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N° 4 DÉCEMBRE 2000 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION Eine Welt Un solo mondo Un seul monde Les Balkans, autrefois inconnus, aujourd’hui si proches Le Niger: un mélange de volonté divine, de pauvreté et d’humour Économie privée et coopération au développement: la fin d’un tabou

Un seul monde 4/2000 - eda.admin.ch · LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION Eine Welt Un solo mondo ... La Suisse préside cette année le groupe des pays

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N° 4DÉCEMBRE 2000LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENTET LA COOPÉRATION

Eine WeltUn solo mondoUn seul monde

Les Balkans, autrefois inconnus,

aujourd’hui si prochesLe Niger: un mélange de volonté divine,

de pauvreté et d’humour

Économie privéeet coopération au développement:

la fin d’un tabou

SommaireÉditorial 3Périscope 4DDC interne 25Au fait, qu’est-ce qu’un fonds de contrepartie? 25Service 33Agenda 35Impressum et bulletin de commande 35

Un seul monde est édité par la Direction du développement et de la coopération(DDC), agence de coopération internationale intégrée au Département fédéral desaffaires étrangères (DFAE). Cette revue n’est cependant pas une publicationofficielle au sens strict. D’autres opinions y sont également exprimées. C’estpourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement le point de vue de la DDCet des autorités fédérales.

DOSSIER

DDC

HORIZONS

FORUM

CULTURE

Un seul monde N° 4 / Décembre 20002

BALKANSCes guerres qui nous rapprochentLa guerre et les réfugiés nous ont fait brusquementdécouvrir les Balkans ces dernières années. La Suisses’est prise de sympathie pour ces nouveaux voisins

6«Les Balkans doivent réintégrer l’Europe»Interview de l’Autrichien Wolfgang Petritsch,Haut Représentant de la communauté internationaleen Bosnie

12Crépitement de truelles au KosovoOn reconstruit tout et partout au Kosovo, avecune collaboration énergique de la Suisse

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NIGERUne longue marche pour quelques patatesToute la difficulté de survivre dans ce paysqui occupe l’avant-dernier rang au classementde la pauvreté

16Une drogue douce dans la calebasseLe journaliste nigérien Ibbo Daddy Abdoulayerévèle des secrets culinaires

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Opinion DDC Quel comportement faut-il adopter à l'égard desgouvernements qui violent les droits de l'homme?

21Débuts de rêves dans un bidonville En Colombie, deux millions de personnesdéplacées vivent dans des conditionsmisérables

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Aider l’Afghanistan malgré les talibansLa Suisse préside cette année le groupe des paysdonateurs, qui se préoccupe surtout de la situationdes femmes

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L’économie privée découvre les pauvresÉconomie privée et coopération:trois spécialistes évoquent les limites etles potentiels d’une collaboration

26Carte blancheLe Congolais Louis Mombu, qui vit depuisdes années en Suisse, est l’organisateur principaldu «Festival Integration», à Zurich

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Pinocchio met son nez dans les scriptsUn programme de formation destiné aux scénaristesafricains

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Il y a trois ans, lors d’une conférence internationale,Thabo Mbeki, l’actuel président sud-africain, a invi-té les pays donateurs à opposer une image positivede l’Afrique aux habituels clichés misérabilistes.

Accédant au vœu de M. Mbeki, nous avons fait de« l’autre Afrique» le slogan de notre campagne an-nuelle et avons soutenu divers événements cultu-rels en rapport avec ce continent. L’expositionSouth meets West, à Berne, a remporté un succèsdépassant largement les frontières de la Suisse.Les œuvres d’artistes contemporains de diverspays africains y étaient présentées pour la premièrefois en Europe. L’exposition a rompu avec de nom-breux clichés sur l’art africain. Dans la rubrique«Carte blanche» du présent numéro, le CongolaisLouis Mombu, organisateur du «Festival Integra-tion», raconte pour sa part comment il vit les réali-tés suisses.

Lors de la conférence annuelle de la DDC, à finaoût, l’écrivain mozambicain Mia Couto a aussi dé-montré à quel point les échanges culturels peuventfavoriser la compréhension entre différents mon-des. La lecture qu’il a donnée de son roman La vé-randa au frangipanier et la discussion qui a suivi ontpermis au public de s’imprégner de la culture duMozambique, hôte d’honneur de la conférence. Undouble concert a ensuite réuni sur scène le groupemozambicain Mabulu et la formation bernoise TheShoppers. Une manière de prouver que la musiquepeut établir des ponts. Ravis par cette partie duprogramme, nombre d’habitués de la conférenceannuelle ont dansé avec enthousiasme.

Des affiches ont été placardées cet été pour attirerl’attention du public sur « l’autre Afrique» et sur lesite Internet www.africanow.ch. Cette action, qui aduré deux semaines, a également rencontré unécho des plus favorables. Nous avons reçu nombrede réactions, venues de Suisse et d’ailleurs, ainsique des messages signalant l’existence d’autressites consacrés à l’Afrique. Enfin, et c’est le clou dela campagne, le CD Urban Africa Now, qui réunit 17morceaux de groupes africains connus et inconnus,semble promis à un beau succès. Les médias l’onttrès bien accueilli et les ventes montrent que le pu-blic partage leur avis.

«L’autre Afrique» existe. Pour vous en convaincre,visitez www.africanow.ch, assistez à une manifesta-tion culturelle africaine ou allez voir un match defootball !

Harry SivecChef médias et communication DDC

(De l’allemand)

Allez voirun match de football!

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Editorial

Une odeur de café bio surles Andes(bf) Pour compenser les pertesdramatiques dues à l’effondre-ment des volumes de vente,les planteurs de café péruviensmisent désormais sur une nou-velle source de revenus, la cultu-re biologique. Depuis la dénon-ciation de l’Accord internationalsur le café, en 1989, les prixn’ont cessé de jouer au yo-yo.Cette situation a conduit notam-ment à la fondation d’organismesde commerce équitable.Cecovasa, coopérative de cultiva-teurs des vallées de Sandia, surles contreforts orientaux desAndes péruviennes, est devenueun de leurs fournisseurs.«De 4 pour cent en 1995, la partde nos ventes aux organismes decommerce équitable est aujour-d’hui montée à 12 pour cent etnous pensons que l’augmenta-tion se poursuivra», expliqueTeodoro Paco, président deCecovasa. Écologique et de qua-lité supérieure, le café biologiqueest en outre plus rentable pourles agriculteurs. Un sac de 100kilos leur rapporte 15 dollars deplus que le café ordinaire.Conséquence logique: de nom-breux agriculteurs organisés encoopérative envisagent de seconvertir à la production biolo-gique, avec l’aide d’ingénieursagronomes qualifiés.

Le neem retrouve sa liberté(bf) Le neem, un arbre originairedu sous-continent indien, vientde remporter une victoire décisi-ve à l’échelle mondiale. Uneentreprise américaine l’avait faitbreveter pour s’en approprier les innombrables propriétés.Or, dans la société indienne, leneem joue un rôle très importantdepuis des millénaires: ses feuilleset son écorce interviennent dansla fabrication de vêtements,d’aliments et d’habitations; sesbranches servent de brosses àdents; des médicaments naturelssont tirés de ses diverses parties;de plus, on lui prête des forcesspirituelles. Devant les protesta-tions de plusieurs organisationsinternationales de recherche etde développement, qui considè-rent le neem comme un biencommun de l’humanité, l’Office

européen des brevets vient derévoquer le brevet no 436257déposé quelques années aupara-vant. «C’est un grand jour pourtous ceux qui ont mené ce com-bat. Ils ont retrouvé le contrôlede leurs ressources et de leursconnaissances traditionnelles»,a commenté la scientifiqueVandana Shiva, de l’Institut derecherche pour la science, latechnologie et l’écologie, àDelhi.

Breveter le goût du cacao(bf) Son goût unique, le cacaodu Ghana le doit à un processusspécial de fermentation et deséchage, qui en fait une denréetrès demandée dans le mondeentier. Les laboratoires derecherche de diverses multinatio-nales cherchent depuis long-

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temps à reproduire cette saveur.Et voilà qu’ils ont trouvé lefilon, réussissant à isoler la pro-téine à l’origine de cet arômecaractéristique. Un brevet bio-technologique a été annoncé.Les producteurs ghanéens sonttrès inquiets, car les protéines fai-sant l’objet du brevet pourraientaisément être introduites dansdes variétés de cacao de moindrequalité. Las de vendre son cacaoaux multinationales pour leurracheter ensuite les produits finis,le Ghana s’est d’ailleurs lancédans la transformation. Il a com-mencé d’exporter des produitsfinis, sous sa propre marque, versles États-Unis et la Grande-Bretagne. Les premiers résultatssont encourageants.

La dette extérieure du Ghana semonte à dix milliards de francs.Et les exportations de cacao rap-portent un milliard par année,juste assez pour payer les intérêtsannuels.

Marraines et filleulesbéninoises(jls) Dans certaines régions duBénin, beaucoup de fillettesabandonnent très tôt leur scola-rité. Les parents préfèrent

qu’elles les aident dans les tra-vaux ménagers ou agricoles.Certains, comme ce notable de Kpèkpè, craignent le pire:«C’est une perte de temps etd’argent que d’envoyer une filleà l’école. Il y a aussi le risquequ’elle tombe enceinte desœuvres d’un enseignant.»Un système dénommé «fillepour fille» a été mis en place il y a quatre ans dans le sud dupays pour encourager le main-

tien des filles à l’école. On choi-sit des «marraines» parmi lesélèves plus âgées et on leurconfie jusqu’à trois fillettes. Ellesconduisent leurs «filleules» àl’école et les ramènent le soir àla maison. Elles les encadrent, lessurveillent pendant la récréation,les protègent. Cette expérienceest une réussite. Les parents, ras-surés, ne retirent pratiquementplus leurs fillettes de l’école.

Le Viêt-nam se coréanise(jls) Des séries téléviséescoréennes font fureur au Viêt-nam. Contrairement auxfilms hollywoodiens, elles sonten parfaite conformité avec lamorale vietnamienne. Les jeuness’identifient aux héros de cesfeuilletons et font tout pourleur ressembler, imitant leurcoupe de cheveux, la teinte d’unrouge à lèvres ou encore tellefaçon de porter la chemise.Sponsorisés par de grandesmarques coréennes, ces filmssont précédés et suivis de publi-

cités pour des produits de beau-té, du matériel électronique, desautomobiles, de la literie… made in Korea. Résultat: lesimportations de produits sud-coréens ont augmenté de 20pour cent l’an dernier et cessociétés ont vu leur chiffred’affaires gonfler. D’ingénieuxVietnamiens ont également tiréprofit du phénomène, parexemple en faisant enregistrer envietnamien les chansons des filmsou en imprimant les portraits desacteurs sur des T-shirts.

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Terre inconnue et lointaine il y a encore quelques années, lesBalkans nous sont aujourd’hui beaucoup plus familiers. En unrien de temps, les guerres et l’afflux de réfugiés ont entraîné unchangement de perception et d’attitude. Des décennies d’im-migration en provenance de l’ex-Yougoslavie n’y étaient pasparvenues. Par Andres Wysling*.

Ces guerres qui nous

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soutenir les réfugiés de Bosnie-Herzégovine et duKosovo ainsi que la reconstruction de leur patrie.Cet engagement est motivé par deux sentiments:d’une part, la sympathie avec les populations dé-placées et de l’autre, la peur de la «surpopulationétrangère».L’intérêt du public constitue une bonne base pourla politique active de la Suisse dans cette région.Une politique dont l’objectif avoué est d’accélé-rer le retour des réfugiés installés en Suisse et d’évi-ter de nouvelles arrivées. Personne n’y trouve rienà redire,ni la droite isolationniste,qui aimerait voirbaisser le nombre d’étrangers en Suisse, ni lagauche,certes plus ouverte sur le monde,mais sou-cieuse d’éviter un durcissement du débat sur l’asi-le et une nouvelle flambée xénophobe.La politiqueextérieure de la Suisse dans les Balkans reposedonc sur un certain consensus de base, aussi in-confortable soit-il.

