5
171 Le praticien en anesthésie réanimation © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés mise au point Thrombolyse dans l’embolie pulmonaire Guy Meyer Correspondance : Guy Meyer, Service de Pneumologie, Hôpital Européen Georges Pompidou, 20 rue Leblanc, 75015 Paris. [email protected] e pronostic de l’embolie pulmonaire dépend essentiellement de ses répercussions hémodynamiques et du terrain sur lequel elle survient. En l’absence d’altération hémodynamique clinique et de comorbidité majeure, la mortalité hospitalière est inférieure à 5 %, mais elle dépasse toujours 25 % en cas de choc (1). L’existence d’embolies pulmonaires de gravité intermédiaire définies par la dila- tation des cavités cardiaques droites ou l’élévation de la troponine ou du brain natriuretic peptide (BNP) n’est pas certaine. L’anticoagulation reste le traitement de première intention de l’embolie pulmonaire (EP) cliniquement bien tolérée (2). S’il existe un large consensus pour administrer la fibrinolyse aux malades choqués, son emploi dans les formes de gravité intermé- diaire reste controversé et mal documenté. Des arguments indi- rects laissent penser que le traitement fibrinolytique pourrait réduire la mortalité de moitié dans ce sous-groupe de malades mais, faute de puissance suffisante, les études n’ont pas permis de confirmer ni de rejeter cette hypothèse. Pronostic de l’embolie pulmonaire En présence d’un choc La gravité de l’EP a longtemps été jugée sur l’obstruction vascu- laire pulmonaire. Était considérée comme grave, toute EP dont l’obstruction vasculaire était supérieure à 50 %. Des données déjà anciennes avaient toutefois montré que la tolérance clinique avait plus d’influence pronostique que l’obstruction vasculaire. Alpert et coll. avaient observé une mortalité de 16 % pour une obstruc- L tion vasculaire supérieure à 50 %, contre 5 % seulement quand l’obstruction était inférieure à 50 %. La surmortalité observée dans le premier groupe était le seul fait des malades choqués, dont la mortalité était de 32 %, alors que celle des EP cliniquement bien tolérées était de l’ordre de 5 %, que l’obstruction soit supérieure ou inférieure à 50 % (3). Dans l’étude ICOPER, la mortalité des malades choqués était de 58,3 % (4) et l’hypotension était un facteur de risque indépen- dant de mortalité, avec un Odds Ratio de 2,9 (4). Dans l’étude MAPPET, les malades étaient divisés en quatre groupes selon leur gravité clinique : le groupe I était défini par une pression arté- rielle normale ; le groupe II par une pression artérielle inférieure à 90 mmHg sans signe périphérique de choc ni nécessité de caté- cholamine ; le groupe III par une hypotension et un traitement par catécholamine et le groupe IV par un massage cardiaque à l’admission (5). La mortalité hospitalière était de 8,1 % dans le groupe I, de 15,2 % dans le groupe II, de 25 % dans le groupe III et de 62,5 % dans le groupe IV (5). Dans un travail récent, la mortalité était de 59 % quand le choc s’accompa- gnait d’acidose métabolique (6). En présence d’un choc, la mortalité dépasse donc le plus souvent 25 % et parfois même 50 %. Ce critère est ainsi habituellement retenu dans la littérature pour définir les EP graves. En l’absence de signe de gravité Au 15 e  jour, une mortalité de 6 % à 10,8 % a été rapportée dans diverses études (4, 7, 8), s’il n’y a pas de signe de gravité. Quand la population étudiée se limite aux malades recrutés par les urgences, la mortalité hospitalière n’est plus que de 3,7 % (9). Elle est encore beaucoup plus faible pour les EP bien tolérées, sans comor- bidité majeure associée, inclues dans les essais thérapeutiques les plus récents. Dans l’essai Matisse, la mortalité était respective- ment de 0,8 % et de 1,1 % sous héparine non fractionnée et fon- daparinux (10). Dans une méta-analyse qui comparait héparine de bas poids moléculaire et héparine non fractionnée, la mortalité hospitalière était respectivement de 1,4 % et 1,2 % (11). Il a même été proposé de traiter certains malades en externe ou après une très brève hospitalisation (12).

