peut être ignoré,qu’il s’agisse de son instrumentalisation au service d’une politique hégémonique oude la persistance des conflits armés dans les zones instables du Tiers-Monde. Enfin,si la théorie de la paix démocratique fait l’objet d’une présentation nuancée, l’expor-tation de la démocratie à la pointe des baïonnettes sous le signe d’un « wilsonismebotté » (Pierre Hassner) soulève depuis la guerre contre l’Irak des questions sensiblesqui mériteraient un examen particulier. Aussi formons-nous le vœu que les appro-ches polémologiques de la sécurité internationale et les théories de la stratégie soientprises en compte dans les prochaines éditions de ce remarquable manuel.

Jean KleinProfesseur à l’Université Paris I Sorbonne

et chercheur associé à l’Ifri

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HISTOIRE

HISTOIRE ET GÉOPOLITIQUE DES BALKANS DE 1800 À NOS JOURSErnest WeibelParis, Ellipses, 2002, 642 pages

HISTOIRE ET GÉOPOLITIQUE DE L’EUROPE CENTRALE.DE L’ANTIQUITÉ À L’UNION EUROPÉENNEErnest WeibelParis, Ellipses, 2004, 560 pages

Le même auteur, historien et politologuede l’Université de Neuchâtel, nousdonne, à deux ans d’intervalle, deuxouvrages magistraux, l’un sur les Balk-ans (B), l’autre sur l’Europe centrale(EC). Il étudie toutes les parties del’Europe qui constituaient, vers 1800,l’Empire ottoman (B) et celui des Habs-bourg (EC), soit une bonne quinzained’États actuels, un quart du continent.

Le second ouvrage propose, dans sescent premières pages, une esquisse desdix-huit siècles précédents, depuisl’Empire romain. Mais la période quiintéresse particulièrement l’auteur, c’estcelle des nationalismes florissants etantagonistes, de la révolution de 1848 àla Seconde Guerre mondiale. La seuledécennie 1912-1922 couvre un tiers dulivre sur les Balkans. En revanche, l’épo-que communiste est traitée assez som-mairement.

Ce qui frappe dans ces deux ouvrages, etqui en fait l’originalité, c’est l’extrêmesouci du détail : géographique, chrono-logique, juridique. L’histoire n’est pasvue seulement depuis les capitales. Cha-que parcelle du cadastre européen estprise en considération. Nous pouvonssuivre par le menu les répercussions desgrandes crises européennes chez les dif-

férentes populations des diverses par-ties de la Thrace turque, de la Dobroudjaou du Tyrol du Sud. Rien n’est négligéde la composition ethnographique dechaque territoire, grand ou petit, ni destendances qui s’y affrontent. Le moindreévénement est daté avec précision, et lessituations passagères décrites avecautant de minutie que celles qui ontduré. Si vous voulez des précisions surles diverses phases de la révolution hon-groise de 1848, sur les jeux diplomati-ques intervenus entre les deux guerresbalkaniques, ou sur les fluctuations de laGrèce pendant la Première Guerre mon-diale, c’est ici que vous les trouverez.Les statistiques abondent, les stipula-tions des traités et des constitutions,même les plus éphémères, sont soigneu-sement analysées. Bref, ces deux livressont une mine inépuisable de donnéesprécises qui, me semble-t-il, n’avaientjamais été rassemblées ainsi. Ils serontun instrument de travail irremplaçable.

L’attention à l’infiniment petit n’exclutpas la largeur de vue. L’auteur s’inscriten faux contre deux écoles de pensée quin’ont cessé de dominer l’étude de cespays en France. L’une, qu’il dénonceexplicitement, est l’historiographie com-muniste, qui voyait dans la démocratiepopulaire l’aboutissement naturel del’histoire de ces peuples, tandis que« toutes les séquences historiques qui nes’inscrivaient pas dans ce canevas inter-nationaliste étaient soit corrigées, soitécartées » (B, p. 9).

L’autre (moins ouvertement identifiée)est l’historiographie française issue de laGrande Guerre, hostile par principe auxempires multinationaux et particulière-ment à l’Autriche-Hongrie, et convain-cue que toutes les aspirations despeuples avaient été satisfaites à Ver-sailles. Aujourd’hui la critique des illu-

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sions versaillaises n’est plus à faire, maisde nombreuses traces inconscientes ensont restées dans la mentalité française.Elles ont ressurgi, par exemple, lors desrécents conflits yougoslaves. L’auteurn’a pas de peine à montrer, à partir desréalités de terrain, l’incohérence et lanocivité de tant de décisions prises àVersailles. Il juge, pièces en main, que« la monarchie des Habsbourg […]n’était pas parfaite, mais avait favorisé lacollaboration et le compromis entre lespeuples » (EC, p. 537).

Plus généralement, son exposé montreclairement comment les nationalismesengendrent des conflits inextricables,auxquels on ne peut remédier par dessolutions simplistes et partiales, commetoutes celles qui furent adoptées aprèschacune des grandes crises (Paris 1856,Berlin 1878, Versailles 1919, Yalta 1945).Dans toutes ces conférences, les « gran-des puissances » n’ont songé qu’à leursintérêts et se sont peu intéressées à laréalité des peuples.

On regrettera que l’histoire relatée soittrès strictement politique. Les nationali-tés si minutieusement comptabiliséessont des phénomènes culturels, et lesdébats idéologiques qui président à leuréclosion, à leur délimitation, devraientêtre analysés de façon moins sommaire :par exemple, l’affirmation progressivedes diverses nationalités sud-slaves dèsle milieu du XIXe siècle. Les rubriquesnationales qui figurent un peu partoutne parlent pas d’elles-mêmes, ellesdevraient être décryptées. Il semble par-fois que l’auteur manque de recul criti-que envers les sources qu’il utilise, leurterminologie, leurs statistiques. On saitbien pourtant que tout dans ces régions,les mots comme les chiffres, est biaisépar la passion nationaliste.

Une somme aussi vaste ne peut allersans quelques erreurs ou inexactitudes.Je n’en donnerai qu’un exemple. Larébellion du Monténégro contre les Ita-liens, commencée le 13 juillet 1941, nes’est pas faite « sous la direction destchetniks » (B, p. 514), mais sous celledes partisans, et plus particulièrementde Milovan Djilas. Les tchetniks, eux,n’ont jamais cessé de collaborer avec lesItaliens.

Il est dommage enfin que la lecture soitgênée par de nombreuses coquilles, etplus encore par une incohérence com-plète dans la graphie des noms propresétrangers (slaves, hongrois, albanais etautres). Un même nom change parfoisde forme dans une même page. C’est leseul point où soient en défaut la minutiede l’auteur, ainsi que son respect pourles « petits » peuples, qui devrait s’éten-dre aussi à leurs langues.

Au total, il nous a donné une sommedont désormais aucun lecteur s’intéres-sant à l’Europe du Sud-Est et du centrene pourra se passer.

Paul Garde

FAIRE LA GUERRE : ANTOINE-HENRI JOMINIJean-Jacques Langendorf

TOME I. CHRONIQUE, SITUATION, CARACTÈREChêne-Bourg/Genève, Georg, 2001, 390 pages

TOME II. LE PENSEUR POLITIQUE, L’HISTORIEN MILITAIRE,LE STRATÉGISTEChêne-Bourg/Genève, Georg, 2004, 384 pages

Publié en 2001, le premier volume con-sacré par Jean-Jacques Langendorf àAntoine-Henri Jomini a pu susciter des

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sentiments contrastés chez ses lecteurs.Si la chronologie de 300 pages abondam-ment commentée qui forme l’essentielde l’ouvrage a peut-être déçu ceux quiespéraient une biographie intellectuellede l’auteur du Précis de l’art de la guerre1,elle a incontestablement ravi les initiésqui y ont trouvé une masse d’informa-tions complétant les connaissances par-tielles dont nous disposions sur la vie etl’œuvre du stratégiste suisse. Trois ansplus tard, le second volume créera l’una-nimité tout en fixant la fonction de cettelongue chronique, à laquelle le lecteurest régulièrement invité à se référer.Les analyses de J.-J. Langendorf s’y dé-ploient pleinement, tout comme s’y pré-cise le double avantage dont dispose sonétude par rapport à celles qui l’ont pré-cédée. D’une part, l’auteur a embrasséun vaste corpus d’archives dont unepartie significative a jusque-là été igno-rée. D’autre part, sa parfaite connais-sance de la pensée tactique etstratégique des XVIIIe et XIXe siècles, enparticulier dans ses composantes alle-mande et autrichienne, l’autorise à depertinentes mises en perspective compa-ratives qui permettent de saisir la spéci-ficité des conceptions jominiennes. Destrois parties qui composent ce secondvolume – « Le penseur politique »,« L’historien militaire » et « Le straté-giste » – c’est sans aucun doute la der-nière qui suscitera l’attention la plussoutenue. Introduite par une généalogieintellectuelle des réflexions de Jominisur la stratégie, elle se développe sur 200pages d’une analyse serrée qui nousconduit du contenu des écrits du généralsuisse à leur réception immédiate etleurs commentaires contemporains.Sans complaisance, J.-J. Langendorf sou-ligne les faiblesses de la démarche jomi-

nienne en reprenant à son compte, et endéveloppant, des critiques précoces for-mulées, entre autres, par le général prus-sien Otto Rühle von Lilienstern et lecapitaine français Louis Faraud : confu-sions définitionnelles, inflation des ter-mes techniques, manie classificatrice,méconnaissance de l’action réciproque,des forces morales et des frictions dansl’acte de guerre. La charge est particuliè-rement puissante dans les sections por-tant sur « La signification du Précis » etsur la « (més-) utilisation de l’histoiremilitaire pour la théorie » (p. 320-326), etil appartiendra aux « adeptes » du géné-ral suisse ou à ceux de « l’œcuménisme »(entre les conceptions clausewitzienneset jominiennes) de démontrer si, sur cer-tains points, elle est excessive. L’étudene se réduit cependant pas à cette criti-que incisive et solidement argumentée.Bien que J.-J. Langendorf sape les fonde-ments du projet de Jomini consistant àformuler des principes stratégiques irré-futables et immuables, il met en exergued’autres éléments de ses réflexions surl’art de la guerre qui présentent un inté-rêt certain : « efforts méritoires d’éclair-cissement » par rapport aux écrivainsmilitaires du XVIIIe siècle, rapproche-ment entre les facteurs politique et mili-taire de la guerre, détermination desconditions idoines à la conduite des opé-rations, « contribution considérable »dans le domaine de la logistique et priseen considération pertinente du facteurmaritime. Les dernières sections de latroisième partie du second volume sontconsacrées à une incontournable compa-raison entre Jomini et Clausewitz. Aprèsune intéressante présentation du posi-tionnement de différentes catégoriesd’auteurs – les « adeptes », les « enne-mis » et les partisans de « l’œcumé-nisme » – sur la question, J.-J. Langendorfva « au fond des choses ». S’il s’abstientde se ranger explicitement dans l’une de1. A.-H. Jomini, Précis de l’art de la guerre, Paris, Perrin,

2001 (1re édition : 1836).

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ces trois catégories, il ne saurait se situerdans la première, et chacun décidera sil’une des deux autres lui sied ou s’il con-vient d’en créer une quatrième danslaquelle s’assume la hiérarchisation dessavoirs stratégiques. Donnons tout demême un indice en citant une métaphoremusicale de Jean-Jacques Langendorf :« Bülow est celui qui interprète un con-certo de Beethoven à la flûte, Jomini auclavecin et Clausewitz au piano-forte. »En conclusion de son étude, l’auteurs’interroge sur l’actualité de l’œuvre deJomini. Quoiqu’il exclue une influencedirecte des écrits du général suisse surles stratégistes et stratèges contempo-rains, il décèle la permanence d’un « étatd’esprit jominien » relevant de lavolonté d’introduire une rationalité stra-tégique dans la conduite de la guerre. J.-J.Langendorf n’est pas convaincu del’absolue nécessité de « récupérer »Jomini pour notre époque. En revanche,il est certain que ces deux volumes doi-vent dorénavant figurer aux côtés duPrécis dans toute bibliothèque stratégi-que qui se respecte.