Dans l’ombre des grandes puissancesL’engagement dans les Balkans coûte cher.Dans ledomaine civil et par rapport au nombre de ses ha-bitants, la Suisse compte parmi les principaux do-nateurs d’aide humanitaire et d’aide à la recons-truction:elle a investi plus de 250 millions de francssur cinq ans en Bosnie et presque 120 millions enune seule année au Kosovo. Ces chiffres ne repré-sentent que l’aide fédérale, à laquelle viennents’ajouter les dons privés. Mais ce n’est qu’unegoutte d’eau dans l’océan de l’aide internationale.Le programme de reconstruction civile (sans l’ai-de humanitaire) a coûté à lui seul 5 milliards dedollars en Bosnie et on prévoit que son coût at-teindra 2 milliards au Kosovo.La majeure partie decette aide provient de l’Union européenne – quiest en quelque sorte le trésorier des Balkans – etdes États-Unis. L’OTAN consacre en outre dessommes énormes à l’entretien des troupes station-nées sur place.En comparaison, l’engagement suisse dans les zonesen crise des Balkans n’est pas déterminant finan-cièrement et il est insignifiant sur le plan militai-re. De fait, l’avis politique de Berne ne pèse paslourd dans la balance.On a parfois l’impression queles Suisses sont juste bons à envoyer de l’argent età fournir le cas échéant des bons offices diploma-tiques,mais qu’ils n’ont rien à dire.Ce statut d’out-sider, la Suisse ne le doit pas seulement à sa petitetaille, elle l’a aussi choisi en restant à l’écart del’ONU, de l’Union européenne et de l’OTAN. Ilne la dégage que partiellement de sa coresponsa-bilité pour tout ce que la «communauté interna-tionale» fait ou néglige de faire dans les Balkans.Qu’elle le veuille ou non, la Suisse est mêlée à lapolitique des grandes puissances, notamment à

L’Europe du Sud-Est est de plus en plus proche.L’image des Balkans et de leurs habitants est entrain de changer. Les «Yougos» si mal aimés, sou-vent décrits dans les médias comme des trafiquantsde drogue prompts à dégainer, sont soudain deve-nus des êtres humains dont le destin éveille la sym-pathie. L’intérêt que les Suisses portent à ces voi-sins récemment découverts a été démontré no-tamment par le succès des collectes destinées à

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celle des États-Unis, bien qu’elle ne puisse enaucun cas l’influencer. Et elle en subit bien enten-du toutes les conséquences.Il n’en reste pas moins que l’aide fournie par laSuisse est substantielle. D’aucuns se demandent sil’argent est utilisé à bon escient. Pour savoir si lesdépenses engagées produisent les résultats es-comptés, il faut consulter la statistique sur les ré-fugiés.Des 34000 Bosniaques accueillis pendant laguerre (de 1992 à 1995),15000 sont retournés dansleur pays.Pour ce qui est du Kosovo (Yougoslavie),67000 personnes avaient trouvé asile en Suisse à lami-1999, au paroxysme de la crise. Depuis lors,35000 Kosovars sont rentrés chez eux,pour la plu-part de leur plein gré, dans le cadre du program-me d’aide au retour.Durant cette même période d’un an, on a enre-gistré quelque 6000 nouveaux requérants d’asileoriginaires du Kosovo. Cela signifie qu’après laforte augmentation des dernières années, la popu-lation des réfugiés en provenance des Balkans està nouveau en nette régression. Certes, des réfugiéscontinuent d’arriver, mais en petit nombre. Bienque la guerre soit terminée, les tensions perdurentdans cette région en crise.

Désamorcer les tensionsLa politique concernant les Balkans ne saurait s’entenir à l’objectif immédiat d’un retour des réfugiés.À long terme, l’engagement occidental a pour butde désamorcer les tensions. Et la Suisse a tout in-térêt à participer à cet effort. Le traitement pres-crit à la Bosnie et au Kosovo comprend l’aide hu-

manitaire, la reconstruction des logements et desinfrastructures, la relance de l’économie, le renfor-cement des organes de l’État, la promotion de lasociété civile et, bien sûr, le retour des personnesdéplacées. Mot d’ordre général de cette action: lareconstruction d’une société multiculturelle, régiepar une constitution démocratique répondant auxnormes occidentales. La « société multiculturelle»revient dans tous les discours des politiciens oc-cidentaux en visite à Sarajevo ou à Pristina. Maisde toute évidence,elle n’existe plus et il faudra plusde temps pour lui redonner corps qu’il n’en a fallupour la détruire. Les derniers conflits dans lesBalkans ont été menés dans un objectif de «puri-fication ethnique», qui a été largement atteint. Dureste, après tout ce qui s’est passé, un retour à la si-tuation d’avant-guerre est inimaginable.

Plus jamais de thé aveceuxUn vieil Albanais chasséde Pristina raconte: «Je neveux plus rien avoir à faireavec les Serbes. Tout estde leur faute. Bien sûr, il yen a parmi eux qui n’ontrien fait. Ceux-là peuventrester. Mais avec eux nonplus, je ne veux plus rienavoir à faire. Plus questionque nous prenions le théensemble, comme avant.Ces temps-là sont révolus.Peut-être que cela revien-dra, mais il faudra attendrelongtemps, très long-temps. Peut-être à la pro-chaine génération, ouencore la suivante.»

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En Bosnie,par exemple,des zones de résidence ontété attribuées aux divers groupes ethniques.Bosniaques (musulmans), Serbes et Croates viventaujourd’hui séparés. Selon toute probabilité, leschoses ne changeront pas avant longtemps. Il nefaut pas s’attendre à un mouvement de minority re-turns, à savoir le retour massif et durable de réfu-giés dans des zones où un autre groupe ethniqueprédomine. Le Bureau du Haut Représentant abeau les encourager en organisant la restitution delogements expropriés, les chances de succès sontminces.C’est seulement au cours des deux dernières an-nées que le retour vers des villages éloignés a puêtre organisé, notamment avec le soutien de laSuisse.Leur population présentait en principe déjàune homogénéité ethnique avant le début deshostilités. Les villageois qui choisissent de rentrersont pour la plupart des personnes âgées. Lesjeunes, eux, préfèrent rester là où ils se sont éta-blis, surtout ceux qui vivent maintenant en ville.Contrairement à ce qui se passe dans les cam-

eux ont fui au Monténégro ou en Serbie inté-rieure. Ceux qui sont restés vivent le plus souventdans des camps sous surveillance militaire. Quel-ques-uns seulement ont pu rester dans leurs mai-sons. De nombreux Gorans (musulmans et slaves)ont également fait l’objet d’attaques,mais ils jouis-sent aujourd’hui d’une paix relative. Compara-tivement, les Turcs semblent avoir moins de pro-blèmes. De manière générale, le climat est à l’in-tolérance. Cela s’exprime notamment par une in-terdiction linguistique: parler une langue slave enpublic, c’est risquer sa vie.

D’abord un toit et un revenuDans les circonstances actuelles, la réhabilitation dela société multiculturelle est un but lointain de l’ai-de. Pour l’heure, il importe surtout d’atteindre uncertain nombre d’objectifs concrets et immédiats.Les habitants ont d’abord besoin d’un toit et d’unrevenu.Au Kosovo et en Bosnie, la Suisse a four-ni une aide rapide et efficace dans la constructionde logements. Pour ce qui est des sources de reve-

Retour dans la montagneUne petite vingtained’hommes campent à l’intérieur d’une église,dans les montagnes dunord de la Bosnie. Le plusjeune a 55 ans, les autresplus de 60. Tous sontCroates. L’aide de Caritasleur a permis de revenirdans leur village détruit, enRépublique serbe. Aprèsavoir réparé l’église, ilscomptent reconstruire lesmaisons. Des policiersserbes se sont installésdans l’ancienne école, quise trouve à proximité. Ilssont chargés de supervi-ser le retour des Croates.Un diplomate prononce undiscours. «Bientôt, desenfants croates et serbess’assoiront à nouveau côteà côte», lance-t-il.Personne ne le croit.

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Yougoslavie 1999 Bulgarie 1999

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pagnes, le retour vers les villes, qui accueillaientauparavant une population beaucoup plus hété-rogène, ne fait que commencer. Depuis le débutde 1999, la Bosnie n’a enregistré que 60000 mi-nority returns.La guerre avait jeté sur les routes plusde 2 millions de personnes.Au Kosovo,après l’expulsion des Albanais puis leurretour, ce fut au tour des Serbes d’être chassés. Lamoitié d’entre eux, tout au plus, sont restés dansla province. Ils vivent entassés dans différentes en-claves, coupés du monde extérieur. Seule la pré-sence des troupes internationales, qui veillent24 heures sur 24 sur les enclaves serbes, leur éviteune expulsion pure et simple. Les Tsiganes serbo-phones, qui avaient la réputation d’être à la soldede l’armée serbe, se trouvent dans une situationpeut-être plus précaire encore. La plupart d’entre

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nus,elle continue de jouer un rôle de premier planen offrant des emplois aux travailleurs immigrés.Assurer les moyens de subsistance d’une majoritéde la population constitue la meilleure garantie dela stabilité politique. Celle-ci est à son tour lacondition sine qua non d’un développement éco-nomique autonome. En Bosnie, les résultats obte-nus sont toutefois peu encourageants: l’État fonc-tionne mal et l’économie est loin d’être viable. AuKosovo, la situation semble meilleure,mais elle resteinstable. On estime qu’une aide massive, mise enœuvre selon un plan précis, permettra de recons-truire en trois ans les villes, les villages et les routes.En revanche, le renouvellement du tissu social,économique et politique prendra beaucoup plus detemps.C’est ce constat qui a présidé à l’élaboration duPacte de stabilité pour les Balkans. Dans ce cadre,il est prévu d’apporter une aide non seulement auxterritoires et pays dévastés par la guerre, mais aussiaux États qui ont connu une évolution plus favo-rable, comme la Macédoine, la Bulgarie, laRoumanie, l’Albanie,voire la Croatie.Malgré leursdifférences, ces pays doivent résoudre les mêmesproblèmes: tous traversent une phase de transitionpolitique et font face à d’énormes difficultés éco-nomiques.Cette situation les rend sujets aux crises.Voilà précisément ce que les pays riches del’Europe veulent éviter. C’est pourquoi ils appli-quent le vieil adage «Mieux vaut prévenir que gué-rir». Dans son propre intérêt, la Suisse se doit departiciper à cet effort, même si elle ne peut jouerqu’un rôle secondaire et que les grandes lignes dela politique sont fixées par les autres États et orga-nisations. ■

*Andres Wysling est correspondant de la «NeueZürcher Zeitung» pour l’Europe du Sud-Est.Il est en poste à Vienne.

(De l’allemand)

Des étoiles au lieu d’unecroix blancheSeule la kula, vieille tour degarde aux murs épais etaux petites fenêtres, tenaitencore debout après laguerre. Le reste de laferme, située à proximitéde Gjakove/Djakovica,avait brûlé. Entre-temps, lagrande demeure a été re-construite. Et le drapeauétoilé des États-Unis flottesur son nouveau toit.«Mais c’est le drapeausuisse qu’il faudrait hisser!Après tout, c’est nous quiavons payé les matériauxde construction», re-marque le délégué suisse.«Oui, mais ce sont lesAméricains qui nous ont li-bérés», réplique l’Albanais.

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Les Balkans(bf) Nom d’une chaîne de montagnes enBulgarie, les «Balkans» désignent également laplus orientale des trois péninsules méridionalesde l’Europe, la Péninsule balkanique. Celle-cicomprend la majeure partie de l’Europe duSud-Est. Plus précisément, elle couvre tout leterritoire délimité au nord par le Danube et sonaffluent, la Save, à l’est par la mer Noire et la

mer de Marmara, au sud par la mer Egée et àl’ouest par les mers Adriatique et Ionienne.La région des Balkans comprend actuellementles États suivants : l’Albanie, la Bulgarie, laBosnie-Herzégovine, la Grèce, la Républiquefédérale de Yougoslavie, la Croatie, laMacédoine, une partie de la Roumanie, ainsique la partie européenne de la Turquie. ■

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Un seul monde: Les pays des Balkans qui ontété ravagés par la guerre doivent aujourd’huirelever un double défi.Quels sont à votre avisles principaux obstacles à leur développe-ment?Wolfgang Petritsch: La Bosnie et certains deses voisins se trouvent effectivement face à undouble défi. La plupart des pays d’Europe cen-trale et d’Europe de l’Est ont éprouvé beaucoupde difficultés pour passer en dix ans d’une éco-nomie communiste contrôlée par l’État à l’éco-nomie de marché et à la démocratie. En Bosnie,la situation est encore plus grave, car cette évo-lution a été freinée par la guerre. D’ailleurs, latransition de la guerre vers la paix n’est pasencore totalement achevée. Je pense néanmoinsque la Bosnie est sur la bonne voie. Nous soute-nons ce que j’appelle l’«européanisation du pays»en introduisant des lois conformes aux directivesde l’Union européenne et en planifiant la priva-tisation d’entreprises qui datent de l’ère commu-niste.Autre facteur encourageant: l’augmentation

du nombre de réfugiés retournant chez eux.

Est-il possible de résoudre véritablement lesconflits dans les Balkans?Il est important que les habitants de la région sefamiliarisent avec la notion de «citoyen», dans lesens d’une participation active, comme on l’en-tend en français. La nationalité et l’origine eth-nique ne doivent jouer aucun rôle. Les seulescontraintes découlent des droits civils et des droitsindividuels tels qu’ils sont définis dans la loi.Un appareil législatif se met actuellement en placeen Bosnie. Ainsi, on a introduit de nouvelles loissur la propriété et la location de biens immobi-liers. Elles prévoient que chaque citoyen retrouvele logement qui était le sien avant la guerre.L’application de ces textes, que j’ai promulgués,est le seul moyen de surmonter les purificationsethniques de la guerre. Des indices montrentqu’un même processus est en cours en Croatie.Par contre, la situation de la Yougoslavie demeurehélas très incertaine. Slobodan Milosevic reste

L’évolution de la situation dans les Balkans se trouve au-jourd’hui en grande partie sous la supervision de la commu-nauté internationale. Celle-ci est représentée en Bosnie parl’Autrichien Wolfgang Petritsch, un excellent connaisseurdes Balkans. Interviewé par Gabriela Neuhaus, il évoque la situation actuelle et l’avenir de cette région.