Thrombolyse dans l’embolie pulmonaire

  • Upload
    guy

  • View
    216

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Thrombolyse dans l’embolie pulmonaire

171

Le praticien en anesthésie réanimation© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

mise au point

Thrombolyse dans l’embolie pulmonaire

Guy Meyer

Correspondance :

Guy Meyer,Service de Pneumologie, Hôpital Européen Georges Pompidou, 20 rue Leblanc, 75015 Paris. [email protected]

e pronostic de l’embolie pulmonaire dépend essentiellement deses répercussions hémodynamiques et du terrain sur lequel ellesurvient. En l’absence d’altération hémodynamique clinique et

de comorbidité majeure, la mortalité hospitalière est inférieure à 5 %,mais elle dépasse toujours 25 % en cas de choc (1). L’existenced’embolies pulmonaires de gravité intermédiaire définies par la dila-tation des cavités cardiaques droites ou l’élévation de la troponine oudu brain natriuretic peptide (BNP) n’est pas certaine.L’anticoagulation reste le traitement de première intention del’embolie pulmonaire (EP) cliniquement bien tolérée (2). S’ilexiste un large consensus pour administrer la fibrinolyse auxmalades choqués, son emploi dans les formes de gravité intermé-diaire reste controversé et mal documenté. Des arguments indi-rects laissent penser que le traitement fibrinolytique pourraitréduire la mortalité de moitié dans ce sous-groupe de maladesmais, faute de puissance suffisante, les études n’ont pas permis deconfirmer ni de rejeter cette hypothèse.

Pronostic de l’embolie pulmonaire

En présence d’un choc

La gravité de l’EP a longtemps été jugée sur l’obstruction vascu-laire pulmonaire. Était considérée comme grave, toute EP dontl’obstruction vasculaire était supérieure à 50 %. Des données déjàanciennes avaient toutefois montré que la tolérance clinique avaitplus d’influence pronostique que l’obstruction vasculaire. Alpertet coll. avaient observé une mortalité de 16 % pour une obstruc-

L

tion vasculaire supérieure à 50 %, contre 5 % seulement quandl’obstruction était inférieure à 50 %. La surmortalité observéedans le premier groupe était le seul fait des malades choqués, dontla mortalité était de 32 %, alors que celle des EP cliniquement bientolérées était de l’ordre de 5 %, que l’obstruction soit supérieureou inférieure à 50 % (3).

Dans l’étude ICOPER, la mortalité des malades choqués était de58,3 % (4) et l’hypotension était un facteur de risque indépen-dant de mortalité, avec un Odds Ratio de 2,9 (4). Dans l’étudeMAPPET, les malades étaient divisés en quatre groupes selonleur gravité clinique : le groupe I était défini par une pression arté-rielle normale ; le groupe II par une pression artérielle inférieure à90 mmHg sans signe périphérique de choc ni nécessité de caté-cholamine ; le groupe III par une hypotension et un traitementpar catécholamine et le groupe IV par un massage cardiaque àl’admission (5). La mortalité hospitalière était de 8,1 % dans legroupe I, de 15,2 % dans le groupe II, de 25 % dans legroupe III et de 62,5 % dans le groupe IV (5). Dans un travailrécent, la mortalité était de 59 % quand le choc s’accompa-gnait d’acidose métabolique (6).

En présence d’un choc, la mortalité dépasse donc le plus souvent25 % et parfois même 50 %. Ce critère est ainsi habituellementretenu dans la littérature pour définir les EP graves.

En l’absence de signe de gravité

Au 15

e

 jour, une mortalité de 6 % à 10,8 % a été rapportée dansdiverses études (4, 7, 8), s’il n’y a pas de signe de gravité. Quandla population étudiée se limite aux malades recrutés par les urgences,la mortalité hospitalière n’est plus que de 3,7 % (9). Elle estencore beaucoup plus faible pour les EP bien tolérées, sans comor-bidité majeure associée, inclues dans les essais thérapeutiques lesplus récents. Dans l’essai Matisse, la mortalité était respective-ment de 0,8 % et de 1,1 % sous héparine non fractionnée et fon-daparinux (10). Dans une méta-analyse qui comparait héparine debas poids moléculaire et héparine non fractionnée, la mortalitéhospitalière était respectivement de 1,4 % et 1,2 % (11). Il amême été proposé de traiter certains malades en externe ou aprèsune très brève hospitalisation (12).

Page 2: Thrombolyse dans l’embolie pulmonaire

172

Thrombolyse dans l’embolie pulmonaire

Existe-t-il des embolies pulmonaires de gravité intermédiaire ?