Ami-Jacques Rapin

LA PRESSE FRANÇAISE ET LA PREMIÈRE GUERREDU GOLFEMarc HeckerParis, L’Harmattan, 2003, 164 pages

Plusieurs ouvrages ont traité de l’infor-mation dans les guerres « postmoder-nes » de l’après-guerre froide, enparticulier durant le premier conflit con-tre l’Irak de Saddam Hussein. L’intérêtdu livre de Marc Hecker est d’étudier lesegment limité des hebdomadaires fran-çais : il en tire un panorama clair, àdéfaut d’être rassurant.

En gros, son constat tient en trois points.La masse des articles publiés par ces heb-domadaires, avant l’ouverture des hosti-lités, et pendant ces hostilités, exprimeune doxa très majoritaire : la guerre estinévitable ; Saddam Hussein est le dia-ble ; l’armée irakienne est l’une des pluspuissantes du monde ; la guerre quis’annonce est juste ; la guerre qui se faitest propre. Cette guerre étant d’abordprésentée comme un spectacle (à l’imagedes bombes traçantes frappant de nuitBagdad pour le plus grand profit deCNN), on s’avise tard (en février) qu’elletue : la haute conscience journalistiquequestionne alors l’idée commune de laguerre technologico-chirurgicale. Enfin,si les énoncés de certains hebdomadairessont plus pluriels que d’autres (Le Pointse distinguant dans son alignement surla vulgate américaine), seuls le Canardenchaîné ou L’Humanité adoptent un tonanti-guerre, ou systématiquement criti-que à l’encontre des vérités révélées dupolitico-militaire.

On lira avec intérêt cette étude fouillée,basée sur les textes et sur de multiplesentretiens avec des journalistes, ou desresponsables militaires. Par prudenceintellectuelle, sans doute, l’auteur parle àde multiples reprises d’un consensus« apparent » des hebdos : la lecturen’accrédite pas son adjectif. Le consen-sus autour d’images auto-fabriquées, oude données de propagande (parfois seu-les disponibles) est un fait – même si unepoignée de minoritaires résistent. Et c’estencore ensemble que les journalistesvireront de bord début février en dénon-çant les ravages d’une guerre qu’ilsn’avaient pas eu le temps d’imaginer…

D’où la question : pourquoi ? Si l’onpasse les explications trop simples(l’inféodation au complexe militaro-industriel, ou pétrolier), ou l’incurable

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bonne conscience journalistique (Jean-François Kahn : « Ce n’est pas la télévi-sion qui a menti, mais le mensonge quis’est servi de la télévision » !…), onretrouve non tant la propagande politi-que, mais l’auto-intoxication desmédias. Après tout, chacun son métier :les militaires contrôlent l’information deterrain ; les politiques font croire à la jus-tesse de leur cause. On imagine que lemétier des journalistes est de chercher lefait, et d’en faire une information pré-sentable au public. Naïveté. L’ouvragede Marc Hecker – même si ce n’est pas làson but – traduit, presque à son insu, lavérité des médias d’aujourd’hui : la« demande d’information » est tropforte (mais qui la créée ?) pour qu’unjournal, ou pire une télévision, puisse nerien montrer, dire peu, exprimer sonignorance – que cette dernière soit due àl’incompétence (ah ! Josette Alia décri-vant les mini-Tchernobyl ourdis parSaddam…) ou au black out militaire. Ilfaut dire, être là, faire spectacle, la presseécrite emboîtant le pas de médias télévi-sés qui font norme.

Le livre rend certes à sa manière justiceau « difficile métier de journaliste ».Mais la « difficulté » renvoie plus àl’aliénation du système médiatique qu’àla méchanceté des censeurs. Les instru-ments de réflexion fournis par MarcHecker sont précieux. On attend uneétude semblable sur le consensus média-tique anti-Saddam en 2002 dans lapresse américaine, et sur le consensusantiaméricain de la presse française à lamême date. On n’a pas la presse qu’oncroit, mais celle qu’on mérite.

Dominique David

HUMANITAIRE

ILS NOUS AVAIENT PROMIS LA PAIX.OPÉRATIONS DE L’ONU ET POPULATIONS LOCALESBéatrice PoulignyParis, Presses de Sciences Po, 2004356 pages

Quand on parle du maintien de la paixde l’Organisation des Nations unies(ONU), on parle du Conseil de sécurité,du travail du secrétaire général et de sesreprésentants spéciaux, des observa-teurs internationaux stationnés dans desendroits impossibles, des casques bleusdéployés pour séparer des combattantsdans des conflits complexes ou pris aupiège de l’intervention humanitaire, des« internationaux » déployés dans deszones de crise pour stabiliser une situa-tion ou remettre en état de marche unÉtat. Quand on parle des actions de la« communauté internationale », onparle des dispositifs mis en place, trèsrarement de leurs effets sur les popula-tions locales. De ce point de vue, Béa-trice Pouligny comble une lacune dansl’étude des institutions internationaleset de leurs actions.

Les internationaux, quand ils sedéploient, sont au service des popula-tions locales qu’ils sont censés aider,mais ne se préoccupent guère de ce queces populations perçoivent de leur pré-sence : « Les opérations de paix del’ONU conduites depuis un peu plusd’une décennie reflètent combien lesproblèmes de sécurité internationalerestent pensés loin des réalités sociales,politiques, économiques et tout simple-ment humaines du terrain ». C’est doncun autre aspect de ces interventionsinternationales, de plus en plus nom-breuses et de plus en plus complexes,qui est ici présenté : le point de vue des

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populations locales, récipiendaires del’intervention décidée par le Conseil desécurité des Nations unies, « acteurs-receveurs » de l’aide internationale. Béa-trice Pouligny nous livre également uneanalyse détaillée de ce qu’est une opéra-tion de paix de l’ONU : de quoi elle estfaite, de qui elle est composée, commentelle est conduite, comment elle estacceptée localement.

Dans les conflits intra-étatiques actuelsoù les interlocuteurs des peace-keepers nesont pas seulement les autorités légalesdu pays, mais une diversité de factions,de milices, de mouvances plus ou moinsreprésentatives de franges de la popula-tion locale aux relations changeantes, nepas penser l’« hétérogénéité, la pluralitédes logiques sociales qui coexistent » surle terrain, c’est n’appliquer qu’une par-tie de la solution à la crise, occulter leproblème de l’appropriation nécessairepar les populations et les gouvernantslocaux des processus de transition poli-tiques et économiques mis en place parles institutions internationales, et igno-rer une partie des dynamiques qui con-duisent à une paix durable. Or, « il esttemps que nous réfléchissions auxmanières de gagner la paix ».

Béatrice Pouligny détaille au cœur deson livre, par des exemples pris à Haïti,au Salvador, en Bosnie, au Cambodge,en Somalie, au Congo et ailleurs, « lesdifférents visages des populations loca-les », « l’intervention et la souverainetévues d’en bas » et « les stratégies desacteurs locaux » et plus particulière-ment : la réalité des réseaux complexesd’interaction entre acteurs économi-ques, sociaux, religieux, politiques, mili-taires qui influent sur le processus depaix en cours, le fossé entre les popula-tions locales et le personnel des missionsonusiennes, leurs systèmes de valeursdifférents, les ambiguïtés de la « com-

munauté internationale » sur lesquellesjouent les acteurs locaux, l’inexpériencede casques bleus sans directives clairesface à cette complexité, leur utilisationcomme bouc émissaire par les autoritéspolitiques locales, l’absence de forma-tion et d’information du personnelenvoyé sur les missions, les divergencesd’analyse et les tensions entre le secréta-riat à New York et les missions sur le ter-rain (voire entre les composantes d’unemême mission), les promesses nontenues par les uns et les espoirs déçusdes autres…

Ce sont en fait deux mondes quis’affrontent : le monde réel et complexede la société qui reçoit l’intervention et le« monde hors du monde, fonctionnanten vase clos » des missions onusiennes.Dans ces conditions est posée la ques-tion de la légitimité de l’interventionpour les populations locales, et on com-prend que celle-ci ne soit « jamaisacquise une fois pour toutes » : « aucuneintervention n’est perçue comme “neu-tre” ni même “impartiale” par lesacteurs politiques et sociaux locaux ». Sepose également la question de l’effica-cité des opérations de paix, cette « ingé-niérie qui propose de l’extérieur unnouveau cadre », qui suppose de nou-velles règles, et de nouvelles institu-tions, destinées à la fois à fournir desinterlocuteurs représentatifs et à fairerespecter ces nouvelles règles, bref « la(re) construction de l’État et, par consé-quent, la (re-) définition du contratsocial ». Tâche immense, qui ne renvoiepas à des processus linéaires, et pourlaquelle la « communauté internatio-nale » doit impérativement apprendre àse coordonner : « Les chemins vers lapaix s’apparentent bien moins aux auto-routes qu’aux chemins cahoteux etdéfoncés, parfois à peine tracés ».

Alexandra Novosseloff

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RELATIONS INTERNATIONALES

MORALE MAXIMALE, MORALE MINIMALEMichael WalzerParis, Bayard, 2004, 156 pages

DE LA GUERRE ET DU TERRORISMEMichael WalzerParis, Bayard, 2004, 254 pages

Les deux ouvrages, parus simultané-ment en France, constituent la prolon-gation des apports majeurs de MichaelWalzer à la philosophie politique con-temporaine. Ils s’articulent autour de laremise en question des fondements etde l’applicabilité des règles morales,entreprise il y a 30 ans par le penseuraméricain. Le premier déploie la con-ception « communautarienne » desimpératifs moraux, ancrée précédem-ment dans Sphères de Justice, tandis quele second confronte à un contexte inter-national tempétueux, la conceptionwalzérienne de la doctrine de guerrejuste qu’avait initié, en 1977, l’ouvrageGuerre juste et injuste1.

Dans Morale minimale, morale maximale,le philosophe s’efforce de scinder deuxensembles de préceptes moraux : unemoralité « restreinte » apparentée à unnombre réduit de règles universelles, etune moralité « élargie » issue des histoi-res et des cultures particulières. Le cœurde l’approche défendue par M. Walzerrepose sur la volonté de dissiper l’illu-sion moderne de la préexistence d’unemorale immanente et syncrétique. Con-testant la perspective habbermasiennetout en surmontant l’écueil relativiste, ilsoutient que « le minimum ne fonde pasle maximum, il n’en est qu’un élémentconstitutif » (p. 40). Cette inversion durapport de causalité l’amène à réduire la

« morale maximale » à une poignéed’axiomes, et à réévaluer le rôle essentielde ce qu’il nomme « principe de solida-rité ». Pour le philosophe, ce principefonde le droit des peuples à disposerd’eux-mêmes et le devoir d’entraide auxpopulations opprimées. Ce dernier est,en outre, l’un des points de passagethéoriques vers son second ouvrage.

De la guerre et du terrorisme repose sur latraduction d’Arguing about war (2004),compilation d’articles et d’allocutionsdu philosophe dont le titre original sem-ble d’ailleurs nettement mieux retrans-crire l’objet réel de sa démarche. Sestravaux paraissent être l’un des stadesavancés d’un courant intellectuel millé-naire, la doctrine de la « guerre juste ».Théorie dont la dénomination traduitune préoccupation ambivalente, visantautant à contraindre le recours à la forcequ’à le rendre moralement envisageableafin de défendre une paix qui n’est pascelle des bourreaux. Le philosophes’efforce de tenir le fil de cette logiquepérilleuse, et tente d’user avec constancedu ferment moraliste comme d’un solideinstrument critique dans l’évaluation dela légitimité de l’emploi de la force. Ilconfronte ainsi ses critères à l’utilisationde la force dans les guerres israélo-palestiniennes, lors de la guerre duGolfe, des interventions au Kosovo ouen Afghanistan, ainsi que de la guerre enIrak. L’ouvrage s’inscrit, au final, dans lemouvement de réactualisation de lathéorie de la guerre juste, qui anime toutun pan du débat américain de politiqueétrangère. Des auteurs tels queA. Etzioni, S. Huntington, F. Fukuyama,J.-B. Elshtain et M. Novak ont ainsi cher-ché, isolément ou de concert, à promou-voir l’applicabilité contemporaine desanciens critères, appelant parfois direc-tement à un dépassement de ceux quisont directement issus du système des1. M. Walzer, Sphères de justice, Paris, Seuil, 1997 et

Guerres justes et injustes, Paris, Belin, 1999.

