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TUMEUR NEUROECTODERMIQUE PRIMITIVE (PNET) DE I'ORBITE : LOCALISATION EXCEPTIONNELLE D'UNE TUMEUR RARE Kaoutar Znati a,*, Sanae Sefiani a, Amal Harmouch a Nabila Tadlaoui a, Mustapha Maher a, Amar Saidi a 1. Introduction L es tumeurs neuroectodermiques primitives (PNET), appelees 6ga- lement neuroepitheliomes primitifs ou neuroblastomes primitifs sont des tumeurs neuroblastiques developpees en dehors du systeme ner- veux autonome. Elles sont etroitement correlees au sarcome d'Ewing du fait de leurs similitudes phenotypiques et g~notypiques. Bien que les PNET se voient essentiellement au niveau de I'os et des tissus mous chez I'enfant et I'adulte jeune, des Iocalisations viscerales primitives ont ~galement 6te rapportees telles le rein, I'uterus, I'ovaire, la vesicule biliaire, la glande parotide, le pancreas et le testicule [2,8, 11]. La Iocalisation orbitaire est extr~mement rare. Ace jour, seuls 9 cas ont 6t6 rapportes dans la litterature dont 3 cas chez I'adulte. Nous rap- portons I'observation exceptionnelle d'une PNET orbitaire chez un patient de 23 ans afin de soulever les difficultes diagnostiques. tumeur manifestement maligne de nature mesenchymateuse, composee de nappes de cellules rondes de taille moyenne & cytoplasme reduit, aci- dophile et & limites imprecises. Les noyaux etaient irreguliers, vesiculeux et nucleoles, riches en mitoses. Quelques rosettes etaient observees (figure 3). Le stroma 6tait fibro-inflammatoire avec presence de nom- breux vaisseaux congestifs. L'etude immunohistochimique sur coupes d~paraffinees a 6t6 realisee selon la technique avidine biotine-peroxydase avec les anticorps sui- vants : anti-myogenine, anti-desmine, anti-actine muscle lisse, anti- EMA, anti KL1, anti-proteine $100, anti-CD45, anti CD20, anti CD3 et anti-CD99. Les cellules exprimaient fortement la proteine $100 et le CD99 (figure 4). UEMA marquait faiblement certaines cellules tumo- rales. Les autres marqueurs (la myogenine, la desmine, I'actine muscle lisse, le KL1, le CD45, la CD20 et le CD3) n'etaient pas exprimes. 2. Observation Patient &ge de 24 ans, ayant present6 & I'&ge de 13 ans une exoph- talmie droite rapidement progressive en rapport avec un processus orbitaire intraconique heterog~ne. La biopsie par vole neurochirurgi- cale avait revele un rhabdomyosarcome (etude immunohistochimique non disponible & cette epoque au laboratoire). Le patient avait donc et~ traite par chimiotherapie (vincfistine-actinomycine D-cyclophos- phamide/vincristine-adriamycine) et radiotherapie. Compte tenu de I'absence d'amelioration clinique et radiologique, la biop- sie a ete refaite, un an apr~s, et etait en faveur d'une pseudotumeur inflammatoire de I'orbite. Le patient a ete mis sous corticotherapie par vole generale &fortes doses, ce qui a entrafne une diminution importante de I'exophtalmie mais sans recuperation visuelle. Dix ans plus tard, le patient a presente une aggravation de I'exophtalmie (figure 1) motivant une nouvelle consultation. I'IRM montrait une tumeur kystique et tissulaire orbitaire avec extension endocr&nienne et sinusienne (figure 2); une biop- sie avec etude immunohistochimique fut donc realisee. Elle montrait une a Laboratoire d'anatomie pathologique Hepital Des Specialit~s - Centre hospitalier universitairede Rabat Sale - Maroc * Correspondance Mine Znati Kaoutar Secteur 6 - bloc G 5, av. Mehdi Benbarka - Hay Riad 10100 Rabat - Maroc [email protected] article re(;u le O0 mois, accept(~ le O0 mois 2006. 9 ElsevierSAS. Revue Francophone des Laboratoires, mars 2006, N =380 41

Tumeur neuroectodermique primitive (PNET) de l'orbite: Localisation exceptionnelle d'une tumeur rare

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Page 1: Tumeur neuroectodermique primitive (PNET) de l'orbite: Localisation exceptionnelle d'une tumeur rare

TUMEUR NEUROECTODERMIQUE PRIMITIVE (PNET) DE I'ORBITE : LOCALISATION EXCEPTIONNELLE D'UNE TUMEUR RARE

Kaoutar Znati a,*, Sanae Sefiani a, Amal Harmouch a Nabila Tadlaoui a, Mustapha Maher a, Amar Saidi a

1. Introduction

L es tumeurs neuroectodermiques primitives (PNET), appelees 6ga- lement neuroepitheliomes primitifs ou neuroblastomes primitifs sont

des tumeurs neuroblastiques developpees en dehors du systeme ner- veux autonome. Elles sont etroitement correlees au sarcome d'Ewing du fait de leurs similitudes phenotypiques et g~notypiques.

