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représentent 5 000 à 15 000 accidents annuels aux États- Unis (2). Il semble en fait que ces accidents soient deve- nus plus rares au cours des dix dernières années. Il est vrai que les campagnes d’information réalisées dans les années 1980 auprès des industriels et du public, avec DÉFINITION, GÉNÉRALITÉS Les brûlures caustiques du tractus digestif supérieur sont des brûlures chimiques pouvant atteindre tout ou partie du tractus digestif supérieur, de l’oropharynx au duodénum. Leur pronostic a été radicalement modifié au cours de ces quinze dernières années (1), notamment avec les améliorations apportées par l’endoscopie et la nutrition artificielle. Ces affections, dont le pronostic reste redoutable dans les formes sévères, requièrent une coordination étroite entre le gastro-entérologue, le réanimateur et le chirurgien. La prise en charge des malades atteints de brûlures caustiques du tractus digestif supérieur est un exemple typique d’intégration de la nutrition artificielle dans un schéma thérapeutique cohérent. Les brûlures caustiques Brûlures caustiques du tractus digestif supérieur J. di Costanzo CHAPITRE 70 L’essentiel de la question • Les brûlures caustiques du tractus digestif supérieur peuvent revêtir une gravité exceptionnelle. Ce sont des urgences médicochirurgicales vraies qui mettent en jeu le pronostic vital à court terme dans les formes gra- ves. La prise en charge doit être effectuée dans les heures qui suivent l’ingestion. Sont de mauvais pronostic les ingestions massives, volontaires, de produits concentrés. La conduite thérapeutique est basée sur la séquence : – fibroscopie précoce ; – exérèse chirurgicale en urgence des lésions massives transpariétales ; – nutrition artificielle pour les brûlures graves ; – chirurgie réparatrice en phase cicatricielle des lésions séquellaires. • L’absence de lésion ORL ne dispense pas de l’exploration endoscopique du tractus digestif. • Les principaux signes de gravité sont : – un syndrome médiastinal ; – un abdomen chirurgical ; – des signes de choc. • Les lésions endoscopiques doivent être correctement répertoriées par un opérateur entraîné. • Les atteintes transpariétales, qui requièrent une intervention chirurgicale en urgence, doivent être impérati- vement mieux définies en s’aidant aux besoins des techniques récentes d’imagerie médicale. • La nutrition artificielle doit couvrir la période de cicatrisation : – 20 à 30 jours pour les stades II ; – 90 à 120 jours pour les stades III. • La surveillance endoscopique est fondamentale pour apprécier la cicatrisation. Le pronostic vital pouvant être engagé à très court terme, il est fondamental que le malade chez qui on suspecte une ingestion de produit corrosif soit rapidement orienté vers un centre spécialisé où la prise en charge sera optimale. Du bilan endoscopique initial, réalisé le plus tôt possible après l’ingestion, dépendent en effet l’attitude thérapeutique et le pronostic.

Traité de nutrition artificielle de l’adulte || Brûlures caustiques du tractus digestif supérieur

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représentent 5 000 à 15 000 accidents annuels aux États-Unis (2). Il semble en fait que ces accidents soient deve-nus plus rares au cours des dix dernières années. Il estvrai que les campagnes d’information réalisées dans lesannées 1980 auprès des industriels et du public, avec

DÉFINITION, GÉNÉRALITÉSLes brûlures caustiques du tractus digestif supérieursont des brûlures chimiques pouvant atteindre tout oupartie du tractus digestif supérieur, de l’oropharynx auduodénum. Leur pronostic a été radicalement modifiéau cours de ces quinze dernières années (1), notammentavec les améliorations apportées par l’endoscopie et lanutrition artificielle. Ces affections, dont le pronosticreste redoutable dans les formes sévères, requièrent unecoordination étroite entre le gastro-entérologue, leréanimateur et le chirurgien.

