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Méningites lymphomateuses dossier Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. X - n° 1 - janvier-février 2015 38 38 Traitement des méningites lymphomateuses Lymphoma meningitis treatment C. Houillier*, C. Soussain** * Service de neurologie, hôpital de la Pitié- Salpêtrière, Paris. **Service d’hématologie, hôpital René-Huguenin, institut Curie, Saint-Cloud, et Collège de France, CNRS UMR 7241/Inserm U1050, Paris. A u cours des lymphomes systémiques, les atteintes lymphomateuses du système nerveux central (SNC), et en particulier des méninges, sont identifiées soit au moment du diagnostic, soit au moment d’une rechute, de façon isolée ou associée à une atteinte systémique. Elles sont rares (< 10 %) et surviennent préférentiellement dans les lymphomes non hodgkiniens (LNH) de haut grade de malignité, soit diffus à grandes cellules B (LDGCB), soit de Burkitt. L’atteinte méningée est la plus fréquente des atteintes du SNC au cours des LNH (65 %), devant l’atteinte céré- brale parenchymateuse (26 %) ou l’atteinte combinée (9 %) [1]. Les rechutes neuroméningées surviennent le plus souvent assez rapidement après le diagnostic initial, le délai médian allant de 5 à 12 mois. L’atteinte neuroméningée au diagnostic ou à la rechute est un facteur de mauvais pronostic, associé à des médianes de survie souvent inférieures à 1 an. Elle peut également engager le pronostic fonctionnel neurologique des patients. En raison de ce pronostic et des particularités de la barrière hématoméningée, leur prise en charge thérapeutique diffère de la prise en charge classique des lymphomes systémiques. Dans le cas particulier des lymphomes cérébraux primitifs, l’atteinte méningée, diagnostiquée dans environ 15 à 20 % des cas (2), n’est pas clairement identifiée comme un facteur de mauvais RÉSUMÉ Summary » Les atteintes méningées des lymphomes malins non hodgkiniens (LNH) sont rares et sont principalement l’apanage des formes histologiques de type diffus à grandes cellules B. Les méningites lymphomateuses sont présentes lors du diagnostic initial du LNH ou surviennent au moment d’une rechute, de façon isolée ou associée à une rechute systémique. Dans tous les cas, elles assombrissent le pronostic des patients atteints de LNH. Le traitement de ces formes fait intervenir des chimiothérapies par voie systémique ayant une bonne diffusion dans le liquide céphalorachidien, avec, en tête de file, le méthotrexate à forte dose, associées ou non à une chimiothérapie intrathécale. L’objectif est d’obtenir une rémission complète, qui reste cependant de courte durée : la survie globale est inférieure à 1 an. Bien qu’aucune étude randomisée ne se soit intéressée à ces présentations rares de LNH, de plus en plus d’études rétrospectives ainsi que de rares études prospectives encouragent, en l’absence de contre-indication, à consolider les bonnes réponses par une chimiothérapie intensive avec autogreffe de cellules souches hématopoïétiques, ce qui permet d’obtenir un taux de survie sans progression et de survie globale à 3 ans supérieur à 50 %, voire 70 % dans certaines séries. Mots-clés : Lymphome − Méningite aseptique − Traitement. Meningeal spreading of non-Hodgkin’s lymphoma (NHL) is a rare event mainly encountered in diffuse large B cell lymphomas subtype. Lymphoma meningitis is diagnosed at the initial phase of the NHL, or at a relapse, and is either isolated or associated with a systemic relapse. In all cases, it darkens the prognosis of the underlying NHL. The treatment of these forms requires the use of systemic chemotherapies with a good diffusion in the cerebrospinal fluid such as high-dose methotrexate, associated or not with intrathecal chemotherapy with the goal of obtaining a complete remission, which nevertheless remains short and results in overall survival of less than 1 year. Although there are no randomized studies for these rare presentations of NHL, an increasing amount of data from retrospective and rare prospective studies is in favor of a consolidative approach with intensive chemotherapy with autologous hematopoietic stem cells resulting in progression-free and overall survival higher than 50% and reaching 70% in some series at 3 years. Keywords: Lymphoma − Aseptic meningitis − Treatment.

