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1 UNIVERSITÉ PIERRE ET MARIE CURIE (Paris 6) FACULTE DE MEDECINE PIERRE ET MARIE CURIE Année 2007 THÈSE N°2007PA06G039 DOCTORAT EN MEDECINE Discipline Médecine Générale PAR Bénédicte GAUDILLIÈRE Née le 1er décembre 1976 à Nevers Présentée et soutenue publiquement le mardi 25 septembre 2007 LES REPRÉSENTATIONS DE LA MÉTHADONE ET DE LA BUPRÉNORPHINE HAUT DOSAGE CHEZ LES PATIENTS TOXICOMANES : Du médicament à la relation thérapeutique Président de thèse : Monsieur le Professeur Olivier BOUCHAUD Membres du jury : Monsieur le Professeur Alain KRIVITZKY Monsieur le Professeur Antoine LAZARUS Monsieur le Docteur Jean-Pierre NAUDON Directeur de thèse : Monsieur le Docteur Olivier TAÏEB

thèse bénédicte gaudillière - CMGE - UPMC · Année 2007 THÈSE N°2007PA06G039 DOCTORAT EN MEDECINE Discipline Médecine Générale PAR Bénédicte GAUDILLIÈRE Née le 1er décembre

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UNIVERSITÉ PIERRE ET MARIE CURIE(Paris 6)

FACULTE DE MEDECINE PIERRE ET MARIE CURIE

Année 2007 THÈSE N°2007PA06G039

DOCTORAT EN MEDECINEDiscipline Médecine Générale

PAR

Bénédicte GAUDILLIÈRENée le 1er décembre 1976 à Nevers

Présentée et soutenue publiquement le mardi 25 septembre 2007

LES REPRÉSENTATIONS DE LA MÉTHADONE ETDE LA BUPRÉNORPHINE HAUT DOSAGE CHEZ LES

PATIENTS TOXICOMANES :Du médicament à la relation thérapeutique

Président de thèse : Monsieur le Professeur Olivier BOUCHAUD

Membres du jury : Monsieur le Professeur Alain KRIVITZKYMonsieur le Professeur Antoine LAZARUSMonsieur le Docteur Jean-Pierre NAUDON

Directeur de thèse : Monsieur le Docteur Olivier TAÏEB

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Je remercie le Professeur Olivier Bouchaud d’avoir accepté de présider le jury de cette thèse,de son attention à mon parcours et de répondre souvent à mes nombreuses questions.

Je remercie le Docteur Olivier Taïeb d’avoir accepté de diriger ce travail, de m’avoir donnéenvie d’aller plus loin, de sa patience, de son exigence toujours bienveillante, de sesencouragements et de sa confiance.

Je remercie les Professeurs Antoine Lazarus et Alain Krivitzky pour l’honneur qu’ils me fonten acceptant de juger mon travail.

Je remercie le Docteur Jean-Pierre Naudon d’avoir accepté de faire partie du jury de cettethèse et d’avoir participé à ma formation de médecin généraliste.

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Je remercie Clotilde Carrandié pour son accueil chaleureux au centre de Documentation deMarmottan et pour savoir donner envie de lire et de chercher.

Je remercie Anne de L’Éprevier, documentaliste à la MILDT, pour son efficacité et sarapidité.

Je remercie Mireille Boden pour avoir donné de l’humanité à l’administration, depuis le débutde ma formation en médecine générale, jusqu’à la soutenance de cette thèse.

Je remercie celle et ceux qui m’ont appris mon métier.Je remercie les équipes médicales et paramédicales des services hospitaliers qui m’ontaccueillie.Je remercie les médecins généralistes qui m’ont ouvert leur cabinet.Je remercie l’équipe de la mission banlieue de Médecins du Monde.Je remercie l’équipe du Programme de Prévention des risques en Milieu Urbain de Médecinsdu Monde, devenu Gaïa Paris.

Je remercie l’équipe du Comede pour la confiance qu’elle m’accorde, pour sonprofessionnalisme, pour tout ce qu’elle m’a appris et continue de m’apprendre, pour m’avoir« supportée » aux moments les plus intenses de la rédaction de cette thèse, et pour le plaisir detravailler avec elle. Je remercie aussi Darja Djordjevic pour avoir fait un temps partie de cetteéquipe et pour nos échanges « anthropologiques ».

Je remercie les équipes des Urgences et de Pédiatrie du Centre Hospitalier Robert Ballangerpour leur confiance et leur soutien.

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À la mémoire de ma mère

À mon père, à ma grand-mère

À Éliot, Émilie, Charles et Alex

À Delphine, Anne et Clotilde

À Oliv

À Sacha, Ronan et Anne-Laure (ALB Corporation…)

À Mathilde, Alex L, Mathias et Jeanne, Christine, Giovanni, Lahcen, Bachir, Éric, Tuk,Angéline, Walid, Thierry (et au CMA), Émilie B, Carole et Hadi, Ervan, Danièle, Brune,Léïla, Wilfried, Hélène, Cécilia, Martine, Jalila, Antoaneta, Michaël, Marie, Pierre,Geneviève

Merci.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ..................................................................................................................10

PREMIERE PARTIE ............................................................................................................13

1- Historique et état des lieux de la substitution de la dépendance en opiacés en France131-1. Mise en place ................................................................................................................131-2. Succès et limites des TSO .............................................................................................16

1-2-1. Des succès incontestables ......................................................................................161-2-2. Limites ...................................................................................................................18

Synthèse et perspectives .........................................................................................................20

2- Pharmacologie et présentation générale de la BHD et de la méthadone ......................212-1. Hypothèse biologique de Dole et Nyswander ...............................................................212-2. La BHD (buprénorphine haut dosage) ..........................................................................22

2-2-1. Bases pharmacologiques........................................................................................222-2-2. Galénique, posologie, mode d’administration .......................................................222-2-3. Les « effets »..........................................................................................................232-2-4. Interactions ............................................................................................................242-2-5. Cadre réglementaire de prescription et de délivrance............................................25

2-3. La méthadone (méthadone chlorhydrate) .....................................................................262-3-1. Bases pharmacologiques........................................................................................262-2-2. Galénique, posologie, mode d’administration .......................................................262-2-3. Indications particulières de la méthadone .............................................................272-2-4. Les « effets »..........................................................................................................272-2-5. Interactions ............................................................................................................282-2-6. Cadre réglementaire de prescription et de délivrance............................................29

Synthèse ..................................................................................................................................30

3- La dépendance et le manque selon les médecins .............................................................323-1. La dépendance ..............................................................................................................323-2 Le manque ......................................................................................................................34

4- Apports de l’anthropologie médicale et de l’épidémiologie culturelle ..........................364-1. Les notions de systèmes de soins et de modèles explicatifs de Kleinman....................36

4-1-1. Les systèmes de soins ............................................................................................364-1-2. Les modèles explicatifs .........................................................................................37

4-2. Le « sens » de la maladie : les approches des auteurs français.....................................394-3. Les bases de l’épidémiologie culturelle et l’Explanatory Model Interview Catalogue(EMIC) .................................................................................................................................40

4-3-1. Les bases de l’épidémiologie culturelle.................................................................404-3-2. La structure de l’EMIC ..........................................................................................41

5- Les études antérieures concernant les représentations des traitements de substitutionde la dépendance en opiacés chez les patients toxicomanes. ..............................................44

5-1. Les études réalisées en France ......................................................................................445-1-1. Le rapport Bouhnik et al. (1999) ...........................................................................445-1-2. L’étude de Lalande et Grelet (2001)......................................................................46

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5-1-3. L’enquête AIDES-INSERM (2001) ......................................................................485-1-4. L’étude Guichard et al. (2006) ..............................................................................51

5-2. les principales études réalisées dans d’autres pays .......................................................545-2-1. Les études publiées dans les années 80 et 90 ........................................................555-2-2. Les études plus récentes ........................................................................................61

DEUXIÈME PARTIE ............................................................................................................67

- OBJECTIF ET HYPOTHÈSE ...........................................................................................67

- PATIENTS ET MÉTHODE ...............................................................................................68

1- Les patients .........................................................................................................................681-1. Les critères d’inclusion .................................................................................................681-2. Le site ............................................................................................................................69

2- La méthode .........................................................................................................................692-1. La procédure .................................................................................................................692-2. L’EMIC et les autres instruments de l’entretien initial .................................................70

2-2-1. L’EMIC- Dépendance aux Drogues (EMIC-DD) .................................................702-2-2. Les autres instruments de l’entretien initial ...........................................................73

2-3 L’analyse des résultats ...................................................................................................74

- RÉSULTATS ........................................................................................................................75

1- Patients inclus et données socio-démographiques et médicales .....................................751-1. Patients inclus ...............................................................................................................751-2. Données socio-démographiques ...................................................................................761-3. Les types de dépendances (MINI) ................................................................................771-4. Prévalences des infections à VIH et à VHC .................................................................78

2- Les effets des traitements de substitution selon les patients toxicomanes ....................792-1. La BHD .........................................................................................................................80

2-1-1. Des effets sur le corps et l’esprit ...........................................................................802-1-2. La « défonce » ou quand la BHD est comparée à la drogue..................................862-1-3. Absence d’effet ou absence d’efficacité? ..............................................................872-1-4. Un vécu parfois très négatif ...................................................................................882-1-5. L’ambivalence de la relation à la BHD .................................................................89

2-2. La méthadone ................................................................................................................902-2-1. Des effets sur le corps et l’esprit ...........................................................................912-2-2. La défonce, la dépendance ou quand la méthadone est comparée à la drogue......932-2-3. Absence d’effet ou absence d’efficacité? ..............................................................952-2-4. Une expérience parfois très négative .....................................................................95

Synthèse ..................................................................................................................................96

3- « La première prise » .........................................................................................................983-1. La BHD .........................................................................................................................99

3-1-1. Sur prescription d’un médecin ...............................................................................993-1-2. Donné(e) par un proche .......................................................................................101

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3-1-3. Acheté(e) dans la rue ...........................................................................................1023-2. La méthadone ..............................................................................................................102

3-2-1. Sur prescription d’un médecin .............................................................................1033-2-2. Donné par un proche............................................................................................1033-2-3. Acheté dans la rue................................................................................................104

Synthèse ................................................................................................................................104

4- Les usages détournés de la BHD .....................................................................................1054-1. L’utilisation de la BHD par voie injectable ................................................................105

4-1-1. « L’appel de la seringue »....................................................................................1054-1-2. Abandon et mise à distance de la voie injectable ................................................1064-1-3. Les raisons de la voie injectable avancées les patients ........................................1084-1-4. Les conséquences de la voie injectable ...............................................................110

4-2. L’utilisation de la BHD par voie nasale......................................................................1114-2-1. Abandon et mise à distance de la voie nasale ......................................................1114-2-2. Les raisons de la voie nasale avancées par les patients .......................................112

Synthèse ................................................................................................................................114

5- Attentes, buts et objectifs des TSO du point de vue des patients ................................1165-1. Vis-à-vis de la BHD ....................................................................................................116

5-1-1. La BHD est une substitution à la drogue .............................................................1165-1-2. Le retour à une vie normale .................................................................................1185-1-3. Une différence entre soi et les autres ...................................................................119

5-2. Vis-à-vis de la méthadone ...........................................................................................1215-2-1. La méthadone est une substitution à la drogue ....................................................1225-2-2. Le retour à une vie normale .................................................................................1245-2-3. Une différence entre soi et les autres ...................................................................125

Synthèse ................................................................................................................................126

6- Avantages et inconvénients de la BHD et de la méthadone .........................................1266-1. Les avantages ..............................................................................................................126

6-1-1. Les avantages de la BHD.....................................................................................1276-1-2. Les avantages de la méthadone............................................................................131

6-2. Les inconvénients ........................................................................................................1346-2-1. Les inconvénients de la BHD ..............................................................................1346-2-2. Les inconvénients de la méthadone .....................................................................137

Synthèse ................................................................................................................................139

7- Les différences entre la BHD et la méthadone ..............................................................1417-1. La BHD apporte plus de bénéfices que la méthadone ................................................1417-2. La méthadone apporte plus de bénéfices que la BHD ................................................1427-3. Opinion neutre ............................................................................................................144

Synthèse ................................................................................................................................144

TROISIÈME PARTIE .........................................................................................................146

DISCUSSION .......................................................................................................................146

1- Les patients toxicomanes et leurs traitements de substitution.....................................146

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1-1. L’hétérogénéité des réponses ......................................................................................1461-2 Les effets des TSO selon les patients ...........................................................................147

1-2-1. La notion d’effet pour les TSO ............................................................................1471-1-2. La notion d’effet au-delà de la substitution .........................................................150

1-3. Les modes d’obtention, le recours au TSO « de rue » et l’auto-substitution..............1521-4. Mésusages, usages détournés et perception des risques .............................................155

1-4-1. La notion de mésusage ........................................................................................1551-4-2. Le recours à la voie intraveineuse et à la voie nasale pour la BHD ....................1561-4-3. Perceptions des risques encourus ........................................................................162

1-5. L’ambiguïté de la relation au TSO et le « produit drogue » .......................................1631-6. Attentes, but, satisfaction et insatisfaction envers les TSO ; le « traitement idéal » ..164

1-6-1. Attentes et buts ....................................................................................................1641-6-2. Satisfaction et insatisfaction ................................................................................1651-6-3. « Le traitement idéal » .........................................................................................167

1-7. Impact sur la vie des patients et modification de l’image de soi ................................1691-7-1. Le normal et le pathologique ...............................................................................1691-7-2. Les figures de différenciation ..............................................................................1711-7-3. Souffrir, ne pas souffrir .......................................................................................1731-7-4. Le dévoilement et le stigma .................................................................................174

2- Aperçu des représentations des soignants envers les patients toxicomanes et les TSO................................................................................................................................................176

2-1. La toxicomanie est-elle une maladie, l’usager de drogue est-il un patient ? ..............1772-1-2. La toxicomanie est-elle une maladie ? ................................................................1772-1-2. L’usager de drogue est-il un patient ? .................................................................179

2-2. Les contre-attitudes .....................................................................................................1802-3. Les représentations des TSO chez les soignants .........................................................181

2-3-1. Des avis partagés et ambivalents .........................................................................1812-3-2. Un avant et un après ............................................................................................183

2-4. Paradoxes de la substitution chez les soignants ..........................................................1842-4-1. Le pharmacon ......................................................................................................1842-4-2. Un bouleversement des habitudes .......................................................................185

3- Du médicament à la relation thérapeutique ..................................................................1873-1. Le savoir et le non-savoir des patients ........................................................................1883-2. Un va-et-vient à accepter entre les différents secteurs : itinéraire thérapeutique,discours commun et ambivalence partagée ........................................................................1903-3. La place de la demande ...............................................................................................1913-4. Négociation, prescription et ordonnance ....................................................................193

3-4-1. L’espace de négociation ......................................................................................1933-4-2. Prescription et ordonnance ..................................................................................194

3-5. Pratiques et cadre ........................................................................................................1963-5-1. Cadre de délivrance et de suivi en France ...........................................................1973-5-2. Place et particularité de la médecine générale .....................................................1993-5-3. Psychanalyse et substitution ................................................................................200

4- Limites ...............................................................................................................................201

5- Perspectives ......................................................................................................................203

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CONCLUSION .....................................................................................................................206

ANNEXE : section 5 de L’Explanatory Model Interview Catalogue – Dépendances auxdrogues (EMIC-DD) - Version 2 .........................................................................................207

BIBLIOGRAPHIE ...............................................................................................................210

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INTRODUCTION

Les traitements de substitution de la dépendance en opiacés (TSO)1 sont devenus en

France dans le contexte de l’infection à VIH/sida, un élément important de la prise en charge

des patients toxicomanes. Selon les dernières estimations disponibles, en France au cours de

l’année 2003, 71 800 à 84 500 personnes avaient expérimenté la buprénorphine haut dosage

(BHD), et entre 11 200 et 16 900 personnes avaient pris de la méthadone. Au total, environ

100 000 usagers étaient donc personnellement concernés en 2003 par les TSO. Ces

médicaments sont parfois utilisés en dehors des cadres thérapeutiques habituels : seules 63

000 de ces personnes auraient pris un TSO dans le cadre d’un suivi médical durable (OFDT

2005). Malgré une tendance à la stabilisation dans certaines régions où la mise en place de la

substitution est plus ancienne, l’usage des TSO reste en progression depuis leur autorisation

de mise sur le marché (AMM) en France au milieu des années 90. Ces traitements sont à

intégrer dans une prise en charge thérapeutique au long cours des patients toxicomanes, en

tenant compte de l’itinéraire thérapeutique des patients avec ces médicaments. Les TSO

posent en fait le problème des prises en charge à long terme, où une alliance thérapeutique

solide est à construire (Guichard et al. 2004).

La littérature existante sur les TSO est surtout documentée en recherche clinique et

pharmacologique ou bien elle explore majoritairement les représentations des soignants. Mais

si l’efficacité d’une prise en charge relève en partie de l’intentionnalité du prescripteur, les

représentations du patient quant à ce qui lui est proposé, tiennent également une place notable

(Jeammet 1997a). En anglais, deux mots décrivent la maladie : « disease » exprime le sens

subjectif de la maladie, ce que ressent le patient, et « illness » traduit le sens biomédical ou

psychiatrique des symptômes. Cette dissociation -la science d’un côté et le ressenti du patient

de l’autre- est très présente en médecine occidentale. La définition de la « maladie du

malade » serait « valable du point de vue de la conscience » et ne le serait pas « du point de

vue de la science » (Canguilhem 1966, p 52). En anthropologie médicale, à partir de la

subjectivité de la maladie, Kleimann (1980) introduit la notion de modèles explicatifs, qui

1 La conférence de consensus de juin 2004 sur les traitements de substitutions, définit plusieurs termes : les traitements desubstitution (TSO) et les médicaments de substitution (MSO). Les TSO constituent une pratique, qui comporte des notions deprise en charge et d’alliance thérapeutique avec le patient, les MSO en font partie. Les MSO désignent les deux principauxmédicaments utilisés en France dans cet objectif : la méthadone et la buprénorphine haut dosage (BHD).Dans notre travail, nous emploierons essentiellement les termes de traitements de substitution (ou de TSO) pour parler de laméthadone et de la BHD, ces termes étant les plus utilisés tant par les patients que par les soignants. Dans le même espritpour nommer la BHD, nous utiliserons régulièrement son nom commercial, le Subutex.

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11

s’applique tant au patient qu’au soignant. Ces modèles explicatifs sont influencés par le

contexte historique, les représentations sociales et culturelles.

Entre les représentations du malade et du médecin, les médicaments tiennent une place

prépondérante comme le rappelle Fainzang (2001, p 41) citant Dagognet : « le remède est la

concrétisation de l’acte médical ». Il s’agit donc dans cette thèse d’explorer quelles peuvent

être les représentations des patients toxicomanes pour leur traitement de substitution et de voir

comment elles influencent la construction de la relation thérapeutique. Pour ce faire, notre

travail s’appuie sur un Protocole Hospitalier de Recherche Clinique (PHRC)2 dirigé par le Pr.

Marie Rose Moro, dans le service de Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent et de

Psychiatrie générale de l’hôpital Avicenne (AP-HP), Université Paris 13, à Bobigny (Taïeb et

Baubet 2001, Taïeb 2006). Cette recherche s’est inspirée d’une méthode issue de la notion de

modèles explicatifs de Kleinman (1980), et de l’épidémiologie culturelle en utilisant un

instrument appelé Explanatory Model Interview Catalogue (EMIC) (Weiss 1997 et 2001).

Nous nous intéresserons plus particulièrement à la section 5 de l’EMIC, qui traite des

représentations des TSO.

Notre travail comportera trois partie. Dans un premier temps, il s’agit de définir la

substitution de la dépendance en opiacés, la notion de manque et de dépendance, ainsi que les

bases anthropologiques et de l’épidémiologie culturelle, utilisées dans cette thèse. Nous

présenterons également les principaux travaux antérieurs s’attachant à décrire les

représentations des patients vis-à-vis des traitements médicamenteux dans la dépendance en

2Ce PHRC (Projet AOM98163) était intitulé « Impact de la représentation de la maladie dans la prise en charge des patients

toxicomanes. Analyse longitudinale ». Le promoteur et l’équipe de recherche sont précisés ci-dessous.Promoteur :- l’Assistance Publique–Hôpitaux de Paris (AP-HP), Délégation Régionale à la Recherche Clinique, Hôpital Saint-Louis,Paris.Investigateur principal :- Pr. M. R. Moro, service de Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent et Psychiatrie générale, Hôpital Avicenne,Bobigny.Coordinateurs :- Dr O. Taïeb, Dr T. Baubet, service de Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent et Psychiatrie générale, HôpitalAvicenne, Bobigny.Collaborateur :- Pr. M. G. Weiss, département de Santé publique et d’Epidémiologie, Institut tropical suisse, Université de Bâle, Suisse.Investigateurs associés :- A. Biadi-Imhof, sociologue, CNRS, GRASS, Paris.- T. Abbal, Dr L. Angladette, Dr C. Attale, Dr S. Barreteau, D. Buron, Dr F. Chabi, G. Chaudré, K. Delorme, A. Denizot, DrB. Dutray, Dr T. Ferradji, Dr J. Fousson, C. François, F. Giraud, Dr F. Heidenreich, V. Iny, Dr P. Joly, C. Le Du, C. Lelièvre,Dr M. Marand, Dr J.-L. Maurel, M. Miloradovic, A. Rancourt, Dr M. de Recondo, Dr A. Reyre, Dr L. Roubaud, Dr M.-E.Vincens, service de Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent et Psychiatrie générale, Hôpital Avicenne, Bobigny.- Dr B. Jarrousse, service de Médecine Interne, Hôpital Avicenne, Bobigny.- Pr. L. Guillevin, service de Médecine Interne, Hôpital Cochin, Paris.Biostatisticien :- Pr. S. Chevret, Département de Biostatistique et d’Informatique Médicale (DBIM), Hôpital Saint-Louis, Paris.- Techniciens : F. Bourouaih, S. Gourdain, DBIM, Hôpital Saint-Louis, Paris.

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12

opiacés. Puis nous exposerons les résultats obtenus grâce à l’EMIC concernant ces

représentations. Ces résultats seront enfin discutés et mis en perspective avec certaines

représentations des professionnels sur les TSO et les patients toxicomanes, afin de saisir les

enjeux de la négociation qui s’instaure lors de la rencontre thérapeutique.

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13

PREMIERE PARTIE

1- Historique et état des lieux de la substitution de la dépendance en opiacés en France

1-1. Mise en place

L’histoire de la substitution en France n’est pas linéaire. Les premiers actes concrets

remontent aux années 74-75, où deux programmes expérimentaux de méthadone sont ouverts

à l’hôpital Sainte-Anne et à l’hôpital Fernand-Widal. Cela se passe dans le contexte de la loi

du 31 décembre 1970 qui « tente de concilier un objectif de répression (la drogue est

inacceptable socialement) et un objectif de prévention secondaire avec ouverture d’une

démarche de soins alternative aux sanctions pénales en appliquant le principe de l’anonymat

et de la gratuité des soins » (Rouault 2005). Le toxicomane est ainsi considéré, de façon

contradictoire, à la fois comme un malade et comme un délinquant. Mais le débat n’est

réellement lancé qu’à partir des années 80, avec la pandémie du sida et les autres risques

infectieux, notamment celui de l’hépatite C, qui viennent bouleverser la prise en charge des

consommateurs d’héroïne. Ce sont d’abord les acteurs de terrain qui sont déterminants dans

ce combat (Bourdieu et Balazs 1993, conférence de consensus 2004). La substitution se

développe alors conjointement à la politique de réduction des risques (ou des dommages). Ces

programmes incluent notamment l’ouverture des Programmes d’Echange de Seringues3

(PES), où les associations vont jouer un rôle majeur. L’association Médecins du Monde ouvre

ainsi le premier lieu fixe d’échange de seringues en juin 1989 à Paris. Au niveau des

molécules de substitution « légales », les protocoles méthadone qui voient le jour

progressivement dans les années 90 sont des protocoles, dits de « haut seuil d’exigence »4, qui

3Les « échanges de seringues » s’intègrent dans la politique de réduction des risques (RDR). Le principe est de favoriser

l’usage de matériel d’injection à usage unique. Cela peut prendre la forme de lieux fixes ou mobiles de rencontre où lesusagers peuvent ramener leurs seringues usagées et/ou en obtenir de nouvelles, de distributeur ou de vente en pharmacie de« kits d’injection » (type Stéribox, comprenant l’ensemble du matériel nécessaire à l’injection ainsi qu’un message deprévention et un préservatif).

4 Seuil : bas, haut, adapteDispositif d’exigence dite « à bas seuil » (Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie [MILDT]),ou structures de première ligne :La méthadone est délivrée lorsque le sujet en fait la demande, et seulement si il en fait la demande, étant entendu qu’il lasollicitera surtout en période de manque. Elle est délivrée sans individualisation de la dose, sans contrôle urinaire, mais avecun contrôle de la délivrance et de la prise du produit. L’équipe travaille sur la réduction des dommages (médicaux etsociaux) et la gestion des consommations. Le minimum d’exigences correspond au respect du lieu, à la preuve préalabled’une dépendance en opiacés, à la prise du produit sur place. La stratégie « à bas seuil » sélectionne peu les patients.Exemple : programme Bus Méthadone (Médecins du Monde, puis Gaïa Paris), boutiques d’échanges de seringues.

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sélectionnent plutôt des patients dans un projet d’abstinence après une trajectoire durable.

Parmi la majorité des usagers de drogues qui ne peut accéder à ces protocoles, certains

cherchent pourtant à s’engager dans une démarche de substitution : ils utilisent les molécules

existantes (antalgiques, buprénorphine bas dosage, morphine…), avec un accompagnement

médical non systématique. Les outils de substitution sont encore inadaptés à la demande et

aux enjeux. La confusion est alors grande : le journal Libération souligne en 1996 que la

méthadone avait fait baisser le sida de 50% alors qu’il n’y avait que 1600 patients sous

méthadone à cette époque et dans des structures haut seuil… Ces bons résultats seraient plutôt

à attribuer à l’accès aux soins et à la mise en place des politiques de réduction des risques

(Gibier 2004).

En 1994 Simone Veil, ministre des Affaires Sociales, de la Ville et de la Santé met en

place le dispositif de réduction des risques infectieux, dans lequel s’intègre l’accès aux

traitements de substitution. Ce processus ne manque pas d’ambiguïtés et de paradoxes: on

favorise les échanges de seringues en en interdisant l’usage (selon la loi du 31 décembre

1970), et on donne accès aux stupéfiants, statut qu’a toujours la méthadone. Le « stupéfiant »

n’est pas désigné dans un premier temps comme un « traitement ». Il ne faut pas perdre de vue

là non plus, que ces mesures ont été prises sous la menace du sida. Par ailleurs, le soutien du

gouvernement de l’époque n’a été possible que dans la mesure où rien ne remettait en cause la

lutte contre la toxicomanie. D’où le statut expérimental du dispositif. La circulaire de 1994

fixe ainsi les conditions d’accès à la méthadone en ne la désignant pas comme un traitement

mais « un outil de prise en charge », permettant de maintenir le patient en traitement afin

d’envisager un « soin » psychosocial de la toxicomanie. Les concepts changent l’année

suivante avec la circulaire incluant la BHD : on insiste sur le volet médical, l’« outil

thérapeutique » devient un « médicament » et la prise en charge devient un « traitement » (le

mot est employé 39 fois dans la circulaire !). Si les généralistes adhèrent à cette vision des

choses, les spécialistes en sont plutôt restés, à l’époque, à la vision initiale de la première

circulaire (Coppel 2004). La méthadone arrive finalement « sur le marché » en mai 1995 et la

Dispositif d’exigence dite « à haut seuil » (MILDT) :La méthadone est prescrite de façon individualisée dans un cadre strict où délivrance et prises sont contrôlées.L’administration du MSO est quotidienne ou du moins satisfait à un schéma rigoureusement prescrit, souvent dans le cadred’un contrat. Le sujet s’astreint à une abstinence totale d’opiacés ou d’autres substances psycho- actives illicites ou licites.Exemple : les Centres Spécialisés de Soins aux Toxicomanes (CSST) sont souvent ressentis comme un « haut seuil »,cependant l’objectif s’oriente vers le « soin » des patients toxicomanes, il s’agirait plutôt dans cette perspective d’un « seuiladapté ».

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BHD en février 19965. Il se s’agit pas juste d’une différence sémantique entre les deux

médicaments : alors que le contrôle de la méthadone à été détaillé sur 15 pages dans la

circulaire de réglementation, avec une prescription limitée au départ sur 7 jours, trois pages

ont suffi pour détailler les règles de la prescription de la BHD, avec une délivrance autorisé

pour 28 jours (on recommande seulement de voir le patient plus souvent à l’initiation du

traitement). Il n’y avait pas d’overdose décrite sous BHD (pour un emploi isolé), ce

médicament était donc « moins dangereux que la méthadone ». Tout cela a contribué d’une

certaine manière à « abandonner » la BHD aux médecins généralistes dans un contexte, pour

le moins peu cadré (Coppel 2004).

Les praticiens de ville des premières heures de la substitution se sont heureusement

organisés en réseaux pour pallier aux connaissances de base qui leur faisaient défaut,

cherchant également à proposer des réponses plus collectives et une nouvelle clinique pour

ces patients qui se présentaient de façon croissante à la porte des cabinets. Ces réseaux sont

malheureusement moins actifs à ce jour. La prescription du Subutex dans les cabinets

libéraux, avec une primo-prescription possible, et sa distribution en pharmacie reste la

singularité du système français : 70 % de la prescription de la BHD se fait en secteur libéral.

Il n’est pas inutile enfin, de rappeler les objectifs généraux des TSO fixés lors de

l’autorisation de prescription de la méthadone aux Centres Spécialisés de Soins aux

Toxicomanes (CSST). Il s’agissait de :

- prévenir la survenue des problèmes sanitaires découlant de l’usage d’opiacés « en

aidant à la réduction de la consommation de drogues issues du marché illicite et en

favorisant un moindre recours à la voie injectable » ;

- favoriser l’insertion des usagers dans un processus thérapeutique et faciliter le suivi

médical d’éventuelles pathologies associées à la toxicomanie, d’ordre psychiatrique ou

somatique ;

- contribuer à l’insertion sociale des usagers ;

- l’objectif ultime étant de permettre à chaque patient d’élaborer une vie sans

pharmacodépendance, y compris à l’égard de la substitution.

5Le refus d’accorder une Autorisation de Mise sur le Marché aux sulfates de morphines (Moscotin, Skénan) pour

l’indication de substitution aux opiacés, en juin 1996, a entraîné dans la plupart des cas un changement de traitement au profitde la BHD. Le nombre de personnes actuellement stabilisées sous sulfates de morphine, avec une tolérance relative, estminoritaire (entre 1500 et 2000 personnes d’après AIDES en 2001).

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1-2. Succès et limites des TSO

1-2-1. Des succès incontestables

La plupart des informations décrites dans ce paragraphe sont issues de la conférence

de consensus qui s’est tenue à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon en juin 2004. Elle a réuni

les experts des traitements de substitution, afin d’envisager la place des TSO dans les

stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes aux opiacés.

Accès au traitement

Comme on l’a vu en introduction, le nombre de personnes ayant accès au traitement a

connu une croissance rapide.

Tableau 1 : Estimation du nombre de personnes recevant un traitement de substitution

On notera par ailleurs, que l’on tend aujourd’hui à un équilibrage progressif entre la

méthadone et la BHD : en 2005, pour la deuxième année consécutive, parmi les personnes en

traitement de substitution suivies en CSST, la proportion de patients sous protocole de

méthadone est plus importante que celle des patients sous BHD (53% vs 46%) (OFDT 2007).

La majorité des patients substitués sont cependant toujours sous BHD, étant donné

l’importance de la délivrance en médecine libérale.

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Morbidité et mortalité

Les cas de décès par surdose d’héroïne, dits « directement liés à la drogue », ont été

divisés par plus de cinq entre 1994 et 2002.

En terme de morbidité :

- La réduction du nombre de contamination par le VIH a diminué de façon très

importante : en 2003 les cas de séropositivité pour le VIH liée à l’usage de drogues

injectables représente 11% de tous les cas de séropositivité déclarée en France, versus

40% en 1988 et 19% en 1997 (IREP 1996, InVS-INSERM 1999, OFDT 2003

rapportés par Costes et al. 2004). En 2004, parmi les découvertes de séropositivité

VIH (cas adultes) en rapport avec une infection récente6, seuls 12 cas ont eu pour

mode de contamination identifié l’usage de drogue par voie intraveineuse (InVS

2005/Rapport Yeni 2006). Il ne serait pas juste d’attribuer ces bons résultats aux seuls

traitements de substitution, mais ils participent à une politique de réduction des risques

globale. Le nombre de cas de sida déclarés a également diminué : en participant à

l’accès aux soins, et donc aux traitements anti-rétroviraux, les TSO ont joué leur rôle.

En 2004, l’étude InVS-ANRS Coquelicot7 a révélé une séroprévalence du VIH de

10,8% chez les 1462 usagers de drogues (par voie injectable ou « sniff ») interrogés ;

elle ne concerne que 0,3% des moins de 30 ans (Jauffret-Roustide 2006).

- Amélioration de l’issue des grossesses : le taux de prématurité est passé de 30% avant

les TSO à environ 12% aujourd’hui.

- Effondrement des pratiques d’injection : de 70 à 80% en 1995 avant l’arrivée des

TSO, la proportion d’injecteurs est estimée en 2003 de 14 à 20% (OPPIDUM, rapporté

par Costes et al. 2004 ).

Situation sociale et insertion

La moitié des patients traités ont vu leur situation sociale améliorée en terme de

logement et de revenus.

6Le test d’infection récente est fondé sur la cinétique d’apparition des différents anticorps après l’infection par le VIH.

7Cette étude est une enquête transversale multi-villes, elle a permis de mesurer pour la première fois en France, la

séroprévalence du VIH et du VHC chez les usagers de drogues. Un questionnaire socio-comportemental était proposé aupersonnes interrogées, associé à un auto-prélèvement de sang au doigt sur buvard, réalisé par l’usager. Jusque-là, les donnéesde prévalence du VIH et du VHC chez les usagers de drogues en France était issues de données déclaratives.

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Bénéfice en terme de coût

À titre d’illustration, le tableau 2 montre le résultat a posteriori, des coûts épargnés en

1997 par la politique de substitution, en faisant l’hypothèse basse selon laquelle la moitié des

sujets dépendants à l’héroïne était substituée.

Tableau 2 : Variation du coût social de la consommation de drogues en 1997, calculée en faisant l’hypothèseque 50 % des sujets dépendants des opiacés étaient substitués (en millions d’euros)

1997 Variation due aux traitements

1. Coûts directs des soins dont 231,00 +383,00. substitution 91,00 +243,00. sida 140 +140,002. Coûts directs de prévention et de recherche 143,70 0,003. Coûts directs de l’application de la loi dont : 498,19 - 328,92. justice (incarcérations) 236,01 - 156,63. police + gendarmerie 262,18 - 172,294. Coûts directs de pertes de prélèvements obligatoires 178,12 - 83,17

dont :. sida et surdoses 62,93 - 5,32. incarcérations, ILS* 115,19 - 77,855. Coûts indirects des pertes de revenu et des pertes de 1175,48 - 566,20

production dont :. perte de revenu des agents privés dont 366,63 - 170,40- sida et surdoses 128,93 - 10,90- incarcérations, ILS 237,70 - 159,50. perte de revenu sur le lieu de travail dont : 808,85 - 395,80- sida et surdoses 251,65 - 22,04- incarcérations, ILS 557,20 - 373,76

Coût social 2 226,49 - 595,28* ILS = infractions à la législation des stupéfiants

Les coûts en terme de recherche, de traitement et de prévetion semblent donc largement

compensés par les bénéfices en terme de coût social et judiciaire.

1-2-2. Limites

Accès aux soins

Le dispositif reste inégalitaire, en terme de choix de traitement, de géographie et de

disparité sociale. La primo-prescription de méthadone initialement réservée aux CSST, est

depuis peu possible pour tous les médecins hospitaliers. Néanmoins l’impossibilité de primo-

prescription en ville, notamment par le médecin généraliste, limite le recours à ce traitement

lorsqu’il est indiqué. De plus certains départements n’ont pas de CSST et ils existent des

CSST qui ne délivrent pas de méthadone. Sur le plan social l’accès au TSO pour les

populations les plus précarisées, parfois sans couverture sociale et/ou sans papiers reste limité.

Les projets de distribution de TSO menés à bien envers ces populations, comme le « bus

méthadone » lancé par Médecins du Monde, restent encore trop peu nombreux.

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Mésusage, primo-consommation/primo-dépendance, marché parallèle

Le mésusage, d’abord décrit pour la BHD, n’est pas toujours un usage

toxicomaniaque : il peut relever par exemple de l’ « auto-substitution », nous y reviendrons

dans d’autres parties de cette thèse. En 2005, l’injection est pratiquée par 13% des personnes

sous protocole de substitution vues dans un cadre thérapeutique et la voie nasale par 8%. Ces

chiffres sont en légère augmentation par rapport aux années précédentes. Début 2006, la

pratique de l’injection concerne 58% des 440 usagers de BHD au cours du mois précédent,

rencontrés en structure de première ligne (comme le bus méthadone ou les boutiques

d’échanges de seringues), contre 47% en 2003. Il semble donc avoir une tendance à

l’augmentation du recours à l’injection dans les populations les plus précarisées. La pratique

de la voie nasale chez ces usagers est stable à 22% . Pour la méthadone, avec la diffusion plus

grande, des mésusages ont été également rapportés : dans les structures de première ligne 11%

des personnes ayant consommé de la méthadone plus de dix fois dans leur vie disent avoir

essayé de l’injecter. Il en va donc de la méthadone comme pour les autres produits psycho-

actifs licites : leur diffusion s’accompagne d’une part de mésusage (OFDT 2007).

Il a été observé, a fortiori dans les structures de première ligne, une primo

consommation et une primo dépendance en particulier pour la BHD. Il s’agit fréquemment de

personnes ayant une consommation antérieure de substances non opiacées. La partie la plus

importante de ces usagers a débuté la pratique de l’injection avec la BHD (OFDT 2007).

Un marché parallèle existe ; cependant, il est important de souligner qu’il est dû à un

faible pourcentage de patients : environ 6% des patients sous BHD seraient responsables du

détournement vers le marché noir d’environ 25% de la quantité totale de BHD remboursée en

France. Un très faible pourcentage de professionnels de santé serait impliqué dans ce trafic

(CNAMTS-OFDT).

Consommations parallèles

Les consommations parallèles (alcool, benzodiazépines, cocaïne, etc.) peuvent être

antérieures à la prise quotidienne de méthadone ou de BHD, mais il existe aussi un transfert

de dépendance d’une substance vers une autre, que la raison en soit la recherche d’un effet ou

le besoin d’apaiser une anxiété, que les patients peuvent trouver insuffisamment contrôlée par

les TSO. Ces consommations posent à la fois le problème de la prise en charge de nouvelles

dépendances et celui des interactions avec les TSO.

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Les consommations parallèles et les mésusages sont les deux « facteurs de risques » de

décès par TSO. Les services de police ont rattaché, en 2005, deux décès à une surdose de

BHD et sept à une surdose de méthadone. Ces données sont cependant d’une exhaustivité

incertaine (OFDT 2007).

Prévalence de l’hépatite C

La prévalence de l’hépatite C reste très importante chez les usagers de drogue. L’étude

InVS-ANRS Coquelicot a révélé une séroprévalence de 59,8% pour le VHC. Si ces chiffres

peuvent être expliqués par le fort pouvoir contaminant du VHC et sa grande résistance dans le

milieu extérieur, il témoigne aussi de la persistance d’échange de matériel (seringues, petit

matériel de préparation, pailles…). Dans l’étude InVS-ANRS Coquelicot, durant le mois

précédent l’enquête, 13% des usagers ont partagé leurs seringues, 38% le petit matériel, 25%

la paille de « sniff » ; les moins de 30 ans pratiquent plus l’injection que les autres, la

séroprévalence du VHC chez ces usagers demeure préoccupante (28%) (Jauffret-Roustide

2006).

Stigmatisation perçue (stigma)

La stigmatisation peut avoir pour origine la toxicomanie elle-même lorsqu’elle est

connue ou visible, les co-morbidités somatiques et psychiatriques, les supposées conduites de

détournement ou de délinquance… Toujours est-il que la dispensation d’un traitement de

substitution n’échappe pas au rejet perçu par les usagers de drogues. C’est un motif

d’insatisfaction important.

Souffrance psychologique

Elle est souvent jugée insuffisamment prise en compte par les patients.

Synthèse et perspectives :

La substitution en France a donc réellement démarré dans le contexte de la lutte contre

le sida, qui a créé un contexte historique particulier. Il y a eu une dynamique réelle à laquelle

les acteurs de terrain ont participé. Les bénéfices en terme de santé publique (et de coût

social) sont conséquents. Il persiste cependant des interrogations, mais qui, plus que des

échecs, sont des pistes pour améliorer les pratiques. Les usagers de drogues eux-mêmes se

sont impliqués dans le développement des TSO. L’association ASUD (Auto-Support des

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Usagers de Drogues) s’est créée en juin 1992. Son manifeste prône : « le droit desdits UD

(usagers de drogues) à choisir librement entre l’abstinence, la continuation de leur mode de

vie clandestin ou la prise de produits de substitution ». Elle est l’une des associations à

l’origine des premiers Etats Généraux des Usagers de la Substitution (ÉGUS), qui se sont

tenus en juin 2004 à Paris (deux autres sessions ont eu lieu depuis). Les patients soulignent

donc eux-mêmes les enjeux de leurs perceptions de ces médicaments. Il est nécessaire pour

les professionnels d’être à l’écoute de ces débats qui traversent à juste titre la population des

usagers de drogues.

2- Pharmacologie et présentation générale de la BHD et de la méthadone

Le but de cette partie de notre travail n’est pas de rendre compte dans les détails de la

pharmacologie et de toutes les interactions des TSO, mais plutôt d’y souligner ce qui fait écho

dans le discours des patients. Après avoir rappelé la principale hypothèse pharmacologique à

l’origine du développement de TSO tels que la méthadone et la BHD, nous insisterons ainsi

plus particulièrement sur les notions de mode d’administration, de posologie et d’effet. Nous

rappellerons également les règles de prescription: elles ont un impact important dans le

quotidien des patients et donc dans leurs représentations de ces médicaments.

2-1. Hypothèse biologique de Dole et Nyswander

Il s’agit de l’hypothèse à l’origine des traitements que l’on pourrait qualifier de

« maintenance » comme la méthadone et la BHD. En 1964, face aux échecs répétés des

sevrages, Dole et Nyswander émettent l’idée, non pas de réaliser un sevrage mais de

« substituer » l’héroïne à une molécule aux propriétés pharmacologiques différentes. D’après

leur théorie, la consommation chronique d’héroïne entraînerait des perturbations biologiques à

l’origine des rechutes. Le but du traitement substitutif serait alors de corriger ces perturbations

biologiques et de casser ainsi le cycle de manque et de dépendance. En administrant des doses

suffisantes de méthadone, ils observent par ailleurs une suppression partielle des effets

euphorisants de l’héroïne et une extinction progressive du désir compulsif de consommer (le

« craving »). Dole écrit ainsi : « le traitement élimine l’appétence que les toxicomanes

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décrivent comme un des principaux facteurs de rechute et de poursuite de l’usage illégal de

l’héroïne » (Gibier 2004). Cette théorie a en quelque sorte été renforcée plus tard, avec la

découverte du système dopaminergique mésocorticolimbique, circuit de la récompense, qui

serait le support neuro-anatomique et neuro-pharmacologique du craving. Les opiacés

activent ce système par le biais des récepteurs mu. En agissant de façon positive sur ces

récepteurs, la substitution agit sur cette composante de l’addiction. Le fait de ne plus être en

manque est aussi le point de départ à la réinsertion sociale, ainsi qu’à la prise en charge des

co-morbités psychiatriques et somatiques.

C’est suite à ces travaux qu’ont été développés à grande échelle aux Etats-Unis les

« programmes méthadone », à la fin des années 60 (Beauverie et Jacquot 1997, Gibier 2004).

2-2. La BHD (buprénorphine haut dosage)

2-2-1. Bases pharmacologiques

La buprénorphine est un agoniste morphinique mixte (ou agoniste-antagoniste). Elle se

fixe au niveau des récepteurs cérébraux mu et kappa. Son activité dans le traitement de

substitution des opioïdes est attribuée à sa liaison lentement réversible aux récepteurs mu qui

minimiserait de façon prolongée le besoin des toxicomanes en stupéfiant. L’activité agoniste

partielle de la buprénorphine confère au produit une plus grande sécurité d’emploi, en limitant

ses effets dépresseurs, notamment sur les fonctions cardiorespiratoires. Cette sécurité, avec le

recul des années, est toutefois à tempérer : des décès par dépression respiratoire ont été

observés (notamment en cas d’association avec les benzodiazépines), ainsi que des atteintes

hépatiques (cytolyse et hépatites ictériques).

2-2-2. Galénique, posologie, mode d’administration

La buprénorphine sous sa forme « bas dosage » existe depuis des années comme

analgésique sous le nom de Temgésic. Ce médicament a d’ailleurs été employé, de façon un

peu pionnière, comme traitement de substitution avant les autorisations de mise sur le marché

de la méthadone et du Subutex (BHD). Il existe depuis avril 2006 une forme générique de la

BHD. La buprénorphine haut dosage est commercialisée sous forme de comprimés (dosage à

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0,4 mg, 2mg et 8mg). La buprénorphine est hydrosoluble et les comprimés peuvent être

broyés, d’où leur utilisation, physiquement possible, en usages détournés, par voie injectable

et voie nasale.

Les posologies de BHD habituellement efficaces vont de 4 à 16 mg en une prise

quotidienne. De par l’effet agoniste-antagoniste sur les récepteurs mu, la BHD est susceptible

d’induire un syndrome de sevrage brutal chez les sujets dépendants aux opiacés. Il est donc

recommandé, lors de la prise initiale, de respecter un délai d’au moins 4 heures avec la

dernière prise d’héroïne ou de codéine et de 24 heures avec la méthadone (réduction préalable

de la dose de méthadone à 30 mg). Idéalement la première prise de BHD aura lieu aux

premiers signes de manque. La dose initiale est comprise, d’après l’AMM entre 0,8 et 2 mg.

Au vu des pratiques professionnelles elle se situerait plutôt de 4 à 8 mg. Elle sera augmentée

par palier de un à trois jours, de 1 à 2 mg, lors d’évaluations de préférence quotidiennes,

jusqu’à la dose d’entretien, généralement atteinte en dix à quinze jours.

La prise de BHD se fait par voie sublinguale, qui constitue la seule voie efficace et

bien tolérée pour la BHD. Il est important d’en prévenir les patients, bien sûr en les avisant

des dangers des usages détournés (que beaucoup connaissent déjà), mais aussi et surtout pour

les informer sur l’inefficacité de la voie orale : la buprénorphine subit dans le foie un

important effet de premier passage, qui rend le produit inefficient. La biodisponibilité de la

BHD est mal connue. Elle est, selon les ouvrages, estimée entre 15 et 55%.

2-2-3. Les « effets »

On verra avec les réponses des patients dans la partie « résultats », la complexité du

mot « effet ». Dans cette courte présentation de la BHD, on s’attachera seulement à rapporter

les effets attendus et les effets indésirables tel qu’ils sont décrits dans la littérature

pharmacologique.

La BHD est ainsi réputée, chez les sujets dépendants, ne pas avoir d’effet euphorisant

ni de sensation de « flash ». La BHD produirait seulement une sensation de bien-être. On

verra que cela est loin d’être aussi clair.

Il est important aussi de rappeler l’effet agoniste-antagoniste du Subutex, pour

l’impact qu’il peut avoir dans le rapport des patients avec ce médicament. Cet effet, comme

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on l’a déjà dit, est à l’origine d’un syndrome de sevrage brutal lorsqu’il est associé à d’autres

opiacés. Cela n’est pas toujours connu des patients et il faut les en avertir, ne serait-ce que

pour l’angoisse que cette sensation peut procurer. Pour certains patients l’effet agoniste-

antagoniste est un avantage ; pour d’autres, cela aura pour conséquence le rejet de ce

médicament.

Les effets indésirables les plus rapportés par les patients (liste non exhaustive) sont

retrouvés dans le tableau 3.

Tableau 3 : Effets indésirables liés au traitement rapportés par système d’organes. Très fréquent (>1/10);fréquent (>1/100,<1/10) ; peu fréquent (>1/1.000,<1/100); rare (>1/10.000,<1/1.000); très rare (<1/10.000)(CIOMS III). Source : afssaps

Affections psychiatriquesRare: Hallucination

Affections du système nerveuxFréquent: Insomnie, céphalée, évanouissement, vertige

Affections vasculairesFréquent: Hypotension orthostatique

Affections respiratoires, thoraciques et médiastinalesRare: Dépression respiratoire

Affections gastro-intestinalesFréquent: Constipation, nausée, vomissement

Troubles généraux et anomalies au site d’administrationFréquent: Asthénie, somnolence, sueur

2-2-4. Interactions

Les patients toxicomanes peuvent être « polymédicamentés », soit en raison de co-

morbités somatiques, infectieuses le plus souvent (VIH, VHB, VHC), soit en raison de co-

morbidités psychiatriques. Par ailleurs, le glissement d’une dépendance à une autre, ainsi que

l’importance d’une angoisse jugée insuffisamment jugulée par la substitution, peuvent induire

une consommation excessive d’alcool et de benzodiazépines.

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Interactions pharmacodynamiques

L’alcool majore l’effet sédatif de la buprénorphine. L’association aux benzodiazépines

(en particulier aux fortes posologies) entraîne un risque de surdose mortelle par dépression

respiratoire d’origine centrale. L’association aux autres dépresseurs du système nerveux

central est également à prendre en compte.

Interactions pharmacocinétiques

Une étude a montré une augmentation de la Concentration maximale (Cmax) de la

buprénorphine de 70% environ, lorsque la prise est associée au kétoconazole, inhibiteur

puissant du cytochrome P450 3A4 (CYP3A4). Une diminution de la posologie de la BHD

peut donc s’avérer nécessaire en cas de prise concomitante d’inhibiteurs puissants du

CYP3A4. Nous citerons en particulier les inhibiteurs de la protéase du VIH (ritonavir,

nelfinavir, indinavir) et les antifongiques azolés (kétoconazole ou itraconazole).

Les interactions entre buprénorphine et inducteurs du CYP3A4 n’ont pas été étudiées,

la prudence est donc recommandée en cas de coprescription d’inducteurs du CYP3A4, tels

que certains anticonvulsivants (phénobarbital, carbamazépine, phénytoïne) ou la rifampicine.

2-2-5. Cadre réglementaire de prescription et de délivrance

La prescription de BHD, notamment la primo-prescription, est possible par tout

médecin, donc possible en ville par le médecin traitant. Cette particularité a joué un rôle

notable dans la mise en place de la substitution en France. C’est aussi un facteur d’accès au

traitement important, et cela a sa place dans la relation thérapeutique.

Bien que la question soit actuellement très débattue, la BHD est toujours classée en

liste I, les règles de prescription et de délivrance sont cependant celles des stupéfiants. La

durée de prescription est de 28 jours au maximum, sur ordonnance sécurisée. La délivrance

est autorisée pour 7 jours, 28 jours à titre dérogatoire. Le fractionnement est possible et le

renouvellement interdit. Il est recommandé de contacter le pharmacien, choisi par le patient et

devant lui, lors de la première prescription. Des contacts doivent rester réguliers entre le

pharmacien et le prescripteur.

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2-3. La méthadone (méthadone chlorhydrate)

2-3-1. Bases pharmacologiques

La méthadone est un agoniste des récepteurs opiacés agissant principalement sur les

récepteurs mu. Comme les autres opiacés, elle a donc des propriétés analgésiques et

antitussives. C’est aussi un dépresseur respiratoire central puissant. Elle peut entraîner un

syndrome de dépendance pharmacologique. Par contre, ses propriétés euphorisantes sont

réputées plus faibles qu’avec les autres opiacés.

La tolérance de la méthadone est croisée avec celle des autres opiacés, ce qui explique

qu’un héroïnomane auquel on administre des doses suffisantes de ce médicament, ne puisse

plus ressentir les effets euphorisants de l’héroïne. La tolérance étant moindre qu’avec les

autres opiacés, son activité clinique se maintient sans nécessité d’augmenter les doses.

2-2-2. Galénique, posologie, mode d’administration

La méthadone se présente en France sous la forme d’un sirop buvable, liposoluble, dit

« non injectable ». Il est néanmoins possible, quoique techniquement assez difficile, de

détourner le produit pour l’injecter. On notera que la méthadone existe aussi ailleurs sous

d’autres formes, par exemple en comprimés en Belgique ou en gélules en Allemagne. Dans

les régions frontalières de ces pays, c’est surtout à partir de ces formes de présentation que

quelques rares cas de tentatives d’injections ont été rapportés (OFDT 2007).

Il existe des récipients unidoses de méthadone (fermés par un bouchon de sécurité

enfant) à 5 mg, 10 mg, 20 mg, 40 mg et 60 mg. Cela constitue une gamme incomplète de

dosage et ne peut être qu’un inconvénient, tant en terme de simplicité de prise, qu’en terme de

nombre de récipients, et donc de volume. C’est une notion importante pour les patients pour

des questions pratiques, comme le transport par exemple, mais aussi pour des raisons de

stigmatisation : il n’est souvent pas aisé d’amener et de prendre un traitement de substitution

« qui prend de la place » dans des lieux publics ou sur le lieu de travail.

Les dosages optimaux chez les toxicomanes se situent entre 60 et 100 mg par jour

(voire 120 mg), en une prise quotidienne, permise par une demi-vie allongée. La première

dose est habituellement entre 10 à 40 mg et doit être administrée environ 24 heures après la

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dernière prise d’opiacés (10 heures d’après l’AMM). La dose est augmentée par pallier de 5 à

10 mg par pallier de un à trois jours, selon la clinique, et sans excéder une augmentation de

plus de 50% de la dose initiale par semaine. La dose d’entretien est généralement atteinte en

10 à 15 jours.

2-2-3. Indications particulières de la méthadone

La méthadone est particulièrement indiquée en cas de :

- dépendance sévère ;

- difficulté à renoncer à l’injection ;

- pathologies psychiatriques associées ;

- polyconsommations (alcool, benzodiazépines, etc.) ;

- patients dépendants des opiacés pour lesquels un traitement antalgique est nécessaire ;

(100 mg de méthadone équivalent à 400 à 500 mg de morphine orale).

2-2-4. Les « effets »

Comme décrit précédemment, la prise de méthadone entraîne un moindre effet

euphorisant que les autres opiacés. Cependant les effets morphiniques, mélange d’euphorie et

de détente sont tout de même présents, surtout en début de traitement. Cela peut être une des

explications au fait qu’elle soit bien acceptée par les toxicomanes.

En ce qui concerne les effets indésirables les plus fréquents chez les sujets

pharmacodépendants aux opiacés:

- lors de la mise en place du traitement : euphorie, vertiges, somnolence, nausée,

vomissements, constipation, sédation, hypersudation, oedèmes.

- en phase d’entretien : hypersudation, nausée, constipation.

De façon générale, l’hypersudation est un des effets indésirables les plus souvent ressentis.

Les effets indésirables les plus sévères sont liés au surdosage toxique qui peut se

traduire par un myosis, une bradypnée, une dépression respiratoire, un oedème pulmonaire, un

coma avec hypotension artérielle sévère, une apnée, une rhabdomyolyse. Les surdoses

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peuvent être mortelles. Elles nécessitent une réanimation symptomatique et un traitement par

naloxone en tenant compte de la longue durée d’action de la méthadone et la brièveté d’effet

de la naloxone, d’où la nécessité de poursuivre une surveillance clinique rapprochée et de

répéter au besoin les injections de naloxone. Des cas d’allongement du QT et de torsade de

pointe, bien que rares, ont par ailleurs été décrits au cours de traitements par méthadone, ce

qui doit inciter à une surveillance clinique, électrolytique et électrocardiographique chez les

patients sous méthadone présentant un risque d’allongement du QT (antécédent connu

d’allongement du QT ou antécédents familiaux de mort subite, pathologie cardiaque évoluée,

posologie supérieure à 120 mg/j, interactions médicamenteuses).

2-2-5. Interactions

Interactions pharmacodynamiques

Les effets sédatifs sont majorés par les anxiolytiques, les neuroleptiques, certains

antidépresseurs et par l’alcool. Les agonistes morphiniques favorisent la dépression

respiratoire.

Les morphiniques agonistes-antagonistes (nalbuphine, pentazocine, buprénorphine)

diminuent l’effet antalgique par blocage compétitif des récepteurs, avec risque d’apparition

d’un syndrome de sevrage, ils sont donc contre-indiqués.

Interactions pharmacocinétiques

Par induction enzymatique, les anticonvulsivants (carbamazépine, phénitoïne,

phénobarbital), la rifabutine, la rifampicine, la griséofulvine et certains antirétroviraux

(lopinavir, nelfinavir, ritonavir, éfavirenz, névirapine) entraînent un risque de diminution des

concentrations plasmatiques de méthadone.

Par inhibition enzymatique, certains Inhibiteurs de la Recapture de la Sérotonine

(fluvoxamine) et la cimétidine (à une dose quotidienne supérieure à 800 mg) entraînent des

risques de surdosage.

Les effets par inhibition ou induction enzymatique sont plus importants pour la

méthadone que pour la BHD. Des dosages plasmatiques sont intéressants en cas de réponse

insuffisante ou excessive au traitement.

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Risque de torsade de pointe et d’allongement du QT

Il s’agit notamment des interactions avec les traitements médicamenteux connus pour

allonger le QT (antiarythmiques de la classe Ia et III, certains neuroleptiques), avec certains

antiparasitaires, avec les formes IV de l’érythromycine, de la spiramycine et de la vincamine,

avec les médicaments connus pour entraîner une bradycardie ou une hypokaliémie, et avec les

inhibiteurs enzymatiques.

2-2-6. Cadre réglementaire de prescription et de délivrance

Le cadre est notoirement différent de celui de la BHD. Le prescripteur initial ne peut

être qu’un médecin d’un CSST ou d’un établissement de santé. Les patients sont volontaires

et doivent accepter les contraintes de la prise en en charge, en particulier venir régulièrement

au centre de traitement. Les patients doivent également se soumettre à des analyses urinaires

de contrôle, ayant pour but de vérifier qu’ils ne bénéficient pas de deux suivis avec

prescription de méthadone et d’évaluer la réalité de la consommation d’autres toxiques. En

fonction de la demande du prescripteur, ils peuvent porter sur la recherche de méthadone,

d’opiacés naturels ou de synthèse, d’alcool, de cocaïne, d’amphétamine et de ses dérivés, de

cannabis et de LSD. Dans un premier temps, le traitement est délivré cinq fois par semaine

sous contrôle médical ou infirmier. Par la suite le rythme des venues du patient au centre de

traitement peut s’espacer.

Le relais en médecine de ville est aussi lié à des recommandations particulières (issues

de la Commission des traitements de substitution). Il s’agit en particulier :

- de s’assurer de la capacité du malade à gérer de façon autonome son traitement ;

- d’avoir atteint une posologie stabilisée de méthadone ;

- de vérifier la négativité des dosages urinaires aux opiacés.

La délivrance du médicament aura alors lieu dans une pharmacie choisie par le patient, le

généraliste contactant le pharmacien pour obtenir son accord.

La méthadone est classée comme stupéfiant. La durée de prescription est de 14 jours

sur ordonnance sécurisée, la délivrance peut se faire pour 1 à 7 jours, 14 jours à titre

dérogatoire. Le fractionnement est possible et le renouvellement interdit.

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Synthèse :

Les tableaux 4 et 5 sont des tableaux synoptiques issus de la conférence de consensus

de juin 2004. Ils reprennent des caractéristiques importantes de la méthadone et de la BHD et

rappellent leur cadre réglementaire.

Tableau 4 : Quelques caractéristiques spécifiques des deux médicaments

méthadone BHD

Mode d'action agoniste agoniste/antagonisteDangerosité (--) risque de surdose mortelle

surdosage accidentel (enfant)(+) moindre risque de surdose

(sauf interaction)

Pharmacocinétique (-) variations interindividuellesimportantes: dosage plasmatique sinécessaire

(+) peu de variations d'un sujet àl'autre

Satisfaction (+) meilleure satisfaction; moins d'anxiété (-) moindre satisfaction (risque deconsommations associées)

Interactionspharmacodynamiques

(-) les médicaments dépresseurs du SNC*peuvent favoriser une dépressionrespiratoire

(--) benzodiazépines (en particulierà forteposologie) et autresmédicaments dépresseurs duSNC: risque de surdosemortelle

Interactionspharmacocinétiques

(--)

agonistes-antagonistes morphiniques

induction enzymatique:anticonvulsivants(carbamazépine, phénytoïne,phénobarbital), rifabutine, rifampicine,griséofuline, antirétroviraux (lopinavir,nelfinavir, ritonavir, efavirenz,pévirapine): risque de diminution desconcentrations plasmatiques deméthadone

inhibition enzymatique:IRS**(fluvoxamine), cimétidine (dosesupérieure à 800 mg/24h): risque desurdosageintérêt du dosage plasmatique pourévaluer les interactions par induction ouinhibition enzymatique en cas deréponse insuffisante ou excessive autraitement

(+/-) inhibition enzymatique:surveillance renforcée en casd'association à desantifongiques azolés(kétoconazole, itraconasole) etdes inhibiteurs des protéases(nelfinavir, ritonavir etindinavir)

induction enzymatique:prudence en cas d'associationà des anticonvulsivants(carbamazépine,phénobarbital, phénytoïne) ouà la rifampicinele risque d'interaction parinhibition ou inductionenzymatique est moindre quepour la méthadone

Formepharmaceutiqueet présentation

(-)(+)(-)

(-)

gamme de dosage incomplètela forme sirop ne peut être injectéeexcipients: sucre (diabétique); alcool(risque avec les médicaments à effetantabuse)difficultés de stockage dans lespharmacies

(+)

(-)

gamme de dosage complète;présentationadaptéepossibilité de mauvaiseutilisation: comprimé pouvantêtre injecté, sniffé ou fumé

Toxicité risque d'atteinte hépatique(voie IVsurtout)

Autres explications nécessaires pourutilisation optimale de la voiesublinguale

(+) : avantage ; (-) : inconvénient ; SNC* :système nerveux central ; IRS** : inhibiteur de la recapture de lasérotonine

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Tableau 5 : Résumé du cadre réglementaire

méthadone BHDPrescripteur initial CSST, établissements de santé (relais en

ville possible)tout médecin

Liste stupéfiant liste I (mais règles de prescription et dedélivrance desstupéfiants)

Durée deprescription 14 jours 28 jours

Ordonnance sécurisée sécurisée

Délivrance 1 à 7 jours (14 jours à titre dérogatoire) 7 jours (28 jours à titre dérogatoire)

Fractionnement oui oui

Renouvellement interdit interdit

Chevauchement si mention expresse si mention expresse

Des différences importantes sont donc observées entre les deux traitements de

substitution couramment utilisés en France : certaines propriétés pharmacologiques sont

spécifiques à chaque molécule et le cadre de distribution et de suivi n’est pas le même. On

remarquera aussi que des indications particulières ont pu être posées pour la méthadone, ce

qui semble moins évident pour la BHD. La conférence de consensus de 2004 a tenté de

dégager certains éléments à prendre en compte, malgré le faible nombre d’études quant à

l’orientation vers l’un ou l’autre des traitements. Le prescripteur évaluera notamment:

- l’ancienneté de la consommation ;

- les habitudes d’injection IV ou non ;

- les co-morbidités : infectieuses, psychiatriques, etc. ;

- la préservation du lien social ;

- les consommations associés.

Toutefois, de par la disparité géographique de la disponibilité de la méthadone, et de par

l’impossibilité pour les médecins généralistes de primo-prescription de méthadone en cabinet

de ville, le « choix » reste dans trop souvent illusoire. Outre les raisons médicales que l’on

pourrait évoquer pour faire évoluer les règles, une meilleure connaissance de la satisfaction et

des attentes des patients quant à la substitution pourraient être un argument supplémentaire

afin d’optimiser les possibilités de traitement.

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3- La dépendance et le manque selon les médecins

Dans notre étude, ces notions sont souvent abordées spontanément par les patients.

Ces termes interviennent dans le discours des patients aussi bien quand ils évoquent une

distance par rapport aux opiacés illicites (arrêt du manque, arrêt de la dépendance), que

lorsqu’ils parlent des caractéristiques des TSO (manque quand on n’en a pas et genèse de

nouvelles dépendances).

Il nous a donc paru important de préciser préalablement ces termes, tels qu’ils sont

définis le plus fréquemment par les médecins.

3-1. La dépendance

Le terme « dépendance » a progressivement pris une place importante dans le langage

médical. La notion d’addiction8 définit un spectre plus large, qui va au-delà de la

consommation de drogues et d’alcool et dont les approches peuvent être multiples

(neurobiologiques, cognitives ou psychanalytiques) ; elle tend à remplacer l’usage du terme

toxicomanie (Taïeb 2006). De fait, ce terme n’apparaît pas dans les classifications

nosographiques internationales. En 1964, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)

recommandait l’abandon du concept de toxicomanie pour le remplacer par la notion de

dépendance, qui semblait plus opérante. En 1969, l’OMS proposait ainsi une définition de la

pharmacodépendance : « Un état psychique et quelquefois également physique, résultant de

l’interaction entre un organisme vivant et une drogue, se caractérisant par des modifications

de comportement et par des réactions, qui comportent toujours une pulsion à prendre le

produit de façon continue ou périodique afin de retrouver ses effets psychiques et quelquefois

d’éviter le malaise de la privation. Cet état peut s’accompagner ou non de tolérance. Un même

individu peut être dépendant de plusieurs produits ».

La tendance actuelle aux classifications internationales a apporté des modifications

sensibles à la définition de 1969. Ainsi, le manuel Diagnostique et Statistique des troubles

Mentaux IV de 1994 (DSM IV) proposé par l’Association américaine de psychiatrie (APA),

se réfère à une classification de syndromes, qui repose uniquement sur une classification de

symptômes et de troubles du comportement. Cette classification ne préjuge pas de leur

8Au Moyen Age en Europe, le terme addiction désignait un terme juridique qui permettait au plaignant de disposer, dans son

droit et à son profit, d’un débiteur peu scrupuleux de ses dettes, en créant de véritables servitudes (Bouchez et Touzeau1997).