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Nations unies. On peut déceler à cestade l’un des manques méthodologi-ques de la démarche de redéploiementde l’ancienne doctrine conduite par lephilosophe de Princeton. En effet jamais,dans ses travaux, les sources de cette tra-dition pluriséculaire ne sont réellementdiscutées. Le courant doctrinal surlequel s’appuie son analyse possèdepourtant des soubassements théoriquesvariés, qui vont de la pensée d’Augustinà celle de Grotius en passant par Thomasd’Aquin, Vitoria et Suarez. L’accent missur tel critère évaluatif au dépens de telautre et la raison des choix fustigeant ounon la décision d’user de la force, peu-vent paraître totalement incompréhensi-bles s’ils ne sont pas inscrits dans uneénonciation raisonnée des apports desprincipaux fondateurs. Sans cet indis-pensable approfondissement, commentexpliquer la différence entre l’utilisationde la doctrine de guerre juste faite parElshtain ou Novak et celle de Walzer oud’Etzioni ? Pourquoi le premier groupede penseurs fonde-t-il la validité del’intervention états-unienne en Irak, tan-dis qu’adossés au même ensemble decritères moraux, Walzer et Etzioni larepoussent ? La subjectivité inhérente deces auteurs explique-t-elle seule cettecésure ? Il semble, à le lire, que ce soit laconclusion à laquelle aboutit le philoso-phe de la côte Est. Or, il apparaît que lespositionnements d’Elshtain et Novaks’appuient sur une surdéterminationassumée de la radicalité du « réalismeaugustinien » (impulsion qui vise à per-mettre sans détour « la protection del’innocent contre le mal ») tandis que laconception walzérienne s’en démarqueen privilégiant une approche de l’utilisa-tion de la force plus restrictive, orientéevers l’exigence du dialogue critique, etinscrite dans un système théoriqued’ensemble voulu plus cohrérent.

Guillaume Durin

FRENCH NEGOTIATING BEHAVIOR. DEALING WITH LA GRANDE NATIONCharles CoganWashington, DC, United States Institute of Peace Press, 2003, 345 pages

L’auteur est un ancien officier supérieurde la Central Intelligence Agency (CIA),un temps posté à Paris comme chef destation, et a désormais un statut d’ensei-gnant-chercheur à Harvard (KennedySchool of Government). Son dernierouvrage se penche sur le style de négo-ciation des élites dirigeantes françaises.Comme nombre de ses compatriotes,Charles Cogan estime que la manièrehexagonale d’aborder et de gérer les dis-cussions bi- ou multilatérales présenteun certain nombre de spécificités, enpartie explicables par le poids de la tra-dition et de l’éducation.

Le texte s’organise autour de quatreaxes : contexte culturel (culte de l’État,antilibéralisme, anticapitalisme, culte dela raison cartésienne, légalisme flottant,endogamie intellectuelle, culte du for-mel), contexte historique (perte de rang,opérations de rééquilibrage, illusions degrandeur), modes de réaction en situa-tion concrète et recommandations debase pour les acteurs sociaux et politi-ques conduits à s’asseoir face aux repré-sentants français. Outre ses lecturespersonnelles, riches et variées,Ch. Cogan a pu compter sur la coopéra-tion de nombreux témoins, qui ontaccepté de lui fournir des éclairagesvécus. Le lecteur ne s’étonnera donc pasde trouver au fil des pages, non seule-ment de multiples illustrations anecdoti-ques, mais aussi de brefs aperçusautocritiques exprimant de la part de telou tel de nos représentants une visionsans complaisance des forces et faibles-ses du dispositif relationnel dominant.

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Dans ce travail qui se veut balancé, il y abien entendu de multiples appréciationspositives sur le style de négociation fran-çais et le dispositif de gouvernementdont il émane : prise en compte globali-sante des problèmes ; attention pousséepour la dimension formaliste des échan-ges ; exécution rigoureuse des directiveshiérarchiques ; intégration de la dimen-sion morale (au sens de légitimitémorale) lors de la formulation des solu-tions ; autonomie vis-à-vis des opinionsmajoritaires. Il y a aussi des passagesnettement moins flatteurs pour lemodèle traditionnel : rigidités dialecti-ques ; méconnaissance des subtilitéspropres aux cultures allogènes ; goût dela simplification historique et manquede références lourdes sur le terrainsociologique ou politologique ; fixationsprolongées sur les considérations derang et de prestige, au détriment desimpératifs d’efficacité ; absence deretour sur l’erreur. Il y a encore de peti-tes piques individualisées (l’actuel chefde l’État se trouve à plusieurs reprisesassimilé à un « hussard »), qui témoi-gnent d’une exaspération latente, maisinvitent surtout 1) à prendre en comptele poids de l’équation personnelle pourexpliquer la dégradation de telle ou tellesituation critique, et 2) à reconsidérer lesbienfaits actuels du legs gaullien.

Parce que son propos ne se borne pas àdresser un catalogue de variables expli-catives, parce qu’il s’applique à dissé-quer un certain nombre de cas d’étuderécents (le haut commandement de lazone sud de l’Organisation du traité del’Atlantique Nord (OTAN), l’interven-tion militaire en Irak, les négociations duGeneral Agreement on Tariffs and Trade(GATT)), parce qu’il a bénéficié de mul-tiples éclairages informels sur les per-ceptions divergentes des forces enprésence, leurs logiques d’action, leurs

contraintes opérationnelles, Ch. Coganprojette un éclairage très intéressant surl’histoire diplomatique des 15 dernièresannées. On pourra certes lui reprocher,par moments, de placer l’accent sur lesrelations entre nations industriellesavancées, sans s’interroger sur d’autrestypes d’échanges (ceux avec les ancien-nes colonies, par exemple). Néanmoins,son livre représente une clé nécessairepour analyser les difficultés d’adapta-tion de la politique française et pourdéfinir les ajustements (internes/exter-nes) requis.

Jérôme Marchand

SÉCURITÉ, STRATÉGIE

DÉCIDER DANS L’INCERTITUDEVincent DesportesParis, Economica, 2004, 200 pages

À la guerre, la reine des batailles n’estpas l’infanterie mais l’incertitude. À peuprès rien ne s’y déroule comme prévu.Clausewitz le disait : « Il n’existe pasd’autre activité humaine qui soit si con-tinuellement et si universellement con-trainte par le hasard ». Pour illustrercette constante, Vincent Desportes,l’auteur de Comprendre la guerre1, évoquele débarquement de Sicile du 10 juillet1943. Ce jour-là, à l’aube, doit intervenirla plus formidable opération amphibiejamais lancée. Sept divisions américai-nes vont être mises à terre (contre cinqen Normandie 11 mois plus tard). Laveille, pourtant, une puissante tempête,exceptionnelle à cette saison en Méditer-ranée, risque de tout compromettre, àcommencer par l’ordonnancement des

1. V. Desportes, Comprendre la guerre, Paris, Econo-mica, 2001.

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convois, la précision des parachutages,la présentation des unités devant les pla-ges. Eisenhower hésite puis décide depoursuivre. Un invraisemblable désor-dre s’ensuit, navigation calamiteuse,commandos largués à 80 km de leursobjectifs, débarquement en partie dislo-qué… Or ce chaos même génère le suc-cès. Les Allemands peinent àcomprendre l’idée de manœuvre améri-caine, les Italiens, convaincus par lemauvais temps que les Alliés ne vien-dront pas, restent couchés, les parachu-tistes ajoutent à la confusion adverse enattaquant des objectifs d’opportunité.Sur cette incertitude inhérente à l’actionde guerre jointe à l’obligation de déci-der, le général Desportes a tiré un essailumineux. Lequel devrait entrer dans lesbibliothèques de ses commensaux, pourleur éviter de croire la technique capableun jour de supprimer les phénomènesde « friction » et de « brouillard », c’est-à-dire l’imprévu ! Celui par exemple quiamène un jour de novembre 2004 despilotes biélorusses, aux commandesd’avions ex-soviétiques, arborant descocardes ivoiriennes, à bombarder desmilitaires français douloureusementsurpris…

Il faut donc réduire l’incertitude, ladominer, l’utiliser pour gagner. Pour cefaire, plusieurs moyens :

- le renseignement, toujours imparfait,souvent périmé, parfois trop abondant.Le renseignement, si longtemps négligédans les armées françaises, demeure lepremier réducteur d’incertitude. Unebanale mise à jour des plans de Belgradeaurait évité aux Américains de bombar-der l’ambassade de Chine dans la nuitdu 7 au 8 mai 1999 ; un simple compte-rendu d’un honorable correspondant àBagdad leur aurait permis de ne pas

vitrifier un bunker plein de civils, le13 février 1991, lors de la premièreguerre du Golfe ;

- l’histoire militaire, complément indis-pensable de l’expérience, école desgrands chefs. « Pour entretenir en tempsde paix le cerveau d’une armée », disaitFoch, « il n’est pas de livre plus féconden méditations que celui de l’histoire ».Point trop n’en faut pourtant. L’Histoireestompe le brouillard de la guerre.Comme V. Desportes l’écrit joliment,« L’Histoire est comme ces grands cime-tières au carré qui transforment, dans lapaix revenue des anciens cloaques, lechaos de la guerre en ces longues ran-gées de croix blanches remarquable-ment alignées sur leurs pelousesrassurantes ». Attention aussi à ne pasfaire de l’Histoire un recueil de recettes,car elle se répète rarement. Contraire-ment aux espoirs caressés par DonaldRumsfeld, le Bagdad « libéré » par lesGIs en 2003 n’a pas du tout ressemblé auParis de l’été 1944 ;

- l’information doit mieux circuler, laplanification ne pas être excessive,l’adaptation favorisée, les réserves pré-vues, l’adversaire trompé, déçu, ou prisà contre-pied, renvoyé à ses propresincertitudes.

L’incertitude à la guerre exige du chefdes qualités rares, souplesse d’esprit,aptitude à prendre des risques, persévé-rance, courage, sans compter la volonté,l’énergie, un instinct, le coup d’œil, dutalent, le génie des « ordres simples quilaissent au subordonné la bulle deliberté au sein de laquelle (il) pourraexercer pleinement son autorité ». Et legénéral Desportes de reproduire lesordres de Leclerc pour la journée du24 août 1944 :

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« Mission :

1° S’emparer de Paris

2° Tenir Paris… »

De cet ouvrage, on aimerait citer beau-coup d’idées, garder en mémoire ces casconcrets qu’on ignorait, ou certainescitations comme celle, puissante,d’Edgar Morin : « Si l’ignorance del’incertitude conduit à l’erreur, la certi-tude de l’incertitude conduit à la straté-gie ». Un reproche tout de même : ilmanque un index, pour être « certain »de retrouver plus vite tout ce dont onvoudrait se souvenir.