Traitement des méningites lymphomateuses

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Méningites lymphomateuses

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Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. X - n° 1 - janvier-février 20153838

Traitement des méningites lymphomateusesLymphoma meningitis treatmentC. Houillier*, C. Soussain**

* Service de neuro logie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.

**Service d’hématologie, hôpital René-Huguenin,

institut Curie, Saint-Cloud, et Collège de France,

CNRS UMR 7241/Inserm U1050, Paris.

A u cours des lymphomes systémiques, les atteintes lymphomateuses du système nerveux central (SNC), et en particulier des méninges,

sont identifi ées soit au moment du diagnostic, soit au moment d’une rechute, de façon isolée ou associée à une atteinte systémique. Elles sont rares (< 10 %) et surviennent préférentiellement dans les lymphomes non hodgkiniens (LNH) de haut grade de malignité, soit diff us à grandes cellules B (LDGCB), soit de Burkitt. L’atteinte méningée est la plus fréquente des atteintes du SNC au cours des LNH (65 %), devant l’atteinte céré-brale parenchymateuse (26 %) ou l’atteinte combinée (9 %) [1]. Les rechutes neuroméningées surviennent

le plus souvent assez rapidement après le diagnostic initial, le délai médian allant de 5 à 12 mois. L’atteinte neuroméningée au diagnostic ou à la rechute est un facteur de mauvais pronostic, associé à des médianes de survie souvent inférieures à 1 an. Elle peut également engager le pronostic fonctionnel neurologique des patients. En raison de ce pronostic et des particularités de la barrière hématoméningée, leur prise en charge thérapeutique diff ère de la prise en charge classique des lymphomes systémiques. Dans le cas particulier des lymphomes cérébraux primitifs, l’atteinte méningée, diagnostiquée dans environ 15 à 20 % des cas (2), n’est pas clairement identifi ée comme un facteur de mauvais

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» Les atteintes méningées des lymphomes malins non hodgkiniens (LNH) sont rares et sont principalement l’apanage des formes histologiques de type diff us à grandes cellules B. Les méningites lymphomateuses sont présentes lors du diagnostic initial du LNH ou surviennent au moment d’une rechute, de façon isolée ou associée à une rechute systémique. Dans tous les cas, elles assombrissent le pronostic des patients atteints de LNH. Le traitement de ces formes fait intervenir des chimiothérapies par voie systémique ayant une bonne diff usion dans le liquide céphalorachidien, avec, en tête de fi le, le méthotrexate à forte dose, associées ou non à une chimiothérapie intrathécale. L’objectif est d’obtenir une rémission complète, qui reste cependant de courte durée : la survie globale est inférieure à 1 an. Bien qu’aucune étude randomisée ne se soit intéressée à ces présentations rares de LNH, de plus en plus d’études rétrospectives ainsi que de rares études prospectives encouragent, en l’absence de contre-indication, à consolider les bonnes réponses par une chimiothérapie intensive avec autogreff e de cellules souches hématopoïétiques, ce qui permet d’obtenir un taux de survie sans progression et de survie globale à 3 ans supérieur à 50 %, voire 70 % dans certaines séries.

Mots-clés : Lymphome − Méningite aseptique − Traitement.

Meningeal spreading of non-Hodgkin’s lymphoma (NHL) is a rare event mainly encountered in diffuse large B cell lymphomas subtype. Lymphoma meningitis is diagnosed at the initial phase of the NHL, or at a relapse, and is either isolated or associated with a systemic relapse. In all cases, it darkens the prognosis of the underlying NHL. The treatment of these forms requires the use of systemic chemotherapies with a good diffusion in the cerebrospinal fluid such as high-dose methotrexate, associated or not with intrathecal chemotherapy with the goal of obtaining a complete remission, which nevertheless remains short and results in overall survival of less than 1 year. Although there are no randomized studies for these rare presentations of NHL, an increasing amount of data from retrospective and rare prospective studies is in favor of a consolidative approach with intensive chemotherapy with autologous hematopoietic stem cells resulting in progression-free and overall survival higher than 50% and reaching 70% in some series at 3 years.