Bien que les PNET se voient essentiellement au niveau de I'os et des tissus mous chez I'enfant et I'adulte jeune, des Iocalisations viscerales primitives ont ~galement 6te rapportees telles le rein, I'uterus, I'ovaire, la vesicule biliaire, la glande parotide, le pancreas et le testicule [2,8, 11].

La Iocalisation orbitaire est extr~mement rare. Ace jour, seuls 9 cas ont 6t6 rapportes dans la litterature dont 3 cas chez I'adulte. Nous rap- portons I'observation exceptionnelle d'une PNET orbitaire chez un patient de 23 ans afin de soulever les difficultes diagnostiques.

tumeur manifestement maligne de nature mesenchymateuse, composee de nappes de cellules rondes de taille moyenne & cytoplasme reduit, aci- dophile et & limites imprecises. Les noyaux etaient irreguliers, vesiculeux et nucleoles, riches en mitoses. Quelques rosettes etaient observees (figure 3). Le stroma 6tait fibro-inflammatoire avec presence de nom- breux vaisseaux congestifs.

L'etude immunohistochimique sur coupes d~paraffinees a 6t6 realisee selon la technique avidine biotine-peroxydase avec les anticorps sui- vants : anti-myogenine, anti-desmine, anti-actine muscle lisse, anti- EMA, anti KL1, anti-proteine $100, anti-CD45, anti CD20, anti CD3 et anti-CD99. Les cellules exprimaient fortement la proteine $100 et le CD99 (figure 4). UEMA marquait faiblement certaines cellules tumo- rales. Les autres marqueurs (la myogenine, la desmine, I'actine muscle lisse, le KL1, le CD45, la CD20 et le CD3) n'etaient pas exprimes.

2. Observation

Patient &ge de 24 ans, ayant present6 & I'&ge de 13 ans une exoph- talmie droite rapidement progressive en rapport avec un processus orbitaire intraconique heterog~ne. La biopsie par vole neurochirurgi- cale avait revele un rhabdomyosarcome (etude immunohistochimique non disponible & cette epoque au laboratoire). Le patient avait donc et~ traite par chimiotherapie (vincfistine-actinomycine D-cyclophos- phamide/vincristine-adriamycine) et radiotherapie.

Compte tenu de I'absence d'amelioration clinique et radiologique, la biop- sie a ete refaite, un an apr~s, et etait en faveur d'une pseudotumeur inflammatoire de I'orbite. Le patient a ete mis sous corticotherapie par vole generale &fortes doses, ce qui a entrafne une diminution importante de I'exophtalmie mais sans recuperation visuelle. Dix ans plus tard, le patient a presente une aggravation de I'exophtalmie (figure 1) motivant une nouvelle consultation. I'IRM montrait une tumeur kystique et tissulaire orbitaire avec extension endocr&nienne et sinusienne (figure 2); une biop- sie avec etude immunohistochimique fut donc realisee. Elle montrait une

a Laboratoire d'anatomie pathologique Hepital Des Specialit~s - Centre hospitalier universitaire de Rabat Sale - Maroc

* Correspondance Mine Znati Kaoutar Secteur 6 - bloc G 5, av. Mehdi Benbarka - Hay Riad 10100 Rabat - Maroc [email protected]

article re(;u le O0 mois, accept(~ le O0 mois 2006.

�9 Elsevier SAS.

Revue Francophone des Laboratoires, mars 2006, N = 380 41

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en six cures, associant du 5-fluorouracile (750 mg/m 2) et de I'adri- blastine (50 mg/m2). L'evolution a montre une discrete regression de I'exophtalmie et de la masse tumorale tissulaire. Le patient a ~te adresse en neurochirurgie pour un complement d'exerese tumorale.

Le diagnostic final retenu en fonction des donnees histologiques et immunohistochimiques a donc ete celui d'une tumeur neuroectoder- mique primitive de I'orbite.