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étiologie et de leur pathogénie (cf. tableau 6). Dans cette perspective, le potentiel

pharmacologique d’une substance ne suffit pas à lui seul à expliquer la dépendance. Les items

définissant la dépendance physique, comme la tolérance et le sevrage, ne sont pas nécessaires

ou suffisant pour poser le diagnostic de dépendance à une substance psychoactive. Une place

centrale est ainsi redonnée au sujet. En ce sens, une évolution est amorcée vers la notion

globale d’addiction, qui regroupe sous un même terme la dépendance à un produit ou à un

comportement (jeu, achat, etc.) (Farges 2005).

Tableau 6: Critères diagnostiques de dépendance à une substance psychoactive d’après le DSM IV-TR (texterévisé) (APA, 2003)

Critères diagnostiques de dépendance à une substance psychoactive d’après le DSM IV-TR

Mode d’utilisation inadapté d’une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou une

souffrance, cliniquement significative, caractérisée par la présence de trois (ou plus) des manifestations

suivantes, à un moment donné quelconque d’une période continue de 12 mois :

1) Tolérance, définie par l’un des symptômes suivants :

(a) besoin de quantités notablement plus fortes de la substance pour

obtenir une intoxication ou l’effet désiré. (Utilisation d’une dose de 50%

supérieure au minimum)

(b) effet notablement diminué en cas d’utilisation d’une même quantité de

la substance

2) Sevrage caractérisé par l’une ou l’autre des manifestations suivantes :

(a) Syndrome de sevrage caractéristique de la substance (voir les critères A

et B des critères de sevrage à une substance spécifique).

(b) La même substance (ou une substance très proche) est reprise pour

soulager ou éviter les symptômes de sevrage.

3) La substance est souvent prise en quantité plus importante ou pendant

une période plus prolongée que prévue.

4) Il y a un désir persistant, ou des efforts infructueux, pour diminuer ou

contrôler l’utilisation de la substance.

5) Beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour obtenir la

substance ou à retrouver ses effets.

6) Des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importants sont

abandonnés ou réduits à cause de l’utilisation de la substance.

a) avec dépendance physique :

présence d’une tolérance ou

d’un sevrage (Items 1 ou 2)

b) sans dépendance physique :

absence de tolérance ou de

sevrage

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7) L’utilisation de la substance est poursuivie bien que la personne sache

avoir un problème psychologique ou physique persistant ou récurrent

susceptible d’avoir été causé ou exacerbé par la substance (par exemple,

poursuite de la prise de cocaïne bien que le sujet reconnaisse des effets

somatiques à cause d’elle).

Les critères élaborés par l’OMS en 1992 dans la 10e édition de la Classification

Internationale des Maladies (CIM 10), sont proches de ceux du DSM IV. Les sept critères du

DSM sont condensés en cinq items dans la CIM, un item supplémentaire concerne le besoin

compulsif de consommer une substance (le craving).

Le concept de pharmacodépendance a permis de mieux cerner le champ de la

toxicomanie, d’une part en évitant d’assimiler les phénomènes culturels et sociologiques à la

consommation pathologique de produit, d’autre part en ne limitant pas le terme de

dépendance aux seuls produits illicites. Toutefois la notion de dépendance reste soumise à des

variations socio-culturelles. Une grande étude mise en place conjointement par l’OMS et les

National Institutes of Health (NIH) américains (WHO/NIH Joint Project)9 menée dans

différents pays, a ainsi montré que le diagnostic de dépendance à une substance selon les

classifications occidentales avait une mauvaise validité transculturelle en raison de la grande

variabilité des symptômes. L’item « l’utilisation de la substance est poursuivie bien que la

personne sache avoir un problème psychologique ou physique persistant ou récurrent

susceptible d’avoir été causé ou exacerbé par la substance » a ainsi posé des problèmes sur

plusieurs sites. De même, plusieurs critères comme le temps passé à chercher et à utiliser une

substance et la tolérance se sont avérés être difficiles à utiliser dans les cultures non anglo-

saxonnes (Taïeb 2006, Taïeb et al. 2006).

3-2 Le manque

L’un des premiers « effets » des TSO rapportés par les patients dans notre étude est

« l’arrêt du manque », comme un soulagement à une douleur, à la fois physique et morale, qui

peut être quotidienne. Les usagers de drogues ne font pas toujours appel aux soignants pour

soulager l’état de manque. Lorsque cela est le cas, même si le manque d’opiacés engage

9 Il s’agit de l’étude CAR (Cross-cultural Applicability Research) menée dans neuf pays : Corée du Sud, Espagne, Etats-Unis (chez les Indiens Navajo), Grèce, Inde, Mexique, Nigeria, Roumanie, Turquie.

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rarement le pronostic vital, il doit néanmoins être considéré comme une urgence, en raison de

l’intensité des symptômes qu’il déclenche (Farges et Hautefeuille 2005).

Le diagnostique de manque d’héroïne se fait sur des signes précis (Hautefeuille 1998):

- Le myosis classique de l’intoxication à l’héroïne est remplacé par une mydriase.

- Syndrome algique aigu : crampes musculaires avec ou sans fasciculations,

hyperréfléxie, douleurs profondes des membres, douleurs lombaires et abdominales.

- Syndrome neurovégétatif : larmoiement, rhinorrhée, éternuements, sueurs, frissons,

sensation de chaud et de froid, horripilation cutanée, nausées, vomissements,

diarrhées, bâillements.

- Syndrome anxieux.

Le syndrome de manque d’héroïne peut survenir dans les 2 à 3 heures après la première prise

chez un sujet pharmacodépendant, avec un maximum au deuxième ou au troisième jour. Le

délai entre la dernière prise et le début des symptômes dépend de la pharmacocinétique de

l’opiacé utilisé : pour la méthadone, par exemple, en raison de sa lente élimination (la demi-

vie plasmatique du produit est de 13 à 47 heures pour les sujets recevant 100 ou 120 mg/j), les

symptômes surviennent plus tardivement.

Une hyperthermie, une hypertension artérielle, une tachycardie peuvent être associées

à l’ensemble du tableau. L’angoisse est généralement majeure (Levy et Edel 1997). C’est

cette angoisse, associée aux douleurs importantes, qu’on retrouvera souvent spontanément

évoquée par les patients. Les auteurs s’accordent à dire qu’en raison de ce syndrome

hyperalgique insupportable, et de l’importance de l’angoisse (qui peut devenir communicative

pour les équipes soignantes si on la laisse s’installer), l’état de manque doit effectivement être

pris en compte et soulagé rapidement (Levy et Edel 1997, Ellrodt 2003, Farges et Hautefeuille

2005). La plupart des protocoles proposent une prescription comprenant antalgiques et

anxiolytiques.

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4- Apports de l’anthropologie médicale et de l’épidémiologie culturelle

Pour étudier les représentations des patients sur les TSO, nous allons nous servir

d’outils issus de l’anthropologie médicale et de l’épidémiologie culturelle. Ce sont

essentiellement les notions de systèmes de soins et de modèles explicatifs de Kleinman et

l’Explanatory Model Interview Catalogue (EMIC) de Weiss. En France, d’autres travaux ont

développé des analyses intéressantes en anthropologie et en sociologie de la médecine.

4-1. Les notions de systèmes de soins et de modèles explicatifs de Kleinman

4-1-1. Les systèmes de soins

Les systèmes de soins sont des systèmes sociaux et culturels qui définissent la réalité

clinique de la maladie. Ils répondent aux questions engendrées par la maladie : croyances

étiologiques, choix des traitements, statuts et rôles légitimés socialement lors des actions sur

le malade, relations de pouvoir qui les accompagnent (Kleinman 1980). Fainzang (2001)

rappelle aussi, en analysant les conduites par rapport aux médicaments, que sans être

enfermés dans leur appartenance culturelle, les individus sont « le produit d’une construction

sociale, historique et culturelle ». Nul n’échappe à cela, ni les patients, ni les médecins, ni

toute autre personne, proche ou non du malade ou du médecin, qui participe au système de

soins. Kleinman insiste d’ailleurs sur le fait que c’est le système dans son ensemble qui

soigne, et pas seulement les thérapeutes.

Selon Kleinman, les systèmes de soins sont composés de trois secteurs qui se

chevauchent et interagissent entre eux : le secteur populaire, le secteur professionnel et le

secteur traditionnel. Lors de l’expérience de la maladie, le patient va passer d’un secteur à

l’autre et sera influencé, à l’intérieur de chaque secteur, par les représentations de la maladie

et du soin qui y sont véhiculés. Le secteur populaire (popular sector) est le plus important et

le moins étudié. La plupart des maladies sont entièrement prises en charge dans ce secteur, à

partir des représentations du malade et de son entourage. C’est le lieu de l’auto-médication et

d’une partie de la prévention. La préoccupation de la santé et de sa préservation y tient une

place plus grande que celle de la maladie. C’est à partir de ce secteur que le patient décide de

s’adresser ou non aux autres secteurs. Ce dernier point est important à souligner, afin de

rappeler l’origine de la définition de la maladie et de la demande de soins dans la relation

thérapeutique. Comme le rappelle Canguilhem (1966, p 153), « c’est d’abord parce que les

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hommes se sentent malades qu’il y a une médecine », « l’appel du médecin vient du malade ».

L’« appel » peut cependant être implicite : il est possible de soigner des malades sans

demande explicite.

Le secteur professionnel (professional sector) rassemble les professions de santé. Par

son organisation et par son institutionnalisation, c’est le secteur le plus puissant. Il est

fortement auto-centré et la maladie y tient une plus grande place que la santé. C’est le secteur

de la médecine scientifique moderne. Dans certains pays comme la Chine ou l’Inde, il peut y

avoir un secteur professionnel local différent du secteur biomédical.

Le secteur traditionnel (folk sector) est formé de spécialistes non professionnels.

Certaines de ces composantes sont proches du secteur populaire, d’autres proches du secteur

professionnel. Il peut s’élargir vers la religion et le sacré.

Kleinman rappelle aussi la dichotomie entre la maladie-disease et la maladie-illness

d’Eisenberg (1977), de la même manière que Canguilhem exposait « la maladie du médecin »

et « la maladie du malade ». La maladie-disease se réfère à un dysfonctionnement biologique

et/ou psychologique, la maladie-illness se réfère à l’expérience psychosociale de la maladie et

à sa signification. La frontière entre la maladie-disease et la maladie-illness n’est pas

hermétique, en particulier lors de maladies et de prises en charge chroniques, où elles

entretiennent de très nombreuses relations. En matière de thérapeutique, Kleinman différencie

deux éléments : la guérison de la maladie-disease qui traduit le contrôle effectif sur le trouble

biologique et/ou psychologique, et le soin de la maladie-illness, qui traduit la production

d’une signification individuelle et sociale des problèmes entraînés par la maladie.

4-1-2. Les modèles explicatifs

À l’intérieur de chaque secteur de soins, il existe selon Kleinman des modèles

explicatifs de la maladie pour l’individu malade, sa famille et le praticien. Seule une partie

d’un modèle explicatif est conscient. Les modèles explicatifs cherchent à expliquer la maladie

selon cinq axes : l’étiologie, le moment et le mode d’apparition des symptômes, la

physiopathologie, l’évolution du trouble (avec le degré de sévérité, le type d’évolution aiguë

ou chronique…) et le traitement. Les modèles explicatifs répondent à un épisode particulier

de la maladie chez un sujet donné dans un secteur donné. Les modèles explicatifs des

profanes sont souvent vagues et véhiculent de multiples sens. Cela leur confère une capacité

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de changement. Ils seront aussi, de par leur caractère très général, rarement invalidés par

l’évolution du trouble.

D’une certaine manière, la relation thérapeutique peut être définie comme une

négociation entre le modèle explicatif du patient et celui du médecin. Pour cela, il faut qu’il y

ait énonciation de chacun des deux modèles dans les termes de l’autre, puis analyse. Il peut

alors y avoir modification d’un modèle ou de l’autre par les interactions existantes, le modèle

ainsi modifié peut alors modifier à son tour les modèles d’autres secteurs. Le modèle

explicatif du médecin peut être divisé en deux : l’un théorique qui témoigne de son savoir, et

l’autre clinique qu’il restitue dans la relation. A l’issue de la négociation, quatre devenirs sont

possibles pour le modèle explicatif du patient : le patient s’approprie le modèle du médecin

en conservant le sien ; il accorde davantage de crédit au sien par rapport à celui du médecin ;

il n’en conserve qu’un des deux ; il peut enfin en acquérir un entièrement nouveau à partir

d’une autre source d’information.

Il y a donc des échanges permanents entre les modèles explicatifs du patient et du

médecin. Laplantine (1986) a cherché à identifier des modèles de la maladie et de la guérison

à partir d’entretiens avec des patients et des médecins, et également au travers d’œuvres

littéraires, de films et d’ouvrages de vulgarisation médicale. Il a montré qu’il existe des

divergences et des convergences entre les discours des patients et des médecins. Les

interactions entre les représentations de chacune des deux parties sont par ailleurs multiples :

« La culture médicale, telle qu’elle s’exprime à l’occasion d’une consultation ou par le canal

des medias, est utilisée comme un support qui fonctionne comme justification des

représentations communes » (Laplantine 1986). Patients et médecins ont une culture

commune, et la médecine ne s’exerce pas en dehors de la culture à laquelle elle appartient. De

fait, « la médecine est moins indépendante qu’il n’y paraît du discours collectif » (Herzlich

1984). C’est aussi ce que rappelle Canguilhem citant Sigerist : « La médecine est des plus

étroitement liée à l’ensemble de la culture, toute transformation dans les conceptions

médicales étant conditionnée par des transformations dans les idées de l’époque »

(Canguilhem 1966, p. 61). Cela est particulièrement vrai dans le champ de la toxicomanie, où

comme le rappelle Ogien (1994) l’ensemble de la société peut, à un moment donné, se sentir

concernée : « Le sociologue ou l’épidémiologiste, le psychiatre ou les intervenants, le

médecin et le neurobiologiste, le criminologue ou le policier, le juge ou l’avocat, l’enseignant

ou l’éducateur – pour ne pas parler des parents, des gardiens d’immeubles, des pharmaciens,

des passants, des voisins ou du préfet : chacun peut se sentir dépositaire du problème dans la

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mesure où il se pose à sa discipline, où il empiète sur son domaine de compétence, où il

pénètre sa vie quotidienne même si ce n’est que de façon fantasmatique. »

Le modèle explicatif du patient n’est de toute façon pas à mettre en opposition avec

celui du médecin dans la relation thérapeutique. En se faisant d’une certaine manière narrateur

des « Histoires des Toxicomanes », Taïeb (2006) résume bien cette idée : « L’adhésion des

patients à des représentations traditionnelles ou culturelles de la maladie ne doit être perçue

par les médecins ni comme un obstacle à la compréhension du discours scientifique, ni

comme une entrave à l’établissement d’une alliance thérapeutique solide. Il peut y avoir

divergence entre les modèles des patients et des médecins sans qu’il y ait concurrence. Au

contraire, la prise en compte des modèles explicatifs et des théories étiologiques des patients

dans le dispositif de soins peut favoriser l’alliance thérapeutique dans une perspective

clinique, comme en psychiatrie transculturelle, mais aussi dans une perspective de santé

publique comme le montre le développement de l’épidémiologie culturelle ».

4-2. Le « sens » de la maladie : les approches des auteurs français

Nous citerons plus particulièrement les travaux d’Augé et d’Herzlich. Ces auteurs se

sont intéressés au sens de la maladie et aux interprétations qu’elle exige. Ainsi pour Herzlich

(1984) : la maladie « entraîne toujours la formulation de questions ayant trait à ses causes (…)

et encore plus à son sens : « pourquoi moi », « pourquoi lui », « pourquoi maintenant ».

L’information médicale (…) ne suffit pas pour y répondre ». Pour cet auteur, la maladie est

avant tout un fait social, « sa nature et sa distribution sont différentes selon les époques, les

sociétés et les conditions sociales ». Dans cette perspective, la quête de sens de la maladie

place avant tout l’individu face à son rapport avec la société. Les conceptions des « profanes »

à propos de la maladie ne peuvent ainsi être réduites aux conceptions médicales du

pathologique : « Elles n’en sont pas un appauvrissement ou une distorsion. Elles se situent sur

un autre plan et répondent à d’autres questions. Elles ne sont pas pour autant isolées et

peuvent intégrer de nombreux éléments du savoir médical » (Herzlich 1984).

Pour Augé (1986), l’objet de l’étude doit être la maladie et non la médecine. Il critique

la distinction fréquente faite entre une médecine magico-religieuse, qui serait à visée

étiologique, et une médecine empirico-rationnelle, qui serait à visée symptomatique. Dans ce

sens, cette différence s’opère à partir de l’observation scientifique occidentale, « mais elle

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n’est pas le fait des cultures païennes ; celles-ci ne distinguent pas un domaine qui ne serait

accessible qu’au savoir et un domaine qui ne serait accessible qu’à la foi » (Augé 1986). Pour

Augé, la maladie n’est pas « seulement sociale par la cause qu’on lui recherche ou qu’on lui

suppose », il défend aussi l’idée «qu’une même logique intellectuelle commande la mise en

ordre biologique et la mise en ordre social, qu’il y a en quelque sorte dans une société donnée,

une seule grille d’interprétation du monde s’appliquant aussi bien au corps individuelle qu’au

corps social » (Augé 1984).

Laplantine (1986), que nous avons cité au paragraphe précédent, a aussi souligné que

la légitime recherche et l’identification de la cause d’une maladie ne doit pas faire oublier d’y

intégrer la problématique du sens (Taïeb 2006).

Ces auteurs rappellent finalement les enjeux et l’exigence de l’interprétation de la

maladie, « qui n’est jamais purement individuelle : interprétation collective partagée par les

membres d’un même groupe social, mais aussi interprétation qui au sens propre, met en cause

la société et parle de notre rapport au social » (Augé et Herzlich 1984, cité par Taïeb 2006)

4-3. Les bases de l’épidémiologie culturelle et l’Explanatory Model Interview Catalogue(EMIC)

4-3-1. Les bases de l’épidémiologie culturelle

À partir des années 1970, un intérêt plus grand s’est manifesté en anthropologie

médicale pour étudier la maladie du patient (illness) en évitant de l’aborder sous le même

angle que celui des médecins. Les catégories diagnostiques des professionnels s’étant révélées

insuffisantes pour rendre compte de façon adéquate du retentissement de la maladie sur le

patient. Trois concepts assez proches ont eu une influence importante dans cette perspective :

ce sont la dialectique émique-étique, la différence entre la maladie-illness et la maladie-

disease et la notion de modèle explicatif (Weiss 2001).

La distinction entre les termes émique (emic) et étique (etic) a été proposée

initialement dans les années 1950 (Headland et al. 1990, cité par Weiss 2001). Le terme

émique rend compte des représentations de la communauté locale, le terme étique désigne la

perspective professionnelle, extérieur au contexte local. La distinction entre la maladie-illness

et la maladie-disease est issue de ces concepts. L’EMIC, dont nous décrirons la structure, a

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pour but d’expliciter les modèles explicatifs des patients selon leurs propres termes, dans une

perspective émique, il ne faut cependant pas perdre de vue les interactions permanentes entre

les modèles explicatifs des professionnels et des patients. La notion de modèle explicatif est à

l’origine de la méthodologie de l’EMIC, même si selon Weiss (2001), le terme de modèle

explicatif reste ambigu et n’est pas facilement applicable à la recherche. C’est la raison pour

laquelle Weiss a proposé à travers l’EMIC un cadre d’entretien semi-structuré pour explorer

les modèles explicatifs. À partir des premiers travaux avec l’EMIC, Weiss (2001) a proposé

d’intégrer les travaux et les méthodes anthropologiques dans la recherche épidémiologique en

santé publique, en médecine et en psychiatrie : c’est ce qu’il a appelé l’épidémiologie

culturelle. Malgré l’antagonisme possible de ces deux disciplines reconnu par Weiss, il défend

l’idée que les épidémiologistes ne peuvent plus ne plus se préoccuper de l’expérience de la

maladie et de son sens dans une population et un contexte politique donnés, avant

l’application d’une politique de santé publique.

4-3-2. La structure de l’EMIC

L’EMIC n’est pas un instrument de mesure unique, il doit être adapté au contexte

local, au trouble ou à la maladie et aux objectifs de recherche en cours (Weiss 1997 et 2001).

La validité et la fidélité intercôtateur doivent aussi être étudiées et mesurées dans chaque

situation. Sa mesure s’intéresse à trois dimensions de la maladie (illness) : son expérience, son

sens (meaning) et les conduites (behavior) qui s’y rapportent. Les formulations de ces trois

dimensions ont été regroupées en trois grandes sections : les modes d’expression de la

souffrance (patterns of distress), les causes perçues c’est-à-dire les théories étiologiques

(perceived causes) et le recours aux soins c’est-à-dire l’itinéraire thérapeutique (help-seeking)

(figure 1) (Weiss 2001).

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Figure 1 : Cadre pour l’ étude des représentations de la maladie selon l’EMIC (d’après Weiss 2001)

Maladie(Illness)

Expérience Sens Conduite(Experience) (Meaning) (Behavior)

Formulation opérationnelle de l’EMIC

Modalités d’expression Causes perçues ou Recours aux soins oude la souffrance théories étiologiques itinéraire thérapeutique

(Patterns of distress (PD)) (Perceived causes (PC)) (Help seeking (HS))

Catégories, récits et contextes

Les modes d’expression de la souffrance font référence à l’ensemble des problèmes de

la maladie (modalités d’expression, symptômes rapportés, potentiel évolutif et ses

conséquences psychologiques sociales et économiques). L’évaluation de la stigmatisation

perçue (stigma) à cause de la maladie, de l’existence d’un secret autour de la maladie, de

sentiments de honte et de culpabilité, en font partie.

Dans la section sur l’exploration des causes perçues ou des théories étiologiques, les

sujets sont invités à dire, selon eux pourquoi et comment ils ont été affectés par la maladie.

Les théories étiologiques peuvent influencer les types de recours aux soins, l’attente par

rapport aux traitements proposés, la qualité perçue des soins, le niveau de satisfaction par

rapport à la prise en charge et l’alliance thérapeutique.

Dans la section sur l’itinéraire thérapeutique, il est important de considérer l’ensemble

des recours aux différents systèmes de soins (populaire, traditionnel et professionnel)

(Kleinman 1980) et d’évaluer la perception des sujets quant à leur efficacité. C’est la partie

qui nous intéressera davantage dans notre travail.

Chacune des sections possède la même structure en cinq points (Weiss 1997).

- Le chercheur au début de chaque section invite le sujet à s’exprimer sur sa propre

expérience, lui dire qu’il ne sera pas jugé et lui préciser que l’objectif de l’entretien est le

recueil de ses idées et de son expérience, même si elles sont éloignées du modèle biomédical.

Le chercheur doit faire preuve d’empathie et doit rester disponible pour le sujet.

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- Les questions sont d’abord larges et ouvertes pour recueillir le discours spontané des

patients, avec le moins possible d’induction et de suggestion de la part du chercheur, tout en

relançant le discours.

- L’entretien est ensuite plus structuré pour éviter les oublis. Les questions sont plus ciblées,

visant à expliciter certains points en fonction des objectifs de recherche. Le chercheur doit

laisser la possibilité au sujet de répondre de façon brève, mais aussi de développer davantage

s’il le souhaite.

- À la fin de chaque section, le sujet est invité à reprendre ce qu’il a dit précédemment, à

mettre en relation ses différentes réponses, les hiérarchiser et les commenter.

- Dans chaque section, il est prévu de recueillir précisément le discours du sujet, idéalement

par un enregistrement audio de l’entretien qui sera retranscrit ultérieurement.

L’intérêt majeur de l’EMIC est de rendre possible une analyse quantitative et

qualitative des données. L’analyse qualitative est indispensable pour se rendre compte de la

validité des items et des catégories construites dans chacune des sections et pour enrichir,

modifier ou nuancer certains résultats. Elle complète l’analyse quantitative mais elle peut

aussi être le principal objectif de la recherche et permettre l’étude narrative du récit du sujet.

D’où l’importance de recueillir le discours du sujet avec attention. La durée de passation est

obligatoirement longue, environ deux heures, l’enjeu étant de recueillir véritablement le

discours du patient et non d’établir une liste de symptômes.

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5- Les études antérieures concernant les représentations des traitements de substitution

de la dépendance en opiacés chez les patients toxicomanes

Les représentations des patients sur les TSO ont été globalement peu étudiées. En

1998, Hunt et Rosenbaum publient une étude, dont nous reprendrons les principaux résultats

plus loin, visant à recueillir les perceptions des usagers de drogue quant au traitement de

maintenance10 par méthadone. Ils introduisent leur étude en soulignant la pauvreté de la

littérature concernant les représentations des patients: en interrogeant la base de données

Psychological Abstract, ils retrouvent 908 références sur la méthadone depuis 1967 et 620

citations dans Medline depuis 1990, en associant le terme « méthadone » aux mots-clefs

évoquant les représentations des patients, ils ne retrouvent plus que 14 références.

En France, nous avons recensé quatre études concernant les représentations des

patients. Il s’agit du rapport mené par Bouhnik et al. « L’amplification des risques chez les

usagers de drogues précarisés : prison – poly-consommation – substitution ; les « années

cachets » », commandé par le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, la Direction Générale

de la Santé (DGS), le Ministère de la Justice et la Direction de l’Administration Pénitentiaire

(DAP), publié en 1999 ; de l’étude de Lalande et Grelet, « Tensions et transformations des

pratiques de substitution en ville : suivi de patients usagers de drogues en médecine générale

(approche qualitative)», publiée par l’OFDT en 2001 ; de l’étude menée par l’association

AIDES, en collaboration avec l’INSERM, publiée en 2001, « Attentes des usagers de drogue

concernant les traitements de substitution : expériences et satisfaction, effets recherchés, effets

redoutés » ; et du travail mené par Guichard et al., publié en 2006, intitulé « Rapports des

usagers au Subutex: de la reconquête de l’autonomie à la spirale de l’échec ».

5-1. Les études réalisées en France

5-1-1. Le rapport Bouhnik et al. (1999)

Cette recherche avait pour objet d’évaluer l’existence en prison de prise de risques liés

à la sexualité et la consommation de drogues par voie intraveineuse. Une partie importante de

ce travail, à laquelle nous nous intéresserons ici, étudie les représentations de la méthadone et

10Dans la littérature anglo-saxonne, le terme maintenance treatment est celui le plus employé pour désigner un traitement de

substitution. La traduction littérale serait « traitement de maintenance » ou « traitement d’entretien ». Cette différencesémantique est probablement à prendre en compte.

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de la BHD dans une population précarisée. Les auteurs sont allés plus loin que le suggérait la

commande initiale des institutions : ils montrent que les prises de risques ne concernent pas

seulement les usagers et l’institution pénitentiaire mais interroge aussi le système de soins

dans son ensemble.

Trente-cinq personnes ont été rencontrées personnellement et suivis pendant plusieurs

semaines dans des structures bas seuil (Paris, Strasbourg, Marseille et Nantes), une

association d’auto-support (Nantes), un centre d’insertion aux sortants de prison (Lille), des

lieux d’échanges de seringues (Paris, Nantes), des centres de soins (Lille et Strasbourg), une

unité de substitution hospitalière (Marseille), un service de suivi judiciaire des sortants de

prison (Bobigny) et une antenne toxicomanie (Nantes). Dix thèmes ont été construits pour

répondre aux questions initiales de l’étude L’objectif était de travailler sur les sens attribués

par les personnes aux conduites. La grande majorité des personnes vivaient en situation de

grande précarité au moment de l’étude. Elles étaient toutes sorties de prison depuis moins

d’un an (parfois quelques semaines).

Les auteurs ont observé, à l’intérieur comme à l’extérieur de la prison, un déplacement

des produits sans déplacement des modes d’usage. Si quelques personnes ont pu être

identifiées comme ayant décidé de rompre avec la prise de drogues, la plupart persistent dans

des conduites addictives dans lesquelles les traitements de substitution s’insèrent. L’injection

de BHD était presque généralisée parmi la population étudiée11. Les usagers identifient

comme raisons du passage de l’héroïne à la BHD, la baisse de l’offre en terme de qualité et de

quantité et leur plus grande précarité (qui leur permet moins de se fournir en héroïne). La

difficulté de s’éloigner de la voie injectable est qualifiée de « dépendance gestuelle », où la

dimension du « faire » est importante (préparation, auto-injection, etc.). Les personnes ont

aussi dit leur difficulté à rompre avec un comportement, avec des pratiques auxquelles elles se

sont « adaptées ». L’injection n’est d’ailleurs pas limitée à la BHD, elle se pratique aussi avec

tous les autres produits « injectables » (comme le Skénan par exemple). De façon assez

générale dans cette étude, les usagers considèrent que la mise dans le commerce (et donc dans

la rue) de la BHD est une aberration voire une perversion de la part des pouvoirs publics, dans

11 Cette population a payé au prix fort la persistance, dans des conditions très précaires, de ces pratiques. Sur le plan desmaladies infectieuses, plus du tiers des personnes interrogées était infectés par le VIH, et 75% par le VHC. Ces chiffres sontparticulièrement élevés, y compris comparés à ceux retrouvés dans une population précaire plus large comme celle rencontréepar le programme d’échanges de seringues de Médecins du Monde (Paris) : sur des chiffres déclaratifs à nuancer, en 2005,12% des personnes se sont déclarés séropositives pour le VIH et 50% pour le VHC (Médecins du Monde 2006).

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une incompréhension, notamment, des injecteurs en situation de précarité. La BHD a souvent

été désignée comme la « drogue de l’État ». Aussi l’État porte-t-il pour certains, la

responsabilité d’un marché où seraient impliqués le laboratoire, les pharmacies et certains

médecins. La méthadone bénéficierait d’un meilleur crédit, mais les personnes interrogées

soulignent leur difficulté à s’intégrer dans la plus grande rigueur des protocoles proposés. Si

certains ont décrit des parcours avec la méthadone répondant plus à des objectifs de

substitution, des stratégies de « défonce » ne sont pas non plus écartées par les usagers. Pour

l’ensemble des TSO, les personnes ont évoqué leur aspiration à une prise en charge plus

adaptée à la situation de l’usager. La substitution n’est en fait pas « vraiment conçue comme

une solution mais un moyen de moins souffrir ».

Sur leur passage en prison, le constat est unanime sur la possibilité d’avoir accès à

l’intérieur des murs au même panel de produits qu’à l’extérieur, soit « dans la cour », soit par

les systèmes de santé de l’institution. Cependant, sur l’accès aux traitements par les

professionnels de santé en prison, il a été souligné une notion d’arbitraire. La nécessité de

prouver qu’on est en traitement peut ainsi poser des problèmes d’accès aux soins, angoissante

pour les patients. Une sensation d’emballement de la distribution « des cachets » en prison est

signe pour certains usagers d’une volonté de « casser » les personnes, avec également la

crainte de dépendances initiées en prison.

L’ensemble de ces résultats a conduit les auteurs à penser que la prison est un lieu

« traversé de part en part par le monde des drogues », comme l’a aussi résumé une des

personnes interrogées : « Je pense qu’on ne peut pas changer un système comme celui du

milieu carcéral, si on ne change pas le système dehors ».

5-1-2. L’étude de Lalande et Grelet (2001)

Cette étude est le volet qualitatif qui a élargi la partie prospective et quantitative d’une

étude concernant le « Suivi des patients usagers de drogues en médecine générale » engagée à

partir de 1996 par des médecins de l’association Epid9212 et du réseau ville-hôpital

« Sida/toxicomanie » des Hauts-de-Seine Nord (ARÈS 92). Elle a tenté de répondre aux

12Cette association de médecins et de pharmaciens libéraux, née en 1987 autour d’un journal, consacre son activité à la

formation médicale continue et à la santé publique. Elle organise des séminaires de formation et des enquêtesépidémiologiques.

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nombreuses questions qui se posaient après la réalisation du volet quantitatif, tant sur une

interrogation globale sur l’impact et l’usage des traitements de substitution, que sur les

consommations parallèles, et sur la prise en charge somatique des patients. L’étude a

finalement davantage été perçue comme portant sur l’évaluation des traitements de

substitution que sur celle du suivi en médecine générale.

La méthode choisie a été celle d’entretiens semi-directifs, menés entre décembre 1998

et avril 1999, avec 14 patients ayant eu un TSO en prescription13, puis avec leurs médecins (7

ont été rencontrés). Les patients étaient tous volontaires - ils devaient se manifester auprès de

leur médecin, qui leur avait signalé l’existence de l’étude - et recrutés parmi les patients inclus

dans la première phase (95 patients au total) et les médecins étaient tous impliqués dans la

prise en charge de patients toxicomanes. Les thèmes suivants étaient abordés symétriquement

avec les patients et avec les médecins :

- les antécédents ayant amené à entamer ou à proposer un traitement de substitution ;

- la négociation du traitement, son évolution, ses « à-côtés » pour le patient, et

l’appréciation globale de la relation établie avec le médecin ou avec le patient ;

- le rôle éventuel du réseau et ses utilisations concrètes ;

- l’impact de la substitution sur la situation globale du patient (sociale, affective, de

santé, etc.) ;

- un bilan global de la situation, incluant les avis généraux sur la substitution.

Cette étude porte sur un petit nombre de patients (et un nombre encore plus petit de

médecins) et comporte des biais de sélections importants, reconnus par les auteurs : du côté

des patients, la base du volontariat a pu sélectionner les patients en meilleure santé et les plus

stabilisés sur le plan de la substitution, et du côté des médecins, leur implication importante

dans le champ de la toxicomanie ne les rend pas représentatifs de l’ensemble des médecins

généralistes. Cependant la méthode d’entretiens symétriques des différents acteurs, présentés

de façon croisée dans l’étude, permet d’explorer de façon intéressante la relation

médecin/patient, « lieu d’expression de logiques complémentaires et contradictoires, et espace

de négociations et d’ajustements progressifs, construits autour de la prescription de produits

de substitution comme de la prise en charge des problèmes somatiques » (Lalande et Grelet

2001). À travers les entretiens, Lalande et Grelet perçoivent l’idée qu’entre les objectifs de

santé publique, la logique médicale d’accueil et de suivi d’usagers de drogues, et des logiques

13 Au moment de l’entretien sur les 14 patients interrogés, 7 étaient sous BHD, 3 sous sulfates de morphine, 2 sousméthadone et 2 s’étaient sevrés eux-mêmes après un traitement.

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dérivées de cultures d’utilisation non médicale de produits psychotropes, « la substitution

n’existe que telle que la (re)dessinent ou la (re)construisent chaque fois les protagonistes

qu’elle met face à face ». La philosophie de la substitution reste traversée par des tensions

non résolues entre objectifs de « maintenance » et de « substitution ».

En ce qui concerne les objectifs des patients, la diversité est importante et ils peuvent

changer au cours du temps : certains patients viennent chercher un généraliste et trouvent à

l’occasion un traitement de substitution, et d’autres sont venus chercher une substitution aux

drogues et ont trouvé un médecin. La synthèse des entretiens montre aussi qu’il est difficile

d’énoncer des objectifs a priori aux TSO, même si une cohérence de parcours et de stratégies

d’utilisation des produits ou de la relation peut être reconstituée a posteriori.

L’espace de négociation a été observé sous trois angles. Celui des dosages où les

positions de chacun sont évolutives, celui du rythme des prises et celui des consommations

parallèles où le plus grand dénuement en matière de contrôle en médecine de ville par rapport

au CSST a des conséquences dans la relation. Ces trois points seront davantage développés

dans la discussion.

Lalande et Grelet concluent sur la complexité de la relation engagée entre médecins et

patients autour des TSO et sur la possibilité d’évolution de cette relation en lien avec

l’expérience de la relation elle-même, les évolutions légales, et les résultats en termes de santé

publique.

5-1-3. L’enquête AIDES-INSERM (2001)

Cette étude est la seule enquête française d’envergure qui a exploré les représentations

des patients sur un large échantillon, en prenant en compte différents médicaments

(méthadone, BHD, sulfates de morphines) prescrits en France pour le traitement de la

dépendance aux opiacés (Guichard 2004). C’est une enquête multicentrique (Brest, Clermont-

Ferrand, Montpellier, Mulhouse, Paris) de méthodologie quantitative. Les réponses à un auto-

questionnaire portant sur les représentations des TSO chez les usagers, ont ainsi été recueillies

chez 506 patients, entre novembre et mi-février 2001. Les patients ont été recrutés en cabinet

libéral (61%, N=307), en CSST (32%, N=162) et dans les comités AIDES (7%, N=37). Le

questionnaire, d’une douzaine de pages, était complété avec un enquêteur et en l’absence de

soignant.

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Les patients devaient répondre aux questions de l’enquête en cochant des cases

concernant les items suivants : (1) données socio-démographiques, (2) histoire de la

toxicomanie, (3) traitement de substitution, (4) traitement de substitution actuel, (5) effets

secondaires, (6) vie et comportements sexuels, (7) mode d’administration, (8) auto

évaluation/impact du traitement (perception des risques, bien-être), (9) auto

évaluation/satisfaction, (10) perception du traitement, (11) le Subutex de rue, (12) autres

problèmes de santé, (12) le traitement de substitution souhaité (cet item concluait par une

question ouverte : « Pour vous, c’est quoi le traitement idéal ? »). À travers ces items, l’étude

cherchait à répondre « à des questions au cœur de la redéfinition nécessaire de la politique de

soins pour les usagers de drogue ». Elles ont été résumées par les auteurs de la façon

suivante :

- Existe-t-il des perceptions différentes des traitements et du cadre de prise en charge

chez des utilisateurs ?

- Peut-on éclairer la question de l’injection ?

- Quelles sont la place et les représentations du trafic de rue ?

- Quels sont les attentes et les besoins des usagers vis-à-vis des traitements de

substitution ?

Il résulte de cette étude une grande diversité de motivation quant à la demande de

traitement de substitution.

Un niveau de satisfaction positif est majoritaire, tant au niveau de la composante

thérapeutique qu’au niveau de la réduction des risques. Les auteurs ont cherché à dégager des

profils de consommation associant les différents traitements (médicaments de substitution et

cadre de soins) et les caractéristiques associées, notamment l’insertion sociale et l’origine

géographique. Les enquêteurs ont individualisé quatre profils, synthétisés dans le tableau 7.

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Tableau 7 : Profils selon le critère de satisfaction par rapport au traitement, d’après les résultats de l’étudeAIDES-INSERM.

15 % : satisfaction très élevée et impact ressenti très positif (population sous méthadone, bien insérée, peu depersonnes de AIDES)43 % : satisfaction modérée et impact ressenti positif (population insérée, pas de traitement associé)31 % : satisfaction modérée à faible et peu d’impact ressenti (population jeune, très précarisée, consommatricede produits, pas de traitement associé)11 % : détérioration de la situation (population peu insérée, isolée, Brest surreprésenté14, pas de traitementassocié)

Au vu des pourcentages de satisfaction mesurés et selon les auteurs, la substitution

« marcherait » pour une majorité de personnes qui déclarent avoir une satisfaction modérée à

très élevée et un impact ressenti comme positif à très positif (cf. tableau 7 : 15% et 43% des

personnes). Parallèlement, il persiste des formes d’échec de la substitution pour plus de 10%

des personnes interrogées. Du point de vue des patients, ces échecs se caractérisent par des

situations sociales qui ont peu évolué au cours du traitement voire qui se sont dégradées. Ces

situations sont souvent associées à la problématique de l’injection, notamment de BHD.

L’étude souligne les limites du dispositif actuel à résoudre ou à atténuer les difficultés

sociales des personnes qui cumulent les handicaps (Guichard et al. 2004).

Quel que soit le traitement prescrit, le sentiment de « s’en être sorti » (traité dans

l’item 2) avec les produits illicites est très marqué (ce qui ne résume pas la satisfaction

générale par rapport au médicament). Cependant, il a été observé un déplacement vers

d’autres produits, dont l’alcool et les benzodiazépines. Par ailleurs, il existe pour les TSO un

fort sentiment de dépendance et les effets secondaires rencontrés sont multiples et pénibles.

Sur la comparaison des traitements, la méthadone s’est démarquée comme un

médicament supérieur aux autres : le sentiment de s’en être sorti par rapport à l’héroïne est

très élevé (82%) et est accompagné d’une diminution significative des risques associés

(injection, consommations parallèles). C’est également le traitement le plus cité lors de la

question ouverte sur le traitement idéal (17% des principales thématiques retrouvées). Sur

cette question, le souhait de voir s’élargir la palette des choix thérapeutiques ressort aussi à

travers une partie des réponses, à l’instar d’alternatives déjà en oeuvre dans d’autres pays

14 Le principal biais de cette étude tient à la volonté d’interroger des patients sur l’ensemble du territoire : il en résulte unbiais de sélection sur Brest et Clermont-Ferrand où le choix thérapeutique est limité majoritairement à la BHD.

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(comme le recours à l’héroïne médicalisée : 14% des réponses). De même, la thématique de

l’impact des traitements sur la vie quotidienne est importante.

Pour la BHD, les patients ont souligné le faible potentiel de soulagement pour les

tensions psychologiques et la pauvreté du suivi psychosocial. Les personnes sous sulfates de

morphine ont davantage été caractérisées comme en difficulté sur le plan social. En fonction

du médicament prescrit, les résultats de l’enquête ont tendu à définir pour les représentations

des attentes des usagers :

- vis-à-vis des sulfates de morphines : « produit-drogue »

- vis-à-vis de la méthadone : logique de maintenance

- vis-à-vis de la BHD : les profils sont mitigés entre ces deux logiques, ce qui reflète

d’une certaine manière la plus grande hétérogénéité de la population sous BHD.

L’injection s’est dégagée comme un marqueur de difficulté en traitement, en

particulier dans le groupe sous BHD (pour les personnes sous sulfates, l’injection est

davantage vécue comme un choix, une recherche d’effet que comme un « problème »).

Le trafic de rue existe (concernant ce trafic, le questionnaire portait seulement sur la

BHD) et est très présent dans l’histoire des patients. Cependant, il ne se limite pas au seul

détournement de produit : il peut être un rempart contre le recours aux produits illicites.

La qualité de vie qui entoure les traitements, semble être désignée par les patients

comme un des facteurs déterminants du succès thérapeutique. C’est par rapport aux situations

professionnelles et sociales que l’on observe le moins d’amélioration et de satisfaction. Une

prise en charge plus globale des problèmes et centrée sur la personne se dégage comme une

attente importante.

L’étude conclue sur la nécessité de proposer de nouvelles prises en charge, en

clarifiant la place respective des substances disponibles. Le rôle des généralistes et des centres

spécialisés se situant dans une prise en charge au long court avec une offre de soins

comportant effectivement une prise en charge psycho-médico-sociale de qualité.

5-1-4. L’étude Guichard et al. (2006)

Cette étude s’intéresse à l’expérience et aux pratiques des usagers utilisant la BHD sur

de longues périodes. La large diffusion de la BHD en France a parfois entraîné l’intégration

de ce produit aux usages des drogues de la rue. Pour les auteurs, ces pratiques « ne peuvent

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être caractérisées par les grilles de la recherche clinique ou de l’observation épidémiologique

qui évaluent la conformité des consommations aux normes médicales ». Une approche

qualitative empruntant à la démarche sociologique a donc été choisie, « afin d’explorer les

différentes façons dont le Subutex prescrit vient s’intégrer dans le parcours des usagers avec

les produits psycho-actifs licites et illicites en tenant compte des contextes de vie et des profils

individuels des usagers concernés ».

L’analyse a porté sur des entretiens réalisés en 1999-2000, auprès de 28 usagers ayant

obtenus de la BHD par une prescription médicale, à Paris et dans sa proche banlieue. Les

personnes ont été recrutées dans des lieux de soins variés : CSST, cabinets libéraux, et PES.

Pour être inclus, les usagers devaient notamment avoir consommé plus de deux fois de la

BHD dans un cadre thérapeutique, au cours du mois précédant le début de l’étude. Les

entretiens ont tous été réalisés hors du cadre de soin par le même chercheur. Il s’agissait

d’entretiens répétés sur plusieurs semaines, ce qui d’après les auteurs, une certaine confiance

étant établie, a permis d’aller plus loin qu’un récit évènementiel dans lequel l’interviewé a

tendance à décrire des situations qui correspondent à l’image qu’il veut donner de lui-même.

Les entretiens se sont centrés sur la vie quotidienne sans se focaliser sur l’observance et les

consommations illicites.

Comme dans l’étude AIDES-INSERM (2001), à laquelle plusieurs des auteurs ont

également participé, l’analyse des résultats a conduit à dégager plusieurs « profils » illustrant

le rapport des usagers à la BHD, organisés selon cinq axes qui renvoient :

- au mode d’appropriation de la BHD ;

- aux usages de la BHD ;

- au vécu de la toxicomanie ;

- aux situations sociales, aux réseaux sociaux et aux modes de vie ;

- à l’image de soi.

Quatre profils ont ainsi été décrits :

- Dans le profil 1, les usagers s’approprient le médicament comme une ressource transitoire

conçue pour mener à bien une sortie de la toxicomanie. Les usages de la BHD s’organisent

dans un « régime individualisé » : la prise de BHD se fait la plupart du temps en prise unique

et par voie sublinguale, de façon adaptée à la « norme thérapeutique » défini par l’usager. Elle

peut s’accompagner d’usages festifs de cocaïne et d’héroïne. Dans l’axe du vécu de la

toxicomanie, le rapport au(x) produit(x) est défini comme une « régulation-stabilisation ». Par

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rapport au mode de vie et à la situation sociale, la BHD a une fonction « normalisante ». La

perception de l’image de soi tend vers la définition d’un « ancien toxicomane ».

- Dans le profil 2, la BHD est réellement envisagée comme un produit de « substitution » et

un traitement de maintenance, dont l’usage est défini sur le long terme. Cet usage est

conforme à la prescription et il n’y a pas de consommation parallèle. La maintenance et la

substitution renvoient à l’intégration par les usagers d’un produit qui soulage le manque et

atténue l’envie de consommer. Comme dans le profil 1, la BHD a une fonction normalisante.

L’usager s’envisage comme un patient.

- Dans le profil 3, la BHD est comparée à une drogue, avec laquelle les usagers développent

des stratégies de « défonce ». Elle est intégrée aux drogues de la rue, le recours à l’injection

ou au « sniff » est dominant. L’usage est associé ou en alternance avec d’autres produits

licites (alcool, benzodiazépines) ou illicites (héroïne, cocaïne, crack). Il y a un sentiment de

« chronicisation », avec le glissement d’une dépendance vers une autre, sans évolution par

rapport aux produits consommés antérieurement. Les usagers les plus jeunes ont toutefois

l’impression d’une dépendance « à moindre risque ». Le contexte social est précaire et tend

vers la marginalisation. L’usager se perçoit comme étant « toujours toxicomane ».

- Dans le profil 4, la BHD est vécue comme un produit « diabolique », plus dangereux que

l’héroïne. Les modes et les pratiques de consommations sont aléatoires, de même que ceux

des autres produits disponibles dans la rue. Il y a une dépendance vécue comme

« totalisante », avec un sentiment de perte de contrôle aggravée des consommations. Cette

perception est renforcée à la fois par le sentiment d’une forte emprise de l’institution médicale

(et plus largement des pouvoirs publics), et par l’escalade des conséquences physiques des

usages détournés (abcès, consommations parallèles…), pour un plaisir éprouvé souvent

médiocre. La marginalisation, dans ce contexte de souffrance, est d’autant plus mal vécue. Le

sentiment de disqualification de ces usagers est important, à l’extrême, ils se considèrent

comme des « cobayes » instrumentalisés par les institutions.

Des caractéristiques de la BHD entraînent ainsi, des situations contrastées en fonction

du rapport de l’usager au produit. Dans cette perspective, les propriétés pharmacologiques de

la BHD (faiblesse de la sensation d’euphorie et du « flash »), et la plus grande flexibilité de

distribution de la BHD peuvent s’inscrire de façons très différentes dans le parcours des

usagers. Les déterminants sociaux (cadre de vie, ressources, entourage,…) ne sont pas neutres

dans la faculté de l’individu à tirer le meilleur parti possible de la molécule et de la souplesse

du dispositif qui l’entoure.

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Les auteurs précisent que ces profils ne sont pas à considérer comme des « profils

types », dans lesquels les usagers seraient « fixés ». Les perceptions des usagers peuvent en

effet changer au cours de la prise en charge. De même, il peut y avoir coexistence, pour un

même individu, de critères de satisfaction et d’insatisfaction.

L’analyse des résultats a également révélé l’évolution autonome des pratiques

d’injection au sein du phénomène de dépendance. L’injection n’a donc pas seulement pour

objectif la majoration des effets pharmacologiques des produits. Pour les auteurs, cette

dimension doit inciter à envisager la cessation de l’injection comme un enjeu en soi de la

prise en charge.

Un autre résultat important de cette recherche est la mise en évidence de la

stigmatisation perçue par les usagers de drogue, même lorsqu’ils sont engagés dans un

traitement. Ce stigma peut aussi provenir du traitement lui-même. Nous développerons

davantage ces dimensions dans les parties résultats et discussion.

Au final, pour Guichard et al., les bénéfices de la BHD du point de vue des patients

sont hétérogènes. Si une partie des usagers peut témoigner du succès de ce traitement, a

fortiori chez les personnes les plus favorisées socialement, il persiste chez les personnes les

plus précaires, comme dans l’étude AIDES-INSERM (2001) une marginalisation qui

s’installe voire qui s’aggrave.

5-2. les principales études réalisées dans d’autres pays

Ces travaux sont à replacer dans le contexte historique, politique et culturel des pays

où ils ont été élaborés. L’histoire de la substitution aux opiacés y est aussi souvent plus

ancienne. Afin de mieux comprendre les perspectives dans lesquelles se placent les auteurs, il

n’est pas inutile de rappeler le contexte socio-historique de la mise en place de la méthadone

et de l’évolution des pratiques aux États-Unis, où la majorité des études ont été publiées.

La méthadone a commencé à être prescrite dans ce pays dans les années 60. Les

premiers résultats obtenus ont été très encourageants, ce qui à favoriser un développement

important des programmes méthadone (6000 patients en 1969, 120 000 en 1972). La plus

large diffusion du produit a aussi entraîné l’organisation d’un marché noir et des décès sous

méthadone ont été observés. Ces évolutions entraînent, vers la fin des années 70, la mise en

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place de politiques plus restrictives et coercitives. Dans le même temps, les budgets

s’amenuisent, témoignant de la déception des politiques. Cela conduit à la réduction de l’offre

de services médico-sociaux. La question du lien entre les pratiques et les succès du traitement

a alors été au cœur de la controverse sur la méthadone dans les années 80. Les auteurs qui se

sont intéressés au point de vue des patients ont participé à ce débat.

Le débat a aussi été relancé, aux Etats-Unis comme au niveau international, par

l’arrivée du virus du sida. Les urgences en terme de santé publique imposaient une réflexion

large sur les traitements de substitution. On observait aussi que les patients sous méthadone

étaient moins contaminés que les héroïnomanes de rue. Les pratiques cliniques ont continué à

être discutées, mais la recherche s’est aussi orientée vers d’autres sujets de réflexion (Hunt et

Rosenbaum 1998, Coppel 2004).

La totalité des travaux présentés ici, proviennent de pays utilisant quasi-exclusivement

la méthadone comme TSO. Le point de vue des usagers est donc envisagé à partir des

représentations de ce traitement et du dispositif qui l’entoure. Notre revue de la littérature

étrangère sur le sujet débute à partir des années 80, où les publications ont commencé à être

développées davantage. Nous présentons quelques travaux importants.

5-2-1. Les études publiées dans les années 80 et 90

Plusieurs travaux se sont intéressés à la représentation des usagers vis-à-vis des

dispositifs de prise en charge en évolution au cours de cette période, ou ont cherché à apporter

des améliorations à ces pratiques.

En 1988, Magura et Lipton ont publié les résultats d’une étude menée avec un

échantillon de 229 patients, recrutés dans trois centres méthadone de la région de New York

(Etats-Unis), visant à mesurer l’efficacité des traitements par méthadone. L’efficacité a été

mesurée d’une part par des contrôles urinaires recherchant des traces d’opiacés et d’autres

produits, et d’autre part, par des entretiens avec les patients, portant sur leur histoire avec le

traitement, leur usage de drogues actuel et passé, les changements dans leur vie quotidienne et

leur opinion du traitement par méthadone. Les résultats des tests urinaires et des entretiens

restaient confidentiels. Les patients ont particulièrement souligné dans cette étude leur

mauvaise perception des moyens de contrôle du traitement par méthadone. Le principal outil

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de ce contrôle est la pratique des tests urinaires. Les patients acceptent mal la dimension

coercitive de cette méthode, où des résultats positifs pour les drogues sont sanctionnés par des

modifications du traitement visant à davantage de contrôle. Les tests sont par ailleurs jugés

peu fiables (ce que la pratique des tests urinaires pendant l’étude a confirmé) et sont de ce fait

décrédibilisés par les patients. Les auteurs ont suggéré comme améliorations possibles aux

pratiques de soins un perfectionnement des tests existants à l’époque. Ils ont parallèlement

défendu l’idée d’une évolution de l’environnement thérapeutique vers des liens plus étroits et

moins centrés sur le contrôle, entre les patients et le personnel soignant, afin d’améliorer la

perception du traitement par les usagers. Pour les auteurs, cela suppose un changement

important des mentalités dans les structures de soins.

Hunt et Rosenbaum ont aussi recueilli l’opinion des usagers sur la dimension

coercitive du traitement. Ils ont publié en 1998 une étude qualitative réalisée à partir d’un

échantillon de 233 sujets, recrutés dans cinq centres méthadone dans la région de San

Francisco (Etats-Unis). Des entretiens approfondis et répétés ont été menés tous les six mois

pendant trois ans. Ils portent sur les représentations du traitement de substitution et des

pratiques cliniques, ainsi que sur le quotidien des patients. À propos de la méthadone, les

patients ont rappelé les nombreux effets secondaires de la molécule. La création d’une

nouvelle dépendance a aussi été soulignée (« trade off Peter for Paul »). La dimension du

contrôle social est très présente dans le discours. Comme dans l’étude de Magura et Lipton,

cette dimension se cristallise sur les contrôles urinaires. Ils sont vécus comme infantilisants,

stigmatisants et humiliants. Pour Hunt et Rosenbaum, le fait d’accepter le protocole de

traitement implique pour les usagers de renoncer à leur culture de survie dans la rue. En ce

sens, ils sont acteurs du traitement et ne sont pas les êtres passifs souvent décrits dans la

littérature anglo-saxonne. D’autres résultats importants ont été mis en évidence dans cette

étude. Ils concernent notamment les difficultés d’accès au traitement : l’inclusion dans les

protocoles méthadone représente pour certains patients aux Etats-Unis, un investissement

important qui peut les contraindre, de façon contradictoire, à poursuivre leurs activités parfois

illégales pour financer les soins (« hustling15 »). La longueur des listes d’attente est également

un frein à l’accès au traitement. Malgré ces critiques, les patients reconnaissent sous certains

aspects, l’aide apportée par les professionnels. Les auteurs concluent sur la vision « du bon

15Le terme « hustling » est difficilement traduisible en français : il définit un champ d’activité ayant en commun de

« requérir (…) la capacité de manipuler les autres, de les tromper, au besoin en alliant la violence à l’astuce et au charme dansle but de générer un profit pécunier immédiat. (…) Le monde du hustling s’oppose terme à terme au travail salarié».(Wacquant 1993).

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centre » par les patients : il est défini comme un endroit où les patients sont écoutés sans être

blâmés et où les « droits fondamentaux » sont respectés.

Hunt a beaucoup insisté tout au long des années 80 et 90 sur l’importance de faire

évoluer les pratiques des professionnels en prenant en compte le point de vue du patient. Il a

publié avec Barker en 1999 une revue critique de la littérature sur les représentations des

usagers de drogues par les professionnels et la société. Ils décrivent à travers cette littérature,

la place du pouvoir médical et plus largement des institutions dans le contrôle social exercé

sur les usagers de drogue. Dans cette seule dimension coercitive, les opinions des usagers

peuvent en effet être souvent ignorées.

Gold et al. (1988), sont les auteurs d’un article au sujet d’une recherche portant sur

l’identification des éléments empêchant la désaccoutumance d’un traitement par méthadone.

Dans cet objectif, les chercheurs ont constitué un échantillon de 50 patients en cours de

traitement, et de 30 membres des équipes soignantes de cinq cliniques spécialisées dans le

traitement par méthadone de la région de San Francisco (Etats-Unis). La méthodologie

utilisée a combiné des éléments de réponse à la fois qualitatifs et quantitatifs. D’après les

résultats de la recherche, pour les patients comme pour les professionnels, la

désaccoutumance (l’arrêt du traitement) est un processus risqué et difficile. Les patients ont

davantage comme perspective l’arrêt de la méthadone, alors que les soignants sont plus dans

des objectifs de maintenance. Les difficultés psychologiques sont soulignées par les deux

parties, mais les patients insistent davantage sur l’aspect physiologique. Patients et soignants

s’accordent sur la nécessité de conseils psychologiques, l’accent est particulièrement mis sur

les contacts avec d’anciens toxicomanes ayant réussi leur processus de désaccoutumance. Un

élargissement du dispositif de soins est souhaité.

Mavis et al. (1991), ont aussi publié une étude s’attachant à décrire les opinions des

patients et des professionnels. Ce travail analyse les perceptions sur l’efficacité des

programmes méthadone par un questionnaire, explorant quatre thèmes principaux : le soutien

des personnes aux programmes méthadone, les besoins en services associés à la délivrance de

méthadone, les causes perçues de la dépendance en opiacés, l’appropriation des buts des

programmes méthadone. Trois questions ouvertes portaient sur l’impact des traitements par

méthadone sur la réduction de la criminalité, les évolutions possibles, et les possibilités de

« mesure » du succès de traitement par méthadone. Un échantillon de 174 personnes a

finalement été constitué, composé de responsables de centres de traitement et de patients au

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Michigan (Etats-Unis). La conclusion principale de cette étude porte sur l’hétérogénéité des

réponses entre patients et professionnels, mais aussi à l’intérieur de chaque groupe. D’où la

nécessité défendue par les auteurs de compléter l’information empirique par le recueil des

opinions individuelles, si l’on veut obtenir une stratégie efficace.

L’étude de Rosenblum et al, publiée en 1991, cherche à comprendre pourquoi les

usagers de drogues par voie intraveineuse peuvent avoir des difficultés à s’inscrire sur le long

terme dans les traitements utilisant la méthadone. L’échantillon est constitué de 66 hommes et

17 femmes, usagers de drogue par voie intraveineuse, incarcérés dans des prisons new-

yorkaises (Etats-Unis) pour de courtes peines, et pour lesquels un traitement par méthadone a

été initié en prison. Le contexte carcéral favorise probablement d’autant plus dans cette étude

la perception du caractère coercitif du dispositif de soins. La méthodologie est quantitative.

Les usagers ont d’abord exprimé leur anxiété par rapport à la molécule, dont les effets

secondaires et les overdoses sont redoutés. La dépendance à la méthadone est jugée très

importante. Les auteurs ont mesuré les perspectives de rétention16 en traitement : si la grande

majorité des usagers ont accepté de s’engager dans un traitement par méthadone (93% des

répondants), seuls 45% ont manifesté leur intention de ne pas poursuivre le traitement plus

d’un an. Pour les auteurs, la méfiance vis-à-vis de la méthadone semble essentiellement venir

d’une méconnaissance de ce traitement tant sur son efficacité que sur ses risques. Les usagers

sont finalement dans une « ambivalence » par rapport à la méthadone, traitement qu’ils

souhaitent débuter sans le poursuivre. Cette ambivalence est en partie entretenue par les

représentations de ce traitement véhiculées dans la société et par les soignants : « It’s good for

you, but to be really well you must get off it » (c’est bon pour vous, mais c’est mieux si vous

faites sans). En conclusion de cette étude, la nécessité de prise en compte des opinions des

usagers, parfois en partie inexactes, vis-à-vis du produit est soulignée. D’après les auteurs, un

effort d’ « éducation » en faveur des usagers doit être réalisé dans les pratiques cliniques, en

particulier dans le contexte de l’infection à VIH.

Hanke et Faupel (1993) se sont intéressés au public féminin, dont les besoins

spécifiques ont été peu décrits dans la littérature. Ces besoins sont souvent peu pris en

compte, parmi un public d’usagers majoritairement masculin. L’étude est basée sur un

échantillon de 208 femmes ayant suivi un programme de traitement par méthadone à New

16 La rétention est le fait de poursuivre un traitement.

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York (Etats-Unis). Elles ont répondu à un questionnaire visant à recueillir des données socio-

démographiques, notamment le fait d’avoir ou non des enfants à charge, et à percevoir

l’histoire des patientes avec la drogue et avec les expériences de traitements, en particulier le

traitement médicamenteux. Plusieurs particularités de ce public ont été mises en lumière. Sur

les théories étiologiques de l’addiction, les femmes interrogées ont souvent attribué leur

dépendance à des évènements traumatisants comme un décès, un divorce, ou des abus

sexuels, fréquents parmi cette population. Les méthodes de contrôle du traitement par

méthadone, souvent jugées humiliantes par les hommes comme par les femmes, peuvent être

vécues par le public féminin comme une reviviscence des abus sexuels passés. Par ailleurs, la

présence des enfants est souvent déterminante, que ce soit dans le sens d’une meilleure ou

d’une moins bonne adhésion au traitement. Les auteurs perçoivent la nécessité d’une analyse

précise des besoins du public féminin, afin de mieux orienter les services proposés, plutôt que

d’augmenter leur nombre sans préjuger de la spécificité du public. Dans cette perspective, la

question de la sexualité et de ses traumatismes est importante : les femmes interrogées se sont

exprimées sur leur besoin d’espaces de parole non mixte, où elles pourraient plus librement

s’exprimer sur le sujet. Pour Hanke et Faupel, l’écoute des besoins spécifiques des femmes

toxicomanes est essentielle pour améliorer l’alliance thérapeutique nécessaire dans les

programmes de traitement.

Certains travaux se sont intéressés spécifiquement à la satisfaction des patients sur les

services proposés dans le contexte de restriction budgétaire aux États-Unis. Etherige et al.

(1995) ont ainsi comparé les résultats de deux importantes études de cohorte américaines, en

terme de satisfaction par rapport aux services rendus. La première étude de cohorte, l’étude

TOPS17, a été menée entre 1979 et 1981. La seconde étude, l’étude DATOS18, a été menée

entre 1991 et 1993. Entre ces deux périodes, la politique budgétaire a conduit à une

diminution des services proposés. Les auteurs ont mesuré une augmentation de l’insatisfaction

des patients quant aux services rendus dans l’étude DATOS. Etherige et al. n’ont pas mesuré

l’impact de l’insatisfaction sur l’issue du traitement. Cette perspective est par contre

envisagée dans d’autres travaux comme celui de Hser et al (1999) : lorsque les services

désirés ne peuvent être satisfaits, cela induit une baisse de la rétention en traitement.

17Treatment Outcome Prospective Study.

18 Drug Abuse Traetment Outcome Study.

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D’autres études se sont attachées à décrire de façon précise les effets ressentis par les

patients sous méthadone. Ces travaux ont toute leur importance : les patients toxicomanes

considèrent souvent que leur perception des effets des traitements de substitution est

insuffisamment prise en compte par les soignants. Une de ces études a été menée par Dyer et

al. (1997) à partir d’un échantillon de 114 patients australiens qui participaient à des

programmes méthadone. Le recueil précis et approfondi des effets décrits par les patients

permet à leur sens une modélisation des symptômes, susceptible de contribuer à identifier plus

facilement les patients en difficulté avec leur traitement.

Enfin, des auteurs se sont intéressés aux expériences de substitution « de rue » des

patients ou à d’autres formes d’ « auto-substitution ».

Hunt et al. (1984) ont ainsi mené des entretiens approfondis avec dix personnes ayant

réussi un sevrage d’héroïne par le biais d’injection de « speed-ball » (mélange d’héroïne et de

cocaïne). Ces patients ont été recrutés à partir d’un échantillon plus large de patients d’une

autre étude évaluant quatre programmes méthadone dans le nord-est des Etats-Unis. Tout en

reconnaissant les limites des perspectives thérapeutiques de cette étude, les auteurs perçoivent

la possibilité d’utiliser le savoir des patients sur la « pharmacologie de rue » (« street

pharmacology ») dans le domaine de la recherche sociale et biomédicale.

Koester et al. (1999) ont aussi utilisé une méthode qualitative pour évaluer

l’hétérogénéité des objectifs des patients à travers les traitements par méthadone. Leur

échantillon est constitué de 38 usagers injecteurs d’héroïne d’un quartier de Denver (Etats-

Unis) qui ont eu une expérience de traitement par méthadone. La recherche a été menée à

partir d’un guide d’entretien. Les chercheurs ont aussi pu approfondir avec les usagers les

points importants émergeant pendant l’entretien. Certaines des stratégies développées avec la

méthadone par les usagers ont ainsi pu être perçues. D’après cette étude, ce type de traitement

est parfois aménagé par les patients en fonction de leur besoin du moment, révélant ainsi des

formes d’auto-prescription. Certains patients peuvent ainsi utiliser la méthadone afin de

« faire une pause » dans leur consommation d’héroïne, par exemple pour des raisons

financières ou bien parce que l’usager a besoin de se tenir à l’écart du milieu de la drogue. Le

temps du traitement peut aussi permettre de répondre à d’autres besoins, comme les besoins

de santé. Des usagers ont aussi décrit la possibilité de « gestion de la dépendance » avec la

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méthadone. Cet aménagement permet à l’usager d’instaurer pendant le temps souhaité un

meilleur équilibre entre l’addiction et d’autres aspects de sa vie, comme la vie familiale ou

professionnelle. Enfin, l’usage de méthadone est souvent inclus dans les stratégies de

réduction des risques intégrées par les usagers, même s’ils poursuivent dans le même temps

une consommation d’héroïne. Les auteurs prennent ici l’exemple de patients sous méthadone

qui continuent de s’injecter de l’héroïne : en réduisant le craving, le traitement par méthadone

diminue la fréquence de l’injection. Dans la même idée, un usager stabilisé par le traitement

est plus susceptible de pratiquer une injection dans de « bonnes conditions » (seringue à usage

unique, désinfection locale…). Pour Koester et al., l’ensemble de ces objectifs doit être

reconnu des soignants. Ils peuvent en effet être une forme de « test » des traitements, avant un

réel engagement dans un programme méthadone. Le succès de ces approches à court terme

peut être intéressant pour améliorer les représentations du traitement par les patients : comme

d’autres auteurs, Koester et al. rappelle que l’adhésion au long cours des patients aux

traitements de maintenance implique la perte de leur identité et de leur rôle social en tant

qu’usagers de drogue. Pour beaucoup d’usagers, c’est dans ce sens le renoncement à l’image

du « rebelle » libre et marginalisé et l’acceptation de celle du patient « sous contrôle ». Cette

recherche appuie finalement sur la valeur et l’intérêt à porter quant aux perceptions des

patients toxicomanes sur le traitement, en particulier lorsqu’il s’agit de leur santé et de leur

bien-être.