La prise en charge des malades atteints de brûlurescaustiques du tractus digestif supérieur est un exempletypique d’intégration de la nutrition artificielle dans unschéma thérapeutique cohérent. Les brûlures caustiques

Brûlures caustiques du tractus digestifsupérieurJ. di Costanzo

CHAPITRE 70

�L’essentiel de la question

• Les brûlures caustiques du tractus digestif supérieur peuvent revêtir une gravité exceptionnelle. Ce sont desurgences médicochirurgicales vraies qui mettent en jeu le pronostic vital à court terme dans les formes gra-ves. La prise en charge doit être effectuée dans les heures qui suivent l’ingestion. Sont de mauvais pronosticles ingestions massives, volontaires, de produits concentrés. La conduite thérapeutique est basée sur laséquence :

– fibroscopie précoce ;– exérèse chirurgicale en urgence des lésions massives transpariétales ;– nutrition artificielle pour les brûlures graves ;– chirurgie réparatrice en phase cicatricielle des lésions séquellaires.

• L’absence de lésion ORL ne dispense pas de l’exploration endoscopique du tractus digestif.• Les principaux signes de gravité sont :

– un syndrome médiastinal ;– un abdomen chirurgical ;– des signes de choc.

• Les lésions endoscopiques doivent être correctement répertoriées par un opérateur entraîné.• Les atteintes transpariétales, qui requièrent une intervention chirurgicale en urgence, doivent être impérati-

vement mieux définies en s’aidant aux besoins des techniques récentes d’imagerie médicale.• La nutrition artificielle doit couvrir la période de cicatrisation :

– 20 à 30 jours pour les stades II ;– 90 à 120 jours pour les stades III.

• La surveillance endoscopique est fondamentale pour apprécier la cicatrisation.

Le pronostic vital pouvant être engagé à très courtterme, il est fondamental que le malade chez quion suspecte une ingestion de produit corrosif soitrapidement orienté vers un centre spécialisé où laprise en charge sera optimale.Du bilan endoscopique initial, réalisé le plus tôtpossible après l’ingestion, dépendent en effetl’attitude thérapeutique et le pronostic.

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� Traité de nutrition artificielle de l’adulte

l’aide des médias, ont été suivies de réels progrès dans leconditionnement des produits corrosifs et d’une sensibi-lisation des utilisateurs. Ce type de pathologie restecependant relativement fréquent en Inde, en Asie et enAfrique. Du fait même de leur relative rareté en France,ces affections sont mal connues et méritent une attentionparticulière car elles demeurent a priori des urgencesabsolues. La mortalité varie de 6 à 50 % selon la gravitéde la brûlure et la qualité de la prise en charge (3).

CIRCONSTANCES DE SURVENUE

� InterrogatoireL’interrogatoire du sujet ou de son entourage, qui pré-cise les circonstances de l’ingestion, est indispensable. Ilest important de réunir le plus rapidement possible lesfacteurs pronostiques :

– nature, concentration et quantité de produit ingéré ;– caractère volontaire ou accidentel de l’ingestion ;– délai entre l’ingestion et l’examen.

AccidentsCe sont les circonstances les plus fréquentes. Ils sontdus, la plupart du temps, à une négligence dans leconditionnement. C’est le mode de brûlure le plus fré-quent chez l’enfant (4, 5).

Tentatives de suicideElles représentent environ 30 % des ingestions et sontsurtout le fait de l’adulte (3). Il s’agit le plus souvent demalades psychiatriques, de personnes âgées et générale-ment de sexe masculin (4). Elles s’accompagnent deslésions les plus graves.

� Produits en causeDe nombreux produits sont susceptibles de produiredes brûlures chimiques du tractus digestif supérieur.

BasesElles sont en cause dans environ 65 % des cas (3). Lasoude et ses dérivés sont des caustiques commercialisés

pour décaper les peintures ou déboucher les canalisa-tions. Le Destop® est le plus puissant d’entre eux ; soningestion volontaire impose généralement une interven-tion chirurgicale dans les plus brefs délais. Les lessives, lapotasse, l’ammoniaque sont le plus souvent utilisées.