Jean-Louis Dufour

THE NUCLEAR TIPPING POINTKurt M. Campbell, Robert J. Einhorn et Mitchell B. Reiss (dir.)Washington D.C., Brookings Institution Press, 2004, 367 pages

Les ambitions nucléaires de la Corée duNord et de l’Iran retiennent l’attentiondes gouvernements, de la presse, del’opinion. Est-il certain cependant qu’entoutes circonstances les autres pays s’entiendront à la décision prise dans lepassé de ne pas essayer de se procurerd’armes ? C’est la question que posentles auteurs de The Nuclear Tipping Pointen recherchant si l’Égypte, la Syrie,l’Arabie Saoudite, la Turquie, l’Allema-gne, la Corée du Sud, le Japon, ouTaiwan, sont susceptibles de changer unjour de politique.

Des spécialistes ont été chargés de com-parer les situations de chaque pays aumoment où chacun a adhéré au traité denon-prolifération, avec ce qu’elles sontaujourd’hui. L’étude porte sur les fac-

teurs internationaux ou régionaux quipeuvent influer sur la perception de sasécurité extérieure. Elle analyse égale-ment les éléments intérieurs, tels lanature du régime, le poids des militai-res, le degré d’avancement scientifique,technique, industriel dans le secteurnucléaire, ou le besoin de reconnais-sance et de prestige dans l’opinion. Cha-cune de ces études se termine par uneanalyse des facteurs qui pourraientremettre en cause la décision du pays dene pas chercher à se procurer des armes.

À côté de traits particuliers à chaqueÉtat, quelques éléments sont communs.La rapidité avec laquelle ont été levéesles sanctions infligées à l’Inde et auPakistan en 1998 fait penser que le prix àpayer par un proliférateur ne serait pastrès élevé. La perception des menacesextérieures, l’issue des crises nord-coréenne et iranienne, l’impression quele régime de non-prolifération est, oun’est pas, une priorité pour toutes lesgrandes puissances, l’importance politi-que ou symbolique que les cinq Étatsofficiellement dotés d’armes leur accor-dent, la possibilité plus ou moins grandede se procurer des matières fissiles, uneprofonde évolution politique intérieure,ont pour tous une très grande impor-tance.

Dans chacun de ces pays, à l’exceptionde l’Allemagne, le renoncement auxarmes nucléaires pourrait, dans certai-nes circonstances, ne pas être sans appel.Cette conclusion est nuancée par desconstatations plus rassurantes. C’est laconjonction de plusieurs facteurs, plutôtqu’un événement isolé, qui pourraitentraîner un changement d’attitude.Dans tous les cas, la réalisation d’unarsenal nucléaire serait politiquement ettechniquement plus difficile, et deman-derait plus de temps et d’efforts, qu’il

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n’est généralement admis. La politiquemenée par les grandes puissances – sur-tout par les États-Unis – sera, pour tous,le facteur déterminant. Si un ou deux deces huit États estimait que le TNP n’estplus respecté, qu’il doit chercher ailleursles moyens d’assurer sa sécurité, tout ungroupe de pays pourrait basculer brus-quement, comme un iceberg qui seretourne. Très vite, 15 ou 20 pays pour-raient disposer d’un arsenal nucléaire.

Avec ses monographies sur un aspectsouvent mal connu de l’histoire de huitpays jouant dans le monde un rôleimportant, The Nuclear Tipping Pointlance une réflexion très riche sur unaspect délaissé de la politique de non-prolifération. Le propos n’est pas seule-ment académique ; les auteurs souli-gnent ce qui pourrait être fait dans lesmois ou les années à venir pour tenterd’éviter une situation incontrôlable.

Georges Le Guelte

AFRIQUE

« MINISTRE » DE L’AFRIQUEMaurice Robert (entretiens avec André Renault)Paris, Le Seuil, 2004, 413 pages

Les politologues et historiens spécialis-tes de l’Afrique peuvent se réjouir :Maurice Robert s’est enfin décidé à par-ler. Cent trente heures d’entretiens ontété nécessaires pour aboutir à ce livreimposant qui retrace le parcours d’unhomme dont le nom est immanquable-ment associé aux « Affaires africaines »,pour reprendre le titre d’un ouvrage dePierre Péan paru il y a une vingtained’années1.

Maurice Robert raconte méticuleuse-ment sa vie, celle d’un gaulliste con-vaincu, affirmant au fil des pages sonsouci de servir la France. Il détaille sonparcours atypique qui le conduit àarpenter l’Afrique pour le compte duService de documentation extérieure etde contre-espionnage (de 1954 à 1973),comme responsable du renseignementchez Elf (de 1974 à 1979) puis en tantqu’ambassadeur de France au Gabon(de 1979 à 1981). Honni par la gauche,qualifié d’« ambassadeur-barbouze »par le Canard enchaîné, il est le premierdiplomate relevé de ses fonctions aprèsl’accession de François Mitterrand à laprésidence de la République.

Au-delà des aspects purement biogra-phiques, cet ouvrage offre une plongéesurprenante dans les coulisses de la« Françafrique », éclairant sous un nou-veau jour des personnages aussi diffé-rents que Bob Denard, Félix Houphouët-Boigny, André Tarallo et bien d’autresencore. Maurice Robert évoque avecfranchise la question de l’ingérence de laFrance dans la politique intérieure de sesanciennes colonies. De la déstabilisationmenée contre le guinéen Ahmed SékouTouré au renversement de l’« Empe-reur » centrafricain Jean-Bedel Bokassa,le rôle des services secrets français estdécrit avec minutie. Les nombreuxexemples développés tendent à prouverque les idéaux démocratiques ont sou-vent été sacrifiés au profit de la stabilité.Ce livre suscite donc une réflexion inté-ressante sur la notion de « raisond’État » au nom de laquelle d’indénia-bles dérives ont été justifiées. JamaisMaurice Robert ne cite Raymond Aronbien que son discours soit empreint d’un« réalisme » évident.

1. P. Péan, Affaires Africaines, Paris, Fayard, 1983.

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Les mémoires de Maurice Robert peu-vent en outre être analysées à l’aune dedeux phénomènes cruciaux de laseconde moitié du XXe siècle. D’une part,le parcours de cet « homme de l’ombre »permet de mieux appréhender lesenjeux de la décolonisation au premierrang desquels figurent les problémati-ques de développement et de démocra-tisation. D’autre part, son engagementamène à s’interroger sur les conséquen-ces de la guerre froide en Afrique, conti-nent où la guerre fut loin d’être toujoursfroide et où la France a entrepris desactions moralement douteuses parcrainte de la « contagion communiste ».

Ce livre est donc bien plus que le simplerécit de la vie de celui que Michel Jobertqualifia un jour de « Ministre de l’Afri-que ». Il mérite amplement de rejoindredans les bibliothèques d’autres mémoi-res d’acteurs incontournables de cettepériode, à l’instar de celles de JacquesFoccart1.

Marc Hecker

AMÉRIQUES

COLOSSUS. THE RISE AND FALL OF THE AMERICAN EMPIRENiall FergusonLondres, Allen Lane, 2004, 384 pages

La thèse de Niall Ferguson est simple.Notre monde a besoin d’une autorité quien assure et la paix et la prospérité. LesÉtats-Unis disposent de la force écono-mique, militaire, politique et culturellequi leur permettrait d’établir un empire

– l’Empire indispensable. Or, les Améri-cains n’ont pas la volonté de suivrel’exemple des Britanniques du XIXe siè-cle. La Pax britannica a tenu une placeprimordiale dans l’histoire de la planète.Tout pousse à croire qu’il n’y aurajamais de Pax americana.

N. Ferguson invite ses lecteurs à uneréflexion sur l’histoire des États-Unis.Voilà une nation née de la révolutioncontre l’Empire anglais. Elle a élaboréune philosophie de l’anti-impérialisme.L’extension territoriale du XIXe sièclerepose sur des transactions commercia-les plus que sur des conquêtes militaires.Si, au lendemain de la Seconde Guerremondiale, les Américains ont établi ourétabli un régime démocratique en Alle-magne de l’Ouest, au Japon, voire enCorée du sud, c’est une démarche excep-tionnelle. Ils souhaitent renouvelerl’expérience au Moyen-Orient, mais ilsse sont embourbés dans une politiquecontradictoire qui les conduit à soutenirIsraël sans réserves et à dépendre dupétrole arabe. D’ailleurs, ils ne sont pasprêts à payer le prix d’une intervention,longue et douloureuse, en Afghanistanet en Irak. Même au Liberia, dont ils ontpourtant favorisé la naissance, ils inter-viennent avec réticence et aussi peu quepossible. Dès qu’ils dépêchent des sol-dats sur un théâtre d’opérations exté-rieures, ils manifestent leur impatiencede les rapatrier le plus tôt possible. Cer-tains ont cru que l’Empire américain nerésisterait pas à l’accroissement desdépenses militaires. Erreur, répondN. Ferguson. Les déficits viennent desexcès des dépenses intérieures. Bref, lescitoyens de la nation la plus puissantedu monde se préoccupent avant tout duMedicare, des retraites, de leur bien-être,en un mot « du beurre » plus que « descanons ».

1. J. Foccart, Foccart parle, Paris, Fayard/Jeune Afrique,1995 (tome I) et 1997 (tome II).2.

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Ferguson éprouve une profonde admi-ration pour le défunt empire britanni-que. Il souhaite que les Américainsreprennent le flambeau de la traditionanglo-saxonne. Le colosse qu’il décritmarche sur « des pieds d’argile ». Il n’estpas à la hauteur de ses responsabilités.Sa déception, il l’expose avec conviction,ce qui ne veut pas dire qu’il entraîne laconviction de ses lecteurs. Certes, lanotion d’Empire est étrangère à la pen-sée stratégique qui prévaut aux États-Unis. En revanche, la doctrine de laguerre préemptive, telle qu’elle estexposée dans le programme de septem-bre 2002, montre que les Américainssont bien décidés à établir, puis à sauve-garder leur hégémonie. S’ils ne procè-dent pas de la même manière que lesBritanniques, c’est que la technologie etla globalisation offrent des outils nou-veaux, autrement plus efficaces. Reste laquestion fondamentale. Est-il bon pourla planète, est-il acceptable, est-il mêmepossible qu’une nation assume les fonc-tions de policier ? À chacun des lecteursde Ferguson d’apporter sa réponse.

André Kaspi

SURPRISE, SECURITY AND THE AMERICAN EXPERIENCEJohn Lewis GaddisCambridge (Ma), Harvard University Press, 2004, 150 pages

Le temps est-il venu de replacer les atten-tats du 11 septembre dans l’histoire desÉtats-Unis ? John Lewis Gaddis a beau-coup travaillé sur l’histoire de la guerrefroide. Il connaît les pièges de l’histoire laplus contemporaine et les exigences de larecherche. C’est pourquoi sa réflexion nemanque pas d’intérêt.

J.-L. Gaddis rappelle que le 11 septem-bre peut être comparé à deux autres tra-gédies. La première date du 24 août1814. Au cours de la seconde guerre del’indépendance, les troupes anglaisesont envahi Washington, la toute récentecapitale des États-Unis. Ils ont incendiéle palais présidentiel et le Capitole. Ladeuxième est beaucoup plus récente. Le7 décembre 1941, le raid japonais surPearl Harbor a fait plus de 2000 morts etdétruit l’essentiel de la flotte américainedu Pacifique. Des précédents qui onttraumatisé les contemporains, qui leuront rappelé que le territoire nationalpouvait être attaqué, que l’inviolabilitén’était qu’un mythe.

On connaît la réaction du présidentFranklin Roosevelt. Il demanda aussitôtau Congrès de déclarer la guerre auJapon. Puis, il renforça son alliance avecla Grande-Bretagne, l’ouvrit à l’Unionsoviétique (URSS), réunit autour destrois grands une coalition. Au lende-main du conflit mondial, les États-Unisdevinrent les leaders du monde libre.C’est à ce titre qu’ils ont gagné « laguerre froide » après l’implosion del’URSS. On a oublié, en revanche, laréaction des Américains il y a près dedeux cents ans. Certes, en cet été de 1814,la guerre contre l’Angleterre touchait àsa fin. Mais l’invasion de Washington aeu des conséquences immédiates et loin-taines. Les États-Unis ont mis sur piedune stratégie à l’échelle du continent.Deux mots peuvent en définir le con-tenu : préemption et unilatéralisme.L’auteur de la doctrine a pour nom JohnQuincy Adams. Il était alors le secrétaired’État du président James Monroe. Il futle président des États-Unis de 1825 à1829 – premier exemple d’un fils prési-dent comme son père, John Adams.