5-2-2. Les études plus récentes

Les études publiées à partir des années 2000 traitent des représentations des patients

sous des angles divers. Elles se sont aussi davantage développées dans d’autres pays que les

États-Unis.

En Angleterre, Fountains et al. (2000) ont publié les résultats d’une recherche évaluant

la satisfaction des patients du sud-est de Londres sur les traitements qui leur sont proposés au

sens large. Ce travail a utilisé plusieurs méthodes, à la fois qualitatives et quantitatives. Trois

instruments de recherches ont été utilisés :

- une étude de satisfaction de patients en cours de traitements (N = 333) ;

- un questionnaire composé de questions ouvertes, proposé à des toxicomanes non pris

en charge (N=88);

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- des entretiens proposés à des « groupes cibles » (focus groups) de jeunes toxicomanes

non pris en charge (N=14), de patients hommes (N= 11) et femmes (N=7) en cours de

traitement.

À travers ces échantillons variés, l’objectif des auteurs était d’envisager les opinions des

patients « actuels », « anciens » ou « potentiels ».

Les personnes interrogées ont globalement une mauvaise opinion des services proposés. Ils

soulignent notamment l’inadéquation des services de médecine générale. La longueur des

listes d’attente pour obtenir un traitement par méthadone a aussi un effet très dissuasif pour

les usagers.

Hughes (2000) a étudié les opinions et les expériences des usagers de drogues par voie

intraveineuse concernant la prescription de produits de substitution dans les prisons anglaises.

Les résultats de la recherche proviennent d’entretiens approfondis et de discussions en petits

groupes. Les expériences des usagers sont très diverses quant aux pratiques cliniques et aux

molécules prescrites, allant parfois jusqu’à l’absence de toute prise en charge. Les usagers ne

sont pas satisfaits de cette hétérogénéité : ils ont manifesté la nécessité d’une harmonisation

des politiques concernant les drogues, à l’intérieur comme à l’extérieur de la prison. Hughes

souligne que ces opinions rejoignent les recommandations anglaises et internationales des

institutions.

Bourgois (2000) a proposé une analyse ethnographique sur la perception de la

méthadone par les usagers de drogues de rue. Il s’appuie sur le travail sociologique de terrain

qu’il a mené pendant plusieurs années dans le milieu marginalisé du crack et de l’héroïne aux

Etats-Unis. Bourgois place sa recherche dans la perspective des concepts de Foucault,

notamment celui du bio-pouvoir19. Une part importante de son travail souligne ainsi une

nouvelle fois le sentiment de contrôle social ressenti par les usagers avec les traitements par

méthadone. Cette perception engendre aussi la disqualification des patients sous traitement

dans leur propre milieu : en se « soumettant » aux règles de la substitution, ils deviennent

l’ « antithèse du rigthteous dope friend, figure valorisée d’indépendance et de résistance aux

lois et aux institutions » (Guichard et al. 2006). Les usagers insistent aussi sur les nombreux

effets secondaires de la méthadone. Ces « effets » peuvent aller d’un inconfort physique et

émotionnel certain à un sentiment d’aggravation de la dépendance. La dimension coercitive

19 Nous développerons davantage ce concept et ses liens possibles avec les traitements de substitution dans la partiediscussion.

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s’exerce en fait à leur sens sur les corps et les esprits. Cette recherche met en évidence avec

justesse les échanges permanents de la « relation » triangulaire entre les usagers, la société et

les professionnels en matière de toxicomanie. Ce type de travaux, par une vision de terrain

mise en perspective avec des outils issus des sciences humaines et sociales, permet en effet de

percevoir les enjeux importants des représentations sociales dans la prise en charge des

usagers de drogue. Cela interroge aussi de façon plus large le rapport au pouvoir et au

contrôle.

Au Canada, Fischer et al. (2002) ont mené une étude envisageant la perception des

traitements par méthadone chez les usagers sous plusieurs aspects. Cette étude a été publiée

au moment où des alternatives à la méthadone étaient discutées dans ce pays. La

méthodologie est qualitative : plusieurs entretiens ont été menés avec des groupes cibles.

Quarante-sept usagers de drogues par voie intraveineuse, ayant déjà eu ou non un traitement

pour leur dépendance, ont ainsi été rencontrés à Vancouver, Montréal et Toronto. Pour

certains de ces usagers, le traitement par méthadone permet une « stabilisation » et parfois une

amélioration de la vie quotidienne. Cet aspect a davantage été perçu par les personnes qui

suivaient un traitement au moment de l’enquête. Beaucoup d’usagers développent cependant

une vision négative du traitement. Comme dans plusieurs travaux, de nombreux effets

indésirables sont décrits tant sur le plan psychosomatique et sur l’aggravation de la

dépendance, que sur les habitudes de vie. L’insatisfaction quant aux effets ressentis engendre

aussi pour les usagers des co-dépendances (crack, cocaïne et benzodiazépines

principalement). La dépendance à la voie injectable est particulièrement mise en avant. Les

usagers soulignent à la fois l’importance de la préparation de l’injection et celle de la

pénétration de l’aiguille. À propos des équipes professionnelles, beaucoup rapportent le

manque de compréhension et d’intérêt, parfois associé à un manque de compétence (en

particulier pour les conseillers anciens toxicomanes). La vision du « traitement idéal » a été

très développée dans cette étude. Les objectifs de ce traitement sont variés parmi les usagers :

certains souhaitent par exemple cesser toute dépendance, d’autres veulent avoir un meilleur

contrôle de leur usage de drogues. De façon générale, il a été rappelé la nécessité d’adapter

davantage les pratiques aux besoins des usagers. Sur les modalités du traitement « idéal », le

principe de prescription d’héroïne médicalisée a beaucoup été repris : de nombreux usagers

qui ne voient pas de bénéfice a long terme des traitements par méthadone, pensent que cette

alternative est intéressante. Ils sont pour cela prêts à accepter un contrôle strict de délivrance

du traitement. Fisher et al. n’éludent pas la complexité du débat sur la prescription d’héroïne,

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ils défendent cependant l’idée, que dans un contexte où de nombreux usagers de drogues

canadiens en souffrance restent non traités, les alternatives au traitement habituellement

utilisé doivent être explorées.

Le travail de Fisher et al. a été commenté par plusieurs auteurs. Montagne (2002) a

souligné la congruence des résultats de l’étude avec les propos que les patients sous

méthadone échangent entre eux, prenant l’exemple d’un site de discussion d’une association

de patients aux États-Unis. Il a aussi rappelé le bénéfice que le recherche pouvait tirer des

connaissances des usagers sur un sujet où ils sont impliqués depuis longtemps. Rehm (2002) a

relevé l’importance d’un recueil qualitatif bien mené auprès des usagers pour améliorer les

pratiques entourant le traitement. Il nuance cependant les apports de ce type de méthodologie

pour évaluer les « effets » de la méthadone, en particulier lorsqu’il s’agit d’envisager des

évolutions thérapeutiques. Pour Rehm, les conclusions tirées de ces méthodes peuvent être

subjectives et coûteuses, dans un domaine où de nombreuses idéologies différentes ont déjà

eu cours.

L’équipe de Pérez de los Cobos a mené en Espagne plusieurs travaux pour évaluer la

satisfaction des patients sous méthadone. Ces auteurs sont à l’origine d’un outil spécifique de

mesure de satisfaction du traitement par méthadone : Le Verona Service Satisfaction Scale for

Methadone Treatment (VSSS-MT). Ils se sont inspirés du questionnaire VSSS, développé

notamment par Ruggeri, utilisé à plusieurs reprises dans différents pays pour mesurer la

satisfaction des patients en psychiatrie. Le VSSS-MT est un auto-questionnaire

pluridimensionnel à 27 items, adapté aux patients recevant un traitement par méthadone en

Espagne. La satisfaction est mesurée selon quatre axes : les « interventions de base »

(délivrance de méthadone par les infirmières et les médecins), les « interventions

spécifiques » (interventions sociales, travail de psychothérapie, organisation d’activités), la

perception de la compétence des travailleurs sociaux, et le bénéfice retiré du suivi

psychologique. Un axe plus global a mesuré la satisfaction par rapport à la prise en charge

générale. Chaque item offre cinq possibilités de réponses, cotées par des scores allant de 1

(mauvais) à 5 (excellent) (Pérez de los Cobos et al. 2002).

Une première recherche (Pérez de los Cobos et al. 2004) a donc cherché à percevoir la

satisfaction des patients en Espagne dans différents lieux de délivrance de méthadone. Trois

cents soixante-dix patients ont répondu au VSSS-MT dans 14 centres de soins, 2 unités

mobiles (bus), et 4 prisons. Les résultats dans les prisons se sont avérés trop différents de ceux

recueillis dans les autres endroits, les auteurs les ont donc analysés séparément. La majorité

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des résultats portent donc sur les 308 patients recrutés dans les centres de soins et les unités

mobiles. Pérez de los Cobos et al. ont considéré les patients comme « satisfaits» ceux qui

donnaient des scores supérieurs ou égals à 3 et « insatisfaits » les patients qui cotaient leurs

réponses avec des scores inférieurs à 3. Parmi ces 308 patients, la prise en charge générale

était jugée comme insatisfaisante pour 15,9% des patients et satisfaisante pour 84,1% des

patients ; 16% des patients sont insatisfaits des interventions de base et 84% sont satisfaits ;

pour les interventions spécifiques 45,4% versus 54,6% ; à propos des travailleurs sociaux

33,8% versus 66,2% ; pour le suivi psychologique 38,5% versus 61,5%. La seule variable

associée de façon spécifique à la satisfaction des patients a été le nombre d’heures passées par

les patients dans les structures de soins. L’analyse finale des résultats a amené les auteurs à

conclure que les patients sont légèrement satisfaits des services reçus, malgré une satisfaction

sur la prise en charge générale importante. La satisfaction est plus importante par rapport aux

« interventions de base ». Les moins bons résultats sur les interventions spécifiques sont liés,

d’après les auteurs, à la divergence des opinions et des pratiques sur le travail social et

psychothérapique.

Une autre étude utilisant le VSSS-MT a été publiée en 2005 par Pérez de los Cobos et

al.. Cette recherche menait plusieurs types d’évaluation :

- l’ajustement de la posologie de méthadone souhaité par les patients, à l’aide d’une

échelle visuelle analogique ;

- la perception du patient quant à son implication dans les ajustements de posologie, à

l’aide de trois questions simples ;

- la satisfaction du patient, mesurée par le VSSS-MT.

Ces outils ont été proposés dans le cadre de l’étude à des patients traités par méthadone dans

la région de Valence (Espagne) dans une quarantaine de structures (centres de soins, unités

mobiles, hôpitaux). Cent soixante-cinq patients ont répondu à l’ensemble du questionnaire.

Les résultats de l’étude montrent que les deux tiers des patients interrogés sont satisfaits de la

méthadone pour traiter leur dépendance en opiacés, en particulier les femmes. 35,5%

souhaitent un ajustement de la posologie vers le bas et 41,6% des patients ne souhaitent pas la

modifier. La posologie moyenne de méthadone pour les patients recrutés est de 68 mg par

jour. En comparant leurs résultats avec ceux d’autres études, les auteurs soulignent que les

patients auraient plutôt tendance à souhaiter une augmentation de la posologie lorsqu’il sont

en moyenne à 50 mg par jour et à la baisse lorsqu’ils reçoivent une posologie plus élevée. Les

patients pourraient ainsi considérer une posologie élevée comme un obstacle à l’arrêt du

traitement qui reste un objectif important pour la majorité des patients. La satisfaction

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mesurée par le VSSS-MT montre une satisfaction plus importante des patients traités avec une

posologie inférieure à 60 mg par jour. Il n’y a pas de relation entre la satisfaction et le désir

d’ajustement des doses. Le seul facteur prédictif de la satisfaction mis en évidence par les

auteurs, est le souhait des patients d’être informés des modifications de traitement (dans les

structures de soins où les patients ont été recrutés, seuls 29% connaissent la posologie dont ils

bénéficient).

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DEUXIÈME PARTIE

- OBJECTIF ET HYPOTHÈSE

Notre objectif principal sera de décrire les représentations que peuvent avoir les

patients toxicomanes de la buprénorphine haut dosage et de la méthadone. Nous nous

appuierons dans notre recherche sur les notions de modèles explicatifs et de secteurs de soins

tels qu’elles sont définies par Kleinman (1980). Le traitement est l’un des cinq axes des

modèles explicatifs existant selon Kleinman à l’intérieur de chaque système de soins

(populaire, traditionnel et professionnel). L’instrument utilisé pour explorer les

représentations des médicaments de substitution aux opiacés, dans les modèles explicatifs des

patients, sera l’EMIC (Weiss 1997 et 2001).

Nous faisons l’hypothèse que ces représentations sont variées et hétérogènes parmi la

population qui utilise les TSO, même si un discours commun peut parfois se révéler. Elles

pourraient influencer la construction de la relation thérapeutique.

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- PATIENTS ET MÉTHODE

Ce travail s’intègre dans le Protocole Hospitalier de Recherche Clinique (PHRC)

présenté en introduction, qui a été dirigé par le Pr. Marie Rose Moro dans le service de

Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent et de Psychiatrie générale de l’hôpital

Avicenne (AP-HP), université Paris 13 à Bobigny.

Nous allons présenter ici la partie du PHRC concernant les représentations des

patients, et plus particulièrement la partie de l’EMIC concernant les représentations des TSO.

L’ensemble de la partie du PHRC portant sur les patients a fait l’objet d’un travail de

recherche mené par le Docteur Olivier Taïeb (Taïeb 2006), certains de ces résultats seront mis

en perspective avec les nôtres. La partie du PHRC s’intéressant aux représentations des

professionnels a fait l’objet d’un rapport préliminaire (Biadi-Imhof 2006), dont nous

exploiterons plusieurs données dans la partie discussion.

1- Les patients

1-1. Les critères d’inclusion

L’âge des patients devait être supérieur ou égal à 18 ans au moment de l’inclusion.

Pour définir les troubles, les critères diagnostiques de dépendance à une substance du DSM-

IV (APA 2003) ont été choisis. Ont donc été inclus tous les patients présentant une

dépendance actuelle (c’est-à-dire sur les 12 derniers mois précédant l’inclusion) à au moins

l’une des substances suivantes :

- les opiacés (héroïne, morphine, codéine…) , y compris les traitements par agonistes opiacés

(buprénorphine haut dosage et méthadone) qu’ils soient pris de façon conforme aux

prescriptions médicales ou qu’ils soient détournés de leur usage ;

- les stimulants (amphétaminiques…) ;

- la cocaïne (et le crack) ;

- le cannabis ;

- les hallucinogènes (LSD, ecstasy…) ;

- et/ou les solvants volatiles.

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Les patients présentant une dépendance actuelle à l’alcool et/ou aux sédatifs et hypnotiques ou

anxiolytiques, et/ou à la nicotine sans présenter une dépendance actuelle à au moins une des

substances de la liste ci-dessus n’ont pas été inclus.

1-2. Le site

Il s’agit d’une recherche unicentrique réalisée avec des patients du service de

Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent et de Psychiatrie générale du Pr. Marie Rose

Moro, à l’hôpital Avicenne (AP-HP), Université Paris 13, à Bobigny. Les patients ont été

inclus dans l’étude par les psychiatres et les médecins qui travaillent dans les deux unités du

pôle Addictions du service, l’équipe de coordination et d’interventions auprès des malades

usagers de drogues (ÉCIMUD) et le centre de soins spécialisés pour patients toxicomanes

(CSST) Boucebci. L’ÉCIMUD est une équipe de liaison chargée des soins (psychiatriques,

psychologiques et socio-éducatifs) intrahospitaliers dans les différents services de médecine

(urgences, médecine interne, maladies infectieuses, hépato-gastro-entérologie…) et de

chirurgie de l’hôpital Avicenne. Le centre Boucebci est, lui, chargé des soins (psychiatriques,

médicaux, psychologiques et socio-éducatifs) extrahospitaliers.

La participation à la recherche a été proposée de façon consécutive à tous les patients

présentant les critères d’inclusion et pris en charge par le pôle Addictions entre mai 2000 et

avril 2004. L’inclusion et la passation ont donc eu lieu dans le cadre soit d’une hospitalisation

en liaison avec l’ECIMUD, soit d’un suivi ambulatoire au CSST.

Le consentement libre et éclairé a été obtenu pour tous les patients inclus.

2- La méthode

2-1. La procédure

La partie du PHRC concernant les patients s’inscrit dans une étude longitudinale

composée d’un entretien initial et d’un entretien de suivi, proposé un an après la fin de

l’entretien initial. L’outil principal de ces entretiens est l’EMIC, dont nous avons décrit la

structure générale proposé par Weiss (1997 et 2001) dans la première partie de ce travail.

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Notre recherche s’intéressera à la partie de l’EMIC explorant les représentations des TSO

chez les patients toxicomanes, seul l’EMIC de l’entretien initial sera utilisé. L’entretien de

suivi n’a été proposé qu’aux patients ayant achevé l’entretien initial. Tous les entretiens ont

été réalisés dans le service de Psychopathologie de l’hôpital Avicenne, dans l’une des deux

unités décrites ci-dessus, par une équipe de chercheurs, tous cliniciens, psychiatres, médecins,

psychologues, ou intervenants en addictologie, ayant été formés et entraînés à la passation des

différents instruments. Des réunions de l’équipe ont eu lieu tous les mois pendant la durée de

la recherche. L’entretien de recherche était passé par un clinicien distinct de l’équipe référente

du patient pour différencier l’espace de la recherche de l’espace des soins. L’EMIC est un

entretien dont la passation est longue, il était le premier instrument d’évaluation utilisé dans

l’entretien initial, suivi des autres instruments. La durée totale de l’entretien initial était donc

longue, environ 4 à 5 heures, et devait se dérouler en deux ou trois fois. Avec l’accord des

patients, les EMIC ont été enregistrés pour permettre la retranscription des discours.

2-2. L’EMIC et les autres instruments de l’entretien initial

2-2-1. L’EMIC- Dépendance aux Drogues (EMIC-DD)

Le cadre donné par l’EMIC a été adapté au trouble étudié (la dépendance aux

drogues), au contexte local (le département de la Seine-Saint-Denis) et à la population étudiée

(nombreux enfants de migrants). La section 5 de l’EMIC (cf. Annexe), que nous détaillerons

plus précisément, aborde les représentations des patients vis-à-vis de la BHD et de la

méthadone, sujet de notre travail.

L’adaptation et la traduction en français de l’EMIC ont été réalisées, avec l’accord et

la collaboration du Pr. Mitchell G. Weiss (département de Santé publique et d’Epidémiologie,

Institut Tropical Suisse, université de Bale) par une équipe de cliniciens et de chercheurs

(psychiatres et psychologues) ayant pour la plupart une expérience clinique dans le champ des

addictions et en psychiatrie transculturelle dans le service de Psychopathologie du Pr. Marie

Rose Moro à l’hôpital Avicenne. Cette équipe, par son expérience, a ainsi réalisé un travail

clinique et ethnographique en établissant les listes des symptômes, des théories étiologiques et

des recours aux soins, comme l’équipe du Pr. Mitchell G. Weiss le recommande (Weiss

2001). La structure générale de l’EMIC a été conservée. Plusieurs versions ont été élaborées

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et utilisées de façon exploratoire avec des patients jusqu’à la version définitive : l’EMIC -

Dépendance aux Drogues - Version 2 (EMIC-DD-V2) (Taïeb 2006).

L’EMIC-DD-V2 comporte six parties (ou sections) :

- 1e partie : Les modalités d’expression de la souffrance (patterns of distress) et les

représentations des troubles.

Cette partie explore également l’éventuelle utilisation de la voie injectable pour les drogues,

les recours aux soins, les représentations soulevées par le terme toxicomanie, le

retentissement sur l’esprit, le corps et/ou les relations sociales, le degré de gravité perçue, le

sentiment d’une continuité du problème en cas de changement d’objet d’addiction, et les

éventuels changements perçus et l’évolution attendue avec ou sans prise en charge.

- 2e partie : La stigmatisation perçue (stigma)

Cette partie évalue l’existence d’un secret autour de la toxicomanie, les possibles sentiments

de honte et de culpabilité.

- 3e partie : Les théories étiologiques (perceived causes)

Cette partie aborde l’origine du problème selon le patient. Afin d’explorer ce qui se dit parmi

les proches et de permettre au patient d’évoquer certains sujets sans se les approprier

totalement, il lui est également demandé si des membres de sa famille ou de son entourage ont

formulé des propositions sur l’étiologie et s’il y adhère.

- 4e partie : L’itinéraire thérapeutique (help-seeking behaviors)

Cette partie explore les recours aux trois secteurs du système de soins selon Kleinman

(1980) : les secteurs populaire, traditionnel et professionnel quels qu’ils soient (médicaux,

psychiatriques, psychologiques, socio-éducatifs, associatifs, communautaires…). Elle évalue

également les éventuels soins imposés, le premier recours aux soins, le recours aux soins qui a

le plus aidé, le recours actuel au soin et les objectifs du traitement.

- 5e partie : Les représentations des traitements de substitution de la dépendance aux opiacés

(buprénorphine haut dosage et méthadone)

C’est la partie que nous avons plus spécifiquement étudiée. Elle a été construite pour les

besoins de l’étude. Comme dans les autres parties de l’EMIC, le patient s’exprime d’abord sur

des questions larges et ouvertes, puis les questions sont plus ciblées afin de répondre aux

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objectifs de la recherche. Il est d’abord demandé au patient s’il a déjà pris au moins une fois

dans sa vie de la BHD (Subutex) ou de la méthadone. Nous précisons ici que le patient peut

répondre aux questions même s’il a eu des expériences très courtes avec ces produits, obtenus

avec ou sans prescription médicale. Les questions sont d’abord posées pour la BHD puis pour

la méthadone (cf. Annexe). Lorsque le patient a déjà pris l’un des deux TSO, il relate:

- les effets ressentis, question 5.1.2. pour le Subutex et 5.2.2. pour la méthadone ;

- la condition de la première obtention des produits, question 5.1.3. pour le Subutex et

5.2.3. pour la méthadone, trois items sont proposés pour cette question : « sur

prescription d’un médecin » (item 1), « donné par un proche » (item 2), « acheté dans

la rue » (item 3) ;

- le but des traitements d’après lui, question 5.1.5. pour le Subutex et 5.2.4. pour la

méthadone ;

- les avantages (item 1) et les inconvénients (item 2) des deux médicaments, question

5.1.6. pour le Subutex et 5.2.5. pour la méthadone.

Pour la BHD, la question des usages par voie injectable et par voie nasale a été abordée. Il est

demandé au patient s’il lui arrive d’injecter le Subutex (question 5.1.4.1.), cinq items sont

proposés : « jamais » (item 1), « parfois » (item 2), « souvent » (item 3), « toujours » (item 4),

« ne dit pas » (item 5). Le patient exprime ensuite les raisons de cette conduite lorsqu’elle

existe (question 5.1.4.2.), le patient peut parfois expliquer aussi pourquoi il n’a pas cette

pratique. Il est ensuite demandé au patient s’il lui arrive de « sniffer » le Subutex, un schéma

de réponse identique à la question sur la voie injectable est proposé (question 5.1.4.3. et

5.1.4.4.). À la fin de la section 5, il est demandé au patient quelles sont, pour lui, les

différences entre le Subutex et la méthadone, le patient peut parfois répondre à cette question

même s’il n’a l’expérience que de l’un des deux produits.

- 6e partie :

Elle vise à recueillir les opinions du patient sur l’entretien qu’il vient de passer et les

commentaires du chercheur essayer de percevoir ses contre-attitudes.

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2-2-2. Les autres instruments de l’entretien initial

Le MINI

C’est un entretien diagnostic structuré bref construit conjointement aux Etats-Unis et

en France permettant d’explorer de façon standardisée les critères diagnostics nécessaires à

l’établissement de l’axe I du DSM-IV20 et de la CIM-10. Plusieurs diagnostics actuels ou

passés ont ainsi été explorés dans l’entretien initial. Afin de décrire les diagnostics de

dépendance actuelle de notre échantillon, nous nous servirons des résultats du MINI

concernant la dépendance et l’abus de substances (alcool, opiacés, stimulants, cocaïne,

hallucinogènes et phencylidine, cannabis, solvants volatiles, sédatifs et hypnotiques et

d’autres substances). La prise conforme à une prescription médicale ou détourné de son usage

de BHD et de méthadone a été précisée. Un questionnaire sur les consommations des

différentes catégories de substances a été ajouté pour compléter les informations du MINI.

L’Addiction Severity Index (ASI)

L’ASI a trois principaux intérêts : permettre une évaluation pluridimensionnelle,

intégrer des données recueillies par auto- et hétéro-évaluation, et explorer par des items

différents les 30 derniers jours et la « vie entière ». L’évaluation pluridimensionnelle n’est pas

uniquement centrée sur les consommations de produits mais prend en compte d’autres aspects

du quotidien du patient. Sept dimensions sont explorées de façon indépendante : l’état

médical, l’emploi et les ressources, les relations familiales et sociales, l’usage d’alcool,

l’usage de drogues, la situation légale et l’état psychiatrique.

Les données socio-démographiques de notre étude sont issues des items de l’ASI. Un

questionnaire a été rajouté pour connaître le statut sérologique des patients pour le VIH et le

VHC.

Le questionnaire sur les antécédents familiaux et le génogramme, l’inventaire de dépression

de Beck (Beck Depression Inventory) (BDI), l’échelle d’alexithymie de Toronto (Toronto

Alexithymia Scale) (TAS-20).

Ces instruments faisaient également partie de l’entretien initial, leurs résultats ne

seront pas utilisés dans notre travail. Nous les citons à titre indicatif. Pour le génogramme, le

chercheur devait établir avec le patient, son ascendance sur trois générations et recueillir

20 Syndromes cliniques et autres situations qui peuvent faire l’objet d’un examen clinique.

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74

parallèlement son discours. Le BDI est un auto-questionnaire, il fournit un score global de

l’intensité d’un syndrome dépressif (de 0 à 39) et n’a pas de valeur diagnostique. Le TAS-20

est également un auto-questionnaire. C’est une échelle visant à mesurer l’alexithymie, qui

désigne l’incapacité du sujet à verbaliser ses émotions ou ses sentiments. L’alexithymie est

fréquemment présente dans les conduites addictives.

2-3 L’analyse des résultats

La retranscription des EMIC, la saisie de toutes les données, l’analyse de la

reproductibilité des mesures et l’analyse statistique ont été réalisées sous la direction du Pr.

Sylvie Chevret, au DBIM, à l’hôpital Saint-Louis.

L’analyse statistique descriptive a été réalisée sur le logiciel SAS 9.1 sur Windows

XP. Les données quantitatives ont été résumées par leur valeur moyenne (+/- écart-type) et

leur médiane (valeur minimale – valeur maximale). Nous retrouverons ces données dans la

description socio-démographique de notre échantillon.

Notre analyse a cependant été essentiellement qualitative, à partir de la section 5 de

l’EMIC, portant sur les représentations de la BHD et de la méthadone par les patients. Nous

avons réalisé une analyse du contenu du discours des patients.

Les représentations du traitement médicamenteux par le patient ne sont pas à

considérer isolement de son histoire dans la toxicomanie. C’est la raison pour laquelle nous

utiliserons, comme nous l’avons précisé plus haut, certains résultats obtenus dans d’autres

parties de l’EMIC, notamment celles concernant la notion d’itinéraire thérapeutique (section

4) et les modalités d’expression de la souffrance (section 1). Les données qualitatives sont

exprimées sous forme d’effectif de classe (avec pourcentages sur les données disponibles). Le

plan choisi pour exposer les résultats est celui de l’ordre des questions posées lors de

l’entretien. Pour les questions posées sur les deux traitements (effets, circonstances de la

première obtention, but, avantages et inconvénients), nous donnons d’abord les résultats pour

la BHD, puis ceux pour la méthadone.

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- RÉSULTATS

1- Patients inclus et données socio-démographiques et médicales

1-1. Patients inclus

Deux cents patients ont participé à la recherche entre mai 2000 et avril 2004. Cent

soixante huit d’entre eux ont donné leur consentement et ont été inclus. Parmi ces 168

patients, 71 ont terminé leur entretien initial. Un cahier a été perdu. Pour traiter la question

des représentations des traitements de substitution, on s’intéressera aux patients ayant déjà

pris au moins une fois soit de la méthadone, soit de la BHD, soit les deux. Au sein des 70

patients restant après la perte d’un cahier (le cahier 47), 3 patients n’ont jamais pris ni

méthadone, ni BHD21. La plupart des résultats seront donc issus des données obtenues pour

les 67 patients restants.

Parmi ces 67 patients, 66 ont déjà pris au moins une fois de la BHD (BHD+), 40 ont

déjà pris au moins une fois de la méthadone (M+). Le tableau 8 résume la répartition des

patients en fonction de la prise ou non des deux traitements étudiés.

Tableau 8 : Récapitulatif de la prise de méthadone et/ou de BHD (prévalence vie entière) pour les 70 patientsdont on possède les réponses sur les représentations des traitements de substitution

BHD+ : patients ayant déjà pris au moins une fois de la BHDM+ : patients ayant déjà pris au moins une fois de la méthadoneBHD+/M+ : patients ayant déjà pris au moins une fois de la BHD et de la méthadoneBHD+/M- : patients ayant déjà pris au moins une fois de la BHD et n’ayant jamais pris de méthadoneBHD-/M+ : patients n’ayant jamais pris de la BHD et ayant pris au moins une fois de la méthadoneBHD-/M- : patients n’ayant jamais pris ni méthadone ni BHD

21 Dans la partie « résultats », le nom commercial de la BHD, le Subutex, sera plus régulièrement employé que dans lesautres parties de notre travail: c’est en effet sous cette appellation que la BHD est le plus souvent désignée par les patientsdans leurs réponses. L’étude a eu lieu avant l’apparition du médicament générique.

BHD+ BHD-

M+ BHD+/M+= 39 BHD-/M+=1

M- BHD+/M-=27 BHD-/M-=3

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1-2. Données socio-démographiques

Les données socio-démographiques et médicales proviennent des données obtenues

pour les 70 patients.

Nous n’avons pas ici différencié les patients selon leur expérience personnelle de la

méthadone ou de la BHD. En effet, il s’agissait de recueillir l’opinion des patients sur les

deux molécules, et non de comparer le comportement et les caractéristiques des patients en

traitement, à l’inverse d’autres études (AIDES-INSERM 2001, Guichard et al. 2003). Comme

nous l’avons précisé dans la méthode, certains patients ayant terminé leur entretien initial

n’ont pris de la méthadone ou de la BHD qu’une fois, parfois hors prescription médicale .

D’autres ont commencé leur traitement depuis très peu de temps. Enfin il arrive que des

patients n’ayant l’expérience que de l’un des deux traitements, s’expriment aussi sur l’autre.

Dans ces conditions, il est difficile de définir un patient par son TSO, même si cela à parfois

du sens pour certaines des personnes interrogées, ce que nous préciserons au cas par cas.

Le tableau 9 présente donc les données socio-démographiques de l’ensemble des

patients ayant terminé leur entretien initial, incluant donc également les 3 patients n’ayant

jamais pris de méthadone ni de BHD.

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Tableau 9: Principales données socio-démographiques des 70 patients ayant terminé l’entretien initial

Total = 70Sexe (N) (%) :- Masculin- Féminin

62 (88,6)8 (11,4)

Age moyen (+/- écart-type) et extrêmes (années) 36,1 (+/-6,12) (18-49)Patients externes au moment de l’inclusion (N) (%)Patients hospitalisés au moment de l’inclusion (N) (%)

45 (64,3)25 (35,7)

Lieu d’habitation des patients (N) (%) :- Seine Saint-Denis- Autres départements d’Ile de France- Province

61 (87,1)8 (11,4)1 (1,4)

Lieux de naissance des patients (N) (%) :- France- Algérie/Maroc/Tunisie- Europe de l’Ouest- Europe de l’Est et centrale- Afrique subsaharienne

59 (84,3)7 (10)1 (1,4)1 (1,4)2 (2,9)

Patients migrants de 1e génération (N) (%)Patients migrants de 2e génération (N) (%) :- avec les deux parents nés à l’étranger- avec un seul des deux parents nés à l’étranger, l’autre né en FrancePatients dont les deux parents sont nés en France (N) (%)

11 (15,7)

20 (28,6)11 (15,7)28 (40)

Langues maternelles des patients (N) (%) :- Français- Arabe algérien, kabyle, berbère algérien- Autres langues européennes

55 (78,6)9 (12,9)6 (8,6)

Niveau moyen d’études (+/- écart-type) (extrêmes) (année) 9,4 (+/-2,37) (5-15)Catégorie socioprofessionnelle (N) (%) :- Ouvriers- Employés- Professions intermédiaires- Artisans et commerçants- Cadres et professions libérales- Sans travail (inactifs non retraités et chômeurs)

34 (48,6)13 (18,6)

6 (8,7)2 (2,9)2 (2,9)

13 (18,6)État civil (N) (%) :- Célibataires- Marié(e)s ou vivant en concubinage- Séparé(e)s ou divorcé(e)s- Veuf(ve)s

41 (58,6)20 (28,6)8 (10,4)1 (1,4)

Revenu moyen (extrêmes) (euros) 109,9 (0-915)

1-3. Les types de dépendances (MINI)

Les dépendances actuelles (sur les 12 derniers mois) (Tableau 10) les plus fréquentes

sont celles aux opiacés (en dehors des patients traités par agonistes opiacés non détournés de

leur usage), à la cocaïne (et au crack), à l’alcool, au cannabis et aux sédatifs et hypnotiques.

La dépendance à la nicotine n’a pas été évaluée.

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À propos des traitements par agonistes opiacés, 37 patients (52,9%) ont suivi une

prescription médicale de BHD et/ou de méthadone au cours des 12 derniers mois : 20 pour la

méthadone, 15 par BHD et 2 par les deux médicaments.

Tableau 10 : Diagnostics DSM-IV de dépendances et d’abus actuels et passés à l’alcool et de dépendancesactuelles aux autres substances (N=70 patients

*Diagnostic exploré uniquement sur les 12 derniers mois

1-4. Prévalences des infections à VIH et à VHC

Parmi les 70 patients ayant terminé leur entretien initial, 22 (31,4%) ont une infection

à VIH, traitée par des médicaments antiviraux pour 18 d’entre eux. Cinq (7,1%) ne

connaissent pas leur statut sérologique par rapport au VIH et 43 (61,4%) sont séronégatifs

pour le VIH.

Toujours parmi les 70 patients ayant terminé leur entretien initial, 42 (60%) ont une

infection à VHC. Cette infection est traitée par un traitement comprenant de l’interféron alpha

actuellement pour 4 d’entre eux et l’a été dans le passé pour 5 d’entre eux. Dix (14,3%) ne

connaissent pas leur statut par rapport au VHC et 18 (25,7%) sont séronégatifs pour le VHC.

Parmi les 22 patients qui ont une infection à VIH et les 42 qui ont une infection à

VHC, 17 (24,3%) ont une co-infection VIH-VHC.

L’ensemble de ces diagnostics est déclaratif.

Diagnostics DSM-IV Nombre de patientsavec un diagnosticde trouble actuel(% sur 70)(12 derniers mois)

Nombre de patientsavec un diagnosticde trouble passé(% sur 70)

Dépendance à l’alcool 21 (30%) 21 (30%)

Abus d’alcool 11 (15,7%) 14 (20%)

Dépendance aux stimulants* 5 (7,1%)

Dépendance à la cocaïne* 22 (31,4%)

Dépendance aux opiacés (hors traitements par agonistesopiacés)*

36 (51,4%)

Dépendance aux hallucinogènes* 4 (5,7%)

Dépendance aux solvants volatiles* 0

Dépendance au cannabis* 20 (28,6%)

Dépendance aux sédatifs et/ou aux hypnotiques* 15 (21,4%)

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2- Les effets des traitements de substitution selon les patients toxicomanes

Cette question entraîne une grande diversité de réponses. En effet, la question est

posée de manière très ouverte et va induire des réponses variées selon la position prise, de

manière consciente ou non, par la personne interrogée. D’un point de vue sémantique, il existe

plusieurs niveaux de compréhension du mot « effet ». Proche de la définition de la maladie du

malade et de la maladie du médecin de Canguilhem (1966), les « effets » d’une molécule

peuvent être la description du ressenti des patients, dans un sens très large incluant à la fois

des conséquences physiques, psychiques et parfois sociales, de la même façon que le patient

« ressent » sa maladie. Les « effets » peuvent être aussi compris dans le sens des

conséquences biomédicales ou psychiatriques de la molécule, de la même façon que les

médecins décrivent les symptômes d’une maladie. L’effet de la méthadone ou de la BHD peut

donc être entendu au sens de l’impact sur la vie des patients, et peut aussi répondre à une

définition plus médicale, où seront évoqués plus volontiers l’absence d’effet (absence d’effet

euphorisant par exemple), et les effets indésirables. Dans leurs réponses, les patients vont tour

à tour utiliser les différents sens possibles au mot « effet ».

Dans le sens subjectif du mot « effet », de ce que le patient ressent à la prise d’un

traitement, l’arrêt des symptômes de manque tient une place de premier ordre pour la BHD

comme pour la méthadone. Une fois ce soulagement primordial réalisé, une série d’effets

ressentis comme plutôt positifs sera détaillée par les patients interrogés.

Toujours dans un sens subjectif, une partie des patients emploiera pour décrire les

effets de la méthadone ou de la BHD, le même vocabulaire que celui employé pour la drogue.

L’absence d’effet euphorisant ou de « montée », telles que peuvent se les représenter

les médecins22 , est aussi la réponse que feront certains patients. Cela peut entraîner, pour une

partie d’entre eux, une déception plus ou moins importante. Cette quête d’un effet qui

ressemblerait à celui de la drogue peut d’ailleurs être à l’origine d’usages détournés, avec

satisfaction ou non de la recherche d’ « effet ». Des effets lors des mésusages, en particulier

pour la BHD, seront donc également décrits par les patients, ils seront retrouvés dans la partie

consacrée aux usages détournés. Une absence d’effet peut cependant aussi signifier pour le

patient que son traitement n’est pas efficace.

22 Cf. première partie, paragraphes 2-2-3. et 2-3-4.

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Loin d’être toujours un succès, la prise d’un traitement de substitution peut entraîner

un vécu très négatif pour les patients. Ces patients rapporteront les effets des TSO en des

termes très péjoratifs. Enfin les traitements de substitution entraînent des effets qui ne sont pas

univoques et la « relation » avec ce traitement est parfois complexe.

2-1. La BHD

Soixante-trois patients (95,4%)23 ont répondu à la question sur les effets de la BHD, 3

patients ayant déjà pris au moins une fois de la BHD ne répondent pas à la question.

2-1-1. Des effets sur le corps et l’esprit

L’arrêt du « manque »

Par l’angoisse massive qu’il peut générer, par les douleurs parfois insupportables dont

il est à l’origine, le « manque » tient de façon évidente une place importante dans les histoires

des toxicomanes. Le manque, au-delà du besoin compulsif d’une recherche d’effet, dont la

satisfaction s’avère parfois très difficile, tend à remplir le quotidien d’un usager de drogue :

c’est une course, une «galère » permanente pour éviter à tout prix cet état.

Dans la partie de l’EMIC consacrée aux modalités d’expression de la souffrance (section 1),

le manque est évoqué spontanément par 18 patients sur 70 (25,7%).

Par exemple le patient 16924:EMIC n°169 (H-37 ans) : Q. 1.1.2. : Et bah déjà tout un organigramme à mettre en route pour n'être jamais enmanque. Alors calculer quelle pharmacie sera de garde, quelle pharmacie sera ouverte, quelle pharmaciedistribue jusqu'à tant de boîtes, et tout ça. Tout ça, ouais, ça a joué quoi. Si vous voulez avant, quand j'étais plusjeune, que je me shootais, je me réveillais c'était heu... Hop... Qu'est-ce que je vais faire aujourd'hui commeconnerie pour trouver 10 sacs pour m'acheter un quet-pa, et bah là, c'était bon. Alors, bon j'attaquais par où ?Bah j'allais à la pharmacie là-haut, après je descends à celle-là, après je vais là-bas, enfin... En passant je passeau supermarché prendre ma bière... C'était ça... quoi. Ca tournait uniquement autour de ça (…).

23Les pourcentages, à l’intérieur des paragraphes concernant chaque produit, sont exprimés par rapport au nombre de

patients ayant pris au moins une fois le produit (à quelques exceptions près qui seront précisées). Les pourcentages sont doncexprimés sur 66 patients pour la BHD et sur 40 patients pour la méthadone.24 Les patients sont désignés par des numéros (de 1 à 200) qui indiquent l’ordre de proposition de la recherche. La recherchea été proposée à 200 patients, 168 ont été inclus. Parmi eux, 71 ont terminé leur entretien initial. Un cahier ayant été perdu,les résultats portent sur ces 70 patients. Dans les entretiens, le sexe est indiqué (H = homme, F = femme) et l’âge. Tout ce quedit le chercheur est retranscrit en italique.

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Lorsque l’on pose la question des effets, 31 patients sur 66 (46,9%) relient la prise de BHD à

l’éloignement du manque.

L’arrêt du manque est ainsi directement nommé par 20 patients (30,3%). Par exemple par les

patients 1 et 198 :EMIC n°1 (H-44 ans) : Q 5.1.2. : Heu…sortir le manque. Comment dire? Ça décontracte un peu, quoi… çadécontracte. (…) et puis le Subutex, ça fonctionne sans que vraiment on sente qu'on a pris quelque chose pourse soigner, quoi. Des fois, quand je l'oublie, ça m'arrive, je le prends le matin, et des fois l'après-midi, je ne l'aipas pris, bah je me sens mal, hein, je me sens tendu, nerveux, heu... un peu en sueur, un peu... un état demanque quoi... Je le prends, et tout de suite, une demi-heure... (...) On n'a pas l'impression qu'on a pris quelquechose pour éviter d'être mal (…) On reste soi-même, mais on n'a plus les douleurs du manque qu'on s'imagine,quoi. (…)

EMIC n°198 (H-34 ans) : Q 5.1.2. : Comment vous dire ça… La première fois que j'ai pris du Subutex, j'allais êtreen manque, ça m'a vachement soulagé, quoi… Ouais, ouais. Ouais, j'ai vachement apprécié le Subutex… je m'enrappellerai toujours… ça m'a vachement aidé, quoi, vachement soulagé, quoi, parce que je commençais àangoisser, je sentais le manque qui arrivait, et le Subutex a effacé tout ça, quoi, toute l'angoisse, tout le stressque j'avais. Et cet effet de manque qui arrivait aussi, quoi.

Pour le patient 50, seule la connaissance du manque permet de se rendre compte d’un effet du

Subutex.EMIC n°50 (H-31ans) : Q 5.1.2. : Il n'y a aucun effet. Il y a juste l'effet, quand… au début… Au début, j'étais…j'étais… j'étais… sous héroïne, alors quand on n'a pas d'héroïne, on est en manque et le Subutex, il enlève cemanque-là. C'est tout ce qu'il fait. Ni il défonce, ni il fait planer, ni... ni rien d'autre quoi... ni il t'enlève heu... bah situ es anxieux, bah ça ne t'enlèvera rien du tout. Ça t'enlève juste le manque. Juste ça. C'est tout. Alors, il n'y aaucun effet. Il y a un effet de soulagement, voilà... du soulagement de ne plus avoir mal au dos, ne plus avoir desfrissons, ou de ne plus bailler ou ne plus... voilà un soulagement du... autrement il n'y a aucun effet vraimentqu'on pourrait percevoir...si on n'avait pas ce manque-là, bah on ne pourrait pas voir l'effet que ça fait, je veuxdire.

Pour le patient 120, lorsqu’il décrit les avantages du Subutex, si le contrôle du manque est

important, il concerne uniquement la période de l’hospitalisation où la prise de Subutex va

permettre de pallier à la souffrance de l’absence de drogue.EMIC n°120 (H-41ans) : C'est effectivement de ne pas souffrir pendant la durée de l'hospitalisation. (…)

Pour le patient 7, malgré un vécu ambivalent de la substitution, le Subutex a un pouvoir

d’apaisement, savoir « qu’il en a dans son tiroir » comble la crainte du manque. C’est aussi la

possibilité d’avoir un objet toujours à disposition, à proximité, sur lequel le sujet peut exercer

une certaine maîtrise.EMIC n°7 (H-29 ans) : Q 5.1.2. : Ah… c'est... je pense que, je pense que c'est… c'est, c'est moi je ressens quele… le Subutex ça m'a fait plus de, ça m'a fait plus de mal, beaucoup plus de mal que…que, que…bon c'est...c'est de la drogue pour moi, moi le Subutex je le vois comme de la drogue, rien que la morphine c'est pareilheu...(...), à chaque fois moi, c'était la peur d'avoir... des crises de manque ou des choses comme ça. Maintenantavoir le goût dans la bouche heu... c'est ça qui m'enlève le... moi c'est beaucoup psychique c'est, ces problèmes-là. Ça fait, ça se trouve je..., ça se trouve je peux rester une journée sans en prendre en pensant, en sachant quej'en ai un dans mon tiroir au cas où heu... comme heu... je peux, je peux en prendre heu... mais mais heu... l'effetque ça a eu et bah je m'en sers pour me calmer de... pour mes douleurs, ouais un anti-douleur.

La même idée de manque est présente pour le patient 164. C’est le seul patient sous Subutex

qui sous-entend dès la question sur les effets, l’idée de dépendance :

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EMIC n°164 (H-50 ans) : Q 5.1.2. : De toute façon ce n'est pas une défonce, hein… ça… ce n'est pas… Disons,on le met sous la langue, ça… ça se dissout, on n'est pas défoncé… mais si on l'arrête, heu… (rires), ça faitcomme si qu'on était dans un… En manque? Bah oui (rires)

Pour 11 patients (16,7%), le mot « manque » n’est pas retrouvé dans les

questionnaires, mais un ensemble de description d’effets y renvoie de façon implicite. Dans le

cortège de vocabulaire évoquant l’arrêt du manque, les effets les plus fréquemment cités sont

la sensation de ne pas être malade (5 patients), les vertus antalgiques (8 patients) et l’oubli de

la drogue (3 patients).

Parmi les 5 patients qui pensent que le Subutex permet de ne pas être malade ou « soigne »,

on citera le patient 8 et le patient 26.EMIC n°8 (H-30ans) : Q 5.1.2. : Le Subutex ça soigne, c'est bien, ça soigne bien (…)

Nous noterons plus loin que ce patient pratique « souvent » (c’est un des degrés de fréquence

proposé), l’injection du Subutex. Cela ne l’empêche pas, malgré les effets délétères de cette

pratique (abcès...), de se considérer comme bien soigné par le Subutex.

Pour le patient 26 :EMIC n°26 (H-48ans) : Q 5.1.2. : Bah, c'est bien parce que ça ne défonce pas, on est clair, et on est pas malade.Donc, c'est une bonne thérapie je trouve, c'est un bon moyen pour s'arrêter.

Chez les 8 patients qui soulignent les effets antalgiques (pour les douleurs liés au manque), le

patient 133 décrit le Subutex comme « un antalgique puissant ». Le patient 99 compare le

Subutex à l’aspirine pour le mal de tête.EMIC n°99 (H-38 ans) : Q 5.1.2. : Ah les effets du Subutex…ça calme les douleurs, les douleurs qu'on avaitquand on n'a pas pris les produits, si ça calmait par les… Le Subutex, c'est comme quelqu'un qui a mal à la tête,il prend des aspirines et puis il n'a plus mal… C'est comme tous les médicaments…

Le bien-être

Faisant place à la fin du manque, une forme d’apaisement et de calme apparaît pour

certains patients. Dix-sept (25,75%) patients évoquent cette sensation à la fois physique et

morale.

Pour le patient 1, le Subutex est « léger », « souple » et « discret », plus loin dans le

questionnaire, il soulignera encore cette idée en employant trois fois le mot « douceur ».

Pour le patient 13 :

EMIC n°13 (H-39 ans) : Q 5.1.2. : (…) C'est discret... C'est discret... Et qu'est-ce qu'il y a d'autres? Qui veut dire...comment dirais-je...on peut l'éliminer tout doucement. (…)

Comme pour le patient 1 cette idée de discrétion et de douceur sera reprise tout au long du

questionnaire.

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Les patients 66, 81 et 151 (pour le patient 151, lorsqu’il décrit les avantages) évoquent une

notion de chaleur ou de réchauffement, « ça règle le thermostat ».EMIC n°66 (H-39 ans) : Q 5.1.2. : Disons que ça apporte une chaleur déjà, heu… Déjà ça réchauffe, heu… etpuis psychologiquement on est à peu près normal, on va dire. (…)

EMIC n°81 (H-37 ans) : Q 5.1.2. : Ca vous retire heu… le… parce que moi j'ai comme un dérèglement dethermostat, j'ai froid, donc ça me règle le thermostat, ça me met en... chaud dans mon cœur. Ça vous laissenormal, vous êtes normal, il n'y a pas de défonce, c'est bien, vous êtes normal, simplement, pour moi, c'estcomme… ça règle un thermostat, ça me permet de ne pas avoir de frissons.

Le patient 169 résume l’effet du Subutex par le terme « pastel ».

EMIC n°169 (H-37 ans) : Q 5.1.2. : Oh ça dépend si on est en manque qu'on le prend, bah le manque ça passeassez vite quand même. Si on n'est pas en état de manque, bon il y a un petit effet heu… comment dirais-je…pastel, quoi… un petit effet léger, quoi… Mais c'est tout.

Le patient 64 est « relax ». Pour le patient 104, le Subutex met « à l’aise » et « on ne pique pas

du nez » (expression assez imagée, très empruntée au langage de la drogue).

Pour le patient 83, la ressemblance avec l’héroïne permet « la vie en rose ».EMIC n°83 (H-37ans) : Q 5.1.2. : (…) l'effet du Subutex, il est ... comment vous dire, est ressemblant à héroïne,sans le flash ou la puissance de la drogue, mais le, le calme, une petite montée qui va destresser, qui va amenerla vie en rose tout doucement, on le sent avec le Subutex. Et ça on le ressent plus rapidement avec héroïne, plusfort. Mais on le sent avec le Subutex, ça c'est certain. (...)

Plus loin en évoquant les avantages, il notera « le calme et la baisse de l’agressivité ».

Le patient 104 en comparant aussi à l’effet de la drogue évoque simplement son bien-être.EMIC n°104 (H-39 ans) : Q 5.1.2. : Un peu comme de la drogue. Un peu comme de la drogue. Précisez? Parcequ'il y a plusieurs effets de drogue? C'est-à-dire qu'il y a des somnolences et un bien-être avec le Subutex.

Le patient 25 tout en ressentant un effet « excitant» du Subutex, «se sent mieux».

Enfin les patients 41, 60, 64, 121,125 et 183, notent un calme retrouvé.EMIC n°41 (H-29 ans) : Q 5.1.2. : C'est un calmant. Ou du moins, ça calme les douleurs. Et puis moi, ça mepermet d'être tranquille, quoi. De me sentir tranquille, ça me permet de bien dormir aussi la nuit.

EMIC n°125 (F-33 ans): Q 5.1.2. : (...) J'avais cette envie de dormir et puis...de relâchement, parce que j'étaisbien... J'étais...je ne me sentais pas du tout en dépendance, et puis je me sentais bien, après la prise... J'avaisbesoin d'un repos surtout...

Les retentissements généraux et la normalité

Il existe un mieux être général, lié à l’éloignement du manque. Cela permet de tendre

vers une « vie normale ». La description de cette sensation est ébauchée lorsque la question

est posée sur les effets mais elle reviendra de façon récurrente tout au long de la section 5 de

l’EMIC, en s’intensifiant pour plusieurs patients.

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Cinq patients (7,5%) évoquent ce retour à une vie normale, pouvant être social, physique ou

psychique.

Le patient 66 se sent « psychologiquement à peu près normal ». Le « thermostat réglé » du

patient 81 lui permet d’être « normal, simplement ».

Pour le patient 19, c’est le cas au début de sa prise de Subutex.EMIC n°19 (H-44 ans) : Q 5.1.2. : Bon franchement, c'est ce qui est…pour moi c'est super, parce que ça nefatigue pas, ça…Comme on dit, ça ne défonce pas. C'est clair, d'aller travailler, tu es normal, tu es bien.

Il sera plus critique avec le temps.

Le patient 49 insiste sur le service qui lui est rendu personnellement :

EMIC n°49 (H-37 ans): Q 5.1.2. : Me sert bien moralement, physiquement (…)

Enfin pour le patient 135, le mieux être est décrit en peu de mots, qui résumant la rupture avec

les difficultés quotidiennes :EMIC n°135 (H-37 ans) : Q 5.1.2. : Ca coupe la galère c'est tout. Ça fait rien d'autre, pour moi ça fait rien d'autre.

Les effets secondaires

Que la BHD soit considérée comme un médicament ou comme un « produit » qui ne

permet pas de rompre avec la toxicomanie, la question des « effets » peut être comprise au

sens « effets secondaires ». La plupart du temps, ces effets sont non souhaités. Nous inclurons

dans cette partie la notion du goût (particulièrement amer) de la BHD : cette question est en

effet importante dans la prise quotidienne d’un produit pendant une durée indéterminée. Pour

quelques patients c’est une des raisons avancées pour les usages détournés.

Au total 21 patients (31,8%) évoquent des effets secondaires au sens biomédical.

Seuls 2 patients (3%) évoquent une somnolence ou un endormissement qui semblent non

souhaités.

Quatre patients (6%) évoquent une sensation de nervosité. Par exemple le patient 35 :EMIC n°35 (H-20 ans) : Q 5.1.2. : (…) Et ça fait parler aussi. C'est-à-dire qu'on se met dans une discussion, bahdes fois on s'aperçoit que … on parle, on parle, on parle… Et je suis nerveux. Je suis beaucoup nerveux, aussi.Et je parle vite, je parle trop vite. Et je pense que le Subutex, ça y est un peu pour quelque chose, quoi. (…)

Pour le patient 190, cet effet se matérialise par des palpitations. Pour le patient 65, devant

l’absence d’efficacité ressentie, il sent la nécessité d’ « augmenter les doses » de BHD. Les

effets secondaires s’en trouveront majorés. Il perçoit une sensation de nervosité accrue,

décrite comme une « surtension ». Ces deux derniers patients décrivent aussi des « troubles de

la vue ».

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Quatre patients décrivent des effets secondaires physiques variés (démangeaisons,

saignements, constipation, dysurie).

Les patients 18 et 175 sont assez vagues : pour le patient 18, le Subutex rend malade et pour

le patient 118, le Subutex a un effet désagréable.

La question du goût est évoquée par 9 patients (13,6%) soit au moment des effets, soit au

moment de la description des inconvénients. Ainsi le patient 112 insiste sur la temporalité, où

une prise quotidienne d’un médicament au goût amer devient difficile.EMIC n°112 (H-31 ans) : Q 5.1.6. : Et l'inconvénient on va dire, le goût à force du temps.Le goût ? Ouais. La force? La force du temps, le goût. C'est-à-dire au début ça peut aller, bon c'est un peu amer mais à force, à force, àforce on commence à plus pouvoir supporter, c'est de plus en plus... Le goût est insupportable. Ouais à force,avec le temps ça devient vraiment insupportable.

Le patient 65 ressent un « perpétuel mauvais goût dans la bouche ».

Pour les patients 121 et 128, le goût amer du Subutex a été une raison au détournement par

voie intraveineuse.

Ainsi le patient 128 :EMIC n°128 (H-29 ans): Q 5.1.6. : Maintenant le problème, c'est que le goût est dégueulasse… Ça c'est lesinconvénients? Ouais… inconvénients, c'est que c'est vraiment dégueulasse à sucer… et puis que… et puis quej'ai appris tout de suite à le shooter donc heu… bien que ça ne doit pas se shooter avec tout l'amidon de maïs ettout ce qu'ils mettent dedans, et bah on le fait quand même, ça nous bousille, ça nous bousille le corps, quoi...On est tenté de shooter quoi...

Seul le patient 7 semble apprécier ce « goût amer ».

Pour le patient 19, dans une description équivoque des effets du Subutex, la notion de

« cafard » est assez présente :EMIC n°19 (H-44 ans). : Q 5.1.2 : Ah ah, même à lui je lui ai dit: parce qu'au début… bon c'est bien au début, jeprenais des 8. À 8. Bon franchement, c'est ce qui est…pour moi c'est super, parce que ça ne fatigue pas,ça…Comme on dit, ça ne défonce pas. C'est clair, d'aller travailler, tu es normal, tu es bien. Et...Mais il y amoment, j'en ai pris longtemps du 8 mg, il n'y a que quelques mois que j'ai diminué vite fait de 8 à 6, de 6 à 4.Bon. Et à un moment j'avais toujours le cafard... Ça c'est pareil, je prenais, je ne me rendais pas compte, çan'allait plus bien... Et c'est là que je lui ai dit: "vous pouvez pas me donner un truc, ça va pas et tout? ". Et bon,après je suis revenu, bon je les prenais quand même. Après je prenais une moitié le matin, une moitié le soir du8. Et on a diminué, et je lui ai dit, je me suis aperçu que c'était le fait de prendre...tu sais c'est à force ça a uneffet, ce n'est pas rien. Ça agit sur le cerveau, je ne sais pas, ça me donnait le cafard. Et j'en ai parlé à des gars,ils m'ont fait:"ouais, c'est vrai que ...". C'est pour ça qu'il y en a pleins qui prennent ça. Ils fument en plus, ilsboivent en plus. Il faut faire attention à ça. Il faut savoir diminuer au moment. Ça c'est un truc que je suis quandmême 2 piges à prendre 8, alors que je ne touchais à rien. Et il y a un moment c'est vrai que ça donne un coupde pêche, ce truc-là. Mais sinon, c'est bien, l'effet du Subutex c'est vraiment bien, quoi.

La notion de souffrance psychique est abordée par ce patient. Il l’attribue dans son discours à

la molécule elle-même, mais il est difficile de savoir si elle est antérieure à la prise de

Subutex. Néanmoins, la BHD est souvent jugée par les patients comme jugulant mal la

souffrance psychique. Il peut aussi s’agir pour ce patient de réaménagements psychiques, en

rapport avec l’arrêt des conduites addictives.

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2-1-2. La « défonce » ou quand la BHD est comparée à la drogue

Pour 10 patients (15,1%), la notion de drogue, de « défonce », ou un vocabulaire qui

s’y rattache est très rapidement présente.

Pour le patient 25, juste après l’arrêt de la drogue le Subutex procurait « les mêmes

sensations ». Pour le patient 88 la seule réponse à la question effet est « comme l’héroïne ».

Pour le patient151 :EMIC n°151 (H-44 ans) : Q 5.1.2 .: (…) vous n'êtes pas aussi bien que la came. Vous ne parlez pas comme lacame, vous ne faîtes pas les réponses et les questions en même temps. (…)

Les patients 7, 20 et 178 comparent le Subutex à la morphine, évoquant probablement les

morphiniques à libération prolongée (sulfate de morphine : Skénan, Moscontin…). Ainsi le

patient 7 :EMIC n°7 (H-29 ans) : Q 5.1.2. : (…) bon c'est... c'est de la drogue pour moi, moi le Subutex je le vois comme dela drogue, rien que la morphine c'est pareil (…).

Le patient 20 décrit « une défonce » « à dose importante ». Quant au patient 19, cette défonce

était recherchée à la première prise, mais il a finalement passé « une journée sans penser à la

drogue ».

EMIC n°19 (H-44 ans) : Q 5.1. 3. : (…) Il m'a donné un, et il m'a dit… Et moi je voulais que ça me défonce, j'étaisencore dans le truc, tu vois. Je voulais que ça me fasse quelque chose. Il m'a dit: «ça ne va rien te faire du tout".Je lui ai dit que ce n'était pas la peine. Je l'ai pris. J'ai passé une journée sans penser à la came du tout, sansêtre malade, sans rien.

Enfin le patient 4 évoque la sensation de « pêche » qui lui manque lors d’une période de

sevrage progressif. Le patient 45 retrouve la notion de « speed » et de « flash ». Pour le

patient 83, le souvenir de l’héroïne est présent à travers la sensation de « montée », même si

elle est moins « forte ».EMIC n°83 (H-37 ans) : Q 5.1.2. : Les effets sont assez quand même assez forts. Je veux dire que quand onconnaît l'héroïne...l'effet du Subutex, il est ... comment vous dire, est ressemblant à héroïne, sans le flash ou lapuissance de la drogue, mais le, le calme, une petite montée qui va déstresser, qui va amener la vie en rose toutdoucement, on le sent avec le Subutex. Et ça on le ressent plus rapidement avec l’héroïne, plus fort. Mais on lesent avec le Subutex, ça c'est certain.

Et c’est cette ressemblance qui conduira à la pratique de l’injection :

(…) C'est comme ça que vous décririez les effets du Subutex? Ouais. C'est d'ailleurs pour ça que les jeunes sel'injectent, j'en suis persuadé. Je me le suis injecté...

Dans ce groupe de 10 patients, l’usage de BHD par voie injectable n’est pas plus fréquent que

chez les autres patients. Seul le patient 45 dit avoir recours à la voie injectable « souvent », le

patient 83 s’est injecté son Subutex pendant 6 mois puis a arrêté, le patient 178 a parfois eu

recours à cette pratique, les 7 autres patients ont déclaré ne pas s’être injecté de Subutex. Sur

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l’ensemble des 67 patients ayant pris au moins une fois un TSO, près de la moitié ont indiqué

avoir au moins une fois injecté du Subutex.

La voie nasale est par contre plus représentée : seuls les patients 25 et 178 ne l’ont

jamais utilisé (sur l’ensemble des 67 patients près de la moitié y ont eu recours). Cependant,

chez les autres patients, cette pratique semble anecdotique : hormis le patient 4 qui déclare

avoir « sniffé » du Subutex « souvent », les 7 autres ont eu cette pratique soit « parfois », soit

« une fois ».

2-1-3. Absence d’effet ou absence d’efficacité?

Là encore la question est à double sens. Dans l’histoire d’un toxicomane avec les

produits, la recherche de l’effet d’un produit est évidemment importante : c’est l’un des

moteurs. Il s’y associe « la défonce », le « flash », la « montée », l’effet euphorisant…

Certains vont donc décrire le Subutex comme n’ayant pas d’effet, puisque ce sens du mot

« effet » n’est pas retrouvé. La plupart du temps, cette absence d’effet est considérée comme

un avantage et les patients le mettent en parallèle avec le comblement du manque dans leur

réponse.

D’autres patients s’estiment insuffisamment soulagés par le Subutex. L’« effet » est

alors entendu au sens de l’absence d’« efficacité » d’un médicament sur les symptômes

ressentis.

La BHD n’a pas d’effet

Treize patients (19,7%) ne retrouvent pas dans la BHD l’effet de la drogue et en

semblent satisfaits.

Ainsi pour le patient 1, avec le Subutex il n’y a « pas de montée », à l’inverse de la

méthadone.

Comme beaucoup, le patient 5 parle en même temps de l’absence d’effet et de l’arrêt du

manque .EMIC n°5 (H-40 ans) : Q 5.1.2. : Bah en fait, il n'y a pas beaucoup d'effet, quoi, ... si vous voulez, il n'y a pas decontre effet. Il n'y a pas de … Les effets…disons que ça vous permet de vous sentir bien, c'est tout, ça efface lemanque, c'est ça. Sinon, l'effet lui-même, il ne fait rien le Subutex...

Pour le patient 17, les effets sont différents selon le mode de prise.EMIC n°17 (H-27 ans) : Q 5.1.2. : En le prenant sous la langue heu… aucun effet dynamisant ou quoi que cesoit. En l'injectant, en le sniffant, il y a un petit effet dynamisant quand même ; quoique non même sous la langue,c'est dynamisant, parce que ça speed, quand même. C'est assez... Il n'y a pas d'effet... C'est un excitant?

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Ouais...quand même, c'est un excitant, c'est clair. moi je prenais du Subu au début... ouais en fait si c'est... sij'étais bien speed, j'étais bien, quoi, je me sentais bien quoi.

Le patient 50 explique bien que s’il n’y a pas de « défonce », il n’y a pas d’effet :

EMIC n°50 (H-31 ans) : Q 5.1.2. : Il n'y a aucun effet. Il y a juste l'effet, quand… au début… Au début, j'étais…j'étais… j'étais… sous héroïne, alors quand on n'a pas d'héroïne, on est en manque et le Subutex, il enlève cemanque-là. C'est tout ce qu'il fait. Ni il défonce, ni il fait planer, ni... ni rien d'autre quoi... ni il t'enlève heu... bah situ es anxieux, bah ça ne t'enlèvera rien du tout. Ça t'enlève juste le manque. Juste ça. C'est tout (…)

La BHD n’est pas efficace

Quatre patients (6%) ne reconnaissent aucune efficacité à la BHD.

Pour le patient 67 :EMIC n°67 (H-47 ans) : Q 5.1.2. : Nul, pour moi, c'est nul. Aucun effet, ni bien, ni pas bien. Rien. Une fraisetagada, quoi… Voilà, c'est ça quoi…

Plus loin, ce patient dira ne ressentir aucun effet dans les usages détournés, injection et voie

nasale.

Pour le patient 124, le manque est présent même en augmentant les doses.EMIC n°124 (H-32 ans) : Q5.1.2. : Il ne me faisait pas d'effet à petites quantités. En grande quantité, je mesentais quand même en manque. Je n'étais pas bien. J'avais le mal-être.

À la question effet, le patient 65 reconnaît seulement au Subutex une « efficacité relative »,

plus loin en décrivant les inconvénients il soulignera « un manque de puissance »

Le patient 133 n’a pas réussi à trouver l’équilibre :

EMIC n°133 (H-36 ans) : Q 5.1.2. : (...) En tant que produit de substitution, je dirais que… que ce n'est pasgénial… Dans mon cas, ouais, dans mon cas, je… honnêtement, je me sens nettement mieux sous méthadone.J'ai été sous Subutex... longtemps... 2-3 ans, on va dire, et heu... mon traitement était vraiment en dents de scie...Je diminuais, je remontais, je diminuais, je remontais, je diminuais...