Wolfgang PetritschLe diplomate autrichienWolfgang Petritsch a suivide très près l’évolution desBalkans. Il a été ambassa-deur d’Autriche à Belgradede 1997 à 1999. Durant laseconde moitié de sonmandat, d’octobre 1998 àjuillet 1999, il a assumé enoutre la fonction d’envoyéspécial de l’Union euro-péenne (UE) au Kosovo.M. Petritsch a égalementété le négociateur principalde l’UE aux pourparlers deRambouillet et de Paris. Enjuillet 1999, il a succédé àl’Espagnol CarlosWestendorp au poste deHaut Représentant de lacommunauté internationaleen Bosnie. L’instance qu’ildirige, le Bureau du HautReprésentant, a été crééepar les accords de Daytonet a pour but de promou-voir le processus de paixen Bosnie.

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Bosnie, Sarajevo 1994

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l’obstacle majeur à l’instauration d’une paixdurable dans la région.

Vous êtes Haut Représentant de la commu-nauté internationale en Bosnie depuis août1999. Quels sont les avantages et les incon-vénients d’une médiation externe?Un médiateur externe n’a pas de parti pris.Chacun de mes actes est observé et analysé. Jedois donc faire preuve d’une impartialité absolue.De plus, en tant que citoyen autrichien et euro-péen, j’ai une certaine expérience de la démo-cratie. Toutefois, cette position comporte égale-ment certains risques, notamment la tentationd’imposer «de l’extérieur» des solutions simples.Je crois au sens des responsabilités des citoyens,mais je suis toujours déçu de voir que nombre depoliticiens, surtout dans le camp des nationalistes,reculent devant les décisions difficiles.Trop sou-vent, ils préfèrent attendre qu’on leur impose unesolution de l’extérieur, ce qui leur évite d’an-noncer la couleur. C’est irresponsable.

Comment jugez-vous la situation dans l’autregrande zone de conflit, à savoir le Kosovo?La paix n’y est pour l’instant qu’apparente, lasituation reste très délicate. En tant qu’envoyéspécial de l’Union européenne (UE) au Kosovoet son négociateur principal à Rambouillet, j’aiété extrêmement déçu du résultat de cette ren-contre. À mon avis, la problématique des retoursau Kosovo est semblable à celle de la Bosnie. LesSerbes et les Tsiganes qui ont été chassés de chezeux doivent pouvoir revenir. Là aussi, le conceptde société civile revêt une importance décisive.Un Kosovo étroitement nationaliste, qui exclu-rait tous les non-Albanais, n’a aucun avenir ausein de l’Europe.

Les Balkans dépendent de l’aide internatio-

nale. Dans ce contexte, comment jugez-vousle rôle joué par la Suisse?La Suisse s’est montrée extrêmement active enBosnie depuis la guerre. Des 34000 personnesqui y avaient trouvé refuge, presque la moitiésont maintenant rentrées chez elles, grâce à l’ai-de au retour octroyée par le gouvernement suis-se. Du reste, la Suisse n’est pas seulement enga-gée dans le domaine de l’aide humanitaire, maiségalement dans le développement futur de laBosnie. Elle prouve surtout que des gens delangue et d’origine ethnique différentes arriventà vivre et à fonctionner ensemble. C’est le prin-cipal message qu’elle adresse aux citoyens bos-niaques.

Votre travail est non seulement difficile,maisil comporte aussi un côté frustrant, commevous l’avez dit. Où trouvez-vous l’énergie decontinuer malgré tout?Ma tâche est épuisante, certes, mais elle est aussistimulante et fascinante. Comment faire pourque les Balkans réintègrent l’Europe, à laquelleils appartiennent? Cette tâche exige de la créati-vité et de l’imagination, mais aussi beaucoup depersévérance face à l’insupportable cruauté desconflits. L’idée que je puisse contribuer à fairenaître une Bosnie tolérante, multiethnique, quiprendra sa place dans l’Europe nouvelle… voilàce qui me motive. ■

(De l’allemand)

L’interview de Wolfgang Petritsch a été réalisée avant lachute de Slobodan Milosevic.

L’aide internationale estnécessaire: dans l’es-poir d’y trouver lesnoms de parents dispa-rus, des Kosovars par-courent la liste desréfugiés enregistrés enAlbanie par le Comitéinternational de laCroix-Rouge (CICR).

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Albanie 1999

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Mars 1999.Les regards du monde entier sont tour-nés vers Rambouillet. Le visage tendu, en completsombre ou en uniforme,des hommes sortent de li-mousines ou de jeeps pour disparaître derrière lesportes de l’espoir, sous la protection du service desécurité. Hélas, les négociations échouent. Uneguerre ininterrompue de 79 jours va opposerl’OTAN aux troupes serbes stationnées au Kosovo,qui durcissent radicalement leur politique d’expul-sion de la population albanaise.Plus de 750000 per-sonnes s’enfuient à l’étranger, laissant derrière ellesdes maisons incendiées, des routes et des pontsbombardés et des cadavres en décomposition.Puis la paix revient. Les troupes serbes se retirentdu Kosovo et dans les jours qui suivent, des mil-liers de réfugiés regagnent leurs maisons détruiteset leurs champs minés.Ils sont accompagnés par desconvois d’aide internationale qui leur assurent unapprovisionnement minimum. Pendant quelquesmois encore,le Kosovo continue de faire la une desjournaux. Peu à peu, la presse se concentre exclu-sivement sur le problème des réfugiés, se deman-dant quel pays peut en accueillir combien et pourcombien de temps. Puis, le silence revient.

Difficile réconciliationUne année et demi après la conclusion des accordsde paix, le Kosovo est en pleine reconstruction.Quelque 400 organisations gouvernementales etnon gouvernementales y participent, aux côtés dela population locale. À eux seuls, les projets suissesauront permis de reconstruire 2614 maisons en1999. Et 2395 autres bâtiments devraient être ter-minés d’ici la fin de l’année 2000.Pourtant,cet hiverencore,il n’y aura pas assez de logements disponiblespour tout le monde.On trouve la plupart des denrées alimentaires dansles magasins. De nombreuses écoles ont été rou-vertes. Mais le processus de réconciliation entre lesAlbanais et les minorités (serbe, turque et tsigane)marque le pas.Les provocations et les agressions sontmonnaie courante.Quelque 25 Suisses et plus de 125 employés origi-naires du Kosovo, travaillent au bureau de coordi-nation de l’aide suisse à Pristina. «L’optimismerègne, on construit partout au Kosovo. Mais il nesuffira pas de réparer les dégâts dus à la guerre: ilfaudra également rattraper des années de mauvaisegestion et 50 ans de communisme», explique

Un an et demi après la fin de la guerre, le Kosovo s’est instal-lé dans une «normalité de la reconstruction». Immeubles,écoles, rues, barrages… On est en train de tout rebâtir. Y com-pris la démocratie. De Maria Roselli.

Quatre prioritésLa DDC est présente dansles Balkans par le biais del’aide humanitaire, qui estune aide d’urgence, et desa Division pour la coopé-ration avec l’Europe del’Est et la CEI (DCE), quitravaille à plus long terme.Pour l’an 2000, la DCE aprévu des dépenses de12 millions de francs desti-nées à des activités dansquatre domaines princi-paux:

Organisation des com-munes et de la justice:Mise sur pied d’un ca-dastre et d’un registre deshabitants, projet dans ledomaine de l’exécutiondes peines.

Services publics:Approvisionnement en eaudans le sud-est duKosovo, projets dans ledomaine de l’éducation etde la formation, soutien àune radio publique.

Promotion du secteurprivé:Projets de soutien à l’agri-culture ainsi qu’à de pe-tites et moyennes entre-prises.

Société civile:Contributions versées àdes œuvres d’entraidepour divers projets.

Crépitement de truelles

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Antoine Dubas,collaborateur de la DDC à Pristina.Afin d’illustrer ce que mauvaise gestion veut dire,Céline Yvon, de la Division pour la coopérationavec l’Europe de l’Est et la CEI (DCE),évoque l’ap-provisionnement en eau dans le sud-est du Kosovo:«Depuis dix ans, les installations de traitement del’eau n’ont pratiquement pas été entretenues. Lestravailleurs albanais ont été licenciés et plus de lamoitié de l’eau potable est aujourd’hui perdue.Sous le communisme, la gestion des installationsétait absolument centralisée.C’est Belgrade qui dé-cidait de l’approvisionnement en eau de chaquecommune.»Un programme commun de la DDC et du Secré-tariat d’État à l’économie (seco) devrait remédieraux problèmes d’approvisionnement, surtout dansles villes du sud-est. Le but du projet est double:produire suffisamment d’eau potable de qualité etpermettre aux installations communales existantesde fournir cette eau à la population à des prix as-surant la couverture des coûts.

Mobilisation pour l’eau potable«Lorsque nous sommes arrivés dans la région enaoût 1999, le réseau d’eau potable était dans un étatdéplorable», se souvient Philippe Genoud, un in-génieur du Corps suisse d’aide en cas de catas-trophe (ASC). Les experts suisses ont dû prendredes mesures d’urgence pour assurer un approvi-sionnement suffisant en eau potable. Ils ont réparéou remplacé partiellement des captages, des con-duite d’adduction et des réseaux de distribution.L’installation la plus mal en point était celle deGnjilane/Gjilani, où le toit du réservoir menaçaitde s’écrouler. Il a fallu mettre en place une dériva-tion,équipée d’un filtre.Ce système a permis d’as-surer l’approvisionnement, tandis que l’installationprincipale restait fermée pendant les travaux de re-mise en état.

Aide humanitairePour l’aide humanitaire etles projets de l’ASC, laSuisse aura dépensé cetteannée 43 millions defrancs: distribution de ma-tériel aux réfugiés de re-tour, construction et réno-vation de 500 maisons et7 écoles, construction deroutes et de ponts, coordi-nation et réhabilitation del’approvisionnement eneau pour 150000 per-sonnes, envoi de 1200bovins, distribution desemences, protection desintérêts des minorités, for-mation des membres duCorps de protection duKosovo et déminage encollaboration avec le minis-tère russe du service civilet de l’aide d’urgence.

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au KosovoLa construction de cette dérivation a été réaliséepar l’ASC,en collaboration avec des entreprises lo-cales. Cette opération s’est inscrite dans le pro-gramme d’aide humanitaire. En revanche, la re-construction proprement dite de la station est unprojet commun de la DCE et du seco. Ce projet

illustre la voie que la Suisse veut suivre au Kosovo:s’éloigner de l’aide humanitaire pour privilégier lacoopération technique.Les activités de la DDC en rapport avec le conflitau Kosovo sont financées à 80 pour cent parl’Office fédéral des réfugiés (ODR), dans le cadrede ses programmes d’aide au retour.Le coût de cesactivités s’est élevé à 83 millions de francs en 1999et il a été budgétisé à 55 millions pour l’année 2000.En ce qui concerne l’aide financière au Kosovo, leseco a prévu des dépenses de l’ordre de 8 millionsde francs en 2000 et un autre montant de 27 à30 millions durant les trois années suivantes. ■

(De l’allemand)

Un seul monde N° 4 / Décembre 200016

Talladjé est l’un des quartiers les plus pauvres deNiamey. La précarité, l’insalubrité et l’insécuritéy règnent en maîtres absolus. Les habitations seconcentrent entre des marécages nauséabondsinfestés de moustiques et des tas d’immondices.Il est sept heures. Au domicile de la vieilleZeinabou, des cliquetis de tasses et une fumée debois humide indiquent que c’est l’heure du petitdéjeuner. Celle que ses enfants appellent Ouichiinsiste pour que son hôte prenne au moins«l’eau blanche», un mélange d’eau et de boulede mil. Sèche comme une tige de mil, Ouichi, lasoixantaine passée, est débordante de vitalité.Elle distribue les tâches d’une voix forte tout endonnant à manger aux poules. «Rabi, tu emmè-neras le maïs au moulin; Aïcha, tu prépareras ledéjeuner et tu balayeras la maison.» Elle répri-mande un garçon roulé dans une couverture ensac de farine, car il refuse de se lever.Aucun de ses neuf enfants ne travaille. L’aînéétudie le Coran au Nigeria et une fille estmariée. Les sept autres sont encore sous son toit.Le mari de Zeinabou est mort en 1991. Il avaittravaillé plus de trente ans dans une société denégoce qui a mis la clé sous la porte sans avoirassuré la moindre indemnité à la veuve et auxorphelins.