AcidesIls sont incriminés dans environ 16 % des cas (3).

L’acide chlorhydrique (ou esprit-de-sel) est un déca-pant et un détartrant ; il est souvent ingéré car d’usageménager courant. L’acide sulfurique (décapant, solu-tions des batteries, herbicide), l’acide nitrique, l’acidefluorique, l’acide phosphorique, l’acide trichloracé-tique, l’acide borique et le mélange sulfochromique sontégalement en cause.

OxydantsL’eau de Javel concentrée est fréquemment utilisée dansles tentatives de suicide. Seul le produit concentré estcorrosif, et uniquement pour la muqueuse gastrique ;l’œsophage n’est jamais atteint. Les autres oxydants sontplus rarement en cause : eau oxygénée, permanganatede potassium, iode et brome.

DiversDivers produits sont également responsables d’atteintesgraves : le formol, qui provoque des lésions souventsévères et retardées, le phénol, les crésols et le chlorurede zinc (liquide de piles).

MODE D’ACTION DES CAUSTIQUESLes caustiques détruisent les tissus par leurs actions chi-miques qui peuvent être de plusieurs types. D’abord, despH extrêmes peuvent détruire les cellules, proportion-nellement à la concentration des solutions en ions H+

ou OH–. Les acides coagulent les protéines ; les bases lesdissolvent, et notamment le collagène ; elles saponifientégalement les lipides et pénètrent profondément dansles tissus. Le pouvoir oxydant de certains produits quilibèrent de l’oxygène natif est source de nécrose. La plu-part des réactions chimiques sont exothermiques, et lachaleur ainsi produite brûle les tissus. Enfin, la dissolu-tion des lipides membranaires favorise la pénétration duproduit dans la cellule et contribue à sa destruction.Outre ces actions corrosives, les produits ingérés peu-vent présenter une toxicité cellulaire propre et détruiredirectement la cellule.

Les ingestions massives, en général volontaires, deproduits concentrés ayant stagné plusieurs heuresvoire des jours dans l’estomac sont de mauvaispronostic.

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Chapitre 70 : Brûlures caustiques du tractus digestif supérieur

� Lésions anatomiqueset tissulaires

L’évolution des brûlures caustiques du tractus digestifsupérieur, comparable à celle des brûlures cutanées, com-porte deux phases : une phase aiguë et très précoce denécrose au cours de laquelle la destruction des tissus et lesperforations viscérales sont parfois létales ; puis survientune phase tardive de cicatrisation pouvant évoluer vers dessténoses et générer des troubles fonctionnels graves (4, 6).

Phase aiguëUn œdème apparaît dès la 8e heure suivant l’ingestion ets’accentue jusqu’à la 24e heure. Une nécrose épithélialede coagulation peut alors apparaître et gagner la sous-muqueuse puis les différentes couches du viscère. Lesnécroses vasculaires expliquent les hémorragies souventcataclysmiques observées au cours de cette période. Lathrombose de nombreux vaisseaux est responsable de laformation de sphacèles et d’ulcérations. Les phénomènesinflammatoires sont très rapidement au premier plan.L’inflammation, caractérisée par une infiltration des tis-sus par des polynucléaires, des mastocytes et des macro-phages, s’étend très rapidement à l’ensemble de la paroi.

Phase cicatricielleUn tissu de granulation se développe au sein de la zoneconcernée, puis est le siège d’une réaction fibroblastique

de réparation qui débute vers le 3e jour. Au 4e jour appa-raît une sécrétion intense de collagène ; maximale au10-12e jour, elle substitue progressivement aux diffé-rents éléments de la paroi une assise épaisse et rigidepour la régénération épithéliale. Ce phénomène, quandil est excessif, peut aboutir à la reconstruction d’un vis-cère rigide parfois uniformément rétréci et tubulaire oubien siège de sténoses serrées uniques ou multiples.