Plusieurs études ont tenté d’isoler un sous-groupe de gravitéintermédiaire au sein des malades cliniquement stables. Les pre-miers travaux ont défini ces EP (submassive pulmonary embolismdes auteurs anglosaxons) par une dilatation ou une hypokinésieventriculaire droite sur l’échocardiographie (13). Ribeiro et coll.avaient constaté une mortalité de 14 % en présence d’un cœurpulmonaire aigu à l’échographie, alors qu’aucun décès n’étaitobservé en l’absence de surcharge ventriculaire droite (14). Dansl’étude ICOPER, la mortalité était de 18 % en présence d’unedysfonction ventriculaire droite. Il est toutefois impossible dedistinguer dans ces deux études les malades cliniquement stablesde ceux qui avaient une EP grave (4). Les études plus récentes ontindividualisé les malades cliniquement stables et porteurs d’uncœur pulmonaire aigu à l’échographie ; leurs résultats sont mal-heureusement contradictoires. Deux études rapportent une mor-talité de 10 à 11 % dans cette situation (15, 16) et deux autres,plus récentes des chiffres beaucoup plus faibles : dans la pre-mière, aucun décès n’a été rapporté parmi 64 malades traités parhéparine (17), et dans la seconde, la mortalité n’a été que de3 % (6). Inversement, des chiffres de mortalité de 12 % et de20 % ont été rapportés chez des malades qui répondent appa-remment aux mêmes critères (18, 19). Les différences observéess’expliquent vraisemblablement par les critères échographiquesutilisés. Les études qui rapportent les chiffres les plus élevés [7-20 %] utilisent soit l’hypokinésie ventriculaire droite soit unrapport des diamètres ventriculaires télédiastoliques droit/gauche (rapport VD/VG) supérieur à 1, les chiffres étant les plusbas quand on utilisait un rapport VD/VG > 0,6. Des différencesdans la définition de la stabilité clinique et la mise en œuvre dutraitement symptomatique peuvent également expliquer les dif-férences de mortalité entre les études qui sont presque toutesmonocentriques.

En présence d’un état de choc, la mortalité d’une embolie

pulmonaire est de l’ordre de 25 %

L’intérêt s’est récemment porté sur le dosage de la troponine et du

brain natriuretic peptide

(BNP) qui sont habituellement plus élevésdans les EP graves. À de rares exceptions près, les études qui ontévalué l’intérêt pronostique de ces marqueurs ont inclus des maladeschoqués qui n’étaient pas analysés séparément de ceux qui étaientcliniquement stables à l’admission. Si on retrouve effectivementdes taux plus élevés chez les malades décédés (le plus souvent

choqués), il est en revanche impossible de savoir si un taux élevéde BNP ou de troponine est associé à une forte mortalité enl’absence de choc.L’ensemble de ces résultats ne permet donc pas d’estimer le pro-nostic, ni même de confirmer l’existence d’un sous-groupe d’EP degravité intermédiaire.

Avantages et effets secondaires du traitement fibrinolytique

Effets du traitement fibrinolytique sur l’hémodynamique et l’obstruction vasculaire pulmonaire

Le traitement fibrinolytique désobstrue l’artère pulmonaire plusrapidement que l’héparine. L’activateur tissulaire du plasmino-gène (rtPA) diminue significativement l’obstruction vasculairepulmonaire, de 20 à 30 % après 2 heures de traitement, alorsqu’aucune modification n’est observée sous héparine (20). Ladifférence de désobstruction en faveur du rtPA, persiste 24 heuresaprès le début du traitement (21). En revanche, 7 jours après ledébut du traitement, aucune différence n’est plus retrouvée(20). La rapidité de la désobstruction se traduit par une baisseprécoce des résistances artérielles pulmonaires, mesurable dès lapremière heure de traitement fibrinolytique, alors qu’aucuneamélioration hémodynamique n’est observée après 24 heures detraitement par l’héparine. L’index cardiaque augmente égale-ment de façon significative dès la 2

e

 heure sous rtPA alors qu’ilreste stable sous héparine.