Denrées de saisonChaque matin, sur la route poussiéreuse condui-sant au centre ville, Ouichi expose aux regardsdes passants des noix de kola, de doum, destubercules de patates douces, des feuillesbouillies… bref, toutes sortes de denrées que lasaison autorise. Mais auparavant, elle doit allers’approvisionner au marché de Katako, à septkilomètres de là. Un véritable calvaire, car «sesvieux os ne supportent pas la marche».Il faut traverser la Ceinture verte, une forêt deneems devenue le refuge de bandits, de délin-

quants et le dépotoir d’une communauté urbai-ne d’un million d’habitants. Dressée dans lesannées 60 pour préserver la capitale des vents desable, cette haie vive se réduit en peau de cha-grin. Dans des quartiers comme Talladjé, l’eau etl’énergie font cruellement défaut. Souvent, leshommes partent très tôt le matin, «sans laisserl’argent des condiments». Et les femmes n’ontpas d’autres combustibles que le bois pour fairebouillir la marmite.Chemin faisant, Ouichi rejoint des compagnesd’infortune. Longues processions de femmeslevées tôt pour assurer de quoi tromper la faim.Elles distillent des blagues pour se doper contreun quotidien pas toujours gai. Elles raccourcis-sent le trajet en échangeant les derniers potins:une telle a accouché la nuit dernière; le mari detelle autre vient de convoler en secondes noces;une troisième a perdu un de ses enfants, dessuites d’une crise de paludisme.

«Dieu est grand»Il faut prendre garde à ne pas se faire écraser. Leschauffeurs de taxi donnent de brusques coups devolant pour éviter les ornières de cette routedéfoncée. «Tiens! Un bâtiment a surgi entrePolice-Secours et le Village artisanal de Wadata»,s’étonne cette grosse maman en plaquant sonenfant sur son dos. «Où trouvent-ils donc toutcet argent?» Et les discussions repartent de plusbelle. Sur l’origine de telle fortune, construite unjour et défaite le lendemain; sur les happy few quiinvestissent dans la pierre et les belles voitures,sur cette opulence obscène dans le lit d’unemisère épouvantable. Puis cette tirade: «Dieu estgrand». C’est la formule favorite des Nigérienslorsqu’ils sont confrontés à une question quidépasse l’entendement. Devant la mosquéeImam Malik, le groupe s’efface devant desfemmes voilées et toutes vêtues de noir.

Zeinabou est veuve et il lui reste sept enfants à élever. Pour lesnourrir, cette sexagénaire tient un petit négoce au bord de laroute, dans une banlieue située au nord-est de Niamey. Sa viequotidienne reflète les tourments du Niger, classé avant-der-nier dans le rapport mondial sur le développement humain.D’Ibbo Daddy Abdoulaye*.

Une longue marchepour quelques patates

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À l’ombre d’immeubles délabrés, une foule s’ag-glutine autour d’un kiosque du Pari mutuelurbain (PMU). «Et dire qu’ils se disputent pourjeter de l’argent», remarque Ouichi. Depuisquatre ans, ces courses de chevaux disputées surdes hippodromes parisiens ont entraîné lesNigériens dans une course effrénée vers le gainfacile.Les femmes découvrent un autre spectacle inso-lite au carrefour du collège Lako, où les feux neclignotent plus: au risque de se faire renverser, dejeunes mendiants se disputent sur le macadamune piécette jetée par un automobiliste. Unemendiante en haillons, cul-de-jatte et manchote,assiste à la scène. Elle lutte pour retenir son bébé

qui gigote dans tous les sens. Commentaire deZeinabou: «Vous avez beau pleurer sur votresort, lorsque vous voyez une peine plus grande,vous ne pouvez que remercier le bon dieu.»Puis c’est le lycée Kassaï dont les murs et lesenvirons sont envahis par des vendeurs à la sau-vette. Depuis que les salaires des fonctionnairesne sont plus régulièrement assurés, «chacun ason business». Enfin, le marché de Katako, véri-table caverne d’Ali Baba à ciel ouvert où l’ontrouve de tout. Même des organes humains,disent les mauvaises langues. Les multiples tenta-tives des autorités pour l’assainir ou le recasersont restées lettre morte. Et cette plaie béante enplein cœur de la capitale continue de décompo-

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sement, personne n’a eu de graves problèmes desanté jusqu’ici. «Vous vous rendez compte, ilsviennent de fixer l’entrée au dispensaire à 500francs.» Et les médicaments sont très souvent in-trouvables ou trop chers. Mais Ouichi sait que cen’est qu’un sursis accordé par la Providence, «cartout être humain finit par tomber malade». ■

* Ibbo Daddy Abdoulaye est un journaliste nigérien

ser d’énormes chiffres d’affaires qui échappent àtout contrôle, du fait de l’informalisation ram-pante de l’économie. Mais pour des petites genscomme Ouichi, Katako, c’est «un marché oùvous trouvez des articles pas chers».

Pas de marchandageParvenue au coin alimentation, Ouichi ne trouvepas son vendeur habituel qui parfois lui fait cré-dit. «Il est parti au village voir l’avancement deses travaux champêtres», annonce un autre com-merçant, en lissant sa barbe d’ayatollah. Elledemande combien coûte un tas de tubercules depatates douces. «C’est 500 francs CFA. À prendreou à laisser.» Lorsqu’elle marchande, il lance: «Situ es venue pour acheter, achète. Sinon, pose cespatates et continue ton chemin.» Ouichi enchoisit deux bons tas, qu’elle paie en comptantminutieusement l’argent noué dans son pagne. Etelle fait une croix sur les noix de kola qu’ellevoulait aussi acquérir avec la même somme.Au retour, ses pas se font plus traînants sous lepoids de la charge et de la fatigue.Arrivée à Talla-djé, elle déroule enfin son sac de jute et y dépo-se sa marchandise. «En fait, ce ne sont pas cespetites choses qui nous font vivre, c’est l’in-croyable bonté de Dieu», assure-t-elle. À côté dece modeste commerce, elle continue de planterquelques graines de niébé ou de pois de terredans les deux lopins laissés par son défunt mari.À midi, elle se contente de mâchouiller une noixde kola. «Ce n’est pas intéressant pour un adultede manger sur la voie publique.» Vers 14 heures,elle plie bagage, sachant qu’elle n’écoulera plus cequ’elle n’a pas vendu le matin. Mais sa journéen’est pas terminée. Faire la lessive, la vaisselle, allerau puits, piler le mil… «Les enfants me prennentpour un robot», dit-elle en souriant. Heureu-

L’objet de tous les joursL’hilaireLes paysans nigériens (en-viron 90 pour cent de lapopulation) ne jurent quepar l’hilaire. Ils mettent enavant la légèreté et la sou-plesse de cet instrumentaratoire, ainsi que lesprouesses qu’il est ca-pable de réaliser sur tousles types de sols. Son prixtrès modique en fait unoutil précieux adopté partoutes les communautésdepuis des temps immé-moriaux. D’un entretien fa-cile, l’hilaire a en outre unetrès longue durée de vie.Ces qualités en ont fait unaccessoire de culture em-blématique du Niger, paysdont l’agriculture est l’unedes plus archaïques dumonde.L’hilaire est une longue tigede bois flexible, surmontéeà l’une des extrémitésd’une poignée en bois deforme triangulaire et àl’autre d’une sorte decroissant lunaire en fer trèstranchant. Dans les mainsd’un paysan expert, ellefond dans la terre commedans du beurre, l’ameu-blissant et rasant à lasouche les mauvaisesherbes.

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(sku) Dans les statistiques de l’ONU sur le déve-loppement, le Niger se place depuis des annéesen queue de peloton. C’est surtout l’état déplo-rable de l’éducation et de la santé publique quiest en cause.La coopération entre la Suisse et le Niger adébuté il y a 25 ans environ au niveau étatique.En 1990, elle s’est élargie au secteur privé: orga-nisations paysannes et de défense des droits del’homme, œuvres d’entraide et groupements defemmes. Depuis 1996, elle se concentre surquatre régions. Dans le sud, ce sont les districtsde Gaya et le département de Maradi. Dans leszones du Sahara et du Sahel, où prédominentl’élevage et l’irrigation, et où la survie dépend depluies peu abondantes, ce sont le canton deNord-Téra et le massif de l’Aïr.La DDC soutient l’agriculture, la sylviculture,l’élevage, la construction de routes, l’approvi-sionnement en eau, l’éducation et la formationdes adultes ainsi que les systèmes d’épargne et de

crédits. Ces actions, conjuguées, visent un parte-nariat direct avec la population et une contribu-tion à la création de structures décentralisées.Celles-ci conféreront plus de poids à la popula-tion dans ses négociations avec l’administrationcentrale, avec les chefs traditionnels et avec lesorganismes de développement. L’apprentissagedémocratique et l’autodétermination sont lacondition préalable à une décentralisation certesdécidée par le gouvernement, mais pas encoreréalisée.Depuis peu, la coopération vise aussi à améliorerl’État de droit. Il est indispensable de connaîtreles moyens juridiques pour défendre ses droits. Etles groupes défavorisés, dont font partie la majo-rité des femmes, en ont particulièrement besoin.Par ailleurs, de graves injustices subsistent dans ledroit familial et foncier. La DDC appuie desgroupements de femmes, des œuvres d’entraide,des médias, des tribunaux, ainsi que les minis-tères de la justice et des affaires sociales.

Faits et chiffres

CapitaleNiamey

Superficie1267000 km2

Principales ethniesHaoussa, Djerma-Songhaï,Peul, Touareg et Kanouri

LanguesFrançais (langue officielle),haoussa (langue véhiculai-re)

ReligionMusulmans (80%), animistes et chrétiens

PopulationNombre d’habitants:10 millionsEspérance de vie: 47 ansScolarisation: 30% enmoyenne (18% pour lesfilles)Taux de fécondité: 7,8 enfants par femmeMortalité infantile:191/1000

Secteurs d’activitéAgriculture et élevage:90%Industrie et commerce:6%Services gouvernemen-taux: 4%

RessourcesCultures de subsistance:mil, sorgho, riz, maïs, ma-niocCultures de rente: arachide, souchet, coton,oignons, niébéÉlevage: bovins, ovins, ca-prins, équins, camelinsMines: uranium, charbon,manganèse, phosphate,étain et pétrole

La Suisse et le NigerFemmes, développement local et État de droit

Niger

Repères historiques

1958 Le Niger approuve le référendum par lequel laFrance proposait à ses colonies l’autonomie in-terne au sein d’une Communauté franco-afri-caine.

1959 Un décret présidentiel ordonne la dissolutiondu Sawaba, parti qui avait fait campagne contrele référendum. Le Parti progressiste nigérien,section du Rassemblement démocratique afri-cain (PPN-RDA), devient de facto le partiunique.

1960 Accession à l’indépendance. Diori Hamani estélu président de la République.

1964 Des actions de guérilla, orchestrées par leSawaba, sont suivies d’emprisonnements mas-sifs, d’exils forcés et d’exécutions sommaires.

1974 Le président Diori est renversé lors d’un coupd’État militaire conduit par le lieutenant-colo-nel Seyni Kountché. Celui-ci impose un régi-me d’exception.

1987 Le général Seyni Kountché meurt à Paris. Lechef d’état-major Ali Saïbou lui succède. Ilcrée un parti unique, le Mouvement nationalpour une société de développement (MNSD),dont il devient le président.

1990 L’armée réprime dans le sang un mouvementde contestation estudiantin et un soulèvementdes Touareg. Les syndicats réclament le multi-partisme.

1991 Réinstauration du multipartisme.

1991 Une Conférence nationale élit les autoritéschargées de conduire la transition et de veillerau retour d’une vie constitutionnelle normale.

1993 Premières élections démocratiques depuis l’in-dépendance. Mahamane Ousmane, soutenu parune coalition de neuf partis, est élu président.

1996 En janvier, un groupe d’officiers menés parIbrahim Baré Maïnassara, chef d’état-major,s’emparent du pouvoir. En juillet, le généralBaré accède à la présidence lors d’électionsentachées d’irrégularités.

1999 En avril, le général Baré est assassiné par sagarde rapprochée. Un conseil composé dejeunes officiers s’investit de tous les pouvoirsjusqu’à la mise en place d’institutions républi-caines. En novembre, le colonel à la retraiteTandja Mamadou, soutenu par 18 partis, de-vient président au cours d’élections unanime-ment reconnues comme transparentes.

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La boule est une spécialité bien nigérienne.Ce metsà base de mil et de lait caillé est un élément carac-téristique de l’identité nationale.Au même titre queles scarifications arborées fièrement par la quasi to-talité des ethnies de ce grand pays niché au cœur duSahel.Les Nigériens sont les seuls à connaître le secret desépices et des arômes qui donnent à la boule son goûtsi particulier. La plupart d’entre eux consommentce plat trois à quatre fois en 24 heures. La boule estau Nigérien ce que le vin est au Français ou le fro-mage de gruyère au Suisse,c’est-à-dire son meilleurambassadeur. Mais elle est aussi un excellent baro-mètre: en étudiant la nature et la quantité de bouleque les Nigériens ingurgitent tout au long de lajournée,on en apprend plus sur la santé du pays qu’àtravers le meilleur indicateur de pauvreté. Cettenourriture à haute valeur nutritive est très riche enprotéines, en vitamines et en fer.

Unanimes autour de la calebasseÀ vrai dire, il existe différentes variétés de boule.Chaque région loue l’incomparable saveur de lasienne. Mais lorsque vient l’heure de se réunir au-tour de la calebasse et de se passer la louche de mainen main, les Nigériens de tous horizons et de toutesconfessions en oublient leurs querelles de clocher.Et une unanimité se forge, avec des rots gutturauxet des hochements de tête, à propos de ce douxnectar qui a la faculté de fasciner le néophyte.L’hospitalité nigérienne passe aussi par la boule.C’est comme un réflexe inné que de l’offrir àson hôte. Au risque d’en faire un «accro» qui n’au-ra plus de repos tant qu’il n’aura pas sa dose. Maisce manque sera facile à combler: la recette est simpleet la boule est en vente à tous les coins de rue.

