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U ne jeune femme de 19 ans a, le 24 sep- tembre 2005, une rhinopharyngite. Le lendemain, elle développe des signes pul- monaires : dyspnée, toux, frissons. L’histoire clinique Le 26, son médecin traitant suspectant une crise d’asthme lui prescrit des bronchodilatateurs, des corticoïdes inhalés et des antibiotiques. Le lende- main, en l’absence d’amélioration, elle est admise aux urgences puis en pneumologie, où le médecin constate une polypnée (SaO 2 94 %). Elle est apy- rétique (sous antibiotiques), a des sibilants à l’aus- cultation et un syndrome alvéolo-interstitiel bilatéral à la radiographie pulmonaire. Le diagnostic retenu est celui d’une crise d’asthme sur pneumopathie atypique. Un traitement par fluoroquinolone (Tava- nic ® ), Solumédrol ® IV et β 2 -mimétiques inhalés est débuté. Dans la nuit du 27 au 28 septembre survient une détresse respiratoire importante. Sous 9 L/min d’O 2 , sa PaO 2 est à 43 mm Hg. Elle est transférée en réa- nimation, intubée, ventilée. Un LBA (liquide de lavage bronchoalvéolaire) réa- lisé 24 heures après la mise sous antibiotiques montre des stigmates d’hémorragie intra-alvéo- laire. Tous les examens bactériologiques sont négatifs (LBA, ECBU, hémocultures). Une protéi- nurie est retrouvée (1 g/24 h), plutôt interstitielle (gammaglobulines > albumine). Une corticothé- rapie (1 g/24 h) est prescrite. La recherche des ANCA Le 30 septembre une recherche d’anticorps (Ac) anti-cytoplasme de polynucléaires (ANCA) est effectuée devant une suspicion d’hémorragie intra-alvéolaire, et donc d’un éventuel syndrome pneumorénal. La stratégie développée au laboratoire en cas de demande urgente d’ANCA est d’effectuer conjoin- tement la recherche des Ac anti-membrane basale glomérulaire (MBG) par immunofluorescence indirecte (IFI) sur cellules de rein de singe ; les ANCA sont recherchés sur des substrats associant PN fixés et cellules HEp-2 et un dot est effectué pour rechercher les spécificités myéloperoxydase (MPO), protéinase 3 (PR3) et MBG. Diagnostic et traitement La recherche des ANCA est négative par IFI, mais le dot montre une spécificité PR3 positive... Devant ce résultat étonnant, est réalisé un “ANCA profil”, Elisa recherchant les six spécificités : cathepsine G, PR3, MPO, lactoferrine, élastase, BP. Tout est négatif, de même que l’ELISA unitaire anti-PR3. Au final, l’hypothèse retenue, en l’absence d’autres arguments en faveur d’une vascularite, est celle d’une pathologie infectieuse. Quatre jours plus tard, une nouvelle exploration sérologique est effectuée et est totalement négative (même le dot). In fine, une sérologie Legionella montre une séroconversion et confirme l’hypothèse infec- tieuse de pneumopathie atypique. La patiente est traitée par Tavanic ® + Augmentin ® ; les corticoï- des sont arrêtés, elle est extubée et sort quelques jours plus tard. Commentaire Nous savons que, lors d’une forte stimulation B au cours d’une infection, peut survenir une réaction auto-immune. Dans le cas de notre patiente, sont apparus des Ac anti-PR3 de fai- ble titre (1/50 e ) et de spécificité très restreinte puisque ne reconnaissant que des épitopes de la PR3 déposés sur la nitrocellulose du blot et pas dans les PN de nos substrats ni sur les Elisa. Pour que cette réponse puisse disparaître en 7 jours, il faut admettre qu’elle devait être principalement de sous-classe IgG3 (dont la demi-vie est de 7 jours à la différence de celle des autres IgG, de 21 jours). La forte corticothérapie qu’elle a reçue a certainement éteint cette réponse IgG3 polyclonale. Les ANCA sont des marqueurs de vascularite nécrosante, mais peuvent aussi être retrouvés dans d’autres circonstances, notamment infec- tieuses. Dans notre expérience, sur 274 patients avec ANCA positifs, 7 avaient seulement une infection (tuberculose, aspergillose, endocardite, prostatite, pyélonéphrite, parvovirose B19). L’hy- pothèse retenue est que, au cours d’une infec- tion chronique, les PN sont continuellement sti- mulés et relarguent le contenu de leurs granules dans un contexte cytokinique tel que survient une rupture de la tolérance et qu’apparaissent des auto-Ac. Attention à ne pas raisonner de manière trop sim- pliste : ANCA = Wegener = corticothérapie... | CAROLE ÉMILE Biologiste, CH de Montfermeil (93) [email protected] © czardases - Fotolia.com Source Communication d’A. Chevailler, 5 e colloque du Groupe d’étude pour l’auto-immunité (GEAI), juin 2008, Paris. Tous les ANCA ne sont pas des Wegener cas clinique | pratique 19 OptionBio | Lundi 22 février 2010 | n° 431 Chez une jeune femme présentant des signes respiratoires évoluant vers une détresse respiratoire, une recherche d’anticorps (Ac) anti-cytoplasme de polynucléaires (ANCA) est demandée alors que tous les examens bactériologiques sont négatifs. Les ANCA sont des marqueurs de vascularite nécrosante, mais ils peuvent aussi être retrouvés dans d’autres circonstances, notamment infectieuses.