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Voilà que J.-L. Gaddis nous invite àréfléchir sur ce rapprochement. LesAméricains de 2001 ont réagi commeleurs ancêtres. Avec une différence detaille : en 1814, il s’agissait de définir unestratégie à l’échelle du continent améri-cain ; aujourd’hui, la stratégie est plané-taire. Elle vise à combattre desmouvements terroristes, dans le cadred’une guerre asymétrique. Superpuis-sance, voire hyperpuissance, les États-Unis ne sont pas parvenus à éviter lemassacre. De là, la rédaction le 17 sep-tembre 2002 de la National Security Stra-tegy of the United States of America(NSS).

Il n’est pourtant pas certain que cettestratégie donne les résultats escomptés.La préemption repose sur l’hégémonie.Et l’hégémonie suscite à l’étranger, ycompris parmi les alliés, le doute,l’incompréhension voire l’hostilité. Si lesÉtats-Unis souhaitent fonder « unEmpire de la liberté », qui apportera lapaix et la prospérité au monde toutentier, ont-ils la certitude que leursvaleurs trouveront partout un terrainfavorable ? Il est possible, conclut J.-L. Gaddis, que les États-Unis atteignentleurs objectifs. Les pères fondateurs,Lincoln, Wilson et Roosevelt ont suscitél’espoir et consolidé l’influence desÉtats-Unis sur le monde. Aux Améri-cains d’aujourd’hui d’assumer leurs res-ponsabilités.

On peut ne pas approuver le relatif opti-misme de J. L Gaddis. Mais il faut recon-naître qu’il exprime les sentiments, lesconvictions, les élans d’une majorité deses compatriotes. Du coup, le lecteureuropéen perçoit la profondeur du fosséqui sépare l’Europe de l’Amérique.

André Kaspi

L’AMÉRIQUE MESSIANIQUE. LES GUERRES DES NÉO-CONSERVATEURSAlain Frachon et Daniel VernetParis, Le Seuil, coll. « La couleur des Idées », 2004, 224 pages

C’est un vrai travail de journalismed’investigation que nous présente celivre, puisque les auteurs, deux journa-listes du Monde, ont cherché à faire lalumière sur ces « néo-conservateurs »qui passent pour être les véritables inspi-rateurs de la politique étrangère menéepar le président Bush Jr. après les atten-tats du 11 septembre 2001. À la lecture,on se rend compte qu’il s’agit d’unensemble flou et aux effectifs restreints(quelques centaines ?), avec une fortecomposante de gauche – trotskismeinclus – mais dont il n’est pas facile decerner le credo faute d’un corpus doctri-nal que nul d’entre ses membres n’atenté de rédiger. On y trouve trois élé-ments stables, que les néo-conservateursconsidèrent comme self-evident : l’exem-plarité du système politique américain,la nécessité d’en exporter les principes(au besoin par la force), pour la sécurité àla fois des États-Unis et des autres démo-craties, et le caractère (indiscutablement)bénéfique du leadership américain.

Les choses se compliquent lorsqu’onessaie d’apprécier le degré d’influencede ce lobby géopolitique : car les troiséléments précités ne débouchent pasnécessairement sur la guerre d’Irak. Cer-tes, les attentats du 11 septembre ontservi de détonateur, mais comme l’a faitremarquer le politologue R. Dujarric,s’en prendre à Saddam Hussein, « c’estcomme si Roosevelt avait attaquél’URSS au lendemain de Pearl Harbor ».Doit-on ce choix aux conseillers néo-conservateurs de G. W. Bush, pourtantpeu experts en matière de Moyen-Orient, comme le rappelle discrètement

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Gilles Kepel (p. 171) ? Voilà qui repose laquestion du rôle du président par rap-port à ses conseillers : sur ce point,I. Daalder et J. Lindsay1 sont d’avis quece dernier ne s’est nullement laisséinfluencer par ses experts, et il est dom-mage que le livre n’ait pas creusé davan-tage ce point2. On aimerait aussi mieuxsaisir quels ont été les apports stratégi-ques respectifs des deux courants – tem-porairement alliés – que Daalder etLindsay proposent d’appeler les demo-cratic imperialists (Wolfowitz et consorts)et les assertive nationalists (à l’instar deCheney et Rumsfeld), notamment en cequi concerne les concepts de preemptive/preventive war.

A. Frachon et D. Vernet sont en revan-che très nets sur les leçons à tirer par lesEuropéens de ces années néo-conserva-trices, si éprouvantes pour les rapportstransatlantiques : les menaces del’après-guerre froide existent bel et bien,et il vaudrait mieux ne pas attendre queWashington s’en occupe (plus ou moinspertinemment) pour commencer à ycroire et à s’en inquiéter. L’avertisse-ment mérite attention.

Bernard Cazes

L’EMPIRE INCOHÉRENT. POURQUOI L’AMÉRIQUE N’A PAS LES MOYENS DE SES AMBITIONSMichael MannParis, Calmann-Lévy, 2004, 377 pages

Michael Mann, professeur de sociologieà l’University of California, Los Angeles(UCLA), se définit lui-même comme« un universitaire plutôt qu’un mili-tant ». Pourtant, cet ouvrage s’apparenteplus à un pamphlet anti-Bush qu’à unerigoureuse démonstration académique.Le style est alerte, incisif mais manqueparfois de précision. Certaines affirma-tions péremptoires paraissent directe-ment sorties de la bouche de MichaelMoore. Morceaux choisis : « La finance,qui semble si transnationale lorsqu’ellecircule à travers le monde, détient enréalité un passeport américain » (p. 77) ;« Les États-Unis ne sont à vrai dire ani-més d’aucune volonté de “faire le bien”envers les pays pauvres, pas plusd’ailleurs que les autres pays riches. Quiplus est, leurs programmes de dévelop-pement sont souvent très hypocrites »(p. 89) ; « Israël est la queue qui remue lechien américain » (p. 135) ; « SaddamHussein a humilié Bush père et Bush filsveut se venger » (p. 294).

La visée électorale de cet ouvrage estévidente et clairement assumée dans lesdernières pages. Le risque d’un nouveaumandat républicain a indéniablementpoussé Michael Mann à grossir le trait.Si le ton est parfois plus empreint depassion que de raison, ce livre ne sauraitpour autant être voué aux gémonies. Lathèse, de prime abord simpliste, s’avèreau bout du compte riche et percutante.Deux phrases permettent de la résumer :« L’empire américain se révèle à la foisgéant militaire, mouche du coche écono-mique, schizophrène politique et mirageidéologique. Le résultat d’une telle com-binaison est un monstre perturbé, dif-

1. I. Daadler et J. Lindsay, America Unbound. The BushRevolution in Foreign Policy, Washington, Brookings Ins-titution Press, 2003.2. Regrettons aussi quelques négligences : HermanKahn et Fred Iklé n’ont pas été « directeurs de la RAND »,K.R. Weinstein est tantôt vice-président, tantôt directeurdu Hudson Institute, Johns Hopkins se trouve à Baltimoreet P. Wolfowitz n’a pas été admis « au MIT de Har-vard »…

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forme, trébuchant à travers le monde »(p. 26).

En outre, Michael Mann invite le lecteurà une réflexion fort intéressante sur lanotion d’« empire », en s’interrogeantsur la pertinence de la comparaisonentre l’Amérique d’aujourd’hui et lesempires du passé. Il apporte ainsi sacontribution à une littérature très envogue outre-atlantique portée par desauteurs comme Benjamin Barber, NiallFergusson ou Chalmers Johnson1. Auterme d’une réflexion bien construite, ilarrive à la conclusion que « le nouvelimpérialisme s’est transformé en simplemilitarisme » (p. 353). Si les États-Unisdominent outrageusement le reste dumonde à l’aune de leurs moyens militai-res, Michael Mann démontre non seule-ment que les armes les plusperfectionnées ne sont pas forcémentadaptées aux conflits asymétriques,mais encore qu’une superpuissancemisant tout sur ses attributs militairesn’est en fait qu’un mastodonte déséqui-libré et menaçant de vaciller. La lecturede L’Empire incohérent n’est donc pasfranchement rassurante et la réélectionde George W. Bush n’est pas de nature àrasséréner les adeptes de Michael Mann.

Marc Hecker

ASIE

ENGAGING INDIA : DIPLOMACY, DEMOCRACY AND THE BOMBStrobe TalbottWashington, D.C., The Brookings Institution, 2004, 268 pages

Secrétaire d’État adjoint dans l’Adminis-tration Clinton, Strobe Talbott estchargé, après les essais nucléaires demai 1998, d’inciter les Indiens à se join-dre à la politique de non-prolifération,de préparer un voyage du président àNew Delhi, et de préserver les relationsétroites entretenues par Washingtonavec le Pakistan.

Il ne porte pas de jugement sur l’intérêtdes objectifs fixés, et compte, pour sur-monter les obstacles, sur les relationspersonnelles que son talent lui permet-tra d’établir avec son interlocuteurindien, Jaswant Singh. Engaging India estle journal de leurs rencontres, au hasarddes voyages, au milieu de négociationsplus importantes, sur d’autres sujets,avec d’autres interlocuteurs. Deux ansplus tard, Clinton part pour l’Inde, con-tre laquelle la plupart des sanctions ontété levées, sans que les Américains aientrien obtenu en échange. Le récit est élé-gant, léger, parfois irritant par la placeaccordée aux anecdotes et aux questionsde protocole.

Il est heureusement parsemé de ré-flexions sur les causes profondes del’évolution des relations indo-américai-nes. Vraisemblablement ajoutées aprèscoup, elles situent sa mission aux anti-podes des conceptions indiennes. Pourtous les Indiens, l’accession à l’armenucléaire est une revanche sur les décen-nies de colonisation et d’humiliation, lesymbole de la grandeur de leur pays.Les Américains ont commencé à s’inté-

1..B. Barber, Fear’s Empire: War, Terrorism and Demo-cracy, New York, Norton, 2003 ; N. Ferguson, Colossus:The Price of America’s Empire, New York, Penguin Press,2004 ; C. Johnson, The Sorrows of Empire: Militarism,Secrecy and the End of the Republic, New York, Metropo-litan Books, 2004.

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resser à la Chine après qu’elle a expéri-menté un engin nucléaire en 1964 ; etc’est depuis les essais de 1998 qu’ilss’intéressent à l’Inde. Cette dernières’attend à être officiellement considéréecomme État doté d’armes, et à recevoirun siège permanent au Conseil de sécu-rité. Malgré les innombrables griefsnourris contre les États-Unis, New Dehlienvisage de nouvelles relations, mais àses conditions. Il aurait fallu bien plusque la promesse d’un voyage présiden-tiel et de la levée des sanctions pour quel’Inde accepte des concessions sur sapolitique nucléaire.

L’Administration américaine ne peutcompter, pour faire pression sur l’Inde,sur le soutien des Républicains, ni surcelui du Congrès où un puissant lobbyindien s’allie à celui des producteurs deblé pour réclamer la levée des sanctions,ni sur la Russie ou la France qui font pas-ser leurs intérêts commerciaux bienavant la lutte contre la dissémination desarmes. La délégation américaine est elle-même divisée. Le président est décidé,quoi qu’il arrive, à aller en Inde avant dequitter la Maison-Blanche.