� Lésions associéesCe sont elles qui font également la gravité de l’ingestionde substances caustiques. En cas de nécrose transmu-rale, la brûlure chimique peut s’étendre aux espaces etorganes de voisinage : médiastin, péricarde, trachée,péritoine, côlon, foie, rate, pancréas. La brûlure digestiveelle-même dépasse rarement le deuxième duodénum.

Les lésions bronchopulmonaires par inhalation duproduit corrosif ou de ses vapeurs sont relativement fré-quentes ; dans les formes graves, elles justifient lamesure systématique des gaz du sang et une explorationendoscopique de l’arbre trachéobronchique.

CONDUITE À TENIR DIAGNOSTIQUEEN URGENCEL’attitude thérapeutique après ingestion de produitscaustiques est actuellement bien codifiée (fig. 1). Depuis

Fig. 1 - Stratégie diagnostique et thérapeutique dans les brûlures caustiques du tractus digestif supérieur.

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� Traité de nutrition artificielle de l’adulte

1980, la séquence fibroscopie précoce, nutrition artifi-cielle pour les brûlures graves, exérèse chirurgicale enurgence des lésions massives et chirurgie réparatrice desséquelles en phase cicatricielle a été adoptée par la majo-rité des auteurs (1). La conduite pratique est basée surl’anamnèse. Si le malade est vu très tôt après l’ingestion,généralement à un moment où le retentissement cli-nique est encore minime, ce sont les données de l’inter-rogatoire regroupant les facteurs pronostiques quipermettront d’orienter le traitement. Si le malade est vuplus tardivement, le tableau clinique est en général suf-fisamment éloquent.

Examen clinique généralL’examen clinique systématisé permet d’apprécier rapi-dement la gravité de l’atteinte. Des épigastralgies plusou moins intenses et des vomissements occasionnantparfois des lésions cutanées péribuccales et thoraciquessont fréquents.

Il faut rechercher des signes de gravité : signes dechoc, troubles psychiques (avec angoisse, syndromeconfusionnel, troubles de la conscience), signes abdomi-naux traduisant des lésions transmurales (défense épi-gastrique, syndrome péritonéal, disparition de lasonorité hépatique) et troubles ventilatoires avec dysp-née et hypoxie.

� Explorations complémentairesDes explorations complémentaires sont souvent néces-saires en urgence :

– radiographie de l’abdomen sans préparation à larecherche de signes de perforation viscérale ou d’iléus ;

– radiographie thoracique, gazométrie artérielle (à larecherche d’une hypoxie, d’une acidose métabolique) ;

– échographie abdominale ou tomodensitométrieafin de visualiser une éventuelle collection médiastinaleou péritonéale ;

– écho-endoscopie œsophagienne, récemment pro-posée et destinée à apprécier l’extension pariétale deslésions (7) ;

– explorations biologiques : numération – formulesanguine (recherche d’une anémie ou d’une hyperleu-cocytose) ; bilan de l’hémostase afin de dépister unecoagulopathie de consommation.

L’exploration radiographique ou radiologique avecproduits de contraste n’a pas de place à ce stade.

� Exploration endoscopiqueL’endoscopie a une valeur pronostique et oriente l’atti-tude thérapeutique. C’est le premier volet du triptyquethérapeutique : endoscopie, nutrition artificielle, chi-rurgie.

Il est fondamental de vérifier l’état du tractus diges-tif supérieur le plus tôt possible après l’ingestion carl’examen endoscopique :

– est difficile, voire dangereux en cas de brûluregrave, après la 48e heure ;

– confirme l’atteinte digestive ;– précise l’étendue et l’intensité des lésions ;– permet d’établir rapidement un pronostic et d’in-

dividualiser un groupe de patients à haut risque quidevront être traités de manière plus intensive.

Si l’on n’a pas l’expérience de ce type de pathologie,il ne faut rien faire qui puisse aggraver les lésions(vomissements provoqués, « antidotes », sondesnaso-gastriques, calmants, etc.) ; il ne faut pas pra-tiquer d’endoscopie qui ne serait pas décisionnelle ;mieux vaut dans ces circonstances orienter lemalade au plus tôt vers un centre spécialisé.