Keywords: Lymphoma − Aseptic meningitis − Treatment.

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Traitement des méningites lymphomateuses

pronostic. Les molécules utilisées par voie systémique dans les lymphomes cérébraux primitifs ont, pour la plupart, une bonne diff usion méningée, et le traitement local complémentaire, lorsqu’il est nécessaire, ne diff ère pas de celui utilisé dans les atteintes méningées des LNH systémiques.

Liquide céphalorachidien et barrière hématoméningée

Le liquide céphalorachidien (LCR) est produit par les plexus choroïdes au niveau des ventricules. Il circule dans les ventricules, passe dans l’espace subarachnoï-dien et est fi nalement résorbé dans le sang veineux au niveau des granulations arachnoïdiennes. Les échanges entre le sang et le LCR sont régulés et limités par l’épithélium des plexus choroïdiens et celui de l’arach-noïde, qui présentent, comme l’épithélium de la barrière hématoencéphalique, des jonctions serrées entre les cellules endothéliales (3), ce qui limite la perméabilité para cellulaire. En théorie, cette barrière empêcherait le passage du sang vers le LCR des composés ayant un poids moléculaire supérieur à 180 Da, alors que la plupart des chimiothérapies ont un poids moléculaire entre 200 et 1 200 Da, et les petites molécules lipo-philes traverseraient de façon passive les membranes de l’épithélium vasculaire. Cependant, cette cinétique peut être modifi ée par une éventuelle infl ammation des méninges, par l’administration de fortes doses de chimiothérapie hydrosoluble, mais aussi par l’expres-sion de pompes à effl ux sur l’endothélium (4). Ainsi, en pratique, le traitement des atteintes méningées est guidé par les résultats de quelques études pharmacoci-nétiques complétés par des résultats d’études cliniques.

Manifestations cliniques et complications neurologiques des méningites lymphomateuses

Les méningites lymphomateuses peuvent se manifes-ter par des symptômes neurologiques variés. Les plus fréquents sont les suivants : atteinte des nerfs crâniens, atteinte spinale, en particulier au niveau de la queue de cheval (défi cit des membres inférieurs, troubles sphinctériens, douleurs radiculaires), troubles cogni-tifs, troubles de l’équilibre, épilepsie ou symptômes d’irritation méningée (céphalées, vomissements) [5]. La méningite peut également se compliquer de troubles de la circulation et de la résorption du LCR, aboutis-sant à des tableaux d’hydrocéphalie, soit “à pression

normale”, communicantes, soit “aiguës”, non commu-nicantes, pouvant nécessiter une dérivation du LCR par une valve ventriculopéritonéale. L’IRM médullaire montre rarement des prises de contraste méningées nodulaires telles que celles observées dans les ménin-gites carcinomateuses ou gliomateuses.

Traitement des atteintes méningées : voies d’administration, molécules

Le traitement des atteintes méningées doit atteindre l’ensemble du névraxe et tous les compartiments du LCR. Les voies intrathécale (i.t.), voire intraventriculaire, et intraveineuse (i.v.) peuvent être utilisées.