Quelques mois avant son voyage, enjuillet 1999, B. Clinton s’est enfin décidéà faire pression sur le Pakistan, pourécarter le risque d’un conflit nucléairedans le sous-continent. Cette décisionfera beaucoup plus que tous les déplace-ments de S. Talbott pour convaincre lesIndiens de la bonne foi américaine. Lescénario, qui se répète en décem-bre 2001, confirme que l’intérêt essentieldes arsenaux nucléaires de l’Inde et duPakistan est d’obliger les États-Unis àintervenir pour empêcher un conflitmajeur entre eux1.

À aucun moment, l’auteur ne sedemande quelles conclusions la Corée

du Nord et l’Iran ont pu tirer de la rapi-dité avec laquelle les essais indiens ontété oubliés. L’intérêt de ses remarqueslaisse deviner tout l’intérêt du livre qu’ilaurait pu écrire sur les relations entreÉtats-Unis et Inde, plutôt que sur sescontacts personnels avec J. Singh.

Georges Le Guelte

GOD AND CAESAR IN CHINA.POLICY IMPLICATIONS OF CHURCH-STATE TENSIONSJason Kindopp et Carol Lee Hamrin (dir.)Washington, DC, The Brookings Institution Press, 2004, 200 pages

Ouvrage collectif, ce livre se donne pourambition d’analyser les relations que lesreligions et l’État entretiennent enChine. Soulignant l’intense renouveaureligieux qui caractérise la Chine desréformes, il évoque l’essor du bouddhisme et de ses 16 000 temples et monastères, ledynamisme de l’islam dans le Xinjiangou la vivacité du bouddhisme tibétain.Mais c’est surtout le renouveau du chris-tianisme qui intéresse les maîtresd’œuvre de l’ouvrage. Sans dédaignerles mouvements de qigong, tel le Falun-gong, ils soulignent l’essor des commu-nautés protestantes, qui ferait de laChine le second pays au monde – aprèsles États-Unis – par la taille de ses com-munautés évangéliques.

À travers les contributions de cher-cheurs, de défenseurs des droits del’homme, de spécialistes des religions,d’auteurs chinois (Hong-Kong et Chine

1. C’est aussi ce qu’affirme Ashley J. Tellis dans India’sEmerging Nuclear Posture: Between Recessed Deterrentand Ready Arsenal, Santa Monica, RAND Corporation,2001.

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continentale) et américains, l’ouvrages’attache à comprendre comment autori-tés et responsables religieux gèrent ceque Jason Kindopp nomme « desdemandes conflictuelles en terme deloyauté ». D’un côté, la foi religieusedemande une allégeance transcendantl’autorité politique ; de l’autre, le particommuniste se maintient au pouvoir enéliminant tout compétiteur dans lechamp social et idéologique. Face à cemonopole qui fixe ce qui est permis et cequi ne l’est pas, les religions, ou aumoins une partie des croyants, refusentle cadre imposé par les autorités et leurscampagnes d’« éducation patriotique ».Cela se vérifie pour le bouddhisme tibé-tain, l’islam au Xinjiang, mais aussi lebouddhisme en milieu Han.

À travers des études historiques et con-temporaines, l’ouvrage sépare ce qui,dans la politique de contrôle des reli-gions, relève d’une tradition chinoisepluriséculaire (l’empereur, détenteurdu mandat céleste, assure la cohésionsociale avec l’aide d’une bureaucratieresponsable de la surveillance des culteset décrète la répression des groupes reli-gieux se développant hors du cadre fixépar l’État) et ce qui relève de nouveau-tés introduites par le parti de Mao (aunom d’une idéologie athée, un ordre dujour révolutionnaire veut éradiquer lareligion). L’étude des Églises protestan-tes et de l’Église catholique est pousséetrès avant, souvent avec finesse, pourfaire comprendre une situation qui, surle terrain, ne peut se résumer à un jeudual entre une partie « clandestine » –qui refuserait le contrôle politique – etune partie « officielle » – qui auraitaliéné sa liberté pour célébrer le culte augrand jour.

Les auteurs s’interrogent sur la facultéconcrète des dirigeants de la Chine

d’aujourd’hui à renouveler leur appro-che de la religion. Au fil des ouvertureséconomiques, la société s’est diversifiéeet complexifiée, mais les autorités nesemblent pas être en mesure d’aller au-delà de la reconnaissance de l’« utilitésociale » des religions. Curieusement, lesauteurs omettent de signaler les articlespubliés en décembre 2001 par Pan Yue, àl’époque directeur adjoint du bureau duConseil d’État pour la restructurationdes réformes économiques. Dans uneétude intitulée : Quel type de perspectivedevrions-nous avoir sur la religion : le pointde vue marxiste sur la religion doit évolueravec le temps, Pan Yue préconisait l’entréede croyants dans le Parti. Selon son ana-lyse, la religion n’adhère pas à un sys-tème social particulier – féodalisme,capitalisme ou socialisme –, mais créepour elle-même les possibilités d’adap-tation à une société donnée : le socia-lisme à la chinoise par exemple. Pan Yueaurait sans doute pu reprendre à soncompte le : « Rendez à César ce qui estde César, et à Dieu ce qui est de Dieu. »

Pour un lecteur européen, la dernièrepartie est sans doute la plus intéressante,s’attachant à comprendre pourquoi,dans les relations bilatérales États-Unis-Chine, la religion est un sujet constantces dernières années. La religion, ladéfense de la liberté religieuse sontdevenues sources de profonds malen-tendus, le gouvernement chinois s’esti-mant agressé plus souvent qu’à son touret l’Administration américaine jugeantinsatisfaisantes les réponses à sesdemandes en faveur de la liberté reli-gieuse. Pour l’avenir de leurs relations, ilfaudra trouver sinon un terraind’entente du moins un langage com-mun. Deux des auteurs de l’ouvrage,Peng Liu et Carol Lee Hamrin, propo-sent à ce sujet des pistes de réflexion.Carol Lee Hamrin décrit en particulier

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comment, aux États-Unis, la « droitereligieuse » s’est saisie de la question dela liberté religieuse en Chine commed’un outil pour faire avancer son ordredu jour sur la scène politique intérieureaméricaine.

Régis Anouil

VIÊT NAM CONTEMPORAINStéphane Dovert et Benoît de Tréglodé (dir.)Paris/Bangkok, Les Indes savantes/IRA-SEC, coll. « Monographie nationale », 2004, 568 pages

Vingt-quatre auteurs ont apporté leurscontributions à cet ouvrage qui paraît entemps opportun, 29 ans après la réunifi-cation du Viêt Nam et la tentative decouler ses peuples et sociétés dans unmême moule « socialiste », 18 ans aprèsla mise en œuvre de réformes appelée« rénovation », reconnaissance officiellede l’échec de la voie socialiste : il étaitnécessaire de faire le point et en mêmetemps d’indiquer des directions derecherche.

Il fallait briser l’empreinte unidimen-sionnelle et réductrice de l’idéologienationale unanimiste, efficace pour laguerre mais qui pesait sur les sciencessociales et entravait la réévaluation criti-que de l’histoire du temps présent duVietnam.

L’identité nationale est au centre desanalyses : quelles en sont les composan-tes, la part de réalité et celle d’artificia-lité ; quel remodelage et quelleinstrumentalisation a-t-elle subi et enfonction de quels enjeux ? Mais à partirde cette problématique initiale, lesauteurs passent en revue les questions

cruciales posées par la transition dupassé à un avenir encore indéterminéainsi que les réponses que les dirigeantstentent de leur apporter. Certaines deces questions sont en relation directeavec l’identité nationale comme la com-position pluriethnique de la population,d’autres en sont un fondement naturelcomme le dynamisme démographique,d’autres encore en constituent l’arma-ture comme la famille, le rôle des fem-mes et l’évolution des mœurs. Dans ceregistre, La famille, point de repère dans latourmente ? de Bui Tran Phuong est uneanalyse perspicace conduite de l’inté-rieur et qui nous change heureusementdes opinions essentialistes et juridico-morales qui dominent la littérature surle sujet.

Le livre est divisé en trois grandes par-ties : « Les données structurantes del’État-nation », « Gérer l’activité humai-ne », « Encadrer l’évolution identitaire ».Ces trois volets contiennent toutes lesdimensions de l’histoire politique, socia-le, économique et culturelle du ViêtNam contemporain. Le traitement desthèmes repose (consciemment ou non)sur les idées directrices de la théorie dia-lectique : la contradiction est l’essencedes choses et la lutte des contraires est lemoteur de l’histoire.

Les exposés (par exemple la contribu-tion d’Hugues Tertrais) sont très lisiblesmême si quelques rares passages dulivre n’évitent pas l’écueil d’un langageun peu abscons. En conclusion, ce livreest bien informé et éclairant. Il restera unouvrage de référence pour les cher-cheurs, les étudiants mais égalementpour tous ceux et celles que le destin duViêt Nam ne laisse pas indifférents.

Pierre Brocheux

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EUROPE(S)

QUEL AVENIR POLITIQUE POUR L’UNION EUROPÉENNE :LA STRATÉGIE DE LISBONNE DÉFINIE PAR LE CONSEIL EUROPÉEN EN 2000Olivier Debarge, Pierre-Yves Laurent et Olivier Rabaey (dir.)Bruxelles, Bruylant, 2004, 284 pages

Cet ouvrage est dû au Groupe interdisci-plinaire d’étude et de prospective inter-nationale (GIEPI), association créée parde jeunes doctorants de Reims. Ilreprend largement les actes d’un collo-que tenu à la faculté de Droit et de Scien-ces politiques de Reims en octobre 2003.Le GIEPI ambitionne une « œuvre delumières et de progrès » (ce qui est sym-pathique) et souhaite poursuivre unedémarche interdisciplinaire (ce qui estutile pour déchiffrer la complexité denotre monde.)

Le thème du colloque de 2003 et de lapublication de 2004 était la « Stratégie deLisbonne », telle qu’elle a été définie parle Conseil européen des 23 et 24 mars2000, et ses prolongements actuels.Après une introduction générale deJean-Pierre Colin, directeur du Centred’études rémois des relations internatio-nales (CERRI), rappelant l’histoire desambitions, des illusions, des acquis de laconstruction européenne, mais mention-nant également les risques de replie-ment de l’Europe, qui pourrait devenirla « forteresse assiégée » d’un groupe depays riches dans un environnement depays pauvres, l’ouvrage fait le point surles principaux objectifs de la « stratégiede Lisbonne », et tente un premier bilande sa réalisation, en trois parties quis’articulent autour de l’ambition écono-mique, de l’Europe de la connaissance etdu modèle de société européen.

Sur le plan économique, Gérard-MarieHenry rappelle que l’ambition de la Stra-tégie impliquait, pour la période 2000-2010, un rattrapage des États-Unis, grâceen particulier à « une croissance écono-mique durable, accompagnée d’uneamélioration quantitative et qualitativede l’emploi ». Or, la croissance aura étéplus faible en Europe, de 1 à 1,5 point paran en moyenne, qu’aux États-Unis, pourla période 2000-2003. Les taux d’emploirestent très inférieurs à ceux des États-Unis, en particulier pour les travailleursde 55 à 64 ans. La croissance moyenne dela productivité est en quasi-stagnation,contre une hausse de 2 % par an enmoyenne aux États-Unis. Il faudrait queles Vingt-cinq réalisent des réformesdrastiques (en particulier du marché dutravail) pour qu’un dynamisme « àl’irlandaise » permette d’ici à 2010 sinond’atteindre l’ambition de la « stratégie »,du moins de s’en rapprocher.

Le bilan est plus positif concernantl’objectif qui vise à faire de l’Europe« l’économie de la connaissance la pluscompétitive et la plus dynamique aumonde ». Renaud de la Brosse fait lepoint sur les progrès accomplis en ce quiconcerne l’accès aux nouvelles technolo-gies de l’information et de la communi-cation (NTIC), qui sont au cœur de la« stratégie » : dès fin 2002, autour de90 % des établissements scolaires, 55 %des services publics de base et 40 % desménages étaient connectés à Internet (ilaurait été utile d’actualiser ces données àmi-2004). De plus, on assiste à une libé-ralisation et à une réduction des tarifsdes services de télécommunications.Mais l’économie de la connaissance con-cerne aussi les politiques de l’éducationet les échanges culturels : si, en particu-lier avec la construction de l’« espaceeuropéen de l’enseignement supérieur »(Gilles Rouet), une politique européenne

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de l’éducation paraît marquer des pro-grès, par contre, la mobilité des étu-diants européens est contrariée, pourdes raisons tenant à la fois à la diversitédes modes de financement et à la com-plexité des systèmes universitaires(Thierry Côme).