Du mil, du lait et des épicesPour obtenir une boule d’excellente qualité, il fautbien évidemment du mil, cette céréale qui consti-tue la base de l’alimentation au Niger,et un bon laitcaillé de vache. Mais d’autres ingrédients sont éga-lement nécessaires.Selon les goûts et les moyens,onpeut utiliser du fromage sec, des dattes ainsi qu’unecorbeille d’arômes et d’épices exotiques (gingembre,clous de girofle,thym,piment noir,piment blanc…).Avant toute chose, il s’agit de choisir le mil parmiles belles graines,dorées et dures.La deuxième opé-ration consiste à le piler pour le débarrasser de sonenveloppe – le son – qui fera un bon aliment pourles animaux.Ensuite, le mil est lavé et remis au mor-tier, afin de le transformer en une farine blanche etfine. Mélangée avec un peu d’eau, la farine est alorsroulée en boules, d’où le nom du plat.

Vient ensuite l’étape de la cuisson. Les boules d’in-égale grosseur sont placées dans une marmite conte-nant beaucoup d’eau.Après une ébullition d’envi-ron une heure, elles retournent au mortier, où ellessont pilées jusqu’à l’obtention d’une pâte gluante etonctueuse.

Patience…On délaye la pâte dans de l’eau et du lait caillé,avantd’y ajouter à souhait les épices et arômes préalable-ment pilés. C’est ainsi qu’on obtient cette nourri-ture liquide dont les Nigériens ne voudraient, pourrien au monde, être privés. La boule est prête à êtredégustée,mais les connaisseurs recommandent toutde même de la laisser reposer quelques heures. Songoût n’en sera que meilleur.Si vous suivez à la lettreces instructions, vous ne lèverez pas votre nez de lacalebasse avant d’en avoir vu le fond. ■

Ibbo Daddy Abdoulayecollabore avec plusieurspublications nigériennes. Il est également corres-pondant au Niger del’agence de presse Syfiaet de la radio Fréquenceverte. En outre, il est direc-teur de publication des«Échos du Sahel», uneagence de presse spéciali-sée dans l’agriculture et ledéveloppement, qu’il acontribué à créer en sep-tembre 1998. Le produitphare de l’agence est unerevue trimestrielle sur lemonde rural, que la DDCa subventionnée.

Une drogue douce dans la calebasse

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Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 21

Comment traiter avec les gouvernements qui ba-fouent les droits de l’homme? Que faire lorsque lesforces de l’ordre étouffent dans l’œuf et avec bru-talité toute velléité de démocratisation? Que fairelorsque nous sommes témoins d’atteintes graves àla liberté et à la sécurité, qui imposent souffranceset misère à des peuples entiers?Crier notre indignation ne suffit pas. Nous devonsplutôt participer activement aux actions internatio-nales.À l’instar d’autres États, la Suisse a souvent en-visagé de cesser toute activité de coopération avecles pays concernés,au Sud ou à l’Est.Nous nous de-vons assurément de réagir, car il est insupportablede voir souffrir des milliers de personnes simplementparce que leur gouvernement n’a pas la volonté oules moyens de respecter les normes légales ou les ac-cords internationaux. Mais est-ce en se retirant dupays partenaire que l’on obtiendra les meilleurs ré-sultats?L’expérience a montré que l’on surestime les effetsd’un retrait. De plus, il prétérite souvent ceux qu’ilne vise pas. Il peut priver d’un soutien vital lesgroupes de population les plus défavorisés.Les forcesréformatrices, au sein du gouvernement et de la so-ciété civile, peuvent perdre toute marge de ma-nœuvre. Loin d’améliorer la situation, les sanctionsrisquent donc de l’aggraver. De plus, le gouverne-ment incriminé peut durcir son attitude en dénon-çant l’ingérence internationale.Généralement, on obtient plus de succès en recou-rant à des mesures positives à l’intérieur même dupays. Il s’agit par exemple d’apporter un appui cibléau ministère de la justice, à des groupements de dé-fense des droits de l’homme ou à la presse.Ces me-

sures ont ainsi une influence positive sur le contex-te politique général et contribuent à améliorer la si-tuation dans le pays.Si des efforts sérieux ont été faits dans ce sens et que,malgré tout, aucune amélioration ne se dessine,alors seulement, il y a lieu d’envisager des mesuresplus radicales. Cependant, celles-ci sont de nature àimpliquer tous les domaines des relations de laSuisse avec l’étranger. C’est pourquoi elles doiventêtre conçues de manière cohérente.Ce sont des dé-cisions graves. Elles ne peuvent être prises que parle Conseil fédéral, après un examen approfondi dela situation.Dans tous les cas, les sanctions ne sont prises qu’endernier recours. Il s’agit avant tout de mettre enœuvre des mesures positives pour amener le payspartenaire à résoudre ses problèmes et à retournerà la normale. ■

Walter FustDirecteur de la DDC

(De l’allemand)

Suspendre l’aide pour faire pression sur un pays?

D’abord des mesurespositives

Opinion DDC

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Pour se rendre à son travail, la psychologue AliciaAlmeida enfile de solides bottes.En effet,cette jeunefemme de 32 ans exerce sa profession sur un terrainplutôt rude. Elle quitte le centre de Bogotá et rouleen direction du sud. Il lui faut une heure et demiepour atteindre les faubourgs de cette métropole dehuit millions d’habitants. Arrivée au pied d’unecolline escarpée, elle parque sa voiture et continueà pied.Les routes, lorsqu’il y en a, sont en trop mau-vais état et trop raides pour qu’une voiture puisse ycirculer. Alicia Almeida se met à grimper, à traversun entassement indescriptible de cabanes faites deplanches assemblées tant bien que mal.Elle parvientau centre d’Altos de Cazucá. Ce bidonville se situedans le quartier de Ciudad Berna, à Bogotá.

Fuir la violenceLes habitants d’Altos de Cazucá ont tous fui la vio-lence de la guerre civile qui secoue la Colombiedepuis trente ans. La population se compose essen-tiellement de femmes, d’enfants et d’adolescents.«Chaque jour, environ 35 familles de dix à douzepersonnes arrivent ici. La plupart de ces gens ontété directement victimes de la guerre, soit parcequ’un des membres de leur famille a été assassiné,soit parce qu’on les a forcés à quitter leur maison»,explique Alicia Almeida.À leur arrivée dans ce lotissement improvisé, ilstrouvent des conditions difficiles. Leur premiersouci est de se construire un abri de fortune, à l’ai-de de quelques planches. Ensuite, ils essaient de

En Colombie, deux millions de personnes ont quitté leurs mai-sons pour fuir la guerre civile. Plus de la moitié sont venues s’en-tasser dans d’immenses bidonvilles à la périphérie de Bogotá,la capitale. La DDC fournit une aide humanitaire à des projetsqui visent à améliorer les conditions de vie des desplazados.Beat Felber s’est rendu sur place.

La DDC en ColombieLa Colombie ne comptepas parmi les pays deconcentration de l’aidesuisse. Cela signifie que laDDC ne s’est fixé aucunepriorité dans ce pays àmoyen ou à long terme.Elle lui apporte néanmoinsun soutien – environ cinqmillions de francs en 2000– au travers de divers ins-truments et organisations.Il s’agit pour l’essentield’une aide humanitaire etde cofinancements de pro-jets gérés par des organi-sations non gouvernemen-tales suisses, telles quel’EPER, Swissaid,Swisscontact et Terre deshommes. Pour la DDC, ilest important d’accorderune aide accrue aux per-sonnes déplacées à l’inté-rieur du pays et d’appuyerles activités visant à renfor-cer les organisations lo-cales ainsi que le rétablis-sement de réseaux so-ciaux au sein de la sociétécivile.

Débuts de rêvesdans un bidonville

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s’organiser. Hélas, le bidonville ne dispose d’aucu-ne conduite d’eau ou d’électricité. Il n’y a pas demagasins, pas d’écoles… et bien sûr pas de travailnon plus. Par contre, la criminalité est très élevée,nombre d’enfants souffrent de malnutrition et ilfaut aller loin pour acheter de la nourriture. À sup-poser qu’on ait de l’argent.Depuis trois ans, les habitants reçoivent une aideélémentaire grâce à Mencoldes, une fondation desÉglises mennonites de Colombie pour le dévelop-pement social et l’aide humanitaire. Mencoldes acréé à Ciudad Berna un centre d’appui, dont leprogramme est financé par l’Aide humanitaire dela Confédération et l’Entraide protestante suisse(EPER).«Le centre fournit une aide humanitaire à 2000personnes par an», estime Nancy Yael Bernal,coordinatrice du programme. «Nous distribuonsde la nourriture, des vêtements et des ustensiles decuisine. Les gens peuvent également bénéficier desoins médicaux, psychologiques et dentaires. Enoutre, nous organisons toutes sortes de cours afinqu’ils aient de nouvelles perspectives, qu’ils retrou-vent des rêves et des objectifs. Les personnes quiviennent ici ne souffrent pas seulement de misèreéconomique mais aussi d’une misère psychique, àcause de la violence et des traumatismes qu’ellesont subis.»Une fois que les desplazados ont reçu le minimumvital, le centre met l’accent sur la prise en chargepsychologique pour accroître leurs chances deréintégration sociale, culturelle et économique.

Gagner la confiance«Quand ils arrivent ici, beaucoup de ces gens, maissurtout les jeunes, sont totalement déprimés.Aprèsavoir connu la violence de la guerre civile, ils vontêtre confrontés à d’autres formes de violence. Ilsdoivent sans cesse se battre: pour du travail, pour

un logement, pour de l’argent… et cela pratique-ment sans espoir», constate Alicia Almeida. Sa pre-mière tâche consiste donc à aller trouver les per-sonnes déplacées dans leurs abris sommaires et àgagner leur confiance. C’est loin d’être facile dansun pays où la peur et la méfiance sont devenuesune seconde nature depuis deux générations. Unpays où la violence fait chaque année 30000 vic-times et où les prises d’otages sont monnaie cou-rante.Le centre d’appui de Mencoldes ne parvient pas àrépondre à la demande. «Le nombre de personnesintéressées à suivre nos cours est systématiquementplus élevé que celui des participants que nous pou-vons effectivement admettre», regrette Nancy YaelBernal. Pour l’heure, quelque 90 personnes vien-nent deux fois par semaine au centre pour suivredifférents cours sur six mois: certains apprennent àlire et à écrire, d’autres suivent des cours de cou-ture, de gestion, de comptabilité, d’informatiqueou d’artisanat. «Notre but est de leur donner lesmoyens de créer des micro-entreprises dans leursquartiers.»Ces efforts ont déjà donné des résultats concrets.Ainsi, Graziella Prieta, Olga Remolino et IdalynFlores, toutes trois mères de plusieurs enfants, ontouvert ensemble un atelier de couture. JosefinaPerez a installé un stand de boissons à côté de sacabane. Et Juan Pablo Martinez, père de cinqenfants, fabrique des chaussures de cuir sur com-mande. Ce sont de tels exemples et d’autres enco-re qui motivent Alicia Almeida. Elle continueradonc à enfiler ses bottes pour parcourir les collinesdes faubourgs de Bogotá. ■

(De l’allemand)

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(jls) L’ASG a été créé en 1996, l’année où les tali-bans ont pris le pouvoir. Face à une situation com-plexe et conflictuelle, il était devenu nécessairepour les donateurs de se concerter sur les modali-tés de l’aide, de mieux coordonner leurs actions etd’apporter un soutien efficace aux efforts de paixdes Nations Unies.Aucun membre de l’ASG ne reconnaît le régimetaliban, coupable de nombreuses violations desdroits de l’homme. «Néanmoins, les bailleurs defonds ne peuvent ignorer cette crise humanitairequi dure depuis plus de vingt ans. Sans l’aide inter-nationale, l’Afghanistan aurait énormément deproblèmes pour nourrir sa population, surtout lesfemmes», souligne Serge Chappatte, directeur sup-pléant de la coopération bilatérale au développe-ment de la DDC.

Aide liée à des principesLes pays membres de l’ASG assument la présiden-ce à tour de rôle. En l’an 2000, cette fonction estrevenue à la Suisse. Le bureau de coordination dela DDC à Islamabad (Pakistan) organise chaquemois une séance de l’ASG afin de régler les pro-blèmes les plus urgents en matière de coordinationde l’aide. Et la DDC a effectué plusieurs missionsde haut niveau en Afghanistan, où elle a rencontréaussi bien les talibans que leurs adversaires de

l’Alliance du Nord. «Nous leur avons demandé derespecter les droits de l’homme et de laisser tra-vailler librement les organismes d’aide. Nous avonsinsisté pour avoir accès à tous les groupes défavo-risés, ce qui inclut naturellement les femmes»,indique M. Chappatte. Ces demandes correspon-dent à la charte de l’ASG, qui a décidé, à l’instar del’ONU, de lier son aide humanitaire au respect decertains principes fondamentaux. «Il ne s’agit tou-tefois pas d’une conditionnalité au sens strict, car lapopulation pourrait en souffrir.»