Complications hémorragiques du traitement fibrinolytique

Dans les études contrôlées qui ont comparé fibrinolyse et hépa-rine, la fréquence des hémorragies graves était de 13 % chezles malades fibrinolysés avec un risque relatif de 1,5 par rapport àl’héparine (22). Ces complications étaient particulièrement fré-quentes dans les essais anciens, qui avaient systématiquementrecours à l’angiographie pour confirmer le diagnostic d’EP et aucathétérisme cardiaque droit pour apprécier son retentisse-ment hémodynamique et l’évolution sous traitement. Dans cesétudes, la majorité des hémorragies graves survenait au pointde ponction vasculaire nécessaire aux examens invasifs. Aprèsexclusion de ces études, la fréquence des complications hémor-ragiques graves n’est plus que de 5,8 % chez les malades fibri-nolysés, contre 4,3 % sous héparine (22). La fréquence deshémorragies intracérébrales varie de 1,9 à 3 % (23). Les fac-

Page 3: Thrombolyse dans l’embolie pulmonaire

173

Guy Meyer

teurs qui majorent le risque d’hémorragie sévère sont l’âge (ris-que relatif : 3,9 pour les malades de plus de 70 ans comparés àceux de moins de 50 ans), et les gestes diagnostiques invasifs(risque relatif : 5,2) (24).

Effet du traitement fibrinolytique sur la mortalité

En présence d’un choc

La seule étude contrôlée qui a comparé fibrinolyse et héparinechez des malades atteints d’EP grave a été publiée en 1995 (25).Un groupe a reçu de l’héparine et l’autre de l’héparine associée àune perfusion de 1 500 000 unités de streptokinase. Les 8 pre-miers malades étaient tous choqués à l’inclusion ; 4 ont reçu del’héparine et sont décédés rapidement, 4 ont reçu de la strepto-kinase et ont survécu. L’essai a alors été interrompu (25). Uneméta-analyse récente a résumé les essais randomisés qui ontcomparé fibrinolyse et héparine. En dehors de l’étude citée plushaut, aucun essai n’a exclusivement inclus des malades choqués,et certains n’ont même inclus que des malades cliniquementstables. Dans les études qui ont inclus des malades choqués, larécidive embolique ou le décès sont significativement moins fré-quents parmi les malades fibrinolysés, (Odds Ratio : 0,45,IC 95 % : 0,22 à 0,92). La mortalité des malades fibrinolysés(6,2 %) était deux fois plus faible que celle des malades qui ontreçu de l’héparine (12,7 %), mais cette différence n’a pas atteintle seuil de significativité (Odds Ratio : 0,47 ; IC 95 % : 0,20-1,10) (22). Cette absence de significativité statistique est mani-festement liée au manque de puissance de cette analyse, en rai-son des faibles effectifs étudiés (254 malades au total) et de l’inclu-sion de malades cliniquement stables dans la plupart des études.En l’absence d’étude contrôlée de puissance suffisante, plusieursarguments semblent justifier le traitement fibrinolytique :– l’importante mortalité observée chez les malades atteints d’EPavec choc (qui varie de 25 % à plus de 50 %) (3-5) ;– le résultat de l’étude de Jerges-Sanchez qui inclue un nombrelimité de patients [25] ;– la forte tendance observée dans la méta-analyse. Ces constata-tions ont poussé différents groupes d’experts à recommander lafibrinolyse dans les EP graves, malgré la légère augmentation descomplications hémorragiques graves qu’elle suppose (13). Laseule donnée venant contredire cette opinion dominante pro-vient d’une étude rétrospective menée sur 10 ans dans laquellela mortalité restait élevée chez 34 malades sévèrement choquésqui avaient une acidose métabolique, qu’ils soient traités parhéparine associée à un traitement symptomatique, (n = 20,mortalité : 60 %) ou par fibrinolyse (n = 14, mortalité : 57 %)(6). La nature rétrospective de ces données, le caractère inso-

lite du critère de sélection (acidose métabolique) et l’absencede contrôle inhérent à ce type d’étude, limitent la portée decette constatation.