Le bilan d'extension n'a pas montre de Iocalisation secondaire. Uexer~se chirurgicale etant tres risquee et difficile, et la dose de radiotherapie re?ue 6tant maximale, le patient a ete mis sous chimiotherapie seule

3. Discussion

Les tumeurs neuroectodermiques primitives sont des tumeurs rares. Elles representent moins de 1% de tousles sarcomes. Cette entite a 6te decrite pour la premiere fois en 1891 par Stout [15] mais ce n'est qu'en 1973 que Hart et Earle [4] emploient le terme de PNET pour designer un groupe de tumeurs & cellules rondes d'origine neuroec- todermique. Cette tumeur affecte I'enfant et I'adulte jeune sans pre- dominance de sexe. Les Iocalisations peripheriques surviennent essen- tiellement au niveau de I'os et des tissus mous. La Iocalisation orbitaire est exceptionnelle. Seuls 9 cas ont ete rapportes dans la litterature [1,5, 6, 9, 13, 14, 16]. Le diagnostic repose toujours sur I'analyse his- tologique et I'etude immunohistochimique completees ou non par une etude cytogenetique. Classiquement, les PN ETs sont composees de cellules rondes indifferenciees, monotones, tassees les unes contre les autres. Les limites cytoplasmiques sont peu nettes. Elles sont muniee de noyaux hyperchromatiques et basophiles. Des pseudo- rosettes ou rosettes & centre fibrillaire (de Homer Wright) peuvent etre observees. Les mitoses sont en regle frequentes et la necrose est habi- tuelle. La presence de glycog~ne dane le cytoplasme des cellules tumo- rales se volt dane 40 % des cas. II peut 6tre mis en evidence par la coloration & I'acide periodique de Schiff (PAS). Des granules de gly- cogene peu visibles en microscopie optique peuvent ~tre alors detec- tee en microscopie electronique et possedent la meme signification.

Dans la Iocalisation orbitaire, le diagnostic differentiel se pose en pre- mier lieu avec le rhabdomyosarcome embryonnaire vu I'&ge jeune des patients atteints, la Iocalisation qui est le site de predilection de cette tumeur au niveau de la tete et du cou ainsi que I'aspect monomorphe de la proliferation tumorale. Cependant, I'absence de differenciation musculaire striee associee a la non expression des marqueurs immu- nohistochimiques correspondants permet d'ecarter ce diagnostic. Le deuxieme groupe de diagnostics differentiels est celui du lymphome lymphoblastique, du neuroblastome, de Posteosarcome A petites cel- lules, du chondrosarcome mesenchymateux et du carcinome indiffe- rencie [7, 14]. L'immunohistochimie est d'un grand apport pour la dis- tinction entre ces differentes entites tumorales. En effet, lee cellules des PNETs sont habituellement marquees par au moins deux mar- queurs de differenciation neuronale (proteine S 100, NSE, chomo- granine, synaptophysine). La desmine, la myogenine et le pan-leuco- cytaire sont negatifs permettant d'eliminer respectivement un rhabdomyoearcome et un lymphome. La surexpression du gene MIC2 qui code pour une glycoproteine membranaire intervenant dane les pro-" cessus d'adhesion cellulaire pourrait etre mise en evidence par different anticorps monoclonaux [5, 10]. Son expression se volt dans pres de 90 % des PNETs, cependant elle n'est pas specifique. Elle peut ~tre detectee dane le iymphome lymphoblastique, le rhabdomyosarcome embryonnaire et alveolaire [12], le chondrosarcome mesenchymateux [3] et lee tumeurs desmoplastiques & petites cellules rondes.

Dans les formes atypiques, le recours & 1'etude moleculaire s'av~re necessaire. En effet la raise en evidence de la translocation (11,22)(q24, q l 2) permet d'affirmer le diagnostic de PNET. Dans 90 % des cas, il s'agit du gene EWS situe sur le chromosome 11 et du gene Fli 1 sur le chromosome 22.

Le pronostic des PN ETs est sombre. Leur evolution est marquee par les recidives locales et les metastases A distance. La survie varie entre 1 mois et 5 arts. Pour 6 cas des 9 cas de PNET orbitaires rapportes

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Dossaer sc ent que

dans la litterature la survie allait de 6 & 45 mois [1,6]. La particularite de notre observation est I'evolution particulierement lente de la tumeur. En effet, 11 ans apr6s son apparition, cette derniere est restee can- tonnee & la region orbitaire sans aucun site m6tastatique secondaire detect6e Iors du bilan d'extension.

Le traitement des PN ETs est superposable & celui du sarcome d'Ewing vues les similitudes existant entre ces deux entites tumorales. II asso- cie une polychimiotherapie & base de cyclophosphamide, de doxo- rubicine, de vincristine, d'isophosphamide et d'etoposide, d'une radio- therapie et d'une chirurgie [9, 14, 16].

4. Conclusion

L es tumeurs neuroectodermiques primitives sont des tumeurs rares qui touchent exceptionnellement I'orbite. Vu leur aspect morpho-

Iogique indiff6renci6, elles peuvent poser d'importants probt~mes de diagnostics diff6rentiels notamment avec le rhabdomyosarcome embryonnaire. Le recours & I'immunohistochimie notamment I'ex- pression du CD99 et la n6gativit6 de la desmine et de la myog6nine associ6 & 1'6tude mol6culaire & la recherche de la translocation (11,22)(q24, q l 2) permettent d'etablir le diagnostic.

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