Voie intrathécale ou intraventriculaire : moléculesLes principales molécules utilisées en injection intra-méningée sont le méthotrexate et la cytarabine, asso-ciés à un corticoïde. Le schéma habituel est le suivant : méthotrexate 15 mg en monothérapie ou 12 mg asso-cié à de la cytarabine 40 mg ; hémisuccinate d’hydro-cortisone 15 mg. Après une injection i.t. de 12 mg de méthotrexate, le taux cytotoxique persiste pendant 24 à 48 heures dans le LCR. Les injections doivent donc être répétées au moins 2 fois par semaine. L’alternative est la cytarabine liposomale (Depocyte® 50 mg), qui a l’avantage de ne s’administrer que 1 fois tous les 15 jours (demi-vie : 140 heures), mais qui doit impérativement être associée à un traitement par dexaméthasone (4 mg p.o. ou i.v. × 2/j) commencé le jour de l’injection et poursuivi pendant 5 jours. Une étude randomisée comparant la cytarabine standard et la cytarabine lipo-somale a conclu à un taux de réponse plus élevé avec la cytarabine liposomale, ainsi qu’à une meilleure qualité de vie (6). L’injection i.t. de thiotépa ne présente pas d’intérêt, car il est rapidement réabsorbé par les capil-laires périventriculaires (7). Le rituximab a été utilisé, de façon encore expérimentale, en intraventriculaire, avec une bonne effi cacité dans les méningites lympho-mateuses, en partie liée à l’activation du complément dans le LCR (8). Les doses utilisées sont progressivement croissantes, allant de 10 à 25 mg par injection (injection lente après reconstitution dans un volume total de 5 mL de sérum physiologique). L’injection peut être répétée 1 à 2 fois par semaine, et doit toujours être précédée de la même prémédication que celle utilisée pour les perfusions i.v. Cette indication reste hors AMM. La crois-sance cérébrale n’étant pas proportionnelle à la surface corporelle, la dose des chimiothérapies administrées en i.t. ou en intraventriculaire est fi xe chez l’adulte.

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Voie intrathécale ou intraventriculaire : avantages, inconvénients et complications possiblesL’administration des chimiothérapies dans le LCR permet de contourner la barrière hématoméningée. En revanche, cette voie n’est pas adaptée pour traiter une éventuelle atteinte parenchymateuse cérébrale associée, car les agents utilisés en i.t. ne diff usent que de quelques millimètres dans le parenchyme céré-bral (7). La clairance importante des molécules dans le LCR oblige à répéter les injections de chimiothérapies. Les ponctions lombaires itératives ont le désavantage d’un inconfort pour les patients et exposent au risque d’administration du produit en épidural ou en sous-dural. La diff usion des chimiothérapies dans le névraxe peut être hétérogène, en particulier au niveau crânien, après injection i.t., et peut varier en fonction du fl ux du LCR. Il est notamment important de s’assurer que l’atteinte méningée ne s’accompagne pas de troubles de la circulation du LCR, qui peut se manifester de façon indirecte par une hydrocéphalie en amont, et qui sera confi rmée en cas de doute par une IRM médullaire. La distribution des molécules dans le LCR peut être optimisée le long du névraxe et dans les ventricules par le maintien, pendant 1 heure, de la position cou-chée sur le ventre (1). L’utilisation d’aiguilles spinales de petit diamètre (< 22 gauges) réduit le risque de fuite de LCR. Les injections intraventriculaires dans un réservoir d’Ommaya ont l’avantage d’être indolores et d’améliorer la distribution des chimiothérapies dans le LCR, mais elles exposent à des complications qui rendent leur utilisation de plus en plus rare. La pose d’un réservoir d’Ommaya peut être compliquée d’une hémorragie cérébrale, de dysfonctionnements, ou parfois être responsable d’une leucoencéphalopathie localisée nécrosante (9). Mais, surtout, elle expose à un risque septique dont la fréquence peut atteindre 19 % (10).Quel que soit leur mode d’administration, les chimiothé-rapies intraméningées peuvent entraîner des tableaux de méningite ou d’arachnoïdite infl ammatoire asep-tique, se traduisant dans les jours suivant l’injection par un syndrome méningé avec céphalées, nausées et vomissements, fi èvre, atteinte radiculaire ou des nerfs crâniens. Cette complication doit être prévenue par l’administration concomitante de corticoïdes, en particulier avec la cytarabine liposomale, qu’il est en outre préférable d’administrer à distance des injections i.v. de méthotrexate ou de cytarabine (11). De plus, les chimiothérapies i.t., et en particulier le méthotrexate, exposent à un risque de neurotoxicité, même si celui-ci est faible. La neurotoxicité peut être aiguë (12), avec des tableaux d’encéphalopathie se traduisant par un