Discrimination des femmesEn privant les Afghanes du droit à l’emploi et de laliberté de circuler, les talibans les ont condamnéesà dépendre d’un homme pour survivre. Dès lors,une grande partie des 700000 veuves de guerresont réduites à la mendicité. En cas de pénurie ali-mentaire, les veuves et les orphelins sont les pre-miers à souffrir de la faim.La situation des femmes est au centre des préoccu-pations de l’ASG. «Et cela surtout depuis que lestalibans ont décrété en juillet dernier l’interdictiond’employer des femmes dans des projets d’aide»,précise M. Chappatte. ■

La Suisse assume en 2000 la présidence du Groupe d’appui àl’Afghanistan (ASG), qui réunit les seize principaux pays dona-teurs. Dévasté par un conflit qui n’en finit pas, auquel s’ajoutecette année une sécheresse catastrophique, l’Afghanistan dé-pend plus que jamais de l’aide internationale.

Par des veuves, pourdes veuvesLe Programme alimentairemondial (PAM) a conçu unprojet original pour assurerl’approvisionnement desAfghanes défavorisées,tout en respectant les loisqui imposent la ségréga-tion des sexes. Avec lesoutien de la DDC, il a crééun réseau de 37 «boulan-geries des veuves». Il aobtenu l’autorisation d’yemployer des femmes.Ainsi, ce sont des veuvesqui confectionnent le painavec de la farine fourniepar le PAM. Des enquê-trices vont de porte enporte pour distribuer destickets de rationnementaux veuves démuniesayant des enfants à char-ge. Ces clientes se rendentensuite dans les boulange-ries pour s’y procurer lepain à un prix fortementsubventionné.

Aider l’Afghanistan malgré les talibans

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Une section de la gouvernance(rdd) Dès le 1er janvier 2001, laDDC comptera une section thé-matique «Gouvernance», chargéede gérer les compétences dansles domaines suivants: État dedroit, droits de l’homme, rôle del’État, décentralisation, dévelop-pement local et gestion desaffaires publiques (budget, cor-ruption, etc.). Les sections thé-matiques ont pour tâche d’ap-porter un appui technique etscientifique aux programmesainsi qu’aux partenaires de laDDC, de tisser des liens sur leplan international et de définir lapolitique de la DDC dans leurdomaine de compétences respec-tif. Jean-François Cuénod,actuellement coordinateur en

Équateur, dirigera la nouvellesection, créée dans le cadre de laréorganisation des services secto-riels de la DDC.

Bureau humanitaire enMoldavie(jls) Au début de septembre der-nier, la DDC a ouvert un bureaude liaison de l’aide humanitaire àChisinau, capitale de laMoldavie. Quatre collaborateursy travaillent. Cette anciennerépublique soviétique de4,4 millions d’habitants, situéeentre l’Ukraine et la Roumanie,a particulièrement souffert dupassage à l’économie de marché.Selon un classement établi par laBanque mondiale en 1998, laMoldavie est le pays le pluspauvre d’Europe, plus encore

que l’Albanie. Cette année, sasituation s’est aggravée dramati-quement en raison des condi-tions climatiques: un gel tardif,puis trois mois de sécheresse, onteu des effets dévastateurs sur lesrécoltes. En juin, le ministèremoldave des affaires étrangères alancé un appel à l’aide interna-tionale.Walter Fust, directeur dela DDC, s’est rendu sur place le8 août. À la suite de cette visite,la DDC a décidé de distribuerdes semences aux paysans lesplus affectés par la sécheresse etd’apporter une aide d’urgence àdivers projets dans le domainesocial et médical.

Les bons liens(bf) Le site Internet de la DDCattend votre visite, à l’adresse:

www.ddc.admin.ch. Parmi beau-coup d’autres informations inté-ressantes, il contient les commu-niqués de presse les plus actuelset la plupart des articles récem-ment publiés par Un seul monde,de même que les liens corres-pondants.Ainsi, vous pouvez yconsulter l’ensemble du dossier«L’ONU, le développement et laSuisse», paru dans le numé-ro 3/2000. Un lien ouvre la pageInternet du DFAE sur l’ONU:www.uno.admin.ch

DDC interne

Au fait, qu’est-ce qu’unfonds de contrepartie?(drg) Le fonds de contrepartie est créé dans le cadre desmesures bilatérales de désendettement. La Suisse renonce à sescréances en devises à l’égard d’un pays en développement. Encontrepartie, le gouvernement s’engage à constituer dans sonpays un fonds d’un certain montant en monnaie locale.L’argent est prélevé sur le budget du gouvernement centralpour être placé sur un compte portant intérêts auprès d’unebanque commerciale locale. Il ne relève plus de la compétencedu ministère des finances. Il sert ensuite à financer des projetsde développement: des organismes de la société civile (surtoutdes œuvres d’entraide) et des institutions publiques soumettentdes projets aux responsables du fonds; ceux-ci choisissent, surla base de critères prédéfinis, les projets qui seront soutenus.Dans le cadre de son programme de désendettement bilatéral,la Suisse a accordé des remises de dette à 18 pays pour un mon-tant total de 1,1 million de francs. Dans douze cas, des fonds decontrepartie ont été créés. Ils représentent une somme totalede 270 millions de francs. Le fonds est le plus souvent admi-nistré par un secrétariat exécutif, assisté par un comité tech-nique chargé d’évaluer les projets. Ce comité réunit des repré-sentants des deux gouvernements concernés et de la sociétécivile. Un comité bilatéral, au sein duquel seuls les gouverne-ments sont représentés, sélectionne en dernière instance lesdemandes de financement qui lui sont présentées par le secré-tariat exécutif.

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Un seul monde: Imaginer que la coopérationau développement et l’économie orientent toutesdeux leurs efforts vers les pauvres de ce monde,n’est-ce pas la quadrature du cercle?Oscar Knapp: Pas du tout. L’économie privéene peut pas s’épanouir lorsque le contexte ne s’y

Remo Gautschi: La collaboration avec l’éco-nomie privée est différente en Suisse et dans lespays en développement. Ici, nous coopérons avecdes organismes, des consultants, etc., qui nous ai-dent à réaliser des projets et des programmes.Dansles pays en développement et en transition, la

Une collaboration entre l’économie privée et la coopérationau développement a longtemps paru impensable. Mais lesmentalités évoluent. Pour évoquer les limites, les potentielset les risques d’un tel rapprochement, Un seul monde a réunitrois spécialistes chevronnés: Rosmarie Michel, Oscar Knappet Remo Gautschi. Débat animé par Beat Felber.

Rosmarie Michelest depuis de nombreusesannées vice-présidente dela Women’s World Bankinget membre de plusieursconseils d’administration

Remo Gautschiest vice-directeur de laDDC et chef de la Divisionpour la coopération avecl’Europe de l’Est et la CEI

Oscar Knapp,ambassadeur, est déléguéaux accords commerciauxet chef du centre de pres-tations «Développement ettransition» du Secrétariatd’État à l’économie (seco)

L’économie privée découvre les pauvres

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DDC vise – comme le lui demande la loi – à pro-mouvoir l’économie privée à tous les niveaux.Enl’absence d’une économie de marché à caractè-re social et durable, le développement, tel quenous le concevons, demeure tout bonnementimpossible.Un seul monde: Les pauvres n’ont pour ainsi direpas de pouvoir d’achat. Pourquoi l’économie pri-vée s’intéresse-t-elle donc à eux?

prête pas. Si au contraire elle trouve un terreaufertile, son développement profite également auxpauvres. C’est pourquoi le seco soutient d’unepart la coopération macro-économique avec lespays en développement. D’autre part, il tente decouvrir certains risques et d’appuyer l’économieprivée dans la réalisation de projets qu’elle n’en-treprendrait peut-être pas d’elle-même.

Rosmarie Michel: La mondialisation n’est pos-sible qu’avec des marchés en bonne santé.Cela si-gnifie que nos partenaires doivent être d’égale va-leur et connaître les lois de l’économie de mar-ché. Il est donc nécessaire de commencer à la base,avec le travail de développement.Du point de vueéconomique, celui-ci doit d’ailleurs être perçunon pas comme une aide, mais comme un inves-tissement. Il inclut le transfert de savoir-faire enmatière de gestion et de marketing.C’est dans cetesprit que la Women’s World Banking (voir page28) agit au niveau mondial.

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O. Knapp: L’intérêt principal de l’économie n’estpas de soutenir les pauvres. Elle est là pour générerdes bénéfices. Dans certaines régions, des investis-sements lui semblent cependant possibles, maiscomme ils impliquent des risques relativement éle-vés, nous en couvrons une partie. Nous soutenonsainsi tant les pays en développement que l’écono-mie privée. En fait, l’économie commence à com-prendre qu’il est dans son intérêt d’intégrer lespauvres, voire les plus pauvres, dans les processuséconomiques, faute de quoi elle en subira des re-vers à moyen ou à long terme.

R. Michel: La seule quête du profit relève d’unestratégie à court terme. Les milieux économiquespartagent de plus en plus cet avis. Dans une écono-mie de marché saine, fonctionnant à l’échelle pla-nétaire, tous les partenaires, quelle que soit leurtaille, participent au succès commun. On ne peutpas attendre des entreprises qu’elles fournissent uneaide au développement. Les fonds publics sont effi-

caces à cet égard, notamment lorsqu’ils sont enga-gés pour promouvoir la santé, l’éducation et la for-mation.

Un seul monde: Ne risque-t-on pas de voir la co-opération au développement subventionner destâches qui incombent à l’économie privée? La for-mation professionnelle, par exemple?

R. Gautschi: Notre coopération au développe-ment a pour tâche première de lutter contre la pau-vreté. Or, l’expérience de ces dernières années l’amontré clairement: il existe un lien entre le déve-loppement vers une société civile telle que nousl’imaginons et la possibilité pour l’économie privéede se développer dans le pays concerné. L’un dé-pend de l’autre.Cependant, l’argent public que nousinvestissons dans ces processus doit profiter à lagrande majorité de la population, notamment dansles domaines de la formation,de la santé,des affairessociales et des infrastructures. Par exemple, nous ne

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pourrions pas investir nos moyens limités dans degrandes entreprises. Ce n’est pas notre rôle.

O. Knapp: L’expérience montre que lorsque lemarché se régule lui-même,nous pouvons nous re-tirer.

R. Gautschi: Personne ne veut investir dans unpays qui n’offre pas certaines conditions minimalesrelatives aux institutions, à la stabilité, aux infra-structures et à la formation. Notre travail consistedonc à créer ces conditions.

Un seul monde:La DDC possède une grande ex-périence et un immense savoir-faire en matière decoopération avec les pays en développement.L’économie fait-elle aussi appel à ces connaissances?

R.Michel: Nombre de dirigeants économiques re-connaissent aujourd’hui que nous devons aider lesplus pauvres (dont 90 pour cent sont des femmes)à se procurer le minimum vital. Il importe que nousparticipions tous à ce changement d’attitude. Nousdevons débattre de ce problème, envisager des so-lutions et en rendre compte avec un maximum deréalisme,pour éveiller l’intérêt et la compréhensionnécessaires.

O. Knapp: Je pense qu’il y a encore des lacunes etque,de manière générale,nous pouvons profiter da-vantage de nos connaissances respectives. Le cas del’Europe du Sud-Est montre cependant que la co-opération fonctionne bien mieux que par le passé.

Un seul monde: L’économie privée remplacera-t-elle un jour la coopération publique au dévelop-pement?

R. Gautschi: Le marché et l’économie privée nepourront jamais tout réguler.Aussi longtemps quel’État aura un rôle à jouer chez nous, la coopérationpublique au développement restera, elle aussi, né-cessaire. Au cours des décennies à venir, elle seral’espace dans lequel nous pourrons élaborer avecnos partenaires des visions, des politiques et desprogrammes.Rien n’empêchera l’économie privéede bénéficier de nos actions et de participer à la réa-lisation de nos programmes.

O. Knapp: Depuis la chute du Mur de Berlin et lafin de la guerre froide, pays donateurs et pays bé-néficiaires abordent plus librement et plus ouverte-ment des sujets tels que la corruption ou la bonnegestion des affaires publiques. J’espère donc que laDDC, comme le seco, pourront se retirer de cer-tains pays et laisser jouer les règles du marché.