L’absence de lésion ORL manifeste ne permet doncpas de se dispenser de l’exploration endoscopiquedu tractus digestif supérieur.

Quoi qu’il en soit, en dehors du tableau clinique alar-mant traduisant des lésions manifestement graves, toutmalade chez qui on suspecte une ingestion de produitcorrosif et vu dans les 48 premières heures doit bénéfi-cier d’une endoscopie digestive.

� Examen clinique

Examen ORLL’examen ORL à la recherche de brûlures buccales, pha-ryngées ou laryngées doit précéder dans tous les cas l’ex-ploration digestive. Il est important de savoir qu’il n’existepas de corrélation directe entre la fréquence et l’intensitédes lésions ORL et celles des lésions sous-jacentes.

En l’absence de brûlure oropharyngée évidente, letractus digestif supérieur est concerné dans 74 % des cas,avec une brûlure grave dans 43 % des cas. Lorsque lepharynx est atteint, il existe une atteinte de l’un ou l’au-tre des segments du tractus digestif supérieur dans 77 %des cas, la brûlure étant sévère dans 54 % des cas (3).

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Chapitre 70 : Brûlures caustiques du tractus digestif supérieur

Cet examen doit être pratiqué par un opérateurentraîné, en centre spécialisé, au besoin en présenced’un chirurgien (8, 9).

Dans les formes sévères, l’endoscopie ne doit êtreentreprise qu’après déchocage et sous surveillancecontinue des paramètres vitaux.

Si l’estomac est plein, il faut en aspirer rapidementle contenu dès l’introduction du fibroscope pour pré-venir toute broncho-inhalation du produit caustique.L’anesthésie locale oropharyngée ou la sédation doi-vent être évitées.

Les lésions étant maximales d’emblée et peu sus-ceptibles d’évoluer, le bilan endoscopique initial est laplupart du temps fiable (sauf dans les ingestions deformol où les lésions peuvent être retardées et oùl’examen doit souvent être répété). La progression dufibroscope doit s’effectuer sous contrôle de la vue ; leproduit corrosif doit être soigneusement aspiré ; toutemanœuvre traumatisante (rétrovision, biopsies) doitêtre évitée. Au terme de cet examen, on dispose géné-ralement d’un bilan lésionnel satisfaisant.

Le siège et l’intensité des brûlures ont initialementété décrits dans une étude préliminaire portant sur94 cas (1, 10) puis précisés ultérieurement au coursd’une étude multicentrique européenne incluant651 cas consécutifs (3). Le siège de la brûlure a été cor-rectement précisé dans la majorité des cas de cetteétude ; elle s’étendait :

– de la région oropharyngée au duodénum dans11 % des cas ;

– de l’œsophage à l’estomac atteints dans leur tota-lité dans 19 % des cas ;

– à l’estomac seul et massivement dans 3 % descas ;

– du pharynx à l’œsophage dans 14 % des cas ;– dans les autres cas, les lésions étaient localisées

soit au niveau du pharynx, soit à une partie de l’œso-phage ou de l’estomac.

Sur l’ensemble des malades, l’estomac était atteintdans près de 65 % des cas (chiffre passant à 79 % aprèsingestion volontaire). Chez l’enfant, l’estomac n’étaitconcerné que dans 22 % des cas.

L’intensité et l’étendue des lésions doivent êtreminutieusement évaluées dans la mesure où ellesconditionnent le pronostic.

Des lésions manifestement graves doivent faireécourter l’examen. Certains produits (formol) indui-sent des lésions retardées (24-48 heures) ; dans ce cas,il ne faut pas hésiter à renouveler l’examen.