syndrome confusionnel, des crises d’épilepsie ou des défi cits neurologiques focaux, en général spontané-ment résolutifs ; ou chronique, avec des tableaux de myélopathie ou, plus classiquement, de leucoencé-phalopathie responsable de troubles cognitifs et de troubles de l’équilibre (13). Enfi n, la voie i.t. ne supprime pas tout risque de passage, et donc de toxicité systé-mique, en particulier avec le méthotrexate (14). En cas d’injections i.t. répétées de méthotrexate, on pourra donc administrer, à distance de l’injection, de l’acide folinique. Le rituximab présente quant à lui un très bon profi l de tolérance administré par voie intraventricu-laire (8). Des paresthésies lombosacrées, réversibles mais très douloureuses, ont été décrites pendant ou juste après l’injection i.t. de rituximab à la dose de 25 mg (15).

Voie intraveineuseCertaines chimiothérapies peuvent être retrouvées dans le compartiment méningé après injection i.v. Il s’agit principalement du busulfan, de l’étoposide, de l’ifosfamide, du méthotrexate, du témozolomide, du thiotépa et de la cytarabine (7). L’effi cacité du métho-trexate haute dose et sa pharmacocinétique dans le LCR varient en fonction de la dose administrée, de la durée de la perfusion et du schéma d’administration de l’acide folinique. Des variations interindividuelles ont également été mises en évidence. La plupart des études proviennent de séries pédiatriques de leucémies aiguës lymphoblastiques. Après l’administration de méthotrexate à la dose de 6 à 8 g/m2 sur 24 heures, tous les enfants traités présentaient un taux cytotoxique de méthotrexate dans le LCR à la fi n de la perfusion (16). Dans l’étude de G. Vassal et al. (17), les enfants recevaient le méthotrexate à la dose de 3 g/m2 sur une durée de 3 heures, ce qui permettait d’atteindre chez chacun un taux cytotoxique de méthotrexate 4 heures après la perfusion, qui persistait pendant 8 heures chez la moitié d’entre eux. J.D. Borsi et al. (18) ont montré que l’augmentation du taux de méthotrexate dans le LCR n’était plus proportionnelle à l’augmentation de la dose administrée au-delà de 3 g/m2. Il semble également que les taux retrouvés dans le LCR varient avec l’âge des enfants. Des taux thérapeutiques de cytarabine ont été retrouvés chez tous les patients d’une série d’adultes traités pour une leucémie aiguë myéloïde à la dose de 1 g/m2 (7). Le thiotépa présente la par-ticularité de s’équilibrer rapidement entre le sang et le LCR, et le pic de concentration méningée de son métabolite actif, le tépa, est plus important après une injection i.v. de thiotépa à la dose de 5 mg/kg qu’après l’administration i.t. de la dose maximale tolérée de 10 à 15 mg. Concernant les molécules plus récemment

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utilisées dans les lymphomes, des données préliminaires montrent une activité du lénalidomide dans 1 cas de lymphome intraoculaire (19) et une série de lymphomes cérébraux (20), ainsi qu’une activité de l’ibrutinib dans les localisations neuroméningées de lymphomes à cellules du manteau (21). Le passage méningé de la bendamustine n’est pas encore démontré.

RadiothérapieLa radiothérapie n’a que peu de place dans une mala-die chimiosensible et disséminée. L’irradiation cranio-spinale n’est qu’exceptionnellement utilisée, en raison du risque de toxicité. L’irradiation de la moelle osseuse des vertèbres entraîne de surcroît un risque de myélo-suppression.

Réponses thérapeutiques et pronostic des LNH associés à une localisation méningée

Ces formes rares étant exclues des protocoles théra-peutiques, nous ne disposons que de résultats d’études rétrospectives. Le taux de réponse de la localisation méningée, quel que soit le traitement utilisé, est en général assez élevé (22). Cependant, malgré la sensibilité au traitement, les réponses sont souvent peu durables, et le pronostic, sévère. Lorsque l’atteinte méningée survient au moment du diagnostic ou d’une rechute de LNH de haut grade, la survie médiane se situe autour de 7 à 18 mois après des traitements conven-tionnels (22, 23). Le pronostic est lié non seulement à l’atteinte neuroméningée, mais également à la mala-die systémique responsable du décès dans environ un tiers à deux tiers des cas (22, 24). Diff érentes études rétrospectives suggèrent un bénéfi ce du traitement