R. Michel: Un organe étatique a une fonction derégulation. Et nous avons absolument besoin qu’iljoue ce rôle, car les motivations de l’économie pri-vée comportent toujours une part d’égoïsme. Maisil faut surtout renforcer le système économiquemondial en y intégrant les plus faibles. C’est pour-quoi nous ne devons pas parler de charité ou d’ai-de,mais bien d’investissement ou de développementet de coopération. ■

(De l’allemand)

Women’s World Banking(WWB)La WWB est le seul réseaumondial dirigé uniquementpar des femmes. Sesmembres sont 44 sociétésréparties dans 37 États,surtout dans les pays duSud peu avancés. Le ré-seau accorde de petits etmicro-crédits à desfemmes pauvres qui peu-vent ainsi créer leur propreentreprise (dans l’agricultu-re, l’industrie légère, lesservices ou le commerce)et subvenir aux besoins deleur famille.En 1999, la WWB a dé-pensé 52 millions de dol-lars pour soutenir 321000femmes. La Suisse seclasse au troisième rangdes pays donateurs de laWWB, derrière les Pays-Bas et la Norvège. La DDCverse 1 million de francspar an au réseau. Elle ap-porte par ailleurs son appuià trois organisationsmembres de la WWB auBangladesh, en Bosnie etau Bénin.www.swwb.org

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Les festivals de musique africainefoisonnent un peu partout enEurope. Malheureusement, il esttrès rare que ces manifestationssoient mises sur pied par desAfricains. À cet égard, le «FestivalIntegration» de Zurich, dont laquatrième édition s’est dérouléeen septembre dernier, constitueune exception. De nationalitécongolaise, j’en suis en effet de-puis 1996 l’organisateur princi-pal.

Étant Africain, je n’organise pasces journées à la manière d’unEuropéen. D’ailleurs, un petitchaos est nécessaire, c’est un élé-ment de la culture africaine!Cela ne signifie pas pour autantque je les organise comme on leferait en Afrique, où les placessont gratuites et l’infrastructurerudimentaire. Ici, tout doit êtreconforme aux normes euro-péennes, de la logistique à latechnique, en passant par l’éclai-rage, les salles, etc. Sans oublier lapublicité. L’ensemble demandebeaucoup d’argent. Cette année,notre budget se montait à180000 francs.

Ce sont des amis sénégalais,membres de l’Association AfricaFreedom, qui m’ont suggéré en1996 d’organiser un festival cul-

turel. Défi que j’ai relevé, avec lacollaboration d’une petite équipede trois personnes. Très vite, nousavons réalisé que la recherched’artistes ne nous posait guère deproblèmes. Il était autrement pluscompliqué d’obtenir de la policeles autorisations nécessaires et detrouver des sponsors. Dès le dé-part, ces deux tâches ont été lesplus ardues. Elles le sont tou-jours.

Aujourd’hui, le comité d’organi-sation compte douze personnes.Nous avons déjà réalisé avec suc-cès quatre éditions du festival.Néanmoins, cela ne nous a pasacquis la confiance de certainsinterlocuteurs, qui nous reçoiventtoujours comme si c’était la pre-mière fois. La quête des autorisa-tions officielles reste un véritableparcours du combattant. Et lessponsors sont réticents. Voyantque l’entreprise est gérée par unAfricain, ils craignent qu’elle nesoit pas sérieuse ou irréalisable.

Le fait que je sois Africain faciliteen revanche considérablement lescontacts avec les artistes. Ce sontdes frères. Nous pouvons discuterlibrement des questions de ca-chet, de logement ou d’autres as-pects liés à leur concert. Ils com-

prennent ma situation et sontprêts, le cas échéant, à faire desconcessions.

Il faut souligner que les musi-ciens viennent de tout l’espaceculturel noir. N’oublions pasqu’il y a aussi des Noirs auxCaraïbes, aux Antilles, au Brésil…bref, sur l’ensemble du continentaméricain. Parler d’un «festivalafricain», c’est sous-entendrequ’il est dédié exclusivement àl’Afrique. C’est pourquoi je pré-fère parler d’un «festival de l’in-tégration», expression qui bannitl’idée de frontières entre lescommunautés noires. Celles-cidoivent prendre conscience dufait qu’elles partagent une mêmeculture.

«Integration» ne veut pas seule-ment présenter la culture africai-ne, à travers ses instruments tradi-tionnels, comme le tam-tam, lacora, etc. Il a l’ambition de res-souder les Noirs vivant en exil etd’appuyer leurs efforts d’intégra-tion au sein des sociétés euro-péennes. Africa Freedom ad’ailleurs tenu à inclure dans leprogramme un thème social lié àdes questions d’actualité. Cetteannée, nous avons proposé undébat sur l’épidémie de sida enAfrique. ■

Louis Mombuest né au Zaïre, qui deviendra laRépublique Démocratique duCongo. À l’âge de huit ans, il estarrivé en Belgique avec sa famille.Il a suivi une formation d’officier àl’École royale militaire de Belgique.En 1977, il est venu vivre àGenève où il a suivi un apprentis-sage de mécanicien de précisiondans la métallurgie. Installé depuisune douzaine d’années à Zurich, ily a d’abord exercé la professionde mécanicien outilleur. Puis ils’est lancé dans la culture, fon-dant en 1993 l’Association AfricaFreedom. Celle-ci a d’abord orga-nisé des concerts, puis le «FestivalIntegration» dès 1996.

Comme si c’était la première fois

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Dakar, mai 2000, une salle deréunion de la «Maison desÉlus». Le grand romancier afri-cain Ahmadou Kourouma s’ef-force de provoquer un parterrede futurs auteurs de scénarios:«Votre respect est mal placé.Vous devez aborder nos mythesde façon ludique. Ils ne sontrien de plus qu’une matièredont se nourrit votre imagina-tion. Osez regarder notre cultu-re d’un œil critique!»Ce séminaire fait partie du pro-gramme «Africa & Pinocchio».Connu pour son esprit péné-trant et son humour féroce,Ahmadou Kourouma a été invi-té par les organisateurs à inter-venir devant ces scénaristes,jeunes pour la plupart. Le vieuxmaître les encourage à prendredes risques créatifs. «Les auteursafricains tendent à vouloir pro-téger leur culture et, de ce fait,ils ne la remettent pratiquementjamais en question», explique

l’un des participants, le scénaris-te sénégalais Ababacar Diop.«S’ils se comportent ainsi, c’estque depuis leur plus jeune âge,ils ont vu les Blancs mépriser laculture noire.»

Producteurs dédaignésMais le manque de mordantchez les auteurs n’est pas laseule faiblesse du cinéma afri-cain. Celui-ci souffre égalementd’être encore et toujours domi-né par de grandes figures quiassument elles-mêmes toutes lesphases de la création: écrituredu scénario, production et réali-sation du film. Ces personnagestraitent les producteurs enparents pauvres, les considérantcomme un mal nécessaire.En conséquence, les rares pro-ducteurs africains n’ont guèrel’occasion d’apprendre à jouerle rôle qui devrait leur revenir,celui de véritable partenaire du

cinéaste, capable de mener aveclui un dialogue à la foisconstructif et critique. De plus,jusqu’ici, aucune filière de for-mation ne prenait vraiment encompte la situation spécifiquedes scénaristes africains.C’est ce type de lacunes ques’efforce de combler le pro-gramme de formation «Africa& Pinocchio», lancé en décem-bre 1999. L’initiative est due à laFondation suisse de formationcontinue pour le cinéma etl’audiovisuel (FOCAL). Elletravaille en collaboration avecson équivalent français,ACTFormation, et les Cinéastessénégalais associés (CINE-SEAS). L’appui de CINESEASest essentiel pour le programme,car cet ancrage local lui donnetout son sens. La DDC soutientelle aussi le programme.Ce cours inédit, du moins en

Afrique, propose une formationaxée sur la pratique. Huitéquipes, comprenant chacuneun scénariste et un producteur,élaborent un projet viable decourt-métrage télévisé destinéaux enfants africains.

L’Afrique n’est pas le JaponPourquoi avoir choisi ce genreen particulier? Explication dePierre Aghté, de FOCAL, qui aconçu le projet: «Tous les parti-cipants préféreraient bien sûrtourner un film pour le cinéma.Si nous avons misé sur des filmsde 26 minutes en format TV,

«Africa & Pinocchio» est le nom d’un programme unique de formation proposéaux scénaristes africains. Huit équipes élaborent une série de téléfilms desti-nés aux enfants africains. Toni Linder* a assisté à l’un des séminaires organi-sés au Sénégal.

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c’est que nous aurons plus dechances de trouver un finance-ment et donc de mener les pro-jets jusqu’à la réalisation.»Les bons films pour enfants sontrares à la télévision africaine;beaucoup montrent en outre unmonde qui n’a rien à voir aveccelui des enfants du continent.Après tout, les enfants africainsne vivent pas comme les enfantsde Tokyo, Los Angeles ouZurich. Les huit équipes sontconseillées par des profession-nels de la télévision originairesdu Sud et du Nord. À l’issue ducycle de formation, qui dureune année, tous auront apprisquelque chose et ils auront éla-boré huit projets de téléfilmspour les chaînes africaines detélévision.Dès les premiers cours, il estapparu que les participantsavaient tous en tête des scéna-

rios trop sages, trop politique-ment corrects. Le producteurmozambicain Pedro Pimenta,un des deux mentors du pro-gramme de formation, expliqueainsi ce phénomène: «Beaucoupd’auteurs africains écrivent enpensant qu’il va falloir montrerle projet à une œuvre d’entraidedu Nord pour obtenir le finan-cement nécessaire. Conséquencelogique, leurs scénarios tour-nent toujours autour desthèmes favoris de ces institu-tions: l’environnement, le sida,la promotion des femmes, etc.

Or si les scripts nés de cettemanière sont remplis de bonnesintentions, ils ont peu dechances de captiver le public. Etsurtout pas les enfants.»Sous la supervision du scénaris-te et metteur en scène suisseDenis Rabaglia (auteurd’Azurro), les synopsis sont soi-gneusement expurgées à Dakarde telles génuflexions devant lamentalité des œuvres d’entraidedu Nord. Leur structure drama-tique est consolidée.Tel aspect,environnemental par exemple,peut s’en trouver écarté. MaisDenis Rabaglia encourage réso-lument les auteurs à ramasserleurs intrigues, à faire évoluerleurs personnages de façon plusplausible et plus vivante, àaiguiser les conflits.

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Comme à HollywoodDenis Rabaglia apprend auxauteurs et aux producteurs lamanière classique de construireun scénario, telle qu’on l’en-seigne dans les écoles de cinémade Hollywood. En Suisse, lesréactions ne se sont pas faitesattendre. Certains ont dénoncéle «fascisme du marché». On adit que les auteurs africains yperdraient leur identité, voireleur âme. Tout ce qui donneleur saveur aux histoires typi-quement africaines allait êtreperdu.Ces réflexions font sourire lesparticipants au séminaire. «Ilsemble que cette question pré-occupe davantage les Européensque nous autres,Africains»,explique le scénariste nigérienAlfred Dogbe. «Notre spécificitéafricaine ne souffre certaine-ment pas du fait que nous

apprenons la méthode holly-woodienne pendant ce cours.Nous avons assez d’imaginationpour nous en éloigner quandc’est nécessaire.» Alfred Dogbeest trop poli pour exprimerdirectement comment lesAfricains ressentent de tels scru-pules: ils y voient un méprispaternaliste de leur créativité.Le séminaire de Dakar, en mai,était le deuxième du cycle. Enaoût, participants et formateursse sont réunis à Ségou, au Mali.Les projets de la série, qui portepour l’instant le titre de Contesà rebours, devaient être peaufinésau cours du dernier séminaire,en novembre à Toulouse.Ensuite, tout dépendra de laqualité des huit dossiers. C’estgrâce à elle qu’on trouverapeut-être l’argent nécessaire à laproduction des films. Et à lamise sur pied d’une deuxième

édition de ce programme deformation. Sur ce point, organi-sateurs et participants se mon-trent très optimistes. ■

*Toni Linder est collaborateurde la Section médias et commu-nication de la DDC

(De l’allemand)

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Éducation et développementsur le Web(bf) Êtes-vous à la recherche depublications ou de manifesta-tions sur les rapports Nord-Sud,la multiculturalité, le racisme,les droits de l’homme, la paixou le développement durable?La Fondation Éducation etDéveloppement, qui se préoc-cupe de ces thèmes depuis1997, vient de faire son entréesur Internet.Vous trouverez sonsite à l’adresse www.globaleduca-tion.ch. Celui-ci contient unagenda régulièrement actualisé,une liste des publicationsrécentes sur l’éducation dansune perspective globale, unaperçu des cours que la fonda-tion, sise à Berne, organise dansses trois antennes régionales deZurich, Lausanne et Lugano,ainsi que bien d’autres informa-tions utiles.Fondation Éducation et Dévelop-pement: www.globaleducation.ch

Préserver la biodiversité(bf) D’innombrables espècesanimales et végétales disparais-sent chaque jour. La plupartd’entre elles n’ont pas eu letemps d’être découvertes etobservées scientifiquement.Cette extinction est très mar-quée dans les pays en dévelop-pement, où la biodiversité estplus grande que dans les paysindustrialisés. Si nous voulonspréserver des écosystèmes natu-rels sur la planète, il faut accor-der une priorité absolue à laprotection de l’environnementdans les pays en développement.Un ouvrage fait le point sur lesproblèmes actuels dans cedomaine et propose de nou-velles solutions pour lesrésoudre. Naturschutz inEntwicklungsländern a été réalisépar 37 spécialistes de la protec-tion de l’environnement et de lacoopération au développement.«Naturschutz in Entwicklungs-ländern» (publié en allemand seule-

ment), Max Kasparek Verlag,Heidelberg, 2000

Bêtes sauvages au hit-parade(bf) Ahmadou Kourouma, né enCôte d’Ivoire, s’est fait connaîtredans le monde entier par lapublication de son roman Lessoleils des indépendances, achevéen 1964 et publié en 1970. Il aensuite écrit une pièce dethéâtre qui lui a valu vingtannées d’exil.Aujourd’hui,Ahmadou Kourouma vit et écrità nouveau dans son pays. Il ad’ailleurs connu un autre succèslittéraire, avec son dernierouvrage En attendant le vote desbêtes sauvages, qui a reçu le prixInter 1999. Durant plusieursmois, ce livre a été classé au pal-marès des meilleures ventes. Ilest devenu «le» roman politiquede l’Afrique. Dans son style cap-tivant et incisif, l’auteur y livredes récits surprenants de chas-seurs et de dictateurs sangui-naires, dans lesquels il décritavec un humour caustique la vieet les aventures amoureuses deses anti-héros.Imperceptiblement, les louangesdu poète de la cour se muenten une critique acerbe de touteforme d’abus de pouvoir.Ahmadou Kourouma: «En atten-dant le vote des bêtes sauvages»,Éditions du Seuil, 1998, ParisUn choc toujours actuel