En général, les stades I et II sont cliniquement muetsou peu parlants, tandis que les stades III et IV s’accom-pagnent au minimum d’une défense épigastrique, asso-ciée ou non à un syndrome septique ou à unauthentique tableau chirurgical abdominal ou médiasti-nal en cas de perforation. Dans ce cas, l’étude tomoden-sitométrique révèle des lésions caractéristiques(médiastinite, épanchement intrapéritonéal)

COMPLICATIONS

� Phase aiguëLes complications de la phase aiguë, qui apparaissentplus volontiers dans les formes graves, justifient unséjour en unité de soins intensifs pendant les deux àtrois semaines suivant l’ingestion.

Dans 11 % des cas, on retrouve des complicationsrespiratoires. Il s’agit soit d’un œdème glottique, soitde lésions dues à l’inhalation du caustique ou de sondérivé volatil. Ces complications, létales dans 3 % descas, impliquent pour certains une fibroscopie bron-chique systématique après ingestion d’un produitvolatil. Les complications digestives secondaires, pré-sentes dans 10 % des cas, sont le plus souvent deshémorragies massives et plus rarement des perfora-tions viscérales.

Quatre stades lésionnels peuvent être décrits (1)

• Stade I : Inflammation muqueuse

• Stade II : A. Ulcérations, hémorragies peuabondantes

B. Nécrose limitée ou circulaire

• Stade III : Nécrose superficielle étendue àtout un viscère (muqueuse noirâ-tre, parcheminée)

Hémorragies abondantes

• Stade IV : Nécrose transmurale avec perfo-rations :

Stade III endoscopique

Coagulopathie de consomma-tion

Acidose métabolique

954

� Traité de nutrition artificielle de l’adulte

Les principales causes de décès sont les complica-tions de la phase aiguë. Sur l’ensemble des séries analy-sées dans lesquelles la conduite thérapeutique était celledécrite ci-dessus, 6 % des malades sont décédés, ce chif-fre étant de 20 % en cas de brûlure grave. Les principa-les causes des décès ont été des lésions de stade IV dans25 % des cas, des bronchopneumopathies graves et desinfections dans le reste des cas (3).

� Phase cicatricielleLa sténose cicatricielle est la complication la plus fré-quente. Trois des 100 malades opérés en phase cicatri-cielle sont décédés, soit 8 % du nombre total des décès(3). Les complications rapportées pendant la périodepostopératoire ont été essentiellement des hémorragiesdigestives dans 8 % des cas et des sténoses de l’anasto-mose supérieure du transplant colique dans 5 % des cas.

Une greffe néoplasique serait significativement plusfréquente et plus précoce sur les lésions caustiques cica-tricielles que sur les tissus sains ; le délai d’apparition ducancer serait en moyenne de 46 ans après l’ingestion duproduit caustique, mais le traitement chirurgical seraitalors relativement efficace en raison du caractère limitédu processus néoplasique. Une résection des lésions sui-vie d’une chirurgie reconstructrice permettrait de pré-venir cette complication (11).

SURVEILLANCE ENDOSCOPIQUE

L’exploration radiographique avec des produits decontraste hydrosolubles, ou une étude tomodensitomé-trique peuvent être utiles pour préciser l’étendue d’unesténose infranchissable par le fibroscope ou l’état du vis-cère en aval.

NUTRITION ARTIFICIELLEC’est, après l’endoscopie, le deuxième volet du triptyquethérapeutique.

� PrincipeEn raisonnant par analogie avec les brûlures cutanées,on peut penser que les brûlures caustiques les plus gra-ves du tractus digestif supérieur doivent être protégéesdurant la cicatrisation.

La nutrition parentérale totale trouve ici sa parfaitejustification et facilite en outre la cicatrisation en main-tenant l’état nutritionnel.

� ModalitésLes apports quotidiens nécessaires à l’obtention d’unecicatrisation de qualité sont de l’ordre de 30 à 50 kcal et150 à 200 mg d’azote par kg. Il n’existe pas, à l’heureactuelle, d’étude fournissant des données plus précisessur les modalités de la nutrition parentérale totale. Enpériode de cicatrisation, les produits standards du com-merce permettent, le plus souvent, de couvrir lesbesoins. En cas de nutrition parentérale totale prolongée(brûlures stade III), une nutrition parentérale à domi-cile pourrait être envisagée dans certaines conditions.