de consolidation par chimiothérapie intensive suivie d’une autogreff e de cellules souches périphériques, en particulier chez les patients en rémission complète (RC) après un traitement de rattrapage (22, 23, 25). Dans une série française, la survie sans progression et la survie globale à 3 ans des patients présentant une atteinte du SNC au moment du diagnostic du LNH et autogreff és en RC étaient de 77 % (23). Dans la série de R.T. Maziarz et al. (26) comparant une cohorte de 151 patients ayant un LNH avec atteinte secondaire neuroméningée et une cohorte de 4 688 patients ayant un LNH sans atteinte neuroméningée, il n’y avait aucune diff érence signi-fi cative de survie globale, de survie sans maladie, de mortalité non liée à une rechute ni de rechute après autogreff e. La probabilité de survie à 5 ans était com-prise entre 43 et 49 %. Cette étude souligne également l’impact pronostique de la rémission de l’atteinte neuroméningée au moment de l’autogreff e. Dans ces études rétrospectives, diff érents types de chimiothéra-pie intensive ont été utilisés, sans qu’il soit possible de défi nir la chimiothérapie intensive optimale. Les rares rechutes neuroméningées des lymphomes indolents semblent avoir un meilleur pronostic (27). Dans les rares cas de méningite lymphomateuse primitive isolée, la plus grande série rapporte une médiane de survie à 24 mois, le décès étant lié, dans la très grande majorité des cas, à l’atteinte méningée (28).

Méningites lymphomateuses : recommandations thérapeutiques pratiques (tableau)

En pratique, les patients présentant une atteinte méningée au cours d’un LNH systémique peuvent espérer une longue survie à condition qu’un traitement

Tableau. Schémas de traitement en cas de méningite lymphomateuse.

Localisation de l’atteinte lymphomateuse Traitement proposé

Rechute méningée isolée Chimiothérapie i.v. à base de MTX HD (≥ 3 g/m2) ± chimiothérapie i.t.Consolidation par chimiothérapie intensive avec autogreff e de cellules souches chez les sujets jeunes

Rechute méningée associée à une atteinte intracérébrale

Chimiothérapie i.v. à base de MTX HD ± chimiothérapie i.t.Consolidation par chimiothérapie intensive avec autogreff e de cellules souches chez les sujets jeunes

Atteinte méningée associée à une atteinte systémique

Première ligne : Chimiothérapie i.v. comprenant du MTX HD et des molécules à visée systémique : R-CHOP (like)-MTX en première ligne ± chimiothérapie i.t.

En rechute : R-DHAP ou R-ICEDans les 2 cas : consolidation par chimiothérapie intensive avec autogreff e de cellules souches chez les sujets jeunes

HD : haute dose ; MTX : méthotrexate.

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optimal puisse être réalisé. Le premier objectif est celui de la RC de l’atteinte méningée et, le cas échéant, de la localisation systémique. De nombreuses données de la littérature encouragent à poursuivre le traite-ment, chaque fois que c’est possible, par une conso-lidation par chimiothérapie intensive et autogreff e de cellules souches périphériques. En l’absence d’étude comparative, il est diffi cile d’émettre des recomman-dations thérapeutiques fermes quant au traitement de rattrapage. Néanmoins, on peut distinguer plu-sieurs cas de fi gure selon que l’atteinte méningée est isolée ou associée à des localisations systémiques ou cérébrales intraparenchymateuses. Dans le cas d’une rechute méningée isolée, aucune étude n’a comparé une chimiothérapie i.t. à une chimiothérapie i.v. Par analogie à l’attitude préconisée dans la prophylaxie des atteintes méningées des lymphomes systémiques (29), on aura toutefois tendance à privilégier un traitement i.v. à base de méthotrexate à haute dose (> 3 g/m2), associé ou non à une chimiothérapie i.t. Une atteinte intracérébrale associée impose l’utilisation de chimio-thérapies i.v. compte tenu de la mauvaise pénétration intraparenchymateuse des molécules administrées par voie i.t. On utilisera alors des polychimiothéra-pies à base de méthotrexate à haute dose, du type de celles utilisées dans les lymphomes primitifs du SNC. À l’heure actuelle, aucun argument ne permet de dire si l’ajout d’une chimiothérapie i.t. apporte un bénéfi ce en termes d’effi cacité. Compte tenu des risques et des contraintes liés à ce type de traitement, l’utilisation d’une chimiothérapie i.v. seule dans un premier temps semble représenter une alternative possible, que l’on peut compléter par un traitement i.t. ultérieur si la méningite persiste. Si une atteinte systémique est associée, on peut proposer une chimio-