Une remarque nous semble ici opportune. Sans en tirer de liens statistiques sur de si

petits groupes, sur les 13 patients qui disent que la BHD n’a pas d’effet, seuls 2 patients en

font un usage détourné, alors que sur les 4 patients qui décrivent la BHD comme peu ou pas

efficace, 3 en feront un usage détourné en rationalisant leur conduite par cette absence

d’efficacité.

2-1-4. Un vécu parfois très négatif

Pour 5 patients (7,5%), la prise de Subutex a été une mauvaise expérience, le

vocabulaire employé exprime un rejet important.

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Pour le patient 6, l’effet du Subutex est « catastrophique », pour le patient 22 il est

« malsain ». Le patient 105, malgré des effets de stabilisation, conclura sa description des

effets par le mot « effroyable ».

Le patient 22 a cette vision négative à cause de la pratique possible de la voie injectable. Plus

loin dans le questionnaire, on se rendra compte qu’il tire ces conclusions de sa propre

expérience.EMIC n°22 (H-40 ans) : Q 5.1.2. : De la merde. Pourquoi? Ils ne devraient pas vendre du Subutex. Pourquoi?Parce qu'on sait sciemment que les gens se l'injectent. Et pourquoi on se l'injecte? Parce que les gens sontaccros à la seringue, qu'ils ont besoin de se shooter, et comme ils n'ont que ça sous la main, et bah ils seshootent au Subutex, et puis ce n'est pas cher le Subutex. Et on connaît les conséquences de telles... commentdire, de telles injections.(…)

La patiente 85 relate sa difficile expérience avec le Subutex, pris avec d’autres produits qui lui

semblaient indispensables. Elle reconnaît cependant une efficacité possible en cas de prise

isolée.EMIC 85 (F-33 ans) : Q 5.1.2. : Très mauvais. Très mauvais avec une autre substitution hein. Je veux dire trèsmauvais avec un mélange d'autres substitutions, ou de médicaments incompatibles, maintenant, peut-être que…c'est sûrement un médicament très efficace pour les gens qui n'ont pris que ça, qui ne connaissent que ça etc...mais pour moi c'est un produit niet (rires), je n'en veux pas. Vous me disiez tout à l'heure, et peut-être que vouspourriez me décrire les effets que ça a eu chez vous ? Les effets que ça a eu chez moi... alors le matin, si vousvoulez, j'ai pris mon Skénan hein et en début d'après midi, je commençais déjà à être malade, parce que commeje l'injectais, il ne me durait pas 12 h, il durait 3 h les effets du Skénan, et heu... je commençais à être un peumalade, et j'avais rendez-vous que le lendemain matin pour voir le médecin, donc j'ai été voir le pharmacien quej'allais voir d'habitude, en lui demandant de me dépanner heu... 4 ou 5 Skénan jusqu'au lendemain matin, puisquej'avais rendez-vous. Pourtant le pharmacien, il me connaissait très bien, et heu... il m'a dit que non, etc... et il m'adonné du Subutex que je me suis injectée par dessus le Skénan que j'avais encore dans le corps, et ça a faitincompatibilité et heu... vomissements, diarrhée heu... ça a fait un manque amplifié plus de 100 fois pire quoi, jeveux dire, ça m'a carrément...tellement ça m'a vidé, ça m'a même heu... complètement avachi quoi, je vous disque j'ai eu un moment d'inconscience quand même. Et vous l'aviez jamais pris dans d'autres conditions, leSubutex ? Non, bah non. Et je sais que le Subutex c'est un médicament qu'il faut prendre avec rien d'autre,même pas avec du Rohypnol ou quoi...moi, je ne prends pas ces médicaments-là, mais je ne sais que Subutex-Rohypnol, ou Subutex-Tranxène, ce n'est pas bien quoi...on peut faire une overdose très vite avec ça

Cette patiente fait l’expérience des effets antagonistes de la BHD, cette particularité de la

molécule peut être ignorée des patients et il faut les en informer. Ce genre d’ « effet » peut

être rédhibitoire dans la suite de la prise en charge tant il peut être difficilement vécu.

2-1-5. L’ambivalence de la relation à la BHD

Cette ambivalence est importante à souligner, mais elle est difficilement quantifiable

tant elle peut être diffuse tout au long du questionnaire entre efficacité et inefficacité, entre

effets bénéfiques et effet indésirables, entre effet délétère pour soi mais pourquoi pas

bénéfique pour les autres. Cette ambiguïté sera davantage analysée dans la discussion.

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Le patient 105, qui tend finalement plutôt son discours vers les effets délétères du Subutex,

illustre bien cette relation complexe.EMIC 105 (H-35 ans) : Q 5.1.2. : Rires … Bah tout dépend comment on le prend. Heu… enfin c'est préconisé dele prendre en sublingual et heu… mais vu qu'il y a une dérive heu… dans le… Personnellement, moi je l'ai pris eninjection parce que… par… et heu… tout dépend comment c'est à gérer, et heu... sinon, les effets du Subutex,bon... dans le sens où il y a ... C'est plutôt qu'on le prend par précaution pour ne pas être en manque. Et quandc'est pris dans une dérive injectable, on recherche un certain effet qui est lié à l'héroïne qu'on ne trouve pas biensûr, mais on trouve autre chose. On trouve un phénomène un peu plus grave dans le sens où on ne sent pasbien, des nausées heu... Notre corps change par rapport à ça au niveau physiologique. La peau se détériore.Bon, je trouve que bon... vu que ce n'est pas fait pour ça, donc, ça va altérer le corps humain. Ça c'est le constatque j'ai fait personnellement. Et puis bon... C'est surtout des effets physiologiques, vous dites? Plus ça, qu'uneffet euphorique, oui. Ouais, ouais. C'est ouais, ouais... Dans le côté destructeur, c'est... Étant conscient duproblème physiologique que ça me posait et que ça pouvait apporter comme d'autres maladies, donc conscientheu... au niveau immunitaire que ça allait me faire baisser mes défenses, mais bon étant pris dans lephénomène de la piqûre, à cause de la gestuelle et tout bah... Donc, il y avait une fuite en avant tout en unerecherche de défonce, on va dire. Et puisqu'en fin de compte, qu'on ne trouve pas, quoi. Vous parlez duSubutex? Ouais. Je parle du Subutex. Ouais, ouais. Le fait que c'est... surtout, que moi je constate, dans monentourage, que les 3/4 de ceux qui touchaient à l'héroïne par injection se retrouvaient, enfin se retrouvent às'envoyer le Subutex par injection, et heu... avec les conséquences que ça peut faire, en étant conscient de...Enfin, personnellement du problème, bon moi, ça m'a fallu du temps, mais bon, j'ai fini par être à la méthadone,mais bon les dégâts que ça fait, c'est... c'est effroyable, quoi...

Plus loin le Subutex est décrit par ce patient comme « un produit miracle qui remplace l’héro

sans galère ».

2-2. La méthadone

De façon générale pour les représentations des effets de la méthadone, les patients ont

un discours plus concis qu’avec la BHD et le vocabulaire employé est moins varié. Les

questions sur la méthadone ont été posées après celles sur la BHD, cela a pu influencer le

mode de réponse. La terminologie employée a en effet pu être épuisée à la question

précédente. Cependant, on peut penser que cette description plus pragmatique et plus

structurée des effets est induite par le cadre dans lequel est distribuée la méthadone, laissant

moins de place aux premières expériences dans la rue ou avec des proches. Les perceptions

des patients quant aux effets, sont probablement plus influencées par le cadre et les soignants.

Trente-huit patients (95%) ont répondu à la question sur les effets de la méthadone,

deux patients ayant pris au moins une fois de la méthadone ne donnent pas de réponse.

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2-2-1. Des effets sur le corps et l’esprit

L’arrêt du « manque »

Comme pour la BHD, le soulagement du manque tient une place importante. Huit

patients (20%) en parlent pour décrire les effets.

Six (15%) le nomment directement :EMIC 60 (F-18 ans): Q 5.2.2. : Je ne vais pas dire que c'est magique hein…Mais c'est … Pareil, ça calme lemanque, … Et heu…voilà, calme le manque. C'est tout? Et aussi psychologiquement, ça détend plus, je trouve,que le Subutex.

Le patient 67 insiste aussi sur le manque de plaisir.EMIC 67 (H-47 ans) : Q 5.2.2. : (…) avec la métha il n'y a pas de manque, non, non. Enfin, pas de manquephysique, quoi... C'est le manque du plaisir. Si vous voulez que je dise ce terme-là, c'est ça. Je n'ai pas de plaisirpour ma métha, je ne suis pas en manque, je ne suis pas déprimé, enfin... je vous ai expliqué, je ne transpire pas,je mange bien... Mais je n'ai pas... heu... Pas de manque physique, mais...? Voilà, voilà... il n'y a pas de la patate.Il n'y a pas de...

EMIC 87 (H-30 ans) : Q 5.2.2. : Pas de manque (…) On se sent normal.

EMIC 121 (F-36 ans) : Q 5.2.2. : Alors… Euh… c'est, ça comble le manque.

EMIC 124 (H-37 ans) : Q 5.2.2. : Les premières prises: comme si je prenais de l'héroïne, speed, transpiration,actif. Ensuite: il n'y a plus de manque

EMIC 142 (H-44 ans) : Q 5.2.2. (…) je n'ai plus de douleurs, je n'ai plus rien... quoi. Je n'ai plus de manque, etc'est parfait, c'est parfait. (…)

Les patients 159 et 61 parlent du manque sans le nommer :EMIC 159 (H-35 ans) : Q 5.2.2. : Parfaite. Je crois que c'est parfait parce que ça me comble complètement. Çacomble heu… quoi? Bah le côté physique, et surtout le côté heu… psychologique, hein, moral, bien sûr.

Pour le patient 61 la méthadone « annule l’effet de la drogue ».

Le bien-être

Neuf patients (22,5%) expriment un bien-être, des effets positifs, plus ou moins

proches de l’arrêt du manque. De la même façon qu’avec le Subutex un retour au calme est

décrit avec cependant un vocabulaire moins « coloré ». Par exemple le patient 190 :

EMIC 190 (H-41 ans) : Q 5.2.2. : Calme, zen comme si j'avais rien pris.

Le patient 22 souligne l’importance de la bonne dose :EMIC 22 (H-40 ans) : Q 5.2.2. : C'est bien quand on trouve le juste milieu de la dose. Mais moi je me souviensdans mes premières démarches de méthadone, j'en prenais… pas ici, parce que comme avant de venir ici j'enavais déjà pris, je savais ce que c'était la méthadone, … Il y a eu une époque où je prenais jusqu'à 80 mg deméthadone... ça ne m'a pas plu, parce que ça inhibe toutes les sensations. Je me suis retrouvé pendant uncertain temps, j'étais capable de pleurer, et puis je n'étais plus capable de faire la différence entre le bien et lemal. Ça inhibe beaucoup de choses la méthadone, hein. C'est un médicament miracle, hyper bien, mais il fautque ça soit bien dosé, quoi. Enfin, moi, c'est mon avis. Ca j'en suis sûr. J'ai bien vu les gens autour de moi. Quantau contrôle, je ne suis pas sûr que ça soit la meilleure solution, quand la dose est trop élevée...

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Pour la patiente 85, c’est également la possibilité de régler la dose avec précision qui permet

les effets positifs de la méthadone.EMIC 85 (F-33 ans) : Q 5.2.2. : (…) Bah on est bien dans sa peau, sans être défoncé, ce n'est pas comme leSkénan, quand on en prend trop, on pique du nez, non, la méthadone, on est bien dans sa peau, heu... on nedemande pas plus, pas moins, je veux dire, le médecin sait ce qui me donne aussi, donc heu... moi je suis à 80,si 80 ça ne me convient pas parce que j'ai baissé de 100 mg à 80 mg trop vite d'un coup, je vais aller le dire àmon docteur et il va me mettre à 85 ou 90 hein... On va recommencer, on baissera plus lentement... C'est unmédicament qu'on peut bien gérer car il y a plusieurs doses proches et par rapport aux effets, c'est important,parce que même 5 mg ça peut jouer sur les effets de votre corps. Donc moi, 80 mg pour l'instant ça meconvient.(…)

Le patient 65 souligne l’effet « immédiat et très efficace ».

Le patient 159 et la patiente 60, citée plus haut, décrivent un réel soulagement de la

souffrance psychique. Pour la patiente 60, « psychologiquement » la méthadone « détend plus

que le Subutex ».

Les retentissements généraux et la normalité

Deux patients (5%) parlent du retour à une vie normale, en particulier le patient 49

introduit une notion qui n’a pas été retrouvée dans la description des effets du Subutex : un

réel éloignement de la toxicomanie.

EMIC 49 (H-37 ans): Q 5.2.2. : Je me sens encore mieux. Plus le moral, plus de motivations. Je me sens moinstoxicomane. La vie, elle passe mieux.

Les effets secondaires

Comme pour le Subutex des effets indésirables sont décrits par les patients.

Le patient 8 décrit une légère somnolence pendant une semaine.

Le patient 128 était « dans le cirage » la première fois.

Le patient 17 « pique du nez », tout en trouvant au final un effet dynamisant. De même le

patient 45 définit une sensation mixte de « speed » et de calme à la fois.

Le patient 142 était excité à la première prise.

Le patient 13 trouve que la méthadone coupe l’appétit.

La patiente 85 insiste sur l’effet de chaleur, plus ou moins désagréable, procuré :

EMIC 85 (F-33 ans) : Q 5.2.2. : Ca donne très chaud, ça fait transpirer, ça c'est un truc qui m'embarrasse parceque je ne transpirais jamais et heu… avec de la métha c'est de la folie quoi heu… dans un sens ce n'est pas plusmal, en hiver ça tient chaud, mais quand l'été doit arriver, ça c'est un inconvénient (…).

Le patient 178 a aussi ressenti cet aspect, des « bouffées de chaleur au début ».25

Le patient 190 a décrit une baisse de libido avec des troubles de l’érection, il a également

souffert de constipation.

25 Dans la littérature clinique et pharmacologique, l’effet d’hypersudation est l’effet indésirable le plus rapporté par lespatients sous méthadone, en début de traitement comme en phase d’entretien (cf. première partie, paragraphe 2-3-5).

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Nous citons encore une fois le patient 22 qui a ressenti à dose trop élevée une sensation

globale d’inhibition, en particulier de ses sentiments.EMIC 22 (H-40 ans) : Q 5.2.2. : (…) Il y a eu une époque où je prenais jusqu'à 80 mg de méthadone... Ça ne m'apas plu, parce que ça inhibe toutes les sensations. Je me suis retrouvé pendant un certain temps, j'étais capablede pleurer, et puis je n'étais plus capable de faire la différence entre le bien et le mal. Ca inhibe beaucoup dechoses la méthadone, hein (…).

Le patient 19 qui n’a qu’une expérience de la méthadone donnée par un proche décrit des

effets secondaires variés :

EMIC 19 (H-44 ans) : Q 5.2.2. : Oh c'est affreux. C'est affreux. La méthadone, c'est affreux. C'est… J'ai goûtécomme ça, j'ai un copain qui en prenait, il m'a fait: "ouais…". Et c'est affreux…déjà le goût il est infect, et bah c'estcomme la came… C'est comme de l'héro. Vous vous grattez de partout, vous piquez du nez(…).

Le patient 151 a également ressenti de nombreux effets secondaires, en particulier les effets

émétisants des opiacés, qui l’ont fait rejeter ce produit :EMIC 151 (H-44 ans) : Q 5.2.2 : Les effets de la méthadone, c'est… heu… la méthadone, pour moi, j'ai fait destrucs avec ça… moi, ça m'a… pas réussi du tout. Mais pas du tout. J'aurais continué la méthadone… bahd'ailleurs je l'aurais lâché, et je serais devenu toxicomane, encore. Mais pourquoi? Quels effets ça vous faisait?Bah parce que ça me faisait vomir, je ne mangeais plus, j'étais heu... tous les matins, il fallait que je me réveille à5 heures, 6 heures... j'étais et puis... je me traînais en plus de ça... Et ce n'était pas comme le Subutex. LeSubutex, il reste un peu plus longtemps dans le corps. Donc, avec la méthadone, il fallait que je prenne le métro,d'abord le train... le RER, heu... Pour quelqu'un de normal ça fait rien du tout, mais pour un mec comme moi,j'étais là-bas, j'avais froid, je tremblais, à 9 heures quand ça ouvrait j'étais le premier. On me donnait maméthadone... j'en vomissais la moitié, j'essayais de ne pas vomir, et puis après bon, ça a commencé àm'échauffer le corps, et après je commençais à pouvoir rentrer chez moi... et j'ai commencé à prendre une bière,et après j'ai commencé à boire. Et là, ça allait mieux.

Au total 12 patients (30%) ont ressenti des effets indésirables. On remarquera que sur ces 12

patients, 4 décrivent des effets indésirables seulement dans la première période de prise de

méthadone. Pour deux d’entre eux (les patients142 et 128), ces effets ont même été limités à

la première prise26.

2-2-2. La défonce, la dépendance ou quand la méthadone est comparée à la drogue

Dans le discours des patients, c’est plutôt parce que la méthadone est décrite comme

un produit efficace qu’elle est comparée soit directement, soit dans ses effets à la drogue. Les

effets de « montée » euphorisante ressentis par les patients, en particulier en début de

traitement, participent à la sensation d’efficacité du produit.

Huit patients (20%) rapprochent ainsi la méthadone de la drogue, parmi eux seuls 2 patients y

voient un effet plutôt péjoratif (le patient 25 et la patiente 172). Cette comparaison se fait au

26 Cela correspond à la description pharmacologique du produit (cf. première partie, paragraphe 2-2-4.), où les effetsindésirables ressentis sont généralement différents au début du traitement et en phase d’entretien.

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travers de la dépendance et/ou de la « défonce ». Certains patients mettent aussi directement

en perspective la méthadone et la drogue.

La dépendance

Quatre patients (10%) évoquent le problème de la dépendance à un TSO dès la

description des effets.

Pour le patient 13 c’est l’efficacité du produit qui induit la dépendance .

EMIC 13 (H-39 ans) : Q 5.2.2. : C'est efficace mais on s'y accroche facilement. On ne peut pas s'en passer.

Le patient 25, qui a découvert la méthadone sous forme de comprimés hors cadre

thérapeutique, se sentait « vraiment très mal » lorsqu’il n’en avait pas. Cette « forte

dépendance » l’a incité à utiliser le Subutex.

La « défonce »

Une patiente (2,5%), la patiente 172, parle d’une « défonce plus forte que le

Subutex », ressentie comme un effet négatif.

La méthadone, c’est de la drogue

Quatre patients (10%) font cette comparaison. Pour le patient 1, c’est justement ce qui

va permettre de « décrocher ». Il met cependant à distance son cas personnel.EMIC 1 (H-44 ans) : Q 5.2.2. : Ca ressemble à l'héroïne, oui. Il y a une montée, on se sent plus léger, plus chaudà l'intérieur, heu… on commence à oublier un petit peu ce qu'il y a autour de soi-même, et puis… je dirai même àla limité qu'on plane. (…) C'est bien pour quelqu'un qui prend de l'héroïne ou des opiacés, méthadone à petitesdoses. C'est bien pour décrocher. Mais pour mon cas, ce n'était pas bon, quoi.

Les 3 autres patients ont ressenti ces similitudes au début du traitement. Par exemple le

patient 108 :EMIC 108 (H-44 ans) : Q 5.2.2. : Bah je crois que ça fait pareil que la drogue, quand même, parce que je viensd’arrêter (...) C'est-à-dire? Qu'est-ce que vous diriez que ça a de commun avec la drogue? C'est pareil, sauf quec'est moins dégueulasse... quoi... C'est beaucoup moins... Expliquez-moi. Déjà, tu ne risques pas de choper unemaladie, déjà... C'est tout, quoi. Mais quel effet ça a sur vous quand vous dites c'est comme la drogue? Non, audébut, ça me mettait comme la drogue, mais maintenant je ne ressens rien du tout, ça me met tout simple,normal, comme là, comme je suis. Il n'y a pas de... tu planes ou rien du tout, non, ça te met normal. Au début,ouais, tu ressens ça comme une drogue, quoi... comme si tu étais défoncé, comme on dit, mais là quand je leprends, il n'y a pas de défonce, il n'y a rien du tout, c'est comme si tu prenais un verre d'eau et puis voilà... quoi.

Nous retiendrons aussi de ce témoignage, la possibilité de conserver un produit tout en

mettant à distance les problèmes somatiques pouvant être liés à la pratique de l’injection : la

méthadone est en ce sens une drogue « moins dangereuse ». Ce qui est finalement un des

principes de la réduction des risques.

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2-2-3. Absence d’effet ou absence d’efficacité?

La méthadone n’a pas d’effet

Pour 8 patients (20%) la méthadone n’a pas d’effet, au sens où il n’y a pas de

« défonce ». L’absence de sensations euphorisantes est aussi affirmée par la brièveté de la

plupart des réponses de ces patients : le sentiment de se sentir « juste bien » se suffit à lui-

même.

Parmi les patients qui développent davantage :EMIC 6 (H-37 ans) Q 5.2.2. : Superbe. Il n'y a pas d'effet (...) Dès qu'on m'a dit qu'avec la méthadone: «Tun'auras aucun effet, tu seras bien quand tu seras allongé". Voilà, ça a été peinard pour moi, et ça a duré 15 mois.Ca a duré 15 mois, jusqu'à temps que je sois sevré...

Les premiers mots de la réponse contrastent avec la description des effets du Subutex faite par

ce patient : « catastrophique ».EMIC 133 (H-36 ans) : Q5.2.2. : Je ne peux pas dire que ça fait un effet, puisque si ça faisait un effet ça medéfoncerait… Elle n'est pas là pour me défoncer, et… Tout-à- fait…(rires)… Tout ce que je peux dire, c'est que jene ressens pas le manque. Et que la diminution se fait impeccable. Voilà... Non, les effets heu... à forte dose çavous met KO, je pense. je ne recherche pas l'effet en fait.(...) c'est vrai qu'au début quand on change detraitement, ou la première fois qu'on prend du Subutex, on sent quelque chose... Surtout par voie veineuse, hein(rires)? Ouais, ouais, on sent quelque chose. Pareil pour la méthadone. Mais maintenant, il n'y a plus ce... je neressens plus cet effet, je prends mon médicament.

La méthadone n’a pas d’effet et peut donc s’intégrer dans une démarche de soins en devenant

son médicament.

Pour le patient 142, la prise de méthadone est banalisée, « comme si on prenait du sirop ».

Par ailleurs, lorsque l’absence d’effet est développée l’importance « du bon dosage » est

souvent abordée.

La méthadone n’est pas efficace

Seuls 2 patients (5%), le patient 15 et le patient 82, la décrivent comme telle. Pour le

patient 15 sa seule expérience de prise de méthadone a été un usage détourné. Quant au

patient 82, il pense que c’est un problème de dosage.

2-2-4. Une expérience parfois très négative

Un seul patient (2,5%), le patient 19, décrit un vécu très négatif de la prise de

méthadone, qu’il a essayé « pour voir » avec un proche.EMIC 19 (H-44 ans) : Q 5.2.2. : Oh c'est affreux. C'est affreux. La Méthadone, c'est affreux. C'est… J'ai goûtécomme ça, j'ai un copain qui en prenait, il m'a fait: "ouais…". Et c'est affreux… déjà le goût il est infect, et bahc'est comme la came… C'est comme de l'héro. Vous vous grattez de partout, vous piquez du nez. C'est... vous...

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Peut-être qu'après que les gars s'habituent. Moi je vois mon pote, il vit dans à peu près... Enfin, lui, il touche àl’héro... C'est vrai que ça doit le rendre heureux, ça. Mais... Oh non, ce n'est pas bon, c'est pas...

Synthèse :

Comme on pouvait s’y attendre avec la question ouverte « Comment décriez-vous les

effets de (…) ? », les réponses des patients sont extrêmement variées. Nous avons tenté de les

synthétiser dans le tableau 8. Cette diversité permet d’entrevoir l’hétérogénéité des sensations

perçues par les patients. Si certains effets, comme l’arrêt du manque, ou le bien-être sont plus

souvent décrits, le vocabulaire est loin d’être standardisé. Par ailleurs la fréquence, la variété

et pour certains, la pénibilité des effets secondaires sont à souligner. Les patients formulent

aussi des réponses, par exemple lorsqu’ils parlent de l’absence d’effet, que les soignants

pourraient faire. Cela révèle l’existence d’un discours commun aux secteurs populaire et

professionnel décrits par Kleinman (1980)27. Cette congruence des discours est plus visible

pour la méthadone. Le contact avec les équipes soignantes est aussi plus régulier (au moins en

primo-prescription) lors de la délivrance de ce médicament.

La « normalité » que permettrait le traitement est évoquée par quelques patients. De

même, une ambivalence du rapport au TSO se dessine à travers la comparaison à la drogue et

la recherche, souvent infructueuse, d’un effet. Ces deux notions traverseront toute la section

de l’EMIC étudiée.

Le tableau 11 met en perspective les effets rapportés par les patients selon la prise de

l’un ou de l’autre des TSO étudiés. Ce n’est cependant pas un tableau comparatif des effets de

la méthadone versus BHD : il ne s’agissait pas pour les patients de cocher des cases, en

réponses à des questions fermées, selon que l’effet ait pu être ressenti ou non. Il ne serait par

exemple pas juste de dire que la BHD améliore davantage le « manque » que la méthadone,

en regardant simplement la comparaison des pourcentages.

27 Cf. première partie paragraphe 4-1-1.

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Tableau 11 : Effets les plus rapportés par les patients en fonction de la prise de BHD (Subutex) et/ou deméthadone (prévalence vie entière)

BHD (Subutex)66 patients

méthadone40 patients

arrêt du manque 31 patients (46,9%) 8 patients (20%)

bien-être 17 patients (25,75%) 9 patients (22,5%)

"être normal" 5 patients (7,5%) 2 patients (5%)

effets indésirables

21 patients (31,8%):

-mauvais goût: 9 patients (13,6%)-nervosité: 4 patients (6%)-somnolence: 2 patients (3%)-constipation: 2 patients (3%)-prurit:1 patient (1,5%)-dysurie: 1 patient (1,5%)-saignements: 1 patient (1,5%)-"rend malade": 1 patient (1,5%)-"effet désagréable": 1 patient (1,5%)-"cafard": 1 patient (1,5%)

12 patients (30%):

-mauvais goût: 1 patient (2,5%)-excitation: 3 patients (7,5%)-somnolence: 5 patients (12,5%)-constipation: 1 patient (2,5%)-prurit: 1 patient (2,5%)-hypersudation: 2 patients (5%)-anorexie: 2 patients (5%)-baisse de la libido: 1 patient (2,5%)-inhibition affective: 1 patient (2,5%)-vomissements: 1 patient (2,5%)-sensation de froid: 1 patient (2,5%)

comparaison à ladrogue

"drogue/défonce": 10 patients (15,1%)

8 patients (20%):

-drogue: 4 patients (10 %)-"défonce": 1 patient (2,5%)-dépendance: 4 patients (10 %)

pas d'effet 13 patients (19,7%) 8 patients (20%)

inefficacité 4 patients (6%) 2 patients (5%)

expérience trèsnégative

5 patients (7,5%) 1 patient (2,5%)

NB : De nombreux patients donnant plusieurs réponses, l’addition des pourcentages dépasse 100%.

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3- « La première prise »

La « première prise » de BHD ou de méthadone s’intègre dans un itinéraire

thérapeutique propre à chaque patient. Cet itinéraire traverse souvent plusieurs secteurs de

soins, selon la classification de Kleinman (1980). Si elle ne se fait pas toujours dans un cadre

médical, la première expérience avec les TSO n’est pas pour autant systématiquement le fruit

d’un « trafic » à but de « défonce ». En effet, la section de l’EMIC consacrée à l’itinéraire

thérapeutique révèle que la grande majorité des patients, 92,9% (soit 65 patients sur 70,

incluant les trois patients qui n’ont jamais pris ni méthadone, ni BHD), ont entrepris de se

soigner sans avoir recours aux médecins. Cela inclut le recours au secteur populaire

(« décrochage à la dure », prise de médicament opiacé ou non sans prescription, séjour au

pays, etc.) et le recours au secteur traditionnel (objet de protection, moyen religieux,

consultation d’un marabout, cheikh ou prêtre, etc.). La prise de méthadone ou de Subutex hors

prescription concerne, dans cette partie de l’EMIC, 30% des patients (21 sur 70). Le

chevauchement des secteurs populaire et professionnel est entretenu par la double polarité des

TSO, qui peuvent être utilisés comme objets d’addiction et comme véritable traitements

(Taïeb 2006), par exemple pour le patient 25 :

EMIC n°25 (H-44 ans) : Q. 4.1.1 : Oui, bien sûr, oui. J'ai même…Bon il y a des périodes où j'ai arrêté du jour aulendemain sans produit, sans… substitution. Bon ça a été la galère, ça a marché pendant quelques temps.Effectivement, j'ai retrouvé une certaine qualité de vie, mais compte tenu de mes relations heu... Je n'avais quedes relations par rapport à la drogue... Donc forcément, je me mordais un peu la queue, dans le sens où les seulsgens que je côtoyais n'avaient que rapport avec le produit, il aurait fallu que je change de lieu, de résidence, enfinde... de fréquentations. Donc, ça n'a pas fonctionné. A chaque fois, je me retrouvais heu... dans le produit, et lesautres fois ça m'a amené à l'époque à avoir de la méthadone, je... Méthadone prescrite ou non ? Non, nonprescrite. C'est-à-dire, que moi d'un côté, je vendais des produits stupéfiants, en contre partie on me payait enméthadone. Ce qui me permettait de temps en temps, quand j'avais décidé de faire, comme on dit un break, deprendre de la méthadone. Et après je retournais dans le produit. C'était un cycle, un cycle infernal.Q. 4.1.2. : Je me disais de toutes façons que j'allais pas continuer ça toute ma vie, à me défoncer, donc,j'essayais d'avoir des produits comme ça, de substitution. Alors je me faisais, alors comment dire un petit bas delaine. Je me disais non je vais avoir tel produit, comme ça le jour où je décide d'arrêter vraiment, j'aurais cesproduits-là, et après ça sera terminé. Après la drogue pour moi, ce sera terminé, on n'en parlera plus jamais. Etpuis, et puis je n'y arrivais pas, c'était pas un produit que j'arrivais à maîtriser au niveau de la dose avec lesevrage, je faisais n'importe quoi. Ce qui fait que des fois, je me retrouvais même en manque de méthadone...

Par ailleurs des traitements obtenus dans le secteur professionnel peuvent être détournés, par

exemple pour la patiente 60 :EMIC n°60 (F-18 ans) : Q. 4.1.1. : Bah une fois, j'ai pris avec un médecin de ville du Subutex. Ca c'est malterminé parce qu'en fait elle m'a prescrit deux boîtes, et les deux boîtes je les ai prises en même pas unesemaine, et heu… je les ai injectées, je les ai sniffées… J'ai… Donc, c'était par moi-même, mais ça n'a pasréussi. Donc, j'ai vu que par moi-même, je ne pouvais pas faire grand chose au point de vue de ce problème-là,en fait. J'avais vraiment besoin de quelqu'un... pour le résoudre. Sans l'aide de professionnels, vous...? Non, jene serais pas arrivée. J'ai essayé justement avec le Subutex... (…) Ca a été prescrit, mais il n'y avait pas d'aidehein derrière... Oui mais toute seule ? Non. Je n'ai pas arrêté. Sans professionnel, c'est-à-dire sans prescriptionde médecin, vous n'avez jamais rien essayé ? Non. Si, c'est mentir, de temps en temps quand je ne pouvais pasacheter l'héroïne et bah j'allais acheter du Subutex au marché noir, j'en prenais pour me calmer, c'est obligé. Jen'avais pas trop le choix en fait.

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La partie suivante expose les réponses des patients sur les conditions de la première

obtention de BHD puis de méthadone. Trois items étaient donc proposés aux patients : « sur

prescription d’un médecin », « donné(e) par un proche », et « acheté(e) dans la rue ». Les

patients détaillent parfois cette première expérience en expliquant leur parcours, leur mode de

prise ou en revenant sur les effets.

3-1. La BHD

Soixante-trois patients (95,4%) répondent à la question sur les circonstances

d’obtention de la BHD la première fois. Trois patients ayant déjà pris au moins une fois de la

BHD ne répondent pas précisément aux items proposés. Parmi ces 3 patients, le patient 11 se

procurait probablement du Subutex de façon détournée par l’intermédiaire du pharmacien. Il

relate les difficultés d’obtention de ce médicament au début de sa mise sur le marché :

EMIC n°11 (H-34 ans) : Q 5.1.3 : (...) c'était dur d'en avoir dans le temps, déjà ça venait de sortir et il fallait un bontoxique, il fallait pas mal de choses, il fallait en plus le commander en pharmacie, c'était pas, on l'avait pascomme ça, donc on était obligé de le commander et tout.

Ce qui, comme pour beaucoup, n’a pas empêché une prise que le patient ressent comme

thérapeutique.

3-1-1. Sur prescription d’un médecin

Trente-huit patients (57,6%) ont obtenu pour la première fois de la BHD sur

prescription d’un médecin. C’est le groupe dont le récit de cette première expérience du

produit est le moins détaillé.

Parmi ces 38 patients, 12 précisent qu’ils ont pris pour la première fois de la BHD soit dans

un CSST, soit à l’hôpital. Trois précisent que le médecin était un médecin généraliste et 2, un

psychiatre. Pour 4 patients, on sait que la première prescription a été faite par le médecin

traitant ou le médecin habituel. Pour ces patients en contact avec des équipes

pluridisciplinaires, le médecin « habituel » n’est pas toujours un médecin généraliste. Un

patient, le patient 189, souligne que la première prise de Subutex s’est faite sous injonction

thérapeutique.

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Quatre patients commentent cette première prise. Nous citons le patient 7, 50 et 169.

Pour le patient 7, du Subutex, c’est l’occasion de donner une définition de la toxicomanie :

pour lui être toxicomane c’est soit prendre certains produits, en particulier l’héroïne, soit

utiliser la voie intraveineuse.EMIC n°7 (H-29 ans) : Q 5.1.3. : Ici en… ma première consultation heu… au CAST, au SCDPST. (…) On m'avaitfilé 14 mg d'un seul coup ça m'avait calmé... Vous n'en aviez jamais pris avant dans la rue ou heu...? Jamais, jene connaissais pas, je découvrais quoi le milieu toxicomane je ne le connaissais même pas, je veux dire, je ne lel'ai...je ne le connais que maintenant en fait c'est ça que je vois... le milieu toxicomane, il n'y a que maintenantque je réussis ... que que... Parce que même moi je disais, disons qu'avant je voyais quelqu'un qui sniffait, pourmoi je le traitais de toxicomane. Et là quand je revois les choses en arrière, c'est à moi que je jette la pierre, queje me dis: quand fait heu... il y a une différence là-dessus, il y a une grosse différence entre l'IV et... prendre par lenez ; et pour moi, quelqu'un qui prend par, pas l’héroïne heu... qui prend de la cocaïne heu c'est comme si pourmoi, c'est quelqu'un, comme si quelqu'un qui fumait un joint. Disons que c'est... c'est à peu près la même chose.Maintenant tout ce qui a trait avec l'héroïne et bah heu... c'est bon, c'est comme ça que je vous, ça c'est, ça c'estde la toxicomanie, ça heu... Ce qui fait la toxicomanie, c'est soit la voie où... par laquelle on la prend soit le produitquoi? Voilà, oui. ça dépend du produit.

Les notions d’itinéraire thérapeutique et de communication entre les différents secteurs de

soins sont évoquées par le patient 50. Le patient s’adresse au secteur professionnel après avoir

traversé le secteur populaire. De la même façon, des éléments du savoir acquis dans le secteur

populaire, peuvent être utilisés par le secteur professionnel.EMIC n°50 (H-31 ans): Q 5.1.3 : Par un médecin, le Subutex. Le Temgésic au début, c'était… au début, c'étaitpar un pharmacien qui était à moitié corrompu là, et il nous passait des boîtes dessous. On lui payait la boîtenette d'impôts quoi. 56 francs je crois, à l'époque…quelque chose comme ça. Mais il nous la passait quoi...maissans la taper sur ordinateur sans... Vous n'aviez pas d'ordonnance, rien du tout? Non. Je faisais au noir, quoi. Lapremière fois donc? Ouais. C'était du Temgésic, ce n'était pas du Subutex. Parce que le Subutex est arrivé aprèset puis c'était légal quoi. Mais le Subutex, vraiment? Bah le Subutex, c'était Mme Vincent, elle me l'a prescrit à laplace du Temgésic, quand c'est sorti. A vrai dire, parce qu'ils ont su que...les trucs...enfin les gens qui font lesmédicaments tout ça, ils ont appris que les toxicos prenaient du Temgésic pour se...pour pallier le manque quoi...Et puis, il y en a qui arrivaient carrément à décrocher avec, et ils se sont dit: «Pourquoi pas faire un..."...parcequ'ils voyaient tous les toxicos qui allaient prendre du Temgésic, comme ça, et puis ça faisait au noir. Toutes lesmagouilles avec les pharmaciens, et tout ça...ils se sont dit: «Pourquoi pas faire un truc légal et puis faireprescrire par un médecin quoi...". Et puis ils ont sorti le Subutex à base de buprénorphine, pareil que dans leTemgésic. C'est la même chose, quoi. Et heu...voilà...et heu...de là...alors le Temgésic, c'était un peu au marchénoir, et puis après quand le Subutex est arrivé, j'étais déjà chez Mme X, depuis peut-être 6 mois ou un an. Alorsaprès elle m'a prescrit le Subutex...comme ça, quoi...un remplacement.

Le patient 169 évoque les représentations, parfois très négatives des soignants, en

l’occurrence celle d’un pharmacien.EMIC n°169 (H-37 ans) : Q 5.1.3 : Bah c'est par le docteur machin, c'est à la pharmacie, je l'ai acheté à lapharmacie. Sur prescription de votre médecin généraliste? Ouais. D'ailleurs, ça m'avait choqué, parce que pourme le prescrire…pour savoir mettre quelle pharmacie, il avait dû téléphoner pour savoir s'ils acceptaient d'envendre, et il y a une pharmacie qui a refusé. Bon d'un côté, je la comprends, la dame:"Ouais, vas-y il y a le grostoxico pourri qui va se pointer dans ma baraque, il va faire peur à mes clients", elle n'est pas censée savoir queouais, je suis comme monsieur tout le monde.

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3-1-2. Donné(e) par un proche

Treize patients (19,7%) ont obtenu pour la première fois de la BHD donnée par un

proche. Parmi eux, 8 détaillent particulièrement les conditions de cette première obtention ou

les éventuels effets ressentis.

Comme observé pour les effets de la méthadone, le contexte d’obtention du produit

semble ainsi induire une différence de discours. Cette différence peut être aussi expliquée par

l’intervention du proche, qui a par définition moins de distance avec le patient, d’où

éventuellement plus d’explications voire de justifications. Nous verrons par la suite que

lorsque que la BHD a été obtenue dans la rue, les réponses sont la plupart du temps très

brèves : le contact avec le fournisseur est plus distant.

Ainsi le patient 6 et le patient 71 expliquent qu’ils ont eu recours à ce moyen pour sortir du

manque.EMIC n°6 (H-37 ans): Q 5.1.3 : Par un ami… Un ami… enfin un ami, un copain qui m'a dit: «Prends ça, tu vasvoir tu ne vas plus avoir le manque, c'est comme l'héroïne, c'est super".

Pour le patient 71 en manque de drogue, comme en manque d’argent :

EMIC n°71 (H-39 ans) : Q 5.1.3 : Alors mon cousin, il est… il était toxicomane comme moi aussi. Je l'ai appelé, ilne savait pas tout ça… Je lui ai dit que j'étais en manque, que je n'avais plus d'oseille, que je ne voulais plus allerchercher de l'argent… à droite à gauche, quoi… Il m'a dit: «Viens à Tours"...j'ai eu un cachet il m'a donné un 4mg, le soir...heu... une heure après j'étais bien, le lendemain, j'étais bien, j'ai bien dormi, et heu...je crois quec'est là que je suis monté à... Quand je suis remonté à Paris, j'ai été à à fait... Ouais, je crois que c'est commeça... que c'est venu le Subutex. La première fois que je l'ai eu c'est par mon cousin, lui pareil, il était dans latoxicomanie pendant ouh... il a été incarcéré 11 fois... C'est comme ça que j'ai connu le Subutex. Ca c'était lapremière fois... C'est la première fois que j'ai pris le Subutex de ma vie.

Là encore, la notion d’itinéraire thérapeutique, avec une première prise hors cadre de soins,

est importante. La suite du questionnaire du patient 71 révèlera une prise de la BHD, plutôt

thérapeutique, avec l’absence d’usage détourné.

De même, le patient 81 a obtenu pour la première fois du Subutex par un proche et c’est

ensuite rendu chez le médecin, du secteur populaire au secteur professionnel…EMIC n°81 (H-37 ans) : Q 5.1.3. : Je crois que c'est un copain qui m'en a passé un et après j'ai vu mon médecin,et après j'ai eu une prescription par le médecin. Ouais, bien sûr, ouais, j'ai de vagues souvenirs là-dessus, jevous dis sincèrement.

Pour le patient 19 la première prise de Subutex a été surprenante :EMIC n°19 (H-44 ans): Q 5.1.3 : Non, bah c'est celui qui m'a emmené là qui m'a fait:"ouais, j'en prend". Je lui aidit: "ça fait quoi? " ; il m'a dit: «ça fait rien". Je lui ai dit: "comment çà?". Il m'a donné un, et il m'a dit… Et moi jevoulais que ça me défonce, j'étais encore dans le truc, tu vois. Je voulais que ça me fasse quelque chose. Il m'adit: «ça ne va rien te faire du tout". Je lui ai dit que ce n'était pas la peine. Je l'ai pris. J'ai passé une journée sanspenser à la came du tout, sans être malade, sans rien.

Les patients 4 et 64 précisent quel a été le mode de prise. En « sniff » pour le patient 4 et en

« shoot » pour le patient 64.

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EMIC n°64 (H-41 ans): Q 5.1.3. : Par un copain. Je me souviens de la première fois, je m'étais shooté. C'est lui, ilm'a dit:"Vas-y shoote ça, tu vas voir tu vas être défoncé". Et effectivement, j'ai été défoncé en me shootant. Aprèsj'ai entendu parler que c'était dangereux, on pouvait choper des abcès, etc., boucher les veines, voire claquermême... Alors j'ai arrêté de le faire (Rires).

Pour le patient 67, cette première prise avec un proche a représenté peu d’intérêt, ce qui se

confirmera pour lui par la suite.EMIC n°67 (H-47 ans) : Q 5.1.3. : Un pote m'en avait donné. Il faut le mettre sous sa langue...pour le faire fondre.Je sais. Je m'en doute, remarquez. Voilà, c'est ça. Vous avez essayé comme ça une fois, mais vous n'avezjamais heu...? Ca ne m'a pas plus, alors j'ai arrêté, tout simplement. Vous l'avez pris quelque temps quandmême? Pour voir, ouais. Quelques jours ou...? Ouais, j'en ai pris 3-4 fois pour voir et puis...:"Insiste un peu pourvoir, tu verras". Et puis non, c'est une fraise tagada, donc ce n'est pas la peine hein... autant donner ça à un mecà qui ça lui fait de l'effet peut-être à lui, ou à elle, je ne sais pas. C'est plus pour les femmes le Subutex? Non,mais je dis à lui ou à elle, parce que moi, ça ne me fait rien, alors autant donner ça à une personne, disons à quiça fera de l'effet.

Enfin le patient 128 raconte un itinéraire de toxicomane fréquent, où le don se transforme

rapidement en vente.EMIC n°128 (H-29 ans) : Q 5.1.3. : Bah de la main à la main, quoi. Une copine, une tox, quoi, qui m'en donnait,quoi, qui m'en procurait. Après, elle me le vendait.

3-1-3. Acheté(e) dans la rue

Douze patients (18,2%) ont obtenu pour la première fois de la BHD achetée dans la

rue.

Quatre patients développent cette question, mais la plupart de façon succinte.

Seul le patient 142 s’exprime réellement sur cette question.EMIC n°142 (H-44 ans) : Q 5.1.3 : Je l'ai acheté à Barbès. J'étais en manque. Et donc, je galérais toute la nuitpour pouvoir trouver de la came… Je n'ai pas trouvé de la came. Et heu… il y avait un dealer qui faisait… quiétait là dans le coin d’une rue. Il me dit: «Je n'ai plus rien, mais je peux te dépanner... avec du 8 g ou 8 mg". Etdonc, j'en avais pris deux 8 mg, je les ai avalés, bon j'avais toujours mal quoi, en fait.

3-2. La méthadone

Trente-huit patients (95%) rapportent leur circonstance d’obtention de méthadone la

première fois, 2 patients ayant déjà pris au moins une fois de la méthadone ne répondent pas à

la question.

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3-2-1. Sur prescription d’un médecin

Vingt-sept patients (67,5%) ont obtenu pour la première fois de la méthadone sur

prescription d’un médecin.

Les patients font très peu de commentaires sur cette première prise dans un cadre médicalisé.

Proportionnellement, les patients développent encore moins que sur la première obtention de

BHD sur prescription médicale.

Seuls 2 patients développent la question. Pour le patient 17, c’est la recherche d’un traitement

non injectable qui a motivé la prise de méthadone.EMIC n°17 (H-27 ans) : Q 5.2.3 : Sur ordonnance, c'est en changeant de traitement, en fait. Pour trouver untraitement que je ne pouvais pas m'injecter, quoi. C'était le seul.

Le patient 190 décrit à cette occasion les effets secondaires qu’il a ressentis, peut-être

influencé par la prise d’un produit pris dans un contexte médical.EMIC n°190 (H-41 ans): Q 5.2.3 : Oui. 80 mg sur place et pour 4 jours. Ça a joué sur ma libido, je ne bandaisplus, c'est bizarre et constipation.

3-2-2. Donné par un proche

Sept patients (17,5%) ont obtenu pour la première fois de la méthadone donnée par un

proche.

Trois patients commentent ce premier contact. Pour deux d’entre eux (le patient 65 et le

patient 67), cela a été comme pour d’autres patients avec le Subutex le mode d’entrée dans

une démarche thérapeutique. Le patient 65 introduit la notion d’un « délai de souffrance » qui

serait absent avec la méthadone, contrairement au Subutex.

EMIC n°65 (H-42 ans) : Q 5.2.3. : Par quelqu'un qui était dans un centre et qui m'avait dépanné, une fois j'étaismalade, il m'avait dépanné de quelques bouteilles, et donc j'avais essayé pendant 2 jours heu…commesubstitution, ce qui m'avait permis de me faire une petite idée de…de l'efficacité du produit quoi. Contrairementau Subutex, ça avait une réaction immédiate, il n'y avait pas de délai de souffrance, de... il n'y avait pasà faire ses preuves physiquement, car en général, on craque avant, alors là, ça m'a aidé tout de suite. Ce qui m'aencouragé justement à persévérer quoi, et à moins, à chercher de la came moins régulièrement.

EMIC n°67 (H-47 ans) : Q 5.2.3 : Un pote m'en avait passé une fois. Et j'avais trouvé ça très efficace pour lemanque physique, c'est pour ça que je suis venu en chercher carrément.

À l’inverse, pour le patient 19, sa brève expérience de méthadone a été rédhibitoire :EMIC n°19 (H-44 ans) : Q 5.2.2. : Oh c'est affreux. C'est affreux. La Méthadone, c'est affreux. C'est… J'ai goûtécomme ça, j'ai un copain qui en prenait, il m'a fait: "ouais…"(...). Peut-être qu'après que les gars s'habituent. Moije vois mon pote, il vit dans à peu près...Enfin, lui, il touche à l’héro...C'est vrai que ça doit le rendre heureux, ça.Mais... Oh non, ce n'est pas bon, c'est pas…

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3-2-3. Acheté dans la rue

Quatre patients (10%) ont obtenu pour la première fois de la méthadone achetée dans

la rue.

Deux patients détaillent a minima leur propos, le patient 61 pour s’étonner que les dealers

arrivent à se procurer de la méthadone et le patient 142 pour dire le prix d’achat (50 F).

Synthèse :

Le tableau 12 reprend, pour la méthadone et de la BHD, les moyens d’obtention

rapportés par les patients pour leur « première prise ».

Tableau 12 :

BHD (Subutex)66 patients

méthadone40 patients

sur prescription d'un médecin 38 patients (57,6%) 27 patients (67,5%)

donné(e) par un proche 13 patients (19,7%) 7 patients (17,5%)

acheté(e) dans la rue 12 patients (18,2%) 4 patients (10%)

pas d'information sur la provenance 3 patients (4,5%) 2 patients (5%)

On remarquera que si les premières obtentions dans un cadre médical semblent être

légèrement plus importantes pour la méthadone, d’autres modes d’obtention existent pour ce

médicament, comme cela est plus connu (et fort critiqué) pour le Subutex. Pour les deux TSO,

la première prise sur prescription médicale reste majoritaire dans notre échantillon.

La notion d’itinéraire thérapeutique a été évoquée précédemment dans cette partie.

Nous rappellerons simplement ici que, sans remettre en cause l’important problème de santé

publique et individuelle que pose la prise de TSO hors cadre de soins, les patients ne sont pas

forcément figés dans des conduites et peuvent passer d’un secteur de soins à l’autre, parfois

même motivés par les bénéfices d’un soin auquel ils ont eu recours dans un secteur populaire,

souvent moins reconnu par le secteur professionnel.

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4- Les usages détournés de la BHD

Il était demandé aux patients s’il leur arrivait d’injecter ou de « sniffer » le Subutex.

Pour l’injection comme pour la voie nasale, le passateur demandait aux patients la fréquence

de cette pratique. Les patients étaient aussi interrogés sur les raisons qui pouvaient les amener

aux usages détournés.

4-1. L’utilisation de la BHD par voie injectable

Tous les patients (45,4%) ayant utilisé au moins une fois de la BHD ont répondu à la

question sur l’injection de Subutex.

Trente patients ont utilisé la voie injectable pour la BHD, 4 (6,1%) disent, de façon spontanée

ou non, utiliser ou avoir utilisé cette voie « une fois », 8 (12,1%) « parfois », 8 (12,1%)

« souvent », 7 (10,6%) « toujours » et 3 patients (4,5%) ne précisent pas la fréquence.

4-1-1. « L’appel de la seringue »

Plus que tout autre mode de prise d’un produit, l’utilisation de la voie intraveineuse

peut entrer dans les représentations de la toxicomanie, pour la société, comme pour les

usagers de drogue eux-mêmes. Pour les uns ce sera la barrière à ne pas franchir, pour d’autres

cela fait partie « du geste », dont on ne parvient pas à se défaire dès lors qu’un produit peut

s’injecter. Au-delà du geste, la rupture avec cette conduite entraîne la remise en question d’un

mode de fonctionnement plus large.

La question de l’injection est incontournable. Cela est vrai pour la drogue, lorsqu’elle

est loin de toute idée de substitution, cela est vrai également pour la BHD, à partir du

moment où l’on peut détourner le produit, le dissoudre et l’injecter. Sur le plan des

dommages, l’injection de BHD entraîne certaines conséquences physiques, probablement plus

fréquentes qu’avec l’héroïne : les comprimés de BHD écrasés se dissolvent souvent

imparfaitement et leur injection engendre fréquemment des abcès (et leurs complications) que

beaucoup redoutent.

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Dans une autre partie du questionnaire, lorsque que l’on pose la question de la définition du

toxicomane, 5 patients ayant eux-mêmes utilisés la voie veineuse se définissent dès lors

comme toxicomane.EMIC n°5 (H-40 ans) : Q. 1.5.2. : C'est un gars qui se met du produit dans les veines quoi. Voilà c'est ça untoxicomane.

EMIC n°7 (H-29 ans) : Q. 1.5.1. : Moi je pense que le toxicomane, c'est un peu dégueulasse comme mot, c'est-à-dire qu'on... Comme moi par exemple comme... J'ai mon frère qui me traite de toxicomane (...) Ca remonte il y a 4mois pour ma... ma première IV... C'était mon frère qui m'appelait moi, qui me traitait moi, de toxicomane alorsque lui-même par derrière bon sans que ma famille soit au courant. Moi je savais qu'il consommait de la cocaïnedéjà par les narines, et heu... et moi disons moi... Bon il me traitait de toxicomane, bah lui... parce que... Il pensaitque je ne prenais pas heu... pas... bon... que je prenais par les narines, sans... Et lui il se regardait pas, quoi. Et...et après bon ça, ça m'a poussé un peu à prendre ah ah... l'IV, et maintenant ce que je pense... Ce que je veuxdire, c'est-à-dire pour moi toxicomane, c'est plutôt quelqu'un qui prend les... qui se sert de l'aiguille et puis euh...que quelqu'un qui va prendre par les narines puisque quelqu'un qui va prendre par bon... bon et ça... ça dépenddu produit aussi. C'est heu... Moi je ce que... Je trouve dégueulasse de traiter quelqu'un qui prend par les narinesheu... de toxicomane. Pour moi un toxicomane c'est le vrai… Le vrai problème, c'est... C'est quand il en arrive à...se les mettre dans le... dans le sang.Q. 1.5.2. : (…) Je définis toxicomane… C'est quelqu'un qui prend une seringue. Moi c'est ça que... Pour moitoxicomane, c'est pas euh...

EMIC n°61 (H-39 ans) : Q. 1.5.2. : (…) Celui qui est dépendant, c'est celui qui se shoote, pour moi. Toxicomane,c'est celui qui se shoote ? Ouais. Parce que celui qui fume un joint, ce n'est pas…C'est pas un toxicomane ? Non,il ne faut pas dire ça comme ça, parce qu'il n'y a pas de dépendance, c'est plutôt psychique.

EMIC n°124 (H-32 ans) : Q. 1.5.2. : Quelqu'un qui se shoote.Q. 1.5.3. : (…) J'estimais ne pas en être un. À partir du moment où j'ai injecté, je me suis dit je suis un toxico.

Comme le patient 124, le patient 13, dans un premier temps, n’a pas franchi, à son sens, la

barrière fatidique de l’utilisation de la voie intraveineuse : il n’est donc pas toxicomane. Il

tend à se définir par rapport à ce qu’il n’a pas fait, par rapport à ce qu’il n’est pas. Sa réponse

n’est cependant pas univoque.EMIC n°13 (H-39 ans) : Q. 1.5.2. : Comme je vous avais expliqué, moi, je ne me suis jamais shooté de ma vie,jamais je l'ai fait. Alors le plus gros problème, c'est avec eux… Quand on veut vraiment savoir ce que c'est. Parceque moi, je l'ai toujours pris en sniff. Alors celui qui ne shoote pas, il n'est pas toxico ? Non, si bah oui, quandmême, bah oui. Il n'y a aucune différence, c'est exactement pareil. Alors pour vous qu'est-ce c'est qu'un toxico ?Une définition... Tout... C'est un camé, tout simplement, c'est un camé, mais il n'y avait pas ce mot vulgaire.Donc, c'est vrai que quand on voit vraiment quelqu'un qui se shoote, là ce n'est pas pareil.

Sur ces 5 patients, 2 utiliseront la voie veineuse pour le Subutex (le patient 7 et le patient

124). Les patients 5, 61 et 13 ne l’utiliseront jamais.

4-1-2. Abandon et mise à distance de la voie injectable

Trente-six patients sur 66 (53,3%) n’ont jamais utilisé la voie injectable pour la BHD.

Quatre patients (6,1%), les patients 1, 15, 19 et 118, expliquent cette attitude par une rupture

par rapport à leur pratique antérieure.

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EMIC n°1 (H-44 ans) : Q 5.1.4.2. : Parce que je ne veux plus entendre de la came. Moi, je suis venu ici, vraiment,pour me soigner, heu…avec arrêt total.

EMIC n°15 (H-38 ans) : Q 5.1.4.2. : Ca ne me dit rien. Je ne veux plus entrer d'aiguille dans mon bras.

Le patient 19 évoque et déplore à cette occasion la question de la primo-dépendance à la BHD

par voie injectable. Il est au cœur d’un réel débat de santé publique.EMIC n°19 (H-44 ans) : Q 5.1.4.2. : Parce que j'avais arrêté de me faire des trous. Et puis voilà… Ca faisait partiede vos objectifs d'arrêter de vous faire des trous? D'arrêter de me shooter, ouais, déjà… Après j'ai sniffé parceque j'avais un copain, enfin des copains qui le faisaient, et puis bon, c'est nul, quoi. C'est carrément du délire,c'est carrément... C'est vrai en plus ça fait mal à tête en plus, et puis ça énerve. C'est naze, quoi. C'est rester, lesmecs c'est ce qu'ils veulent c'est rester dans l'esprit. Parce que le mec il a pris du Subutex longtemps, il a arrêté ily a quoi, il y a un mois, et ben le mec il en a pris pendant 4 ans, et bah pendant 4 ans il a sniffé le Subutex, legars. C'est du délire quand même. C'est rester dans le truc, quoi. Moi je connais des gars qui shootent duSubutex, ils n'ont jamais été camés ces gars-là. Ils vont à Châtelet, ils achètent, ils shootent du Subutex, c'estpas grave? Et c'est des gars on ne peut pas... c'est pas des toxico qui ont 10-15 ans, ils n'ont jamais trop touchéà rien ces gars-là. C'est... mais c'est comme ça. C'est se faire un trou. C'est...

EMIC n°118 (H-44 ans): Q 5.1.4.2. : Parce que je ne vais pas m'injecter les médicaments…quoi. Parce queaucune injection… Si je suis venu voir le médecin ce n'est pas pour m'injecter des médicaments.

Le patient 41 a, lui, une réponse logique et pratique :EMIC n°41 (H-29 ans) : Q 5.1.4.1. : Non. Jamais? Jamais...Je préfère m'injecter de l'héroïne que du Subutex.

Six patients (9,1%) n’ont jamais utilisé la BHD par voie injectable par crainte des

conséquences dont ils ont été souvent témoins. Ils développent en fait la notion de perception

des risques. Les abcès sont évoqués au premier plan.EMIC n°61 (H-39 ans): Q 5.1.4.1. : Non, ce n'est pas un truc que je ferais ça… Si c'est pour encore attraper dessaloperies, des abcès, des machins…

EMIC n°81 (H-37 ans) : Q 5.1.4.2 : Je n'injecte pas le Subutex, … Pour quelles raisons? Parce que ça bloque, etc'est mauvais, ça vous bouche les veines.

EMIC n°151 (H-44 ans) : Q 5.1.4.1. : Non, jamais. Jamais? Non. J'en ai vu s'injecter le Subutex, j'ai vu ce que çaa donné… heu… non, non.

EMIC n°163 (H-42 ans) : Q 5.1.4.1. : Ca me fout un peu la trouille, parce que j'ai vu certaines personnes le faire…et puis je n'ai pas besoin, parce que bon… on met ça sous la langue et puis ça y est. Mais surtout en voyant lesgens qui faisaient ça, heu… ça fait peur…

EMIC n°169 (H-37 ans): Q 5.1.4.1. : Non. J'y ai pensé, j'y ai pensé, et heureusement pour moi ouais, j'ai vu unreportage sur des gars qui en avaient shooté avec ça… quelle horreur. Et puis, j'avais bien vu le truc et ça faisaitflipper quoi, ça faisait quand même:"Ouais, je veux bien mourir mais là, mourir de cette façon-là, ça me feraitchier".

Le patient 190 en plus de sa « peur des piqûres » semble avoir été convaincu par son médecin

sur les conséquences des injections.

EMIC 190 (H-41 ans) : Q 5.1.4.2. : J'ai peur des piqûres. Le médecin a expliqué que ça bouchait le poumon, çafait des infections dans les veines.

Deux patients (3%), les patients 142 et 159, déclarent ne jamais avoir utilisé la voie injectable,

y compris avec les produits illicites. En particulier le patient 142 dit avoir été « sauvé de la

catastrophe ». Ces mots sont lourds de sens, ils évoquent un engrenage de difficultés, que

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représente non seulement la toxicomanie au sens large, mais aussi particulièrement la voie

injectable.

Chez les 30 patients (45,4%) qui ont utilisé au moins une fois la voie injectable, 22 (33,3%)

parlent clairement de cette pratique comme appartenant au passé. Chez les 8 patients restants,

si le passé est parfois employé, il est cependant difficile de savoir s’ils continuent à s’injecter

la BHD. La majorité des patients de l’échantillon de 66 patients ayant déjà pris au moins une

fois de la BHD, semble donc avoir pris ses distances avec la voie injectable pour la BHD (58

patients sur 66, soit 87,9%).

Parmi les patients qui argumentent l’arrêt de la voie injectable pour le Subutex :EMIC n°22 (H-40 ans) : Q 5.1.4.1 : Ouais, pendant plus d'un an, à raison de 2-3 injections par jour. Etcontrairement à d'autres moi je n'ai rien eu… Ouais, les gens sont souvent malades avec ça, hein… Très, trèsmalades, hein: des abcès… C'est dangereux, des… de toutes façons vous le savez ça? Mais ce qui m'intéressec'est vous, hein? Oui, mais bon, ce que je veux dire, moi justement, j'en ai fait...

EMIC n°85 (F-33 ans) : Q 5.1.4.1 : Donc, la seule fois que l'avez pris, vous l'avez injecté ? La seule fois où je l'aipris je l'ai injecté et heu...je m'en souviendrai toute ma vie.Q 5.1.4.2 : Parce que j'ai toujours injecté les produits de substitution, sauf la Métha. Comme je sais que ce sont

des produits qu'on peut injecter en tant que toxicomane, et bah je les ai injectés. Je veux dire que je n'auraispeut-être pas injecté si j'avais sniffé à chaque fois que j'ai pris de la came dans ma vie, peut-être que le Subutexje l'aurais sniffé, mais comme j'ai toujours piqué heu... bah j'ai voulu piqué le Subutex. Et en plus comme j'étaismalade, je voulais que ça fasse un effet rapide, je n'ai pas été déçue ! (rires). Je me suis retrouvée sur lebrancard avec ma perfusion, j'avais l'air d'être bien !

4-1-3. Les raisons de la voie injectable avancées les patients

Quinze patients (22,7%) évoquent la recherche d’effets comme raison à la pratique de

l’injection. Deux patients décrivent les effets de la voie injectable de façon spontanée tout au

début de la section 5, à la question sur les effets, alors que le passateur n’a pas encore abordé

l’éventualité d’usages détournés :EMIC n°17 (H-27 ans) : Q 5.1.2. : En le prenant sous la langue heu… aucun effet dynamisant ou quoi que ce soit.En l'injectant, en le sniffant, il y a un petit effet dynamisant quand même ; quoique non même sous la langue,c'est dynamisant, parce que ça speed, quand même. C'est assez... Il n'y a pas d'effet... C'est un excitant?Ouais... quand même, c'est un excitant, c'est clair. moi je prenais du Subu au début... ouais en fait si c'est... sij'étais bien speed, j'étais bien, quoi, je me sentais bien quoi.

EMIC n°49 (H-37 ans) : Q 5.1.2. : Me sert bien moralement, physiquement, mais le fait qu'on peut le shooter,c'est ça qui est… Si c'était impossible de le shooter, ça serait mieux!! Plus d'effet en le shootant, immédiatement.

De façon générale, les patients rendent cependant rarement compte de la réalité d’un effet

ressenti en injectant la BHD. La quête de sensations est en fait, dans le propos des patients,

peu dissociable de l’importance du geste. Le patient 80 qualifie cette dépendance d’ « appel

de la seringue ». Quatorze patients (21,2%) évoquent ainsi la grande place du geste dans leur

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pratique. Les mots choisis pour décrire cette dimension appuient sur l’objet matériel qui « fait

de l’effet » ou sur le contexte de l’injection. Les patients se décrivent aussi dans un

comportement. Le patient 17 parle ainsi du côté « machinal» de l’injection. Chez le patient

30, « le fait de mettre l’aiguille » semble représenter quelque chose d’effrayant. Il n’a

d’ailleurs injecté le Subutex qu’une fois, avec l’aide d’un tiers. Le patient 49 décrit un

« rituel », il insiste aussi sur l’importance de ce qu’il y a « directement dans le sang », comme

si cela avait un pouvoir de régénérescence, il n’aurait pu avoir d’effet s’il ne se mettait pas

« une seringue dans le bras ». Le patient 85 dit avoir eu ce comportement « en tant que

toxicomane », comme si la définition du terme toxicomane impliquait l’action de se piquer et

inversement. Dans la même idée, le patient 105 précise sa qualité de « toxicomane par

piqûre ». Le patient 129 est lui devenu « un accro du shoot ». Le patient 133 et 189 disent

respectivement la même chose : « le besoin d’enfoncer quelque chose dans le bras. Le fait de

faire ma petite cuisine… », « la sensation d’avoir la piqûre… la préparation de… ». Il y a là à

la fois l’idée du geste et l’idée du « faire », développée par Bouhnik et al (1999). La patiente

172 souligne « son habitude de la seringue », qui s’inscrirait plutôt dans un mode de

fonctionnement. Enfin le patient 198 résume en peu de mot une sorte d’attirance-répulsion,

souvent sous-entendue : « le vice de la piqûre » « le plaisir de se faire des trous ».

De façon anecdotique, mais non négligeable, ne serait-ce que par ce que cela fait partie des

caractéristiques d’un médicament à améliorer, 2 patients (3%), les patients 121 et 128,

évoquent le goût amer du Subutex comme raison de l’usage détourné.EMIC n°121 (F-36 ans) : Q 5.1.4.2. : Pour des problèmes de prise par voie normale quoi, par voie sublinguale.Normalement on le prend sous la langue et c'était tellement amer que moi ça me faisait vomir, alors un jour je mesuis dit ben on va voir quoi et j'ai vu que par injection c'était…

EMIC n°128 (H-29 ans) : Q 5.1.4.2. : Bah déjà en sublingual, je trouvais ça vraiment dégueulasse, vraiment, pasbon du tout à sucer, quoi. Déjà pour ça, et ensuite, je suis devenu un accro du shoot, et voilà. Donc, l'un mis dansl'autre, voilà, hein, ça a donné ce résultat.

Deux autres patients (3%), le patient 22 et le patient 105, soulignent l’aspect financier du

faible coût du Subutex par rapport à l’héroïne. Cet aspect est associé à une certaine stabilité

pour le patient 105. Il évoque également la notion de perception des risques, influencée par

son expérience avec les produits.EMIC n°22 (H-40 ans) : Q 5.1.4.2. : Un besoin…j'avais besoin d'un produit, et je n'avais pas les moyens de…dem'acheter de l'héroïne, donc…et puis il arrive un moment, où ça ne remplace pas l'héroïne, mais il arrive unmoment où ça le remplace réellement, on ne pense même plus à l'héroïne, on se contente réellement du Subutex(...)