En l’absence de choc

Le plus grand essai ayant comparé fibrinolyse et héparine dansl’EP bien tolérée a inclus 256 malades, qui recevaient de manièrealéatoire soit de l’héparine soit de l’héparine et du rtPA (26). Lamortalité des malades fibrinolysés était de 3,4 % et celle desmalades qui ne recevaient que de l’héparine de 2,2 %, soit unedifférence non significative. La mortalité et la nécessité d’uneescalade thérapeutique (fibrinolyse secondaire, ou traitementinotrope), qui constituaient le critère principal de jugementétaient plus élevées chez les malades traités par héparine(24,6 % contre 11 % ; p = 0,006) principalement en raison d’unrecours plus fréquent à la fibrinolyse en deuxième intentionquand les paramètres cliniques ou physiologiques se détério-raient ou ne s’amélioraient pas rapidement (26). En l’absence dedifférence de mortalité, ces résultats suggèrent de n’administrerle fibrinolytique qu’en cas d’échec du traitement anticoagulant,ce qui était le cas chez 25 % des malades de l’essai. Il faut tou-tefois tenir compte de la gravité des malades ; en effet, seuls31 % des malades avaient une défaillance droite établie sur descritères échocardiographiques, ce qui peut expliquer la faiblemortalité du groupe contrôle. En dehors de cette étude, 10 étudesrandomisées ont comparé héparine et fibrinolyse (22), et leursrésultats ont été résumés dans la méta-analyse déjà citée. Si l’onne tient compte que des essais qui n’ont inclus que des maladescliniquement stables, la mortalité ne diffère pas significative-ment selon le traitement (3,3 % après fibrinolyse contre 2,4 %sous héparine (Odds ratio : 1,16 ; IC 9 5 % : 0,44-3,05) ; il enest de même des récidives et des complications hémorragiques.Malgré l’inclusion de 10 essais, les effectifs inclus dans cetteanalyse ne s’élèvent qu’à 509 malades dans les deux groupes. Deplus, la mortalité du groupe contrôle n’a été que de 2,4 %, ce quilaisse penser que la majorité des EP n’étaient pas de gravitéintermédiaire. Ces résultats ne permettent donc pas d’affirmerque les avantages hémodynamiques du traitement fibrinolytiquese traduisent par une baisse de la mortalité mais ils ne peuventexclure un bénéfice chez des malades présentant une dilatationdes cavités droites.

Malgré ces résultats négatifs, des arguments indirects sug-gèrent tout de même un effet bénéfique de la fibrinolyse dansl’EP de gravité intermédiaire. Dans une analyse rétrospectivede leur essai randomisé, Goldhaber et coll. estiment que lafibrinolyse pourrait s’avérer bénéfique en cas de d’hypokinésie

Page 4: Thrombolyse dans l’embolie pulmonaire

174

Thrombolyse dans l’embolie pulmonaire

ventriculaire droite. Dans l’étude initiale qui avait comparé lertPA et l’héparine chez 101 malades atteints d’EP bien toléréecliniquement, aucune différence de mortalité n’a été observéeentre les deux groupes (21). En revanche, les récidives emboli-ques et les décès étaient plus nombreux sous héparine en casd’hypokinésie ventriculaire droite sur l’échocardiographie ini-tiale. L’analyse de ce sous-groupe n’avait toutefois pas été pré-vue a priori.

Dans l’étude MAPETT, la mortalité des malades cliniquementstables qui avaient une dilatation des cavités droites était deuxfois moins élevée après fibrinolyse initiale (4,7 %) que soushéparine (11,1 %) (15). Cette étude étant purement observa-tionnelle, les groupes n’étaient pas appariés ; les malades quin’avaient pas été fibrinolysés étaient plus âgés et avaient plusfréquemment une ou plusieurs comorbidités associées à l’EP,mais la fibrinolyse restait associée à une meilleure survie aprèsajustement pour les autres principales variables pronostiques(15). Ces constatations ont fait l’objet de nombreuses critiques.Il semblerait que les malades inclus aient été sélectionnés pourleur mauvais pronostic et que celui-ci était plus favorable chezles sujets ayant reçu un traitement fibrinolytique car ils ne pré-sentaient pas de comorbidité ; enfin, l’EP n’était pas toujoursconfirmée objectivement (27).

Ces arguments souvent avancés par les défenseurs de la fibrino-lyse semblent donc contestables. Un essai contrôlé mené àl’échelon Européen débutera en 2007. Cet essai aura l’effectif etla puissance suffisante pour sortir de l’incertitude actuelle enincluant un millier de malades porteurs d’une EP de gravitéintermédiaire définie par une dilatation des cavités droites etune augmentation de la troponine, sans état de choc, et quiseront randomisés pour recevoir soit de l’héparine soit de l’hépa-rine et de la tenecteplase. En attendant ses résultats, il paraîtlicite de ne pas administrer de fibrinolytique aux malades clini-quement stables, quels que soient l’obstruction et l’aspect écho-cardiographique.