(bf) Même s’il n’a guère publié,le Soudanais Tayeb Salih, établi àLondres depuis de longuesannées, compte parmi les grandsauteurs arabes. Ses qualitésd’écrivain ont été reconnues dès

la publication de son premierroman, Saison de la migration versle Nord, un livre-culte pour lesintellectuels arabes et un clas-sique de la littérature arabe. Neufde ses nouvelles, écrites il y aplus de quarante ans, viennentd’être publiées en allemand. Ellesn’ont rien perdu de leur actuali-té, malgré la mondialisation. Ellesparlent toutes du même thème,cher à Tayeb Salih: le choc entrel’Orient et l’Occident, entre latradition et la modernité. Dansun style poétique et imagé, l’au-teur y décrit la culture islamique.Il raconte la vie de ces villageoisqui, nourris de mythes et delégendes, sont de plus en plussouvent confrontés au progrès etau développement.Tayeb Salih: «Saison de la migra-tion vers le Nord» (1972),«Bandarchah» (1985), «Les Nocesde Zeyn et autres récits» (1996),Actes Sud

Sculpture sur bois auCameroun(bf) À la frontière entre la savaned’Afrique occidentale et lajungle du centre du continent,dans les prairies de l’ouest duCameroun, la sculpture sur boisest un art qui relève d’une tradi-tion séculaire. L’auteur suisseHans Knöpfli a vécu pendant desdécennies dans cette région pourétudier l’artisanat local. Il publieaujourd’hui un deuxième volu-me consacré à la sculpture surbois et à ses symboles. Sculptureand Symbolism – Woodcarvers andBlacksmiths s’adresse aussi bien

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aux artisans qu’au grand publicdésireux de connaître la cultureet l’artisanat africains. On y trou-ve des descriptions détaillées desdiverses sculptures et techniques,illustrées par des photos, ainsique des portraits saisissants deforgerons ou de charbonniers.«Sculpture and Symbolism –Woodcarvers and Blacksmiths» (paruen anglais) peut être obtenu à la«Kalebasse», art et artisanatd’outre-mer, Missionsstrasse 21,4003 Bâle

Rencontres sur la voie lactée(bf) Des sommets enneigés per-dus dans la brume, de vertesprairies, des vaches bien grasseset des tintements de sonnailles.Accroupi au sommet d’unecrête, un homme essaie de fairevenir une vache à lui. La scèneserait kitsch si le vacher n’étaitun paysan peul du Burkina Faso,avec son turban noué autour dela tête pour se protéger du froid.Elle est tirée du film VPP –Rencontres sur la voie lactée (vachespositives planétaires, pour VPP)du réalisateur suisse JürgNeuenschwander. Elle en résumepoétiquement le thème: deshommes constatent que rienn’est jamais totalement inconnuet que les situations familièrescomportent aussi des inconnues.Trois éleveurs et producteurs delait du Mali et du Burkina vien-nent rendre visite à troisconfrères de l’Oberland et duSeeland bernois. Ils découvrentles similitudes et les différencesdans les manières de travailler enSuisse et en Afrique. Lors de sasortie au dernier Festival du filmde Locarno, cette œuvre, cofi-nancée par la DDC, a été saluée

par une longue ovation.«VPP – Rencontres sur la voielactée» est projeté depuis la mi-novembre dans les cinémas suisses

Demain, je serai peut-êtredéjà mort(dg) Chaque jour, des gens sontassassinés en Colombie. Parmieux, beaucoup d’adolescents,

victimes d’une lutte sans mercipour la drogue, l’argent et lepouvoir.C’est contre cette violence quedes jeunes, comme Ever deBogotá et Dora de Medellín, ontchoisi de se battre. Ils veulentvivre dans la paix et dans lasécurité. Leur arme n’est pas laviolence physique, mais lamusique rap. Ils expriment leurrévolte dans des opéras qu’ilsjouent dans les quartiers pauvres.Le film Vielleicht bin ich morgenschon tot montre la peur, la misè-re, mais aussi la volonté de vivred’Ever et de Dora.Rita Erben,Allemagne 1996.Vidéo VHS, 30 min., en alle-mand, documentaire.Prêt / vente: «Films pour un seulmonde», tél. 031398 20 88,[email protected],www.filmeeinewelt.ch

Une «compil» pas banale(er) La mode est aux compila-tions, qui juxtaposent avec plusou moins de bonheur les titresles plus connus de divers inter-prètes sous prétexte qu’ils suiventle même courant musical. Lacompilation produite par laDDC, Urban Africa Now, relèved’un autre esprit. Elle reflète l’ef-fervescence musicale des villesafricaines, où déferlent le mbalax,

le wassoulou, l’afro-beat, le bikoutsi,le soukouss, le jive et le reggae. Cesvilles où le zoblazo, le marrabentaet le hip-hop animent les dan-seurs, où la vague drum’n’bassbalaie tout et où le kwaïtò, unstyle disco, fournit le groove. Ledisque présente des stars afri-caines encore inconnues enSuisse, comme Brenda Fassie,Régis Gizavo ou Mabulu, maisaussi de grosses pointures inter-nationales comme YoussouN’Dour ou Cheikh Lô. Mêmeles connaisseurs seront surpris,car la moitié des morceaux nesont pas encore disponibles enEurope et certains sont des pre-miers enregistrements sur CD.Pour le non-spécialiste, c’est unemanière idéale d’aborder lamusique africaine actuelle, cartout est expliqué dans un super-be livret facile et agréable àconsulter. Un cadeau de Noëlidéal.«Urban Africa Now»,Trace/CODMusic

Allons faire la fête!(er) Les CD aux pochettes mul-ticolores de Putumayo WorldMusic forment une collectionintéressante de compilations aussiéclectiques qu’harmonieuses. Celabel américain met l’accent surla musique d’Amérique latine etd’Afrique, ainsi que sur la tradi-tion celte. C’est dans cette col-

lection qu’a été produit le disqueFesta Brasil. La pochette annonceune fête ininterrompue avec destêtes d’affiches aussi connues queChico César ou la légendairediva Gal Costa. Mais on ydécouvre aussi la voix cristallinede Rita Ribeiro et les riffs duvirtuose Pepeu Gomes. Parmi sesdouze titres, l’album illustre éga-lement le reggae brésilien trèsentraînant de la région de Bahiaet le forró du Nordeste où l’ac-cordéon, la flûte, la guitare et lepiétinement des danseurs mar-quent le rythme. À entendre cemélange trépidant de chansonsafro-brésiliennes, il n’y a qu’unechose à faire: Vamos pra esta festa!«Festa Brasil», Putumayo WorldMusic / Disques Office

Le monde en un album(er) Une flûte et une cithareincarnent le hip-hop. Des sonori-tés dance se marient à desrythmes latino-américains. Desassauts de raï et de rap se succè-dent. Les styles vont de la house àla salsa, en passant par le jungle, ledub et le reggae. Parmi les inter-prètes, on trouve IndianRopeman, Sly and Robbie,Cheb Mami, Manu Chao, P 18,Sergent Garcia et Baaba Maal.L’album Phat Global #1 présenteune sélection très internationalede titres déjà produits, un éven-tail de styles et d’artistes très dif-férents. Dans ce mélange un peuenivrant, les producteurs ontopté pour une association fasci-nante qui nous entraîne sur lascène engagée de la world music.«Phat Global #1», Palm Pictures/COD Music

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Comité de rédaction :Harry Sivec (responsable) Catherine Vuffray (vuc)Sarah Grosjean (gjs) Andreas Stuber (sbs) ReinhardVoegele (vor) Joachim Ahrens (ahj) Gabriella Spirli (sgb)Beat Felber (bf)

Collaboration rédactionnelle :Beat Felber (bf–production)Gabriela Neuhaus (gn)Maria Roselli (mr)Jane-Lise Schneeberger (jls)

Graphisme :Laurent Cocchi, Lausanne

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Internet: www.ddc.admin.ch

La Suisse et le monde, magazine duDépartement fédéral des affairesétrangères, présente des thèmes actuelsde la politique étrangère suisse. Il estpublié quatre à cinq fois par an enfrançais, allemand et italien.

Le prochain numéro paraîtra au débutdu mois de janvier et sera consacré audialogue des civilisations. Dans ledossier de sa livraison précédente,diffusée en octobre, La Suisse et lemonde a examiné les conditions

préalables et les conséquences de laglobalisation ainsi que ses implicationspolitiques.

On peut s’abonner gratuitement auprèsde:«La Suisse et le monde»c/o Schaer Thun AGIndustriestr. 123661 Uetendorf

Agriculture internationaleLa Haute école suisse d’agronomie, àZollikofen (BE), offre de nombreuxcours de formation postgrade enagriculture internationale. Leprogramme comporte un choixintéressant dans les domainessuivants: agriculture et développe-ment dans le monde; instrumentset méthodes, analyses de systèmes;production végétale tropicale;économie, marchés et politiqueagricoles. Les cours sont donnés soiten anglais, soit en français.Pour des informations détailléesconcernant les possibilités de formationpostgrade: Haute école suissed’agronomie, Länggasse 85, 3052Zollikofen,tél. 031910 21 11, e-mail: [email protected], Internet: www.shl.bfh.ch

Agendachantées autrefois dans les boîtes denuit par des femmes de petite vertu,avec un sobre accompagnement depercussions et de flûte. Avec Bluesd’Oran, Cheikha Rimitti confirmequ’elle compte parmi les grandesfigures de la musique du Maghreb.Zurich, Kaufleuten, 17 janvier 2001

Maître du chant arabeÀ l’invitation des Ateliersd’ethnomusicologie de Genève,Mohammed Aman, grand virtuosedu chant arabe, donnera un concertunique en Suisse. Depuis trente ans,il est reconnu comme un maître dugenre, aussi bien dans sa patriesaoudienne – il est originaire de LaMecque – que dans les autres paysarabes où il se produit. MohammedAman est l’un des rares artistes àmaîtriser les multiples courants duchant arabe: du maqâm majassan, lapoésie des chants religieux classiques,au danat, chanson urbaine lyrique, enpassant par le muwashshah, le chantarabe traditionnel.Genève, salle Frank Martin du CollègeCalvin, rue de la Vallée,26 janvier 2001

Suisse. L’exposition «Artistas deCamagüey» montre une facetteencore inconnue de la très richecréation artistique cubaine.Zurich, Galerie Havana, Dienerstrasse50, jusqu’au 13 janvier 2001

La doyenne du raïEn Algérie, «Remettez!» veut dire«Versez encore un verre!». C’estcette expression qui a inspiré à SadiaBédief son nom de scène, CheikhaRimitti. Née en Algérie en 1923,cette grande dame chante du raïdepuis plus d’un demi-siècle. Ayantdébuté pendant la deuxième guerremondiale en improvisant sur lesthèmes d’actualité, elle revientactuellement aux racines du raï: deschansons simples sur l’alcool,l’amour, la passion et le sexe,

La Compagnie CréoleLe zouk est la musique des îles de laGuadeloupe et de la Martinique,dans les Caraïbes, ainsi que de laGuyane française. Le créole est lalangue et la culture des peuples quivivent dans ces départements françaisd’outre-mer. Et la «CompagnieCréole» est l’un de leurs plusprestigieux ambassadeurs. Connueaussi bien en Nouvelle-Calédonieque dans l’océan Indien, cetteformation a encore accru sa notoriétédepuis qu’elle a accueilli en son seinde jeunes musiciens de zouk,originaires d’Afrique et des Caraïbes.Yverdon-les-Bains, Théâtre BennoBesson, rue du Casino, 14 décembre

Cinq artistes de CamagüeyIl existe au total onze écoles d’art àCuba. Celle de Camagüey alongtemps eu la réputation d’êtrehermétique et fortement influencéepar les académies soviétiques. Cinqpeintres, sculpteurs et photographesde la province de Camagüey –Agustín Bejarano, Aziyadé Ruiz,Carlos Montes de Oca, Hugo Rubioet Ramón Casas – présentent leursœuvres pour la première fois en

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DIRECT ION

DU DEVELOPPEMENT

ET DE LA COOPERAT ION

DDC

Dans le prochain numéro:

Désendettement – l’engagement dela Suisse, les voix critiques et lesapproches progressistes

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