EMIC n°105 (H-35 ans) : Q 5.1.4.1. : C'est fini. Ca a fini… au début heu… les premières semaines, normalementet quand j'ai appris que ça pouvait par relation des toxicomanes… que ça pouvait être injecté, j'ai essayé, etaprès pendant… Et une fois que j'ai vu que ça pouvait s'injecter, j'ai toujours pris par injection. Ça a remplacé

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l'héroïne faute d'argent à des moments où heu... le ras-le-bol d'aller... ou soit il n'y en avait plus, soit il n'y avaitpas d'argent, soit (…) bon bah voilà, c'est... le fait que j'ai été un toxicomane par piqûre a fait que j'ai pris leSubutex en injection.Q 5.1.4.2. : Bah parce que… pour quelles raisons… hein, la question… Comment expliquer ça…? Parce que j'aivu que ce produit pouvait se mélanger, se mettre dans la piqûre quoi et puis heu… enfin… voilà se dissoudredans l'eau, malheureusement peut s'injecter, ouais, voilà... Ça et puis bien sûr... ça a remplacé mes piqûresd'héroïne à ces moments-là. Au début, à la limite, j'ai même ... dans tous les débuts... (…)J'ai eu cette sensation-là, de genre de produit miracle qui remplaçait l'héroïne, parce que ça ne coûtait pas d'argent, et ça évitait lesgalères et heu... ça avait plus ou moins une stabilité... mis une stabilité plutôt dans ma vie sociale (...) Mais bonça... après ça atteint... Il y a les problèmes psychologiques qu'on a chacun d'entre nous, bon bah suivant le moralqu'on a ou la perception des choses du danger ou... bon bah est amoindrie parce que... on a je pense... on a tantun passé ou un vécu par rapport à ça, on a plutôt tendance à être destructeur, quoi, vis-à-vis de soi-même.

Le patient 135 parle « d’envie d’arrêter », qui à un moment donné n’aurait pas été suffisante,

pour abandonner la pratique de l’injection. Mais cette « raison » a pu être donnée a posteriori,

après un parcours qui a pu être plus complexe.

4-1-4. Les conséquences de la voie injectable

De façon générale, dans la population des usagers de drogues, l’injection de BHD est

réputée comme ayant plus d’effets secondaires que celle d’héroïne (infections, abcès). Les

conséquences des injections de Subutex sont décrites spontanément par 5 patients qui ont, ou

ont eu, cette pratique. Parmi ces 5 patients (7,6%), 4 ont vraisemblablement des effets

délétères pour eux-mêmes (le patient 157, qui n’a pratiqué l’injection que peu de fois, n’en a

apparemment pas eus).EMIC n°6 (H-37 ans) : Q 5.1.4.2. : (…) Et en plus vous vous abîmez le bras, ce qui m'a donné des gros trucs, jeme suis fait opéré...

EMIC n°22 (H-40 ans) : Q 5.1.4.2. : (…) Ouais, les gens sont souvent malades avec ça, hein… Très, trèsmalades, hein: des abcès… C'est dangereux, des… de toutes façons vous le savez ça? Mais ce qui m'intéressec'est vous, hein? Oui, mais bon, ce que je veux dire, moi justement, j'en ai fait...

EMIC n°60 (F-18 ans) : Q 5.1.4.2. : (...) Donc, je me disais Subutex, ça va faire comme l'héro. Alors que pas dutout. Ca fait mal. Ca fait plus mal? Oui.

EMIC n°157 (H-37 ans) : Q 5.1.4.1. : Si, mais pas beaucoup de fois, parce que je savais que c'était dangereux.C'était rare, très très rare.

Le patient 105, déjà cité plusieurs fois pour la complexité de sa réponse, a toujours utilisé le

Subutex par voie injectable jusqu’à son passage sous méthadone. Il décrit des conséquences

physiques qu’il semble toutes relier à la voie intraveineuse (nausée, troubles trophiques,

déficit immunitaire).EMIC n°105 (H-35 ans) : Q 5.1.2. : (…) Et quand c'est pris dans une dérive injectable, on recherche un certaineffet qui est lié à l'héroïne qu'on ne trouve pas bien sûr, mais on trouve autre chose. On trouve un phénomène unpeu plus grave dans le sens où on ne sent pas bien, des nausées heu... Notre corps change par rapport à ça auniveau physiologique. La peau se détériore. Bon, je trouve que bon... vu que ce n'est pas fait pour ça, donc, ça vaaltérer le corps humain. Ca c'est le constat que j'ai fait personnellement. Et puis bon... C'est surtout des effetsphysiologiques, vous dites? Plus ça, qu'un effet euphorique, oui. Ouais, ouais. C'est ouais, ouais... Dans le côté

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destructeur, c'est... Etant conscient du problème physiologique que ça me posait et que ça pouvait apportercomme d'autres maladies, donc conscient heu... au niveau immunitaire que ça allait me faire baisser mesdéfenses (...) Enfin, personnellement du problème, bon moi, ça m'a fallu du temps, mais bon, j'ai fini par être à laméthadone, mais bon les dégâts que ça fait, c'est... c'est effroyable, quoi...Q 5.1.4.1. : (...) avec toutes les conséquences que ça peut avoir (…)Q5.1.4.2. : (…) avant de constater les dégâts que ça pouvait faire, j'ai même pensé le produit miracle, presque,ouais.

4-2. L’utilisation de la BHD par voie nasale

Soixante-quatre patients (97%) ont répondu à cette question, 2 patients ayant utilisé au

moins une fois de la BHD n’ont pas répondu.

Trente-deux patients (48,5%) ont « sniffé » au moins une fois de la BHD. En terme de

fréquence, 6 patients (9,1%) disent l’avoir fait « une fois », 17 « parfois » (25,75%), 7

(10,6%) « souvent », et seulement un seul patient (1,5%) « toujours » (il a d’ailleurs arrêté

après un an et demi). Un patient (1,5%), le patient 3, ne précise pas de fréquence.

Cet usage détourné est aussi le produit d’un passé (ou d’un présent toujours en vigueur) de

consommateur de drogue. Il est cependant considéré comme moins stigmatisant que la

pratique de la voie intraveineuse.

4-2-1. Abandon et mise à distance de la voie nasale

Trente-deux patients (48,5%) disent ne jamais avoir utilisé le Subutex par voie nasale.

Neuf (9,1%) d’entre eux argumentent. Ils s’appuient souvent sur le fait que « ce n’est pas

recommandé », comme le patient 41, ou « pas fait pour » comme le patient 190. Pour les

patients 13 et 128, cela n’a pas d’intérêt. Le patient 81 s’appuie sur le secteur professionnel au

travers de son frère pharmacien : « j’ai un frère pharmacien, je sais qu’il agit à 80% sous la

langue, le sniffer, le shooter çà ne sert strictement à rien ». Les patients 13 et 128 relèvent la

notion de douleur : « je me fais mal encore plus », patient 13 ; « ça doit bousiller le nez »,

patient 128.

Comme pour la voie injectable, certains patients sont dans une attitude de rupture. Quatre

patients (6,1%) rejettent globalement les usages détournés.

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Pour le patient 118, c’est la « même chose » que pour l’injection : il n’est pas venu voir le

médecin pour cela.

Pour le patient 142 :EMIC n°142 (H-44 ans) : Q 5.1.4.4. : Parce que c'est comme ça qu'il fallait le prendre, et donc, c'est comme çaque je le prends. Mais je sais par contre, oui, bien sûr, il y en a qui le shootent… ou heu… je sniffais… je ne saispas… mais bon… Si, j'essaie de… En fait, si on essaie de s'en sortir, ce n'est pas pour heu... ce n'est pas pourdétourner l'usage de quoi que ce soit... si réellement je veux rester dedans, je serais resté dedans. Mon effortpour pouvoir sortir de là, c'est réel, en fait. Ce n'est pas pour détourner un produit... ce n'est pas pour détournerun produit pour faire un autre usage... voilà... Mais je sais qu'il y en a qui le font, c'est vrai. Il y en a qui le font.

Le patient 163 introduit la notion d’une toxicomanie au Subutex débutant en prison. Il en

vient du coup à douter du bien fondé de cette forme de substitution.

EMIC n°163 (H-42 ans) : Q 5.1.4.4. : Pareil, la même chose…je n'ai jamais pensé en réalité, quoi… Vous savezqu'il y a des gens qui vont en prison, ils ne sont pas toxicomanes, et qui ressortent toxicomanes, qui sont accrosau Subutex… des fois on a l'impression qu'il n'y pas que du bien...

Le patient 164 semble avoir une attitude tranchée :EMIC n°164 (H-50 ans) : Q 5.1.4.4. : Pareil. Le Subutex, c'est pour une chose, et la drogue c'est autre chose,quoi…

Parmi les 32 patients (48,5%) qui ont déjà utilisé la voie nasale pour le Subutex, 18 (27,3%)

en parlent clairement au passé. Au total 40 patients (60,6%) sur les 66 ayant déjà pris au

moins une fois du Subutex semblent ne pas ou ne plus détourner le produit par voie nasale au

moment de l’étude.

Sept patients (10,6%) ayant déjà « sniffé » du Subutex et ayant ensuite arrêté, expliquent cette

attitude par le fait qu’ils n’ont pas retrouvé l’effet escompté. Pour 4 patients (6,1%), ce sont

les effets secondaires physiques qui les ont amenés à cesser de « sniffer » : altération de la

muqueuse nasale pour 3 d’entre eux, et pour l’un eux, un malaise avec vomissement lors

d’une partie de foot en prison, alors qu’il était à la recherche de « speed ».

4-2-2. Les raisons de la voie nasale avancées par les patients

Comme pour la voie injectable la recherche d’un effet est au premier plan des

motivations à la voie nasale. Quinze patients (22,7%) l’évoquent. Parmi eux, seuls 5 patients

(7,5%) semblent avoir trouvé cet effet. Le patient 17, cité précédemment, décrit ainsi les

effets du Subutex sniffé, dès qu’on lui pose la question sur les effets du Subutex. La plupart

des patients sont cependant déçus de l’effet ressenti. C’est une des raisons évoquée pour

l’arrêt de la pratique comme on l’a vu plus haut.

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La reproduction du « geste » est moins évoquée par les patients comme raison au « sniff ».

Seuls six patients (9,1%) en parlent. Sur ces 6 patients, 3 (4,5%) n’ont sniffé du Subutex

qu’occasionnellement. L’un d’eux, le patient 4 semble réellement lutter contre « le côté

maniaque de l’héroïne », et l’acte de sniffer ne semble pas dénué de culpabilité. Le patient 6

décrit une situation où un autre toxicomane est mis en scène, mais c’est probablement lui-

même qu’il projette dans le toxicomane qui cherche le dealer des yeux et pour lequel le fait de

« pointer la seringue » permet de faire disparaître le manque. Se voir dans cet « autre » lui

permet aussi de prendre de la distance.EMIC n°4 (H-43 ans) : Q 5.1.4.4. : Je… C'est un peu une manie, quoi. J'aime bien… Ce n'est pas facile à…maisj'essaie de ne pas le faire souvent parce que…parce que c'est un côté maniaque, comment dirais-je... ça fait unpeu penser à l'héroïne. Donc, vous pensez que c'est ça? Parce que ça vous évoque fortement l'héroïne? Oui. Jepense que quand on a décroché de l'héroïne, on n'est pas complètement guéri, hein. Il reste heu... il y a quelquesséquelles qui restent. Mais l'héroïne vous l'injectiez? J'ai eu une première période où je l'ai sniffée, je l'ai injectéeaprès et j'ai eu des problèmes cardiaques à chaque fois je me retrouvais aux urgences parce que heu... ça... jeme suis... mis à la sniffer continuellement, quoi.

EMIC n°6 (H-37 ans) : Q 5.1.4.4. : Toujours pour ressentir l'effet de l'héroïne, vous savez quand vous pointez uneseringue ici, ça y est le manque il n'a plus le manque. J'ai trouvé ça une fois extraordinaire. Il y avait un plan, pastrès loin d'ici, c'était l'année dernière, je passais par là, je revenais de chez mes parents. Je reprenais le bus àl'Hôtel de Ville, et puis je voyais un remue-ménage qui se faisait, et puis bon il y a longtemps que je n'avais pasvu ça, et puis j'ai vu les gars mal rasés, sentant la sueur, qui avaient froid. Ce n'était pas agréable. Le mec il étaitcarrément cassé, plié, carrément... il cherche le dealer avec ses yeux, ça c'est incroyable... Je l'ai suivi des yeuxça c'est incroyable. Je l'ai regardé, dès qu'il a vu le dealer, il s'est redressé le type, il s'est redressé, il a sortil'argent, il est parti comme une flèche, le manque était parti. Le manque était parti. Dès que le gars a posé sonsachet dans sa pince, terminé, il n'avait plus besoin de prendre le produit en vérité... Vous voyez ce que je veuxdire. C'est incroyable, ça. Et il est reparti…

Un patient (1,5%), le patient 20, rappelle la question du goût pour rationaliser la pratique de la

voie sublinguale . Il a finalement trouvé que « çà allait plus vite sous la langue ».

La notion de curiosité, d’ « essai pour voir », est évoquée par huit patients (12,1%) Les

patients qui soulignent comme unique raison au sniff une démarche expérimentale, semblent y

avoir mis un terme assez rapidement. Quatre patients (6,1%) ayant sniffé du Subutex par

curiosité ne l’ont fait qu’une fois et 4 patients (6,1%) façon anecdotique.

Parfois associé à cette notion de curiosité, 4 patients (6,1%) ont utilisé la voie nasale en

prison. Un effet d’entraînement peut-être plus important qu’à l’extérieur semble jouer :EMIC n°15 (H-38 ans) : Q 5.1.4.4. : En prison. La 1ère fois, on m'a dit de sniffer.

EMIC n°66 (H-39 ans) : Q 5.1.4.4. : Je crois que quelqu'un le faisait, et il m'a dit:"Tiens", alors j'ai commencécomme ça. Oui, mais pourquoi pour vous-même, vous avez continué à le faire? Ouais, je ne sais pas pourquoi, jesuis rentré dans une habitude quoi avec eux. Ca a fait un autre effet en le sniffant? Bah heu... on a l'impressionde le sentir mieux en le sniffant, mais ce n'est pas vrai hein (rires), et heu... c'est en prison que j'ai sniffé lapremière fois.

EMIC n°112 (H-31 ans) : Q 5.1.4.4. : Parce qu'on était en prison, j'ai vu les autres essayer, moi j'ai essayécomme ça pour la curiosité on va dire. Mal placée.

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EMIC n°151 (H-44 ans) : Q 5.1.4.4. : J'étais heu… j'étais en prison… Et alors? Et bah… j'avais le Subutex entraitement. Oui, mais pourquoi vous avez eu ce jour-là envie de le sniffer? Bah c'était une connerie, il y avait unmatch de foot, il y avait un tournoi, et je voyais les mecs qui ne prenaient pas de Subutex, ils étaient (...) dès qu'ilsle sniffaient, ils speedaient. Donc, vous avez eu envie d'être speed vous aussi? Voilà, et puis d'assurer ma placesurtout ma place au ballon. Et je me suis dit bon on va voir. Et à la finale, j'ai vomi, j'ai heu... ça a été... Et puisaprès j'ai... dit... plus jamais de ma vie... terminé... avant... rien du tout...

Synthèse :

Nous avons restitué dans le tableau 13 les fréquences des usages détournés de la BHD

rapportées par les patients.

Tableau 13 : Fréquences de l’utilisation de la voie IV et de la voie nasale pour le Subutex (prévalence vie

entière)

utilisation de la voieIV pour le Subutex66 patients

utilisation de la voienasale pour le Subutex66 patients

jamais 36 patients (53,3%) 32 patients (48,5%)

une fois 4 patients (6,1%) 6 patients (9,1%)

parfois 8 patients (12,1%) 17 patients (25,75%)

souvent 8 patients (12,1%) 7 patients (10,6%)

toujours 7 patients (10,6%) 1 patients (1,5%)

pas d'informationsur la fréquence

3 patients (4,5%) 3 patients (4,5%)

L’usage de la voie injectable pour la BHD a concerné 27 patients (40,9%) de notre

échantillon à un moment donné de leur parcours. La voie nasale a quant à elle été pratiquée

par 31 patients (46,95%). Si l’on « croise » les réponses des patients, seuls 13 patients

(19,7%) n’ont eu recours à aucun usage détourné. La fréquence du détournement est donc

élevée parmi ces patients. Ces chiffres peuvent en partie être expliqués par le recrutement de

l’étude : la plupart des patients ont un lien avec le CSST, où les patients sont souvent adressés

par les médecins de ville pour des antécédents de mésusages de la BHD, en particulier par

voie injectable. D’autres facteurs peuvent intervenir, nous y reviendrons dans la discussion.

Certains patients se définissent, en particulier pour la voie IV, par rapport à ce qu’ils

ne font pas ou ce qu’ils ne font plus : un toxicomane « s’injecte », si on cesse cette pratique,

on n’est peut-être plus toxicomane. Même si d’autres mésusages peuvent être poursuivis pour

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le même patient. Cette différenciation (Castel 1998) est surtout exprimée par les patients

lorsqu’ils n’ont jamais eu recours à l’un ou l’autre des usages détournés. Lorsque les patients

ont cessé une conduite après l’avoir expérimentée, ils justifient plutôt cet arrêt par l’absence

d’un effet recherché pour la voie nasale, et plutôt par les conséquences physiques (abcès au

premier plan) pour la voie veineuse. Ce dernier point préfigure la notion de perception des

risques par les patients. Cette perception peut être influencée par l’état général, à la fois

physique et mental, dans lequel se trouve le patient comme le décrit le patient 105.

La raison la plus évoquée par les patients pour la voie IV comme pour la voie nasale

est la recherche d’effet : 15 patients (22,7%) rationalisent ainsi leur mode de prise pour les

deux usages. De façon très liée à cette recherche, le « geste » est évoqué par 14 patients

(21,2%) comme raisons du recours à la voie injectable. Le « geste », et son abandon, regroupe

probablement chez beaucoup de patients, un enjeu beaucoup plus vaste qu’une « habitude ».

Les aspects financiers d’une toxicomanie à bon marché et les problèmes de goût sont

également évoqués (2 patients, 3%). La notion de « dépendance au geste » est moins évoquée

pour la voie nasale, seuls 6 patients en parlent (9,1%). Les autres raisons évoquées pour la

voie nasale sont le problème du goût (1 patients, 1,5%), la curiosité (8 patients, 12,1%), et le

passage en prison (4 patients, 6,1%). La notion de curiosité et la prison n’avait pas été

évoquée pour l’injection de BHD, elles ne sont cependant pas spécifiques du détournement

par voie nasal.

Nous noterons aussi que les patients ne sont pas forcément figés dans leur modalité de

prise : 22 patients (33,3%) qui avaient injecté au moins une fois de la BHD, semblent avoir

pris leur distance avec cette pratique, et 18 patients (27,3%) pour la voie nasale.

Enfin, nous pouvons remarquer les différences de fréquences notables pour la voie

nasale par rapport à la voie IV (cf. tableau 13) : la pratique anecdotique de la voie nasale

(« une fois » et « parfois ») semble être majoritaire parmi les « sniffeurs » (23 patients,

34,8%), de même la pratique la plus fréquente (« toujours ») ne concerne qu’un patient

(1,5%), alors que 7 patients (10,6%) rapportaient cette pratique pour la voie injectable. Les

comportements des patients et leur vécu vis-à-vis des deux usages détournés ne sont pas

identiques. La question du Subutex par voie injectable est centrale pour les usagers de

drogues. Dans notre échantillon, c’est la seule question où tous les patients ont répondu ; cela

n’est peut-être pas dû au hasard.

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5- Attentes, buts et objectifs des TSO du point de vue des patients

5-1. Vis-à-vis de la BHD

Soixante-deux patients (93,9%) ont donné leur opinion sur « le but » du traitement par

BHD et 4 patients ayant pris au moins une fois de la BHD n’ont pas répondu à la question. La

réponse du patient 112 n’est pas exploitable en raison d’un problème technique.

5-1-1. La BHD est une substitution à la drogue

Une grande majorité des patients, 58 sur 66 (87,9%), ont cette analyse. Dans la partie

suivante, nous avons estimé que les patients voyaient un but de substitution à la BHD

lorsqu’ils estimaient possible grâce au traitement d’arrêter les produits, de « décrocher » ou de

faire un sevrage, lorsqu’ils y voyaient l’éventualité de soulager le manque, lorsque les patients

pensaient que le but était d’empêcher la prise d’un autre produit, lorsqu’ils voyaient une

possibilité de diminuer la prise de produit en prenant de la BHD, et enfin lorsque les patients

estimaient que la BHD « remplaçait » la drogue. Certains patients se retrouvent dans plusieurs

groupes la question n’étant pas limitative.

Arrêter, « décrocher », faire un sevrage

C’est le groupe le plus important. Quarante patients (60,6%) emploient le mot

« arrêter », « décrocher », ou sevrage, ou bien un ensemble de mots qui renvoient à cette idée.

Certains patients utilisent ou ont utilisé régulièrement la BHD par voie injectable ou nasale et

déclarent pourtant sans ambiguïté, que le but du traitement par Subutex est « d’arrêter ». Par

exemple, le patient 124 injecte ou a injecté le Subutex et le sniffe ou l’a sniffé souvent, cela

ne l’empêche pas de voir dans le Subutex « une sorte de sevrage ». De même, le patient 8

avait injecté du Subutex « souvent », tout en étant très clair sur la question du but.EMIC n°8 (H-30 ans) : Q 5.1.5. : Pour moi c'est, ça aide à décrocher petit à petit, ça aide la personne à se sentirmieux dans sa peau, dans sa tête et puis ouais être mieux dans la rue avec les autres, être comme les autrescomme la méthadone (…).

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L’arrêt du manque

Étant donné la place du manque dans l’histoire des toxicomanes, il est naturel qu’il

soit cité comme but important par les patients. Neuf patients (13,6%) en parlent. L’arrêt du

manque est nommé comme unique but par 2 patients (les patients 24 et 88). Parmi les 9

patients, 3 décrivent des usages détournés (injection et injection et sniff pour un patient),

Empêcher la prise d’un autre produit

L’effet agoniste-antagoniste de la BHD est connu par certains patients. Cette propriété

pharmacologique peut être effectivement perçue comme une volonté d’« empêcher la prise

d’un autre produit ». Pour huit patients (12,1%) de notre échantillon, cela semble être un

objectif satisfaisant.

Parmi eux, les patients 4, 25 et 66.EMIC n°4 (H-40 ans) : Q 5.1.5. : Si on prend le Subutex et si on prend de l'héroïne, c'est comme si ça faisait zéro,ça ne fait pas d'effets.

EMIC n°25 (H-44 ans) : Q 5.1.5. : Bah…C'est vrai que j'ai jamais vraiment bien pensé à ça, mais je pense quebon, c'est pour m'empêcher de prendre un autre produit. Ca c'est clair. Parce qu'en plus, heu… j'ai faitl'expérience de prendre du Subutex, et ensuite heu… quelque chose d'autre, un produit stupéfiant, c'estvrai... Autant pisser dans un violon, je veux dire. C'est ...

EMIC n°66 (H-39 ans) : Q 5.1.5. : (...) Le but c'est donc de ne pas y penser quoi, heu… pendant le temps dutraitement on n'y pense pas, ça c'est bien, je trouve ça bien. Et qu'est-ce qui fait qu'on n'y pense pas? Bahcertainement le Subutex, hein, le produit qu'ils mettent dedans, moi ça ne me donne pas envie d'aller chercher,de prendre de l'héro, ça ne m'intéresse pas.

Diminuer la consommation de drogue, diminuer la BHD

Pour 7 patients (10,6%), la régression des produits fait partie des buts. Pour deux

d’entre eux (le patient 5 et le patient 163), il s’agit surtout de diminuer une consommation de

drogue qui semble toujours d’actualité. Pour les autres, la régression concerne essentiellement

celle de Subutex, avec la possibilité d’un arrêt définitif des consommations. Parmi eux, 2

patients ont eu des usages détournés par le passé (sniff pour le patient 30 et injection pour le

patient 49).

La BHD remplace la drogue

Cette définition littérale du terme « substitution » (d’après le petit Robert 1997: action

de substituer, de remplacer par autre chose) est reprise par 8 patients (12,1%) comme but du

traitement.

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Pour certains de ces patients, la comparaison à la drogue rend la substitution possible. C’est le

cas du patient 157, pour lequel le Subutex est « pareil, mais moins dangereux ». Cela peut

être une vision de la réduction des risques.

Le patient 65 est dans un « combat », où le Subutex peut être une arme pour « prendre la

place » de la drogue.EMIC n°65 (H-42 ans) : Q 5.1.5. : D'essayer de combattre la toxicomanie quoi, les dépendances aux droguesdures.

5-1-2. Le retour à une vie normale

Cette notion avait déjà été évoquée par plusieurs patients lors de la question sur les

effets. L’arrêt de la « galère », la reprise d’un équilibre, des activités banales de la vie

quotidienne et du travail sont identifiés comme but par 10 patients (15,15%).

Les patients 8, 71 et 189 pensent que le Subutex permet de reprendre contact avec les autres.

Pour les patients 71 et 189, le contact « normal » à nouveau possible avec l’extérieur, permet

aussi un retour au travail, qui peut se faire sans souffrance.EMIC n°71 (H-39 ans) : Q 5.1.5. : C'est pour heu… aller mieux, c'est pour se réinsérer dans… je ne sais pascomment on dit… dans la vie sociale, dans la vie active, bon, parce que… vous savez on a de l'héroïne… on estcapable d'aller travailler, on ramène notre héroïne sur le dos, et on va à la chaîne on se shoote, hein. (...) J'enprends normalement, heu... ça permet d'aller au boulot, de relever les manches, de se mélanger devant la foule,dans la foule, ou dans le milieu du travail... dans la vie active, c'est comme ça qu'on appelle.

EMIC n°189 (H-35 ans) : Q 5.1.5. : Déjà pouvoir travailler… se lever le matin et prendre son Subutex et aller auboulot, sans manque sans rien (...)

Les patients 19 et 49 mettent en avant la notion de stabilité, avec la fin de cette course

infernale derrière le manque, l’argent, le dealer... Le nouvel équilibre permet d’entrevoir la

possibilité d’une (re)construction du quotidien.

EMIC n°19 (H-44 ans) : Q 5.1.5. : (...) Déjà de stabiliser, de ne plus (avoir) besoin de courir toute la journée pouravoir de l'argent: c'est ça la came. Pouvoir reprendre une vie normale, reprendre la santé, une vie normale (...).

EMIC n°49 : Q 5.1.5. : L'intérêt, diminuer, de se sentir mieux moralement, et de ne plus être dépendant àl'héroïne, et de retrouver un certain équilibre. De ne plus courir pour la drogue et d'essayer de faire sa vie.

Le patient 61 voit dans le traitement par Subutex la possibilité d’un profond changement de

statut : en « redevenant bien », il envisage la possibilité de « sortir de l’esclavage ».EMIC n°61 (H-39 ans) : Q 5.1.5. : C'est la même chose, c'est de s'arrêter, heu… c'est de redevenir bien quoi…S'arrêter, redevenir bien…? Ouais. Ne plus être dépendant de quelque chose. Ne plus être esclave de… dequelque chose. Parce qu'en fin de compte, c'est de l'esclavage. Ouais.

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Le patient 81 pense que le Subutex permet « d’être normal le temps que vous preniez vos

décisions », pour lui ce passage par la normalité est nécessaire pour atteindre l’étape suivante,

puisque « si vous les avez prises (les décisions), ça vous permet d’arrêter ».

Enfin le patient 169 revient sur l’importance du geste, de l’automatisme à rompre. C’est le

premier pas de la conquête souhaitée vers une vie différente, ici matérialisée par une activité

sportive faisant beaucoup penser à une idée de « corps sain ».EMIC n°169 (H-37 ans) : Q 5.1.5. : Bah déjà ouais, d'arrêter avec le produit la drogue dure quoi, dans un premiertemps. Lâcher… lâcher l'automatisme… se mettre la paille dans le nez ou la seringue dans le bras. Et puis petit àpetit après descendre le Sub pour se retrouver bah un jour sur les bords de la Marne faire un footing, pourquoipas.

Les patients qui ont eu fréquemment des usages détournés sont aussi représentés dans ce

groupe : les patients 8, 49, et 189 ont eu souvent recours à la voie injectable pour le Subutex

(les patients 8 et 49 ont apparemment pris leur distance avec cette pratique, pour le patient

189 on ne le sait pas), le patient 157 a sniffé du Subutex pendant un an et demi à la recherche

d’effet, puis a arrêté.

5-1-3. Une différence entre soi et les autres

La question d’un but du traitement par BHD entraîne chez certains une réponse

différente sur le plan social et sur le plan individuel. Certains patients perçoivent en effet

difficilement un but pour eux-mêmes, mais pourquoi pas pour les autres, voir pour une

gestion sociale de la toxicomanie. La question d’une substitution « pour soi », est sur un autre

plan, parfois même « ce n’est rien, tant qu’on est pas soi-même engagé dans un « traitement »

identifié comme tel » (Lalande et Grelet 2001).

Neuf patients (13,6%) semblent ainsi avoir une position différente de leur vécu quant au but

du traitement par BHD. Parmi ces 9 patients, les usages détournés sont majoritaires : seul un

patient, le patient 120, qui n’a qu’ une expérience de la BHD en hospitalisation, n’aurait

utilisé que la voie sublinguale. Les 8 autres ont utilisé la voie injectable pour la BHD, soit

« souvent », soit « toujours ». Et parmi eux 2 patients (le patient 6 et le patient 198) pratiquent

ou ont pratiqué « souvent » la BHD par voie nasale.

Les termes employés par ces patients sont très généraux, comme pour éloigner « ce que le

Subutex devrait être » de leur réalité quotidienne. D’autres sont particulièrement hésitants

lorsqu’on leur pose la question du but.

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EMIC n°6 (H-37 ans) : Q 5.1.5. : Heu il faut en prendre très peu déjà, et heu…le but c'est d'arrêter, ça c'est clair.C'est évident. Mais je ne sais pas si c'est…

EMIC n°17 (H-27ans) : Q 5.1.5. : Et bah… et bah… c'est… un… je ne sais pas moi, c'est un sevrage d'un produit,ou de l'héroïne ou je ne sais pas, de la dépendance, c'est pour sevrer la dépendance de l'autre produit. Mais leproblème, c'est qu'on est dépendant du Subutex, quoi. À la base c'est pour ça, je pense quoi...

Pour le patient 22 dans une autre question, que le Subutex était « de la merde ».EMIC n°22 (H-40 ans) : Q 5.1.5. : (…) C'est un produit de substitution… mais il faut être extrêmement fortpsychologiquement, sans même être fort psychologiquement, tu peux être tenté d'injecter, hein. C'est tellementfacile. Et puis ça se sait, tout le monde le sait, ça se vend au noir, heu... Ça se vend au noir ce médicament,donc... C'est un peu comme... comment on appelle ça... les opiacés qu'on trouve... qu'on trouve en pharmacie:les mecs, ils les écrasent, et puis ils se l'injectent, c'est le même principe, quoi. C'est le même truc...

Ce patient parle de l’un des paradoxes de la substitution par BHD, « médicament

de substitution », qu’on peut se procurer très facilement dans la rue et utiliser pour des

objectifs divers. Il faut donc effectivement « être fort psychologiquement » pour rester dans

une perspective de soins, souvent rompre avec son environnement, et ne pas détourner le

produit.

EMIC n°45 (H-39 ans) : Q 5.1.5. : Traitement de substitution pouvant aider à sortir de la toxicomanie si pris à bonusage.

EMIC n°87 (H-30 ans) : Q 5.1.5 : D'essayer de faire arrêter les gens (…)

Le patient 105, dans un premier temps, reconnaît que le but du Subutex est la substitution,

mais il a « détourné », il lui est donc difficile de trouver un but pour lui-même, sauf peut-être

une solution financière. Mais il constate qu’il n’a pas rompu avec la spirale de la

consommation… La conclusion est logique pour lui, puisqu’il est resté dans la même

pratique : il préfère l’héroïne. C’est un schéma fréquemment trouvé dans les structures bas

seuil.EMIC n°1O5 (H-35 ans) : Q 5.1.5. : Bah c'est sortir… le but du Subutex… bah c'est-à-dire heu… au départ, moi,je pense que je n'étais pas parti dans l'idée de qui est faite, c'est-à-dire la substitution, et de par de là arrêter laconsommation d'héroïne, puisque je l'ai transformée en injection, donc, moi ça a été plutôt heu... J'ai plutôtcontourné, j'ai détourné, plutôt, le mot juste, j'ai détourné le produit par l'autre produit. C'est ça que vous diriezcomme le but du traitement? Ah ouais, ouais, le constat que je fais. Et le but du traitement pour vous, c'est ça?C'est de pouvoir détourner...? Alors le but du traitement... Contourner l'héroïne...? Bah là, je ne peux pas dire, ça,parce que suivant personnellement, oui, au départ, c'est vrai que l'approche que j'en ai eu, c'était pour arrêterl'héroïne, trouver une solution à l'héroïne par rapport aux dégâts financiers et sociaux et en même temps, aprèsheu... après, quand il s'est avéré que j'avais... je pouvais l'injecter et tout, donc le problème n'était pas résolu auniveau consommation. Donc, c'était détourné, oui. Oui, oui, ça a fini par un constat d'échec, dans le sens où à lalimite c'est un produit... la drogue par un autre produit, qui est légal, on va dire. Légal et pas cher. À choisir, sij'avais les moyens j'aurais pris l'héroïne.

Le patient 120, qui n’a pris de la BHD qu’à l’hôpital, se démarque clairement du corps

médical. Pour lui, la notion de maîtrise, peut-être au sens de maîtrise sociale, est importante.

C’est une position à laquelle il n’adhère pas : plus loin il se décrira « contre la substitution ».EMIC n°120 (H-41 ans) : Q 5.1.5. : C'est pas d'après moi, c'est d'après le médecin. Mais d'après vous ?Effectivement de maîtriser les consommations. Mais d'après vous. Pour moi c'est juste le temps del'hospitalisation. Maîtriser les effets du manque aussi.

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« Arrêter, mais il faut que ce soit accordé au client… »EMIC n°133 (H-36 ans) : Q 5.1.5. : Bah écoutez le but à la base c'est pour arrêter tout ce qui est produits opiacés.Maintenant, il faut que le produit soit accordé au client, on va dire ou au patient…pardon, pas au client, aupatient. Si le Subutex lui convient c'est bien… Moi, je sais que depuis que j'ai laissé ce produit, je n'ai jamais étéaussi bien, et ma diminution ne s'est jamais faite aussi bien. Alors qu'avant c'était dents de scie: 6-8-6-10-6, vousvoyez? Donc, on aboutissait à rien, en fait. Ça n'allait pas, on augmentait... maintenant, peut-être que le suivin'était pas le même non plus, hein... je ne sais pas.

EMIC n°135 : Q 5.1.5. : C'est d'arrêter, si on le prend correctement.

Pour le patient 175, la comparaison à la méthadone semble nécessaire pour définir le but du

Subutex.EMIC n°175 (H-29 ans) : Q 5.1.5. : Bah logiquement de prendre le Sub c'est d'arrêter de se droguer, quoi, pourarrêter de prendre des produits. C'est un traitement comme la méthadone, mais bon… à partir du moment où onprend le Sub et on en fait n'importe quoi avec bah… on ne peut pas dire vraiment que c'est un but de traitement.Le but de prendre le... si... on prend... logiquement si on prend, si on nous prescrit du Sub ou de la méthadonec'est que le but c'est pour arrêter quoi... Arrêter de prendre du produit, arrêter de se droguer, voilà, quoi... Le butest là, quoi...

Le patient 198, sur un développement de quelques phrases, ne se nomme

jamais personnellement: le but c’est pour « les gens », « les toxicomanes ».EMIC n°198 (H-34 ans) : Q 5.1.5. : Bah d'inciter les gens de sortir les gens de la toxicomanie, quoi et de rentrerdans une phase de soins, je pense… je ne sais pas ce que pensent les autres… Il y a d'autres choses qui vousviennent comme ça à l'esprit? Vous avez d'autres idées par rapport aux buts du traitement? Non, passpécialement. C'est surtout pour aider les toxicomanes. Soulager leurs douleurs. Et éviter le manque, ou cesmauvais moments, ou le manque qui fait faire n'importe quoi à n'importe qui...

5-2. Vis-à-vis de la méthadone

Parmi les 40 patients qui ont pris au moins une fois de la méthadone, 37 (92,5%) ont

répondu à la question du but et 3 n’ont pas répondu. Un patient, le patient 15, qui pense que la

méthadone n’a aucun effet sur lui, répond bien à la question mais n’a aucune idée des

objectifs du traitement.

Les patients ne citent pas pour la méthadone le frein à la prise d’un autre produit. Cela

découle des différences pharmacologiques entre les deux TSO. La méthadone, en tant

qu’agoniste pur des récepteurs morphiniques, ne possède pas l’effet agoniste-antagoniste de la

BHD qui entraîne, comme le décrivent les patients, l’absence d’effet (voire une sensation de

manque) en cas de prise d’un autre opiacé.

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5-2-1. La méthadone est une substitution à la drogue

Les mots employés pour le Subutex se retrouvent. Sur les 40 patients ayant

consommés au moins une fois de la méthadone, 31 (77,5%) définissent un but au traitement

qui correspond à une idée de substitution.

Arrêter, « décrocher », faire un sevrage

Vingt-trois patients (57,5%) emploient ces termes ou des termes voisins. Parmi eux les

patients 17, 49, 65, 124, 175 et 189.

Pour le patient 17, un glissement d’une dépendance vers une autre s’opère. La méthadone

répond malgré cela à ses attentes.EMIC n°17 (H-27 ans) : Q 5.2.4. : Bah c'est le même que le Subu… C'est arrêter la dépendance à un produit,même si on tombe dépendant d'un autre produit… mais… je préfère être dépendant de la méthadone que de lacame, moi, personnellement, hein, c'est clair.

À l’inverse le patient 124 inclut la méthadone dans la catégorie « drogues dures », et son

objectif d’en venir à l’arrêt de toute consommation de ces produits .EMIC n°124 (H-32 ans): Q 5.2.4. : Interruption totale de toute consommation de drogues dures y compris métha.

Les patients 49 et 65 mettent en perspective l’arrêt de la drogue et de sa dépendance avec une

vision thérapeutique de la méthadone.

EMIC n°49 (H-37 ans) : Q 5.2.4. : Se soigner. Essayer d'arrêter un jour. D'être dans la réalité de la vie, une viestable. D'avoir le moral, de faire des choses.

EMIC n°65 (H-42 ans) : Q 5.2.4. : Et bah, de pouvoir heu… pouvoir être heu… totalement indépendant desdrogues quoi. C'est-à-dire de ne plus être dépendant des drogues voilà. Bien que l'on peut considérer ça commeune drogue peut-être, moi je considère ça comme une thérapie, comme un médicament quoi, donc ce n'est pasdu tout dans le même but quoi.

Il est intéressant de rappeler l’itinéraire thérapeutique de ce patient. Il s’était procuré la

première fois de la méthadone en « dépannage », donné par un proche. Le bénéfice qu’il en

avait retiré en terme de substitution, l’avait incité à rentrer dans une démarche de soin. Cette

idée de soin ressort de façon forte pour désigner le but : la méthadone n’est pas une drogue,

c’est « une thérapie », « un médicament ».

Pour le patient 175, l’alliance thérapeutique avec le médecin semble nécessaire pour parvenir

à l’arrêt de la drogue.EMIC n°175 (H-29 ans) : Q 5.2.4. : C'est d'arrêter, quoi… d'arrêter de se… d'arrêter de prendre des produits,quoi… D'arrêter de se droguer. C'est de suivre heu… comment dire le traitement à la lettre, et de faire comme ildit le médecin. De ne pas le prendre n'importe comment. A partir d'un moment, si on suit bien à la lettre, tout sepasse bien. Pour moi, c'est ce qu'il y a de mieux la méthadone. C'est ce que je voulais de toutes façons, avoir laméthadone.

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Enfin pour le patient 189, le but du traitement par méthadone est un arrêt de la pratique de

l’injection.EMIC n°189 (H-35 ans) : Q 5.2.4. : Eviter de se shooter déjà… je crois. Ne pas se shooter (...)

L’arrêt du manque

Quatre patients (10%), les patients 25,82, 85 et 88, le citent comme but. Parmi eux, le

patient 25 n’a pas de prise thérapeutique de la méthadone. Pourtant sa réponse a du sens : il

prenait de la méthadone « pour des manques », sous forme de comprimé qui venait d’Italie,

lorsqu’il n’avait pas accès aux drogues.EMIC n°25 (H-44 ans) : Q 5.2.4. : Bah vous c'était pas tout à fait un traitement? Ah non, pas du tout. Non, non,j'en prenais quand je n'avais pas de produits stupéfiants, je prenais ça, et…Mais c'était pour vous traiter ou…?Non, non, c'était pour des manques. Je me suis dit:"bon bah c'est bon j'ai de la Méthadone". Lorsque je n'avaispas de produits, hop je prenais 3 ou 4 cachets, ça variait. C'était pas un traitement, hein. Jusqu'à temps que j'ai...que je puisse retrouver du produit, des stupéfiants, donc...

Diminuer la consommation de drogue, diminuer la méthadone

Quatre patients (10%) identifient cet objectif. Pour deux de ces patients, le patient 105

et le patient 128, il s’agit surtout de diminuer la consommation d’autres produits. Comme on

l’a vu plus haut, il n’y a pas d’effet antagoniste pour la méthadone, et le fait de pouvoir

continuer d’autres consommations peut être considéré comme un avantage pour certains

patients.

Pour le patient 105, en prenant de la méthadone, son objectif a été d’abord été l’arrêt de la

voie injectable, apparemment surtout utilisée chez lui pour le Subutex. Cette étape semble

avoir été franchie, non sans difficulté. Il peut donc envisager une diminution progressive de

l’héroïne et éventuellement « en finir avec la toxicomanie ». Dans son raisonnement, le

patient reconnaît les différences d’objectifs possibles entre patient et médecin, mais cela ne

semble pas être pour lui un point de rupture de l’alliance thérapeutique.EMIC n°105 (H-35 ans): Q 5.2.4. : Ah moi, en premier, j'ai surtout… Moi personnellement, j'ai eu une démarchepersonnelle et en ayant conscience du problème que j'avais eu avec le Subutex et sortant d'une grosse maladieet heu… c'était surtout d'arrêter le Subutex par voie intraveineuse. Surtout ça. Mon but premier. Bien sûr que lemédecin n'entend pas ; lui aura plutôt... son but... Enfin, le but, c'est surtout pouvoir gérer la prise au quotidien del'héroïne et la diminuer et l'arrêter bien sûr par... en définitive. Mais, moi personnellement, ma démarche étaitsurtout de ne plus prendre de Subutex par voie intraveineuse. Ca, ça a été heu... Bon, maintenant, je suis en trainde gérer heu... au bout de quelque temps, j'ai fini par oublier le Subutex en intraveineuse, maintenant le travail sefait plus sur heu... l'héroïne, enfin les déviances que je peux avoir avec l'héroïne et puis essayer de maîtriser ça...Il y a quand même une sensation de frustration de ne plus... on va en revenir à la comparaison avec le Subutexet la méthadone, dans le sens où je trouvais dans le Subutex le rituel d'injection d'un produit, que je n'ai plus avecla méthadone. La première semaine, ça a été un peu difficile au niveau psychologique. Une sensation defrustration heu... d'un manque, hein... de piqûres, donc... mais bon, qui s'est atténué par la suite. Donc, le butpour vous, vous résumeriez...? Le but du traitement à la méthadone, vous le résumeriez comment? Ce n'est pasfinit, hein (rires). Bah d'en finir avec la toxicomanie

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Pour le patient 128, un véritable travail de deuil de la drogue reste à faire. Dans ce travail, il

s’autorise quelques « rechutes ».EMIC n°128 (H-29 ans) : Q 5.2.4 : (…) C'est essayer d'espacer quand même les prises d'héro, quoi… de faireheu…d'avoir le temps de faire son deuil, quoi…son deuil de la came… Sachant que pertinemment si…que si ondoit craquer, et bah on peut le faire, on... on… ça m'arrive des fois...bon j'ai un coup de cafard, un coup de blues,bah je sais quand même que je peux reprendre de la came, parce qu'avec le Subutex, je ne pouvais pas, parceque ça me mettait en manque direct. Alors qu'avec la came, bon on peut faire heu...

La méthadone remplace la drogue

Pour 4 patients (10%), une substance remplace l’autre. En particulier pour les patients

60 et 159, où la limite entre drogue, légalité et produit de substitution est très confuse. Pour la

patiente 60, la méthadone est un « stupéfiant illégal ». Pour le patient 159, la méthadone et le

Subutex sont des « dogues légales », comme si cette comparaison avec la drogue était

nécessaire pour la substitution.EMIC 60 (F-18 ans) : Q 5.2.4. : Heu… d'arrêter mais petit à petit on va dire, heu... la prise, donc ce n'est pas net,donc ça veut dire que tous les jours, on vient cherche sa méthadone, heu… C'est pour substituer l'héroïne, là,vraiment, là c'est vraiment la substitution de produit d'héroïne, ou de prendre sa méthadone. Et c'est bien marquédessus, c'est un stupéfiant, donc, c'est illégal mais heu...c'est quand même un stupéfiant.

EMIC 159 (H-35 ans) : Q 5.2.4. : Une substitution, toujours. Et puis, voilà hein… heu… C'est le… pour pouvoir unjour arrêter heu… arrêter de prendre de la came, simplement c'est physique pour le corps. Voilà, maintenant,c'est petit à petit. Il faut qu'il réapprenne à vivre sans… sans être dépendant d'un produit, quoi, voilà. BonSubutex et méthadone, si vous voulez, c'est la drogue légale, dans un sens.

5-2-2. Le retour à une vie normale

Comme pour le Subutex, la notion d’équilibre et de « normalité » est relevée. Neuf

patients (22,5%) voient ce but dans la méthadone. Une place importante est laissée au travail,

trois patients en parlent. Par exemple pour le patient 22, la méthadone permet « d’entrer dans

une démarche professionnelle », « ça a été fait pour ça » ; la notion de contrôle social n’est

pas absente de cette dernière proposition. Pour le patient 108 « C'est d'essayer de se reprendre

quoi… Avec la méthadone, déjà, tu peux déjà aller travailler, tu peux… faire pas mal de

choses que… de faire ça avec la drogue… ça t'aide vachement… »

Le patient 49, semble être dans une démarche très positiviste, du soin à la possibilité

d’entreprendre.EMIC n°49 (H-37 ans) : Q 5.2.4 : Se soigner. Essayer d'arrêter un jour. D'être dans la réalité de la vie, une viestable. D'avoir le moral, de faire des choses.

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Le patient 61, toujours dans cette idée de retour à une vie normale, souligne l’importance de

l’aide psychologique.EMIC n°61 (H-39 ans) : Q 5.2.4. : Redevenir bien, ne plus toucher à toutes ces saloperies. Recommencer une vienormale quoi... Recommencer une vie normale. C'est le but. Avec la méthadone vous arrivez à…avec l'aide de X.Ouais, tout à fait, c'est important aussi. L'aide psychologique, elle est importante quand même.

Enfin pour le patient 67, la méthadone permet de faire « un break », de retrouver un certain

confort de vie. Pour lui, cela ne va pas plus loin.EMIC 67 (H-47 ans) : Q 5.2.4. : Ça permet d'arrêter assez facilement… au moins faire un break facilement…pourdes raisons de santé, des raisons de finances…des raisons avec sa femme, affectives, pleins de raisonsdifférentes… ça permet d'aller en vacance quelque part sans avoir… Ça permet un certain confort je dirais. Maisça ne permet pas... pas plus je dirais.

5-2-3. Une différence entre soi et les autres

L’idée d’un objectif qui ne concernerait que les autres est moins retrouvée qu’avec la

BHD. Deux patients seulement offrent ce schéma de réponse pour la méthadone. Le patient

19 reconnaît une stabilisation possible pour autrui, mais cela ne correspond pas du tout à son

expérience. On notera qu’il n’a pris de la méthadone qu’une fois avec un ami pour « goûter ».EMIC n°19 (H-44 ans) : Q 5.4.2. : Bah pour moi… c'est... si le mec il prend la méthadone déjà de l'âge…C'est quela méthadone ça défonce, c'est que ça fait un effet dans la tête quand même, hein. C'est un avantage ou uninconvénient? C'est un inconvénient, parce que moi, ce que je voulais c'est de perdre c'est le truc de... d'êtredéfoncé, d'être camé. Je... Etre net. Ce que je voulais, c'est être net... Et c'est un inconvénient, parce que le gars,il arrête la came pour prendre un truc qu'il rend dans le même... C'est comme s'il prenait 1g par jour, le gars. Tuvois. Alors après il faut qu'il diminue la méthadone, et après il faut qu'il prenne des Subutex. Parce qu'il n'y a pasquestion d'arrêter la Méthadone comme ça, ce n'est pas possible. Moi j'ai vu ce gars-là, être chez lui, il boit sontruc, ah bah dès qu'il l'a bu, ça y est, il fait des bonds, mais il ne mange pas, rien. Ça coupe l'appétit, il a une têted'enfer. Alors c'est quoi le but, pour vous? Bah la Méthadone, c'est bien, il s'est acheté une bagnole, pouvoir...pareil... Pouvoir vivre normalement sans aller voler, sans risquer de tomber malade, d'aller se faire tuer dans uncoup tordu, d'aller en prison ...Heu...retrouver la confiance que les gens, ta famille ait...puisse te faire confiance.Des choses comme ça. De vivre. Mais bon le but c'est d'arrêter, le but c'est de diminuer, de prendre du Subutex,je n'en sais rien, et puis d'arrêter.C'est ça. Pour moi, c'est...quand j'ai arrêté la came, et le Subutex, c'est pourarrêter. Même le Subutex, ce n'est pas... mais la Méthadone, c'est vrai que ça stabilise la vie, quoi, la personne,c'est pas... Le gars, il accumule un peu de choses, quoi, il s'est acheté une bagnole, des habits tout ça, quoi. Ilvit... Mais il est tout le temps... il n'est pas net, quoi, c'est ça qui est...Enfin...

Le patient 82 propose, au premier abord, une réponse moins ambivalente, même s’il

reconnaît la difficulté d’oublier la drogue. C’est la totalité de ses réponses sur la méthadone,

qui font ressentir une différence entre un but supposé et ce qu’il vit réellement : pour lui la

méthadone n’a « aucun effet », c’est un problème de dosage. Il se trouvera dans l’incapacité

d’en trouver des avantages.EMIC n°82 (H-40 ans) : Q 5.2.4. : Le but c'est de ne plus penser… par rapport à la drogue. C'est dur. Ne pluspenser à ça.

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Synthèse :

Pour une meilleure lisibilité des résultats de cette partie, nous avons séparé les

réponses des patients en plusieurs catégories, en particulier lorsque le but se rapprochait de

l’idée de substitution. Ces catégories sont probablement assez artificielles. Si une idée de

substitution se retrouve chez 87,8% des patients sous BHD et 77,5% des patients sous

méthadone, qui y’a-t-il de plus équivoque que l’envie d’arrêter ou de remplacer un produit par

un autre ? Cela renvoie une nouvelle fois à l’hétérogénéité des patients. Les termes employés

sont polysémiques et les réponses des patients soulignent souvent l’ambiguïté et le paradoxe

de la substitution : substitution, poursuite des autres opiacés, diminution, « décrochage »,

contrôle social, reconnaissance des bienfaits de la substitution « en général », possibilité de

soins autant que d’usages détournés… Les buts et les motivations des patients peuvent aussi

évoluer dans le temps et ne sont pas à l’abri de réinterprétation et de reconstruction

permanente ( Lalande-Grelet 2001, Taïeb 2006).

Dans cette diversité, nous soulignerons cependant la notion de retour à la normalité,

évoquée dès la question dès la question sur les effets, et rapportée ici par 10 patients (15,1%)

ayant pris du Subutex et par 9 patients sous méthadone (22,5%). Ce retour à la normale, non

sans impact sur le quotidien des patients, est en fait la conquête d’une nouvelle norme. Dans

« Le normal et le pathologique », Canguilhem (1966) à propos de l’idée de guérison évoquait

aussi cette reconquête du normal, différente de la norme antérieure : « La guérison est la

reconquête d’un état de stabilité des normes physiologiques. Elle est d’autant plus voisine de

la maladie ou de la santé que cette stabilité est moins ouverte à des remaniements éventuels.

En tout cas aucune guérison n’est un retour à l’innocence biologique. Guérir c’est se donner

de nouvelles normes de vie, parfois supérieures aux anciennes. Il y a une irréversibilité de la

normativité biologique » (Canguilhem 1966, p.156).

6- Avantages et inconvénients de la BHD et de la méthadone

6-1. Les avantages

Lorsque la question des avantages est posée, elle conduit à des réponses parfois

similaires pour la méthadone et la BHD. Cependant une différence sémantique est souvent

assez remarquable. Les idées développées ne sont pas, la plupart du temps, diamétralement

opposées, mais elles dénotent de nuances, qui ébauchent des attentes et des réalités différentes

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pour les patients, vis-à-vis des deux traitements discutés. Par exemple, si l’arrêt du manque et

de la dépendance ou le retour à une vie normale sont retrouvés de façon assez superposable

pour la méthadone et la BHD, les patients parlent plus volontiers de soins et d’aide pour la

BHD et d’efficacité pour la méthadone. De la même façon, l’importance du suivi est

retrouvée dans les avantages du traitement par méthadone et pour le Subutex les patients

parlent plutôt de commodité de prise et d’obtention. Enfin, la plus grande difficulté de

détournement avec la méthadone est évidemment sans comparaison avec le Subutex.

6-1-1. Les avantages de la BHD

Sur les 66 patients ayant pris au moins une fois de la BHD, 63 (95,4%) ont répondu à

la question sur les avantages et 3 n’ont donné aucune réponse.

L’arrêt du manque et de la dépendance

Seize patients (24,2%) l’évoquent. Le mot « manque » est la plupart du temps retrouvé

dans les réponses de ces patients. L’arrêt du manque permet d’initier, dans la même réponse,

la fin de la dépendance pour certains patients. Nous citons les patient 8, 20 et 61. Pour le

patient 8, le Subutex est un médicament qui soulage le corps et l’esprit : « il enlève toutes les

douleurs physiques » liées au manque et « psychologiquement », le patient ne pense plus « à

prendre sa dose ». Le patient 20, juste après avoir parler de l’arrêt du manque, décrit

l’éloignement de la délinquance. Il n’exprime pas un lien direct de cause à effet, mais la

juxtaposition de ces deux « avantages » le laisse tout de même supposer. Pour le patient 61, le

premier avantage est l’arrêt du manque, le second est l’effet agoniste-antagoniste du Subutex,

il en désigne finalement un troisième comme objectif à long terme : « s’en sortir, c’est le

but ».

Le retour à une vie normale

Cet aspect est une nouvelle fois souligné. Seize patients (24,2%) reconnaissent ainsi

comme avantages au Subutex de permettre de travailler, de « couper la galère », de « vivre

normalement », avec pour certains un retour de l’« envie » de vivre.

Le retour à une « vie normale » n’exclut pas forcément le recours aux usages détournés. Ainsi

le patient 135 perçoit comme avantage au Subutex, le fait que ça « coupe la galère » et que

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« ça stabilise », tout en décrivant une pratique régulière de la voie injectable pour le Subutex

(« toujours »).

Le soin, la santé, l’aide

Le thème du soin, d’un recours à un médicament qui « aide » est évoquée par 10

patients (15,1%). Avec souvent pour toile de fond l’arrêt du manque et le retour à une vie

normale.

Le patient 157 résume ainsi les avantages de la BHD en peu de mots : « il y a la santé ».

Le patient 151 décrit de façon concrète la façon de le Subutex a pu leur procurer une aide et

un soin.EMIC n°151 (H-44 ans) : Q 5-1-6 : Les avantages, c'est que vous avez moins froid. Vous êtes heu… au lieu demarcher… au lieu de faire… 500 m, vous en faites, 1 Km, en gros, on va schématiser comme ça, admettons. Cac'est les avantages du Subutex. Bon, les douleurs, il n'y en a pas. Vous sentez bien, et puis voilà... c'est...

Disponibilité et galénique : une commodité d’obtention et de prise

Treize patients (19,7%) ont relevé ces deux caractéristiques comme avantages. En ce

qui concerne l’obtention du médicament, le rôle du médecin traitant, généraliste la plupart du

temps, et l’avantage de ne pas avoir à se rendre à l’hôpital ou en CSST, sont soulignés par 3

patients. Si la prescription en cabinet de ville est possible pour la méthadone, le fait que la

primo-prescription soit réservée à l’hôpital et aux CSST, induit une généralisation de ce mode

de distribution (et une différence notable entre la BHD et la méthadone) dans l’esprit de

beaucoup de patients. Cette idée est aussi renforcée par le fait que le « relais » en ville se fait

sous certaines conditions et que la durée de prescription autorisée reste plus courte que pour la

BHD28. Nous citons les patients 198 et 189.EMIC n°198 (H-34 ans) : Q 5-1-6 : Heu… c'est qu'on peut se le faire prescrire par son… par un généraliste, parson médecin. Ça c'est un gros avantage, ça évite de… de se déplacer dans un centre spécialisé, d'attendre, deperdre du temps inutilement… alors qu'avec le Subutex vous pouvez vous le faire prescrire pour 28 jours, et vousêtes tranquille tout le mois. D'autres avantages? Non, si mis à part que c'est un produit à la hauteur du problème.Ouais, bien sûr.

EMIC n°189 (H-35 ans) : Q 5-1-6 : Les avantages… les avantages… c'est facile à prendre, heu… si on estsérieux, c'est facile à obtenir par le médecin traitant… si on arrive à suivre bien… si on suit les règles tous les 28jours, et ainsi de suite… c'est un protocole entre lui, le médecin traitant, moi et le pharmacien... S'il y en a un quine joue pas le jeu ça ne marche pas.

Pour ce dernier patient la possibilité de prescription par le médecin traitant dépasse la simple

facilité de procuration : il y a une relation triangulaire patient-médecin-pharmacien dans

laquelle il semble s’inscrire totalement.

28 Cf. première partie, paragraphe 2-3-6.

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Le patient 118 voit dans la possibilité de prescription longue (règle des 28 jours), la possibilité

de travailler sans contrainte pratique pour obtenir son traitement. Cela peut-être en effet une

donnée importante dans le choix de la molécule, qui doit être adaptée au mieux au quotidien

du patient sous tous ses aspects.EMIC n°118 (H-44ans) : Q 5-1-6 : Les avantages, c'est que je peux aller travailler, que je n'ai aucune heu… quej'ai un traitement sous 15 jours et puis que je n'ai pas à courir à aller chercher les médicaments en pharmacieou… Ça ne m'empêche pas d'aller travailler, quo.i

Concernant toujours cette facilité d’obtention, trois autres patients formulent une réponse plus

ambiguë. Ainsi pour le patient 17, l’avantage du Subutex est « qu’on peut en avoir plus

souvent que la méthadone ». Un usage détourné avec une prise probablement plus fréquente

que celle déterminée avec le médecin n’est pas clairement énoncé dans cette réponse, mais

l’ambivalence est notable. Ce patient reconnaissait par ailleurs avoir injecté le Subutex

« toujours » et pratiqué la voie nasale « parfois ». Pour le patient 105, qui a exprimé à

plusieurs reprise ses difficultés par rapport aux usages détournés du Subutex, un avantage est

que çà n’est « pas cher ». Sa relation au Subutex est complexe. Il vit en fait comme un échec

le remplacement de « la drogue par un autre produit, légal et pas cher ». Le patient 183 enfin,

qui trouve aussi que l’obtention facile est un avantage, semble s’autocensurer lorsqu’il fait

une comparaison sous-entendue entre la facilité de procuration d’un médicament et la

« galère » quotidienne pour obtenir de l’héroïne.EMIC n°183 (H-41 ans) : Q 5-1-6: Bah les avantages, il y en a beaucoup, hein… les avantages… lesmédicaments déjà pour que… voilà… on peut l'avoir, quoi, sans trop de difficultés… Ce n'est pas… Non, non, làje compare avec l'héroïne, là…

Quatre patients (6,1%) relèvent plus particulièrement la commodité de prise. D’un

médicament facile à prendre, qu’on peut avoir sur soi. Parmi eux, le patient 169 voit une

façon simple et pratique de gérer le transport et les prises de Subutex, en fonction de son

quotidien. Loin des représentations encore trop répandues, d’une prise qui ne pourrait être que

compulsive, le Subutex est ici banalisé et « géré » comme n’importe quel autre médicament.

Enfin, le patient 64 soulève une notion importante : il voit dans la forme « comprimé » du

Subutex une possibilité de protection face à la stigmatisation que représente la toxicomanie (et

donc son « traitement »), qui reste un « secret » à dissimuler.

EMIC n°169 (H-37 ans) : Q 5-1-6 : (…) c'est transportable, c'est petit, ce n'est pas gros…Et, puis bon si j'ai besoinde partir heu… 5 jours, je fais mon calcul pour 5 jours, hop... je me découpe 5 et puis voilà c'est bon.

EMIC n°64 (H-41 ans) : Q 5-1-6 : (…) On peut le prendre devant quelqu'un sans qu'il sache ce que c'est, aussi.Pas besoin de le dire. C'est important, ça? Ah bah oui, quand même, oui. Je ne vais pas le crier sur les toits:"Jesuis toxicomane, je me soigne". Ça ne regarde que moi, et puis... Je n'ai pas envie qu'ils sachent, quoi les gens...Ceux qui savent ma famille, les copains, c'est tout...

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Substitution et diminution progressive

Dix-sept patients (25,75%) rappelle la possibilité d’une substitution, d’un

remplacement, d’un oubli de la drogue ou d’un obstacle à la prise. Dans une idée qui se

rapproche aussi de la définition de la substitution, le patient 13 parle d’un produit « léger » et

qui reste « efficace », avec la possibilité de « diminuer progressivement ». Cette idée de

progression et d’un médicament « doux » (idée récurrente chez le patient 1 par exemple) est

assez présente dans l’ensemble des réponses sur le Subutex, comme on l’a vue plus

particulièrement lors de la description des effets.

Parmi les 17 patients, le patient 83 et le patient 30 pensent tous les deux le Subutex comme un

médicament ressemblant à la drogue. C’est un avantage puisque c’est cela qui permet pour

eux la substitution.EMIC n°83 (H-37 ans) : Q 5-1-6 : C'est que vraiment que… quelqu'un qui s'est drogué comme moi pendant desannées prend du Subutex, oublie la drogue plus facilement en prenant du Subutex qu'en n'en prenant pas. Çac'est, c'est ça…Il y a d'autres avantages? …Le calme, ça calme énormément. Ça calme énormément les nerfs,on est moins agressif, on est... Mais je vous dis ça... c'est un ressemblant de drogue, donc... c'est.. c'est...justement c'est ce qui aide les toxicomanes au départ, à s'en sortir, certainement.

EMIC n°30 (H-22 ans) : Q 5-1-6 : Ce qui a de bien dans le Subutex? Oui. Bah c'est à peu près le même effetque…la came, sauf que c'est un médicament, quoi. Même effet que la came...Sauf que c'est un médicament.Ouais, c'est tout? Comme avantage? C'est pour...heu...comme je vous ai dit tout à l'heure, c'est pour heu...d'empêcher des gens de prendre de la came ; pour qu'ils diminuent, quoi. C'est à peu près... c'est comme leRohypnol, aussi? Non?

La fin de cette réponse, citant le Rohypnol, utilisé par les toxicomanes à la fois comme

substitution de rue et comme produit de « défonce », ne manque pas d’ambiguïté…

Toujours parmi les 17 patients, quatre patients soulignent le caractère antagoniste du Subutex

comme un réel bénéfice. C’est une particularité du Subutex suffisamment notable, elle a été

citée de nombreuse fois par les patients tout au long du questionnaire, pour que certains

patients y trouvent un avantage ou à l’inverse critiquent violement le produit, à cause des

effets antagonistes ressentis. Le patient 128 exprime son expérience personnelle de cet effet et

en dit sa satisfaction.EMIC 128 (H-29 ans) : Q 5-1-6 : Heu…bon plus de consommation d'héro, parce que sinon on est en manque,donc on n'a plus d'héro, parce que même si je voulais retaper de la came, il fallait que… je me mette en manque,donc il fallait peut-être que j'attende 2-3 jours, 2-3 jours à ne pas consommer de came, et puis ensuite, même sije le prenais, ça ne me disait rien. Ca me...mauvais délire, quoi... Ce n'était pas du tout bon... Donc, ça c'estvraiment un avantage quoi...On ne touche plus à la came.

Enfin le patient 112, pour lequel la substitution par le Subutex a constitué une rupture par

rapport à ses pratiques antérieures, en particulier son usage de la voie injectable. Les usages

détournés du Subutex sont loin d’être systématiques, dans les représentations des patients

comme dans la réalité.

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EMIC n°112 (H-31 ans) : Q 5-1-6 : C'est qu'on peut vivre sans, pour quelqu'un qui se pique on peut vivre sans sepiquer, sans se droguer avec le Subutex, c'est l'avantage. C'est-à-dire qu'on peut arriver à arrêter avec ça.

Il n’y a pas d’avantage à la BHD

C’est l’idée que retiennent 6 patients (9,1%). Cette position peut parfois être nuancée

comme pour le patient 120, où le Subutex permet de « ne pas souffrir pendant la durée de

l’hospitalisation ». Ce qui n’est pas négligeable.

6-1-2. Les avantages de la méthadone

Trente et un patients (77,5%) ayant déjà pris de la méthadone répondent à cette

question. Parmi les 9 patients ne répondant pas à la question, le patient 15 « ne sait pas », il

n’a pris qu’une fois de la méthadone, donné par un proche et cela ne lui avait pas fait

« d’effet », et le patient 25 ne parvient pas non plus à donner de réponses, n’ayant jamais pris

de méthadone dans un cadre thérapeutique.

L’arrêt du manque et de la dépendance

Pour 7 patients (17,5%) la méthadone a pour avantage l’arrêt du manque et/ou de la

dépendance. Parmi eux, le patient 124 insiste sur la fin d’une dépendance à la fois physique et

mentale : la méthadone lui permet de s’éloigner de son « rituel de consommateur ».EMIC n°124 (H-32 ans) : Q 5-2-5 : Plus de dépendance physique et mentale. On se sépare de ce rituel deconsommation.