Il faut signaler la remarquable constance desdélais de cicatrisation des brûlures caustiques dutractus digestif supérieur, quel que soit le produitingéré. Les stades I cicatrisent en 8 à 10 jours, lesstades II en 20 à 30 jours et les stades III en 90 à120 jours.

Ce principe exclut donc, dans les formes graves,toute source de traumatisme facteur d’aggrava-tion telle que l’alimentation orale, les sondesnaso-gastriques et les dilatations préventives.

Deux règles fondamentales– La nutrition parentérale totale ne doit être utili-sée qu’en cas de brûlure sévère.– La nutrition parentérale totale doit être débutéele plus tôt possible.

C’est pour cette raison qu’il ne faudra effectuer uncontrôle endoscopique qu’aux dates présumées de cica-trisation, en fonction du stade initial.

La surveillance endoscopique est fondamentale dansla mesure où elle seule permet d’apprécier le degré decicatrisation de la muqueuse atteinte.

En cas de sténose séquellaire, l’endoscopie permet dedéterminer le moment optimal de l’intervention répara-trice qui ne doit être effectuée qu’en phase cicatricielledûment contrôlée.

Dans les formes les plus graves, il faut recourir auxprotocoles utilisés chez les malades en état critique.

955

Chapitre 70 : Brûlures caustiques du tractus digestif supérieur

La constance du temps de cicatrisation des brûlures,qui dépend essentiellement du degré initial des lésions,permet très rapidement de fixer la durée de la nutritionparentérale totale pour les brûlures graves.

� RésultatsEn se référant aux 651 cas traités selon ces modalités (3),on observe que :

– les brûlures de stade I guérissent sans séquelle en 8à 10 jours avec une alimentation orale normale ;

– les brûlures de stade II guérissent également sansséquelle après 20 à 30 jours de nutrition parentérale totale ;

– les brûlures de stade III cicatrisent en 90 à 120 joursmais au prix d’une sténose serrée dans 50 % des cas.

� ComplicationsDes complications septiques liées à la nutrition parenté-rale totale apparaissent dans 3 à 15 % des cas selon lesséries. Afin de réduire la fréquence de ces complications,certains auteurs (12) ont proposé une nutrition artifi-cielle par jéjunostomie dès le 20e jour pour les brûluresde stade III. Les autres types de complications n’ont pasété répertoriés.

CHIRURGIEDans une étude personnelle, nous avons montré qu’uneintervention chirurgicale était pratiquée 97 fois enurgence devant un tableau clinique évocateur d’unenécrose viscérale étendue et 100 fois de façon program-mée après cicatrisation pour une sténose serrée (3).

� En urgenceIl faut proposer une intervention chirurgicale enurgence à chaque fois que l’on soupçonne des lésions destade IV. En présence de telles lésions, la clinique est engénéral parlante mais, en cas de doute, une laparotomieexploratrice s’avère souvent nécessaire. Le plus granddes dangers est de méconnaître des lésions extensives, destade IV, et de les traiter par la seule nutrition parenté-rale totale.

En raison de la fréquence de l’atteinte simultanée del’œsophage et de l’estomac, une gastrectomie totale sui-vie d’un stripping de l’œsophage est l’intervention laplus souvent pratiquée (13-18). Ce type d’exérèse a étépratiqué dans 3 à 20 % des cas selon les séries ; c’est direla difficulté qu’il y a souvent à différencier un stade IIId’un stade IV.

� En phase cicatricielleLa chirurgie réparatrice doit être pratiquée en phasecicatricielle et vérifiée par endoscopie. Il s’agit du troi-sième volet de la conduite thérapeutique.