Contre-indications du traitement fibrinolytique

Les principales contre-indications du traitement fibrinolytiquesont détaillées dans le

tableau 1

. Dans les formes graves, compli-quées de choc, il est logique de ne tenir compte que des contre-indications absolues. Dans les formes de gravité intermédiaire, ilparaît en revanche nécessaire de tenir compte de toutes ces contre-indications et de se limiter à un simple traitement anticoagulant,

sachant que le bénéfice de la fibrinolyse dans cette circonstanceest très incertain.

Conclusion

Il existe un large consensus pour utiliser la fibrinolyse dans lesEP graves, ce d’autant que le diagnostic est fait de manière noninvasive, ce qui réduit considérablement le risque hémorragiquequi est actuellement très proche de celui observé sous hépa-rine. Face à une EP compliquée de choc et en l’absence de contre-indication majeure, notre position est donc de débuter une fibri-nolyse par voie périphérique si l’état hémodynamique n’est pasfacilement contrôlé par une expansion volumique de 500 ml etpar un soutien inotrope modéré (moins de 10 

μ

g/min de dobu-tamine).

Face à une EP cliniquement bien tolérée mais responsable d’unedilatation des cavités droites, la situation est beaucoup plusconfuse. La majorité des études disponibles a été bâtie sur descritères de jugement physiologiques dont la pertinence n’est pasformellement démontrée. Les essais disponibles n’ont pas la puis-sance nécessaire pour mettre en évidence une réduction de lamortalité par le traitement fibrinolytique, mais leurs résultats nepermettent pas non plus de réfuter une réduction importante de lamortalité. Une étude de puissance suffisante, qui débute en 2007,devrait résoudre ce problème. Dans l’attente de ses résultats, unehéparinothérapie est recommandée en première intention, la fibri-nolyse étant réservée aux quelques malades dont l’état clinique sedétériore sous traitement.

Tableau 1Contre-indications au traitement fibrinolytique au cours de l’embolie pulmonaire.Contre-indications absoluesHémorragie active non contrôlée

Accident ischémique cérébral de moins de 2 mois

Hémorragie intracrânienne spontanée quelle qu’en soit la date

Contre-indications relatives

Chirurgie majeure, accouchement, biopsie profonde, ponction d’un vais-seau non compressible datant de moins de 10 jours

Traumatisme datant de moins de 15 jours

Neurochirurgie ou chirurgie ophtalmologique datant de moins d’un mois

Hypertension sévère (systolique > 180 mmHg, diastolique > 120 mmHg)

Plaquettes < 100 000/mm3

Endocardite

Page 5: Thrombolyse dans l’embolie pulmonaire

175

Guy Meyer

Références

1. Simonneau G, Sors H, Charbonnier B, et al. A comparison of low-molecular-weight heparin with unfractionated heparin for acute pulmo-nary embolism. The THESEE Study Group. Tin-zaparine ou héparine standard: evaluations dans l’embolie pulmonaire. N Engl J Med 1997;337:663-9.

2. Hyers TM, Agnelli G, Hull RD, et al. Antithrom-botic therapy for venous thromboembolic di-sease. Chest 2001;119(1 Suppl):176S-93S.

3. Alpert JS, Smith R, Carlson J, Ockene IS, Dex-ter L, Dalen JE. Mortality in patients treated for pulmonary embolism. JAMA 1976;236: 1477-80.

4. Goldhaber SZ, Visani L, De Rosa M. Acute pul-monary embolism: clinical outcomes in the International Cooperative Pulmonary Embo-lism Registry (ICOPER). Lancet 1999;353: 1386-9.

5. Kasper W, Konstantinides S, Geibel A, et al. Management strategies and determinants of outcome in acute major pulmonary embolism: results of a multicenter registry. J Am Coll Cardiol 1997;30:1165-71.

6. Vieillard-Baron A, Page B, Augarde R, et al. Acute cor pulmonale in massive pulmonary embolism: incidence, echocardiographic pat-tern, clinical implications and recovery rate. Intens Care Med 2001;27:1481-6.

7. Heit JA, Silverstein MD, Mohr DN, Petterson TM, O’Fallon WM, Melton LJ, 3rd. Predictors of survival after deep vein thrombosis and pul-monary embolism: a population-based, cohort study. Arch Intern Med 1999;159:445-53.

8. Murin S, Romano PS, White RH. Comparison of outcomes after hospitalization for deep ve-nous thrombosis or pulmonary embolism. Thromb Haemost 2002;88:407-14.