Pour le patient 142, le soulagement de la souffrance psychologique est très important, ce qui

le fait comparer la méthadone au Subutex.EMIC n°142 (H-44 ans) : Q 5-2-5 : Les avantages de la méthadone sont: de pouvoir décrocher tout de suite, depouvoir décrocher tout de suite. Et d'oublier même psychiquement, mentalement, vous savez…psychologiquement, c'est psychiquement, oublier la came… Voilà, on oublie la came beaucoup plus facilementqu'avec le Subutex.

Le patient 49 et 60 souligne aussi respectivement un « bien-être » et un « calme » plus

important qu’avec le Subutex. Nous reviendrons ultérieurement sur ce soulagement de la

souffrance psychologique par la méthadone.

Le retour à une vie normale

Comme pour la BHD, cette idée est récurrente. Cinq patients (12,5%) l’évoquent. Le

patient 17 se sent « super bien » et a comme perspective de « enfin voir le bout du tunnel ».

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Pour la patiente 85, le fait d’être « bien dans sa peau », ne lui fait « rien demander de plus ».

Quant au patient 108 « ça ne se voit (…) même pas (…)qu'on en prend ». Le patient 8 a « une

vie normale » depuis qu’il est sous méthadone. Le patient 61 demande au lecteur de revenir à

la question précédente, où il a déjà tout dit :EMIC n°61 (H-39 ans) : Q 5.2.4. : Redevenir bien, ne plus toucher à toutes ces saloperies. Recommencer une vienormale quoi... Recommencer une vie normale. C'est le but.

Avec les mots à préfixe (re-) ainsi juxtaposé, l’idée de (re)construction de l’avenir, mais peut-

être aussi du passé est importante.

Efficacité et absence d’effet

Il n’y a ici pas d’ambiguïté dans le discours des patients entre les différents sens du

mot « effet », évoqués antérieurement. Pour 3 patients (7,5%), la méthadone se démarque par

son efficacité : pour le patient 81, la méthadone a un effet « radical », « rapide » pour le

patient 163, « rapide et efficace » pour le patient 159.

Parallèlement, 3 autres patients (7,5%) rapportent l’absence d’effet euphorisant ou de

défonce. Pour le patient 105, il n’y a « aucun effet euphorisant ». Pour le patient 22, il n’y a

pas de « défonce » :EMIC n°22 (H-40 ans) : Q 5.2.5. : Bah les avantages, c'est qu'on n'est pas défoncé, quoi. On est pas défoncéquand on n'en prend pas trop quoi. Moi je suis à 40 mg, je suis à 40 mg, mais on peut dire qu'en fait je dois être à30-35 mg, parce que je prends le pot, je l'avale comme ça, et il en reste toujours au moins un tiers dedans. J'aiune attitude assez de "jemenfoutisme", ça me permet... comment dire... de ne pas être trop dépendant de ...Parce que moi je connais des gens, dès qu'ils ont avalé, ils vont sous l'eau, ils le nettoient bien, ils lesecouent... ils le remettent 2 fois sous l'eau... Ou bien tout avalé, quoi...

Pour le patient 190 :EMIC n°190 (H-41 ans) : Q 5.2.5. : Vous êtes vraiment bien, comme si vous étiez sobre, vous êtes tranquille pasd'effets secondaires.

Galénique, propriété pharmacologique et suivi

Huit patients (20%) trouvent que le mode de prise de la méthadone est un avantage.

Cinq d’entre eux trouve que c’est « facile à prendre ». La patiente 60 insiste sur le goût

(sucré) de la méthadone. Un autre patient, le patient 65, trouve que la prise unique fait partie

de la « totale réussite » de ce produit. La forme sirop de la méthadone est peut-être

représentative pour ces patients, d’un produit plus « sain » que les nombreux « cachets »,

disponible au marché noir. Dans cette idée, la réponse du patient 105 est ici développée pour

le contraste qu’elle propose, par rapport aux réponses formulées pour le Subutex chez ce

patient souvent cité. L’ambiguïté de la relation au produit semble ici très atténuée, voire

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inexistante. Le discours est fonctionnel et pratique, loin de la complexité que ce patient

semblait entretenir pendant longtemps avec le Subutex.EMIC n°105 (H-35 ans) : Q 5.2.5 : Buvable… heu… aucun effet euphorisant heu… ou quoi que ce soit, ça, etheu… aucun effet… et heu… j'ai dit plus de… oublier l'injection. Aide à oublier l'injection. Ça c'est vrai que… àreculer… Avoir un recul par rapport à la seringue. Qu'est-ce que je pourrais dire d'autre? Non, c'est tout. Bon,après, je crois que tout est dit, hein... Ce n'est pas...

Un patient (2,5%), le patient 133 voit comme avantages les propriétés pharmacologiques du

produit, qui n’antagonisent pas les autres opiacés.

EMIC n°133 (H-36 ans) : Q 5.2.5. : Les avantages… les avantages… on va être franc, hein… pour celui qui veutshooter, il peut shooter en même temps, il n'est pas malade. Ce n'est pas un antagoniste. Il est compatible avecl'héroïne; Ce qui n'est pas le cas avec du Subutex. Mais, c'est… c'est en effet... Non, mais il faut être honnête.Oui. Oui, mais c'est vrai, en plus c'est vrai... Bah oui, c'est vrai (…)

Deux patients (5%), note l’importance du cadre de soin. Le patient 61 souligne l’importance

de « l’aide psychologique » des soignants. Pour le patient 87 : « On a la sensation d'être suivi

par un médecin ; on ne se sent pas toxico ».

Substitution

Trois patients (7,5%) posent cette idée comme avantage ».

Absence d’usage détourné

Huit patients (20%) le relèvent, en particulier pour l’injection. La plupart du temps les

réponses sont courtes : comme le dit le patient 105 « Avoir un recul par rapport à la seringue.

Qu'est-ce que je pourrais dire d'autre? ».

Pour le patient 128, c’est cependant l’occasion de rappeler l’un des circuit du détournement

du Subutex, où le pharmacien désigné ici est « impliqué » (la plupart du temps à son insu).EMIC n°128 (H-29 ans) : Q 5.2.5. (…) bah déjà je ne le shoote pas. Déjà, ça m'évite heu…comme on dit si bien:le dealer du coin c'est le pharmacien, et ça m'évitait, contrairement au Subutex, d'aller à la pharmacie, prendremon truc, et me shooter avec… Au moins déjà, ça m'a permis de vraiment de... de réduire considérablement lesshoots quoi...

Il n’y a pas d’avantage à la méthadone

Un seul patient (2,5%), le patient 13 ne trouve aucun avantage à la méthadone.

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6-2. Les inconvénients

6-2-1. Les inconvénients de la BHD

Soixante-deux patients (93,9%) ayant pris au moins une fois du Subutex ont répondu à

cette question. La réponse du patient 178 n’est pas utilisable en raison d’un problème

technique.

Il n’y a pas d’inconvénient à la BHD

Treize patients (19,7%) ont cette opinion. Ils ne décrivent pas, ou très peu (1 patient, le

patient 5, a « un peu mal à la tête ») de difficulté avec le Subutex.

Effets indésirables

Ils sont rapportés par 19 patients (28,9%), soit un chiffre sensiblement identique à

celui rapporté pour les effets indésirables au moment de la description des effets (cf. tableau

11). Parmi ces patients, le « mauvais goût » du Subutex est le plus souvent cité. Sept patients

(10,6%) le relève. Cinq patients rapportent comme inconvénients importants les effets

secondaires de l’injection, où comme on l’a vu ailleurs les abcès sont cités en premier plan.

Les autres effets secondaires décrits par les patients sont sensiblement les mêmes que ceux

rapportés au moment des effets, ils n’ont donc pas été rapportés ici.

Manque et dépendance

Le passage d’une dépendance à une autre et le manque ou ses symptômes sont

évoqués par 16 patients (24,2%). Ainsi pour le patient 164 :

EMIC n°164 (H-50 ans) : Q 5-1-6 : Les avantages c'est que ça fait partir le manque de la came… mais vous êtesen manque du Subutex, voilà (rires). Vous comprenez ce que je veux dire… De toutes façons, dans une sens oudans l'autre, les 2 c'est néfaste…

Cette idée de soulagement de la fin du manque de drogue, concomitant à la survenue d’une

nouvelle dépendance, est également présente pour le patient 50: « on s’y accroche à cette

saloperie », dans sa réponse sur les avantages, ce patient qualifiait ce médicament de

« génial » parce qu’il « élimine le manque en deux secondes ».

Pour le patient 41, on devient « accro à la substitution » et pour le patient169, le risque est

d’ « y prendre goût ». Pour la patiente 88 et le patient 24, cette dépendance est plus

importante que celle à l’héroïne. Pour le patient 87 « on tombe dans un système ». Le patient

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15 est « malade quand (il) n’en a pas». Les patients 83, 142 et 151 décrivent les symptômes

du manque qu’ils ont expérimenté à des degrés divers.EMIC n°83 (H-37 ans) : Q 5-1-6 : Les inconvénients : on n'en a pas, on est parterre. Ça c'est un grosinconvénient. On est parterre. C'est-à-dire qu'il y a un manque, comme l'héroïne, voilà. Donc l'inconvénient c'estqu'il y a un manque? Énorme, c'est le manque. C'est l'inconvénient pour moi numéro un du Subutex.Inconvénient énorme: le manque. On est vraiment mal quand on n'en a pas (…)

EMIC n°142 (H-37 ans) : Q 5-1-6 : C'est les démangeaisons. Et donc en fait lorsque je l'arrête, ce qui va être lecas dans pas longtemps j'espère, lorsque je l'arrête complètement, j'ai une accélération du métabolisme, je parlepour moi, hein. Les autres, je ne sais pas hein… Mais je pense que chaque individu a une réaction différente,parce que les organismes ne réagissent pas tout le temps pareil... enfin, c'est ce que je pense. Je ne sais pas.C'est ce qui nous intéresse, c'est ce que vous, vous pensez. Voilà, personnellement, moi premièrement quand jele prends c'est les démangeaisons. Il doit y avoir de la morphine dedans, hein... enfin... il doit y avoir... je n'ai pasdit qu'il y avait, je ne sais pas, je n'ai fait aucune analyse. Et donc, lorsque je l'arrête totalement... lorsque jel'arrête totalement, il faudrait peut-être un médicament pour pouvoir ralentir un petit peu le métabolisme. Le coeurs'accélère... J'ai mon coeur... il n'y a pas besoin d'un appareil quelconque pour pouvoir mesurer les palpitations,je le vois... enfin, je le sens, je veux dire. Je sens l'accélération du coeur. Mais j'ai toujours cru que c'était normalétant donné que... même à petites doses, même à petites doses on arrête, il y a quand même un effet demanque. Bon une fois qu'on a passé ce stade-là, après bon, psychologiquement, moi je me sens fort, ça vaquoi... enfin... il y a des moments... C'est comme tout: il y a des moments où on se sent fort et puis il y en ad'autres on est plus faible. Tout dépend. Mais lorsque je choisis mon moment, je choisis le moment où je veuxarrêter...

EMIC n°151 (H-44 ans) : Q 5-1-6 : Les inconvénients, c'est que… j'ai arrêté une fois, comme ça, sur un coup detête, je me suis dit:"Je vais arrêter, comme ce n'est pas de la came, c'est plus puissant, machin, donc…j'arrête ".J'ai 8 jours. Je me suis dit je vais tenir 8 jours, quoi qu’il arrive, et bah au bout du 4ème jour, et bah j'étais devenuun cadavre, j'étais presque à la limite de prendre de la came. J'ai dit non. En plus je suis allé voir un médecin. Jesuis allé voir mon médecin, et heu... il m'a prescrit ma... mes... mon ordonnance de Subutex... Donc, ça veut direqu'il y a un effet de manque dès qu'on arrête? Ah ouais. Ouais, ouais, ouais, énorme. Je tremblais, j'étais là...j'étais heu... je ne pouvais pas marcher, j'avais froid, même en été, j'étais gelé, j'étais heu... je me croyais enSibérie, je ne pouvais même plus marcher. J'avais la tête qui tournait. Je ne pouvais plus entendre, j'avais desbourdonnements, j'avais mal à la tête. Je commençais à avoir des douleurs et tout.

Usages détournés

« Et l'inconvénient, c'est qu'on peut le shooter, et sniffer et fumer » (patient 82),

« complètement dévié de… du principe de base » (patient 22), « Il y en a à tous les coins de

rue (…) » (patient198). Les propos de ces trois patients posent ici le problème du

détournement, reconnu par les patients, et s’intégrant ainsi dans la perception des risques.

Treize patients (19,7%) citent les usages détournés comme inconvénients. L’injection est

présente dans 12 réponses (18,2%). On remarquera que parmi ces 12 derniers patients, 11

s’injectent ou se sont injectés du Subutex.

Les patients 17, 71, 83 et 135 évoquent des alternatives éventuelles pour pallier au

détournement et aux conséquences délétères de l’injection : produit non injectable,

distribution et prise en charge identique à celle de la méthadone, BHD injectable en cas

d’impossibilité de renoncement à l’injection.

Le patient 8 décrit le climat de suspicion qui entoure le Subutex pour certains toxicomanes,

interloqués par la présence sur le marché d’un médicament si aisément détournable.EMIC n°8 (H-30 ans) : Q 5-1-6 : (…) le problème c'est qu'il peut se diluer donc le patient peut se l'injecter Vousvoyez plutôt ça comme un inconvénient ? Ouais, ouais, moi je dis que c'est, je vais pas dire que ça a été faitexprès mais c'est d'habitude surtout pour les toxicomanes ils font tout pour avoir des produits justement non

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injectables pour pas que la personne se machine et même d'ailleurs beaucoup de copains me disaient qu'on sedemande si c'est pas fait exprès de donner du Subutex, parce qu'à une époque j'avais entendu dire qu'ils allaientpeut-être le retirer des pharmacies et puis ça n'a jamais été fait (…)

La réponse du patient 105 rapporté ici est en quelque sorte la conclusion aux nombreux griefs

qu’il a porté à l’encontre du Subutex, produit « négatif », en lien avec l’injection.EMIC n°105 (H-37 ans) : Q 5-1-6 : L'inconvénient: dégâts corps…physiques. Heu… dégâts physiques, heu…injectable, malheureusement, malgré, malgré les consignes… Injectable, heu… dangereux et heu… J'aurais pleind'adjectifs à ce niveau-là, par rapport à ça. Je n'en pense vraiment que du mal. C'est une saloperie, hein, bon,une belle saloperie. Je m'excuse du terme, mais c'est vrai, c'est le mot que j'ai en tête, là. C'est tout. Enfin, c'esttout. Tout ce qui est lié à la... voilà, pour moi, c'est un produit qui est négatif, voilà.

Inefficacité

Elle est relevée par 3 patients (4,5%).

Effet agoniste-antagoniste

C’est un inconvénient pour 2 patients (3%).

Discrimination et stigmatisation perçue

Deux patients (3%) en parlent. Le patient 19 dans des rapport éventuels avec les

pharmaciens, et le patient 169 lors de contrôle de police.EMIC n°19 (H-44 ans) : Q 5-1-6 : le seul inconvénient qu'il y a c'est heu… si tu veux partir dans un petit patelinperdu, et qu'il y a UN pharmacien, et que c'est un vieux pharmacien, et puis que tu arrives avec ton ordonnancede Subutex, il faut qu'il en compte... Ça doit être un sacré problème, quoi. Je me dis des fois: "un petit machin, unbled bien perdu, il faut que j'en commande. C'est quoi? Substitution à la drogue". Ouais ouais le truc que ça peutfaire dans la tête de pharmacien de campagne. (…)

EMIC n°169 (H-37 ans) : Q 5-1-6 : Par contre, les désavantages, contrôle de police:"Qu'est-ce que c'est queça?", s'il en manque quelques uns sur la truc:"Ouais, tu te shootes, enfoiré, tu te shoote, viens là, hop". Ça m'estarrivé, donc…Heureusement, j'étais avec un collègue de travail, sinon ils m'embarquaient, ils étaient là:"Allezhop, au poste, tu me l'emmènes, ouais, toxico"... Une discrimination par rapport à votre traitement...? Ouais.

Autres inconvénients

D’autres patients rapportent des inconvénients de façon isolée. Ils n’en sont cependant

pas moins importants à relever. La patiente 125 évoque sa difficulté à rentrer dans un autre

mode de fonctionnement. Le nombre de prises prescrit, n’est d’après elle pas suffisant. Le

besoin d’une prise plus fréquente n’est ici pas lié à un manque physiologique ou à un effet

recherché, mais au besoin d’avoir « prise » sur le produit en tant qu’objet. Pour le patient 157,

le Subutex reste un « produit », ce dont il semble avoir envie de se défaire : « c’est une drogue

gratuite ». Enfin, le patient 175 est rédhibitoire : le Subutex « c’est juste pour vous détruire la

vie ».

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6-2-2. Les inconvénients de la méthadone

Trente patients (75%) ayant pris au moins une fois de la méthadone ont répondu à

cette question. Pour les mêmes raisons que pour les avantages, les patients 15 et 25 n’ont pas

réussi à formuler de réponse.

Il n’y a pas d’inconvénient à la méthadone

C’est le cas pour 4 patients (10%).

Effets indésirables

Treize patients (32,5%) en rapportent au moment des inconvénients. Ce chiffre est

encore une fois assez proche de celui retrouvé pour les effets indésirables au moment des

effets. Les thématiques sont davantage centrées sur deux sujets, peut-être ressentis comme les

plus gênants par les patients dans le cadre d’un traitement au long court : l’hypersudation et le

problème du « sucre » et de ses conséquences.

Le côté « sucré » est souligné par 5 patients (12,5%) comme inconvénient. Les patients 17, 45

et la patiente 85 (7,5%) en déplorent les conséquences dentaires. Ainsi pour le patient 17 :

EMIC n°17 (H-30 ans) : Q 5-2-5 : (…) c'est trop sucré, et moi déjà, j'ai déjà des problèmes de dents, mais alors,franchement depuis que je prends la métha, c'est ... c'est pire... J'ai les dents, grave... C'est trop sucré... Et çafranchement, c'est un inconvénient, grave... Pour moi c'est un inconvénient.

Trois patients (7,5%) rapportent des problèmes importants de transpiration, par exemple le

patient 6, parmi d’autre effets ressentis comme très gênants, ce qui ne l’a pas empêché de

poursuivre le traitement, jusqu’au « sevrage ».EMIC n°6 (H-37 ans) : Q 5-2-5 : C'est l’intérieur par contre. Ça bloque tout. Intérieurement, ça bloque tout. Çadure très peu de temps mais… des fois ça revient et puis heu..Et il y aussi que personnellement ça m'a faitprendre 30 Kg, j'étais arrivé à 91 kg, moi qui fait un poids de 70 à 75 kg heu... X et tous ces gens-là, ils m'ont vu,mais après bon... une fois que c'est fini. Dès qu'on a arrêté, il ne faut pas rêver, on ne va pas rester comme ça, etheureusement... Dieu merci... Ouais, ça me gênait partout: l'été et tout... Et ça fait beaucoup transpirer aussi.Énormément transpirer. Alors pour un rien. Je vais faire 10 pas, je vais arriver devant vous: "Qu'est-ce qui vousarrive? Bah je viens de marcher, je viens d'arriver". Été comme hiver. Le but c'est bon, ça c'est secondairequelque part. Vous voyez, moi je l'ai pris comme ça aussi. Moi j'ai vu que ça c'était secondaire, et je me suisaperçu que ça m'aidait énormément pour mes démarches, et tout... alors là (...).

Le patient 49 tolère aussi des effets supposés « toxiques », puisqu’il s’agit d’un médicament:EMIC n°49 (H-37 ans) : Q 5-2-5 : (…) Je pense que c'est quand même toxique comme tout traitement. Il vautmieux ça que de se droguer.

Manque et dépendance

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Dix patients (25%) ont relevé ces inconvénients. Ainsi les patients 8 et 163 décrivent

une plus grande efficacité de la méthadone par rapport au Subutex, ce qui d’après eux

majoreraient les problèmes de manque. Dans la même idée, la méthadone est pour le patient 6

un « produit miracle », « mais il faut s’en débarrasser ». Le patient 22 décrit les difficultés du

manque et de la dépendance lors du travail.EMIC n°22 (H-40 ans) : Q 5-2-5 : Moi, je pense qu'il n'y a pas de réels inconvénients. Si, ou alors…moi le constatque j'ai fait, c'est assez difficile quand même de … de descendre les doses… C'est assez difficile de diminuer…?Ouais. Moi, je pense que j'aurais pu diminuer il y a longtemps, mais, c'est... ce n'est vraiment pas marrant, c'estassez difficile, parce qu'on vient de longues années de toxicomanie, on a peur un peu des effets de manque. Moi,je sais que je n'apprécie plus les effets de manque, pourtant j'ai fait des trucs à la dure. Et la méthadone, c'estassez difficile de réduire la dose, hein. Il faut vraiment prendre son temps, son temps, son temps. Et même enprenant son temps, on sent quand même des effets secondaires. Oh ce n'est pas diabolique, mais quand vousêtes en train de travailler, ce n'est pas marrant quoi.

Pour le patient 175, le cadre de la prescription médicale, qu’il n’avait pas trouvé avec le

Subutex, semble d’une certaine manière « le protéger » du manque. L’ensemble des réponses

à la section 5 de l’EMIC de ce patient, semble conditionné par la relation thérapeutique, qui a

contribué dans son cas à l’efficacité d’un produit.EMIC n°175 (H-29 ans) : Q 5-2-5 : Je suppose qu'il doit y en avoir des inconvénients, comme tout… comme ondit… quand il y a l'avantage, il y a toujours les inconvénients avec ça qui passe, et ça fait la paire, tout le temps,obligé. Quand il y a des avantages, il y a toujours l'inconvénient. Maintenant, l'inconvénient je ne vois pas.... je nepeux pas vous dire quel inconvénient, mais seulement à part heu... pour l'inconvénient c'est que si on prend de laméthadone sans prescription on peut tomber en manque avec la méthadone... Si c'est... si on prend sans que lemédecin nous ait prescrit ou sinon avec la prescription du médecin je ne vois pas quel inconvénient il peut avoir.Je ne vois pas d'autres quoi... Ça je ne peux pas vous dire.

« Défonce »

Trois patients (7,5%) s’y réfèrent pour les inconvénients, cela peut faire référence aux

qualités euphorisantes de la méthadone. Le patient 88 complète sa réponse sur les

avantages, « remplace bien le produit » :EMIC n°88 (F-44 ans) : Q 5-2-5 : C'est la même chose en médicament. En dehors de la vie réelle.

Absence d’effet

Ils sont évoqués par 2 patients (5%). De confort (évoqué dans les avantages) à plaisir,

le patient 67 ouvre une dimension souvent non perçue ou moins acceptée des soignants.EMIC n°67 (H-47 ans) : Q 5-2-5 : Et le problème, c'est qu'il n'y a pas de côté plaisir. Voilà.

Cadre de distribution et de suivi

Pour 2 patients (5%) le cadre de prise en charge plus contraignant (au moins en primo-

prescription) de la méthadone est un inconvénient pratique, toutefois nuancé par le bénéfice

retiré des contacts avec les soignants. Par exemple pour le patient 17 et le patient 159 :

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EMIC n°17 (H-30 ans) : Q 5-2-5 : La distribution, elle n'est pas…ce n'est pas pratique, quoi. Ce n'est pas pratiquela distribution, où moi je suis obligé de venir ici une fois par semaine, même si moi je le veux, parce que ça mefait quand même du bien de venir pour en discuter ici avec le médecin, une fois par semaine, mais c'estcontraignant. Il y a des fois, où j'ai envie de partir en vacances, je ne peux pas partir en milieu de semaine. Parexemple, je suis obligé de partir heu... je m'arrange pour partir le jour où je dois avoir mon traitement pour 7 jours,et je ne pourrais partir que 7 jours. A moins qu'exception, quand on part en vacances 15 jours, et en général, ontrouve une autre pharmacie plus loin, et on fait une ordonnance, tout ça, mais on ne vous distribue pas pour 15jours, ou... Dans un sens, c'est bien, parce qu'il y a plein de magouilles avec ça... mais bon pour les gens qui leprennent... Maintenant, ce que je peux dire, pour moi sérieusement, parce que depuis que je prends de lamétha, ou que je suis sérieux avec mon traitement de substitution, c’est un inconvénient, quoi. Et ici, même auniveau des infirmières, et tout ça, on en a déjà parlé, c'est vrai, ce n'est pas... ce n'est pas toujours facile... on estdépendant de ça, quoi...

EMIC n°159 (H-35 ans) : Q 5-2-5 : (…) le seul problème que je peux voir avec ça, c'est si j'ai besoin de medéplacer éventuellement plus de 15 jours, pour avoir heu… ce n'est pas facile, quoi... tandis qu'avec le Subutexbon c'est des boîtes de 7, bon vous partez pour 3 semaines, vous pouvez faire l'ordonnance, la pharmacie vousdonne pour 3 semaines, et puis il n'y a pas de problème. Tandis que bon la méthadone, avant c'était juste unesemaine, maintenant, ils sont passés à une ordonnance jusqu'à 14 jours, mais ils ne dépassent pas 14 jours.Donc si vous avez besoin de vous déplacer même à l'étranger et bah vous avez cette démarche à faire pour quevous trouviez une pharmacie là où vous êtes qui va vous délivrer le produit heu... C'est un problèmed'ordonnance, en fait, hein... pour les déplacements.

Galénique

La méthadone est un sirop, le flacon qui le contient est donc en verre et encombrant.

Trois patients (7,5%) le relève. Le patient 65 à partir de ce problème de galénique

« volumineuse », pose le problème de la discrimination, du douanier au législateur.

EMIC n°65 (H-42 ans) : Q 5-2-5 : Le seul inconvénient c'est la place que ça prend quand on voyage quoi. Parexemple quand on s'en va 15 jours 3 semaines, ça fait un nombre de fioles, et ça peut être emmerdant vis-à-visdes douaniers, tout ça quoi. C'est pas encore bien assimilé dans la tête de certains législateurs. Mais voilà quoi,sinon c'est que des avantages.

Pour le patient 121 « ce serait bien si c’était en cachet ».

Synthèse :

La question des avantages et des inconvénients de la méthadone et de la BHD a été,

pour de nombreux patients, l’occasion d’aborder et de synthétiser des thèmes transversaux

aux représentations des TSO, comme notamment les questions du manque et de dépendance,

retrouvées assez logiquement dans les avantages comme dans les inconvénients, la question

des usages détournés de la BHD ou encore les questions de « normalité ». Les tableaux 14 a et

b, et 14 a et b, synthétisent les réponses données par les patients. Sur la question de l’injection

de la BHD, les patients qui citent le plus cet inconvénient, sont majoritairement des patients

qui se sont eux-mêmes injectés le produit (11 patients sur 12). Ce qui exprime une nouvelle

fois la notion de perception des risques, au sein même de la population la plus exposée. L’idée

de normalité est une nouvelle fois réaffirmée, sur l’ensemble le la section 5 de l’EMIC, parmi

les 67 patients ayant pris au moins une fois au cours de leur vie de la méthadone ou du

Subutex, ce « retour a une vie normale » aura été exprimé par 28 patients (41,8%). Cela ne

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peut qu’interroger sur la place du traitement dans le « normal » et le « pathologique ». Cela

nous interroge aussi sur nos propres représentations de ces notions en tant que soignants.

Tableau 14 a : Avantages de la BHD rapportés par les patients Tableau 14 b : Avantages de la méthadone rapportés par lespatients

avantages de laBHD66 patients

arrêt du manqueet de ladépendance

16 patients (24,2%)

retour à une vienormale

16 patients (24,2%)

soin et aide 10 patients (15,1%)

disponibilité etgalénique

13 patients (19,7%),dont commodité deprise:4patients(6,1%)

substitution etdiminutionprogressive

17 patients (25,75%)

pas d'avantage 6 patients (9,1%)

avantages de laméthadone40 patients

arrêt du manqueet de la dépendance

7 patients(17,5%)

retour à une vienormale

5 patients(12,5%)

rapidité et efficacité3 patients(7,5%)

absence "d'effet"3 patients(7,5%)

galénique 8 patients (20%)

pas d'effet antagoniste1 patients(2,5%)

importance du suivi 2 patients (5%)

substitution 3 patients(7,5%)

absence d'usagedétourné

8 patients (20%)

pas d'avantage 1 patient (2,5%)

Tableau 14 a : Inconvénients de la BHD rapportés par les patients Tableau 14 b : Inconvénients de la méthadone rapportés par lespatients

inconvénientsde la BHD

66 patients

pas d'inconvénient13 patients(19,7%)

effets indésirables19 patients(28,7%)

effets indésirables liésà l'injection 5 patients (7,5%)

manque et dépendance16 patients(24,2%)

usages détournés13 patients(19,7%)

inefficacité 3 patients (4,5%)

effets agoniste/antagoniste 2 patients (3%)

discrimination/stigmatisation perçue

2 patients (3%)

autres inconvénients

- drogue gratuite:1 patient (1,5%)- pas assez deprise »:1 patient (1,5%)- détruit la vie:1 patient (1,5%)

inconvénientsde la méthadone40 patients

pas d'inconvénient 4 patients (10%)

effets indésirables

13 patients (28,7%)dont:"sucre" et problèmesdentaires (12,5%),hypersudation (7,5%)

manque et dépendance 9 patients (22,5%)

"défonce" 3 patients (7,5%)absence "d'effets" 2 patients (5%)cadre de distributionet de suivi

2 patients (5%)

galénique 3 patients (7,5%)

discrimination/stigmatisation perçue

1 patient (2,5%)

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7- Les différences entre la BHD et la méthadone

Cette question arrive à la fin de la section 5 de l’EMIC. Trente-deux (52,2%) patients

parmi les 67 patients ayant pris au moins une fois soit de la méthadone, soit de la BHD y ont

répondu. Parmi les 3929 patients qui ont expérimenté au moins une fois chacun des deux TSO,

33 (84,6%) patients ont répondu. Deux n’ayant pris que de la BHD ont également répondu.

Il est intéressant de noter que plus de la moitié (21 patients soit 53,8%) des 39 patients

connaissant les deux traitements, ont fait cette comparaison spontanément, avant que la

question ne soit posée. Cette comparaison entre les différentes spécialités pharmacologiques

n’est pas très éloignée de la recherche du « meilleur produit » dans le parcours des usagers de

drogue.

Pour la question de la différence entre la méthadone et la BHD, les patients ont tendance à se

positionner, nous avons donc choisi de présenter les résultats de cette partie en répartissant les

réponses des patients selon le bénéfice qu’ils décrivaient pour eux-mêmes, en fonction de la

molécule.

7-1. La BHD apporte plus de bénéfices que la méthadone

Sept patients (17,9%) parmi les 39 patients ayant pris au moins une fois soit de la

méthadone, soit du Subutex ont cette opinion.

Trois patients (7,6%), les patients 13, 15 et 19 semblent avoir une position définitive. Ainsi le

patient 13 qui s’est décrit plus haut comme actuellement dépendant à la méthadone, a exprimé

de profonds regrets du Subutex tout au long de la section 5. Le patient 19 avait pris de la

méthadone « une fois pour essayer », il avait trouvé cela « affreux ».EMIC n°13 (H-39 ans) : Q 5-3 : Avec le Subutex, bon réveil, grosse différence avec la méthadone qui coupel'appétit. Au réveil on est très bien. Je regrette de l'avoir pris (parlant de la méthadone).

EMIC n°19 (H-44 ans) : Q 5-3 : Subutex, c'est que ça… On est pas…enfin pour moi, je ne suis pas défoncé, jeme sens pas être défoncé. Comment?… On est net, quoi. Il n'y a pas… Parce que pour moi la méthadone, c'estde la drogue. Voilà, c'est une drogue, c'est comme si tu… Le mec il vient se faire son shoot, on lui... Comme ilsfont dans les pays là... Le mec il vient... Un shoot légal, quoi. Et bah c'est pareil. Ça maintient le mec dans l'espritde drogue, quoi. C'est ça quoi. Parce que le Subutex, tu n'as que la méthadone. Mais lui il me le dit, je lui dit:"tues tout le temps content, tout le temps heureux". C'est vrai, même il a une tête, et lui il me dit:"tu as vu la tête quej'ai et tout". Il est tout maigre. Déjà il est roux, il est pâle. Il est tout maigre, et tout c'est....

29 Dans cette partie, les pourcentages sont exprimés par rapport aux 39 patients ayant pris au moins une fois soit de laméthadone soit de la BHD.

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Les patients 1 et 81 sont plus nuancés, le Subutex leur convient à un certain moment de leur

parcours, mais un « relais » par méthadone peut, d’après eux, être envisagé en fonction des

stratégies thérapeutiques.EMIC n°1 (H-44 ans) : Q 5-3 : Le Subutex, ça soigne en douceur, heu…sur la longueur, et disons que pour moi,la méthadone ça serait pour quelqu'un qui arrête heu… qui fait un sevrage. C'est mieux pour un sevrage, laméthadone.

EMIC n°81 (H-37 ans) : Q 5-3 : Bah heu… le Subutex... Une personne qui arrive en fin de… qui ne consommeplus rien et qui… qui vraiment pour moi avec le Subutex, une personne qui est vraiment dans la came, et quicommence au début c'est bien pour elle la méthadone. Moi je vois plutôt la méthadone au début, et le Subutexpar la suite, maintenant ça dépend du degré de prise et de.. .de la personne, moi je pense que à un moment j'aieu besoin de méthadone parce que mon corps était vraiment bien truqué, mais j'ai eu du mal avec ça. Et en fin decompte, je trouve que pour moi, le mieux c'est d'essayer le Subu, et je compte l'arrêter, mais pour moi, je leprends comme un régleur. Comme je vous ai dit, ça me règle... le matin quand je me réveille je commence àavoir des frissons tout de suite, en prenant la moitié de Subu, tout de suite... j'ai chaud, je peux bouger, je fais ça.Mais même sans, je pourrais bouger, mais j'aurais toujours ces petits frissons. Donc moi j'en suis plutôt à la fin,donc le Subutex pour moi, c'est comme un... comme si je partais et que je prenais un café le matin avant, pourêtre en forme vous voyez, donc je prends ça plus le café disons. Mais heu... moi j'aurais plutôt une tendanced'éliminer ça. Avec ces années-là, j'ai quand même pas mal déréglé le... le corps on le dérègle pas mal...

La patiente 172 a préféré le côté « moins astreignant » du Subutex.EMIC n°172 (F-37 ans) : Q 5-3 : C'est plus fort la méthadone,(...) il y a plus d'accrochage encore. Heureusementque je ne l'ai pas pris. Je l'avais pris, et en plus c'était dur à prendre, parce qu'il fallait y aller tous les matins...C'est plus strict la méthadone, peut-être justement parce que c'est plus fort ou je ne sais pas que le Subutex.Parce que le Subutex, heu...on ne peut vous en donner que dans un maximum de 28 jours, donc, le pharmacienil donne par... en même temps... heu...je compare ça au Subutex... mettons 16 mg par jour, il me donne 2 boîtesde 8 par semaine, donc c'est bien comme ça, je prends mes 2 Subutex par jour, et puis je peux rester chez moi,tout ça. Alors que la méthadone non... c'est plus astreignant. C'est pour ça que moi j'ai choisi le Subutex. Parcequ'au départ on m'avait proposé:"Est-ce que tu veux de la métha ou du Subutex?". Moi j'ai pris Subutex,justement à cause de ça. Je ne voulais pas me prendre la tête. A l'époque, je m'en rappelle quand c'est sorti,c'était difficile... on s'arrêtait tout de suite... que le Subutex, il était plus cool.

7-2. La méthadone apporte plus de bénéfices que la BHD

C’est le cas pour 19 patients (48,7%), parmi eux 2 patients avaient uniquement

exprimé cette opinion avant la question sur la différence. Tous ont expérimenté les deux

molécules

Comme pour la BHD, certains ont une opinion plus marquée. Huit patients (20,5%) rentrent

dans cette catégorie. Ainsi pour le patient 124, le Subutex n’est pas efficace et « pas adapté

aux drogues dures ». Pour le patient 105, en lien avec l’injection, « l’un est dangereux, l’autre

non », jugeant aussi le suivi du Subutex « laxiste ». Le patient 6 avait qualifié les effets de la

méthadone de « superbe » et ceux du Subutex de « catastrophique », et le Subutex était une

« horreur, une erreur ». Ce patient avait dit avoir injecté du Subutex « toujours » et « sniffé »

« souvent ».EMIC n°6 (H-44 ans) : Q 5-3 : La différence c'est que le Subutex c'est un poison, c'est un poison, pour moipersonnellement, c'est comme ça que je le vois, parce qu'on peut faire n'importe quoi avec. Il y en a même qui le

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revendent. C'est un poison. C'est pareil, pour moi c'est un équivalent à l'héroïne, c'est pareil. Pour moi, je le metsdans le même truc moi. La méthadone c'est vraiment pour t'en sortir, tu peux travailler avec, tandis que leSubutex tu ne peux pas. Tu ne peux pas, j'ai essayé de travailler. C'est-à-dire que j'ai la plaquette dans la poche,je me dis que je vais en prendre un, je vais être bien. Non, non dans ma tête, ça ne fonctionne pas. Dans notretête... dans la tête des toxicomanes...je n'aime pas ce mot, c'est vrai...la tête des toxicomanes, ça ne fonctionnepas comme une tête normale. Un cerveau de toxicomane ne fonctionne pas comme ça. S'il a une plaquette dansla poche, les 7 médicaments y passeront dans la journée. Non seulement ils y passeront, et une fois rentré à lamaison, il en reprendra d'autres pour se calmer. Non, ça c'est un cercle vicieux ça aussi. Il faut vraiment s'endébarrasser de ça. Il faut vraiment...

Le patient 22 se décrit militant actif de l’arrêt du Subutex, et parle des profits générés par les

laboratoires.EMIC n°22 (H-40 ans) : Q 5-3 : Je ne sais pas moi, la différence c'est que c'est une question de molécule, c'esttout. Je ne sais pas le Subutex, c'est de la fibre de morphine ; la méthadone, je ne sais pas exactement… Je mesuis beaucoup intéressé au Subutex, parce que j'ai fait un rapport sur le Subutex. Parce que comme je faisaispartie d'un comité de soutien, il y a eu une époque où je me suis battu pendant un an pour qu'on arrête de ledistribuer, parce que je considérais que c'était de la merde. Je me suis même battu jusque-là, jusqu'auLuxembourg. J'ai vue de grands éminents spécialistes du Subutex. Parce que à l'époque c'était le Subutex. Cequi me gêne dans le Subutex, c'est que les gens le prennent en injection. C'est ça qui me gêne. On pourrait faireun truc pour que ça puisse ne pas se diluer, si c'est possible, quoi. Ce n'est qu'une histoire de gros sous, decomment dire une histoire de fric, hein... Je veux dire à l'époque, en plus les mecs qui ont inventé ils avaient le, letruc pour 10 ans. Donc, il n'allaient pas s'emmerder à changer quoi que ce soit dans la formule quoi.

Le patient 67 avait comparé le Subutex à une « fraise tagada » dans la description des effets.EMIC n°67 (H-47 ans) : Q 5-3 : La métha est mille fois mieux. Parce que c'est facile, le Subutex ne sert à rien.Alors tout est mille fois mieux, forcément. Même un Temesta, c'est mieux que le Subutex, pour moi. Tout estmieux que le Subutex, forcément.

Le patient 190, adhérant à une « antidrogue sage », se différencie des « toxicomanes » :EMIC n°190 (H-41 ans) : Q 5-3 : La méthadone c'est une antidrogue sage, et le Subutex une antidroguediabolique. Ils ne devraient pas le donner aux toxicomanes. Ils guettent le bus, les centres, vous voyez leurs braset leurs abcès partout. J'ai la haine après les toxicomanes. Ils me rendent nerveux. Chaque fois que je descends,un mec est défoncé, ça se voit à ses yeux.

Cinq patients (12,8%) ont exprimé un plus grand crédit à la méthadone par l’absence d’usage

détourné. Par exemple la patiente 85 et 135 :

EMIC n°85 (F-33 ans) : Q 5-3 : (…) la différence c'est que le Subutex il peut se sniffer ou s'injecter, la méthadone,non, c'est pour ça que je préfère la méthadone, parce qu'il paraît qu'on ne peut pas… il paraît qu'on peut sel'injecter mais c'est toute une préparation à faire, alors autant la boire, (rires) je veux dire c'est... ça, mais ça c'estun avantage... un avantage que la méthadone a, c'est qu'on ne peut pas se l'injecter, ou la sniffer ou... ni essayerde... à la limite il faudrait se faire une perfusion pour se l'injecter quoi...Il faudrait que ce soit de la méthadonepure, il faudrait pas qu'il y ait le sucre et tout... tous les à-côtés qu'il y a dans les petits flacons. Pour vous c'est unavantage? Ah oui, c'est un avantage dans la méthadone, c'est qu'il n'y a plus l'histoire de la seringue, tout ça c'estfini, quoi. Ca ne me viendrait pas à l'idée de m'injecter la méthadone, parce que je ne saurais pas comment faire,hein... Et puis je n'oserais pas m'injecter du sirop comme ça (Rires)

EMIC n°135 (H-37 ans) : Q 5-3 : C'est peut-être chimique, j'en sais rien, surtout un on peut le shooter l'autre onpeut pas, c'est ça la différence. Le Subutex c'est bien aussi, il y en a, ça marche, pour moi ça n'a pas marché.

Le patient 135 avait « toujours » eu recours à la voie injectable pour le Subutex

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Quatre patients (10,25%) ont souligné un plus grand soulagement de la souffrance

psychologique par la méthadone. Par exemple le patient 49, pour lequel, le soulagement de

cette souffrance laisse entrevoir une forme de « sortie » de la toxicomanie:EMIC n°49 (H-37 ans) : Q 5-3 : Elle m'a expliqué Dr X. Le Subutex, c'est un produit qui enlève le manque mais laméthadone, ça agit directement sur le moral (se cogne la tête). Avec le Subutex, des fois on n'a pas le moral. Là,je suis moins angoissé, je reprends confiance en moi. Je ne me sens presque plus toxicomane.

7-3. Opinion neutre

Huit patients (20,5%) parmi les 39 patients ayant expérimenté les deux molécules,

décrivent des différences entre la méthadone et le Subutex, mais ne semblent pas accorder de

prééminences à une molécule en particulier.

Parmi eux, 6 patients (15,4%) différencient la méthadone et la BHD par les usages détournés,

mais sans que cela ne dégage des avantages pour l’un des deux TSO.

Trois patients (7,7%) notent le mode de distribution comme différence, parmi eux le patient

189, même s’il a « peur de craquer » devant la distribution plus stricte de la méthadone, n’a

pas de réelle « préférence » de traitement. La lourdeur du suivi ressentie est compensée dans

son propos par l’absence d’usage détourné pour la méthadone.

Trois patients (dont les 2 patients n’ayant jamais pris de méthadone) décrivent les caractères

physiques des produits : la méthadone est « buvable » (patient 45), « liquide » (patient 183),

« plus froid » (patient 118).

Synthèse :

Au regard des positions prises par les patients, la méthadone semble apporter plus de

satisfaction que la BHD, parmi les 39 patients qui ont expérimenté les deux produits. Dix-

neuf patients (48,7%) « défendent » ainsi la méthadone, versus 7 patients (17,9%) pour le

Subutex. La difficulté de détournement de la méthadone et le plus grand soulagement de la

souffrance psychologique sont des arguments concrets employés par les patients. Ces qualités

sont aussi volontiers retrouvées dans un discours médical au sens large. Il faut cependant

rappeler que dans notre échantillon, l’usage d’une molécule peut parfois se limiter à des

expériences courtes avec des modes de procuration divers. La prise d’un TSO ne se fait pas

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non plus toujours dans des objectifs thérapeutiques. Cela peut influencer la « préférence »

pour un produit.

Les patients ont parfois des opinions tranchées vis-à-vis des traitements : l’adhésion à

l’un peut entraîner le rejet catégorique de l’autre. Trois patients (7,6%) rentre dans ce schéma

pour la BHD et 8 patients (20,6%) pour la méthadone. Si cela peut être en lien avec des

expériences très problématiques d’une molécule, il y a aussi là l’expression de figures de

différenciation par rapport à ce que l’individu pense « ne pas être ». C’est par exemple le

discours du patient 190, qualifiant le Subutex « d’antidrogue diabolique », qui a « la haine des

toxicomanes ». Cette façon de désigner « son produit » de façon très forte, avec arguments à

l’appui, peut aussi faire partie d’un discours qui ne se détache pas complètement du

comportement addictif.

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TROISIÈME PARTIE

DISCUSSION

1- Les patients toxicomanes et leurs traitements de substitution

1-1. L’hétérogénéité des réponses

Au vu des résultats observés, les opinions des patients sur leur TSO ne sont pas

homogènes, même si certaines caractéristiques communes s’expriment à plusieurs niveaux.

Les réponses fournies par les patients s’inscrivent plus dans des parcours personnels

que dans la définition d’un groupe qui répondrait à un schéma global (Fischer et al. 1999,

Montagne 2002). On retrouve ainsi souvent une cohérence individuelle entre les effets

ressentis ou recherchés, les buts des TSO exprimés, l’itinéraire thérapeutique des patients et

les différences qu’ils trouvent entre les médicaments. Dans le même temps, la disparité

« entre patients » est transversale à travers l’ensemble de ces thèmes. Face à cette

hétérogénéité marquée, il est donc important d’explorer de façon individuelle les

représentations que les patients ont de ces traitements, avant de leur en prescrire (Mavis et al.

1991).

Cette diversité exprime aussi l’étendue des questions posées par la substitution,

comme cela s’est manifesté lors des premiers États Généraux des Usagers de la Substitution

en 2004 (Jaufferet-Roustide 2005). Nous verrons par ailleurs dans la deuxième partie de la

discussion que la multiplicité des questions et des opinions ne concerne pas seulement les

patients.

L’hétérogénéité des patients s’est plus particulièrement révélée lorsqu’il a été demandé

aux patients quel but pouvait avoir, pour eux, la méthadone et la BHD. C’est aussi ce qu’a

montré l’étude AIDES-INSERM (2001) concernant la motivation et les attentes des patients

quant à la demande de traitement de substitution. Pour Lalande et Grelet (2001), les mots

employés par les patients pour définir les objectifs de la substitution, comme « arrêter »,

« substituer », « décrocher », « s’en sortir », sont des « termes flottants, dont la signification

varie d’une personne à l’autre et à mesure du parcours ».

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La diversité des représentations des patients sur les traitements de substitution fait

écho à une hétérogénéité plus large des patients toxicomanes. À propos des modèles

explicatifs des patients toxicomanes explorés dans l’ensemble de l’EMIC30, Taïeb (2006) a

également montré la pluralité des opinions des patients. Sur le plan psychopathologique pour

Jeammet (1997a), « la dépendance est une virtualité sinon une constante du fonctionnement

mental qui pose des problèmes dans la mesure où elle devient un mode prévalent et durable de

ce fonctionnement au détriment d’autres modalités. Il s’agit donc d’un mode de

fonctionnement susceptible de concerner des structures et des organisations psychiques

différentes (…) ». De même pour Bergeret (1982) : « Il n’existe pas de structure psychique

profonde et stable spécifique des comportements de dépendance. N’importe quelle structure

mentale peut donner naissance à des comportements de dépendance » (Bergeret 1982, p. 42).

Il existe en définitive un caractère transnosographique et transtructural dans les addictions

(Jeammet 1997b).

1-2 Les effets des TSO selon les patients

1-2-1. La notion d’effet pour les TSO

Nous avons souligné dans la partie centrée sur cette question, la complexité de la

notion d’effet, en particulier pour les TSO. Lalande et Grelet (2001) rappellent la tendance

des patients toxicomanes à porter une attention importante « aux effets » d’un « produit », que

l’usage en soit thérapeutique ou non. Concernant l’hétérogénéité des réponses, les propos des

usagers canadiens sur la méthadone dans l’étude menée par Fischer et al. (2002), dénotent

également de disparités importantes sur la compréhension du terme « effet ». Dans cette

étude, des effets secondaires variés sont décrits, certains sont d’ailleurs originaux par rapport

aux effets les plus rapportés par les patients en France : des patients décrivent par exemple

leurs « os qui pourrissent », rotting bones, également cités dans d’autres travaux (Rosenblum

et al. 1991, Koester et al. 1999). L’ambiguïté entre inefficacité et absence d’effet recherché

est également notable. À travers la recherche d’effet, la persistance de la problématique

addictive sur le plan psychique entraîne l’émergence de nouvelles dépendances, avec la

30Les autres parties de l’EMIC-DD-V2 exploraient les modèles explicatifs des patients, au travers des modalités

d’expression de la souffrance et les représentations des troubles, la stigmatisation perçue, les théories étiologiques, l’itinérairethérapeutique (cf. méthode).

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consommation fréquente de benzodiazépines, de crack et de cocaïne. L’effet de « stabilisation

de la vie » est aussi décrit par les patients dans plusieurs travaux (Koester et al. 1999, AIDES-

INSERM 2001, Lalande et Grelet 2001, Fischer et al. 2002).

À propos des effets secondaires, l’étude AIDES-INSERM (2001) décrit des effets

secondaires plus fréquemment ressentis sous BHD (comparativement à la méthadone et aux

sulfates de morphine). Ce qui n’est pas mis en évidence dans notre étude (31,8% des patients

décrivent des effets secondaires sous BHD, versus 30% pour la méthadone). Ces effets

secondaires semblent acceptés par les patients dans le cadre d’une démarche thérapeutique.

Par exemple, le patient 49 dans notre étude, pense que la méthadone est « quand même

toxique, comme tout traitement ». À l’inverse lorsque les mésusages sont importants et

ressentis comme une dépendance supplémentaire, les effets secondaires sont mal tolérés,

qu’ils soient en lien ou non avec la mauvaise utilisation du produit (Guichard et al. 2006).

La description des effets secondaires est un paramètre qui traverse l’ensemble des

travaux, explorant le point de vue des patients sur les TSO. Ils sont fréquents et

potentiellement pénibles. Les effets secondaires ressentis par les patients sont souvent jugés,

insuffisamment pris en compte dans les dispositifs de soins (Dyer et White 1997, Bourgois

2000). Il n’est cependant pas toujours aisé, en particulier en début de traitement, de faire la

différence entre les sensations physiques ou psychiques dues au traitement, et celles qui sont

dues à un phénomène indépendant. Les patients ont fréquemment tendance à rattacher toute

sensation nouvelle, bonne ou mauvaise, à la molécule (Pezous et al. 1995). Il est en effet

souvent difficile pour ces patients de reconnaître et de verbaliser des sentiments ou des

émotions personnels.

Dans l’étude AIDES-INSERM, les effets du médicament sont compris au sens de

l’efficacité du traitement, en lien avec le niveau de satisfaction des patients. L’ « efficacité »

de la substitution est reconnue des patients, que se soit en terme de soulagement de la

souffrance du manque et de ses conséquences, ou en terme d’impact plus large sur la vie des

patients. Mais elle ne peut pas se détacher de la proximité qu’elle conserve avec la drogue,

qu’elle est censée « remplacer ». Les termes de « flash », de « montée », de « défonce » et

autre recherche d’effet, si souvent retrouvés dans le discours des patients, signent cette

frontière floue. L’effet et l’efficacité en fonction de la dose, évoqués par plusieurs patients

dans notre étude comme dans d’autres (Lalande-Grelet 2001, Pérez de los Cobos 2005), est

aussi très proche du lexique de quantité employé pour la drogue : Dagognet (2000) rappelle

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par exemple le bénéfice sur la « cérébralité » que tirent certains créateurs (Balzac, Baudelaire,

Gautier) de l’opium et du haschich « à faible dose » .

Pour Jeammet (1997a) cette efficacité complexe a un prix, et place « plus que tout

autre médiation » la rencontre avec les thérapeutes « sous le signe de l’ambiguïté ». Il y a

donc une ambivalence importante qui traverse la question des effets, et elle est en toile de

fond du parcours des patients avec les TSO. Elle ne peut donc que pénétrer toute relation

thérapeutique en lien avec la substitution.

L’efficacité des traitements de substitution a été démontrée dans plusieurs études. Les

résultats d’une étude de cohorte menée à Amsterdam par Langendam et al. (2004) (488

usagers de drogues, évalués de décembre 1985 à juin 1998) ont ainsi mis en évidence la baisse

des pratiques d’injection et la réduction des risques infectieux chez les patients traités par

méthadone. Amato et al. (2003) ont recensé les résultas de 46 études évaluant l’efficacité des

traitements de substitution : la méthadone apparaît être le traitement qui permet le plus aux

patients de poursuivre une prise en charge. De façon plus générale, les grandes études de

cohortes menées depuis plusieurs décennies aux Etats-Unis ont étudié les effets des

traitements (méthadone et autres traitements31) et les évolutions à long terme des sujets

toxicomanes. Les résultats de ces études ont permis de démontrer l’efficacité incontestable

des traitements dans la dépendance aux drogues : la rétention en traitement est plus élevée et

la situation des usagers s’améliore lorsqu’ils se maintiennent dans les circuits de soins (Taïeb

2006).

Ces bons résultats ne doivent néanmoins pas empêcher de pondérer la question de

l’efficacité du produit, au profit de ce que ressent le patient. Pignarre (2000) à ce sujet,

retranscrit un épisode de tensions entre l’administration américaine et certains soignants : il

s’agissait au début de l’année 1997 de la demande par l’administration de la conduite d’études

en double aveugle versus placebo pour évaluer l’efficacité des TSO, l’éditorialiste du New

England Journal of Medecine, Jérôme P. Kassirer a réagi : « Le type de sensations que

ressentent les patients est extrêmement difficile à quantifier dans les essais contrôlés. Ce qui

compte, avec ce genre de produits, c’est ce que le patient témoigne lui-même de

l’amélioration de son état, et non pas qu’une étude contrôlée vienne apporter la preuve de son

efficacité ».

31 Aux Etats-Unis, les trois principales modalités thérapeutiques sont les traitements ambulatoires par méthadone, lescommunautés thérapeutiques (ou traitements résidentiels) et les traitements ambulatoires visant à l’abstinence.

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1-1-2. La notion d’effet au-delà de la substitution

Il ne serait pas juste de différencier totalement les TSO du reste de la pharmacopée. Il

nous a donc semblé intéressant d’examiner comment certaines notions abordées par les

patients décrivant les effets des TSO, peuvent se retrouver dans le « langage » des

médicaments et de la maladie dans un sens plus large. Un parallèle assez simple peut par

exemple se faire avec les psychotropes, les TSO sont d’ailleurs classés dans le guide Dorosz,

à l’intitulé « psychotropes divers ». Baumann et al. (2001), explorant les pratiques et les

attitudes des patients à l’égard des psychotropes, rappellent que les psychotropes « procurent

un bien-être tout en enfermant un risque de dépendance ». Parmi les personnes interrogées, il

existait « un consensus sur l’aide à mieux vivre, mais aussi sur le souhait de vivre sans cette

aide ». Il y a là une ambiguïté bien proche de celle que nous avons observée. Dans notre

étude, les effets de « bien-être » ont été évoqués par 25,75% des patients pour la BHD et par

22,5% des patients pour la méthadone. La question de la dépendance était un inconvénient

pour 24,2% des patients pour la BHD, versus 22,5% pour la méthadone. La frontière est en

fait mince - si toutefois elle existe - entre l’usage que l’on peut faire de certains médicaments,

les TSO et les drogue.

Pour Leriche, cité par Canguilhem, la douleur est « un fait de maladie », définissant

ainsi la maladie par ses effets (Canguilhem 1966, p 56 et 57). Si la douleur peut, dans cette

perspective, participer à délimiter la notion de maladie, le médicament qui a pour effet de

soulager cette douleur prend une valeur particulière. Pour Fainzang, observant le

comportement des individus vis-à-vis des médicaments, « le bon médicament est celui qui

soulage (…) rapidement », ce qui préfigure de son « efficacité » (Fainzang 2001, p 62). Les

vertus antalgiques des TSO sur le soulagement des douleurs liées au manque, souvent

rapportées par les patients (comme le patient 133 qui comparait le Subutex à un « antalgique

puissant »), font rentrer la méthadone et la BHD dans cette catégorie de

médicaments « rapides et efficaces », autres termes régulièrement employés par les patients.

À propos des antalgiques, Beecher a montré que la morphine, même à dose élevée,

soulage difficilement la douleur d’origine expérimentale, alors que des doses moins

importantes suffisent à soulager une douleur d’origine pathologique. Il en conclut que le

contexte de survenue de la douleur a une influence sur les vertus antalgiques du produit. Par

extension, la façon dont est administré le produit, c’est-à-dire le cérémonial avec lequel il est

administré, le rituel et le discours qui l’accompagne ainsi que la croyance en son efficacité, a

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des effets sur son action (Le Ferrand 1999). Il y a dans cet exemple un effet du cadre sur

l’effet du médicament, mécanisme que l’on observe particulièrement avec les TSO.

Fainzang a aussi remarqué la façon dont la galénique interfère dans les représentations

des traitements : les sirops sont ainsi souvent dévalorisés et assimilés à de la confiserie

(Fainzang 2001, p 61). Même si, du fait des usages détournés (Guichard et al. 2003), la

question de la galénique pour les TSO ne se résume pas à la représentation de leur efficacité,

la forme du médicament a à voir avec l’opinion du patient sur le traitement et son efficacité32.

Pour Dagognet (1964), lorsque l’expérimentateur teste un nouveau remède versus placebo, il

répond à certains critères : il est ainsi recommandé « d’administrer au malade ou à celui qu’on

éprouve des remèdes qui évoquent, par leurs qualités sensorielles, ceux de son enfance, ceux

qui l’ont jadis guéri et enchanté, parce qu’ils sauront éveiller les folles espérances », ainsi

lorsque « les matières synthétiques ou galéniques (…) entrent en action et passent dans le

domaine médical et de la thérapie, elles s’obscurcissent et se troublent ». Les TSO sont à

notre sens des traitements, ils n’échappent pas à ces mécanismes. La forme du médicament

interfère avec l’histoire du patient dans la toxicomanie, les « cachets » peuvent par exemple

porter une réputation négative par leurs détournements possibles et leur grande diffusion

(Bounhik et al. 1999), mais aussi avec une histoire personnelle plus ancienne. Dans la même

idée, la question du goût et de son influence sur le refus ou l’acceptation d’un traitement est

abordée par Fainzang (2001, p 54). Le « mauvais goût » de la BHD, inclus dans les effets par

13,6% des patients ayant expérimenté cette molécule dans notre étude, répond à ce processus.

Le « sirop » de méthadone, au goût sucré et dont la couleur et la consistance peuvent évoquer

le caramel, n’est pas non plus sans rappeler certains remèdes de l’enfance.

L’efficacité, le « pouvoir du remède », est donc par essence, pour les TSO comme

pour le reste de la pharmacopée, remplie d’incertitude et de subjectivité. En définitive, « la

rigueur thérapeutique ne peut pas s’exprimer en termes immédiats et transparents » (Dagognet

1964).

32Dans l’étude AIDES-INSERM, les personnes sous méthadone (52%) et sous sulfates de morphine (56%) ont présenté un

niveau de satisfaction modéré sur la forme du médicament, tandis que plus de la moitié des personnes sous BHD se disentmoyennent à faiblement satisfaits, dont 32% réellement insatisfait (versus 19% dans le groupe méthadone et 10% dans legroupe sulfates).

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1-3. Les modes d’obtention, le recours au TSO « de rue » et l’auto-substitution

Dans notre travail, nous avons mis en évidence plusieurs modes de procuration des

TSO pour la première expérience des patients avec ces produits. Ceci peut conditionner la

suite de la prise en charge. Ainsi dans notre échantillon, 37,9 % des patients pour la BHD et

27,5% pour la méthadone, ont obtenu ces produits la première fois par un proche ou achetée

dans la rue. La majorité des patients ont cependant reçu de la BHD ou de la méthadone la

première fois suite à la prescription d’un médecin (respectivement 57,6% et 67,5%). La

question des modes du recours au TSO non prescrit ne doit pas se confondre entièrement avec

celle des mésusages, que nous développerons plus loin (Raynal 2007b). En effet, les

mésusages ne se résument pas à la prise de TSO hors prescription et la prise de TSO hors

cadre de soins n’est pas systématiquement synonyme de mésusages.

Le recours au TSO de rue peut être un rempart contre le recours aux produits illicites,

par exemple lorsque la totalité de la quantité prescrite a été consommée (un nombre important

de patients dans l’étude AIDES-INSERM (2001) disent d’ailleurs avoir « partagé » leur

prescription pour dépanner des amis). Une partie des TSO consommés hors prescription

médicale peut ici relever de l’auto-substitution : une partie voire toute la consommation

antérieure d’héroïne peut être remplacée, le plus souvent par la BHD, dans le but d’en arrêter

ou d’en réduire la consommation (Auriacombe et al. 2003). Dans les structures de première

ligne, 18% des personnes disant utiliser la BHD uniquement pour se soigner ne

s’approvisionnent qu’au marché noir, tandis que 13% mêlent prescription et

approvisionnement illégal. Les raisons de ce recours à une substitution de rue semblent,

d’après les études, être particulièrement liées à la condition sociale des usagers :

consommateurs très précarisés ou en errance, jeunes et adolescents, migrants (Bello et Cadet-

Taïrou 2004, Guichard et al. 2006). Cela pose donc aussi le problème de l’accès aux soins,

que ce soit pour des raisons de difficultés d’accès aux droits (migrants33 et/ou précaires) ou de

besoin d’anonymat (mineurs ou jeunes adultes couverts par les parents). À une autre échelle et

dans un autre système de soins, aux Etats-Unis, Hunt et Rosenbaum (1998) rapportent

l’expérience de plusieurs patients qui, pour payer les soins et être inscrits dans les

programmes méthadone, se voient contraints de retourner à des pratiques de trafic et de

33Les textes récents concernant l’aide médicale d’état (AME), et les attaques régulières à son encontre, ne sont pas en faveur

d’une amélioration de l’accès aux droits en matière de santé des patients migrants en situation irrégulière, toxicomanes ounon.

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« débrouille » diverses (« hustling »), dans lesquelles l’usage d’héroïne et le trafic de drogue

au sens large semblent être inévitables.

La limite entre auto-substitution et usage toxicomaniaque est évidemment floue. Bello

et Cadet-Taïrou (2004) rapportent que dans les structures de première ligne en 2003,

accueillant souvent des usagers encore dans leurs parcours toxicomaniaques, 41% des

personnes ont consommé de la BHD au cours du mois écoulé ; parmi elles, 13% l’utilisent

exclusivement pour se droguer et 34% mêlent un usage thérapeutique à un usage

toxicomaniaque.

On notera enfin que, si la majorité des études et des rapports en France mentionnent un

recours au TSO de rue pour la BHD, il existe aussi pour la méthadone : les consommateurs de

méthadone fréquentant les structures de première ligne sont 16% à ne se la procurer qu’au

marché noir (Costes et al. 2004). Il s’agit essentiellement d’une question de diffusion du

produit. Des recours au TSO de rue ont été davantage décrits pour la méthadone dans d’autres

pays où la diffusion est plus large (Rosenblum et al. 1991, Fisher et al. 2002). Par ailleurs, si

les pratiques d’auto-substitution sont probablement plus fréquentes dans certaines populations

plus fragiles pour les raisons que nous avons évoquées, elles doivent aussi exister dans une

population d’usagers de drogues plus large mais moins étudiée.

Lorsque le recours au TSO de rue entre dans un objectif thérapeutique, ces pratiques

rentrent dans la description du secteur populaire selon Kleinman (1980), où le patient cherche

à se soigner lui-même. Ces expériences « de rue » sont à explorer en pratique clinique et ne

doivent pas rentrer systématiquement en conflit avec les objectifs du secteur professionnel.

Comme l’ont décrit plusieurs patients dans notre étude, une première consommation non

prescrite peut être un mode d’entrée dans une démarche thérapeutique plus en contact avec les

soignants, où le patient utilise tour à tour les ressources du secteur populaire puis du secteur

professionnel (Koester et al. 1999). Les tentatives de soins dans le secteur populaire ne sont

pas toujours couronnées de succès : le patient 25 qui consomme uniquement de la méthadone

non prescrite, « pour des breaks », ne parvient pas à sortir du cycle du manque et de la

dépendance. Les médecins doivent (re)connaître les pratiques antérieures de leurs patients qui

peuvent être des démarches de soins. Ne pas le faire peut parfois être très problématique. En

prison par exemple, certaines décisions thérapeutiques peuvent entraîner la « non poursuite »

d’un traitement lorsque la prescription n’est pas authentifiée, entraînant un sentiment

angoissant d’incompréhension et d’injustice profonde de la part du détenu (Bouhnik et al.

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1999, Michel et Maguet 2003). Bouhnik et al. et Michel et Maguet34 ont d’ailleurs décrit des

modes de procuration en milieu carcéral pour la BHD, identiques à ceux qui existent au-delà

des murs. Pour un des patients interviewés par Michel et Maguet : « les mecs se prennent la

tête en prison comme dehors pour le Subutex sans médecin ; dehors, tu cours, ici tu cours

aussi ».

Fainzang aborde la question de l’automédication pour les psychotropes. Elle a observé

que de nombreux patients qui ne pratiquent pas l’automédication pour d’autres médicaments y

recourent pour les psychotropes, le domaine psychique semblant relever d’autre chose que de

la médecine. Les patients auraient ainsi tendance à s’estimer aussi compétents que les

médecins pour savoir ce dont ils ont besoin pour gérer leurs difficultés familiales,

professionnelles, etc. (Fainzang 2001, p 77). Compte tenu de leur connaissance particulière

des opiacés, des symptômes physiques et psychiques du manque et de la dépendance, les

patients toxicomanes peuvent selon les mêmes mécanismes revendiquer un certain savoir des

TSO « dont ils ont besoin ». D’où des pratiques possibles d’auto-substitution qui ne se

différencient pas ici de l’automédication. Par ailleurs, pour Fainzang, l’automédication ne se

limite pas à la seule prise de médicament non prescrit. Par exemple : « lorsqu’un patient

demande à un médecin de lui prescrire un médicament qu’il juge efficace, c’est en vérité le

malade qui se prescrit lui-même un produit par l’intermédiaire et avec la caution du médecin »

(Ibid, p 64). Cela se passe souvent en matière de substitution, lorsque l’attention du patient est

plus particulièrement portée sur le produit (Van den Broeck 1996). Enfin, à propos des

psychotropes, Fainzang remarque aussi que les patients ont tendance à parler de

« tranquillisants » ou de « somnifères », comme pour en minimiser la qualité de stupéfiant

(Fainzang 2001, p 77). Nous avons nous-même observé l’emploi de ces termes par les

patients pour qualifier les TSO.