Les séquelles des brûlures graves traitées par nutri-tion parentérale exclusive consistent en de fréquentessténoses serrées de l’œsophage et/ou de l’estomac empê-chant ou gênant fortement l’alimentation. Survenantglobalement chez 20 % des malades et chez la moitié deceux souffrant de brûlures graves, ces complicationsdoivent être réparées chirurgicalement. Cette interven-tion doit être impérativement pratiquée en phase cica-tricielle afin d’atténuer autant que possible la fréquencedes désunions d’anastomoses. Ainsi, dans la série euro-péenne de 651 cas (3), 81 patients ont bénéficié d’unecolonoplastie de l’œsophage et 19 gastrectomies ont étéréalisées, seules ou associées à la colonoplastie. Cesinterventions, avec quelques variantes techniques, ontégalement été utilisées avec des résultats sensiblementéquivalents dans des séries plus récentes (19, 20).

PRISE EN CHARGE DES STÉNOSESCICATRICIELLES

� PréventionIl n’y a pas, à ce jour, de prévention efficace des sténosescicatricielles. La nutrition artificielle permet de réduirela mortalité au cours des brûlures caustiques du tractusdigestif supérieur, mais les séquelles graves à type de sté-noses serrées très invalidantes restent relativement

Quatre conseils pratiquespour les indications thérapeutiques

1. Une des difficultés majeures consiste à différen-cier les stades III et IV. Les premiers peuventbénéficier d’un traitement médical, alors que lesseconds doivent être traités chirurgicalementd’emblée.

2. Il est plus dangereux d’essayer de traiter médi-calement des lésions de stade IV que de prati-quer une laparotomie exploratrice.

3. Les brûlures graves doivent être suivies en unitéde soins intensifs pendant au moins une ving-taine de jours.

4. La nutrition artificielle doit être débutée le plustôt possible.

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� Traité de nutrition artificielle de l’adulte

nombreuses. Une étude rétrospective pratiquée chez30 patients a permis de conclure que les stades IIB pou-vaient être traités médicalement (21) ; dans ce cas, defortes doses de corticoïdes administrés par voie généralepermettraient, chez l’enfant, de prévenir l’apparitiond’une sténose (22). D’autres travaux ont des conclusionsdifférentes (23). L’étude de plusieurs séries totalisant572 patients traités entre 1991 et 2004 a permis deconclure que les corticoïdes sont, dans les brûlures destades II et III, non seulement inefficaces mais dange-reux dans la mesure où ils génèrent des complicationssecondaires potentiellement graves (24). Dans certainesconditions, la mise en place précoce d’une prothèseœsophagienne pourrait prévenir efficacement l’appari-tion d’une sténose (25).

De nombreuses études expérimentales, pratiquéeschez le rat ou le lapin et utilisant l’epidermal growth fac-tor et l’interféron gamma (6, 26) ou bien encore l’oc-tréotide, la phosphatidyl-choline, le kétotifène(anti-H1), la trimétazidine et l’ebselen (agents antioxy-dants), le sucralfate, ainsi qu’un inhibiteur du platelet

activating factor ont démontré leur efficacité dans laprévention des sténoses (27, 28). Aucune étude cliniqueutilisant ces produits n’a, à ce jour, été menée chezl’Homme.

� TraitementEn cas de sténose modérée et peu étendue, des dilata-tions perendoscopiques ou par bougies peuvent êtreproposées ; l’injection in situ de triamcinolone permet-trait d’en augmenter l’efficacité (29).

CONCLUSIONLes brûlures caustiques du tractus digestif supérieursont des affections graves dont le pronostic a été radica-lement modifié par la nutrition artificielle. Dans cetteindication précise, on tire profit de toutes les propriétésde la nutrition parentérale totale ou de la nutrition enté-rale par jéjunostomie : protection des lésions digestiveshautes, maintien de l’état nutritionnel et stimulation dela cicatrisation.

Références

*1. Di Costanzo J, Noirclerc M, Jouglard J, et al. (1980) New thera-peutic approach to corrosive burns of the upper gastrointestinaltract. Gut 21: 370-5

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Chapitre 70 : Brûlures caustiques du tractus digestif supérieur

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