S’agissant de la protection sociale, AlainEuzeby rappelle qu’elle n’était guèreprésente dans le Traité de Rome, et qu’ila fallu attendre le Conseil européen deLisbonne, puis le Traité de Nice, pourmettre clairement l’accent sur les objec-tifs de politique active de l’emploi, delutte contre la pauvreté, et de moderni-sation de la protection sociale. La Chartedes droits fondamentaux (reprise dansle traité constitutionnel) renforce cesobjectifs. Mais on doit reconnaître qu’ilsrestent parfois purement qualitatifs(comment s’assurer que le droit à la« dignité » de tous les citoyens del’Union, auquel le chapitre I de la Charteest consacré, est bien respecté ?).

Au total, cet ouvrage (qui contient biend’autres contributions, dans le cadre destrois thèmes principaux, mais égalementsur les relations de l’Europe avec lesÉtats-Unis et l’Afrique) a le mérite depasser au crible des faits les objectifs dela « Stratégie de Lisbonne ». Il est troptôt pour dire si ces objectifs sont dès àprésent hors d’atteinte, d’autant que lesdonnées s’arrêtent le plus souvent à2003, voire à 2002 : il conviendra certai-nement à mi-parcours (fin 2005) de dres-ser un nouveau constat, pour savoir siles ambitions de 2000 ont quelquechance d’être réalisées en 2010, s’il con-vient de les réviser pour les rendre pluscrédibles, ou si c’est toute la stratégie dudéveloppement de l’Europe qui mérited’être repensée.

Éliane Mossé

MOYEN-ORIENT

HISTOIRE DE LA TURQUIE CONTEMPORAINEHamit BozarslanParis, La Découverte, coll. « Repères », 2004, 128 pages

LA TURQUIE AU TOURNANT DU SIÈCLEAli Kazancigil (dir.)Paris, L’Harmattan, coll. « Histoire et perspectives méditerranéennes », publié avec le concours du Comité France-Turquie, 2004, 154 pages

Ces deux ouvrages fournissent des élé-ments utiles pour qui souhaite compren-dre le débat sur la candidature turque àl’Union européenne (UE). Leur angled’approche et leur méthodologie sontsuffisamment différents pour les rendrecomplémentaires.

La Turquie au tournant du siècle est issud’une réunion publique organisée en2002, ayant pour objet de dresser unpanorama général de la situation politi-que, économique et sociale en Turquie àla veille des grands enjeux euro-turcs.On sait que l’élection de Recep TayyipErdogan, qui se définit lui-mêmecomme « islamiste modéré », a faitentrer fin 2002 la Turquie dans une èrede transformations institutionnelles etéconomiques accélérées. Pour qui tentede suivre la dynamique turque actuelle,il est révélateur de constater le pessi-misme manifesté par Ahmet Insel, pro-fesseur à l’Université de Paris I, quiaffirme sans ambages que « la transposi-tion des tendances politiques des 20 der-nières années ne permet pas aujourd’huide prédire un changement significatifdes comportements politiques, ce quiaugure mal des perspectives d’adhésionde la Turquie à l’Union européenne ».Certains éléments du livre sont ainsifrappés d’obsolescence relative, mais

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leur lecture n’en est pas moins utile pourmesurer le chemin parcouru en un peuplus de deux ans. Dans une longueintroduction, Ali Kazancigil remet enperspective l’ensemble des textes, dontla plupart conservent un intérêt de fond,y compris après la décision du Conseileuropéen d’ouvrir les négociationsd’adhésion. Certaines contributionsfournissent ainsi un éclairage précieuxsur des sujets mal connus. C’est notam-ment le cas des chapitres traitant desquestions sociales, comme celui de AyseBugra, qui analyse l’impact de la criseéconomique sur l’État providence turc,ou de Gaye Petek, qui parle des droitsdes femmes en Turquie, les deux auteursse montrant assez pessimistes sur cesquestions. Olivier Abel livre par ailleursune intéressante réflexion philosophi-que sur la mémoire, évoquant la diffi-culté de la Turquie moderne à organiserson héritage historique et culturel demanière cohérente. L’intérêt essentiel dulivre est de rassembler les analysesd’intellectuels, turcs pour la plupart, quiadoptent une posture critique à l’égardde leur pays. Reste à savoir si ce regardcritique peut perdurer dans une périodetrès chargée à la fois politiquement etémotionnellement.

Avec son Histoire de la Turquie contempo-raine, Hamit Bozarslan nous livre unrésumé sans concession, loin de la lan-gue de bois, de l’histoire politique dupays. L’ouvrage adopte une démarchechronologique, qui permet de suivre lastructuration et l’évolution des acteurset courants essentiels de la vie politiqueturque. Du fait de sa brièveté, le livre estcondensé et allusif ; sa lecture doit doncêtre absolument complétée par quelquesgrands classiques tirés de la bibliogra-phie annexée. Il permet cependant desuivre les violentes dynamiques inter-nes qui ont façonné la Turquie

d’aujourd’hui. Pour Hamit Bozarslan,l’histoire de la Turquie au XXe siècle estune succession de crises, rythmant nais-sance et consolidation d’un projet natio-nal perçu comme toujours en danger.L’éclatement du cadre multiethnique etmulticonfessionnel de l’Empire ottomanforme le traumatisme initial que lekémalisme s’emploie à surmonter par lacentralisation et l’homogénéisation cul-turelle progressive des populations pré-sentes sur le territoire. Le sort desminorités est ainsi traité assez en détaildans le livre, qui décrit le génocide despopulations arméniennes perpétrédurant la Première Guerre mondiale, larépression systématique contre les Kur-des dès les débuts de la Turquie kéma-liste, aboutissant à une véritable guerrecivile dans les années 1980, ou encore lapolitique de « sunnisation » de la mino-rité alévie à partir des années 1970L’islam apparaît ici comme un outilcomplémentaire de la « turquification »,d’où la relation très ambiguë qu’entre-tient l’État turc avec la religion : celle-cine doit pas se défaire du politique, ce quiexplique que la laïcité turque ne soit pasune laïcité de séparation. Pour l’auteur,l’expérience laïque turque marque sur-tout l’invention d’une « religion natio-nale », instrument de cohésion socialecontrôlé par l’État. L’auteur retrace lagenèse et l’épanouissement de l’idéolo-gie kémaliste, forme particulière d’auto-ritarisme paternaliste, présentée ici,dans son contexte historique propre,comme un « troisième pôle, avec le fas-cisme italien et le bolchevisme soviéti-que, d’un nouveau monde que MustafaKemal conçoit comme antilibéral et anti-démocratique » (p. 31). Hamit Bozarslandécrit de façon saisissante l’inexorabledégradation des valeurs et des pratiquespolitiques à travers quatre coups d’États(1960, 1971, 1980, jusqu’à celui, « post-moderne », de 1997, où l’Armée pousse

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le Premier ministre islamiste vers la sor-tie), et la quasi-permanence de l’étatd’exception. Ce lent déclin aboutit aucoup de théâtre du 3 novembre 2002, quimarque « le crépuscule de la classe poli-tique turque » (p. 97). L’auteur insistesur la montée en puissance progressivede la violence, au départ instrument degouvernement et outil de centralisationpolitique, qui se diffuse depuis lesannées 1970 dans une société décritecomme constamment au bord de laguerre civile. Cette description très pes-simiste rappelle le constat de Soli Özel,qui note que « lorsque l’on dresse unbilan du dernier quart du xxe siècle,essayant de considérer objectivement lesépreuves que le pays a traversées durantcette période, le fait qu’il ait préservécollectivement son équilibre social etpsychologique paraît relever quasimentdu miracle » (p. 47).

À l’issue de ces lectures, il faudra se con-vaincre que la Turquie est en train detrouver le chemin d’un équilibre dura-ble. La perspective européenne contri-bue de façon décisive à ouvrir sonhorizon politique. Au bout de son inven-taire critique, Hamit Bozarslan perçoiten ce début de XXIe siècle les indicesd’une maturité nouvelle : la fin de lalutte armée des séparatistes kurdes duPartiya Karkeren Kurdistan (PKK), latransformation des islamistes en droiteclassique, l’affaiblissement de la droiteradicale, mais aussi le consensus mani-festé par l’opinion turque autour des cri-tères politiques de Copenhague, luiapparaissent comme autant de signesd’apaisement. Il reste à espérer que larecomposition sociale et politique dupays se poursuivra au rythme des négo-ciations avec l’Union européenne.

Dorothée Schmid

LE HEZBOLLAHWalid Charara, Frédéric DomontParis, Fayard, 2004, 304 pages

Ce livre contribue à une meilleure con-naissance des mouvements « islamo-nationalistes », pour reprendre l’expres-sion utilisée par les auteurs. Si ceux-ci necachent pas leur sympathie pour le Hez-bollah – Walid Charara a été correspon-dant d’Al-Manar à Paris – leur analysetente de rectifier sa mauvaise image, etde contester quelques idées reçues surun mouvement qualifié de terroriste,notamment par les États-Unis.

Né en 1982, le Hezbollah se veut d’abordun mouvement de résistance à l’occupa-tion du Liban par Israël, et affiche sasolidarité avec la cause palestinienne,marquant ainsi sa différence avec la plu-part des partis libanais. Largement ins-piré par la révolution iranienne et lesidées de l’ayatollah Khomeiny, le Hez-bollah se considère comme une forceavant tout libanaise, menant un combatnational.

L’évolution décrite est révélatrice de sonsens politique, et peut s’appliquer àd’autres mouvements « frères », commele Hamas. Mouvement islamiste audépart, il joue progressivement le jeu –non sans quelque débat interne – del’intégration à la vie politique libanaise ;il est d’ailleurs représenté au Parlement.Ses faits d’armes sont amplementdécrits, soulignant l’efficacité d’actionsmilitaires qui ont sans doute contribuéau retrait de l’armée israélienne duLiban-sud et à la dislocation de l’arméedu Liban-sud (ALS), créée et soutenuepar celle-ci. Mis en cause dans plusieursaffaires d’otages, notamment français,« inventeur » des attentats-suicides, leHezbollah n’a pas hésité – dans le passé,

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disent les auteurs – à utiliser des métho-des réprouvées par la communautéinternationale.

À l’image de la plupart des mouvementsislamistes, il a mis en place un maillagesocial très dense – dispensaires, hôpi-taux, écoles, système d’aide aux veuvesdes « martyrs », etc. – qui contribue à luivaloir une indéniable popularité auprèsde la population du Liban-sud.

L’analyse de la « politique de communi-cation » du Hezbollah mérite égalementd’être relevée. Il a pris soin, dès le début,de filmer la plupart de ses opérationsmilitaires en intégrant à ses commandosun cameraman. Ces vidéos, largementdiffusées, ont contribué à conforter sacrédibilité auprès des opinions libanaiseet arabe.

Mouvement – selon les auteurs – plusnationaliste qu’islamiste, le Hezbollahest en quête de respectabilité et entendjouer un rôle politique actif au Libanavec un programme plutôt « de gau-che », s’intéressant aux déshérités, récu-sant le communautarisme, s’affichantcomme réformateur des institutions. Àce titre, son audience dépasse la seulecommunauté chiite.