34Dans leur rapport sur « l’organisation des soins en matière de substitution en milieu carcéral », Michel et Maguet ont

mené 28 entretiens qualitatifs de détenus ayant un traitement de substitution. Les entretiens (uniques et de durée variable) ont,la plupart du temps, porté sur l’ensemble du parcours dans la substitution de la personne et des expériences carcérales.

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1-4. Mésusages, usages détournés et perception des risques

1-4-1. La notion de mésusage

C’est une notion complexe dans laquelle peut être intégrée l’auto-substitution, dans la

mesure où elle se situe hors protocole médical. Les pratiques de mésusages sont

essentiellement décrites en France pour la BHD, même si comme pour l’auto-substitution,

elles peuvent exister avec la méthadone. Pour Bello et Cadet-Taïrou (2004), les différents

types de mésusages pour la BHD regroupent (figure 2):

- l’auto-substitution ;

- l’usage toxicomaniaque, la BHD étant utilisée comme une autre drogue ;

- le recours à une voie d’administration autre que sublinguale ;

- la prise de doses inappropriées et la consommation problématique d’autres produits ;

- le trafic.

La prescription médicale ne protège donc pas, en elle-même, de la plupart des mésusages.

Parmi ces mésusages, les usages détournés de la BHD prennent un sens particulier tant en

terme de santé publique que de santé individuelle. Les parties suivantes seront donc

consacrées aux deux principaux usages détournés de la BHD (voie nasale et voie injectable) et

à la perception des risques de ces usages par les patients.

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Figure 2 : Les mésusages de la BHD, source OFDT.

1-4-2. Le recours à la voie intraveineuse et à la voie nasale pour la BHD

Fréquence et facteurs favorisants des usages détournés

Dans notre échantillon, toutes fréquences confondues (de « une fois » à « toujours »),

40,9% des patients se sont déjà injectés de la BHD et près de 47 % des patients en ont déjà

sniffé. Seuls 19,7 % des patients n’ont eu recours à aucun de ces usages.

Guichard et al. (2003) ont mené une enquête transversale auprès de 197 usagers en

cours de traitement par méthadone et 142 en cours de traitement par BHD, ayant pour but

d’évaluer l’usage de drogues illicites et les pratiques d’injection en fonction du traitement

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prescrit, du cadre de prescription (médecine générale ou CSST) et des caractéristiques socio-

démographiques des patients. Sur la totalité des patients, 15,3% ont injecté un TSO le mois

précédent. Parmi l’échantillon de patients sous méthadone, moins de 1% des patients ont

injecté leur traitement (méthadone) et parmi les patients sous BHD, 36% ont injecté le

produit. Dans l’étude AIDES-INSERM (2001), 27% des répondants poursuivent une pratique

d’injection avec le médicament de substitution (BHD et sulfates de morphine) dont 15%

systématiquement, la question étant posée sur les pratiques d’injection au cours des quatre

dernières semaines. Cette pratique est plus importante chez les personnes traitées par sulfates

de morphines (60%), que chez les personnes traitées par BHD (40%). Dans une étude

descriptive de la population rencontrée dans un CSST de Lens, Brunelle (2003) a mis en

évidence une pratique de la voie injectable au moins une fois au cours de la vie chez 31% des

patients, et une pratique de la voie nasale chez 57% des patients. Pour l’OFDT (2007), en

2005, l’injection a été pratiquée par 13% des usagers sous protocole de substitution vus dans

un cadre thérapeutique et le « sniff » par 8%. Parmi les personnes vues dans un cadre sanitaire

en 2005 mais déclarant consommer de la BHD hors protocole thérapeutique, 34% des usagers

utilisent l’injection et 30% le sniff . Début 2006, la pratique de l’injection concerne 58% des

440 usagers de BHD au cours du mois précédent rencontrés dans les structures de premières

lignes (contre 47% en 2003), l’usage du sniff est stable à 22%. (OFDT 2007). Dans le rapport

Bouhnik et al., l’injection de BHD était pratiquement généralisée parmi les 35 usagers

rencontrés.

Comme l’ont souligné Guichard et al., la variation de ces chiffres dépend d’une part

de la définition de la fréquence des usages détournés (toujours, occasionnellement, dans le

mois précédent, etc.) et d’autre part de la façon dont les données ont été collectées : les taux

les plus bas sont observés parmi les usagers recrutés et interviewés par leur médecin traitant35.

Par ailleurs, les patients injectant et « sniffant » la BHD sont, de façon assez logique, plus

représentés dans les structures « bas seuils », où les patients n’ayant pas rompu avec leurs

conduites addictives sont plus nombreux.

Dans notre échantillon, la prévalence des usages détournés, en particulier de

l’injection, est donc élevée. Elle reste cependant dans une certaine « moyenne ». En

particulier comparativement aux résultats de l’étude AIDES-INSERM (40% des patients sous

BHD ont une pratique actuelle de l’injection) où l’échantillon, avec un recrutement large, est

35 Dans notre étude, le passateur de l’EMIC ne pouvait être le clinicien référent.

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assez représentatif de la population toxicomane. Il faut également rappeler que nos résultats

de prévalence des usages détournés ne sont pas significatifs des pratiques en cours : certains

patients ont par exemple répondu qu’ils injectaient ou « sniffaient » toujours la BHD, mais

« pendant 6 mois » ou « au début ».

Les caractéristiques socio-démographiques de notre échantillon peuvent expliquer en

partie la prévalence importante des usages détournés. Sans être majoritairement marginalisée

comme dans les structures bas seuil, notre population a un revenu mensuel très bas (110

euros), beaucoup n’ont pas de travail (18,6%) et les professions intermédiaires, cadres et

professions libérales sont peu représentés, la majorité des patients habitent la Seine-Saint-

Denis (87,1%), qui reste le département le plus pauvre de la région Ile-de-France. Les patients

sont par ailleurs majoritairement des hommes (88,6%) avec un âge moyen de 36,1 ans et le

niveau moyen d’étude est bas. Guichard et al. (2003) ont défini plusieurs variables associées

de façon significative à l’injection de produits illicites ou de TSO36 : avoir un traitement en

cours de BHD, a fortiori à dose élevée, être un homme, avoir 40 ans ou moins, avoir un

habitat instable, avoir un bas niveau d’éducation ou avoir séjourné en prison, être séropositif

pour le VHC (dans notre population 60% des patients sont séropositifs pour le VHC). Le sexe

masculin a également été retrouvé comme significativement associé à l’injection par Brunelle

(2003). Par ailleurs, le déterminant le plus important de l’injection est, d’après Guichard et al.

(2003), la forme comprimé du produit prescrit.

Une autre explication aux prévalences des usages détournés vient probablement du

recrutement en CSST, qui est une structure de « seconde ligne », où les patients peuvent être

adressés en raisons de leurs pratiques de détournement. Les pratiques des patients de notre

échantillon ne sont pas non plus le reflet de celles de certains patients en situation de précarité

sociale et psychique importante, qui arrivent plus difficilement en CSST.

Évolution des pratiques

Dans notre travail, une partie des usages détournés était décrite au passé par les

patients: 22 patients (33,3%) qui avaient injecté au moins une fois de la BHD semblent avoir

pris leur distance avec cette pratique, et 18 patients (27,3%) pour la voie nasale. Le

recrutement des patients est là aussi important. Les patients hospitalisés, recrutés par

l’ÉCIMUD, ont pu souffrir de conséquences somatiques lourdes (VIH, VHC, VHB, abcès…)

de leurs pratiques antérieures, ce qui a pu les inciter renoncer à certains comportements. Les

36 Cette étude n’a par ailleurs pas mis en évidence de lien entre l’usage de drogue illicite et le type de TSO prescrit, ni entrel’usage de drogue illicite et le lieu de prescription (médecin généraliste ou CSST)

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patients ont pu aussi, en particulier pour les patients recrutés en CSST, parvenir à s’inscrire

dans un cadre de soins, où la tendance est plutôt d’orienter les patients vers la méthadone.

Cela irait dans le sens de l’étude menée par Guichard et al. (2003), où le traitement par

méthadone versus celui par BHD semble favoriser l’abandon de la voie IV. Les antécédents

d’injection de BHD sont une indication au relais par méthadone. Ils sont aussi souvent le

souvenir d’un mésusage douloureux pour le patient, cela peut influer sur l’adhésion à un

nouveau traitement « non détournable ». Le patient 17 dans notre étude, était par exemple à la

recherche d’un traitement « non injectable ».

Un mésusage peut aussi exister régulièrement pour le même médicament (BHD ou

méthadone) et pour le même patient pendant une période donnée, puis le patient peut cesser

cette pratique et éventuellement la reprendre de façon occasionnelle au titre d’expérience,

et/ou en fonction de son rapport avec le produit et la prise en charge qui l’entoure. Il est donc

important de ne pas négliger les phénomènes évolutifs existant dans l’usage de drogues et qui

traverse aussi la pratique avec les TSO (Brunelle 2003). L’environnement, dont les soignants

font partie, n’est pas neutre dans ce potentiel évolutif.

Les raisons les plus évoquées par les patients

Pour la voie injectable, les patients interrogés lors de notre étude ont d’abord évoqué

« la recherche d’un effet » (22,7%), et de façon presque indissociable dans les réponses, ils

ont souligné l’importance du « geste » (21,2%). Les aspects d’une toxicomanie à bon marché

ont également été évoqués par quelques patients (3%), de même que le « mauvais goût » de la

BHD (3%).

Dans l’étude AIDES-INSERM (2001), pour l’injection de sulfates de morphine et de

BHD confondus, les patients ont cité le plus fréquemment comme réponses (à des questions

fermées) :

- le besoin d’injecter : 82% ;

- la rapidité des effets : 53% ;

- la recherche d’une montée, d’un « flash » : 51% ;

- le goût du médicament : 30% ;

- l’humeur dépressive : 26% ;

- l’ennui : 20%.

Les injecteurs de BHD ont aussi parlé dans cette étude des raisons liées au goût désagréable

du médicament (37% ) et à leur humeur dépressive (30%).

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Parmi des patients très touchés par la question de la voie injectable, Bouhnik et al.

(1999), ont dégagé dans le discours des patients trois dimensions importantes : la

« dépendance gestuelle », la dimension du « faire » et la structure de l’individu autour d’une

conduite. La notion de « dépendance gestuelle » est un terme employé par un patient et repris

par les auteurs pour souligner le poids de l’attachement à une conduite au travers du geste.

Elle conditionne l’ « envie de se faire des trous », « la picomanie ». La dimension du « faire »

implique l’usager dans la réalisation de l’injection, le fait de retrouver des gestes répétés qui

« préparent », participe à la recherche d’un effet et au plaisir ressenti (Mc Bride 2001, Lovell

2001). Les patients 133 et 189 dans notre étude évoquaient dans cette idée, « le fait de faire

(sa) petite cuisine …», « la préparation de… ». La dernière dimension évoquée par les

patients dans le rapport Bouhnik et al. est particulièrement importante car elle engage le

patient dans des modes de fonctionnements profonds, et par là, intensifie la difficulté de

renoncer aux conduites. Un des patients rencontrés par les auteurs, analyse le manque comme

« ancré dans la série des actes qui partent de la recherche de produit pour aller jusqu’à la

recherche de l’injection ». L’ensemble du processus structure ainsi l’individu autour d’un

système d’activité lié aux drogues qu’il consomme. Pour un autre patient, parlant en

l’occurrence du crack, l’« adaptation » à un mode de fonctionnement relève aussi la difficulté

de se soustraire à un mode de consommation : « J’ai appris à m’adapter à la vie avec la galette

(le crack), c’est ça qui fait que je n’en bouge pas. Quand tu t’adaptes, tu ne changes pas. Parce

que tu apprends à vivre avec l’angoisse, les risques, les manques…. ». De la même façon,

pour Jeammet (2000) « le pronostic à long terme (sevrage, atténuation ou disparition de la

conduite), n’est pas fonction de la seule conduite addictive mais engage l’ensemble de la

personnalité du patient ». Ces modes de fonctionnement ancrés sont peut-être d’autant plus

notables ici par la relation forte à l’objet, matérialisé par la seringue. Dans cette idée, pour

beaucoup d’usagers interviewés par Fischer et al. (2002), l’usage de l’aiguille est

« romantisé ». Cet « amour de l’aiguille » (« love of the needle »), viendrait d’après les

usagers, du « rituel du shoot », des actes de préparation, de « la sensation du métal », de « voir

le sang », d’ « entrer en contrôle »… Le pouvoir de l’objet a très bien été rapporté par un des

patients de notre étude, le patient 6, qui rapporte « la vue du dealer » et la perspective de

« pointer la seringue » comme ayant la capacité de soulager les symptômes du manque. Les

patients dans notre échantillon synthétisent souvent leur conduite vis-à-vis de la voie

injectable comme une « habitude », l’« habitude de la seringue » (patiente 172). Lalande et

Grelet (2001) relèvent par rapport à ce type d’analyse un concept qui pourrait être précieux

dans l’analyse des pratiques des drogues : au-delà de ce qui peut être décrit par les patients

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comme une « sale habitude », un « rituel », les similarités observées entre consommation de

drogues illicites et consommation de produites de substitution, pourraient être intégré dans un

« habitus d’usager », au sens de Bourdieu. L’habitus relevant certes de l’habitude mais

comme une disposition incorporée, « un sens pratique », qui se reproduit non seulement sous

l’influence de la dépendance, mais aussi depuis lui-même, en fonction des pratiques acquises

par l’individu au cours de ses premières expériences puis de sa trajectoire sociale. Dans ce

schéma, la dépendance et l’expérience personnelle et collective du patient se potentialisent et

peuvent entraîner la poursuite d’un mésusage. Dans l’étude de Lalande et Grelet, un des

usagers expliquait ainsi « son lien à la pompe » comme un « réflexe de Pavlov ». La pratique

de la voie injectable devient donc en partie autonome du phénomène de dépendance,

notamment de la dépendance « physique ». (Fisher et al. 2002, Guichard et al. 2006). Pour

Bouhnik et al., la BHD semble finalement s’inscrire de façon assez précise dans « le schéma

de l’usager classique par voie intraveineuse : il lui permet de se faire une injection (et donc de

répondre à ce besoin) tout en atténuant les effets du manque (fonction première) et en assurant

des effets associés en fonction des co-consommations possibles ».

La pratique de la voie nasale pour la BHD comporte des similitudes avec celle de la

voie IV. Dans notre échantillon, 22,7 % des patients motivaient, comme pour la voie IV cette

conduite par la recherche d’effet. Le « geste » semblait moins présent dans le discours des

patients, seuls 9,1% des patients l’évoquaient. L’envie de « tester » était relevée par 12,1%

des patients. 6,1% des patients parlaient de leur passage en prison comme la circonstance de

l’usage du « sniff ». La notion de « mauvais goût » était présente pour un patient. Des

analyses semblables à celle de la voie injectable pourraient être portées sur cette pratique. La

voie nasale semble pourtant, pour les patients, avoir une connotation moins lourde. Les

patients n’ont par exemple pas du tout évoqué la notion de curiosité pour la voie injectable, ce

qui est une des premières « raisons » du « sniff » pour les patients (Brunelle 2003). La voie

nasale est également moins vectrice de conséquences graves dans l’esprit des patients (Kelley

et Chitwood 2004). Ce qui est à relativiser : si l’administration de BHD par voie nasale ne

provoque pas d’abcès (ou pas du même ordre que la voie IV) et préserve le capital veineux,

elle est très destructrice pour la cloison nasale. De même la transmission de maladies

infectieuses (VHC au premier plan par son fort pouvoir répliquant et sa grande résistance au

milieu extérieur) est tout à fait possible par l’échange du petit matériel (comme les

« pailles »). Ce dernier aspect est moins pris en compte par les usagers que pour la voie IV et

un effort de prévention est à poursuivre. Enfin si le ton du discours n’est pas le même pour les

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deux principaux type de mésusages, c’est parce aussi que la voie nasale est beaucoup moins

stigmatisante que la voie injectable (OFDT 2007). Ce est qui d’autant plus vrai que les

usagers de BHD par voie injectable « portent » réellement sur leur corps les traces de leur

pratique.

1-4-3. Perceptions des risques encourus

Si certains risques, comme nous venons de le voir pour la voie nasale peuvent être

minimisés, les patients toxicomanes ont une perception importante des risques qu’ils

encourent par leurs pratiques. Ces risques sont essentiellement soulignés par les patients pour

la voie injectable, 16,7% des patients de notre échantillon ont évoqué spontanément les abcès

et leurs conséquences. Lorsque la question des inconvénients de la BHD a été posée, la

dangerosité des pratiques a été d’autant plus décrite par la population la plus exposée : sur les

12 patients qui citaient la possibilité de détourner la BHD par voie injectable comme un

inconvénient important, 11 l’ont eux-mêmes pratiquée.

Dans l’étude AIDES-INSERM (2001), la population traitée par BHD se distingue de

celle sous méthadone et sous sulfates de morphine par le sentiment plus important d’une

situation qui s’est aggravée au niveau des risques encourus, en particulier le risque d’overdose

et d’abcès (sentiment exprimé par 19% des patients sous BHD, versus 2% des patients sous

méthadone et sulfates). C’est aussi le cas pour certains « profils » de patients plus

marginalisés décrits par Guichard et al. (2006). Dans le rapport Bouhnik.et al., les effets

secondaires des injections sont décrits par la totalité des patients, dont beaucoup ont eu à

souffrir d’abcès graves. Ces conséquences participent à la mauvaise opinion assez généralisée

de la BHD de ces usagers, alors même que les pratiques d’injection se poursuivent. Nous

retranscrivons ici le discours du patient 105, qui décrit bien cette conscience de la dangerosité

des pratiques, tout en analysant la difficulté d’y renoncer, en lien avec l’état de santé physique

et mental du moment et des pratiques anciennes: « suivant le moral qu'on a ou la perception

(…) du danger est amoindrie parce que (...) on a tant un passé ou un vécu par rapport à ça, on

a plutôt tendance à être destructeur (…) vis-à-vis de soi-même ».

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1-5. L’ambiguïté de la relation au TSO et le « produit drogue »

Il y a une ambivalence contenue entre médicament et produit. Elle peut être plus

importante pour la BHD, du fait de sa facilité d’obtention et de détournement. La méthadone

n’est cependant pas affranchie de toute ambiguïté.

Le patient 105 dans un souvenir plutôt négatif de la BHD pour lui-même a posé cette

ambiguïté : « Tout dépend comment on le prend (…) il y a une dérive (…) tout dépend

comment c’est géré (…). C’est plutôt qu’on le prend par précaution pour ne pas être en

manque. Et quand c’est pris dans une dérive injectable, on recherche un certain effet qui est

lié à l’héroïne ». Après plusieurs parallèles implicites avec la drogue dans le discours de ce

patient, le passateur a ressenti le besoin de recentrer l’échange sur la BHD : « Vous parlez du

Subutex ? ».

La possibilité de détournement (voie IV et nasale) de la BHD s’intègre fréquemment

dans l’histoire des patients Elle entretient de façon forte les perceptions ambivalentes des

patients. Cela s’associe à la possibilité d’une toxicomanie bon marché, où la BHD devient « la

drogue de la rue » et se fond dans une gestion des consommations en s’intégrant parfois dans

un refus inconditionnel de retourner vers l’héroïne (Bouhnik et al 1999, Guichard et al. 2006).

Le patient peut s’inscrire dans une démarche thérapeutique avec la BHD, mais il semble

difficile, y compris dans ce cadre, d’occulter totalement le paradoxe d’un médicament prescrit

pour se substituer à l’héroïne, alors même que ses possibilités d’obtention et de

détournements l’assimilent à des mécanismes similaires à ceux de la drogue.

Au-delà des particularités de la BHD, la substitution est aussi possible parce qu’elle

est vécue par les patients comme ayant des effets potentiels (d’euphorie, de montée...)

ressemblant à ceux de la drogue. Dans notre étude 15,1% des patients faisaient spontanément

la comparaison avec la drogue pour la BHD et 20 % pour la méthadone. Le produit de

substitution devient une « drogue légale » (patient 19 parlant de la méthadone) et « pas cher »

(patient 105) parlant de la BHD. Les usagers interrogés dans les études qualitatives aux USA

et au Canada, ont aussi comparé la méthadone à une drogue plus accessible, meilleur marché

que l’héroïne, mais parfois aussi plus dangereuse (Koester et al. 1999, Fisher et al. 2002).

D’autres caractéristiques de ces produits entretiennent l’ambiguïté. Dans notre étude,

le manque et la dépendance se sont ainsi retrouvés de façon assez logique à la fois dans la

description des avantages et des inconvénients de la méthadone et de la BHD. L’arrêt du

manque et de la dépendance est décrit comme un avantage par 24,2% des patients pour la

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BHD et 17,5% pour la méthadone. C’est un inconvénient pour 24,2% des patients pour la

BHD et 22,5% des patients pour la méthadone. Il y a donc glissement d’une dépendance vers

une autre qui est très bien perçu par les patients (Rosenblum et al. 1991, AIDES-INSERM

2001, Fischer et al. 2002, Guichard et al. 2006). Les TSO sont donc « à la fois libérateurs et

dotés de puissance de capture » (Lalande et Grelet 2001).

Il y a également un enjeu dans le comportement des patients avec les TSO. Le

« choix » et la préférence très affirmés de certains patients pour un produit, fut-il de

substitution, font partie du comportement addictif. 20,6 % des patients manifestaient ainsi une

opinion tranchée pour la méthadone et 7,6% des patients pour la BHD. Cette recherche

constante du « meilleur produit » (Lalande et Grelet 2001) participe à la définition du

« produit-drogue». Des attitudes radicales, par exemple lorsque certains patients parlent de

leur ambition sans nuance d’un « arrêt total » de la toxicomanie (patient 1), s’intègrent aussi

dans une conduite : il y a passage d’une exclusivité, celle de la relation au produit, à une autre

où tout ce qui pourrait entraver le chemin de la guérison est violemment rejeté (Castel 1998).

Le traitement en tant qu’objet externe, sans risque de confusion avec le sujet,

entretient aussi un mode de fonctionnement. Il s’agit pour le patient d’avoir un objet concret

extérieur à lui-même, qu’il peut avoir à disposition facilement, à proximité, et sur lequel il

peut exercer une certaine maîtrise, afin de suppléer à une réalité interne fragile (Jeammet

1997a et b). Le patient 7 est ainsi apaisé d’avoir du Subutex à disposition dans son tiroir.

Il y a en fait un changement profond à réaliser par rapport à la perception du produit et

au comportement. Comme l’explique le patient 128 c’est un travail de deuil et cela prend du

temps. C’est aussi ce que la substitution permet : « avoir le temps de faire son deuil de la

came ». L’ambivalence de la relation des patients au TSO est à accepter, mais sans être

totalement levée, elle est à travailler dans la relation thérapeutique.

1-6. Attentes, but, satisfaction et insatisfaction envers les TSO ; le « traitement idéal »

1-6-1. Attentes et buts

Pour la plupart des auteurs, il n’est pas possible d’identifier des buts et des attentes

communs à tous les patients. Les objectifs des patients traduisent des besoins différents en

fonction de la trajectoire avec les produits licites et illicites et de l’itinéraire thérapeutique.

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165

Comme l’ont montré les résultats de notre étude sur la question du but de la substitution,

même quand la perspective d’un arrêt de la drogue ou de sa « substitution » sont désignés

comme but, les mots ont plusieurs sens. Avoir une vie normale et sortir de la « galère », peut

aussi être une attente suffisante vis-à-vis des TSO.

Certains « objectifs » des patients sont par ailleurs rarement définis comme tels par

les patients : la recherche d’effets comparables à ceux de la drogue n’est pas citée comme but

en soi dans les enquêtes, alors que cela peut être le moteur de la poursuite de la substitution.

Les patients peuvent s’inscrire dans certains objectifs de la substitution définis par les

soignants et la société et pas dans d’autres : la réduction des risques peut par exemple être un

objectif commun, alors que le patient poursuit en même temps des objectifs de plaisir et de

« défonce » à travers les TSO, associé ou non à d’autres produits (Koester et al. 1999, Kelley

et Chitwood 2004). Lalande et Grelet (2001) parlent à ce sujet de « substitution à tiroir ».

Souvent non atteint, (« manque de plaisir » pour le patient 69), la recherche de plaisir est un

objectif dans la substitution qui est souvent non perçu par les soignants. Cette dimension ne

doit cependant pas être occultée totalement. Lors des premiers ÉGUS (États Généraux des

Usagers de la Substitution) le débat entre usagers et soignants a fait émerger un espace entre

contrainte et plaisir : « pour garder du plaisir avec les TSO, l’usager est capable de se

contraindre, mais c’est l’auto-contrainte qui marche » (Jauffret-Roustide 2004). Il peut donc y

avoir à la fois une frustration et un plaisir dans la capacité à la gérer. La notion de recherche

de plaisir est aussi à prendre en compte dans la réduction des risques : le manque de plaisir

éprouvé dans la substitution est une des motivations aux usages détournés et aux co-

dépendances (Guichard et al 2006).

Si la méthadone et la BHD peuvent être des médicaments, ils n’existent finalement pas

en eux-mêmes mais s’inscrivent dans la singularité de chacun (Van den Broeck 1996, Lovell

2001).

1-6-2. Satisfaction et insatisfaction

Ces questions n’ont pas été posées sous cette forme dans notre étude. Cependant, en

particulier à travers la description des avantages et des inconvénients et des différences entre

la BHD et la méthadone, certains points communs peuvent être mis en perspective avec les

résultats d’autres études où les questions de satisfaction ont été développées plus directement.

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166

À propos du médicament

L’étude AIDES-INSERM (2001) a montré un niveau de satisfaction globale élevé

pour la méthadone (74%) comparativement à celui obtenu pour la BHD (57%). Dans notre

étude 48,7% des patients « défendaient » la méthadone et 17,9% étaient plus en faveur de la

BHD. En Espagne dans la région de Valence, à l’aide d’un outil spécialement conçu pour

mesurer la satisfaction des patients sous méthadone (le VSSS-MT), Pérez de los Cobos et al.

(2005) ont mis en évidence la satisfaction des deux tiers des patients quant à la méthadone

pour traiter la dépendance en opiacés. À propos de la participation à l’ajustement de la dose

prescrite, dans la même étude, les auteurs ont mis en évidence que la seule variable reliée à la

satisfaction du traitement était le désir des patients d’être informés des modifications de dose

de méthadone. Ce qui correspond à une vision thérapeutique de la méthadone : c’est un

médicament et il est juste que les soignants informent les patients de ses modifications

(Auriacombe 2003).

La plus mauvaise opinion de la BHD en France peut être en lien avec la plus grande

ambiguïté qui règne, par rapport à la méthadone, autour de ce produit. Ceci est

particulièrement vrai parmi les populations qui pratiquent le plus les usages détournés

(Bouhnik et al. 1999, AIDES-INSERM 2001, Michel et Maguet 2003, Guichard et al. 2006).

Dans l’étude AIDES-INSERM, l’injection était plus fréquente chez les usagers qui déclaraient

eux-mêmes ne pas s’en être sortis avec le produit et qui se déclaraient insatisfaits de leur

traitement. Les usages détournés dans notre étude étaient le plus souvent décrits comme des

inconvénients de la BHD par des patients qui la détournaient eux-mêmes (très

majoritairement injecteurs).

Les chiffres assez contrastés entre la satisfaction pour les deux TSO sont cependant à

nuancer. Des usages détournés apparaissent ainsi avec la plus grande diffusion de la

méthadone et commencent à altérer la bonne image de ce produit (OFDT 2007). Au Canada,

où la méthadone reste le seul traitement de substitution aux opiacés à large diffusion, les

usagers interrogés par Fischer et al. (2002) ont ainsi souligné la baisse de crédibilité du

traitement par méthadone en lien avec sa vente illégale.

À propos du suivi

Les variations de satisfaction observées dans les différents pays en ce qui concerne les

médicaments peuvent être secondaires à des différences de pratiques cliniques et de dispositif

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de soins. Comme nous l’avons développé en première partie de ce travail37, la dimension

coercitive et la perception d’une condescendance de la part des équipes soignantes ont été

soulignées par les usagers dans plusieurs travaux en particulier en Amérique du Nord. Ces

éléments sont des motifs d’insatisfaction importants et ils participent à une opinion

globalement défavorable vis-à-vis du TSO prescrit, comme cela est mis en avant dans l’étude

mené au Canada par Fisher et al (2002). Les patients expliquent aussi leur insatisfaction par

rapport aux difficultés d’accès aux soins, soulignées dans la littérature au Royaume-Uni

(Fountains et al 2000) et aux Etats-Unis (Hunt et Rosenbaum 1998). En Espagne, l’étude

menée par Pérez de los Cobos et al. (2004) a conclu sur une satisfaction modérée des patients

sur les services proposés dans les centres et les unité mobiles de délivrance de méthadone,

malgré une satisfaction importante sur les interventions « de base » des professionnels

(dispensation de méthadone).

En France, dans l’étude AIDES-INSERM (2001), les patients ont rapporté une

satisfaction plus importante quant à la prise en charge. Elle est différente pour la BHD et la

méthadone : 72% des patients sont satisfaits de leur suivi pour la méthadone et seulement

55% pour la BHD. Le suivi plus réglementé de la méthadone semble donc ici être un critère

de satisfaction. Dans notre étude, la question du suivi n’était pas directement posée mais elle a

été évoquée spontanément par certains patients, comme le patient 87 qui voit comme avantage

à la méthadone le fait de se sentir « vraiment suivi par un médecin ».

1-6-3. « Le traitement idéal »

En tant que molécule et médicament, la notion de traitement idéal est évoquée par les

patients. Elle est très présente dans l’étude menée par Fisher et al. (2002) : le seul traitement

de choix possible pour la majorité des usagers est la prescription d’héroïne médicalisée. Pour

ces usagers, la difficulté de renoncer à la voie injectable ne permet pas la réussite d’un

traitement pris par une autre voie. Dans l’étude AIDES-INSERM, elle est seulement évoquée

par 14% des patients, alors que la méthadone est le traitement idéal pour 17% des personnes

interrogées. Les programmes d’héroïne médicalisée ont également été évoqués au cours des

différentes éditions des ÉGUS. Dans notre étude, la question n’était pas posée, mais aucun

patient n’a évoqué spontanément la prescription d’héroïne médicalisée comme perspective

37 Cf. première partie paragraphe 5-2.

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thérapeutique et un seul patient (le patient 135) envisage la possibilité d’un traitement

injectable. La prescription d’héroïne fait partie donc du débat, mais ce n’est pas le premier

élément mis en avant en France par les patients. On peut aussi penser que les patients ont

intégré l’impossibilité de ce type de traitement en France, ils n’en parlent donc pas lorsque

cette alternative n’est pas suggérée.

Il est par ailleurs intéressant de considérer l’expérience de la Suisse dans la

prescription médicale d’héroïne (injectable et voie orale). C’est le pays d’Europe où la

prescription d’héroïne est la plus développée. Pour la plupart des patients, le traitement par

héroïne a été arrêté en raison d’une demande d’autres traitements (méthadone 37% des cas et

demande de sevrage 22% des cas) (Prescrire Rédaction 2003). Un traitement débuté par

héroïne n’est donc pas synonyme de la poursuite à long terme de cet opiacé.

Le médicament est le point de départ de la substitution : il permet le dialogue. Cette

notion est la plupart du temps intégrée par les patients. Ils viennent bien sûr chercher une

molécule, avec toutes les ambiguïtés que cela comporte, mais ils insistent sur la relation

comme le montrent les variations de satisfaction du suivi. Ils sont concernés par la façon dont

ils sont perçus et sont attachés à ce que les soignants perçoivent leur vécu de la substitution

(Hunt et Rosenbaum 1998, Fountain et al. 2000, Fischer et al. 2002). Dans l’enquête AIDES-

INSERM, la multiplication des spécialistes était vécue comme un morcellement de la

personne avec un intérêt plus porté sur la ou les maladies que sur l’individu, alors que les

patients marquent leur attachement à la qualité de vie entourant les traitements. Dans cette

idée, le « symptôme » n’est pas à isoler de son contexte (Canguilhem 1966, p. 50). Ces

déclinaisons de la relation soignants-soignés sont les véritables enjeux du « traitement idéal ».

S’il ne s’agit pas dans l’opinion des patients de faire « sans les médicaments », ils sous-

entendent que quelque chose d’important se passe ailleurs (AIDES-INSERM 2001, Franques

et al. 2003). C’est aussi ce que démontrent certaines études menées aux Etats-Unis, comme

celle de Hser et al. (1999) : la rétention des patients en traitement, au sens large, est améliorée

lorsque que les besoins ressentis par les patients (sociaux ou médicaux) sont satisfaits.

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169

1-7. Impact sur la vie des patients et modification de l’image de soi

1-7-1. Le normal et le pathologique

La « normalité » est un élément transversal dans le discours des patients à travers les

différents thèmes abordés. Le retour à une vie normale a été abordé au court de la section 5 de

l’EMIC par 41,8 % des patients. L’importance de la stabilité est également observée dans

d’autres études de façon qualitative ou quantitative (Gold et al. 1988, Koester et al. 1999,

AIDES-INSERM 2001, Lalande et Grelet 2001, Fischer et al. 2002, Guichard et al. 2006).

Cette norme est d’abord une sensation que les patients ont conscience de retrouver :

lorsqu’il n’y a pas de souffrance ou de maladie, il n’est pas nécessaire de se sentir « normal ».

Pour Canguilhem (1966, p. 58) : « la maladie nous révèle des fonctions normales au moment

précis où elle nous en interdit l’exercice». Ce sont les modalités d’expression de la souffrance

qui rappellent au patient qu’il n’est plus « normal » : « dormir et jouir consistent à laisser aller

la vie sans lui demander de compte » (Ibid, p.140). Et ne pas dormir est insupportable. Le

soulagement de la souffrance permet une reconquête de la normalité et de la santé perdue et

c’est en ce sens qu’elle devient à la fois un effet, un but et un avantage d’un traitement pour

les patients. Proche de la notion de santé, le bien-être avait été signalé comme effet des TSO

par 25,75% des patients pour la BHD et 22,5% pour la méthadone, alors qu’ « il n’est

habituellement pas ressenti, car il est la simple conscience de vivre » (Kant cité par

Canguilhem 1966, p. 180).

La norme est une notion individuelle. Si la frontière entre normal et pathologique est

imprécise de façon générale, elle l’est parfaitement pour un individu. Ce sont les patients dans

leur diversité, qui jugent s’ils ne sont plus normaux ou s’ils le sont redevenus (Ibid, p. 72 et

119). Dans notre échantillon, pour certains patients « redevenir normal » signifiait pouvoir

retourner au travail, d’autres ont redécouvert leur capacité à rentrer en contact avec autrui :

« être mieux dans la rue avec les autres » (patient 8). Le patient 169 a exprimé à travers le

projet d’une activité sportive, en perspective d’une sortie possible de la toxicomanie, une

philosophie de la santé et de la normalité où le corps doit être sain et « en forme », ce qui fait

partie de certaines conceptions de guérison dans le sens commun, valables aussi pour les

soignants (Castel 1998). Pour le patient 81, la BHD permettait de « régler le thermostat » pour

être « normal, simplement ». Cela renvoie aux idées de certains médecins du XVIIIe siècle,

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pour lesquels la différence entre la santé et la maladie était avant tout une question de

variation quantitative entre le normal et l’anormal. L’un d’entre eux a même construit une

échelle de mesure, « véritable thermomètre de la santé et de la maladie » (Canguilhem 1966,

p. 28).

Pour d’autres patients, il s’agissait de « sortir de la galère », de se « stabiliser (…) ne

plus avoir besoin de courir » (patient 19). Cette « galère » décrit en réalité un champ de

difficultés beaucoup plus large que celui de la dépendance (Lalande et Grelet 2001), les

patients peuvent se satisfaire de la stabilité offerte par les TSO, tout en poursuivant des

conduites toxicomaniaques. Ainsi le patient 135 trouvait que la BHD « coupe la galère » et

« stabilise », alors qu’il poursuivait une pratique régulière de la voie injectable.

La maladie et la souffrance ont des conséquences sur le quotidien des patients. En ce

sens la guérison, en tant que norme retrouvée, est une reconceptualisation de l’expérience

(Castel 1998). Il s’agit d’un nouvel ordonnancement, à la fois social et individuel, d’une autre

organisation du quotidien. Pour les patients, quitter un état pour un autre est à ce prix, pour se

sentir « moins toxicomane » comme le patient 49. Il faut ainsi (re)construire l’avenir,

« recommencer une vie normale », « redevenir bien » (patient 61). La reconceptualisation est

en fait une nouvelle norme et « la nouvelle santé n’est pas la même que l’ancienne »

(Canguilhem 1966, p. 128). En fonction de ce que le patient peut accepter comme

remaniement à l’intérieur de la stabilité retrouvée, il peut se sentir plus proche de la maladie

ou de la santé. C’est d’une certaine manière ce qu’expriment les patients à travers la

dépendance au TSO : la dépendance, qu’elle soit à un médicament ou à un produit illicite,

réduit la capacité d’adaptation. Beaucoup de patients, s’ils se sentent davantage « normaux »,

n’estiment cependant pas avoir définitivement réglé leur problème tant que persiste une

dépendance. La normalité cependant n’a pas de prix : « Redevenir normal, pour un homme

dont l’avenir est presque toujours imaginé à partir de l’expérience passée, c’est reprendre une

activité interrompue, ou du moins une activité jugée équivalente (…) . Même si cette activité

est réduite, même si les comportements possibles sont moins variés, moins souples qu’ils

n’étaient auparavant, l’individu n’y regarde pas toujours de si près. L’essentiel est d’être

remonté d’un abîme d’impotence ou de souffrance où le malade a failli rester ; l’essentiel est

de l’avoir échappé belle. » (Ibid, p. 72). En fonction des expériences et des conclusions que

tire le patient de son parcours de soins, « les nouvelles normes de vie » peuvent aussi parfois

« être supérieures aux anciennes » (Ibid, p. 156).

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L’objectif de normalisation semblant si important pour le malade n’est enfin pas à

détacher des besoins normatifs de la société, que les patients ont aussi assimilés. C’est aussi la

vision de l’homme comme producteur, où le malade est considéré comme déviant parce

qu’improductif (Herzlich 1984). Pour la société, être malade c’est souvent « être nuisible,

indésirable ou socialement dévalué » (Canguilhem 1966, p. 74). À propos des TSO, plusieurs

patients ont exprimé cette tendance normative où comme nous l’avons vu plus haut, il s’agit

d’être sain et de retourner au travail. Pour le patient 22, la méthadone permettait « d’entrer

dans une démarche professionnelle », « ça a été fait pour ça ». Il est aussi important de

rappeler que d’un point vue historique, sociologique et culturel les besoins et les critères de

normalisation varient. Par exemple, d’un point de vue médical, la nécessité de définition de

norme et de mesure a été particulièrement développée au XIXe siècle, lorsque les médecins

ont eu besoin de remplacer une médecine intuitive et parfois fantaisiste par une pratique

rationnelle et efficace, cela étant permis par les avancées scientifiques de l’époque

(Canguilhem 1966). À notre époque, comme nous l’avons déjà évoqué, des classifications

nosographiques comme le DSM, défini dans la culture anglo-saxonne, peuvent sous certains

aspects s’avérer difficilement transposables à d’autres cultures38 : les mêmes instruments de

mesures ne sont pas utilisables partout de la même façon. Enfin, d’un point de vue historique,

le mot « normal » est apparu en 1759, celui de « normalisé » en 1834. Entre les deux « une

classe normative a conquis le pouvoir d’identifier (…) la fonction des normes sociales avec

l’usage qu’elle faisait de celles dont elle déterminait le contenu » (Canguilhem 1966, p. 182-

183). Les patients et les soignants vivent dans une société normée et ne sont pas exempts des

évolutions de la norme.

1-7-2. Les figures de différenciation

Elles s’intègrent dans les représentations que les patients toxicomanes ont d’eux-

mêmes. Elles permettent de se distinguer par rapport à des formes réputées standard d’une

activité dont on sait qu’elle est socialement disqualifiée (Castel 1998, Guichard et al. 2006).

Les traitements introduisent un élément nouveau dans la pratique et le quotidien des patients,

l’adhésion à un TSO peut entraîner la définition d’une nouvelle pratique noble, « se

différenciant d’autres activités tenues pour viciées ». Ce mode de fonctionnement par

38 Cf. première partie, paragraphe 3-1.

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différenciation est inhérent à un milieu social dans lequel les contacts entre les individus

obéissants à des principes de conduites identiques, entraînent inéluctablement un jugement sur

autrui (Castel 1998).

Pour Castel, la différenciation s’exerce à plusieurs niveaux. Elle peut posséder une

valeur sociale importante et reprendre les concepts de moralité les plus répandus dans la

société. Le mythe du « junky » repoussant et désocialisé, pourtant bien loin de représenter la

population toxicomane dans sa diversité, peut ici servir de repoussoir. Dans une première

lecture, la distinction peut s’opérer par rapport au traitement auquel le patient n’a pas adhéré.

Par exemple pour le patient 190, la méthadone est « une antidrogue sage » et le Subutex « une

antidrogue diabolique » qu’on ne devrait pas donner « aux toxicomanes », « ils guettent les

bus, les centres » ils ont « des abcès partout ». Le Subutex est donc pour ce patient totalement

disqualifié. En rapprochant le Subutex d’une description sordide de la toxicomanie, de

laquelle ce patient se détacherait, c’est probablement de la drogue elle-même dont il veut se

distinguer. Dans cette perspective, cette vision caricaturale de « l’autre traitement » peut, au

sens du patient, avoir une valeur protectrice. Il est intéressant d’observer que ce type de

différenciation peut s’observer chez les patients pour la méthadone comme pour la BHD,

malgré les usages détournés plus décriés pour la BHD. Le patient 19 n’est ainsi « pas

défoncé » avec le Subutex, alors que la méthadone c’est « un shoot légal », et il décrit lui

aussi une image négative de drogué, cette fois sous méthadone, « tout le temps heureux » et

« tout le temps content » mais « tout maigre » et « tout pâle ».

La différence entre soi et les autres ne se situe pas forcément dans l’opposition entre

deux traitements, elle est aussi soulignée lorsque les patients analysent leur pratique du

« sniff » et de la voie injectable. Le patient 19 n’a pas injecté de BHD parce qu’il a « arrêté de

se faire des trous », et décrivant la pratique de ses proches : « c’est naze (…) les mecs ce

qu’ils veulent, c’est rester dans l’esprit ». Cela renvoie aussi à une certaine définition de la

toxicomanie : « c’est quelqu’un qui prend une seringue » (patient 7).

La différenciation peut aussi concerner le patient lui-même, lorsqu’il juge sa conduite

antérieure, c’est l’exemple du patient 105 que nous avons souvent cité pour le discrédit et

l’ambiguïté de la relation qu’il avait au Subutex. Se décrivant « toxicomane par piqûre » il a

injecté la BHD, et sa démarche avec le traitement par méthadone s’inscrit en « conscience du

problème (qu’il avait) eu avec le Subutex ». Sa critique du passé avec la BHD transparaissait

non seulement à travers l’historique de son parcours avec les TSO mais aussi par une

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173

différence sémantique importante entre les deux traitements sur l’ensemble des questions.

Comme dans la distinction par rapport à autrui, il y a un enjeu dans les usages détournés. Par

exemple pour le patient 164, ils sont à écarter de la pratique de la drogue qui appartient au

passé: « le Subutex c’est pour une chose, et la drogue c’est pour autre chose ».

Il peut enfin s’agir pour le patient de se distinguer par un savoir d’ « expert » sur le

groupe auquel progressivement il souhaite ne plus appartenir. Cette séparation n’est pas

simple, en particulier lorsqu’il persiste une dépendance et un lien à un produit, fût-il de

substitution. Selon le patient 6 : « Dans notre tête… dans la tête des toxicomanes… je n’aime

pas ce mot c’est vrai… la tête des toxicomanes, ça ne fonctionne pas comme une tête normale

(…) S’il a une plaquette (de Subutex) dans la poche, les 7 médicaments vont y passer ».

1-7-3. Souffrir, ne pas souffrir

La souffrance des patients toxicomanes est avant tout celle du « manque ». La

structure de l’EMIC permet dans un premier temps de recueillir le discours spontané du

patient ; des questions essentielles dans l’impact sur la vie des personnes peuvent être ainsi

mise en évidence. De façon spontanée, le manque a ainsi été évoqué par 25,7 % des patients

dans la partie de l’EMIC consacrée aux modalités d’expression de la souffrance, et son

soulagement par 46,9% des patients pour la BHD et 20% des patients pour la méthadone, au

moment de la description des effets des TSO. Ce soulagement est à nouveau cité comme

avantage des TSO. Pour souligner la perception de la souffrance, plusieurs patients ont cité les

vertus antalgiques des traitements ou ont évoqué la possibilité de ne plus être malade.

Cette perception de la souffrance est importante car elle constitue à la fois une

acception des conséquences physiques de la toxicomanie et celle d’un retour des sensations

sur le corps et l’esprit. Il n’est jamais utile de souffrir, mais en admettant une souffrance qu’il

connaissent depuis longtemps, les usagers peuvent aussi s’orienter vers une démarche de soin.

Dans une autre section de l’EMIC, 14,3% des patients motivaient leur premier recours au soin

par l’intensité de la souffrance psychique ressentie et 11% par les complications somatiques,

en particulier l’infection à VIH (Taïeb 2006). En outre, ne plus faire fi du corps et de ses

traumatismes consiste aussi à ne plus systématiquement rechercher une transcendance ou un

échappatoire dans la recherche de plaisir et d’ « effet » (Pezous 1994, Biadi-Imhof 2006).

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Les TSO peuvent eux-mêmes être générateur de souffrance. Le manque existe aussi et

il est souvent rappelé par les patients. Il est « énorme », d’après le patient 87 à propos de la

BHD. Cependant il est en partie contrôlé par le cadre thérapeutique, comme l’explique le

patient 175 : « Si on en prend de la méthadone sans prescription médicale, on peut tomber en

manque (…) avec la prescription du médecin je ne vois pas quel inconvénient il peut (y)

avoir ». Mais la souffrance avec les TSO, provient surtout des conséquences des usages

détournés et plus particulièrement de la voie injectable. Pour le patient 105, « les dégâts (sont)

effroyables ». Cet aspect de la souffrance des toxicomanes est probablement sous-estimé car

les usagers ont souvent tendance à taire leurs « stigmates » aux soignants. De volumineux

abcès peuvent être dissimulés au médecin car le patient « n’est pas censé » détourner le

produit. Dans des situations de précarité importante, les patients peuvent aussi s’abstenir de se

rendre à l’hôpital, bien que connaissant les complications infectieuses possibles, la probable

hospitalisation qui peut découler du passage aux urgences étant encore considérée comme

génératrice d’une plus grande souffrance que ce qui est visible (Bounhnik et al. 1999). Les

impératifs de la survie dans la rue (précarité du « logement », des circuits de survie…)

peuvent aussi influencer ces refus de soins.

Les patients soulignent enfin des différences entre les traitements en ce qui concerne la

souffrance psychologique. Dans notre échantillon, parmi les patients qui avait expérimenté la

méthadone et la BHD, 10,25% avaient constaté un plus grand soulagement de la souffrance

psychologique par la méthadone. « Ça agit directement sur le moral » (patient 49). L’étude

AIDES-INSERM (2001) avait mis en évidence une faible capacité de la BHD pour répondre

aux troubles d’origine psychologique, la méthadone était apparue comme un médicament aux

« effets intermédiaires » et les sulfates de morphine comme ayant un effet psychotrope

important.

1-7-4. Le dévoilement et le stigma

Les usagers de drogues ont souvent intégré une image d’eux-mêmes de

« toxicomanes ». Ils n’ont par ailleurs pas défini seuls cette identité : elle leur a régulièrement

été signifiée par d’autres (parents, juges, policiers, médias, médecins, etc.) (Carpentier 1994).

Il persiste dans le sens commun quelque chose d’honteux (Hunt et al. 1999) et qui, par

conséquent pour les patients, doit être caché. Le traitement risque de révéler ce secret

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(Guichard et al. 2004). Le stigma peut aussi porter sur le traitement de substitution lui-même.

Le seul traitement possible permettant l’affranchissement d’un passé de toxicomane reste en

effet pour beaucoup le sevrage définitif de tout produit. Dans l’opinion publique, parmi les

usagers et pour certains soignants, les patients qui suivent un traitement de substitution

demeurent donc des toxicomanes qui seraient simplement passés d’une dépendance à une

autre (Rosenblum et al. 1991, Guichard et al. 2006). Cette perception négative du traitement

est aussi renforcée par la disponibilité des traitements de substitution dans la rue, aux côtés

des produits illicites (Agar et al. 2001). Les questions de galénique et de « volume » du

médicament prennent donc ici une dimension particulière, comme pour le patient 69 : « On

peut le prendre devant quelqu’un sans qu’il sache ce que c’est (…) Je ne vais pas crier sur les

toits : « Je suis toxicomane, je me soigne ». (…) Ceux qui savent ma famille, mes copains,

c’est tout… ». De ce point de vue, le volume de la méthadone en flacon est un inconvénient

majeur à prendre en compte.

Par rapport à ce dévoilement, certaines circonstances de délivrance du traitement

peuvent être très problématiques : en prison, où les distributions collectives ou au porte-à-

porte sont les plus fréquentes, la divulgation du secret médical est réelle. Au-delà de la

révélation, cela met les détenus dans une position difficile : les autres « savent » et cela ouvre

la porte au trafic et aux pressions qui en découlent (Michel et Maguet 2003).

La stigmatisation et la discrimination par rapport au traitement prennent des formes

concrètes dans la vie des patents. Bien que difficile à évaluer c’est une réalité régulièrement

rapportée aux associations d’usagers. Pour Fabrice Olivet (ASUD), seulement un quart des

pharmaciens délivrerait ces traitements soit de suite, soit après commande (Raynal 2007a).

Cette discrimination dans la délivrance du traitement était par exemple redoutée par le patient

19. Elle peut être aussi vécu par rapport aux représentants de l’ordre (douaniers, policiers)

comme l’ont signalé le patient 65 et le patient 169. Les idées générales sur la substitution

véhiculée dans la presse à grand tirage ne facilitent pas l’évolution de ces idées : les TSO sont

un thème peu abordé par les grands médias, et lorsqu’ils le sont, il s’agit souvent d’annonces

chocs, où les raccourcis sont faciles, dénonçant le trafic et les mésusages comme cela a été le

cas au printemps 200739 (Raynal 2007b). Les traitements de substitution restent ainsi pour

beaucoup une pratique en marge du système de soins, suspectés d’entretenir la dépendance

39 Voir par exemple à ce sujet l’article du Figaro sur le trafic de Subutex paru les 19 et 20 mai 2007.

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aux dépens de la collectivité, voire de générer des toxicomanes d’un nouveau type

(Rosenblum et al. 1991, Blanchon et al. 2003, Guichard et al. 2006)

2- Aperçu des représentations des soignants envers les patients toxicomanes et les TSO

Notre objectif n’est pas ici d’être exhaustifs sur les questions des représentations des

soignants. Il nous a cependant semblé important de poser dans ce travail certaines idées des

soignants, sur « l’objet toxicomanie », les patients toxicomanes, et sur les outils

thérapeutiques qui y sont rattachés. Ce sont des éléments des modèles explicatifs des

professionnels selon Kleinman (1980). La relation thérapeutique, incluant la prescription des

TSO, est une négociation dans laquelle les modèles explicatifs des patients et des soignants

relèvent d’une interactivité permanente. En ce qui concerne les représentations en matière de

toxicomanie, le champ est très large et les interactions se jouent de façon concrète au-delà de

la relation thérapeutique. Elles font intervenir des échanges permanents entre le patient, le

médecin et la société. Nous nous appuierons beaucoup dans cette partie, sur le travail d’Anne

Biadi-Imhof, qui a fait partie de l’équipe de recherche du PHRC. Elle a parallèlement réalisé

une étude complémentaire sur les représentations de 34 soignants (psychiatres, psychologues,

médecins généralistes travaillant dans le champ des addictions, internistes, travailleurs

sociaux…) travaillant tous dans le service de Psychopathologie de l’hôpital Avicenne, sauf

quelques internistes et infectiologues travaillant dans d’autres services mais ayant une

expérience clinique de la toxicomanie du fait de leur spécialité. L’entretien de recherche était

centré sur l’itinéraire professionnel, sur les représentations des modèles de la toxicomanie

(modèle de maladie, place du diagnostic…) et de ses traitements, sur la perception du patient

toxicomane (est-il ou non un malade ordinaire ?), sur les enjeux de la relation thérapeutique

avec ces patients et sur la position par rapport à la loi de 1970. Les résultats de cette recherche

ont fait l’objet d’un rapport préliminaire (Biadi-Imhof 2006).

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2-1. La toxicomanie est-elle une maladie, l’usager de drogue est-il un patient ?

2-1-2. La toxicomanie est-elle une maladie ?

Le modèle de maladie en matière de toxicomanie

La normalité en miroir du pathologique, marquante chez les patients, interroge aussi

sur nos propres représentations de la maladie en tant que soignant. Et de façon plus large sur

les représentations de la maladie en matière de toxicomanie dans la société où évoluent

patients et soignants.

Pour Valleur40 (1994), les premières définitions de la maladie en matière de

toxicomanie sont à mettre en perspective avec le moment où l’intempérance (l’abus d’alcool)

a été pensable en terme de maladie, vers la fin du XVIIIe siècle, avec les travaux du médecin

et humaniste américain Benjamin Rush. Tout en incluant l’intempérance dans un concept de

« maladie sociale » (où s’inscriront plus tard des maladies comme la syphilis ou la

tuberculose), le modèle de maladie inauguré par Rush a permis de « soustraire les malades au

jugement moral de leurs contemporains et aux foudres de l’Église ». Plus récemment pour

Jeammet (1997b), les précisions apportées dans le DSM-IV liant la dépendance à des

phénomènes biologiques reflètent la volonté d’éloigner les connotations morales qui s’y

associent. Mais la fin de la prééminence de la morale, peut aussi signifier un glissement du

pouvoir des prêtres vers celui des médecins. La vision de l’usage de drogue comme maladie et

fléau social a encore aujourd’hui des persistances, tant dans le domaine scientifique que pour

l’opinion publique, pour laquelle il s’agit parfois avant tout de « protéger la société »

Reconnaissant la question de l’alcoolisme comme une maladie, les médecins du XIXe

siècle deviennent des combattants du « fléau » et par là, garants d’une certaine morale. C’est

dans ce processus que s’intègre la prohibition de l’alcool du début du XXe siècle. Lorsque la

prohibition est levée, on assiste à la naissance en Amérique du Nord du mouvement des

Alcooliques Anonymes, qui tout en s’échappant de l’emprise des médecins, s’intègrent eux-

mêmes dans un modèle de maladie. Ainsi pour les Narcotiques Anonymes : « la dépendance

est une maladie à la fois physique, mentale et spirituelle, qui touche tous les domaines de la

vie… Notre maladie est progressive, incurable et mortelle. La plupart d’entre nous, cependant

sont soulagés d’apprendre qu’ils souffrent d’une maladie et non d’une déficience morale ».

Fixant ainsi l’irréversibilité de la maladie : « une fois alcoolique, toujours alcoolique ». Ce

modèle, porté par des usagers, est devenu un dogme dans la communauté scientifique, mais il

40 Marc Valleur est psychiatre et psychothérapeute. Il a pris en 1999 la direction du Centre médical Marmottan.

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a été beaucoup critiqué. Aujourd’hui la plupart des auteurs, cliniciens ou chercheurs,

s’accordent à admettre que la toxicomanie est multi-factorielle et qu’une approche purement

médicale ou psychologique ne saurait en rendre totalement compte. Des éléments historiques

et sociologiques sont allés à l’encontre de l’irréversibilité : la cessation massive de

l’intoxication aux opiacés des soldats américains de retour de la guerre du Vietnam a montré

l’importance du contexte dans l’usage de drogue. Par ailleurs la mise en évidence de cessation

« spontanée » de toxicomanie (le « maturing out » ) a permis d’étayer des approches

sociologiques. Enfin l’élargissement du champ des addictions à des conduites alimentaires, au

jeu, au tabagisme etc., a aussi permis de débarrasser l’addiction de la « force démoniaque du

produit ». En l’absence de réponse universelle et efficace aux difficultés des patients, il peut

être plus efficace de juger les modèles de compréhension, non en fonction de leur cohérence

interne mais en fonction des risques et des conséquences qu’ils impliquent pour les individus.

Pour Ogien (1994), la difficulté réside en l’absence de critère incontestable pour distinguer

« parmi toutes les personnes que nous considérons comme aliénées par l’ingestion d’une

substance stupéfiante, celles pour lesquelles cette aliénation est la marque d’une vraie

pathologie de celles pour lesquelles elle n’est que le signe d’un mal-être passager ou l’attribut

d’une consommation contrôlée ».

Propos de soignants

Dans le rapport de Biadi-Imhof, une majorité de soignants a eu tendance à ne pas

considérer la toxicomanie comme une maladie, mais plutôt comme un « comportement »,

« un fonctionnement », ou encore « une souffrance ». Les psychiatres et les psychologues se

sont plus volontiers positionnés dans ce sens. Les généralistes et les internistes ont été moins

enclins à se positionner dans un refus de la toxicomanie comme maladie. De façon assez

générale, la raison la plus invoquée de s’abstenir à définir la toxicomanie comme maladie, a

été le risque de réduction qu’implique « le modèle de la maladie », les soignants se réclamant

plutôt d’une « clinique de la complexité ». La question du diagnostic n’est pas apparue

comme symétrique à celle de la reconnaissance de la maladie : 12 soignants ont eu tendance à

considérer la toxicomanie comme une maladie et parmi eux, seulement 9 pensent que le

diagnostic est important. Parmi ceux qui refusent d’assimiler la toxicomanie à une maladie, 12

considèrent que le diagnostic est sans intérêt. Dans les représentations de ces soignants, en

lien étroit avec le soin des toxicomanes, la démarche diagnostique peut donc être importante,

sans reconnaître la toxicomanie comme une maladie et inversement. Lorsque la toxicomanie

est reconnue comme une maladie, elle peut se définir dans les propos des soignants par la

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souffrance qu’elle engendre, comme une « maladie chronique » ou encore comme une

« maladie de la désinsertion sociale ». Le modèle de maladie pose la question de la définition

de la maladie du patient toxicomane et de ce qu’il faut traiter : est-il malade du manque ? de

sa dépendance? de sa situation sociale ?

La situation des généralistes dans la reconnaissance du modèle de maladie est

intéressante : ils ont souvent été pionniers en matière de substitution et cette reconnaissance

leur a aussi permis de faire rentrer leur patient dans le système de santé.

Les soignants doivent aussi veiller à la définition de « la maladie du malade ». La

maladie pour le malade, c’est d’abord une souffrance et c’est par elle qu’il vient au médecin.

Et la « maladie du médecin » n’est pas toujours reconnue comme telle par le malade : ce qui

est « anormal » pour le médecin, ne l’est pas toujours pour le patient, et inversement.

2-1-2. L’usager de drogue est-il un patient ?

Cette dimension est à considérer sous plusieurs angles. Sur un plan sociétal, la

dimension de la loi est à prendre en compte. Pour Ogien (1994), la notion de l’interdit illégal

conditionne l’histoire du patient avec la marginalité, la petite et la grande criminalité, et

conduit les soignants à rencontrer des patients qui se trouvent « à la croisée des mécanismes

de paupérisation et d’exclusion ». Cela façonne aussi la clinique : la loi et l’administratif, par

les impacts qu’ils ont sur la vie des personnes, participent aussi à la « définition » du patient.

Sur un plan plus médical, dans l’étude Biadi-Imhof, si les usagers de drogues étaient

parfois considérés comme malade par les soignants, ils étaient toujours considérés comme

patients, terme à connotation éminemment médicale. Ils étaient considérés comme « des

malades ordinaires », dans le sens de « malades méritants d’être soignés comme les autres

malades ». Mais dans la partie de l’étude explorant la relation thérapeutique, ils avaient la

dimension de « malades non ordinaires ». Ce dernier aspect est important, il souligne l’espace

expérimental de la clinique de la toxicomanie pour aborder une prise en charge globale du

patient, médico-psycho-sociale. Ces patients ont un savoir, nous y reviendrons, et la relation

thérapeutique ne peut être construite qu’avec eux.

André et al. (1996), ont réalisé une enquête (avec des questions fermées) auprès de 97

médecins français, afin d’explorer les représentations, les discours et les pratiques autour des

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TSO. Une partie de cet échantillon est constituée de 38 médecins (20 généralistes, 16

psychiatres et 2 internistes) tirés au sort dans le département de l’Hérault. Parmi ces

médecins, 65% des généralistes et 33% des spécialistes n’ont jamais rencontré d’usagers de

drogues. Pour ces médecins, travaillant peu avec des toxicomanes, le toxicomane est un

« malade » (65% des généralistes, 56% des psychiatres) plus qu’un usager de drogue (5 et

10% respectivement) qui se définit par la nature du lien qui le rattache avec son produit,

« victime de la société » (45% et 11% respectivement) et un acteur de son propre délit (20 et

50% respectivement), non catégorisable sur le plan psychopathologique. La souffrance du

toxicomane est estimée « énorme » par 70 % des généralistes et « forte » par 70% des

spécialistes. Dans cette étude quantitative, les nuances entre « maladie » et « patient » sont

moins perçues. Cependant, parmi cet échantillon moins ciblé sur des soignants acteurs du soin

de la toxicomanie et plus représentatif de la population médicale, la notion de souffrance du

« malade toxicomane » est importante.

Pour conclure cette partie, il nous semble aussi important de considérer que le patient

toxicomane ne se résume pas à sa souffrance ni aux définitions de maladie. Comme Ogien

(1994) le préconise, il faut tenter de concevoir quelle est sa vie. Il s’agit en effet de ne pas

enfermer ces patients dans une identité unique. Aussi douloureuse et lourde de conséquences

qu’elle puisse être, l’expérience de la toxicomanie n’est qu’un des aspects de la vie de ces

patients.

2-2. Les contre-attitudes

Le contact avec les patients, toxicomanes ou non, est vecteur de contre-attitudes. Nous

les évoquons ici sous l’angle des conduites addictives. Ce sont des attitudes subjectives qui

influent dans la relation thérapeutique, sans avoir de réels registres d’expression. Elles

rassemblent les attitudes de fascination, de répulsion, de culpabilité ou encore de compassion.

Les contre-attitudes véhiculent la plupart des représentations de la société dont les soignants

(et les patients) font partie. Elles sont souvent non maîtrisables et peu élaborées et peuvent

parfois être perçues comme des « fausses réponses » : « surtout pas juger et vouloir faire la

morale parce que ça ne passera pas » (propos d’un soignant dans l’étude Biadi-Imhof). Elles

reflètent aussi une part de notre impuissance thérapeutique (Jeammet 1997a). Les dimensions

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de l’illégal et de l’autorité inscrites dans l’histoire et la culture personnelle des soignants

rejoignent la question des contre-attitudes. Biadi-Imhof note dans ce sens les attitudes

différentes de deux jeunes psychologues stagiaires par rapport à la loi. L’un était un jeune

homme pour lequel la loi apparaissait comme « un espace actif qui incite le jeune à

transgresser pour s’approprier l’expérience et construire son identité », pour l’autre stagiaire,

une jeune fille maghrébine, la loi sociale apparaissait au contraire comme « une limite

nécessaire et protectrice ». Les questions de sexe, d’âge et de culture au sens large (celle des

parents, mais aussi celle apprise en « banlieue », en « ville » ou « à la campagne ») prennent

donc ici du sens. Du côté des patients, Fainzang (2001, p138) souligne aussi l’importance du

poids de l’histoire (celle des générations qui nous ont précédés dans notre culture), dans le

rapport à l’autorité en général et à l’autorité médicale en particulier.

Il est probablement difficile de se dégager entièrement des stéréotypes et des

représentations sociales habituelles de la toxicomanie, les rendre explicites nous semble

cependant un point important. Cela peut être nécessaire pour favoriser une attitude de rigueur

plutôt que de rigidité (Carpentier 1994), dans un domaine où la neutralité n’est pas toujours

facile à atteindre. Pour Carpentier, la relation médecin-toxicomane pose la question de

l’identité du soignant. Le médecin accompagne une démarche, mais il n’est pas complice et

« se situe professionnellement entre la loi et le réel de la vie des gens ». Si la relation n’est pas

lisse, « le compromis n’est pas la compromission ». Cette position peut se décliner au travers

des traitements de substitution et des autres médicaments prescrits, de la prévention et du

projet du patient. Cette perspective de soin se situe sur le long terme et il faut garder à l’esprit

que « c’est le patient (…) qui va se tirer d’affaire, et non le médecin ».

2-3. Les représentations des TSO chez les soignants

2-3-1. Des avis partagés et ambivalents

La substitution a apporté des données nouvelles dans le soin de la toxicomanie. Mais il

persiste en toile de fond du jugement des soignants sur ces traitements, les mêmes

mécanismes que ceux des opinions portées sur la toxicomanie. À l’extrême, chez les

médecins, il y a d’un côté les « bons » qui prescrivent et qui soulagent et les « mauvais » du

côté du rappel de l’interdit et du refus de complicité dans l’engrenage de la dépendance.

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L’arrivée des TSO a pu déclencher aussi la colère de certains soignants impliqués depuis

longtemps dans le soin de la toxicomanie, pour lesquels la substitution a pu être vécue comme

une solution trop simple, à laquelle « il fallait penser » (Jeammet 1997a).

Là où l’histoire de la substitution est plus ancienne, les positions des soignants ne sont

pas non plus univoques. Aux États-Unis, Caplehorn et al. (1997) ont construit un outil

statistique pour mesurer les opinions des personnes travaillant dans les centres de distribution

de méthadone, à propos des politiques orientées vers l’abstinence. Alors que la philosophie

officielle de ces centres est le maintien du traitement par méthadone, cette étude montre que

les personnels les moins qualifiés ont tendance à supporter les politiques d’abstinence. Les

personnels les plus formés, avec de meilleures connaissances sur les bénéfices et les risques

du traitement, étaient plutôt en faveur du maintien de la méthadone. Toujours aux Etats-Unis,

pour Hunt et Barker (1999), les équipes des centres de distribution de méthadone considèrent

comme important de se différencier des patients : il existe pour ces personnels un risque élevé

de « contamination » par l’abus de drogue.