9. Wicki J, Perrier A, Perneger TV, Bouna-meaux H, Junod AF. Predicting adverse out-come in patients with acute pulmonary em-bolism: a risk score. Thromb Haemost 2000;84:548-52.

10. Buller HR, Davidson BL, Decousus H, et al. Subcutaneous fondaparinux versus intrave-nous unfractionated heparin in the initial treatment of pulmonary embolism. N Engl J Med 2003;349:1695-702.

11. Quinlan DJ, McQuillan A, Eikelboom JW. Low-molecular-weight heparin compared with intravenous unfractionated heparin for treat-ment of pulmonary embolism: a meta-analysis of randomized, controlled trials. Ann Intern Med 2004;140:175-83.

12. Kovacs MJ, Anderson D, Morrow B, Gray L, Touchie D, Wells PS. Outpatient treatment of pulmonary embolism with dalteparin. Thromb Haemost 2000;83:209-11.

13. Guidelines on diagnosis and management of acute pulmonary embolism. Task Force on Pulmonary Embolism, European Society of Cardiology. Eur Heart J 2000;21:1301-36.

14. Ribeiro A, Lindmarker P, Juhlin-Dannfelt A, Johnsson H, Jorfeldt L. Echocardiography Doppler in pulmonary embolism: right ventri-cular dysfunction as a predictor of mortality rate. Am Heart J 1997;134:479-87.

15. Konstantinides S, Geibel A, Olschewski M, et al. Association between thrombolytic treat-ment and the prognosis of hemodynamically stable patients with major pulmonary embo-lism: results of a multicenter registry. Circula-tion 1997;96:882-8.

16. Grifoni S, Olivotto I, Cecchini P, et al. Short-term clinical outcome of patients with acute pulmonary embolism, normal blood pressure, and echocardiographic right ventricular dys-function. Circulation 2000;101:2817-22.

17. Hamel E, Pacouret G, Vincentelli D, et al. Thrombolysis or heparin therapy in massive pulmonary embolism with right ventricular dilation: results from a 128-patient monocen-ter registry. Chest 2001;120:120-5.

18. Pruszczyk P, Bochowicz A, Torbicki A, et al. Cardiac troponin T monitoring identifies high-risk group of normotensive patients with acute pulmonary embolism. Chest 2003;123:1947-52.

19. Pruszczyk P, Kostrubiec M, Bochowicz A, et al. N-terminal pro-brain natriuretic peptide in patients with acute pulmonary embolism. Eur Respir J 2003;22:649-53.

20. Dalla-Volta S, Palla A, Santolicandro A, et al. PAIMS 2: alteplase combined with heparin versus heparin in the treatment of acute pul-monary embolism. Plasminogen activator Ita-lian multicenter study 2. J Am Coll Cardiol 1992;20:520-6.

21. Goldhaber SZ, Haire WD, Feldstein ML, et al. Alteplase versus heparin in acute pulmonary embolism: randomised trial assessing right-ventricular function and pulmonary perfu-sion. Lancet 1993;341:507-11.

22. Wan S, Quinlan DJ, Agnelli G, Eikelboom JW. Thrombolysis compared with heparin for the initial treatment of pulmonary embolism: a meta-analysis of the randomized controlled trials. Circulation 2004;110:744-9.

23. Kanter DS, Mikkola KM, Patel SR, Parker JA, Goldhaber SZ. Thrombolytic therapy for pul-monary embolism. Frequency of intracranial hemorrhage and associated risk factors. Chest 1997;111:1241-5.

24. Mikkola KM, Patel SR, Parker JA, Grodstein F, Goldhaber SZ. Increasing age is a major risk factor for hemorrhagic complications after pulmonary embolism thrombolysis. Am Heart J 1997;134:69-72.

25. Jerjes-Sanchez C, Ramirez-Rivera A, de Lour-des Garcia M, et al. Streptokinase and heparin versus heparin alone in massive pulmonary embolism: a randomized controlled trial. J Thromb Thrombolysis 1995;2:227-9.

26. Konstantinides S, Geibel A, Heusel G, Heinrich F, Kasper W. Heparin plus alteplase compared with heparin alone in patients with submassive pulmonary embolism. N Engl J Med 2002;347: 1143-50.

27. Wood KE. The presence of shock defines the threshold to initiate thrombolytic therapy in patients with pulmonary embolism. Intens Care Med 2002;28:1537-46.