Ce livre, non exempt d’angélisme, restediscret sur plusieurs points sensibles : lesystème de pouvoir à l’intérieur dumouvement, le poids spécifique despolitiques par rapport aux religieux,l’ampleur et les sources réelles desfinancements recueillis, la nature de latutelle exercée par l’Iran et la Syrie etleurs services de renseignements. Lesauteurs insistent sur le comportementautonome du mouvement à l’égard deses parrains. À l’évidence, l’évolution deses positions et de ses activités suit deprès les orientations et inflexions de cespays, sans lesquels il n’aurait pu se

développer. Le poids respectif desinfluences de l’Iran et de la Syrie, notam-ment lorsque leurs intérêts divergent,aurait mérité quelques développementscomplémentaires.

En définitive, l’ouvrage se présente pluscomme un témoignage que comme uneétude distanciée et scientifique d’unmouvement qui joue un rôle importantsur l’échiquier compliqué du Liban et duProche-Orient. On regrettera l’absenced’index, toujours utile au lecteur et auchercheur.

Denis Bauchard

RUSSIE

THE GRAND STRATEGY OF THE RUSSIAN EMPIRE, 1650-1831John P. LeDonneOxford, Oxford University Press, 2004, 261 pages

Voilà un livre d’histoire qui intéresserales spécialistes de la Russie actuelle.Senior Research Associate au Davis Centerà Harvard, John P. LeDonne montre lacohérence, en termes d’objectifs commede moyens, du projet impérial russe àl’époque moderne. Se plaçant explicite-ment dans la lignée d’Edward Lut-twack1, il cherche à mettre en évidenceles principes stratégiques sous-tendantla formation de l’Empire russe. PourLeDonne, la Grand Strategy dépasse lastratégie (définie comme l’art dudéploiement des troupes en temps depaix et de leur concentration en tempsde guerre), dans la mesure où elleenglobe les fondements économiques et

1. E. Luttwak, La Grande Stratégie de l’Empire romain,Paris, Economica, 1987.

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industriels de la puissance militaire, etrepose sur un consensus idéologiquecontinu sur les objectifs au sein de l’élitedirigeante.

Organisé en trois grandes parties théma-tico-chronologiques (1650-1743, 1743-1796 et 1797-1831), l’ouvrage commencepar décrire un arrière-plan géopolitiquearticulé en trois théâtres : occidental (dela Baltique aux Carpates), méridional(du Danube aux montagnes de Perse) etoriental (de la Volga à l’Altaï). Sur cha-cun, la puissance russe se heurte à despuissances dominantes : suédoise etpolonaise pour le premier, ottomane etvenant du Khanat de Crimée pour lesecond, et les peuples bashkirs sur letroisième. Pour LeDonne, la posturestratégique russe est résolument offen-sive. Annonçant celle d’un Napoléon,elle consiste en termes politico-militairesà frapper l’ennemi frontalement pours’emparer de son centre politique, afind’écarter les autorités et de dicter lesconditions de la paix. L’objectif final estde parvenir à exercer une hégémonieglobale sur le heartland. Pour ce faire, lepouvoir russe combine trois principesstratégiques minutieusement analyséspar l’auteur.

Premièrement, il manœuvre profondé-ment à l’intérieur du heartland, et trèsexceptionnellement hors de sa périphé-rie. Deuxièmement, il entretient en per-manence une capacité de projection àgrande distance de Moscou. LeDonnedécrit ce qu’il appelle la strategic force,dont la particularité est d’être concen-trée autour de Moscou : en fonction desobjectifs, une force appropriée est levée,puis projetée. En d’autres termes, il nes’agit nullement d’une armée de défenseterritoriale, mais d’une armée de mou-vement, susceptible d’être déployéesimultanément sur les trois théâtres

d’opérations. À titre indicatif, vers 1720,cette force stratégique se composed’environ 100 000 hommes, répartis en42 régiments d’infanterie et 33 de cava-lerie. Le principe de base est de la retirerdes zones frontalières dès les objectifsmilitaires atteints. Troisièmement, laGrand Strategy russe repose sur la créa-tion d’un glacis d’États clients hiérarchi-sés et spécialisés, qui fournissent destroupes auxiliaires, servent de tamponprotecteur et donnent une profondeurde manœuvre qui permet à la Russie depréserver sa force stratégique. Sur cha-que théâtre, la Russie entretient des rap-ports étroits avec un peuple, utilisécomme relais de puissance (les Baltesallemands sur le théâtre occidental, lesCosaques sur le théâtre méridional, lesTatars sur le théâtre oriental).

La combinaison de ces trois principesvise in fine à maximiser l’influence im-périale et le contrôle diplomatique pourmieux minimiser l’usage de la force parles troupes russes. LeDonne explicite lesuccès de cette approche, puis ses limitesau tournant du XVIIIe siècle. Cet ouvrageérudit, parfois à la limite de l’histoirebataille, découragera les lecteurs à larecherche de leçons toutes faites. Ilséduira par contre ceux qu’attire unemise en perspective historique du sys-tème impérial russe.

Thomas Gomart

LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DE LA RUSSIE ET L’EUROPE. ENJEUX D’UNE PROXIMITÉTanguy de Wilde d’Estmael et Lætitia Spetschinsky (dir.)Bruxelles, Peter Lang, 2004, 263 pages

Dans le prolongement de ses travauxantérieurs1, l‘équipe de la chaire Inter-

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brew-Baillet Latour à l’Université catho-lique de Louvain publie un ouvragedestiné à fournir « une meilleure con-naissance des ressorts d’une politiqueétrangère russe dont les implicationspour l’Europe s’avèrent déterminan-tes ». Il réunit neuf contributions, articu-lées autour de deux parties :« Déterminants de la politique étrangèrerusse » et « Les relations contemporai-nes Europe-Russie ». Pris dans sonensemble, l’ouvrage provoque une cer-taine déception, dans la mesure où iln’analyse pas d’axe structurant et évitede soulever la véritable question : lapolitique européenne de la Russie. Auterme de la lecture, on peine toujours àen dessiner les contours et à en apprécierl’(in-)efficacité. La minutie de la descrip-tion s’exerce aux dépens du repérage etde la hiérarchisation des objectifs et desmoyens.

Restent les contributions, prises séparé-ment. Marie-Pierre Rey poursuit ici sesréflexions sur le dilemme russe depuis leXVIe siècle. Double dilemme en réalité,d’un pays qui se demande si l’ouverturevers l’Occident peut se faire sans qu’ilperde son identité, et si l’adoption desvaleurs européennes ne menace pasl’organisation autocratique du pays.Revenant sur les grandes tensions con-ceptuelles de la politique étrangèrerusse, Bobo Lo délivre une analyse trèsproblématisée des principes et contra-dictions de Vladimir Poutine. Il relati-vise le rapprochement avec l’Unioneuropéenne (UE), en rappelant que lastratégie du Kremlin repose sur un prin-cipe de diversification des options. Læti-tia Spetschinsky s’emploie utilement àanalyser les acteurs (Affaires étrangères,présidence, Défense, Conseil de sécurité,

Parlement et forces économiques) ainsique les mécanismes de la politiqueétrangère russe. Arnaud Dubien revient,dans un chapitre informé, sur l’influencerusse au sein de la Communauté desÉtats indépendants (CEI). Une influencequi s’exerce par toute une gammed’outils : approvisionnement énergéti-que, gestion des infrastructures, coopé-ration militaire, ou gels de conflits.A. Dubien revient ainsi sur « l’économi-sation » de la politique étrangère russe,en invitant toutefois à ne pas surestimerle degré de coordination entre le pou-voir et les entreprises russes.

Adoptant un point de vue européen,Tanguy de Wilde souligne la naturehybride de la Russie, à la fois « destina-taire et partenaire de la Politique étran-gère et de sécurité commune (PESC) »,ce qui crée un certain nombre de diffi-cultés dans « l’étranger proche euro-russe ». Isabelle Facon revient dans ledétail sur les relations de sécurité entrel’UE et la Russie, en rappelant l’impor-tance de l’Organisation du traité del’Atlantique Nord (OTAN) dans ce dia-logue. Facon conclut en indiquant, àjuste titre, que l’interaction OTAN/UE/Russie reste largement tributaire del’évolution intérieure des armées russes.En trente pages fouillées, Marius Vahls’interroge sur la pertinence de l’espaceéconomique commun, et sur ses consé-quences politico-institutionnelles. Par-tant d’une remarque de bon sens –l’espace commun ne devrait pas aboutirà une union douanière, dans la mesureoù les deux parties cherchent avant toutà préserver leurs politiques commercia-les respectives –, Vahl éclaire l’anglemort des négociations sur l’espace éco-nomique commun : la circulation despersonnes. Il compare les accords entrel’UE et d’autres pays non-membres,avant d’examiner les rapports entre

1. T. de Wilde et L. Spetschinsky (dir.), Les Relationsentre l’Union européenne et la Fédération de Russie, Lou-vain-la-Neuve, Institut d’études européennes, 2000.

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l’espace économique commun et les pro-cessus d’intégration dans la CEI. AndreïBelyï, pour sa part, se concentre sur lepartenariat énergétique russo-européen,analyse les conséquences de l’élargisse-ment, celles de la libéralisation des mar-chés du gaz et de l’électricité, ainsi queses implications environnementales.Soulignant les insuffisances de la coopé-ration, il met en garde contre le risqued’une excessive « périphérisation » de laRussie, reléguée au rôle de fournisseurd’énergie. Pour finir, Céline Francisaborde le dossier tchétchène, en rappe-lant que les relations russo-européennesne se limitent pas aux rapports entreUE/Russie, le Conseil de l’Europe ayantpris à ce propos une série de positionsdepuis 1994.

Inégalement riche, cet ouvrage est moinsutile au débat stratégique et politiquesur la nature des relations russo-euro-péennes qu’à une meilleure compréhen-sion des dossiers thématiques qui lesous-tendent1.

Thomas Gomart

PARMI LES LIVRES REÇUS

Bertrand, M., L’ONU, Paris, La Décou-verte, coll. « Repères », nouv. édition,n° 145, 2004.

Canal-Forgues, E., Le Règlement des diffé-rends à l’OMC, Bruxelles, Bruylant, 2004.

Chaalal, A., R. Aliboni, R. Anciaux etA. Bensalah Alaoui et al., Europes et mon-des musulmans, un dialogue complexe, quelpartenariat politique, économique et cultu-rel ?, Bruxelles, Complexe/GRIP, 2004.

Collomb, C. et M. Menéndez (dir.), Exi-lés et réfugiés politiques aux États-Unis,Paris, CNRS éditions, 2004.

De Schoutheete, Ph., La Cohérence par ladéfense, une autre lecture de la PESD, Paris,IES, coll. « Cahiers de Chaillot », n° 71,2004.

Durandin, C. (dir.), Perspectives roumai-nes, du post-communisme à l’intégrationeuropéenne, Paris, L’Harmattan, 2004.

Lequesne, Ch. et Y. Surel (dir.), L’Intégra-tion européenne, entre émergence institu-tionnelle et recomposition de l’État, Paris,Presses de Sciences po, 2004.

Macleod, A., E. Dufault et F.-G. Dufour(dir.), Relations internationales, théories etconcepts, Montréal, Athéna, 2004.

Pagé, J.-P. et J. Vercueil, De la chute dumur à la nouvelle Europe, économie politi-que d’une métamorphose, Paris, L’Harmat-tan, 2004.

Sauron, J.-L., La Constitution européenneexpliquée, Paris, Gualino éditeur, 2004.

Erratum : la dernière livraison del’Annuaire français de relations internatio-nales a fait l’objet dans notre précédentnuméro d’une erreur d’identification. Ontrouvera ci-après ses références exactes :

Serge Sur et Jean-Jacques Roche (dir.),Annuaire français de relations internationa-les 2004, Paris/Bruxelles, La Documen-tation française/Bruylant, 2004.

1. A signaler : R. André, J.L. Bianco : Les relations entrel’Union européenne et la Russie : quel avenir ?, Paris,Assemblée nationale, 2004.

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