En France, pour André et al. (1996), sur un échantillon de 38 médecins généralistes et

spécialistes, 50% des médecins généralistes ont paru favorables à la substitution, mais étaient

majoritairement non prescripteurs, bien que rencontrant des usagers de drogues par voie

intraveineuse. Les spécialistes étaient seulement 22% à se déclarer favorables à la

substitution. Enfin 30% des généralistes et 40% des spécialistes se disaient ambivalents par

rapport à la substitution. Chez les pharmaciens d’officine, Bonnet et al. (2001) ont montré au

moyen d’une enquête longitudinale (1996-2000) l’évolution des perceptions des TSO : la

substitution médicalisée était pour 52% de ces soignants en 1996, l’acte qui favorise le plus le

dialogue avec les usagers, ils étaient 61% à le penser en 2000. Soixante-quinze pour cent des

pharmaciens considéraient la méthadone comme un médicament en 1996 contre 84% en 2000.

Par contre, malgré une augmentation du même ordre, seuls 45% des pharmaciens étaient prêts

à en délivrer en 2000 (contre 38% en 1996). De façon plus générale, en 1998 la Direction

Générale de la Santé a interrogé les comités de suivi départementaux sur l’apport des

traitements de substitution dans la prise en charge des toxicomanes. Globalement, les

professionnels de santé déclarent constater une amélioration des liens créés avec les

toxicomanes et un meilleur accès aux soins (Prescrire Rédaction 2001), mais comme nous

venons de le voir, cela n’a pas toujours des répercussions dans la pratique des soignants.

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2-3-2. Un avant et un après

Chez les soignants actifs en matière de toxicomanie, au-delà des ambivalences

possibles, il semble qu’il y ait un consensus sur un « avant » et un « après » la substitution.

Cette progression est fortement liée à la politique de réduction des risques. « Avant », il y

avait quelques pionniers et leur expérience a été importante, mais les « bricolages »41

auxquels ils avaient recours, leur permettaient rarement de prétendre assister leurs patients

dans la gestion de leur consommation (Lalande et Grelet 2001). La substitution a pris acte de

la situation de dépendance des toxicomanes et de ses conséquences (Jeammet 1997a). Pour

certains de ces soignants, il s’agissait d’abord de soulager sur le long terme la souffrance du

manque, selon les propos d’un généraliste dans l’étude mené par Lalande et Grelet : « J’ai

réalisé qu’étant en manque, elle (ne) pouvait pas se soigner. C’est là que j’ai commencé à en

prescrire ». La substitution a ainsi été la possibilité d’un accès aux soins. Là où, à part pour

quelques pionniers, il s’agissait souvent de se débarrasser rapidement de ces patients pour

lesquels il n’y avait pas de « solution », si ce n’est de façon ponctuelle, la substitution a

introduit la notion de prises en charge sur le long terme. Les soignants dans l’étude de Biadi-

Imhof parlent de « construire dans la durée », dans « la continuité » « de garder le fil ».

D’un point de vue de santé publique, comme nous l’avons vu dans la première partie

de ce travail et malgré les limites persistantes, la substitution est un succès et on ne peut

regretter cet « avant ». Cela n’empêche pas une attitude critique et nuancée de la substitution

et des paradoxes qu’elle comporte. Il est aussi important de ne pas enfermer le patient dans

« les réussites » de la réduction des risques : la prise en charge doit rester individuelle. Il

s’agit en fait, dans les propos des soignants de construire une relation, une « alliance ». Par le

biais de la substitution, il est possible de proposer cette perspective à un nombre important de

patients.

41 Expression d’un généraliste interviewé par Lalande et Grelet.

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2-4. Paradoxes de la substitution chez les soignants

2-4-1. Le pharmacon

Pour exprimer une part d’ambivalence chez les soignants, plusieurs auteurs en

reviennent au pharmacon, aux origines de la médecine occidentale (Dagognet 1964, Domic

2000, Le Ferrand 1999). Dans la Grèce Antique, le pharmacon désigne à la fois la substance

capable de guérir et de tuer, selon les circonstances et les doses utilisées. C’est une drogue

magique dont les hommes ordinaires laissent la manipulation aux initiés. Claude Bernard

avait noté dès 1883 dans ses « Leçons sur les effets des substances toxiques et

médicamenteuses » : « La substance qui est médicament à petites doses peut devenir un

poison à haute dose ou par le fait de son administration intempestive » (cité par Dagognet

1964). Aujourd’hui, cette dualité inconsciente contenue, entre autres, dans les traitements de

substitution n’est plus totalement assumée. Mais les tentatives de rationalisation

physicochimique de ces produits n’empêchent pas les multiples comparaisons avec la drogue,

constatées par les soignants et leurs patients, et les ambivalences reviennent de façon furtive.

En outre, les surdosages existent et peuvent être mortels pour les patients. Cette idée est

présente dans la pratique clinique des soignants. De façon plus générale, la frontière entre

drogue et médicament est mince : la plupart des drogues ont été utilisées comme médicament

et l’usage toxicomaniaque des médicaments ne se limite pas aux produits de substitution (Le

Ferrand 1999).

Les définitions de la dépendance et de ses conduites sont un bon exemple de ce

paradoxe du médicament, parfois difficilement accepté par les soignants (Gold et al. 1988).

Pour un psychiatre dans l’étude de Biadi-Imhof : « on a des patients qui avec les traitements

de substitution reproduisent leurs conduites de dépendance, c’est-à-dire abusent du produit et

le manipulent à leur guise, ça prouve bien que ce n’est pas l’idéal ». Pour un autre

médecin : « la substitution c’est quelque chose que l’on fait parce qu’on est médecin, mais on

est dealer d’une certaine manière (…) mais je ne veux pas être dealer, je ne veux pas dépanner

(…) je veux qu’ils viennent me voir pour des objectifs thérapeutiques ».

Les questions du rapport à la dépendance pour les soignants ne se limitent d’ailleurs

pas au seul produit (Domic 2000). Dans notre expérience clinique, nous avons participé au

traitement du syndrome de sevrage d’un nouveau-né, une petite fille, dont la mère était

dépendante aux opiacés. En plus de la morphine administrée à dose lentement décroissante,

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un des éléments du traitement est le nursing (prendre le nourrisson dans les bras). Le

traitement de ce syndrome de sevrage avait été long et assez difficile pour l’enfant, l’équipe

soignante avait été touchée par cette souffrance et l’enfant voyageait souvent de bras en bras.

À la baisse des morphiniques, devant des pleurs parfois interprétés par les soignants comme

une demande un peu exagérée, l’équipe paramédicale a commencé à se poser la question, de

l’apparition d’une dépendance « aux bras ». Et bien qu’attentive au ressenti de l’enfant, les

soignants ont eu tendance à s’autocensurer, voulant gérer cette nouvelle dépendance. Les

médecins et plus généralement les soignants font partie du « traitement » et leur implication

s’intègre dans le reste de la prescription. Elle peut donc aussi avoir certains « effets », en

fonction du patient, à accepter.

2-4-2. Un bouleversement des habitudes

La substitution peut inquiéter les soignants parce qu’elle peut leur demander de

changer ou de remettre en cause des définitions de leur pratique qui leur semblent importantes

(Le Ferrand 1999). Avant d’entrer dans une perspective de guérison, chère au médecin, il

s’agit d’une « prise en charge ». Elle peut être longue et les objectifs des patients, parfois

aussi ceux de la société, interpellent les soignants de façon parfois inattendue.

Il ne s’agit pas que de la maladie

La complexité du modèle de maladie en matière de toxicomanie entre ici en jeu. Les

médecins ont parfois du mal à situer les demandes du patient dans la sphère des relations

médecins-malades. Un des médecins interrogé par Lalande et Grelet (2001), raconte sa

relation avec une patiente qui venait la voir « pour des problèmes toxicomaniaques », avec le

flou que comporte cette expression dans l’esprit des patients comme dans celui des médecins.

Lorsque cette patiente est tombée malade du sida, il l’a suivie pour ce problème, et à son sens,

il est alors « vraiment devenu le médecin ». Pour Canguilhem (1966), ce qui intéresse les

médecins « c’est de diagnostiquer et de guérir ». Guérir, c’est ramener à une norme

antérieure. La délimitation de la norme est ici définie par la connaissance de la physiologie du

médecin, son expérience, et par la représentation commune de la norme dans un milieu social

à un moment donné. « Celle des trois autorités qui l’emporte est de loin la physiologie »

(Canguilhem 1966, p 75). Si beaucoup de médecins, en particulier ceux qui acceptent de

prendre en charge des patients toxicomanes, n’ont pas une vision de la maladie limitée au

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corps, il n’empêche que l’ancrage somatique de la maladie rassure. L’existence d’une

corrélation anatomo-clinique nous permet de retrouver des formulations de la souffrance que

nous connaissons. Et en matière de toxicomanie la relation est souvent à construire avec des

éléments peu maîtrisé par les médecins.

La dimension du contrôle

Bien que se reconnaissant souvent comme des acteurs de santé publique, les médecins

orientent plutôt leur pratique vers la prise en charge des individus. Dans cette dimension, la

notion de la gestion sociale de la toxicomanie peut être dérangeante. « Elle perturbe leurs

raisonnements, habituellement basés sur les effets pharmacologiques des produits et attentifs à

l’équilibre ou au bien-être de leurs patients, mais tenus ici de prendre en compte aussi le

paramètre du contrôle » (Lalande et Grelet 2001).

Le contrôle social à travers les traitements de substitution s’apparente pour plusieurs

auteurs, comme Bourgois (2000) ou Bergschmitt (2004), au concept du bio-pouvoir de

Foucault. C’est un pouvoir disciplinaire, porté sur le corps, cherchant à rendre l’individu

docile et productif. Dans le même temps pour Foucault, l’homme est un espace vivant sur

lequel le pouvoir a besoin d’avoir le contrôle biologique : le bio-pouvoir régule donc aussi les

masses. Les institutions comme l’école ou les hôpitaux, en tant qu’éléments de contrôle sont

des instruments du bio-pouvoir. Dans leur dimension coercitive et normalisante les

traitements de substitution peuvent relever de cette logique. Le contrôle social, comme nous

l’avons davantage développé en première partie de ce travail, est ressenti et souvent mal

accepté des patients. Il est aussi perçu des soignants qui, s’ils considèrent les TSO sous la

seule dimension du contrôle, peuvent également se sentir instrumentalisé. Cette difficulté peut

se traduire par deux positions très différentes : certains médecins peuvent, bien que cette

pratique soit marginale, faire des entorses régulières aux règles de prescription, d’autres à

l’inverse peuvent se situer dans une position radicale et refuser de prescrire des TSO, évitant à

leur sens toute compromission avec le système. Entre ces deux positions, les médecins ont

souvent l’impression que la dimension de contrôle « n’est pas leur métier » (Lalande et Grelet

2001).

La dimension du plaisir

Lorsqu’on les interroge sur les TSO, les patients évoquent cette notion : c’est celle de

la recherche d’effet. Elle s’intègre dans les représentations et dans certains objectifs du

traitement. Les médecins ont plutôt tendance à trouver la définition du soin dans le

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soulagement, pour certains le fait de « donner du plaisir » est même perçu comme

« scabreux » (Jauffret-Roustide 2004 et 2005). Le toxicomane qui utiliserait un médicament

dans un but de plaisir, ne peut être considéré que comme subversif et détournant le

médicament de son principe thérapeutique. Cette vision d’un malade déviant a été évoquée

par Herzlich (1984) : le « désir de guérir » du malade est souvent perçu par les soignants

comme l’un des critères de la prise en charge thérapeutique et la légitimation de son état. Une

utilisation du médicament à des fins de jouissance, voire d’autodestruction, ne peut être

considérée que comme contradictoire avec « ce que devrait être » la volonté du malade :

réintégrer le champ des actifs et de la production. Pourtant, il n’y a pas de frontière nette entre

la recherche de plaisir et le soulagement de la souffrance (Le Ferrand 1999), et comme nous

l’avons vu, la recherche d’un effet psychoactif peut conditionner certaines pratiques. Le

plaisir est donc une dimension à prendre en compte dans la relation de soin. Les soignants

doivent compter sur leur propre représentation du plaisir et être à l’écoute de celle du patient.

3- Du médicament à la relation thérapeutique

Les traitements de substitution ne font pas disparaître la relation, pas plus qu’ils ne

peuvent faire office à eux seuls de lien thérapeutique (Maurel-Arrighi 1996). Comme nous

l’avons vu plus haut, au-delà de la molécule, les patients souhaitent une prise en charge

globale centrée sur la personne et à l’écoute de ses besoins. Ils rappellent aussi la nécessité

d’une relation de confiance, où l’information concernant le traitement et la prise en charge qui

l’entoure est partagée. Ce sont finalement des objectifs bien proches de ceux définis en terme

de qualité des pratiques professionnelles par la conférence de consensus de juin 2004. De leur

côté, les soignants prônent aussi la nécessité de l’alliance thérapeutique. Il y a donc un enjeu

important à travers le dialogue qui s’instaure entre patients et soignants avec les TSO et il est

reconnu par les différents protagonistes. Les représentations des traitements s’introduisent

ainsi dans la négociation entre le modèle explicatif des patients et celui des soignants, telle

que l’a définie Kleinman (1980).

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3-1. Le savoir et le non-savoir des patients

Les patients toxicomanes ont un savoir personnel et collectif acquis au cours de leur

histoire dans l’addiction (Castel 1998). Ils ont été en manque avant de venir voir le médecin,

et d’un point de vue historique, avant l’autorisation de prescription des TSO. Ils ont donc

cherché dans leur expérience et dans celles de leurs pairs les moyens d’y pallier.

Le traitement de la dépendance aux drogues illégales participe d’une certaine manière

à la définition d’un « médicament moderne ». Il ne s’agit en effet pas de médicaments où la

prescription et le jugement de l’efficacité peuvent rester uniquement techniques, à l’inverse,

par exemple, des antibiotiques qui agissent sur des agents pathogènes pouvant être

identifiables, et où des tests diagnostics sont possibles (Pignarre 2000). Les médecins ne

peuvent pas se placer comme les seuls initiés pour la gestion des TSO : les patients savent. En

ce sens les patients toxicomanes sont semblables aux malades du sida (Jauffret-Roustide

2004) ou aux patients cancéreux, qui en savent beaucoup sur leur quotidien avec les

traitements et le font savoir aux soignants. Pour Lovell (2001), ils ne sont « ni profanes, ni

professionnels, ni patients, ni guérisseurs, mais quelque chose qui tient de tout cela à la fois ».

Dans notre étude, le patient 50 s’est ainsi affilé à un savoir collectif des toxicomanes, capable

d’alimenter les perspectives de soin : « (les professionnels) ont appris que les toxicos

prenaient du Temgésic pour (…) pallier le manque, et il y en a qui arrivaient carrément à

décrocher avec, et (…) ils se sont dit : pourquoi ne pas en faire un truc légal et puis faire

prescrire par un médecin ». La manifestation de ce savoir a pu trouver son expression dans

des groupes militants comme ASUD42 (Pignarre 2000, Lovell 2001), et cela a pu être

nécessaire aux moments les plus intenses de la stigmatisation du VIH et des usagers de

drogue. Mais ces groupes, sans minimiser leur impact en particulier dans la prévention et

l’accès aux soins, ne touchent qu’une faible proportion d’usagers de drogue. Toutefois la

dimension d’une expérience sociale, sans toujours être collective et organisée, est notable :

« le bricolage corporel, l’altération des états relèvent de compétences qui même si elles ne

sont pas toujours utiles, ont été élaborées et transmises dans un apprentissage fait en

commun » (Lovell 2001). Cette dimension est très importante en matière de perception et de

réduction des risques par les patients. Elle s’est révélée dans notre étude par le discours des

patients sur les conséquences de la voie injectable pour la BHD : « les gens sont malades avec

42 Pignarre (2000) cite à ce sujet un texte du XIXe siècle inspiré de Tite-Live, rappelant l’acte fondateur de la démocratiegrecque : les plébéiens « instituent un autre ordre, un autre partage du sensible en se constituant non comme des guerrierségaux à d’autres guerriers mais comme des êtres parlants partageant les mêmes propriétés que ceux qui leur nient (…) ; ilsdélèguent l’un d’entre eux pour aller consulter leurs oracles ; ils se donnent des représentants en les rebaptisant. En bref, ilsse conduisent comme des êtres ayant des noms ».

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ça » (patient 22), « je savais que c’était dangereux » (patient 128). La connaissance en cette

matière peut aussi être le fruit d’expériences, d’essais ou d’erreurs personnelles : « vous vous

abîmez le bras (…) je me suis fait opéré » (patient 6).

Pour les soignants, sans forcément être dérangeant, ce savoir interpelle. Il introduit une

relation peut-être plus équilibrée qu’à l’ordinaire : « Ils demandent au médecin ce que les

malades n’osent pas demander », « Il y a des médecins qui sont interloqués parce que le

patient connaît mieux le Vidal qu’eux », « Il est différent parce qu’il dérange, parce qu’il veut

savoir, il connaît, il vous apprend beaucoup de choses » (propos de soignants dans le rapport

Biadi-Imhof 2006). Ce savoir a pu d’autant plus déstabiliser les médecins au début de

l’histoire de la substitution, où les médecins avaient moins de connaissances à leur

disposition : la plupart des généralistes interrogés par Lalande et Grelet (2001) ont déclarés

eux-mêmes avoir commencé à suivre des usagers de drogues en ignorant tout le plus souvent

des conduites à adopter.

Face à ce savoir parfois impressionnant, un écueil à éviter serait de partir du principe

que les patients « savent tout », et qu’ils n’auraient pas besoin de l’information nécessaire

avant la prise de tout médicament (Fischer et al. 2002). Par exemple la patiente 85, non

avertie de l’effet antagoniste de la BHD, l’a consommé avec des morphiniques retards, et elle

en a ressenti douloureusement un important syndrome de sevrage. D’où un rejet définitif de ce

médicament. La prise de BHD par voie sublinguale ne va pas de soi non plus : il arrive

régulièrement que des patients « avalent » directement le médicament, s’ils ne sont pas

informés de sa baisse d’efficacité par cette voie43 (Brunelle 2003). Les explications des

médecins renforcent aussi l’adhésion des patients à un traitement comme pour le patient 49,

qui a intégré les explications de son médecin sur le soulagement de la souffrance

psychologique par la méthadone. Les patients viennent voir un médecin, et dans cette

démarche, ils ont aussi besoin que le médecin les aide par son savoir sur les effets, les

posologies, les modes d’administration et les bénéfices du traitement à envisager.

43 Par effet de premier passage hépatique important, cf. première partie paragraphe 2-2-2.

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3-2. Un va-et-vient à accepter entre les différents secteurs : itinéraire thérapeutique, discourscommun et ambivalence partagée

La question de l’itinéraire thérapeutique rejoint celle d’un savoir et d’expériences

acquises dans le secteur populaire, à partir desquelles le patient décide ou non de s’adresser au

secteur professionnel (Kleinman 1980). Dans la section 5 de l’EMIC, consacrée aux TSO,

37,6% des patients ont pris pour la première fois de la BHD soit donnée par un proche, soit

achetée dans la rue, et 27,5% ont eu cet itinéraire pour la méthadone. Cela rejoint les

pourcentages obtenus dans la partie de l’EMIC consacré à l’itinéraire thérapeutique, où 30%

des patients (sur les 70 patients ayant terminés leur entretien) ont déclaré avoir pris de la

méthadone ou de la BHD pour se soigner sans avoir recours au secteur professionnel. Dans

l’enquête AIDES-INSERM (2001), 90% des répondants déclaraient avoir eu une

consommation de produits hors prescription du traitement actuel, dont un tiers disait l’avoir

consommé régulièrement avant de se le faire prescrire par un médecin. Dans notre étude,

plusieurs patients expliquent ce schéma pour la BHD comme pour la méthadone. Le patient

19 décrit par exemple son expérience avec la BHD, qu’il découvre avec un proche, cherchant

un produit qui le « défonce », mais il a finalement « passé une journée sans penser à la came

(…) sans être malade » ; le reste de son parcours s’inscrira dans une démarche thérapeutique.

Comme nous l’avons évoqué pour l’auto-subtitution, les soignants doivent tenir

compte de ces expériences et du savoir du secteur populaire, qui ne sont pas forcément en

contradiction avec les objectifs thérapeutiques du secteur professionnel (Hunt et al. 1984,

Koestler et al. 1999). Le parcours entre les différents secteurs de soins ne va cependant pas

toujours dans le sens de la thérapeutique : les TSO, prescrits ou non, peuvent être utilisés à

usage de « défonce », comme pour la patiente 60 qui a injecté et « sniffé » les deux boîtes de

Subutex prescrites par un médecin de ville. Les patients peuvent aussi avoir découvert la BHD

illégalement par hasard, et décider de s’en faire prescrire en fonction des effets ressentis

(Lovell 2001). De même un patient peut avoir une prescription médicale de TSO dont il fait

un usage thérapeutique, dépanné un proche avec une partie de son traitement (AIDES-

INSERM 2001), qui peut lui-même avoir d’autres objectifs que le soin. Il y a donc un va-et-

vient complexe entre les différents secteurs, dont une partie s’intègrent dans un parcours de

soins. Le produit peut devenir médicament et inversement, cette dualité traverse le secteur

professionnel et le secteur populaire.

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Un langage similaire au secteur professionnel et au secteur populaire apparaît par

ailleurs dans les propos des patients. Cela a par exemple été le cas dans nos résultats, lors de

la description des effets par les patients, en particulier pour la méthadone : le cadre de

distribution, où les patients sont plus régulièrement en lien avec les soignants, a semblé

davantage structurer le discours des patients. Les patients peuvent ainsi dans la relation

thérapeutique s’approprier une partie des modèles explicatifs du secteur professionnel selon

Kleinman (1980). Les patients peuvent d’ailleurs se sentir « proche du monde des soignants »

(propos d’un soignant dans l’étude Biadi-Imhof 2006). À ce sujet, nous avons remarqué que

les pratiques de consommation des patients toxicomanes les conduisaient à comparer

fréquemment les traitements et leurs « effets » au sens large : 53,8% des patients de notre

échantillon ayant une expérience des deux TSO ont fait cette comparaison spontanément. À

partir de leur propre savoir et de leur expérience clinique, les médecins ont également cette

attitude pour les médicaments, que se soit dans le quotidien du soin, ou en recherche à travers

le principe des essais comparatifs. Le rapport à la molécule n’est évidemment pas le même,

mais il dénote malgré tout d’un attachement commun au produit et à la recherche de la

« meilleure efficacité », entre le secteur professionnel et certains « experts » du secteur

populaire.

Il y enfin dans les TSO une ambivalence et un paradoxe partagé entre le secteur

populaire et le secteur professionnel (Gold et al. 1988). Il y a « une zone où fusionnent

l’anomalie et la règle, le toléré et le réprouvé » (Lalande et Grelet 2001). Les patients,

lorsqu’ils s’inscrivent dans une démarche thérapeutique, sont conscients de la poursuite d’une

dépendance que les TSO aménagent. Tout un paradoxe réside aussi, nous l’avons vu, dans les

usages détournés et le souvenir des effets de la drogue. Du côté des professionnels, la

substitution, malgré ses bénéfices, n’est jamais non plus considérée comme totalement

satisfaisante, en particulier quand la pratique des usages détournés devient l’ « exception

ordinaire ». Il y a en fait un embarras mutuel autour de la substitution, et il ne semble pouvoir

se résoudre que dans le lien que peut constituer la relation thérapeutique.

3-3. La place de la demande

La demande de soins ne se résume pas à celle de traitement, mais elle y est intimement

liée. Dans la partie de l’EMIC consacrée à l’itinéraire thérapeutique, les patients ont eu ainsi

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tendance à ne citer spontanément que des traitements médicamenteux lorsqu’ils parlaient du

recours aux soins. Ce sont également les médicaments qui sont davantage cités comme

traitement le plus important (BHD 24,6%, autres psychotropes 15,8%, méthadone 10,5%)

(Taïeb 2006).

En ce qui concerne les TSO, la demande est le début d’une rencontre qui est à ce stade

remplie d’incertitude (Biadi-Imhof 2006). S’agit-il d’une demande de « produit » ? Dans ce

cas elle peut aussi bien relever, comme nous l’avons vu, d’une stratégie de « défonce » ou de

réduction des risques. La demande peut se faire parfois dans la violence ou l’urgence, que ce

soit celle du manque ou de tout autre symptôme. La situation d’urgence peut déboucher sur le

début d’une relation de soins, mais il y a avant tout une souffrance à résoudre et rien ne sera

possible tant qu’elle ne sera pas soulagée (Carpentier 1996).

La demande de traitement peut également être une obligation de la société, comme

dans le cas d’une injonction thérapeutique ou d’une obligation de soins. Le patient peut alors

s’approprier cette demande mais il peut aussi rester peu accessible. Les patients toxicomanes

peuvent en outre accéder au cabinet médical avec une demande de médicament pour se voir

« autorisés » à être malades (Carpentier 1994, Domic 2000). Venir voir le médecin et

continuer de recevoir des médicaments peut être un souhait de rester dans la maladie, le

patient obtient de cette manière un soin de la toxicomanie (Domic 2000). Dans ce sens, la

demande peut exprimer un désir de gestion de la dépendance et être un aspect d’une conduite

de maîtrise et de rationalisation (Jeammet 1997a).

La demande de médicaments est donc complexe. Elle peut revêtir plusieurs aspects à

la fois et ne se réduit pas forcément à son expression manifeste. Certains aspects incertains

d’une première demande peuvent également évoluer dans la relation de soins. Aussi confuse

soit-elle la demande de traitement semble donc difficile à ne pas prendre en compte. Elle est

la recherche d’une issue à des excès devenus insupportables (Carpentier 1997), même si la

façon dont cette issue est envisagée par le patient est parfois difficilement cautionnable. La

demande du patient nous replace d’ailleurs dans notre rôle de médecin, envisageant la santé

individuelle du patient avant la logique du contrôle et la garantie de la santé publique. Il s’agit

en effet de faire ce que nous avons appris en premier lieu : ordonner un traitement et faire une

prescription (Domic 2000). C’est aussi, pour l’usager de drogue qui souhaite devenir un

patient, accepter autrui et sa possible influence, « c’est pouvoir échangé sans se sentir

possédé » (Jeammet 1997a)

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3-4. Négociation, prescription et ordonnance

Pignarre (2000) fait référence à Dagognet pour rappeler l’origine du mot

ordonnance : « Ordonnance -ordonner, l’ordre- est d’abord un terme juridique ou

administratif : il signifie la promulgation des décisions qui font force de loi. L’autorité

s’exerce à travers elle, par elle. Parallèlement, la prescription détaille ce qu’il faut faire : ce

qui est prescrit est fixé, quasiment imposé. Praescribere se traduit par ce qui est écrit en tête,

ce qui est mis en avant, le prioritaire, l’instruction. Praescripta dare signifie donner des

ordres ; Praescripta servare les exécuter. L’écriture -commune aux deux opérations

(l’ordonnance et la prescription)- accuse le côté coercitif de l’opération. Non seulement elle

précise mais du fait de la conservation-persévération de la matérialisation programmatique,

elle oblige, elle commande ». La relation thérapeutique est une négociation et l’ordonnance et

la prescription la clôture dans l’espace du cabinet médical. Même, si l’ordre peut se

contourner, se discuter ou se refuser, comme l’a rappelé Fainzang (2001, p. 121) ce qui est

écrit est important. C’est un des enjeux principaux de la négociation.

3-4-1. L’espace de négociation

En matière de toxicomanie, cet espace se situe à plusieurs niveaux. C’est par exemple

la tolérance contrainte des soignants vis-à-vis des usages détournés : il s’agit de définir ce qui

est acceptable et ce qui ne l’est pas. Dans la perspective de prescription d’un traitement, la

négociation est plus concise : patients et médecins vont discuter de ce qui va être écrit et

« ordonné ». De ce point de vue, la dose prescrite est assez représentative de ce que les

patients s’attachent à débattre et à argumenter dans le traitement médicamenteux.

Plusieurs paramètres interviennent de part et d’autre dans cet échange. Les patients

peuvent parfois chercher à augmenter les doses dans une recherche d’« efficacité » du produit

comme le patient 65, avec l’ambivalence que contient ce terme. Le vocabulaire de quantité

employé pour la drogue peut ainsi apparaître lorsqu’il s’agit des TSO. La gestion des doses

est aussi une attention portée aux effets secondaires, cela peut aller dans le sens d’un

médicament « trop fort », ou bien « pas assez fort » : « 5 mg, ça peut jouer sur votre corps »

(patiente 85, parlant de la méthadone). Les patients toxicomanes ne sont d’ailleurs pas les

seuls à faire ce lien entre la dose et les effets secondaires ressentis. Comme l’a décrit Fainzang

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(2001, p 48) : les patients ont, de façon générale, tendance à augmenter ou diminuer les doses

de médicaments (psychotropes ou non) en fonction des effets ressentis, avec ou sans l’aval du

médecin. Dans notre étude, le patient 22 décrivait ainsi son inhibition affective à une dose de

méthadone qu’il jugeait trop forte, d’où l’importance de « la bonne dose ».

Le patient 19 a « géré » l’état de tristesse qu’il ressentait avec 8 mg de BHD par

fractionnement des doses. Cette pratique est en contradiction avec la norme habituellement

décrite par les médecins : la logique du traitement de la dépendance et les propriétés

pharmacologiques des produits requièrent des fréquences de prise stables et à dose unique.

Néanmoins en pratique clinique, le fractionnement des doses est classique. Ce besoin

correspond pour les patients à la nécessité de solliciter régulièrement un objet extérieur à lui-

même qu’il peut effectivement « gérer » et dominer, plutôt que d’accepter de garder quelque

chose en lui. Le prescripteur ne peut donc pas toujours aller à l’encontre d’une demande de

posologie échelonnée.

Plusieurs patients ont par ailleurs souligné leurs difficultés à trouver la posologie

satisfaisante : c’est à la fois l’attention aux effets ressentis d’un traitement lourd et

l’apprentissage d’une discipline qui est le plus souvent absente des conduites

toxicomaniaques. Pour le médecin, le bien-être du patient est primordial et la posologie est à

adapter au patient, mais il s’agit aussi, au travers de la définition « ordonnée » de la dose, de

faire accepter au patient qu’il cède au moins une partie du contrôle de la situation au médecin

(Lalande et Grelet 2001).

Lorsque la dose prescrite est jugée adaptée par les patients, c’est une satisfaction, elle

est précisée par les patients dans leur récit. Il y a cependant chez le patient à travers cette

négociation sur la dose une véritable quête « de la dose miracle » qui le guérira de ses

symptômes. En s’attachant à traiter les conduites symptomatiques, la substitution entretient

ainsi en partie l’attitude toxicomaniaque. C’est cependant probablement une nécessité dans les

premiers temps de la relation thérapeutique (Jeammet 1997a, La Ferrrand 1999).

3-4-2. Prescription et ordonnance

D’une certaine façon, en prescrivant, le médecin décharge le patient de la

responsabilité du produit en reprenant à son compte la fonction de la conduite dans son

économie psychique (Jeammet 1997a). Dans notre échantillon, les patients qui avaient obtenu

la première fois un TSO sur prescription d’un médecin (57,6% pour la BHD et 67,5% de la

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méthadone), sont ceux qui ont le moins décrit la façon dont s’est déroulée cette première

expérience, à l’inverse ceux qui ont été fournis par un proche ont donné beaucoup de détails,

donnant parfois l’impression d’une justification. Lorsque le médecin intervient, il ne s’agit

plus seulement de se faire dépanner en « produit » : le patient qui se voit ordonner un

médicament se fait reconnaître comme malade.

Les médecins sont les seuls soignants dotés du « pouvoir » de prescription44, et cela est

reconnu par les patients. Il y quelque chose de sacré dans l’ordonnance : l’écrit fait œuvre

d’autorité, mais les formules consignées sur le papier sont aussi le fruit d’un savoir qui a

commencé à s’enseigner dans l’Antiquité (Fainzang 2001, p29). L’écriture des médecins,

volontiers illisible, renforce aussi un aspect sacré et magique (Ibid, p30). La signification de

l’ordonnance se décline aussi dans sa conservation : bien que les patients ne gardent pas tous

leurs ordonnances, elles font partie pour certains, en particulier pour les migrants, « des

papiers importants », où il y a la marque d’une autorité et la reconnaissance d’un statut45.

Lorsque le traitement est obtenu dans la rue, ces aspects disparaissent et le patient n’est plus

« protégé » par la prescription. C’est ce qu’a très bien rapporté le patient 175 : tout se passe

bien si la prescription du médecin est suivie « bien à la lettre », et dans le cas contraire « on

peut tomber en manque ». Pour les patients toxicomanes, cet aspect de protection est aussi

valable du point de vue de la loi : en cas de contrôle, la présentation de l’ordonnance justifie

la possession de stupéfiants (ou considérés comme tel pour la BHD).

Le respect des écrits des médecins ne signifie pas pour autant une soumission à la

prescription (Ibid, p122) : le patient peut accepter la prescription et décider de ne pas la

suivre, en le disant ou non au médecin. La relation entretenue entre le patient et le médecin a

ici aussi sa place. Fainzang rapporte à ce sujet les résultats d’une étude sur l’observance

menée par Svarstad : plus d’un patient sur deux suit correctement le traitement qui lui a été

prescrit quand il en a reçu des informations précises de la part de son médecin, alors que

moins d’un patient sur trois agit de même alors qu’il n’a pas ou peu reçu de recommandations

sur ce traitement (Ibid, p32). Le suivi ou le non-suivi de la prescription fait donc aussi partie

du dialogue entre le médecin et son patient.

44 Les infirmiers ont très récemment obtenu par décret une possibilité de prescription, mais celle-ci reste très limitée,notamment aux matériels nécessaires pour des soins quotidiens à domicile (par exemple dans le cas de pansements d’escarre).45 C’est à juste titre que les patients migrants conservent leurs ordonnances, parfois très anciennes, avec grand soin. Ellespeuvent en effet être des preuves vis-à-vis des institutions (présence en France, droit au séjour pour raisons médicales, etc.)

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196

3-5. Pratiques et cadre

Plusieurs patients de notre échantillon ont évoqué la prise en charge entourant la

méthadone ou la BHD à travers leurs représentations des produits. Pour la BHD, 4 patients

percevaient que la prescription directe par le médecin généraliste comme un avantage. Le

patient 189 a particulièrement souligné l’importance de la relation triangulaire médecin-

patient-pharmacien. D’autres patients se sont montrés attachés au cadre de suivi de la

méthadone : « On a la sensation d’être suivi par un médecin, on ne se sent pas toxico »

(patient 87). Le patient 61 a rappelé l’importance de l’aide psychologique apportée par les

soignants. Les patients 175 et 105 ont insisté sur les différences de pratique qui avaient

entouré leur expérience de la BHD par rapport à celle de la méthadone : le patient 105 avait

ainsi jugé le suivi du Subutex de « laxiste » et le patient 175 n’avait pas trouvé avec la BHD

le cadre de prescription médicale dans lequel il s’est intégré pour la méthadone. Rappelons

que dans notre étude, tous les patients sont en lien, plus ou moins étroit, avec le CSST de

l’hôpital Avicenne ou avec l’hôpital lui-même. Cela a pu influencer certaines réponses par

rapport au suivi.

En France, l’analyse des pratiques et du cadre de distribution des TSO du point de vue

des patients commence à se développer à travers les quelques études recueillant les opinions

des patients toxicomanes sur les traitements (Bouhnik et al. 1999, Lalande et Grelet 2001,

AIDES-INSERM 2001, Guichard et al. 2006). Mais c’est surtout, comme nous l’avons vu en

première partie de ce travail46, là où la pratique de la substitution (méthadone presque

exclusivement) est plus ancienne que ces questions ont été amplement débattues, en

particulier aux États-Unis. Plusieurs évaluations ont ainsi eu lieu outre-Atlantique dans les

années 80-90, afin de définir l’impact de la prise en charge dans les succès et les échecs du

traitement par méthadone. Coppel (2004) cite à ce sujet l’importante étude mené par Ball et

Ross en 1991 : en comparant six programmes pendant quatre ans, cette recherche a démontré

que les pratiques cliniques déterminent les résultats, plus que les profils des patients et leur

motivation. Plusieurs facteurs, qui ont influencé le développement international de la

méthadone, ont été associés aux bons résultats : posologie élevée (bien que cela soit débattu

actuellement), durée de traitement, mais aussi modalités individuelles de distribution,

counselling47, offre de services médicaux, sociaux, psychiatriques et psychothérapies. Cette

46 Cf. paragraphe 5-2.47 Le counselling regroupe un ensemble de pratiques de « conseils », notamment en terme de prévention. Il peut faireintervenir des intervenants divers comme par exemple, en toxicomanie, d’anciens usagers de drogue.

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197

recherche appuie donc sur la nécessité d’adapter les pratiques aux besoins des usagers. Les

succès de la plus courte histoire de substitution en France, notamment en terme de santé

publique, ne sont pas à éloigner du fait que la délivrance de TSO, avec la diffusion de la

BHD, s’est majoritairement déroulée à partir d’une médecine de ville où la prise en charge est

par définition individuelle (Coppel 2004).

3-5-1. Cadre de délivrance et de suivi en France

La mission des CSST est d’assurer une prise en charge médico-psycho-sociale et une

prise en charge sociale et éducative qui comprend l’aide à l’insertion ou à la réinsertion. Les

CSST réalisent la plus grande partie de la primo-prescription de méthadone, qui se déroule

dans un cadre plus strict que celle de la BHD : enregistrement obligatoire, venue quotidienne,

contrôle visuel de la prise de médicaments et prélèvements urinaires. Le relais en ville se fait

selon les recommandations de « stabilisation »48 , dont l’interprétation est laissée à

l’appréciation des professionnels (OFDT 2003), ce qui peut entraîner des disparités entre les

centres. Barrau et al. (2001) ont comparé les profils des patients sous méthadone et sous

BHD : les patients sous méthadone sont plus âgés, généralement dans une meilleure situation

économique et les mésusages sont moins fréquents. En ce qui concerne la BHD prescrite dans

les CSST, ces auteurs ont montré que pour les patients inscrits dans un protocole

thérapeutique, les profils de consommation ressemblaient à ceux des patients sous méthadone.

En 2005, parmi les personnes en contact avec des structures de soins spécialisées, l’usage de

la BHD s’est inscrit dans plus de 94% des cas dans le cadre d’un protocole médical (+3% par

rapport à 2004) (OFDT 2007). Les CSST permettent aux patients de bénéficier d’un cadre de

prise en charge globale, où des intervenants divers sont présents dans le même espace

géographique, mais dans le même temps les patients doivent être capables d’accepter

certaines contraintes de la prise en charge. Ces particularités influencent à la fois l’évolution

des conduites des patients et le profil de la file active dans les centres spécialisés (Barrau et al.

2001, Guichard et al. 2003).

En ce qui concerne la médecine libérale, les habitudes et les expériences peuvent être

très variées. Les pratiques en matière de substitution peuvent aller de la prise en charge d’un

48 Cf première partie, paragraphe 2-2-6.

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patient toxicomane avec comme seuls intervenants le « binôme minimum » médecin-

pharmacien, à une pratique éprouvée en réseau. Cela se fait ressentir à travers la flexibilité du

système français pour la BHD : le patient a le choix du praticien, du pharmacien, des horaires

de consultation et de prise dès la primo-prescription. Certains patients, comme le patient 189

de notre étude, peuvent parfaitement s’intégrer dans cette prise en charge avec des objectifs

thérapeutiques. Le patient 198 a souligné l’avantage que constitue pour lui la prescription du

Subutex par le médecin généraliste qui lui « évite de perdre du temps inutilement », la règle

des 28 jours lui permet aussi d’être « tranquille tout le mois ». Ces aspects pratiques sont

importants : ils correspondent à la possibilité d’adapter au mieux le traitement au quotidien du

patient. Prendre un traitement de substitution n’est en effet pas synonyme d’inactivité et de

passivité. Beaucoup de patients ont des horaires, un travail ou des enfants à aller chercher à

l’école. La gestion du quotidien avec le traitement un élément à prendre en compte dans

l’évolution possible des règles de prescription et de délivrance de la BHD vers davantage de

contrôle, toujours en débat actuellement au sujet du passage de la BHD de la liste I à la liste

des stupéfiants.

Sous d’autres aspects, les conditions de délivrance de la BHD, davantage que celle de

la méthadone, facilitent pour certains patients le recours aux mésusages. La disponibilité quasi

sans limite du médicament rend alors plus difficile, pour les patients comme pour les

médecins, la gestion du produit (Guichard et al. 2006). L’accès plus facile et la plus grande

flexibilité du cadre peuvent ainsi conduire un nombre plus important de patients instables vers

les cabinets de médecine de ville que vers les centres spécialisés (Barrau et al 2001, Guichard

et al 2003).

La diversité des pratiques de substitution aux opiacés a aussi été particulièrement

soulignée par les auteurs qui se sont intéressés au point de vue des usagers de drogues en

prison, en France (Bounhik et al. 1999, Michel et Maguet 2003), comme à l’étranger (Hughes

2000, Royaume-Uni). Si la substitution se développe, les pratiques des professionnels varient

d’une prison à l’autre et parfois même à l’intérieur d’un même établissement, tant en matière

de produits prescrits, que de distribution, de prise en charge globale et d’indication. Cela

entraîne, d’après les auteurs, un manque de lisibilité des pratiques pour les détenus et

contribue dans certains cas à une plus mauvaise opinion des TSO. Les usagers soulignent, en

matière de TSO, des tensions et des logiques identiques à l’extérieur et à l’intérieur de la

prison. À ceci près, que lorsque la prise en charge n’est pas satisfaisante pour un patient

toxicomane en prison, les alternatives au sein d’un même établissement sont peu nombreuses.

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3-5-2. Place et particularité de la médecine générale

En matière de substitution, la médecine générale peut se pratiquer dans les différentes

structures, du cabinet de ville au CSST, en passant par l’hôpital, la prison, ou les structures de

première ligne. L’engagement des « pionniers » est probablement moins développé qu’aux

premières heures de la substitution, ce qui dénote aussi d’une plus grande banalisation des

TSO et d’un accès aux soins plus large. Si les réseaux sont moins actifs, ils restent une donnée

importante en matière de soin de la toxicomanie. À ce propos, De Ducla et al. (2000) ont

réalisé une étude rétrospective qui a témoigné que la prise en charge des patients toxicomanes

traités par BHD, en médecine ambulatoire, par des médecins généralistes exerçant en réseaux,

aide à fidéliser les patients, à traiter les co-morbidités associées et à favoriser la réinsertion

sociale. En Suisse, ces pratiques collectives sont anciennes et éprouvées en matière de

substitution, notamment pour la méthadone, avec une primo-prescription possible en

médecine de ville ; les rencontres entre les soignants d’un réseau de soins sont régulières, par

exemple sous un mode de discussion type « groupe Balint » (Conne et al. 1996). La pratique

de la substitution en contact avec des professionnels différents, n’est cependant pas, comme

nous l’avons évoqué précédemment, une règle générale pour les médecins généralistes en

France, mais elle permet à notre sens au médecin généraliste de prendre sa place « en

complémentarité avec les intervenants indispensables à cette prise en charge, dans le cadre

d’un accompagnement au long cours qui se doit d’être tant médical, psychologique que

social » (Lhomme49 2005).

La médecine générale a la particularité d’être à la fois une médecine d’écoute et des

corps, dont l’accès est souvent, en France, le premier recours au soin. Les patients

toxicomanes peuvent ainsi d’adresser aux médecins généralistes pour un soin somatique ou un

bilan de santé, ce qui peut être parfois l’amorce d’une demande de substitution (Lalande et

Grelet 2001). Les usagers se tournent aussi vers leur médecin traitant (généraliste le plus

souvent) pour un TSO, parce que c’est « leur médecin », d’où l’intérêt d’avoir développé une

relation de confiance suffisante pour que cette demande puisse exister. Dans la partie de

l’EMIC consacrée à l’itinéraire thérapeutique (section 4), le premier recours au soin rapporté

par les patients est le plus souvent le généraliste.

49 Jean-Pierre Lhomme est médecin généraliste libéral et attaché au Centre médical Marmottan. Il est l’un des instigateursdu bus Méthadone et du programme d’échange de seringues de Médecins du Monde (maintenant Gaïa Paris).

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Au sujet des psychotropes, Sylvie Fainzang (2001) rapporte le résultat de plusieurs

études qui ont montré que la prescription des psychotropes était majoritairement assurée par

les médecins généralistes (entre 74 et 80% selon les études). À travers les comportements des

patients avec ces médicaments, elle observe que les psychotropes sont, de façon générale,

mieux acceptés par les patients, lorsqu’ils sont prescrits par les généralistes que par les

psychiatres. Si cela à probablement à voir avec les représentations des psychotropes qui

peuvent être liées à celle de la psychiatrie (qui reste inquiétante et ne pourrait concerner que

« les fous », et par là l’altérité), Fainzang souligne aussi que la place des représentations du

corps, notamment des « nerfs », est importante dans cette acception. Le corps, pour les

patients toxicomanes, est souvent affecté par les conduites, ce qui renforce l’idée d’un soin

« global » de la toxicomanie, dans lequel le médecin généraliste peut, pour certains patients,

bénéficier d’une confiance particulière.

3-5-3. Psychanalyse et substitution

Cette conception, développée en particulier par Jeammet (1997a), nous a semblé

intéressante car elle participe à placer les traitements de substitution dans un projet de soin,

qui, tout en reconnaissant leur aspect pragmatique essentiel, développe l’importance de la

relation, de la demande du patient aux propositions thérapeutiques. Pour Jeammet, la

substitution a ainsi pris acte de la sévérité de la situation de dépendance des toxicomanes. Les

TSO sont en fait des outils, et ils ne sont pas là pour résoudre en eux-mêmes le problème de la

toxicomanie. Comme nous l’avons développé à plusieurs reprises dans ce travail, les

« effets » des médicaments dépendent largement de l’intention portée par le patient comme

par le prescripteur. Et cela, avec toutes les ambiguïtés et ambivalences contenues dans les

TSO. Il s’agit d’accepter en partie le langage des conduites toxicomaniaques, qui peuvent être

décrites comme « la recherche d’un apport externe dont le sujet a besoin pour son équilibre et

qu’il ne peut trouver au niveau de ses ressources internes » (Jeammet 2000). Ces conduites

sont à la fois « une affirmation de soi et une sauvegarde d’une identité menacée », en même

temps qu’une « destruction dont on ne sait plus si la violence et la rage qui y conduisent

s’adressent plus au sujet lui-même ou à ses objets d’attachement » ; elles représentent alors

une nécessité quasi vitale pour le patient (Jeammet 1997a). En ce sens les TSO représentent

une alternative susceptible d’intéresser les patients toxicomanes. La prescription médicale, de

son côté, réaffirme l’importance du symptôme et l’accepte. La substitution permet dans cette

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perspective, la possibilité d’une rencontre. C’est une médiation privilégiée où les soignants

ont à accepter la toxicomanie « telle quelle est », à partir et au-delà de laquelle les soignants

peuvent tenter de « réintroduire du sens et du relationnel là où le patient fonctionne dans le

clivage, la désobjectivation et la recherche de sensation » (Jeammet 1997a). Pour Jeammet

rien n’exclue dans cette rencontre, l’éventualité d’une démarche de type psychanalytique,

même si un aménagement du cadre est parfois nécessaire (par exemple, pluralité des

thérapeutes, rendant entre autres plus tolérable leur investissement).

Les TSO permettent finalement le contact, mais c’est dans la relation avec le médecin,

le thérapeute, ou plus généralement les soignants que doit se développer le lien.

4- Limites

Ce travail comporte plusieurs limites. En premier lieu, notre échantillon n’est pas

représentatif de l’ensemble de la population toxicomane en France. Les entretiens ont été

menés dans un hôpital public, l’hôpital Avicenne, l’ensemble des patients ayant été recrutés

soit lors d’une hospitalisation en liaison avec l’ÉCIMUD, soit lors d’un suivi ambulatoire au

CSST. Cet hôpital est situé dans un département donné de la région parisienne, celui de la

Seine-Saint-Denis. Le mode de recrutement ne concerne donc ni la totalité du territoire, ni

l’ensemble des lieux de prescription des TSO, même si plusieurs patients les ont évoqués, en

particulier pour la médecine générale de ville. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une étude avec des

sujets hors des circuits de soins. Cependant plusieurs résultats se sont avérés comparables

avec d’autres études ayant un mode de recrutement plus large, en particulier l’étude AIDES-

INSERM (2001). La durée de la passation de l’entretien initial (4 à 5 heures en moyenne),

comprenant l’EMIC, n’a par ailleurs pas permis d’inclure, comme cela était prévu

initialement, tous les patients consécutifs rencontrés via l’ÉCIMUD ou au CSST et qui

répondaient aux critères d’inclusion. La recherche n’a ainsi pas pu être proposée à des patients

vus une seule fois, aux urgences en particulier, ou à des patients présentant des symptômes

psychiatriques trop aigus. Le nombre de patients inclus ayant terminé leur entretien initial,

reste tout de même conséquent (70 patients et 67 patients pour les patients ayant pris au moins

une fois soit de la méthadone soit de la BHD). L’EMIC est un entretien de recherche dont la

passation est longue, mais c’est à ce prix qu’il est possible de recueillir véritablement le point

de vue des patients, et pas seulement celui des professionnels (Weiss 2001).

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Une autre limite concerne l’objet de la recherche, visant à percevoir les attitudes des

patients vis-à-vis des médicaments. Comme le rappelle Fainzang, les études s’attachant à

évaluer la consommation médicale sont difficiles à réaliser. Le sujet peut en effet avoir

tendance à formuler des réponses, même si elles sont sincères, conforme aux modèles

véhiculés dans la société et dans sa culture. De la même façon, ces réponses peuvent être

orientées par ce que les personnes interrogées pensent percevoir des « attentes de

l’interlocuteur » (Fainzang 2001, p 42). Sur ce dernier point, le fait que les entretiens aient été

menés par l’équipe en charge du soin aux patients toxicomanes de l’hôpital, a a fortiori pu

influencer certaines réponses (Rosenblum et al. 1991). Dans le même temps, il est illusoire

d’imaginer un espace de soins non infiltré par les représentations des professionnels. Dans

notre étude, le passateur n’était pas directement impliqué dans la prescription du traitement, il

s’agit néanmoins du même groupe de soignants et les patients ne s’y trompent pas. Cet aspect

a pu être important dans les positions prises par certains patients pour les différences entre les

TSO, particulièrement s’ils sont suivis depuis longtemps sur l’hôpital : les patients interrogés

se sont en effet révélés assez majoritairement en faveur de la méthadone, qui bénéficie

généralement d’un meilleur crédit chez les soignants.

La forte composante qualitative de notre étude ne permet pas toujours de décrire avec

précision les caractéristiques globales de l’échantillon. Cela a par exemple été le cas pour

l’analyse des usages détournés : il n’a pas toujours été facile de savoir si les patients

persistaient toujours dans une conduite ou s’ils l’avaient véritablement abandonnée. Les

résultats obtenus sont malgré tout comparables aux statistiques provenant d’autres travaux sur

le sujet. C’est aussi l’occasion de rappeler la perspective émique délibérément adopté pour

l’ensemble la recherche : il s’agissait d’envisager les représentations des patients et nous

n’avons pas cherché à confirmer ou à infirmer la réalité du discours recueilli par l’EMIC par

l’analyse du dossier médical, un examen physique, les propos d’un tiers ou des contrôles

biologiques (Taïeb 2006).

Notre travail a enfin été influencé par notre propre modèle explicatif. En ce sens que

nos connaissances et notre pratique clinique ont influé sur la lecture comme sur

l’interprétation des résultats. Dans le champ des addictions, notre expérience est celle de la

médecine générale de ville et des structures de première ligne. Elle a pu être aussi, lors de

notre formation, celle de la prise en charge somatique de patients toxicomanes dans les

services hospitaliers. Cette expérience est encore récente et les professionnels comme les

patients rencontrés dans notre parcours, ont contribué à définir notre conception actuelle du

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soin de la toxicomanie. Nous avons également été sensible à l’historique de la mise en place

de la substitution en France, où le militantisme de certains soignants et usagers a pu faire

évoluer les pratiques. Notre exercice actuel, orienté vers la prise en charge médico-psycho-

sociale des migrants en situation précaire, comporte par ailleurs plusieurs points communs

avec cette façon de faire de la médecine où la clinique se mêle à un engagement nécessaire

face à la réalité de la situation des patients. Nous assumons cet engagement, mais dans le

même temps nous reconnaissons la part de subjectivité qu’il entraîne dans notre réflexion.

5- Perspectives

Sur le plan de la recherche, nous avons montré la perspective offerte par l’EMIC d’une

meilleure connaissance des représentations des patients vis-à-vis des traitements. Ces

représentations ont un impact dans l’alliance thérapeutique. Nous avons utilisé l’EMIC pour

les TSO, cet instrument pourrait également servir à mieux évaluer le point de vue des patients

pour d’autres médicaments prescrits dans le cadre des prises en charge chroniques, où

l’adhésion au traitement du patient est indispensable sur le long terme. En l’adaptant à la

maladie étudiée, aux objectifs de la recherche et aux populations rencontrées, comme l’a

recommandé Weiss (1997 et 2001), l’EMIC pourrait ainsi servir de base méthodologique pour

envisager les opinions des patients sur les traitements pour des pathologies comme le diabète

ou l’infection par le VIH, dans des populations ciblées, comme les migrants par exemple. Il

serait par ailleurs opportun de compléter ce type de travaux par des observations

anthropologiques de terrain au plus près des patients afin de comprendre au mieux les

conduites des personnes avec les médicaments (Fainzang 2001).

Comme nous l’avons rappelé dans les limites de notre étude, le recrutement des

patients était limité à l’hôpital Avicenne. Il serait intéressant d’appliquer la même

méthodologie à un secteur géographique plus large et à des lieux de recrutement impliquant

les cabinets de ville et les structures bas seuil50 . Cela permettrait probablement d’obtenir des

informations intéressantes sur l’itinéraire thérapeutique, en particulier sur les raisons

exprimées par les patients du recours au TSO de rue. Parallèlement, une meilleure

connaissance des représentations des traitements par les patients suivis uniquement en

50 Dans cette perspective, le protocole de la recherche, impliquant des passations d’entretiens structurés longues, seraitprobablement à discuter dans certains lieux de prescription comme les structures de première ligne.

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médecine générale de ville serait éclairante quant aux perspectives thérapeutiques à envisager

pour l’amélioration de la prise en charge des patients toxicomanes, tant en terme de possibilité

de prescription, qu’en terme de pratique.

Enfin, par rapport à notre échantillon, il serait opportun d’exploiter du point de vue du

traitement les données recueillies par l’entretien de suivi réalisé un an après l’entretien initial.

Cela permettrait d’envisager l’évolution possible des représentations des patients pour leur

TSO en fonction de leurs expériences personnelles et de leur perception de la relation

thérapeutique. Un suivi sur un plus long terme de ces patients serait probablement nécessaire

pour être davantage informatif sur les modalités pratiques d’arrêt éventuel de ces traitements

(baisse progressive ou non) et sur les conséquences de ces arrêts sur la dépendance (sortie de

la toxicomanie, rechute, report des consommations sur d’autres substances psychoactives,

etc.).

Sous l’angle de la thérapeutique, le discours des patients a apporté des éléments

notables à prendre en compte dans l’évolution des pratiques de substitution en France. La

perception des risques encourus par les usages détournés de la BHD ainsi que l’impact de ces

conduites ressenti par les patients sur leur quotidien, et une opinion globalement favorable de

la méthadone par les patients, participent à la nécessité d’un accès plus large à ce dernier

produit. Cette question est actuellement très débattue en France. De façon concrète, une étude

coordonnée par l’INSERM et l’ORSPACA51 , est actuellement en projet afin d’évaluer

l’opportunité d’étendre la primo-prescription de méthadone à la médecine de ville (projet

« METHAVILLE »). Ce projet est essentiellement motivé, selon la demande du Ministère de

la Santé, par la politique de réduction des risques, notamment les risques de transmission et de

diffusion du VHC. Ce point de vue de santé publique est évidemment important à prendre en

compte, mais à notre sens, de nouvelles recommandations de prescription ne pourront être

effectives que si elles sont également orientées vers l’amélioration de la santé individuelle du

patient. Et pour cela, l’opinion des patients sur le traitement au sens large doit être considérée

de l’ébauche des projets à la concrétisation de nouvelles perspectives thérapeutiques. La

conférence de consensus de juin 2004 recommandait également la possibilité d’une primo-

prescription de méthadone en ville, « dès lors que l’on en assure la sécurité ». Cette

« sécurité » peut cependant parfois s’avérer plus difficile à atteindre dans les cabinets libéraux

(pratique isolée de certains généralistes, difficulté de systématisation des contrôles urinaires,

51 Observatoire régional de la santé de Provence-Alpes-Côte d’Azur.

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etc.). Cela peut néanmoins être un corollaire de l’évolution nécessaire de la médecine générale

de ville compte tenu de la démographie médicale actuelle et à venir : féminisation de la

profession, diminution du nombre de médecins par habitant, volonté de nombreux jeunes

médecins généralistes de conjuguer un exercice libéral avec une activité salariée en

collaboration avec d’autres professionnels. Dans cette perspective, une pratique plus

collective de la médecine de ville, avec le renouveau des pratiques en réseau ainsi que des

liens plus étroits et plus généralisés avec les CSST, pourrait être intégrée dans l’amélioration

de la prise en charge des patients toxicomanes. Cela irait probablement de paire avec

l’augmentation du nombre de CSST sur le territoire, dont rappelons-le, la répartition souffre

d’une grande disparité géographique. Notre propos n’est pas de conclure sur l’avenir de la

substitution en France, mais nous tenons à souligner le dialogue nécessaire qui doit s’instaurer

sur le sujet entre les soignants, les législateurs et les patients.

Sur le plan de la rencontre thérapeutique, nous avons montré la place importante de la

notion de modèle explicatif dans la perception des TSO par les patients comme par les

soignants. Afin de co-construire la relation, les soignants doivent donc à la fois avoir

conscience de leur propre modèle explicatif, et envisager celui du patient dans sa diversité et

son potentiel évolutif. Pour les TSO, nous avons perçu la dimension du secteur populaire dans

le recours à une substitution de rue. L’expérience des patients dans ce secteur doit être connue

et reconnue du secteur professionnel, afin de mieux appréhender les échecs possibles de la

substitution, dus par exemple à un mauvais usage du produit, mais aussi dans l’acception

d’une démarche thérapeutique qui a pu commencer avant la rencontre avec les soignants et

sur laquelle les thérapeutes peuvent s’appuyer (Koester et al. 1999). L’acquisition de ce

« savoir commun » ne va pas de soi, une confiance doit s’installer et cela prend du temps.

C’est tout l’enjeu de l’établissement d’une alliance thérapeutique solide.

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CONCLUSION

En matière de traitements de substitution aux opiacés, les modèles explicatifs des

patients rencontrent ceux des professionnels dans une hétérogénéité partagée. Du point de vue

du patient, cette hétérogénéité est importante à réaffirmer : les TSO ne font sens que dans le

parcours individuel du patient, au-delà d’un discours commun qui peut parfois se révéler. De

même, la consommation de produit est à interpréter « en ce qu’elle peut être recel de vérité

particulière pour le sujet qui vient nous en parler » (Zafiropoulos, cité par Wojciechowski

2000). La relation thérapeutique permet à la substitution de s’inscrire dans une perspective de

soins. Mais rien n’est joué par avance et les TSO n’éludent ni ne remplacent la relation : ils y

participent. C’est ce qu’ont signifié les patients, dans notre étude comme dans d’autres

travaux, en insistant sur le contexte de délivrance de ces médicaments et sur la prise en charge

qui les entourent. Nous avons montré l’impact des représentations des patients vis-à-vis des

TSO dans les perspectives thérapeutiques. Les soignants doivent être à l’écoute de ces

représentations et ne pas se contenter de leurs propres modèles explicatifs.

L’ambivalence et l’ambiguïté importantes contenues dans ces traitements en fait

encore des médicaments qui ne sont peut-être pas tout à fait comme les autres. Ces

particularités nous interrogent autant que les patients sur notre rapport à la dépendance, au

plaisir et au contrôle social. Ils questionnent aussi de façon très pragmatique notre rapport à la

prescription, à la demande du patient et notre propre définition de ce qui est « normal » et de

ce qui est « pathologique ». N’est-ce pas finalement ce qui est en jeu à chaque fois qu’un

remède, quel qu’il soit, entre dans la relation thérapeutique ? Les effets, dans un sens très

large, de nos médicaments sont remplis de subjectivité et le résultat du traitement entrepris

dépend, comme nous l’avons développé, dans une mesure importante de ce que le

médicament représente pour le patient comme pour le prescripteur.

Nous pouvons augmenter notre savoir sur les traitements, appréhender celui des

patients y participe. Cependant, cela n’aboutira pas à un discours de vérité définitive et

absolue. C’est ce qu’Ogien (1994) a écrit à propos de la recherche : « La recherche sert

probablement à augmenter la connaissance. Mais cette assertion est trop triviale pour signifier

quoique ce soit. Car au fond, la recherche consiste, essentiellement, à tenter de se dégager si

peu que ce soit de nos a priori, à se déprendre de nos conceptions les plus arrêtées, même si

l’effort est coûteux. On peut donc préférer une autre définition : la recherche, c’est connaître

pour douter ».

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ANNEXE : section 5 de L’Explanatory Model Interview Catalogue –Dépendances aux drogues (EMIC-DD) - Version 2

5- Représentations concernant le Subutex et la méthadone

5.1- Subutex

5.1.1- Avez vous déjà pris au moins une fois du Subutex ?Si la réponse est non passez à la question 5.2

5.1.2- Comment décririez-vous les effets du Subutex ?

5.1.3- La première fois où vous avez pris du Subutex, comment l’aviez-vous obtenu ?

Cochez unecase

Sur prescription d’unmédecinDonné par un procheAcheté dans la rue

5.1.4- Vous arrive-t-il :5.1.4.1- D’injecter le Subutex ?

JamaisParfoisSouventToujoursNe ditpas

5.1.4.2- Pour quelles raisons ?

5.1.4.3- De sniffer le Subutex ?

Jamais

Oui Non

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ParfoisSouventToujoursNe ditpas

5.1.4.4- Pour quelles raisons ?

5.1.5- Quel est d’après vous le but du traitement par Subutex ?

5.1.6- Quels sont d’après vous les avantages et les inconvénients du Subutex ?

Avantages Inconvénients

5.2- Méthadone

5.2.1- Avez vous déjà pris au moins une fois de la méthadone ?Si la réponse est non, passer à la partie 6.

5.2.2- Comment décririez-vous les effets de la méthadone ?

5.2.3- La première fois où vous avez pris de la méthadone, comment l’aviez-vousobtenue ?

Cochez unecase

Sur prescription d’unmédecinDonné par un procheAcheté dans la rue

5.2.4- Quel est d’après vous le but du traitement par méthadone ?

5.2.5- Quels sont d’après vous les avantages et les inconvénients de la méthadone ?

Oui Non

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Avantages Inconvénients

5.3- Quelles sont d’après vous les différences entre le Subutex et la méthadone ?

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LES REPRÉSENTATIONS DE LA MÉTHADONE ET DE LA BUPRÉNORPHINE HAUT DOSAGECHEZ LES PATIENTS TOXICOMANES :Du médicament à la relation thérapeutique

RÉSUMÉ

Les traitements de substitution de la dépendance en opiacés (TSO), méthadone et buprénorphine hautdosage (BHD), sont un élément important de la prise en charge des patients toxicomanes. La littérature clinique,pharmacologique et épidémiologique rapporte l’efficacité de ces traitements. En France, plus de 100 000personnes ont expérimenté ces produits, parfois en dehors de tout cadre thérapeutique. Les TSO étant destraitements qui s’inscrivent sur le long terme, une alliance thérapeutique solide est à construire. Il est dès lorsnécessaire de connaître les représentations des patients pour ces médicaments.

Dans cet objectif, ce travail utilise une méthode issue de l’anthropologie médicale reprenant la notion demodèle explicatif (Kleinman). Soixante-sept patients présentant une dépendance actuelle à des drogues selon leDSM-IV, et ayant pris au moins une fois au cours de leur vie soit de la méthadone, soit de la BHD, ont étéévalués à l’hôpital Avicenne en Seine-Saint-Denis, par l’Explanatory Model Interview Catalogue (Weiss). Lesreprésentations des patients vis-à-vis de ces médicaments sont hétérogènes à travers les effets ressentis, lesitinéraires thérapeutiques, les buts recherchés et les différences perçues entre les traitements. Les usagesdétournés, en particulier pour la BHD, ont également été explorés. Ces usages influencent les perceptions despatients pour les différents traitements. En conséquence, il est important de s’intéresser à l’expérience despatients et à leurs pratiques avant toute prescription. La négociation entre les modèles explicatifs des soignants etdes patients est essentielle pour co-construire la relation thérapeutique.

REPRESENTATIONS OF METHADONE HIGH DODAGE BUPRENORPHINE AMONG DRUG-ADDICTED PATIENTS :From medication to therapic relationship

ABSTRACT

Substitution treatments for opiate dependence (TSOs), as well as methadone and high dosagebuprenorphine treatments constitute an important element of the care of drug-addicted patients. The clinical,pharmacological and epidemiological literature on this subject addresses the efficiency of the latter treatments. InFrance, more than 100,000 people have experimented with these products, sometimes outside any therapeuticsetting. TSOs being treatments that are undertaken in the long term, a strong therapeutic relationship is to beestablished. It is therefore necessary that one be familiar with patient representations of these medications.

To this end, this work uses a method that emerged from medical anthropology, applying the notion ofthe explanatory model (Kleinman). Sixty-seven patients presenting a formal drug dependence according toDSM-IV, each having taken either methadone or BHD at least once during the course of his/her lifetime, wereevaluated at the Avicenne Hospital in Seine-Saint-Denis, using the Explanatory Model Interview Catalogue(Weiss). Patient representations of these medications are heterogeneous with respect to experienced effects,therapeutic timelines, sought after goals, and perceived differences among treatments. The multiple misuses ofBHD in particular were also explored. These practices influence the patients’ perceptions for the varioustreatments. Consequently, it is important to take interest in the experience of patients and their practices beforeevery prescription. The negotiation between the explanatory models of caregivers and those of patients isessential for the co-construction of the therapeutic rapport.

MOTS CLÉS

Patients, représentations sociales, toxicomanie, buprénorphine, méthadone, relation personnel médical-patients.

ADRESSE DE L’UFRUniversité de médecine Pierre et Marie Curie, Paris VI15, rue de l’école de médecine75006 Paris