Tous les ANCA ne sont pas des Wegener

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Page 1: Tous les ANCA ne sont pas des Wegener

Une jeune femme de 19 ans a, le 24 sep-tembre 2005, une rhinopharyngite. Le lendemain, elle développe des signes pul-

monaires : dyspnée, toux, frissons.

L’histoire cliniqueLe 26, son médecin traitant suspectant une crise d’asthme lui prescrit des bronchodilatateurs, des corticoïdes inhalés et des antibiotiques. Le lende-main, en l’absence d’amélioration, elle est admise aux urgences puis en pneumologie, où le médecin constate une polypnée (SaO2 94 %). Elle est apy-rétique (sous antibiotiques), a des sibilants à l’aus-cultation et un syndrome alvéolo-interstitiel bilatéral à la radiographie pulmonaire. Le diagnostic retenu est celui d’une crise d’asthme sur pneumopathie atypique. Un traitement par fluoroquinolone (Tava-nic®), Solumédrol® IV et β2-mimétiques inhalés est débuté.Dans la nuit du 27 au 28 septembre survient une détresse respiratoire importante. Sous 9 L/min d’O2, sa PaO2 est à 43 mm Hg. Elle est transférée en réa-nimation, intubée, ventilée.Un LBA (liquide de lavage bronchoalvéolaire) réa-lisé 24 heures après la mise sous antibiotiques montre des stigmates d’hémorragie intra-alvéo-laire. Tous les examens bactériologiques sont négatifs (LBA, ECBU, hémocultures). Une protéi-nurie est retrouvée (1 g/24 h), plutôt interstitielle (gammaglobulines > albumine). Une corticothé-rapie (1 g/24 h) est prescrite.

La recherche des ANCALe 30 septembre une recherche d’anticorps (Ac) anti-cytoplasme de polynucléaires (ANCA) est effectuée devant une suspicion d’hémorragie intra-alvéolaire, et donc d’un éventuel syndrome pneumorénal.La stratégie développée au laboratoire en cas de demande urgente d’ANCA est d’effectuer conjoin-tement la recherche des Ac anti-membrane basale glomérulaire (MBG) par immunofluorescence indirecte (IFI) sur cellules de rein de singe ; les

ANCA sont recherchés sur des substrats associant PN fixés et cellules HEp-2 et un dot est effectué pour rechercher les spécificités myéloperoxydase (MPO), protéinase 3 (PR3) et MBG.

Diagnostic et traitementLa recherche des ANCA est négative par IFI, mais le dot montre une spécificité PR3 positive... Devant ce résultat étonnant, est réalisé un “ANCA profil”, Elisa recherchant les six spécificités : cathepsine G, PR3, MPO, lactoferrine, élastase, BP. Tout est négatif, de même que l’ELISA unitaire anti-PR3.Au final, l’hypothèse retenue, en l’absence d’autres arguments en faveur d’une vascularite, est celle d’une pathologie infectieuse. Quatre jours plus tard, une nouvelle exploration sérologique est effectuée et est totalement négative (même le dot). In fine, une sérologie Legionella montre une séroconversion et confirme l’hypothèse infec-tieuse de pneumopathie atypique. La patiente est traitée par Tavanic® + Augmentin® ; les corticoï-des sont arrêtés, elle est extubée et sort quelques jours plus tard.

CommentaireNous savons que, lors d’une forte stimulation B au cours d’une infection, peut survenir une réaction auto-immune. Dans le cas de notre patiente, sont apparus des Ac anti-PR3 de fai-ble titre (1/50e) et de spécificité très restreinte puisque ne reconnaissant que des épitopes de la PR3 déposés sur la nitrocellulose du blot et pas dans les PN de nos substrats ni sur les Elisa. Pour que cette réponse puisse disparaître en 7 jours, il faut admettre qu’elle devait être principalement de sous-classe IgG3 (dont la demi-vie est de 7 jours à la différence de celle des autres IgG, de 21 jours). La forte corticothérapie qu’elle a reçue a certainement éteint cette réponse IgG3 polyclonale.Les ANCA sont des marqueurs de vascularite nécrosante, mais peuvent aussi être retrouvés dans d’autres circonstances, notamment infec-

tieuses. Dans notre expérience, sur 274 patients avec ANCA positifs, 7 avaient seulement une infection (tuberculose, aspergillose, endocardite, prostatite, pyélonéphrite, parvovirose B19). L’hy-pothèse retenue est que, au cours d’une infec-tion chronique, les PN sont continuellement sti-mulés et relarguent le contenu de leurs granules dans un contexte cytokinique tel que survient une rupture de la tolérance et qu’apparaissent des auto-Ac.Attention à ne pas raisonner de manière trop sim-pliste : ANCA = Wegener = corticothérapie... |

CAROLE ÉMILE

Biologiste, CH de Montfermeil (93)

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SourceCommunication d’A. Chevailler, 5e colloque du Groupe d’étude pour l’auto-immunité (GEAI), juin 2008, Paris.

Tous les ANCA ne sont pas des Wegener

cas clinique | pratique

19OptionBio | Lundi 22 février 2010 | n° 431

Chez une jeune femme présentant des signes respiratoires évoluant vers une détresse respiratoire, une recherche d’anticorps (Ac) anti-cytoplasme de polynucléaires (ANCA) est demandée alors que tous les examens bactériologiques sont négatifs. Les ANCA sont des marqueurs de vascularite nécrosante, mais ils peuvent aussi être retrouvés dans d’autres circonstances, notamment infectieuses.