thérapie i.v. associant des molécules à visée systé-mique à des molécules visant le SNC : des protocoles de type R-CHOP-méthotrexate s’il s’agit d’une atteinte méningée concomitante du diagnostic de LNH, ou des protocoles de type R-DHAP ou R-ICE si la rechute du LNH se manifeste par une atteinte systémique asso-ciée à une atteinte méningée (30). Bien que, dans la littérature, les chimiothérapies intensives à base de thiotépa aient été plus souvent utilisées dans des cas d’autogreff e de LNH avec atteinte neuroméningée, aucune étude comparative ne permet d’émettre des recommandations formelles. Le choix de cette chimio-thérapie intensive doit tenir compte des habitudes des centres. Le petit nombre de patients ne permettra aucune étude prospective randomisée. Deux études de phase II sont répertoriées sur le site ClinicalTrials.gov pour cette population de patients : la première a pour objectif d’évaluer l’effi cacité d’une molécule dérivée du méthotrexate, le pémétrexed, et la seconde comporte une chimiothérapie d’induction suivie d’une intensifi cation avec autogreff e de cellules souches.

Conclusion

L’atteinte méningée d’un lymphome malin est un fac-teur de mauvais pronostic. La rémission de l’atteinte méningée peut être obtenue par l’utilisation d’un nombre restreint de chimiothérapies utilisées par voie i.t. ou i.v. diversement combinées. Toutefois, les RC de ces formes sont de courte durée. Le pronostic des patients présentant une atteinte du SNC consécutive à un LNH semble meilleur lorsque la RC est consolidée par une chimiothérapie intensive avec autogreff e de cellules souches hématopoïétiques. ■

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R é f é r e n c e s

Retrouvez l’intégralité des références bibliographiques sur www.edimark.fr

@

C. Houillier et C. Soussain n’ont pas précisé leurs

éventuels liens d’intérêts.

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FDC

AU CŒUR DES PERTURBATIONS CELLULAIRESExplorer les mécanismes moléculaires à l’origine des hémopathies malignes B 1-4

BTK

PIP3

CXCR4/5

Les progrès réalisés dans la connaissance des relations entre les cellules B tumorales et leur microenvironnement permettent d’identifier les facteurs clés du développement des hémopathies malignes B. 2,4

Les voies de signalisation intracellulaire, qui participent à la régulation du fonctionnement des cellules B normales, seraient dérégulées dans les hémopathies malignes B suite à des mutations génétiques. Cela entraînerait une progression de la maladie et une résistance au traitement. 2-6

Cellule B

BCR

BTK

MyD88Lyn

TLR

PLCᵞ2

NF-κB

BTK

PI3K

Une meilleure compréhension des relations entre les cellules B et le microenvironnement tumoral est indispensable pour faire avancer la recherche.2,5,6

BCR = récepteur des cellules B. BTK = Tyrosine Kinase de Bruton. CXCR4/5 = récepteur aux chimiokines c-X-c de type 4 / récepteur aux chimiokines c-X-c de type 5. FDC = cellule dendritique folliculaire. NFκB = nuclear factor kappa lightchain-enhancer of activated B cells. PLCᵞ2 = phospholipase c gamma 2. PIP3 = phosphatidylinositol-3,4,5-triphosphate. PI3K = phosphatidylinositide 3-Kinase. TLR = récepteur de Type Toll.

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Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. X - n° 1 - janvier-février 2015 45

Traitement des méningites lymphomateuses

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